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DE LA CRISE BANCAIRE À LA RÉGULATION : L'EXPÉRIENCE

AMÉRICAINE DE 1907

Julien Mendez et Christian Tutin

Altern. économiques | « L'Économie politique »

2010/4 n° 48 | pages 42 à 63
ISSN 1293-6146
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L’Economie politique
Trimestriel-octobre 2010

les leçons de l’histoire


Crises financières :

p. 42

De la crise bancaire à la
régulation : l’expérience
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américaine de 1907
Christian Tutin,
professeur d’économie à l’université de Paris-Est Créteil (Upec),
et Julien Mendez,
chargé d’enseignement à l’Institut d’études politiques (IEP) de Lille.
Tous deux sont membres du Pôle d’histoire de l’analyse et des
représentations économiques (Phare) de l’université de Paris I.

L
e retour des crises financières n’est pas le moindre
des points communs entre le capitalisme d’aujourd’hui
et celui du XIXe siècle finissant : la période qui s’est
ouverte en 1982 avec la crise de la dette mexicaine
rappelle étrangement celle qui débuta en 1873 avec le krach des
Bourses de Vienne puis de Berlin. Presque sans interruption jus-
qu’au début du XXe siècle se sont alors succédé des « accidents »
financiers, plus ou moins réguliers, plus ou moins contagieux, qui
ont entretenu un climat de crise permanente justifiant l’expression
de « Grande Dépression » par laquelle les historiens désignent en
général cette période qui précède la « Belle Epoque », même si
globalement le dernier quart du XIXe siècle a connu une croissance
économique.

L’instabilité financière est particulièrement forte à cette


époque aux Etats-Unis, qui connaissent au moins trois crises

L’Economie politique n° 48
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C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :
bancaires et financières de grande ampleur : en 1884, en 1893 p. 43
et de nouveau en 1907. La crise de 1907 était potentiellement la
plus grave ; elle a d’ailleurs constitué un choc important pour
l’économie américaine et les économies qui lui étaient les plus
liées (Royaume-Uni, Canada, Mexique). Si elle a été rapidement
maîtrisée, grâce à une série d’interventions « non convention-
nelles » et à la mobilisation des banquiers eux-mêmes autour
de J. P. Morgan, elle a cependant relancé le débat économique et
politique sur le fonctionnement du système bancaire, et débou-
ché sur la mise en place du Système de réserve fédéral (Fed), au
début de 1914.

Cette crise de 1907 est doublement intéressante aujourd’hui :


d’une part, elle représente une sorte d’archétype de la crise de
liquidité bancaire ; d’autre part, elle a marqué un tournant de
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l’histoire monétaire américaine, avec l’introduction d’un prêteur
en dernier ressort et la création de la Federal Reserve, la banque
centrale des Etats-Unis, prélude à de nombreux rebondissements
en matière d’évolution de la régulation jusqu’au New Deal ban-
caire de 1933-1935 [1].

1907, point culminant


d’une période d’instabilité financière
Les crises de 1873 et 1884 sont d’abord celles de la nouvelle [1] Les deuxième
et troisième parties
économie de l’époque, les chemins de fer. Si 1873 reste une crise reprennent pour l’essentiel
industrielle et financière, 1884 et 1893 sont beaucoup plus nette- un article à paraître
dans les actes du colloque
ment des crises bancaires, avec plus de 400 faillites de banques de Clermont-Ferrand
en 1884, et près de 500 en 1893. Le taux d’intérêt au jour le jour « La crise : trois ans après,
quels enseignements ? »
atteint 4 % à New York en 1884, et le taux d’escompte est porté [Diemer et Dozolme, 2010].
Nous remercions Arnaud
à 12 % en 1893. En l’absence de banque centrale, le système Diemer de nous avoir
bancaire est sauvé en 1873 et en 1893 par des suspensions de autorisés à le reprendre ici.

paiements, et en 1893 par l’intervention de J. P. Morgan. Et si les


crises de 1873 et 1884 peuvent s’analyser comme des crises de
solvabilité, liées à une suraccumulation que révèle un brusque
effondrement des profits, celle de 1893 est déjà très largement
une crise de liquidité, provoquée par le retrait des capitaux britan-
niques suite à la faillite de la Barings, qui contraint de nombreux
investisseurs à liquider leurs « bons » actifs nord-américains
pour faire face à leurs engagements sud-américains risqués, en
Argentine essentiellement. Cette dernière crise débouche aux
Etats-Unis sur une profonde dépression et de graves troubles
sociaux : grèves sanglantes en 1894, marche des chômeurs sur
Washington, mobilisation des fermiers endettés, etc. ›››

Octobre-novembre-décembre 2010
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Crises financières :

p. 44 Une spéculation boursière


L’originalité de la crise de 1907 consiste dans son caractère
de crise de liquidité « pure ». Il s’agit d’une panique bancaire
déclenchée par la généralisation de la défiance à l’ensemble
des sociétés financières, puis aux banques qui leur sont liées,
suite à l’échec d’une spéculation boursière, un corner consistant
à prendre à revers les spéculateurs qui jouaient à la baisse sur le
cours d’une compagnie minière.

L’échec de cette spéculation menée par une trust company


(société financière dérégulée) dégénère en crise de liquidité ban-
caire parce qu’il intervient dans un contexte marqué par divers
facteurs qui concourent tous à aggraver un manque de liquidités
chronique à l’automne, lorsque les fermiers du Middle West ont
besoin de fonds pour procéder aux récoltes et expédier celles-ci
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à l’est puis en Europe. Ce n’est qu’au moment de l’écoulement de
ces récoltes sur les marchés extérieurs que ce besoin annuel de
liquidité cesse et que la monnaie retourne vers les banques. En
raison de la structure pyramidale du système bancaire, ce besoin
de liquidités se reporte des banques rurales sur les banques
des centres financiers du pays, et de celles-ci, sur les banques
de New York, qui recueillent une grande partie des réserves des
deux premières catégories d’établissements, et de fait jouent
collectivement le rôle de marché monétaire pour les banques de
[2] Kindleberger [1978, rang inférieur. Les banques new-yorkaises ne peuvent faire face
p. 86] indique que la phase
d’expansion s’est ainsi
à ce mouvement de retrait des réserves bancaires que grâce aux
appuyée sur une extension emprunts d’or effectués à Londres [2] sur le marché des finance
considérable de la base
de crédit à partir de prêts bills, des titres d’emprunt à court terme émis par les institutions
consentis par des banques financières.
hors place et d’emprunts
massifs réalisés sur le
marché londonien.
A cela s’ajoute une demande accrue de liquidités à l’ouest
[3] De nombreux du pays en raison du tremblement d’avril 1906 à San Francisco,
contemporains, notamment
Seligman [1908] et dont les dégâts sont estimés entre 1,2 % et 1,7 % du produit
Vanderlip [1908] invoquent intérieur brut (PIB) américain. Les assureurs sont contraints de
aussi, pour expliquer la
« soif de liquidité » de liquider des actifs et de réaliser des transferts d’or de Londres
l’automne 1907, les effets,
sur le marché international
vers les Etats-Unis [3] pour payer les indemnités. Le stock d’or
des capitaux, des conflits anglais diminue de près de 15 %, la liquidité du marché lon-
du début du XXe siècle :
guerre hispano-américaine, donien baisse dangereusement et les rumeurs de possibles
guerre des Boers, guerre difficultés enflent.
russo-japonaise.

