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Analysez ces deux citations et regardez ce qui les distingue en termes de thèses et de prolongement de la
réflexion sur nos œuvres. Quels exemples hors-programme pourrait-on convoquer ? Rédigez les énoncés des
problématiques pour ces deux sujets.
« L’isolement d’un événement, d’un ou de plusieurs personnages, la mise en place de types ou de stéréotypes,
qui sont propres au récit bref, invitent le lecteur à l’extrapolation : il passe du cas d’espèce à la généralisation,
du sens littéral à un sens symbolique. S’il revient aux auteurs de réfréner, au besoin, le sens figuré de leurs
récits, il leur est difficile d’interdire le processus qui voue ceux-ci à l’exemplarité. »
(Daniel Grojnowski, « L’Amateur de nouvelles » in Maupassant, miroir de la nouvelle, Presse universitaires
de Vincennes, coll. « L’Imaginaire du texte », 1988, p.60).
[La] « finalité moraliste est doublement incompatible avec une poétique de la brièveté. D'abord parce qu'elle
implique une préoccupation didactique, et le didactisme se fonde sur le principe de répétition et sur celui de
la nécessaire clarté du discours. Or la brièveté procède par économie discursive et par ellipse, allusion,
condensation. Ensuite parce que le moralisme s'appuie le plus souvent sur le pathétique : il faut émouvoir le
lecteur pour le rendre accessible à la vertu. Et le pathétique s'exprime dans des tableaux, non dans des actions ;
il est d'essence statique, descriptive ; il joue sur les effets de soulignement, de vision attentive aux moindres
détails d'une situation. »
(Pierre Testud, « Récit court et brièveté au XVIIIe siècle », Cahiers Forell - Formes et Représentations en
Linguistique et Littérature – De la brièveté en littérature, Publié en ligne le 10 juillet 2012).
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1/ Sujet « Grojnowski »
« L’isolement d’un événement, d’un ou de plusieurs personnages, la mise en place de types ou de stéréotypes,
qui sont propres au récit bref, invitent le lecteur à l’extrapolation : il passe du cas d’espèce à la généralisation,
du sens littéral à un sens symbolique. S’il revient aux auteurs de réfréner, au besoin, le sens figuré de leurs
récits, il leur est difficile d’interdire le processus qui voue ceux-ci à l’exemplarité. »
Il y aurait un conflit radical entre le travail du lecteur qui tire le récit vers le sens symbolique/figuré, le cas
d’espèce, la généralisation afin d’en déterminer la dimension exemplaire (le récit vaudrait d’abord comme
exemplum essentiellement) et le travail de l’auteur qui se heurte à une double contrainte :
- celle interne du format bref qui par l’économie de moyens présupposé réduit les possibilités de nuances
développées et favorise un moment privilégié, un fait massif (isolement d’un évènement) et des
types/stéréotypes qui exemplifient le ou les personnages. Ces derniers existent à travers les relations qui les
combinent les uns avec les autres en fonction de schémas stéréotypés comme situations d’agôn (cf.
Morphologie du conte).
- Et celle externe de la tendance du lecteur qui extrapole à partir de ces réductions et condensations des
événements et personnages imposés par la poétique du récit bref. A cette tendance qui est inscrite ds une
tradition narrative où le conteur est l’homme de bon conseil (W. Benjamin), l’auteur, selon Grojnowski, peut
opposer un frein, et ne peut qu’agir par défaut. Il est dépossédé de la finalité de son récit qui devient une forme
Discussion du sujet :
- Les composantes narratives (événements, personnages) revêtent-elles nécessairement un sens symbolique
dès lors qu’elles sont uniques ou du moins peu nombreuses ? Pourquoi ? Un événement unique, un personnel
dramatique restreint ne peuvent-ils pas conserver leur singularité ?
- Le récit bref oscille entre deux pôles : l’anecdote, qui met en valeur la singularité d’une situation (présentée
comme un cas d’espèce) et l’apologue, qui au contraire tend à la généralisation par le biais de l’allégorie.
Pourquoi ce second modèle l’emporterait-il sur le premier ? Une discussion est nécessaire sur les ressources
du récit bref en faveur d’une singularisation et d’une particularisation. Elles déjouent les simples types et
étoffent l’événement en le rendant plus inouï que généralisable, extraordinaire et sans possibilité de réduction
à une forme d’universalisation.
