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coll. Henlé
la Suite espagnole
d’Albeniz
D
epuis plusieurs années, au fil des conseils Chaque note recèle un grain de Grenade ou de Cata-
que nous proposons pour interpréter les logne, un fragment d’ombre ou de touffeur solaire.
grandes œuvres du répertoire pianistique, On vibre en Castille au son de la séguidille, en l’hon-
nous avons été invariablement inspiré par neur du paso, on se prend à chanter la saeta de
cette idée directrice : il ne saurait être question de dis- Cadix… Quelle technique pourrait suffisamment
socier ce que l’on appelle de façon générale la “tech- échauffer nos sangs et inspirer nos doigts, si nous ne
nique” de notre instrument, le piano, de la musica- nous sommes imprégnés au préalable de toutes ces
lité, du vrai sentiment de la musique et du soin que images et de l’âme de l’Espagne, de ses Goya, de ses
nous devons apporter à l’interprétation dans les Zurbaran, de ses Velasquez ?
moindres détails. Il faut donc d’abord sentir et ressentir cette musique
pour l’interpréter ; avant même d’aborder toute
Albeniz a composé la Suite espagnole sur une assez considération pianistique, il est nécessaire de l’insérer
longue période, environ une dizaine d’années. Tout a dans nos fibres intimes.
commencé par un concert qu’il donna le 24 jan-
vier 1886 à Madrid, au cours duquel il joua une Suite En préambule, voici un premier conseil très simple :
espagnole en trois mouvements: Serenata, Sevillana et écoutez comme la grande pianiste espagnole Alicia
Pavana-Capricho. Le succès fut tel qu’il décida de com- de Larrocha nous raconte ces histoires successives.
pléter l’ouvrage. Au fil du temps, Albeniz ajouta des Dans la façon de jouer de cette grande dame, vous
pièces jusqu’à en compter huit, et ce n’est qu’en 1901 entendrez battre tout le cœur de l’Espagne.
que parut le recueil complet.
Nous allons donc suivre ce recueil au fil de ses pro-
Avec cette Suite infiniment poétique et raffinée d’Isaac vinces. Chacune a son caractère bien défini, chaque
Albeniz, plus que jamais peut-être, nous touchons à pièce de la Suite espagnole d’Albeniz possède une
cette “musique pure” au sein de laquelle aucun effet atmosphère propre au lieu qu’elle dépeint et requiert
extérieur n’est de mise. Ici, la notion de technique visi- donc une “technique” particulière. Cependant, s’il
ble passe au second plan, s’effaçant au profit de la sub- faut absolument parler de “technique”, rappelons le
tilité des atmosphères, des méandres de l’âme et de mot de Neuhaus sur l’art du piano, qui soulignait la
l’infinie finesse de cette musique teintée tout à la fois parenté entre le mot “technique” et le mot grec τεχυη
de sensualité, de joie retenue et de nostalgie. qui veut dire “art” en général.
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PÉDAGOGIE
Syncope
GRANADA (Serenata)
Maintenant, cherchons ce qui nous frappe dans le
Commençons donc par Grenade, aux pieds de l’Alham-
chant de la main gauche. L’un des traits essentiels que
bra, capitale de l’Andalousie, l’un des berceaux du fla-
nous allons retrouver tout au long de ces pages – pro-
menco en Espagne. Sur le mont Sacromonte, célèbre
fondément essentiel au caractère de cette musique –,
pour ses grottes où les gitans jouaient de leur guitare, on
c’est la syncope.
s’enivrait de flamenco. Au 19e siècle, on y assistait aux
La syncope est comme un symbole, comme une
“zambras”, ces fêtes où régnait l’ivresse de la danse et
image de ce déhanché de la danseuse provocante qui
du chant, célébrées elles-mêmes depuis le 16e siècle. La
s’approche et s’éloigne alternativement de son cava-
guitare y était reine. Dès lors, rien d’étonnant à ce que
lier afin d’aiguillonner son désir.