C’est finalement le durcissement des conditions de crédit


après le relèvement de son taux d’escompte par la Banque
d’Angleterre, passé de 3,5 % à 6 % le 19 octobre 1906, qui va

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créer les conditions de la crise de liquidité. Cette décision de la p. 45
Banque d’Angleterre, ajoutée à son conseil de ne pas renouveler
les finance bills, fait perdre leur attractivité aux titres émis par les
banques américaines. En provoquant l’effondrement du marché
des finance bills américains, dont
le volume passe de 400 millions
de dollars à seulement 30 millions, Il s’agit d’une panique bancaire
elle est directement à l’origine de la déclenchée par la généralisation
panique de 1907. En outre, non seu- de la défiance à l’ensemble des sociétés
lement l’or ne parvient plus à New financières, puis aux banques
York, mais les banques londonien- qui leur sont liées, suite à l’échec
nes demandent le remboursement d’une spéculation boursière, un corner
des finance bills américains arrivés consistant à prendre à revers les
à échéance et le sens de circulation spéculateurs qui jouaient à la baisse
de l’or s’inverse entre Londres et sur le cours d’une compagnie minière.
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New York. Les banques ­américaines
sont incapables de renouveler une
partie de leurs financements à court terme et, entre mai et
août 1907, les réserves d’or des Etats-Unis ont diminué de 10 %,
malgré des taux d’intérêt élevés.

Il faut ajouter que l’industrie était entrée en récession à [4] Qui étaient toutes
plus ou moins des crises
l’automne 1906, et que la Bourse de New York connaissait des chemins de fer.
depuis la fin de l’hiver un krach rampant qui avait vu les cours
[5] Voir encadré page 49.
des actions perdre le quart de leur valeur entre janvier et sep-
tembre 1907. Mais contrairement aux crises antérieures [4], ce ne [6] Dont le président
est associé aux dirigeants
sont ni des faillites industrielles, ni un effondrement des cours de la Mercantile.
lié à celui des profits, qui déclenchent la panique. Comme le [7] Notamment
relève Vanderlip [1908] « sa cause directe et immédiate […] est de la National Bank
of Commerce, qui est
intimement liée au développement des trust companies ». son intermédiaire pour
accéder à la chambre
de compensation
Les auteurs du corner manqué sur la United Copper Com- et qui est l’une des plus
grandes banques
pany, les frères Heinze, contrôlaient en effet, outre la Mercantile du pays, étroitement
National Bank, six national banks, une dizaine de state banks [5], liée à J. P. Morgan.

une demi-douzaine de trust companies et quatre compagnies


d’assurances [Bruner et Carr, 2007, p. 40]. Et ils sont liés à
d’autres banquiers. L’échec du montage conduit à la faillite du
courtier ayant exécuté les ordres de Heinze, puis à un run sur la
Mercantile National Bank, une ruée des déposants demandant
à récupérer leur argent, ce run s’étendant ensuite à la Knicker-
bocker Trust Company [6] (qui fait face à 8 millions de dollars de
retraits). Cette dernière perd la confiance de ses partenaires
bancaires [7], qui cessent leurs opérations avec elle. La Trust ›››

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p. 46 Company of America (50 millions de dollars de dépôts) est à son


tour attaquée. Les interventions de la New York Clearing House
(NYCH) [8] ne parviennent pas à enrayer la panique. Morgan et la
NYCH décident d’abandonner la Knickerbocker et de permettre
sa liquidation, car les sommes nécessaires pour la sauver (de
l’ordre de 25 millions de dollars) sont trop importantes [Bruner
et Carr, 2007, p. 60, 73 et 75].

Dès lors, la panique s’étend à l’ensemble du système ban-


caire. Les réserves des national banks de New York passent
ainsi de 219 millions de dollars le 22 août 1907 à 177 millions le
3 décembre 1907. Au plus fort de la crise, elles ont certainement
été à des niveaux bien inférieurs [Moen et Tallman, 1990, p. 9].
Les cours boursiers s’effondrent en raison des ventes, des liqui-
dations d’actifs effectuées par les courtiers et les banques et de
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la hausse des taux d’intérêt.

Les restrictions progressivement mises par les banques au


retrait des dépôts en monnaie légale conduisent à l’apparition
d’une prime de 4 % de la monnaie légale sur les dépôts, qui
encourage l’importation d’or. Les importations d’or sont de
100 millions de dollars en novembre et décembre 1907.

Le marché des call loans, sur lequel les banques de New


York placent à court terme leurs liquidités en finançant des
opérations de report [9] à la Bourse, est pratiquement bloqué :
il n’y a plus d’offre, ou à des taux extrêmement élevés (jusqu’à
60 %, puis 100 %). Les banques de l’intérieur du pays retirent
progressivement leurs réserves de New York, accroissant encore
les difficultés des banques new-yorkaises. Malgré tout, seules
une vingtaine de trust companies et 25 banques disparaissent,
ce qui amène Calomiris et Gorton [1991] à considérer que, « du

[8] A défaut de banque en difficulté à régler leurs en payant les titres le risque d’être pris
centrale, il existe à l’époque soldes de compensation acquis, soit demander à revers par l’évolution
un certain nombre de par l’émission de certificats le report de cette position du marché des titres. Ainsi
chambres de compensation plutôt qu’en monnaie à la prochaine échéance, la crise bancaire de 1882,
interbancaires, celle légale (cf. infra). contre paiement d’un intérêt. en France, qui provoqua
de New York étant la plus Dans ce dernier cas, successivement la chute
importante. Ces chambres [9] Les courtiers de le courtier doit financer ces de la Banque de Lyon
sont chargées de la Bourse peuvent proposer opérations en empruntant et de la Loire, puis de
compensation des dettes à leurs clients de spéculer des fonds à court terme l’Union générale et du Crédit
et des créances entre leurs sur des titres en ne versant auprès des banques. lyonnais, s’explique-t-elle
membres et du règlement qu’une fraction de leur prix. Ce système de règlement en grande partie
des soldes. Pendant A échéance régulière, différé et de report était par l’engagement excessif
la crise, elles autorisaient leurs clients doivent alors très largement utilisé. de ces banques sur de
parfois les banques soit régler leur position Il comporte évidemment telles opérations de report.

