Actes de la recherche en

sciences sociales

Les effets d'une "éducation totale"

Un collège jésuite, 1960
Monsieur Jean-Pierre Faguer

Citer ce document / Cite this document :

Faguer Jean-Pierre. Les effets d'une "éducation totale" . In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 86-87, mars
1991. Éducation et sociétés. pp. 25-43;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1991.2967

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_86_1_2967

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Resumen
Los efectos de una "educación total".
Este articulo constituído en torno de la monografía de una escuela fundada por los jesuitas en el
distrito 16 de Paris, que contrata principalmente su clientela en la burguesía de los negocios y la
aristocracia, estudia muy particularmente la pedagogía puesta en práctica por la escuela, las
trayectorias profesionales y familiares de la generación de 1961 de sus bachilleres así como sus
estrategias matrimoniales y la división del trabajo familiar entre cónyuges. Se quería así mostrar como
algunas escuelas privadas pueden aparecer como los substitutos del poder familiar, encargados de
transmitir un modelo de educación tanto más homogéneo que los padres comparten con los
profesores una misma concepción del papel de la familia y de la escuela y que por otra parte estos
establecimientos mantienen sus alumnos apartados de todo contacto con los niños originarios de las
otras clases sociales, no solamente durante las horas de clase sino también (y es una de las
"especialidades" de ese tipo de institución) durante la mayor parte de los tiempos libres.

Résumé
Les effets d'une "éducation totale".
Cet article constitué autour de la monographie d'une école fondée par les jésuites dans le 16e
arrondissement de Paris, qui recrute principalement sa clientèle dans la bourgeoisie d'affaires et
l'aristocratie, étudie plus particulièrement la pédagogie mise en oeuvre par l'école, les trajectoires
professionnelles et familiales de la génération de 1961 de ses bacheliers ainsi que leurs stratégies
matrimoniales et la division du travail familial entre conjoints. Il voudrait ainsi montrer comment
certaines écoles privées peuvent apparaître comme des substituts du pouvoir familial, chargés de
transmettre un modèle d'éducation d'autant plus homogène que les parents partagent avec les
enseignants une même conception du rôle de la famille et de l'école et que d'autre part ces
établissements maintiennent leurs élèves à l'écart de tout contact avec les enfants originaires des
autres classes sociales, non seulement durant les heures de classe mais aussi (et c'est une des
"spécialités" de ce type d'institution) durant la plupart des activités de loisirs prises en charge par
l'école.

Zusammenfassung
Die Auswirkungen einer «totalen Erziehung».
Der Artikel, basierend auf der Monographie einer von Jesuiten gegründeten Schule im 16. Bezirk von
Paris, deren Klientel sich hauptsächlich aus der Handelsbourgeoisie und der Aristokratie rekrutiert,
untersucht vor allem die von der Schule praktizierte Pädagogik, die berufliche und familiale Laufbahn
ihrer Absolventen der 61er Generation und deren matrimoniale Strategien sowie die familiale
Arbeitsteilung zwischen den Ehepartnern. Er möchte auf diese Weise zeigen, wie bestimmte
Privatschulen als Substitut für familiale Macht in Erscheinung treten konnen, deren Auftrag darin
besteht, ein Erziehungsmodell zu vermitteln, das um so homogener ist, als die Lehrer mit den Eltern
die gleiche Vorstellung von der Rolle der Familie und der Schule teilen, und daß diese Anstalten auf
der anderen Seite ihre Schüler von jedem Kontakt mit Kindern aus anderen sozialen Klassen
fernhalten, und zwar nicht nur wärhend der Schulstunden, sondern auch (und das ist eine
Besonderheit dieses Typs von Institution) während der meisten der von der Schule ubernommenen
Freizeitaktivitâten.

Abstract
The Effects of a "Total Education".
This article is based on a monographic study of a school founded by the Jesuits in the 16th
arrondissement of Paris, whose clientele is drawn mainly from the business bourgeoisie and the
aristocracy. In particular it studies the teaching methods applied and the professional and family
trajectories, the matrimonial strategies, and the division of family work between spouses, of those
graduating from the school with the baccalauréeat in 1961. It also seeks to show how certain private
schools can be seen as substitutes for family authority, charged with transmitting a model of education
that is made more homogeneous by the fact that the parents share with the teachers the same
conception of the role of the family and the school; and that these schools keep their pupils away from all
contact with children from other social classes, not only during teaching time but also (it is one of the
"specialities" of this kind of school) during most of the leisure activities for which they are responsible.

Pour les générations nées depuis la guerre,
l'expansion scolaire a pu contribuer à la transformation du
champ des carrières professionnelles, même dans le
cas des familles les plus hostiles au monde de l'Ecole,
comme par exemple les familles de l'aristocratie ou
de la bourgeoisie d'affaires pour lesquelles la
transmission du patrimoine n'impliquait pas, tout au
moins avant les années 60, la possession d'un
diplôme. Mais l'Ecole a pu contribuer aussi à la
transformation des enjeux matrimoniaux des familles les
plus attachées aux valeurs traditionnelles de la
famille dans la mesure où la généralisation des études
supérieures à l'ensemble des garçons et des filles des
Le corps
professoral de
Saint -I ouis-dc-
Gon/acue
Illustration non autorisée à la diffusion
■>y.
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classes supérieures a transformé les modes de
rencontre entre les conjoints, la définition des qualités
qui constituent la "qualification" conjugale, et remis
en cause la division du travail familial consacré
respectivement à l'éducation des enfants et à la
profession.
L'existence de collèges privés catholiques qui
se sont maintenus durant toute la période de
l'expansion scolaire à l'abri des transformations de la
clientèle des lycées, n'a pu que renforcer, par exemple,
l'homogénéité sociale de leur clientèle dans la
mesure où ils offraient des contacts interfamiliaux plus
étendus que les marchés matrimoniaux ou de
26 Jean-Pierre Faguer
"connaissances" contrôlés par la famille. C'est ainsi
que ces établissements peuvent apparaître comme
des substituts du pouvoir familial chargés de
transmettre un modèle d'éducation d'autant plus
homogène que les parents partagent avec les enseignants,
du fait notamment de leur attachement aux valeurs
du catholicisme, une même conception du rôle de la
famille et de l'école et que d'autre part ils
maintiennent leurs élèves à l'écart des enfants ayant une
autre origine sociale non seulement durant le temps
consacré au travail scolaire, mais aussi - et c'est une
des "spécialités" de ce type d'institutions - durant la
plupart des activités de loisirs qui sont prises en
charge par l'école, comme le sport, les activités
bénévoles et caritatives, le scoutisme, la chorale.
Pourtant les effets produits par l'extension à
l'échelle d'un établissement d'une partie des tâches
éducatives ordinairement contrôlées par la famille
sont par nature ambigus : si d'un côté ils renforcent
l'homogénéité sociale des relations familiales, d'un
autre côté, ils tendent aussi à dessaisir la famille
d'une partie de son pouvoir de contrôle sur les
conditions sociales de sa propre reproduction. La
délégation à une institution scolaire d'une partie du métier
de parent ne peut que produire des effets différents
selon le pouvoir dont disposent les familles par
rapport à l'institution scolaire. De ce point de vue, les
écoles de la grande bourgeoisie catholique se
distinguent aussi bien des établissements publics de niveau
équivalent que des établissements privés qui ont une
autre clientèle comme, par exemple, pour prendre
deux cas extrêmes, les écoles techniques
d'entreprise, dont l'objectif principal est de former une
main-d'oeuvre "maison" recrutée principalement
dans des familles ouvrières, de techniciens ou de
petits patrons et les écoles "pilotes" qui s'attachent à
satisfaire la "demande" scolaire de la nouvelle
bourgeoisie intellectuelle. Toute expérience
pédagogique a d'autant plus de chance de réussir qu'elle
s'adresse à un public gagné d'avance, c'est-à-dire
partageant avec les enseignants la même conception du
rôle de l'Ecole, conception qui dépend au moins en
partie de la place attribuée par les familles à la
"réussite" scolaire dans leurs stratégies de reproduction
sociale .
Les mécanismes sociaux qui maintiennent,
parfois depuis la prime enfance, les élèves de ces
établissements prives éloignés du monde des lycéens ne
sont pas sans effet sur les frontières des différents
marchés du travail des cadres. La prise en compte de
la personne comme identité sociale non réductible à
son identité scolaire contribue à la reproduction des
qualités "privées" qui constituent l'une des
composantes du capital professionnel non seulement des
cadres diplômés mais aussi de tous les cadres
"maison", qualification, dans leur cas, si difficile à
reconvertir du fait qu'elle a été acquise "sur le tas", dans
une autre entreprise ou sur un autre marché du
travail. De ce point de vue, un esprit d'école a
ordinairement un champ de reconnaissance (au double sens
de visibilité et de légitimation) plus large que tout
esprit "maison". C'est précisément parce que
l'apprentissage est précoce et qu'il s'adresse à la personne
tout entière que les écoles de la grande bourgeoisie
peuvent transmettre un ensemble d'habitudes et
d'obligations, fondement d'une forme de solidarité non
réductible à "l'utilité" des relations et donc
ble de survivre à la prise en compte d'intérêts
strictement économiques.
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les liens
de solidarité entre les élèves d'une école à
recrutement aussi homogène se maintiennent même après
la dissolution d'un groupe, par définition provisoire,
appelé à se dissoudre à chaque étape de la
biographie scolaire. C'est ce qu'illustre, par exemple,
l'existence d'associations d'anciens élèves
particulièrement actives dans les grands établissements privés.
Les enquêtes auprès de ce type d'associations
représentent d'ailleurs un des moyens les plus efficaces
pour entrer en contact avec les milieux les plus
réticents à l'objectivation de leur propre histoire par un
observateur extérieur. Ces associations contribuent,
notamment par l'intermédiaire des bulletins ou des
annuaires qu'elles publient, à la préservation d'un
style de vie, en apparence éloigné de toute
préoccupation professionnelle, mais en affinité avec les choix
matrimoniaux, les activités bénévoles, les loisirs qui
offrent les garanties biographiques les plus sûres
pour réussir une carrière de cadre du privé.
La clientèle d'une école, aussi homogène soit-
elle, reste toutefois suffisamment diversifiée pour
que se pose la question de l'intérêt spécifique de la
réussite scolaire, très variable selon l'importance du
patrimoine familial, par rapport à l'acquisition d'une
formation morale dans laquelle l'éducation
religieuse, l'apprentissage de la vie en groupe et du
bénévolat, l'éducation sportive occupent une place
importante. Ce que les établissements privés ont en
commun et qui risque d'être oublié à cause de la
diversité de leurs méthodes pédagogiques et de leurs
clientèles, c'est précisément une conception de
l'éducation qui ne se limite pas à l'acquisition d'une
formation scolaire ou professionnelle. Pour les parents,
le travail scolaire demeure étroitement lié à
l'acquisition de qualités morales qu'ils revendiquent comme
autant de qualités distinctives par rapport à la
formation dispensée aux élèves de l'enseignement public.
C'est pourquoi toute tentative de réorientation
scolaire ou professionnelle qui s'écarte du destin
ordinaire proposé par l'institution, risque de
s'accompagner d'un processus de reconversion de
l'identité sociale et donc des usages d'une forme de
qualification morale ayant cours non seulement sur
le marché du travail des cadres mais aussi sur les
marchés qui structurent leur vie privée comme les
marchés d'activités bénévoles ou le marché matrimonial.
Une solidarité provisoire
L'enquête réalisée en 1981 par questionnaire
postal, puis complétée par des entretiens
biographiques, compare vingt ans environ après la fin des
études secondaires l'histoire professionnelle et
familiale de bacheliers parisiens formés dans
l'enseignement privé et dans l'enseignement public.
On a essayé de tenir compte dans l'échantillon des principaux
clivages du marché scolaire parisien tel qu'il existait au début des
années 60. L'enquête oppose les élèves des trois classes de
"rhétorique"^ c'est-à-dire de première) de Saint-Louis-de-Gonzague,
école privée du 16e arrondissement, à des lycéens de Louis-le-
Grand et d'Henri IV de niveau équivalent ou de classes prépara-

