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Confrontation de sujets : cerner la problématique et la formuler (jeudi 14 mai).

Analysez ces deux citations et regardez ce qui les distingue en termes de thèses et de prolongement de la
réflexion sur nos œuvres. Quels exemples hors-programme pourrait-on convoquer ? Rédigez les énoncés des
problématiques pour ces deux sujets.

« L’isolement d’un événement, d’un ou de plusieurs personnages, la mise en place de types ou de stéréotypes,
qui sont propres au récit bref, invitent le lecteur à l’extrapolation : il passe du cas d’espèce à la généralisation,
du sens littéral à un sens symbolique. S’il revient aux auteurs de réfréner, au besoin, le sens figuré de leurs
récits, il leur est difficile d’interdire le processus qui voue ceux-ci à l’exemplarité. »
(Daniel Grojnowski, « L’Amateur de nouvelles » in Maupassant, miroir de la nouvelle, Presse universitaires
de Vincennes, coll. « L’Imaginaire du texte », 1988, p.60).

[La] « finalité moraliste est doublement incompatible avec une poétique de la brièveté. D'abord parce qu'elle
implique une préoccupation didactique, et le didactisme se fonde sur le principe de répétition et sur celui de
la nécessaire clarté du discours. Or la brièveté procède par économie discursive et par ellipse, allusion,
condensation. Ensuite parce que le moralisme s'appuie le plus souvent sur le pathétique : il faut émouvoir le
lecteur pour le rendre accessible à la vertu. Et le pathétique s'exprime dans des tableaux, non dans des actions ;
il est d'essence statique, descriptive ; il joue sur les effets de soulignement, de vision attentive aux moindres
détails d'une situation. »
(Pierre Testud, « Récit court et brièveté au XVIIIe siècle », Cahiers Forell - Formes et Représentations en
Linguistique et Littérature – De la brièveté en littérature, Publié en ligne le 10 juillet 2012).

***

1/ Sujet « Grojnowski »

« L’isolement d’un événement, d’un ou de plusieurs personnages, la mise en place de types ou de stéréotypes,
qui sont propres au récit bref, invitent le lecteur à l’extrapolation : il passe du cas d’espèce à la généralisation,
du sens littéral à un sens symbolique. S’il revient aux auteurs de réfréner, au besoin, le sens figuré de leurs
récits, il leur est difficile d’interdire le processus qui voue ceux-ci à l’exemplarité. »

Il y aurait un conflit radical entre le travail du lecteur qui tire le récit vers le sens symbolique/figuré, le cas
d’espèce, la généralisation afin d’en déterminer la dimension exemplaire (le récit vaudrait d’abord comme
exemplum essentiellement) et le travail de l’auteur qui se heurte à une double contrainte :
- celle interne du format bref qui par l’économie de moyens présupposé réduit les possibilités de nuances
développées et favorise un moment privilégié, un fait massif (isolement d’un évènement) et des
types/stéréotypes qui exemplifient le ou les personnages. Ces derniers existent à travers les relations qui les
combinent les uns avec les autres en fonction de schémas stéréotypés comme situations d’agôn (cf.
Morphologie du conte).
- Et celle externe de la tendance du lecteur qui extrapole à partir de ces réductions et condensations des
événements et personnages imposés par la poétique du récit bref. A cette tendance qui est inscrite ds une
tradition narrative où le conteur est l’homme de bon conseil (W. Benjamin), l’auteur, selon Grojnowski, peut
opposer un frein, et ne peut qu’agir par défaut. Il est dépossédé de la finalité de son récit qui devient une forme

Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion.


d’apologue, d’exemplum malgré lui. Cette généralisation à finalité didactique ou universalisante gomme les
particularités, les singularités inhérentes au sens littéral qui font le sel de l’inouï, de l’anecdote.
Cette manière d’envisager le tropisme didactique du récit bref serait donc le fait du lecteur plus que de l’auteur.
En revanche, l’auteur, en même temps que son récit lui échappe partiellement par cette opération de
généralisation qu’est l’extrapolation, aurait la possibilité de maîtriser le développt du sens figuré. Il y a là ds
la répartition des rôles et leur détermination des aspects pbmatiques qui méritent discussion.
è Paradoxe et tension dans ce jeu autour des limites. Le récit bref est contraint par des limites mais elles
provoquent leur transgression par l’extrapolation, le passage du singulier au général, du littéral au
monde imaginaire et moral du lecteur. En travaillant dans cet espace limité du récit bref, en favorisant
des figures et événements fermement limités et reconnaissables, l’auteur conduit le lecteur malgré lui
— second paradoxe — à figer le sens du texte dans une généralisation exemplaire, donc à lui imposer
d’autres limites.