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strict point de vue des faillites bancaires, la panique de 1907 est p. 47
pratiquement un non-événement » [cités par Bruner et Carr, 2007,
p. 69]. Et dès le début 1908, le calme est revenu à Wall Street.

Les réponses à la crise


C’est J. P. Morgan, soutenu par John D. Rockefeller qui, en mettant
successivement en place plusieurs regroupements de financiers
(money pools) afin de fournir aux établissements en difficulté
les liquidités nécessaires, a assuré le sauvetage du système
bancaire américain. De son côté, pour mettre en circulation des
liquidités, le Trésor américain procède à des remboursements
anticipés d’emprunts et effectue des dépôts auprès des banques.
Il dépose ainsi 25 millions de dollars
le 24 octobre 1907. Entre le 21 et le
31 octobre 1907, le Trésor dépose un Le 21 octobre 1907, puis le 26 octobre,
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total de 37 millions de dollars dans la clearing house de New York émet
les national banks new-yorkaises des certificats de prêt. Ces émissions
[Moen et Tallman, 1990, p. 8]. visent à augmenter la quantité
de monnaie disponible, technique
Le 21 octobre 1907, puis le déjà utilisée en 1873 et 1893.
26 octobre, la clearing house de Dans les trois semaines qui suivent,
New York émet des certificats de plus de 110 millions de dollars
prêt. Ces émissions visent à aug- de ce substitut monétaire sont émis.
menter la quantité de monnaie dis-
ponible, technique déjà utilisée
en 1873 et 1893. Dans les trois semaines qui suivent, plus de
110 millions de dollars de ce substitut monétaire sont ainsi émis.
Les banques sont également amenées à décider de suspensions
des paiements, qui prennent fin en janvier 1908 [Henry, 2003]. A
cette date, la crise de liquidité était surmontée. On peut estimer,
avec Friedman et Schwartz, que cette mesure – parfaitement
illégale – a sans doute permis, en stoppant net la contagion, de
préserver le système d’un véritable effondrement, en empêchant
des faillites bancaires en chaîne, en limitant la contraction de la
masse monétaire et en évitant ainsi une déflation majeure. En
son absence (comme en 1929-1933), la contraction de la masse
monétaire « aurait à son tour provoqué la faillite de banques
qui étaient financièrement “saines” mais pas immédiatement
liquides » [Friedman et Schwartz, 1963, p. 166].

Dans le système bancaire américain tel qu’il est organisé


(voir encadré page 49), entre 1864 (National Banking Act) et
1913, marqué par l’étalon-or (Standard Gold Act de 1900), la ›››

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p. 48 confiance des déposants et des banques entre elles repose sur


la conservation d’un montant significatif de réserves en monnaie
légale par les établissements financiers. Mais dans un contexte
de forte activité bancaire et d’absence de réglementation sur
leurs investissements, les banquiers maintiennent en perma-
nence leurs réserves au minimum légal afin de maximiser leurs
profits. En période de panique, l’impossibilité pour les banques
de diminuer le montant de leurs réserves sans enfreindre la loi
et l’absence d’un prêteur en dernier ressort leur imposent un
ajustement de leurs bilans par la contraction du crédit, qui seule
leur permet d’ajuster la masse de leurs dépôts à leurs réserves
en monnaie légale.

Or, pendant la crise, les réserves des grandes banques


diminuent pour de multiples raisons : à la baisse saisonnière,
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liée au cycle agricole et aux retraits dus à l’indemnisation des
sinistres de San Francisco, s’ajoutent, comme nous l’avons
vu, le remboursement des finance
Les conséquences de la panique bills à Londres, les retraits des
d’octobre sur l’économie américaine déposants et des investisseurs et
seront très fortes, avec des chutes les retraits des fonds placés par
de la production industrielle de 20 à les banques rurales. Friedman et
40 % selon les branches, mais la reprise Schwartz [1863, p. 158] estiment
intervient très vite également. ainsi que la contraction de la masse
monétaire observée en 1907-1908
est sans précédent dans l’histoire
des Etats-Unis, et que seules les années 1920-1921, 1929-1933
et 1937-1938 enregistreront des contractions d’ampleur équiva-
lente. L’ensemble de ces facteurs concourt à une forte restriction
du crédit aux Etats-Unis.

Aussi les conséquences de la panique d’octobre sur l’éco-


nomie américaine seront-elles très fortes, avec des chutes de la
production industrielle de 20 à 40 % selon les branches, mais
la reprise intervient très vite également. Cela s’explique à la fois
par la nature de la crise, qui est une crise de liquidité et non de
solvabilité, et par des interventions rapides et massives des
banquiers eux-mêmes, qui se substituent à un prêteur en dernier
ressort inexistant.

La crise de 1907 rend manifestes les défauts du système


bancaire américain, dont il n’est plus possible politiquement
d’évacuer la question du renforcement. Sa fragilité fait en effet de

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Crises financières :
l’économie américaine, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, p. 49
la plus instable des économies industrialisées. Les expériences
successives de 1884, 1893 et 1907 semblent même dessiner une
tendance à l’aggravation des crises, qui tendent au contraire
à s’atténuer dans les pays européens. C’est un double débat,
politique et économique, qui s’engage dès 1908 et qui n’est pas
sans rappeler celui en cours depuis 2008.

Soupçons politiques et débats économiques


La panique de 1907 déclenche dans l’opinion publique, dans [10] D’importantes
consolidations
la presse et au Congrès une campagne de dénonciation du d’entreprises ont eu lieu
­« complot » des banques. L’un des plus virulents dans ses sur la période 1894-1904 :
consolidation de plus
­attaques contre les milieux financiers n’est autre que le président de 1 800 compagnies en
Theodore Roosevelt. L’ambiance générale est à la dénonciation seulement 93 corporations.
Cela sous l’égide
de la finance qui engendre conflits d’intérêts, oligopoles et mono- de quelques institutions
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financières comme
poles, et abus de pouvoir économique à des fins politiques [10]. celles de J. P. Morgan.
Cela est aussi à rapprocher des critiques de Thorstein Veblen,
notamment dans Absentee Ownership… [1923]. A l’instigation
de Charles Lindbergh, l’ancien pilote d’avion devenu homme ›››
Le National Banking System

La monnaie sont régulées par les Etats fédérés.


