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Horizon

Sous le charme
de son patron
NIKKI LOGAN
2009, Nikki Logan. © 2011, Traduction
française : Harlequin S.A.
PHILIPPE WANTIEZ
978-2-280-24038-3
1.
— C’est légal ?
Ava Lange regarda brièvement les trois hommes de loi,
tellement identiques dans leur costume sombre que l’on aurait
pu les croire clonés. Regroupés autour de Daniel dans son
bureau au sommet d’une grande tour de Sydney, ils étaient
visiblement habitués à obtenir ce qu’ils voulaient et affichaient
un sourire supérieur.
— Ont-ils le droit de faire cela, Daniel ? En cours de
contrat ?
En les appelant « ils », elle traçait les limites du champ de
bataille : elle d’un côté et une rangée d’ennemis de l’autre. Le
terme « ennemis » était approprié, surtout lorsqu’on
l’appliquait à l’homme qui se tenait au milieu du groupe et la
fixait de ses yeux sombres.
— Oui, Ava, nous le pouvons.
La déception était amère : Daniel venait de témoigner sa
soumission.
La colère l’envahit telle une lame de fond, balayant les
craintes qui l’avaient taraudée depuis sa convocation.
Probablement pour un licenciement, avait-elle songé en la
recevant, aucune chance que ce soit pour une promotion.
En fait, à ses yeux, la première éventualité avait beaucoup
En fait, à ses yeux, la première éventualité avait beaucoup
plus d’attraits.
Elle posa les mains sur le bureau devant elle et constata
que, miraculeusement, elles ne tremblaient pas.
— Si je comprends bien, pour conserver mon emploi de
consultante paysagiste dans la série Nature urbaine, je suis
obligée d’accepter de passer devant la caméra ?
L’un des clones, au centre de la rangée, prit la parole.
— Votre contrat, chez AusOne, prévoit la possibilité de
modifier la manière dont…
Dan lui jeta un regard en biais qui lui imposa le silence.
— Ta brève apparition lors de la dernière saison a été
plébiscitée par un groupe-test de téléspectateurs. Nous
souhaitons donc renouveler l’expérience, plus longuement
cette fois.
Dire qu’il y a des siècles elle avait pu éprouver l’envie de se
perdre dans ces yeux bruns… Depuis, hors de question
qu’elle cède à cette tentation !
— Passer à la télévision ne m’intéresse absolument pas.
Le visage de Dan se contracta et cette marque d’irritation
procura à Ava un plaisir malicieux ; mais il n’était pas homme
à renoncer aussi facilement.
— Ava, on ne rencontre pas une telle occasion deux fois
dans sa vie. Il faut savoir la saisir.
Elle leva les mains en signe d’ultime dénégation, alors que
les battements de son cœur s’accéléraient.
— Je te le répète : passer à la télévision ne m’intéresse
absolument pas, Daniel. Ma réponse est non.
Un des hommes de loi intervint de nouveau dans la
conversation.
— Vous ne pouvez pas refuser, vous êtes sous contrat.
Ava tourna son regard vers lui, se disant qu’il ressemblait à
un fauve qui sent l’odeur d’une proie. Ce genre d’homme
devait être redoutable devant un tribunal. Combien de
chevaux de course son père avait-il vendus pour payer sa
brillante éducation universitaire ?
Daniel s’adossa à son fauteuil et leva deux doigts : à ce
signal, les trois avocats se mirent debout comme un seul
homme et, si Ava n’avait pas été furieuse, elle aurait éclaté de
rire devant ce synchronisme.
Lorsqu’ils furent sortis, Daniel passa dans sa chevelure
artistiquement agencée une main soigneusement manucurée.
Daniel Arnot, tel qu’il existait dans son souvenir, ne se
préoccupait guère de manucure. Son regard n’embrassait que
les vagues sur lesquelles il pouvait surfer.
Son regard… Plus jeune, elle aurait tout donné pour qu’il le
tourne enfin vers elle, alors qu’à présent elle n’aspirait qu’à
une chose : s’enfuir de cette pièce.
— Ava…
— Non !
— Non !
Elle ne connaissait que trop bien ce ton séducteur, il
l’employait depuis des années pour obtenir ce qu’il voulait.
— Je sais très bien ce que tu es en train d’essayer de faire.
C’est avec mon frère et moi que tu as commencé à bâtir tes
talents de négociateur, je ne l’ai pas oublié.
— Ava, si tu refuses, cela constituera une rupture de
contrat et les trois requins qui attendent dehors ne demandent
qu’à te tailler en pièces.
Un procès public lui coûterait les yeux de la tête et était aux
antipodes de ce qu’elle désirait vraiment : développer son
activité de consultante et se construire un minimum de sécurité
financière. Elle ne pouvait se permettre un affrontement, pas
plus que la mauvaise publicité qui en résulterait. En fait, elle
avait à peine eu de quoi se payer le taxi pour venir à ce
rendez-vous.
Elle se dirigea vers le bambou relégué dans un coin de la
pièce. Complètement enserré dans son pot, il dépérissait, ses
racines n’avaient nulle part où aller.
En fait, elle lui ressemblait…
Elle se retourna.
— Tu ne me connais donc pas, Daniel ? Tu crois que je
vais accepter cela ?
— C’est une simple question de bon sens. Tu n’as guère
d’autre choix, Ava.
— J’aime mon métier tel qu’il est ! Concevoir des jardins,
— J’aime mon métier tel qu’il est ! Concevoir des jardins,
élaborer des thèmes…
— Tu continueras à le faire : simplement, cela se passera
devant la caméra. Un peu de maquillage avant chaque prise
de vue, rien d’autre ne change.
— Bien sûr que non, si l’on oublie le fait que je serai sans
cesse sur scène, au lieu de tracer tranquillement mes plans
chez moi.
— Nous te procurerons tout ce qu’il te faudra pour que tu
puisses travailler quel que soit l’endroit où tu seras.
Avec une rapidité qui laissa Ava sans voix, il aborda le
thème du salaire, n’hésitant pas à évoquer six chiffres. Certes,
il évoluait dans un monde où l’on brassait des sommes dont
elle ne pouvait que rêver, mais elle suspecta un mystère dans
une telle générosité. Qu’avait-il à y gagner ?
— Quel est ton intérêt dans cette affaire ? Tu sais fort bien
que je ne veux absolument pas exercer mon métier sous les
projecteurs. Pourquoi agis-tu ainsi, Daniel ? Quel est ton but ?
— Ava…
Encore ce ton onctueux.
— Sois raisonnable.
— En fait, tu me demandes de quitter mon domicile et de
renoncer à ma vie privée pour te donner ce que tu veux. J’ai
au moins le droit de savoir ce que tu vas en retirer. De
l’argent ? Une promotion ?
— Rien qu’une saison, Ava, treize émissions. Ensuite, ton
— Rien qu’une saison, Ava, treize émissions. Ensuite, ton
contrat arrivera à expiration et tu pourras négocier librement.
Depuis déjà six mois, elle avait perdu sa liberté, le jour où
elle avait signé ce contrat avec AusOne. Elle s’était vendue
pour une année de salaire fixe et la possibilité de quadrupler
ses économies… Comment ne pas céder à un tel chant des
sirènes ?
Mais cela… Après tout ce que la famille d’Ava avait fait
pour Daniel… Que lui était-il arrivé ?
Elle eut envie d’exploser.
— Ceci n’a rien d’une négociation. Tu me forces la main et
je me demande ce qu’en penserait mon père.
Tel un serpent que l’on vient de déranger, il se leva et fit le
tour de son bureau, pour s’immobiliser à quelques centimètres
d’elle. Sans se démonter, elle le fixa droit dans les yeux.
Les neuf années écoulées n’avaient rien changé.
— Il me dirait : « Merci Dan, d’assurer ainsi l’avenir
d’Ava, de faire en sorte qu’elle ait à la fois de la nourriture
dans son réfrigérateur et un avenir dans le métier qu’elle
aime. » Sans oublier tout ce que cette publicité va t’apporter.
— Cette publicité ne compte pas pour moi et je ne pense
pas qu’animer une émission télévisée risque d’avoir un effet
positif sur ma carrière. Ce sera plutôt le contraire, à mon avis.
— C’est pourtant cette même émission qui t’a permis de
démarrer comme consultante. Tu ne sembles guère
reconnaissante.
A ces mots, elle ne put chasser un sentiment de culpabilité.
C’est vrai, elle avait utilisé cette émission pour donner une
impulsion décisive à son activité professionnelle, et ils le
savaient tous deux.
Ava détestait l’hypocrisie et céda à son envie de l’envoyer
au diable.
— Pourquoi pas un Bikini et une voiture de luxe ? Tu crois
vraiment qu’avec l’image que tu vas me coller les clients
auront envie de m’engager pour concevoir leurs jardins ?
C’est avec ma réputation professionnelle que tu joues !
Mais elle était en train de s’emporter et cela ne servait à
rien. Pour se calmer, elle remplit un verre d’eau, en but une
partie et alla jeter le reste au pied du bambou. Lorsqu’elle se
retourna, Daniel arborait un sourire qui redoubla sa fureur.
— Qu’y a-t-il ? lança-t-elle.
— Tu aimes les plantes, elles sont une partie inséparable de
ta personnalité. Pourquoi ne pas communiquer ton
enthousiasme et tes connaissances ? Ainsi, tu n’auras plus à
pester lorsqu’un présentateur écorchera un nom latin.
Ava réfléchit rapidement. Ce contrat la prenait à la gorge et
les avocats le savaient aussi bien qu’elle. Tels des
charognards, ils n’avaient qu’une chose à faire : attendre. Elle
n’était pas de taille à affronter en justice un des plus grands
réseaux de télédiffusion d’Australie et ne pouvait se permettre
de démissionner. De plus, l’augmentation de salaire proposée
par Dan lui permettrait de quitter AusOne à la fin de son
contrat et de poursuivre enfin son but initial.
Il lui fallait seulement tenir six mois.
— Ava, tu es pieds et poings liés, tu n’as vraiment pas le
choix.
Elle releva la tête. Il n’était pas question qu’elle cède parce
qu’elle ne pouvait pas s’offrir un avocat à cinq cents dollars
de l’heure ! Il était bien loin, le temps où Daniel Arnot obtenait
d’elle tout ce qu’il voulait !
— D’accord, mais c’est moi qui dirige tout. Pas question
de venir en touriste pour faire deux prises de vues et laisser les
assistants s’occuper du reste.
— Je veux bien, à condition que ta créativité n’en souffre
pas.
— Evidemment. Et Shannon et Mick restent avec moi.
— Je suis tout à fait d’accord.
— Tu me mets cela par écrit ?
Cette exigence le fit grimacer.
— Voyons, Daniel, ce ne sont pas les avocats qui te
manquent pour la rédaction de notre accord.
— Je suis déçu que tu ailles jusqu’à demander cela, Ava.
Je me suis démené pour que ce marché soit le plus avantageux
possible pour toi. Il s’agit de treize émissions, rien de plus.
A ce moment, une expression fugace sur son visage lui
rappela le Daniel qu’elle avait connu autrefois. Dans ses yeux
sombres se reflétait la peur de les perdre, elle et son talent.
Consciente de l’importance que cela avait pour lui, elle se
sentit incapable de résister, comme si elle avait de nouveau
seize ans. En prendre conscience était douloureux.
— Tu tiens ma carrière entre tes mains, mon image.
— Je le sais.
— Donne-moi ta parole que tu me respecteras.
— Tu l’as, dit-il en tendant la main. A la mémoire de ta
mère.
— Si tu avais encore le moindre respect pour elle, tu ne
manipulerais pas sa fille pour avancer dans ta carrière.
Daniel blêmit et, même neuf ans après, son ressentiment
était encore assez vif pour que cela lui fasse plaisir. Elle se
détourna et sortit de la pièce.
Comme il aurait été doux de pouvoir lui faire confiance,
comme autrefois ! Mais il n’avait plus rien du meilleur ami de
Steve, de celui qui était pour elle presque un grand frère.
Il était devenu l’un d’eux.
Un ennemi.
2.
— Tu plaisantes ? demanda Ava à son frère, l’air confus.
Je n’ai pas de tels moyens !
Ils se tenaient face à une demeure magnifique, dont les
fenêtres reflétaient le bleu profond des eaux du port de
Sydney.
Il est vrai que tourner six jours par semaine pour l’émission
Nature urbaine allait l’obliger à des trajets de quatre-vingt-
dix minutes à partir de son domicile de la côte sud et que cela
confinait au domaine de l’impossible. Steve l’avait prévenue
qu’habiter en ville coûterait cher, mais elle n’avait pas imaginé
à quel point !
Il avait proposé d’écumer pour elle le marché des maisons
à louer et ils en avaient déjà visité trois ; mais celle-ci était
véritablement luxueuse, il ne pouvait pas y avoir songé
sérieusement !
— Tu ne comprends pas : cette maison fait partie du
marché.
— De quelle partie parles-tu ?
— De cette partie, prononça une voix à sa droite.
Elle se retourna. Surgi de nulle part, Dan se dirigeait vers
elle. Elle le regarda droit dans les yeux, refusant de témoigner
le moindre remords pour la manière dont elle l’avait traité lors
le moindre remords pour la manière dont elle l’avait traité lors
de leur dernier entretien !
Il posa la main sur l’épaule du frère d’Ava.
— Salut, mon vieux !
Steve lui sourit.
— Bonjour, Daniel !
Elle se sentit mal à l’aise. Il n’avait quand même pas osé…
— Viens, dit Daniel. Je vais te faire visiter mon humble
demeure.
Elle dirigea vers Steve un regard noir tandis que Dan les
guidait vers une ouverture en arcade dans le large mur qui
bordait la maison. Le cœur bondissant, elle les suivit dans le
jardin et y retrouva immédiatement son œil de paysagiste. Il
n’avait, à l’évidence, pas fait l’objet d’une sérieuse
ordonnance mais était luxuriant, plein de fleurs, et surprenait.
Avec son bassin pour oiseaux en son centre, on l’aurait cru
sorti tout droit d’un magazine de décoration.
Surtout, il fallait éviter de montrer à quel point le lieu la
séduisait, c’était vraiment le genre d’endroit qu’elle aurait pu
et qu’elle aurait aimé concevoir.
— J’ai répondu aux deux critères que tu exigeais : un jardin
et un prix abordable, dit Steve. Cette maison a un jardin et
reste dans tes moyens.
Vraiment ? Dans un quartier aussi huppé de Sydney ?
Elle leva le menton pour les toiser.
— Avez-vous conspiré pour m’attirer ici ?
Steve préféra détourner le regard mais, sans un mot, Daniel
les guida, le long d’un sentier de pierres taillées, vers une
seconde maison attenante. Parvenu dans une vaste chambre, il
ouvrit des portes de bois brut pour laisser entrer la lumière du
jardin et Ava, avalant sa salive, essaya de détacher son esprit
de la beauté ambiante.
Quel dommage que cet endroit soit largement au-dessus de
ses moyens !
Steve se laissa tomber sur un divan du salon, recouvert
d’un plaid qui devait valoir bien plus que le salon tout entier
d’Ava. Pas de doute, la nouvelle vie de Daniel ne manquait
certes pas de confort.
— Il doit rester d’autres maisons à visiter ?
— Non, aucune ne satisfait à tes deux critères et, de plus,
celle-ci cumule les avantages d’être près du centre-ville et en
face de la mer. Tu ne trouveras pas mieux.
Même en faisant appel à la plus parfaite mauvaise foi, elle
se retrouvait à court d’arguments. Des nuits bercées par le
ressac, la courte traversée en ferry qui lui permettrait d’arriver
au cœur du quartier des affaires… difficile de résister !
Refusant de capituler, elle se tourna vers son frère.
— Montre-moi la liste.
— Ava, prends donc cette maison, murmura Daniel
derrière elle. Fais donc comme si tu la partageais avec
derrière elle. Fais donc comme si tu la partageais avec
quelqu’un.
— Ce n’est pas…
Comment exprimer ce qu’elle ressentait ? Travailler avec lui
et vivre sous le même toit, alors qu’elle se sentait déjà
complètement exploitée !
— Je suis sûr que Daniel te fera un prix d’ami, ajouta
Steve.
Elle le fusilla du regard : en plus, il connaissait son point
faible et savait qu’elle avait besoin de faire des économies.
— Combien ?
Steve se tourna vers Daniel et Ava se sentit obligée d’en
faire autant.
Il haussa les épaules.
— Cela fait partie de ton contrat.
Comment ? Cette vue magnifique et ce jardin splendide lui
seraient donc offerts sans contrepartie ? Elle parvint avec
peine à contenir son excitation. A sa connaissance, le papier
qu’elle avait signé n’abordait rien de tout cela.
— Non.
— Cette dépendance est vide, Ava, et je ne suis presque
jamais chez moi. Cela ne me dérangera nullement que
quelqu’un d’autre habite ici.
— Mais si tu as des invités ?
— Cela ne sera pas un problème.
— Cela ne sera pas un problème.
Parce qu’il n’avait pas d’amis, ou parce qu’il ne recevait
que des femmes qui partageaient sa chambre et n’avaient nul
besoin de la maison des invités ?
Oh, et puis, quelle importance ?
Ce jardin était vraiment beau et elle rêvait déjà de
l’améliorer. Après tout, il valait mieux qu’elle garde son argent
plutôt que de le voir partir en loyers.
— Est-ce qu’elle a sa propre entrée ?
En cherchant bien, peut-être trouverait-elle une raison de
refuser.
— Elle est complètement indépendante et possède un
bureau entièrement équipé, comme promis.
Daniel les mena vers le garage de la dépendance où un
énorme camping-car occupait presque toute la place.
Ava eut l’impression que son cœur s’arrêtait : ce magnifique
véhicule, aussi grand que les camions dans lesquels son père
transportait des chevaux, était complètement converti en
bureau itinérant avec une table repliable, des compartiments
de rangements et une minicuisine.
Il devenait de plus en plus difficile de continuer à refuser !
— Eh bien… quand vous voulez, vous faites vraiment bien
les choses.
— Avec les compliments d’AusOne. Le réseau a pris en
compte ta situation et tient à ce que tu puisses travailler
n’importe où lorsqu’on fera des prises de vues.
n’importe où lorsqu’on fera des prises de vues.
— Tout doit être fait pour que les invités soient satisfaits ?
Il eut un sourire, le premier qu’elle voyait sur son visage
depuis neuf ans. Le dernier dont elle se souvenait, c’était
avant cette nuit où…
— Tu n’es pas une invitée, à vrai dire.
— Non ? s’étonnèrent Ava et Steve.
— Tu formes un élément très important du plan. Il repose
en partie sur toi et, pour le reste, sur Brant Maddox.
— Oui, évidemment, pour la moitié féminine du public.
— Tu ne devrais pas t’en sortir trop mal avec la partie
masculine, Ava.
Que répondre à un compliment de sa part ? Elle sortit du
véhicule et rentra dans la petite maison. Trouver une autre
location à un prix abordable ne serait pas facile à Sydney,
surtout pour six mois. Ce logement luxueux était une très
bonne affaire, elle en connaissait le propriétaire et, cerise sur
le gâteau, le jardin était magnifique. Elle détourna son regard
du visage de Dan.
Pourrait-elle vivre aussi près de lui ?
Dan observa le conflit qui se reflétait sur le visage d’Ava et
esquissa un sourire. Enfant, elle avait l’habitude d’exprimer
ses idées à haute voix et même si, depuis, elle avait appris à
rester muette, elle n’était toujours pas douée pour dissimuler
ses pensées.
Avec dignité, la tête haute, elle s’écarta de lui mais ne put
cacher les étincelles qui avaient envahi ses yeux lorsqu’elle
avait découvert les lieux.
Cependant, dès qu’elle posait le regard sur lui, ses yeux
perdaient toute expression.
Il soupira et referma derrière lui la porte du 4x4. Si cette
saison d’émissions ne marchait pas, le véhicule de location
serait retourné à l’agence.
AusOne ne s’embarrassait guère de sentiments. Daniel lui-
même, en six ans, leur avait apporté toute une série d’idées
qui, toutes, avaient formidablement fonctionné, mais cela ne
les empêchait pas, par souci d’audience, de remettre en
question quarante emplois, plus celui d’Ava.
Le sien pouvait fort bien suivre et il n’avait pas fait de tels
sacrifices pour tout perdre.
Il suivit la jeune femme dans la chambre. Au moins, ce
concept-là marcherait. Il connaissait Ava, ou plutôt l’avait
connue adolescente, mais elle n’avait pas dû changer tant que
cela.
— Ava, imagine-toi allongée ici, t’endormant aux bruits du
port.
Cette dernière évocation sembla achever de la décider et
elle se tourna vers lui. Cette expression dans ses yeux, était-
elle celle du désir ? Il se contracta soudain, se souvenant de
leurs longs après-midi d’antan. Mais non, ce ne pouvait pas
être ça, il lui fallait revenir à la réalité.
Dans la lumière qui baignait la pièce, elle resplendissait,
comme lors des premières prises de vues faites à titre d’essai :
le rayonnement paraissait émaner d’elle. Elle n’était passée à
l’écran que cinq minutes, mais cela avait suffi pour que
l’Audimat bondisse en flèche grâce à sa vitalité, sa bonne
humeur et sa passion communicative pour le sujet qu’elle
traitait. Bien sûr, son physique parfait ne gâchait rien.
Daniel avait été fasciné et, s’il n’avait pas été connu pour
son professionnalisme, ses assistants auraient pu se méprendre
sur les raisons d’une telle attention.
La dernière fois qu’il l’avait vue, ce n’était encore qu’une
adolescente très agréable, avec un cœur d’or, mais pas très à
l’aise en sa présence. Ce dernier point, tout au moins, n’avait
pas changé.
— Excuse-moi.
Elle évita de le regarder en passant à côté de lui.
Il eut la tentation de ne pas bouger mais, neuf ans plus tard,
il avait perdu le goût de la faire rougir. Il la laissa passer,
ignorant son léger parfum.
Il fallait se concentrer sur la seule chose qui importait.
Il avait besoin d’Ava dans cette émission.
Nature urbaine était pratiquement faite sur mesure pour
elle. Elle avait un talent unique, rempli d’inspiration, pour créer
de merveilleux espaces verts en ville. Même à distance, il avait
tenu à rester au courant de son parcours professionnel et
Steve lui avait apporté toute l’aide nécessaire. Convaincu
Steve lui avait apporté toute l’aide nécessaire. Convaincu
qu’Ava apporterait une touche novatrice, il lui avait offert un
rôle dans l’émission pilote de Nature urbaine. Parfaitement
conscient qu’elle n’accepterait jamais cet emploi si c’est lui
qui le lui proposait, il était passé par les services d’un
intermédiaire.
Ce n’est qu’après qu’elle eut accepté qu’il avait laissé à
Steve le soin de lui apprendre la vérité : elle travaillait pour
Daniel Arnot, ex-fléau de Flynn’s Beach… et bourreau des
cœurs.
Le destructeur de rêves.
Semblant rassurée, elle observait la nouvelle serrure qu’il
avait fait installer la veille.
Aucun regret à avoir, il n’avait pas d’autre choix que de
manipuler ainsi cette femme, même si c’était la sœur d’un ami.
Il avait travaillé trop dur pour tout perdre.
Ce qui était en jeu était ce qu’il poursuivait depuis si
longtemps, cette place qu’il avait tant convoitée…
— D’accord, j’accepte.
Victoire ! Il avait gagné !
La joie soudaine qui l’envahit n’était-elle due qu’à cela ?
3.
— Qu’est-ce que… ?
Daniel accéléra le pas pour s’approcher plus vite du
camion de la production, garé dans la zone industrielle où ils
filmaient. De nombreuses têtes étaient tournées vers le
véhicule d’où provenaient deux voix féminines exaspérées.
A son entrée dans le camion, Carrie Watson, la
maquilleuse, lui adressa un regard de mise en garde mais il
n’eut d’yeux que pour Ava.
Manifestement très en colère.
— C’est ton idée ? s’écria-t-elle.
Elle était habillée d’un short qui révélait des jambes bien
bronzées et d’un petit haut, « minuscule » étant d’ailleurs un
mot plus approprié. Blanc, affublé du logo d’une marque
d’outillage électrique, il faisait ressortir chaque courbe de son
corps.
— Je conçois un jardin, Daniel, je ne danse pas dans un
bar !
Il écarta les yeux. La dernière fois qu’il avait vu Ava vêtue
autrement qu’en femme d’affaires, elle avait seize ans. Il
respira profondément.
— Pas question que je porte cela !
Elle était visiblement décidée à ne pas céder et il n’avait
rien à faire dans ce combat. Dès le premier jour de tournage,
Bill Kurtz commençait déjà ses plaisanteries stupides !
Il alla fouiller dans les vêtements accrochés à des cintres.
— Je suis tout à fait d’accord, dit-il en prenant une chemise
bleue.
— Non, c’est celle de Brant, s’écria Carrie. Nous en
avons besoin pour la prochaine scène.
Daniel la remit en place. Le chemisier d’Ava était sur le dos
de la chaise. Elle ne pouvait pas le mettre, il faisait trop
sérieux, mais ce qu’on voulait lui faire porter n’allait pas non
plus avec le style de l’émission.
De plus, il lui avait donné sa parole et devait la respecter. Il
fallait trouver une solution.
— Il faut qu’elle porte ce logo, rappela Carrie.
— Je sais. J’ai juste besoin de réfléchir.
Ils étaient à vingt minutes du centre commercial le plus
proche, il n’avait pas le temps de faire l’aller-retour.
Il aperçut un débardeur bleu dans un paquet encore fermé.
Cela n’irait pas mieux sur Ava, mais il lui vint une idée.
Il défit rapidement les boutons de sa chemise Yves Saint-
Laurent.
— Mets-la par-dessus le haut.
La chemise était beaucoup trop grande mais couvrait
suffisamment le maillot minimaliste. Carrie noua le tissu autour
de la taille d’Ava : le logo restait visible et le résultat
d’ensemble était bien plus présentable.
— Il faut aussi te débarrasser de ce short.
A quoi Bill Kurtz avait-il donc pensé ? Oh, ce n’était que
trop évident !
— J’ai un pantalon de travail pour demain, dit Carrie.
— Parfait, il servira aujourd’hui. Le short peut aller au feu.
Il enfila le débardeur et sortit, se sentant un peu ridicule
ainsi accoutré mais cela n’avait pas d’importance. Il venait
d’éviter une catastrophe. Heureusement qu’il était venu voir
comment les choses se passaient.
Il allait falloir surveiller tout cela de près.
Ava était restée bouche bée, suivant du regard Daniel qui
s’éloignait. La dernière fois qu’elle avait vu cette poitrine
musclée, c’était en pleine nuit et elle était couverte de sueur.
Elle avala sa salive puis, ses yeux croisant ceux de Carrie,
toutes deux éclatèrent de rire.
— Je suis désolée d’avoir fait un tel caprice à cause de ce
haut.
Jouer à l’enfant gâtée n’était pas le meilleur moyen de
débuter une relation de travail.
— Oh, ce n’est pas grave. Moi non plus, je n’aurais pas
accepté de le porter. Je suis seulement étonnée de sa réaction.
Il est producteur, vous savez.
Ava avait déjà compris que, dans le monde de la télévision,
plus vous êtes haut placé moins vous êtes populaire.
Cependant, elle se sentit obligée de défendre Daniel, au moins
à la mémoire du bon vieux temps.
— C’est quelqu’un de bien.
— C’est même un héros, pour avoir fait cela. Il va subir de
sérieuses critiques. Je n’aimerais pas être là quand le réseau
verra les premières images.
Ava respira profondément l’odeur de la chemise, celle du
corps de Daniel. Pendant combien d’années en avait-elle été
folle ? Jusqu’au moment où elle avait bien été obligée
d’apprendre à ne plus y penser.
Le tissu était chaud, extrêmement coûteux, et elle allait le
porter pour creuser de la terre. L’ironie la fit sourire.
— Asseyez-vous, dit Carrie. Il n’y a pas que Daniel qui
risque sa place.
Vingt minutes plus tard, Ava regardait son image dans le
miroir. Carrie lui avait appliqué une épaisse couche de
maquillage, mais avec une telle subtilité que l’on ne le
remarquait presque pas. Sa peau était sans ride et ses
cheveux noués en queue-de-cheval mettaient en valeur la
longue courbe de son cou. Ava n’avait jamais cherché à
utiliser son physique à son avantage. Seules comptaient pour
elle les qualités de cœur et d’esprit. Cependant, pour la
première fois en se regardant, elle se trouva à son goût et, ma
foi, assez séduisante.
foi, assez séduisante.
Quelques minutes plus tard, elle sortit du camion, vêtue du
pantalon fourni par Carrie et de la chemise de Daniel. Jetant le
short dans la poubelle, elle salua joyeusement Carrie.
Enfin une alliée ! Ce ne serait pas inutile d’avoir une amie
sur le plateau de tournage.
Tu en as déjà un, lui susurra une petite voix, un ami de
longue date…
Mais Daniel avait choisi de faire carrière et faisait
maintenant partie des dirigeants. Un jour viendrait où il ne
manquerait pas de le lui rappeler et toute l’amitié qui avait pu
exister entre eux appartiendrait alors au passé.
Comme il était intimidant de se trouver au centre de
l’attention, de recevoir les ordres de quantité de gens qui
avaient chacun leur propre spécialité et de suivre leurs
instructions tout en se rappelant pourquoi elle était là.
« Lis ceci », « dis cela », « fais deux pas de côté »,
« avance un peu pour ne plus être dans le faisceau de
lumière »…
Sa patience était presque à bout lorsque Daniel réapparut,
le débardeur bleu apparent sous sa veste de costume. Sa
démarche n’en restait pas moins pleine d’assurance, on voyait
qu’il était habitué au succès. Avec une telle aisance, même sa
curieuse tenue ne semblait plus vraiment choquante.
Ava voulut détourner les yeux mais en fut incapable :
l’homme qui suivait Daniel semblait descendre tout droit d’un
plateau de tournage d’Hollywood.
plateau de tournage d’Hollywood.
Brant Maddox, le célèbre animateur.
— Ava. Quel plaisir de vous rencontrer, dit-il en lui serrant
la main.
Sa poignée de main était pleine de chaleur mais resta
curieusement molle. Elle devait être à l’image de cet homme :
une superbe apparence, mais que cachait-elle ?
Avant qu’elle ne puisse répondre, Brant lui baisa la main.
Surprise, elle trébucha et dut se rattraper à lui.
Apparemment ravi de la voir rougir, Brant s’écarta, une
curieuse expression dans ses yeux bleus, quelque chose
comme : « J’ai fait ce que j’avais à faire. » Cette rencontre
avait-elle été organisée ?
— Ava Lange, Brant Maddox.
Daniel avait fait des présentations devenues inutiles, mais
son ton très professionnel rappela à Ava pourquoi elle était là.
— Ava, puis-je te parler ?
Il montra cinq doigts au metteur en scène, qui accorda une
pause à l’équipe, et elle le suivit sur le côté du plateau de
tournage.
La chaleur de la main que Daniel avait posée sur son épaule
sembla se diffuser dans tout son corps.
Du calme, voyons, se morigéna-t-elle.
— Tu es très bien, dit-il. Beaucoup mieux comme cela.
— On n’appelle pas les maquilleuses des « artistes » pour
— On n’appelle pas les maquilleuses des « artistes » pour
rien.
— Je parlais des vêtements mais, puisque tu la mentionnes,
je suis d’accord, Carrie a fait du bon travail pour ton
maquillage. Tu as un visage tout à fait naturel.
Il l’observa de nouveau en détail.
Elle rougit, pour la deuxième fois en deux minutes. Même
pour elle, c’était un record, mais il fallait en revenir à ce qui
importait.
— J’ai deux choses à te dire : d’abord, ta dernière
conception est brillante, peut-être la meilleure à ce jour.
Pourquoi se sentit-elle rayonner ainsi ? Elle n’avait
aucunement besoin de ses appréciations pour connaître la
valeur de ce qu’elle faisait. Elle avait canalisé toute la
frustration et la colère qu’elle avait éprouvées et cela avait
produit le plus beau jardin qu’elle puisse créer.
— Tu as réussi, poursuivit-il, même si j’ai dû insister pour
obtenir le surplus de financement qu’a exigé ta réalisation.
Elle sourit. Quelques massifs dracénas, très décoratifs,
avaient ajouté un zéro au budget de l’émission. Finalement,
c’était très gratifiant de l’emporter de temps en temps.
Elle en aurait même fait volontiers une habitude.
— Je cherche juste à savoir si tu vas continuer à nous
forcer la main, continua-t-il.
Elle rit.
— Il est plus prudent de ne rien promettre.
— Rappelle-toi quand même que, par ces petites révoltes,
ce n’est pas seulement au réseau que tu fais passer des
moments difficiles.
— Non ? interrogea-t-elle d’un ton innocent.
— Non. Et pas seulement à moi, même si je suis sûr que
c’est ce que tu souhaites. Tania, du service des décors, m’a
avoué qu’elle avait passé une journée à essayer d’obtenir tout
ce que tu voulais dans la limite du budget qui lui était alloué et
elle n’y est pas parvenue.
Ava cessa aussitôt de sourire.
— Oh, ce n’était pas mon intention.
— Je sais. Je voulais juste que tu sois au courant.
Comment pouvait-il la connaître aussi bien, alors qu’il ne
l’avait pas revue depuis neuf ans ? Il semblait lire dans ses
pensées.
— D’accord. Je m’en souviendrai. Quelle était la deuxième
chose ?
— Brant Maddox.
Elle tourna les yeux vers l’homme en question, occupé à
parler à un assistant. Il incarnait vraiment la beauté masculine.
— Puisqu’on parle de choses décoratives et chères…
Daniel eut un petit rire discret.
— Bon, je n’ai peut-être pas à m’inquiéter du point numéro
deux.
La lumière se fit soudain dans l’esprit d’Ava.
— Non, tu n’allais pas…
Me mettre en garde contre Maddox ?
Cette fois, ce fut Daniel qui rougit légèrement.
— Je pense à notre émission, Ava. Nous ne pouvons pas
laisser les relations personnelles l’affecter en quoi que ce soit :
l’enjeu est trop important.
Ava se contracta.
— Bien sûr, il te semble inévitable que le problème vienne
de moi, que je n’aie aucune idée de l’importance de ce que je
fais !
— C’est pourtant bien ce que tu m’as fait comprendre,
Ava.
— Je n’attache pas d’importance à l’émission, mais il y a
des choses que je ne te ferais pas.
En dépit de tout ce que lui avait pu faire, elle n’avait aucune
envie de lui causer du tort. Mais cela ne lui ferait sans doute
pas de mal de lui rappeler à quel point il s’était peu soucié de
ses besoins à elle.
— C’est très généreux de ta part, dans ces
circonstances…
Pour la première fois, il paraissait mal à l’aise. Elle n’aurait
pas cru cela possible.
— Sans doute parce que je suis une femme généreuse,
Daniel.
Malgré le ton amusé de sa réponse, elle se sentit
déstabilisée par le regard brûlant qu’il fixait sur sa poitrine et
un frisson la parcourut. Ce fut très bref, peut-être l’avait-elle
imaginé ?
— Merci, Ava. C’est plus que je ne mérite.
Il possédait vraiment le talent de la déconcerter et elle
perdit soudain tout désir de l’affronter.
— Je crois qu’il est temps de se remettre au travail.
Il s’écarta, la laissant retourner à la terrasse bétonnée qu’ils
devaient, en trois jours, transformer en jardin splendide.
Même si elle avait eu du mal à accepter ce projet d’émission,
elle avait l’air tout à fait dans son élément.
Le souvenir qu’il avait conservé d’elle était celui du garçon
manqué qu’elle avait été jusqu’à son treizième anniversaire. La
chrysalide s’était alors transformée en papillon et, prenant
conscience de sa féminité toute neuve, elle était soudain
devenue très timide. Depuis la mort de sa mère, alors qu’elle
avait huit ans, elle s’était retrouvée plongée au sein d’une
famille entièrement masculine, dont elle était aussi la très
protégée cadette.
Cependant, elle n’était plus tout à fait la petite Ava : elle
avait grandi, acquis du talent et de la séduction. Mais même
merveilleusement belle, elle restait la petite sœur de Steve,
presque la sienne.
Mais pas tout à fait.
Il observa Maddox qui parlait avec elle en arborant ce
sourire qui faisait tellement d’effet aux femmes.
La petite sœur de Steve… Il avait envers elle des
responsabilités, tant professionnelles que personnelles.
Il fallait qu’il reste vigilant.
4.
Les voix étaient revenues. Les chuchotements.
Même l’esprit embrumé par le sommeil, Ava devinait que
cela ne pouvait rien annoncer de bon…
Personne ne chuchotait jamais dans la famille Lange, on y
parlait plutôt fort. Que pouvaient donc signifier ces
chuchotements, à la veille de son seizième anniversaire ? Une
seule chose : on lui préparait une surprise. Elle secoua ses
cheveux pour en faire tomber le sable de la plage et se dirigea,
sur la pointe des pieds, vers la porte de la cuisine.
Daniel. Depuis trois ans, elle focalisait son attention sur lui
et avait appris à reconnaître sa voix. Son frère devait être
avec lui, mais quelle importance ? Ce merveilleux Daniel lui
préparait une surprise pour son anniversaire.
Il faisait cet effort pour elle.
Rien d’autre ne comptait. Son cœur s’accéléra.
— Ava n’a plus douze ans, entendit-elle.
— Crois-moi, je le sais.
Ava fronça les sourcils. Ce ton n’était pas celui de
quelqu’un qui prépare une surprise.
— Tu devrais lui parler.
— Je ne peux pas. Quand elle tourne ses beaux yeux vers
— Je ne peux pas. Quand elle tourne ses beaux yeux vers
moi…
Son cœur battait la chamade, à présent. Daniel parlait
d’elle ! Après l’avoir vue si longtemps comme une enfant, il
avait enfin remarqué qu’elle était devenue une femme. Enfin,
presque.
Ava se retourna dans son lit, se rappelant cette nuit-là sur la
plage, à Flynn’s Beach.
La lumière était éteinte dans la pièce de jeux convertie en
chambre pour Daniel, mais cela ne l’avait pas arrêtée. Elle
avait choisi ses plus beaux vêtements, décidant soigneusement
quels boutons de son chemisier resteraient ouverts, et avait
répété cinquante fois devant le miroir ce qu’elle allait lui dire.
Frémissante, elle s’imagina que Daniel allait l’enlacer et
l’embrasser jusqu’à ce qu’ils en perdent le souffle.
Saurait-elle simplement quoi faire ?
L’excitation était presque insoutenable.
Elle avait l’habitude de rendre visite à Daniel dans sa
chambre, il n’y avait donc rien que de très naturel à tourner la
poignée de la porte sans avoir frappé… à minuit, dans
l’obscurité…
La porte s’ouvrit et elle murmura son nom…
Ava se força à ouvrir les yeux. Tout de suite, avant le pire.
Pourquoi cela lui arrivait-il de nouveau ? Elle n’avait plus eu
de tels rêves depuis presque un an, au point de croire que ces
moments douloureux appartenaient désormais au passé. Cela
moments douloureux appartenaient désormais au passé. Cela
avait déjà été assez difficile à vivre, fallait-il vraiment que cela
lui revienne sans cesse à l’esprit ?
Elle se leva et se dirigea vers la cuisine de la petite maison
qu’elle louait à Daniel.
Il lui fallait du café. Tout de suite.
2 heures du matin ! Après cela, elle n’avait aucune chance
de se rendormir.
Elle fit bouillir de l’eau.
Inutile de se demander pourquoi ce souvenir lui était
revenu : ce travail avec Daniel si proche d’elle, comment ne
pas repenser au passé, dans ces conditions ?
Le café la calma un peu mais pas complètement. Cette
maison lui donna soudain une sensation d’enfermement.
Elle était minuscule… et appartenait à Daniel.
Cet homme qui l’avait poursuivie, cette nuit-là, ne dormait
qu’à quelques mètres.
Mais elle ne prendrait pas la fuite. Elle prit sa tasse de café
et sortit de la maison. Harbourview Terrace, à 2 heures du
matin, rappelait un peu Flynn’s Beach : la même intime
tranquillité.
Elle reprit un peu de café.
Seize ans. Un âge si tendre, si naïf.
Il avait tenté de la traiter avec gentillesse, mais elle s’était
violemment écartée de lui, le corps secoué par les sanglots.
violemment écartée de lui, le corps secoué par les sanglots.
Elle n’avait que seize ans.
Elle avait demandé, comme si elle avait le droit de le savoir,
qui était la femme dans la pièce et, avant même que Daniel ne
réponde, avait reconnu une surfeuse qui passait le plus clair de
son temps à se faire admirer sur la plage. Avec ses superbes
cheveux blonds, son teint bronzé et sa poitrine imposante, elle
semblait sortir d’une bande dessinée.
— Comment fait-elle pour rester debout ? avait-elle laissé
échapper.
Le ton qu’il avait employé lui avait fait autant mal que tout
le reste de la scène.
— J’ai vingt ans, Ava. J’ai le droit de dormir avec qui je
veux.
Mais pas avec moi. Ava devait se répéter cela bien des
fois, par la suite. Daniel ne voyait toujours en elle qu’une
enfant.
Pourtant, sur le plateau de tournage, durant un court instant,
ses yeux avaient exprimé la même passion que lorsqu’elle
s’était enfuie de sa chambre, neuf ans auparavant. Cette nuit
où, pour la première fois, son corps avait ressenti des émois
de femme.
A l’époque, cela l’avait plongée dans la confusion, pas
autant que Daniel, cependant.
Elle se souvenait encore de son expression lorsqu’il avait
posé son regard sur son chemisier aux boutons défaits. Il
posé son regard sur son chemisier aux boutons défaits. Il
avait, avec un effort visible, détourné les yeux de ses jeunes
seins.
Ava, le souffle coupé, s’était dépêchée de refermer son
chemisier.
— Nous sommes simplement amis, Ava.
C’était la pure vérité : il ne l’aimait pas, ne la désirait même
pas. Qu’avait-elle donc fait ? Elle aurait voulu mourir…
Même confuse et désespérée, elle avait pris conscience
qu’elle venait de grandir d’un coup : elle était une femme, à
présent, une femme qui s’était fait des illusions.
Le bruit d’une voiture remplie de jeunes gens qui faisaient la
fête attira son attention.
Non, elle n’était plus à Flynn’s Beach.
Elle rentra dans la maison et remarqua que la lumière était
allumée dans la chambre de Daniel. Pourquoi était-il réveillé à
trois heures du matin ? Avait-il, lui aussi, de tels rêves ?
Repensait-il à cette nuit-là sur la plage ?
Non. Il n’était pas homme à entretenir des regrets à propos
d’une femme, surtout pas s’il s’agissait d’elle.
Il avait été très clair, alors. Il avait fort bien compris le
message qu’elle avait voulu lui faire passer, son invitation
muette, et l’avait longuement regardée avant de se tourner
vers la mer. Lorsqu’il s’était enfin tourné vers elle, ses yeux
avaient perdu toute expression.
Elle ne l’avait plus vu dans cet état depuis qu’il était arrivé
Elle ne l’avait plus vu dans cet état depuis qu’il était arrivé
dans la famille, des années auparavant.
Sa mâchoire s’était contractée et il avait prononcé les mots
qui avaient marqué sa jeune âme au fer rouge.
— Nous ne serons jamais ensemble, Ava.
Elle eut l’impression d’avoir été renversée par une vague
géante et, incapable de cacher sa réaction, avait lutté pour se
redresser du fond de son océan de douleur.
— Tu es une enfant. Je suis un homme.
Avait-il compris la douleur qu’il lui avait causée ? Qui la
déchirait encore, des années après ?
— Et j’ai les intérêts, les besoins d’un homme adulte. Tu ne
pourras jamais faire grand-chose pour les satisfaire.
Le pire était venu ensuite ; cruellement blessée, elle s’était
déchaînée, critiquant chez lui tout et n’importe quoi : son
intelligence, son intégrité, et même sa passion du surf, la seule
qu’il avait en ce monde.
— J’ai eu tort de croire que nous pourrions oublier cela,
avait-il alors déclaré. Je partirai demain matin.
Le jour même de son anniversaire !
Elle s’était sentie complètement rejetée !
Jamais plus, depuis, elle n’avait parlé ainsi à un autre
homme. Elle lui avait hurlé :
— Oui, va-t’en ! Tu ne fais que profiter de nous ! Trouve-
toi donc ta propre famille !
Aveuglée par le chagrin, elle l’avait poursuivi lorsqu’il lui
avait tourné le dos et était parti sans un mot.
— Telle mère, tel fils, Daniel ? Tu fuis lorsqu’il faut assumer
tes responsabilités ?
Elle se rappela la colère qui brillait dans ses yeux lorsqu’il
s’était enfin retourné vers elle. Elle ne les avait jamais vus aussi
sombres.
— Nous ne serons jamais ensemble, Ava, je ne sais pas
comment te le dire plus clairement. Je suis désolé si cela te fait
mal, mais il faut que tu le comprennes !
Et il était parti.
Lorsque son père l’avait réveillée pour lui souhaiter un bon
anniversaire, elle savait qu’il n’était déjà plus là.
Après une telle humiliation, de telles souffrances, elle n’avait
plus jamais laissé un homme l’approcher. Elle avait perdu
confiance en elle et avait étouffé tout désir d’amour. Seuls
avaient compté son travail scolaire, puis ses études et enfin ses
projets professionnels.
Daniel Arnot lui avait appris à être impénétrable et cela lui
avait réussi, du moins jusqu’à présent.
Mais la cuirasse qu’elle avait construite autour d’elle s’était
entrouverte, la laissant complètement vulnérable face à
l’homme qui lui avait fait si mal.
Même s’il ne lui avait pas démontré le moindre intérêt et ne
la considérait que comme un atout professionnel.
Sans doute était-ce mieux ainsi : à en juger par la réaction
de son corps, si Daniel Arnot décidait d’user de nouveau de
son charme, elle serait incapable d’y résister.
Malheureusement.
Ava but une nouvelle gorgée de café ; les larmes, qui
avaient eu neuf ans pour s’accumuler, coulaient maintenant sur
ses joues.
5.
L’assistant fit entrer Ava dans le vaste bureau de Daniel et
la pria de se mettre à l’aise. Elle se dirigea vers la fenêtre,
fatiguée par le manque de sommeil mais décidée à faire sortir,
une bonne fois pour toutes, Daniel de son cœur.
Le bureau, qui n’était pas au dernier étage mais presque,
était aussi grand que la maison qu’elle louait sur Harbourview
Terrace.
La dernière fois qu’elle y était venue, elle était trop en
colère pour en apprécier la décoration. Elle admira la vue
remarquable que l’on avait de la baie vitrée. Quelque part, là-
bas, se trouvait la vaste demeure au bord de l’eau où elle
résidait temporairement.
Quel chemin il avait parcouru depuis qu’il avait quitté la
famille Lange !
Au début, elle s’était tenue au courant de son parcours par
l’intermédiaire de son frère, puis avait préféré ne plus entendre
parler de lui. Cela lui était trop douloureux : toutes ces femmes
qu’il fréquentait, sa carrière dans la grande ville… Il avait dû
travailler dur pour atteindre si jeune une telle opulence.
Les rayons étaient couverts d’ouvrages sur le marketing.
Les lisait-il ou n’étaient-ils là que pour la décoration ? Si
important qu’il soit devenu, si imposant que soit son bureau,
Ava avait du mal à l’imaginer en cadre supérieur et voyait
toujours en lui le jeune homme passionné de surf, amoureux
de l’océan, pas des placements en Bourse.
— Nous avons fait du chemin, n’est-ce pas ?
Elle se retourna, embarrassée d’avoir été surprise en train
de lire les titres des livres sur les rayons. Elle remarqua qu’un
ficus avait remplacé le bambou qui était là, quelques semaines
plus tôt.
— Qu’est-il arrivé au Phyllostachys ?
— Les antibiotiques n’en ont rien laissé. Non, je plaisante.
Je l’ai mis dehors pour quelque temps. J’ai bien remarqué que
tu n’approuvais pas qu’il soit là.
Vraiment ? Elle se souvenait à peine de lui avoir jeté un
coup d’œil.
— Le ficus est une meilleure idée.
Elle n’ajouta rien. Rester silencieuse était préférable mais ce
n’était plus le même silence qu’autrefois, avant que le temps
ne les arrache à l’enfance.
— Tu as fait du bon travail ces deux derniers jours. J’ai des
enregistrements, tu veux les voir ?
Le trac s’empara d’elle. Etre devant la caméra était une
chose, mais se voir ensuite…
— Et si je suis mauvaise ?
Il sourit et ferma la porte.
— Rassure-toi. C’est tout le contraire.
Elle s’assit sur le divan pendant que Daniel mettait en
marche son matériel.
— Ce sont les images brutes, il n’y a pas encore eu de
montage.
Sur l’écran, Ava apparut d’abord nerveuse, avant le cri
« Silence ! On tourne ! ». Un assistant surgit brièvement dans
le champ de la caméra pour mieux camoufler son micro, puis
elle fut seule à l’écran. Le travelling de la caméra se fixa sur
son visage, avant de reculer pour la montrer à partir de la
taille.
— Tu es très bien. Mais attends…
Ava se vit détourner le regard sur le côté pendant un court
instant puis faire face de nouveau à la caméra. Elle se détendit
alors et sourit.
Daniel fit un arrêt sur image.
— Qu’avais-tu donc vu ?
Toi. Mais il n’était pas question qu’elle le lui dise.
A ce moment précis, il lui avait adressé un sourire
d’encouragement et elle en mesurait à présent l’effet.
Ava, il va falloir apprendre à mieux cacher ce que tu
ressens.
— Je ne sais pas, mentit-elle. Il y avait beaucoup de choses
qui se passaient en même temps sur ce plateau.
— Quelle que soit la raison, elle a vraiment produit son
— Quelle que soit la raison, elle a vraiment produit son
effet. Regarde à quel point tu as changé.
Daniel remit l’enregistrement en marche : Ava se présentait
et parlait brièvement de la terrasse sur laquelle ils allaient
travailler, jusqu’à ce que Brant Maddox apparaisse.
Elle n’était pas actrice mais ne se débrouillait pas si mal.
Vinrent ensuite un second tournage de la scène d’introduction,
puis des plans rapprochés de Brant, avant une scène les
présentant ensemble à l’écran.
— Vous êtes bien assortis, tous les deux.
— C’est ce que Brant a dit.
— Je m’en serais douté.
Ava sourit. Elle allait devoir s’habituer à se voir à l’écran et
ce n’était pas facile, la caméra ne pardonnait rien…
Les images continuaient à défiler, s’attardant sur Brant qui,
contrairement au jour de leur rencontre, l’impressionna.
Vraiment, il devinait d’instinct ce qui passait bien à l’écran.
Puis ce fut fini. Daniel ne ralluma pas tout de suite la lumière
et Ava se tendit lorsqu’il lui demanda :
— Qu’en penses-tu ?
Elle n’avait pas l’habitude de se vanter mais ne s’était pas
trouvée si mauvaise !
— Je ne suis pas mécontente. Et toi ?
— Pour une première fois, oui, c’est plutôt bien. Mais il
reste certaines choses à mettre au point.
reste certaines choses à mettre au point.
— Ce n’est que le premier jour…
— La première impression a énormément d’importance et
fera la différence entre le succès et l’échec. L’éclairage n’était
pas bien égal d’une scène à l’autre, tes mouvements
manquaient de grâce…
Ava rougit.
— La terrasse n’était pas aménagée comme lors des
répétitions et je n’avais jamais fait cela avant !
— Il va falloir revoir le planning pour prévoir des
répétitions sur place. Tu te sentiras plus à l’aise quand nous
filmerons pour de bon.
— Pour l’amour du ciel, y a-t-il une chose dont tu sois
content ?
— Bien sûr. Ton comportement devant la caméra est
excellent, le son est parfait et l’interaction entre toi et Maddox
est bonne. Cela fera une bonne audience.
Ah oui, l’audience… Ava ravala sa fierté et écouta Daniel
détailler les changements qu’il voulait apporter à l’émission. Si
elle avait pu se comporter de manière détachée et impartiale,
elle aurait reconnu qu’il n’y avait là rien de bien difficile mais,
dans le noir, avec Daniel à son côté, cela lui était impossible.
Elle attachait de l’importance à son opinion, et les critiques,
venant de lui, faisaient mal.
— Ava ?
— Pardon ?
— Pardon ?
— Y a-t-il quelque chose que tu voulais me demander ?
Que tu n’aurais pas compris ?
Ce que je ne comprends pas, c’est comment tu peux
avoir autant changé.
— Non, je crois que cela ira.
— Je t’ai fait vivre un moment difficile.
— Pourquoi dis-tu cela ? Parce que j’ai fait de mon mieux,
dans une situation nouvelle pour moi ? C’était ton idée,
Daniel, pas la mienne. Si tu n’apprécies pas le résultat, tu peux
en parler à tes patrons et me faire renvoyer. Je ne demande
qu’à retourner à mon travail de création.
— Excuse-moi. J’ai oublié que tu n’étais pas habituée aux
méthodes de la télévision : la critique constructive en fait
partie. J’aurais dû m’y prendre plus doucement, mais tu as
toujours été d’une telle force de caractère, Ava ! C’était toi
qui défendais les plus faibles dans les bagarres.
Comment lui résister lorsqu’il parlait ainsi ?
— J’ai voulu bien faire.
Pour toi, ajouta-t-elle in petto.
— Tu n’as pas si mal réussi. T’attendais-tu à être
parfaite dès la première fois ?
Elle rougit.
— Oui, je l’espérais.
— Ah. Tu voulais ta revanche ?
— Ah. Tu voulais ta revanche ?
Sur ce point, au moins, il n’avait pas changé : il devinait
toujours ce qui la motivait.
— J’espérais montrer à tous ces personnages importants à
quel point je pouvais être excellente.
Il l’attira près de lui. Il ne fallait pas qu’on l’entende à
l’extérieur du bureau où plus d’une employée ne devait avoir
aucun secret pour Bill Kurtz.
— Ta logique est parfois difficile à suivre, ma petite. Tu
veux les punir en prouvant qu’ils avaient raison ?
— Ne m’appelle plus comme cela ! Je ne suis plus une
enfant !
— Non. J’ai pu m’en apercevoir, en entrant dans le
camion, hier.
— Bon, Daniel, restons-en là.
Ce n’était pas dans ses intentions apparemment, car il
répondit :
— Qu’as-tu prévu pour le dîner ?
La question la prit au dépourvu.
— Je ne sais pas. Quelque chose de simple.
— Accepterais-tu ma compagnie ?
Pas question d’un tête-à-tête dans la maison que je
loue.
— J’avais envie d’essayer l’un des restaurants du coin, dit-
elle.
elle.
— L’Oryctérope, par exemple ?
— Le mammifère, ou l’endroit du même nom ?
— C’est un restaurant de la région. Ils ont d’excellentes
moules au chili.
Mon Dieu, se souvenait-il du moindre de ses goûts ?
— D’accord.
Sans même la toucher, Daniel l’avait complètement prise
sous son charme, fascinée. Elle scruta son visage, attendant
ses prochaines paroles.
— Monsieur Arnot ? interrompit une voix venue du bureau
voisin.
— Oui, Grace ?
— M. Kurtz appelle sur la ligne un, il dit que c’est urgent.
Soudain, toute expression de douceur quitta le visage de
Daniel. Il raccompagna Ava à la porte.
— Après tout, nous devons tous les deux dîner, autant le
faire ensemble, dit-il.
Son ton était resté impersonnel.
Persuadée d’avoir imaginé leur moment de complicité, elle
sortit.
Daniel jura et rentra dans son bureau vide. Malgré le luxe
de cette pièce, il ne s’y sentait pas à l’aise.
— Ligne un, monsieur Arnot.
— Ligne un, monsieur Arnot.
Il prit le téléphone.
— Comment notre nouveau talent s’en est-il sorti, cette
semaine ? demanda Bill Kurtz sans s’encombrer de
préambules.
Evidemment, lui aussi avait déjà vu les images.
— Bien. Il reste quelques détails à mettre au point mais rien
d’insurmontable.
— Mieux que bien, dirais-je. Elle est adorable, c’est
vraiment l’accessoire parfait pour Maddox.
— Elle est plus qu’un « accessoire », Bill. Sans elle, il n’y
aurait pas…
— Bien sûr, bien sûr…
Que veux-tu exactement ?
— Elle n’était pas habillée comme nous l’avions souhaité,
cependant…
Ah bon, quelle surprise !
— Cependant, l’impression d’ensemble était bonne :
fraîche, innocente. Tu as bien arrangé cela. Le spectateur va
être content, et, par conséquent…
Kurtz sera content. Il savait ce que cela impliquait pour
lui.
— Y a-t-il autre chose, Bill ?
— Une…
Nous y voilà…
— A propos de Maddox : j’aime bien ce qui passe entre
ces deux-là, ils sont faits pour travailler ensemble. Je veux que
tu exploites cela, Daniel.
— Comment cela ?
— Je ne sais pas. Fais en sorte qu’ils paraissent plus liés,
peut-être quelque chose de sexuel. Tu es payé pour mettre au
point ce genre de choses.
— « Quelque chose de sexuel » ?
— Les spectateurs aiment cela. Ils aiment se demander…
— Pas dans ce style d’émission, Bill.
Il eut l’impression que le combiné se glaçait dans sa main.
— Ce n’est pas négociable, Daniel. Je veux voir des
étincelles voler entre eux. Tu es réputé pour faire preuve
d’audace alors prouve-le, prouve-moi que ton choix était le
bon.
Quel choix ? C’étaient eux qui lui avaient imposé cela…
Mais il connaissait assez bien Bill pour savoir que, s’il
l’affrontait de face, il ne céderait pas. Daniel n’avait rien d’un
lâche mais était terriblement conscient que son emploi n’était
pas le seul en jeu. Il y en avait quarante autres, quarante et un
en comptant celui d’Ava, et il allait falloir en passer par ce que
Bill voulait. Cette fois.
— Je vais voir ce que je peux faire, Bill. Il faudra introduire
cela en douceur, sinon les spectateurs n’y croiront pas.
N’espère pas un mariage princier.
— Non, bien sûr, répondit Bill avec un manque de sincérité
flagrant. Agis simplement au mieux des intérêts du réseau. Je
sais ce que cela représente pour toi.
Il raccrocha. Bien sûr que Bill connaissait l’importance que
Daniel attachait à sa carrière et à quel point il avait travaillé
dur depuis six ans pour réussir comme producteur. Quelques
succès de plus et il serait le plus jeune producteur exécutif de
la télévision australienne. Cette ambition le rendait vulnérable
et permettait à Bill d’avoir prise sur lui.
« Quelque chose de sexuel »… Inutile de dire qu’Ava allait
ruer dans les brancards et clamerait au réseau tout entier ce
qu’elle en pensait.
Il passa sa veste de costume sur sa chemise Hugo Boss, ce
qui lui rappela le moment où il avait passé son autre chemise
sur les épaules d’Ava. Il frémit.
Kurtz avait eu raison sur un point : entre Ava et Maddox,
les rapports semblaient aisés, fluides, alors qu’à son grand
regret elle ne semblait guère éprouver de plaisir à être en sa
présence.
Il réfléchit. Il pouvait augmenter le nombre de scènes qu’ils
passaient ensemble, arranger le montage et laisser tout cela
évoluer… naturellement.
Ainsi, il respecterait la parole donnée à Ava et pourrait
également satisfaire le réseau de télédiffusion. C’était simple.
Oui, très simple.
Oui, très simple.