cette première pièce débute par ces accords égrenés
nonchalamment à la main droite, comme joués par une
Heinrich Neuhaus, dans L’Art du piano, écrivait :
guitare. C’est la main gauche qui déclame avec chaleur
« Las de revenir toujours sur le sujet rebattu de la syn-
son chant (exemple 1).
cope, j’ai résumé par une plaisanterie enfantine tout
Égrener l’accompagnement à fait appropriée, même pour des adultes, semble-t-il :
“Madame Syncope est une personne définie, elle a
Ne nous y trompons pas : il n’est pas si facile d’arpé- un visage, une expression, un caractère qu’il est inad-
ger régulièrement un accord, sans “bouler” les notes ! missible de confondre” 1. »
Veillez tout particulièrement à ne pas presser le pas-
sage du quatrième au cinquième doigt. Ce sont ces Par ailleurs, rappelons toujours la nécessité de « pro-
deux notes d’aigu, la et do, que nous aurions sponta- jeter les notes longues », afin que le chant ne s’éteigne
nément tendance à jouer presque ensemble. C’est pas trop tôt. Le son s’éteint naturellement au piano :
que ces doigts sont naturellement moins agiles. Com- c’est une raison supplémentaire pour appuyer
mencez donc par étudier ces accords égrenés de main Mme Syncope sur la deuxième croche du temps, afin
droite séparément, afin d’assurer leur régularité par- que le son continue de résonner sous les égrènements
faite. Il est d’ailleurs utile d’imaginer un tout petit souf- de guitare et ne s’éteigne pas trop tôt. On peut imagi-
flet allant vers l’aigu, afin que l’on perçoive bien ces ner la trajectoire d’une balle qu’on lance en l’air et qui
notes jouées par les quatrième et cinquième doigts. doit retomber suffisamment loin.
Veillez aussi à ne pas garder ces accords coincés au
fond des touches. Au contraire, arrachez-les souple- ☞ N’oubliez jamais d’appuyer
ment, ramenez les doigts. Pour cela, faites un petit sur la syncope !
mouvement circulaire, en glissant la pulpe sur les
touches, comme si vous vouliez ramener le bout des Dissonances.
doigts vers la paume de la main. Mais surtout, écou- Comment écouter votre morceau ?
tez la régularité !
Notre premier devoir, comme interprète, est évidem-
☞ Aimez les notes aiguës et écoutez ment de faire entendre toutes les notes voulues par le
toujours leur clarté, cela développera compositeur ; les notes, mais aussi leurs rencontres !
l’agilité de vos 4e et 5e doigts. Ce que l’on nomme donc les harmonies. Parfois, des
Deux premières mesures de Granada : égrenez l’accompagnement sans bouler les notes aiguës. Appuyez la syncope Exemples musicaux
tirés de :
Albeniz,
Suite espagnole
op. 47
édition Urtext,
G. Henle Verlag,
Munich,
(édition
d’Ullrich
Scheideler,
doigtés de
Rolf Koenen)
© 2005,
avec l’aimable
autorisation
de l’éditeur.
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PÉDAGOGIE
☞ La ponctuation musicale
est la condition essentielle pour
que le discours soit déclamé
de façon intelligible et émouvante.