toires aux grandes écoles ainsi qu'à l'ensemble des lycéens de la
même génération dont nous avons pu retrouver l'adresse qui
habitaient en 1960 le 14e arrondissement et fréquentaient, en
première, un établissement parisien ou de la proche banlieue (1). Cet
arrondissement, pourtant proche du Quartier latin, avait en 1960
la particularité de ne pas posséder de lycées d'enseignement
général pour garçons.
Même si cette enquête ne s'adressait qu'à un échantillon
masculin, c'est la relation entre hommes et femmes, notamment
les modes de collaboration ou de concurrence sur le plan
professionnel et le plan familial qui en étaient l'objet principal : on
voulait comprendre en particulier comment l'accès des femmes aux
études supérieures qui est un des facteurs principaux de la
transformation des enjeux matrimoniaux de cette génération
d'étudiants a pu exercer une influence toutefois très inégale sur la
carrière professionnelle des étudiants entrés dans la vie active
vers 1968. L'Ecole apparaît en effet inséparablement comme un
lieu d'apprentissage professionnel et d'apprentissage social,
préfiguration d'un milieu professionnel et d'un type de collaboration
matrimoniale spécifiques dans la mesure où chaque filière
scolaire de cette époque regroupait des élèves ayant des
caractéristiques sociales, une représentation de l'avenir et des goûts
relativement homogènes impliquant des modes de relation
spécifiques entre les sexes aussi bien du point de vue des liens
"sentimentaux" que de celui des modes de collaboration
professionnelle. Les mécanismes de sélection scolaire peuvent
ainsi se présenter non seulement comme des indices de
qualification professionnelle mais aussi de ce qu'on peut appeler la
qualification sociale et matrimoniale. Il existait en effet, à cette époque
où les femmes des classes supérieures commençaient à travailler,
autant de formes de gestion de la vie matrimoniale qu'il existait
de marchés du travail ouverts aux diplômés de l'enseignement
supérieur. Exemple peut-être le plus significatif, devenir ingénieur
ou professeur conduisait les hommes de cette génération à entrer
sur des marchés du travail exclusivement masculins pour les
premiers et "mixtes" pour les seconds, ce qui n'était pas sans effet sur
la vie conjugale tant du point de vue des circonstances de la
rencontre du conjoint que de la division des tâches familiales, de la
place de la fécondité par rapport aux autres "investissements"
familiaux et, en dernière analyse, du point de vue de la durée
prévisible des liens conjugaux.
Les conditions mêmes de réalisation d'une enquête
par voie postale qui impliquent que les enquêtes
soient sensibles à l'intérêt que représente pour eux-
mêmes la recherche entreprise, du fait notamment
qu'ils sont restés attachés à l'institution dans laquelle
ils ont été formés, permettent d'observer que les
liens unissant une même génération scolaire se
maintiennent d'autant mieux que l'institution accueille un
public plus homogène. Par exemple, le taux de
réponses à l'enquête (qui tient compte à la fois du taux
d'adresses retrouvées plus de vingt ans après la fin
des études secondaires et du taux de réponse au
questionnaire) passe de 38% pour les anciens élèves
de Saint-Louis-de-Gonzague à 22% pour les élèves
des filières scientifiques (premières A' et C ainsi que
math sup) et à 21 % pour les hypokhâgneux de Louis-
le-Grand et d'Henri IV, enfin à 20% pour
l'ensemble des lycéens du 14e arrondissement. Il est vrai que
les grandes classes des lycées, en particulier les
l-Pour tenir compte des effets d'élimination produits par un
examen qui se passait encore au début des années 60 en deux
parties - respectivement en fin de première et de terminale-,
l'échantillon a été constitué d'élèves de première scolarisés dans
le privé et le public en 1959-60 auxquels ont été joints des élèves
de première années de classes préparatoires appartenant à la
même génération scolarisés en hypokhâgne et en maths sup en
1961-62. Plus de 75% des enquêtes sont nés en 1943 et 1944.
Pour reconstituer le marché scolaire des lycées du 14e
arrondissement, on s'est servi de l 'Annuaire des établissements
d'enseignement public, année scolaire 1959-60, service technique de
statistique scolaire, Ministère de l'éducation nationale ; (il
n'existe malheureusement pas de document équivalent, pour la
même année, dans l'enseignement privé).
Les effets d'une "éducation totale" 27
classes préparatoires aux grandes écoles, ne
constituent pas, malgré la très forte homogénéité scolaire
de leur public, un milieu aussi solidaire que celui
d'une école privée, non seulement parce que leurs
élèves ont une origine sociale moins homogène, mais
aussi parce que les effets les plus décisifs de la
sélection scolaire sur le destin professionnel d'élèves qui
attendent l'essentiel de leur position sociale de leur
réussite scolaire, se situent précisément à la fin des
années de préparation. Même si d'anciens
hypokhâgneux interviewés se souvenaient encore du nom
d'un grand nombre de leurs camarades ou de leurs
professeurs et gardaient parfois un souvenir précis
de cette période de leur scolarité (2), ils savaient
rarement ce qu'étaient devenus leurs camarades de
classe qui n'avaient pas suivi la même trajectoire
universitaire et professionnelle.
Tout au contraire, l'ensemble des liens qui
unissent les anciens élèves de Saint-Louis-de-Gon-
zague rappellent que cette école regroupe un public
socialement homogène auquel est proposé le moyen
d'élargir à l'échelle de l'institution le capital de
relations familiales. L'école possède une association à
laquelle appartenaient, encore vingt ans après, plus de
80% des élèves de la génération retenue.
L'association publie un annuaire présentant les élèves par
promotion qui tendrait à rapprocher, de ce point de
vue, cette école d'une grande école si cet annuaire
ne se différenciait pas de ceux des grandes écoles en
attachant une plus grande importance à la situation
familiale qu'à la profession, joignant à la fonction
d'un annuaire professionnel celle d'un équivalent du
Bottin mondain : à côté des diplômes, de la
profession et de l'adresse professionnelle du membre de
l'association, on peut relever le nom de famille du
conjoint, les prénoms des enfants, l'adresse actuelle
de la famille . Trois fois par an, pour Noël, Pâques et
la fin de l'année scolaire, l'association publie une
revue dans laquelle religieux, enseignants, parents,
élèves et anciens élèves ainsi que des "personnalités"
de différents milieux professionnels peuvent
échanger souvenirs et points de vue sur l'évolution de
l'école, derend
"carnet" sa pédagogie
compte des etentrées
de ses
en religion
débouchés.
ou dans
Le
les grandes écoles ainsi que de la naissance des frères
et soeurs d'élèves, des mariages dont certains
unissent, comme on peut s'en assurer en comparant les
noms des conjoints, des familles d'élèves ayant
appartenu à des promotions différentes, ou à la même
promotion par l'intermédiaire des épouses, filles ou
soeurs d'anciens élèves. On y apprend aussi que
l'association
liaison" dont dispose
le but est
d'un
de "service
"créer und'entraide
lien d'union"
et deentre
les anciens élèves et de les inciter "à s'entraider dans
les différentes circonstances de la vie en fonction de
leur situation et de leurs moyens" et à "venir au
secours de leurs anciens camarades en difficulté",
notamment en "facilitant l'éducation de leurs enfants".
2-Certains d'entre eux avaient conservé des photos de classe; un
enquêté, fils d'un professeur de khâgne, possédait même des
films réalisés à l'occasion des fêtes et des rituels qui constituent
tout au long de l'année scolaire un facteur d'intégration
important dans cet univers d'apprentissage des valeurs du monde
intellectuel. Il existe sur la khâgne une littérature autobiographique
importante dont le livre d'André Sernin (L'apprenti philosophe,
roman d'un khâgneux, suivi de rêveries-passions , Paris, éditions
France-Empire, 1981) peut apparaître comme le cas-limite.
28 Jean-Pierre Faguer .
La manière dont l'enquête, réalisée par le
Centre d'études de l'emploi, a été perçue peut
apparaître comme un indicateur utile des différentes
formes de solidarité capables de mobiliser les anciens
élèves d'une même institution scolaire. C'est ainsi
que les enquêtes ont manifesté une attitude
différente à l'égard du questionnaire et de l'entretien
selon leur origine scolaire. Si les anciens élèves de
Saint-Louis-de-Gonzague ont été les plus nombreux
à répondre à un questionnaire, il est vrai parrainé, au
moins formellement, par leur association, ils ont été
en revanche les plus nombreux à manifester une
certaine réticence à la demande formulée dans le
questionnaire d'un entretien complémentaire. Sans
opposer, en général, un refus direct et catégorique
(comme ce fils d'instituteur ancien élève d'un lycée
public, devenu ingénieur puis diplomate, qui
justifiait son refus en indiquant : "vous en savez bien
assez"), ils se montraient plutôt sceptiques sur l'intérêt
d'une enquête qui, apparemment, ne leur apprenait
rien
questions"vraiment qu'ils ne sachent déjà : "trop de
(ingénieur); "ne sachant pas si vous savez ce
que vous cherchez au travers de ce questionnaire, je
me demande ce que vous allez y trouver car il me
paraît bien schématique" (médecin hospitalier); "votre
questionnaire me laisse assez interrogatif et sur la
façon dont vous l'avez présenté, et sur la façon dont
vous pourrez l'exploiter" (ingénieur de gestion,
ancien élève de l'X et de l'ENSAE). S'ils ont été les plus
bienveillants par rapport au questionnaire, c'est
peut-être qu'il s'agissait, au moins apparemment, de
rendre compte de l'aspect le plus objectif, c'est-à-
dire défini du point de vue des critères les plus
institutionnels et donc les moins discutables, de la
carrière professionnelle des cadres en terme de
salaire, qualification, diplômes ou promotion.
Lorsqu'ils acceptaient l'entretien, c'était uniquement sur
le lieu de travail et pendant les heures de bureau,
alors qu'au contraire les anciens lycéens proposaient
presque toujours que l'entretien ait lieu à leur
domicile et souvent en présence de leur conjoint. Cette
mise à l'écart de leur vie familiale par rapport à la
"curiosité" de l'enquêteur et le souci de maintenir le
domaine de l'interrogation sur le terrain strictement
professionnel, manifestent, dans leur cas plus que
dans celui des lycéens, un usage directement infor-
matif de l'enquête. Pour ces derniers au contraire, la
présentation par l'enquêteur d'une photo de classe
était l'occasion de mobiliser des souvenirs et ils
demandaient fréquemment
"résultats" d'une enquête à être
quitenus
prétendait
au courant
rendre
des
compte de la diversité des positions sociales
occupées à quarante ans par les diplômés de leur
génération. Perçue vraisemblablement comme une sorte de
complément utile au Bottin mondain ou à l'annuaire
des anciens élèves, cette enquête pouvait au
contraire apparaître aux anciens de Saint-Louis-de-
Gonzague comme un outil parmi d'autres, pour
"reprendre contact", repérer des relations utiles,
évaluer de manière objective la position sociale de
camarades qui, de toute façon, devaient leur position
sociale moins à l'action exercée par cette école qu'à
l'importance de leur patrimoine.
Un capital social à l'échelle
d'une institution scolaire
Fondée par les jésuites à la fin du XIXe siècle dans
le 16e arrondissement de Paris, l'école Saint-Louis-
de-Gonzague a pu apparaître comme une solution
intermédiaire particulièrement adaptée à la clientèle
parisienne des jésuites, entre l'internat, le pivot sur
lequel était fondée la pédagogie des jésuites, et le
lycée dans la mesure où l'encadrement de l'enfant y
était assuré, au moins jusqu'à une période récente,
pendant toute la durée du temps qu'il ne passait pas
a la maison. On peut lire dans un numéro de la revue
publiée par l'association des anciens élèves une
évocation du contexte scolaire qui a pu inciter les
jésuites à la création d'une école supplémentaire alors
qu'ils possédaient déjà à Paris trois établissements :
"Devant la marche toujours plus sensible de Paris
vers l'Ouest, devant l'émigration de tant de familles
parisiennes vers Auteuil, Passy et Neuilly, les trois
maisons de Vaugirard, de la rue des Postes et de
Madrid avaient décidé une nouvelle création. Ayant mis
quelques fonds en commun -30 000 francs chacune -
Saint-Louis-de-Gonzague, 'le Petit Trocadéro',
ouvrait ses portes le 28 septembre 1894" (3). Dès 1908,
l'école devait remplacer les autres établissements
parisiens de la rue de Vaugirard qui avait un internat,
et de la rue de Madrid, qui passait pour "le Stanislas
de la rive droite, avec quelque chose de plus
aristocratique, de plus vieille société française" (4). Quant
à l'école de la rue des Postes, elle avait été
transférée dès 1901 à Versailles où, depuis, elle offre grâce
à son internat une sorte d'équivalent de Louis-le-
Grand pour la préparation aux grandes écoles à des
familles appartenant, pour une grande part, à la
bourgeoisie ou à l'aristocratie de province, attachées
à l'enseignement privé. Aujourd'hui, Saint-Louis-
de-Gonzague et Sainte-Geneviève de Versailles
sont les deux seuls établissements tenus par les
jésuites dans la région parisienne, chacun ayant une
vocation d'enseignement spécifique et une clientèle
relativement différente (5).
Un ensemble de facteurs liés à la localisation
ainsi qu'aux caractéristiques sociales de la clientèle
de Saint-Louis-de-Gonzague a pu faciliter un
élargissement du capital social accumulé par la famille
sur un marché du travail et un marche matrimonial
sensiblement plus étendus que l'espace des relations
qu'une famille est en état de mobiliser, aussi étendue
soit-elle. Il va de soi que l'homogénéité sociale de sa
clientèle, beaucoup plus forte que celle des lycées
parisiens, même les plus bourgeois, peut s'expliquer
tout d'abord par les "caractéristiques sociologiques
du quartier" pour reprendre la formule d'un
enseignant : à quelques exceptions près, les élèves sont
domiciliés dans les 16e et 7e arrondissements ou dans
3-EntreNous, 218, juin 1963.
4—Les établissements
répertoire topo-bibliographique
des jésuites publié
en France
à l'occasion
depuis quatre
du quatrième
siècles,
centenaire de la fondation de la Compagnie de Jésus, 1540-1940,
sous la direction de Pierre Delattre, s.j., Enghien (Belgique),
Institut supérieur de théologie, Wetteren (Belgique), imprimerie de
Meester frères, 1955.
5-Selon la revue Entre Nous, les jésuites possédaient en France
en 1962 vingt collèges regroupant 12.248 élèves et quatre écoles
supérieures avec 1.251 élèves.