Discussion du sujet :
- Les composantes narratives (événements, personnages) revêtent-elles nécessairement un sens symbolique
dès lors qu’elles sont uniques ou du moins peu nombreuses ? Pourquoi ? Un événement unique, un personnel
dramatique restreint ne peuvent-ils pas conserver leur singularité ?
- Le récit bref oscille entre deux pôles : l’anecdote, qui met en valeur la singularité d’une situation (présentée
comme un cas d’espèce) et l’apologue, qui au contraire tend à la généralisation par le biais de l’allégorie.
Pourquoi ce second modèle l’emporterait-il sur le premier ? Une discussion est nécessaire sur les ressources
du récit bref en faveur d’une singularisation et d’une particularisation. Elles déjouent les simples types et
étoffent l’événement en le rendant plus inouï que généralisable, extraordinaire et sans possibilité de réduction
à une forme d’universalisation.
- Les récits brefs sont-ils plus enclins à l’exemplarité que les récits longs ? Un roman ne peut-il pas être aussi
exemplaire, symbolique ? L’extrapolation n’est-elle pas inhérente à toute lecture d’un récit, quelle que soit sa
longueur ? Cf. la typologie balzacienne des personnages et la discussion de cette notion de type dans Les
Illusions perdues1 ou bien dans le portrait polyphonique construit par l’accumulation de point de vue distincts
dans l’incipit de Madame Firmiani.
- Pourquoi certains auteurs de récits brefs souhaitent-ils « réfréner […] le sens figuré » ? Comment cela peut-
il se faire ? Inciter le lecteur à l’extrapolation, est-ce un défaut du récit bref ? On devine dans le propos de D.
Grojnowski une réticence : il semble dire que l’exemplarité est une tendance du récit bref contre laquelle il
vaut mieux lutter, car elle implique un appauvrissement. Cela est lié à la typisation qui va de pair avec la
stéréotypie : la valeur symbolique est obtenue en recourant à des traits convenus, fixés par la tradition et
aisément reconnaissables. Les récits brefs tendraient donc à constituer un répertoire de figures et de situations
conventionnelles, immuables, dépourvus d’originalité. Mais il n’est pas du tout sûr que l’auteur cherche à tt
prix à freiner le processus d’extrapolation, il le favorise en cherchant le trait, celui qui stigmatise le type en
caricature du genre, ex. Caravan, le bouc dans le puits…
- La généralisation n’est pas le moteur d’une nécessaire exemplarité : elle peut au contraire servir une forme
de mise en crise de cette poussée didactique en renversant par exemple les polarités des types traditionnels cf.
« Le Renard et la Cigogne », « Le Coq et le Renard », la figure du Roi chez Michaux, des femmes de mauvaise

1
Les Illusions perdues est le roman de Balzac sur la littérature et le champ littéraire. Le personnage de l’écrivain pur, Daniel
d’Arthez prodigue des conseils à Lucien de Rubempré, quant au roman qu’il écrit, trop imité des romans de Walter Scott. Ces
derniers déclinent toujours le même type de femme selon d’Arthez qui porte la voix de Balzac : « Pour lui [Scott] la femme est le
devoir incarné. À de rares exceptions près, ses héroïnes sont absolument les mêmes, il n’a eu pour elles qu’un seul poncif, selon
l’expression des peintres. Elles procèdent toutes de Clarisse Harlowe ; en les ramenant toutes à une idée, il ne pouvait que
tirer des exemplaires d’un même type variés par un coloriage plus ou moins vif ». Seconde partie, éd. Gallimard, coll. Folio,
p.226.
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vie chez Maupassant, bref tous les procédés de carnavalisation voire de subversion des représentations des
types.
- La place et le rôle du lecteur ds cette activité herméneutique pose problème : fixité et rigidité de cette posture
de lecteur prédéterminée. Les textes, dès lors qu’ils sont des objets litt., tentent de travailler, de déranger ces
certitudes. Il y a une certaine valeur et un intérêt lié à la perplexité qui fonde le goût pour l’activité
herméneutique (cf. Vincent Jouve, Pouvoirs de la fiction, Pourquoi aime-t-on les histoires ?, 2019) et qui est
au cœur de la valeur anthropologique de la lecture des histoires. L’on pourrait parier sur une surenchère de
cette perplexité par le fait même du bref qui joue de ses lacunes, de ses raccourcis… Le lecteur creuse les
signes, les significations multiples, il « surcode » a lieu de décoder (cf. Barthes, Le Bruissement de la langue).
Enfin, le mouvement de la lecture se fait aussi ds le sens d’un investissement particulier du lecteur du côté
d’une hyper singularisation (cf. Proust, chaque lecteur est le lecteur de lui-même ou La Fontaine, et son
Narcisse (se) réfléchissant ou encore l’image du sage de la Fable finale du dernier livre XII.)
è Dans quelle mesure le mouvement d’extrapolation qui exemplifie le récit bref ne refonde-t-il pas
la valeur de ce dernier par une plus grande liberté d’écriture et d’expérience dans la lecture ?