7e majeure
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PÉDAGOGIE
8 mesures
relâcher repartir
Exemple 3 : mesures 33 à 48 : racontez une histoire ! Ponctuez votre musique (détendez et diminuez, respirez, puis repartez)
Bien entendu, ici aussi, et au risque de répéter une Cette mélodie magnifique d’Albeniz s’apparente à
vérité constante pour notre instrument, il faut faire ce que l’on appelle le cante jondo, le “chant pro-
sonner les notes longues dont le son, projeté vers le fond”, un type de flamenco très ancien. Quant à
futur, ne doit en aucun cas être dévoré par les notes l’esprit, écoutons le grand poète Federico Garcia
de l’accompagnement. Lorca (1898-1936), justement né à Vaqueros, tout
près de Grenade, qui fut un temps le contemporain
Synchronisation dans les mordants d’Albeniz (1860-1909) :
et autres petites notes « Le cante jondo vient des races gitanes, traver-
sant le cimetière des années et les frondes des
Apprenez également à savoir exactement comment vents fanés. Il vient des premières larmes et du
synchroniser les ornements avec l’autre main. Faites premier baiser… »
bien tomber la note d’arrivée du mordant avec la main Quelle plus belle langue que celle-ci pour illustrer la
gauche (ou sur la pulsation, si, comme c’est le cas ici, nostalgie de cette mélodie centrale de la “Granada”
elle maintient une note prolongée). Procéder ainsi d’Albeniz ?
donne souvent plus de vivacité et, précisément, de
mordant, à la phrase. Néanmoins, chez Chopin, il
arrive que ce soit la “petite” note, ou encore la pre- CATALUÑA
mière note d’un accord arpégé, que l’on doive jouer
sur le temps. (Le problème se pose par exemple dans
(A mi querida madre)
la Barcarolle de Chopin, qui multiplie les ornements “Cataluña” est, au sein de la série de la Suite espagnole,
dans un contexte harmonique très fourni.) En tout cas, la première pièce écrite par Albeniz. Elle ne présente
il faut choisir tout cela très consciemment. pas de difficultés majeures autres que purement musi-
cales. Le sous-titre « A mi querida madre » (“A ma
☞ L’écoute des synchronisations est très chère mère”) en indique d’ailleurs déjà l’esprit: il doit y
importante pour la technique du piano. Un avoir beaucoup de tendresse dans le balancement de ce
défaut de synchronisation dû à un simple thème ternaire. Le travers dans lequel pourraient tom-
mordant peut engendrer un vrai décalage ber les pianistes inexpérimentés, serait de transformer
et, par suite, des problèmes techniques. la croche pointée et la double croche, de défigurer ce
rythme en raccourcissant la note brève. Donnez bien
Et rappelons encore cette chose importante : ici aussi, tout son poids à la double croche, ne la raccourcissez
dans ce thème de toute beauté, c’est l’accompagne- pas et commencez-la donc suffisamment tôt. Cela vaut,
ment qui doit donner la vitesse de votre déclamation. bien sûr, pour toute musique (exemple 4, page suivante).
Le thème est très lyrique et notre cœur bat au son de
ce flamenco. Mais le risque est de se laisser déborder ☞ Dans les rythmes du type figure pointée
par l’émotion. Gardez votre sang-froid. Ne perdez suivie d’une note brève, prenez soin
pas le pouls de la musique, cette main gauche synco- de bien donner tout son poids sonore
pée qui donne ce bercement si nostalgique. Plus ce à la note brève afin que la mélodie
pouls sera régulier, plus votre chant sera émouvant. ne soit pas avalée.
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PÉDAGOGIE
sans raccourcir
Exemple 4 : ne raccourcissez pas la double croche et donnez-lui son poids (comme dans le mot : « Klem-pe-rer ! »)
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PÉDAGOGIE
Exemple 6 : mesures 47 à 49 de Cataluña : une main gauche fournie ; alléger pour le son et pour le poids (sensation)
est donc moins aisé à exécuter, car il faut auparavant veau et nos réflexes. Mais il vaut tellement mieux jouer
remonter encore un peu plus haut. la Suite espagnole, en réfléchissant à ces mouvements
La souplesse du poignet est vraiment l’un des élé- de voix!
ments majeurs de la technique du piano. Mais c’est là Ici, apprenez d’abord la partie médiane d’alto, en
un élément qui n’est pas mécanique. Le mouvement remarquant le mouvement qu’elle réalise avec la basse:
du poignet est profondément lié à la musicalité: à la ce mouvement est-il parallèle ou contraire (exemple 7)?
nuance, à la phrase, à l’accentuation, au rythme. Ajou-
tons que, bien évidemment, ces gestes doivent être Ensuite, intégrez le mouvement parallèle entre les
minuscules, à peine perceptibles à l’œil nu (exemple 6). parties extrêmes : basse et chant aigu.