Illustration non autorisée à la diffusion
"L
d'entreprises (6). Mais c'est vrai aussi des lycées implantés
dans les "beaux quartiers" comme Janson-de-Sailly,
Claude-Bernard ou Pasteur. Il faut tenir compte,
avant tout, de l'action d'homogénéisation exercée
par un système pédagogique qui lie étroitement
éducation scolaire et éducation religieuse, mobilisant
autour d'une conception commune de la morale
familiale un ensemble de familles plus large que ce que
peuvent représenter les relations de quartier, les
relations professionnelles ou les relations de loisirs, et
plus uni dans la mesure où ces familles sont
socialement plus "équivalentes" et donc a priori plus
disposées à se lier et à s'entraider que les parents d'élèves
d'un lycée de même taille : au début des années 60,
Saint-Louis-de-Gonzague accueillait environ
1400 élèves, ce qui correspondait à un millier de
familles, pour la plupart parisiennes depuis plusieurs
générations. La majorité des élèves appartenaient à
des familles nombreuses, souvent de plus de six en-
6-M. Pinçon, M. Pinçon-Chariot, Dans les beaux quartiers, Paris,
Seuil, 1989. D'après une enquête sur "la classe dirigeante" qui
s'appuie sur des données du Who's who recueillies à trois
moments différents (1954, 1964 et 1974), la part de l'échantillon
habitant le 16e arrondissement de Paris en 1964 était de 21%, celle
des Hauts-de-Seine, "essentiellement concentrée à Neuilly et
Saint-Cloud", 6%, in P. Birnbaum, La classe dirigeante française,
dissociation, interprétation, intégration, Paris, PUF, 1978.
Les effets d'une "éducation totale" 29
quartiers, une grande variété d'institutions privées pour
les filles : Sainte-Marie de Passy et Sainte-Marie de
Neuilly, le cours Maintenon, l'école de la rue de
Lübeck, de la rue de la Tour, etc., dans lesquelles ont
été scolarisées presque toutes les sœurs des
enquêtes (7). Différence notable par rapport aux
générations de femmes de sept ou dix ans plus jeunes, elles
y ont reçu une éducation qui les préparait moins à
"entrer dans la vie active" qu'à acquérir les qualités,
nécessaires selon l'expression d'un enquêté, pour
"les filles à marier" en suivant par exemple la filière
des "humanités féminines" plutôt que celle qui
conduisait au bac (8).
Le marché de l'enseignement privé mêle à des
critères de proximité sociale des demandes familiales
relativement spécifiques liées à la difficulté d'assurer
le travail familial de transmission (familles nom-
7-M. de Saint Martin, Une "bonne" éducation, Ethnologie
française, 1, 1990.
8-En se basant sur l'établissement scolaire fréquenté par les
frères des élèves de Sainte-Marie appartenant à une génération
relativement plus jeune (nées en 1955 et 1956), environ un tiers
des frères avaient fait leurs études secondaires dans l'école
étudiée ici (appelée soit Saint-Louis-de-Gonzague, soit Franklin du
nom de la rue où elle est située), B. Le Wita, Ni vue, ni connue,
approche ethnographique de la culture bourgeoise, Paris, Editions
de la Maison des sciences de l'homme, 1988.
30 Jean-Pierre Faguer
La
transformation
de l'esprit de
l'école hier
III. — ES'PRIT DE L'ECOLE
L'École Saint-IiOuis-de-Gonzague se fait un
vue
aux
Illustration non autorisée à la diffusion
de
ni
tels
de
les
breuses, parents
extrêmes). De ce point
jésuites se différencie
d'enseignement
enseignement privé non
mettre en valeur
donnant une place
contacts avec le monde
notamment de ces établissements, équivalents
du préceptorat en milieu scolaire, qui offrent, depuis
que l'école est devenue obligatoire, la possibilité de
pratiquer d'autres activités parallèlement au travail
scolaire, en proposant aux élèves" un cadre de
socialisation par l'école, mais sous une forme plus
libérale, plus assouplie du point de vue des contraintes
et des horaires. Tout d'abord, en choisissant
l'internat, les familles des quartiers bourgeois de la rive
droite avaient le choix d'une offre beaucoup plus
large que celle de l'espace parisien. Le collège tenu
par les oratoriens à Juilly en Seine-et-Marne ou le
collège des Roches en Normandie sont peut-être,
dans deux genres très différents, les exemples les plus
connus (9). Un inventaire plus suggestif
qu'exhaustif des différentes possibilités d'enseignement privé
pour garçons permet tout au moins de relever que
les critères de "l'offre" devaient en fait tenir compte
de la concurrence entre les différentes fractions des
9-Juilly, 1177-1977, huit siècles d'histoire, Présentation
chronologique, l'abbaye, l'académie, le collège par Jacques de Givry,
prêtre de l'oratoire, ancien élève (1921-1929), ancien supérieur
(1946-1954) du collège de Juilly, 77230 Dammartin-en-Goele,
1976.
et aujourd'hui
CHARTE
I. Les
L'Evangile de
. Notre action
l'Evangile de
. Il est une bonne
de
Illustration non autorisée à la diffusion
et
p.
et morales étaient
part, peu
de la ségrégation
aux effectifs en
Hatmer par
à un enseignement
mêlant étroitement les parents - en l'occurrence
surtout les mères - à la vie de la classe. On peut
mentionner aussi des établissements comme Gerson qui
permettait de concilier l'encadrement d'un
établissement privé avec l'enseignement du lycée Janson (il
existait une forme équivalente de collaboration
entre le privé et le public entre Montaigne et Bos-
suet dans le Quartier latin). Et s'il existait des
établissements de taille et de réputation équivalentes à
celles de Saint-Louis-de-Gonzague dans le
périmètre des quelques stations de métro qui relient Au-
teuil, Passy et Neuilly, mais dans une optique
pédagogique différente de celle des jésuites, tels que
Sainte-Croix de Neuilly, Sainte- Marie de Monceau,
il ne faut pas perdre de vue les nombreuses offres de
scolarité qui correspondaient à autant de demandes
d'un "rattrapage" dont la raison n'était pas scolaire
uniquement. Par exemple le collège du Montcel, si
on en croit Patrick Modiano, né en 1945 et ancien
élève de ce collège, proposait dans la banlieue ouest
et dans un cadre de "collège suisse" une sorte de
substitut de la vie de famille à des adolescents
abandonnés à eux-mêmes par des familles détruites ou dont
les parents vivaient à l'étranger ou séparés (10). Par
rapport à tous ces exemples d'enseignement privé,
 Les effets d'une "éducation totale" 31

Saint-Louis-de-Gonzague occupait une position
moyenne : il conciliait les effets d'un travail
d'éducation contrôlé très étroitement par la famille avec les
effets d'inculcation scolaire d'un système
d'encadrement permettant, autant qu'il est possible en milieu
urbain, d'éloigner l'enfant des "dangers" du monde.
La clientèle de Saint-Louis-de-Gonzague se
distingue de celle des filières littéraires ou
scientifiques des lycées du Quartier latin, non seulement du
point de vue religieux mais aussi par un ensemble de
variables qui mettent en valeur, à la fois,
l'appartenance à des fractions différentes des classes
supérieures et des usages différents de la vie familiale,
variables dont la différence d'attitude à l'égard de la
fécondité ou du travail des femmes sont peut-être les
indicateurs les plus significatifs. En 1959-60, près de
neuf élèves sur dix des trois classes de rhétorique de
Saint-Louis-de-Gonzague étaient fils de cadres
supérieurs, de membres des professions libérales ou de
chefs d'entreprises alors que moins de 5% seulement
d'entre eux avaient un père professeur. Dans les
deux lycées du Quartier latin retenus pour cette
enquête, l'ensemble des élèves originaires des classes
supérieures, fils de professeurs exceptés,
représentaient près de 66% des élèves de première A' et C et
respectivement 53 et 47% des élèves d'hypokhâgne
et de maths sup. Inversement, le pourcentage de fils
de professeurs et d'instituteurs atteignait 20% en
première et 16% pour chacune des deux filières de
préparation aux grandes écoles. Si à Saint-Louis-de-
Gonzague, près de neuf mères d'élèves sur dix
n'avaient jamais travaillé, c'était le cas d'un peu plus de
deux mères sur trois parmi les élèves d'hypotaupe et
d'un peu moins d'une mère sur deux parmi les hypo-
khâgneux (très souvent il s'agissait d'enseignantes :
un quart des hypokhâgneux avaient en effet une
mère professeur ou institutrice).
10-P. Modiano, De si braves garçons, Paris, Gallimard, 1982.
De fait, la part des enquêtes qui sont restés
catholiques pratiquants ou qui appartenaient à des
familles nombreuses ainsi qu'à des familles dans
lesquelles la mère n'avait jamais travaillé, diminue à
mesure que l'on passe de la clientèle de Saint-Louis-
de-Gonzague à celle des classes scientifiques puis
littéraires des lycées, c'est-à-dire à mesure que l'on
passe d'un public scolaire dont les familles
appartiennent à des fractions des classes supérieures proches
du pouvoir économique à des fractions liées à la
fonction publique et à l'enseignement. Dans ces familles,
dont plus de deux fois sur trois les grands-parents
paternels et maternels appartenaient déjà eux-mêmes
aux classes supérieures, on peut relever un ensemble
d'indicateurs qui rendent compte des liens directs ou
indirects qu'elles ont conservés avec le monde
industriel : près de neuf enquêtes sur dix avaient soit un
père, soit un grand-père paternel ou maternel chef
d'entreprise, cadre de l'industrie, "financier" ou
"homme d'affaires". Un père sur trois était ingénieur
ou titulaire d'un titre d'ingénieur. Près d'un sur deux
était passé par une grande école scientifique ou
commerciale, Sciences po, Saint-Cyr.
L'évocation de quelques noms d'anciens
élèves suffit à montrer que la destinée de cette école
(ou de celle de la rue de Vaugirard à laquelle elle a
succédé et avec laquelle elle a conservé des liens par
l'intermédiaire d'une association commune des
anciens élèves) est longtemps restée liée à celle d'une
partie de ce que certains enquêtes appellent la
"classe dirigeante".
"L'annuaire des anciens de Franklin et Vaugirard" mêle des noms
de personnes ou même de dynasties familiales qui ont joué, au
moins depuis l'avènement de la Troisième République, un rôle
important dans la vie politique ou économique et qui
appartenaient à la grande bourgeoisie catholique et à l'aristocratie (Bro-
glie, Montalembert, Monstesquiou, Polignac, La Rochefoucauld,
Vogué); il contient en revanche très peu de noms d'artistes,
d'écrivains ou de professeurs ainsi que d'hommes politiques de
gauche, pour une période, il est vrai, qui précède l'arrivée du par-

enquêtes autres
1ères* enquêtes classes** Tableau 1
du 14e arrondisst* prépa. Origine sociale
aCD des bacheliers parisiens
tÁ N ï>
cées latin —û c .-TE Ü
'3 ra 11
.

¿:> cr 11 VUC3 ¿JO i— O ■1* O H r-H )— 1— l-l-l

.

CSP du père
)

industriel 9,7 4,4 10,0

5,0 9,8 27,6 12,0 6,4 2,0
professions libérales 4,2 11,1 2,9 9,8 18,4 10,7 11,7 9,8
cadres supérieurs,
ingénieurs 29,2 23,3 30,0 20,6 45,9 41,8 33,1 35,1 35,3
professeurs 15,3 6,7 - 2,9 6,6 4,1 6,9 12,8 9,8
instituteurs 9,7 14,4 - 2,9 13,1 1,0 8,0 3,2 5,9
cadres moyens 18,1 15,6 15,0 26,5 8,2 - 11,7 9,6 2.0
artisans,commerçants 6,9 7,8 5,0 5,9 1,6 - 4,3 3,2 9,8
employés 5,6 8,9 20,0 23,5 3,3 - 6,9 8,5 13,7
ouvriers 1,4 3,3 5,0 8,8 - 1,0 2,4 3,2 5,9
agriculteurs - 1,1 - - - 0,3 4,3 2.0
NR - 3,3 10,0 5,9 1,6 6,1 3,7 2,1 3,9
total 100 100 100 100 100 100 100 100 100
effectifs 72 90 20 34 61 98 375 94 51
Les pourcentages qui portent sur l'ensemble des élèves retenus dans cette enquête ont
été établis à partir de la profession du père indiquée sur les fiches d'anciens élèves
conservées par chaque établissement.
♦Elèves de 1ère, 1959-1960
**Elèves d'hypokhâgne et d'hypotaupe, 1961-1962
32 Jean-Pierre Faguer
ti socialiste au pouvoir. Contrairement aux écoles privées de la
rive gauche comme l'Ecole alsacienne, Stanislas, ou même des
établissements de la rive droite comme Sainte-Croix de Neuilly
qui compte, par exemple, Montherlant parmi ses anciens élèves,
on ne relève le nom d'aucun écrivain ou universitaire connu
(Philippe Ariès, qui n'a d'ailleurs fréquenté que peu de temps cet
établissement et dont la carrière universitaire a été une carrière
marginale, est l'exception). Dans le champ intellectuel, l'école a
formé plutôt des journalistes - et plutôt du côté de l'économie -
ou des patrons de presse que des professeurs ; c'est le cas
notamment de Jean-Louis Servan-Schreiber (qui est passé ensuite par
l'hypokhâgne de Louis-le-Grand avant de faire Sciences po), et
dans le champ politique, plutôt des membres de l'ancienne
majorité politique (François Missoffe, Michel Poniatowski qui se
réclame d'ailleurs dans le Who's who de l'Ecole des Roches
uniquement), et des officiers souvent eux-mêmes fils d'officier
(Général Massu). Pour la génération qui nous intéresse ici, les
nommes politiques de gauche ont fréquenté plutôt les lycées que
les établissements privés, ceux du 16e arrondissement lorsque
leurs parents habitaient les "beaux quartiers", puis les lycées du
Quartier latin s'ils ont préparé des grandes écoles (Janson pour
Jacques Attali, Janson puis la khâgne de Louis-le-Grand pour
Laurent Fabius). Les écoles privées de tradition libérale et
protestante comme l'Ecole alsacienne (Michel Rocard) sont
l'exception. Si Philippe Noiret est ancien élève du Collège de Juilly dont
le régime libéral convenait très bien aussi aux familles d'artistes
ou du spectacle, les représentants les plus connus du journalisme
télévisé et du monde du spectacle sont nombreux à avoir
fréquenté des établissements comme le Cours Hatmer (Anne Sinclair)
(11) ou l'Ecole alsacienne (Michel Piccoli) qui présentaient le
double avantage, pour les carrières qui exigent de la précocité,
d'être des écoles mixtes à régime souple.
Rien d'étonnant qu'à l'époque du gaullisme, le général
De Gaulle, ancien élève de 1901 à 1906 de l'école de Vaugirard
(où son père a été lui-même ancien élève, préfet des études et
enseignant), soit apparu comme un représentant emblématique de
la classe dirigeante pour une association d'anciens élèves à
laquelle il avait d'ailleurs tenu personnellement à s'affilier (lettre
envoyée à l'association en juillet 1960 et publiée dans la revue de
l'école).
Séparés le plus souvent dès le primaire, à la fois des
garçons appartenant aux autres classes sociales, ce
qui n'aurait pas été le cas s'ils avaient été scolarisés,
par exemple, dans un lycée d'un autre
arrondissement parisien, et des filles de leur "milieu" scolarisées
dans des écoles religieuses, les élèves ne pouvaient
que subir plus fortement l'influence de la morale
familiale. La réussite scolaire était inséparable de
l'obéissance aux parents. Comme le dit un ancien élève,
"on jouait le jeu parce qu'on n'avait pas le choix (...);
il y en a qui n'arrivaient pas à suivre et qui étaient
éliminés, il y en a qui, probablement, n'ont pas voulu
jouer le jeu, et qui ont été éliminés pour des
problèmes de discipline. Je crois que pour ne pas jouer
le jeu, à notre époque, il fallait avoir un caractère
terrible (...), et puis il y avait la famille aussi. C'est
toujours la même chose. A partir du moment où il y a les
parents qui se privent pour nous envoyer dans des
bonnes boîtes, on a un petit peu de remord si on ne
bosse pas et on nous le fait plus ou moins sentir".
On voit que dans l'enseignement privé les mécanismes de la
sélection scolaire n'ont pas les mêmes effets sur les liens familiaux
que dans les établissements publics de niveau comparable,
comme c'est le cas dans cette enquête, par exemple, pour les
diplômés d'origine populaire ou provinciale qui ont dû franchir une
frontière sociale à chaque étape de la trajectoire scolaire. Le
passage du primaire à la sixième (qui, jusqu'à la rentrée de 1957, était
11-Une émission û'Avis de recherche animée par Patrick Saba-
tier sur TF1 rassemblait, il y a quelques années, des anciens élèves
du cours Hatmer aussi différents qu'une vedette de la musique
de variété (Véronique Sansón), une représentante de
l'aristocratie et une journaliste célèbre de la télévision (Anne Sinclair).
contrôlé par un examen à bien des égards équivalent d'un
véritable concours (12)), de la troisième en seconde et du bac en classe
préparatoire correspondait en effet pour les bacheliers de
première génération moins à une séparation provisoire, comme
c'était le cas de la séparation des sexes dans les établissements
scolaires qui ne connaissaient pas encore la mixité, qu'à un
processus continu de "déviation" du destin social par rapport à celui
des frères et soeurs et plus largement par rapport à celui des
camarades du primaire ou du quartier.
On peut l'observer en comparant les trajectoires scolaires
des élèves de Saint-Louis-de-Gonzague avec celles des lycéens
parisiens ayant participé à cette enquête. Pour les lycéens
originaires du 14e arrondissement de Paris qui ne possédait pas à cette
époque de lycées d'enseignement général, l'entrée en sixième
avaient accentué les effets de désagrégation des liens de voisinage
du fait qu'ils avaient dû continuer leurs études dans d'autres
arrondissements ou en banlieue. La part des élèves appartenant aux
classes populaires ou aux fractions des classes moyennes dans
lesquelles les parents n'avaient pas fait d'études au-delà de la
troisième, varie selon la localisation des établissements (elle était
moins forte dans les établissements du Quartier latin, par
exemple, que dans ceux des arrondissements limitrophes), leur
réputation et la filière du bac. Une partie des élèves habitant le 14e
arrondissement, principalement enfants de cadres supérieurs et
de professeurs, fréquentaient depuis la sixième des
établissements privés souvent réputés comme Stanislas (13), l'Ecole
alsacienne ou bien les lycées du Quartier latin. Après avoir fait du
latin, parfois du grec, ils se retrouvaient au moment du bac dans
des classes dont la grande majorité des élèves appartenaient à
la même catégorie sociale. Les enfants de cadres moyens, de
techniciens, d'instituteurs, d'artisans et de commerçants ainsi
que les quelques enfants des classes populaires entrés au lycée
soit en sixième soit après le BEPC, constituaient en revanche à
peu près la moitié du public de première dans les lycées autres
que ceux du Quartier latin et plus des deux tiers des élèves des
établissements techniques longs. Ils étaient les plus nombreux à
n'avoir pas fait de latin et le fait d'être passés par exemple par un
CEG les avait contraints à préparer un bac M ou M' parce qu'ils
n'avaient étudié qu'une seule langue vivante, et à s'orienter pour
la deuxième partie du bac vers les sections sciences-ex ou
technique, sections qui n'existaient pas à Saint-Louis-de-Gonzague.
Enfin, pour cette génération contemporaine de
familiales"
l'expansions'est
scolaire,
accompagnée
la disparition
d'une des
restructuration
"affaires du
monde économique impliquant une transformation
de la définition de chef d'entreprise et des enjeux
scolaires et sociaux pour accéder au pouvoir
économique (14). Le passage d'un état de concurrence
entre des entreprises "privées" à un système de
production plus étroitement lié à l'Etat rend de plus en
plus nécessaire l'acquisition d'une compétence
professionnelle qui reçoit sa légitimité du système
scolaire et qui implique la prise en compte de nouvelles
formes de capital social et de nouveaux usages de la
parenté. A Saint-Louis-de-Gonzague, les élèves
12-Comme le précise l'article 9 de l'arrêté du 8 septembre 1948
(modifié par l'arrêté du 16 mars 1948), l'examen d'entrée en
sixième (qui était en même temps un examen pour l'obtention
des bourses) constituait, en tout cas dans les lycées les plus
recherchés, un véritable concours : "Dans chaque établissement
une commission, présidée par le chef d'établissement (...) au vu
des notes et après examen des dossiers scolaires, établit dans la
limite des deux tiers des places disponibles, une liste des
candidats dont elle prononce l'admission dans l'établissement", in
Nouveaux horaires et programmes de l'enseignement du second degré,
dix-neuvième édition, librairie Vuibert, 1956, III, admission dans
les classes. Il faut tenir compte aussi du fait que la plupart des
grands lycées parisiens de cette époque avaient conservé leurs
classes élémentaires. Une carrière de lycéen pouvait se préparer
dès le cours préparatoire.
13-Sur le collège Stanislas des années 50, on peut lire A.
Besançon, Une génération, Paris, Julliard, 1987.
14-P. Bourdieu, M. de Saint Martin, Le patronat, Actes de la
recherche en sciences sociales, 20-21, mars-avril 1978, pp. 382..
 Les effets d'une "éducation totale" 33