- Les récits brefs sont-ils plus enclins à l’exemplarité que les récits longs ? Un roman ne peut-il pas être aussi
exemplaire, symbolique ? L’extrapolation n’est-elle pas inhérente à toute lecture d’un récit, quelle que soit sa
longueur ? Cf. la typologie balzacienne des personnages et la discussion de cette notion de type dans Les
Illusions perdues1 ou bien dans le portrait polyphonique construit par l’accumulation de point de vue distincts
dans l’incipit de Madame Firmiani.
- Pourquoi certains auteurs de récits brefs souhaitent-ils « réfréner […] le sens figuré » ? Comment cela peut-
il se faire ? Inciter le lecteur à l’extrapolation, est-ce un défaut du récit bref ? On devine dans le propos de D.
Grojnowski une réticence : il semble dire que l’exemplarité est une tendance du récit bref contre laquelle il
vaut mieux lutter, car elle implique un appauvrissement. Cela est lié à la typisation qui va de pair avec la
stéréotypie : la valeur symbolique est obtenue en recourant à des traits convenus, fixés par la tradition et
aisément reconnaissables. Les récits brefs tendraient donc à constituer un répertoire de figures et de situations
conventionnelles, immuables, dépourvus d’originalité. Mais il n’est pas du tout sûr que l’auteur cherche à tt
prix à freiner le processus d’extrapolation, il le favorise en cherchant le trait, celui qui stigmatise le type en
caricature du genre, ex. Caravan, le bouc dans le puits…
- La généralisation n’est pas le moteur d’une nécessaire exemplarité : elle peut au contraire servir une forme
de mise en crise de cette poussée didactique en renversant par exemple les polarités des types traditionnels cf.
« Le Renard et la Cigogne », « Le Coq et le Renard », la figure du Roi chez Michaux, des femmes de mauvaise
1
Les Illusions perdues est le roman de Balzac sur la littérature et le champ littéraire. Le personnage de l’écrivain pur, Daniel
d’Arthez prodigue des conseils à Lucien de Rubempré, quant au roman qu’il écrit, trop imité des romans de Walter Scott. Ces
derniers déclinent toujours le même type de femme selon d’Arthez qui porte la voix de Balzac : « Pour lui [Scott] la femme est le
devoir incarné. À de rares exceptions près, ses héroïnes sont absolument les mêmes, il n’a eu pour elles qu’un seul poncif, selon
l’expression des peintres. Elles procèdent toutes de Clarisse Harlowe ; en les ramenant toutes à une idée, il ne pouvait que
tirer des exemplaires d’un même type variés par un coloriage plus ou moins vif ». Seconde partie, éd. Gallimard, coll. Folio,
p.226.
Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion.
vie chez Maupassant, bref tous les procédés de carnavalisation voire de subversion des représentations des
types.
- La place et le rôle du lecteur ds cette activité herméneutique pose problème : fixité et rigidité de cette posture
de lecteur prédéterminée. Les textes, dès lors qu’ils sont des objets litt., tentent de travailler, de déranger ces
certitudes. Il y a une certaine valeur et un intérêt lié à la perplexité qui fonde le goût pour l’activité
herméneutique (cf. Vincent Jouve, Pouvoirs de la fiction, Pourquoi aime-t-on les histoires ?, 2019) et qui est
au cœur de la valeur anthropologique de la lecture des histoires. L’on pourrait parier sur une surenchère de
cette perplexité par le fait même du bref qui joue de ses lacunes, de ses raccourcis… Le lecteur creuse les
signes, les significations multiples, il « surcode » a lieu de décoder (cf. Barthes, Le Bruissement de la langue).
Enfin, le mouvement de la lecture se fait aussi ds le sens d’un investissement particulier du lecteur du côté
d’une hyper singularisation (cf. Proust, chaque lecteur est le lecteur de lui-même ou La Fontaine, et son
Narcisse (se) réfléchissant ou encore l’image du sage de la Fable finale du dernier livre XII.)
è Dans quelle mesure le mouvement d’extrapolation qui exemplifie le récit bref ne refonde-t-il pas
la valeur de ce dernier par une plus grande liberté d’écriture et d’expérience dans la lecture ?