La monnaie légale est composée Les private banks sont libres.
des US notes (les greenbacks émis Les réserves
pendant la guerre de Sécession) et Chaque banque doit détenir des
de l’or. réserves en fonction de sa locali-
Les national banks peuvent émet- sation géographique : 15 % pour
tre des national bank notes après les country banks et 25 % pour les
dépôt auprès du Trésor d’un montant banques situées dans l’une des
équivalent de titres en garantie. Ces 47 reserve cities ou l’une des trois
billets portaient la double signature central reserve cities (New York,
du Trésor et de la banque émettrice ; Chicago, St. Louis).
ils étaient convertibles en monnaie Les réserves doivent êtres conser-
légale, recevables pour le paiement vées en monnaie légale ou déposées
des dettes et, sauf circonstance auprès de banques situées dans une
particulière, chaque national bank ville de rang supérieur.
devait accepter au pair les billets La décentralisation
émis par les autres. Il n’y a pas de banque centrale ni de
Les types de banques prêteur en dernier ressort institu-
Les national banks sont autorisées à tionnalisé. Les différentes banques
émettre de la monnaie sous licence ne peuvent ouvrir ni succursales ni
gouvernementale. Les state banks filiales à l’étranger (unit bank).

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Crises financières :

p. 50 politique, le Congrès met en place en 1912 une sous-commission


(ou Comité Pujo) chargée d’enquêter sur l’existence d’un pouvoir
de la finance (money trust) et dont les travaux déboucheront
sur le Clayton Act de 1916, loi antitrust qui interdit le cumul des
mandats d’administrateur de plusieurs sociétés.

L’enquête de la commission Pujo débouche sur une conclu-


sion paradoxale. D’un côté, elle met en avant le pouvoir écono­
mique exorbitant dont disposent J. P. Morgan et un petit groupe
de financiers new-yorkais [11]. De l’autre, elle écarte tout soupçon
de « complot » financier qui aurait déclenché la crise ou qui
aurait présidé à sa gestion. Mais cette profonde méfiance à
l’égard des milieux financiers explique en partie les difficultés
auxquelles s’est heurtée la réforme du système bancaire amé-
ricain, qui s’imposait pourtant de façon évidente. Il faudra en
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effet six années pour que les débats, relancés par la crise mais
qui durent en fait depuis plusieurs décennies, débouchent sur
la création du Fed, le Système de réserve fédéral.

Deux défauts du système sont à la base de l’argumentaire


des partisans d’une banque centrale à l’européenne. D’une part,
l’absence de prêteur en dernier ressort. Les clearing houses
jouent ce rôle, notamment celle de New York en 1893 et en 1907,
mais elles ne prêtent pas directement et ne sont pas créatrices
de monnaie. Elles émettent des loan certificates qui ne sont pas
des moyens de paiement. Le Trésor a aussi joué ce rôle par ses
[11] Morgan et ses
dépôts. D’autre part, le caractère décentralisé des réserves :
douze associés c’est le problème du pooling, rendu impossible par l’excès de
disposaient de 72 postes
d’administrateurs dans décentralisation du système. Les milieux d’affaires de Wall Street
47 grandes entreprises, étaient favorables à la centralisation. La banque centrale ne naît
tandis que les dirigeants
des trois plus grandes donc pas « contre le marché » mais, au contraire, en réponse
banques new-yorkaises
détenaient 341 mandats
aux difficultés rencontrées par celui-ci. La crise de 1907 valide
dans 112 sociétés qui ainsi plutôt la position des partisans du caractère « naturel » des
contrôlaient 22 milliards
d’actifs (pour un PIB banques centrales, émergeant comme institution stabilisatrice,
inférieur à 50 milliards contre celle des partisans de leur caractère « contre-nature », tel
de dollars).
Hayek qui y voit un obstacle à l’instauration de la concurrence
[12] Banquier new-yorkais en matière d’émission monétaire.
qui a joué un rôle décisif
dans la préparation du
Federal Reserve Act de
décembre 1913. Ses Le problème n’est pas tant le montant des réserves que celui
réflexions sont regroupées de la capacité à les mobiliser rapidement et en n’importe quel
dans The Federal Reserve
System, Its Origin and point du système : de nombreux auteurs font remarquer qu’elles
Growth. Reflexions and
Recollections [cf. Rist,
sont trop dispersées pour jouer leur rôle en cas de crise. Paul
1938, p. 436]. Warburg [12] écrit ainsi : « Le résultat net de notre système est

L’Economie politique n° 48
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les leçons de l’histoire


C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :
que d’immenses quantités d’or et de monnaie sont inutilisées et p. 51
qu’en dépit de notre énorme réserve d’or, qui est quatre fois plus
grande que celle de l’Angleterre, et en dépit de notre énorme cir-
culation par tête de 35 dollars [13], nous avons chaque année une
insuffisance aiguë de monnaie » [cité par Rist, 1938, p. 437].