pouvaient partager dès la petite enfance, puisque la bacs philo et math'élèm, le bac sciences-ex et a
scolarité s'y déroule du début du primaire jusqu'à la fortiori le bac technique n'étant pas considérés comme
terminale -c'est-à-dire durant une période beaucoup compatibles avec ce type de formation) la mise en
plus longue et plus décisive pour la constitution d'un œuvre de modes de reconversion permettant de
esprit de groupe que ce qui est le cas pour les élèves rentabiliser des formations qui commençaient à se
d'une grande école - une même expérience de la vie dévaluer, soit sur le marché du travail du secteur privé,
sociale : originaires de la bourgeoisie industrielle, du soit sur le marché du travail, alors en train de se
monde des affaires ou de l'aristocratie, ils étaient développer, des emplois intermédiaires entre l'Etat et
unis, semble-t-il, par une même conception de le monde des entreprises. La force d'intégration
l'avenir social et du role imparti à la famille dans le familiale a permis, dans ce cas, semble-t-il, de
processus de formation qui, tout en incitant à la préocité maintenir au-delà des clivages de l'orientation scolaire les
scolaire, les maintenait à l'abri de toutes les autres membres d'une même famille étroitement solidaires
formes de précocité (15). des intérêts familiaux même lorsque leur orientation,
comme c'est le cas de la plupart des littéraires, les a
conduits à choisir une profession apparemment
éloignée de leur milieu d'origine.
Les effets produits par la séparation du milieu
Une pédagogie de l'homme total lycéen sont, on le voit, dans une institution de ce type
renforcés par une pédagogie visant à encadrer non
Parce qu'il s'exerce à plein temps et mêle seulement le temps scolaire mais aussi l'ensemble
étroitement l'action pédagogique des parents à celle des des "temps libres", ce qui apparente un tel travail
enseignants, le modèle de formation mis en pratique d'inculcation à l'action que l'Ecole, les mouvements
par une école comme Saint-Louis-de-Gonzague de jeunesse et les mouvements socio-éducatifs
tend à séparer les élèves de l'univers scolaire mais exercent simultanément sur les enfants d'autres fractions
aussi extra-scolaire des lycéens. Il exerce ainsi une des classes supérieures ou moyennes. L'institution
influence durable sur leur biographie, même si leur prend en charge l'élève pendant tout le temps qu'il
trajectoire ultérieure, pendant leurs études supérieures ne passe pas dans sa famille si bien qu'il reste soumis,
ou leur vie professionnelle, peut les rapprocher des au moins de manière indirecte, à l'influence
anciens élèves de l'enseignement public et leur faire familiale, les enseignants étant chargés d'un travail de
partager une même "expérience de génération".
Les liens entre la famille et l'école se
manifestent tout d'abord par la place accordée à une Tableau 2 fT
pédagogie qui, en s'attachant "à prendre en compte la Trajectoire scolaire Ü il
personnalité complète des enfants", prolonge en et éducation familiale c
milieu scolaire le travail d'éducation familial. L'absence O en SsôT ifiquci n
selon la filière scolaire J " ci | :pa.
presque totale de divorces, un nombre sensiblement .SP autre; lèrc( scient pr£ let re,
plus élevé d'enfants que dans les autres familles de HIV dt
cadres parisiens (même si ce nombre est réduit de bilan études secondaires
plus de la moitié par rapport à la génération de leurs mention au bac 38 45 86 25 56 71
parents), enfin une division des rôles entre les à l'heure au bac 78 82 89 64 90 89
échec 1er ou 2e bac 11 21 29 13 4
conjoints qui s'appuie sur la priorité accordée à la scolarité 2daire normale* 49 36 39 43 52 46
carrière professionnelle du mari même lorsque son section 2e bac
épouse travaille et a fait des études supérieures, tels philo 38 12 51 32 4 75
sont peut-être les traits les plus marquants du mathélem 57 76 39 36 85 14
sciences ex. 5 12 18 4 4
maintien parmi les enquêtes, restés par ailleurs dans leur technique 3 - - 14 10 -
majorité catholiques
"familialiste" de la vie pratiquants,
familiale (16).d'une conception orientation post-bac
pas de projet en terminale 14 12 32 25 19 36
Mais ces liens se manifestent aussi dans un prépa. : 2 ans et + 30 52 79 14 67 64
niveau scolaire
système d'orientations qui s'opposait à la hiérarchie des bac, début et. sup. 5 9 4 32 4 4
filières en vigueur dans les années d'après-guerre licence 51 30 4 54 37 18
avec la prépondérance du bac philo. Ils incitaient les gde école, agrég. 43 61 93 14 60 79
élèves, pourtant formés dans le système des position sociale de la famille et éducation
humanités classiques (tous ont fait du grec au moins jusqu'en père cadre sup., prof. lib. 92 61 43 36 65 16
père enseignant 8 27 29 14 15 29
troisième et du latin jusqu'en terminale), à préparer gd-père pater. c. sup. 68 27 25 18 40 18
les concours d'entrée dans les grandes écoles père gde école 62 42 46 18 46 43
d'ingénieurs ou de commerce, à Sciences po, à faire des mère inactive 86 58 50 36 71 46
études de médecine, "anticipant" la transformation mère enseignante 3 18 21 11 13 25
famille 1 ou 2 enfants 24 33 39 68 42 36
de la hiérarchie des orientations apparue après 1968 catho. pratiquant 65 33 25 36 40 29
avec la suprématie du bac C. Enfin, on peut observer frère ou soeur gde école, agrég. 76 55 39 25 54 46
parmi les littéraires qui n'ont pas changé a quitté parents avt 20 ans 22 15 50 39 29 57
d'orientation après le bac philo (l'école ne préparait qu'aux scoutisme 46 27 43 32 33 16
«éducation libre» 14 24 29 43 25 21
sport, nature 70 58 46 71 62 54
camarades études enseignant 14 42 50 29 17 64
15-De 70 à 90% des élèves de terminale étaient, selon la revue
Entre Nous, déjà ensemble en sixième (période 63-65). *sans redoublement ni changement d'établissement ou de
16-R. Lenoir, L'effondrement des bases sociales du familialisme, section entre la 6e et la terminale
Actes de la recherche en sciences sociales, 57-58, juin 1985, pp. II faut lire : sur 100 anciens élèves de Franklin, 38 ont obtenu une
69-88. mention au bac.
34 Jean-Pierre Faguer
transmission du savoir scolaire, essentiellement
fondée sur l'acquisition "d'habitudes" à partir d'exercices
répétitifs, ainsi que de transmission des valeurs
éducatives auxquelles sont attachés les parents. Si les
parents ont choisi cette école, là-dessus, les anciens
élèves sont d'accord, c'est surtout parce qu'elle
prolonge l'influence éducative de la famille durant tout
le temps où l'enfant n'est pas sous les yeux des
parents : "les familles confiaient complètement leurs
enfants à l'institution"; "c'était un régime très strict
qui indiscutablement favorisait le travail, mais
favorisait très peu la créativité (...), un régime très
militaire où on ne s'intéressait guère à la psychologie";
"pour mes parents, c'était surtout le niveau, ils me
disaient, 'là au moins tu seras coincé pour travailler'
tandis qu'au lycée, on n'est pas assez contrôlé, pas
assez encadré".
L'encadrement concerne tout d'abord le
travail scolaire avec études obligatoires après la classe
consacrées aux devoirs qui, dans d'autres écoles, se
font au contraire à la maison, et un système
d'émulation qui évoquerait les conditions de travail et de
contrôle en vigueur dans les classes préparatoires
aux grandes écoles (interrogations et exercices
presque quotidiens, compositions tous les mois, concours
blancs en fin de trimestre, etc.), s'il ne tenait pas
compte explicitement tout autant de "l'effort" que de
la valeur "scolaire" d'un travail.
On peut lire dans le règlement de l'école qui était en vigueur dans
les années 50 qu'"au Grand, au Moyen et au Petit Collège, les
devoirs sont faits à l'Ecole et achevés pour la fin de l'étude du soir.
Pour les classes du Baccalauréat, plus de latitude est admise pour
certains devoirs qui exigent un effort spécial de préparation et de
rédaction. En sixième, l'étude du soir est suivie immédiatement
d'une classe consacrée à la correction du devoir qui vient d'être
fait. Les devoirs sont toujours remis aux élèves après la
correction et les Parents peuvent en exiger la présentation (...). Les
compositions sont annoncées à l'avance dans le règlement imprimé
(...). Un système d'interrogations hebdomadaires est organisé
pour les élèves qui préparent la Ire ou la 2e partie du
Bac alauréat (...). Pour les classes de Sixième à Quatrième, il est prévu des
études spéciales ou études dirigées pour les élèves ayant plus
spécialement besoin d'être guidés et soutenus dans leur travail. Ces
études ne sont ni des classes supplémentaires ni des répétitions,
mais une initiation au travail méthodique. Elles sont dirigées par
le Professeur principal et ne groupent que 4 à 8 élèves au plus".
Cette conception de l'encadrement du travail
scolaire qui s'attache au moins autant au contrôle de la
personne qu'au travail proprement dit, et qui
accorde une place essentielle aux exercices répétitifs
effectués en classe ou pendant les études, s'oppose
à celle d'autres écoles privées comme, par exemple,
l'Ecole alsacienne fondée, elle aussi, au début de la
Troisième République, mais par des universitaires et
des industriels protestants dont les principes
éducatifs ont d'ailleurs influencé les réformateurs du
système d'enseignement des années 1880. Dans un livre
consacré aux premières années de cette école (17),
le directeur actuel souligne que "la tendance à
l'Ecole alsacienne aurait été d aspirer à une
discipline sans obligation ni sanction. Une abbaye de
Thélème où chacun pût agir en toute liberté, dans la
mesure où il ne portait atteinte à la liberté d'aucun
17-G. Hacquard, Histoire d'une institution française : l'Ecole
alsacienne, naissance d'une école libre, 1871-1891, Paris,
Jean-Jacques Pauvert aux Editions Garnier, 1982.
des autres partenaires. Cette philosophie n'est pas
éloignée de celle que l'on professait dans les Friend
Schools anglo-saxonnes inspirées par les quakers".
Les fondateurs étaient hostiles à un système de
sanctions positives ou négatives pour "motiver" l'élève
("s'il a compris le but de son effort, il est déjà
récompensé par cet effort même, puis éventuellement par
son résultat"). Ils voulaient atténuer les effets de la
compétition scolaire : "Nos élèves ont le sentiment
qu'ils peuvent toujours, tous et sans exception,
obtenir la mention très bien. Il en résulte qu'il ne peut se
former chez nous de ces séries d'élèves déshérités,
auxquels on impose vulgairement le nom humiliant
de 'queue de classe' que nous prétendons bannir du
vocabulaire de l'Ecole alsacienne", écrit en 1878 le
sous-directeur de l'école (18). Enfin, il n'existe pas
de punitions;
"moderne" qu'il
dans
dateunderapport
1876, on
annuel,
apprend
d'autant
qu'il n'y
plusa
ni "pensums", ni "colles", ni "retenues", ni "consignes";
l'"la
affection"discipline
(19). est fondée sur le respect et
Dans une institution qui présentait
explicitement la vocation religieuse, et tout particulièrement
l'entrée dans la Compagnie de Jésus, comme la
forme la plus achevée de l'éducation (20), la religion
fait le lien permettant aux parents, aux enseignants
et aux élèves de travailler "dans un même esprit",
c'est-à-dire "en confiance". Pour reprendre la
formule d'un enseignant s'adressant aux familles dans la
revue de l'Ecole, la foi contribue à rendre "enfants,
parents, professeurs, préfets solidaires dans une
même entreprise". Il en va de même du rôle de la
catéchèse, en partie confiée à des mères d'élèves et
présentée comme une activité permettant de "lier
avec les professeurs des relations d'amitié non
conventionnelles". Dans un article de la revue
portant sur un projet de réforme de l'instruction
religieuse dans l'établissement, écrit en 1969, il est
précisé que les parents doivent être "intimement liés"
à la catéchèse, surtout dans les petites classes : "Nous
souhaitons la collaboration des professeurs et des
parents dans cette instruction religieuse ; les modalités
de cette collaboration peuvent varier, mais
l'essentiel est bien de se sentir responsables, tous ensemble,
de la foi de nos garçons. Dans ce cadre, certaines
réunions entre parents et pères spirituels ont été très
heureuses. Des professeurs souhaitent collaborer de
plus près, en particulier quand il y a une certaine in-
18-F. Rieder, Deuxième rapport annuel, Paris, Meyrueis, 1876,
cité par Georges Hacquard, op. cit.
19-E. Braeunig, Rapport du sous-directeur, Paris, Noblet, 1878,
cité par Georges Hacquard, op. cit.
20-C'est peut-être parce que la religion catholique est en France
la religion dominante que les catholiques eux-mêmes ont du mal,
surtout lorsqu'ils ont rompu avec toute pratique religieuse, à voir
ce qu'ils doivent à leur éducation religieuse en tant
qu'investis ement culturel et, plus largement, en tant que lien, comme le
montre Gershom Scholem à propos du judaïsme, avec les traditions
culturelles de leur propre société (L'identité juive, entretiens avec
Gershom Scholem, Actes de la recherche en sciences sociales, 35,
novembre 1980, pp. 3-19). Comme le rappelle Mary Me Carthy,
catholique née dans un pays majoritairement protestant, dans
une autobiographie de ses années de collège : "Né et élevé dans
le catholicisme, vous avez déjà absorbé une bonne quantité de
l'histoire du monde et des idées avant la douzième année et le
résultat, comme dans le cas d'une langue apprise jeune, est
indélébile". M. Me Carthy, Mémoires d'une jeune catholique, Paris,
Pion, 1959.