***
— Les moules étaient vraiment délicieuses.
— Je te l’avais dit.
— Heureusement que j’ai le trajet de retour pour digérer,
dit Ava, repue. D’autant plus que je travaille demain.
Daniel se leva pour tirer sa chaise. Par chance, son humeur
s’était améliorée lorsqu’il était arrivé au restaurant. Elle
n’aurait pas supporté plus longtemps qu’il reste maussade.
— C’est moi qui invite, dit-il en sortant sa carte de crédit.
— Ce n’est pas nécessaire…
— Ce sont des frais professionnels, le réseau peut bien
nous offrir cela.
Elle rit et laissa AusOne régler la note.
Ils sortirent. Ava se trompait-elle ou lui lançait-il des
regards un peu inquiets, comme s’il avait quelque chose de
gênant à lui demander ? Chaque fois qu’elle s’était tournée
vers lui, l’interrogeant des yeux, il s’était borné à parler du
bon vieux temps, de Steve, de son père.
Et même de la mère d’Ava, qu’il avait pleurée lors de sa
disparition comme si c’était la sienne. Cela avait presque été
le cas : c’était elle qui avait convaincu le père d’accueillir le
garçon chez eux.
garçon chez eux.
Daniel la conduisit sur le trottoir au bord de l’eau où toutes
les lumières du port se reflétaient.
— En ce temps-là, expliqua-t-il, les vendredis soir étaient
le meilleur moment de la semaine. Le savais-tu ?
— Tu étais toujours là, ce jour-là.
— Le dîner du vendredi soir chez les Lange était vraiment
quelque chose que j’attendais avec impatience. Je pouvais
même jouer au grand frère pendant un soir.
Ava rougit. Peu à peu, ils avaient cessé d’être des enfants
et elle s’était mise à le voir autrement.
— Est-ce que tu as regretté le surf ?
Elle ne s’était jamais pardonné de l’avoir attaqué sur ce
point, cette nuit-là, de l’avoir rabaissé parce qu’il n’avait pas
pu intégrer le circuit professionnel. Il était pourtant un excellent
surfeur, et c’était l’une des raisons pour lesquelles elle avait
été folle de lui.
— Non. Je devais de toute façon abandonner le surf pour
aller à l’université. Si je n’avais pas fait mes études de
commerce, je ne serais jamais arrivé là où j’en suis. Nous
devons tous grandir.
Et suivre des chemins qui se séparent.
Il était devenu un homme bien différent de l’adolescent
qu’elle avait connu. Avait-elle changé autant que lui ?
— Tu t’es bien débrouillé. Cela en valait-il la peine ?
— J’aime à penser que oui.
— On dit que tu as un grand avenir dans la télévision…
— C’est qui, « on » ? Tu fréquentes les charpentiers et les
électriciens, maintenant ?
Le regard de Daniel était plein de chaleur et le cœur d’Ava
bondit.
— Pas seulement. Je ne suis pas sourde et Brant connaît
bien le monde de la télévision.
Il était agréable de pouvoir parler ainsi, de retrouver le vrai
Daniel.
— Je n’ai pas envie de parler de Maddox.
— Tu ne l’aimes pas ?
— Je n’ai pas dit cela. Il est très bon dans ce qu’il fait,
mais…
— Mais…
— Mais je n’ai pas envie de parler de lui. Pas ce soir.
Ce soir ?
Ce mot rappela soudain à Ava qu’ils étaient avant tout un
homme et une femme, passant ensemble une agréable soirée,
près du port de Sydney.
Ils pouvaient presque en oublier ce qui les séparait.
Le clair de lune accentuait les traits de Daniel, mettant en
valeur cette virilité qu’elle avait toujours appréciée chez lui.
Son corps frissonna. C’était un signal d’alarme, il était
temps de changer de sujet.
— Est-ce que tu t’es réconcilié avec ton père ?
— Mieux vaut parler d’un autre sujet.
— Je vois que certaines choses ne changent jamais.
— Alors que d’autres évoluent du tout au tout. Comment
puis-je être là ce soir, en train d’admirer la femme qui était
hier la petite fille avec qui je jouais ?
Il posa la main sur son épaule.
Ce n’était sûrement pas une bonne idée mais son esprit
semblait bizarrement figé, incapable de lui fournir la moindre
objection à ce qui lui arrivait.
C’était Daniel, toujours aussi beau, il était sur le point de
l’embrasser et elle désirait cela du fond de son cœur.
A quel point était-elle donc masochiste ?
« Nous ne serons jamais ensemble, Ava. » Cette phrase
résonna dans sa mémoire comme une mise en garde.
— Oh, Ava. Je suis désolé. Tu mérites bien mieux que ce
que j’ai envie de faire.
Un téléphone sonna mais elle n’y prêta pas la moindre
attention.
« Nous ne serons jamais ensemble, Ava. » Cette
réminiscence lui criait que s’éloigner était la seule conduite
sensée, mais elle était incapable de faire un pas.
Elle plongea son regard dans le sien.
Le téléphone sonna de nouveau. Son téléphone, dans la
maison qu’elle louait mais elle fit comme si elle n’avait rien
entendu. Les yeux de Daniel scrutaient les siens tandis que ses
mains se levaient pour se poser sur ses joues.
Pour l’amour de Dieu, embrasse-moi !
Le téléphone retentit une troisième fois.
La bouche de Daniel était à quelques centimètres de la
sienne et l’attente interminable lui avait coupé la respiration.
Elle serra les poings dans les poches de sa veste.
Et… doucement… leurs bouches se touchèrent.
Tout le désir accumulé pendant neuf années d’attente
s’exprima en cet instant. Au premier contact des lèvres de
Daniel, Ava fut parcourue d’un frémissement et recula
légèrement. Arrêtée par un rocher qui se trouvait derrière elle,
elle ne pouvait plus aller que dans une seule direction : vers lui.
Elle se blottit contre lui, répondant avidement à son baiser.
— Ava…
Lui offrir sa bouche parut à Ava la chose la plus naturelle
du monde. Elle sentit la langue de Daniel jouer avec la sienne,
explorer sa bouche en un long glissement de pur plaisir, et fut
certaine en cet instant qu’elle ne connaîtrait jamais plus un
baiser aussi intense que celui-ci.
Ses jambes flageolaient mais quelle importance ? Elle était
entre les bras solides de Daniel.
Elle y serait bien demeurée à jamais.
Daniel leva la tête, le souffle court.
— Dis-moi d’arrêter.
Mettre fin à quelque chose d’aussi merveilleux ?
« Nous ne serons jamais ensemble »…
Silence ! ordonna-t-elle à la petite voix.
Il n’y aurait plus d’autre chance, elle pouvait déjà s’estimer
heureuse que son rêve se réalise. Un coup d’œil vers la porte
et sa décision fut prise.
— Non, n’arrête pas.
A ce moment, le répondeur d’Ava se mit finalement en
marche et la voix de son père retentit :
— Bonsoir, c’est moi. Tu me manques…
Daniel s’immobilisa.
— … Steve et moi avons nettoyé le garage et trouvé une
pile d’affaires qui t’appartiennent. Tu y tiens encore ? Il y a
ton vieux vélo bleu…
Daniel respira profondément et, sur son visage, la passion
céda la place à une expression désolée.
Non, non, non… Elle avait essayé de l’attirer vers la
chambre à coucher et échoué lamentablement. Il enleva le
bras qu’il avait passé autour d’elle.
— …En tout cas, tu peux m’appeler quand tu veux. A
bientôt.
bientôt.
Il y eut un bip, puis le silence.
Elle lui prit les mains, l’attira vers elle…
Jusqu’à ce moment, Ava avait pensé qu’il y avait quelque
chose à sauver, que ses chances n’étaient pas complètement
anéanties.
Il leva des yeux qui trahissaient son conflit intérieur, et tout
devint clair.
Daniel Arnot allait la rejeter… de nouveau.
6.
Insoutenable…
C’était le seul mot qui convenait. Qu’est-ce qui avait été
pire : le moment où il avait refusé de la regarder en face ? ou
celui où il l’avait fait pour qu’elle puisse lire dans ses yeux… ?
Beau travail, Ava. Tu as failli coucher avec l’homme
qui t’a brisé le cœur. Ton employeur. S’il n’y avait pas eu
l’appel de ton père…
Pourtant, ce n’était pas du tout son genre !
Que penserait-elle d’elle-même, aujourd’hui, si le téléphone
n’avait pas sonné ?
— Ava ? demanda Brant, la tirant de ses pensées. Voulez-
vous répéter le dialogue pendant qu’ils changent le décor ?
Brant ne connaissait rien aux plantes, même s’il apprenait
vite et, par conséquent, déviait rarement des textes qu’on lui
fournissait.
Il lui tendit plusieurs pages.
— Ce sont les nouveaux dialogues.
— Ils les ont refaits ?
— En fait, ils ont simplement ajouté quelques répliques.
— Pourquoi ?
— Ce sont les ordres de notre aimable producteur. Nous
répétons cela ?
— Bien sûr. Allons dans l’escalier, ce sera plus tranquille.
Ils étaient sur le toit d’un immeuble de huit étages, dans le
quartier des affaires de Sydney. L’endroit fourmillait de
personnel, rassemblant tous les corps de métiers
nécessaires lors d’un tournage.
Ava avait conçu ce jardin en terrasse plusieurs mois
auparavant, alors qu’elle travaillait à la réhabilitation des
immeubles de ce quartier. Le mot « réhabilitation » n’était pas
trop fort : ces énormes masses de béton avaient bien besoin
qu’on leur apporte un peu de nature, qu’on leur donne une
âme. Elle s’était donc attelée à la tâche, faisant disparaître la
laideur de ces lieux sous des espèces indigènes de la flore
australienne.
Pendant toute la journée, ils avaient œuvré sous les regards
des curieux aux fenêtres des bâtiments voisins qui dominaient
le leur. Qu’est-ce qui suscitait le plus l’intérêt ? La
transformation de cet espace, l’arrivée de l’équipe de la
télévision, ou simplement Brant Maddox ?
— Faites attention de ne pas salir votre pantalon, dit Ava.
— Oui, cet escalier est vraiment sale. Carrie ne me
pardonnera jamais si je lui ramène un autre pantalon bon à
jeter.
— Vous êtes vraiment un enfant gâté, Maddox.
Il lui donna un bon coup sur la tête avec ses feuilles de
Il lui donna un bon coup sur la tête avec ses feuilles de
dialogue et cela la fit rire. Comment ne pas aimer cet homme ?
— Allons plutôt dans mon bureau mobile. Nous y serons
très bien.
Brant passa un bras autour de ses épaules.
— Merci, Ava. J’ai une dette envers vous.
— A rembourser par une invitation à dîner ?
Ils se retournèrent au son de cette voix.
— Daniel !
Ava se sentit aussitôt sur la défensive.
— Nous allions répéter les nouveaux dialogues. C’est toi
qui les as écrits, non ?
— Je voulais vous voir passer plus de temps ensemble,
mieux faire connaissance.
Il se tourna vers Brant et ajouta :
— Mais ce n’était peut-être pas nécessaire ?
— Il me semble que nous formons une bonne équipe, tous
les deux, commenta Brant avec un sourire. Vous ne croyez
pas, Ava ?
Pour la première fois depuis son arrivée à Sydney, elle ne
sut pas comment réagir et eut l’impression de perdre pied.
Comment Daniel pouvait-il passer si vite, si facilement, d’une
humeur agréable à une telle expression de mécontentement ?
Etait-ce ainsi que l’on traitait les gens dans ce monde de la
télévision ? Eh bien, elle n’était pas faite pour cela. Mais il
télévision ? Eh bien, elle n’était pas faite pour cela. Mais il
n’était pas question de le montrer, il valait mieux prendre
modèle sur Brant et rester imperturbable.
— Absolument.
Sans un coup d’œil en arrière, elle se dirigea vers la porte
de l’ascenseur afin de gagner « sa voiture », le seul endroit où
elle était sûre que Daniel ne la suivrait pas. Il n’y était plus
entré depuis le jour où il l’avait fait découvrir à Ava.
Mais en s’éloignant de lui, elle ne put s’empêcher de sentir
son regard peser sur elle, aussi menaçant qu’un ciel d’orage.
La veille, le travail avait été dur mais productif. Ils avaient
d’abord filmé la terrasse nue avec son sol de béton, puis la
construction de tout un échiquier de planchers et de conduites
cachées, pour l’eau des futurs arrosages.
C’était déjà une tâche importante mais, pour l’équipe de
production, le plus dur commençait maintenant.
Daniel parcourut la terrasse pour superviser l’ensemble.
C’était agréable de travailler en extérieur, depuis combien de
temps cela ne lui était-il pas arrivé ?
La porte de l’ascenseur s’ouvrit, laissant sortir Brant et Ava
qui semblaient tout à fait détendus pour le début de leur
journée de tournage. Cependant, dès qu’Ava aperçut Daniel,
son sourire disparut.
Il avait fait exactement ce qu’il avait promis à James Lange
de ne jamais faire : il avait blessé Ava, et cela par deux fois.
Pour couronner le tout, il la jetait maintenant dans les bras
Pour couronner le tout, il la jetait maintenant dans les bras
d’un coureur de jupons, un des pires hommes pour elle. Enfin,
après lui…
Il observa sombrement la manière dont Brant souriait à Ava
tandis qu’ils se faisaient servir une tasse de café.
Ce n’est qu’une question de temps…
Il se dirigea vers elle.
— Ava, puis-je te parler une minute ?
Sans un mot, elle posa sa tasse et se tourna vers lui. Bon, il
méritait sans doute cette attitude glaciale. Il la mena loin des
oreilles indiscrètes.
— A propos de Maddox et toi…
L’expression d’Ava se fit attentive, mêlée d’impatience.
Daniel eut soudain l’impression d’avoir de nouveau huit ans et
d’être en face de son père, qui avait un don certain pour vous
faire vous sentir complètement stupide. Encore que, dans ce
domaine, Daniel s’en sorte très bien tout seul.
— Vous… êtes très bien assortis.
— Oui. C’est bien pour cela que tu as réécrit les
dialogues ? Pour que nous fassions « mieux connaissance » ?
— A l’écran, Ava, pas en dehors.
Elle réfléchit rapidement.
— En dehors du travail, il n’y a rien entre Brant et moi. De
quoi m’accuses-tu ?
— De rien. Je ne veux pas que d’éventuels problèmes
— De rien. Je ne veux pas que d’éventuels problèmes
personnels puissent affecter le tournage.
Quel hypocrite tu fais, Daniel Arnot.
— Brant n’est pas l’homme que tu crois.
— Je le connais très bien. Il n’est pas le genre qu’il te faut.
— Oh ? Et quel genre d’homme me faut-il ?
— Quelqu’un qui représente autre chose que des
apparences et ait un peu de cervelle.
— Un peu seulement ? Tu me flattes.
Elle lui décocha un regard méprisant et tourna les talons.
— Non ! s’écria-t-il en tendant la main pour la forcer à se
retourner vers lui. Ne me regarde pas comme cela.
— Comment est-ce que je te regarde ?
— Comme si je t’avais embrassée de force. Toi aussi, tu le
voulais
— Je croyais que tu voulais faire comme si cela n’était
jamais arrivé.
— Mais c’est arrivé, et je suis sûr que nous l’avons désiré
tous les deux.
— Sans jamais en parler, apparemment.
— Parler de quoi ? C’était une erreur.
— Vraiment ?
— Tu es la petite sœur de Steve et aussi le clou de mon
émission. De plus, nous avons vécu une partie de notre
enfance ensemble, une relation entre nous n’aurait pas été
convenable.
— Convenable ? C’est une manière diplomatique de
décrire les choses.
— Tu veux que je parle de nouveau d’erreur ?
Elle rougit, mais de colère cette fois.
— Le genre d’homme qui me convient ne vous regarde
pas, monsieur Daniel Arnot, pas plus que ma relation avec
Brant. AusOne a acheté mon visage et mes compétences, rien
de plus et, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’ai du travail
qui m’attend.
Sur ces mots, elle partit.
Eh bien, c’était réussi ! Il n’avait voulu que la mettre en
garde. En fait, il enrageait de les voir ensemble partager des
sourires, des plaisanteries, des moments d’intimité.
Ulcéré, il se dit qu’elle faisait tout à fait le jeu de ses
employeurs. Que faisait-elle de cette réputation
professionnelle qu’elle avait mise en avant pour refuser son
contrat ? Cela ne l’empêchait pas de se laisser entraîner dans
une relation de complicité avec un individu aussi méprisable
que Maddox, complicité qui susciterait bien des questions.
Décidément, avec Ava, rien n’était jamais facile.
En dépit de ce qui s’était passé il y a trois jours, Ava n’était
pas du genre à céder facilement. Dan le savait très bien, elle
ne coucherait pas avec Maddox.
Du moins, pas tout de suite.
Mais après ? Lorsqu’elle le connaîtrait depuis quelque
temps ? Se laisserait-elle éblouir par cet individu si prompt à
séduire les femmes et encore plus à les abandonner ? Rien
qu’à l’idée de la main de Brant sur la hanche d’Ava, il avait
envie d’exploser.
Le comble : c’était lui qui avait poussé Ava vers Maddox
d’une main, tentant de la retenir de l’autre ! Il venait de courir
le risque de perdre son emploi en la mettant en garde, mais il
avait sous-estimé sa ténacité, et peut-être aussi l’habileté de
Maddox.
Quelle que soit la raison, le résultat était là.
Maddox remportait la première manche.
7.
Il restait moins de dix minutes avant le moment crucial. La
première émission de la nouvelle saison était diffusée dans
toute l’Australie à 19 h 30. Ava se répétait qu’elle n’avait pas
besoin d’être excellente, juste raisonnablement bonne.
L’important était de garder une bonne image professionnelle,
pas de briller en tant que présentatrice.
Mais, en même temps, elle souhaitait que sa prestation soit
la meilleure possible, non seulement pour elle-même mais
aussi pour Daniel, pour que cette émission ait le succès qu’il
espérait. La colère l’envahissait encore lorsqu’elle songeait
qu’il avait osé mêler Brant à ce tissu de complications, mais
les sentiments qu’elle éprouvait toujours à son égard la
poussaient à désirer sa réussite.
Seulement les sentiments qui te restent du bon vieux
temps, Ava ?
Daniel entra dans le bar bondé, au rez-de-chaussée du
bâtiment d’AusOne, venant tout droit de son bureau à en
juger par son costume. Il parcourut la pièce des yeux, croisa
le regard d’Ava et se détourna aussitôt pour parler à plusieurs
cadres du réseau de télédiffusion.
Pourtant, c’est vers elle qu’il aurait dû venir d’abord. Mais
après leurs relations compliquées de ces derniers jours…
— Nerveuse ? demanda Carrie, resplendissante dans sa
robe et maquillée comme on pouvait s’y attendre d’une
professionnelle.
Elle donna un verre de jus d’orange à Ava, qui regretta
d’avoir mis une simple robe d’été et évité le maquillage.
— Cela fait drôle de se faire du souci pour cela.
— Tu verras, tout sera très bien.
— Au moins, dit Brant, qui venait de se glisser entre elles,
si je m’abats en flammes ce soir, ce sera entre deux très belles
femmes.
— Vous avez un beau costume, dit Carrie en riant.
— Et impeccable !
Deux minutes plus tard, Daniel prit place sous l’écran
géant.
— Dans soixante secondes, Nature urbaine va pénétrer
dans tous les foyers du pays. La série a plu aux échantillons
de spectateurs avec lesquels nous menons des tests. Ceux-ci
ne permettent pas toujours de prédire le succès avec
certitude, mais cette fois-ci, ce sera le cas. Nous avons fait
quelque chose de très bon… Pour tous ceux qui ont travaillé
si dur… à Nature urbaine !
Il leva son verre de bière, imité par toute l’assistance. Ava
croisa son regard alors qu’il portait son verre à ses lèvres et
ne put détourner son regard de sa bouche. Ce ne fut que
lorsque toute la salle fut plongée dans l’obscurité qu’elle put
en distraire son attention.
Elle retint son souffle. Après le générique, l’émission
proprement dite commença. Le visage de Brant rayonnait à
l’écran pendant que, d’une voix mélodieuse, il expliquait le
concept de la série Nature urbaine et présentait l’architecte
paysager, Ava Lange.
Ava vit son propre visage remplir l’écran. Elle était plus à
l’aise que dans son souvenir, l’équipe de montage avait su
éliminer les plus mauvais moments. Brant et elle fonctionnaient
bien ensemble : il était clair, dès le départ, qu’ils formaient
vraiment une équipe.
A son grand soulagement, le réseau avait fini par affecter le
nombre de personnes nécessaires au travail des décors. Elle
avait appris, par la bande, que Daniel avait âprement négocié
pour obtenir cela. Tant mieux, cela préserverait son image
professionnelle et personne ne pourrait sous-estimer le travail
qui avait été nécessaire pour créer ce jardin.
Six minutes plus tard, l’émission s’interrompait pour la
première pause publicitaire. Ava regarda autour d’elle et ne vit
que des sourires. Peu à peu, le silence fut remplacé par des
commentaires appréciatifs.
— C’est vraiment très bien, dit Brant. Tu projettes une
bonne image.
— Vous êtes excellents tous les deux, commenta Daniel.
Félicitations.
— Nous pouvons en dire autant de toi, répondit Brant.
Daniel s’assit à côté d’Ava, frôlant son corps du sien.
Son cœur s’accéléra. Elle eut soudain l’impression d’avoir
très chaud et essaya de ne pas penser aux endroits où il la
touchait. Sa cuisse. Sa hanche, son bras… Elle frémit.
Comment ne pas songer à ce soir où… Non, il ne fallait pas le
faire. Ne pas se rappeler ces bras puissants qui l’avaient
presque écrasée, ses mains posées sur son visage, le contact
de sa bouche…
— A quoi penses-tu ? lui demanda-t-il.
Il ne parlait pas seulement de l’émission, elle le voyait dans
son regard. Désirait-il autant qu’elle faire la paix ? Après ces
baisers merveilleux, pourquoi avait-il fallu qu’il y ait ces
disputes, ces journées de silence glacé ?
— Pour le moment, je suis très contente. Tout marche bien,
Daniel.
Son visage se détendit. Etait-il simplement content
d’entendre cela ou avait-il accepté son geste de paix ? En tout
cas, il était agréable de voir une telle chaleur dans ses yeux, si
froids ces derniers jours !
— Je ne t’ai pas vu beaucoup à la maison, reprit-elle. Où
étais-tu ?
Elle avait parlé bas. Rares étaient ceux qui savaient qu’ils
vivaient sous le même toit.
— J’ai travaillé tard cette semaine. Des bilans de fin
d’année, des analyses de marché.
Je voulais surtout t’éviter, aurait-il pu ajouter.
Comment avait-elle su qu’il n’était pas là ? Elle aussi avait
travaillé tard le soir dans le camping-car.
— Daniel, je…
Les lumières s’éteignirent et le silence revint subitement.
Après un long regard vers elle, il se leva et disparut, mais elle
sentait son corps frissonner à tous les endroits où il l’avait
touchée.
Ils avaient réussi et, à la fin du générique, toute la salle
éclata en applaudissements. L’émission était bonne, tout le
monde en était persuadé.
Les verres se remplirent et le bruit devint assourdissant :
c’était à celui qui parlerait le plus fort pour couvrir les voix des
autres. Ava fut prise dans l’excitation générale. Il était
agréable de recevoir tous ces compliments et elle les accepta
avec bonne grâce.
L’équipe de montage était l’autre grand vainqueur : son
travail avait largement contribué au rythme soutenu et à la
bonne atmosphère de cette émission. Elle avait donné à celle-
ci un style qui était bien différent des documentaires habituels.
Les chaînes concurrentes ne parviendraient jamais à faire aussi
bien !
Ava parcourut la salle des yeux. Au bar, Daniel ouvrait son
téléphone portable et parlait, un doigt sur l’autre oreille pour
ne pas entendre la cacophonie. Que pouvait-il bien dire ? Il
ouvrit de grands yeux et baissa la main qui portait le
téléphone, mais sans l’éteindre. Il demanda plusieurs fois le
silence, qui ne vint que difficilement, puis dit quelques mots à
son assistant et s’éloigna.
— Le chiffre préliminaire est de huit ! s’écria l’assistant.
Ce fut une explosion de commentaires enthousiastes. Brant
lui avait dit qu’un chiffre supérieur à six serait une bonne
nouvelle. Huit, c’était fantastique. Elle chercha Daniel des
yeux pour le féliciter, mais il était en train de sortir. Elle voulut
le rejoindre mais ne put traverser la salle assez vite, il était
déjà parti.

***
— Que dis-tu, Bill ?
— Ils ont eu autant de succès avec les téléspectateurs
qu’avec le groupe test. Il va falloir jouer à fond sur la relation
entre Brant et Ava. Rends-la plus personnelle.
— Personnelle ?
Ce mot sonnait comme une malédiction.
— Maddox a fait de mauvais choix dans sa carrière au
niveau de sa vie personnelle. Combien de fois le réseau a-t-il
dû payer le prix fort pour étouffer une rumeur… ! Ava
pourrait être la meilleure manière de rétablir sa réputation et
de faire oublier ses mauvais choix.
Mais je m’en moque, de Maddox !
Mais je m’en moque, de Maddox !
— Elle n’acceptera jamais.
— Persuade-la, n’hésite pas à lui mentir, s’il le faut. Je veux
que, dans une semaine, Maddox et elle forment un couple
dans l’esprit du public.
— Et si je refuse ?
Un silence pesant s’installa entre eux.
— Si tu n’obéis pas, je trouverai quelqu’un d’autre pour
s’en charger. Je te promets que Lange et Maddox seront le
prochain couple dont on parlera dans les journaux.
Daniel réfléchit. Il savait ce dont étaient capables Bill et
certains de ses sbires sans scrupules. Il ne pouvait pas laisser
Ava subir cela et allait devoir la convaincre lui-même.
Kurtz venait de déclarer la guerre.
La culpabilité l’envahit à l’idée de ce complot pas très
reluisant mais, à la pensée de ce que ces gens feraient à
Ava… Non, il ne pouvait pas permettre cela.
— Je m’en occupe.
— Très bien. Fais-moi savoir si je peux t’aider en quoi que
ce soit.
Dan jeta violemment son téléphone contre le miroir de
l’ascenseur. Certes, pour que cette émission marche, il fallait
qu’elle connaisse une certaine publicité et elle se baserait,
inévitablement, sur la personnalité des deux présentateurs.
Garder la maîtrise de toute la situation ne serait pas un
Garder la maîtrise de toute la situation ne serait pas un
mince problème et impliquerait de contrôler Ava. Ce ne serait
pas facile et, si elle découvrait tout cela, elle le détesterait, si
ce n’était pas déjà le cas, après qu’il l’eut laissée en plan
l’autre soir.
Jamais elle ne croirait qu’il avait fait cela pour la protéger.
A bien y réfléchir… Etait-il si différent de Maddox ? Son
propre père lui avait toujours dit qu’on ne pouvait lui faire
confiance, pas plus qu’à son infidèle de mère. Il revit le visage
d’Ava, plein de confiance. Allait-il la trahir ?
Pour que cette émission marche et qu’il garde son emploi
en tentant de ne pas faire souffrir Ava, il fallait qu’il considère
tout cela de manière complètement impersonnelle. Etre attiré
par elle était un luxe qu’il ne pouvait se permettre.

***
— Tu veux que je te ramène à la maison ?
La maison… Ce mot sonnait tellement bien dans la bouche
de Daniel.
Dans l’air frais de la nuit, celui-ci cherchait des yeux un taxi.
— Pourquoi ne pas prendre le ferry ? J’aimerais bien
marcher un peu.
Et avoir un peu de temps pour te parler… Dix minutes
pour aller jusqu’à Circular Quay, quinze pour traverser le port
et dix autres pour aller de la jetée de Neutral Bay à la maison :
cela suffirait pour ce qu’elle espérait lui dire.
Il était temps de chasser les démons et de poser quelques
limites.
Ils partirent dans les rues encore animées, éclairées par des
enseignes au néon. Il n’était pas encore 22 heures et la ville
était pleine de gens qui faisaient du shopping, allaient au
restaurant ou, simplement, rentraient chez eux après le travail.
— A quoi penses-tu, Ava ?
— Je me disais qu’à une telle heure je pourrais conduire un
char au milieu de la rue principale de Flynn’s Beach sans
rencontrer un chat.
— Ce sont deux mondes différents, chacun a ses
avantages.
En sortant de George Street, ils arrivèrent en vue du pont
du port de Sydney, magnifiquement illuminé, puis traversèrent
la foule pour s’approcher de Circular Quay où des ferries
verts faisaient la navette entre les deux rives du port.
— Il m’a fallu du temps pour m’habituer à Sydney,
expliqua Daniel. Le rythme de vie n’est pas le même que celui
des petites villes.
— Six mois, cela me paraît beaucoup et toi, tu es là depuis
six ans.
— On s’y fait.
— J’aurais cru que tu aurais choisi une propriété au bord
de la mer, pour pouvoir continuer à surfer.
— Non, je devais m’arrêter complètement. J’étais
incapable de ne le faire que comme une simple distraction,
c’était tout ou rien.
Il semblait si facilement abandonner complètement ce qu’il
aimait…
Le surf, elle…
Daniel posa la main dans son dos pour la guider de l’autre
côté du carrefour et la sensation de chaleur que cela lui
procura fut merveilleuse.
Ils arrivèrent au quai d’où partaient les ferries pour Neutral
Harbour et montèrent sur le premier bateau où ils accédèrent
au pont supérieur, qui était couvert. Elle s’installa pour le
trajet, essayant d’oublier les sensations que lui procurait
l’homme qui était près d’elle.
— Je suis un peu essoufflé. Personne ne marche jamais à
Sydney.
— Pourquoi es-tu venu ici ?
— Pour y trouver du travail.
— Il y en avait à Flynn’s Beach.
— Je n’aurais pas pu y mener la vie que je voulais. J’avais
besoin de devenir différent.
— Que reprochais-tu à l’ancien Daniel Arnot ?
— Rien, il est encore en moi mais il me fallait repartir de
zéro, là où on ne me connaissait pas.
— Alors tu as juste abandonné ton ancienne personnalité,
comme pour le surf ?
Comme tu m’as abandonnée, moi ?
— Il me fallait commencer dans un domaine entièrement
nouveau. Si je ne l’avais pas fait, je ne serais pas là où j’en
suis maintenant.
— Ce qui ne veut pas dire que tu ne serais arrivé à rien, tu
aurais juste connu une réussite différente. Pourquoi tenais-tu
tellement à percer dans ce domaine ?
— Pour la même raison qui te pousse à créer des jardins.
— Je suis devenue architecte paysagiste dans le but de
changer l’attitude des gens envers la nature. Qu’espères-tu
accomplir avec tes émissions ?
— Je veux être…
Il hésita, puis reprit en baissant la voix :
— Tout simplement, la réussite est importante pour moi.
— Je comprends cela, mais quand même… Pourquoi
déployer une telle énergie ?
— Parce que je veux être meilleur que lui.
Lui ? Ah oui… son père. Mitchell Arnot possédait une
petite chaîne de garages sur la côte sud et était l’un des plus
riches habitants de Flynn’s Beach.
— On peut dire sans trop de risque que tu l’as largement
dépassé, Daniel.
— Cela ne me suffit pas, je veux l’écraser complètement.
S’il n’y avait pas eu une telle souffrance dans ses yeux, Ava
aurait été effrayée de sa réponse. Elle s’était toujours
demandé ce qui avait pu séparer Dan de son père, ses parents
ne lui en avaient jamais parlé. Il y avait bien eu quelques
rumeurs : une mère hippie qui l’avait abandonné lorsqu’il était
petit, une relation difficile avec son père, mais rien n’expliquait
une telle rancœur.
— Qu’a-t-il bien pu te faire ? chuchota-t-elle, se souvenant
qu’ils étaient dans un lieu public.
— Cela ne te concerne pas.
— En as-tu jamais parlé avec quelqu’un ?
— Ton père. Il m’a aidé à modérer mon ressentiment.
— Cela explique pourquoi vous étiez si liés… Il te
manque ?
— Oui. J’ai tenté de rester en contact, du moins pendant
un certain temps, mais c’est devenu… difficile.
Elle se souvenait à quel point son père avait été inquiet
lorsqu’il était parti à Sydney sans donner de nouvelles.
— Il était trop difficile de décrocher le téléphone ?
— Ava, tu n’étais qu’une enfant, tu ne peux pas
comprendre.
— Quoi donc ?
— Que tout le monde n’a pas une enfance qui ressemble à
un conte de fées.
— Conte de fées ? J’ai vu ma mère mourir d’un cancer
alors que j’avais huit ans.
— Je sais, mais tu avais ton père et Steve. Je n’avais
personne.
Je n’ai personne. Etait-ce ce qu’il voulait dire ?
— Tu as choisi de partir. Personne ne t’a forcé à le faire.
Il eut visiblement envie de répondre quelque chose, mais
préféra se détourner et contempler l’eau du port.
Il était sans doute inutile de le presser de questions sur sa
famille. Cela n’avait jamais servi à rien et elle avait pris
l’habitude de l’accepter comme s’il faisait partie de la sienne.
Cétait toujours le cas, à ses yeux, même s’il l’avait blessée.
Ou embrassée.
Mais il refusait toujours de se confier à elle. Elle aurait
voulu lui parler de ce baiser, mais il lui paraissait soudain plus
éloigné que jamais, même s’il n’était qu’à quelques
centimètres.
Oh, et puis… Cela faisait neuf ans qu’elle attendait, elle
pouvait bien attendre un peu plus.
Le ferry approcha du quai. Une secousse brutale le jeta
contre la rangée de pneus placés là pour amortir les chocs et
Ava fut précipitée tout contre Daniel. Instinctivement, il passa
un bras autour d’elle pour la protéger.
En un éclair, toutes les images de cette soirée lui revinrent à
l’esprit, un flot de sensations, de souvenirs, de sentiments…
Le contact de son corps, de ses lèvres, leur chaleur… C’était
comme si la soirée en question n’avait existé que pour les
mener à cet instant.
Elle retint son souffle.
Mais Daniel semblait ne rien remarquer et parut davantage
intéressé par l’accostage du bateau que par la femme dans ses
bras.
Ils débarquèrent donc. Daniel tenait sa veste d’une main et
mit l’autre dans sa poche de pantalon. Aucun risque de
contact accidentel, ou intentionnel, songea Ava. Elle avait
soigneusement préparé ce qu’elle allait dire et il ne restait que
quelques minutes de trajet. C’était maintenant ou jamais.
— Daniel, à propos de l’autre soir…
Il demeura silencieux, fixant la rue devant lui.
— N’allons-nous donc jamais en parler ?
— Cela n’aurait jamais dû arriver, c’était vraiment
inconvenant.
— Parce que tu es mon employeur ?
— Et un ami de ton frère, de ton père, presque un frère
pour toi.
— Tu crois donc qu’ils ne seraient pas d’accord ?
— Moi, je ne suis pas d’accord. Une relation aussi
passionnée entre nous n’est pas une bonne idée.
passionnée entre nous n’est pas une bonne idée.
— Alors pourquoi ce baiser ? C’est toi qui as commencé,
Daniel.
— Mais tu ne t’entends pas ? On dirait une gamine. Ce
n’est pas vraiment une attitude qui peut m’attirer, à mon âge.
A n’importe quel âge, elle était bien placée pour le savoir.
— Tu n’es pas vraiment vieux, Daniel, et j’ai vingt-cinq
ans, je suis adulte.
— Physiquement, peut-être…
— Et aussi psychologiquement. Je ne suis plus la petite fille
d’autrefois. Si je suis capable de faire la différence entre le
Daniel d’alors et celui de maintenant, pourquoi n’en fais-tu
pas autant pour moi ?
— Tu veux que je dise la vérité, Ava ? Très bien. En effet,
tu as grandi, tu as un corps merveilleux et tu sais comment t’en
servir. Tu l’as utilisé avec moi, ce soir-là, et l’espace d’un
instant, je me suis dit : pourquoi pas ?
Ava ouvrit la bouche pour protester mais il continua,
déchaîné :
— Je n’ai jamais prétendu être un saint ! Je me suis laissé
emporter par l’excitation du moment, comme toi !
Heureusement que ton père t’a appelée, ou notre
conversation d’aujourd’hui serait bien différente !
Elle frémit de colère.
— Je ne me suis pas laissé emporter !
— Alors tu voulais que cela arrive ?
— Non !
— Donc, tu as cédé à ton impulsion. Abandonne donc ta
vertueuse indignation. Nous avons été curieux tous les deux et
nous nous sommes aventurés en terrain interdit. L’histoire
s’arrête là.
Il donnait vraiment à cela un côté… répugnant. Non, elle ne
se mettrait pas en colère. Elle se détourna.
— Tu espérais une deuxième fois ?
Elle se retourna pour lui faire face.
— Tu plaisantes ! ?
— N’était-ce pas à cela que tu voulais en venir ?
— Non !
— Alors où est le problème ? Tu te préparais à me dire
que cela n’arriverait plus et, pour ma part, je ne le souhaite
absolument pas. Nous sommes donc sur la même longueur
d’onde.
— Que t’est-il arrivé, Daniel ? Qu’est-il advenu du jeune
homme qui me rattrapait quand je tombais de ma planche de
surf, du garçon auquel ma mère a ouvert sa maison ?
De celui à qui j’ai donné mon cœur.
Il la regarda fixement, sans répondre.
— Je pensais l’avoir perdu ce jour-là sur la plage, quand tu
m’as brisé le cœur, et une deuxième fois dans ton bureau,
m’as brisé le cœur, et une deuxième fois dans ton bureau,
quand tu as brandi des arguments légaux pour me forcer à
céder. Mais quand tu m’as embrassée, j’ai retrouvé le jeune
homme dont je me souvenais, et je me suis demandé s’il
n’était pas caché derrière une carapace formée en six ans de
solitude. Mais mon Daniel n’aurait jamais parlé à personne
comme tu viens de le faire, en tout cas pas à celle qu’il avait
un jour qualifié d’« amie ».
— Ton Daniel ! C’est là le problème, Ava. Je n’ai jamais
été à toi et tu as toujours entretenu une image de moi
idéalisée. Il est temps de prendre conscience de la réalité !
— Ta réalité, pas la mienne. Très bien, je vais accomplir le
contrat de six mois auquel je me suis engagée parce que je
n’ai qu’une parole, comme mon père me l’a enseigné.
— Laisse-le en dehors de tout cela !
Elle recula puis reprit calmement pour qu’il entende bien
son message d’adieu :
— J’espère que tout cela en vaut la peine, Daniel : ton
succès, ta carrière, parce que je sais que mon père aurait eu
honte de voir l’homme que tu es devenu et que, moi aussi, j’ai
honte pour toi.
Elle tourna les talons et partit.
Lâche, lâche…
Daniel ne cessa de se maudire pendant tout le reste du
trajet, qu’il fit seul.
« Je n’ai jamais été à toi. » Un beau mensonge, elle s’était
complètement emparée de lui dès qu’elle était entrée dans le
bureau où il l’attendait avec les trois avocats.
Mais il n’avait pas eu le choix, il devait garder ses
distances.
Aussi difficile que ce soit… Toute sa force de volonté
n’avait pas été de trop, sur le ferry, pour rester impassible, du
moins en apparence, lorsqu’elle avait été projetée contre lui.
Mais il ne devait pas céder à la tentation. Cela faisait six
ans qu’il travaillait si dur ! Il ne pouvait pas tout perdre
maintenant !
Il n’était pas question de se relâcher, pas avant que son
père ne sache jusqu’où il était parvenu. Sans lui.
Mitchell Arnot avait été un père déplorable. Rendre
enceinte une hippie de passage est une chose, élever un enfant
en est une autre.
Sa mère avait disparu de sa vie avant qu’il ne sache
marcher. Quant à son père… il était très apprécié à Flynn’s
Beach mais son fils le détestait et ce sentiment était mutuel.
Daniel avait reçu bien plus d’amour et de compréhension chez
les Lange qu’auprès de ses parents biologiques.
Il devait montrer à Mitchell Arnot ce qu’était vraiment le
succès.
Une tâche lui restait à accomplir : il fallait créer l’illusion
d’une relation entre Ava et Brant mais ce n’était pas possible
tant que l’attention d’Ava serait fixée sur lui.
Tout son être lui criait pourtant que c’était bien là ce qu’il
Tout son être lui criait pourtant que c’était bien là ce qu’il
désirait ! Elle le hantait littéralement, jour et nuit.
Il fit une grimace. Il avait été volontairement brutal et avait
détruit leurs derniers restes d’amitié pour être libre de gérer la
situation.
A présent, elle le haïssait. Son visage ne l’avait que trop
montré lorsqu’elle s’était détournée de lui.
Il lui avait brisé le cœur et ce n’était pas la première fois.
Tu as honte de moi, Ava ? Mais j’éprouve encore bien
plus de honte moi-même…
8.
— Où sont-ils tous ?
Brant jeta un coup d’œil vers la porte du restaurant.
Ava regarda sa montre.
— Il est 7 h 30. Où sont-ils donc ?
Elle leva les yeux vers le nom du restaurant, peint sur le
mur : Scarpalo’s.
— Voici Daniel, dit simplement Brant, sans paraître
remarquer l’effet que ces mots avaient sur Ava.
Elle se força à ne pas se retourner.
— Maddox.
— Arnot.
Elle connaissait déjà suffisamment Brant pour percevoir le
léger sarcasme sous sa réponse à la salutation à peine polie de
Daniel.
Elle se tourna lentement vers le nouvel arrivant, mais il ne la
regardait pas et avait l’air de penser à autre chose.
Il partit discuter rapidement avec le maître d’hôtel, revint
avec une serveuse derrière lui et leur dit assez sèchement :
— Il faut que je retourne à ma voiture. J’ai oublié mon
téléphone portable. Installez-vous donc.
téléphone portable. Installez-vous donc.
Les yeux brillants de colère, il tourna les talons et Ava
soupira. Les hostilités avaient donc repris.
La serveuse les mena vers une table à côté de la fenêtre,
éclairée par une bougie. Une table pour deux.
— Pardon… ?
Brant semblait partager sa confusion mais n’en pensa pas
moins à tirer la chaise d’Ava.
La serveuse n’avait d’yeux que pour Brant mais Ava la tira
de sa contemplation.
— Excusez-moi, ne devrions-nous pas faire partie d’un
groupe plus important dans le cadre de la réservation faite par
AusOne ?
La serveuse parut stupéfaite un court instant avant de
reprendre son sourire habituel.
— Je vais vérifier.
Elle se dirigea vers le maître d’hôtel avec lequel elle eut une
conversation animée.
Brant adressa à Ava un sourire des plus séducteurs.
— On dirait que tu vas avoir le plaisir de ma compagnie
pour toi toute seule. Essaie de ne pas t’évanouir sous le coup
de l’émotion.
Ava rit et regarda par la fenêtre une voiture qui arrivait,
pleins phares allumés. Malgré l’éblouissement, il était possible
de distinguer Daniel en pleine discussion, mais avec qui ? La
conversation paraissait agitée.
Brant lui prit la main pour la baiser. Elle résista à l’envie de
la retirer : mieux valait éviter de tels gestes dans un lieu public.
Il serait toujours temps de mettre les choses au point par la
suite.
D’autant que Daniel pouvait sans doute les voir de là où il
était, mais s’en préoccuperait-il ?
— S’il te plaît, nous avons été ensemble presque toute la
journée. Le réseau n’exige tout de même pas une scène de
tête-à-tête ?
— Tu es vraiment excellente devant la caméra, Ava.
Personne ne te l’a dit ?
— Pas avec une telle sincérité. Merci, Brant.
La serveuse revint, le visage rayonnant.
— Il semble bien qu’il y ait eu une erreur. Vos places sont
à la grande table réservée, mais vous étiez attendus à
20 heures.
Sa voix exprimait de la confusion.
— Pourtant, on m’avait bien dit 19 h 30.
— A moi aussi, confirma Brant, très surpris, et notre
service de réservation ne commet jamais d’erreurs.
A ce moment, Daniel entra dans le restaurant, son portable
à la main. Il croisa aussitôt le regard d’Ava puis dirigea les
yeux vers sa main que Brant tenait encore et qu’elle
s’empressa de retirer.
s’empressa de retirer.
Ils suivirent la serveuse vers une table dressée pour plus
d’une douzaine de personnes.
— Eh bien, remarqua Brant, on dirait qu’ils peuvent quand
même se tromper.
Ava rougit légèrement.
— Je ne voudrais surtout pas interrompre votre
conversation, dit Daniel. Faites comme si je n’étais pas là.
Si seulement elle le pouvait !
— En fait, reprit Brant, j’expliquais à Ava à quel point elle
est excellente. Il semblerait qu’on lui ait fait croire le contraire.
Quelques félicitations ne seraient sans doute pas déplacées.
C’était la première fois qu’elle entendait Brant parler d’un
ton aussi dur et, levant les yeux, elle le vit fixer le visage de
Daniel. Il y avait visiblement de la tension dans l’air.
Daniel se tourna vers elle.
— Excuse-moi, Ava. Je n’avais pas perçu chez toi un tel
besoin d’encouragements.
Il était vraiment urgent de changer de sujet.
— J’étais simplement curieuse de savoir pourquoi on m’a
confié une scène à présenter seule.
— Cette décision n’a rien à voir avec tes capacités.
— C’est ce que tu dis, lança Brant.
— Oui, je le dis. Commandons nos boissons.
Ce qui se passait entre les deux hommes était vraiment
curieux. Cela ressemblait tout à fait à un affrontement. Ils se
fixèrent dans les yeux jusqu’à ce que l’un d’eux détourne le
regard, et ce fut Brant qui céda.
Il prit le menu et, retrouvant son charme habituel,
commanda une bouteille de vin parmi les plus chères.
L’atmosphère restait néanmoins lourde et Ava regarda sa
montre. 19 h 45.
Pourvu que les autres invités arrivent rapidement.

***
— J’abandonne, Bill !
Daniel jeta le journal du matin sur le bureau de Bill Kurtz
sans même se donner la peine de s’asseoir. Il n’allait pas
rester longtemps, de toute façon.
— Je ne peux pas le faire, cela ne cadre pas avec
l’émission.
Bill Kurtz eut un sourire supérieur et ne jeta même pas un
coup d’œil au journal. Il l’avait déjà lu.
« Prédatrice », voilà l’épithète qu’accordait l’article à Ava,
arguant qu’elle n’avait pas perdu de temps pour faire de Brant
sa proie. Il y avait même une photo compromettante : Ava
Lange et Brant Maddox en tête à tête, lors d’un dîner aux
chandelles !
chandelles !
— Cela peut marcher, Daniel. Il faut y croire. Nous venons
juste de lancer la rumeur.
Daniel fit un gros effort pour garder son calme. Savoir se
contrôler était l’une des rares choses que son père lui avait
apprises.
— L’émission peut marcher sans cela. Tu as vu les
premiers chiffres d’audience : ils sont éloquents. Nous n’avons
pas besoin de cela.
— Il faut toujours donner une impulsion supplémentaire en
toutes choses.
— C’est mon émission, mon concept, et nous allons le faire
à ma manière.
Kurtz le fusilla du regard.
— Il vaudrait mieux que tu évites de te tailler une
réputation, Daniel. Dans notre milieu, cela placerait un sérieux
obstacle sur ton chemin.
— Je suis de taille à le surmonter.
Qu’exprimait donc le mince sourire de Kurtz ? Il semblait
savourer ce moment avec un plaisir sadique, comme son père
savait si bien le faire. Combien de temps Kurtz avait-il attendu
cet instant ? Quelle déception cela avait dû être pour lui
chaque fois que Daniel avait accepté l’une de ses exigences
délirantes !
Tout ce temps, il avait attendu que Daniel finisse par
exploser, se délectant à l’avance du moment où cela se
exploser, se délectant à l’avance du moment où cela se
produirait.
Silencieux, il devait relire dans sa tête les clauses du contrat
de Daniel, cherchant la faille, la brèche par laquelle il pourrait
s’engouffrer mais il n’y en avait pas. Daniel avait bien vérifié.
— Je ne comprends pas, j’avais parfaitement expliqué mon
plan à ce photographe et il savait exactement ce que je
voulais !
— Depuis quand crois-tu que les paparazzi travaillent en
solitaire ? répliqua Kurtz.
Espèce de… Il y avait eu un second photographe ! Daniel
avait rencontré le premier avant de se débarrasser de lui et de
le voir partir en maugréant quelques remarques peu agréables,
mais Kurtz avait pris ses dispositions pour qu’il y en ait un
deuxième, caché.
— Mais dis-moi donc : où est ton intérêt de présenter Ava
comme une manipulatrice intéressée ? Je croyais que tu
voulais refaire une bonne réputation à Brant en le liant à une
innocente ?
Kurtz ne répondit rien.
— Tu te moques pas mal de la réputation qu’on lui prête,
comprit soudain Daniel. Tout ce qui compte, c’est qu’elle
apparaisse en deuxième page !
— Et tu devrais penser comme moi, Daniel. C’est une
excellente publicité et c’est là notre objectif principal.
— Il n’y a rien d’excellent là-dedans, c’est juste digne de la
— Il n’y a rien d’excellent là-dedans, c’est juste digne de la
presse de caniveau. As-tu oublié qu’Ava n’est pas seulement
la présentatrice de Nature urbaine, mais qu’elle est aussi la
spécialiste sur laquelle l’émission est basée ? J’ai besoin
qu’elle soit crédible !
Pour l’émission, et pour sa propre estime personnelle.
— C’est ton problème, Daniel, répliqua Kurtz avec
froideur. Tu sembles avoir oublié à qui tu dois être fidèle.
C’est AusOne qui t’a mis là où tu es aujourd’hui.
— Il ne paraîtra plus rien dans les journaux sur une relation
entre Ava Lange et Brant Maddox.
— Ce n’est pas à toi d’en décider. Tu ne veux pas diriger
cela toi-même, très bien. Nous avons des spécialistes pour
nous occuper de ce genre de chose, des gens qui travaillent
pour nous depuis bien plus de six ans.
Daniel posa les mains sur le bureau et ce fut d’une voix
glacée qu’il répondit :
— C’est mon émission et rien ne se passera sans mon
autorisation.
Kurtz le fusilla du regard et s’adossa à son fauteuil.
— J’ai un crédit d’un demi-million de dollars qui me dit
qu’il s’agit d’une émission du réseau, Daniel.
— Et tu me paies la moitié de cette somme pour qu’elle
soit la meilleure possible, ce qui ne sera pas le cas si l’on
discrédite le talent d’Ava.
— C’est une question d’opinion.
— C’est une question d’opinion.
Daniel réfléchit à ce qu’il allait dire, puis déclara lentement :
— Quel effet ferait ta photo en première page, avec le titre
« Comment AusOne exploite les femmes » ?
Kurtz se mit debout d’un bond.
— Pas de menaces ! Je ne te le conseille pas ! Ce réseau
t’a fait et nous te briserons si nécessaire !
Cet homme ressemblait vraiment à son père !
Mais Daniel ne broncha pas.
— J’ai été élevé à bonne école, Bill, vous m’avez formé à
votre image. Je ne plierai pas facilement.
Il se tourna vers la porte, avant d’ajouter :
— Je ne jouerai pas à ce jeu-là et je vérifierai chaque
image pour m’assurer que personne ne triche derrière mon
dos.
— Tu ne contrôleras pas ce que fait le réseau !
Daniel alla jusqu’à la porte et se força à se détendre. Il se
retourna vers son supérieur et le fixa sans ciller.
— Continue à faire ce que tu pourras trouver de pire, Bill.
Je suis prêt à affronter tout ce que tu me jetteras à la figure.
Il sortit et réfléchit à la manière dont il allait organiser ses
activités dans le mois qui venait. On ne peut pas agiter un
chiffon rouge devant un taureau et, ensuite, aller s’asseoir
confortablement à son bureau. Il allait falloir surveiller de très
près toutes les étapes de la réalisation de l’émission, faire en
près toutes les étapes de la réalisation de l’émission, faire en
sorte que Kurtz et ses sbires aient le moins possible de choses
à jeter en pâture à une certaine presse. Il devrait sans doute y
arriver : il avait assez de relations dans les services concernés
pour contrer toutes les idées catastrophiques que le
producteur exécutif ne manquerait pas de lancer.
Comment ne pas repenser à son père ? Pour lui non plus, il
n’était jamais assez bon, jamais comme il fallait. Abreuvé
d’insultes par cet ivrogne, il avait vécu une enfance solitaire,
malheureuse, abandonné psychologiquement par l’un de ses
parents après que l’autre l’eut abandonné tout court.
Pourtant, en public, son père donnait l’image d’un homme
très respectable. Une seule personne, à Flynn’s Beach, savait
quel monstre il était, une fois rentré chez lui : James Lange.
L’homme que Dan respectait par-dessus tout, celui avec
lequel il avait pu partager ses craintes et qui l’avait recueilli.
Et dont, à présent, il manipulait la fille.
Cette situation le plongeait dans une rage folle contre Kurtz,
contre son père mais, par-dessus tout, contre lui-même.
Il lui était impossible de confier quoi que ce soit à Ava. Si
elle découvrait son rôle dans tout cela, elle ne le lui
pardonnerait jamais.
Mais comment pourrait-elle le savoir ?

***
— Quelle idée épouvantable, murmura Brant à l’oreille
d’Ava. Si nous n’étions pas dans un lieu aussi agréable, je
serais consterné.
Cette fois, l’émission était filmée dans un magasin de
jardinage. Quel progrès par rapport à celle de la semaine
précédente, gâchée par la foule du centre commercial, ou à
celle d’avant, au sommet d’un immeuble en béton !
Aujourd’hui, Ava était vraiment dans son élément. Les
coudes dans la terre, elle montrait à une demi-douzaine de
clients comment replanter des boutures.
— Je vais te proposer un marché, dit-elle. A partir de
maintenant, tu fais tous les centres commerciaux et je fais tous
les magasins de jardinage. D’accord ?
— D’accord. Seulement, je doute que notre chef
d’orchestre nous laisse jouer chacun une partition
indépendante…
Ava dirigea son regard vers Daniel. Pourquoi fallait-il qu’il
soit sans cesse présent sur le plateau ? Lui faisait-il si peu
confiance ?
Pour qui la prenait-il ?
— Et puis, continua Brant, il ne faudrait surtout pas que
l’on nous voie l’un sans l’autre. Cela pourrait causer une
rupture du continuum spatio-temporel.
— Tu sais, un de ces jours, à force d’utiliser des termes de
science-fiction, tu vas passer pour quelqu’un de vraiment
science-fiction, tu vas passer pour quelqu’un de vraiment
intelligent.
— Surtout pas ! Ce serait la pire chose qui puisse
m’arriver !
Brant se leva, le visage rayonnant, pour demander à la
cantonade :
— A qui le tour pour un autographe ?
Brant Maddox avait vraiment le don étonnant de captiver
un public.
— Ne le regarde pas comme cela, murmura une voix
derrière elle. Tu vas encore fournir de la matière à la presse à
scandale.
Elle se retourna vers Daniel.
— Je n’ai pas besoin de leur fournir quoi que ce soit. Ils
savent fort bien fabriquer ce dont ils ont besoin.
Ava avait encore eu droit deux fois à l’attention des
journaux, depuis le triste épisode du restaurant. Les choses
n’étaient pas allées aussi loin que la première fois mais
comportaient quand même un contenu inventé de toutes
pièces et des photos soigneusement retouchées… Une photo
de plus était parue depuis, mais sans que l’on cherche à
envahir sa vie privée. Le réseau de télévision avait-il fait la
leçon aux journalistes ?
— Il n’y a pas de fumée sans feu, comme dirait toute cette
presse.
— A tort.
— A tort.
Cette attention constante de Daniel devenait insupportable.
En d’autres temps, elle aurait été ravie d’être au centre de ses
préoccupations, mais ce n’était plus le cas.
— Tu as l’air de penser que Brant et moi sommes
volontairement à la source de tout cela. Je n’espérais passer
dans la presse que pour qu’on y parle de mes talents, pas de
ma vie privée.
— Il te donnait un baiser dans un restaurant, Ava. Il n’y
avait pas trente-six interprétations possibles.
— Mais il n’embrassait que ma main, Daniel. Qui s’en
soucie ?
— Ce genre de presse est à l’affût de tout. Depuis ce
baiser, vous êtes une cible de choix des paparazzis. Il faut
vous montrer prudents.
Elle n’avait aucune envie d’une dispute, mais la discussion
en prenait manifestement le chemin.
— Que veux-tu dire par là ?
— Je pensais que ta réputation professionnelle avait de
l’importance, à tes yeux.
— Elle en a !
— Alors fais attention. Nous ne sommes plus à Flynn’s
Beach. Dans notre milieu, rien ne doit transparaître en public.
— Alors dans ce cas, pourquoi ne pas arrêter de nous
placer ensemble, Brant et moi, sous les caméras ? Cela
couperait court à tout cela !
— Il semble que tu aimes passer du temps en sa
compagnie.
— Oui. Il a une conversation très agréable et, au moins, il
me comprend.
— J’imagine qu’il a du charme.
— Je ne sais pas si toutes les femmes seraient d’accord,
mais je trouve que oui. De plus, il est agréable d’avoir un allié
sur ce champ de bataille.
— Depuis quand suis-je devenu l’ennemi ?
— Tu le sais très bien et c’est ton propre choix.
Combien de temps resta-t-il silencieux, avant de répondre :
— Alors je n’ai plus rien à perdre en te mettant en garde
contre une relation avec Maddox.
— Je n’ai pas de relation avec Maddox, Daniel !
— On serait tenté de le croire, en voyant les séquences
tournées.
— Oh s’il te plaît ! Comme si tu pouvais en juger ! J’ai été
amoureuse de toi pendant des années sans que tu en aies la
moindre idée !
Trop tard. Elle se rendit compte de ce qu’elle venait de
laisser échapper.
Il eut un sourire agaçant, et tellement séduisant.
— J’en avais une idée, Ava. Plus qu’une idée, en fait. Bien
— J’en avais une idée, Ava. Plus qu’une idée, en fait. Bien
avant cette nuit sur la plage. Quand il s’agit de toi, j’ai un
radar dans la tête.
Daniel croyait-il donc vraiment qu’après l’avoir embrassé,
elle allait tomber ensuite dans les bras de Brant ?
— Alors ton radar a grand besoin d’être recalibré.
Pour la première fois depuis longtemps, il éclata de rire.
L’image d’un foyer, tout de chaleur et de sécurité, surgit
inexplicablement dans l’esprit d’Ava.
Pas question qu’elle se laisse envahir par de tels sentiments.
Il avait été très clair sur ce sujet, il n’était pas intéressé et elle
non plus d’ailleurs, pas par un homme qui ne songeait qu’à sa
carrière. Il lui fallait quelqu’un de plus simple, qu’elle puisse au
moins comprendre.
Une pensée démoniaque la traversa. Après tout, pourquoi
pas ?
— Qui te donne le droit de me dire ce que je dois faire ?
Ce qui se passe entre Brant et moi ne te concerne absolument
pas !
— Cela ne regarde jamais que le pays tout entier !
— Eh bien, puisque je suis perdante des deux côtés, autant
y trouver du plaisir !
— Que veux-tu dire ?
Elle tourna les yeux vers Brant qui signait des autographes.
Ne le fais pas, Ava…
— Il est bel homme, nous nous entendons bien et je ne
connais pas grand monde à Sydney. Alors, pourquoi pas ?
— Ava…
— Nous passons déjà beaucoup de temps ensemble, grâce
à toi.
— Je viens de te mettre en garde…
— Justement. Ce n’est pas ton rôle de me mettre en garde
contre quoi que ce soit. Je suis une adulte. Après tout, c’est
une situation où nous sommes tous deux gagnants, Daniel. Tu
as ce que tu veux à l’écran et j’ai ce que je veux hors caméra.
Mais pas avec l’homme qu’elle voulait.
— Oui, jusqu’au moment où il te brisera le cœur. Un
homme comme lui ne va pas s’intéresser très longtemps à une
femme comme toi.
— Une femme comme moi ?
— Tu as trop d’innocence. Regarde les femmes qu’il a
fréquentées dans le passé. Des femmes du monde, élevées
dans le même milieu, séductrices…
Ces mots la blessèrent et ce fut d’une voix glaciale qu’elle
répondit :
— Au moins, tu me considères comme une femme !
Elle se retourna et marcha résolument vers Brant, qui
finissait de signer des autographes.
— Tu m’as dit que tu avais une dette envers moi, non ? Je
viens me faire payer !
viens me faire payer !
Elle l’embrassa.
Brant demeura impassible pendant qu’elle déposait sur sa
bouche le plus convaincant des baisers.
Toute l’assistance se déchaîna et Brant finit par lui rendre
son baiser avant d’ajouter :
— Je ne sais pas du tout ce que nous sommes en train de
faire… mais tu tiens certainement à ce que ce soit bien fait.
— Qu’on en parle demain dans tous les journaux !
Elle regarda dans la direction de Daniel.
Il était parti.
Voyant l’expression de son visage, Brant s’interposa entre
elle et les spectateurs de cette scène, pour pouvoir lui parler à
voix basse.
— Que se passe-t-il ? Tu pleures ?
— Non.
Elle s’essuya les yeux, et tourna le regard vers la porte
restée entrouverte.
— Non.
9.
Le visage sérieux, Brant entra dans le camping-car.
— Je suis vraiment désolé à l’avance pour ce qui va se
passer.
Ce fut le seul avertissement que reçut Ava avant de voir
quelqu’un se ruer littéralement dans le sanctuaire de son
bureau mobile. Brant referma la portière derrière la femme
tout habillée de noir qui s’arrêta à un mètre de l’endroit où
Ava était assise.
Elle tourna nerveusement les yeux vers cette femme
fortement maquillée. Visiblement très en colère, elle demeurait
cependant silencieuse.
Brant rompit finalement le silence.
— Ava, voici Cindy, ma…
— Sa compagne !
Ava se rendit compte immédiatement que cette femme était
plus furieuse contre Brant qu’à son égard.
Jeune et mince, elle avait les cheveux d’un roux sombre,
savamment en désordre, et portait un vieux T-shirt à l’effigie
d’un groupe de rock, une longue jupe noire, des bottes Doc
Martens et au moins une douzaine de piercings.
La compagne de Brant ? Cette femme ?
La compagne de Brant ? Cette femme ?
Mieux valait ne rien dire.
— C’est un plaisir de vous rencontrer, Cindy.
Ava remarqua ses mains, recouvertes de gants d’un rouge
aussi sombre que ses cheveux et décorés de dentelle. Ils
étaient vraiment uniques.
— Ils sont très beaux, dit Ava avec la plus grande sincérité.
— Elle les a dessinés elle-même, intervint Brant avec une
pointe de fierté.
— Vous êtes venue pour ce qui s’est passé hier ?
Cindy resta muette.
— Ce qui est arrivé hier était ma faute, Cindy. Brant n’y est
pour rien.
— Ce n’est pas ainsi qu’il le présente, répliqua Cindy, une
lueur accusatrice dans ses yeux bleus.
— Il avait une dette envers moi et il a prouvé ainsi ses
qualités d’acteur et d’ami.
L’expression des yeux de Cindy devint furieuse.
— Non, dit Ava en avançant un mouchoir. Vous allez
gâcher votre maquillage.
Cindy le prit et en plia un coin pour se le mettre sous son
œil.
— Vous plaisantez ? Il est hors de question que je
l’abîme !
Brant se détendit un peu mais restait sur ses gardes. Ava le
fusilla du regard : pourquoi avait-il fallu qu’il lui raconte cela ?
Il haussa les épaules.
— Je lui ai tout avoué.
— Il me dit toujours tout, intervint Cindy. Il est de son
intérêt d’être franc avec moi.
— Je suis désolée, je ne savais pas que Brant avait une
femme dans sa vie.
— Vous ne pouviez pas le savoir. Je suis comme Anne
Frank, je vis dans un grenier. C’est une image, bien sûr, en
fait, je préfère rester dans l’anonymat.
— Depuis quand êtes-vous ensemble ?
— Depuis le lycée.
Cela fait des années ?
— Mais toutes les autres…
Elle s’arrêta trop tard.
— Allez-y, dites-le. Vous croyez que je ne suis pas au
courant, pour les autres femmes ?
— Elles sont un rideau de fumée, expliqua Brant. Tant que
les journalistes se posent des questions sur elles, ils ne risquent
pas de découvrir Cindy.
Cela paraissait quand même difficile à croire.
— Il s’imagine qu’il me protège, continua Cindy, avec un
mélange de rage, de fierté et de frustration.
mélange de rage, de fierté et de frustration.
A l’évidence, les sentiments qu’ils avaient l’un pour l’autre
étaient très profonds.
— Mais il n’en avait jamais embrassé une autre, poursuivit
Cindy. Jusqu’à hier.
— Hum… C’était ma faute, Cindy. Je le jure. Je l’ai…
utilisé pour prouver quelque chose. En fait, je suis désolée.
Brant haussa les épaules : manifestement, être utilisé par
d’autres était devenu pour lui à tel point courant qu’il ne s’en
formalisait plus guère.
— Vous vouliez prendre votre revanche sur qui ? demanda
Cindy.
Ava rougit.
— Ce sont ses affaires, Cindy, dit Brant.
En dépit des apparences, il ne manquait pas d’autorité…
— Oui. Excusez-moi…, répondit Cindy.
Oh, et puis, à quoi bon le cacher ? Cet aveu serait une
manière de se faire pardonner.
— Daniel Arnot.
— Bulldozer ? Vraiment ?
— « Bulldozer » ?
— C’est comme cela que je l’appelle. Il bouscule tout sur
son passage.
Le surnom lui allait plutôt bien…
— En tout cas, reprit Ava, Brant se trouvait là, c’est tout.
— Et je suis sûre, contra Cindy, qu’il n’y a pas pris une
seule seconde de plaisir !
Un long silence suivit. Il était temps de changer de sujet.
— Alors vous êtes créatrice de mode ?
— Des vêtements punk, surtout.
Elle baissa les yeux vers la table de travail d’Ava.
— Je crois que concevoir est notre métier à toutes deux.
— Oui. Vous voulez voir ?
Ava expliqua à Cindy sa méthode de travail. Celle-ci hocha
la tête.
— Je regarde toutes vos émissions. J’aime bien ce que
vous faites et la manière dont vous le présentez, mais pas ce
qui se passe entre Brant et vous… Oh, je comprends bien,
c’est l’Audimat qui est roi et c’est pour cela qu’ils veulent
vous voir ensemble… Alors, je sais bien que rien de tout cela
n’est vrai, ma famille le sait, mes amis aussi, malgré cela il
m’est toujours difficile de voir les enregistrements.
Il devait être difficile de rester ainsi dans l’ombre, de se
résigner à cacher ses talents…
Brant devait lire dans ses pensées car il passa le bras
autour de Cindy.
Ils formaient un couple bizarre et pourtant ils semblaient
faits l’un pour l’autre. Brant était un homme complètement
différent en présence de la femme de sa vie.
Ava ressentit une pointe de jalousie ; elle aurait tant voulu
connaître un tel amour.
— Puis-je vous demander un service ? interrogea Cindy.
— Après ce qui s’est passé hier, je vous en dois bien
quelques-uns.
— Un seul suffira, mais un immense. Voulez-vous continuer
votre association avec Brant ? Je préfère le savoir en votre
compagnie plutôt qu’avec ces autres… femmes que le réseau
lui trouve.
Au ton de sa voix, on devinait qu’elle savait exactement à
quoi s’en tenir sur ces dernières.
— Bien sûr, Cindy. Jusqu’à ce que mon contrat expire.
— Merci, dit-elle avec soulagement.
Elle s’excusa ensuite de la manière dont elle avait fait
irruption, mais Ava lui garantit que ce n’était pas grave.
Tous deux la saluèrent et Ava les assura qu’elle serait ravie
de les inviter un jour pour dîner ou aller voir un film.
Malgré cette désastreuse entrée en matière, Cindy pouvait
peut-être devenir une amie… Ava en avait bien besoin d’une.
Avant de sortir, Brant lui lança un regard reconnaissant. Ce
ne devait pas être facile, pour chacun d’eux, de vivre en
faisant semblant d’ignorer l’existence de l’autre !
Cette femme aurait eu toutes les raisons d’abandonner, de
chercher une vie plus facile, de rompre et de tout
chercher une vie plus facile, de rompre et de tout
recommencer autrement, mais elle préférait se battre pour
garder l’homme qu’elle avait choisi.
C’était une leçon à retenir.