Il s’agit donc de centraliser les réserves d’or. Comme le relève


Charles Rist : « pour la première fois dans la doctrine ­économique,
[13] C’est-à-dire un à deux
on voit la conception de la banque centrale liée non pas à l’émis- mois de salaire ouvrier.
sion du billet, mais à l’idée de concentration des réserves métal-
[14] L’American Economic
liques. Ce que l’évolution spontanée des marchés monétaires Review est née en 1911,
en France et en Angleterre avait conduit la banque d’émission à et son premier numéro
est largement consacré
devenir (la réserve métallique du pays) est dorénavant considéré à la crise de 1907.
comme l’objet même d’une ban-
que centrale, l’émission des billets
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n’étant plus que l’une des métho- La nécessité d’une banque centrale
des qu’une banque centrale peut était loin d’être unanimement reconnue.
employer pour remplir sa fonction Ainsi, O. Sprague, qui finira cependant
essentielle » [Rist, 1938, p. 436]. par se rallier au projet, publie
en 1909 un long article pour montrer
Mais la centralisation des réser- qu’« une banque centrale apparaît  
ves n’est que la condition pour que comme un instrument qui n’est  
les banques secondaires puissent ni nécessaire ni bien adapté ».
se procurer des crédits, grâce à un
système de réescompte. C’est en
faveur d’un tel système à l’européenne que plaident les défen-
seurs du projet de Fed, notamment Paul Warburg et Edwin Kem-
merer. Même s’ils se montrent en moyenne plus circonspects
que les praticiens, les économistes universitaires ont largement
participé au débat et contribué à l’élaboration du compromis
final. En 1914, les trois principales revues académiques d’éco-
nomie, l’American Economic Review [14], le Journal of Political Eco-
nomy et le Quarterly Journal of Economics, appuient la réforme
en publiant respectivement un article de Willis [1914], Laughlin
[1914] et Sprague [1914]. Mais la nécessité d’une banque cen-
trale était loin d’être unanimement reconnue. Ainsi, O. Sprague,
qui finira cependant par se rallier au projet Glass-Owen, publie
en 1909 un long article de près de 40 pages dans le Quarterly
Journal of Economics pour montrer qu’« une banque centrale
apparaît comme un instrument qui n’est ni nécessaire ni bien
adapté au soulagement de nos maux financiers » [Sprague, 1909,
p. 414]. Parmi les arguments qu’il avance, figurent, un peu étran-
gement, la taille du pays, qui imposerait à ses yeux le maintien ›››

Octobre-novembre-décembre 2010
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C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :

p. 52 d’un système très décentralisé, et l’origine selon lui purement


domestique des crises aux Etats-Unis.

Les positions prises entre 1909 et 1914 par Sprague, par


ailleurs historien du système bancaire américain, sont bien
représentatives des objections, pour ne pas dire des préjugés,
auxquelles s’est heurtée la mise en place d’une banque centrale
aux Etats-Unis.

Naissance d’une banque centrale


Un premier texte est adopté en urgence dès 1908, la loi Aldrich-
Vreeland, qui prévoit la création d’associations monétaires,
auxquelles les banques adhèrent volontairement, autorisées à
émettre une monnaie d’urgence pour faire face à une nouvelle
panique éventuelle, et qui crée une National Monetary Commis-
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sion chargée de remettre à plat l’ensemble du système bancaire
américain. Comme le souligne West, cette loi amorce un double
mouvement vers la centralisation du système et vers la flexibili-
sation de l’offre de monnaie. Sur ce second point, il s’agit de ne
plus limiter la quantité de monnaie au stock existant de monnaie
légale et de bons du Trésor et de la faire dépendre du volume
courant des effets de commerce [West, 1974, p. 50].

Un consensus est rapidement atteint sur la nécessité d’auto-


riser l’émission de monnaie (billets de banque et dépôts) en
contrepartie des seuls effets de commerce réels, sans garan-
tir cette émission sur des bons du Trésor. En effet, une telle
émission était supposée suivre de près l’activité économique
réelle, dont le volume des effets de commerce est justement
une manifestation. Mais cela ne réglait pas le problème de la
centralisation des réserves.

Comme l’indique Roberts [1908], trois projets s’affrontent


alors :
– la création d’un fonds commun de garantie offert par les
banques en échange d’une autorisation d’émission de monnaie
sur la base des actifs détenus par elles ; c’est le projet défendu
[15] Certains Etats par l’American Bankers Association ;
prenant d’ailleurs une telle
disposition (pour « leur »
– une garantie publique générale des dépôts [15] ;
state bank) après la crise. – la création d’une banque centrale.

Cette dernière solution se heurte aux réticences à la fois de


ceux qui craignent une mainmise des intérêts financiers (le money

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Crises financières :
trust) sur la nouvelle institution, et de ceux qui s’effraient d’une p. 53
mise sous contrôle étatique du système bancaire. La plupart des
démocrates sont à la fois hostiles au pouvoir des banquiers, pré-
férant un contrôle public de la monnaie, et opposés au principe
de centralisation du système bancaire. Les républicains sont en
général plus favorables aux banquiers et à la centralisation. Les
partisans les plus déclarés d’un contrôle gouvernemental du
système bancaire se recrutent chez les progressistes [16].

Ces oppositions se sont exprimées dans les débats acharnés


sur la propriété du capital des banques de réserve régionales et
la composition et les missions du Federal Reserve Board, chargé
de les superviser. Les banquiers considéraient par exemple que
la participation obligatoire des ban-
ques d’Etat au capital des banques
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de réserve, sans qu’elles en aient Les banquiers considéraient
pour autant le contrôle exclusif, rele- que la participation obligatoire des
vait d’une spoliation « socialiste » et banques d’Etat au capital des banques
que le Federal Reserve Board n’avait de réserve, sans qu’elles en aient
pas plus de légitimité à exercer un pour autant le contrôle exclusif,
contrôle sur la politique d’émission relevait d’une spoliation « socialiste ».
que la Commission de contrôle des
chemins de fer n’en aurait eu à orga-
niser le trafic des trains. L’Association des banquiers américains
écrivait ainsi, dans un texte d’octobre 1913 : « Si l’Etat peut
s’approprier cette année un dixième du capital d’une banque de
la manière prévue par ce projet de loi, il pourra s’approprier un
dixième l’année suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce que le capital
soit entièrement transféré à la banque gouvernementale. Poussée
à l’extrême, cette proposition du gouvernement de s’emparer du
capital des banques […] réaliserait ce projet des Socialistes. Il est
extrêmement difficile pour tous ceux qui ne croient pas au socia- [16] Au sein du Parti
progressiste mené par
lisme d’accepter de ratifier cette proposition d’action gouverne- Theodore Roosevelt, mais
mentale » [cité par Laughlin, 1914, p. 305]. Mais l’opposition au aussi chez les démocrates
et dans l’aile progressiste
plan de la commission était surtout le fait de ceux qui craignaient du Parti républicain.
de voir surgir une « une institution centrale au capital privé qui [17] Dont le secret a été
pourrait être sous le contrôle des “intérêts” » [ibid., p. 311]. conservé jusqu’en 1930.