Un "père spirituel"
Le père N., 75 ans, est l'aumônier des 150 élèves de 6e
(on le voit, grand et maigre, comme il se définit lui-
même, sur cette photo du corps professoral prise en
1956 et reproduite au début de l'article, au deuxième
rang, à partir du haut). Il est entré dans rétablissement
en 1951 après avoir été missionnaire en Chine pendant
dix ans de 1938 à 1948 ( il y a été ordonné prêtre puis,
après avoir appris le chinois, il a été pendant plusieurs
années professeur de français à Pékin). "Dix ans de
Chine pour enseigner en France, c'est du luxe". Il est ce
qu'on appelle dans les établissements tenus par les
jésuites un "père spirituel", fonction qu'il occupe depuis
36 ans et qui ne s'identifie ni à celle des enseignants ni
à celle du préfet des études, mais qui reste purement
religieuse : "je conseille, j'épaule, je suis là". Depuis
quelques années, pour la catéchèse, il est aidé par une
laïque. Son bureau reste ouvert en permanence. Il
accueille, à l'heure de la récréation, les élèves qui viennent
le voir pour les raisons les plus diverses. Il est
terférence entre les programmes littéraires et
l'aspect religieux de la vie". "On vivait, si vous voulez,
encore la chrétienté", se rappelle un ancien élève, fils
d'enseignant. "Il y avait les messes obligatoires, les
confessions pratiquement obligatoires ; on poussait
à la consommation".
Les professeurs étaient pour la plupart des
laïcs. Souvent moins diplômés que leurs homologues
de l'enseignement public, ils étaient considérés en
revanche comme plus dévoués, plus attentifs aux
élèves, plus proches des familles, "aimant leur métier,
selon une formule lue dans la revue de l'école, d'un
enthousiasme communicatif, qui leur permettait
d'obtenir au bac des résultats comparables à ceux des
lycées parisiens les plus sélectifs. Les jésuites se
chargeaient de l'encadrement moral soit en tant que
professeur principal, soit en tant que préfet des études
ou que père spirituel auquel l'ensemble des élèves
d'une même division devaient se confesser
régulièrement.
Dans un numéro récent de la revue de l'école,
le directeur actuel précise que le préfet "doit être le
témoignage aux yeux des élèves, le rappel aux yeux
des professeurs et des parents de cette unité de la
personne qu'on ne doit pas défigurer (...). Je préfère
qu'il n'y ait qu'un seul Préfet par niveau plutôt
qu'avoir, comme cela existe dans d'autres établissements,
un Préfet des études et un Préfet de discipline. Il faut
quelqu'un qui soit perçu comme responsable de
l'unité de la personne qui entraîne nécessairement
l'unité de la pédagogie. C'est typique de nos collèges".
Un professeur de lettres, qui enseigne dans
l'établissement depuis de nombreuses années, ajoute dans le
même numéro que "jadis, au Moyen Collège, le
Préfet des études (aujourd'hui remplacé par des laïcs)
était la pièce maîtresse du système. Il incarnait
l'autorité. Présence discrète, coup d'oeil sûr, il vivait sur
les lieux de travail des enfants et, les voyant vivre, il
les connaissait bien (...). Comme le Préfet des études
suivait les élèves pendant plusieurs années, il pouvait
conseiller judicieusement les parents". L'influence
de ces délégués du pouvoir familial était renforcée
par la continuité d'une action pédagogique qu'un
personnel fidèle, attaché à l'établissement par de
multiples liens autres que strictement
Les effets d'une "éducation totale" 35
sable des deux messes hebdomadaires ("ce n'est pas
obligatoire, mais tout le monde y vient") et les élèves
sont tenus de se confesser à lui régulièrement (chaque
classe a en principe son aumônier; le choix d'un autre
aumônier reste possible, mais exceptionnel).
Parce qu'il est dans l'établissement l'un des
membres les plus anciens, il peut apparaître, pour les
familles, malgré les transformations de l'école, comme
le représentant d'une certaine continuité de la tradition
jésuite : "Quand je suis arrivé, nous étions vingt
jésuites, maintenant nous sommes sept ou huit"; "il y a
beaucoup d'enfants dont j'ai eu les pères en 6e. Je suis
grand-père. Ils me disent : 'vous avez eu mon papa en
6e'". Il occupe aussi, du fait de son ancienneté, de
multiples fonctions, à la limite de l'enseignement, dont celle
de secrétaire de l'association des anciens élèves (comme
dit de lui un membre de cette association, "il nous
connaît tous bien").
nels, pouvait exercer non seulement durant toute la
durée de la scolarité de l'élève, mais aussi, du fait de
la stabilité du corps enseignant, surtout religieux, sur
plusieurs générations d'élèves d'une même famille.
Par exemple, l'aumônier des élèves de sixième, un
ancien missionnaire qui occupe cette fonction depuis
près de quarante ans, se considère aujourd'hui un
peu comme le "grand-père" de beaucoup d'enfants
dont il a eu déjà les pères comme élèves.
La durée journalière de l'encadrement tendait
à augmenter avec l'âge du fait d'un engagement plus
diversifié dans les activités périscolaires, mais les
techniques de contrôle devenaient moins
voyantes (21). Aux heures d'études, après les heures
de classes consacrées aux devoirs et aux leçons "à
l'abri de toute sollicitation extérieure", s'ajoutaient en
effet peu à peu les activités sportives (22),
culturelles, religieuses et caritatives alors qu'inversement
les élèves de l'enseignement public ne pouvaient
s'engager dans de telles activités qu'à l'extérieur du
milieu scolaire, dans des lieux généralement éloignés
de leur quartier, ce qui exerçait sur eux un effet de
délocalisation de leurs relations amicales : chorale
21-Dans un numéro de la revue publié en 1986, un élève observe,
à propos d'une enquête qu'il avait réalisée auprès de ses
camarades sur la manière dont ils percevaient le collège et sa
spécif cité jésuite, "que la sévérité de la discipline perd son aspect négatif
à mesure qu'on est mieux informé de ses enjeux" et qu'elle a pour
objectif "l'autodiscipline de l'année terminale".
22-Le sport et les équipements qui s'y rattachent contribuent à
la réputation de l'établissement, comme on peut le constater dans
cet extrait d'un article consacré, en 1982, à Saint-Louis-de-Gon-
zague : "Modernité encore dans le domaine des sports, vivement
prônés et très pratiqués. Pour eux, une salle de judo de vingt
places : une salle d'escrime, de même capacité ; une grande salle
de sports de 600 m2, rue Franklin, attribuée au secondaire ; une
autre salle, plus petite, consacrée au 'petit collège' (...). Pourquoi
ne pas ajouter à ces 'équipements' les deux frontons de pelote
basque, ceignant la plus vaste des trois cours de récréation du
'grand collège'?". P. Manez, Franklin, la clé du pouvoir?,
Autrement, 42, septembre 1982, (n° intitulé : On le met dans le privé ?).
Selon une enquête réalisée en 1971 par les élèves eux-mêmes et
consacrée aux loisirs, 215 élèves du second cycle sur les 265 qui
avaient répondu à l'enquête affirmaient "passer de deux à trois
heures par semaine pour faire un sport en dehors du collège".
Entre Nous, 243, noel 1971.
36 Jean-Pierre Faguer

Les petits
chanteurs de Chaillot
"Nous mettons dans le chant le
meilleur de nous-même"...
Entre-nous, Pâques 1961, p. 49.

Illustration non autorisée à la diffusion

des petits chanteurs de Chaillot, scoutisme (il

existait une troupe scoute à l'intérieur de
l'établissement), théâtre, activités manuelles, etc.,
d'activités d'encadrement des loisirs d'un
d'âge dont on rappelait sans cesse la finalité
"Il y avait toujours cette notion de formation de
l'élite, quand même, raconte un ancien élève, élite
intellectuelle et morale, la conception jésuite, et donc
l'éducation globale, donc les mouvements ou les
activités devaient se faire à travers l'Ecole". Un ancien
responsable de la chorale se souvient que "le maître
de chœur avait comme principe qu'il fallait être
suffisamment généreux dans la vie de tous les jours pour
pouvoir, en chorale, ne pas chanter plus fort que le
voisin". Cette formation qui s'adresse à la
personnalité tout entière et non simplement à "l'élevé", est à
rapprocher non seulement des caractéristiques
communes à l'ensemble de l'enseignement privé dont on
sait l'importance qu'il attache à la dimension privée
et familiale de l'individu (23), mais aussi à la tradition
jésuite
discipline" fondé que Durkheim
sur l'émulation
qualifiait
et de
un "système
contact "continu
de
et personnel entre l'élève et l'éducateur" (24). Cette
connaissance des élèves epi allait bien au-delà de
leur observation en milieu scolaire facilitait le
contact avec les parents et un "travail" d'orientation
tout en douceur pour ceux qui rencontraient des
difficultés scolaires, multipliant les "occasions" pour les
élèves de "révéler tous ces talents que le seul travail
intellectuel ne met pas toujours en jeu", et qui
permet "d'atteindre les sommets par les petites choses".
Loin de nuire à la "vie familiale",
l'apprentissage d'une séparation complète, dans le temps et
23-F. Bonvin, Une seconde famille, un collège d'enseignement
privé, Actes de la recherche en sciences sociales, 30, novembre
1979, pp. 47-64.
24-L'amour-propre sur lequel, observe Durkheim, les jésuites
avaient fondé leur enseignement trouve à s'employer à l'âge
adulte, dans le monde du travail, en particulier du privé. Dans la
classe, "les individus eux-mêmes étaient appariés et chaque
soldat d'une décurie avait son émule dans la décurie correspondante
(...), le travail scolaire impliquait une sorte de corps à corps
perpétuel", in E. Durkheim, L 'évolution pédagogique en France,
Paris, PUF, 1969.
l'apprentissage d'une séparation stricte du temps
réservé respectivement au travail et à la vie privée,
mode de séparation des activités dans lequel on peut
voir l'un des principes essentiels de l'organisation du
temps chez les cadres d'autant plus contraignant
qu'ils travaillent dans le privé. En soustrayant en
effet l'adolescent au contact direct de sa famille, en
particulier
"productive" de des
la journée,
femmes,cedurant
type d'apprentissage
toute la partie peut
apparaître comme une préparation rationnelle à la
division du travail entre les parents sur laquelle se
fondaient à cette époque les mécanismes de
reproduction sociale de cette fraction de la bourgeoisie.
"J'avais trois quarts d'heure de trajet", explique un
ancien élève devenu cadre dans le privé. "On
commençait de bonne heure puisqu'on commençait à
huit heures, donc je partais finalement à sept heures
de chez moi, et on terminait, suivant le niveau
scolaire, à six heures, six heures et demie. Et trois fois
par semaine, j'avais répétition de chorale après.
Donc je rentrais chez moi à huit heures, huit heures
un quart. Je dînais seul très souvent. Je trouvais que
la famille, très concrètement, n'avait pas tellement le
temps de participer". C'est ainsi que le contrôle des
loisirs de leurs enfants qui échappe de plus en plus
aux familles de la bourgeoisie était assuré dans cet
établissement par des "professionnels" de
l'encadrement qui, contrairement à des professionnels
"indépendants", servaient d'autant mieux les intérêts de la
famille que l'école ne disposait que d'un pouvoir de
délégation.