***
Quelque chose avait changé entre Ava et Maddox, mais
Daniel n’arrivait pas à le définir. Une chose était sûre : Ava
semblait plus à l’aise avec lui et c’était justement ce que
Daniel voulait éviter.
Il est trop tard pour empêcher quoi que ce soit , lui
murmura une petite voix sarcastique.
Il se mit à jurer, juste avant de voir Ava embrasser
Maddox, ce qui le rendit encore plus furieux.
Certes, il avait mal géré la situation ; c’était lui qui avait
quasiment poussé Ava dans les bras de cet homme. Il se
rappelait, à présent, mais un peu tard, qu’elle était capable de
faire n’importe quoi, même à contrecœur, dans le seul but de
contrarier quiconque osait lui dire ce qu’elle devait faire.
Et elle se disait adulte !
En secouant la tête, il prit l’ascenseur et se dirigea vers
l’espace où ils allaient travailler cette semaine : une terrasse à
mi-hauteur d’un building de trente étages. A vrai dire, quand
ils y étaient arrivés, cet endroit avait tout d’un cendrier à ciel
ouvert, submergé par les mégots des fumeurs des étages
supérieurs. Maintenant qu’il était nettoyé et partiellement
aménagé, il était devenu un lieu vert et tranquille, propice à la
réflexion.
Cela allait faire une très bonne émission.
Dès qu’il entra sur la terrasse, il aperçut Ava en train de
parler avec Shannon, l’une de ses assistantes. Il devina qu’elle
avait senti sa présence en la voyant se contracter.
Il traversa le plateau sans la quitter des yeux et s’avança
vers le premier assistant du metteur en scène, à qui il posa
quelques questions dont il n’écouta pas les réponses.
Ava cessa de parler avec Shannon et, tournant son regard
vers Maddox, lui adressa un sourire lumineux.
Daniel sentit monter sa tension.
A ce moment, la sonnerie de son téléphone portable
retentit, attirant l’attention de toute l’équipe, y compris Ava.
Avec un juron, il sortit l’appareil de sa poche.
Et subit un monologue de plus de Kurtz sur les indices
d’écoute.
— Je veux être le premier à t’annoncer la bonne nouvelle,
finit par dire celui-ci. Nature urbaine a été nominée pour un
prix de la Télévision australienne : meilleure série
documentaire. C’est la première fois qu’un programme est
nominé si tôt dans sa première saison.
— C’est la deuxième saison, ne l’oublie pas !
— Tout le monde a oublié la première saison, Daniel !
C’est de celle-ci que l’on parle ! Le duo Ava-Maddox
fonctionne merveilleusement bien ! Tout semble
merveilleusement bien parti, mais le réseau veut profiter de
cette chance au maximum !
— De quelle manière ?
— Il nous faut quelque chose de plus substantiel sur notre
duo, plus profond. Quelque chose qui se vende en librairie ou
puisse faire l’objet d’un reportage, du genre « une journée de
la vie de… »
Comment un homme à l’esprit aussi retors avait-il donc pu
se hisser aussi haut dans la hiérarchie d’AusOne ?
— Et tu veux que j’organise cela ?
— Absolument pas. Tu as eu ta chance et j’aurais cru que
tu la saisirais. Tant pis pour toi. Les ordres viennent de plus
haut.
Et la direction du réseau ne savait encore rien de ce baiser
qu’Ava avait donné à Maddox, en public ! L’espion de
service de Kurtz était absent au moment où cette scène s’était
déroulée. Cependant, un photographe de presse était présent
et la photo n’allait pas tarder à paraître.
Les directeurs du réseau de télévision allaient se frotter les
mains.
Ils seraient bien les seuls.
Logiquement, ils allaient vouloir donner une suite à ce
baiser, enchaîner sur une histoire plus sordide. Daniel
baiser, enchaîner sur une histoire plus sordide. Daniel
connaissait un certain nombre de journalistes prêts à jouer à
ce petit jeu et quelques-uns, rares, qui restaient honnêtes.
Une idée commença à se former dans son esprit.
Il pouvait essayer de mettre deux de ses amies journalistes
sur cette affaire. Tannon et Larks étaient deux bonnes
professionnelles, plutôt modérées, et travaillaient pour des
journaux rivaux. S’il parvenait à contrôler la situation, l’article
porterait peut-être sur les aspects du tournage plutôt que sur
la vie personnelle de la présentatrice.
Et du présentateur.
Daniel jura une fois de plus : même lui devenait incapable
de ne pas les associer lorsqu’il pensait à Ava !
Bon, en tout cas, il allait essayer d’empêcher cette escalade
qu’il voulait absolument éviter.
Il observa Ava et Maddox en train de discuter ensemble. Il
allait falloir leur donner des explications, passer du temps à
parler à chacun d’eux, ce qui attirerait à coup sûr l’attention
des journalistes. C’était bien la dernière chose dont il avait
besoin.
Qu’est-ce qui avait pu se passer entre eux ? Y penser le
rendait fou.
Cependant, dans un recoin de son esprit, il ne désirait pas
vraiment avoir la réponse.
***
— Tu parles sérieusement ?
Brant avait posé cette question à Daniel tout en serrant Ava
très fort contre lui, sous les yeux approbateurs de toute
l’équipe de tournage.
— Une nomination pour ce prix, si tôt dans la saison, c’est
du jamais-vu en Australie. Nous pouvons être fiers de ce
programme, c’est vraiment le résultat d’un travail d’équipe.
Ava tourna les yeux vers Daniel, se disant qu’il était bon de
le voir sourire de nouveau. Sa rencontre avec Cindy l’avait
aidée à mieux analyser la situation ; elle ne pouvait pas en
vouloir à Daniel de ne pas avoir de sentiments pour elle, de ne
pas lui laisser espérer qu’il la regarderait un jour comme Brant
regardait Cindy. Mais par où commencer pour retrouver une
relation normale avec lui ?
— Nous allons recevoir un journaliste sur le plateau,
continua Daniel. Avec cette nomination, les journaux seront
intéressés par un article sur notre émission. Ils vont vouloir
parler de sa conception, de la manière dont elle a commencé.
Ce n’était pas tout à fait vrai, mais cela le deviendrait s’il
arrivait à appliquer le plan qu’il avait imaginé.
— Félicitations, Daniel. Tu dois être content.
— Quand le réseau est content, je le suis aussi.
— Tu n’en as pas vraiment l’air.
— J’aurais préféré qu’on emploie la bonne vieille méthode
plutôt que de s’appuyer sur ce qui se passe entre Maddox et
toi. L’émission n’en avait pas besoin.
C’était bien ce que pensait Ava, mais elle avait fait une
promesse à Cindy…
— Peut-être que le public est sensible aux deux ?
— Vraiment ?
— Détends-toi un peu, Daniel !
— Tu ne parlais pas comme cela il y a une semaine. Tu
détestais la publicité !
— Je m’y suis habituée. Elle est nécessaire à l’émission, et
à toi également.
— Moi ?
— Je sais à quel point le succès compte pour toi, alors si
ma relation avec Brant peut t’y aider… pourquoi ne pas
l’utiliser ?
— Sois sérieuse ! Tu es en train de me dire que tu
n’attaches aucune importance au fait que ta photo va paraître
dans tous les journaux, accompagnée de rumeurs délirantes
sur ta relation avec Maddox ?
— Mais il n’y a pas de relation !
— Sur ce que tu as fait avec Maddox, alors !
— Mais je n’ai rien fait, Daniel…
— Non ? Un baiser, ce n’est rien ? Quand tu m’as
— Non ? Un baiser, ce n’est rien ? Quand tu m’as
embrassé, ce n’était rien ?
— Mais c’était différent !
— Pourquoi ? A cause d’un amour d’adolescence dont il
reste quelque chose ? Tu ne crois pas qu’il est temps d’en finir
avec cela, Ava ?
— Ne tourne pas en ridicule les sentiments que j’ai
eus pour toi !
Que j’ai encore !
Daniel soupira.
— Tu devrais être furieuse contre moi, Ava, je t’ai traitée
d’une manière épouvantable ; pourtant tu essaies de me
persuader que j’ai des raisons d’être fier. Pourquoi ?
Il ne lui était pas possible de répondre franchement, pas
maintenant.
— Parce que tu es mon ami, Daniel.
— Mais réagis donc, Ava ! Tu n’arriveras à rien dans le
milieu de la télévision en laissant les gens te manipuler comme
ils le veulent !
— C’est ce que tu ne comprends pas, Daniel : réussir à la
télévision ne m’intéresse absolument pas, et je ne laisse
personne me manipuler. Je me prête à une certaine publicité
parce qu’elle aide quelqu’un pour qui j’ai de l’affection, même
si je n’apprécie pas trop ce qu’il est devenu. Tu faisais partie
de la famille dans laquelle j’ai grandi et tu as occupé une place
importante dans ma vie. Si cela peut t’aider que l’on me voie
importante dans ma vie. Si cela peut t’aider que l’on me voie
en public avec Brant, et si cela ne blesse personne, alors
pourquoi pas ? Nous sommes amis depuis longtemps, Daniel.
As-tu oublié le sens de ce mot ?
Les yeux de Daniel exprimaient à la fois la douleur, la
confusion et la colère.
— Si tu as besoin de quelque chose et qu’il est en mon
pouvoir de te l’obtenir, je le ferai.
— Pourquoi, Ava ?
Parce que je t’aime, songea-t-elle amèrement.
— Parce que je suis ainsi, Daniel. Je ne ferai peut-être pas
une grande carrière à la télévision mais, au moins, je resterai
moi-même.
Elle ajouta, avant de retourner à son travail :
— Même si ce n’est pas ton cas.
10.
Depuis qu’elle s’était installée dans la maison attenante à la
sienne, Daniel avait été presque toujours absent et Ava avait
joui d’autant de tranquillité qu’elle pouvait le souhaiter. Aussi
fut-elle surprise lorsque l’on frappa à la porte.
Elle alla ouvrir : c’était son frère.
— As-tu perdu la tête ? clama Steve en brandissant un
magazine.
— Ne te laisse pas prendre aux apparences, Steve.
— Ah non ? Tu n’es pas en train d’embrasser voracement
Maddox ?
Elle soupira.
— Ce n’était qu’un baiser, cela ne veut rien dire.
— Un baiser devant cent personnes ? Et placardé ensuite
dans tous les kiosques à journaux du pays ?
— Bon, d’accord, ce n’était pas la meilleure idée de ma
vie.
— Avec Maddox, Ava ? Maddox ?
— Mais qu’est-ce que tout le monde a contre lui ? Il s’est
toujours bien comporté avec moi !
— Bien sûr, il veut uniquement coucher avec toi ! C’est
pour cela qu’il se montre sous un jour agréable !
— Non, ce n’est pas vrai, Steve.
— Donc, c’est toi qui as pris l’initiative de ce baiser ?
— Oh, mon Dieu ! Quand ce n’est pas Daniel, c’est toi !
Mais qu’avez-vous contre Maddox ?
— Tu me le demandes ? Il est toujours dans les journaux,
dans les articles les plus dégoûtants sur…
— Ce n’est que l’homme avec qui je travaille.
— Il a des vues sur toi.
Il n’y avait vraiment qu’une solution : changer de sujet.
— Comment va papa ? A-t-il vu cela ?
— Pour le moment, non, mais cela va forcément arriver. Il
y aura bien quelqu’un pour le lui montrer.
Elle aurait dû y penser ; peu importait que ce soit vrai ou
pas, l’effet sur son père serait le même : il serait consterné et
ne reconnaîtrait plus la fille qu’il avait élevée.
— Est-ce que tu peux lui expliquer ? implora-t-elle. Quand
tu rentreras cet après-midi ? Lui dire que ce n’est pas ce qu’il
croit ?
— Je ne rentre pas avant demain. J’ai un rendez-vous
prévu ce soir, avec Daniel.
Etait-il normal de ressentir une pointe de jalousie ? Daniel
avait-il raison, manquait-elle de maturité ?
— Demain, alors ? Tu pourras lui expliquer ?
— Demain, alors ? Tu pourras lui expliquer ?
— Quoi donc ? Que tu as embrassé un homme qui n’est
rien pour toi ?
Comment les choses étaient-elles devenues si
embrouillées ?
— Dis-lui… que je ne sais plus très bien où j’en suis. Six
mois, c’est long.
Après un moment d’hésitation, Steve passa un bras autour
d’elle. Qu’il était réconfortant de pouvoir se serrer contre lui !
— Les choses sont… compliquées. J’aurais dû me douter
qu’elles le seraient.
— Ces complications ont-elles quelque chose à voir avec
Daniel ? demanda-t-il, d’un ton faussement neutre.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— Allons, Ava… Je sais très bien ce que tu éprouves pour
lui.
Elle montra le magazine.
— Cette photo fait le tour du pays et tu t’inquiètes de
Daniel ?
— Cela pourra te surprendre, mais je te crois quand tu dis
que tu n’éprouves aucun sentiment pour Maddox.
Ava ressentit un profond soulagement.
— Vraiment ?
— Ce n’est pas ton comportement habituel. Quelque chose
t’a poussée à agir ainsi et cela doit avoir un rapport avec
t’a poussée à agir ainsi et cela doit avoir un rapport avec
Daniel. Tu as toujours agi de manière idiote lorsqu’il
apparaissait dans ta vie.
Ava respira profondément.
— Le problème, ce n’est pas Daniel, mentit-elle
effrontément. Je serai vraiment heureuse quand mon contrat
sera fini et que je pourrai redevenir moi-même.
— Alors ne laisse pas ces gens te faire changer. Il y a trop
de bonnes choses dans ta personnalité pour qu’elles
disparaissent.
— Oh, rassure-toi, cela ne se produira pas.
Ils continuèrent leur conversation pendant une bonne heure,
ce qui permit à Ava de renouer avec la vie de famille…
— Que faites-vous ce soir ? finit-elle par demander.
— Daniel a envie d’aller dans un club, avec des serveuses
vraiment superbes… Non, je plaisante. C’est juste une soirée
entre amis.
Entre hommes… Cela pouvait signifier beaucoup de
choses, peut-être même un night-club, après tout.

***
Il était minuit passé lorsque Ava revint de la soirée au
cinéma, qu’elle avait passée avec Cindy. Elle avait réussi à
oublier la catastrophe du mois précédent, pour se plonger
oublier la catastrophe du mois précédent, pour se plonger
dans les intrigues d’un film européen. Un bon moyen de
s’évader.
Lorsqu’elle rentra, son répondeur clignotait. Elle écouta le
premier message et se précipita vers la porte de Daniel.
Mon Dieu, faites qu’il soit là !
Jamais elle n’avait entendu son père parler ainsi, d’une voix
aussi désespérée.
Mais elle frappa en vain et elle se retournait pour rentrer
chez elle quand une lumière apparut.
— Ava ?
— Où est Steve ?
— Parti.
— Parti où ? s’écria-t-elle d’un ton paniqué.
— A Flynn’s Beach. Ton père lui a envoyé un SMS.
Le soulagement l’envahit.
— Oh, tant mieux. J’ai reçu cet appel…
Ses mains se mirent à trembler.
— Je ne sais pas exactement ce qui se passe, mais mon
père donnait l’impression qu’il y avait un problème grave et
urgent. Il ne parle jamais comme cela.
Son cœur battait la chamade. Etait-ce à cause de sa frayeur
ou parce qu’elle avait Daniel en face d’elle ?
Elle s’avisa alors qu’il ne portait qu’un short et que ses
Elle s’avisa alors qu’il ne portait qu’un short et que ses
cheveux étaient ébouriffés.
— Oh, tu étais en train de dormir !
— Pas vraiment.
Elle crut comprendre.
— Il y a quelqu’un chez toi. Je m’en vais…
Il posa la main sur son épaule.
— J’étais couché, seul, mais pas encore endormi. Détends-
toi, Ava. Tu n’as rien interrompu.
— Tu n’étais pas censé passer la soirée dans un club ?
— Ton frère a vraiment une imagination fertile ! Nous
sommes allés prendre une bière et, dès qu’il a reçu le message
de ton père, il est parti.
— Je me demande ce qui s’est passé.
— Un problème à propos de son meilleur étalon et d’une
altercation au sujet d’une clôture.
— Oh non ! Vasse… Steve aime beaucoup cette bête.
— Il a traité l’appel en urgence, visiblement. Je l’ai déposé
à sa voiture et il a filé aussitôt après t’avoir laissé un message
sur ton répondeur.
Elle rougit.
— Je n’ai pas pris le temps d’écouter s’il y avait un second
message.
Un silence s’ensuivit. Sa panique passée, Ava ressentit
soudain un peu d’embarras après une arrivée aussi théâtrale.
Et le au fait que Daniel était presque nu ne facilitait pas les
choses.
— Je suis désolée, je vais te laisser aller te recoucher.
Elle se retourna pour partir mais Daniel s’écria :
— Attends ! Je te dois des excuses.
Elle s’arrêta et retint son souffle.
— Ce que j’ai dit hier était inutile et brutal. Je suis désolé.
Il n’était pas dans sa nature de s’excuser facilement.
— Quoi donc, plus précisément ?
— Tout, mais plus spécialement à propos de ce qui se
passe entre Maddox et toi. Cela ne me regarde pas. J’étais
juste… préoccupé. Mais entre.
Elle alla s’asseoir dans la cuisine.
— J’espère que tu n’as rien contre le café instantané.
Comment aurait-il pu se souvenir de ses goûts en matière
de café ? Il ne lui en avait plus fait depuis presque dix ans !
Elle en but une tasse pendant que Daniel disparaissait dans
sa chambre. Il en revint peu après, vêtu d’un peignoir bleu
marine qui portait encore une étiquette au col. Ava tendit la
main pour l’enlever.
— Tu ne dois pas le porter souvent.
— Je n’ai pas l’habitude d’être habillé lorsqu’il y a une
femme chez moi.
femme chez moi.
Oui, je m’en doute, se dit-elle avec ironie. Encore un
détail qui lui rappelait qu’il appartenait à un autre monde où
elle n’avait pas sa place.
Mais elle ne voulait pas se mettre en colère contre lui : il
était son ami, même s’il avait parfois agi d’une manière qu’elle
n’appréciait pas. Ce n’était pas sa faute si elle ne parvenait
plus à penser clairement en sa présence et accumulait les
réactions stupides.
Comme embrasser Brant.
— Il n’y a rien entre Brant et moi. Je ne l’ai embrassé que
parce que tu m’as mise en colère.
— Cela ne me regarde pas.
Mon Dieu, qu’est-ce qui l’irritait le plus ? Son intérêt
agaçant pour tout ce qu’elle faisait ou le détachement qu’il
affichait à présent ?
— Tu me jugeais en te basant sur les spéculations des
journalistes de la presse à scandale. Je n’ai pas pu le
supporter.
— Et tu exprimes toujours ta colère d’une manière aussi…
charnelle ?
Ava rougit.
— La seule personne à qui je dois des explications est
Brant. C’est lui qui a été le plus affecté.
— Oui, c’était facile à voir.
— Brant n’est pas l’homme que tu crois.
— Nous avons déjà abordé ce sujet.
— Je veux juste que tu comprennes…
— Qu’y a-t-il de si important à comprendre ?
— Mais c’est quelqu’un de bien ! Moi aussi, j’ai été la
cible des médias, je suis bien placée pour en juger.
— Tu n’as pas répondu à ma question ! Qu’y a-t-il de si
important que je dois comprendre ?
— Je voudrais t’expliquer… à propos de Brant…
— Mais j’en ai assez, de parler de Brant ! Tout tourne
autour de lui ! Il n’est pas là mais il domine la conversation !
Se rendant compte qu’elle abordait un sujet dangereux,
Ava préféra ne pas répondre et regarda en direction de la
porte, mais il se plaça devant elle pour l’empêcher de sortir.
— Il est trop tard, Ava ! Tu cherchais à savoir ce qui arrive
quand je me mets en colère ? Eh bien, tu vas le découvrir !
Il passa un bras autour d’elle, enfouissant son autre main
dans ses cheveux pour lui tenir la tête, et l’attira vers lui.
Lorsqu’il s’empara sauvagement de sa bouche, elle lutta
contre le désir qui l’envahissait, frémissante. S’en apercevant,
il relâcha son emprise.
— Ava ! Je ne pouvais pas supporter l’idée que mon
baiser ne soit pas le dernier sur tes lèvres !
Il mit les deux mains sur ses joues et l’embrassa, encore et
encore.
Ses baisers étaient pleins de douceur, à présent, et Ava
sentit sa tension refluer. Embrasée de désir, elle n’avait qu’une
envie, continuer de l’embrasser.
Les lèvres de Daniel s’immobilisèrent mais il ne recula pas :
il lui laissait le choix.
Elle ne mit guère longtemps à se décider.
C’était en même temps totalement différent de leur premier
baiser et si semblable ! Serrée contre lui pour mieux sentir la
chaleur de son corps, elle laissa Daniel prendre possession de
sa bouche, et tout ce qui restait de tension en elle disparut.
Posant les mains sur ses cuisses, il les remonta sous sa robe
puis insinua sa hanche entre ses jambes. Le souffle coupé par
un geste aussi intime, Ava ne résista pas à son audace.
Il abandonna quelques instants sa bouche avant d’en
reprendre possession. Ce n’était pas le prélude à autre chose,
simplement le désir d’être tout près d’elle, contre elle. Le
cœur d’Ava bondit.
Ils s’embrassèrent longuement et Daniel murmura :
— Rien de ce que je t’ai dit n’est vrai. Tu sais bien que ce
n’est pas ainsi que je te vois.
— Tu me vois comme une petite sœur, chuchota-t-elle,
d’une voix presque sans souffle.
Il sourit et la serra encore plus fort contre lui.
— Oui, bien sûr, c’est exactement comme cela qu’un frère
— Oui, bien sûr, c’est exactement comme cela qu’un frère
et une sœur passent leurs soirées.
Elle ne put s’empêcher de rire.
— Ava, j’ai cessé de te considérer comme une enfant dès
l’instant où tu es entrée dans mon bureau.
— Mais…
— Je préférais me mentir en utilisant cette vieille excuse
pour te tenir à distance. Je ne voulais pas d’une relation avec
toi.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai fait une promesse, il y a longtemps : celle
de ne te faire aucun mal et il me semblait que la meilleure
méthode était de garder mes distances. Mais je n’ai réussi
qu’à te faire souffrir.
— Qui… ?
Il la fixa droit dans les yeux.
— Ton père.
— Mon père ? Quand ? Tu ne lui as pas parlé depuis…
— Neuf ans.
— Et déjà à ce moment-là, il t’avait prévenu qu’il ne fallait
pas…
— Il avait prévu les événements ; il savait que tu éprouvais
des sentiments pour moi et m’a prié d’être très prudent.
Non, ce n’était pas possible !
— Il ne m’a demandé cela que parce qu’il t’aimait, Ava, et
je suis parti parce que j’avais trop d’affection pour toi pour
rester.
— Tu es parti à cause de moi ?
— Il me semblait préférable de rompre toute relation une
bonne fois pour toutes, je croyais que ce serait plus facile
pour toi.
Facile ? Elle avait passé un mois à sangloter.
— De toute façon, il fallait que je parte, Ava, que je
m’affranchisse de la protection de ton père pour vivre ma
propre vie.
— Mon père t’a demandé de partir ?
— Disons qu’une discussion très sérieuse m’a mis l’idée en
tête.
C’était donc son père qui avait pris part à la conversation
qu’elle avait vaguement perçue, sans bien l’entendre… Si
seulement elle avait su… Elle n’aurait jamais…
— Pourquoi ne l’as-tu jamais appelé ?
— Je l’ai fait deux fois : la première fois, c’est toi qui as
répondu et, la deuxième fois, il a tellement insisté sur le fait
que tu allais bien que j’ai deviné que c’était tout le contraire.
Quoi que je fasse, cela te faisait souffrir et j’ai jugé préférable
de cesser tout contact.
— Lui diras-tu tout cela un jour ? Cela lui a fait tant de
peine de te voir partir.
— Oui. S’il accepte de me parler.
— Viens à la maison, il n’a jamais cessé de t’aimer.
Tout comme moi.
— Alors…, reprit Ava, tout cela, c’était pour tenir une
promesse faite il y a neuf ans ?
— J’ai envers ton père une dette plus grande que ce que tu
peux imaginer. La moindre des choses était de ne plus te faire
le moindre mal, et pourtant on ne peut pas dire que j’y ai
réussi ces derniers temps !
— Mais je ne souffre plus maintenant…
— Non ?
Elle se serra contre lui et l’embrassa de nouveau mais, cette
fois, en étant parfaitement consciente d’exprimer ainsi un
amour qui débordait, qu’elle ne pouvait plus cacher.
— Ava, il faut que tu sois vraiment sûre de ce que tu fais.
Nous ne pourrons pas revenir en arrière. Es-tu bien certaine
que c’est ce que tu veux vraiment ?
— Je ne veux pas être ton amie, je l’ai été toute ma vie. Je
veux représenter autre chose dans ta vie.
— Quoi donc ?
— Je veux être à toi.
Des paroles tendrement murmurés à son oreille l’éveillèrent
tout doucement, et elle ouvrit les yeux pour découvrir qu’elle
était blottie contre le corps magnifique d’un ancien surfeur…
— C’était…, murmura-t-elle.
— Tout ce que j’avais imaginé.
— Tu imaginais donc… ?
— Tu ne sais pas à quel point. Je me demandais comment
cela serait depuis notre premier baiser.
— Vraiment ? Tu en rêvais ?
— C’était même plus qu’un rêve. Un espoir.
— Alors, ton premier baiser n’était pas entièrement
spontané ?
— Je ne suis pas très doué pour la spontanéité. Je suis
plutôt du genre à tout calculer à l’avance…
— Mais peut-être qu’en ce moment un peu de spontanéité
serait une bonne idée…
Les baisers remplacèrent la conversation.
Lorsque celle-ci reprit, Daniel ne put retenir une question :
— Tu ne parles plus de Maddox ?
— Je croyais que tu ne voulais même plus entendre son
nom ?
— Je veux juste t’entendre dire qu’il n’y a rien entre vous
deux.
— Rien… mais nous serons toujours amis.
— Ne le soyez pas trop.
— Même pas pour les besoins de l’émission ?
— Même pas pour les besoins de l’émission ?
— Non.
— Ce sera comme tu le veux, Daniel. Je sais l’importance
que cela a pour toi. Mais il nous faudra quand même faire
semblant… En veillant à ne pas dépasser certaines limites.
— Ne joue pas à ce jeu : avec la presse à scandales le
moindre sourire, la moindre parole amicale sera prétexte à
toutes les exagérations, pour ne pas dire à tous les délires.
— Mais comment y échapper ?
— J’ai des amis partout. J’ai fait venir une bonne
journaliste, qui cherchera à écrire des articles sur autre chose
que ce que Maddox et toi faites en dehors du tournage.
— Ils seraient déçus s’ils savaient ce qui existe vraiment
entre lui et moi. Entre toi et moi, au contraire…
Ils s’embrassèrent de nouveau.
— Personne ne doit être au courant, Ava. Notre relation
doit rester un secret.
— Si Brant peut cacher une telle chose, nous aussi.
— Que veux-tu dire ?
— Brant a une femme dans sa vie depuis longtemps et
l’aime à la folie.
Daniel éclata de rire.
— Il ne connaît pas le sens du mot « amour » !
— Tu te trompes. Ils forment un couple surprenant, mais sa
femme est très attachante. Je suis allée au cinéma avec elle,
femme est très attachante. Je suis allée au cinéma avec elle,
hier soir.
Lentement, Daniel comprit qu’Ava parlait sérieusement.
— C’est vrai ? Mais alors, le réseau… les journaux ? Les
femmes qu’il fréquente ?
— Elles sont choisies par Kurtz. Brant aime Cindy, et je
vais te révéler une autre chose stupéfiante : il est intelligent.
— Et il ne s’intéresse pas à toi ?
— Non.
— Alors comment peut-il être intelligent ?
Il se tourna soudain, entraînant Ava avec lui pour qu’elle se
retrouve au-dessus de lui. Elle se laissa tomber sur lui, sa
bouche contre la sienne.
— Daniel ? parvint-elle à dire entre deux baisers.
— Oui ?
— Pouvons-nous éviter de parler de Brant pendant
que… ?
Il sourit.
— Ce sera avec le plus grand plaisir.
11.
— Dione Leeds, du Standard.
La jeune femme élégante aux cheveux blonds décolorés
s’était dirigée tout droit vers Ava. Petite, très mince et
bronzée, elle offrait l’image parfaite de la jeune cadre
ambitieuse. Au milieu des fleurs et des arbustes qui formaient
le décor de Nature urbaine, elle ne semblait pas à sa place
et, même si Daniel l’avait choisie, Ava ne se sentit nullement
en confiance.
Loin de là.
Légèrement tendue, elle lui serra la main.
— Merci de me consacrer un peu de temps, mademoiselle
Lange.
— Ce n’est pas moi qu’il faut remercier. Voici l’homme qui
a tout arrangé.
La jeune femme, soudain contractée, se tourna vers Daniel
et se présenta avant qu’il ait pu dire le moindre mot.
— Vous n’êtes pas Lindsay Tannon !
— Non. Lindsay est malade. Je la remplace.
Si c’était un mensonge, il était prononcé avec un naturel
parfait et Ava pouvait y croire, mais pas Daniel.
— Le reportage exclusif avait été promis à Mme Tannon.
— Le reportage exclusif avait été promis à Mme Tannon.
Peut-être devrions-nous reporter ?
— Ce ne sera pas nécessaire, je suis plus que qualifiée
pour la remplacer et AusOne a donné son accord. A moins
que vous ne souhaitiez Lindsay pour une raison précise ?
Daniel serra les dents. Il était pieds et poings liés et n’avait
aucune raison de lui refuser ce reportage.
— Vous a-t-on expliqué ce dont il s’agit ?
— Parfaitement, je vous remercie. Je vous félicite pour la
nomination. Vous devez être très heureux ?
— Gardez cela pour l’interview.
Ava resta bouche bée. Pourquoi Daniel se montrait-il aussi
impoli ? A l’expression du visage de Dione Leeds, on devinait
qu’elle n’avait pas l’habitude d’être traitée ainsi.
— Vous aurez une matinée pour observer le tournage, puis
des interviews privées avec Ava, Maddox et moi. Cela
devrait vous suffire.
— Je pourrais avoir besoin de poser d’autres questions…
— C’est hors de question. Vous avez un accès exclusif,
mais pas illimité. Ava, Maddox et moi espérons faire l’objet
d’un traitement de qualité, contrairement à ce que nous avons
subi jusqu’à présent.
Le visage de Dione Leeds s’était contracté.
— Nous sommes le Standard, monsieur Arnot, lança-t-
elle comme si cela expliquait tout. De plus, je suis sûre que les
reportages précédents ont fait monter votre indice d’écoute,
alors ce n’est pas le moment de vous en plaindre.
Ava avala sa salive. Agressive, sûre d’elle et sachant ce
qu’elle faisait, Dione Leeds était manifestement de taille à tenir
tête à Daniel.
Il fit signe à l’un des assistants de production.
— Finn, je te présente Dione Leeds. Elle sera sur le plateau
aujourd’hui pour trouver matière à son article. J’aimerais que
tu restes avec elle pour lui fournir toute l’assistance nécessaire.
Et ne la lâche pas d’une semelle. Le message était clair
pour toute l’équipe.
— Ava, je voudrais te parler du planning d’aujourd’hui.
Ils s’excusèrent et Dione Leeds alla se mettre au travail,
flanquée de son gardien.
— Ce n’est pas du tout ce que je voulais, dit Daniel. Je
connais cette Leeds et elle n’a rien à voir avec Tannon. C’est
une véritable journaliste d’investigation, une fouineuse, il doit y
avoir une raison pour qu’ils l’aient choisie. Les interviews
risquent d’être plus difficiles que prévu. Il va falloir se méfier
et prévenir Maddox, sinon Dieu sait ce qu’il va raconter.
— Brant pourrait bien te réserver quelques surprises mais,
en effet, il faut le prévenir.
— Il faut absolument être très prudent avec elle.
— De quelle manière ?
— Tu devras lui en dire assez pour qu’elle estime avoir de
— Tu devras lui en dire assez pour qu’elle estime avoir de
la matière pour un article mais pas suffisamment pour qu’elle
renifle un scoop.
Ava n’avait pas l’habitude du contact avec les médias et
jouer un tel jeu face à une professionnelle ne l’enchantait
guère.
— Reste toi-même, ajouta Daniel. Ne réponds pas à des
questions trop directes, mais essaie de ne pas les éluder de
façon trop grossière. Tu verras, cela se passera bien. Après
tout, tu sais très bien obtenir ce que tu veux de moi, alors aie
confiance en toi.
Il aurait voulu la rassurer en la prenant contre lui, mais ce ne
serait pas possible avant la fin de la journée.
Ava avait un secret à protéger et la pression ne serait pas
facile à supporter. Certes, Daniel lui-même n’avait jamais
soupçonné l’existence de Cindy, il y avait donc peu de
chances que Dione Leeds la découvre, mais elle allait devoir
jouer le jeu de cette relation supposée entre Brant et elle.
Juste un peu, pas trop. Mais comment savoir où se situait la
limite ?
Il y avait de quoi éprouver le vertige. Trois mois auparavant
elle menait une vie si simple, loin de ce milieu dont elle ne
connaissait rien !
Les choses avaient complètement changé en si peu de
temps.
Brant ressortit de son interview qui s’était déroulé dans le
bureau mobile d’Ava et se précipita droit vers une tasse de
bureau mobile d’Ava et se précipita droit vers une tasse de
café. Ses mains tremblaient, ce qui n’était pas bon signe :
d’ordinaire, rien ne l’effrayait.
— Cindy… ? demanda Ava.
— Non, mais cette journaliste vous passe sur le gril de
manière implacable.
— Qu’a-t-elle voulu savoir ?
— Plein de choses sur l’émission, sur ce que j’en pense et
même sur mon intérêt pour les plantes, sur Daniel et toi. Elle
n’a rien demandé de particulièrement délicat, mais…
— Sur nos relations supposées… ?
— Elle n’a jamais posé de question directe, elle est trop
professionnelle pour cela, mais j’avais l’impression d’être
dans l’œil du cyclone et de devoir faire de gros efforts pour
cacher ce que tu sais. Pourtant, si tu pouvais lire la
transcription de ses questions, tu ne trouverais rien d’anormal.
Excuse-moi si je te fais peur. Ce n’est pas si terrible. Vas-y,
mais rappelle-toi simplement qu’elle a une raison précise
d’être là.
Magnifique !
— Je suis terrifiée à l’idée qu’elle soit au courant, pour
Cindy.
— Si cela arrive, ce ne sera pas ta faute mais dû au fait
qu’elle est une bonne journaliste. Cindy et moi savons tous
deux que notre relation ne pourra pas rester éternellement un
secret, alors ne te mets pas martel en tête. Il faudra bien que
secret, alors ne te mets pas martel en tête. Il faudra bien que
tout se dévoile un jour !
— Quel secret ? interrogea avidement la fouineuse, qui
venait d’apparaître.
— Je suis irrémédiablement accro aux beignets, répondit
Brant en usant de son charme légendaire, et je vais le prouver
sous vos yeux.
Il en avala un avec gloutonnerie et Dione Leeds détourna
les yeux avec une expression dégoûtée.
— Ava, vous êtes prête ?
Non, non, vraiment pas !
— Oui.
Quelques minutes plus tard, elles étaient dans le confort du
bureau mobile d’Ava. Elles commencèrent par une
conversation sur des sujets anodins, puis Dione Leeds passa à
ce qui l’intéressait vraiment.
— Vous avez fait un parcours remarquable : d’architecte
paysagiste à présentatrice de télévision.
— Je reste avant tout conceptrice d’espaces verts.
— Le réseau ne serait pas d’accord avec vous, il me
semble ? Il vous considère comme l’un de ses grands atouts à
l’écran et a beaucoup investi pour que vous teniez ce rôle.
— Vous voulez parler du risque de m’associer à un autre
présentateur…
— Je parlais de votre augmentation de salaire, de ce
véhicule.
— C’est mon bureau et il me permet de travailler entre les
séquences de tournage. Quant à l’augmentation de salaire, je
remplis maintenant deux fonctions, cela ne me semble pas
déraisonnable.
Au moins, elle se défendait. Ce n’était pas un mauvais
début.
— Non, bien sûr. C’est même flatteur quand on y pense.
Ils doivent avoir une haute opinion de vous pour vous
accorder tout cela.
— Je le suppose.
— Je dois dire que vous ne me donnez pas l’impression
d’être une vedette de la télévision.
— Sans doute parce que je ne le suis pas. Je suis une
architecte paysagiste qui passe à la télévision.
— Vous venez de…, dit Dione Leeds en consultant ses
notes. Flynn’s Beach. Cela doit être difficile d’évoluer dans
une grande ville, dans le monde de la télévision et d’être
nominée pour un prix après seulement trois mois.
— L’émission est nominée ? interrogea Ava d’un air
faussement naïf.
— Ainsi que Brant Maddox.
— Vraiment ? Oh, c’est fantastique !
— Cela a été annoncé officiellement ce matin. J’aurais cru
que vous auriez été l’une des premières personnes à qui il
que vous auriez été l’une des premières personnes à qui il
l’aurait dit.
— Le Brant Maddox que vous avez rencontré et celui que
je côtoie sont deux personnes différentes. Mon Brant est trop
modeste pour se vanter de choses pareilles.
— Votre Brant ? !
— Si vous voulez me poser des questions sur lui, n’hésitez
pas.
Dione Leeds n’hésita pas.
— Avez-vous une liaison avec Brant Maddox ?
— Nous sommes amis. Le reste ne concerne que moi.
— Et Brant ? !
Ava hocha la tête.
— J’aurais quand même pensé qu’il annoncerait une telle
nouvelle à une amie.
Que fallait-il répondre ? Dire oui serait un mensonge et nier
ferait courir le risque que l’on découvre Cindy.
— Peut-être était-ce par délicatesse, pour ne pas me faire
de peine parce que je n’ai pas été nominée.
Leeds rit, avec sincérité cette fois.
— Par délicatesse ? Oui, bien sûr…
Ava ouvrit de grands yeux innocents.
— Oh, je ne savais pas que vous connaissiez Brant. Il ne
m’en a jamais parlé.
Le sourire disparut instantanément du visage de Dione
Leeds.
— Ce n’est pas le cas.
— Alors, il faudra croire quelqu’un qui le connaît : il fait
preuve de beaucoup d’élégance et de finesse.
— L’amour n’est-il pas aveugle ?
Ava ne mordit pas à l’hameçon. Elle commençait à
comprendre le petit jeu de la journaliste.
Celle-ci décida donc une approche différente.
— Parlons de Daniel Arnot.
Le changement de sujet surprit Ava, qui se tendit.
— Vous semblez très détendue en sa compagnie. Il doit
être un excellent employeur ?
— Parce que je suis détendue en sa présence ?
— Peut-être aussi parce que c’est lui qui a payé la location
de ce véhicule ?
— Daniel est producteur et, en me proposant ce travail, il a
embauché à la fois une conceptrice et une présentatrice.
J’imagine que c’est une bonne affaire pour le réseau.
— Vous tenez vraiment à le défendre !
— Il le mérite. Il a été bon avec moi.
— Bon ? Alors qu’il vous sert à la presse sur un plateau ?
— Organiser la publicité fait partie de la tâche d’un
producteur.
— Non, ma chère, répliqua Dione Leeds avec
condescendance, c’est celle des attachés de presse. Pourquoi
quelqu’un d’aussi haut placé s’occuperait-il personnellement
de votre publicité ?
— Peut-être par souci de veiller sur tous les détails ?
— Peut-être. Cela ne semble pas vous gêner.
— Je suis employée par AusOne et participer aux
campagnes publicitaires fait partie de mon contrat. Croyez-
vous que je serais ici si je n’y étais pas obligée ?
Dione Leeds prit une expression glacée avant de porter
l’estocade.
— Avez-vous une liaison avec Daniel Arnot ?
Ava lutta pour ne pas laisser paraître son émotion.
— Je suis censée avoir une liaison avec combien
d’hommes, dans cette émission ? Pour gagner du temps, vous
pourriez peut-être me donner une liste, je cocherai les noms
de tous ceux avec qui j’ai couché !
— Vous habitez chez lui.
— Je loue une maison attenante à la sienne, complètement
indépendante.
— Comme c’est pratique !
— Pas vraiment, surtout quand vous voulez vous évader un
peu de votre travail.
— Néanmoins, ce n’est pas le genre d’arrangement qu’un
cadre haut placé propose couramment à une employée.
Il faut lui en donner un peu, mais pas trop, disait Daniel…
Il n ’y avait plus qu’une seule réponse possible. C’était cela
ou admettre qu’il y avait quelque chose entre elle et Daniel.
— Pas s’il est l’ami du frère de cette employée, d’un frère
très protecteur qui voulait que quelqu’un veille sur sa petite
sœur dans la grande ville.
Dione Leeds fut prise par surprise : son attaque s’effondrait
et, visiblement, ses recherches préalables n’avaient pas inclus
la famille d’Ava. Cette dernière s’efforça de ne pas sourire.
— Oh, je vois. Bon. Très bien. Revenons à Maddox. Peut-
on dire que le meilleur moyen de déguiser une relation avec
quelqu’un pourrait être de la cacher derrière une fausse
histoire affichée en public ?
Cindy. Le cœur d’Ava se mit à battre très vite. Elle
commençait à se sentir envahie de haine pour Dione Leeds et
il lui devenait difficile d’afficher un minimum de détachement.
— Est-ce une question que vous me posez ?
Dione Leeds étudia longuement le visage de son
interlocutrice. Fallait-il risquer la question suivante ? La limite
de la diffamation n’était plus très loin.
— Non. Parlons plutôt de vos créations.
***
— Donc, elle savait que tu loues cette maison. Cela n’a
rien d’étonnant, même Tannon se serait renseignée sur ce
plan.
Daniel était allongé sur le lit à côté d’Ava qui lui faisait son
récit, appuyée sur les coudes.
— Je déteste mentir.
— Mais tu ne l’as pas fait.
— J’ai menti par omission.
— Ce n’est pas du mensonge, c’est de la stratégie.
— Qu’a-t-elle demandé ensuite ?
— Comment j’ai pu m’élever si haut, si vite, sans sacrifier
mon intégrité.
— Elle est bien placée pour faire ce genre de
commentaire ! Qu’as-tu répondu ?
— Que mon secret était de rester moi-même et d’être
fidèle à mes amis d’enfance. Je ne savais pas quoi dire
d’autre.
— C’était la bonne réponse et je suis désolé de devoir
t’infliger cela. Dans un monde normal, nous pourrions vivre
notre amour au grand jour. Ce serait tellement mieux…
Leurs bouches se rencontrèrent, mettant fin à la
conversation.
— J’ai un service à te demander, reprit ensuite Daniel.
Demain soir, je sais que tu dois aller au dîner qui suivra la
remise du prix, mais accepterais-tu de le faire avec moi ?
— Mais ne faut-il pas…
— Bien sûr, Maddox sera là, mais toi et moi saurons, au
fond de nous, que tu es avec moi.
« Tu es avec moi. » Les mots les plus séduisants de
l’univers, qui venaient abroger la phrase d’autrefois, ce « nous
ne serons jamais ensemble ». Elle respira profondément.
— Oui, Daniel, j’aimerais y aller avec toi.
Le visage de celui-ci se détendit. Il passa la main sur le cou
d’Ava et murmura ce simple mot, qui fut presque perdu dans
le baiser qui suivit :
— Merci.
— Cela ne suffira pas ! s’exclama Carrie. C’est la
réception de remise des prix de la Télévision australienne,
Ava ! S’il y a jamais eu une occasion de déroger aux règles
du maquillage, c’est bien ce soir !
— Mais je crois que cela va très bien comme cela…
— Franchement, Ava ! Une robe comme celle-ci a besoin
d’un complément, non d’un effet de contraste ! Fais-moi
confiance, d’accord ? Tu n’as même pas de mascara !
Ava soupira. Aucune échappatoire : la limousine du réseau
n’allait pas arriver avant vingt minutes.
— D’accord, mais n’en fais pas trop.
— D’accord, mais n’en fais pas trop.
Carrie fit exactement ce qui était nécessaire. Ava n’avait
jamais été aussi maquillée auparavant, mais la teinte de cuivre
autour de ses yeux et les applications délicates de couleur sur
ses joues complétaient à merveille sa robe.
Le réseau de télévision lui avait envoyé, la veille, la création
d’un styliste très connu. Ava s’attendait à un modèle clinquant,
à l’opposé de ses goûts, mais le résultat l’avait agréablement
surprise. C’était exactement la robe qu’elle aurait pu choisir :
simple, presque modeste. Le tissu vert, brodé de feuilles
délicates, était coupé d’une manière qui mettait subtilement
son corps en valeur. C’était la plus belle chose qu’elle ait
jamais portée, et les doigts de fée de Carrie lui avaient donné
un visage qui allait bien avec sa robe. Il restait à arranger ses
cheveux.
— Et pour ma coiffure ? demanda Ava.
— Nous avons le temps.
Quelques minutes plus tard, les boucles blondes d’Ava
étaient en harmonie avec le reste de son apparence.
Toutes deux sortirent au moment même où arrivait Brant.
Il descendit d’une voiture conduite par Cindy et vint à la
rencontre des deux femmes.
— Vous êtes splendides !
— Ne touchez pas au maquillage ! s’écria Carrie, et les
deux femmes éclatèrent de rire.
— Vous avez déjà bu du champagne ? intervint une voix
— Vous avez déjà bu du champagne ? intervint une voix
familière.
Ava se tourna pour voir apparaître Daniel et retint son
souffle. Elle l’avait déjà vu très bien habillé mais, dans ce
smoking, il était simplement…
— A couper le souffle, dit Daniel, comme s’il lisait dans ses
pensées.
— Bonjour, Daniel, dit Carrie d’une petite voix.
Ava se força à détourner les yeux mais pas assez
rapidement et Carrie, comprenant subitement, resta bouche
bée.
Brant, qui savait très bien percevoir ce qui se passait autour
de lui, rompit le silence en adressant des compliments aux
deux femmes. Il était lui-même superbe dans son smoking et
sa cravate verte parfaitement assortie. Le réseau savait veiller
à ces petits détails.
— Tu as répété ton discours, Maddox ?
— Et toi le tien, Arnot ?
Daniel avait perdu un peu de sa froideur depuis qu’ils
avaient dîné à quatre, avec Brant et Cindy. Au début, il avait
été surpris par la tenue punk de la jeune femme, mais l’esprit
dont elle faisait preuve avait très vite transformé son opinion. Il
s’était détendu et avait même réussi à la faire rougir. Brant, qui
n’était pas rancunier, avait apprécié ce changement d’attitude.
Néanmoins, subsistait entre eux un relent d’agressivité
masculine.
Une énorme limousine apparut et Brant fut le premier à y
monter, suivi par Carrie, l’air complètement blasé.
Ava soupira. Etait-elle la seule à ne jamais avoir emprunté
une limousine ?
— Installez-vous, dit Daniel en refermant la portière, j’ai
besoin de parler à Ava.
Elle se tourna vers lui, surprise.
— Nous ne pouvons pas partir comme cela, dit-il.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai terriblement besoin de t’embrasser. Tu
sais que tu es magnifique ? J’ai choisi cette robe
personnellement.
Elle aurait dû s’en douter tant elle était parfaite…
— Mais on nous attend !
— Laissons-les attendre !
— Nous nous rattraperons plus tard.
— Promis ?
— Promis.
Un instant plus tard, ils se précipitaient vers la portière de la
limousine.
Cette excitation, cette robe merveilleuse pour une occasion
extraordinaire, Daniel tout près d’elle…
Jamais elle n’oublierait cette soirée de conte de fées.
12.
Ava ne reconnut pas le passager qui les attendait à
l’intérieur de la limousine, mais il n’y avait pas à se tromper
sur l’expression du visage de ses amis. Carrie avait pâli et
Brant, qui tenait un journal à la main, semblait furieux.
— Bill ! s’exclama Daniel, d’une voix soupçonneuse.
— L’édition du soir vient juste de sortir, répondit celui-ci.
Daniel prit l’exemplaire du journal pour le lire.
Le nouveau venu se tourna vers Ava.
— Mademoiselle Lange, je suis Bill Kurtz. C’est un plaisir
de pouvoir enfin vous rencontrer.
Kurtz. L’homme qui empoisonnait la vie de Daniel et l’avait
offerte en pâture aux médias.
Elle lui serra la main à contrecœur.
— Cette espèce de… ! s’écria Daniel. Mais qu’est-ce qui
est arrivé ?
— C’est à toi de me le dire, mon vieux.
Brant jeta son exemplaire d’un air dégoûté et, bien qu’il soit
à l’envers, Ava réussit à déchiffrer le début du titre.
« Le succès inattendu d’une starlette montre que ce n’est
pas, comme vous croyez… »
— C’est plus qu’un assassinat, Bill ! poursuivit Daniel.
C’est de la diffamation !
— J’imagine que les journalistes du Standard ont fait leurs
recherches.
Elle tendit la main vers le journal mais Brant l’arrêta.
— Il ne faut pas lire cela, Ava, pas ce soir.
— Si, contra Carrie. Il le faut, Brant. Elle va entrer dans la
fosse aux lions.
Ava tourna un regard plein de confusion vers Daniel.
— Je vais vous lire l’article, proposa Kurtz.
Daniel l’arrêta, le fusillant du regard.
— Non, je m’en charge, dit Brant. « Alors que la place des
femmes dans les médias semblait s’améliorer, voici qu’arrive
une inconnue sortie de sa campagne… »
Ava l’interrompit par un juron fort peu féminin.
— « Ava Lange, tombée du ciel sur nos écrans, semblait, à
première vue, représenter l’archétype de ces femmes sincères
et sans artifice dont nous avons tant besoin. Mais une journée
en sa compagnie, ainsi qu’avec ses admirateurs
inconditionnels, permet de se rendre compte de la triste réalité
qui règne derrière les caméras de Nature urbaine. L’émission
empeste le népotisme et le linge sale bien caché. Ava Lange
est, depuis toujours, une amie de Daniel Arnot, jeune
producteur aux dents longues, qui nous prouve au moins qu’il
sait faire plaisir à ses relations. Lui-même a admis que c’est
sait faire plaisir à ses relations. Lui-même a admis que c’est
quasiment pour elle qu’il a écrit le script… »
Les mains d’Ava se mirent à trembler et elle sentit monter
en elle une nausée.
— « Il n’a pas fallu longtemps aux investigateurs du
Standard pour mettre en lumière leur passé. »
Non, ce n’était pas possible ! Ils étaient allés chez elle !
Brant reprit, sautant quelques paragraphes.
— « Contrairement à Arnot, qui semble avoir souffert de
maltraitance, Lange a connu une enfance plutôt idyllique.
Cependant, à l’époque, certains habitants de Flynn’s Beach
étaient choqués de constater qu’Ava Lange, alors
adolescente, passait l’essentiel de son temps avec un Daniel
Arnot déjà adulte. Quelle qu’ait pu être leur relation, il est clair
qu’elle n’appartient pas au passé. »
Ava ferma les yeux et Daniel jura. Kurtz le fixait avec une
expression sévère.
— « Quelle a dû être la surprise de notre séducteur
professionnel, Brant Maddox, lorsqu’il a découvert que la
séduisante Ava Lange l’utilisait pour dissimuler une autre
relation moins avouable ! »
— Cela suffit ! coupa Daniel.
L’article ne portait pas sur Cindy et Brant, mais sur Daniel
et elle. C’était donc cela que Dione Leeds cherchait.
Elle tourna les yeux vers Daniel. Pourquoi ?
— Tu étais une cible facile, Ava. J’aurais dû me méfier et lui
— Tu étais une cible facile, Ava. J’aurais dû me méfier et lui
interdire d’entrer sur le plateau.
— Cela n’aurait fait qu’attiser les soupçons, répliqua Kurtz,
et porter un mauvais coup aux relations d’AusOne avec le
Standard.
— On s’en moque, des relations d’AusOne ! Et ce qu’elle
a fait à Ava ?
— C’était à toi de t’en préoccuper avant d’engager ta
petite amie d’autrefois et de la loger sous ton toit ! s’indigna
Kurtz, le visage cramoisi Tu es entièrement responsable de ce
désastre !
Ava n’écoutait plus et n’entendit pas la réponse de Daniel.
Elle songeait à tout le travail qu’elle avait fourni depuis des
années pour se faire un nom dans sa profession. Toute la
crédibilité qu’elle avait construite avec tant de peine venait de
s’envoler en fumée.
Dans moins de dix minutes, elle serait devant les caméras !
Elle ne pouvait leur faire face avec les yeux pleins de larmes.
C’était… impensable.
— Arrêtez la voiture, ordonna Carrie. Ava n’y va pas.
— Si, nous y allons ! répliqua Kurtz.
— Si nous n’y allons pas, cela prouvera que Leeds a
raison ! expliqua Brant, toujours furieux.
— C’est vrai, dit Ava.
— Non, répondit Daniel. Ne donne pas ce plaisir à cette
fouilleuse de poubelles !
— On peut difficilement contester ce qu’elle a écrit, contra
Ava. Tu as créé cette émission à partir de mes conceptions, tu
m’as bombardée présentatrice, brusquement et sans
préparation, et nous avons bien une relation ensemble !
Comment pourrions-nous l’accuser de diffamation ?
Le kilomètre suivant se passa dans le plus profond silence.
Tout le monde réfléchissait fiévreusement, et Ava luttait pour
repousser ses larmes. Daniel parla au chauffeur, qui ralentit la
limousine.
Gagner un peu de temps, comme si cela allait changer
quelque chose…
— Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans cet article ? l’interrogea
Ava.
— Le reste est du même genre : quelques attaques contre
ma morale professionnelle, Brant n’est pas épargné.
Surprise que Daniel appelle le présentateur par son
prénom, Ava tourna vers ce dernier un regard interrogateur.
Et Cindy ?
Brant haussa les épaules de manière à peine perceptible,
mais assez pour répondre à sa question muette. Ce secret-là,
au moins, était sauf.
— Bien, reprit Daniel d’un ton plus calme. Il y a deux
solutions : la première est de présenter un front uni. Brant, ils
vont s’attendre que toi et moi soyons à couteaux tirés, alors il
faut leur donner un spectacle diamétralement opposé.
faut leur donner un spectacle diamétralement opposé.
Brant hocha la tête et Daniel poursuivit :
— Ava, il faut que tu arbores en permanence un sourire
rayonnant et restes constamment près de nous. Personne ne
doit parvenir à être seul avec toi, même dans les toilettes, et
Carrie ne te lâchera pas d’une semelle. Ils vont essayer de
trouver la confirmation de toutes ces salissures et il ne faut rien
leur donner, compris ?
— Je ne ferai aucun commentaire, affirma Ava.
— Quelle est l’autre solution ? demanda Brant.
— Nous n’y allons pas !
— C’est hors de question ! s’écria Kurtz, s’étranglant
presque.
— Si Ava ne veut pas y aller, je soutiendrai sa décision,
répliqua Daniel d’un ton sec.
— Moi aussi, affirmèrent Carrie et Brant en même temps.
Kurtz devint écarlate.
Quelle solution choisir ? Rentrer serait le plus simple mais
ne ferait que retarder l’inévitable.
Pourtant, pénétrer dans cette salle serait l’action la plus
difficile qu’elle ait jamais accomplie…
Elle ferma les yeux, les rouvrit et regarda Brant, dont le
visage durci semblait dire : « Il y a des choses qu’on ne fait
pas avec moi ! » Elle comprit à ce moment pourquoi Cindy
s’appuyait sur lui.
s’appuyait sur lui.
— Très bien, allons-y.
Kurtz eut un soupir de soulagement.
— Dites au chauffeur d’accélérer. Plus vite nous serons
débarrassés de tout cela, mieux cela vaudra.
Les mains d’Ava tremblaient et elle ne savait qu’en faire.
Tacitement, en descendant de la limousine, Daniel et Brant en
prirent chacun une, même si cette attitude dangereuse semblait
confirmer l’article.
En même temps, cela proclamait qu’ils n’avaient rien à
cacher. Heureusement, elle avait à ses côtés deux hommes qui
connaissaient bien les médias ! Elle serra fermement la main
de Daniel.
— Souris, Ava, murmura-t-il alors qu’ils approchaient de la
foule.
Elle fit de son mieux pour y parvenir.
Dès que l’on remarqua leur arrivée, les appareils photo se
déchaînèrent et les flashes firent soudain ressembler l’entrée
de l’hôtel Milana à un gigantesque diamant. Jamais Ava
n’avait dû faire autant d’efforts pour arborer un large sourire !
Elle parvint même à copier quelques-unes des attitudes de
Brant en public, cela l’aida beaucoup.
— Tu t’en sors très bien, chuchota Daniel.
La fureur n’avait pas encore déserté son regard.
Escortée ainsi par ces deux hommes puissants, elle se sentit
toute petite, telle Dorothée approchant des marches du palais,
toute petite, telle Dorothée approchant des marches du palais,
dans Le Magicien d’Oz.
Elle ne put réprimer un petit rire, et Brant jeta vers Daniel
un coup d’œil soucieux.
Devant eux, le tapis rouge les mena à un groupe de
présentateurs de radio et de télévision qui faisaient de brèves
interviews des personnalités au fur et à mesure de leur arrivée.
Il n’y avait aucun moyen d’y échapper.
— Laissez-moi faire, dit Brant.
D’un pas résolu, il quitta leur petit groupe sur la défensive
et se dirigea vers un présentateur bronzé, appartenant à l’un
des réseaux concurrents d’AusOne. Daniel profita de l’effet
de surprise pour faire avancer Ava à travers le groupe de
journalistes, se plaçant devant elle de manière qu’ils ne voient
pas son visage. Son subterfuge fut de courte durée.
— Mademoiselle Lange ?
Une jeune femme d’une station de radio indépendante avait
brandi un micro devant Ava, il était quasiment impossible de
l’arrêter. Daniel lui chuchota à l’oreille le nom de la journaliste
et six autres micros surgirent aussitôt.
— Mademoiselle Lange, quels sont vos sentiments alors
que vous allez recevoir votre premier prix de la télévision
australienne ?
Cette station avait une réputation d’indépendance : on n’y
répétait pas servilement les rumeurs véhiculées par les médias.
Daniel n’avait pas dû la diriger au hasard.
Autant être directe.
— J’en suis très heureuse.
— Avez-vous décidé de votre tactique pour cette soirée ?
— D’abord être présente, ensuite éviter le plus possible les
journalistes de la presse écrite.
Daniel se contracta mais les rires éclatèrent autour d’eux.
En Australie, il n’existe pas un grand amour entre la presse
écrite et l’audiovisuel et même Ava le savait.
— Bonne chance, Ava, dit la jeune femme avec un sourire.
Bon, le premier contact avec la presse s’était bien passé et
elle se détendit un peu. Elle s’arrêta un instant, le temps que
Brant les rejoigne.
— Mademoiselle Lange…, s’écrièrent une douzaine de
voix en même temps. Monsieur Arnot…
Quelqu’un cria le nom de Brant, derrière la forêt de
journalistes, et Ava rit de bon cœur. C’était son premier
contact avec les fans du présentateur. Comme d’habitude,
Brant sut réagir habilement. Il y avait vraiment beaucoup à
apprendre de lui !
— Par ici, la guida Daniel.
A son côté, elle monta l’escalier couvert d’un tapis rouge,
se dirigeant vers l’entrée de l’immense salle de réunion de
l’hôtel Milana. La main de Daniel était chaude sur sa peau et
elle se sentit envahie d’un sentiment de gratitude. Elle ne s’en
serait jamais sortie sans lui et sans Brant. Elle avait une dette
serait jamais sortie sans lui et sans Brant. Elle avait une dette
envers tous les deux. Son remerciement à Brant prendrait la
forme d’une bonne bouteille de vin, mais pour Daniel…
Ils s’arrêtèrent encore deux fois, évitant certains journalistes
et en choisissant d’autres, mais tout le monde fut étonné de
constater leur sérénité et l’harmonie qui régnait entre eux,
malgré ce que l’on avait lu dans le Standard.
— C’est la dernière épreuve, Ava.
Une magnifique top-modèle, devenue présentatrice du
réseau concurrent d’AusOne, était au sommet de l’escalier et
Ava se rendit compte de ce qui allait suivre.
Cette partie de la cérémonie consistait purement et
simplement en un défilé de mode, elle l’avait souvent constaté
en regardant la télévision.
Soudain, comme pour lui donner confiance, Brant
s’approcha d’elle et lui prit le bras.
— Ava ! Brant ! Quel plaisir de vous voir ce soir ! Vous
êtes superbes tous les deux ! Quel grand couturier avez-vous
choisi, Ava ?
Mon Dieu. C’était qui, déjà ?
— Glenn Lo. Je pense qu’il a conçu une robe parfaite pour
moi.
— Elle est magnifique, convint la présentatrice. Quelle
chance vous avez ! Deux hommes merveilleux à vos côtés et
un troisième pour vous faire belle !
Des allusions, mais pas d’attaque directe. Avait-elle rêvé,
Des allusions, mais pas d’attaque directe. Avait-elle rêvé,
ou avait-elle saisi une fugitive expression de solidarité dans les
yeux de la présentatrice ?
— Nous devrions toutes avoir autant de chance ! Et je
vous en souhaite pour ce soir !
Soudain, comme par miracle, ce fut terminé et on les fit
entrer dans la grande salle.
Ava sentit ses jambes flageoler.
— Je sens que je devrais m’asseoir.
— Tiens bon, Ava.
Daniel avait passé le bras autour de sa taille et fit un signe à
Brant, qui prit une chaise et la plaça dans un coin à l’écart.
Elle s’assit et les deux hommes se placèrent devant elle, pour
lui faire un rempart face à la presse. Calmement, ils
répondirent aux questions, comme s’il s’agissait d’une simple
conversation.
Ils resserraient les rangs, comme Daniel l’avait préconisé, et
pas seulement pour protéger Ava. Ils avaient tous été salis par
l’article de Dione Leeds.
Mais moi, vais-je savoir faire face ? Qui s’en
apercevrait si je filais discrètement ?
« De la maltraitance pendant son enfance »… Cette
allégation lui revint brusquement à l’esprit. Mitchell Arnot…
Daniel avait vraiment dû faire preuve de courage et méritait
d’en être remercié autrement que par la fuite d’Ava.
Face à la meute des journalistes, elle s’était sentie comme
anesthésiée et ne prenait qu’à présent conscience de ses
muscles trop contractés, de son visage figé dans un sourire.
— Ava ? demanda discrètement Daniel.
— Je suis prête.
La salle était décorée de manière exquise et se remplissait
rapidement de personnalités célèbres, tant australiennes
qu’étrangères, presque tous producteurs ou vedettes du
cinéma et de la télévision. Dione Leeds n’était pas là. Peut-
être était-elle encore à l’entrée, avec la presse.
Ava se détendit un peu et sourit à Daniel.
— Nous cherchons notre table ?
La première partie de la soirée n’était pas diffusée à la
télévision. C’était la remise des prix à toutes les catégories
subalternes : musiciens, accessoiristes, maquilleuses…
jusqu’aux comptables !
Il était choquant que ceux qui avaient travaillé aussi dur
dans les coulisses n’aient pas droit aux feux de la rampe ! Ava
y était particulièrement sensible, car elle se considérait encore
comme l’une d’entre eux.
Carrie leur montra leur table, qui n’était pas loin des
toilettes et, rien que d’y penser, Ava eut envie de s’y rendre.
— Emmène Carrie avec toi, ordonna Daniel.
Ils s’arrêtèrent, au retour, à la table de Carrie et Ava salua
le reste de l’équipe de Nature urbaine. La plupart des
membres lui firent un grand sourire, même si certains restèrent
plus circonspects.
Ava soupira, et se tourna vers Carrie.
— Je crois que tu peux t’asseoir à ta place, il ne peut pas
m’arriver grand-chose entre ici et notre table.
Carrie tiqua mais céda en voyant la détermination sur son
visage.
— Alors croisons les doigts pour les prix ?
Les prix ! Ava avait presque oublié pourquoi ils étaient là et
sentit le trac s’emparer d’elle, aussi s’empressa-t-elle de
regagner discrètement sa table.
Daniel discutait avec Bill Kurtz et Brant était
momentanément absent. Kurtz faisait face à Daniel comme un
vautour face à sa proie et, les deux hommes lui tournant le
dos, aucun ne l’entendit revenir. Les haut-parleurs diffusaient
une musique qui couvrait leurs voix, mais une pause permit à
Ava de capter quelques bribes des paroles de Kurtz.
— Je me moque bien de ta réputation ! Tu as mis en
danger les intérêts du réseau et des actionnaires, tout cela
pour ta petite amie !
— Pour laquelle tu n’as pas pu t’empêcher de venir
prendre place dans une limousine, pour la première fois depuis
dix ans ! Tu voulais être aux premières loges pour te délecter
du résultat de tes manigances ! Tu n’es qu’un charognard !
— Et toi, quel genre d’homme es-tu, Arnot ? Tu es prêt à
vendre aux médias la femme avec laquelle tu couches !
vendre aux médias la femme avec laquelle tu couches !
Ava, parcourue d’un frisson, songea au commentaire
grinçant de Dione Leeds avant qu’une autre image ne vienne
s’imposer à son esprit : Daniel, dans l’ombre, le soir où ces
photos avaient été prises au restaurant, parlant au maître
d’hôtel avant que Brant et elle ne soient placés, par erreur, à
une table pour deux personnes…
C’est lui qui avait personnellement supervisé toute la
campagne publicitaire autour de Nature urbaine, alors que ce
n’était pas le rôle d’un producteur !
— Est-ce vrai, Daniel ?
Les deux hommes se retournèrent, mais seul Daniel prit une
mine consternée. Bill Kurtz, quant à lui, arborait un air
suffisant et satisfait. Ava l’ignora complètement et continua à
fixer l’homme qui avait toujours eu le pouvoir de lui faire du
mal…
— Ava…
Il se leva mais elle tendit les deux mains pour l’arrêter.
— Est-ce que cela est vrai ?
— Ne fais pas cela, Ava. Il y a des centaines de gens qui
nous regardent.
Elle leva vers lui des yeux embués de larmes.
— Reste calme, Ava. Il y a beaucoup de monde.
Elle fit un titanesque effort pour garder la maîtrise d’elle-
même.
Daniel ajouta :
— J’aurais dû te le dire. Je suis désolé.
— Qu’est-ce que tu as fait ?
Il soupira.
— Cela faisait partie de mon travail.
— Quoi donc ? « Me vendre aux médias » ? Me faire
photographier avec Brant ? C’était toi, pour le restaurant ?
Il resta silencieux mais ne nia pas.
— Et les autres articles ? C’était toi aussi ?
— Non, mais c’est bien moi qui ai mis en route toute cette
machinerie de la presse. J’avais besoin de publicité pour
l’émission. Ensuite, Bill Kurtz a pris le relais.
— Tu l’as laissé me faire cela ? A moi et à Brant ?
— Pas à Maddox. Il était au courant.
— Brant était au courant ! Tu étais au courant ! Le réseau
était au courant ! Tout le monde savait, sauf cette pauvre
petite Ava sortie de sa cambrousse !
— Ava, ne…
— Ton père détient-il donc sur toi une telle puissance ?
— Il n’a rien à voir dans tout cela.
— Si ! Il est bien plus important que moi ! Ta vengeance
compte plus que tout ce qui existe entre nous ! Que ce qui
existait ! C’est du passé, maintenant !
— Tu ne me laisses même pas m’expliquer ?
— Oh, mais vas-y ! Explique-toi ! Tu t’attends que je
réagisse comment ?
— Comme tu es en train de le faire, soupira-t-il. Tu as tout
à fait le droit d’être en colère.
— C’est plus que de la colère. Tu m’as brisé le cœur.
— Ava, essaie de comprendre : j’ai voulu agir au mieux
pour chacun. Je le jure sur la tombe de ta mère, je voulais te
protéger…
— Ne parle pas de ma mère ! Tu as choisi de suivre
d’autres modèles !
Elle se tourna pour s’en aller, mais Daniel la retint.
— Il y a neuf ans, tu m’as accusé d’être comme ma mère
et de m’enfuir devant les difficultés qui se présentent. Qu’es-tu
en train de faire à présent, Ava ?
Elle le regarda avec effroi. Il avait toujours su trouver le
point sensible mais, cette fois, elle n’allait pas se laisser faire !
— Pourquoi ta vengeance contre ton père est-elle si
importante ? Aide-moi donc à comprendre !
La souffrance irradiait des yeux de Daniel mais, après
quelques secondes d’hésitation, il répondit.
— Je n’ai plus de place en moi pour quoi que ce soit
d’autre, Ava, il ne reste plus rien, hormis la haine pour cet
homme et ce qu’il m’a fait. C’est d’elle que je tire toutes mes
forces, depuis des années !
forces, depuis des années !
— Non ! Elle ne fait que s’entretenir d’elle-même depuis
vingt ans, comme un parasite qui dévore toute ta vie ! Tu as
d’abord commencé par lui sacrifier le surf et, à présent, c’est
mon tour !
Il la lâcha complètement.
— Je n’ai rien à t’offrir, Ava. Je suis vide et je ne connais
pas d’autre manière d’exister.
A ce moment, l’immense salle fut plongée dans une semi-
obscurité et devint subitement silencieuse.
Ava regagna sa place, déchirée par la sensation d’avoir été
trahie.
Elle avait devant elle une soirée interminable, en compagnie
d’hommes qui l’avaient abusée ou s’étaient servis d’elle.
En face d’elle, Daniel détournait les yeux tandis que cet
ignoble Kurtz savourait sa victoire.
Même respirer lui était douloureux.
Brant remporta le prix dans sa catégorie : meilleur talent
masculin dans les rôles autres que celui d’acteur. Elle aurait pu
lui en vouloir mais se réjouit sincèrement pour lui. Il fit un
discours de remerciement pendant que Kurtz et un cadre
d’AusOne se congratulaient mutuellement.
Ava ne prêta attention qu’à la fin du discours.
— Je place cette statue près de mon cœur. Toi seule sais
ce que cela signifie. Merci à tous.
Il n’avait regardé personne en particulier, mais la moitié de
l’assistance se tourna vers Ava.
Elle détourna les yeux, croisa le regard brûlant de Daniel et
se força à revenir à la scène.
Brant revint discrètement à sa place et, dès son retour,
Daniel se leva et partit.
— Que s’est-il passé, Ava ? lui chuchota Brant à l’oreille.
Elle se tourna vers lui.
— Pourquoi ne pas m’avoir parlé de ce complot pour faire
de la publicité ? Et pourquoi m’avoir caché que Daniel était
derrière tout cela ?
— Eh bien… Qu’est-ce que cela aurait changé ?
— Au moins, je l’aurais su.
— Et les choses seraient différentes, à présent ?
— Peut-être… Au moins, je n’aurais pas tout appris dans
ces conditions.
— Certes, admit Brant en baissant les yeux, mais aucun de
nous ne pouvait prévoir la suite.
Ava resta songeuse. Brant connaissait bien ce milieu.
— Tu penses que le reste ne faisait pas partie du plan de
Daniel ?
— Non. Et toi ?
Ava réfléchit et haussa les épaules.
— J’ai vu son visage dans la limousine quand il a lu cet
article, reprit Brant. Crois-moi, il ne s’y attendait pas du tout
et s’est fait duper, comme nous tous. Par contre, sur un autre
visage…
— Tu crois que Kurtz savait ce qui serait publié ?
— Daniel se figurait que j’étais un coureur de jupons, tu te
souviens ? Et Kurtz percevait Daniel comme une menace.
Ava n’était pas vraiment d’humeur à tenter de rassembler
les pièces du puzzle.
— Ce qui veut dire ?
— Que le réseau ne l’a pas mis au courant : il ignorait
totalement que toutes ces femmes n’étaient qu’un écran de
fumée pour cacher Cindy. Ils ne lui ont pas fait confiance et
Kurtz a voulu lui faire porter la responsabilité de tout ce qui
s’est passé.
Que de tromperies, de mensonges et de manigances
tortueuses ! A en donner la nausée…
En fait, Daniel avait géré la situation au jour le jour, en
fonction des informations dont il disposait, essayant
désespérément d’éviter que les choses ne tournent mal, tandis
que Kurtz agissait dans l’ombre pour lui nuire.
Soudain, la ligne de conduite de Daniel devint claire : il avait
arraché au réseau une augmentation de salaire et ce
magnifique véhicule, l’avait soutenue lorsqu’elle avait refusé de
porter cette tenue ridicule, était resté sans cesse sur le plateau
pour parer à tout dérapage et avait essayé de trouver une
pour parer à tout dérapage et avait essayé de trouver une
journaliste qui soit capable d’écrire un article correct, ce qui
expliquait sa fureur quand on lui avait envoyé quelqu’un
d’autre.
Elle regarda autour d’elle et l’aperçut en train de sortir de la
salle, se dirigeant vers le hall où des buffets de hors-d’œuvre
avaient été placés pour accueillir les invités.
Elle se leva et le suivit, ignorant les signes que Carrie lui
faisait au passage.
Mais, dans le hall, elle ne vit que les serveurs qui
débarrassaient.
Derrière elle, retentit une voix qui lui glaça le sang, celle
qu’elle avait redouté d’entendre toute la soirée.
— Tiens donc ! N’est-ce pas notre petite dernière, venue
tout droit de Flynn’s Beach ?
13.
Daniel reprit sa place à la table, roula sa serviette en boule
et la lança à Brant.
— Où est Ava ? demanda-t-il à mi-voix.
— Aux toilettes, je suppose.
Pourquoi Maddox ne veillait-il pas sur elle ? C’était son
travail, après tout ! Non, c’est le tien, lui murmura une petite
voix. Pendant quelques instants, il avait perdu son sang-froid
et avait dû sortir avant de dire quelque chose qu’il aurait
regretté ensuite. La douleur qu’il avait lue sur le visage d’Ava
était insoutenable.
Il avait laissé celle-ci toute seule, alors qu’elle avait besoin
d’aide !
C’était plus que de la colère qu’elle éprouvait, n’importe
qui aurait pu s’en rendre compte ! A cause de lui, elle était
plongée dans la plus grande confusion ! Il avait senti, bien plus
tôt, qu’il aurait fallu tout lui expliquer avant qu’elle ne se fasse
des idées fausses ou que quelqu’un ne vienne tout déformer,
mais il avait eu peur qu’elle ne s’en aille en abandonnant tout.
Il pouvait la comprendre : Ava avait été soumise à rude
épreuve durant cette soirée. Il ne lui restait qu’à espérer que la
rage et la douleur passeraient, qu’elle retrouverait assez de
calme pour qu’il puisse enfin tout lui dire.
calme pour qu’il puisse enfin tout lui dire.
Si pénible que ce soit.
Elle méritait au moins cela et, très franchement, il en avait
assez de porter ce poids seul. Il lui avait dit qu’il était
incapable de lui offrir quoi que ce soit, mais était-ce la vérité ?
Durant ces derniers mois, Ava Lange s’était mise peu à peu
à occuper son cœur, là où régnait auparavant le vide dont il lui
avait parlé.
Il n’allait tout de même pas perdre le seul véritable amour
qu’il ait connu dans sa vie ! Où était-elle ? Sur scène, le
présentateur lisait la liste des nominations pour la catégorie
suivante.
Il sentit son estomac se nouer.
— Et c’est avec plaisir que j’annonce le vainqueur…
Daniel regarda la porte de la salle.
Où était-elle ?