Voyons maintenant, encore plus subtilement, le mou-
☞ Il est capital, d’une manière générale, vement des doigts eux-mêmes : la partie d’alto n’est
de garder le poignet toujours souple et pas aisée, car elle contraint le pouce à jouer plusieurs
disponible pour le mouvement, relâché. notes à la suite. Examinez aussi le tout petit mouve-
Bloquer le poignet avant une note ment qui doit être effectué par le deuxième doigt,
importante, c’est être sûr de l’étrangler entre le deuxième et le troisième temps. Il doit passer
avant même l’émission du son. du mi bémol au fa dièse très rapidement. Puis se rele-
ver vite de la touche, car ce même fa dièse doit être
immédiatement répété. Hélas, nous n’avons vraiment
SEVILLA (sevillana) pas beaucoup de temps pour cela! Voilà aussi le genre
de choses que vous pouvez minutieusement analyser
La danse sévillane remonte aux origines du flamenco. afin d’apprendre sans perdre de temps, d’acquérir
Comme toute danse espagnole, elle représente plus rapidement le morceau “dans vos doigts” (exemple 8).
ou moins une métaphore du jeu amoureux entre
l’homme et la femme, cette ambiguïté du rapproche- ☞ Observez bien le mouvement que doit
ment et de l’éloignement. effectuer chaque doigt d’une note
Commencez par repérer le mouvement des voix, les- à l’autre. Réfléchissez le plus possible
quelles progressent en mouvements tantôt contraires, au lieu de répéter pour rien !
tantôt parallèles. Pourquoi est-ce si important? Parce
que nos mains, sur le clavier, sont en quelque sorte L’élément rythmique de la danse
inversées (aller vers les aigus, c’est aller vers le petit
doigt à la main droite, mais vers le pouce, à la main On trouve dans “Sevilla”, bien évidemment, une basse
gauche). En conséquence, notre cerveau répugne, par très dansante, presque syncopée, avec un appui par la
exemple, à jouer le mouvement parallèle, car cela noire sur le troisième temps. Exercez-vous beaucoup à
revient à aller dans le même sens pour les notes, mais exécuter cette main gauche seule, avec son rythme bien
sans utiliser les mêmes doigts. De là les antiques exer- régulier et balancé. Il y a un secret: rebondissez avec le
cices de Hanon pour développer cette capacité du cer- doigt sur le deuxième temps, afin de pouvoir reprendre
Exemple 7 : premier système de Sevilla : effectuez les déplacements avec les plus petits mouvements possibles des doigts
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PÉDAGOGIE
(5)
2 2
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PÉDAGOGIE
dissonances
Exemple 11 : les deux premiers systèmes de Cadiz : détendez complètement le poignet avant chaque syncope
dans le détail, découper notre musique par fragments, ☞ Bloquer votre poignet avant une note
par carrures de mesures correspondant à la logique forte, c’est comme vouloir crier
de la composition (exemple 11). alors qu’on vous étrangle !
☞ Commencez toujours par une vision De même, dans la deuxième mesure du thème,
d’ensemble. Voyez les grands blocs mesure 6, il faut appuyer ce la blanche qui bénéficie
de thèmes et de tonalités. du soufflet sur le deuxième temps. Mais il y a un
piège, car cette note longue est sur une touche noire
Thème, main droite et non sur une blanche. Ainsi, sentez qu’il faut mon-
ter au deuxième étage du clavier pour le faire sonner
Détaillons à présent le thème lui-même. Ce qui nous et qu’a priori, cela n’est pas naturel.
frappe, là encore et avant tout, c’est la syncope au Ainsi, comme le dit encore Neuhaus, pour bien jouer,
milieu du deuxième temps. Elle est la petite cellule il faut connaître la musique, connaître notre corps,
de base de ce morceau, le clin d’œil provocateur qui mais connaître aussi l’instrument piano.
donne toute la sensualité à ce thème.