Le sens du social
Plus de la moitié des bacheliers de la promotion de
1961 se sont orientés avec un bac math'élem ou
philo vers les classes préparatoires aux grandes écoles
d'ingénieurs ou de commerce et vers Sciences po. La
plupart ont préparé ces concours dans le privé ou
éventuellement dans des lycées de la rive droite
comme Janson ou Condorcet (ceux qui sont entrés
dans un lycée du Quartier latin sont l'exception) ;
certains ont fait les deux ou trois années de
préparation comme internes à Sainte-Geneviève de
Versailles. Eloignés jusqu'à la fin de leurs études de toute
influence autre que celle de la famille et d'une
institution scolaire étroitement liée à leur milieu familial,
les ingénieurs qui ont fait toute leur scolarité dans le
privé peuvent apparaître comme les plus
représentatifs d'un mode de formation qui tranchait si
fortement avec la formation dispensée dans les lycées de
cette époque. Ce n'était pas toujours le cas des
littéraires: ceux-ci pouvaient bénéficier, dès la classe de
philosophie, d'une liberté plus grande, due en partie
au choix d'études plus "critiques", exigeant moins de
travail "scolaire", et conduisant vers des professions
plus diversifiées, contrepartie d'une rentabilité
professionnelle non garantie. "Faire lettres" permettait,
notamment à des élèves faibles ou moins intégrés à
l'institution, des désinvestissements rendant
possibles des reconversions vers des professions
nouvelles, avec des critères de recrutement moins
contraignants du point de vue des diplômes. Par
exemple les métiers liés à l'art, aux loisirs, aux
voyages, qui se sont multipliés après 68 et qui
rendaient possible une prise de distance avec l'univers
familial. L'étude du grec au moins jusqu'en troisième
et du latin jusqu'en terminale (25), de langues
vivantes situées dans le haut de la hiérarchie des études
littéraires (dans ce collège, on ne pouvait étudier, à
cette époque, que l'allemand et l'anglais) ainsi que
l'esprit de compétition scolaire entretenu depuis le
début de la scolarité leur permettaient,
indépendamment des relations familiales et du milieu d'intercon-
naissance, de tirer de toute façon, malgré leur
dévaluation relative, un profit sensiblement plus
grand des études littéraires que la moyenne des
étudiants de lettres de cette génération.
Un comptage des professions exercées par les anciens élèves des
promotions 1945-1975 affiliés à l'association (soit n=1500)
permet de situer la place de l'école sur le marché du travail. A peu
près 55% d'entre eux travaillaient en 1980 dans l'industrie, les
services, les assurances et le secteur bancaire, moins de 5% dans
l'agriculture (il s'agit dans la plupart des cas de propriétaires
exploitants appartenant à des familles aristocratiques). Un peu plus
d'un tiers seulement exerçaient une profession libérale ou un
emploi dans l'administration, l'enseignement ou l'armée. Malgré la
place prépondérante qu'ils occupaient dans la hiérarchie des
orientations à l'intérieur de l'école, les prêtres et les religieux
représentaient moins de 3% de l'ensemble des anciens élèves.
Enfin, si on compare les orientations professionnelles avant et après
1960, on peut observer une diminution du nombre de ceux qui
sont entrés dans l'agriculture, l'industrie et surtout dans l'armée
et le clergé alors qu'inversement augmentait le nombre de ceux
25-Près du tiers des anciens élèves de Saint-Louis-de-Gonzague
qui ont répondu à l'enquête avaient présenté en 1959-60 à la
première partie du bac la section A' (latin-grec, maths), section qui
représentait à cette époque, du fait de sa polyvalence scientifique
et littéraire, une option relativement rare (contre 18% des hypo-
khâgneux de Louis-le-Grand et d'Henri IV, pourtant futurs
spécialistes de lettres).
Les effets d'une "éducation totale" 37
qui se sont dirigés vers les services, les assurances, les banques et
surtout le secteur des professions médicales et paramédicales :
les médecins, les dentistes et le personnel paramédical
représentaient 7,8% des promotions 1945-1960 contre 16,5% des
promotions 1961-75. Durant la même période, le nombre des anciens
élèves entrés dans l'armée est passé de 8,7% à 6,7% et dans le
clergé de 4 à 1,3%.
Tout conduit à penser que dans une période caractérisée
par une transformation progressive de la hiérarchie des
orientations dans le supérieur, cette école "anticipait" sur l'évolution du
système d'orientations qui s'est imposé, avec la suprématie du bac
C, dans l'enseignement public après 1968. Parmi les élèves qui
avaient obtenu la moyenne sur l'ensemble de leurs notes en
première et qui ont répondu à l'enquête, les deux tiers se sont
orientés vers les grandes écoles d'ingénieurs ou de commerce, 17%
vers la médecine, 5% seulement vers les lettres ou les Beaux Arts
alors que cette orientation a été suivie par un élève sur quatre
parmi ceux qui n'avaient pas la moyenne cette année-là. De
même, on a comparé l'orientation prise par les dix élèves de la
promotion qui avaient les notes les meilleures en première (sur
environ une centaine d'élèves) et dont on a pu retrouver la trace :
six ont fait une grande école (Polytechnique, Centrale, Mines de
Paris, HEC et Sciences po). Un élève seulement a entrepris des
études littéraires, semble-t-il, mais pour faire Sciences po après
une khâgne à Louis-le-Grand.
La formation, centrée sur "le sens des
responsabilités", "le service des autres" (26) et dont la valeur
morale était renforcée par les activités religieuses et
caritatives ou des mouvements de jeunesse, n'a pu
que prédisposer ceux qui n'étaient pas héritiers
d'une entreprise familiale, surtout s'ils ne
possédaient pas des titres scolaires très élevés, à
rechercher des emplois de gestion des "rapports humains"
suscet eptibles de mettre en valeur leur capital social et
leur formation d'ancien élève du privé. Par compa-
raison avec les anciens élèves des classes
préparatoires des lycées du Quartier latin, les plus
représentatifs dans cette enquête des futurs
ingénieurs et enseignants, les élèves de cette école ont
les propriétés scolaires et sociales les plus
caractéristiques de l'univers du privé : même s'ils sont entrés
dans l'administration, dans des entreprises publiques
ou le secteur socio-culturel, tout semble indiquer
qu'ils ont importé sur l'ensemble du marché du
travail des diplômés les qualités professionnelles
implicites - sociales et familiales - des cadres du privé .
Si on prend le taux d'entrée dans le secteur privé comme un
indicateur de la distance des différentes filières du marché scolaire
parisien de cette époque avec l'univers du patronat, on peut
observer qu'il varie selon la filière - scientifique ou littéraire - du bac
et plus généralement selon l'origine sociale de la clientèle de
chaque type d'établissement. Ainsi le pourcentage d'enquêtes qui
travaillent dans le privé est de 63% pour l'ensemble des anciens
élèves des classes préparatoires scientifiques et commerciales
contre 18% des hypokhâgneux. De même, le pourcentage passe
de 68% pour les anciens élèves de Saint-Louis-de-Gonzague à
48% pour ceux des classes secondaires de Louis-le-Grand et
d'Henri IV et 29% seulement pour les anciens élèves des classes
préparatoires de ces deux lycées qui ont été recrutés sur un
marché moins local, c'est-à-dire moins "parisien" et moins bourgeois
que les élèves du secondaire.
Du point de vue de leur trajectoire professionnelle
et familiale, les anciens élèves de Saint-Louis-de-
26-Sentiment qui ne pouvait qu'être renforcé par l'aide
financière et morale reçue d'un établissement qui favorisait la
promotion des "valeurs familiales" et la solidarité entre les familles. Par
exemple, il existait
nombreuses" un "tarif
"étant
familial"
donnépermettant
la grande proportion
aux famillesdeayant
familles
plusieurs enfants dans l'établissement d'être "aidées par celles qui
ont moins de charges".
38 Jean-Pierre Faguer

Tableau 3
Une famille Franklin Trajectoire professionnelle n S"
selon la filière scolaire •o ^
Elevé dans une famille pour laquelle Vêtait le leL. := cías« 1
= prépa. entifque prépa. fn=
souhait plus ou moins avoué d'avoir un fils res (n[V |> tres (nre tres
prêtre", Christian est devenu, après avoir fait des
études de théologie puis de sociologie, directeur emploi £ •£> TO i— •ai!
cadre sup., prof.lib. 87 64 57 84 18

<
du personnel dans une importante entreprise enseignt. sup. 5 15 36 4 8 61
américaine. Comme son père, il a fait toutes ses autre enseignt. 3 9 53
11- 14 4 21
études secondaires à Saint-Louis-de-Gonzague. cadre moyen 5 12 25 4 -
Sa famille, "une vieille famille du septième ds le privé 68 48 29 64 63 18
arrondissement", est liée depuis plusieurs salaire 16 000 F 35 58 25 14 44 11
filière emploi/relations 32 12 18 25 17 21
générations au monde industrie], mais avec "tout un filière emploi/concours 8 27 57 21 19 61
tissu social très orienté vers la vie sociale". Son qualités pour réussir ds l'emploi
père, entré au Ministère du travail après deux contacts humaines 68 55 46 71 63 43
années de droit, a été l'un des fondateurs de la compétence technique 54 61 43 61 52 54
revue Liaisons sociales. Son grand-père paternel vie équilibrée 30 15 18 36 23 18
diplôme 24 42 57 29 38 54
dirigeait une PME, son grand-père maternel travail en équipe 24 27 18 46 40 7
était médecin. Plusieurs de ses oncles et de ses ne pas compter son temps 41 42 39 71 33 61
cousins ont eu des activités liées à la politique relations avec collègues
sociale de l'Eglise et il compte dans sa famille hors travail 38 45 50 46 33 61
plusieurs directeurs du personnel. Dans cette relations aux études
+ important : la formation 16 12 39 11 14 43
famille nombreuse catholique, les enfants les + important : l'expérience 51 55 29 64 52 25
plus âgés, nés avant la guerre, ont presque une arrêt études : pb financier 38 33 14 46 29 18
génération de différence avec les plus jeunes. arrêt études : «assez des et.» 24 21 11 29 17 11
Sur sept enfants, trois sont restés célibataires. trajectoire professionnelle
petits emplois pdt études 57 45 46 89 58 43
Sa soeur aînée est devenue religieuse et travaille service militaire : officier 35 21 29 25 50 7
comme bibliothécaire. Mais la plus jeune, elle experience travail étranger 35 36 57 21 31 57
aussi célibataire, est psychologue. Son frère 1er emploi, emploi actuel 11 3 14 21 6 18
aîné qui a fait toute sa scolarité dans
l'enseignement public "pour une question essentiellement
de caractère", est devenu, à sa sortie de l'Ecole
centrale, prêtre de paroisse. Il a un autre frère Gonzague s'opposent en effet à la fois aux anciens
qui, après des études à la fois dans le privé et le élèves des classes préparatoires scientifiques et
public, est devenu, lui aussi, responsable du littéraires du Quartier latin : moins diplômés (par
personnel dans une entreprise privée, et sa exemple ils ont fait moins souvent des grandes écoles), et
femme, mère d'un seul enfant, travaille au peut-être pour cette raison moins nombreux à
"service achats" de la même entreprise. L'une de ses bénéficier des postes les mieux rémunérés, ils sont en
sœurs, mariée à un professeur, a obtenu une revanche plus nombreux à être entrés dans le secteur
licence de sciences; elle a quatre enfants et ne privé et à avoir obtenu leur emploi par relation. Ils
travaille pas. Enfin une autre de ses soeurs qui, accordent moins de valeur aux 'diplômes", à la
après avoir passé le baccalauréat, est devenue culture ou aux compétences techniques dans leur
secrétaire, a épousé un photographe avec qui travail qu'aux contacts humains, au travail en équipe et
elle n'a eu qu'un enfant. à la recherche d'une vie équilibrée. Enfin, ils sont les
Son désir d'être prêtre date de son entrée plus nombreux à vouloir séparer leurs relations
à Saint-Loiiis-de-Gonzague (il avait fait toute sa privées de leurs relations de travail contrairement, par
scolarité primaire à Boss net, collège privé du exemple, aux enseignants qui ont tendance à ne pas
Quartier latin). C'est par rapport à sa vocation établir de frontière stricte entre leur vie privée et
religieuse qu'il faut comprendre son orientation leur vie professionnelle.
vers un bac philo après une première C et de Le monde du privé a exercé, même parmi ceux
bons résultats en mathématiques. Entré au qui n'ont pas repris une affaire familiale, une
séminaire, sitôt le bac obtenu, il obtient à attraction importante, mais sous des formes différentes,
l'Institut catholique une licence de théologie. Boursier liées à leurs goûts scolaires et à leur orientation.
durant la presque-totalité de sa scolarité dans Ainsi la proportion d'anciens élèves exerçant une
une école où seulement un ou deux élèves par profession libérale est sensiblement plus élevée que
classe étaient dans ce cas, il a toujours eu parmi les lycéens de Louis-le-Grand. Mais surtout,
l'impression que ses camarades avaient "plus on trouve un nombre important de cadres dont le
d'argent, plus de facilités". On lui a reproché de faire métier est lié à la gestion des "relations humaines" :
du scoutisme dans le quartier où il habitait au deux anciens séminaristes sont aujourd'hui chefs du
lieu d'entrer dans la troupe scoute de l'école, personnel dans de grandes entreprises privées. Le
mais il a fait partie de la chorale des Petits responsable de l'association des anciens élèves,
chanteurs de Passy dont il est devenu, dans les titulaire d'un diplôme de Sciences po, est attaché de
grandes classes, l'un des responsables. Il direction dans une banque à la "fonction personnel" en
choisissait ses camarades plutôt parmi ceux qui tant que responsable des relations avec le comité
appartenaient à des familles "dont la morale de vie d'entreprise. Même lorsqu'ils ont fait du droit ou des
n'était pas basée sur l'argent" et qui lettres, ils ont réussi souvent à reconvertir leur
manifestaient "une ouverture aux autres", contraire- formation dans des emplois du privé qui faisaient appel
au type de capital spécifique qu'ils ont pu acquérir
suite p. 40