Recherches d’exemples par M. Negrello


- La fable correspond tout à fait aux caractéristiques du récit bref mises en avant par D. Grojnowski. Elle narre
un événement unique (ex : la perte de la cognée dans « Le bûcheron et Mercure ») ; met en scène un seul
personnage (« L’astrologue qui se laisse tomber dans un puits », « L’homme et son image »), plus souvent
deux personnages antithétiques (« La cigale et la fourmi », « Le loup et l’agneau », « Le corbeau et le renard »,
« Le chêne et le roseau », etc.), quelquefois plus, mais toujours en nombre limité (« La vieille et les deux
servantes », « La génisse, la chèvre et la brebis, en société avec le lion », « Le meunier, son fils et l’âne »).
Surtout, le symbolisme de la fable repose sur le type et le stéréotype : l’animal représente un type humain (le
lièvre incarne le peureux, « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf » représente les ambitieux)
et les personnages humains des fables correspondent à des stéréotypes, comme « L’ivrogne et sa femme » ou
« L’avare qui a perdu son trésor ».
- En revanche, les récits brefs de Michaux dans La Nuit remue, même s’ils s’apparentent à des fables,
comportent souvent une multitude de personnages qui apparaissent et disparaissent brièvement de la scène du
récit : par ex. dans « Dessins commentés », le « géant hydrocéphale sur sa patinette », « un clown à jambes de
laine », « la jolie princesse noire aux tout petits seins ». De la même manière, par une déstructuration
volontaire de la grammaire du texte narratif, Michaux fait entrer une série d’événements incoordonnés dans
ses récits brefs. Ex : l’introduction des chameaux à Honfleur et le train qui file sur la mer dans
« Interventions ».
- Louis Forestier distingue parmi les histoires de Maupassant celles qui relèvent du conte, et qui sont centrées
sur un événement unique, de celles qui relèvent de la nouvelle, et qui racontent une série d’événements
impliquant des personnages multiples. Plus bref, le conte se définit par la simplification de la structure
narrative, réduite à un seul ou à quelques éléments isolés par le récit. Ex : « Sur l’eau » contient un épisode
ayant duré une nuit et situé dans un unique décor, impliquant un unique protagoniste qui est aussi le narrateur.
Effectivement, ce dépouillement de l’univers fictionnel fait tendre le texte au symbolisme, sinon à
l’exemplarité : la rivière, dont le narrateur fait un éloge ambigu en préambule à son histoire, devient un
symbole – de la femme, de l’irrationnel, de la mort, etc. Par conséquent, la chute du récit : « C’était le cadavre
d’une vieille femme qui avait une pierre au cou. » entre elle aussi dans ce système symbolique. Pourtant,
l’esthétique réaliste de Maupassant devrait obéir davantage à une logique particularisante, comme dans « La
Maison Tellier » : le lieu est spécifié (Fécamp), les personnages sont individualisés par leur description et
dotés d’une personnalité reconnaissable. Pourtant, les filles de la maison close ont été choisies et grimées pour
correspondre à des types féminins : la belle blonde, la belle Juive… « Le personnel étant restreint, on avait