Si nous utilisons un mauvais geste pour l’exécuter, ☞ N’oubliez pas qu’il est moins naturel
même si l’intention musicale est bonne, nous ne pour- de jouer une note forte lorsqu’on va d’une
rons pas jouer ! Si l’on veut faire sonner le deuxième touche blanche (basse) à une touche noire
temps (comme nous l’avons expliqué à propos de (haute), car alors l’attraction terrestre
“Cataluña”), il faut impérativement relâcher le poi- contredit le transfert du poids.
gnet, le laisser remonter de façon naturelle avant de
jouer la note forte (je dis à mes élèves de “dévisser le Synchronisation des deux mains
poignet” : on peut imaginer de dévisser un petit bou-
lon imaginaire sur le côté du poignet). A l’évidence, dans la deuxième mesure du thème,
Si vous bloquez le poignet sur le premier fa, avant mesure 6, nous voilà confrontés à un problème, les
la note forte, jamais vous ne pourrez donner suffi- deux rythmes de gauche et droite. Soyons pragma-
samment de son à cette syncope. En réalité, comme tiques, écoutez bien : vous faites tomber le la double
le disent les philosophies asiatiques, il faut beau- croche d’aigu entre le la et le ré du triolet de main
coup plus d’énergie intérieure pour dominer notre gauche. En réalité, ce n’est qu’un trois pour deux.
puissance, notre force, que pour les laisser nous La solution, pour rendre ce rythme (nous l’avons déjà
déborder. souligné pour “Sevilla”), est d’écouter absolument
Liszt lui-même tenait énormément à cette souplesse toutes les rencontres harmoniques, y compris celles
du poignet. « Il veut qu’on joue entièrement et sans qui sont créées par le décalage des notes. Par exem-
exception du poignet, en faisant ce qu’on appelle ple, dans la mesure 8, il faudra s’habituer à écouter la
“main morte” sans que le bras y entre pour rien, mais dissonance du si prolongé à droite, avec le la, puis le
qu’à chaque note la main tombe du poignet sur la do, à gauche. Cela fait infiniment plus de rencontres
note, comme par un mouvement élastique4. » de sons que les simples notes jouées ensemble!
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PÉDAGOGIE
La Schola Cantorum
dans les détails pour savoir comment toucher et faire
entendre chaque note. Avez-vous le trac ? Si vous
Fondée en 1896
faites ce travail minutieux et très conscient pour
Rentrée 2009 / 2010
chaque note, au moment de jouer, votre trac vous
Département Piano paraîtra beaucoup plus maîtrisable, car, vos sensa-
Cours réguliers – Master-classes – Perfectionnement tions ayant été musicalement travaillées, elles vien-
France CLIDAT • Aquiles DELLE VIGNE dront vous porter secours, même si, intérieurement,
Marek DREWNOWSKI • Eugen INDJIC vous ressentez de l’angoisse, voire une pure et sim-
Sergio PERTICAROLI • Bruno RIGUTTO ple panique.
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PÉDAGOGIE
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PÉDAGOGIE
change
exemple 12 : trois premiers systèmes d’Asturias : repérez comment la musique est “fabriquée”
riche, en particulier grâce à ces accords qu’il faut Pour que votre corps, que votre bras prennent bien
aller chercher très loin sur le clavier et qui représen- l’habitude de ces déplacements, il est essentiel de vous
tent de grands déplacements. Il faut aller chercher contraindre à jouer toutes les notes de ces accords très
très vite ces accords, extrêmement distants, vers le ensemble, parfaitement synchronisées à l’oreille. En
grave pour la main gauche et vers l’aigu pour la main effet, pour jouer toutes ces notes très ensemble, vous
droite. Cela représente une vraie difficulté technique serez également forcés de déplacer tout votre bras à
(exemple 13). l’avance pour vous positionner, vous placer très vite
(au dixième de seconde près!), juste au-dessus de l’ac-
Il faut pourtant que l’auditeur soit brutalement saisi cord avant de l’attaquer verticalement.
