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NÉGOCIATIONS PRÉCONTRACTUELLES

Les pourparlers, également appelés négociations précontractuelles, désignent les


échanges (écrits ou oraux) qui interviennent parfois entre les parties avant qu’elles ne
concluent le contrat.

Si la phase de négociation précontractuelle, qui se définit comme la phase de dialogue entre


les parties durant laquelle celles-ci forment des propositions et des contre-propositions, a
longtemps été régie de manière informelle par la jurisprudence, le législateur a, à l’occasion
de l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, consacré, par les articles 1112 et s.
du Code civil, un certain nombre de règles applicables à ladite phase.      

On sait en effet qu’un contrat est formé par la rencontre de deux volontés (au moins), c’est-à-
dire par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent
leur volonté de s’engager (article 1113 du Code civil).

Cependant, certains contrats particulièrement importants d’un point de vue financier ou


économique nécessitent, avant leur conclusion, une phase de négociations plus ou moins
longue pendant laquelle les parties vont discuter des conditions du contrat qu’elles envisagent
de conclure.

Cette période précontractuelle est caractérisée par un principe de liberté. Toutefois, ce


principe comporte des limites (I).

Les parties doivent également respecter certaines obligations pendant les pourparlers, à savoir
l’obligation d’information et l’obligation de confidentialité (II).

Enfin, même si l’on ne se trouve pas en phase contractuelle, il est cependant possible
d’engager la responsabilité de l’autre partie négociatrice, sous certaines conditions (III).

I) La liberté dans les pourparlers


A) Principe de liberté de négociation
La phase de pourparlers se caractérise par le principe de liberté (c’est un aspect de la liberté
contractuelle) : liberté d’engager des négociations, et liberté de les rompre. Celui qui négocie
n’est jamais contraint d’aller jusqu’à la conclusion d’un contrat ; il n’y a aucune obligation
pour les parties en pourparlers de conclure le contrat.

Les discussions précontractuelles sont placées sous l’égide de la liberté contractuelle,


conformément à l’article 1112 nouveau du Code civil, en ce sens où les parties, lorsqu’elles
négocient ensemble, ne sont pas tenues l’une envers l’autre comme le seraient deux personnes
ayant conclu un contrat. Ainsi les parties sont, durant ce prologue du processus contractuel,
libres de mener leurs négociations comme elles l’entendent, de rompre les pourparlers quand
elles le souhaitent, et surtout libres de ne pas conclure in fine le contrat. Elles sont dans une
phase précontractuelle caractérisée par des discussions entre une partie qui va formuler une
offre et une autre partie qui va formuler des contre-propositions, des conditions, etc.

CH 1-Négociations précontractuelles – Département L.E.A- 2019


La liberté de rompre les pourparlers étant le principe, la rupture de ces pourparlers ne peut
pas, a priori, permettre d’engager la responsabilité de son auteur.

Cependant, ce principe de liberté est tempéré par les exigences de la bonne foi, qui
gouvernent les négociations. L’article 1104 du Code civil dispose en effet que les contrats
doivent être négociés de bonne foi.

B) Restriction au principe de liberté de négociation


Malgré tout, il est nécessaire de rappeler, comme le disait Marcel PLANIOL, que « le droit
cesse où l’abus commence », en ce sens où le titulaire d’un droit ne saurait s’en servir au
détriment de celui des autres, la vie en société exigeant de la part de chacun un usage raisonné
des droits dont il bénéficie. Ainsi, les juges, puis dans un second temps le législateur, sont
intervenus afin de restreindre ce principe de liberté contractuelle.

En matière de négociation précontractuelle, les parties qui négocient doivent se comporter


de manière loyale et négocier de bonne foi, ce dont dispose le Code civil à l’article 1112 du
Code civil, disposant que les différentes phases de négociation « doivent satisfaire aux
exigences de bonne foi ». En ce sens, les parties ne doivent pas chercher à se tromper
mutuellement ou à communiquer des informations volontairement erronées.

La loi du 20 avril 2018 de ratification de l’ordonnance de 2016 portant réforme du droit des
contrats a consacré la jurisprudence Manoukian précitée en prévoyant à l’article 1112 alinéa 2
du Code civil qu’en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui
en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat
non conclu, ni la perte de chance d’obtenir ces avantages. Cette disposition, de nature
interprétative, est applicable à tous les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.