dans cette école. On peut considérer comme "idéal-
typique" d'une reconversion réussie la trajectoire de
ce fils de journaliste financier qui est devenu juriste
d'entreprise après être passé par la khâgne de
Condorcet et HEC. Dans le cas de ces élèves, le choix
des lettres correspondait moins à une orientation
professionnelle qu'à un moment de la trajectoire
consacré à l'acquisition de la "culture générale"
supposée nécessaire pour préparer ensuite une grande
école ou pour leur profession future.
On comprend que dans cette logique les
études littéraires aient pu représenter un choix
particulièrement ambigu puisqu'elles pouvaient
conduire tout aussi bien à des postes de dirigeants
qu'à des postes sans responsabilités importantes, soit
même à des postes à l'extérieur du monde industriel,
dans la sphère des intérêts intellectuels "purs", ou
religieux (27). Ceux qui ne pouvaient au mieux
qu'accéder à un pouvoir de délégation, du fait de leur
manque de capital économique ou de relations
"utiles", sont particulièrement représentatifs du
travail sur soi qu'il leur fallait accomplir pour
reconvertir en un capital professionnel spécifique un capital
de relations dont ils ne pouvaient tirer tout le profit
dans le cadre des relations sociales et familiales
traditionnelles. A un moment où se constituait entre
l'Etat et le monde patronal un champ de relations de
plus en plus diversifié, ces "oblats" de la cause des
"relations humaines" ont été amenés à occuper des
postes de conciliateurs entre l'univers du privé et
l'administration ou, sur un autre plan, entre les
intérêts de l'entreprise et ceux du personnel. Qu'ils
soient employés du secteur public ou du secteur
privé, ils apportent en effet dans l'exercice de leur
profession les qualités du "privé" qu'ont manifestées
leurs investissements "personnels" - "choix" des
études, d'un conjoint et d'un style de vie - qui sont
les meilleures garanties professionnelles pour
occuper cette position d'intermédiaire tout à fait
particulière dont la fonction de chef de personnel est
peut-être l'exemple le plus significatif.
Gérée aujourd'hui par une association liant à
sa direction jésuites, parents et anciens élèves, Saint-
Louis-de-Gonzague a connu depuis le début des
années 80 un ensemble de réformes qui sont autant de
prises en compte des demandes des familles : créa-
27-On peut être surpris d'observer que les anciens élèves
devenus prêtres ou militaires et qui incarnaient les modèles les plus
accomplis de ce type d'éducation, tout au moins jusqu'au milieu
des années 50 et au début de la guerre d'Algérie, période "d'ag-
giornamento" politique dans l'établissement, n'ont jamais
représenté, comme on pourra le constater plus loin en comparant
révolution de l'orientation professionnelle des anciens élèves
depuis 1945, plus qu'une petite minorité de chaque promotion.
Tout semble indiquer que la perception par les familles de ce que
Max Weber appelait une même "communauté d'intérêts" pour
rendre compte des rapports de dépendance de type paternaliste
dans la société rurale de l'est de l'Allemagne, devait être
suffisamment puissante pour rendre évident le dévouement à une cause
impliquant des destins aussi différents que la gestion d'une
entreprise ou mourir pour la patrie. D'après l'ouvrage de P. Delattre
consacré aux établissements tenus par les jésuites en France,
2.280 élèves sur les 23.250 qui ont fait leurs études au collège
Sainte-Geneviève de Versailles entre 1854 et 1954, sont "morts
pour la France", soit près d'un élève sur dix. Voir aussi : A. Billy,
L'approbaniste, Paris, Flammarion, 1937. Dans ce livre, André
Billy raconte le processus d'exclusion d'un élève pauvre, accepté
par les jésuites à condition de devenir missionnaire, mais qui
s'intéressait trop à la littérature.
Les effets d'une "éducation totale" 39
Les bénéfices
secondaires d'un déclassement
féminin"
En devenant
qu'ilorthophoniste,
a choisi après avoir
un métier
renoncé
"plutôt
à des
études de médecine et abandonné une licence en
droit, Denis a été conduit à exercer une activité
professionnelle en apparence moins bourgeoise
que celle de la majorité de ses camarades de
Saint-Louis-de-Gonzague mais que son
mariage, son installation en province dans une ville
universitaire mais de taille modeste, son style
de vie et ses activités extra-professionnelles
rapprochent toutefois plus d'une profession
libérale que d'un emploi de cadre moyen. Son père,
un ingénieur en électronique diplômé d'une
école grenobloise mais qui a fait toute sa
carrière à Paris, était le fils d'un directeur d'usine
de textiles. Sa mère était fille d'ingénieur. Ses
deux soeurs, toutes deux anciennes élèves de
Sainte-Marie de Passy et sensiblement plus
âgées que lui, n'ont jamais travaillé ni fait
d'études supérieures, ce qui était le cas de la
plupart des femmes mariées de cette génération qui
appartiennent à la bourgeoisie catholique.
L'aînée, mariée à un assureur, a eu trois enfants, la
seconde, mariée à un architecte, deux enfants.
Son frère, de deux ans plus jeune que lui, ancien
élève lui aussi de Saint-Louis-de-Gonzague, est
médecin et professeur à la Faculté de médecine
de Paris; marié à une femme qui exerce la même
profession que lui, il a trois enfants.
Même s'il fait toujours partie de
l'association des anciens élèves (il a, par exemple,
conservé des contacts avec certains camarades
de classe, en particulier ceux qui sont devenus
médecins ou dentistes qui lui rendent visite
"lorsqu'ils passent dans la région"), il ne garde
pas un bon souvenir des années passées chez les
jésuites où il a fait toutes ses études depuis le
cours préparatoire jusqu'au baccalauréat : "II
faut dire que le rythme scolaire était dingue et
je dois dire que si j'avais à recommencer ma vie
scolaire à Franklin, je ne la referais pas (...). La
vie sociale, la vie entre guillemets amoureuse,
elle n'avait pas beaucoup de place. C'est pour ça
que je dis toujours, mon adolescence, je suis
passé un petit peu à travers parce que c'était le
travail, le travail et avec des parents qui
voyaient essentiellement le côté travail" (ses
parents, par exemple, avaient refusé qu'il prenne
un emploi d'été, il avait alors dix-sept ou dix-
huit ans, afin de partir ensuite en vacances avec
des copains). Ce n'est qu'en philo qu'il s'est
senti "un petit peu moins prisonnier de la structure
des jésuites", ce qui n'aurait pas été le cas en
math-élem. "Peut-être que certains élèves
avaient besoin d'être surprotégés, de subir un
certain bachotage pour réussir, mais ne pas
jouer le jeu, ce n'était pas évident vis-à-vis de la
structure autoritaire de l'établissement, et vis-
à-vis de la famille (...), honnêtement, je n'en vois
que des côtés négatifs, sur le plan études (...),
sur le plan professionnel; ça m'a peut-être
apporté, dans ma façon de voir les autres et d'avoir
une certaine ouverture, une ouverture plus hu-
suite p. 41
40 Jean-Pierre Faguer
suite de la p. 38
ment à ceux pour lesquels le plus important,
"c'était, études, études, il fallait que le fils
réussisse". Les liens se créaient durant les activités
culturelles, sportives, et à plusieurs reprises, il
a été accueilli, pour les vacances, par les
familles de ses camarades.
Il s'est engagé dès le collège dans des
activités bénévoles "très orientées vers la Illustration non autorisée à la diffusion
formation", telles que celle d'instructeur de moniteurs
de colonies de vacances. Tout en ayant perdu de
vue presque tous ses camarades, il continue à
faire partie de l'association des anciens élèves.
Sans avoir "le culte des anciens élèves", il
reconnaît, même si sa vocation s'est affaiblie après
deux ans de séminaire puis un séjour en Afrique
comme coopérant chargé des problèmes de
formation, avoir trouvé chez les jésuites une Le directeur actuel recevant
"éducation complète", qui insistait sur "la valeur Entre-nous, 291, Noel 1986, p.
morale de la notion de travail, d'effort, de
rigueur de vie". "J'ai l'impression que si je suis ce
queje suis, ils y sont pour quelque chose". tions de nouvelles
Titulaire d'une licence de sociologie, il a méthodes pédagogiques (il
entrepris cette formation à son retour d'Afrique d'études obligatoires),
parce que "n'étant plus très jeune", c'était "de filles, d'abord dans les petites classes, puis dans
par son background" quelque chose de l'enseignement secondaire. Actuellement, il n'y a plus de
"relativement facile à faire", "une solution de facilité" filière littéraire, ce qui peut paraître paradoxal dans
qu'il
soir" tout pouvaiten travaillant.
mener à son A vingt-sept
terme "en ans,
coursil du une école héritière de la tradition jésuite. Les élèves
qui veulent préparer un bac philo vont à Sainte-Croix
occupe son premier emploi à plein temps, termine de Neuilly, établissement avec lequel cette école a
sa licence et se marie. (Il avait quitté le passé un accord. En revanche, une terminale D a été
séminaire à la suite d'une "évolution" lente, d'une créée pour les futurs étudiants de médecine et une
"prise de conscience plus orientée vers quoi il terminale B donnant accès à deux classes prépara
était fait plutôt que d'un essai de raisonnement toires à IIEC qui sont mixtes, évolution qui va dans
sur le contenu de la religion ou le célibat"). Sa le sens de la recherche d'études rentables sur le
carrière professionnelle "dont la continuité a été marché du travail (28).
la formation" l'a conduit à occuper des
responsabilités dans plusieurs entreprises
américaines comme chef du service de la formation,
des relations sociales ou des relations entre la
formation et l'emploi. Il est actuellement
directeur du personnel de la dizaine d'établissements Un ascétisme de conservation
installés en Europe et au Moyen-Orient d'un Même si l'enseignement des jésuites est bien ajusté
groupe multinational. Il voit son métier comme à l'esprit de concours, l'intérêt que représente
"un métier ouvert sur les autres" et qui laisse toutefois un investissement scolaire extrême diffère à
une grande place "aux contacts humains", la l'intérieur des classes supérieures selon l'importance
"fonction personnel" étant "l'un des éléments les et la stabilité du patrimoine économique des familles.
plus moteurs de l'évolution de l'entreprise". Saint-Louis-de-Gonzague n'est pas
Sa femme, qui a trois ans de moins que lui, Sainte-Geneviève de Versailles. Pourtant, même si ces deux
appartient à une famille de l'aristocratie écoles offrent deux exemples-limites de
catholique à bien des égards proche de sa propre reconversion du capital social en capital culturel
famille (leurs deux familles sont présentes dans correspondant plutôt aux intérêts respectifs de la
le Bottin mondain). Originaire du même bourgeoisie parisienne et de la bourgeoisie provin-
quartier, elle appartient comme lui à une famille
nombreuse et elle a fait, elle aussi, ses études
dans l'enseignement privé. Elève jusqu'en 28-F.de Dainville, dans un article consacré à "la géographie de
première à Sainte-Marie de Passy, elle a préparé l'humanisme", a remarqué que les établissements tenus par les
dans un autre établissement privé du même jésuites en France du X Vie au XVIIIc siècle, sont plus nombreux
quartier la formation des "humanités dans les villes de "magistrature, de parlements ou de présidiaux",
féminines". Il l'a rencontrée sur son lieu de travail, là où les "milieux de robins et de fonctionnaires (...) sollicitent les
créations de collèges, comme les ouvertures de librairies". 1 it
un emploi dans une association patronale ("elle lorsque les jésuites s'installaient dans les villes de commerce le goût
était mon assistante en ce temps-là"). Son beau- pour les études, l'intérêt pour un enseignement "qui ne se soucie
père, vice-président de cette association, au fond que de la valeur marchande de ses diplômes" faiblissait.
dirigeait plusieurs sociétés et avait été à II attribuait cette "dégradation de l'humanisme" "quand il devient
utilitaire" à la "persistance qu'elle révèle d'une opposition à la
Saint-Louis-de-Gonzague camarade de classe culture littéraire des milieux de production et d'économie"; in Villes
de son père. de commerce et humanisme, publié dans Etudes, mars 1951,
Sa femme qui a arrêté de travailler dès la repris dans : F. de Dainville, L'Education des jésuites, XV Ic-
XVI Ile siècles, Paris, Editions de Minuit, 1978, pp. 25-42.
suite p. 42
 Les effets d'une "éducation totale" 41
suite de la p. 39
Tableau 4
Il maine, encore que je pense que ça provient
Alliance matrimoniale davantage du côté familial".
et division du travail •oÛM •a S 00j> —
Sa femme qui est titulaire d'une licence en