***
Ava tourna le dos à Dione Leeds et se dirigea vers les
toilettes, préférant garder le silence, mais la journaliste la suivit
jusque dans ces lieux où un téléviseur retransmettait la
cérémonie afin que personne n’en perde un seul instant.
— Vous n’avez plus rien à dire, mademoiselle Lange ? Ce
n’était pas le cas lors de notre interview !
n’était pas le cas lors de notre interview !
Ava se retourna.
— C’est à cause de cela ? Vous n’avez pas aimé la
manière dont je vous ai parlé ?
La journaliste éclata de rire.
— Oh, s’il vous plaît, ne vous flattez pas !
— Alors qu’avez-vous contre moi ? Vous ne me
connaissez même pas !
Elle se rappela ce qu’avait dit Daniel : il ne faut jamais rien
leur donner, mais elle était trop furieuse pour se contrôler. Elle
se sentait, littéralement, prête à exploser.
— Je connais les femmes de votre genre, affirma Dione
Leeds avec un mépris glacé. J’ai dû me donner bien du mal
pour en arriver là où je suis et enjamber les cadavres de
femmes comme vous, qui couchent avec n’importe qui pour
réussir malgré leur incompétence ! Pendant ce temps-là, les
vraies travailleuses ne reçoivent jamais la moindre promotion !
Dione Leeds avait dû accumuler pas mal de frustration pour
en arriver à parler ainsi, mais en quoi cela lui donnait-il le droit
de se comporter avec Ava de cette manière ? C’était la
première fois qu’elle s’entendait traiter d’arriviste par une
énergumène qui voyait sans doute en elle une cible facile sur
laquelle passer sa rage !
— C’est ainsi que vous espérez avoir de l’avancement ? En
fouillant les poubelles pour salir les gens, en utilisant tous les
coups bas et toutes les rumeurs qui traînent ? C’est cela que
coups bas et toutes les rumeurs qui traînent ? C’est cela que
l’on appelle du « bon journalisme », au Standard ?
Leeds rougit et resta muette. Ava sentit un regain de forces
monter en elle : Dione Leeds allait récolter ce qu’elle avait
semé !
— Vous auriez très bien pu faire un bon article sur l’un des
producteurs les plus prometteurs d’Australie ou sur les
problèmes soulevés par notre émission. Mais au lieu de cela,
vous avez préféré le sordide, vous avez choisi de plonger dans
le caniveau ! Et vous avez eu le culot de signer de votre nom,
comme s’il y avait des raisons d’en être fière !
Rien ne pouvait plus arrêter Ava.
— A partir de ce soir, tout le monde va se souvenir de
vous comme d’une salisseuse professionnelle et on oubliera
tous les autres articles que vous avez pu écrire lors de votre
difficile ascension vers le sommet ! Pire encore, vous aurez
votre juste récompense quand AusOne vous attaquera pour
diffamation parce que, même si les faits sont vrais, vous les
avez présentés d’une manière délibérément tendancieuse !
Vous croyez être à l’abri des poursuites sous prétexte que Bill
Kurtz est puissant et qu’il vous a promis monts et merveilles ?
Mais c’est Daniel Arnot qui représente l’avenir de ce réseau !
Vous avez écrit des mensonges, mademoiselle Leeds, et nous
le prouverons !
Ava avait parlé d’une voix ferme, sans tremblements, sans
hésitations, et plus encore que ses paroles, cela laissa Dione
Leeds incapable de répondre. Toute pâle, elle tourna les
talons et sortit, bousculant presque Carrie qui était apparue à
la porte des toilettes.
— Tu as dit exactement ce qu’il fallait ! s’exclama-t-elle.
A présent que la crise était passée, Ava ressentit
l’inévitable réaction nerveuse et se laissa tomber dans l’un des
fauteuils.
— Tu vas bien ? demanda Carrie.
— Oui, cela va aller. Si j’ai survécu à cette soirée, je peux
survivre à n’importe quoi.
Un moment de silence suivit et toutes deux levèrent les yeux
vers le téléviseur.
— C’est notre catégorie, dit Carrie.
Elle prit la télécommande car le son était désactivé et
appuya sur la touche, juste à temps pour entendre le
présentateur annoncer :
— Et le prix du meilleur documentaire est attribué à…
Nature urbaine !
Daniel se dressa en une fraction de seconde et, sans
attendre, se dirigea rapidement vers la scène. Derrière lui,
Kurtz devait être blanc de rage. Il y avait une règle tacite que
tous connaissaient, à AusOne : le personnel faisait tout le
travail et les dirigeants recevaient toute la gloire.
En quelques secondes, Daniel était arrivé sur la scène. Il
reçut la statuette des mains du présentateur et attendit
calmement que les applaudissements cessent.
— Merci, au nom d’AusOne et de toute l’équipe qui a
travaillé dur pour faire de cette émission un succès. J’ai le plus
grand plaisir à accepter cette récompense, que mérite bien le
réseau qui m’a permis de débuter dans ma carrière.
Cette fois, il pouvait savourer sa revanche. Il imaginait son
père devant son poste de télévision, lui qui l’avait si souvent
traité de minable.
C’est fini, et bien fini, papa…
— Il y a une raison pour laquelle j’ai choisi de me
spécialiser dans les documentaires, plutôt que dans les œuvres
de fiction : je préfère la réalité. Cependant, des événements
récents ont donné à mon émission une tout autre dimension.
Quelqu’un toussa mais, à part cela, régnait le silence le plus
complet.
Daniel se tourna vers le dirigeant d’un réseau rival, célèbre
pour ses feuilletons rocambolesques.
— Je vous conseille d’engager Dione Leeds pour écrire de
la fiction chez vous, Marcus Croyden. Elle ne manque pas de
talent pour déformer les faits et en tirer un véritable roman !
Toute l’assistance resta bouche bée.
— Vous me trouvez bien audacieux ? reprit Daniel. Mais je
ne fais que commencer ! Ce soir, une partie de mon travail
consistait à donner encore plus de véracité à une histoire que
les médias ne cessent de marteler : la liaison amoureuse entre
Ava Lange et Brant Maddox. Notre réseau s’est donné bien
du mal pour vendre cette histoire. Il n’y a qu’un ennui : Brant
du mal pour vendre cette histoire. Il n’y a qu’un ennui : Brant
et Ava ne sont pas amoureux l’un de l’autre. Quelque part, en
banlieue, une charmante jeune femme, peu ordinaire, accepte
de sacrifier sa vie pour Brant Maddox, de rester dans
l’ombre. C’est elle, le véritable amour de Brant Maddox et
elle a payé le prix fort pour le protéger des requins qui
pullulent dans notre milieu. J’espère que, l’année prochaine,
vous la verrez à la table d’AusOne.
Brant éclata d’un rire où l’on sentait l’approbation, le
soulagement et la gratitude.
— Cindy, reprit Daniel, je te présente mes excuses pour le
mal qui t’a été fait et pour la part que j’y ai pris. Je pourrais
recevoir quelques leçons de Brant Maddox en matière de
fidélité et de dévouement.
Il fit une pause avant de poursuivre :
— Quant à Ava Lange… Eh bien, elle est effectivement
amoureuse, mais de moi. Du moins je l’espère parce que je
suis absolument fou d’elle. Il est vrai que je la connais depuis
bien des années, mais laissez-moi vous confier quelques petits
secrets, que vous ne trouverez pas dans les kiosques à
journaux… Loin d’utiliser nos liens pour obtenir ce rôle de
présentatrice Ava Lange a fait tout ce qu’elle a pu pour le
refuser. Je l’ai manipulée pour qu’elle accepte, tout comme
j’ai trempé dans la création de cette fiction de son amour pour
Brant Maddox. Résultat, Ava a fait tout ce qu’elle a pu pour
s’éloigner de moi mais cette fois, c’est moi qui suis vainqueur.
Il y eut des rires amusés dans l’assistance.
Il y eut des rires amusés dans l’assistance.
Autant se jeter complètement à l’eau !
— Ava, chaque fois que tu es triste, le monde est plongé
dans les ténèbres, et quand tu souris, des fleurs éclosent
partout. Tu es tellement liée à la nature qu’elle répond à
chacune de tes humeurs, et je suis tellement lié à toi que je ne
peux pas imaginer une vie avec quelqu’un d’autre. Une vie où
ta beauté ne serait pas présente.
Dans toute l’assistance, il n’y eut pas une seule femme qui
ne soupira pas.
— Je t’ai fait passer après des émotions que j’aurais dû
oublier depuis longtemps, alors que j’avais juré de toujours te
protéger. Ma faute est grande et je promets de tout faire pour
la réparer. Si je n’avais pas été aveuglé par une haine de
longue date, j’aurais compris qu’il ne servait plus à rien de
chercher à faire mes preuves aux yeux de quelqu’un qui ne
représente plus rien pour moi. Il est grand temps que je
m’occupe de celle qui est tout pour moi. Ava, tu mérites
amplement ta place à Nature urbaine, grâce à ton immense
talent et à ton intégrité professionnelle. Ce que tu ne mérites
pas, par contre, c’est d’être jugée et exécutée en public pour
avoir simplement aidé un ami.
Il leva la statuette, et continua d’un ton enthousiaste :
— Merci encore au public australien qui a tant apprécié
notre programme. J’espère que vous continuerez à le suivre,
non pour apprendre le dernier scandale mais pour voir des
espaces abandonnés retrouver leur âme. A tous ceux qui sont
présents ce soir, je demande de se mettre à la place d’une
jeune femme pleine de douceur et de qualités, venue à Sydney
pour y être crucifiée sur l’autel des chiffres d’audience.
Rappelez-vous que vous pourriez bien être à sa place la
prochaine fois. Je vous remercie.
Les applaudissements commencèrent timidement mais
prirent de l’ampleur au fur et à mesure que Daniel descendait
les marches.
Daniel fit une pause à la table d’AusOne, le temps de
croiser le regard approbateur de Brant et de lancer la statuette
sur les genoux de Kurtz.
— Je démissionne.
— Inutile, tu es viré.
Mais Daniel s’éloignait déjà. Il passa lentement entre les
autres tables et, de l’une d’elles, un homme grisonnant se leva
pour lui serrer la main avec un grand sourire, lui glissant
discrètement sa carte de visite professionnelle.
C’était le patron d’X-Dream Sports, le plus grand réseau
de télédiffusion de sports en Australie.
Celui qui avait l’intégralité des compétitions de surf.
Daniel rangea précieusement la carte dans sa poche. Elle
servirait en son temps mais, ce soir, il avait un autre objectif
bien plus précieux. Il alla s’asseoir à côté d’Ava tandis que
Carrie s’éclipsait avec tact.
— Ava !
— Qu’as-tu fait ? Tu viens de sacrifier toute ta carrière !
— J’ai fait ce que je devais faire, Ava. Il fallait choisir, et
c’est toi que j’ai choisie.
Elle se força à contenir ses larmes.
— Tu as tout abandonné, tout ce pour quoi tu as travaillé si
dur…
— Cela n’a aucun intérêt si je ne suis plus digne de me
regarder dans une glace.
— Tout cela pour moi ?
Les mots avaient du mal à sortir de sa gorge serrée par
l’amour qui montait en elle, telle une marée irrésistible.
— Non, pour nous. Je ne pouvais accepter ce qui se
passait, il fallait rétablir la vérité.
— C’était vraiment si…
— Stupide ?
— Spectaculaire.
Elle s’avança pour qu’il l’entoure de ses bras et l’embrasse,
sous les exclamations enthousiastes provenant des autres
tables.
Puis il recula et mit un genou à terre.
Oh, mon Dieu…
— Lève-toi ! implora-t-elle.
— Ava Lange…
— Daniel ! Mais qu’est-ce que tu fais ?
— Je viens simplement de commettre un suicide
professionnel devant les caméras de télévision et de déclarer
mon amour devant le pays tout entier.
— Dis oui, Ava ! cria quelqu’un.
— Ava Lange. Veux-tu m’épouser et me permettre de
passer le reste de ma vie à réparer les erreurs que j’ai
commises ?
Elle resta muette : son rêve devenait réalité.
Il lui prit la main.
— Si tu dis non, tu me condamnes à une vie de désespoir.
Est-ce ce que tu veux ?
Elle aurait voulu rire pour rendre le moment moins solennel
mais n’en eut pas la force.
— Non.
La stupéfaction figea le visage de Daniel.
— Est-ce un non ?
Toute la salle était devenue silencieuse.
— Non, ce n’est pas un non.
— Alors c’est un oui ?
Ava fixa ces yeux qui exprimaient enfin l’amour, venant de
cet homme qu’elle avait aimé pendant tant d’années !
— Oui !
Un cri de joie fusa à l’une des tables voisines et quelqu’un
déclencha la musique d’une pause publicitaire, qui avait pris
bien du retard.
Daniel se leva et serra Ava contre lui.
Leurs bouches se rencontrèrent et leur baiser sembla durer
une éternité.
— On nous regarde, lui fit-elle remarquer dès qu’elle le
put.
— Peu importe, répondit-il avant de l’embrasser de
nouveau, avant de lui souffler : Sauvons-nous !
Ce fut une fuite éperdue, main dans la main.
— Tu sais, reprit gravement Daniel lorsqu’ils furent dehors,
je ne veux pas que tu te sentes liée par ce que tu viens de
déclarer devant tout ce monde. Je comprendrais si tu voulais
reprendre ta liberté.
Reprendre sa liberté ? Etait-il fou ? Son seul vœu était de
l’épouser.
— Je n’aurais jamais cru que tu sois homme à accepter que
l’on revienne sur un engagement, Daniel Arnot.
— Compte tenu des circonstances particulières dans
lesquelles il a été pris, je ne te ferais aucun reproche.
— Mais je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit, et je ne te
permettrai pas de le faire ! J’attends ce moment depuis si
longtemps ! Je t’aime !
— Alors ne cesse jamais de me le dire !
— Alors ne cesse jamais de me le dire !
— Je l’ai dit il y a neuf ans…, murmura-t-elle.
— Il y a neuf ans, j’étais incapable de voir autre chose que
mes propres besoins égoïstes mais, même à cette époque,
j’étais conscient des sentiments que tu avais pour moi.
— C’est pour cela que tu as préféré disparaître ?
— J’avais pensé que tu souffrirais moins ainsi, mais je me
trompais. J’ai continué à penser à toi et à ton amour. Il était
présent dans chaque histoire que Steve me racontait, dans
chacune des conversations que je ne pouvais plus avoir avec
ton père ! Je me suis mis à haïr toutes ces pensées parce
qu’elles me révélaient qui j’étais : un homme capable de fuir la
femme qui l’aimait.
— Tu te souviens de ce que tu m’as dit ce soir-là ?
— Quelles paroles, plus précisément ?
— « Nous ne serons jamais ensemble. »
Daniel baissa les yeux.
— Ces mots m’ont suivie pendant toutes ces années,
Daniel, partout où je suis allée. Mais quand je pense à
l’impact qu’ils ont eu sur moi, je n’arrive pas à imaginer
comment tu as pu survivre à toute une enfance d’abandon et
de négligence. C’est un miracle que tu aies pu mener une
existence normale.
— Il faut en remercier ton père. Et toi.
— Moi ?
— Je me débattais peut-être dans les difficultés
psychologiques, mais je savais où trouver mes sources de
lumière : toi, ton père, et même Steve ainsi que ta mère, pour
le peu de temps durant lequel je l’ai connue.
— Tu as perdu deux mères.
— Mais j’ai trouvé le grand amour, ce n’est pas une mince
consolation.
— Daniel, tu m’as proposé le mariage.
— Oui.
— Alors écoute-moi. Nous allons nous marier.
Elle fit une pause, le temps qu’il comprenne bien ce qu’elle
venait de dire, et ajouta :
— Donc, mon père est ton père, à présent.
— Ce n’est pas ce que je…
— Je le sais, mais c’est une autre consolation, non ?
Pour toute réponse, il l’embrassa jusqu’à ce que tous deux
se mettent à trembler.
— Je me demande ce que mon père dirait s’il nous voyait,
ajouta finalement Ava.
Il dirait qu’il est vraiment bien temps !
Epilogue
— Regarde ! Elle adore cela !
Ava était blottie contre Daniel, tous deux confortablement
installés sur leur divan, face à l’immense écran de télévision de
leur salon. On pouvait voir le couple de présentateurs de
Nature urbaine, Brant et Cindy, assister à la réception
officielle d’AusOne qui célébrait le début de la quatrième
saison de ce qui était devenu le documentaire à plus forte
audience d’Australie.
Brant était très élégant comme toujours et Cindy
resplendissait dans une création noire où brillaient des pièces
de plastique. Son visage boudeur lui avait attiré l’affection de
millions de téléspectateurs australiens.
— Ce serait bien s’ils pouvaient encore aller au cinéma
incognito de temps en temps, remarqua Ava. Je ne
m’attendais pas que Cindy devienne la favorite des médias.
— Elle est de nature extravertie. On ne s’habille comme
cela que si l’on veut attirer l’attention.
L’amitié qui s’était établie entre Daniel et Cindy était un peu
curieuse quand on songeait à la manière dont Daniel avait tiré
la jeune femme de son anonymat volontaire pour la propulser
sur le devant de la scène. Elle avait autant de repartie que
Brant, son esprit était très vif, et elle avait découvert le métier
pour lequel elle était faite. Daniel avait ainsi hérité d’une
nouvelle petite sœur…
— Elle a l’air heureuse.
— A quoi le devines-tu ?
— Cela crève les yeux. Brant reste à son côté et la laisse
tenir le premier rôle. Seul un homme vraiment amoureux peut
accepter ainsi la seconde place. Il y avait longtemps qu’elle
attendait cette chance.
— Puisqu’on parle de chance…
Ava appuya sur la télécommande et Brant et Cindy
disparurent de l’écran.
— Tu n’as donc pas de travail à faire ? Allons, monsieur le
producteur exécutif, tu as une dette envers X-Dream Sports.
Ce sont eux qui t’ont sauvé en te mettant à la tête de leur
chaîne de surf.
Et ils n’avaient pas lieu de le regretter, Daniel avait bien fait
grimper l’audience de la chaîne.
— Et toi, tu m’as sauvé en m’épousant.
Il passa les bras autour d’elle mais elle se dégagea.
— Sérieusement. Tu as une échéance à respecter, et moi
aussi. J’ai promis de rendre mes plans pour mercredi et j’ai
trois autres projets sur liste d’attente !
Daniel soupira, et se leva pour gagner son bureau.
Ava ouvrit la porte qui séparait les deux parties de la
maison. Comme on pouvait s’y attendre, AusOne avait repris
le camping-car dès le lendemain de cette soirée où Daniel
avait connu son grand triomphe, en même temps que son
renvoi. Heureusement, Steve avait pensé aussitôt à enlever du
véhicule tout ce qui appartenait à sa sœur.
C’était une chance d’avoir un grand frère.
La petite maison qu’Ava avait autrefois louée était devenue
son espace de travail : des plans, des esquisses, des dessins
de toutes sortes en décoraient les murs. Il s’agissait des
travaux qu’elle avait réalisés depuis cette soirée inoubliable.
La publicité apportée par cet événement lui avait été très
bénéfique et n’avait nui en rien à sa carrière. Elle pouvait
remercier Daniel : il avait pris un gros risque qui s’était révélé
payant.
Ava s’installa à son bureau et prit une feuille de papier
vierge pour y jeter de nouvelles idées. A peine avait-elle saisi
son crayon qu’elle entendit la porte s’ouvrir et des mains
chaleureuses se posèrent autour de sa taille.
— Pourquoi n’es-tu donc pas au travail, monsieur Arnot ?
— Tu me manquais, madame Arnot.
— Mais X-Dream… ?
— X-Dream m’occupe dix heures par jour. Le reste de
mon temps t’appartient.
Ava fut parcourue du frémissement de plaisir qu’elle
ressentait toujours quand Daniel était près d’elle. Elle se
retourna, passa les bras autour de son cou et l’embrassa avec
retourna, passa les bras autour de son cou et l’embrassa avec
amour.
Un bébé par amour
SUSAN MEIER
© 2005, Linda Susan Meier. © 2006,
2011, Traduction française :
Harlequin S.A.
LEA ROBERT
978-2-280-24038-3
1.
Ce soir-là, la petite ville de Porter subissait les assauts d’un
violent orage, comme souvent en Arkansas à la mi-septembre.
Malgré les grondements de tonnerre qui faisaient vibrer les
vitres de sa maison de brique, Seth Bryant entendit un cri
strident déchirer la nuit. Quittant d’un bond son fauteuil, il se
précipita le long du couloir qui menait à l’entrée.
Jetant un œil par le judas, il ne distingua d’abord qu’une
forme féminine dans la pénombre. Puis il la reconnut. Lucy
Santos… La princesse Lucy Santos en personne se tenait sur
le pas de sa porte ! Le cœur de Seth se serra malgré lui ;
même trempée et l’air hagard, elle était magnifique. S’il ne
pouvait voir ses longs cheveux, cachés par un chapeau de
pluie assorti à son imperméable, il pouvait en revanche
apercevoir le galbe de ses longues jambes…
Seth se remémora le reste du corps de Lucy. Il le revit
nu… dans son lit. Chassant brusquement cette pensée de son
esprit, il jeta un nouveau coup d’œil par le judas. Lucy
paraissait seule, mais Seth savait que ses gardes du corps
n’étaient jamais bien loin… Et même si elle réussissait à les
semer pour quelques heures, son chauffeur, un immense et
robuste gaillard, l’accompagnait toujours.
Seth soupira. Il était hors de question que Lucy entre de
nouveau dans sa maison… ou dans sa vie. Il eût même
nouveau dans sa maison… ou dans sa vie. Il eût même
préféré qu’elle change de planète ! Cependant, il ne pouvait
pas faire semblant de ne pas être chez lui. Toutes les pièces
étaient allumées, et sa voiture était garée devant la maison.
Prenant son courage à deux mains, il ouvrit la porte.
— Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il.
— Seth ! haleta Lucy, avant de s’écrouler dans ses bras.
Pris par surprise, Seth tenta de la retenir… Trop tard. La
joue de la jeune femme avait touché son torse. Il ne put retenir
un frisson. Serrant les dents, il chercha à regagner son sang-
froid. Cette femme lui avait apporté plus de peine que de
joie… Il ne voulait par conséquent aucun contact avec elle.
Mais alors qu’il allait la repousser sans ménagement, la
forme du corps pressé contre le sien l’arrêta. Le ventre de
Lucy était gros, bien trop gros. Elle était enceinte !
— Mon Dieu ! s’exclama-t-il.
Quelques mois plus tôt, Lucy l’avait éjecté de sa vie avec
désinvolture ; elle avait tout simplement fait annuler leur
mariage ! Et maintenant, voilà qu’elle lui avait caché sa
grossesse. Il avait toutes les raisons du monde d’être furieux.
— Tu es enceinte ! dit-il avec dureté.
Lucy leva vers lui un visage pâle et baigné de pluie.
— Au secours, dit-elle seulement.
La détresse qu’il lut à ce moment précis dans ses yeux
sombres fit soudain oublier à Seth leurs différends. Il se
souvint alors qu’il avait été alerté par un cri… Son cri.
souvint alors qu’il avait été alerté par un cri… Son cri.
Jetant un regard dehors, il constata que Lucy était venue
dans la vieille Chevrolet qu’elle utilisait parfois pour échapper
à ses gardes du corps. La princesse était donc bel et bien
seule, dans ses bras, le visage déformé par la douleur.
— Lucy ?
— Je crois que je suis en train d’accoucher…
— Oh mon Dieu !
L’instinct de protection de Seth balaya instantanément toute
colère ; sans prendre le temps de réfléchir, il souleva la jeune
femme dans ses bras et traversa l’entrée pour la déposer sur
le canapé du salon.
Lucy passa une main tremblante sur son front.
— La contraction est passée, annonça-t-elle.
Prenant soudain conscience que la jeune femme n’était pas
en danger de mort, Seth sentit la panique le quitter… et la
colère revenir.
— Je vais appeler une ambulance, déclara-t-il avec
froideur. Pendant ce temps, tu pourrais peut-être m’expliquer
ce que tu fais chez moi ?
Lucy baissa les yeux.
— D’accord, dit-elle d’une voix tremblante. Dès que j’ai
su que j’étais enceinte, j’ai quitté l’île de Xavier. Je devais
terminer la villa de Miami, mais je désirais être seule pour
réfléchir… Tu comprends, je ne veux pas te priver de ton
enfant.
Incrédule, Seth ne put retenir une grimace. Huit mois plus
tôt, Lucy avait laissé son père mettre fin à leur mariage. Et
voilà qu’elle prétendait maintenant s’inquiéter de ses
sentiments ?
— Et je dois te croire…, dit-il avec ironie.
— Seth, implora la jeune femme en lui prenant la main. Je
sais que nous nous sommes quittés en mauvais termes… Tu
as le droit de te montrer sceptique. Et en effet, je voulais te
cacher l’existence du bébé, je pensais qu’il vaudrait mieux ne
jamais se revoir, mais…
Elle s’interrompit brusquement et poussa un cri de douleur.
— Seth, ce n’est pas normal. Tout arrive trop vite… Je ne
suis censée accoucher que dans plusieurs semaines. Si j’avais
su, jamais je n’aurais pris le risque de voyager aussi loin.
— Ton médecin s’est certainement trompé dans les
dates…, déclara Seth.
Lucy ferma les yeux, haletant de plus belle.
— Mais cela… signifierait que je suis tombée… enceinte la
toute première fois… que nous avons fait l’am… Aaaahhhh !
La première fois qu’ils avaient fait l’amour… S’empêchant
de repenser à ce moment de pure magie, Seth composa le
numéro des urgences.
— J’ai chez moi une femme en train d’accoucher, dit-il au
médecin de garde.
Puis, après avoir écouté son interlocuteur, il demanda à
Lucy :
— Combien de temps y a-t-il entre tes contractions ?
— J’en ai eu une en sortant de la voiture. Une autre lorsque
tu as ouvert la porte. Et en voici une troisième… Moins d’une
minute d’écart, c’est presque comme si les contractions ne
s’arrêtaient pas du tout ! haleta-t-elle, visiblement apeurée.
Elle semblait avoir du mal à respirer.
— Envoyez-moi quelqu’un, vite ! cria Seth.
Lucy poussa un nouveau hurlement de douleur. Seth serra
sa main un peu plus fort.
— Tiens bon, une ambulance est en route, lui dit-il pour la
rassurer.
— Je ne peux pas attendre ! gémit-elle. Oh, mon Dieu ! Je
vais avoir ce bébé, et tout de suite !
Elle s’allongea sur le canapé et releva les jambes tandis que
Seth se mettait à genoux à côté d’elle. Elle tremblait de tous
ses membres.
— Elle souffre beaucoup ! dit Seth dans le combiné. Elle
dit que le bébé arrive, et je crois qu’elle a raison. Deux de
mes voisins sont pompiers volontaires… Je vais raccrocher et
leur demander de venir l’aider.
Seth courut à son bureau pour y chercher le numéro de
Mark et Ray. La formation paramédicale des deux frères
serait précieuse.
serait précieuse.
— Mark, dit-il lorsque l’aîné répondit. C’est Seth Bryant.
Je n’ai pas le temps de t’expliquer, mais mon ex-femme est en
train d’accoucher sur mon canapé. J’ai besoin de Ray et de
toi immédiatement ! C’est une question de minutes !
Sans laisser à son interlocuteur le temps de répondre, il
raccrocha pour se précipiter dans le salon. Lucy gémissait.
Seth se pencha sur elle et entreprit de défaire les boutons de
son imperméable.
— Laisse-moi te débarrasser de ton imper, dit-il avec
douceur.
Lucy hocha faiblement la tête, se redressant un peu pour
qu’il puisse dégager ses épaules. Puis elle gémit encore.
— Tiens bon… Tout va très bien se passer, j’ai appelé
mes voisins. Ils sont secouristes.
Mais Lucy grimaçait de plus belle. Elle serra le coussin si
fort que les jointures de ses doigts en blanchirent.
— Seth, le bébé arrive, je le sens !
A cet instant, la sonnette d’entrée retentit.
— Par ici ! cria Seth, n’osant pas quitter Lucy pour aller
ouvrir la porte.
« Pourvu que Mark et Ray n’attendent pas d’être invités à
entrer », songea-t-il en serrant la main de la jeune femme dans
la sienne.
— Entrez ! hurla-t-il de nouveau. Nous sommes ici !
Il criait encore en direction de la porte quand le nourrisson
sortit du ventre de sa mère. En quelques secondes, l’enfant
glissa dans ses mains…
— Mon Dieu !
Mark et Ray choisirent cet instant pour faire irruption dans
la pièce.
— Je vois qu’on arrive trop tard, dit Ray en riant.
Seth baissa les yeux sur l’enfant. Son fils.
— Mon Dieu, répéta-t-il, sans trouver d’autres mots.