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tâché que chacune d’elle fût comme un échantillon, un résumé de type féminin, afin que tout consommateur
pût trouver là, à peu près du moins, la réalisation de son idéal. »
- Le processus d’abstraction semble poussé à sa limite dans Tropismes, où les « personnages » n’ont pas de
nom, mais sont désignés par les pronoms personnels « il », « elle ». Chacune de ces figures est celle d’un
« homme sans qualité » (selon la formule de Robert Musil), d’un être humain générique, qui à la limite n’est
ni homme ni femme. Pourtant, ces personnages sont plongés dans des situations bien particularisées, qui ne
se prêtent pas à la généralisation, comme l’homme du Tropisme XXII, qui a la manie de toucher les objets et
qui part en villégiature pour soigner son asthénie. Toutefois, Nathalie Sarraute montre comment les névroses
des adultes s’enracinent dans les expériences enfantines, comme l’anxiété du héros du Tropisme XX, qui revit
ses terreurs nocturnes d’enfant. Or l’état de dépendance de l’enfant est commun à tous les hommes, avant que
leurs caractères se différencient en atteignant la maturité. Les expériences et les états d’âme décrits dans
Tropismes sont donc à la fois singuliers et exemplaires.
- L’anecdote se définit, à l’inverse de l’apologue, comme le récit d’un « cas d’espèce » qui vaut par son
extrême singularité. C’est un récit aporétique, dont on ne peut tirer aucune conclusion, comme l’anecdote de
la belle lingère dans les Mémoires du maréchal de Bassompierre.
- Les nouvelles de Kafka tendent souvent à revêtir une dimension allégorique, mais ce qu’elles symbolisent
reste mystérieux. Le sens figuré est à la fois suggéré et dérobé ; le lecteur invité à l’extrapolation et empêché
de le faire par la précision et la profusion des détails concrets qui particularisent l’action et les personnages :
« La Métamorphose », « La colonie pénitentiaire », « Joséphine la Cantatrice »… Les plus courtes de ces
nouvelles semblent se rattacher à la tradition religieuse des paraboles : « Devant la loi », « Un message
impérial ».
- Il suffit effectivement d’isoler un personnage pour que celui-ci revête une dimension symbolique et invite le
lecteur à extrapoler, à généraliser : dans « Mon Roi », le face-à-face entre le narrateur et ce mystérieux « Roi »
incite le lecteur à interpréter ce dernier comme un symbole, notamment en y voyant une figuration onirique
du Sur-moi freudien, alors que le « je », qui se livre à des agressions violentes et scatologiques, semble
représenter le Ça. Mais cette interprétation découle moins du format du texte (qui est relativement long par
rapport à la majorité des textes du recueil et par rapport au standard du poème en prose) que de la nature du
personnage et des situations qui, étant totalement invraisemblables et impossibles à admettre au plan matériel
et physique, doivent nécessairement être interprétées au plan allégorique.
- A l’inverse, un récit réaliste, vraisemblable et accrédité par l’accumulation d’effets de réel, comme par
exemple « L’homme à l’étui » de Tchekhov, même s’il isole un personnage et un événement, sera moins
exposé à revêtir une valeur d’exemplarité. C’est plutôt un cas, quasi-pathologique, c’est-à-dire une situation
unique et remarquable.
- Le récit bref peut aussi mettre en valeur une idiosyncrasie (= caractère individuel, tempérament personnel).
Il semble que ce soit souvent la finalité de la nouvelle qui, depuis la Renaissance, s’intéresse aux situations
exceptionnelles, anormales et spectaculaires. C’est la tradition des « histoires tragiques », à laquelle se
rattachent certaines nouvelles de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre, qui racontent des situations
exceptionnelles et choquantes, comme la 32e nouvelle : un noble allemand ayant surpris sa femme en train de
la tromper avec son meilleur ami, tue celui-ci puis oblige l’épouse adultère à boire chaque jour dans le crâne
du mort transformé en coupe.
- Tout récit bref tend à l’exemplarité, comme le montre les fabliaux du Moyen Age qui, bien qu’ils ne soient
le plus souvent que des « histoires à rire », se terminent toujours par une morale. Mais celle-ci apparaît souvent
comme un ajout postiche, mal accordé à l’histoire dont il est censé tirer la leçon. Ex : « La vieille qui graissa
la main au chevalier » est une historiette amusante fondée sur l’ignorance et la simplicité d’esprit du
personnage de la vieille, et qui se conclut par un geste de générosité de la part du seigneur ; mais la morale
qui ne tient pas compte du contenu particulier de l’histoire.

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- La valeur du récit bref dépend donc de la manière dont il articule le cas d’espèce avec la loi, qui sert de
référence explicite ou implicite : si la situation particulière est présentée comme l’illustration d’une loi
générale, alors prévaut l’exemplarité ; si au contraire, l’objet du récit s’offre comme une exception à la loi, un
cas remarquable en cela qu’il déroge aux règles habituelles de la réalité, ce qui s’impose au contraire est
l’idiosyncrasie.
- Le fait divers hésite entre la singularité et l’exemplarité. D’une part, le lecteur de faits divers s’attend à être
étonné, choqué, révolté ou amusé par les histoires narrées, qui sortent du cours habituel de l’existence :
meurtres passionnels, accidents, actes de violence ou de délinquance… Mais d’autre part, la brièveté du fait
divers est inséparable du recours à des types et des stéréotypes : l’intelligibilité de l’histoire esquissée en peu
de mots repose sur la reconnaissance de types humains (le mari jaloux, le « jeune de banlieue », le banquier
véreux, la femme vénale, la jeune fille outragée, etc.) et de situations stéréotypées (la coïncidence, le coup du
sort, la justice immanente, etc.)

2/ Sujet « Testud »

[La] « finalité moraliste est doublement incompatible avec une poétique de la brièveté. D'abord parce qu'elle
implique une préoccupation didactique, et le didactisme se fonde sur le principe de répétition et sur celui de
la nécessaire clarté du discours. Or la brièveté procède par économie discursive et par ellipse, allusion,
condensation. Ensuite parce que le moralisme s'appuie le plus souvent sur le pathétique : il faut émouvoir le
lecteur pour le rendre accessible à la vertu. Et le pathétique s'exprime dans des tableaux, non dans des actions ;
il est d'essence statique, descriptive ; il joue sur les effets de soulignement, de vision attentive aux moindres
détails d'une situation. »
Pierre TESTUD, « Récit court et brièveté au XVIIIe siècle », Cahiers Forell - Formes et Représentations en
Linguistique et Littérature – De la brièveté en littérature, Publié en ligne le 10 juillet 2012

Le sujet envisage non seulement la visée des textes (ici, la « finalité moraliste ») mais également les moyens
qui, pour P. Testud sont habituellement attendus afin d’atteindre cet objectif (la « préoccupation didactique »
et « le pathétique », qui relèvent donc ici de ce que l’on nomme actuellement les « registres littéraires »).
À cela, Pierre Testud ajoute la question de la « poétique de la brièveté » comme pôle d’analyse des textes.

