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l’Université
de
Montréal
L'éducation pour tous
8. L’esprit nouveau
d'une école nouvelle
p. 147-157
Résumé
Une école nouvelle doit être animée par un esprit nouveau. Avant
de s’engager dans l’analyse de la place et du rôle des diverses
matières dans les programmes d’études élémentaires et
secondaires, la Commission précise l’organisation et l’esprit de
l’enseignement et des programmes : « C’est en fonction des besoins
de l’enfant que doivent s’aménager les programmes d’études et tout
le système scolaire. » Les pratiques de l’école doivent tenir compte
des particularités de l’enfant et de l’adolescent et des différences
entre les individus. La pédagogie doit être engageante pour l’élève.
Les parents sont appelés à une collaboration beaucoup plus étroite
avec l’école pour faciliter la mise en œuvre de la réforme, pour
organiser les activités parascolaires, pour partager les informations
sur les élèves. Le maître doit quitter sa tribune et, sous l’inspiration
d’une pédagogie active, habituer les élèves à apprendre, à
comprendre et à travailler. Pour les commissaires, « l’attitude
interrogative et l’esprit de recherche vont obliger chaque élève à
s’engager lui-même beaucoup plus activement dans le travail
intellectuel, à être lui-même le principal agent de son
développement et de sa formation ». L’école élémentaire et l’école
secondaire doivent faire place à trois grands groupes de
disciplines : arts et disciplines de l’expression, sciences de la nature
et de l’homme, disciplines de synthèse et de formation générale de
la personne ; au secondaire, un système d’options graduelles doit
être introduit ainsi que l’enseignement professionnel ou de métiers
pour les élèves dont les talents et les capacités vont dans cette
direction. L’important tient en deux choses : une pédagogie active
et un cheminement scolaire mariant des matières de formation
générale à des options permettant une très prudente et progressive
orientation personnelle.
Note de l’éditeur
Source : Volume 3, chapitre II, par. 525 ; 533 ; 535-543 ; 545-556 ;
560-561.
Texte intégral
1 525. — Toute notre enquête et notre rapport, toutes les
structures supérieures et le ministère, toutes les
structures régionales et le régime financier, toutes les
structures pédagogiques ont un seul objet :
l’enseignement à donner aux enfants. Cette vaste
architecture d’ensemble est destinée à abriter la
jeunesse du Québec, c’est-à-dire tous les enfants de la
province, qu’ils soient riches ou pauvres, intelligents ou
peu doués, promis à un brillant avenir ou appelés à
jouer un rôle plus modeste. Ce qui importe d’abord, ce
n’est pas de conserver ou de créer tel type
d’administration ou de financement, telle catégorie de
fonctionnaires, tel genre d’institutions, mais de protéger
et développer chaque enfant ; administrateurs,
fonctionnaires, institutions, maîtres, système
d’enseignement n’existent qu’à cette fin. L’école n’est
pas d’abord un lieu où règnent des administrateurs et
des enseignants ; c’est un lieu mis à la disposition de
l’enfant pour qu’il y travaille à son apprentissage
intellectuel et humain ; l’école est l’atelier de cet
apprentissage. Maîtres et orienteurs guident cet
apprenti vers les instruments et outils intellectuels —
cours, laboratoires, livres, principes de base, notions,
connaissances — qui favoriseront cette évolution si
intense, si active, si difficile parfois vers la maturité.
L’éducation des jeunes et les progrès de l’enseignement
doivent s’appuyer sur une constante attention naturelle
à l’égard de l’enfant aussi bien que sur la recherche.
C’est en fonction des besoins de l’enfant que doivent
s’aménager les programmes d’études et tout le système
scolaire.
L’attention à l’enfant
2 [...]
3 533. — Un système scolaire attentif à l’enfant doit donc
faire du maître un collaborateur de l’enfant dans ce
travail de maturation et de développement, qui est sans
doute la période la plus mystérieusement active de toute
l’existence. On ne doit pas sans cesse imposer du dehors
des connaissances et des notions ; l’adulte doit se faire
discret ; il doit respecter ce qui vient de l’enfant même ;
savoir l’écouter, chercher à le comprendre. Dans cette
situation inégale d’un adulte possédant toute l’autorité,
le langage, les connaissances, en face d’un enfant à qui
on ne demande habituellement que docilité, conformité
à ce que veut l’adulte, l’enfant peut être irrité ou blessé
dans le sentiment de sa dignité personnelle ou dans son
bon sens parfois remarquable ; qu’un adulte essaie de
camoufler une vérité, de donner de fausses raisons,
d’imposer d’autorité sa propre opinion, l’écolier en sera
parfois blessé ou rebuté plus vivement qu’un adulte.