***
Seth regarda les secouristes emmener Lucy et son fils hors
de sa demeure et les installer dans l’ambulance. Lorsqu’ils
furent hors de vue, il se précipita à l’étage pour enfiler des
chaussures et une chemise afin de les rejoindre à l’hôpital.
Mais une fois dans sa chambre, il changea d’avis et sortit
son téléphone portable de sa poche.
Son avocat mit plusieurs minutes à répondre.
— Pete, c’est Seth Bryant, annonça-t-il.
— Seth ? Pourquoi m’appelles-tu à… minuit, un vendredi ?
s’exclama Pete Hauser, visiblement contrarié.
Seth fit la grimace.
— Tu étais déjà couché, n’est-ce pas ?
— Bien sûr, j’étais même endormi !
— Désolé, mais j’ai un problème… J’ai un fils.
— Comment ? s’écria l’avocat.
Seth prit une profonde inspiration.
— Laisse-moi reprendre depuis le début. Je t’ai dit que je
m’étais marié, mais que tu n’avais pas de souci à te faire
parce que le mariage avait été annulé, et qu’aucun de nous ne
désirait de pension alimentaire ou d’argent, tu t’en souviens ?
— Oui…
— Eh bien, j’avais tort de ne pas m’inquiéter. Le père de
mon ex-femme est roi…
— Seth, dis-moi que tu plaisantes…
— Malheureusement, ce n’est pas une farce, répondit Seth
avec sérieux. En deux mots comme en cent, notre mariage a
été annulé parce que Lucy avait déjà été promise en mariage
dans le cadre d’une alliance…
— Seth !
— Mais je suis sérieux, Pete ! Son père l’a fiancée alors
qu’elle n’était encore qu’une enfant… une promesse aussi
légale que le mariage, dans son pays. Quand il a appris qu’elle
m’avait épousé, il lui a annoncé que notre union n’était pas
valable. Lucy est rentrée chez elle plaider notre cause, et elle
n’est jamais revenue. Les représentants de son père se sont
présentés à ma porte un matin, avec les papiers d’annulation
présentés à ma porte un matin, avec les papiers d’annulation
dont je t’ai parlé, qui déclarent notre mariage nul et non
avenu. Mais ce soir, Lucy a sonné chez moi, enceinte ! Et elle
a accouché de notre enfant sur mon canapé. Mais là n’est pas
la question. Le problème vient du fait que Lucy est princesse.
Ma famille et moi sommes peut-être riches, mais j’ai l’intuition
que nous ne sommes pas de taille face au gouvernement d’un
pays…
— Tu as peur qu’elle emmène le bébé dans son pays et
que tu ne le revoies jamais, c’est ça ?
— Exactement.
— Voici ce que tu dois faire. Quoi qu’il en coûte, tu dois la
retenir ici, le temps que je me renseigne sur les lois de son
pays et que je trouve un moyen de défendre tes droits.
— Pendant tes recherches, garde bien à l’esprit que mon
fils est le premier enfant de Lucy…, ajouta Seth. Et qu’elle-
même est la fille unique d’un roi.
A l’autre bout du fil, Pete soupira.
— Ton fils est l’héritier d’un trône ?
— J’en ai bien l’impression… Je ne sais pas grand-chose
de la royauté et des monarchies, mais je me doute que d’être
l’aîné d’une fille unique n’est pas sans conséquence, dans ce
milieu.
— Ne t’inquiète pas, dit Pete. Je commence tout de suite
mes recherches. De ton côté, arrange-toi pour garder ta
princesse dans ce pays !
***
— Cela s’appelle un accouchement spontané, déclara
l’interne des urgences avec un grand sourire. Nous gardons
madame une nuit de plus en observation, mais tout va bien.
Au prochain bébé, vous serez prêt !
— Il n’y aura pas de second bébé, marmonna Seth lorsque
le médecin fut sorti du box où Lucy avait été installée.
Après s’être passé une main sur le visage, il se tourna vers
la jeune femme. Une myriade d’émotions l’assaillirent
instantanément. Il comprenait fort bien pourquoi Pete voulait
qu’il fasse rester Lucy à Porter, mais celui-ci n’avait pas
conscience de l’irrésistible attirance que son client ressentait
pour elle. Lors de leur premier rendez-vous, ils n’avaient pas
quitté sa chambre d’hôtel…
Ils s’étaient rencontrés à Miami, sur un chantier de
construction que Lucy supervisait pour son père. Pendant huit
longues heures, ils avaient combattu la tension électrique qui
vibrait entre eux, puis Seth l’avait invitée à dîner. Ce soir-là,
Lucy était tombée dans ses bras quelques secondes après
avoir franchi le pas de sa porte.
A l’exception de leur travail sur le chantier, ils avaient passé
le plus clair de leur temps entre les draps. Heureusement,
songea Seth, grâce à ce détail, il avait pu se convaincre que
leur histoire n’était basée que sur le désir. Ils s’étaient mariés à
leur histoire n’était basée que sur le désir. Ils s’étaient mariés à
Las Vegas, quelques semaines plus tard.
Reporter la faute sur une attirance incontrôlable facilitait
tout… Jusqu’à maintenant. Car à présent, toutes sortes
d’émotions plus folles les unes que les autres déferlaient dans
son cœur. Il n’était peut-être pas amoureux de Lucy, mais il la
désirait… et lui était reconnaissant de lui avoir donné un fils.
Il était dans de beaux draps ! songea-t-il tout à coup.
Tomber amoureux d’elle serait un suicide.
Le regard interrogateur de Lucy le tira de ses pensées.
— Tu auras une chambre à toi d’ici quelques minutes, dit-il
faute de mieux.
— Merci, murmura-t-elle en fermant les yeux.
— Ils t’amèneront le bébé une fois que tu seras installée…
— Bien.
Voilà pourquoi leur mariage était une erreur ! songea Seth.
Physiquement, ils s’entendaient à merveille. Mais ils
n’arrivaient visiblement pas à communiquer.
Pourtant, ils avaient un bébé, à présent. Et Seth refusait de
laisser une monarchie lui retirer ses droits parentaux. Xavier
était un minuscule royaume, perdu au milieu des nombreuses
îles au large de l’Espagne, mais le père de Lucy avait toutefois
les moyens de le priver de son fils, si tel était son désir.
Une seule solution s’offrait donc à Seth : devancer le
monarque.
— Alors… que fait-on maintenant ? s’enquit-il.
— Alors… que fait-on maintenant ? s’enquit-il.
— Je rentre à la maison, déclara Lucy.
C’était précisément ce qu’il avait craint…
— Et où est ta maison, exactement ?
Prenant conscience de la rudesse de sa question, Seth
s’empressa de radoucir sa voix. Il ne pouvait pas se permettre
de mettre Lucy en colère… Dieu seul savait ce qu’elle ferait
alors, et où elle irait ! Elle avait déjà disparu une fois…
— Lorsque ton père t’a appelée, tu as quitté Miami pour
l’île de Xavier… Tu dis être revenue à Miami ces derniers
mois, mais n’étais-tu pas censée épouser un prince ? Vis-tu
avec lui dans un autre royaume dont je n’aurais jamais
entendu parler ?
— Non. Mes fiançailles annulaient notre mariage, mais ma
grossesse… a rompu cet engagement.
Seth ne put retenir un petit rire.
— J’imagine que ton père a adoré ça !
— Eh bien, comme son alliance avec l’autre pays n’en a
pas souffert, il s’en moque…
Seth secoua la tête. Comment ce genre de pacte pouvait-il
encore exister de nos jours ?
— Pourquoi ne suis-je pas étonné ? demanda-t-il avec
ironie. Mariage, grossesse… quelle importance, du moment
que l’accord passé avec le prince Machin Chose reste intact !
— Seth, je sais que tu es en colère, dit Lucy d’une voix
— Seth, je sais que tu es en colère, dit Lucy d’une voix
douce, et je ne m’attends pas à ce que tu comprennes ces
choses-là, mais…
— Votre chambre est prête ! interrompit une infirmière, en
passant la tête dans l’entrebâillement du rideau.
Puis, après avoir tour à tour regardé Lucy et Seth, elle
ajouta à l’intention de ce dernier :
— Vous devriez rentrer chez vous. Votre femme a besoin
de sommeil… et vous aussi.
Entendre cette inconnue appeler Lucy « sa femme »
déclencha chez Seth un nouveau tourbillon d’émotions. Mais il
devait absolument garder la tête froide et retenir Lucy en
Amérique.
— Veux-tu que je rentre ? demanda-t-il poliment.
— Je suis fatiguée… Mais nous avons besoin de parler.
— Vous discuterez demain ! commanda l’infirmière.
— Non, cela ne peut pas attendre, répondit Lucy. Donnez
mon numéro de chambre à Seth, s’il vous plaît.
La façon à la fois gentille et princière dont Lucy avait donné
cet ordre fit bondir le cœur de Seth. C’était cette parfaite
combinaison de femme assurée et d’enfant adorable qui l’avait
séduit dès la première minute.
L’infirmière soupira.
— C’est la chambre 417. Mais ne venez pas tout de suite ;
laissez-lui dix minutes pour s’installer.
Seth acquiesça et sortit, heureux d’avoir quelques instants
pour recouvrer ses esprits. Il se rendit à la pouponnière, où il
regarda les infirmières s’affairer autour du petit être dont il
était le père. Avoir conçu un enfant lui semblait totalement
irréel ; l’avoir mis au monde de ses propres mains tenait du
miracle.
Toutes ces émotions étaient les bienvenues… mais sa
gratitude envers Lucy lui posait problème. Il avait envie de la
serrer dans ses bras, de lui promettre la lune… Quelle idiotie !
songea-t-il. Pour autant qu’il sache, Lucy ne souhaitait surtout
pas qu’il revienne dans sa vie ! Ils n’avaient passé que
quelques semaines ensemble… Lucy s’était probablement
réveillée un matin, totalement paniquée en réalisant qu’elle
avait épousé un inconnu, et avait saisi l’occasion que son père
lui offrait pour mettre fin à leur mariage. Voilà pourquoi elle
n’avait répondu à aucun de ses messages…
Secouant la tête, Seth jeta un œil à sa montre. Il se sentait
toujours aussi perdu. En entrant dans la chambre de Lucy, il
commit l’erreur de croiser son regard. En une fraction de
seconde, la douceur qu’il y lut raviva le souvenir de tous les
instants heureux qu’ils avaient partagés.
Allons, il devait absolument combattre ses émotions…
Même s’il était assez idiot pour vouloir se rapprocher de
Lucy, la jeune femme ne ferait pas la même erreur. Ne s’était-
elle pas débarrassée de lui comme d’une vieille chaussette ?
Cette pensée le calma instantanément. Il se lança dans la
bataille sans préambule.
bataille sans préambule.
— J’aimerais que tu restes à Porter pour une semaine ou
deux, afin que nous puissions parler du droit de visite.
— Seth, je dois te dire quelque chose…, répondit Lucy,
dont les mains jouaient nerveusement avec sa couverture.
— Tu ne vas pas m’annoncer que je n’ai aucun droit sur
mon enfant, j’espère ?
— Non ! Tu auras tous les droits qui te reviennent, bien
sûr… En fait, je voulais te dire que j’aimerais appeler notre fils
« Owen », comme ton père.
Ce geste surprit tant Seth qu’il dut s’asseoir.
— Pourquoi ?
— Ce n’est que justice, répondit-elle en souriant. Je me
souviens très bien de notre conversation à propos de lui : tu
m’as dit combien tu l’aimais, et combien il t’avait manqué
après sa mort. Tu m’as aussi raconté que ton frère et toi avez
travaillé très dur pour oublier votre chagrin, mais que tu
ressentais toujours un vide en toi.
Eh bien, voilà qui démolissait sa jolie théorie sur le manque
de communication dans leur couple ! songea Seth. Mais de
toute façon, qu’ils parlent ou non, Lucy et lui n’avaient aucun
avenir ensemble.
— Je ne sais pas quoi dire, répondit-il, touché malgré lui
par l’offre de la jeune femme.
— Il n’y a rien à dire. Owen est aussi ton fils.
Malheureusement, toute décision que nous pourrions prendre
Malheureusement, toute décision que nous pourrions prendre
quant au droit de visite devra être approuvée par l’avocat de
mon père…
En entendant ces mots, Seth sentit la colère le gagner de
nouveau. Il n’en voulait pas à Lucy de prendre un avocat pour
gérer cette affaire, mais pourquoi choisir l’avocat royal, qui
défendait la monarchie avant tout ? Même avant Lucy !
— Tu pourrais engager un avocat ici !
— Ce n’est pas la façon dont nous agissons sur l’île…
— Tu n’es pourtant pas à Xavier pour l’instant !
— J’en suis consciente. Mais tu sembles oublier un détail…
Owen n’est pas que ton fils. Il est également le prochain roi de
Xavier… Et notre pays a son mot à dire sur ce qui se passe
dans sa vie.
Seth la dévisagea, abasourdi.
— Tu plaisantes ? Serais-tu en train de prétendre qu’une
poignée d’avocats vont nous dicter la façon d’élever notre
fils ?
— « Dicter » est un bien grand mot. Mais ils auront un droit
de regard sur son baptême, par exemple, car c’est à cette
occasion qu’il sera consacré prince héritier.
— Et c’est ainsi que mon fils vendra son âme au diable,
comme c’est touchant !
— Seth, s’il te plaît. C’est une cérémonie, voilà tout !
Owen assistera à une douzaine d’entre elles jusqu’à son
couronnement. Ensuite, il devra bien sûr vivre dans son pays.
couronnement. Ensuite, il devra bien sûr vivre dans son pays.
Seth s’en voulait de s’être énervé contre Lucy, mais il ne
savait plus où il en était. Après tout, la dernière fois qu’il avait
eu affaire à ce pays, son souverain avait détruit son mariage…
Et Dieu seul savait ce que la monarchie ferait au petit être
innocent destiné à en devenir le roi.
Il comprit soudain que la belle princesse de Xavier n’était
pas son seul souci, loin de là ! Non content de lui résister, il
devait également se battre pour les droits de leur fils. S’il
n’agissait pas, et vite, Owen ne connaîtrait jamais les joies du
base-ball, de la randonnée en montagne, des premiers rendez-
vous… Bon sang, il n’irait peut-être même jamais au lycée !
Owen Bryant finirait comme sa mère, contrôlé par son pays…
Et c’était ce qui faisait le plus mal : lorsque Lucy avait
découvert qu’on l’avait déjà fiancée à un autre, elle ne s’était
pas rebellée ! La princesse était si habituée à suivre les ordres
qu’elle l’avait tout simplement quitté.
Voilà pourquoi il ne donnerait plus une miette de son cœur
à cette femme. Et voilà pourquoi il refusait que son fils, lui
aussi, devienne un pantin.
2.
— Je croyais que tu m’emmenais à l’hôtel, dit Lucy
lorsqu’elle aperçut au loin la maison de Seth.
Installée à l’arrière de la voiture, elle croisa son regard dans
le rétroviseur.
— Je pense qu’il est plus avisé que vous séjourniez chez
moi plutôt que dans une chambre d’hôtel, répondit-il.
Avisé ? Lucy faillit éclater de rire. Elle avait décidé
d’épouser cet homme en moins de temps qu’elle ne prenait
d’ordinaire pour choisir une robe de bal !
Lorsqu’elle s’était présentée à sa porte, la veille, Seth ne
portait qu’un jean dont la taille basse laissait voir ses hanches
étroites ; elle s’était effondrée contre son torse nu. Toute à sa
douleur, elle n’avait pas réagi au contact de sa peau, mais
aujourd’hui… L’image de ses muscles ciselés lui revenait
incessamment à la mémoire, ainsi que l’extraordinaire
sensation de sécurité qu’elle avait ressentie dans ses bras.
Non, il n’y avait vraiment rien d’étonnant à ce qu’elle ait
épousé Seth sur un coup de tête…
Grand et mince, les cheveux blonds et les yeux d’un vert
pâle inhabituel, Seth Bryant était magnifique.
Lorsqu’ils s’étaient rencontrés sur le chantier de Miami,
Seth ne savait pas qu’elle était princesse. A ses yeux, elle ne
Seth ne savait pas qu’elle était princesse. A ses yeux, elle ne
faisait que son travail d’architecte.
Comme elle avait aimé être traitée comme tout le monde !
C’était si agréable qu’elle lui avait caché sa véritable identité
jusqu’à ce qu’il l’invite à dîner. Intrépide, intelligent, Seth était
juste assez rebelle pour lui donner la délicieuse impression
d’enfreindre les règles de l’étiquette. Pour une femme comme
elle surprotégée pendant toute sa vie, Seth était une bouffée
d’air frais, une véritable aventure ! Et douze heures à peine
après leur première poignée de main, elle s’était retrouvée
dans son lit.
Oh non, elle ne pensait pas qu’il serait plus avisé d’habiter
chez lui ! Mais elle devait tenir compte d’un élément bien plus
important que leur dangereuse attirance l’un envers l’autre…
Avant de ramener Owen sur son île, elle devait absolument
apprendre à s’en occuper sans l’aide d’une nourrice ! Sa
propre mère, la reine Marianne, était morte lorsqu’elle avait
six ans. Elle n’avait donc jamais vraiment connu sa maman,
n’ayant pas été élevée par elle. Et Lucy refusait d’infliger ce
destin à son fils.
Mais si elle n’apprenait pas très vite à s’en occuper, son
père insisterait pour engager une armée de gouvernantes…
Elles s’affaireraient sans cesse autour du petit prince, et Lucy
n’aurait jamais l’occasion de s’en approcher… Elle devait
donc tout apprendre avant que les gens du palais ne s’en
mêlent, et Porter était l’endroit idéal pour cela.
Du moment qu’elle lui donnait des nouvelles de son petit-
fils, le roi ne viendrait pas la chercher tout de suite, songea-t-
fils, le roi ne viendrait pas la chercher tout de suite, songea-t-
elle. L’assemblée législative de Xavier s’apprêtait à se réunir,
et son père ne pouvait l’ajourner sans attiser les curiosités.
Ils avaient réussi à garder sa grossesse secrète en
prétendant que Lucy terminait la maison de Miami. Mais si le
roi annulait l’assemblée pour venir en Arkansas, les médias ne
tarderaient pas à le suivre. Ils découvriraient alors non
seulement l’existence d’Owen, mais aussi celle de Seth. Les
médias l’assailleraient alors de questions sur le mariage, sur
son annulation, sur cette grossesse dont ils n’avaient rien su…
Toute cette histoire exploserait au grand jour.
S’il voulait donner à penser que les circonstances de la
naissance d’Owen étaient normales, son père n’avait donc
d’autre choix que de rester dans son pays comme si de rien
n’était. Une fois ses devoirs de souverain remplis, il viendrait
chercher Lucy et son fils pour les ramener sur l’île, où l’équipe
d’attachés de presse du palais trouverait une façon
« acceptable » d’expliquer toute l’histoire. D’ici là, la jeune
femme aurait le temps d’apprendre à s’occuper de son fils, et
de discuter avec Seth du droit de visite.
Une seule question restait : valait-il mieux être seule à
l’hôtel, ou avec quelqu’un qui pourrait l’aider… mais dont la
simple présence la faisait défaillir ?
— Comment peux-tu trouver plus avisé que j’habite avec
toi plutôt qu’à l’hôtel ? demanda-t-elle une fois qu’ils furent
garés.
Seth se retourna pour lui faire face.
— Nous avons peu de temps pour décider de ma place
dans la vie d’Owen, et j’aimerais en profiter pour apprendre à
le connaître avant que tu ne l’emmènes loin de moi.
Lucy fronça les sourcils. Seth voyait juste. Ce séjour à
Porter était peut-être sa seule chance avant longtemps de
connaître son fils… Car en tant que futur souverain d’un petit
pays, Owen vivrait au palais, à l’autre bout du monde. Peu
importe la fougue avec laquelle Seth négocierait son droit de
visite, Lucy ne pourrait pas lui promettre plus de deux ou trois
rencontres par an… De plus, celles-ci auraient toujours lieu au
palais. Elle avait bien failli lui en parler la veille, mais il avait
l’air si déboussolé par cette arrivée inattendue d’un petit être
dans sa vie qu’elle n’en avait pas eu le cœur.
Elle jeta un œil à l’élégante maison de Seth. La grosse
bâtisse pouvait abriter deux personnes de plus sans problème.
Et puis, raisonna-t-elle, Seth n’essaierait certainement pas de
l’approcher ! Lorsqu’elle était partie pour Xavier, il n’avait
pas apprécié qu’elle réponde à l’appel de son père toutes
affaires cessantes. Ses devoirs de princesse prenaient en effet
le pas sur tout le reste… y compris son mari. Cela, en
particulier, avait mis Seth en rage.
Voyant qu’il ignorait ses lettres et ses messages
téléphoniques, Lucy avait pensé qu’il regrettait de s’être marié
à une princesse. Puis, lorsqu’il avait accepté l’annulation de
leur union sans protester, elle en avait eu la preuve.
Cela l’avait beaucoup blessée, au début…
Qui essayait-elle de tromper ? songea-t-elle soudain. En
réalité, elle en avait perdu le goût de vivre. Mais avec le
temps, elle avait accepté son sort : Seth avait compris que
faire partie d’une famille princière n’avait rien d’une sinécure.
Pouvait-elle lui en vouloir ? Bientôt, pourtant, son propre fils
serait aussi impliqué qu’elle dans les affaires de l’Etat, sinon
plus…
Priver Seth de se rapprocher d’Owen semblait injuste. Par
ailleurs, il lui serait facile de garder ses distances avec un
homme qui ne voulait pas d’elle, aussi beau fût-il !
— D’accord, dit-elle simplement.
— Parfait, répondit Seth en ouvrant sa portière. Je
m’occupe du sac, toi du bébé ?
Lucy fit le tour du véhicule pour dégager Owen de son
siège-auto. Avec mille précautions, elle le prit dans ses bras.
— Bonjour, toi, dit-elle en frottant son nez contre le doux
visage du nourrisson.
Ce petit être était son fils ! Elle n’arrivait pas encore à y
croire. Après avoir passé la majeure partie de sa vie seule,
elle avait désormais avec Owen un lien irrévocable. Fermant
les yeux, elle respira la merveilleuse odeur du bébé.
— Prête ? lui demanda Seth.
Depuis combien de temps l’observait-il ? s’interrogea
Lucy. Mais non, elle était idiote… C’était son fils que Seth
regardait avec tendresse, pas elle !
— Oui, nous sommes prêts, répondit-elle.
— Oui, nous sommes prêts, répondit-elle.
Elle le suivit dans la maison, notant au passage les détails
qui lui avaient échappé la veille. D’élégantes lanternes noires
encadraient l’allée qui menait à la porte, et le vestibule, carrelé
dans un orange pâle très raffiné, donnait de la chaleur à la
demeure dès le premier regard.
— Tu as une très belle maison, déclara-t-elle.
— J’ai engagé une décoratrice d’intérieur…
Lucy ne put s’empêcher de rire.
— Vraiment ? Tu construis des maisons pour les autres,
mais tu as eu besoin d’aide pour décorer la tienne ?
— Les plans d’un édifice n’ont effectivement pas de secret
pour moi, répondit Seth en haussant les épaules. Mais agencer
des couleurs, choisir des bibelots ? J’en serais bien incapable.
Dieu me garde d’avoir un jour à meubler une chambre à
coucher !
Lucy réprima un sourire.
Serrant son fils contre elle, elle entreprit d’observer
méthodiquement les autres pièces. A sa gauche, la salle à
manger arborait une belle table en chêne ainsi qu’un grand
chandelier de cristal. Au-delà, un élégant sofa blanc mettait en
valeur le parquet du salon.
— Eh bien, ta décoratrice a fait du très beau travail !
— Merci. J’ai pris la liberté de faire livrer un berceau, une
table à langer, etc. Je les ai fait monter dans ma chambre.
En entendant ces mots, Lucy s’imagina allongée sur un lit
avec Seth, souriant à l’enfant confortablement installé entre
eux… Mais dans la seconde qui suivit, la douce chaleur qui
l’avait envahie fut remplacée par une panique totale. Seth
semblait s’attendre à ce qu’elle partage sa chambre !
Outrée, elle se tourna vers lui.
— Seth ! Ne t’imagine pas que je vais dormir avec toi !
Mes fiançailles ont annulé notre mariage. Tu ne devrais pas…
— Ne t’inquiète pas, princesse ! la coupa-t-il. Tout cela
est loin derrière nous à présent. Je te laisse la grande chambre
parce qu’elle est plus confortable… Je n’y dormirai pas.
Soulagée, Lucy s’apprêtait à s’excuser de son impair
quand elle entendit un véhicule entrer en trombe dans l’allée.
Par la fenêtre du hall, elle vit Ty, le frère de Seth, sortir en
courant de la jeep noire sans attendre la femme rousse qui
l’accompagnait.
Tout comme son frère, il portait un pantalon de coupe
simple et un polo à manches courtes. Mais la ressemblance
s’arrêtait là ; aussi brun que Seth était blond, Ty avait les yeux
couleur d’ébène. Visiblement pressé de parler à son frère, il
entra sans frapper.
— Bonjour, Lucy, dit-il en hochant la tête. Seth, qu’est-ce
qui t’a pris ?
— Bonjour à toi aussi, Ty, répondit Seth, visiblement
amusé.
— Je ne savais même pas que tu avais fréquenté Lucy !
— Je ne savais même pas que tu avais fréquenté Lucy !
s’exclama Ty. Imagine seulement ma tête, ce matin, lorsque
ma future belle-mère m’a appelé… D’après ses sources à
l’hôpital, tu as eu un enfant… hier ! Et tu ne dis rien à ton
propre frère ?
Lucy faillit éclater de rire devant la mine déconfite de Ty,
mais Seth se contenta de soupirer.
— Ty, Lucy est mon ex-femme, dit-il calmement.
La bouche de Ty s’ouvrit d’elle-même, formant un « O »
parfait.
— Ex… femme ? Tu as épousé une princesse ?
— Ne t’inquiète pas, il n’y aura aucune conséquence pour
Bryant Development…
— Aucune ? Si je m’en souviens bien, nous avons perdu un
contrat de dix millions de dollars avec le père de Lucy ! Si
j’avais su que c’était à cause de ton mariage…
— Oui, eh bien, tout est terminé à présent, répliqua Seth,
visiblement ennuyé. Le mariage n’était pas valide parce que
Lucy était déjà fiancée à un autre homme et n’était pas libre
de s’engager ailleurs. C’est comme si rien ne s’était passé.
Ty dévisagea alors son frère comme s’il le voyait pour la
première fois.
— Comment peux-tu dire cela ? Vous avez un enfant
ensemble !
— De nos jours, ces choses-là peuvent arriver hors
mariage, tu sais…, répliqua Seth.
mariage, tu sais…, répliqua Seth.
— Madelyn est encore plus furieuse que moi ! poursuivit
son frère, tout à sa colère.
Madelyn ? Le cœur de Lucy se serra de nouveau, tenaillé
cette fois par la jalousie. Qui était cette femme, visiblement
assez proche de Seth pour se sentir concernée par le fait qu’il
ait un enfant… et le lui reprocher ? Non, se corrigea-t-elle, ce
n’était pas de la jalousie… elle était juste curieuse de savoir
qui entrerait dans la vie de son fils, voilà tout !
— Madelyn ? dit-elle d’un ton qu’elle espérait innocent.
— C’est la fiancée de Ty, expliqua Seth. D’ailleurs, la voici
qui remonte l’allée…
— Elle est aussi l’attachée de presse de Bryant
Development, intervint Ty. Comment diable va-t-elle réussir à
expliquer cette histoire de façon acceptable ?
— Elle n’en aura pas besoin. Il s’agit de ma vie privée,
répliqua Seth d’un ton convaincu. Je ne vois aucune raison
d’expliquer la naissance de mon fils à qui que ce soit, et
encore moins de la rendre « acceptable » !
Ty soupira, puis se passa nerveusement une main dans les
cheveux lorsque sa fiancée fit son entrée. Lucy comprit alors
la raison de l’arrivée tardive de Madelyn ; celle-ci portait dans
ses bras un bébé de six ou sept mois. Vêtue d’une salopette
rose, l’adorable petite fille lui offrit un sourire édenté puis
entreprit de taper joyeusement la joue de sa mère.
— Madelyn Gentry, dit Seth, je te présente mon ex-
femme, Lucy.
Madelyn saisit la menotte de la fillette au vol.
—… Ex-femme ? répéta-t-elle, comme si elle croyait avoir
mal entendu.
— Et c’est reparti, soupira Seth.
Owen émit un petit bruit et se blottit contre le sein de sa
mère. Lucy baissa les yeux pour s’assurer qu’il allait bien.
Lorsqu’elle releva la tête, Madelyn et Ty l’observaient d’un
air attendri.
Fière de son magnifique nouveau-né, elle leur sourit.
— Avez-vous envie de le tenir dans vos bras ?
Ty ouvrit de grands yeux et recula.
— Je m’habitue tout juste à tenir Sabrina !
— C’est ta fille ? s’enquit Lucy, en indiquant d’un signe de
tête l’enfant que portait Madelyn.
— En fait, Ty n’a la garde de Sabrina que depuis peu,
intervint celle-ci. Ses parents sont décédés dans un accident
de bateau, et Ty est sa plus proche famille. Il apprend tout
juste à s’occuper d’un bébé de cet âge, ajouta-t-elle, tendant
la petite à son fiancé. Mais moi, je meurs d’envie de le tenir !
— Si on s’installait dans la cuisine ? offrit Seth tandis que
les deux femmes admiraient Owen. Je vais faire du café.
Lucy suivit le petit groupe d’un pas incertain. Peut-être ne
devrait-elle pas assister à cette conversation, qui promettait
d’être animée… Autant récupérer son fils et s’éclipser,
d’être animée… Autant récupérer son fils et s’éclipser,
décida-t-elle. Malheureusement, Ty avait déjà repris ses
reproches lorsqu’elle entra dans la cuisine.
— … et les rumeurs vont bon train ! disait-il.
Heureusement que Madelyn est là pour éclairer ma vie, et
pour réparer tes bêtises !
Ty jeta ensuite un regard amoureux à sa compagne, et Lucy
ne put s’empêcher de les envier. Elle avait toujours ressenti un
vide dans sa relation avec Seth. Il lui semblait à présent
comprendre ce qui lui avait manqué : il n’y avait eu entre elle
et Seth ni plaisanteries, ni regards échangés à la dérobée…
Uniquement une passion dévorante. Lucy ne s’était pas sentie
proche de lui. Encore une preuve qu’ils n’étaient pas faits l’un
pour l’autre, songea-t-elle.
— Ty, as-tu gardé la liste de nourrices que tu avais faite ?
demanda Seth tout en préparant le café. J’aimerais bien
l’avoir.
— Je ne veux pas que mon enfant soit élevé par une
nourrice, intervint Lucy. Je veux m’en occuper seule.
D’ailleurs, je pensais que tu voulais profiter de sa présence ici
pour te rapprocher de lui ?
Le dos toujours tourné, Seth éclata de rire.
— Lucy, je veux passer du temps avec Owen, mais je ne
sais pas m’occuper d’un nourrisson, et je doute qu’une
princesse soit aussi compétente qu’une nourrice !
Lucy se raidit sous l’insulte. Elle était peut-être de sang
royal, mais elle était également une femme, et possédait tous
royal, mais elle était également une femme, et possédait tous
les instincts d’une mère !
— Ma voisine de Miami avait un nouveau-né, renchérit-
elle. Quand je me suis aperçue que j’étais enceinte, je lui ai
demandé si je pouvais la regarder faire. L’infirmière, à
l’hôpital, m’a également montré beaucoup de choses, et j’ai lu
tous les livres imaginables sur le sujet. J’ai juste besoin d’un
peu de pratique, mais je me débrouillerai très bien.
— Il a fallu trois mois à Ty pour s’habituer à s’occuper de
Sabrina ! dit Seth.
— J’apprends vite, répliqua Lucy d’un ton déterminé.
— Je pense qu’Owen a besoin d’être changé, intervint
Madelyn. As-tu eu le temps d’acheter des couches ?
— Ils nous en ont donné quelques-unes à l’hôpital.
— Parfait. Alors allons-y, lança Madelyn, en faisant signe à
Lucy de la suivre. Je regarderai ce que tu as, et je te dirai ce
qui manque.
Elles sortirent de la cuisine et montèrent l’escalier qui
menait aux chambres.
— C’est très gentil de ta part…, dit Lucy.
— Ce n’est rien… J’ai pensé qu’il valait mieux sortir de
cette pièce avant que Seth ne te force la main.
— Je ne me laisse influencer par personne, tu sais, répondit
Lucy avec un petit rire. Vivre avec un roi habitué à ce que tout
le monde lui obéisse sans poser de questions est un bon
entraînement, crois-moi !
entraînement, crois-moi !
— J’espérais que tu dirais cela. Mais tenir tête à Seth n’est
pas facile. Vous ne vous êtes pas vus depuis longtemps, et
Seth a beaucoup changé… Tu ne réussiras pas à l’attendrir :
s’il veut une nourrice, il se battra pour l’avoir. Je ne l’ai vu
céder à personne ces derniers mois… pas même à Ty.
Madelyn ouvrit la porte de la chambre, et Lucy resta sans
voix devant l’ameublement de la pièce. Cette décoratrice avait
décidément un talent fou ! songea-t-elle. Les meubles en
merisier étaient exquis ; les rideaux et le couvre-lit, à la fois
élégants et virils avec leurs motifs géométriques imprimés dans
un beau dégradé de verts. Lucy pouvait tout à fait s’imaginer
son ex-mari allongé dans le lit défait, la couleur de ses yeux
mise en valeur par les draps… Et si la décoratrice d’intérieur
les avait choisis précisément pour cette raison ? Lucy se prit à
songer qu’ils avaient peut-être eu une aventure… Etait-ce
pour cela que Seth n’avait jamais cherché à la retrouver ?
Elle chercha à combattre la jalousie qui la tenaillait en se
rappelant que Seth n’était pas fait pour elle. Après tout, il
l’avait abandonnée. Et puis, il voulait engager une nourrice !
Ainsi, Seth ne voulait pas s’occuper personnellement de son
enfant… Il préférait le confier à une étrangère.
— Tant mieux, dit-elle à Madelyn. Convaincre Seth que je
n’ai pas besoin d’aide sera un bon entraînement pour le jour
où j’aurai à en parler avec mon père !
Madelyn sourit.
— D’accord, mais je t’aurai prévenue…
— D’accord, mais je t’aurai prévenue…
— Oh, je suis très déterminée. Ma mère est morte lorsque
j’avais six ans, et je l’ai à peine connue… Je passais mon
temps avec mes gouvernantes. Cela n’arrivera pas à mon fils.
Les yeux pleins de compassion, Madelyn acquiesça.
— Tu as raison, ne te laisse pas faire.
Puis elle installa Owen sur la table à langer et entreprit de
changer sa couche. Lucy observa chaque geste avec
attention ; à présent qu’elle était seule avec son fils, elle
commençait à paniquer quelque peu. Elle connaissait les
bases, certes… mais… et si quelque chose arrivait ? Que se
passerait-il si Owen était malade ? S’il s’étouffait ? Elle n’en
savait même pas assez pour rester seule avec son propre
enfant !
Madelyn lui jeta un regard amusé.
— Tout va bien ?
Lucy avala sa salive.
— Bien sûr.
Madelyn étudia Lucy un instant.
— En dépit de ce que tu as dit aux garçons dans la cuisine,
tu ne sais pas grand-chose sur les enfants, n’est-ce pas ?
demanda-t-elle avec précaution.
Lucy haussa les épaules, tentant de cacher sa peur.
— Ma voisine avait un bébé…, commença-t-elle.
— … et l’infirmière de l’hôpital t’a appris les bases, je sais,
— … et l’infirmière de l’hôpital t’a appris les bases, je sais,
coupa Madelyn avec douceur. Mais Lucy, il va forcément
t’arriver des soucis que ces femmes n’auront pas prévus. Tu
as besoin d’aide…
Lucy prit une profonde inspiration.
— D’accord. Mais je ne veux pas d’une nourrice ! Et en
même temps, avoua-t-elle d’une toute petite voix, je suis
morte de peur.
— Combien de temps comptes-tu rester ici ? s’enquit
Madelyn en rhabillant Owen.
— Nous n’avons pas fixé de date précise. Je resterai le
temps qu’il faudra pour parler du droit de visite.
— Si je comprends bien, tu risques de rester là un moment,
dit Madelyn.
— Oui, mais… Mon père ne va pas me laisser vivre ici
indéfiniment non plus !
Madelyn prit Owen dans ses bras et le serra contre elle.
— Mais tu peux rester suffisamment longtemps pour que
tes voisines te montrent comment on s’occupe d’un
nourrisson, dit-elle avec un sourire entendu.
— Mes voisines ?
— Eh bien… Seth ne doit pas savoir que tu ne peux pas
t’occuper seule de son fils, ou il appellera une nounou. Et je
ne peux pas venir t’aider tout le temps, car il se douterait de
quelque chose. En revanche, si chaque jour, pendant qu’il est
au travail, une des amies de ma mère passait pour voir le
au travail, une des amies de ma mère passait pour voir le
bébé… Elle pourrait te donner des leçons par la même
occasion !
Lucy afficha un sourire reconnaissant.
— Ce serait parfait !
— Presque. Pour que le plan fonctionne, tu ne dois pas
passer trop de temps avec Seth, la prévint Madelyn. Sans
quoi vous aborderez la question du droit de visite trop tôt et tu
n’auras plus d’excuse pour rester.
Lucy prit une rapide inspiration.
— Aucun problème, dit-elle.
Après tout, si elle était restée hors de la vie de Seth
pendant huit longs mois, il ne devrait pas être si difficile de
garder ses distances pour quelques jours…

***
A peine Madelyn et Lucy avaient-elles quitté la cuisine que
Seth se tourna vers son aîné.
— Nous devons trouver une nounou !
Ty haussa les épaules.
— Je peux te donner ma liste…
— Ce ne sera pas si facile ! s’exclama Seth. As-tu vu le
visage de Lucy lorsqu’elle nous a dit vouloir s’occuper elle-
même d’Owen ? Elle se battra bec et ongles pour
m’empêcher d’engager quelqu’un. Or, j’ai besoin d’une
nourrice si je veux pouvoir demander la garde de mon fils. Je
n’y connais rien en bébés !
— Sa garde ? Tu comptes gagner ce genre de bataille
juridique contre un roi ?
— Non, contre Lucy. Lorsque j’ai parlé à Pete la nuit
dernière, je ne désirais qu’un droit de visite équitable. Mais à
présent, j’ai changé d’avis. Tout seul, je n’ai aucune chance
contre le royaume de Xavier… mais deux parents peuvent
s’accorder sur l’avenir de leur fils.
Ty ouvrit la bouche pour lui répondre, mais fut interrompu
par la sonnette de la porte d’entrée. Seth se dirigea vers la
porte, et quand il l’ouvrit, il trouva Pete Hauser sur le perron.
— Déjà ? s’étonna Seth, l’invitant à entrer d’un geste.
— Je n’ai pas trouvé de précédent qui t’assurerait
d’obtenir la garde de ton fils, expliqua Pete en le suivant dans
la cuisine, mais mes assistants ont trouvé une vieille interview
de Lucy. Savais-tu que, petite, elle n’aimait pas être
princesse ?
— Non, répondit Seth, gêné d’admettre devant son frère
qu’il ne savait pas grand-chose de son ex-femme.
Pete lui tendit une liasse de photocopies.
— Lis cet article. Lucy y raconte comment elle a été élevée
et éduquée au palais. Nourrices, tuteurs… Elle plaisante sur le
fait de n’avoir jamais été envoyée au bureau du principal, mais
fait de n’avoir jamais été envoyée au bureau du principal, mais
quand on lit entre les lignes, on voit bien que son enfance a été
difficile. Et si Lucy ne voulait pas de cette vie pour son fils ?
Tu pourrais lui prouver qu’avec un roturier pour père Owen
n’aura pas à subir le même sort…
Seth releva brusquement la tête.
— Tu penses que si je m’y prends correctement… Lucy
me confiera d’elle-même la garde d’Owen ?
— Pas pour toujours, mais peut-être jusqu’à ce qu’il
atteigne l’adolescence… Faire partie de la famille royale de
Xavier ne lui a coûté que pendant son enfance, avant qu’elle
ne comprenne l’importance de ses responsabilités.
— Oh, elle a le sens des responsabilités, c’est certain !
siffla Seth avec colère. Aussitôt que son papa claque des
doigts, elle accourt sans un regard en arrière !
— Et cela joue en ta faveur, insista Pete. Lucy sait
parfaitement combien Owen devra sacrifier au royaume
lorsqu’il sera assez grand pour remplir ses devoirs de prince
héritier. Il ne te reste donc qu’à lui démontrer que tu peux
offrir à votre fils la vie normale qu’elle n’a pas eue, tant qu’il
n’est encore qu’un enfant. Mais pour que tout cela soit
possible, tu ne dois sous aucun prétexte te mettre d’accord
avec elle sur le droit de visite avant d’avoir pu la convaincre.
— Rien de plus simple, dit Seth, la voix chargée d’ironie.
La normalité est mon fort, c’est bien connu ! Quand nos
parents sont morts, Ty, Cooper et moi-même avons eu une
enfance des plus équilibrées…
enfance des plus équilibrées…
— Comparée à celle de Lucy, notre enfance était plutôt
normale, intervint Ty avec un haussement d’épaules.
— Tout à fait ! renchérit Pete. De plus, c’est de ta vie
d’adulte qu’il s’agit. Tu vis dans une petite ville tranquille au
milieu de nulle part… Ici, le petit prince n’aurait probablement
pas besoin de gardes du corps.
— Lucy déteste ses gardes du corps, marmonna Seth.
— Exactement ! s’exclama Pete, brandissant le magazine.
Montre-lui qu’Owen y échappera ! Et quoi que tu fasses, ne
prononce surtout pas le mot « nounou »…
— C’est déjà fait, intervint Ty.
— Dans ce cas, n’en parle plus, Seth, conseilla Pete. Elle
dit dans cet article qu’elle n’a pas connu sa mère à cause de
l’armée de gouvernantes qui l’entourait. C’est là ton meilleur
argument ! Elle ne veut pas que son fils soit élevé par des
étrangers ; tu dois donc apprendre à changer une couche, te
lever lorsque le petit pleure la nuit, et lui donner le biberon.
Sans oublier le ménage, la lessive, la cuisine…
— Mais j’ai une femme de ménage ! protesta Seth.
— Accorde-lui un congé payé, voilà tout. Ta mission pour
les prochaines semaines est de passer pour M. Tout-le-
Monde, vivant dans une ville comme les autres et capable
d’élever son fils afin qu’il devienne un petit garçon comme les
autres.
— Comme les autres, répéta Seth d’un ton sarcastique.
Rien de plus facile !
3.
Lorsque Lucy et Madelyn revinrent dans la cuisine, celle-ci
se transforma en véritable hall de gare. Toute la ville semblait
vouloir admirer le nouveau-né ! Ty proposa à Seth de se
réfugier dans le garage pour échapper à la foule ; il accepta
avec soulagement, mais fut quelque peu surpris de voir son
frère prendre Sabrina dans ses bras et faire signe au père de
Madelyn de les suivre.
Lorsque Ty fit un détour par sa voiture et revint les bras
chargés de couches, Seth comprit enfin ce qui se tramait.
— Ron a plus d’expérience que moi en matière de bébés,
expliqua Ty. J’ai donc pensé que son aide te serait utile…
Et en effet, en moins d’une demi-heure, grâce aux
instructions de Ron Gentry, Seth avait changé Sabrina, l’avait
nourrie, et savait même lui faire faire son rot.
— Notre objectif est de démontrer à Lucy que tu peux
élever votre fils seul, déclara Ron avec fermeté. Prends-lui
Owen des bras à la première occasion. Non seulement elle
pourra ainsi se reposer, mais elle aura aussi l’impression que
le rôle de père t’est totalement naturel.
Seth trouvait l’idée excellente. Mais encore fallait-il pouvoir
l’appliquer ! Car les visiteurs du matin furent vite remplacés
par un cortège ininterrompu de voisines, apportant des
cadeaux pour le bébé et des fleurs pour la jeune mère. Seth
n’eut pas l’occasion de se retrouver seul avec Lucy ou Owen
de toute la journée.
Oubliée, l’idée de prendre généreusement le relais pour que
Lucy se repose, songea-t-il avec amertume. Le nombre de
femmes entourant l’enfant était tel que même Lucy ne pouvait
pas s’en approcher. Et une fois l’heure du coucher venue, il
eut de la chance qu’on le laisse embrasser son fils !
Mais Seth ne paniqua pas. S’il voulait qu’Owen puisse
jouer au base-ball, avoir des amis et marcher dans les rues de
sa ville sans craindre les paparazzis, il devait tenir bon.
Profitant du fait que la horde d’admiratrices était à l’étage
avec Owen, il se cacha dans la buanderie et appela Ron.
— Ton plan ne fonctionne pas ! expliqua-t-il. Je ne peux
même pas prendre mon bébé dans mes bras !
— Qu’importe, répondit Ron, passons au plan B. Owen va
certainement se réveiller une bonne dizaine de fois au cours de
la nuit. Normalement, les parents ne s’en réjouissent pas, mais
c’est une chance pour toi, car tous les visiteurs seront partis,
et Lucy sera seule. Tu auras l’occasion de te rendre utile. Ne
fonce pas dans la chambre au premier réveil d’Owen, cela
pourrait éveiller les soupçons de Lucy… Mais je parierais ma
chemise qu’elle sera ravie de te voir à 2 heures du matin !
Fort de ces conseils, et plein d’espoir, Seth veilla jusqu’à
minuit, guettant les premiers cris de son fils. Puis, rassuré de
constater que les pleurs du bébé seraient suffisants pour le
réveiller, il s’endormit.
Cependant, après ce qui lui sembla ne durer que quelques
minutes, il sentit le soleil lui réchauffer le visage et s’éveilla en
sursaut.
Il était 9 heures de matin ! Comment avait-il pu dormir
toute la nuit sans entendre son fils pleurer une seule fois ?
Il enfila un jean à la va-vite et attrapa son portable.
— Je n’ai pas entendu Owen pleurer de toute la nuit ! dit-il
dès que Ron eut décroché le combiné. Comme c’est
dimanche, je n’avais pas mis mon réveil, sinon je me serais
levé à 6 heures et…
— Pas de panique, mon grand, le coupa l’ancien militaire
en riant. Tu auras l’occasion d’aider Lucy ce matin.
— Je ne crois pas, non, répondit Seth avec angoisse. Le
bébé se trouve dans la chambre de sa mère. C’est une chose
d’y entrer au milieu de la nuit quand Owen hurle et que Lucy
ne demande qu’à être aidée… C’en est une autre d’y faire
irruption au petit matin !
— C’est vrai, mais tu peux lui apporter une tasse de café,
par exemple, suggéra Ron. Lucy pensera que tu te montres
hospitalier, et elle ne pourra pas tenir Owen et boire son café
en même temps… Propose-lui de porter le petit, et profites-
en pour le nourrir.
— Très bien, dit Seth d’un ton mal assuré.
Il raccrocha le téléphone et dévala l’escalier pour se rendre
dans la cuisine. Malheureusement, avant même qu’il ait atteint
dans la cuisine. Malheureusement, avant même qu’il ait atteint
la dernière marche, il sentit une bonne odeur de café lui
monter au nez. Il trouva Lucy assise à table, Owen dans les
bras. Elle feuilletait tranquillement le journal du matin !
— J’ai fait du café, annonça-t-elle avec un grand sourire.
Elle portait un pyjama de soie rose, qui faisait ressortir son
teint de pêche. Ses cheveux cascadaient sur ses épaules ; elle
n’avait visiblement pas eu le temps de se coiffer, ce matin…
Avant qu’il ait pu l’en empêcher, l’esprit de Seth le ramena
aux quelques semaines qu’ils avaient passées ensemble.
Combien de fois avait-il vu cette chevelure emmêlée… par
ses soins ? Il sentit tout à coup son cœur battre plus vite, sa
respiration s’accélérer… Bon sang ! Huit mois s’étaient
écoulés depuis leur séparation, mais son corps réagissait
comme s’ils étaient toujours ensemble…
Ignorant le désir qui montait en lui, il se dirigea vers le
comptoir et se servit une tasse de café.
— Je comptais t’aider à t’occuper d’Owen la nuit dernière,
mais je ne l’ai pas entendu pleurer une seule fois, dit-il. Je
n’arrive pas à croire qu’il a dormi toute la nuit…
— Ce n’est pas le cas, répondit calmement Lucy.
Seth se retourna et croisa le regard de la jeune femme. Elle
lui souriait d’un air mystérieux. Il tenta vainement de reprendre
ses esprits, mais la beauté de son ex-femme occupait toutes
ses pensées. D’après Ron, il devait prendre un air assuré en
présence de Lucy. Le vieil homme avait pourtant omis un
détail fâcheux : pour prouver à la princesse qu’il ferait un bon
détail fâcheux : pour prouver à la princesse qu’il ferait un bon
père, Seth devait forcément être en contact avec elle ! Or il
n’avait jamais passé vingt-quatre heures en sa compagnie
sans lui faire l’amour.
Pourquoi tout le monde oubliait-il cet important facteur ?
Probablement parce qu’il leur avait soigneusement caché,
songea-t-il avec une grimace.
Observer la petite merveille que Lucy tenait dans ses bras
l’aiderait certainement à se concentrer sur sa mission. Il risqua
un regard en direction du nourrisson, mais la façon dont Lucy
souriait tendrement à leur fils fit bondir son cœur dans sa
poitrine.
Tout occupé à combattre son attirance pour Lucy, il ne lui
restait plus de forces pour résister aux sentiments qui le
submergeaient à présent. Cette femme lui avait donné un fils…
et malgré toute la peine qu’elle lui avait causée, il ressentait
pour elle une gratitude intense, presque incompréhensible.
Le corps envahi de désir, le cœur submergé d’émotions
contradictoires, il n’était pas en état de prendre un air détaché
ni de jouer les pères modèles. Le mieux serait peut-être
d’appeler Ron, Pete ou Ty… N’importe qui, songea-t-il, qui
soit doté d’une voix grave et ne porte pas de pyjama de soie !
— Cela ne te dérangerait pas si j’allais travailler un peu
dans mon bureau ? s’enquit-il d’une voix mal assurée.
— Bien sûr que non, tout va bien pour nous, répondit
Lucy. N’est-ce pas, Owen ?
Le nourrisson ne bougea pas. Mais même s’il s’était mis à
chanter la Traviata, Seth n’aurait pu rester une seconde de
plus sans céder à l’envie d’embrasser la jeune femme.
— Dans ce cas, j’y vais tout de suite, dit-il en tournant les
talons avant que Lucy ne puisse changer d’avis.

***
Les yeux fixés sur la porte que Seth venait de franchir,
Lucy poussa un soupir de soulagement. Elle avait dû faire
appel à toute son éducation pour ne pas le dévorer des yeux.
Par ailleurs, son bras était endolori par le poids du bébé, et se
forcer à sourire pour n’en rien laisser paraître n’avait pas été
une mince affaire ! Penney, la mère de Madelyn, était venue
s’occuper d’Owen dès 5 heures du matin pour lui donner
l’occasion de faire une courte sieste, mais elle était repartie
depuis plusieurs heures… La seule façon de calmer Owen
était de le bercer, et aussi grande que soit sa joie à câliner son
adorable petit garçon, Lucy avait désespérément besoin d’une
pause.
Heureusement, grâce à l’emploi du temps mis au point par
Penney, la relève ne tarderait pas à arriver.
En effet, quelques minutes à peine s’écoulèrent avant
qu’une femme d’une soixantaine d’années ne fasse son
apparition à la porte de la cuisine.
— Bonjour, Mildred, dit Lucy avec un grand sourire.
— Comment ça va, ma petite ? répondit celle-ci avant de
planter un sonore baiser sur la joue de Lucy.
— J’ai grand besoin d’une douche et j’ai des fourmis dans
le bras mais, à part ça, tout va bien.
Mildred éclata de rire.
— Et ce n’est pas fini ! Mais tu t’en sortiras, je te le
promets. Où est Seth ?
— Dans son bureau.
— Parfait !
Mildred prit délicatement l’enfant des bras de Lucy, puis lui
posa une question des plus étranges :
— Dis-moi, portes-tu un parfum particulier ?
— Oui, un shampooing fait spécialement pour moi…,
répondit Lucy, quelque peu décontenancée.
— C’est vrai ! J’oublie sans cesse que tu es une princesse,
plaisanta Mildred avant d’effectuer une courte révérence.
— Cela ne fait aucune différence pour Owen ! protesta
Lucy.
Mildred éclata d’un rire bon enfant.
— En effet, en voilà un qui ne te traitera pas différemment !
Mais je posais cette question parce que j’ai une astuce qui
facilite la tâche aux jeunes mères. Demain, quand Seth sera au
travail, nous laverons les couvertures d’Owen avec un peu de
ton shampooing, pour qu’il sente ton odeur dans son berceau.
Cela devrait régler ton problème pour l’endormir.
Lucy esquissa un sourire incrédule.
— Ça fonctionne vraiment ?
— Bien sûr ! Pour élever mes enfants, rien ne m’a été plus
utile que les conseils passés de génération en génération dans
ma famille. Allez, file ! Owen et moi allons faire plus ample
connaissance pendant que tu prends ta douche.
Sous le puissant jet d’eau chaude, Lucy prit soin d’utiliser
suffisamment de son shampooing pour qu’Owen en sente
l’odeur sur elle. Cependant, elle se sentait perturbée. L’image
de Seth ne semblait pas vouloir quitter son esprit. Quelque
chose dans l’attitude de son ex-mari éveillait en effet en elle
une étrange sensation. Elle avait bien essayé de se convaincre
que ce n’était rien, juste un peu d’attirance facile à ignorer…
mais l’intensité de son trouble écartait d’emblée l’hypothèse
du simple désir charnel. Elle avait vécu quatre merveilleuses
semaines de passion amoureuse avec Seth, et cette nouvelle
sensation n’y ressemblait pas. Pour autant, il était impossible
de lui donner un nom, songea-t-elle, agacée.
Sortant de la douche, Lucy fouilla dans ses affaires et
poussa un soupir. Elle n’avait emmené que le strict nécessaire,
pensant ne rester que le temps d’annoncer sa paternité à Seth.
Mais maintenant qu’elle avait accouché, il lui tardait de porter
quelque chose de joli. Or, sa minuscule valise ne contenait que
des habits de maternité. Cela valait peut-être mieux, après
tout, se dit-elle. Son ventre était encore gonflé, et elle n’avait
tout, se dit-elle. Son ventre était encore gonflé, et elle n’avait
pas perdu tous les kilos pris pendant sa grossesse. Seth lui
avait paru si parfait ce matin qu’elle était presque soulagée de
ne pas se sentir désirable. Elle aurait besoin de toutes les
armes disponibles pour résister à la tentation de lui faire du
charme.
Lorsqu’elle revint dans la cuisine, vêtue d’un jean trop
grand et d’un large T-shirt, Mildred lisait le journal, Owen
dans les bras.
— As-tu vu Seth ? lui demanda Lucy.
— Non… J’ai fait des sandwichs pour le déjeuner, et de la
salade de thon. Rien de compliqué…
— C’est parfait, au contraire ! Mais je croyais qu’on ne
m’aiderait qu’en ce qui concerne Owen…
— Etre une mère ne se réduit pas à s’occuper du bébé,
répliqua Mildred. Si tu veux vraiment empêcher Seth
d’engager une nourrice avant que tu aies eu le temps de
prendre tes marques, tu dois tout gérer dans cette maison, y
compris le ménage et la cuisine… Comme tu as beaucoup à
apprendre, nous avons décidé de t’aider à faire illusion, dans
un premier temps.
Lucy se détendit.
— Merci pour tout… Je suis ravie que Penney ait vu à quel
point j’aurais besoin d’aide. Je n’ai jamais fait ce genre de
choses, et…
— Ne t’inquiète de rien, ma petite, lui dit Mildred dans un
sourire. Tu es en de bonnes mains. Audrey Olsen viendra ce
sourire. Tu es en de bonnes mains. Audrey Olsen viendra ce
midi, ajouta-t-elle en se dirigeant vers la porte.

***
Agée de trente ans, Audrey Olsen venait de quitter son
travail de comptable pour fonder une famille. Fraîche et
dynamique, la jeune femme entreprit de préparer un ragoût
pour le dîner.
— Cela fait déjà trois mois que j’ai démissionné et je ne
suis toujours pas enceinte, confia-t-elle à Lucy, inspectant
tous les placards de Seth à la recherche d’ingrédients. C’est
stupéfiant : je n’ai jamais vu autant d’épices chez un
célibataire !
Audrey poursuivit son gai babillage tout en mettant le
ragoût au four, mais Lucy ne l’écoutait plus…
Elle avait également remarqué que les placards de son ex-
mari étaient remarquablement bien achalandés. En préparant
le biberon d’Owen, elle avait aussi aperçu des légumes frais
dans le frigo. Toute princesse qu’elle était, Lucy savait qu’un
homme se contentait en général de sel, de poivre et d’huile.
La présence de toutes ces épices ne pouvait signifier qu’une
chose… Seth avait une femme dans sa vie.
Sa compagne s’assit en face d’elle à table, une tasse de
café à la main.
— Voilà, tu n’as plus qu’à monter te rafraîchir, puis nous
— Voilà, tu n’as plus qu’à monter te rafraîchir, puis nous
appellerons Seth pour déjeuner, annonça-t-elle en se frottant
les mains, visiblement impatiente de tenir Owen.
Les yeux dans le vague, Lucy acquiesça. Pourquoi était-elle
si choquée par l’idée de Seth vivant avec une autre femme ?
Après huit mois de séparation, il eût été ridicule de penser
qu’il puisse être encore libre ! D’ailleurs, il était hors de
question de reprendre leur idylle, se dit-elle. Seth s’était
engagé auprès d’elle, mais il avait suffi qu’elle s’absente
quelques jours pour qu’il oublie jusqu’à son existence ! Non
seulement il ne l’avait pas appelée, mais il avait aussi refusé de
prendre ses appels…
Non, elle ne voulait certainement pas de lui ! décida-t-elle.
Toutefois, comme elle ne pouvait pas priver Owen de
connaître son père, il lui faudrait accepter de le voir, ne serait-
ce qu’une ou deux fois par an… Jusqu’à la fin de ses jours. Et
lorsque Seth viendrait voir son fils sur l’île de Xavier, il se
pourrait qu’il soit accompagné de la femme qui remplissait ses
placards d’épices.
— Lucy ?
Audrey lui tendait les bras. Comme un automate, elle y
plaça Owen, et s’apprêtait à quitter la cuisine lorsque Seth y
fit irruption.
Il s’était visiblement douché, car il portait désormais un
pantalon kaki et une chemise que Lucy reconnut
instantanément ; Seth l’avait portée à Miami.
Elle se figea. Des détails du passé se bousculaient dans son
Elle se figea. Des détails du passé se bousculaient dans son
esprit. Il avait fait chaud ce jour-là ; elle pouvait encore
entendre les vagues s’écraser sur la plage… ils étaient tout
jeunes mariés, et passionnément amoureux.
La vérité vint alors la frapper de plein fouet : ils s’étaient
vraiment crus faits l’un pour l’autre… Ces derniers mois, Lucy
avait préféré appeler cela du désir pour mieux accepter leur
séparation. Mais voir Seth ainsi vêtu ressuscitait des
sentiments qu’elle ne pouvait ni nier ni amoindrir. Des
émotions qui lui rappelaient douloureusement à quel point elle
avait aimé cet homme…
La voix de Seth la ramena brusquement sur terre.
— Bonjour, Audrey. Quoi de neuf ?
— Rien de spécial…
— Restes-tu déjeuner ? s’enquit-il, ouvrant le réfrigérateur.
— Euh, oui, pourquoi pas ? répondit la jeune femme après
un bref regard jeté à Lucy.
— Parfait ! Pendant que Lucy recevait ses visiteurs, hier, je
suis allé faire quelques courses. Nous pourrions faire des
sandwichs au rosbif, qu’en dites-vous ?
— Seth, j’ai… euh…, balbutia Lucy, ne pouvant se
résoudre à s’approprier le travail de Mildred. Il y a déjà des
sandwichs au thon dans le frigo…
Un pot de moutarde à la main, Seth se figea.
— Ah.
— Oui, j’ai… euh… opté pour quelque chose de simple.
Croisant son regard, elle sentit son cœur battre la chamade.
Les magnifiques yeux verts de Seth révélaient toujours mieux
ses émotions que ses mots ; et à cet instant, Lucy aurait pu
jurer qu’elle l’avait déçu.
— Tu aimes le thon, n’est-ce pas ? ajouta-t-elle d’une voix
hésitante.
— Oui, ce sera très bien, répondit-il d’un ton sec.
Le cœur de Lucy se serra. Elle ne l’avait jamais déçu
auparavant. Elle l’avait mis en colère, troublé, fait rire,
excité… Mais jamais, jamais, elle ne l’avait déçu.
— J’ai juste pensé que tu pourrais avoir besoin d’un coup
de main…, dit-il, les yeux toujours plongés dans les siens.
— Un coup de main ? interrompit Audrey avec un rire
nerveux. Notre Lucy se débrouille comme un chef ! Elle n’a
pas besoin d’aide. Seth, prends donc un sandwich et retourne
travailler.
Seth n’avait toujours pas quitté Lucy des yeux.
— C’est vrai ? lui demanda-t-il.
Mentir faisait horreur à Lucy. Elle se contenta donc de
sourire.
— Bon. Dans ce cas…, déclara Seth en sortant de la
cuisine.
***
Une fois Seth parti, Audrey poussa un soupir de
soulagement.
— Ouf, on a eu chaud !
Mais Lucy ne se sentait pas soulagée, au contraire. Elle
avait menti à Seth, et il l’avait certainement senti… Cette
chemise avait déclenché une vague de souvenirs en elle,
brisant sa résolution d’oublier son ex-mari. Elle le revoyait, à
présent, dirigeant ses employés. A la façon dont il leur parlait,
la jeune femme avait tout de suite compris que Seth était un
homme bien. Honnête. Sincère. Travailleur. Et pourtant, elle
venait délibérément de lui mentir.
Allons, c’était pour le bien d’Owen, songea-t-elle. Elle
voulait qu’il connaisse sa mère, et pour cela, il lui fallait le
temps d’apprendre à s’en occuper sans se battre
constamment avec une nourrice ! D’ailleurs, elle ne mentait
pas vraiment… Elle cachait juste quelques petites informations
à Seth, pour se protéger.