2/ Sujet « Testud »
[La] « finalité moraliste est doublement incompatible avec une poétique de la brièveté. D'abord parce qu'elle
implique une préoccupation didactique, et le didactisme se fonde sur le principe de répétition et sur celui de
la nécessaire clarté du discours. Or la brièveté procède par économie discursive et par ellipse, allusion,
condensation. Ensuite parce que le moralisme s'appuie le plus souvent sur le pathétique : il faut émouvoir le
lecteur pour le rendre accessible à la vertu. Et le pathétique s'exprime dans des tableaux, non dans des actions ;
il est d'essence statique, descriptive ; il joue sur les effets de soulignement, de vision attentive aux moindres
détails d'une situation. »
Pierre TESTUD, « Récit court et brièveté au XVIIIe siècle », Cahiers Forell - Formes et Représentations en
Linguistique et Littérature – De la brièveté en littérature, Publié en ligne le 10 juillet 2012
Le sujet envisage non seulement la visée des textes (ici, la « finalité moraliste ») mais également les moyens
qui, pour P. Testud sont habituellement attendus afin d’atteindre cet objectif (la « préoccupation didactique »
et « le pathétique », qui relèvent donc ici de ce que l’on nomme actuellement les « registres littéraires »).
À cela, Pierre Testud ajoute la question de la « poétique de la brièveté » comme pôle d’analyse des textes.
Or, pour l’auteur de la citation, il existe une incompatibilité de nature entre cette « poétique de la brièveté »
et une visée particulière des textes, la « finalité moraliste ».
Pour expliquer cette incompatibilité, Testud explore les moyens mis au service de la finalité moraliste dans
les textes, et leur oppose les singularités d’une œuvre brève (ici, il est à noter que la « poétique de la brièveté »
pourra donc parfois être convoquée hors du simple « récit bref », même s’il n’est pas question d’abuser de
cette ouverture dans le corps de la dissertation). Ces moyens peuvent se lire de cette manière :
è Pour Pierre Testud, le récit bref, en condensant le récit d’actions jusqu’à l’implicite, ne
s’organise pas en fonction de registres didactiques ou pathétiques : il n’a pas pour enjeu la
communication d’une perspective morale.
® Finalement, il apparaît que pour Testud, l’absence de « finalité moraliste » s’observe essentiellement par
l’impossibilité de recourir aux principes du docere ou du movere dans les textes brefs, contraints par leur
économie de moyens. Il ne resterait alors à la brièveté que le privilège du placere, les textes se donnant à lire
comme des objets de plaisir virtuoses, par leur capacité à dire bcp en peu de mots, ou à favoriser l’énigme du
sens. On retrouve là les plaisirs des jeux mondains de l’époque classique qui ont favorisé les petites formes,
expérimentées dans les salons, de l’épigramme, à la devinette, de la maxime à la fable …Les nouvelles en
trois lignes de F. Fénéon s’inscrivent ds cette lignée de prouesses littéraires, par exemple.
® L’impossibilité de la finalité moraliste est étrangement affirmée et fermement argumentée par P. Testud.
En effet, les formes narratives brèves favorisent la dim° didactique et articulent le + svt les formes narratives,
fondées sur la fiction, son corps dirait La Fontaine, à une âme, sa morale ou son enseignement. La négation
de cette visée morale est donc paradoxale, ce que confirme les formes brèves non narratives, et qui ont
largement contribué à la poétique de la brièveté, comme à la réflexion morale au service de laquelle la poétique
de la fragmentation se pensait : pensées de Pascal, maximes d’un La Rochefoucauld, portraits de La Bruyère.
® Par ailleurs, la finalité moraliste n’est pas uniquement dépendante des conditions de possibilité du
didactique et du pathétique qui la fondent, selon P. Testud.
o Ne peut-il y avoir une ambition moraliste qui ne réside pas dans les faits poétiques et rhétoriques énumérés
(répétition et clarté) mais dans les aspects quasi lacunaires pointés et propres au format bref (ellipse,
allusion, condensation) ? La moralité est-elle tjrs délivrée par un discours supplémentaire et clairement
défini ou peut-elle s’expérimenter par le lecteur dans une autre forme plus flottante, contradictoire,
énigmatique, voire fuyante ?
o De même, émouvoir le lecteur, est-ce le fait du seul pathétique ? je pense à un autre langage des émotions
travaillé par les textes brefs, depuis le suspens le plus haletant lié à une dramatisation des actions,
jusqu’aux moments suspendus de contemplation, ou d’étude des choses moindres qui affectent le monde
et l’individu ( le lever de la lune ou du soleil, le brouillard et les variations de la lumière, une eau qui coule,
une herbe mouvante sous le vent, le soleil sur la peau, l’effet d’un mot ou d’un regard…). On peut
également penser aux manifestations émotionnelles telles que le rire, dont Alphonse Allais faisait son miel
pour ses Histoires drôles, Voltaire une des manifestations de ses contes facétieux, et Cioran le signe du
désespoir dans ses aphorismes. Il existe alors d’autres ressorts du pathétique que la forme brève peut
mettre en relief et dont elle peut favoriser l’expérience étant donné son format condensé et lacunaire.