En sus de l’impératif de bonne foi, ceux qui négocient sont également soumis à certaines
obligations dans le cadre de la phase précontractuelle.

 II) Les obligations lors des pourparlers


A) L’obligation d’information dans les pourparlers
Pendant les pourparlers, le principe est que la partie qui possède une information dont
l‘importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors
que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son
cocontractant (article 1112-1 du Code civil).

Mais qu’est-ce qu’une information dont l’importance est déterminante pour le consentement
de l’autre partie ?

De manière négative, le devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de


la prestation. Chacun doit ainsi se renseigner sur la valeur du bien ou du service objet du
contrat. Autrement dit, ceux qui négocient n’ont pas à s’informer mutuellement d’un éventuel
déséquilibre économique du contrat. Par exemple, un acheteur n’a pas à informer le vendeur
sur la valeur du bien vendu (Cass. Civ. 1ère, 3 mai 2000, Baldus ; Cass. Civ. 3 ème, 17 janv.

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2007, n° 06-10.442). Ainsi, si une personne vous propose de vous vendre son smartphone à
200 euros, vous n’êtes pas obligé de lui dire que son modèle de smartphone se vend
actuellement trois fois plus cher sur Internet. C’est au contraire à elle de se renseigner sur ce
point.

De manière positive, le devoir d’information concerne les informations dont la


connaissance par l’autre partie est de nature à conduire celle-ci à modifier son
comportement, soit qu’elle renonce à son intention de conclure le contrat, soit qu’elle
souhaite en modifier les conditions. L’article 1112-1 alinéa 3 du Code civil dispose ainsi
qu’“ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire
avec le contenu du contrat ou la qualité des parties“.

Mais pour que le devoir d’information s’applique, il faut que l’autre partie ignore
légitimement l’information en question, ou fasse légitimement confiance à son cocontractant
(article 1112-1 alinéa 1 du Code civil). On comprend donc que dans certains cas, l’ignorance
du contractant sera illégitime : cela vise les hypothèses où il doit lui-même se renseigner, sans
attendre que son cocontractant lui révèle des informations qu’il était coupable d’ignorer. Au
contraire, l’ignorance sera légitime lorsque le contractant avait de sérieuses difficultés pour
découvrir par lui-même l’information en question alors que l’autre partie y avait accès.

A noter que l’obligation d’information dans la phase précontractuelle est d’ordre public : les
parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir (article 1112-1 alinéa 5 du Code civil).

En ce qui concerne la preuve du manquement à l’obligation d’information, c’est à celui qui


prétend qu’une information lui était due de le prouver, à charge pour le débiteur de
l’obligation d’information de prouver qu’il l’a fournie (article 1112-1 alinéa 4 du Code
civil). Ainsi, si celui qui prétend qu’une information lui était due parvient à rapporter la
preuve que l’autre partie la lui devait, alors, à ce moment-là, le débiteur de l’obligation
d’information pourra se libérer / s’exonérer en prouvant qu’il a bien fourni l’information en
question.

Enfin, les sanctions d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information sont les
suivantes :

 la mise en jeu de la responsabilité du débiteur de l’obligation d’information,


permettant à l’autre partie d’obtenir des dommages et intérêts
 l’annulation du contrat (sur le fondement de l’erreur ou du dol) si l’absence
d’information a eu pour effet de vicier le consentement du contractant

B) L’obligation de confidentialité dans les pourparlers

Dans le cadre des pourparlers, ceux qui négocient peuvent avoir accès à des informations
considérées comme confidentielles (en raison de leur caractère secret par exemple).

Or ces informations, en ce qu’elles sont de nature sensible, méritent une protection.

C’est pourquoi le principe est que ceux qui négocient ne peuvent pas utiliser ou divulguer
sans autorisation ces informations de nature confidentielle (article 1112-2 du Code civil).

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L’auteur d’un manquement à l’obligation de confidentialité dans les pourparlers engage sa
responsabilité dans les conditions du droit commun.