***
Ce soir-là, Lucy se coucha tôt, épuisée d’avoir joué la
comédie toute la journée. S’occuper d’Owen n’était pas aussi
fatigant que d’inventer de bonnes excuses justifiant la
présence continuelle d’invitées… des invitées qui aidaient à
préparer le biberon, donnaient le bain à Owen ou changeaient
ses couches !
Pourtant, elle se leva d’un bond au moindre pleur d’Owen.
Elle ne voulait pas que Seth puisse penser qu’elle n’était pas à
la hauteur.
A l’arrivée de Penney le lendemain, Lucy manquait donc
encore cruellement de sommeil. Mais au moins n’aurait-elle
pas à craindre l’irruption de Seth à tout moment de la journée,
se dit-elle. En attendant qu’il parte au travail, elle discuta
tranquillement avec Penney, venue sous le prétexte de lui
apporter des habits pour le bébé. Aussitôt que Seth eut passé
la porte, elle se recoucha et dormit toute la matinée. Lorsque
Audrey arriva à 14 heures, elle se sentait prête à apprendre
tout ce que la jeune femme voudrait bien lui enseigner.
— Mais je ne suis pas la mieux placée pour te donner des
leçons de puériculture ! s’écria Audrey. Mildred et Penney,
elles, ont de l’expérience. C’est donc elles qui devraient
t’aider ! Je suppose qu’il faut changer le planning… Si je viens
le matin, l’une d’elles pourra venir t’aider l’après-midi, quand
tu as le temps et l’énergie d’apprendre.
— Apprendre quoi ?
Les deux jeunes femmes sursautèrent. Seth avait choisi cet
instant précis pour entrer dans la cuisine. Il était à peine
14 h 15, que faisait-il à la maison si tôt ?
— Euh… Lucy devait s’absenter quelques minutes,
balbutia Audrey, et je lui assurais que même si je n’ai pas
balbutia Audrey, et je lui assurais que même si je n’ai pas
d’enfants, je peux m’occuper d’Owen. Ce sera pour moi un
bon moyen d’apprendre…
Comme hypnotisée, Lucy fixait Seth. Pourquoi le trouvait-
elle encore plus beau aujourd’hui, dans un simple T-shirt ?
Peut-être était-ce parce que, à Miami, Seth ne s’était jamais
habillé de façon aussi décontractée. Elle savait à quoi il
ressemblait nu, ou en costume-cravate. Mais elle n’avait pas
l’habitude de le voir porter ce genre de vêtements, et cela
commençait à la troubler. Non pas qu’il soit plus viril ni plus
beau, mais il avait l’air si… normal.
C’était donc ça ! Voilà le sentiment bizarre qu’elle avait
ressenti dimanche matin ! En compagnie de Seth, elle se
sentait normale… Merveilleusement, complètement normale !
Comment avait-elle pu l’oublier ? Avec Seth, elle n’était plus
une princesse mais une femme. Une femme qu’il désirait plus
que tout. Dès l’instant de leur rencontre, elle avait vu une
étincelle s’allumer dans ses beaux yeux verts… Un désir pur
et simple, qui n’avait absolument rien à voir avec son statut de
princesse… et tout à voir avec sa féminité.
Audrey lui donna un coup de coude.
— N’est-ce pas, Lucy ? Je vais m’occuper d’Owen
pendant que tu montes quelques instants…
Lucy prit une profonde inspiration. Combien de temps
était-elle restée là, à dévisager son ex-mari ? Ses émotions
s’étaient-elles lues sur son visage ?
— Euh, bon…
— Euh, bon…
Audrey hésita, visiblement troublée que Lucy ne lui
réponde pas.
— Tu me donnes le bébé ?
— Non, intervint Seth. Laisse-moi faire. Avec tous les
visiteurs que nous avons reçus ce week-end, j’ai à peine eu
l’occasion de porter mon propre fils dans mes bras ! Je vis ici
depuis longtemps, et les voisins se sont toujours contentés
d’un simple « bonjour » dans la rue… Mais amenez un bébé
dans une maison, et toutes les femmes de la ville accourent !
Lucy jeta un regard paniqué à Audrey, mais celle-ci lui fit
signe de ne pas s’inquiéter outre mesure de cette remarque.
Seth s’approcha, et elle lui tendit son fils.
Mais alors qu’il se penchait pour le prendre, Lucy eut le
malheur de lever les yeux vers lui. Le regard plongé dans celui
de Seth, ses mains frôlant les siennes, Lucy comprit qu’il était
de nouveau tout à fait réel à ses yeux. Seth n’était plus un
souvenir. Il était l’homme qu’elle avait aimé. Eperdument.
Avec tant de passion et de désespoir qu’elle en avait oublié
ses responsabilités envers son pays.
Et si elle ne se persuadait pas très vite que c’était
improbable, impossible, et très, très bête… elle risquait fort
de se demander si elle ne l’aimait pas toujours.
Quand bien même, cela ne changerait rien, se dit-elle. Seth
avait été furieux qu’elle retourne sur l’île de Xavier sur l’ordre
de son père. Et il n’avait pas contesté l’annulation du
mariage… Il regrettait d’avoir épousé une princesse, c’était
mariage… Il regrettait d’avoir épousé une princesse, c’était
évident. Sans oublier qu’il l’avait déjà remplacée par la fille
aux épices.
Comme pour confirmer qu’il ne voulait plus d’elle, Seth prit
Owen et recula précipitamment.
— Audrey a raison, Lucy. Tu as besoin de repos. Je peux
m’occuper d’Owen. Pourquoi ne vas-tu pas te reposer ?
Audrey hocha la tête et prit congé.
Lucy se leva doucement. Elle avait oublié ses devoirs de
princesse une fois, elle ne pouvait pas recommencer. En tant
que mère du prince héritier, ses responsabilités n’en étaient
que plus lourdes encore. Seth ne devait en aucun cas pouvoir
avancer qu’elle avait besoin d’une nourrice.
— Je n’ai pas sommeil, dit-elle en tendant les bras pour lui
reprendre le bébé.
Mais Seth fit un pas en arrière.
— Très bien, je vais m’exprimer plus clairement, dit-il,
visiblement agacé. Je veux passer du temps avec mon fils, et
je vais le prendre ! Tu n’as qu’à faire ce que bon te semble en
attendant.
Sur ces mots, il tourna les talons et se dirigea vers la porte,
puis s’arrêta brusquement et se tourna de nouveau vers elle.
— Oh, et à propos, je cuisine, ce soir.
— Je peux m’en charger, protesta Lucy, mais Seth l’arrêta
d’un geste de la main.
— Tu es une invitée dans ma maison.
— Mais je suis parfaitement capable de faire à dîner !
— Moi aussi. On ne grandit pas seul sans apprendre à
cuisiner.
Bien sûr, songea-t-elle. Les parents de Seth étaient morts
lorsqu’il avait quinze ans, et il avait dû apprendre à se nourrir
seul… Voilà pourquoi ses placards étaient si bien remplis !
Il n’existait pas de fille aux épices…
— J’avais oublié que tu avais vécu seul très tôt…
— Mes deux frères aînés veillaient sur moi, corrigea-t-il
d’un ton désinvolte. Je suis tout de même devenu un très bon
cuisinier. Je sais également repasser et faire le ménage, mais la
cuisine reste ma spécialité. Personne ne mourra de faim dans
ma maison !
Seth avait parlé d’un ton si sérieux que Lucy ne put
s’empêcher de rire. Il lui disputait le droit de faire à dîner !
— Très bien, tu peux cuisiner ce soir, mais pour ta
gouverne, je ne laisserais personne avoir faim chez moi non
plus.
— Forcément, tu as un cuisinier à domicile ! rétorqua-t-il
avec un petit rire.
Lucy secoua la tête.
— Je n’ai plus de cuisinier. En fait, je n’ai plus de
domestiques du tout. J’ai dû garder mes gardes du corps, bien
sûr, mais pour le reste, je me débrouille seule.
sûr, mais pour le reste, je me débrouille seule.
Elle avait en effet donné congé à tout son personnel, pour
préparer son père au fait qu’elle comptait élever son enfant
elle-même.
Seth soutint son regard.
— Tu te débrouilles seule ?
— Oui, pourquoi es-tu surpris ? J’y arrivais très bien quand
on habitait ensemble !
L’expression peinée qui s’afficha alors sur le visage de Seth
la troubla. Si penser à leur mariage lui était si douloureux,
pourquoi n’avait-il pas essayé de le sauver ?
— Seth… Pourquoi n’as-tu jamais répondu à mes
messages ? demanda-t-elle soudain.
— Je n’en ai jamais reçu, dit Seth en haussant les épaules.
— Oh, s’il te plaît ! Je suis restée alitée quelques jours
lorsque la fatigue et les nausées matinales sont apparues, c’est
vrai… Mais je t’ai fait envoyer plusieurs e-mails par ma
secrétaire.
Dans le dernier message, elle l’avait presque supplié de
venir la voir, mais il n’avait jamais répondu, et elle avait arrêté
d’essayer de le joindre. Le silence de Seth était à l’origine de
tout : être marié à une princesse le dépassait visiblement, et
puisqu’il semblait ne plus vouloir aucun contact, Lucy avait
fortement hésité à lui annoncer sa grossesse.
— Je n’ai jamais reçu aucun message, répéta Seth,
articulant chaque mot.
articulant chaque mot.
Il était sérieux… Mais dans ce cas, songea-t-elle, n’avait-il
jamais su combien elle avait eu besoin de lui ? Combien il lui
avait manqué ? Une horrible pensée lui traversa tout à coup
l’esprit. Il n’existait qu’une seule personne au monde qui
puisse donner un contrordre à son assistante…
— Attends, je ne comprends pas… Tu n’as vraiment reçu
aucun des messages que je t’ai envoyés pendant mon
absence ?
Seth secoua de nouveau la tête, l’air peiné. Puis son visage
changea brusquement, comme s’il venait de comprendre un
fait crucial.
— Et tu n’as reçu aucun des miens, n’est-ce pas ?
Lucy retint son souffle. Il avait essayé de la contacter !
— Non, je n’ai rien eu… Et ne te fatigue même pas à
accuser mon père. Nous savons tous les deux qu’il est le seul
à avoir suffisamment de pouvoir pour ordonner à mon
personnel d’effacer mes messages. Je suis désolée, Seth.
Seth se passa une main dans les cheveux.
— Alors, tu ne m’as pas abandonné sans un mot ?
— Je n’aurais jamais fait ça ! Je voulais te voir.
En réalité, elle avait eu le cœur brisé… Et peut-être avait-il
ressenti la même chose…
— Et tu ne m’as pas quittée pour ta décoratrice
d’intérieur…, reprit-elle.
— Quoi ?
— Aucune importance.
Et pourtant, cela en avait… Sans la colère et les
malentendus, ils seraient les mêmes personnes qu’avant…
Amoureux, mariés…
— C’est pour cela que tu m’as caché ta grossesse jusqu’à
la dernière minute, n’est-ce pas ? s’enquit Seth, interrompant
ses pensées.
Lucy acquiesça.
— Dans mon dernier message, je t’ai demandé de venir.
Comme tu n’as pas répondu, j’en ai conclu que tu avais repris
le cours d’une vie normale. C’était déjà suffisamment difficile
pour moi d’accepter que tu ne voulais plus de moi ; je n’ai pas
eu la force de t’entendre me dire que tu ne voulais rien savoir
de ton bébé…
— Je ne t’aurais jamais dit ça…
Un lourd silence s’abattit soudain. Les yeux plongés dans
ceux de Seth, Lucy tenta d’absorber la myriade de faits qui se
réajustaient dans son esprit, prenant un sens nouveau. Seth ne
l’avait pas abandonnée. Il avait essayé de la joindre. Leur
mariage avait échoué non pas parce que leurs sentiments
s’étaient éteints, mais à cause de son père, qui les avait
séparés dès l’instant où la grossesse de Lucy avait annulé ses
fiançailles. Elle savait que Seth n’avait pas voulu mettre fin à
ce mariage. Ils pouvaient même se remarier s’ils le
souhaitaient…
Mais avant même que l’idée n’ait totalement pris forme
dans son esprit, Lucy sut qu’elle avait tort. Seth détestait son
père et sa couronne. Même s’il l’aimait encore, il ne voudrait
certainement pas changer de vie pour elle.
La seule solution pour elle serait de renoncer à son titre…
Ce à quoi elle ne pouvait se résoudre. Son fils était le seul
héritier du trône. La loi de son pays — et l’amour qu’elle lui
portait — l’obligeait à élever son enfant comme un roi… Ou à
l’abandonner aux bons soins de la monarchie.
En définitive, que Seth l’aime aussi passionnément qu’avant
ne changeait rien. Ils ne pouvaient pas vivre ensemble.
Son père avait gagné.
— Tu sais quoi ? dit-elle, la voix brisée. La façon dont ce
mariage s’est terminé importe peu, finalement. Il n’y a plus de
mariage. En un sens, peut-être est-ce mieux pour nous deux.
4.
Le lendemain matin, Lucy donnait son bain à Owen lorsque
le téléphone sonna. C’était Audrey, qui s’excusait de son
retard.
— Comment ai-je pu oublier qu’on avait changé l’emploi
du temps ? dit-elle. Je ne sais pas ce qui m’arrive, je me sens
vraiment mal ! J’ai l’impression que je vais vomir…
— Oh, Audrey, c’est fantastique ! s’exclama Lucy.
— Fantastique ? gémit Audrey. Serais-tu folle ?
— Non ! Je pense tout simplement que tu es enceinte ! Tu
ressens exactement la même chose que moi quelques
semaines avant que je fasse mon test de grossesse.
Audrey resta silencieuse un instant.
— Oh mon Dieu…, dit-elle soudain, tu crois vraiment que
je suis enceinte ?
— Oui ! s’exclama Lucy, ravie pour sa nouvelle amie.
Maintenant, tu ferais mieux de retourner te coucher.
— Laisse-moi d’abord appeler quelqu’un pour me
remplacer ce matin, dit Audrey d’un ton coupable.
Lucy admira son fils, lové contre son sein. Les soins
routiniers n’avaient désormais plus de secret pour elle, et
Owen ne l’avait pas réveillée très souvent la nuit dernière. Les
Owen ne l’avait pas réveillée très souvent la nuit dernière. Les
leçons dont elle avait besoin à présent pouvaient facilement lui
être enseignées l’après-midi. Elle pouvait donc très bien rester
seule avec Owen le matin, décida-t-elle. Après tout, il faudrait
bien qu’elle se passe d’aide quand elle serait retournée sur
son île natale !
— Mais non, je vais bien ! assura-t-elle. Retourne vite au
lit.
Une fois qu’elle eut raccroché, Lucy décida de descendre
se faire un café. Mais arrivée dans l’escalier, elle entendit Seth
dans la cuisine et se figea.
La discussion qu’ils avaient eue la veille avait tout changé
entre eux. Maintenant qu’ils savaient la vérité sur la fin de leur
mariage, l’un d’eux pourrait être tenté de jouer avec le feu…
Ce qui serait une très mauvaise idée, songea-t-elle en
remontant quelques marches. Leurs sentiments ne s’étaient
pas éteints d’eux-mêmes, mais Seth ne voulait pas être le mari
d’une princesse : tout espoir de réconciliation était vain.
Poussant un profond soupir, elle remonta dans sa chambre
jusqu’au départ de Seth. Elle fut même tentée de repartir chez
elle pour les sauver tous deux d’une catastrophe.
Mais Lucy n’était pas sûre qu’il fût raisonnable de voyager
avec un nourrisson de quatre jours, sans compter les milliers
de petites choses qu’elle devait encore apprendre de Mildred
ou de Penney. Non, elle ne pouvait pas partir si vite. Il lui
faudrait juste se tenir à l’écart de Seth, décida-t-elle.
***
— Tu comptes t’habiller comme cela encore longtemps ?
Seth leva les yeux du dossier qu’il était en train de lire.
Comme à son habitude, Ty était entré sans frapper.
— Je croyais que je devais montrer à la princesse à quel
point je suis normal ? répondit-il en souriant.
— Oui, mais tu es au travail, pas à un match de foot !
Regarde ton jean et ton sweat-shirt : tu exagères !
— Très bien, soupira Seth.
Qu’à cela ne tienne, il enfilerait son jean aussitôt rentré le
soir, décida-t-il. D’ailleurs, il ne porterait plus que cela en
présence de Lucy. Hier, lorsqu’il était entré dans la cuisine
dans sa tenue décontractée, elle n’avait pu cacher son
attirance pour lui.
Par deux fois, il l’avait surprise en train de le regarder. Il lui
avait même semblé qu’elle était bouche bée ! Et ce regard
qu’ils avaient échangé lorsqu’elle lui avait passé Owen ! Pour
la première fois depuis son arrivée, il était clair que Lucy
éprouvait la même attirance que lui.
Et depuis leur découverte d’hier, tout avait changé. Seth ne
songeait pas à l’épouser de nouveau, non… Mais il faisait
partie des gentils, dans cette histoire, et comptait bien le
démontrer à Lucy ! Pendant leur court mariage, elle avait eu
pour lui une admiration sans bornes… Seth était certain de
pour lui une admiration sans bornes… Seth était certain de
pouvoir récupérer ne serait-ce qu’une parcelle de ce respect.
S’il fallait porter des jeans pour cela, il en mettrait tous les
jours ! Car en lui rappelant combien ils étaient attirés l’un par
l’autre, il raviverait la mémoire de Lucy, et bientôt elle se
souviendrait qu’elle lui avait fait confiance… Or, pour obtenir
la garde d’Owen, Seth en avait désespérément besoin.
— Pourquoi diable t’habilles-tu comme cela ? s’entêta Ty
en secouant la tête.
— Lorsque je suis entré dans la cuisine hier, je portais
sensiblement les mêmes vêtements que maintenant… et Lucy
m’a tendu le bébé sans sourciller.
— Et en quoi est-ce important ? demanda Ty.
— C’est crucial ! Tu n’imagines pas le mal que j’ai à
m’approcher de mon fils. « S.O.S. nounous » a envahi ma
cuisine ces quatre derniers jours !
— S.O.S. nounous ?
— Un groupe de femmes qui nous rendent sans cesse
visite, expliqua Seth. Chaque fois que j’entre dans ma cuisine,
l’une d’entre elles est là, aidant au bain, donnant des
conseils… Si j’étais paranoïaque, je jurerais qu’elles lui
donnent des leçons…
Ty fronça les sourcils.
— C’est probable. C’est peut-être même pire que cela…
Seth dévisagea son frère.
— De quoi diable parles-tu ?
— De quoi diable parles-tu ?
— Le jour où vous êtes tous rentrés de l’hôpital, Madelyn
et Lucy sont sorties de la cuisine juste après que tu as parlé
d’engager une nourrice. Madelyn l’emmenait certainement à
l’écart pour éviter une scène, mais… Pendant qu’elles étaient
seules, je parierais que Lucy lui a donné sa version des faits.
— Elle aurait dit à Madelyn pourquoi elle ne veut pas de
nourrice ?
— Oui, et bien que cela ne soit pas très grave en soi,
Madelyn n’était pas présente lorsque Pete est arrivé… Elle
n’a donc pas entendu ton avis sur la question. Lucy a dû lui
parler de la mort de sa mère…
Seth n’était plus sûr de bien comprendre.
— Où veux-tu en venir ?
— Je n’ai jamais eu l’occasion de raconter à Madelyn ce
que Pete et toi avez décidé. Peu après notre départ de chez
toi, j’ai été appelé à Washington. Je ne suis rentré que ce
matin, et… Franchement, Seth, après deux jours sans ma
fiancée, j’avais autre chose en tête que d’expliquer à Madelyn
que tu ne voulais plus de nourrice et qu’elle devait t’aider, toi,
au lieu de prêter main-forte à Lucy.
Seth éclata de rire.
— Ce n’est pas grave, explique-le-lui maintenant !
Ty secoua la tête.
— C’est trop tard… Ma belle-mère a certainement déjà
rallié ses troupes pour aider Lucy et s’assurer que tu ne
rallié ses troupes pour aider Lucy et s’assurer que tu ne
songerais plus à engager une nourrice. En trois jours, Lucy a
eu tout le temps de sympathiser avec ces femmes, et… je
parierais qu’elles te prennent pour l’ennemi public numéro un !
— Moi ? L’ennemi ! s’exclama Seth, se levant d’un bond.
Alors que j’essaie de sauver mon fils d’une vie horrible, entre
gardes du corps et paparazzi… C’est moi qu’elles devraient
aider !
— Et elles le feraient certainement si nous pouvions leur
dire la vérité. Mais à présent qu’elles sont du côté de Lucy, la
vérité n’est plus notre amie. Elles ne retiendront qu’une
chose : tu veux enlever un enfant à sa mère…
Seth froissa rageusement un morceau de papier.
— Génial.
— Mais tu n’as jamais voulu arracher Owen à sa mère de
toute façon ! Tu es censé démontrer à Lucy que votre fils aura
une enfance plus heureuse avec toi, loin du palais, des gardes
du corps et… même du roi. As-tu lu l’article que Pete t’a
donné ?
— Oui, acquiesça Seth. Sa Majesté n’est pas facile à
vivre… Je ne l’imagine pas laissant à Owen même un soupçon
de liberté.
— Ce qui confirme ce que nous savons déjà… Nous
devons le garder à Porter, dit pensivement Ty.
— Rien de plus facile, ironisa Seth. Et comment allons-
nous procéder, maintenant que notre plan a échoué ?
— Il n’a pas échoué. Nous devons juste y apporter
quelques modifications… Au lieu d’expliquer à Lucy quel bon
père tu ferais, nous allons lui montrer que Porter est un endroit
parfait pour grandir… Mieux encore, avec cette nouvelle
stratégie, tu peux te servir de « S.O.S. nounous » pour faire
valoir le côté chaleureux et solidaire de notre petite ville ! Ce
n’est pas un grand château froid, ni un endroit où Owen sera
photographié s’il a le malheur de mettre le nez dehors… A
Porter, si quelqu’un devait surveiller Owen, ce serait pour
s’assurer qu’il n’est pas suivi, ennuyé ou observé. Notre ville
est un vivier de gardes du corps en puissance ! Et beaucoup
d’entre eux ont déjà de la tendresse pour Lucy.
Seth sourit.
— Tu es vraiment doué, Ty.
— Je ne fais que dire la vérité. Tes voisines veulent
s’occuper d’Owen ? Laisse-les donc faire ! Laisse-les
montrer à Lucy combien les habitants de Porter sont
chaleureux. Ce soir, si tu trouves encore une armée de
visiteurs chez toi, profites-en pour emmener Lucy dans le
salon… et lui parler.
A l’idée de se retrouver seul avec Lucy, sans bébé comme
garde-fou, Seth sentit l’air se glacer dans ses poumons.
— Tu veux que je lui parle… seul à seule ?
Ty le dévisagea d’un air suspicieux.
— As-tu des raisons de penser que c’est déraisonnable ?
— Non ! C’est juste que… que…
— Non ! C’est juste que… que…
Qu’il avait joué avec le feu la veille, songea Seth. Lorsqu’il
avait pris Owen des bras de Lucy, il s’était attardé auprès
d’elle, juste pour s’assurer qu’elle était bien troublée par lui,
qu’il ne rêvait pas… Mais ce faisant, il avait commis l’erreur
de dévoiler sa propre attirance envers elle.
Puis ils avaient eu cette importante conversation à propos
de son père… Depuis lors, Seth préférait éviter de se
retrouver seul avec Lucy. Car s’il voulait lui rappeler le
respect et la tendresse qu’elle avait eus pour lui, il ne trouvait
pas très judicieux de tester leur résistance à la tentation.
Pouvait-il dire tout cela à son frère ? Prenant une brève
inspiration, il tenta de justifier sa réaction.
— Je ne veux pas d’un tête-à-tête, parce que… Nous ne
sommes pas censés parler du droit de visite avant que j’aie pu
plaider ma cause.
Ty fronça les sourcils, comme s’il savait fort bien que son
frère ne lui disait pas tout… Mais il n’insista pas.
— Parler n’est qu’un prétexte, le but du jeu est de
l’habituer à laisser Owen aux habitants de Porter, déclara-t-il.
Vous n’êtes pas obligés de discuter du droit de visite, tu peux
parler de ce que tu veux… Si j’étais toi, je lui vanterais les
mérites de Porter et de ses habitants. La présence de
quelqu’un auprès d’Owen sera une parfaite démonstration de
tes dires : ici, les habitants se serrent les coudes. Et voilà !
Seth poussa un soupir de soulagement ; si Ty avait deviné
son attirance pour Lucy, il avait visiblement décidé de ne pas
en parler. Certainement, songea-t-il, parce que son frère
savait qu’il ne ferait pas la même bêtise qu’avant. A l’époque
de leur mariage, Seth avait tant désiré Lucy qu’il s’était laissé
aveugler, oubliant le statut de princesse de la jeune femme et
toutes les conséquences que cela entraînait.
Car c’était là le problème : si Seth renouait avec Lucy, il
ferait partie de sa famille… et donc de la royauté. Hors de
question, songea-t-il. Il ne pouvait pas abandonner son fils à
une telle vie.
— D’accord, je parlerai à Lucy, dit-il avec un soupir
résigné. Et en rentrant ce soir, au lieu de me battre contre les
voisines, je les utiliserai.
— Très bien ! s’exclama Ty, visiblement ravi. Ainsi, Lucy
sera déjà conquise par la ville et ses habitants lorsque tu lui
parleras d’obtenir la garde d’Owen, ce qui te facilitera
grandement la tâche.

***
Bien que la journée soit à peine entamée, Seth décida de
mettre immédiatement le plan de son frère à exécution. Il
rentra donc chez lui, prêt à jouer son rôle de citoyen modèle,
capable d’élever Owen dans sa charmante petite ville… mais
lorsqu’il entra dans la cuisine, la pièce était vide !
— Lucy ! cria-t-il. Où es-tu ?
— Lucy ! cria-t-il. Où es-tu ?
N’obtenant pas de réponse, il en conclut qu’elle devait
s’être couchée pour se reposer. Owen devait dormir
également, songea-t-il, mais, dans le cas contraire, quelle
merveilleuse occasion de se montrer capable de s’en occuper
seul…
Grimpant les escaliers quatre à quatre, il se rua à l’étage,
puis s’introduisit à pas de loup dans son ancienne chambre.
Les rideaux étaient tirés, plongeant la pièce dans la pénombre,
mais Lucy n’était pas sur son lit. Seth fit quelques pas de plus
et aperçut Owen dans son berceau, profondément endormi.
Son fils n’avait que quelques mèches blondes et flottait dans
son pyjama trop grand. Il était papa de ce petit bout
d’homme ! Son cœur se gonfla de fierté et de tendresse… et
comme chaque fois qu’il regardait son fils, il se sentit
responsable de son sort. Il ne resterait pas là à regarder
Owen se faire enlever par tout un royaume !
La porte de la salle de bains s’ouvrit soudain et Lucy
apparut, vêtue du peignoir de Seth. Ses cheveux mouillés
tombaient en cascade sur sa poitrine, dont le peignoir trop
grand laissait entrevoir la rondeur.
Suivant le regard de Seth, Lucy le rajusta précipitamment.
— Que puis-je faire pour toi ? dit-elle d’un ton froid.
Seth fit un pas en arrière.
— J’étais juste venu voir si tout allait bien. Puis j’ai vu
Owen dans son berceau et…
Il s’arrêta, contrarié d’avoir à se justifier.
— Ecoute, Lucy, je comprends que cela te mette mal à
l’aise que je sois dans ta chambre, mais c’était la mienne
jusqu’à présent, et j’y entre sans réfléchir…
— Je sais, dit-elle.
Mais elle serra le cordon de son peignoir encore plus fort,
et Seth se sentit bouillir d’indignation. Pour qui le prenait-elle ?
Il n’allait pas la toucher ! N’avait-elle aucune confiance en
lui ?
— Tu n’as rien à craindre de moi ! dit-il avec rudesse.
Lucy prit une petite inspiration, comme si elle hésitait à
répondre.
— Je n’ai pas peur de toi, répondit-elle.
Elle n’avait peut-être pas peur, songea Seth, mais n’était-ce
pas de la méfiance qu’il lisait dans ses yeux ? Il s’apprêtait à
répliquer lorsqu’il s’aperçut qu’il avait mal interprété ses mots.
Lucy avait dit « je n’ai pas peur de toi »… ce qui impliquait
qu’elle se méfiait d’elle-même et de ses réactions face à lui !
Poussé par un élan d’amour pour elle, il faillit la prendre
dans ses bras, mais se retint au dernier moment. Lucy ne
cherchait pas à le séduire ; elle essayait tout simplement de se
montrer honnête. Et si elle avait du mal à se contrôler, Seth
devait lui montrer qu’il était assez fort pour deux.
Peut-être valait-il mieux sortir de la chambre… Mais Ty lui
avait bien dit de parler à Lucy.
— Pourquoi ne pas profiter du fait qu’Owen dort pour
parler un peu ? suggéra-t-il.
Lucy s’installa à la coiffeuse et entreprit de brosser son
abondante chevelure. Fasciné, Seth la regarda. Son ex-femme
avait des cheveux magnifiques, songea-t-il, soyeux et épais.
N’importe quel homme aurait envie d’y passer les doigts… Et
durant leur courte idylle, il ne s’en était pas privé.
— Le temps que je m’habille, Owen sera réveillé, fit
remarquer Lucy.
Hypnotisé par le mouvement de la brosse, Seth l’entendit à
peine. Leur passé s’imposait à son esprit, et il les revoyait,
serrés l’un contre l’autre après l’amour ; il avait pour habitude
de jouer avec la chevelure de sa jeune épouse, tout en
discutant de choses et d’autres.
— D’ailleurs, je dois absolument me sécher les cheveux,
reprit Lucy. Si je les laisse comme ça, ils vont frisotter.
Plongé dans ses souvenirs, Seth la fixait toujours. Comment
avait-il pu oublier autant de petits détails sur leur relation ?
Se méprenant visiblement sur son silence, Lucy soupira.
— Lorsque des cheveux naturellement bouclés sèchent à
l’air libre, ils ne bouclent pas, ils frisottent, expliqua-t-elle.
Seth secoua la tête et se força à répondre.
— Si tu le dis…
— Je le dis. Laisse-moi me sécher les cheveux.
Elle avait prononcé ces mots une cinquantaine de fois
Elle avait prononcé ces mots une cinquantaine de fois
durant leur mariage, songea Seth. En rentrant de la plage, ou
en sortant d’une douche… prise avec lui. La plupart du
temps, il tentait de l’attirer sur le lit et elle s’échappait en riant.
Aujourd’hui, clairs et précis, ces souvenirs lui coupaient le
souffle, comme si quelques secondes à peine s’étaient
écoulées depuis qu’il l’avait tenue dans ses bras, embrassée…
aimée.
Il lui fallait absolument sortir de cette pièce, songea-t-il,
brusquement gagné par la panique.
— Rejoins-moi en bas quand tu auras fini, dit-il d’un ton
qu’il espérait neutre.
— Si Owen ne se réveille pas…
— S’il se réveille, prends-le, je le tiendrai pendant que
nous discutons.
Une fois hors de la pièce, Seth sentit son calme revenir et
descendit dans la cuisine. Il s’attendait presque à y trouver
une de ses voisines préparant le déjeuner, mais la pièce était
vide. Satisfait d’avoir un moment de calme avec Lucy, il sortit
du jambon et du fromage du réfrigérateur et chercha où les
membres de « S.O.S. nounous » avaient bien pu cacher le
pain.
Lucy entra dans la pièce avec le bébé alors qu’il mettait la
touche finale au déjeuner.
Même un jean trois fois trop grand et un T-shirt informe
n’arrivaient pas à cacher sa beauté, songea Seth. Et c’était
bien là le problème. Il devait apprendre à se tenir dans la
bien là le problème. Il devait apprendre à se tenir dans la
même pièce que Lucy sans remarquer combien elle était belle.
Il lui fallait désormais la considérer comme une maman, et rien
d’autre… comme la femme qui le laisserait élever Owen s’il
savait se montrer digne de confiance.
— J’ai fait des sandwichs, déclara-t-il en souriant.
Lucy acquiesça, et s’installa en face de lui, l’air méfiant.
— Je ne mords pas, dit-il.
— Je sais.
— Et je ne suis pas ton ennemi, poursuivit Seth tout en lui
servant un café.
— Nous ne devons pas l’être, ne serait-ce que pour le bien
d’Owen, ajouta Lucy, les yeux baissés sur sa tasse.
— Je suis d’accord, dit Seth d’un ton convaincu.
Le silence se fit entre eux tandis qu’il s’asseyait en face
d’elle et prenait un sandwich. On aurait pu entendre une
mouche voler. Il devait trouver quelque chose à dire, et vite !
— Euh… Owen a-t-il dormi longtemps ce matin ?
Lucy s’éclaircit la gorge.
— Oui… Plus que d’habitude, en tout cas, dit-elle en
haussant les épaules. J’ai passé une heure allongée sur le lit, à
attendre qu’il se réveille.
L’esprit de Seth le ramena encore une fois dans le passé.
Lucy était allongée sur le lit, et lui racontait sa vie tandis qu’il
se préparait à partir au travail. Elle lui avait parlé de ses
se préparait à partir au travail. Elle lui avait parlé de ses
projets d’avenir, de son métier. Son statut de princesse lui
interdisait de poursuivre une réelle carrière d’architecte, mais
gérer les nombreuses propriétés de son père constituait un
métier en soi. Lucy s’occupait des nouvelles constructions,
supervisait les rénovations, rencontrait les entrepreneurs ; elle
travaillait tant et paraissait si indépendante que Seth n’avait eu
aucune peine à oublier son titre. Mais beaucoup de mal à
comprendre qu’elle accoure lorsque son père levait le petit
doigt.
— Je suis ravi qu’Owen ait bien dormi, répondit-il pour
combler le silence.
Si seulement il pouvait la mépriser, songea-t-il, oublier son
merveilleux naturel et la considérer comme une petite fille
gâtée ! D’autant qu’elle ne semblait pas vouloir faire d’effort
pour améliorer leurs relations…
Lucy prit un sandwich, évitant soigneusement son regard.
Le cœur de Seth s’emplit de tristesse. Il se souvenait de leurs
soirées en amoureux, sur la plage ou au restaurant, de leurs
nuits, serrés l’un contre l’autre… Et aujourd’hui, Lucy ne
voulait même pas lui parler.
Il prit une profonde inspiration.
— Avoir un bébé dans les bras te va bien, lui dit-il. Tu as
l’air très à l’aise.
Lucy leva les yeux, et Seth put y lire la même tristesse que
la sienne. Elle n’était donc pas aussi insensible qu’elle voulait
le lui faire croire…
Mais avant qu’elle ait pu lui répondre, on frappa à la porte
de la cuisine. Sans attendre d’y être invitée, Mildred entra,
suivie de deux amies.
— Voici Jeanie et Deb, dit-elle en les désignant. Nous
apportons des affaires pour le bébé.
— Oh, comme c’est gentil ! s’écria Lucy, visiblement
soulagée de les voir.
Ty disait qu’il avait besoin de ces femmes… Mais Seth en
avait assez de ne jamais avoir deux minutes seul avec Lucy et
son fils ! Tout le monde semblait avoir son mot à dire, sauf
lui… Comme il ne pouvait pas mettre ses voisines dehors, il se
concentra sur la deuxième chose qui commençait à
sérieusement l’énerver.
— Je suis parfaitement capable d’acheter ce dont mon fils
a besoin, dit-il en désignant les cadeaux.
Mildred éclata de rire.
— Oh, Seth, ne sois pas si macho ! Si nous offrons des
cadeaux à Owen, ce n’est pas parce que nous pensons qu’il a
besoin de cinquante hochets, douze peluches et cent vingt
couvertures ! Nous aimons tout simplement faire du lèche-
vitrines, en particulier pour un bébé… c’est dans nos gènes !
Puis elle changea subitement de sujet :
— Qui veut du café ?
— Non merci, mais j’aimerais bien tenir le bébé, répondit
Jeanie.
— Et moi aussi ! s’écria Deb.
Seth regarda les trois femmes s’attrouper autour de son fils.
Son fils unique, peut-être le seul qu’il aurait jamais, songea-t-
il. Il se sentit soudain trahi. Pour une fois qu’il pouvait passer
deux minutes en compagnie d’Owen et de sa mère, pourquoi
fallait-il qu’il supporte la présence de ces trouble-fêtes, qui
n’avaient même pas daigné frapper avant d’entrer ?
Jeanie prit Owen des bras de Lucy.
— Mon Dieu, il est magnifique ! dit-elle avec un soupir.
— Je crois qu’il a gazouillé, ce matin, dit Lucy.
Mildred et ses amies poussèrent un cri d’admiration.
— Il a dit quelque chose ?
— Juste un gazouillis…
— C’est probablement un génie, dit Mildred d’un ton
rêveur. Seth et ses frères étaient premiers à l’école. Si les
membres de ta famille sont un tant soit peu intelligents, ce petit
est destiné à de grandes choses !
Lucy éclata de rire.
— Je ne connais pas le Q.I. de mes proches, mais presque
tous ont fait leurs études à Oxford…
Les trois femmes poussèrent un « oh ! » admiratif.
Sentant la moutarde lui monter au nez, Seth prit une
profonde inspiration. Pour quelqu’un de pratiquement muet en
sa compagnie, Lucy était bien enjouée en présence de ses
voisines ! Elle n’aurait pas pu exprimer son aversion envers lui
plus clairement.
Il comprit soudain que Lucy avait probablement appelé
Mildred au secours à la seconde où il avait quitté sa chambre.
Seth tourna les talons et sortit. Inutile d’essayer de
communiquer avec elle, désormais. Il ne pouvait pas lui faire
confiance.
5.
Le lundi suivant, après un week-end passé sans une chance
de voir son fils seul, Seth arriva au travail de mauvaise
humeur. Apercevant Ty et Madelyn devant l’ascenseur, il
accéléra le pas pour les rejoindre.
— Bonjour, monsieur le papa ! Tu as passé un bon week-
end ? demanda Madelyn après qu’ils furent entrés dans
l’ascenseur.
— Parfait, grommela Seth.
Visiblement alertée par son manque d’enthousiasme, sa
future belle-sœur le dévisagea. Heureusement, elle descendait
au deuxième étage, et l’ascenseur s’arrêta avant qu’elle ait pu
le questionner.
— Je te retrouve pour déjeuner ! lança-t-elle à Ty par-
dessus son épaule.
— D’accord, répondit-il d’un ton enjoué.
Mais aussitôt que les portes se furent refermées derrière
elle, il se tourna vers Seth, le visage sérieux.
— Tu as une mine terrible. Que se passe-t-il ?
— Les voisines viennent par deux, à présent. Une pour
surveiller le bébé, et une pour occuper Lucy. Je commence à
penser qu’elles conspirent pour me tenir à l’écart de mon
fils… mais aussi de sa mère.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent.
— C’est possible, dit Ty avant d’attraper Seth par la
manche, l’empêchant de se diriger vers son bureau. Mais n’en
parlons pas ici, ajouta-t-il.
Ils rejoignirent le bureau de Ty en silence.
— Raconte, dit son frère après avoir fermé sa porte.
— Certains jours, je ne peux même pas voir Owen, dit
Seth, très contrarié.
Il n’était pas seulement en colère de ne pas pouvoir
prouver ses qualités de père à Lucy, songea-t-il. Il avait un
fils, bon sang, et c’était à peine si on le laissait l’approcher !
— Cela pourrait jouer en ta faveur, fit remarquer son frère
avant de se laisser tomber dans son grand fauteuil de cuir.
— Je sais, je sais. Tant que Lucy dépend de ses amies
pour l’aider, elle reste ici et apprend à connaître les habitants
de Porter.
— Et à les aimer ! souligna Ty.
— Probablement. La seule personne qu’elle ne semble pas
apprécier, c’est moi !
— Et alors ? Ne t’inquiète pas. Une fois qu’elle sera
attachée à cette ville, elle commencera à te voir à travers les
yeux de ses habitants, et tu lui seras sympathique.
Seth jeta à son frère un regard dubitatif.
— Nous devrions même accélérer les choses, continua Ty.
— Quelle idée as-tu derrière la tête ?
— Eh bien… nous voulons amener Lucy à aimer les
habitants de Porter et à leur faire confiance ; or, elle ne semble
mal à l’aise qu’en ta présence…
— Merci !
Ty éclata de rire.
— Seth, ça n’a rien de personnel !
— Facile à dire… Alors, cette idée ?
— Nous ne savons pas combien de temps Lucy compte
rester ici, mais si je t’envoyais en voyage d’affaires toutes les
semaines pendant quelque temps, elle prolongerait
certainement son séjour. Elle aurait cinq jours par semaine
pour s’accoutumer à ta maison, à tes voisins… sans avoir
constamment sous les yeux la raison pour laquelle elle n’aime
pas cet endroit… Toi.
— Charmant ! répondit Seth. Alors je suis le méchant,
c’est ça ?
— Mais non ! Lucy n’est là que depuis une semaine, il est
donc naturel qu’elle soit nerveuse. Mais si nous te faisons
disparaître de son quotidien pendant un temps, elle s’adaptera
plus vite ! Une fois à l’aise dans la maison et dans la ville, elle
s’habituera plus facilement à toi… Et avant que tu t’en
aperçoives, elle ne te fuira plus.
Ce n’était pas le meilleur des plans, pensa Seth, mais,
malheureusement, Ty avait raison sur un point : Lucy essayait
de le fuir, sinon pourquoi appellerait-elle du renfort pour ne
pas se retrouver seule avec lui ? Seth n’obtiendrait la garde
d’Owen que si la princesse le décidait. Et selon toute
vraisemblance, seule sa présence dans la maison empêchait
Lucy d’aimer suffisamment cette ville pour vouloir en faire la
demeure d’Owen ! Autant se tenir en retrait et laisser la petite
bourgade charmer la jeune femme.
— D’accord, dit-il après un long silence. Dis-moi où je
pars.

***
De toute la semaine, Seth n’eut aucun contact avec Porter.
Lorsque le vendredi arriva, il était si content de rentrer chez lui
qu’il en aurait dansé de joie. Mais le sort s’acharna contre lui
et il ne put trouver de vol que le samedi matin.
Arrivé à Porter tard dans l’après-midi, il découvrit une
Lucy enjouée et dynamique, qui ressemblait enfin à la femme
qu’il avait épousée. Hypnotisé par sa beauté, il baissa vite les
yeux et tenta de se concentrer sur la conversation en cours.
— Puisque Seth repart la semaine prochaine, disait
Mildred, je vais demander à Audrey et Penney de venir
passer deux soirs chez toi, comme la semaine dernière. S’il
s’absente encore beaucoup, nous pourrions même créer un
club qui se réunirait deux fois par semaine dans ta maison,
club qui se réunirait deux fois par semaine dans ta maison,
pour que tu n’aies pas à sortir avec Owen…
— Quelle merveilleuse idée ! s’exclama Lucy.
A la façon dont les yeux de la jeune femme s’illuminaient,
Seth sut que son frère avait vu juste. En son absence, Lucy
s’intégrait bien mieux à la communauté. Mildred parlait même
de sa maison comme étant celle de Lucy !
Le lendemain matin, la jeune femme lui annonça qu’elle
avait parlé à son père, et décidé de rester un peu plus
longtemps en Arkansas. Le plan de Ty fonctionnait à
merveille. Seth s’étonnait tout de même que le roi laisse rester
sa fille si longtemps… Pourquoi ne pas l’avoir rappelée
immédiatement auprès de lui ? Et comment expliquer
qu’aucun journaliste ne l’ait encore approchée pour s’enquérir
du nouvel héritier de la couronne ?
Soudain, toute l’histoire lui apparut clairement : Lucy n’était
pas restée tout ce temps à Miami pour finir la résidence, mais
parce que le roi essayait de cacher son mariage éclair et sa
grossesse !
Si elle rentrait aujourd’hui avec un bébé dans les bras, les
médias s’empresseraient d’enquêter sur elle, et le monarque
n’aurait plus aucune chance d’inventer une histoire acceptable
aux yeux de ses sujets. Mais quelles que soient les motivations
du roi, se dit Seth, elles servaient son plan : Lucy se sentait
heureuse à Porter…
Après un court week-end, Seth s’envola donc pour l’Utah,
puis pour l’Iowa le lundi suivant. Bien que son fils lui manquât,
puis pour l’Iowa le lundi suivant. Bien que son fils lui manquât,
il devait reconnaître que Lucy s’épanouissait, s’attachait à ses
voisines, et retrouvait son énergie.
Mais alors qu’il s’apprêtait à quitter l’Iowa, Ty lui enjoignit
de ne surtout pas rentrer : « S.O.S. nounous » organisait une
petite fête en l’honneur du bébé. Seth fut donc envoyé en
Idaho, soi-disant pour faire de la prospection.
Le mercredi suivant, Set décida d’appeler Lucy. Il avait
passé près d’un mois sur la route ! Owen avait à présent cinq
semaines, et ses voisines en savaient plus sur lui que son
propre père. De plus, Seth sentait qu’il ne lui restait plus
beaucoup de temps… Bientôt, le roi viendrait frapper à sa
porte et réclamer sa fille.
— Comment vas-tu ? demanda-t-il à Lucy quand elle eut
décroché.
— Très bien ! s’exclama la jeune femme. Tu devrais voir
Owen, Seth… Il ne parle pas, bien sûr, mais on voit qu’il a
envie de faire des sons !
Seth ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Son fils
lui manquait tant ! Mais c’était si bon d’entendre Lucy
prononcer son nom, lui parler normalement, sans méfiance
dans la voix.
— Comment peux-tu savoir qu’il a envie de faire des
sons ? demanda-t-il.
— Je lui parle, et il essaie de m’imiter ! Sa petite bouche
bouge dans tous les sens, mais rien n’en sort, répondit Lucy
en riant. C’est si mignon ! ajouta-t-elle dans un soupir.
en riant. C’est si mignon ! ajouta-t-elle dans un soupir.
Seth avala sa salive. Lucy s’occupait si bien du bébé, ils
semblaient former un si joli tableau… Il tenta de nier le
sentiment de tendresse qui l’envahissait, mais il se sentait si
seul qu’il n’en eut pas la force.
D’un autre côté, songea-t-il, c’était très agréable d’avoir
enfin une conversation amicale avec Lucy. Leur idylle éclair ne
leur avait pas permis de devenir simplement amis !
— Alors, comment occupes-tu tes journées, au fin fond de
l’Amérique ? s’enquit Lucy.
Elle ne cherchait pas à écourter leur conversation,
remarqua Seth. Se pourrait-il qu’elle aussi veuille devenir son
amie ? Il eut soudain envie de sauter de joie. Le plan de Ty
fonctionnait vraiment… Lucy ne le détestait plus !
— Comment je m’occupe ? répondit-il, parcourant du
regard la rue déserte. Eh bien, malheureusement, je ne fais
que travailler. Ty voudrait remporter un marché de
construction dans les environs, et je suis venu tâter le terrain.
— Vraiment ? Tu possèdes la moitié de la compagnie et tu
es encore envoyé en reconnaissance ?
— Je ne possède qu’un tiers de la compagnie, dit Seth
pour changer de sujet.
En effet, il ne fallait absolument pas que Lucy découvre
pourquoi Ty l’envoyait si loin de Porter.
La jeune femme éclata de rire.
Ravi de l’avoir amusée, Seth s’appuya nonchalamment
Ravi de l’avoir amusée, Seth s’appuya nonchalamment
contre la cabine téléphonique.
— Par ailleurs, sais-tu qu’on appelle Ty « le Tyran » ?
— Je m’en souviens, répondit Lucy en riant. Il terrorisait la
moitié des ouvriers qui travaillaient sur la maison de mon père
avant que…
— Qu’il ne nous licencie, finit Seth d’un ton détaché.
Autant en parler ouvertement, songea-t-il, et dissiper cette
gêne qui les empêchait de communiquer.
Lucy ne répondit rien, et il préféra changer de sujet.
— Alors, Owen a-t-il fait autre chose de drôle ?
— Non, il aime dormir, manger et… me regarder.
— Alors… Vous passez vos journées à vous dévisager ?
Au grand plaisir de Seth, Lucy rit encore une fois.
— Non ! Je l’installe dans son transat à côté de moi, et il
me regarde faire la vaisselle, ou les poussières.
A l’idée que la princesse Lucy fasse son ménage, Seth
sentit un frisson de peur le parcourir. Il était censé l’accueillir,
faire en sorte qu’elle se sente bien chez lui… et non la traiter
comme une bonne ! En son absence, il aurait dû rappeler son
aide-ménagère, songea-t-il.
— Lucy, j’ai une femme de ménage pour ce genre de
choses, dit-il avec douceur. Je lui ai donné un congé à ton
arrivée pour que… tu sois tranquille, mentit-il. Si tu veux
qu’elle revienne, je pourrais…
— Non ! s’écria Lucy. Mon Dieu, Seth, tout est parfait
ainsi. En fait, ajouta-t-elle d’une voix si basse qu’il dut tendre
l’oreille, je voudrais te remercier de m’avoir accueillie chez
toi.
Et d’être parti la plupart du temps, songea Seth, à la fois
heureux d’avoir fait quelque chose pour Lucy et triste que sa
présence la gêne à ce point. Mais il ne dit rien. La mère de
son fils devait être heureuse, même si cela impliquait qu’il se
tienne à l’écart. Il devait oublier les quatre semaines pendant
lesquelles ils n’avaient pas pu se passer l’un de l’autre… Lucy
était à présent plus heureuse sans lui.
— Désolé, je dois y aller, dit-il soudain. J’ai du travail…
— D’accord… à ce week-end ?
— Oui, dit-il avant de raccrocher.
Il ne pouvait pas lui parler plus longtemps… Ses poumons
se serraient tant elle lui manquait, et son estomac se nouait à
l’idée qu’elle soit plus heureuse sans lui. Comment allait-il
réussir à passer le week-end en sa compagnie, sachant
combien sa présence la dérangeait ?
Mais le vendredi suivant, Ty appela de nouveau. Il expliqua
à Seth qu’il ne pouvait pas rentrer cette fois-ci non plus. Il
devait se rendre d’urgence en Arizona. Seth prit le premier vol
disponible, puis un train, avant de louer une voiture pour se
rendre sur un chantier perdu au milieu de nulle part. Une fois
sur place, on lui exposa le problème ; il suffit à Seth de jeter
un rapide coup d’œil aux plans pour trouver la solution. Le
un rapide coup d’œil aux plans pour trouver la solution. Le
chef d’équipe hocha la tête et sourit, apparemment ravi, mais
Seth eut la très nette sensation qu’on se moquait de lui.
Le soir venu, seul dans sa chambre d’hôtel, il se rendit
compte qu’il n’avait rien à faire de tout le week-end. Quel
problème si urgent se réglait en quelques secondes ? songea-
t-il, persuadé à présent qu’on l’avait envoyé en Arizona sous
un prétexte fallacieux.
Le jeudi suivant, Seth décida qu’il en avait assez. Les
manigances de Ty insultaient son intelligence, et ses appels
quotidiens à Lucy ne lui suffisaient plus. Owen grandissait à
vue d’œil ; Seth avait manqué son deuxième rendez-vous chez
le pédiatre, sa première balade en ville… Et pour couronner le
tout, les voisines lui avaient acheté suffisamment de vêtements
pour habiller six enfants ! S’il ne rentrait pas très vite, elles
auraient choisi dans quelle maternelle l’inscrire avant son
retour.
Il réserva donc un billet d’avion et grommela pendant tout
le trajet pour l’aéroport. Mais au fond, il savait bien que la
faute lui revenait. Pourquoi avait-il écouté son frère ?
D’accord, Lucy avait besoin de passer du temps seule pour
se faire des amis… D’accord, sans Seth dans les alentours,
elle se sentait plus à l’aise. Mais il l’appelait tous les jours, et
elle allait parfaitement bien, il le savait.
Alors, bon sang, quoi que Ty en dise, il rentrait à la
maison !
***
Il était 2 heures du matin lorsque Seth ouvrit sa porte
d’entrée. Il était fatigué. Il avait mal aux pieds. Son dos le
faisait souffrir.
Et Owen hurlait.
Otant ses chaussures à la hâte, il gravit les marches quatre à
quatre et fit irruption dans la chambre de Lucy. Celle-ci faisait
les cent pas avec le bébé dans les bras, mais n’arrivait
visiblement pas à le calmer.
— S’il te plaît, Owen, disait-elle d’un ton désespéré. Si
seulement je savais ce qui ne va pas ! Je ne sais pas quoi faire,
mon bébé…
Seth fit un pas en avant.
— Laisse-moi le prendre.
Lucy fit volte-face.
— Seth !
Sans un mot, il s’empara de son fils et le blottit contre son
épaule. Une foule d’émotions l’envahirent tour à tour. Il était à
la maison. Il tenait son fils dans ses bras. Et Lucy avait besoin
de lui.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il tandis qu’Owen se
calmait peu à peu.
Lucy s’écroula sur le lit avec un soupir.
— Je suis désolée, Seth. Je ne suis pas la mère parfaite que
je prétends être. Depuis mon arrivée, Penney Gentry et ses
amies m’aident à m’occuper d’Owen. Je t’ai dupé…
— Tu m’as menti ?
— Mais j’avais une bonne raison ! Je ne voulais pas d’une
nourrice et, plus encore, j’avais besoin d’apprendre à
m’occuper seule d’Owen avant que mon père n’arrive et
n’essaie de me forcer à engager toute une armée de
domestiques… Penney et les autres ont accepté de m’aider.
Seth s’assit à côté d’elle. Les cris d’Owen s’étaient à
présent calmés, remplacés par des reniflements.
— Ainsi, tu ne me tenais pas à l’écart parce que… tu ne
m’aimes pas ?
Lucy cligna des yeux.
— Quoi ?
— Tu avais l’air si heureuse sans moi que j’ai…
Il s’interrompit. Lucy ne l’avait pas envoyé au loin. Et il ne
pouvait pas blâmer Ty d’avoir voulu l’aider… Autant dire la
vérité.
— J’ai fait tous ces voyages d’affaires parce que tu
semblais beaucoup plus sereine en mon absence, expliqua-t-il.
Et je voulais que tu sois heureuse, que tu aimes Porter, afin
d’avoir au moins une chance de te convaincre le jour où nous
parlerions de… du droit de visite.
Il avait failli parler de la garde d’Owen, mais il ne pouvait
Il avait failli parler de la garde d’Owen, mais il ne pouvait
pas aborder ce sujet maintenant.
— Seth, je ne vais pas te mentir, soupira Lucy. Tu ne
pourras pas passer beaucoup de temps avec Owen, et tu ne
le verras que si tu viens sur l’île de Xavier. En tant que prince
héritier, Owen devra se soumettre à l’autorité de mon père
plus qu’aucun d’entre nous. Mais je promets de faire mon
maximum pour que tu le voies le plus possible. Je suis de ton
côté.
Nul besoin de réagir, se dit Seth. Il prévoyait de lui
demander la garde, de toute façon… Quand le moment serait
venu.
— Dans ce cas, je suis de ton côté également, dit-il
simplement.
— Merci. Je suis désolée de t’avoir menti, mais je ne
pouvais pas refuser l’aide de Penney et de Mildred. Lorsque
ma mère est morte, j’avais passé plus de temps avec mes
nounous qu’avec elle… et son souvenir s’est très vite effacé.
Quelques semaines à peine après sa mort, elle ne me manquait
déjà plus, je la connaissais si peu ! Je refuse qu’Owen me
considère comme une étrangère.
Voyant une larme perler au coin de sa paupière, Seth se
sentit horriblement coupable de vouloir lui retirer Owen. Mais
si leur fils vivait avec lui, Lucy pourrait le voir autant qu’elle le
voudrait. Elle pourrait facilement venir à Porter, ou l’emmener
avec elle sur son île… Tandis que si Owen vivait dans un
château à l’autre bout du monde, Seth n’aurait pas la même
liberté de visite. Il ne pourrait voir son enfant que rarement, et
uniquement à Xavier, Lucy venait encore de le lui rappeler !
Pire encore, s’il n’obtenait pas sa garde, Owen aurait une
enfance bien triste.
Déchiré de ne pouvoir en parler tout de suite, Seth se
contenta de rassurer Lucy. Il plongea ses yeux dans ceux de
la jeune femme.
— Ne t’inquiète pas, nous ferons en sorte que notre fils te
connaisse.
Lucy sourit et hocha la tête.
— Merci, dit-elle doucement.
Un lourd silence s’ensuivit. Pour la première fois depuis la
naissance d’Owen, Seth remarqua de lourdes cernes sous les
jolis yeux noirs de son ex-femme. Elle n’acceptait visiblement
pas d’aide la nuit, songea-t-il, soudain pris de remords. Il
aurait dû être là pour elle !
— Tu as une mine horrible, dit-il.
Lucy rit à travers ses larmes.
— Merci, Seth, quel compliment !
— Je n’ai pas voulu dire ça, se reprit-il précipitamment.
C’est juste que… je n’aurais jamais dû te laisser seule. Il me
paraît évident que « S.O.S. nounous » n’opère pas de nuit.
— « S.O.S. nounous » ? répéta Lucy en levant un sourcil.
C’est comme ça que tu surnommes Penney et ses amies ?
— Si on y songe, c’est bien trouvé, non ?
— Si on y songe, c’est bien trouvé, non ?
— Je suppose. J’ai refusé qu’elles m’aident la nuit. Je ne
veux pas dépendre entièrement d’elles… Je veux être la
maman d’Owen.
Le ton sur lequel elle avait prononcé ces mots toucha
profondément Seth. Ayant vécu sans parents depuis l’âge de
quinze ans, il savait combien l’amour d’une mère est
important. Avec un peu de chance, Owen aurait le soutien de
ses deux parents pour encore longtemps.
Sans prendre le temps de réfléchir, il se pencha vers Lucy
et l’embrassa. Mais ce qui devait être un rapide baiser
s’éternisa… Au contact de ces lèvres si douces, Seth fut
submergé de souvenirs. Passant une main dans les cheveux de
Lucy, il fut pris d’une irrésistible envie de lui faire l’amour.
Mais, subitement, il revint à la réalité.
Ils ne pouvaient pas faire l’amour. Ils ne devraient même
pas s’embrasser… Seth avait besoin de la confiance de Lucy,
ou jamais elle ne lui confierait leur fils. S’ils faisaient l’erreur de
replonger dans une relation passionnée et charnelle, Lucy ne
pourrait plus lui faire confiance. D’ailleurs, lui-même se
mépriserait !
A regret, il s’écarta. Les yeux de Lucy étaient embués de
désir, mais elle ne protesta pas. Elle devait certainement
penser comme lui : ils ne pouvaient ni faire revivre le passé, ni
se construire un avenir ensemble.
Excepté comme parents d’Owen.
Son fils toujours blotti contre son torse, Seth se leva et se
Son fils toujours blotti contre son torse, Seth se leva et se
dirigea vers la porte. Il prendrait soin d’Owen cette nuit.
— Dors, maintenant, dit-il à la jeune femme avant de sortir.
6.
Réveillée par les cris d’Owen le lendemain matin, Lucy
sentit un flot de bonheur l’envahir aussitôt qu’elle ouvrit les
yeux. Seth l’avait embrassée la nuit dernière !
Mais alors qu’elle sortait Owen de son berceau, la jeune
femme prit conscience qu’elle ne devait pas prendre ce baiser
trop au sérieux. Seth avait probablement agi sous le coup de
l’émotion… Car pour la première fois depuis son arrivée, ils
s’étaient montrés honnêtes l’un envers l’autre. Ce baiser avait
scellé une sorte de pacte ; cela ne signifiait pas qu’ils se
remettaient ensemble ! Sinon, Seth n’aurait-il pas prolongé
l’instant ? Mais au lieu de la prendre dans ses bras avec
passion, il lui avait dit bonne nuit et s’était enfui.
Si elle donnait de l’importance à ce baiser, Seth lui briserait
le cœur… Il ne l’avait pas quittée, soit. Mais il détestait son
pays, elle ne devait pas l’oublier.
Après avoir changé Owen, elle descendit au rez-de-
chaussée et fut accueillie par une odeur alléchante de bacon.
— Bonjour, dit-elle en entrant dans la cuisine.
Seth lui sourit. En jean et en T-shirt, les cheveux décoiffés
et les paupières encore lourdes de sommeil, il était plus beau
que tous les princes du monde.
Lucy sentit son cœur s’affoler dans sa poitrine. Avec une
Lucy sentit son cœur s’affoler dans sa poitrine. Avec une
précision inouïe, leur baiser de la veille lui revint à la mémoire.
Si simple, si léger… Compte tenu de leur attirance
réciproque, Lucy trouvait surprenant qu’il n’ait pas été plus
passionné. Par ce doux contact qui n’attendait rien de plus,
Seth lui avait montré qu’il l’appréciait. Lucy frissonna. Etre
aimée de Seth lui laissait un souvenir impérissable, mais elle
avait toujours souhaité obtenir son amitié.
— J’ai fait le petit déjeuner, lui dit Seth.
Espérant que son visage ne trahissait pas ses émotions,
Lucy entreprit de faire réchauffer un biberon.
— Owen t’a-t-il réveillé ? demanda-t-elle.
— Non, j’avais mis mon réveil. As-tu remarqué que nous
attendons toujours qu’Owen pleure ? Nous devrions essayer
de l’habituer à des horaires fixes…
— C’est une bonne idée mais, jusqu’ici, il n’a pas bien
réagi à nos tentatives, répondit-elle.
Lucy retint de justesse un soupir de soulagement. Seth
semblait agir normalement, comme si rien ne s’était passé la
veille. Elle s’installa à table avec Owen.
— Tes amies t’ont appris bien des choses, on dirait,
remarqua Seth.
— Tu n’as pas idée ! Ces femmes connaissent des astuces
qu’on ne trouve dans aucun livre. Je vais avoir du mal à leur
annoncer que je n’ai plus besoin d’elles…
Seth se retourna pour lui faire face.
Seth se retourna pour lui faire face.
— Pourquoi n’aurais-tu plus besoin d’elles ?
— La nuit dernière, nous sommes convenus de travailler
ensemble. J’ai pensé que cela n’incluait pas l’aide de
personnes extérieures à la famille…
— Peux-tu t’occuper d’Owen sans elles ?
— Pour les tâches quotidiennes, sans aucun problème.
Mais j’aime l’idée que si quelque chose d’inhabituel survenait,
elles sont à deux pas d’ici.
— Laisse-les venir, dit Seth.
— Vraiment ?
Seth haussa les épaules.
— Ces femmes seront les seules à pouvoir m’aider quand
je m’occuperai seul d’Owen. Je ne veux pas les
décourager…
Troublée par ces mots, Lucy le dévisagea. Ne lui avait-elle
pas dit la nuit dernière que tout contact avec leur fils se ferait
sur l’île de Xavier ? Peut-être n’avait-il pas entendu…
Seth posa le bacon et des toasts sur la table.
— J’espère que ça suffira, dit-il.
— C’est parfait.
Crispée, Lucy se servit un jus d’orange. Décidément, rien
n’était jamais simple entre Seth et elle ! Ils devaient ignorer
une attirance physique à enflammer la planète entière, ils
avaient un fils, mais ne pouvaient l’élever ensemble, et pour
avaient un fils, mais ne pouvaient l’élever ensemble, et pour
couronner le tout, elle devait maintenant expliquer à son ex-
mari qu’il n’aurait même pas le droit de voir son fils dans des
conditions normales ! Rien d’étonnant à ce que Seth haïsse
Xavier et sa monarchie, songea-t-elle.
— Je te sers une tasse de café ? demanda Seth en souriant.
— Merci, répondit Lucy, rongée de remords.
— Si nous profitions de ce moment de calme pour prendre
quelques décisions ? dit Seth, prenant place en face d’elle.
Lucy ne pouvait supporter ce sentiment de culpabilité plus
longtemps ; saisissant son courage à deux mains, elle prit son
souffle pour tout lui expliquer. Mais Seth, occupé à beurrer
son toast, ne sembla rien remarquer et continua sur sa lancée :
— Comme Owen se réveille vers 5 h 30 du matin, nous
mettrons le réveil à 5 heures. Cela nous donnera un peu
d’avance pour préparer son biberon.
— Ça ne marchera pas, répondit Lucy, contrainte de
remettre ses aveux à plus tard. Dès qu’Owen entendra mon
réveil, il se mettra à hurler…
— Bien sûr… Dans ce cas, je programmerai mon réveil
pour 5 heures et préparerai son biberon. Nous le laisserons
dormir jusqu’à 5 h 30, puis nous le réveillerons.
— Le réveiller ? s’exclama Lucy, les yeux écarquillés.
— Oui ! Nous essayons de l’habituer à des heures
régulières, souviens-toi…
— Mais nous avons déjà essayé, et ça n’a pas fonctionné !
— Mais nous avons déjà essayé, et ça n’a pas fonctionné !
Lucy ne voulait pas se disputer avec Seth. Il essayait
seulement d’être un bon père… A l’avenir, il n’aurait que peu
d’occasions de donner son avis sur l’éducation de son fils.
Elle fut sauvée par l’apparition d’Audrey, qui entra sans
frapper dans la cuisine. Ses yeux s’agrandirent à la vue de
Seth.
— Seth ! Je… je ne savais pas que tu serais là…
— Tout va bien, répondit-il en lui faisant signe d’entrer. Je
sais tout. D’ailleurs, j’apprécie l’aide que vous apportez à
Lucy. Du café ?
L’air soulagé, Audrey enleva son manteau.
— Je vais me contenter de jus d’orange, dit-elle en se
servant. Parce que je suis enceinte !
Lucy poussa un petit cri de joie.
— Vraiment ? s’exclama Seth.
Visiblement ravie, Audrey éclata de rire.
— Félicitations, dit Seth. Viens, assieds-toi. A propos
d’enfants, nous parlions justement d’habituer Owen à une
certaine routine. On en reparlera dès mon retour du travail,
d’accord ?
— Très bien, fit Lucy, résignée.
— Je monte m’habiller, dit Seth, mais je redescendrai dire
au revoir à Owen avant de partir.
Une fois qu’il fut sorti de la pièce, les deux jeunes femmes
Une fois qu’il fut sorti de la pièce, les deux jeunes femmes
attendirent en silence. Lorsqu’elles entendirent la porte de sa
chambre se fermer, Audrey se tourna vers Lucy, l’air
incrédule.
— Tu lui as tout raconté ?
— Oui. Il est rentré la nuit dernière alors que je n’arrivais
pas à calmer Owen.
— Et… Comment a-t-il pris la nouvelle ? A-t-il crié ?
Lucy secoua la tête, cachant avec peine son sourire. Seth et
elle n’avaient aucun avenir commun, mais le souvenir de leur
baiser n’en était pas moins agréable.
— Non, il s’est montré très compréhensif. Comment ai-je
pu oublier qu’il possédait cette qualité ?
— Peut-être parce que tu ne l’as connu que quelques
semaines ? suggéra Audrey en riant.
— Oui… Mais nous étions ensemble vingt-quatre heures
sur vingt-quatre. D’abord au travail, puis chez moi. J’ai vu la
façon dont il traitait ses employés. Il était patient, et avait le
sens de l’humour. En repensant à sa gentillesse avec eux, je
suis gênée de lui avoir caché la raison de vos visites… J’aurais
dû tout lui expliquer dès le début.
— Ne te sens pas coupable, la rassura Audrey. Tout ira
mieux maintenant.
Lucy se contenta d’acquiescer. Mais en son for intérieur,
une multitude de sentiments contradictoires se bousculaient.
Elle avait oublié tant de détails sur leur histoire… et
transformé le reste ! S’était-elle trompée sur toute la ligne ?
Par exemple, Seth s’était-il vraiment lassé d’être marié à une
princesse ? Elle ne l’avait jamais vraiment entendu dire cela.
L’avait-elle jugé trop vite ?
Fermant les yeux, Lucy se força à redescendre sur terre.
Seth était un homme direct. S’il voulait la reconquérir, il la
séduirait, tout simplement. Ne l’avait-il pas fait tomber dans
ses bras dès le tout premier jour ? La nuit dernière, il aurait pu
la faire chavirer en quelques secondes. Pourtant, il n’avait pas
dépassé les limites de la bienséance. Elle devait donc arrêter
de rêver.