è N’est-ce pas parce que la poétique de la brièveté recrée de nouvelles conditions d’expression et
de narration, qu’elle suscite d’autres émotions et d’autres expériences didactiques, où le sens est
moins livré que questionné, où il s’agit de dé-moraliser pour expérimenter une morale à soi ?
1. Certes, les propriétés du texte bref l’éloignent par définition d’une « préoccupation didactique »
fondée sur la répétition et le pathétique : le récit bref est apparemment inapte à s’orienter vers une
« finalité moraliste »
1.1. Le texte bref, et plus particulièrement le récit bref, est rarement « statique » ou purement
« descriptif » : il repose sur des actions et non sur des tableaux émouvants aux multiples détails, ce qui
l’empêche de proposer un « soulignement » pathétique servant une visée morale
• P : Sarraute : VI, p. 25-27 : hors de l’importance prise par les « choses », c’est la vitesse de
l’enchaînement des idées qui frappe : le lecteur est entraîné dans le tourbillon d’une accélération incessante
jusqu’à la dernière phrase qui en résume le mouvement (« Il fallait se précipiter, vite, vite, houspillé, bousculé,
anxieux, tout laisser là et se précipiter […] ») : le texte ne déploie pas de discours de commentaire visant à
proposer une vision d’ensemble didactique
• HP : Prévert, Paroles, « La pêche à la baleine » : le poème propose une série d’actions et de situations
absurdes, qui s’enchaînent selon des ricochets (par exemple lorsque Prosper « jette le couteau par terre, / Mais
la baleine s’en empare, et se précipitant sur le père / Elle le transperce de père en part ») et ne cherche pas
vraiment à émouvoir un lecteur plutôt amusé par l’absurdité conceptuelle du propos
® Les actions qui s’enchaînent entre l’incipit et la chute du récit bref freinent une réflexion qu’un tableau figé
aurait pu provoquer : il semble difficile face à une forme brève de s’attarder sur un effet de catharsis conduisant
jusqu’à la « vertu ».
1.2. D’ailleurs, ces actions enchaînées les unes aux autres contribuent à l’« économie discursive » :
la rapidité du propos contraint à l’élimination des répétitions dont l’aspect didactique semble pourtant
nécessaire dans le cadre d’une visée moraliste
• P : La Fontaine, « Les Loups et les Brebis » (III, 13) : le schéma narratif se déroule de façon tout à fait
attendue, puisque seules les victimes (brebis et chiens) semblent s’étonner de ce qu’un louveteau devienne un
loup aussi affamé et cruel que ses géniteurs, et le lecteur reste en simple position d’observation
• P : Michaux : « L’âge héroïque » (p. 61-63) :
® La brièveté, qui ne s’embarrasse ni des « détails d’une situation », ni d’un principe de « répétition »
renforcé par des « effets de soulignement », ne peut donc pas réellement proposer au lecteur un enseignement
efficace et orienté vers la « vertu ».
1.3. Finalement, le système elliptique et allusif propre au récit bref constitue donc bien un obstacle
infranchissable pour qui voudrait recourir aux registres didactique ou pathétique, qui n’ont pas d’espace
suffisant pour déployer leurs détails au service d’une finalité.
• HP : Fénéon, Nouvelles en trois lignes : le système déployé par Fénéon repose sur des raccourcis, des
syntagmes présentés les uns à la suite des autres à l’aide de connecteurs logiques minimaux : l’ensemble fait
sens, mais dans une forme d’immédiateté qui, la plupart du temps, ne provoque pas d’émotion autre que la
surprise et n’enseigne rien
• P : Maupassant : « Les Tombales » : le lecteur qui pense refermer la nouvelle sur une leçon de morale
ou sur des principes moralistes probants est nécessairement déçu puisque malgré son encadrement narratif, la
nouvelle repose sur un enchaînement alerte de péripéties qui ouvrent sur la dérision plus que sur la réflexion :
Þ La forme brève s’organise généralement autour d’une narration dont la rapidité et l’esprit allusif sont tels
qu’ils empêchent l’enseignement de s’organiser ou l’émotion d’agir : l’instantanéité condensée propre à la
brièveté est inapte à ouvrir le texte sur un discours clairement moraliste.