Or, pour l’auteur de la citation, il existe une incompatibilité de nature entre cette « poétique de la brièveté »
et une visée particulière des textes, la « finalité moraliste ».
Pour expliquer cette incompatibilité, Testud explore les moyens mis au service de la finalité moraliste dans
les textes, et leur oppose les singularités d’une œuvre brève (ici, il est à noter que la « poétique de la brièveté »
pourra donc parfois être convoquée hors du simple « récit bref », même s’il n’est pas question d’abuser de
cette ouverture dans le corps de la dissertation). Ces moyens peuvent se lire de cette manière :

finalité moraliste poétique de la brièveté


préoccupation didactique : absence de préoccupation didactique explicite :
- répétition - économie discursive qui freine voire interdit les répétitions
- clarté du discours - ellipse qui favorise les énigmes.
- allusion qui crée des flottements dans le sens.
® condensation ( resserrement du signifiant qui vient obscurcir le
signifié contre la clarté ou le guidage du sens par soulignement).

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registre pathétique : pas de registre pathétique observable :
- émouvoir ® vertu
- tableaux (statique, descriptif) - s’exprime dans des actions
- attentif aux détails d’une situation + soulignement

è Pour Pierre Testud, le récit bref, en condensant le récit d’actions jusqu’à l’implicite, ne
s’organise pas en fonction de registres didactiques ou pathétiques : il n’a pas pour enjeu la
communication d’une perspective morale.

® Finalement, il apparaît que pour Testud, l’absence de « finalité moraliste » s’observe essentiellement par
l’impossibilité de recourir aux principes du docere ou du movere dans les textes brefs, contraints par leur
économie de moyens. Il ne resterait alors à la brièveté que le privilège du placere, les textes se donnant à lire
comme des objets de plaisir virtuoses, par leur capacité à dire bcp en peu de mots, ou à favoriser l’énigme du
sens. On retrouve là les plaisirs des jeux mondains de l’époque classique qui ont favorisé les petites formes,
expérimentées dans les salons, de l’épigramme, à la devinette, de la maxime à la fable …Les nouvelles en
trois lignes de F. Fénéon s’inscrivent ds cette lignée de prouesses littéraires, par exemple.
® L’impossibilité de la finalité moraliste est étrangement affirmée et fermement argumentée par P. Testud.
En effet, les formes narratives brèves favorisent la dim° didactique et articulent le + svt les formes narratives,
fondées sur la fiction, son corps dirait La Fontaine, à une âme, sa morale ou son enseignement. La négation
de cette visée morale est donc paradoxale, ce que confirme les formes brèves non narratives, et qui ont
largement contribué à la poétique de la brièveté, comme à la réflexion morale au service de laquelle la poétique
de la fragmentation se pensait : pensées de Pascal, maximes d’un La Rochefoucauld, portraits de La Bruyère.
® Par ailleurs, la finalité moraliste n’est pas uniquement dépendante des conditions de possibilité du
didactique et du pathétique qui la fondent, selon P. Testud.
o Ne peut-il y avoir une ambition moraliste qui ne réside pas dans les faits poétiques et rhétoriques énumérés
(répétition et clarté) mais dans les aspects quasi lacunaires pointés et propres au format bref (ellipse,
allusion, condensation) ? La moralité est-elle tjrs délivrée par un discours supplémentaire et clairement
défini ou peut-elle s’expérimenter par le lecteur dans une autre forme plus flottante, contradictoire,
énigmatique, voire fuyante ?
o De même, émouvoir le lecteur, est-ce le fait du seul pathétique ? je pense à un autre langage des émotions
travaillé par les textes brefs, depuis le suspens le plus haletant lié à une dramatisation des actions,
jusqu’aux moments suspendus de contemplation, ou d’étude des choses moindres qui affectent le monde
et l’individu ( le lever de la lune ou du soleil, le brouillard et les variations de la lumière, une eau qui coule,
une herbe mouvante sous le vent, le soleil sur la peau, l’effet d’un mot ou d’un regard…). On peut
également penser aux manifestations émotionnelles telles que le rire, dont Alphonse Allais faisait son miel
pour ses Histoires drôles, Voltaire une des manifestations de ses contes facétieux, et Cioran le signe du
désespoir dans ses aphorismes. Il existe alors d’autres ressorts du pathétique que la forme brève peut
mettre en relief et dont elle peut favoriser l’expérience étant donné son format condensé et lacunaire.
è N’est-ce pas parce que la poétique de la brièveté recrée de nouvelles conditions d’expression et
de narration, qu’elle suscite d’autres émotions et d’autres expériences didactiques, où le sens est
moins livré que questionné, où il s’agit de dé-moraliser pour expérimenter une morale à soi ?