4 [...]
5 535. — C’est surtout au moment de l’adolescence que
l’affectivité semble prendre le pas sur le développement
intellectuel de l’écolier. [...] Garçons et filles manifestent
alors leur besoin d’indépendance, leur goût de
l’évasion ; instabilité et affirmation du moi,
indépendance et conformisme, goût de la solitude et de
la camaraderie ou de l’amitié, insécurité et désir
d’émancipation, effervescence sentimentale et lassitude
physiologique alternent en eux. C’est avec ce mélange
d’idéalisme et de violence, de sentimentalité et de
révolte que doit compter l’éducateur ; il doit accepter
que la personnalité de l’adolescent s’affirme, qu’il
réclame son autonomie, il doit s’attendre à l’instabilité
de l’adolescent afin de ne pas en éprouver une
déception exagérée, il doit fournir aux jeunes de cet âge
des moyens de satisfaire et d’utiliser positivement leur
besoin d’évasion, il doit les aider à voir plus clair dans
leurs sentiments, à dégager leur personnalité véritable
sans peurs ni angoisses exagérées, à surmonter leurs
ambivalences, à mieux se comprendre dans leurs
attitudes nouvelles vis-à-vis leurs parents, leurs maîtres,
leurs camarades, leur univers moral et religieux ; le
maître doit, à l’occasion, leur laisser percevoir que cette
traversée, parfois si difficile, de l’adolescence fait partie
de toute vie humaine, comme les cris et les pleurs de la
première enfance, bien que les adultes semblent ensuite
avoir oublié ces deux étapes de la vie aussi totalement
l’une que l’autre. C’est à ces adolescents pleins de
tumulte intérieur, incertains de leurs gestes, de leur
corps et de tout leur être, que le maître a cependant
mission de faire aimer l’étude, de donner une soif de
comprendre tout ce qui se passe autour d’eux ; c’est eux
qu’il a mission d’intégrer graduellement à la vie de plus
en plus complexe du monde où nous vivons, de les y
intégrer par l’activité scolaire, et selon une dynamique
culturelle qui les incitera à participer eux-mêmes un
jour à cette évolution du monde.
6 536. — Un autre aspect de l’enfance et de l’adolescence
dont les parents et les maîtres ont à tenir compte, c’est
l’extrême diversité entre les enfants, aussi bien dans
une même famille que dans une même classe. Un maître
croit comprendre une réaction collective de sa classe, et
sans doute a raison de le croire ; mais que de diversités
d’attitudes sous une certaine unanimité ; chacun de ces
enfants est unique. L’adulte, au cours de cette lente prise
de conscience des caractères de l’enfance, a perçu cette
diversité et a cherché à mieux y adapter les systèmes
scolaires. Vouloir couler tous les écoliers dans un même
moule, c’est probablement briser chez plusieurs ce qu’il
y avait peut-être de plus personnel, de plus fragile, ou
comprimer des éléments de la personnalité. On s’en est
rendu compte sur le plan de la discipline scolaire avant
de s’en rendre compte sur le plan des programmes
d’études [...] Ce n’est que peu à peu que la
compréhension de cette diversité a poussé les
éducateurs à grouper les élèves d’une classe selon
divers rythmes d’apprentissage pour chacun des degrés
du cours, ce qui permet d’individualiser un peu mieux
l’enseignement ; cette compréhension, jointe à une prise
de conscience plus nette de la multiplicité des fonctions
sociales vers lesquelles se dirigent les élèves, dans un
système scolaire ouvert à tous, a poussé aussi les
éducateurs à des subdivisions du programme en
sections, puis à des assouplissements sous forme de
cours-options.
7 537. — Cependant, quelles que soient les différences
entre l’enfant et l’adulte ou la diversité entre les enfants,
tous les écoliers ont certains besoins communs : se
garder en bonne santé et se développer physiquement,
jouer, s’amuser, s’épanouir affectivement, apprendre à
vivre en société et à se conformer à l’ordre que cela
suppose, se développer intellectuellement et
moralement et s’instruire, se préparer à la vie d’adulte.
Parents et maîtres, spécialistes des diverses disciplines,
services d’orientation et de psychologie, service médical
et service social doivent éviter de ne considérer l’enfant
que sous l’angle particulier qui est le leur ; l’unité de sa
personne intellectuelle, affective, physique, sociale doit
rester bien présente à l’esprit de chacun de ces
éducateurs. C’est pourquoi l’éducation de l’enfant ne
peut vraiment se réaliser pleinement que par une
étroite collaboration entre tous les éducateurs.