***
Seth arriva dans les bureaux de Bryant Development bien
décidé à travailler pour oublier Lucy et la situation inextricable
dans laquelle ils se trouvaient. Conscient que Ty n’apprécierait
pas qu’il soit rentré plus tôt que prévu, il passa la matinée à
l’éviter. Mais la secrétaire de ce dernier l’appela à midi, lui
demandant s’il était libre pour déjeuner avec son frère. Bon,
songea Seth, il aurait au moins un bon repas pour
accompagner le sermon.
Il retrouva donc son frère sur le parking de l’entreprise. Ils
firent le trajet jusqu’au restaurant dans le silence le plus total.
Ty attendit qu’ils soient confortablement installés à table
pour commencer ses reproches.
pour commencer ses reproches.
— Alors, comptes-tu me dire pourquoi tu es rentré deux
jours plus tôt que prévu ?
Seth n’hésita pas une seconde.
— J’ai un fils. Je dois convaincre Lucy de me le confier. Et
je ne peux pas le faire à des milliers de kilomètres de distance.
D’ailleurs, Lucy et moi avons parlé la nuit dernière. Nous
avons décidé d’arrêter de jouer au chat et à la souris.
— Bien.
— Bien ? répéta Seth, totalement troublé. Tu m’as envoyé
à l’autre bout des Etats-Unis pendant cinq semaines ! Lucy a
appris à s’occuper seule d’Owen, et son père ne va plus
tarder à venir la chercher. Je te rappelle que nous n’avons
encore rien résolu !
— Sauf que vous vous respectez, maintenant.
Seth dévisagea son frère, les yeux plissés.
— Tu avais prévu tout cela ?
— Non, répondit Ty en soupirant. Je n’avais rien prévu. Je
pense que tu as obtenu ce résultat par un heureux hasard.
D’après ce que Penney a raconté à Madelyn ce matin, si
Owen n’avait pas été en pleurs à ton arrivée, Lucy et toi
n’auriez jamais parlé, et n’auriez jamais pu vous mettre
d’accord.
Seth posa sa tasse de café sur la table.
— Quelles commères ! Penney n’était même pas présente
ce matin, c’est Audrey qui nous a rendu visite ! Elles publient
ce matin, c’est Audrey qui nous a rendu visite ! Elles publient
des dossiers de presse, ma parole !
— J’aurais plutôt parié sur des e-mails, répondit Ty avec
un sourire. Si nos équipes de construction communiquaient
aussi bien que ces femmes, nous n’aurions jamais de
problèmes !
— Alors, dit Seth après un long silence, penses-tu que ce
soit une bonne chose que nous ayons décidé d’unir nos
forces ?
— Bien sûr. Pourquoi, pas toi ?
— Si, mais j’ai l’impression que tu…
«… as changé de camp », finit-il en silence. Son frère avait
commencé par l’éloigner en semaine, puis le week-end
également. Or, Ty n’était pas du genre à agir à la légère.
Quelque chose avait dû se passer pour qu’il change de
stratégie…
Soudain, il comprit.
— Tu as passé du temps avec Lucy, n’est-ce pas ?
Ty soupira.
— Eh bien, c’eût été impoli de ne pas lui rendre visite en
ton absence…
Seth dévisagea son frère. Ses doutes se confirmaient.
— Tu es de son côté ! s’exclama-t-il d’un ton accusateur.
— Non, je ne dirais pas cela, répondit calmement Ty. Il n’y
a pas de parti à prendre. Je suis du côté d’Owen, et je pense
a pas de parti à prendre. Je suis du côté d’Owen, et je pense
qu’il vaut mieux l’élever ici. Mais, ajouta-t-il avec un soupir,
nous sommes également très attachés à Lucy. Madelyn est
devenue son amie. Lorsque nous sommes allés lui rendre
visite, j’ai commencé à me sentir coupable de vouloir lui
retirer son enfant. Et le temps passant… je me suis dit que ce
n’était peut-être pas la bonne solution.
Très en colère contre son frère, Seth choisit pourtant de ne
rien dire tant qu’il n’avait pas tout entendu.
— Vraiment ! dit-il seulement.
— Madelyn et moi pensons que vous avez peut-être fait
une erreur en divorçant…
— Nous n’avons jamais divorcé ! Notre mariage a été
annulé à cause de ses fiançailles avec un autre.
— Mais maintenant ? Elle n’est plus fiancée, que je sache !
La place est libre, Seth. Tu pourrais l’épouser demain, si tu le
voulais.
— Tu te moques de moi ?
— Non ! Penses-y… Si tu l’épouses, vous n’aurez plus
besoin de vous disputer la garde de votre fils !
— Mais qui dit qu’elle voudrait m’épouser ? De toute
manière, je ne voudrais me remarier avec elle pour rien au
monde. Je l’aime bien, c’est vrai…
« Je l’aime beaucoup, même. Elle me manque. J’aime être
avec elle… », songea-t-il, mais il se garda bien de le dire.
— Mais Lucy est une princesse, reprit-il, contrôlée par les
— Mais Lucy est une princesse, reprit-il, contrôlée par les
lois d’un pays dont je n’avais jamais entendu parler avant que
le roi Alfredo ne nous engage. Elle doit obéir à leurs règles, à
leurs traditions. Tout ce qui touche à la royauté passerait
avant moi…
— Et tu veux être sa priorité ?
— C’est plus que cela. Cette monarchie m’a arraché ma
femme sans états d’âme, sans même la moindre excuse. Il a
suffi que son père lève le petit doigt pour que Lucy coure le
rejoindre. Après cela, je n’ai plus jamais entendu parler
d’elle ! Pas parce qu’elle n’a pas essayé de me joindre, mais
parce que son père a suffisamment de pouvoir pour faire ce
que bon lui semble. Ce n’est pas le genre de situation dans
laquelle on entre de plein gré… du moins, pas si on sait à quoi
s’attendre !
Ty jouait avec ses couverts, à présent. Qu’avait-il encore
derrière la tête ? se demanda Seth.
— Alors… tu ne l’aimes plus du tout ?
Seth se remémora ses appels téléphoniques à Lucy, leur
conversation de la veille… et leur baiser. Quel coup bas ! Il
aurait dû se douter que Ty jouerait la carte des sentiments.
— Si, je l’aime beaucoup, répondit-il. Mais je ne vais
certainement pas m’autoriser à retomber amoureux d’elle.
Lucy n’est pas une femme pour moi. Au final, peu importe
qu’elle soit adorable, intelligente, ou que j’aime passer du
temps avec elle… Je suis responsable d’Owen. Le pauvre
petit va se faire avaler tout cru par le système qui contrôle sa
petit va se faire avaler tout cru par le système qui contrôle sa
mère, et si je ne garde pas un minimum de pouvoir sur son
éducation, il n’aura pas d’enfance. Et nous ne le reverrons
jamais.
— Pas si tu vis avec lui…
— Tu pars du principe que nous resterons à Porter, mais
c’est faux ! Si j’épousais Lucy, je cesserais d’être Seth Bryant
pour devenir prince consort… Un pion de plus dans la
monarchie. Et chaque fois que j’ouvrirais la bouche pour
défendre les droits d’Owen, je serais le prince rebelle. On me
verrait plus dans les journaux à sensation que dans le Wall
Street Journal, je peux te l’assurer ! Et pourquoi ? Parce que
je ne pourrais pas m’empêcher d’essayer de protéger mon
fils. Et Lucy. Elle aurait honte de moi, ou pire, se sentirait
blessée.
Seth s’interrompit et se leva de table.
— Son père se fiche sûrement de la voir traînée dans la
boue, mais, moi, je refuse de lui faire du mal. Peut-être
vaudrait-il mieux pour tout le monde que nous revenions à
l’idée de Pete : je dois montrer à Lucy que je suis le seul à
pouvoir offrir à Owen une enfance normale.
Sur ces mots, Seth quitta le restaurant. Une fois dehors, il
prit la décision de rentrer chez lui plutôt que de retourner au
travail. Sa maison était à deux pas, et il avait besoin de
réfléchir. Sur le chemin, il retira sa veste, espérant que le soleil
ferait fondre l’étau de glace qui lui enserrait le cœur.
Combattre Lucy allait contre tous ses instincts, mais il y serait
certainement forcé s’il ne voulait pas qu’on emprisonne son
certainement forcé s’il ne voulait pas qu’on emprisonne son
fils dans une cage dorée.
A peine avait-il posé un pied dans le hall que Lucy surgit de
la cuisine.
— Oh. C’est toi, dit-elle seulement.
Les cheveux relevés en queue-de-cheval comme son amie
Audrey, Lucy semblait de mieux en mieux se fondre dans sa
nouvelle communauté. Mais ce n’était qu’une illusion, Seth le
savait. Lucy pouvait prétendre appartenir à son monde autant
qu’elle le voulait, au premier claquement de doigts du roi, elle
partirait.
Seth était venu se reposer. Mais un seul regard à Lucy, si
mignonne dans son jean moulant et son petit chemisier, suffit à
le faire changer d’avis. Il ne pouvait pas rester là, à
l’admirer… Pas après avoir énuméré à Ty toutes les raisons
pour lesquelles il devait l’éviter !
Il prit soudain conscience de l’ironie de sa situation. Pour
aider son fils, il devait passer du temps avec Lucy, lui montrer
qu’il était un homme bien, la convaincre de lui laisser la garde
d’Owen… Mais il ne voulait surtout pas retomber amoureux
de la princesse ! Il refusait catégoriquement de revivre les
affres d’une nouvelle rupture. Lorsque Lucy était partie la
première fois, il n’avait pu manger ni dormir ni travailler
pendant des jours entiers.
Non, il ne pouvait décidément pas passer du temps avec
elle, pas avant d’avoir pris du recul.
— Je suis rentré pour… euh… voir si celle de tes amies qui
t’aide aujourd’hui pourrait me raccompagner au travail, dit-il,
faute d’une meilleure excuse.
Le front de Lucy se plissa.
— N’as-tu pas pris ta voiture, ce matin ?
— Si, mais Ty m’a emmené au restaurant pour déjeuner,
et… On s’est un peu chamaillés. Je suis parti. Résultat, j’ai
besoin de quelqu’un pour me redéposer au bureau.
— Personne ne m’aide, aujourd’hui, dit Lucy en se
dirigeant vers la cuisine, mais je peux te déposer, moi !
Seth lui emboîta le pas.
— Vraiment ?
Lucy fit volte-face ; le sourire qu’elle lui offrit aurait pu
illuminer le ciel le plus noir, songea-t-il.
— Bien sûr ! Cela fait six semaines que j’ai accouché, tout
de même ! Et puis, ton bureau n’est pas très loin, je ne risque
pas de me perdre.
— Non, laisse, je vais marcher…
— Seth ! s’exclama Lucy, visiblement exaspérée. Qu’est-
ce qui te prend ?
Seth soupira. Il n’avait pas envie de se retrouver seul avec
elle, mais il ne servirait à rien de protester. Le bureau n’était
qu’à deux kilomètres… que pouvait-il bien se passer en
quelques minutes ?
— Que vas-tu faire d’Owen pendant ton absence ?
— Que vas-tu faire d’Owen pendant ton absence ?
— Il vient avec nous. Son siège est déjà installé dans la
Chevrolet.
Ils montèrent à l’étage, et Lucy s’éclipsa dans la salle de
bains tandis que Seth habillait Owen pour le trajet. Lorsqu’elle
revint habillée d’un pantalon noir et d’un pull en cachemire,
ses cheveux soigneusement coiffés, Seth éclata de rire.
— Lucy, nous sommes à Porter, tu ne vas rencontrer
personne d’important !
— Je considère tous les habitants de Porter comme
importants, répliqua-t-elle en le suivant dehors. Et aucune
femme n’aime sortir de chez elle habillée comme l’as de
pique.
Seth leva les yeux au ciel.
— Je te crois…
Ils montèrent dans la voiture en silence. Tandis que Seth
installait Owen à l’arrière, Lucy s’assit du côté passager, puis
lui tendit les clés.
— Prêt, Owen ? demanda Lucy en se retournant pour
sourire à son fils.
— Tu agis comme si c’était sa toute première sortie,
remarqua Seth, mais tu l’as déjà emmené deux fois chez le
pédiatre, non ?
— C’est vrai, mais il n’était pas conscient de ce qui
l’entourait. Aujourd’hui, il va regarder.
Seth éclata de rire et démarra la voiture.
— Mais bien sûr, dit-il d’un ton moqueur.
Lucy lui donna une tape sur le bras en riant.
— Il n’arrivera certainement à rien si tu ne l’encourages
pas !
— Je pense qu’il devrait avoir le droit de grandir à son
propre rythme, dit-il.
En deux phrases, ils venaient de résumer leur plus grosse
divergence d’opinion, songea Seth. Lucy voulait pousser
Owen de l’avant, l’habituer tôt à ses futures responsabilités.
Lui préférait que son fils apprécie sa vie… ou du moins, son
enfance. Mais ce n’était pas le moment d’en parler, se
raisonna-t-il. Samedi, il cuisinerait du canard à l’orange ainsi
qu’un dessert de sa spécialité. Puis, pendant que Lucy
dégusterait son festin, il plaiderait sa cause.
— Es-tu certaine que tu peux conduire ? lui demanda-t-il
en garant sa voiture devant Bryant Development.
— Tout ira bien. En fait, je suis en pleine forme, ajouta-t-
elle après une courte pause. Je ne te l’ai pas dit, mais le
docteur m’a annoncé hier que j’avais retrouvé toutes mes
forces.
Seth déboucla sa ceinture de sécurité. Mais avant qu’il n’ait
pu sortir, Lucy lui saisit le bras.
— Seth… Je suis si heureuse que tu me fasses confiance.
Ici, avec toi, je mène le genre de vie que je n’aurais jamais
espéré avoir. Jamais.
espéré avoir. Jamais.
— Lucy, non…
Elle lui sourit d’un air coquin.
— Non, quoi ? Je n’ai pas le droit de te dire combien
j’apprécie de pouvoir mener une vie indépendante ? La
plupart des hommes aimeraient entendre un tel discours…
— Je ne suis pas n’importe quel homme.
— Oui, je sais. Tu cuisines. Tu diriges une entreprise. Tu es
l’homme le plus sexy au monde… Et tu me laisses être moi-
même.
Elle se pencha pour déposer un rapide baiser sur ses
lèvres.
— Merci, Seth.
Les intentions de Lucy étaient innocentes, Seth le savait
bien. Mais alors qu’elle s’écartait de lui, il fit l’erreur de
croiser son regard. Il y lut une foule de sentiments qui
reflétaient les sien : un désir et un manque trop longtemps tus
ou ignorés. Incapable de se retenir, il glissa une main derrière
sa nuque et l’attira de nouveau à lui.
Cette fois, leur baiser n’eut rien d’innocent ; pressant sa
bouche contre celle de Lucy, Seth glissa sa langue entre les
lèvres de la jeune femme. Elle ne protesta pas, n’hésita pas
une seconde. Entrouvrant les lèvres, Lucy l’entoura de ses
bras et se blottit contre lui, comme elle avait l’habitude de le
faire quand ils étaient mariés.
Instantanément, le sang de Seth s’enflamma. Comme il
Instantanément, le sang de Seth s’enflamma. Comme il
approfondissait leur baiser, Lucy se serra plus fort contre son
torse. Tous ses doutes, tous ses beaux principes s’envolèrent
alors. Lucy était magnifique, intelligente, drôle, et lui avait
donné un fils ; à cet instant précis, son souhait le plus cher était
de lui faire l’amour.
Mais lorsqu’il glissa une main sous le galbe de son sein, le
soupir de plaisir de son ex-femme le réveilla aussi sûrement
qu’une douche froide. Qu’est-ce qui lui prenait, bon sang ? Il
ne pouvait pas lui faire l’amour ! C’était en laissant leur
attirance dominer leur raison qu’ils s’étaient mis dans cette
situation inextricable… Peut-être, s’il avait été seul, aurait-il
pris le risque d’avoir de nouveau le cœur brisé… Mais il ne
pouvait pas gâcher l’avenir d’Owen.
— Conduis lentement et prudemment, dit-il, rompant leur
étreinte à regret. Et appelle-moi aussitôt que tu seras
rentrée…
— Je suis une grande fille, répondit Lucy, les yeux encore
embués de désir. Je sais me débrouiller toute seule.
Seth acquiesça, puis sortit du véhicule. Il ne doutait pas que
Lucy en soit capable. Mais ni son père ni son pays ne la
laisseraient faire.
La veille au soir, il avait appelé Pete Hauser. Après avoir
mené de nombreuses recherches, l’avocat lui avait donné une
réponse ferme : si Seth ne parvenait pas à faire juger son cas
en Arkansas, il ne se battrait pas contre Lucy… mais contre
un pays tout entier.
7.
A peine rentrée, Lucy aperçut Penney, suivie de Madelyn
et de la petite Sabrina, qui se dirigeaient vers la maison. Mais
elle n’était pas du tout d’humeur à recevoir : elle ne pouvait
s’empêcher de repenser à ce baiser échangé avec Seth. Il
ressemblait beaucoup à leurs étreintes passées… A une
différence près, songea-t-elle. Lorsqu’ils étaient mariés, Seth
l’embrassait jusqu’à ce qu’ils perdent tous deux la raison.
Aujourd’hui, il s’était arrêté. Et à la manière dont il avait
claqué la portière en sortant de la voiture, il s’en voulait
visiblement de l’avoir embrassée.
Tout d’abord, Lucy avait été ravie. A ses yeux, la
spontanéité de ce baiser prouvait la profondeur de leurs
sentiments ; elle en avait savouré chaque seconde. Elle y avait
répondu avec passion, et serait certainement retombée
amoureuse de lui s’il avait dit l’aimer…
Mais Seth n’avait rien dit. Poussant un soupir, Lucy sortit
sur le perron pour accueillir ses visiteuses.
— Alors, Seth et toi avez sorti le drapeau blanc, hier soir ?
lança Madelyn en l’embrassant.
Lucy ne s’attendait pas à ce que la nouvelle reste
longtemps secrète. Non que ses voisines soient des
commères ; elles aimaient seulement se tenir informées de ce
qui arrivait aux autres.
Parler de cet aspect de sa relation avec Seth ne la
dérangeait pas ; ces femmes étaient ses amies, après tout.
Lucy espérait juste que la discussion ne la mènerait pas
jusqu’à mentionner leur baiser.
— Pas tout à fait, répondit-elle en se forçant à sourire.
Disons plutôt que nous formons une équipe. Venez, je vous
offre un café.
Aussitôt dans la cuisine, Penney se pencha vers Lucy.
— Nous voulons des détails ! déclara-t-elle.
La princesse haussa les épaules.
— Il est entré dans la chambre pendant qu’Owen pleurait.
Je n’avais appelé personne à cause de l’heure tardive, mais
aussi parce que je voulais réussir à le calmer moi-même.
Les deux femmes ouvrirent la bouche pour protester, mais
Lucy les arrêta d’un geste.
— Je dois vraiment apprendre à m’en occuper seule !
Sinon, mon père m’imposera une aide professionnelle, contre
laquelle je devrais constamment me battre.
— C’est si bizarre, déclara Madelyn. Tu vis comme une
personne normale ici mais, très bientôt, tu retourneras vivre
dans un château. Tu redeviendras le sujet de ton père, et tu
devras élever ton fils comme il l’entend…
Lucy avait déjà songé à cela. Elever Owen elle-même
impliquait qu’elle renonce à sa vie personnelle. Et maintenant
que Seth l’avait embrassée, le sacrifice n’en semblait que plus
grand. Lors de sa rencontre avec Seth, la perspective de vivre
une vie normale avait joué dans son attirance pour lui. Oh, elle
n’avait pas vraiment oublié que son premier-né hériterait de la
couronne… Mais à l’époque, l’idée d’un bébé semblait si
lointaine ! Elle avait sincèrement cru pouvoir vivre en étant
Mme Seth Bryant pendant quelques années avant de devenir
la mère du prince héritier.
Tout, dans son histoire avec Seth, semblait accéléré : leur
coup de foudre, leur mariage… et pour finir, elle était tombée
enceinte dès leur première nuit passée ensemble ! Avant
d’avoir pu goûter à une vie normale, elle avait été rattrapée
par la monarchie.
Levant la main, elle fit mine de saluer la foule.
— Dame Madelyn, oubliez-vous que je suis une
princesse ? dit-elle d’un ton faussement hautain. Mes
serviteurs satisfont tous mes caprices. Ce n’est pas
exactement le bagne !
Madelyn et Penney éclatèrent de rire, et Lucy parvint à
changer de sujet. Mais tandis qu’elles parlaient de tout et de
rien, la jeune femme observa ses amies. Elles étaient drôles,
gentilles, libres de vivre leur vie comme elles l’entendaient…
Mais surtout, elles étaient de réelles amies.
Si elle avait été libre, Lucy aurait pu s’installer à Porter
avec Seth. Comme elle aurait été heureuse dans cette
maison ! Mais elle était princesse. Elle ne pouvait pas vivre ici
éternellement, et n’imaginait pas que Seth voudrait quitter
éternellement, et n’imaginait pas que Seth voudrait quitter
cette charmante petite ville. Lucy n’était pas sûre qu’il
supporterait d’appartenir à la famille royale. Même s’il
réussissait à gérer les médias et la cour, il prendrait un jour
conscience que le mari d’une princesse devait se plier aux
règles de la monarchie. Or, Seth n’était pas homme à courber
la tête… devant qui que ce soit.
Lorsque l’horloge sonna 14 heures, Madelyn se leva.
— Ma pause-déjeuner se termine, je dois retourner au
bureau. Peux-tu ramener Sabrina chez sa nourrice, maman ?
— Bien sûr, mais je préférerais la garder avec moi un peu
plus longtemps, répondit Penney.
Madelyn embrassa la petite.
— C’est parfait. Tu restes avec grand-mère, mon chou ?
Maman viendra te chercher à 17 heures.
Lucy regarda s’éloigner son amie. Elle enviait à Madelyn sa
relation sans nuages avec Ty.
— Elle a vraiment tout, n’est-ce pas ? fit remarquer Penney
après un long silence. Un travail, un enfant, Ty…
Lucy sourit. Penney savait décidément lire en elle comme
dans un livre ouvert !
— Toi aussi, tu pourrais avoir cette chance, continua
Penney en lui prenant la main. Pour toi et Seth, c’est tout ou
rien… Mais n’avez-vous jamais pensé à trouver un
compromis ?
— Malheureusement, il n’y en a pas de possible !
— Malheureusement, il n’y en a pas de possible !
s’exclama Lucy. Je suis la mère d’un futur roi. Je dois l’élever
en accord avec les diktats de notre monarchie. Quant à
Seth… je ne sais pas s’il a jamais pensé à trouver un
compromis ; nous n’avons parlé sérieusement de la situation
qu’une seule fois… La nuit dernière.
— C’est tout de même bizarre, tu ne trouves pas ?
demanda Penney, les sourcils froncés.
— Non, pas vraiment. Il n’était pas beaucoup à la maison
ces derniers temps…
— Et même lorsqu’il était là, vous n’en avez jamais parlé ?
Lucy secoua la tête.
— Mais pourquoi ? insista Penney. Dis-moi la vérité, Lucy.
Pourquoi n’as-tu jamais cherché à en discuter avec Seth ?
— Je ne voulais pas lui faire de peine, avoua Lucy avec un
soupir. Hier, par exemple, nous avions décidé d’être honnêtes
l’un envers l’autre, et cela m’a forcée à lui dire qu’il ne pourra
voir Owen que s’il prend l’avion pour Xavier…
— Tu veux rire ?
— Malheureusement non. Mon père insistera pour
qu’Owen vive sur Xavier en permanence. Seth est un homme
bien, ajouta-t-elle avec un triste sourire. Que dis-je, il est
merveilleux. Il ne mérite pas ce qui l’attend… ni tout ce qui lui
est arrivé depuis notre rencontre.
— Alors fais quelque chose !
— Je ne peux pas.
— Je ne peux pas.
— Je n’en crois pas un mot.
— C’est malheureusement vrai, et je crois que Seth le
comprend. C’est pourquoi il agit comme si le problème
n’existait pas ; nous ne pouvons pas arranger la situation. Cela
ne sert à rien de nous battre.
— A rien ? s’exclama Penney d’un ton soudain furieux.
Vous avez un fils, bon sang !
— Justement ! Si nous n’étions que tous les deux, je
pourrais probablement insister encore et encore jusqu’à ce
que Seth retombe amoureux de moi. Mais je ne suis pas mon
propre maître. Je n’ai pas la liberté que Madelyn et toi
considérez comme un dû. Imagine… je ne pouvais même pas
me marier, parce que j’étais fiancée à mon insu !
— Mais tu ne l’es plus…, remarqua Penney.
— En effet, ma grossesse a annulé les fiançailles.
— Lucy, dit Penney après un long silence, n’as-tu pas
remarqué quelque chose de bizarre ?
— Comment cela ?
— Eh bien, vu la date de naissance du petit, tu étais déjà
enceinte lorsque tu t’es mariée… et tu viens de dire que ta
grossesse a annulé tes fiançailles. Donc, techniquement…, tes
fiançailles n’ont-elles pas été annulées avant que tu n’épouses
Seth ?
— Oui, je suppose, répondit Lucy, perplexe.
Penney se leva de son siège.
— Si j’étais toi, j’appellerais un avocat. Parce qu’il me
semble bien que toi et Seth êtes toujours légalement mariés !

***
Lorsqu’il rentra, Seth trouva Lucy sur le pas de la porte.
Elle avait remis le jean moulant et le petit haut simple qu’elle
portait avant de l’emmener au travail, mais n’avait pas
rattaché ses cheveux. Elle était le rêve devenu réalité de tout
homme, songea-t-il alors qu’elle s’approchait. Tous ses
instincts en éveil, il se demanda si elle allait l’embrasser.
Mais Lucy l’accueillit avec une question étrange.
— As-tu vraiment très faim ? demanda-t-elle.
Conscient de l’avoir troublée en l’embrassant avant de se
sauver comme un voleur, Seth ne voulait pas prendre le risque
de la contrarier.
— Euh… Je ne vais pas mourir de faim si je ne mange pas
dans la seconde, mais oui, j’ai un petit creux…
— J’ai un plat au four qui peut attendre un peu, et je
voudrais que tu m’accordes quelques minutes pour parler, dit-
elle, visiblement nerveuse.
Seth se débarrassa de sa veste et la pendit sur le
portemanteau de l’entrée.
— Où est Owen ?
— Où est Owen ?
— Il dort.
— Bien… alors allons dans mon bureau.
Que pouvait-il se passer de dangereux dans un bureau,
après tout ? songea-t-il. Bien sûr, il y avait un sofa… mais les
murs étaient couverts de livres ennuyeux sur l’architecture et la
construction. Il ne pouvait sûrement rien se passer dans un
cadre aussi sérieux…
Il fit signe à Lucy de s’asseoir sur le canapé. Elle prit place
en plein centre, laissant à Seth le choix de s’asseoir en face
d’elle dans le fauteuil… ou tout contre elle.
Il détailla son joli petit haut rouge, sa luxuriante chevelure,
ses lèvres pleines… Il n’allait certainement pas faire l’erreur
de s’asseoir près d’elle !
— De quoi veux-tu parler ? dit-il en se laissant tomber
dans le fauteuil.
— Je suis partie de Miami pour rejoindre mon père au
mois de janvier. Et immédiatement après, j’ai commencé à
avoir des nausées.
— Essaies-tu de me dire que tu as su presque tout de suite
que tu étais enceinte ? demanda Seth en fronçant les sourcils.
— Non. A l’époque, j’ai cru avoir attrapé la grippe. Je t’ai
appelé un soir pour que tu me remontes le moral, mais mon
assistante m’a dit que tu n’étais pas disponible.
Seth acquiesça.
— Nous savons désormais tous deux qu’elle mentait.
— Oui, mon père lui a demandé de tout faire pour nous
séparer.
— Parce qu’il ne voulait pas que nous soyons mariés…
— Oui, mais aussi parce qu’il ne voulait pas que tu me
voies, ou tu aurais vite compris quelque chose d’assez
flagrant…
Les yeux de Seth s’étrécirent.
— C’est-à-dire ?
Lucy ferma les yeux et inspira profondément. Puis elle
plongea son regard dans celui de Seth.
— Ma grossesse est antérieure à notre mariage, Seth.
Seth faillit soupirer de soulagement. Voilà une nouvelle qu’il
pouvait facilement accepter.
— Personne n’est plus choqué par ce genre de détails, de
nos jours, Lucy !
— Tu ne comprends pas… Si mon père s’en inquiétait, ce
n’était pas pour ma réputation, mais parce que mes fiançailles
ont été annulées par ma grossesse… donc, avant que nous ne
nous mariions.
Seth se redressa dans son siège.
— Tu veux dire que… Nous sommes toujours mariés ?
Lucy prit une nouvelle inspiration et Seth se prépara au
pire : chaque fois qu’elle avait besoin d’air, c’était pour lui
annoncer une terrible nouvelle, semblait-il.
— Oui. J’ai appelé un avocat cet après-midi. Quand je lui
ai expliqué les circonstances de ma grossesse, il a confirmé
mes doutes : selon les lois de Xavier, mes fiançailles ne
pouvaient pas légalement annuler notre mariage, car à la
seconde où je suis tombée enceinte, elles ont cessé. Le jour
de notre mariage, il n’y avait donc pas de raison légale de
s’opposer à notre union. Par conséquent oui, nous sommes
toujours mariés.
Seth sentit sa mâchoire se crisper. Il n’aurait pas pu parler,
même si sa vie en avait dépendu. Lucy et lui étaient toujours
mariés…
Mariés !
Les coudes sur les genoux, il prit sa tête entre ses mains.
— Mon Dieu…
Auprès de Lucy, il avait éprouvé des sentiments d’une
force incroyable. Et voilà qu’elle lui annonçait qu’il pouvait
retrouver tout cela ! La tendresse, les rires… l’amour.
On ne lui demandait qu’un minuscule prix à payer : faire
partie de sa famille.
Non. Pas de sa famille… de la monarchie ! Et leur enfant
devait en devenir le roi.
Dès sa naissance, Owen se trouvait dans une situation
difficile. Et il n’avait personne pour défendre ses droits…
Personne, sauf son père.
Cette fois, ce fut Seth qui prit une profonde inspiration.
Si Lucy n’avait pas répondu aussi ardemment à son baiser,
il ne se serait pas inquiété. Mais elle le lui avait rendu avec
passion… et ils étaient toujours mariés !
Il se leva d’un bond, puis entreprit de faire les cent pas
dans son bureau.
— Que fait-on, maintenant ? demanda-t-il.
Lucy l’observa un instant.
— Je ne pense pas qu’il faille précipiter les choses, dit-elle
doucement. Ne prenons pas de décisions hâtives.
— Excellente idée !
— Après tout, nous sommes séparés depuis huit mois…
— Tout à fait !
—… et j’ai l’impression que si nous ne faisons pas appel à
la justice pour rectifier cette annulation, ce n’est certainement
pas mon père qui le fera.
— Alors… Notre mariage reste annulé ?
— Non. Nous allons devoir nous occuper de ce problème
un jour ou l’autre…
Elle plongea son regard dans le sien.
— Nous ne pouvons pas vivre éternellement dans le
mensonge, Seth.
Un silence de plomb s’abattit sur la pièce. Malgré elle,
Lucy se sentait déçue. Elle tenta de trouver une explication
Lucy se sentait déçue. Elle tenta de trouver une explication
rationnelle à la réaction de Seth. Après tout, elle avait eu
plusieurs heures pour digérer la nouvelle ; Seth était encore
sous le choc. Mais à voir son désarroi, il était certain qu’il ne
voulait plus être marié avec elle. Et aucune justification n’aurait
pu atténuer la douleur que Lucy ressentait à cette pensée.
Oh, il la désirait, sans aucun doute. Le baiser de cet après-
midi en était la preuve. Mais il ne voulait pas être son mari.
Elle avait eu raison depuis le départ ! Durant leur séparation,
Seth avait eu le temps de prendre conscience de toutes les
conséquences de leur mariage… il ne voulait tout simplement
pas faire partie d’une monarchie.
Il ne se battrait donc pas pour rester avec elle. Il ne
prendrait pas le risque de fâcher son père ; il refuserait le titre
de prince, et ne déménagerait jamais pour elle.
Ce qui, maintenant qu’elle y songeait, signifiait tout
simplement qu’il ne l’aimait pas. Il appréciait son corps, ou
même sa compagnie… Mais il n’était pas amoureux d’elle.
Eh bien, tant pis ! Elle était princesse, et ne pourrait rien y
changer. Lorsque le moment serait venu, elle lui donnerait ce
divorce qu’il semblait tant désirer. Pour l’instant, elle espérait
juste quitter cette pièce avec un reste de dignité.
Plaquant un sourire sur son visage, elle se leva.
— Je vais voir où en est mon plat, dit-elle.
— Parfait, répondit Seth avec une gaieté feinte.
L’idée d’être toujours marié avec elle semblait le torturer…
Et cela déchirait le cœur de Lucy.
Parce que, pendant les quelques heures de réflexion qu’elle
avait eues après avoir parlé à l’avocat, Lucy avait pris
conscience d’un autre fait indéniable.
Elle était toujours amoureuse de son mari.
8.
Ils dînèrent en silence. Lucy semblait contrariée. Il avait
pourtant réussi à avoir une réaction plutôt neutre, songea Seth.
Ce n’est que vers 20 heures, tandis qu’ils donnaient son
bain à Owen, qu’il comprit. Lucy n’était pas contrariée ; elle
était triste. Elle s’attendait certainement à ce qu’il réagisse
différemment à la nouvelle… Mais comment ?
Jamais au grand jamais Seth n’aurait imaginé que Lucy
puisse vouloir rester sa femme ! Quand son père avait tout fait
pour les séparer, ils avaient tous deux tiré un trait sur leur
histoire. Lucy et lui ne s’aimaient pas, voilà tout. Ils n’auraient
jamais dû se marier. Et maintenant, ils devaient avoir le bon
sens de ne pas répéter leur erreur.
Après avoir préparé son fils pour la nuit, Seth lui embrassa
le front puis quitta la pièce. Installé dans son bureau, il tenta
de se concentrer sur un dossier, sans succès. Pourquoi Lucy
voudrait-elle être mariée avec lui ? C’était ridicule,
déraisonnable, complètement fou ! Jetant son stylo sur son
bureau d’un geste rageur, il partit à sa recherche.
Il trouva Lucy dans la cuisine ; elle empilait les plats du
dîner dans l’évier avec une force qui trahissait son
énervement.
— Je vais t’aider, dit-il.
— Ce n’est pas la peine.
Il se saisit tout de même d’un torchon propre, et s’arma de
courage. Il devait lui faire comprendre qu’envisager de rester
mari et femme était totalement déraisonnable.
Lucy l’ignora, posant un plat propre dans l’égouttoir un peu
trop brutalement.
— Ecoute, Lucy. Je crois savoir pourquoi tu es en colère,
commença Seth.
— Je ne suis pas en colère, répliqua-t-elle.
— D’accord… Mais tu n’es pas contente, je le sens à ta
façon de me parler. Tu n’as visiblement pas aimé ma réaction
de tout à l’heure… Pourtant je croyais être resté neutre.
— Bien sûr ! C’est ta réponse à tout !
— Oh là, du calme, dit-il. Qu’est-ce que c’est que cette
remarque ?
— C’est la vérité, tu attends de voir comment les choses
évoluent, tu n’agis pas !
— C’est faux ! Je fais face aux épreuves !
— Ah oui ? s’exclama-t-elle, sortant ses mains de l’eau
savonneuse si fort que Seth en fut tout éclaboussé. Alors
pourquoi es-tu parti à l’autre bout des Etats-Unis pendant
cinq semaines ?
Seth lui jeta un regard noir.
— Je travaillais !
— N’était-ce pas plutôt pour éviter de parler du droit de
visite, parce que tu avais peur du résultat ?
— Non !
— Mensonge… Pendant ton absence, j’ai bien senti qu’on
essayait de m’en cacher les véritables raisons !
— Très bien, princesse. Tu veux la vérité ? Oui, il y avait
bien un complot, et je ne suis pas réellement parti pour le
travail. Mais ce n’était pas par peur de parler du droit de
visite. C’était par peur de te fâcher !
— Me fâcher ?
Lucy plongea rageusement les mains dans l’eau,
l’éclaboussant de plus belle. Elle ne le faisait certainement pas
exprès, mais Seth décida de baisser le ton.
— Oui, j’avais peur que tu ne partes avant que nous
n’ayons pu trouver un accord, dit-il d’une voix radoucie.
— Quoi ?
Le visage de Lucy alliait arrogance royale et surprise totale.
Si la conversation n’avait pas été si sérieuse, Seth n’aurait pu
s’empêcher de rire.
— Penses-tu que je suis une enfant gâtée, ou juste une
hystérique sujette aux crises de colère ? demanda-t-elle d’un
ton hautain.
Si elle l’avait de nouveau éclaboussé, Seth aurait peut-être
opté pour la seconde solution, mais Lucy n’en fit rien.
— Comment suis-je censé savoir ce que tu es ? rétorqua-t-
il. Je t’ai connue deux semaines avant de t’épouser ; nous
sommes restés mariés quinze jours ; puis ton père t’a appelée
et hop ! Plus de Lucy.
Lorsqu’elle saisit une éponge et la lui lança au visage, Seth
révisa son jugement. Elle était hystérique et se servirait de tout
ce qu’elle avait sous la main… Heureusement qu’ils n’étaient
pas en train de rentrer le bois pour la cheminée, songea-t-il.
— Mais tu n’es jamais venu me chercher ! cria-t-elle, les
larmes aux yeux. Tu pouvais voyager, pas moi ! Et pourtant,
tu n’as jamais essayé de me voir.
Seth s’écarta pour éviter une autre éponge.
— Si, je suis venu ! Mais je n’ai jamais pu entrer dans le
palais. Que dis-je, on ne m’a même pas laissé m’en
approcher. J’étais attendu à la sortie de l’avion. On m’a
emmené dans une petite pièce, fait attendre deux heures, puis
un représentant de ton père est venu me dire que je n’étais
pas le bienvenu dans ce pays. Ils m’ont pratiquement mis de
force dans le prochain avion à destination de New York !
Lucy se retourna.
— Vraiment ?
Le soulagement qu’il lut dans ses yeux était si intense qu’il
en eut le souffle coupé. Elle semblait avoir profondément
souffert du fait qu’il ne vienne pas la chercher… Croyant
qu’elle voulait la fin de leur mariage, Seth se l’était imaginée
dansant au bal ou jouant au tennis avec des ducs et des
barons. Mais voir à quel point elle avait dû souffrir lui fendit le
cœur ; il ne pouvait pas la laisser croire qu’il avait pu
sciemment la blesser ainsi !
— Oui, je suis venu. Ce que nous partagions était…
« Fabuleux. Merveilleux. Parfait. » Non, il ne pouvait pas
lui dire cela sans lui expliquer pourquoi il n’en voulait plus à
présent ! Lucy l’avait éclaboussé pour être parti cinq
semaines ; s’il lui avouait à présent qu’il détestait sa famille et
voulait en protéger Owen, elle le noierait certainement !
— Tu comptais beaucoup pour moi, dit-il finalement.
Une vague d’eau savonneuse l’atteignit en plein visage.
— Je comptais pour toi ! Je dois me contenter de ça ? Tu
disais m’aimer ! Tu disais ne jamais avoir ressenti pour
quiconque ce que tu ressentais pour moi…
Lucy s’interrompit, les yeux plissés. Elle eut soudain l’air de
comprendre quelque chose et poussa un cri outré.
— Espèce de menteur, tu m’as utilisée !
— Non ! protesta Seth. Mais il ne sert à rien de ressasser
le passé.
— Pourquoi ?
— Parce que.
Lucy croisa les bras et attendit. Malheureusement, son
geste attira le regard de Seth sur sa poitrine, et le souvenir
vivace de leurs étreintes lui revint à la mémoire. S’il lui disait
ce qu’elle voulait entendre, elle serait dans son lit dès cette
ce qu’elle voulait entendre, elle serait dans son lit dès cette
nuit, il le savait.
Bon sang, comme il avait envie d’elle !
Mais s’il lui faisait l’amour, il l’utiliserait exactement comme
elle le lui avait reproché, car il savait au fond de lui qu’il ne
pouvait pas rester marié avec elle.
Lucy attendant toujours une réponse, Seth se prépara au
pire.
— Allons, Lucy, tu sais bien que nous ne pouvons pas
vivre ensemble. Je n’appartiens pas à ton monde.
Il faillit ajouter qu’elle n’appartenait pas non plus au sien,
mais s’arrêta net. En vérité, Lucy s’adaptait merveilleusement
bien à Porter. Elle pouvait vivre dans son monde… Mais elle
n’en avait pas le droit. D’un jour à l’autre, son père viendrait
la chercher.
— Et tu ne peux pas rester dans le mien, finit-il.
Seth attendit que Lucy reconnaisse qu’il avait raison,
qu’elle ait une réaction raisonnable face à la tristesse de leur
situation. Mais elle se redressa, les yeux noirs de colère.
— Depuis quand prends-tu toutes les décisions ?
— Je dois prendre les décisions que j’estime être bonnes
pour moi…
Lucy fit deux pas en avant. Elle était si près de lui à présent
qu’il pouvait presque sentir la chaleur de son corps.
— Sans me consulter ?
Bon sang ! Il ne pouvait jamais se trouver à moins de cent
mètres de cette femme sans penser à une chambre sombre et
des draps de satin. Elle jouait avec le feu !
— Pour l’instant, il ne serait pas sage de te consulter, dit-il.
— Et pourquoi cela ?
— Parce que si je te demande ton avis, nous allons nous
rapprocher, et si nous nous rapprochons trop…
Sans prendre la peine de finir sa phrase, il l’embrassa.
Ses lèvres avaient un goût de paradis. Le corps qu’il
pressait contre le sien lui donnait l’impression de rentrer chez
lui après un long et fatigant voyage. Seth comprit enfin que
leur dispute n’était pas seulement due à leurs différences
d’opinion, mais à leur fatigue : combattre le désir physique qui
les tenaillait mettait leurs nerfs à rude épreuve.
Il ne put s’empêcher de parcourir le corps de la jeune
femme, explorant son dos, sa taille, sa poitrine. Les mains de
Lucy empruntaient un parcours similaire ; chacun de ses
gestes semblait chargé d’émotion. Ses petits soupirs de plaisir
emplissaient la pièce, alertant Seth qu’ils perdaient tout
contrôle de la situation, mais il lui était impossible de s’arrêter.
Chaque baiser déclenchait en lui une explosion de sensations ;
il embrassait, touchait, goûtait… désirait. Il voulait Lucy, tout
entière.
Mais en avait-il le droit, si Owen devait en payer le prix ?
Son fils n’était encore qu’un petit être sans défense, qui serait
exploité par une monarchie sans cœur s’il ne faisait rien !
Au prix d’un immense effort, il s’écarta donc de Lucy.
— Voilà pourquoi je dois rester loin de toi ! lui dit-il.
Sur ces mots, il tourna les talons et quitta la pièce. Lucy
pouvait raconter ce qu’elle voulait à ses voisines, il s’en
fichait ! Sauver son fils demeurait sa priorité, et il avait bien
l’intention d’y arriver.

***
Le lendemain, lasse de repenser à sa dispute avec Seth,
Lucy installa Owen dans sa poussette et sortit se promener.
Comme il faisait exceptionnellement chaud en cette fin
octobre, elle s’arrêta au bout d’un moment pour ôter son gilet,
jetant un regard autour d’elle. Les maisons entourant celle de
Seth étaient toutes neuves, grandes et cossues, témoignant de
la richesse que Bryant Development avait apportée à la
communauté. Elle s’avança dans la rue suivante, construite,
d’après Madelyn, à l’époque où Seth et Ty avaient
commencé à engager du monde. Ici les maisons étaient plus
modestes, mais jolies et bien entretenues. Curieuse, Lucy
poursuivit son chemin et se trouva au milieu de maisons plus
anciennes, datant visiblement d’une époque moins prospère.
La rue principale de Porter était un mélange de neuf et
d’ancien. Seth et Ty étaient à l’origine d’une grande majorité
des restaurations d’immeubles qu’elle voyait, songea Lucy en
remontant lentement la rue. Les deux frères n’étaient pas nés
remontant lentement la rue. Les deux frères n’étaient pas nés
dans la richesse et le confort, ils les avaient créés… Non pour
eux seuls, mais pour toute une ville ! Soudain, une pensée la
frappa : quoi qu’il en dise, Seth avait l’étoffe d’un prince
consort… Mais cette ville avait besoin de lui.
Si elle restait mariée à lui, elle ne lui demanderait pas
seulement de s’adapter à un monde totalement différent du
sien… Mais aussi de quitter une communauté qui avait besoin
de lui.
Plongée dans ses pensées, elle entra dans une épicerie et
faillit renverser Mildred, qui en sortait.
— Bonjour, monsieur Bryant, s’exclama celle-ci en sortant
Owen de sa poussette pour le câliner. Qu’est-ce qui vous
amène ici ?
— Rester à la maison nous rend fous, répondit Lucy.
— Je me demandais combien de temps tu tiendrais ! lança
Mildred en riant. Comment te sens-tu ?
— Je ne me suis jamais sentie aussi bien, Mildred, dit Lucy
avec ironie.
— Tu es venue te ravitailler ? Songerais-tu à cuisiner un
bon petit plat pour Seth ?
— Non…
— Vraiment ? Mais d’après Penney, vous venez de
découvrir que vous êtes toujours mariés…
Attrapant Mildred par le bras, Lucy jeta un regard nerveux
autour d’elle.
— Ne parle pas si fort !
— Alors c’est vrai…
— Oui et non. Une fois que nous aurons réglé toutes les
formalités, notre mariage sera de nouveau reconnu. Mais Seth
ne veut pas être marié avec moi… Il nous faudra divorcer.
— C’est de la folie, murmura Mildred, attirant Lucy un peu
plus près d’elle. Ecoute, ma chérie, tu es amoureuse de Seth.
Et lui… Je ne sais pas s’il t’aime encore, mais il tient
beaucoup à toi. Sans oublier que vous avez un enfant
ensemble ! Découvrir que vous êtes toujours mariés devrait
être une bonne nouvelle.
Lucy sourit tristement.
— Je le pensais, au début. Mais Seth n’a pas réagi comme
je l’espérais. Il a dit ne pas appartenir à mon monde, que
notre mariage ne pouvait pas fonctionner… Et en me
promenant dans la rue, j’ai compris son point de vue.
Mildred la regarda avec de grands yeux.
— Ecoute-moi bien attentivement, Lucy. Tu vas rentrer à la
maison, passer du temps avec ton mari et ton fils. Et cette nuit,
tu vas séduire cette tête de mule, tu m’entends ?
— Mais… c’est juste que…
— Lucy ! Tu l’aimes, oui ou non ?
— Oui, murmura Lucy.
— Alors rentre à la maison et fais ce que je t’ai dit.
— Alors rentre à la maison et fais ce que je t’ai dit.
— Mais je ne peux pas me jeter sur lui !
Mildred leva les yeux au ciel.
— Qu’est-ce qu’il te faut, un plan d’attaque ? Très bien, je
vais t’en donner un. Ce soir, la ville organise une soirée
déguisée pour Halloween. Emmène Seth danser, fais-le boire
quelques verres, et la nature fera le reste.
Lucy hésita.
— Je garderai Owen, ajouta Mildred.
— D’accord, je vais essayer.
9.
Seth s’inquiéta toute la journée de la soirée qui l’attendait,
seul avec Lucy. Il était visiblement incapable de lui résister…
Dès lors, comment vivre sous le même toit sans courir droit à
la catastrophe ?
Lorsqu’il rentra chez lui ce soir-là, aucune odeur de
nourriture ne l’attendait. Lucy était sûrement toujours en
colère contre lui.
— Lucy ! lança-t-il tout en retirant sa cravate.
Comme par magie, elle apparut en haut des escaliers.
— Dépêche-toi, Seth, nous allons être en retard.
Vêtue d’une création qu’on ne trouvait certainement pas
dans le prêt-à-porter, la princesse était à couper le souffle.
Sa robe rouge s’évasait à partir de la taille, cascadant
jusqu’aux chevilles.
Seth resta figé en bas des marches. Puis il remarqua la tiare
qu’elle portait sur la tête et son cœur cessa de battre. Elle
semblait apprêtée pour assister à un bal de la famille royale…
Son père était-il déjà arrivé ?
— Pourquoi es-tu habillée comme cela ? demanda-t-il
d’une voix hésitante.
— On donne une soirée costumée à la caserne, ce soir !
— On donne une soirée costumée à la caserne, ce soir !
Soulagé mais perplexe, Seth ne répondit pas.
— J’y vais déguisée en princesse, expliqua Lucy.
Seth éclata de rire.
— Tu plaisantes ?
Souriante, elle descendit quelques marches. Le cœur de
Seth s’affola dans sa poitrine.
Mais de la même manière qu’elle l’avait hypnotisé, la robe
de Lucy le ramena à la raison. La jeune femme était
réellement princesse. Et habillée ainsi, elle démontrait sans
équivoque qu’elle n’appartenait pas au milieu de Seth.
Mais alors qu’elle s’approchait, il ne vit plus que son
incroyable beauté. Son léger maquillage rehaussait ses traits
délicats ; ses yeux sombres n’en étaient que plus mystérieux.
Le regard de Seth tomba sur son décolleté plongeant…
Incapable de bouger, il la laissa s’approcher jusqu’à pouvoir
sentir l’envoûtant parfum qu’elle portait le jour de leur
rencontre.
— Je sais que je ne te convaincrai jamais de te déguiser,
dit-elle, mais enfile tout de même un jean et un T-shirt…
— Je peux très bien surveiller Owen comme ça, dit-il en
désignant son costume de travail.
Il parlait lentement, avec hésitation. Lucy était si près à
présent qu’il pouvait à peine respirer.
— Mildred garde Owen ce soir ! Allez, Seth, va vite te
changer ou nous serons en retard !
changer ou nous serons en retard !
En entendant ces mots, Seth sortit enfin de sa rêverie.
— Nous ?
Puis il se mit à rire. En la voyant ainsi vêtue, il avait bien
failli succomber à la tentation. Dieu merci, Lucy venait de le
réveiller grâce à une simple phrase.
— Princesse, cela fait quinze ans que je ne suis pas allé au
bal costumé ! Et tu ne m’y verras pas non plus cette année.
Lucy s’avança vers lui d’un pas chaloupé, puis posa une
main sur son torse.
— S’il te plaît…
Son parfum l’enveloppait, sa robe le frôlait…
Mais il ne fallait pas qu’il cède à la tentation, Seth le savait.
— Je n’irai pas, dit-il.
Lucy se lova contre lui.
— S’il te plaît…, répéta-t-elle d’une voix de velours.
Le cœur prêt à exploser, Seth fut pris d’une irrésistible
envie de céder. Mais il la combattit. Et cette fois, il eut la
bonne idée de reculer d’un pas.
— Non, Lucy. Tu me crois assez idiot pour tomber à tes
pieds à la moindre œillade ?
— Je ne te demande pas de tomber à mes pieds, dit-elle
avec un sourire enjôleur. J’ai simplement besoin d’un cavalier,
et tu es mon ami. Est-ce trop demander ?
Bon sang, elle sortait le grand jeu ! pensa Seth. Mais il
n’était pas prudent pour eux de passer du temps ensemble, et
même si Lucy essayait de l’amadouer, il n’allait pas se laisser
faire !
Il monta donc quelques marches pour mettre de la distance
entre eux. Il ne se laisserait plus manipuler par ses sens.
— Appelle Mildred, et dis-lui que je garderai Owen cette
nuit. Amuse-toi bien à la soirée, ajouta-t-il.
Ensuite, tournant les talons, il se rendit dans son ancienne
chambre, sortit le bébé de son berceau, vérifia sa couche, puis
se hâta vers la chambre d’amis. Posant son fils au centre du
grand lit, il entreprit d’enfiler quelque chose de plus
confortable.
— Je ne cherchais pas à blesser ta mère, dit-il à Owen, qui
lui offrait un sourire édenté. Mais un homme ne peut pas
oublier ses principes pour les charmes d’une femme.
Owen se mit à babiller.
— Je suis content que tu comprennes, répondit Seth tout
en enlevant sa chemise. Puisque j’y suis, autant t’apprendre
quelques petites choses : ta maman et moi semblons faits l’un
pour l’autre… mais ce n’est pas le cas. C’est une princesse,
et sans être mendiant, je ne suis pas pour autant prince. Mais
toi, mon fils, si ! Tu seras même roi un jour. Oh, tu penses
peut-être que c’est génial, ajouta-t-il lorsque Owen se mit à
rire. Mais il y a des inconvénients, tu sais… Par exemple, il
paraît que ton grand-père, le roi, est très autoritaire. Or, je
paraît que ton grand-père, le roi, est très autoritaire. Or, je
n’aime pas qu’on me donne des ordres. C’est d’ailleurs l’une
des raisons pour lesquelles je n’accompagne pas ta mère au
bal, ce soir.
Seth s’interrompit. Sa dernière phrase lui semblait soudain
totalement puérile. Refuser d’accompagner Lucy pour éviter
de succomber à la tentation était une chose, mais la blesser
par orgueil, quelle sottise !
Boutonnant sa chemise en hâte, il attrapa son fils et
descendit l’escalier. Il devait absolument expliquer à Lucy
qu’il essayait juste de les protéger l’un de l’autre.
Mais il fut surpris de ne pas la trouver en bas. Lucy avait dû
se rendre seule au bal, sans trop insister pour qu’il
l’accompagne, d’ailleurs. Au fond, c’était mieux comme cela.
Il ne valait mieux pas la voir tant qu’elle portait cette robe !
Seth n’avait aucune peine à imaginer la tête des hommes
lorsqu’ils la verraient entrer dans la caserne ainsi vêtue. Ils la
dévoreraient littéralement des yeux, puis se battraient presque
pour être le premier à danser avec elle. Et pendant la danse,
leurs mains se promèneraient…
A cette pensée, Seth sentit ses poumons se figer. Fermant
les yeux aussi fort qu’il le put, il tenta de se raisonner. Il
n’avait plus le droit de s’inquiéter de l’effet que Lucy faisait
aux autres hommes. Seul son fils importait à présent.
Il installa Owen dans sa chaise haute et entreprit de se faire
un sandwich. Alors qu’il le posait sur la table, on frappa à la
porte de derrière ; Mildred entra sans attendre d’y être
invitée.
invitée.
— Bonjour mon joli ! dit-elle en enlevant son manteau.
Oui, bonjour à toi aussi, Owen, ajouta-t-elle avec un petit rire.
Elle prit le bébé dans ses bras.
— Laisse-le là, Mildred, intervint Seth, je ne sors pas ce
soir…
Ignorant sa remarque, Mildred sourit au bébé.
— Pourquoi ?
— Parce que Lucy et moi ne devrions pas jouer au petit
couple parfait.
— Cela n’avait pas l’air de te déranger, avant…
— Nous étions mariés.
— Et d’après ce que j’ai compris, vous l’êtes toujours.
— En effet, mais nous ne devrions pas l’être.
— Et je suppose que tu joues les gros bras, en prouvant
que tu n’as pas à faire quelque chose si tu n’en as pas envie ?
— Quelque chose que je ne devrais pas faire, Mildred,
précisa Seth. C’est très différent.
— Mais bien sûr, rétorqua Mildred d’un ton ironique. Je
vais regarder la télé avec Owen avant de lui donner son bain,
ajouta-t-elle avant de sortir de la cuisine.
Seth regarda la porte se fermer sur Mildred. Décidément,
plus personne ne l’écoutait !
Si, songea-t-il, Lucy l’avait écouté. Elle lui avait dit de
Si, songea-t-il, Lucy l’avait écouté. Elle lui avait dit de
s’habiller pour la soirée, et il avait répondu qu’il ne voulait pas
y aller. Elle n’avait pas insisté. Elle lui avait fait un joli numéro
de charme, oui… Mais en voyant qu’il ne cédait pas, elle
n’avait pas boudé. Elle était tout simplement partie.
Seth fronça les sourcils.
Non, il était parti ! Lucy avait tenté de le charmer, il l’avait
repoussée, puis était monté chercher Owen avant de
s’enfermer dans la chambre d’amis. Rien ne prouvait que
Lucy soit partie au bal ! Et si elle était dans sa chambre ? Et si
elle pleurait ?
Bon sang ! Pourquoi n’avait-il pas songé à vérifier ? Avec
un soupir, il s’empara de son sandwich et monta l’escalier
quatre à quatre.
Soulagé de ne pas entendre de sanglots à travers la porte, il
frappa doucement.
— Lucy ?
Silence.
— Lucy ? répéta-t-il, frappant de nouveau.
Toujours rien.
Seth décida alors d’entrebâiller la porte pour s’assurer que
la chambre était bien vide. Comme il n’arrivait pas à
apercevoir le lit, il entra.
La chambre était sombre et silencieuse. A peine fut-il entré
que l’eau de toilette de Lucy lui chatouilla les narines, éveillant
ses sens.
ses sens.
Seth se laissa tomber sur le lit avec un soupir. Etait-ce
vraiment cela qui le dérangeait ? Non, décida-t-il. Si les
intérêts d’Owen n’étaient pas en jeu, il aurait poursuivi Lucy
plutôt que de la fuir…
Il fronça les sourcils.
Il ne la fuyait pas…
Bien sûr que si ! Il ne pouvait pas se contrôler lorsqu’il la
voyait. Voilà pourquoi il passait son temps à fuir de la
chambre… et de la maison… Bon sang, il était même allé se
réfugier en Idaho !
Lucy était probablement au bal en ce moment, riant de sa
lâcheté…
Bon sang ! S’il restait près de Lucy, elle le rendait fou ; et
s’il s’en écartait pour se protéger, il passait pour un fuyard !
Quoi qu’il fasse, il sortait perdant…
Mais une chose était certaine : Lucy devait comprendre
qu’il ne la fuyait pas, qu’il n’avait pas peur d’elle. C’était à sa
propre libido qu’il tentait d’échapper, pour le bien d’Owen.
Avalant la dernière bouchée de son sandwich, il dévala
l’escalier.
— Mildred ! cria-t-il. Je sors !
— Quelle surprise ! répondit-elle en riant. C’est pour cela
que je suis venue, il me semble. Amuse-toi bien.
— Je ne vais pas m’amuser ! rétorqua-t-il. Je vais mettre
certaines choses au point avec Lucy.
certaines choses au point avec Lucy.
— Mais oui, mais oui…
Il se moquait bien de ce que pensait Mildred, décida Seth
en descendant l’allée. La nuit était si belle qu’il choisit de
marcher. La caserne n’était qu’à quelques minutes de chez
lui ; l’air frais lui ferait du bien.
Mais plus il approchait de sa destination, plus son pas
semblait ralentir. Avait-il vraiment le droit de faire irruption
dans la caserne ? Même s’il était peu probable que Lucy
épouse un autre habitant de Porter, il ne voulait pas lui gâcher
sa soirée…
Tout de même, il lui devait des excuses. Il s’était montré
têtu. Et autoritaire ! Il l’avait toujours été, songea-t-il. Ty était
la locomotive de la société, le visionnaire. Mais lorsqu’il
s’agissait de donner des ordres, Seth n’avait pas son pareil.
Il poussa un soupir ; aller à la caserne n’était peut-être pas
une bonne idée, finalement…
Huit mois durant, il s’était senti au plus bas. Incroyablement
seul… Et tout à coup, Lucy arrivait dans sa maison, pour lui
apprendre qu’ils étaient toujours mariés, et qu’ils avaient fait
un enfant ensemble ! Toutes sortes d’émotions contradictoires
bouillonnaient en lui, refusant de rester sagement dans leurs
compartiments respectifs.
Debout devant l’entrée de la caserne, Seth regarda le
bâtiment sans vraiment le voir. Quelle était la marche à
suivre ? Il avait toujours fait ce qu’il pensait juste sur le
moment. Mais sa vie n’avait plus rien de simple à présent, et
chaque décision était devenue un dilemme.
Du coin de l’œil, il vit une silhouette s’approcher.
— Hé, Seth ! Qu’est-ce que tu fais tout seul dehors ?
s’exclama Audrey. Tu t’es disputé avec Lucy ? ajouta-t-elle
en riant.
— Non, j’avais juste besoin de prendre l’air.
Ce n’était pas vraiment un mensonge, songea Seth,
puisqu’il avait choisi de marcher pour cette raison.
Le mari d’Audrey vint les rejoindre.
— Salut, Seth ! Beau temps, non ?
— Bonsoir, Duke. Oui, magnifique.
— Moi je trouve qu’il fait un froid de canard ! dit Audrey,
tirant légèrement son mari par la manche. On te retrouve à
l’intérieur, Seth ?
— D’accord !
Là, il avait bel et bien menti. Audrey et Duke tournèrent les
talons, mais Seth resta sur place, réfléchissant à la confusion
qui régnait dans sa vie. Il était responsable de la plupart de ses
problèmes, il fallait bien l’avouer. Personne ne l’avait forcé à
séduire une princesse…
Mais le titre de son fils ? Comment aurait-il pu prévoir que
Lucy tomberait enceinte de lui, et qu’il devrait se battre pour
qu’Owen ait une enfance normale ? Peut-être aurait-il dû y
songer, onze mois plus tôt à Miami…
songer, onze mois plus tôt à Miami…
— Qu’est-ce que tu fais ?
Seth se retourna pour se retrouver nez à nez avec Lucy. Il
tenta de prendre un air naturel, comme s’il se promenait
souvent aux alentours de la caserne.
— J’avais besoin d’air frais…
Elle l’observa un instant, puis éclata de rire.
— Et donc, tu as marché jusqu’ici… ?
— J’ai tout simplement marché. C’est une coïncidence,
commença-t-il avant de s’interrompre.
Assez de mensonges comme cela pour cette nuit, décida-t-
il. Dorénavant, il allait dire la vérité.
— En fait, j’étais tracassé par ce qui s’est passé entre nous
ce soir.
— Seth, non…
Seth posa sa main sur l’avant-bras de la jeune femme.
— Ecoute, Lucy. Je suis un homme têtu et autoritaire. Une
vraie tête de mule.
— Pourquoi me dis-tu cela ? demanda Lucy en fronçant les
sourcils.
— Pour que tu saches qui je suis en réalité, soupira Seth.
Lorsqu’il s’agit de gérer une situation avec tact et diplomatie,
je suis… nul.
— Mais non, ne sois pas ridicule.
— C’est la vérité, Lucy. Voilà pourquoi je dois me montrer
prudent avec toi ! J’ai gâché ma vie, et je ne veux pas
recommencer avec Owen. Je sais ce qu’il en coûte de faire
une erreur… J’étais contrarié lorsque tu m’as quitté, et
complètement effondré quand j’ai compris que tu ne revenais
pas… Mais rien ne blesse, ne hante comme la certitude
d’avoir détruit la vie d’une autre personne. Et je ne veux pas
faire cela à Owen.
Comme Lucy ne répondait rien et frissonnait, il ajouta :
— Tu as froid. Tu devrais rentrer à l’intérieur.
— Non, je crois que j’ai suffisamment profité de la soirée,
répondit-elle. J’aimerais rentrer à la maison, voir mon fils. Tu
rentres aussi ?
Seth fixa la porte de la caserne, secouant la tête. Que
faisait-il là ?
— Oui, dit-il.
— Puis-je marcher avec toi ?
Il haussa les épaules.
— Bien sûr.
Lucy passa son bras sous celui de Seth et se lova contre
lui, cherchant la chaleur de son corps dans la nuit fraîche. Ils
marchèrent un moment sans parler. Mais lorsqu’ils arrivèrent à
quelques pas de la maison, Lucy décida de rompre le silence.
— Tu sais, je suis très contente que tu sois le père de mon
fils. Si nous l’élevons correctement, Owen fera un merveilleux
roi. Il apportera à mon pays les changements dont il a
besoin… En partie grâce à toi, j’en suis certaine.
— Pourquoi ? Penses-tu que Xavier ait besoin d’un roi
autoritaire et têtu ? répliqua Seth.
— Non, nous avons déjà cela en magasin ! répondit-elle en
riant. Xavier a besoin d’un roi qui puisse voir au-delà de ses
frontières. Avoir un père américain aidera beaucoup Owen.
— Je suppose…
Ils s’approchèrent de la porte d’entrée.
— Et puis, ajouta Lucy, tu es la seule personne que je crois
capable d’affronter mon père.
Seth ouvrit la porte.
— Bien sûr. Deux hommes têtus et autoritaires, voilà qui
devrait donner un combat équilibré.
Lucy eut un petit rire.
— Tu n’es pas aussi têtu et autoritaire que tu le penses,
mais là n’est pas la question. Si tu es de taille à affronter mon
père… c’est parce que tu es un visionnaire, alors que lui vit
retranché dans le passé.
— Que de compliments ! dit Seth en souriant.
Ils échangèrent un regard chargé d’émotions, mais Mildred
choisit ce moment pour apparaître sur le pas de la porte.
Comme elle était seule, Lucy en conclut qu’elle venait de
mettre Owen au lit.
— Qu’est-ce que vous faites à la maison ? demanda leur
— Qu’est-ce que vous faites à la maison ? demanda leur
voisine. Il n’est même pas encore 21 heures !
— La soirée était très agréable, répondit Lucy, et je
m’amusais bien, mais j’ai soudain été prise d’une irrésistible
envie de voir mon fils.
Mildred la dévisagea.
— Tu n’as pas été séparée d’Owen plus d’une heure
depuis sa naissance ! Retourne à cette soirée !
Lucy ne put que rire face à la réaction de son amie.
— Non merci, Mildred. Je préfère être à la maison.
Ce n’était pas qu’une façon de parler, songea Lucy,
troublée. Elle était là chez elle, avec l’homme qu’elle aimait.
Mais comment faire pour le garder, maintenant ?