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Plan proposé par notre collègue de Bordeaux :

1. Certes, les propriétés du texte bref l’éloignent par définition d’une « préoccupation didactique »
fondée sur la répétition et le pathétique : le récit bref est apparemment inapte à s’orienter vers une
« finalité moraliste »
1.1. Le texte bref, et plus particulièrement le récit bref, est rarement « statique » ou purement
« descriptif » : il repose sur des actions et non sur des tableaux émouvants aux multiples détails, ce qui
l’empêche de proposer un « soulignement » pathétique servant une visée morale
• P : Sarraute : VI, p. 25-27 : hors de l’importance prise par les « choses », c’est la vitesse de
l’enchaînement des idées qui frappe : le lecteur est entraîné dans le tourbillon d’une accélération incessante
jusqu’à la dernière phrase qui en résume le mouvement (« Il fallait se précipiter, vite, vite, houspillé, bousculé,
anxieux, tout laisser là et se précipiter […] ») : le texte ne déploie pas de discours de commentaire visant à
proposer une vision d’ensemble didactique
• HP : Prévert, Paroles, « La pêche à la baleine » : le poème propose une série d’actions et de situations
absurdes, qui s’enchaînent selon des ricochets (par exemple lorsque Prosper « jette le couteau par terre, / Mais
la baleine s’en empare, et se précipitant sur le père / Elle le transperce de père en part ») et ne cherche pas
vraiment à émouvoir un lecteur plutôt amusé par l’absurdité conceptuelle du propos
® Les actions qui s’enchaînent entre l’incipit et la chute du récit bref freinent une réflexion qu’un tableau figé
aurait pu provoquer : il semble difficile face à une forme brève de s’attarder sur un effet de catharsis conduisant
jusqu’à la « vertu ».
1.2. D’ailleurs, ces actions enchaînées les unes aux autres contribuent à l’« économie discursive » :
la rapidité du propos contraint à l’élimination des répétitions dont l’aspect didactique semble pourtant
nécessaire dans le cadre d’une visée moraliste
• P : La Fontaine, « Les Loups et les Brebis » (III, 13) : le schéma narratif se déroule de façon tout à fait
attendue, puisque seules les victimes (brebis et chiens) semblent s’étonner de ce qu’un louveteau devienne un
loup aussi affamé et cruel que ses géniteurs, et le lecteur reste en simple position d’observation
• P : Michaux : « L’âge héroïque » (p. 61-63) :
® La brièveté, qui ne s’embarrasse ni des « détails d’une situation », ni d’un principe de « répétition »
renforcé par des « effets de soulignement », ne peut donc pas réellement proposer au lecteur un enseignement
efficace et orienté vers la « vertu ».
1.3. Finalement, le système elliptique et allusif propre au récit bref constitue donc bien un obstacle
infranchissable pour qui voudrait recourir aux registres didactique ou pathétique, qui n’ont pas d’espace
suffisant pour déployer leurs détails au service d’une finalité.
• HP : Fénéon, Nouvelles en trois lignes : le système déployé par Fénéon repose sur des raccourcis, des
syntagmes présentés les uns à la suite des autres à l’aide de connecteurs logiques minimaux : l’ensemble fait
sens, mais dans une forme d’immédiateté qui, la plupart du temps, ne provoque pas d’émotion autre que la
surprise et n’enseigne rien
• P : Maupassant : « Les Tombales » : le lecteur qui pense refermer la nouvelle sur une leçon de morale
ou sur des principes moralistes probants est nécessairement déçu puisque malgré son encadrement narratif, la
nouvelle repose sur un enchaînement alerte de péripéties qui ouvrent sur la dérision plus que sur la réflexion :

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le rythme du propos et le processus d’amplification ne jouent ni sur le pathétique ni sur le didactique, mais
plutôt sur la connivence et le plaisir du récit de l’anecdote.
® La valeur d’une « finalité moraliste » semble donc inaccessible lorsque le texte insiste moins sur les
principes du docere et du movere que sur ses seules propriétés de « condensation » dynamique.

Þ La forme brève s’organise généralement autour d’une narration dont la rapidité et l’esprit allusif sont tels
qu’ils empêchent l’enseignement de s’organiser ou l’émotion d’agir : l’instantanéité condensée propre à la
brièveté est inapte à ouvrir le texte sur un discours clairement moraliste.