III) La responsabilité en cas de rupture des pourparlers


A) Nature de la responsabilité
Ainsi, si les pourparlers sont placés sous l’égide de la liberté contractuelle, de telle sorte
que chaque partie peut en principe mettre un terme à ces pourparlers unilatéralement, cette
rupture devient fautive dès lors qu’elle est abusive ou qu’elle ne respecte pas l’exigence de
bonne foi. Celle-ci permet alors d’engager la responsabilité de son auteur sur le principe
des articles 1382 et 1383 du Code civil relatifs à la responsabilité extracontractuelle.  

Ainsi, une faute durant les pourparlers pourra engager la responsabilité de son auteur. Il


s’agira alors, non pas d’une responsabilité contractuelle, mais d’une responsabilité extra-
contractuelle / délictuelle (puisque le contrat n’est pas encore conclu), dont la sanction
consistera par conséquent en l’octroi de dommages et intérêts.

La rupture des pourparlers est appréciée par les juges au regard des circonstances de la
rupture. La faute peut consister dans le fait de rompre subitement les pourparlers. En règle
générale, plus les pourparlers sont longs, plus le juge considérera que la rupture est brutale.
De plus, quand l’auteur de la rupture n’a pas de motif légitime pour y mettre un terme, le juge
aura là encore tendance à reconnaitre la rupture brutale des pourparlers. Enfin, quand l’auteur
de la rupture a fait croire à l’autre partie que le contrat serait bien conclu, est souvent
caractérisée la rupture abusive des négociations. Plus des frais importants ont été réalisés lors
des négociations, plus la rupture sera considérée fautive.

Eclairés par la technique du faisceau d’indices, les juges considéreront la durée et l’état
d’avancement des pourparlers pour retenir ou non la rupture brutale des pourparlers.

B) Préjudice réparable

Une faute pendant la phase des pourparlers peut par exemple consister en :

 la fourniture de renseignements inexacts en connaissance de cause


 un brusque changement d’avis après de longues négociations, une rupture brutale et
inattendue des pourparlers

Ainsi, si le principe est la liberté de rompre les pourparlers, celui qui négocie engage
néanmoins sa responsabilité lorsque la rupture est abusive.

La réparation du préjudice, en cas de faute commise dans les pourparlers, est limitée à ce
que la victime aurait pu éviter si les pourparlers n’avaient pas été entrepris (exemples :
perte de temps ou d’argent en démarches inutiles, possibilité d’avoir raté une autre
négociation…).

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En revanche, elle ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus
du contrat non conclu (article 1112 alinéa 2 du Code civil). C’est dire que les avantages
attendus du contrat ne peuvent pas constituer un préjudice indemnisable.

Elle ne peut pas non plus avoir pour objet de compenser « la perte d’une chance de
réaliser les gains que permettait d’espérer la conclusion du contrat  » (Cass. Com., 26 nov.
2003, Manoukian). Ainsi, la perte de chance, c’est-à-dire la privation d’une probabilité
raisonnable d’obtenir les gains espérés de la conclusion du contrat, ne constitue pas non plus
un préjudice indemnisable.

Le préjudice réparable consécutivement à une rupture abusive des pourparlers est en


général constitué par les pertes subies, à savoir les frais occasionnés par la négociation voire
l'atteinte à l'image découlant de la rupture des négociations. Le préjudice peut aussi s'étendre
au manque-à-gagner lié à la perte d'une chance de conclure un contrat avec un autre
contractant. Enfin, le préjudice consistant dans la perte subie par le négociateur en raison des
diverses dépenses inhérentes à la négociation rompue (frais d’avocats, experts, frais de
déplacements…) pourra lui aussi être réparé du fait de la rupture fautive des pourparlers.

En revanche, la jurisprudence, et depuis peu le législateur, se refusent à aller au-delà : la


réparation ne saurait être étendue aux avantages que la conclusion du contrat
permettait d'espérer, ni à la perte de chance de réaliser les gains attendus du contrat. 
D'abord posé par l'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 28 juin
2006, Manoukian, ce principe est aujourd'hui figé par l’alinéa 3 de l'article 1112 du code civil,
qui dispose que « En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice
qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du
contrat non conclu  »

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