Un premier projet de loi est présenté en 1910 par le sénateur


Aldrich, qui préside la commission chargée de proposer une
réforme du système bancaire. Elaboré lors d’une réunion secrète
tenue à Jekyll Island [17], vraisemblablement à l’instigation de Mor-
gan, entre quelques membres de la commission et les banquiers ›››

Octobre-novembre-décembre 2010
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Crises financières :

p. 54 Warburg et Vanderlip, le projet est nettement influencé par les


idées de Warburg : il prévoit la création d’une National Reserve
Association, détenue par les banques et dirigée par un board de
banquiers qui fixe un taux d’intérêt valable pour tout le pays et
révisable chaque semaine. Des branches régionales seraient char-
gées d’émettre de la monnaie en réescomptant des effets de com-
merce aux conditions définies par le board. Il s’agissait ainsi d’une
institution centralisée, indépendante du gouvernement, et qui
correspondait, pour Warburg, à un premier pas vers une ­banque
centrale à l’européenne. Le plan est approuvé par la National Ban-
kers Association. Mais la virulence des oppositions, et l’approche
de l’échéance électorale de novembre 1912, empêchent le projet
d’être adopté. Entre-temps, une « Ligue nationale des citoyens
pour un système bancaire sain » a mené campagne, en particulier
dans les Etats démocrates et progressistes (où se concentrent les
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résistances), en faveur d’une réforme bancaire effective.

Alors que les démocrates accèdent à la présidence, ­obtiennent


la majorité à la Chambre des représentants comme au Sénat, et
qu’Aldrich prend sa retraite, un nouveau plan est élaboré par
le représentant Carter Glass (celui du futur Glass-Steagall Act,
qui séparera les activités de banque de détail et de banque
­d’affaires aux Etats-Unis), assisté de l’économiste Parker Willis,
entre avril 1912 et juin 1913. Le Federal Reserve Act est finalement
adopté en décembre 1913 pour « pourvoir à l’établissement des
banques de réserve fédérales, fournir une monnaie élastique,
apporter des moyens de réescompter le papier commercial,
établir une supervision plus efficace de l’activité bancaire aux
Etats-Unis, et dans d’autres buts » [18]. L’implication personnelle
du président Wilson (élu en 1912 [19]) dans les débats a largement
[18] Préambule du Federal contribué à ce résultat [20]. Dans un message au Congrès de
Reserve Act.
juin 1913, celui-ci déclarait notamment : « Le contrôle du système
[19] A la faveur d’une de banques et d’émission que nos nouvelles lois s’apprêtent à
triangulaire dans laquelle
Theodore Roosevelt s’était établir doit être public, et non privé ; l’Etat lui-même doit en être
présenté comme candidat investi, de sorte que les banques soient les instruments, et non
progressiste, empêchant
ainsi la réélection du les maîtres, des affaires et de l’initiative et de l’entreprise indi-
républicain Taft, qui lui viduelles » [cité par Laughlin, 1914, p. 304]. Marquant leur refus
avait succédé en 1909.
de la création d’une banque centrale, Glass et Willis empruntent
[20] Pour J. Laurence
Laughlin [1914], à Laughlin et Morawet [cf. West, 1974] l’idée de banques de
l’adoption de la réforme réserve régionales ayant chacune leur propre capital, leur propre
relève d’un véritable
« miracle politique », direction et leur propre politique monétaire. Le projet est soutenu
dû au comportement
« remarquable » d’homme
par Owen au Sénat (d’où son appellation de « loi Glass-Owen »)
d’Etat de Wilson. et les débats parlementaires ne porteront, pour l’essentiel,

L’Economie politique n° 48
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Crises financières :
que sur le nombre de réserves régionales, la composition du p. 55
Federal Reserve Board et des boards régionaux, ainsi que sur le
capital des réserves régionales. Le Glass-Owen Act est voté le
23 décembre 1913.

Le « système de réserve » mis en place résulte finalement [21] Rappelons qu’à


l’époque la Banque
d’un compromis qui arbitre entre des exigences de contrôle poli- d’Angleterre et la Banque
tique, d’autonomie locale et d’autorégulation par les banques de France sont toutes
deux des banques privées.
de leur politique d’émission. Le caractère public du Système de La Banque de France est
largement indépendante
réserve fédéral s’affirme à travers le rôle confié au Federal Reserve du gouvernement : elle
Board [21]. Celui-ci est chargé des tâches de contrôle et de supervi- a ainsi pu refuser des
avances au gouvernement
sion du système, tandis que les réserves régionales, dont la direc- d’Edouard Herriot,
tion est dominée par les banquiers locaux, sont responsables des précipitant l’étranglement
économique du cartel
opérations purement bancaires (essentiellement le réescompte). des gauches.
Le capital des banques régionales de réserve est souscrit par les
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[22] En cas de
banques nationales (qui y sont obligées) et les banques d’Etat non-participation, elles
perdaient par exemple leur
(qui y sont fortement incitées [22]). Le Federal Reserve Board définit droit d’émettre des billets
la nature des effets éligibles au réescompte et dispose également échangeables au pair.

du pouvoir d’imposer à une banque de réserve de réescompter


les effets d’une autre banque de réserve en difficulté.

Pour importante que soit l’introduction du Fed, elle est loin


de représenter l’institution d’une banque centrale à l’euro-
péenne, comme le note Laughlin [1914, p. 312] pour s’en féliciter.
En particulier, le Federal Reserve Board n’a pas le pouvoir de fixer
le taux d’escompte, qui est décidé par chaque réserve régionale
pour les banques qui en sont membres (et qui peut donc varier
entre les douze districts). Le système reste par ailleurs gagé en
partie sur la détention de titres du Trésor. La politique monétaire,
en d’autres termes, n’est pas encore clairement séparée de la
politique budgétaire, et ses règles ne sont pas encore codifiées.
Le Federal Reserve Act de 1913 n’est donc qu’une première étape
– certes, essentielle – dans la voie d’une banque centrale au
sens européen.

Nouvelles crises, nouveaux débats :


du Fed au New Deal bancaire
Par ailleurs, la question de la régulation bancaire ne se limite
pas à celle de la banque centrale, qui elle-même reste ouverte.
D’ailleurs, sa création n’a pas empêché le retour des crises
financières, en 1921 d’abord, en 1929 ensuite. Chacune de ces
deux crises va provoquer le renforcement des pouvoirs du board
et l’élargissement de ses fonctions. ›››

Octobre-novembre-décembre 2010
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C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :

p. 56 Alors que l’année 1914 voit la première – et dernière – émis-


sion de monnaie d’urgence dans le cadre de l’Aldrich-Vreeland
Act, lorsque les Européens rapatrient leurs capitaux au début
de la guerre, les premières années d’existence du Fed sont mar-
quées par son effacement. En effet, l’afflux d’or aux Etats-Unis
pendant la guerre est tel que les banques américaines n’ont pas
besoin de se refinancer. A partir de 1917 et de l’entrée en guerre
des Etats-Unis, le Fed est sous l’influence directe du Trésor, qui
souhaite maintenir un taux d’intérêt bas afin de financer la guerre
à moindre coût.