***
Seth observa Lucy raisonner Mildred, jusqu’à ce que celle-
ci accepte finalement de rentrer chez elle en bougonnant. Les
mots de sa femme résonnaient encore dans son esprit ; Lucy
ne pourrait peut-être jamais partager sa vie, mais elle le
connaissait bien, et avait agi comme une véritable amie ce soir.
Il la suivit dans sa chambre, où ils se penchèrent tous deux
sur le berceau de leur fils.
— N’est-il pas mignon ? murmura-t-elle.
— Il est beau, Lucy. Magnifique, si tu veux. Mais
« mignon » ? non. Je pense que ton père et moi serions
d’accord sur ce point.
Lucy sourit. Dans la pénombre de la chambre, Seth admira
le dessin de ses lèvres pleines, l’étincelle qui brillait dans ses
yeux noirs… Jamais personne ne l’avait autant attiré. Rien
d’étonnant à ce qu’il l’ait épousée sans hésitation ! A
l’époque, il l’avait désirée plus que tout au monde, et pour
tant de raisons… Inconsciemment, il avait dû comprendre
qu’il lui fallait l’épouser sans réfléchir, avant que sa logique ne
l’en empêche.
Malheureusement, même se lancer à corps perdu dans leur
histoire sans se poser de questions n’avait pas fonctionné…
Au contraire ! Le père de Lucy les avait blessés, et ils avaient
passé des mois atroces l’un sans l’autre.
Mais ce soir, Lucy était là, à côté de lui. N’était-ce pas
stupide de se refuser à la femme qu’il désirait plus que tout ?
Lucy s’éloigna du berceau.
— Je ferais mieux d’enlever cette robe encombrante, dit-
elle.
Seth ne répondit pas.
Lucy eut un rire nerveux.
— Seth, tu dois sortir…
— Pas vraiment.
— Quoi ? Tu comptes me regarder me déshabiller ?
— Quoi ? Tu comptes me regarder me déshabiller ?
Seth avala sa salive.
— Seth ?
Visiblement intriguée par son silence, Lucy s’approcha.
Sans réfléchir, Seth lui caressa les épaules, puis les bras, pour
enfin lui saisir les mains.
Lucy leva vers lui des yeux embués de désir, puis se hissa
sur la pointe des pieds pour lui effleurer les lèvres.
Tiraillé entre désir et raison, Seth ne bougea pas. Souriante
à présent, Lucy l’embrassa encore, tout aussi légèrement.
Cette fois, il ne put résister. Il lui rendit son baiser,
l’approfondissant d’instinct. Que sa peau était douce !
songea-t-il en remontant les mains le long de ses bras,
entourant sa taille, descendant plus bas…
Et alors qu’elle répondait à ses caresses, il se sentit partir,
laissant derrière lui toutes les raisons qui l’avaient empêché de
céder jusque-là.
Il était fou, inconscient… Mais il s’en fichait. Le paradis
l’attendait.
Sans effort, Seth souleva sa femme dans ses bras et la
porta sur le lit. Il ne fut pas surpris qu’elle commence à
déboutonner sa chemise alors même qu’il cherchait la
fermeture Eclair de sa robe ; ils avaient toujours eu une
incroyable connexion au lit, devinant ce que l’autre désirait.
Sans cesser de l’embrasser, Seth laissa ses mains
redécouvrir le corps qui lui avait tant manqué, savourant
redécouvrir le corps qui lui avait tant manqué, savourant
chacune des caresses que Lucy lui prodiguait, jusqu’à ce
qu’ils soient à moitié dévêtus, la tendre poitrine de la jeune
femme pressée contre son torse nu. Seth la renversa sur le
dos, puis se plaça à côté d’elle. Goûtant la pointe de ses
seins, il déposa ensuite de petits baisers le long de son ventre,
jusqu’à ce que les plis de l’abondante jupe l’arrêtent. Lucy se
souleva légèrement ; en une fraction de seconde, la robe vola
au pied du lit. Sans un mot, elle se redressa pour défaire les
boutons de son jean.
Seth ne réfléchit pas, ni ne laissa à Lucy le temps de
reprendre ses esprits. Il l’aima comme il avait rêvé de le faire
depuis le premier jour de sa visite, lorsqu’il l’avait trouvée
devant sa porte.
Lorsque chacun fut rassasié du corps de l’autre, Seth
s’allongea sur le dos et attira sa femme contre son torse. Un
bras replié derrière la tête, il fixa le plafond. Mais la réalité de
leur situation ne lui laissa pas le temps de savourer son
bonheur et revint le hanter presque immédiatement : Owen, la
monarchie, et la bataille qu’il s’apprêtait à mener contre la
femme avec laquelle il venait de partager un moment si
délicieux… si parfait.
Baissant les yeux, il croisa le regard de Lucy, et y lut la
même inquiétude. Un million de détails les séparaient. Demain,
ils redeviendraient des ennemis, songea-t-il, mais cette nuit
leur appartenait.
Il se pencha sur Lucy, l’embrassa tendrement et entreprit
de lui faire l’amour une dernière fois.
de lui faire l’amour une dernière fois.
10.
Le lendemain matin, Seth s’éveilla au milieu d’un amas de
draps froissés. Lorsqu’il comprit qu’il était dans son ancienne
chambre, les événements de la nuit précédente lui revinrent à
la mémoire, accompagnés d’une foule d’émotions.
Lucy.
Elle l’aimait ! Oh, elle ne l’avait pas dit, mais l’avait prouvé
en lui faisant l’amour. Après quoi il avait sombré dans un
sommeil profond et réparateur, comme si sa place était là,
auprès d’elle. Même Owen avait dormi d’une traite !
Seth se passa une main sur le visage et réprima un soupir. Il
ne voulait pas réveiller Lucy, encore endormie à son côté.
Quelle ironie, songea-t-il. Après tous les efforts qu’il avait
fournis pour résister à son désir, il avait succombé à la
tentation.
Mais pouvait-il rester marié avec Lucy pour autant ? Non,
se raisonna-t-il. Il lui fallait sortir de cette chambre, et vite.
Il s’apprêtait à se glisser discrètement hors du lit lorsqu’un
mouvement de la jeune femme attira son attention. La courbe
de son épaule, crémeuse à souhait, était une véritable
invitation. Incapable d’y résister, Seth tendit la main pour
l’effleurer.
Avant qu’il ait pu retirer sa main, Lucy ouvrit les yeux.
Avant qu’il ait pu retirer sa main, Lucy ouvrit les yeux.
— Bonjour, dit-elle en souriant.
Comment lui résister ? Seth se pencha pour l’embrasser.
— Bonjour, murmura-t-il contre ses lèvres.
— Si tu me donnes une minute pour me laver les dents, je
me laisserais certainement tenter par une grasse matinée en ta
compagnie…
Le cœur de Seth se serra douloureusement.
— On ne peut pas…
Avec un dernier regard à son doux visage et ses cheveux
emmêlés, il sortit du lit.
— Seth ?
Il ne pouvait ni mentir ni repousser cette explication à plus
tard.
— Lucy… Ce qui s’est passé la nuit dernière ne change
rien à la situation. Bon sang ! s’exclama-t-il en se passant une
main rageuse dans les cheveux. Quelle fichue situation !
A genoux sur le lit, Lucy lui attrapa la main et le força à lui
faire face.
— Arrête ! Je ne te demande pas de t’engager auprès de
moi. Mais j’aimerais que tu envisages toutes les possibilités. Et
si ma grossesse était un signe du destin ?
— Je ne crois pas au destin, et je ne pense pas que nous
ayons le choix, de toute façon, répondit Seth. Cette histoire a
cessé de nous appartenir à la minute où Owen est né.
cessé de nous appartenir à la minute où Owen est né.
— Penses-tu vraiment qu’Owen sera plus heureux si ses
parents sont séparés ? lui demanda Lucy. S’ils épousent
quelqu’un d’autre ?
Toutes les précautions de Seth pour ne pas aimer cette
femme s’écroulèrent à l’idée qu’elle puisse en épouser un
autre. Bon sang, il était jaloux ! Encore quelques jours en sa
compagnie et il redeviendrait fou amoureux. Il lui fallait agir,
aujourd’hui ou jamais. Peut-être irait-il habiter ailleurs tant
qu’elle serait dans sa maison… Mais s’il la repoussait, il
n’aurait certainement pas besoin de quitter la maison, songea-
t-il. Lucy pouvait très bien décider de faire ses valises… Et
d’emmener leur fils. Alors, il ne saurait pas à quoi Owen
ressemblerait en grandissant, et pourrait le croiser dans la rue
sans le reconnaître.
A ce moment précis, le berceau bougea légèrement.
— Je m’en occupe, dit-il.
Mais Lucy se trouvait plus près de l’enfant. Enfilant une
robe de chambre, elle s’approcha du berceau.
— Bonjour mon bébé, dit-elle doucement.
Le cœur de Seth se serra de nouveau. S’il passait une nuit
de plus avec Lucy, il ne serait plus en mesure de prendre la
moindre décision. Comment la regarder câliner leur enfant le
matin et lui faire l’amour la nuit sans tomber irrémédiablement
amoureux d’elle ?
— Je vais faire le petit déjeuner, dit-il en enfilant son jean.
Lucy se retourna et lui sourit. Seth s’aperçut alors qu’il
avait du mal à respirer.
— D’accord, dit Lucy. Fais chauffer un biberon, veux-tu ?
Une situation parfaitement domestique, songea Seth. Il
pouvait imaginer des milliers de matins comme celui-ci.
Mais cette image fut aussitôt remplacée par une autre. Il se
tenait dans son bureau à Miami. Un homme était entré, et lui
avait remis une lourde enveloppe. Seth pouvait encore en
sentir le poids dans sa main. Reconnaissant le sceau royal, il
avait invité l’homme à s’asseoir. Ce dernier, lui avait alors
expliqué que son mariage n’était pas valable.
Quel que soit le bonheur que Lucy lui avait offert la nuit
dernière, elle lui avait également infligé la plus grande douleur
qu’il ait jamais connue.
Sans prendre le temps d’enfiler une chemise, il se dirigea
vers la porte.
— Je ne veux plus en parler, Lucy, déclara-t-il sans se
retourner. Toute cette histoire me déchire. Je ne peux pas
vivre à tes côtés tous les jours sans succomber à la tentation
comme je l’ai fait hier soir. Mais si nous continuons comme
ça, je vais finir par t’aimer…
— Est-ce si mal ?
— Si je tombe amoureux de toi, qui protégera Owen ?
— Mais Seth…
— Je suis sérieux ! dit-il en se tournant face à elle. Je n’ai
— Je suis sérieux ! dit-il en se tournant face à elle. Je n’ai
jamais eu de plus grande responsabilité qu’Owen. Je ne
l’abandonnerai pas ! Je ne peux pas être avec toi, Lucy.
D’ailleurs, je voudrais que tu réfléchisses à cette question : où
veux-tu qu’Owen grandisse ? Ici, à Porter ? ou sur l’île de
Xavier ?
Lucy ouvrit la bouche pour répondre, mais il leva la main
pour l’arrêter.
— Ne dis rien pour l’instant.
Sur ces mots, il quitta la pièce. Au lieu de s’occuper du
petit déjeuner comme prévu, il partit travailler. C’était samedi,
mais Seth avait enfin compris que prendre de la distance était
sa seule chance de salut.

***
Ce soir-là, Seth travaillait chez lui, dans son bureau,
lorsqu’on sonna à la porte. Il avait demandé à sa femme de
ménage de reprendre son service, ne serait-ce que pour ne
pas rester seul avec Lucy. Betty ouvrirait certainement à son
visiteur, mais il avait besoin de prendre une pause. Il sortit
donc de son bureau et atteignit le hall en même temps que son
employée. Avec ses cheveux roux remontés en chignon et son
uniforme un peu trop petit pour ses formes généreuses, Betty
était le cliché même de la domestique imperturbable.
Mais lorsqu’elle ouvrit la porte, deux hommes entrèrent
sans y avoir été invités.
— Qui diable êtes-vous ? s’écria-t-elle, visiblement
décontenancée.
Seth savait très bien de qui il s’agissait. Il avait déjà
rencontré ces hommes à l’époque où ils suivaient Lucy
comme son ombre. Des gardes du corps.
Après une rapide inspection de l’entrée, ils s’écartèrent
pour laisser passer un grand brun d’une cinquantaine
d’années. Seth sut tout de suite qu’il se trouvait face au père
de Lucy.
Le souverain sourit à Seth en secouant la tête.
— Vous m’avez encore volé ma fille, on dirait.
— Personne ne peut voler Lucy, répliqua Seth.
— Personne ne peut la contrôler, c’est certain, répondit le
roi. Puis-je voir ma fille ?
Seth acquiesça.
— Betty, installez ces messieurs dans le salon, voulez-
vous ? Je vais chercher Lucy.
A la façon dont cet homme avait détruit sa vie, Seth s’était
attendu à rencontrer un être froid et sinistre, avec une grande
moustache. Contre toute attente, le roi ressemblait à n’importe
quel homme d’affaires.
Arrivé devant sa chambre, Seth prit une profonde
inspiration avant d’ouvrir la porte. Assise dans son fauteuil à
bascule, Lucy donnait à Owen son dernier biberon avant
bascule, Lucy donnait à Owen son dernier biberon avant
l’heure du coucher.
Elle leva la tête à son approche.
— Seth ! s’écria-t-elle, visiblement ravie de le voir.
— Ecoute, dit-il en s’asseyant sur le lit, je ne sais pas si
c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle, mais… ton père
est en bas.
Le sourire plein d’espoir de Lucy s’effaça.
— Tu as peur de lui ? s’inquiéta-t-il.
Lucy secoua la tête.
— Non, dit-elle avec un sourire. J’espérais qu’il ne
viendrait pas si tôt, c’est tout. Tu as mal interprété ma
réaction, Seth. Mon père est un homme bien. Et malgré tous
ses défauts, je l’aime.
— Bien. Je peux probablement te donner encore une
minute pour te préparer, mais ensuite il te faudra descendre.
Le roi et moi n’avons pas vraiment grand-chose à nous dire.
— Veux-tu tenir Owen pendant que je parle seul à seule
avec mon père ?
— Ah non, c’est hors de question ! Nous irons le voir tous
les deux.
— Avec Owen ?
— On ne peut pas rêver meilleure protection, répondit Seth
en souriant.
Lucy éclata de rire et lui tendit l’enfant. Puis, prenant son
Lucy éclata de rire et lui tendit l’enfant. Puis, prenant son
bras, elle le suivit dans le salon.
— Papa ?
— Lucy !
En quelques enjambées, le roi l’avait rejointe. Il la prit
tendrement dans ses bras. Seth comprit à cet instant pourquoi
Alfredo avait fait usage de tout son pouvoir pour récupérer sa
fille lorsqu’elle l’avait épousé. Le roi aimait Lucy. Et l’émotion
qui se lisait dans ses yeux n’était pas feinte.
Seth n’avait pas non plus besoin de se demander pourquoi
Lucy avait accouru à l’appel de son père, neuf mois
auparavant. L’amour qu’elle lui portait était lui aussi évident.
— Et voici Owen, dit le roi, s’écartant de sa fille sans pour
autant la lâcher.
Le roi Alfredo n’avait visiblement aucune envie de la laisser
partir, songea Seth. Lucy ressentait visiblement la même
chose. Un bras autour de la taille de son père, elle le regarda
prendre Owen dans ses bras.
— Oh mon Dieu, dit-il, des larmes dans les yeux. Oh,
Lucy…
— N’est-il pas magnifique, papa ?
— Il est… Il est parfait.
Seth recula d’un pas, troublé par le touchant tableau. Il
s’était attendu à voir Lucy en colère contre son père…
Certainement pas à des larmes de joie !
— J’ai entendu dire que vous avez mis cet enfant au monde
— J’ai entendu dire que vous avez mis cet enfant au monde
vous-même, lui dit Alfredo.
— J’ai appelé à l’aide. Personne n’est venu.
Le roi éclata de rire.
— Nul besoin de vous mettre sur la défensive, je vous
faisais un compliment…
Seth se détendit quelque peu, mais décida tout de même de
s’assurer que le roi était bien reçu dans sa maison.
— Je vais aller voir ce qui retient Betty, dit-il.
— Ce n’est plus la peine, intervint le roi. J’ai finalement
décidé de me passer de whisky. Mais j’ai tout de même une
faveur à vous demander…
— Laquelle ? demanda Seth, pris de court.
— J’aimerais passer la nuit ici afin de profiter de ma fille et
de mon petit-fils.
— Mais je n’ai pas de gardes du corps…
— Ne vous inquiétez pas de cela, dit le roi d’un ton calme.
Mes hommes surveillent cette maison depuis que Lucy y a
emménagé. De plus, Jason vient de poster six hommes sur
votre propriété pour assurer ma sécurité, ajouta-t-il, désignant
l’homme posté derrière lui en permanence.
— Oh… Mes voisins en feront des gorges chaudes.
— Vos voisins n’en sauront rien, intervint Jason.
Incapable de mettre en doute la parole d’un professionnel,
Seth se contenta d’acquiescer.
Seth se contenta d’acquiescer.
— Bien. Si nous nous asseyions ? suggéra le roi.
— J’aimerais bien, papa, mais c’est l’heure de coucher
Owen, intervint Lucy. Le temps de l’installer, et je
redescends.
Le roi Alfredo lui tendit son fils.
— Très bien. Je pense que Seth et moi devrions prendre
quelques minutes pour faire plus ample connaissance.
Lucy serra son fils contre elle.
— D’accord, dit-elle avant de quitter la pièce.
Comme le roi Alfredo lui faisait signe de prendre place sur
le sofa, Seth se sentit tout à coup très nerveux. Seul un
homme habitué à donner des ordres pouvait demander à
quelqu’un de s’asseoir dans sa propre maison… Quel tour lui
réservait le roi à présent ?
— Combien de temps faut-il à Lucy pour coucher Owen,
d’ordinaire ? s’enquit le roi sans autre formalité.
— Il a déjà été nourri et baigné… Elle sera vite de retour,
répondit Seth.
« Grâce à Dieu », finit-il en silence.
— Dans ce cas, j’irai droit au but. Vous savez, bien sûr,
qu’Owen doit être élevé sur l’île de Xavier.
— Justement, il se trouve que je désapprouve cette idée,
répliqua Seth. Mon avocat pense qu’il peut être élevé
n’importe où. Owen a également le droit de renoncer à son
n’importe où. Owen a également le droit de renoncer à son
trône.
— Et pour faire quoi ? Vivre en Amérique ? Vous autres
Américains êtes surprenants d’arrogance. Tout le monde ne
souhaite pas vivre ici, vous savez ! Et un roi ne renoncerait
certainement pas à son trône pour diriger une société de
construction…
Seth n’aurait pas dû être surpris que le roi en sache autant
sur lui, mais la référence à son travail l’atteignit de plein fouet.
— Ne vous faites aucune illusion, Seth, reprit Alfredo. Si
vous m’affrontez, je gagnerai. Vous perdriez votre temps à
demander la garde d’Owen. Mes avocats ont déjà étudié les
différents résultats possibles, au cas où notre différend serait
jugé en Amérique.
Il fit un signe à Jason, qui sortit une enveloppe de sa veste
et la lui tendit.
— Après avoir survolé tous les scénarios possibles, reprit
le roi, mes avocats ont conclu que la demande de l’île de
Xavier serait toujours considérée comme plus légitime que la
vôtre. Mais ils pensent aussi qu’un juge américain vous
accorderait un droit de visite très… généreux.
Seth se tourna vers Jason.
— Combien de scénarios avez-vous envisagés ?
— Quarante et un. Nous avons même pris en compte
l’éventualité que Lucy meure ou qu’elle reste mariée avec
vous.
— Qu’elle reste mariée ? répéta Seth.
Le roi eut un sourire ironique.
— Vous savez très bien que vous êtes toujours marié à ma
fille.
— Oui, je le savais. Mais je ne pensais pas que vous seriez
au courant…
— Même lorsque Lucy est en voyage, je sais précisément
ce qui se passe dans sa vie. Une heure après la naissance
d’Owen, j’étais au courant. J’ai craint que les médias me
suivent ici si je quittais Xavier en pleine assemblée, sans quoi
je serais arrivé le jour suivant pour emmener Lucy et mon
petit-fils immédiatement.
Seth s’adossa plus confortablement dans son canapé et
croisa les bras, attendant la prochaine attaque.
— Mais je m’égare, poursuivit le roi. Voici ce dont je
voulais vous entretenir.
Sur ces mots, il lui tendit l’enveloppe.
Les yeux fixés sur le roi, Seth ne l’ouvrit pas.
— C’est un accord entre vous et la monarchie de Xavier,
expliqua Sa Majesté. Votre fils est notre prochain roi. Nous le
voulons dans notre pays. Mais nous reconnaissons également
vos droits, et ce document vous les donne.
Seth regarda l’enveloppe en riant.
— Ne me dites pas que vous avez rédigé un document qui
me donne droit à un Noël sur deux, ainsi que deux autres
me donne droit à un Noël sur deux, ainsi que deux autres
séjours selon ma convenance, dit-il en plaisantant.
Le roi ne serait jamais aussi généreux, songea-t-il en son
for intérieur.
— En fait, Seth, nous vous donnons l’année scolaire dans
sa totalité, et ce jusqu’aux dix ans d’Owen.
Seth sentit sa mâchoire tomber.
— Comment ?
— Notre étude a montré que, en Amérique, la majeure
partie de la vie d’un enfant tourne autour de sa scolarité. Vous
souhaitez probablement que votre fils joue au… quel sport
est-ce, déjà ? demanda-t-il à Jason.
— Le base-ball, Votre Majesté.
— Ah oui. Vous souhaitez certainement qu’Owen joue au
base-ball à l’école.
Médusé, Seth avala sa salive.
— Oui, en effet…
— Cet accord précise donc qu’Owen vivra avec sa mère
la plupart du temps jusqu’à ses quatre ans. Evidemment, vous
pourrez le voir, quatre fois par an, pendant quinze jours. Puis
nous inverserons la situation. Owen viendra vivre avec vous
pour que vous puissiez l’inscrire en maternelle, et nous
l’aurons chez nous pendant les vacances d’été, ainsi que pour
toute cérémonie d’Etat à laquelle il doit assister. Cet accord
dure jusqu’à ses dix ans. Nous renégocierons le contrat
lorsque ce jour arrivera. En fait, si cet accord fonctionne bien,
lorsque ce jour arrivera. En fait, si cet accord fonctionne bien,
nous pourrons facilement le prolonger jusqu’à la fin du lycée,
ou même de l’université. Tant que la vie d’Owen en Amérique
n’interférera pas avec ses devoirs pour son pays, vous
pourrez garder votre fils jusqu’à l’âge adulte.
Stupéfait, Seth continuait de dévisager le roi.
— C’est très généreux, finit-il par dire avec précaution.
Le souverain lui sourit.
— En effet. Mais c’est logique. Qu’Owen vive en dehors
du palais ne surprendra personne : la plupart des enfants
royaux sont envoyés en pension. D’ailleurs, c’est ce que nous
dirons à la presse. Nous demanderons à une école privée de
confirmer la présence d’Owen parmi ses élèves, afin que
personne ne parte à sa recherche. C’est le meilleur moyen de
le protéger… En quelque sorte, nous le cacherons derrière
vous.
Seth se concentra pendant plusieurs minutes sur le contrat
qu’il tenait à la main.
— Ah, j’ai trouvé le revers de la médaille, dit-il enfin. Il y
en a toujours un. Je dois renoncer à Lucy, n’est-ce pas ?
Le roi sourit, comme s’il s’attendait à ce que Seth découvre
le pot aux roses.
— Oui, c’est exact.
— Pourquoi ?
— Parce que si Lucy reste ici avec vous, notre histoire de
pension ne sera plus crédible. Nous ne pourrons plus cacher
pension ne sera plus crédible. Nous ne pourrons plus cacher
Owen… Il n’aura aucune vie privée. Vous aurez besoin de
dix fois plus de gardes que ceux postés dans votre jardin ce
soir.
— Si je comprends bien, je dois renoncer à Lucy pour
conserver une vie privée ?
— Et pour protéger Owen, finit le roi.
Seth acquiesça. Mais il n’était pas idiot au point de croire
que le roi lui avait tout dit.
— Et bien sûr, cela vous permet de garder un roturier hors
de votre palais, lança-t-il.
Le roi eut la bonne grâce de ne pas nier.
— Vous n’aimeriez pas y vivre, de toute façon, dit-il
seulement.
11.
Seth attendit que tout le monde soit endormi pour se faufiler
hors de sa chambre, le long du couloir… Ce faisant, il tomba
directement dans les bras d’un garde du corps.
— Excusez-moi, monsieur.
— Vous êtes tout excusé, répondit Seth, essayant de
passer son chemin.
Mais l’homme plaça son imposante main sur le torse de
Seth. Si ce géant le poussait du doigt, il tomberait comme une
masse, songea-t-il.
— Je crois que vous m’avez mal compris. Maintenant que
nous avons sécurisé la maison, personne ne peut en sortir,
monsieur.
— Quoi ? Etes-vous en train de me dire que je ne peux
même pas quitter ma propre maison ?
— Pour la sécurité du roi Alfredo…
— Mais je dois rendre visite à mon avocat ! s’écria Seth.
— Vous pourrez faire cela demain…
— Cela ne peut pas attendre !
— Dans ce cas, peut-être pourriez-vous l’appeler au
téléphone, proposa le garde.
Seth le dévisagea, et comprit soudain qu’il n’irait nulle part
ce soir. Cet homme avait l’air désolé, mais ne dérogerait pas
aux ordres. Voilà pourquoi il devait absolument signer ce
contrat, songea-t-il. Pour le moment, on se contentait de le
retenir de force dans sa propre maison, au beau milieu de la
nuit, lorsque tout le monde était censé. Mais Owen vivrait
ainsi toute sa vie !
— Très bien, dit-il. J’appelle mon avocat. Encore faudrait-
il que vous me laissiez descendre l’escalier…
Le garde du corps s’écarta de son chemin.
— Je suis navré, monsieur.
— Ce n’est rien, grommela Seth en dévalant les marches.
Une fois dans son bureau, il composa le numéro de Pete
Hauser. Il fallut un bon nombre de sonneries avant que son
ami ne décroche.
— Je te réveille, je sais…, dit Seth sans préambule.
— Oui, Seth. Mais je commence à m’y habituer.
— Je vais t’envoyer un contrat par e-mail. J’ai besoin que
tu en trouves le piège. Car je suis certain qu’il y en a un !
Seth pouvait entendre le désespoir percer dans sa propre
voix. Bien sûr, ce contrat lui accordait tout ce qu’il cherchait à
obtenir depuis le début. Mais à présent qu’il avait passé du
temps avec Lucy, lui prendre son fils, ne serait-ce que
quelques années, lui semblait immoral.
Comment trouver un compromis ? S’ils partageaient la
garde du petit, Owen passerait six mois de l’année dans ce
que Lucy avait elle-même décrit comme un enfer !
De plus, le roi lui avait donné entière satisfaction sans même
négocier… Tout cela était trop facile. Après avoir raccroché,
il scanna le document, l’envoya à Pete, puis patienta une
éternité avant de recevoir le verdict.
— C’est vraiment très étrange, Seth, lui dit son ami. Cet
accord est parfait ! Je ne l’aurais pas rédigé différemment
moi-même, et je me serais attendu à ce que le roi rétorque
avec ses propres exigences. Mais il t’offre tout sur un plateau
d’argent !
— N’est-ce pas un stratagème pour me faire signer, puis
utiliser ce contrat contre moi sans l’honorer ?
— Non, répondit Pete d’un ton ferme. Le roi l’a déjà
signé, certainement pour te prouver sa bonne foi. Ce contrat
est légal. C’est comme si le souverain essayait d’éviter toute
bataille. Je dirais presque qu’il veut que tu signes, puis que tu
disparaisses.
— Oui, c’est précisément ce qu’il veut.
— Et bien sûr, il ne te veut plus marié à sa fille.
Seth eut un sourire triste.
— En effet.
— Est-ce un problème ? demanda Pete d’un ton calme.
Seth prit une profonde inspiration. Sa maison était remplie
de gardes du corps. Il ne contrôlait plus rien dans sa propre
demeure. Bon sang, il ne contrôlait même plus sa propre vie !
Même sortir voir son avocat lui était interdit.
Voilà donc à quoi ressemblerait sa vie s’il ne renonçait pas
à Lucy ! Il ne pouvait l’accepter… D’un autre côté, s’il
acceptait cet accord, Lucy épouserait un autre homme,
l’oublierait et vivrait heureuse. Une femme aussi belle qu’elle
ne resterait pas seule longtemps.
La voix de Pete le tira de sa rêverie.
— Laisse-moi te reposer la question différemment : es-tu
amoureux de Lucy ?
— Non, répondit Seth d’une voix un peu trop forte. Et
quand bien même je l’aimerais, mes sentiments n’auraient
aucune importance ! A l’heure où je te parle, pas moins de six
gardes du corps surveillent ma maison. Deux d’entre eux sont
dans ma cuisine et se font des sandwichs ! Je suis presque
surpris d’avoir eu le droit de me doucher seul. Qui peut vivre
comme ça ?
— Alors signe, Seth. Signe ce contrat avant que le roi
Alfredo n’ait le temps de changer d’avis.

***
Lucy était occupée à faire des pancakes pour le petit
déjeuner lorsque Seth entra dans la cuisine.
— Mon père est abasourdi que je sache cuisiner !
— Mon père est abasourdi que je sache cuisiner !
annonça-t-elle fièrement.
— Vous avez toujours sous-estimé votre fille, dit Seth
après un court silence en se tournant vers le roi.
Lucy attendit. La dispute entre son père et Seth était
inévitable, mais au moins y était-elle préparée. Une fois la
bataille déclenchée, son père comprendrait qu’il n’avait aucun
moyen de les séparer, et s’effacerait. Elle comptait sur Seth
pour défendre leur cause.
— Je ne l’ai pas sous-estimée, répondit le roi. Je l’ai
protégée.
— Eh bien, cette fois, je vais vous devancer, coupa Seth
d’un ton sec.
S’approchant de Lucy, il lui saisit le bras pour la guider
vers la table.
— Ton père et moi avons à te parler.
— Seth !
Son père avait parlé d’une voix sourde, chargée de
menace. Le sentiment de panique de Lucy s’amplifia. Cette
discussion prenait un tour inquiétant… Ils semblaient partager
un secret ! La jeune femme eut soudain la sensation que le sol
de la cuisine se dérobait sous elle.
— Papa ? dit-elle d’une voix tremblante.
Mais son père ne lui répondit pas.
— Vous ne pouvez pas toujours faire les choses comme
vous l’entendez, Votre Majesté, lança Seth. Je pense que
Lucy a le droit de savoir quel marché nous avons conclu.
— Vous avez conclu un marché ? s’écria Lucy.
Seth lui tendit un document.
— Ton père m’a donné ceci hier soir. Je l’ai envoyé à
Pete, qui l’a étudié… et l’a validé. Cet accord est en tout
point légitime.
Envahie par la colère, Lucy ne put que le fusiller du regard.
Seth avait encore pris une décision sans elle.
— Et de quel accord s’agit-il ? finit-elle par demander.
— Ton père m’a pratiquement donné Owen à élever.
Le sang de Lucy, qui une seconde plus tôt bouillonnait
d’indignation, se glaça dans ses veines.
— Quoi ? articula-t-elle d’une voix blanche.
— Tu as détesté passer ton enfance au palais, répondit
Seth. J’ai peur que la même chose n’arrive à Owen. Cet
accord nous permet donc de lui offrir une enfance normale.
— Comment ?
— En l’inscrivant officiellement en pension, intervint le roi.
Mais en vérité, il vivra ici, en Arkansas, sans gardes du
corps… ou presque.
Lucy avala sa salive. Elle croisa le regard de Seth, et
comme toujours, put y lire sa pensée. Il était malheureux pour
elle, et Lucy comprit tout de suite pourquoi.
Avalant sa salive de nouveau, elle articula lentement :
— Sans gardes du corps… à condition que sa mère ne
vive pas à Porter. N’est-ce pas ?
— Tu es un personnage public, lui rappela son père. Owen
n’aura pas de vie privée s’il vit avec toi.
— En d’autres termes, dit Lucy en se tournant vers Seth, tu
m’as échangée contre Owen.
— Je n’avais pas le choix.
Lucy comprit à son regard qu’elle n’avait aucune chance de
le faire changer d’avis. Prenant une profonde inspiration, elle
s’ordonna de ne pas s’effondrer.
Seth lui prit le bras.
— Lucy…
Elle se dégagea d’un geste brusque.
— Veuillez m’appeler princesse Santos, monsieur Bryant.
Vous vous indigniez que l’on puisse disposer de moi comme
d’un objet en me fiançant d’office. Mais vous venez de
m’échanger comme un vulgaire sac de pommes de terre.
Vous êtes un hypocrite.
Sur ces mots, Lucy sortit, tête haute, comme elle avait
appris à le faire depuis des années. Elle traversa le hall, monta
lentement l’escalier, et se rendit dans sa chambre.
Mais à peine la porte s’était-elle refermée qu’elle s’écroula
à terre, en pleurs. La seule personne qu’elle avait crue
capable de comprendre combien il était horrible d’être traité
capable de comprendre combien il était horrible d’être traité
comme un pion sur l’échiquier politique venait de la trahir.

***
Seth fut ravi d’apprendre que le roi dînerait à Houston avec
des amis ce soir-là et ne reviendrait que le lendemain matin. Il
attendit que Lucy descende pour le dîner, mais elle ne se
montra pas. Elle n’avait rien mangé de la journée !
S’il avait signé cet accord, c’était uniquement parce qu’il ne
pensait pas qu’une relation soit possible entre eux… Du moins
pas durablement. Il devait absolument lui expliquer cela,
décida-t-il.
Mais lorsqu’il frappa à la porte de sa chambre, personne
ne répondit.
— Allez, Lucy, tu dois manger…
— Va-t’en, Seth.
— Lucy ! Allons… Tu sais que je devais signer ce contrat.
— L’ironie dans tout cela, Seth, c’est que je comprends ta
décision bien mieux que tu ne peux l’imaginer. C’est justement
pour cela que je ne veux plus te revoir. Jamais.
Seth resta sans voix, les yeux fixés sur la porte.

***
***
— Que croyais-tu qu’elle ferait ? s’exclama Madelyn,
visiblement outrée de l’histoire qu’elle venait d’entendre.
Seth s’était rendu chez son frère, espérant que celui-ci le
conforterait dans sa décision. C’était compter sans Madelyn.
A l’entendre, il était un monstre !
— Et moi ? Qu’étais-je censé faire ? rétorqua-t-il en faisant
les cent pas dans le salon de Ty. La vie d’Owen serait une
propriété publique si je n’avais pas signé ce contrat. Le roi
m’a offert la vie de mon fils. Je l’ai prise.
Tandis que Madelyn et Seth se disputaient, Ty avait lu le
contrat. Relevant la tête, il le jeta sur la table basse.
— Seth a raison, Madelyn. Je ne pense pas qu’il ait eu
d’autre choix que de signer.
Madelyn les dévisagea tous deux, les yeux ronds.
— Vous plaisantez ?
Ty secoua la tête.
— Cet accord offre à Owen une enfance qu’il n’aurait
jamais pu avoir sinon…
— Et que faites-vous de Lucy ?
Aucun des deux hommes ne répondit, et Madelyn perdit
son sang-froid.
— Que faites-vous de Lucy ? répéta-t-elle, en criant
presque.
Seth soupira.
— Cela fait deux jours que ma maison est envahie par des
gardes du corps qui ont bien failli me rendre fou. Même si
j’aimais Lucy — et j’ai tout fait pour ne pas en retomber
amoureux — nous n’avons aucun avenir ensemble. Je ne
pourrais jamais vivre sa vie.
— Mais elle pourrait vivre la tienne, rétorqua Madelyn.
— Non… Lucy a des responsabilités et des devoirs envers
son pays. Elle m’a déjà prouvé que la monarchie passe en
premier dans sa vie.
Madelyn le dévisagea, les yeux plissés.
— Serais-tu en train de la punir pour t’avoir laissé à Miami
lorsque son père l’a convoquée ?
— Non ! s’exclama Seth. Madelyn, ce qui se passe entre
Lucy et moi importe peu. C’est à Owen que je pense.
— Tu sais quoi, Seth ? Tu as raison lorsque tu dis ne pas
penser à votre couple. Car c’est à toi que tu penses. C’est toi
qui refuses tout compromis.
— Mais il n’existe aucun compromis possible…
— Qu’en sais-tu ? Je ne crois pas que tu aies vraiment
cherché à en trouver un. Parce que tu n’es plus l’homme dont
Lucy est tombée amoureuse à Miami. Je t’ai vu changer, Seth.
Tu étais un homme joyeux, insouciant, et en l’espace d’un
week-end, tu es devenu sombre et méfiant. C’est justement
ce week-end-là que Lucy t’a quitté pour rejoindre son père.
Ne crois pas que ta souffrance soit passée inaperçue, nous
Ne crois pas que ta souffrance soit passée inaperçue, nous
t’avons regardé sombrer pendant des mois ! Et je pense
qu’au fond de toi tu n’es réellement dérangé ni par les gardes
du corps, ni par le roi, ni même par les paparazzi. Non, c’est
Lucy, ton problème ! Elle t’a brisé le cœur une fois, et tu ne la
laisseras plus s’approcher…
Madelyn s’interrompit pour prendre une courte inspiration.
— Je suis heureuse que tu ne sois pas le frère Bryant dont
je suis tombée amoureuse, reprit-elle avant de sortir en
claquant la porte.
Un silence pesant s’installa, brisé seulement par le tic-tac
de l’horloge qui ornait la cheminée.
— Il n’existe pas de compromis, dit Seth après quelques
minutes.
— Pour être honnête, Seth, je n’en sais rien, répondit Ty.
Je n’en ai pas cherché, car ce n’est pas de ma vie qu’il est
question. Je ne suis pas celui qui condamne une jeune femme
adorable, douce et généreuse, à vivre sans son enfant, et sans
l’homme qu’elle aime. Je vais tenter de calmer Madelyn, à
présent. Je ne te raccompagne pas.

***
Le lendemain matin, Seth se leva très tôt et descendit dans
la cuisine. Lucy allait bien devoir descendre pour donner le
biberon à Owen, songea-t-il.
biberon à Owen, songea-t-il.
Mais ce fut Audrey qui l’accueillit. La princesse et son fils
étaient en route pour l’aéroport, lui apprit-elle.
— Elle est partie sans me laisser une chance de dire au
revoir à Owen ? s’exclama-t-il, indigné.
— Seth, d’après ce que j’ai compris, tu vas enlever Owen
à sa mère. A ta place, je me ferais tout petit…
Comme il n’avait même pas réussi à convaincre son frère
du bien-fondé de sa décision, Seth n’allait pas se risquer à
justifier ses actes auprès d’Audrey. Il décida donc de monter
dans la chambre d’amis. Mais une fois sur le palier, il se
souvint qu’en l’absence de Lucy son ancienne chambre était
de nouveau libre, et changea de direction.
A peine en eut-il franchi le seuil qu’il sentit l’odeur de
Lucy : son shampooing, l’eau de toilette qu’elle utilisait.
Son regard tomba sur le berceau vide, et sur la coiffeuse
débarrassée de tout article féminin. Lucy avait visiblement
enlevé ses draps du lit pour les mettre à laver, laissant le
matelas nu, déprimant. La chambre avait perdu toute vie.
Son cœur se serra, exactement comme cet horrible jour de
mai quand le messager du roi lui avait tendu les papiers
annulant leur mariage. Il lui apparut alors clairement que Lucy
avait bien l’intention de tenir parole : il ne la reverrait plus
jamais de sa vie.
Il ne pouvait pas lui en vouloir. Lucy savait qu’il avait signé
ce contrat pour protéger leur fils… mais Madelyn avait raison.
ce contrat pour protéger leur fils… mais Madelyn avait raison.
Il avait eu si peur que Lucy ne le blesse de nouveau qu’il avait
saisi la première occasion de se sauver. Sans prendre en
compte une seconde la douleur qu’il lui infligeait… Sans
chercher de compromis.
Il se laissa tomber lourdement sur le bord du lit. Mon Dieu,
qu’avait-il fait ?

***
Sautant dans sa voiture, Seth prit un raccourci pour
l’aérodrome. Avant même d’en atteindre l’entrée, il aperçut
une limousine blanche garée devant un hangar et, plus loin sur
sa gauche, à l’écart des autres avions de plaisance, le jet privé
du roi, orné de l’écusson de l’île de Xavier. Ecrasant
l’accélérateur, il quitta la route, traversant pelouse, boue et
gravier, jusqu’à se garer dans un crissement de pneus à côté
de la limousine.
Accompagnée d’un garde du corps, Lucy était en train de
traverser le tarmac en direction de l’avion, Owen dans les
bras. Seth sauta de son véhicule.
— Lucy !
Elle l’ignora.
— Lucy ! cria-t-il de nouveau, courant pour la rattraper.
Mais la jeune femme continua son chemin. Elle avait atteint
le jet à présent, et s’apprêtait à monter les quelques marches
le jet à présent, et s’apprêtait à monter les quelques marches
menant à l’intérieur.
Seth cria de nouveau son nom, et elle consentit enfin à se
retourner.
— Disparais de ma vue, dit-elle simplement.
— Lucy, non ! J’ai fait une erreur, je n’aurais jamais dû
signer cet accord…
— C’est trop tard, rétorqua la jeune femme d’un ton sec,
avant de tourner les talons.
En deux enjambées, il l’avait rejointe et saisie par le bras.
Aussitôt, son garde du corps lui attrapa le poignet et lui
tordit le bras derrière le dos, l’entraînant loin de la princesse.
Mais Seth continua son discours.
— Non ! Il n’est pas trop tard ! Je me suis engagé à
divorcer de toi, mais rien dans le contrat ne m’empêche de
t’épouser de nouveau !
Lucy fit volte-face.
— Quoi ?
— J’ai lu cet accord trois fois la nuit dernière, et je te jure
qu’il n’est fait mention nulle part d’une interdiction de se
remarier.
Lucy se tourna vers son garde du corps.
— James, donnez-nous une minute, s’il vous plaît.
L’homme relâcha Seth et fit un pas en arrière, mais ne partit
pas pour autant. Lucy poussa un profond soupir.
pas pour autant. Lucy poussa un profond soupir.
— Même si nous avons le droit de nous remarier, dit-elle
d’une voix lasse, tu veux qu’Owen mène une enfance
normale.
— Owen aura besoin de ses deux parents pour cela.
— Je suis princesse, et tout le monde à Porter le sait. Tu ne
pourras jamais me cacher !
— Tout le monde ici sait qu’Owen est un prince ! Je ne
compte pas plus te cacher qu’Owen. Nous allons faire
confiance à mes amis et à mes voisins. Ils nous aideront.
— Mais j’ai des gardes du corps…
— Owen aussi en aura. J’ai peut-être confiance en mes
voisins, mais je ne suis pas idiot au point de me passer de
protection pour lui, ou pour toi.
Lucy faillit éclater de rire. Mais elle se retint. Tout cela était
bien joli, songea-t-elle, mais ce n’était pas ce qu’elle désirait.
Seth se sentait coupable de l’avoir blessée… Sa proposition
n’était-elle pas qu’une façon pour lui de se racheter ? De se
sentir mieux ?
D’une seconde à l’autre, le roi se demanderait pourquoi
elle ne l’avait pas rejoint dans l’avion et viendrait la chercher,
ou enverrait quelqu’un pour s’assurer qu’elle arrivait. Si Seth
l’aimait, elle allait devoir réussir à le lui faire dire… Et vite.
— Ta suggestion tient la route. C’est très malin, dit-elle.
— Malin ! Tu veux dire que mon plan est absolument
génial ! s’exclama-t-il. Je me suis imaginé comment je te
génial ! s’exclama-t-il. Je me suis imaginé comment je te
protégerais si tu étais ma femme et j’ai trouvé des tonnes
d’idées pour te garder en sécurité.
— Moi, et Owen.
Seth baissa les yeux sur l’enfant. Leur enfant.
— Et Owen, dit-il d’un ton radouci.
Comme elle n’acceptait toujours pas sa proposition, Lucy
vit Seth perdre patience.
— Lucy, dit-il avec un soupir, tu ne m’aides pas beaucoup,
là…
— Pour être franche, Seth, toi non plus.
— Mais je te donne tout ce que tu as toujours voulu ! Du
calme, de l’intimité… Une vie normale. Tout !
— Non, pas tout.
Seth la dévisagea avec stupeur. Puis ses yeux s’étrécirent.
— Qu’essaies-tu de me dire ?
— Tu le demandes ? Tu viens ici pour me dire que tu vas
m’offrir une vie normale et que tu vas nous protéger, Owen et
moi… C’est merveilleux. Mais ce n’est pas assez.
Seth prit une courte inspiration.
— Dans ce cas, je ne sais pas ce qui pourrait te satisfaire.
Lucy sentit ses espoirs s’envoler. Ses doutes se
confirmaient. Seth ne lui offrait de l’épouser que par
culpabilité. Il ne l’aimait pas.
— Dans ce cas, je pense que je ferais mieux de partir, dit-
elle avec tristesse.
Lorsqu’elle eut atteint la passerelle, le pilote sortit à sa
rencontre et lui offrit son bras pour l’aider à monter.
— Bonjour, Princesse.
Incapable de répondre, Lucy se contenta de hocher la tête.
— Lucy !
Elle entendit Seth crier son nom, mais ne se retourna pas.
Que le pilote la voie pleurer ne la dérangeait pas. Il était trop
poli pour lui faire une remarque. Mais elle refusait que Seth
sache à quel point elle souffrait. Elle n’avait jamais rien désiré
d’autre que son amour. Et elle avait absolument tout essayé
pour l’obtenir… mais rien ne semblait l’atteindre.
— Tu ne peux pas partir ! l’entendit-elle crier.
Lucy gravit la seconde marche.
— Je ne peux pas élever Owen sans toi !
La jeune femme atteignit la dernière marche. Elle pouvait
voir l’intérieur du jet à présent. Dans un coin du luxueux salon,
un berceau avait été installé pour Owen. Une nourrice apparut
à la porte de l’avion, et lui prit l’enfant des bras.
— Je t’aime !
Lorsque Seth prononça enfin les mots qu’elle attendait
depuis de longs mois, Lucy se figea.
— Je t’aime, répéta-t-il d’une voix si douce et sincère
qu’elle en eut le souffle coupé.
Lentement, elle se retourna. Seth courait à sa rencontre.
Arrivé au bas des marches de l’avion, il s’arrêta.
— Je t’aime, dit-il, les yeux levés vers elle. Je t’ai toujours
aimée, mais je refusais de le voir. Je ne peux pas… je ne
veux pas élever Owen sans toi. Je t’en prie, Lucy, ne pars
pas.
La jeune femme dévala l’escalier pour se jeter dans ses
bras. Seth déposa une pluie de baisers sur ses lèvres.
— Je ne pars pas, dit-elle en lui rendant chacun de ses
baisers. Je ne partirai jamais… Si tu promets de m’aimer
toujours.
— C’est promis.
— Et nous engagerons un « jardinier » et un « cuisinier » ?
Seth acquiesça.
— Je viendrai même sur ton horrible petite île. J’assisterai
aux bals et aux cérémonies, ajouta-t-il avec un sourire.
Lucy s’écarta de Seth pour étudier son visage. Il avait l’air
parfaitement sérieux.
— Si nous forçons mon père à respecter l’accord que tu as
signé… nous ne viendrons sur l’île que deux ou trois fois par
an, dit-elle.
— Oui, à moins que tu ne veuilles y aller. Pour rendre visite
à ton père…
— Tu me laisserais faire ?
— Enfin Lucy, si je ne veux pas être prisonnier de ta
monarchie, je ne veux pas non plus te retenir ici contre ton
gré !
Lucy sourit. Seth aussi. Tous deux restèrent un moment
sans parler, les yeux dans les yeux.
Puis Seth poussa un long soupir.
— Je crois bien qu’on a réussi ! dit-il d’un ton joyeux.
Nous avons trouvé un compromis !
— J’en suis très heureuse, répondit Lucy en se lovant
contre lui. Parce que je n’ai jamais vraiment cessé de t’aimer.
— Moi non plus, répondit Seth avant de déposer un baiser
dans ses cheveux. Bon, allons chercher Owen et sortons vite
d’ici. Nous avons des gardes du corps à engager.
— Bonne idée, acquiesça Lucy.
Elle fit signe à la nourrice, qui lui descendit aussitôt l’enfant.
— Dites à mon père que j’ai changé d’avis, lança-t-elle au
pilote. Je ne rentre pas avec lui. S’il veut me rendre visite, je
serai à la maison avec mon mari et mon bébé. Il est le
bienvenu à tout moment. N’est-ce pas ? ajouta-t-elle en se
tournant vers Seth.
— Tout à fait, bien sûr ! répondit-il avec un sourire. Après
tout, il fait partie de la famille, et en Arkansas, on prend la
famille très au sérieux.
Épilogue
Seth s’écarta du grand miroir qui dominait la chambre.
— De quoi ai-je l’air ? demanda-t-il.
En smoking, Seth était si beau que Lucy ne pouvait presque
pas croire qu’il soit son mari. Et pourtant… Lorsqu’il avait
compris qu’ils refusaient de se séparer, son père avait cédé. Il
avait déchiré le contrat et ordonné à la cour de justice de
revenir sur l’annulation de leur mariage.
— Ça ira, dit-elle avec un sourire.
— Ça ira ! C’est tout ?
Seth la saisit par la taille, la renversa en arrière et entreprit
de couvrir son cou de baisers.
— Arrête !
Riant comme une collégienne, elle tenta de se libérer, mais
sa robe de soirée était trop serrée pour ce genre d’acrobaties.
Comment avait-elle pu laisser Madelyn la convaincre de la
porter ? Rouge et moulante, la robe ne se prêtait pas à une
cérémonie officielle… Mais c’était son mariage avec Seth
qu’on fêtait aujourd’hui ; il eût été ridicule de porter du blanc.
Madelyn avait donc choisi la couleur qui illustrait le mieux sa
relation avec Seth : un rouge profond, symbole de la passion.
— Tu vas abîmer ma robe !
— J’adore ta robe. Et si on l’enlevait ?
Lucy éclata de rire.
— Il a fallu plus de tissu pour faire la traîne que la robe, dit-
il en secouant la tête. Que va dire ton père en la voyant ?
— A mon avis, il a déjà vu et approuvé ma tenue.
— Je suppose que je m’habituerai un jour au fait qu’il
sache tout ce que nous faisons, dit Seth en riant.
— Et parfois même avant que nous le sachions nous-
mêmes, répondit Lucy. Ses sources sont excellentes !
Le visage de Seth se fit soudain sérieux. Il attira Lucy
contre lui de nouveau, mais la jeune femme sentit qu’il ne
jouait pas, cette fois. Ses yeux brillaient d’émotion contenue.
— Du moment qu’il n’essaie pas de nous séparer,
murmura-t-il.
— Je ne pense pas que nous ayons à nous inquiéter de
cela. Mais même si mon père tentait quelque chose, je ne te
quitterais plus jamais.
— Et je ne te laisserais plus jamais partir, ajouta Seth. Qui
aurait pensé que notre histoire finirait comme cela ?
— Mildred. Mes amies m’ont dit qu’elle avait prévu cette
fin dès mon arrivée à Porter… Elle aurait dit : « Seth Bryant
ne laissera aucune monarchie lui prendre sa femme et son
enfant. » Elle a même parié cinquante dollars avec Audrey !
— Audrey n’a jamais eu foi en moi, dit Seth dans un
sourire.
sourire.
Lucy rit de nouveau, mais s’écarta davantage de Seth. Elle
ne voulait pas qu’il la tente de nouveau. Saisissant son petit
sac à main sur sa coiffeuse, elle balaya sa chambre du regard.
La suite avait été décorée et meublée lorsqu’elle était jeune
fille. Maintenant qu’elle était mariée, tout cela changerait,
songea-t-elle. Tournant le dos à Seth, elle sourit. Tout avait
déjà changé ! Et elle y gagnait au change… Elle n’aurait plus à
vivre sur l’île de Xavier. Elle coulerait des jours heureux en
Arkansas, avec son mari. Owen serait élevé comme n’importe
quel petit garçon. Il ne saurait jamais qu’un de ses
professeurs, un des employés de sa cantine et deux
conducteurs de bus étaient en fait des gardes du corps
employés par l’île de Xavier. Deux anciens agents secrets
viendraient renflouer les rangs de la police municipale,
également payés par le roi. Ils surveilleraient Owen nuit et
jour, mais, pour lui, c’était tout de même bien mieux que de
vivre enfermé dans ce grand château, pensa-t-elle.
Elle se retourna pour sourire à son mari.
— Prêt à rencontrer tes sujets ?
Seth fit la grimace.
— Oui, je crois…
— Bien !
Elle déposa un baiser sur sa joue, puis lui prit le bras.
Elle était la plus heureuse des femmes.

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