2. Toutefois, la morale ne se dissout que rarement dans la brièveté : même allusif et narratif, le
texte bref peut montrer une « préoccupation didactique » et/ou s’appuyer sur le « pathétique », ce qui
rend la « finalité moraliste » compatible dans une certaine mesure avec une « poétique de la brièveté »
2.1. La forme brève présente des procédés qui, même de manière sporadique ou éphémère, relèvent d’un
registre pathétique utile à l’édification morale du lecteur
• HP : Baudelaire, Le Spleen de Paris, « Le Gâteau » : après une présentation sous forme d’un bref
tableau d’un paysage idyllique, la bataille des enfants qui se disputent le morceau de pain ouvrent sur le
pathétique du constat final : « Il y a donc un pays superbe, où le pain s’appelle du gâteau, friandise si rare
qu’elle suffit pour engendrer une guerre parfaitement fratricide ! » – la portée morale de l’anecdote relève
presque de l’exemplum.
• P : Michaux : « La paresse » (p. 110-111) : la nage de l’âme, répétée, souligne par des tableaux
successifs le regard d’enfant du paresseux qui réagit avec émotion face au regard de reproche qui lui est
adressé
® Même sans « effets de soulignement » lourds ou « détails d’une situation » développés, la « poétique de la
brièveté » parvient à émouvoir le lecteur par l’intermédiaire d’esquisses nécessitant une lecture sensible.
2.2. L’« ellipse » et l’« allusion », qui éliminent d’un texte tous les éléments superflus, contribuent
alors à orienter le regard sur les actions condensées dont la mention entraîne une activité de réflexion de la
part du lecteur : ce point de vue contraint a une portée didactique qui peut servir une « finalité moraliste »
• P : Maupassant : « Histoire d’une fille de ferme » : les épisodes juxtaposés peuvent paraître dénués
d’émotion, mais chaque étape de l’apprentissage de la servante est riche d’émotions sous-jacentes – le
didactique et le pathétique se rejoignent jusqu’à la générosité finale de l’insertion de « l’éfant » (sic) dans la
famille que Rose accepte ainsi de construire.
• P : Sarraute : XVIII : dans ce tropisme les mentions des personnages sont suffisamment précises (le
chat, la « demoiselle aux cheveux blancs » ou la « cuisinière Ada ») pour que la question du temps et le décor
deviennent le socle d’une réflexion didactique à valeur morale, même si elle n’est pas mentionnée en tant que
telle
® La valeur morale d’un texte émerge aisément lorsque la brièveté concentre didactiquement la lecture sur
l’essence des phénomènes présentés.
2.3. « L’économie discursive » n’est donc pas un obstacle pour la « finalité moraliste » puisque la
« clarté du discours » est accessible grâce à la brièveté.
• P : La Fontaine, « Le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre » (VI, 17) : la brièveté n’empêche pas la
référence au « Chien dont parle Ésope », référence qui offre un éclairage suffisant pour que la morale, située
au début de la fable, fasse sens : l’insistance sur les hommes avant l’exemple du chien permet d’orienter la
lecture par un procédé didactique vers la représentation moraliste du monde
• HP : Perrault, « Le Petit Chaperon rouge » : les deux moralités s’expliquent par la succession
dramatique des actions et le destin de l’enfant : l’émotion pourrait apparaître, et l’aspect didactique est évident
dans ce récit orienté vers sa fin funeste.
Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion.
® Entre émotion et enseignement, la « poétique de la brièveté » ne multiplie pas les procédés mais les utilise
en fonction de la « finalité moraliste » qu’elle recherche.

Þ La « poétique de la brièveté » entraîne l’activité du lecteur qu’elle sollicite par les énigmes de sa
condensation naturelle : en ce sens elle n’est pas véritablement incompatible avec une « finalité moraliste »,
étant donné qu’elle s’approprie les techniques liées aux registres didactiques ou pathétiques qu’elle juge
nécessaires afin de les mettre au service de l’édification morale du lecteur – l’absence d’insistance n’est pas
absence d’existence.