Les années 1917-1923 sont marquées par un double mouve-


ment qui contribue à modifier profondément l’organisation et la
politique du Fed telles qu’elles avaient été conçues par les rédac-
teurs de la loi de 1913. D’une part, ces années sont marquées par
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l’affrontement entre le Federal Reserve Board et les directions des
reserve banks régionales pour le pouvoir de décision. Ainsi, en
1927, le board fédéral ordonne – illégalement – à la Banque de
réserve fédérale de Chicago d’abaisser ses taux d’intérêt, contre
l’avis de ses dirigeants, qui finissent cependant par céder après
plus d’un mois de bras de fer. Les banques régionales tentent de
s’organiser indépendamment de la direction fédérale, notamment
par la création d’une conference of governors. Cependant, elles
font face à l’impossibilité de maintenir des taux d’intérêt différents
entre districts en raison des possibilités pour les banques de se
refinancer, via un correspondant, dans les districts où les taux sont
les plus avantageux. Cette situation amène la direction fédérale à
prendre progressivement le contrôle sur les taux d’intérêt.

D’autre part, face au déclin de l’usage des effets de com-


merce et à l’émergence d’un marché de la dette publique consé-
cutive aux emprunts de guerre, le Fed est amené à mettre pro-
gressivement en place une politique monétaire fondée sur des
interventions d’open market [23]. La Federal Reserve Bank de New
York, dirigée par Benjamin Strong, joue ici un rôle central car,
seule à disposer d’un marché financier organisé, elle est appelée
à mettre en œuvre cette politique pour l’ensemble du système
fédéral. En 1922 est mis en place un comité des gouverneurs
[23] L’achat et la vente pour le suivi des opérations d’open market. La réserve de New
de titres sur le marché
monétaire [NDLR]. York acquiert ainsi une puissance considérable.

Peu à peu, cependant, le federal board prend la main, même


si la banque de réserve de New York conserve une influence

L’Economie politique n° 48
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C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :
considérable, en raison de son poids particulier, et aussi de la p. 57
forte personnalité de son premier gouverneur, Benjamin Strong.
Les erreurs de politique monétaire commises au début des
années 1930 ont souvent été attribuées à sa disparition préma-
turée en 1928.

La fragilité du système bancaire n’était pas seulement liée


à l’absence de prêteur en dernier ressort, mais aussi à l’or-
ganisation du secteur bancaire.
La crise de 1907 sanctionne non
seulement l’absence de prêteur en Tel qu’il avait été mis en place en 1914,
dernier ressort, mais elle représente le Système de réserve fédéral
également la faillite du modèle de s’est révélé impuissant à contenir
l’unit bank. Ce modèle a notamment la tendance à l’instabilité du système
conduit au développement des trust bancaire. Au-delà de la crise de 1921
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companies, qui contribuaient sen- qui, de nouveau, l’a mis à rude épreuve,
siblement à l’expansion du crédit toute la période des années folles
en réalisant les investissements est marquée par la multiplication
risqués auxquels les national banks des faillites bancaires.
n’avaient pas accès, leur permettant
d’utiliser à plein leurs capacités de
prêt. Peu réglementées, elles déposaient largement leurs réser-
ves auprès des national banks de New York, contribuant ainsi à
la pyramide bancaire et à la faiblesse des réserves de monnaie
légale du système pris dans son ensemble.

Tel qu’il avait été mis en place en 1914, le Système de réserve


fédéral s’est révélé impuissant à contenir la tendance à l’insta-
bilité du système bancaire. Au-delà de la crise de 1921 qui, de
nouveau, l’a mis à rude épreuve, toute la période des années
folles est marquée par la multiplication des faillites bancaires :
plus de 5 000 sont enregistrées entre 1921 et 1928 et jamais
moins de 500 par an, sauf en 1922 [cf. Kemmerer et Kemmerer,
1950]. Après les dévalorisations massives d’actifs consécutives
au krach de 1929, et en raison du fort engagement des ban-
ques américaines dans la spéculation boursière à la fin des
années 1920, le système se trouve au bord de l’effondrement
au début des années 1930 : de 659 faillites bancaires en 1929,
on passe à 1 350 en 1930 et 2 293 en 1931. Un répit est offert
par les mesures d’urgence contenues dans le Glass-Steagall
Act de février 1932, mais le nombre de défaillances constatées
recommence à augmenter dès la fin de l’année, et la panique
est en train de se généraliser au moment de la prise de fonction ›››

Octobre-novembre-décembre 2010
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Crises financières :

p. 58 de Franklin D. Roosevelt, début mars 1933 [24]. Celui-ci réagit très


vite, en suspendant toutes les opérations bancaires dans le
pays du 6 au 9 mars 1933, et en convoquant dès le 9 le Congrès,
qui adopte aussitôt un Emergency Banking Act. Accordant au
Président des pouvoirs exceptionnels de contrôle du commerce
extérieur, des mouvements d’or et des transactions bancaires, et
introduisant un certain nombre de mesures « non conventionnel-
les », cette première loi sera suivie de deux autres lois bancaires,
[24] C’est la raison
en juin 1933 [25] et août 1935, elles-mêmes complétées par deux
pour laquelle l’investiture lois qui encadrent plus strictement les opérations financières
du président des Etats-Unis
a depuis lors été avancée (voir tableau ci-dessous), notamment celles effectuées par les
au mois de janvier. banques. Le « paquet » législatif de 1933 et 1935 comprend qua-
[25] Loi parfois qualifiée tre volets : création d’un fonds d’assurance des dépôts (le FDIC)
par les commentateurs
de Glass-Steagall Act,
pour rétablir la confiance ; renforcement des banques ; sépa-
comme celle de 1932. ration des banques d’affaires et des banques ­commerciales ;
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1922-1935 : la régulation sous pression
Instauration de l’Open Market
1922
Investment Committee
Création de la National Credit
Octobre 1931 Extension des actifs éligibles à l’escompte
Corporation
Création de la Reconstruction Fonds pour le refinancement des banques,
Février 1932
Finance Corporation compagnies d’assurances et de chemins de fer
Autorise l’usage de bons du Trésor comme
Février 1932 Glass-Steagall Act collatéraux à l’émission de billets par les banques
de réserve
Juillet 1932 Federal Home Loan Bank Act Autorise la circulation de bons d’Etat
Emergency Relief and Construc- Autorise les banques de réserve régionales à prêter
Juillet 1932
tion Act directement aux particuliers et aux entreprises
6 au 9 mars Suspension générale des opé-
Paroxysme de la crise bancaire
1933 rations bancaires
Autorise l’émission presque sans limites de billets
des banques de réserve.
9 mars 1933 Emergency Banking Act Confère au Président des pouvoirs spéciaux de
contrôle du commerce extérieur, des mouvements
d’or et de devises et des transactions bancaires
Création de la Federal Deposit Insurance
Corporation (FDIC).
Juin 1933 Banking Act
Séparation des banques commerciales
et des banques d’affaires
Mai 1933 Securities Act
Pouvoirs de contrôle du board sur les appels
Juin 1934 Securities and Exchange Act
de marge
Comité fédéral de l’open market.
Août 1935 Banking Act
Flexibilité des réserves obligatoires