d’horreur par ces accords : une fois les banderilles Autrement dit, la technique sera ici une conséquence
plantées dans le dos de l’animal, on peut imaginer les de votre exigence à l’égard de vous-même, de votre
premiers coups de corne du taureau furieux qui fait discipline dans votre façon de vous entraîner. Toute
mouche, engageant subitement le processus mortel technique du déplacement procède, bien entendu, de
pour le torero. Ces accords sont là pour nous surpren- l’acquisition d’un réflexe et de la mémoire du corps,
dre. Ils illustrent l’accroissement brutal du drame, la mais cette mémoire vient d’elle-même si elle est le
mort qui s’avance. C’est dire s’il importe de ne pas les résultat d’une volonté musicale très rigoureuse.
rater ! Le poème de Lorca suggère l’image : C’est d’ailleurs là, de mon point de vue, l’un des
Et la cuisse avec la corne désolée grands principes généraux de la technique pianis-
à cinq heures du soir. tique : il faut avoir un très haut degré d’exigence avec
Le glas commença à sonner soi-même sur la qualité et la précision de ce que nous
à cinq heures du soir. voulons entendre.
Exemple 13 : mesures 25 à 27 d’Asturias : attaquez verticalement à la dernière seconde. Synchronisez vos harmonies !
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PÉDAGOGIE
Exemple 15 : mesures 21 à 24 : cherchez le mode andalou et mettez-le dans votre oreille d’abord sous sa forme la plus simple
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PÉDAGOGIE
Exemple 16 : début de Castillas : écoutez le fa dièse qui est un retard, puis sa résolution sur le mi dièse, lui-même “note sensible”
80 • PIANO n° 23 • 2009-2010
PÉDAGOGIE
Exemple 18 : début de Cuba : doigts longs sur les touches noires, doigts courts sur les blanches. Il y a moins de trajet à faire !
PIANO n° 23 • 2009-2010 • 81
PÉDAGOGIE
Jouez tout cela très soigneusement et prudemment Mais cette œuvre est d’une telle beauté qu’il faut aussi,
au début. Sans faire la moindre faute. Comment surtout, beaucoup d’amour pour la jouer. «La solitude
pourrions-nous développer une mémoire musculaire qui enveloppe les œuvres d’art est infinie et il n’est
satisfaisante si, une ou deux fois sur trois, nous chan- rien qui permette de moins les atteindre que la cri-
geons de doigté ou de liaison, de pédale, d’accentua- tique. Seul, l’amour peut les appréhender », disait
tion. Petit à petit, le corps intègre les sensations. Rilke en 1903 à son jeune poète, Franz Xaver Kappus.
Encore faut-il que ce soient les bonnes ! Quelques grands principes de technique et de
méthode peuvent nous aider à aborder une aussi belle
Enfin, un dernier conseil qui paraîtra cocasse et qui musique et nous faire gagner du temps pour l’étude.
n’en est pourtant pas moins fondamental. N’oubliez Il y va donc de notre dignité d’artisan de la musique
pas que tout ce que l’on répète s’apprend, les bonnes de les connaître et de nous en servir à bon escient,
comme les mauvaises choses ; en conséquence, exer- avant même de devenir cet artiste qui fera chanter le
cez-vous au tempo que vous pouvez mais… cœur de l’Espagne.
Alexandre Sorel
☞ Ne faites jamais de fautes ! notes
1 Heinrich Neuhaus, L’Art du piano, Paris, Van de Velde 1971, p. 61.