2. Toutefois, la morale ne se dissout que rarement dans la brièveté : même allusif et narratif, le
texte bref peut montrer une « préoccupation didactique » et/ou s’appuyer sur le « pathétique », ce qui
rend la « finalité moraliste » compatible dans une certaine mesure avec une « poétique de la brièveté »
2.1. La forme brève présente des procédés qui, même de manière sporadique ou éphémère, relèvent d’un
registre pathétique utile à l’édification morale du lecteur
• HP : Baudelaire, Le Spleen de Paris, « Le Gâteau » : après une présentation sous forme d’un bref
tableau d’un paysage idyllique, la bataille des enfants qui se disputent le morceau de pain ouvrent sur le
pathétique du constat final : « Il y a donc un pays superbe, où le pain s’appelle du gâteau, friandise si rare
qu’elle suffit pour engendrer une guerre parfaitement fratricide ! » – la portée morale de l’anecdote relève
presque de l’exemplum.
• P : Michaux : « La paresse » (p. 110-111) : la nage de l’âme, répétée, souligne par des tableaux
successifs le regard d’enfant du paresseux qui réagit avec émotion face au regard de reproche qui lui est
adressé
® Même sans « effets de soulignement » lourds ou « détails d’une situation » développés, la « poétique de la
brièveté » parvient à émouvoir le lecteur par l’intermédiaire d’esquisses nécessitant une lecture sensible.
2.2. L’« ellipse » et l’« allusion », qui éliminent d’un texte tous les éléments superflus, contribuent
alors à orienter le regard sur les actions condensées dont la mention entraîne une activité de réflexion de la
part du lecteur : ce point de vue contraint a une portée didactique qui peut servir une « finalité moraliste »
• P : Maupassant : « Histoire d’une fille de ferme » : les épisodes juxtaposés peuvent paraître dénués
d’émotion, mais chaque étape de l’apprentissage de la servante est riche d’émotions sous-jacentes – le
didactique et le pathétique se rejoignent jusqu’à la générosité finale de l’insertion de « l’éfant » (sic) dans la
famille que Rose accepte ainsi de construire.
• P : Sarraute : XVIII : dans ce tropisme les mentions des personnages sont suffisamment précises (le
chat, la « demoiselle aux cheveux blancs » ou la « cuisinière Ada ») pour que la question du temps et le décor
deviennent le socle d’une réflexion didactique à valeur morale, même si elle n’est pas mentionnée en tant que
telle
® La valeur morale d’un texte émerge aisément lorsque la brièveté concentre didactiquement la lecture sur
l’essence des phénomènes présentés.
2.3. « L’économie discursive » n’est donc pas un obstacle pour la « finalité moraliste » puisque la
« clarté du discours » est accessible grâce à la brièveté.
• P : La Fontaine, « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre » (VI, 17) : la brièveté n’empêche pas la
référence au « Chien dont parle Ésope », référence qui offre un éclairage suffisant pour que la morale, située
au début de la fable, fasse sens : l’insistance sur les hommes avant l’exemple du chien permet d’orienter la
lecture par un procédé didactique vers la représentation moraliste du monde
• HP : Perrault, « Le Petit Chaperon rouge » : les deux moralités s’expliquent par la succession
dramatique des actions et le destin de l’enfant : l’émotion pourrait apparaître, et l’aspect didactique est évident
dans ce récit orienté vers sa fin funeste.
Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion.
® Entre émotion et enseignement, la « poétique de la brièveté » ne multiplie pas les procédés mais les utilise
en fonction de la « finalité moraliste » qu’elle recherche.
Þ La « poétique de la brièveté » entraîne l’activité du lecteur qu’elle sollicite par les énigmes de sa
condensation naturelle : en ce sens elle n’est pas véritablement incompatible avec une « finalité moraliste »,
étant donné qu’elle s’approprie les techniques liées aux registres didactiques ou pathétiques qu’elle juge
nécessaires afin de les mettre au service de l’édification morale du lecteur – l’absence d’insistance n’est pas
absence d’existence.
Vers la conclusion
Paradoxalement, c’est lorsqu’il se débarrasse des moyens traditionnels liés à une « visée moraliste » –
didactisme explicite ou lourd pathétique – que le texte bref parvient à « émouvoir le lecteur » efficacement et
à lui enseigner le chemin vers une forme de « vertu » : utilisant ses propriétés que sont l’extrême condensation
ou la narration orientée vers une chute, la « poétique de la brièveté » sert très efficacement une visée morale,
au point que celle-ci en devient sinon la finalité, du moins la fin. Moralité et brièveté apparaissent donc
définitivement consubstantielles, grâce à un emploi des registres didactiques et pathétiques cristallisés jusqu’à
leur essence même. Et le texte bref impose finalement en ce point limite une épure discursive parfaite, mettant
magistralement en évidence l’enjeu moral de la littérature : la « poétique de la brièveté » est pour la « finalité
moraliste » une parfaite litote.