3. En réalité, « l’économie discursive » est même un catalyseur de la visée morale : accentuant le


« pathétique » et le « didactique », les « ellipses » et récits d’action créent des « effets de soulignement »
orientant le lecteur vers la « vertu », point d’ancrage d’une « finalité moraliste »
= Loin d’être incompatible avec une visée moraliste, la poétique de la brièveté l’accentue efficacement.
3.1. Effaçant tout détail inutile, la condensation met en évidence l’essence du discours : non pas
opaque mais claire, elle accentue l’insistance sur la valeur morale de la poétique choisie
• P : La Fontaine : « Le Lion abattu par l’Homme » (III, 10) : le choix du discours rapporté directement
complète la présentation du tableau par une orientation didactique évidente – au lieu de s’appesantir sur
l’aspect pictural de l’objet admiré, il s’agit pour le lion de montrer aux hommes la relativité de leur regard et
la vanité de leur gloire.
• HP : Voltaire : Zadig : dans chacun des chapitres se déroule une historiette dont les détails sont peu
nombreux, mais qui suffit à créer une atmosphère d’apologue permettant au lecteur de suivre Zadig dans sa
recherche du bonheur et de l’accomplissement d’une destinée acceptable (ex : chp 3, « Le chien et le cheval »,
qui aborde la démarche déductive des détectives et permet à Zadig de déployer un art didactique digne d’être
admiré par Astarté, ou chp 11 « Le bûcher » qui utilise la narration et les jeux de focalisation pour mettre en
scène le pathétique en vue de dénoncer une coutume cruelle)
® Ôter d’une forme brève les « tableaux » statiques, et préférer les « allusions » aux « détails », c’est rendre
un texte efficace : la « vertu » qui peut en être l’enjeu est alors directement « accessible » puisqu’elle échappe
aux circonvolutions pathétiques pour se concentrer sur une essence didactique.
3.2. D’ailleurs, le « pathétique » même est accentué, puisque l’ellipse caractérisant la forme brève
rend le lecteur actif : seule une approche dont la finalité est moraliste permet de combler les solutions de
continuité provoquées par les blancs du texte
• P : Maupassant : « La Maison Tellier » : la scène centrale de la communion donne à voir une série
d’émotions représentées, et la proximité entre ce moment de larmes (p. 51) qui se rapproche du tableau de
genre ou d’un procédé du drame sérieux et l’ouverture ou la fermeture de la nouvelle, très pragmatiques,
conduit la question de l’effet produit par le spectacle jusqu’à une perspective moraliste accessible
• P : Sarraute : dans les Tropismes X et XIII, l’attachement au quotidien par la succession d’instantanés
enchaînés donne à la brièveté une acuité singulière, et entraîne le lecteur à tout relire au travers du prisme de
la « petite boulette grise » (p. 43) qui traduit la « finalité moraliste » de l’ensemble
® La « préoccupation didactique » et le « pathétique » se dégagent avec acuité des hiatus et juxtapositions
hardies caractéristiques d’une « poétique de la brièveté » et orientent la lecture vers une « vertu » envisagée
comme valeur de résolution face à la vanité humaine
3.3. Dès lors la « finalité moraliste » apparaît consubstantielle à toute forme de brièveté : les
registres « didactique » et « pathétique », réinventés, visent une appropriation morale par leur
complémentarité discursive
• HP : Chénier, « La jeune Tarentine » : le récit de la mort de « Myrto, la jeune Tarentine » emportée
par les flots se déroule en 30 vers et suffit à présenter une histoire particulièrement pathétique qui relève du
Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion.
moralisme visant à expliquer aux hommes la tragédie du monde – c’est parce que cette noyade remplit le texte
et qu’elle éclipse tout le reste de l’existence du personnage qu’elle peut œuvrer comme un exemplum : insistant
sur l’art du movere elle s’ouvre sur le docere et met en valeur la « vertu »
• P : Michaux : « Le phare obsédant de la peur » (p. 54) : les ellipses et juxtapositions, les allusions
sonores ou la pause narrative devant le « tigre immobile » s’additionnent en quelques lignes jusqu’à l’émotion
ressentie face à l’apostrophe « Ô Peur » et à l’orientation moraliste donnée par l’apposition « Maître atroce ! »
® La « finalité moraliste » est non seulement compatible avec une « poétique de la brièveté », mais elle est
même accentuée par l’« économie discursive » qui insiste sur l’enseignement à en extraire comme par les
silences du récit qui contribuent à émouvoir le lecteur au-delà d’un « pathétique » immédiat, et vers un
moralisme au long terme.

Vers la conclusion
Paradoxalement, c’est lorsqu’il se débarrasse des moyens traditionnels liés à une « visée moraliste » –
didactisme explicite ou lourd pathétique – que le texte bref parvient à « émouvoir le lecteur » efficacement et
à lui enseigner le chemin vers une forme de « vertu » : utilisant ses propriétés que sont l’extrême condensation
ou la narration orientée vers une chute, la « poétique de la brièveté » sert très efficacement une visée morale,
au point que celle-ci en devient sinon la finalité, du moins la fin. Moralité et brièveté apparaissent donc
définitivement consubstantielles, grâce à un emploi des registres didactiques et pathétiques cristallisés jusqu’à
leur essence même. Et le texte bref impose finalement en ce point limite une épure discursive parfaite, mettant
magistralement en évidence l’enjeu moral de la littérature : la « poétique de la brièveté » est pour la « finalité
moraliste » une parfaite litote.

Khâgne Ulm, séance du 14 mai 2020. Lycée Champollion.

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