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renforcement des pouvoirs du board, rebaptisé « bureau des p. 59
gouverneurs », et du tout nouveau Comité fédéral de l’open
market. La flexibilité des réserves obligatoires, dont le coefficient
peut être modulé du simple au double par le board, est l’une des
principales nouveautés du système redessiné.

Conclusion
Toute crise est à la fois singulière, car inextricablement liée à un
certain contexte économique et politique dont elle est le pro-
duit, et la résultante d’un jeu de forces et de mécanismes qui se
retrouvent, dans des combinaisons particulières, dans les autres
crises. C’est ce qui fait l’intérêt et la difficulté des comparaisons
historiques.

Comme celle de 2007, la crise de 1907 représente un cas


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« chimiquement pur » de crise de liquidité bancaire, en tant
qu’elle se distingue d’une crise de solvabilité. Un enseignement
peut être tiré des débats qu’elle a suscités et des changements
de régulation sur lesquels ils ont débouché : il ne suffit pas, pour
éviter le retour des crises, de mettre en place des institutions
capables de traiter les situations d’urgence et d’éviter l’effon-
drement du système ; la stabilisation de celui-ci exige aussi que
soient revues les règles de son fonctionnement. La création du
Fed n’a pas empêché les crises de 1921 et de 1929 de survenir,
et c’est la régulation bancaire mise en place sous Roosevelt
qui a créé les conditions monétaires de la croissance régulière
d’après-guerre. Aujourd’hui, on le voit bien, au-delà d’un pro-
blème de prêteur international de dernier ressort, qui vient de
resurgir avec force dans la crise de l’euro, c’est le fonctionnement
des marchés des titres et du crédit qui est en cause, c’est-à-dire
la nature même des acteurs et des instruments à leur disposition.
La crise n’a pas encore été assez forte pour imposer de renoncer
aux plus dangereuses des innovations issues de la révolution
financière des années 1980.

Comme en 1907, des procédures de sauvetage ont été mises


en place dans l’urgence, mais les changements du cadre légal
commencent tout juste à s’ébaucher trois ans après le début de
la crise. Or, c’est évidemment de ce côté que se joue la possible
répétition de la crise. A l’issue de la crise de 1907, la tendance a
été au rapprochement des rôles entre les banques d’Etat et les
trust companies, et cette confusion a été en partie à l’origine des
crises de 1921 et 1929. La séparation introduite par Roosevelt ›››

Octobre-novembre-décembre 2010
L’Economie politique

les leçons de l’histoire


C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :

p. 60 en 1933 est peut-être l’un des facteurs de la stabilité monétaire


d’après-guerre.

S’il est une leçon de l’histoire, c’est en tout cas que l’instabilité
du crédit ne saurait être éliminée, parce que nul n’est en mesure
de distinguer les « bons » des « mauvais » crédits. Le surendette-
ment est toujours une notion ex post. Comme l’indiquait en 1802
Henry Thornton, apôtre du pragmatisme en matière de politique
bancaire, « le principe de prêter à proportion de la propriété des
emprunteurs ne saurait être un principe sûr » [Thornton, 1802,
p. 177], tout simplement parce qu’il est impossible de distinguer
entre les effets « réels » (« tirés pour ventes de marchandises »)
et les effets « fictifs » (tirés « par commodité »). « Il n’est aucune
promesse de paiement qui suppose une parfaite certitude qu’elle
sera remplie », de sorte que nul ne peut assurer « que les paie-
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ments du commerce ne puissent être suspendus par l’effet d’une
crise violente » [ibid., p. 168]. Même la présence d’une banque
centrale faisant office de prêteur en dernier ressort ne constitue
pas une protection absolue, même si elle représente « la garantie
la plus rassurante que le public puisse avoir » [ibid., p. 168]. Et il
faut s’en remettre à la sagacité de ses gouverneurs. Ou, comme
l’écrivait Sprague [1914, p. 214], « une bonne gestion [de la ban-
que centrale] ne peut à coup sûr être garantie par le seul moyen
de dispositions légales, quel que soit le soin avec lequel celles-ci
seront définies ». Les crises sont des périodes où la « discrétion »
l’emporte nécessairement sur les règles.

Mutatis mutandis, ce qu’écrivait Thornton en 1802 à pro-


pos du papier-monnaie et des lettres de change s’applique
aujourd’hui aux titres composites et autres produits dérivés.
Alors que monnaie et finance sont de plus en plus imbriquées,
il est illusoire de prétendre les neutraliser.

L’autre leçon de 1907, c’est qu’il a fallu qu’éclatent deux


autres crises, en 1921 puis en 1929, pour que se mettent en
place des régulations suffisamment fortes pour servir de pro-
tection effective – au moins pour un temps – contre les risques
d’instabilité financière. Le Federal Reserve Act de 1913 n’a été
qu’un tout premier pas, qui s’est révélé insuffisant pour guérir le
système bancaire américain de sa propension à l’effondrement.
Il a fallu attendre 1935, deux crises majeures et pas moins d’une
dizaine de législations successives adoptées entre 1932 et 1935,
pour que soient édifiées des digues qui ont résisté jusqu’à la

L’Economie politique n° 48
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les leçons de l’histoire


C. Tutin et J. Mendez
Crises financières :
dérégulation des années 1980. Sommes-nous aujourd’hui plus p. 61
proches de 1935 que de 1914 ? Rien n’est moins sûr… Trois ans
après le début de la crise bancaire, la bataille de la re-régulation
bancaire est loin d’être gagnée. ■

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Octobre-novembre-décembre 2010

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