■
dans le couple selon ~~. Il ricl 1: ra ,2"u I
droit, travaille à temps partiel dans un cabinet
la filière scolaire = pT (n
■S res e -o —
rac n dtf scie dtp let i juridique et donne des cours en formation
situation matrimoniale G. 3 permanente. Ils se sont rencontrés alors qu'ils
célibataire 11 12 7 4 6 18 étaient tous les deux étudiants en droit au cours
marié 84 76 75 79 88 61 d'un "voyage d'études" en Algérie organisé peu
divorcé, couple non marié 5 9 18 18 6 21 après l'indépendance par une association
modalité de la rencontre d'étudiants catholiques, mais ils ne se sont mariés
23 ans et moins 15 28 42 30 25 9
étudiants non salariés 21 24 27 30 35 9 qu'à son retour du service militaire, en octobre
rencontre : études 30 14 19 30 22 26 1967 : il venait d'avoir vingt-cinq ans et
rencontre : travail 12 10 27 11 8 30 commençait sa dernière année d'orthophonie alors
âge, diplôme conjoint que sa femme, pourtant de trois ans plus jeune,
+ jeune (écart 3 ans et +) 42 27 23 29 31 26 venait de terminer sa licence et de prendre un
licence et + 70 52 77 39 51 70
emploi conjoint emploi dans un cabinet fiscal. Jusqu'à son
inactive 36 59 31 33 53 26 mariage, il a habité chez ses parents.
cadre sup. 18 3 4 11 6 4 II a choisi de devenir orthophoniste parce
prof., instit. 27 20 54 29 20 61 que c'était une profession "relativement neuve",
autre 18 17 12 26 20 9
modèle familial à mi-chemin entre les professions relevant des
3 enfants et + 55 48 42 26 43 35 sciences humaines ou de la psychologie ("je ne
opposé au travail conjoint 18 10 8 19 20 - suis pas fana, fana de psychologie"), peut-être
partage des tâches familiales perçues comme trop "intellectuelles" et les
éducation des enfants 88 77 69 85 84 78 professions relevant du travail social, par exemple
sorties avec enfants 88 77 73 77 86 74
travaux ménagers 55 61 69 52 59 74 éducateur spécialisé, "qui permettent d'avoir
gestion budget 61 55 42 44 43 48 des contacts avec les enfants ou les adultes
handicapés qui ont des difficultés", perçues, sem-
ble-t-il, comme pas assez bourgeoises. Les aléas
"d'une carrière où il faut bouger beaucoup",
ciale restées attachées aux valeurs du catholicisme, exercée souvent par des femmes "qui
elles ont en commun de transmettre un mode s'installent, se marient, vont ailleurs" (ils ont passé ses
d'éducation ascétique dont la vertu est de décourager chez deux premières années de vie professionnelle au
l'enfant toute forme d'investissement culturel qui Québec où il avait trouvé du travail grâce à un
pourrait le détourner du travail scolaire. De ce point ami et où "il donnait quelques cours à
de vue, la précocité scolaire offre la meilleure l'université", c'est là que sont nés leurs deux premiers
garantie contre les autres formes de précocité. On ne peut enfants), un emploi du temps proche de celui
comprendre ce qui fait la spécificité de ce type d'un cadre du privé puisqu'il travaille 50 heures
d'enseignement si on ne voit pas qu'il existe une forme par semaine, le matin en hôpital, l'après-midi
d'ascétisme "catholique" qui s oppose à l'ascétisme en libéral, des activités militantes et
d'ascension sociale par la place prépondérante qu'il associatives, des recyclages en formation permanente
attribue à la famille par rapport à la carrière ont obligé sa femme, surtout pendant leurs
"individuelle" (même si cela signifie implicitement le premières années de mariage, à des changements
dévouement inconditionnel de l'ensemble des d'emploi nombreux (au Québec, elle avait
membres de la famille pour maximiser les chances de trouvé facilement du travail chez un avocat) et à une
réussite de l'un de ses membres). Plus que la présence à la maison que n'aurait pas facilitée,
garantie d'une carrière, ces écoles apportent peut-être, en par exemple, l'appartenance à la fonction
particulier dans une période de restructuration des publique, et que ne garantit pas forcément, bien au
liens entre le monde de l'école et le marché du contraire, la possession d'un diplôme
travail, la transmission d'un capital moral fondé sur supérieur.
l'ascétisme, condition sine qua non de reproduction Installés dans la région de Grenoble
presqu'à l'identique de la famille indépendamment depuis 1971, ils ont tout d'abord habité une grande
des contraintes du marché du travail. Alors que les maison avec un jardin dans un village situé à
valeurs de l'école tendent à affaiblir les bases du fa- une demi-heure environ en voiture de
milialisme, ces écoles rendent ainsi possible le l'agglomération ("ça nous a permis d'élever nos trois
maintien, sous des formes scolarisées, de ce qu'on peut enfants"). Depuis que l'aîné est entré en sixième,
appeler les usages familialistes de la parenté. Elles ils habitent le centre-ville, un appartement
constituent en effet, par la concentration de capital qu'ils ont acheté et qu'ils "ont eu la chance" de
social et la "garantie" du modèle éducatif qu'elles trouver "par amis d'amis".
représentent, la base d'un marché matrimonial dont les Son travail avec lequel il a pourtant
rallyes, les fêtes et les activités de loisirs ne sont que toujours essayé de maintenir "une certaine
les techniques, parfois provisoires, permettant de distance", "un boulot fatigant qui demande
rapprocher les enfants sous le contrôle des familles. beaucoup de contrôle, beaucoup de patience,
Dans une période de transformation des modèles beaucoup de psychologie", le rend peu
bourgeois de constitution de la famille, ce que de disponible pour sa vie familiale d'autant plus qu'il
telles écoles transmettent peut-être de plus essentiel consacre l'essentiel de ses temps libres à
tient moins à des diplômes ou à des "relations" qu'à d'autres activités : il fait du sport, du théâtre ama-
une vision du monde social dont Pierre Bourdieu dit
suite p. 43
42 Jean-Pierre Faguer
suite de la p. 40
naissance du premier de leur quatre enfants est
responsable de la maison, un véritable emploi à
plein temps, non seulement à cause du nombre
d'enfants dont les naissances se sont étalées sur
une dizaine d'années, mais aussi à cause du
travail que représentait l'éducation qu'ils
souhaitaient, tous deux, leur transmettre, et surtout à
cause des "aléas du type de carrière" dans une
entreprise américaine qui amènent la famille à
déménager fréquemment ("chez les Américains,
c'est toujours très bref1). "Engagée dans les
parents d'élèves" (les quatre enfants font leurs
études dans l'enseignement privé) et dans des
activités éducatives qui lui permettent de
s'occuper des loisirs de ses enfants, comme par
exemple "les bibliothèques pour tous", sa femme
doit en même temps assumer les multiples
tâches, difficiles à planifier, associées à une vie
familiale que compliquent les nombreux
déménagements, avec leur cohorte de nouvelles
contraintes - travaux de réfection, changements
d'établissement scolaire (sa fille aînée a
fréquenté neuf écoles), renouvellement forcé de ses
relations amicales et de ses activités bénévoles.
Quant à lui, il a été obligé, à plusieurs reprises,
lorsque sa mutation intervenait au cours de
l'année scolaire, "de vivre en célibataire", ne
revenant chez lui que les week-ends : "c'était
pénible et non sans impact sur les enfants et ma
femme elle-même". Maintenant que les enfants
sont plus grands, il pense qu'elle devrait
trouver le temps de se consacrer à une "activité style
bénévolat dans une association". Mais il est
"plutôt opposé" à ce qu'elle reprenne un emploi,
ne serait-ce qu'un emploi à mi-temps, "même s'il
y a des tas de choses qu'on ne peut pas s'offrir"
quand une femme ne travaille pas.
qu'elle "tend à réduire le public au privé, le social au
personnel, le politique à l'éthique, l'économique au
psychologique, bref à opérer une dépolitisation
renvoyant à l'ordre du 'vécu' le plus irréductiblement
singulier toutes les expériences que l'action de
politisation vise au contraire à détacher de la 'personne'
dans son unicité pour les faire apparaître comme
communes à une classe" (29). Les établissements
privés auxquels reste attachée la grande bourgeoisie
catholique, peuvent apparaître comme le lieu où peut
s'acquérir une forme extrême d'ascétisme qu'on peut
qualifier d'ascétisme de conservation puisqu'il vise à
maintenir, au prix d'un coût moral élevé, la position
sociale de la famille, moins à travers la maximisation
des chances de réussite individuelle de ses membres
que du maintien de la solidarité de la lignée (30).
Pour le bourgeois, la famille n'est pas simplement le
lieu d'accumulation du patrimoine, elle est le support
d'une sociodicée par laquelle, comme le rappelle
Groethuysen, il peut "se justifier dans ses enfants"
(31).
La très grande homogénéité sociale et
géographique de la clientèle de Saint-Louis-de-Gonzague
pouvait ainsi encourager des choix matrimoniaux
visant à concilier les contraintes familiales d'une
carrière de cadre du privé ("l'esprit d'entreprise") avec
les valeurs morales de la famille traditionnelle.
Contrairement aux fractions des classes moyennes
ou supérieures en ascension sociale, un travail
continu de "mobilisation" des liens familiaux et, plus
encore, le maintien d'une fécondité relativement
élevée, sont au principe de la conservation, voire de
l'extension de leur capital social.
Les épouses des élèves de la promotion 1961 inscrits dans
l'Annuaire de l'école portent comme nom de jeune fille dans plus de
36% des cas le nom d'un ancien élève. Même s'il peut s'agir
d'homonymes, la fréquence relativement grande de noms
statistiquement rares dans la population parisienne et surtout de noms
aristocratiques dont on a pu retrouver la trace dans le Bottin
mondain fait penser qu'il s'agit vraisemblablement, dans la majorité
des cas recensés, d'alliances entre des familles habitant le même
quartier et liées, parfois depuis plusieurs générations, par des
29-P. Bourdieu, La noblesse d'Etat, Paris, Editions de Minuit,
1989.
30-Marie-Madeleine Compère a remarqué qu'à l'origine des
grandes écoles, on trouve notamment les écoles militaires créées
à la fin de l'Ancien régime qui, grâce à un système de bourses,
s'adressaient prioritairement aux familles de la noblesse pauvre. M.-
M. Compère, Du collège au lycée (1500-1850), Paris, Gallimard,
1985.
31-B. Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France 1.
L'Eglise et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1937.

Les grandes familles FIANÇAILLES

COLLÈGE
"Carnet", Mlle Beatrix Balsan, sœur de Patrick, 3e, fille de François, 19, avec le Comte Louis
Entre-nous, 212, de Contenson = Mlle Marie Rochette de Lempdes, sœur de Xavier, 5e, Denys, 7e,
juin 1961, p. 50. et Alain, 0e, avec M. Yves de Tarlé = Mlle Marie-Noël Rodde, sœur de François,
Ph., Vincent, 4e, et Pascal, 8e, avec M. Jean Revol.
I

MARIAGES
Mlle Hélène Le Brun, employée au Collège, avec M. Michel Gaulier = Mlle Béatrice
O'Neill, sœur d'André, 8e, et de Niai, Ie, avec M. Robert Gaullier = Mlle Christine
Huyghues Despointes, sœur de Vincent, 6e, avec le Comte François de Vitry d'Avan-
I

court = Michel Hermary, 53, frère d'Antoine, 5-, et de Philippe, 46, avec MUe Laurence
Renaud = Philippe de Margerie, 55, frère de Charles, R, André, 7e, Antoine, 59, avec
MUe Dolores de Yturbe, sœur de Miguel, 59 = Pierre Terray, 49, frère de Xavier, H,
avec MUe Béatrice de Carmoy, sœur de Pierre, 61 Pierre Aumônier, 53, frère de
Bernard, 59, Jean, 60, Philippe, H, avec MUe Jeanne Grenier, sœur de François, 50 =
;

Mlle Brigitte de Bouchony de Montalet, sœur d'Alain, 6e, avec M. Jean-François Triniac
de Parade = Mlle Béatrice de Surirey de Saint-Rémy, sœur de Hubert, 55, François, 57,
Michel, R, Bertrand, 3e, Philippe, 5e, avec M. Hervé de Laubier = MUe Chantai Ingé,
sœur de Francis, 3e, avec M. Jean-Pierre Hatt.

liens professionnels, amicaux et matrimoniaux que la
fréquentation de cette école n'a pu que renforcer. Le rapprochement des
familles pouvait être facilité par un mode de scolarisation
regroupant à l'intérieur de l'établissement les activités scolaires et les
loisirs qui rendaient plus improbables les contacts avec d'autres
milieux sociaux. C'est vrai tout particulièrement des futurs
ingénieurs, scolarisés dans un milieu clos du fait de leur orientation
chez les jésuites, de leur prime enfance jusqu'à leur entrée dans
une grande école.
On a regroupé, pour l'ensemble des enquêtes sortis
de Saint-Louis-de-Gonzague, les informations
recueillies par questionnaire sur la situation
professionnelle et familiale des conjoints et des parents de
l'enquêté avec d'autres informations permettant de
mieux apprécier l'importance et la nature du
patrimoine familial : nomination dans le Bottin mondain,
le Who's who et mention des informations qui y sont
relevées concernant la possession d'une affaire
familiale, l'appartenance à la noblesse (contrôlée par la
mention dans des dictionnaires spécialisés), les
décorations, l'affiliation à un club. Ces informations
permettent d'observer que l'exercice d'une activité
professionnelle par l'épouse est, semble-t-il,
indépendant de la taille de la famille ; bien au contraire,
certains ménages dans lesquels les deux conjoints
exercent une profession libérale sont parmi ceux
qui ont le plus d'enfants. On remarque aussi que
l'épouse est d'autant plus souvent active que le mari
n'a pas fait une grande école, n'est pas cadre dans le
privé. Effet de l'orientation scolaire sur le marché
matrimonial, les épouses des enquêtes exerçant
une profession libérale ont pu rencontrer leur
conjoint pendant leurs études ou au cours des
premières années de vie professionnelle, c'est-à-dire,
contrairement aux femmes d'ingénieurs, sur un
marché scolaire et un marché du travail où les hommes
n'avaient plus le monopole de la formation.
Contrairement toutefois aux enseignantes
mariées à des enseignants, ces femmes exercent,
semble-t-il, leur profession dans la plupart des cas sur un
mode "mineur". Même si elles ont accédé au même
marché du travail que leur mari, c'est pour occuper
des emplois qu'on pourrait qualifier de "réservés aux
femmes mariées" dans la mesure où ils leur
permettent de mener de front une activité professionnelle
et une activité familiale "à plein temps", si on entend
par là le fait qu'elles ont eu une carrière de mère de
famille (relativement) nombreuse, dans un cadre de
vie familial conservant l'essentiel des valeurs familia-
listes. Ainsi, lorsqu'elles sont médecins ou dentistes,
c'est plutôt à mi-temps, ou comme vacataires,
employées par la DASS par exemple, alors que leur
mari est médecin installé en profession libérale ou
médecin hospitalier spécialiste. Même titulaires
d'une licence ou d'une maîtrise, elles exercent
souvent des professions "limites" susceptibles de mettre
en valeur leur capital féminin et familialiste, par
exemple graphologue, animatrice de formation
continue ou, plus évident encore, conseillère
conjugale.
L'ensemble des caractéristiques
biographiques des anciens élèves de cette école qui manifeste
la conservation d'un style de vie familial dont la force
s'est relativement maintenue malgré les contraintes
spécifiques de chacun des marchés du travail, permet
de comprendre comment les enquêtes qui ne sont
pas devenus cadres du privé ont pu conserver les
valeurs du privé au-delà des frontières de ce marché du
Les effets d'une "éducation totale" 43
suite de la p. 41
teur, joue de la trompette, il s'initie "à la
recherche dans le domaine de la voix" avec un
groupe de médecins, il suit des cours
d'informatique sur le campus. Il va parfois le soir au
cinéma avec sa femme (c'est elle qui, entre temps,
est retournée à la maison pour préparer le
dîner des enfants). Il ne passe vraiment en famille
que les week-ends et les vacances, en général
dans une maison qu'ils ont achetée dans le Ver-
cors, et l'été ils voyagent en caravane à
l'étranger.
Catholique pratiquant, comme sa femme,
"avec une certaine distance, mais sans critique"
(il se sent par exemple plus à l'aise avec
"l'équipe liturgique présente sur leur lieu de
vacances que dans leur paroisse grenobloise"), il
tient à ce que ses enfants, scolarisés dans
l'enseignement public (les deux aînés sont élèves au
lycée Cham poll ion Vest quand même un bon
lycée de Grenoble"), aillent aux louveteaux et au
catéchisme. Il se sent "coincé à Grenoble", une
ville qu'il n'aime pas, "qui n'a pas d'âme", où "les
gens font leur expérience professionnelle puis
ensuite partent ailleurs" comme cela a été le cas
pour beaucoup de ses amis, mais qui a
"l'avantage d'une ville de province où vous pouvez
suivre des cours d'informatique, n'importe quel
atelier de poterie, de tissage, faire du yoga, faire
de la gymnastique, tout est proche, ça ne coûte
pas cher". Même s'il continue à faire un travail
de recherche en orthophonie, "il n'y croit plus
beaucoup" : "J'ai tracé une croix dessus, c'est
pour ça que je m'investis ailleurs en fait dans
d'autres activités, je ne peux plus m'investir
dans mon travail". Responsable local á'Amnes-
ty international, il pense que politiquement "gens
de gauche, gens de droite, ça ne veut rien dire".
Secrétaire de l'ensemble musical,
vice-président de l'union sportive de la commune dans
laquelle il résidait avant de s'installer en ville, il
est toujours délégué de parents d'élèves.
Conscient d'appartenir comme ses parents à la
bourgeoisie, il définit son milieu actuel comme
"moins conformiste et plus ouvert à toutes les
catégories sociales".
travail. Les valeurs de l'école et de la famille ne
s'opposent pas nécessairement : même dans les milieux
les plus attachés à la division traditionnelle du travail
familial, les femmes avaient intérêt à s'approprier ces
nouvelles formes de travail "qualifié" qui sont autant
d'investissements nécessaires pour la carrière de leur
mari ou la réussite scolaire de leurs enfants. Il s'agit
là de formes de qualification qu'elles se sont
appropriées d'autant plus facilement qu'elles avaient fait
des études supérieures et qu'elles bénéficiaient
d'une expérience professionnelle. Pour devenir une
"bonne épouse" de cadre, une bonne éducation et de
la bonne volonté ne suffisent pas toujours. Le
capital moral qui est au fondement du capital familial
exige une reconversion en titres scolaires et en
qualification professionnelle d'autant plus importante
que la carrière du mari ne s'appuie plus uniquement
sur la transmission d'un patrimoine économique.