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Presses de

l’Université
de
Montréal
L'éducation pour tous

8. L’esprit nouveau
d'une école nouvelle
p. 147-157

Résumé
Une école nouvelle doit être animée par un esprit nouveau. Avant
de s’engager dans l’analyse de la place et du rôle des diverses
matières dans les programmes d’études élémentaires et
secondaires, la Commission précise l’organisation et l’esprit de
l’enseignement et des programmes : « C’est en fonction des besoins
de l’enfant que doivent s’aménager les programmes d’études et tout
le système scolaire. » Les pratiques de l’école doivent tenir compte
des particularités de l’enfant et de l’adolescent et des différences
entre les individus. La pédagogie doit être engageante pour l’élève.
Les parents sont appelés à une collaboration beaucoup plus étroite
avec l’école pour faciliter la mise en œuvre de la réforme, pour
organiser les activités parascolaires, pour partager les informations
sur les élèves. Le maître doit quitter sa tribune et, sous l’inspiration
d’une pédagogie active, habituer les élèves à apprendre, à
comprendre et à travailler. Pour les commissaires, « l’attitude
interrogative et l’esprit de recherche vont obliger chaque élève à
s’engager lui-même beaucoup plus activement dans le travail
intellectuel, à être lui-même le principal agent de son
développement et de sa formation ». L’école élémentaire et l’école
secondaire doivent faire place à trois grands groupes de
disciplines : arts et disciplines de l’expression, sciences de la nature
et de l’homme, disciplines de synthèse et de formation générale de
la personne ; au secondaire, un système d’options graduelles doit
être introduit ainsi que l’enseignement professionnel ou de métiers
pour les élèves dont les talents et les capacités vont dans cette
direction. L’important tient en deux choses : une pédagogie active
et un cheminement scolaire mariant des matières de formation
générale à des options permettant une très prudente et progressive
orientation personnelle.

Note de l’éditeur
Source : Volume 3, chapitre II, par. 525 ; 533 ; 535-543 ; 545-556 ;
560-561.

Texte intégral
1 525. — Toute notre enquête et notre rapport, toutes les
structures supérieures et le ministère, toutes les
structures régionales et le régime financier, toutes les
structures pédagogiques ont un seul objet :
l’enseignement à donner aux enfants. Cette vaste
architecture d’ensemble est destinée à abriter la
jeunesse du Québec, c’est-à-dire tous les enfants de la
province, qu’ils soient riches ou pauvres, intelligents ou
peu doués, promis à un brillant avenir ou appelés à
jouer un rôle plus modeste. Ce qui importe d’abord, ce
n’est pas de conserver ou de créer tel type
d’administration ou de financement, telle catégorie de
fonctionnaires, tel genre d’institutions, mais de protéger
et développer chaque enfant ; administrateurs,
fonctionnaires, institutions, maîtres, système
d’enseignement n’existent qu’à cette fin. L’école n’est
pas d’abord un lieu où règnent des administrateurs et
des enseignants ; c’est un lieu mis à la disposition de
l’enfant pour qu’il y travaille à son apprentissage
intellectuel et humain ; l’école est l’atelier de cet
apprentissage. Maîtres et orienteurs guident cet
apprenti vers les instruments et outils intellectuels —
cours, laboratoires, livres, principes de base, notions,
connaissances — qui favoriseront cette évolution si
intense, si active, si difficile parfois vers la maturité.
L’éducation des jeunes et les progrès de l’enseignement
doivent s’appuyer sur une constante attention naturelle
à l’égard de l’enfant aussi bien que sur la recherche.
C’est en fonction des besoins de l’enfant que doivent
s’aménager les programmes d’études et tout le système
scolaire.

L’attention à l’enfant
2 [...]
3 533. — Un système scolaire attentif à l’enfant doit donc
faire du maître un collaborateur de l’enfant dans ce
travail de maturation et de développement, qui est sans
doute la période la plus mystérieusement active de toute
l’existence. On ne doit pas sans cesse imposer du dehors
des connaissances et des notions ; l’adulte doit se faire
discret ; il doit respecter ce qui vient de l’enfant même ;
savoir l’écouter, chercher à le comprendre. Dans cette
situation inégale d’un adulte possédant toute l’autorité,
le langage, les connaissances, en face d’un enfant à qui
on ne demande habituellement que docilité, conformité
à ce que veut l’adulte, l’enfant peut être irrité ou blessé
dans le sentiment de sa dignité personnelle ou dans son
bon sens parfois remarquable ; qu’un adulte essaie de
camoufler une vérité, de donner de fausses raisons,
d’imposer d’autorité sa propre opinion, l’écolier en sera
parfois blessé ou rebuté plus vivement qu’un adulte.
4 [...]
5 535. — C’est surtout au moment de l’adolescence que
l’affectivité semble prendre le pas sur le développement
intellectuel de l’écolier. [...] Garçons et filles manifestent
alors leur besoin d’indépendance, leur goût de
l’évasion ; instabilité et affirmation du moi,
indépendance et conformisme, goût de la solitude et de
la camaraderie ou de l’amitié, insécurité et désir
d’émancipation, effervescence sentimentale et lassitude
physiologique alternent en eux. C’est avec ce mélange
d’idéalisme et de violence, de sentimentalité et de
révolte que doit compter l’éducateur ; il doit accepter
que la personnalité de l’adolescent s’affirme, qu’il
réclame son autonomie, il doit s’attendre à l’instabilité
de l’adolescent afin de ne pas en éprouver une
déception exagérée, il doit fournir aux jeunes de cet âge
des moyens de satisfaire et d’utiliser positivement leur
besoin d’évasion, il doit les aider à voir plus clair dans
leurs sentiments, à dégager leur personnalité véritable
sans peurs ni angoisses exagérées, à surmonter leurs
ambivalences, à mieux se comprendre dans leurs
attitudes nouvelles vis-à-vis leurs parents, leurs maîtres,
leurs camarades, leur univers moral et religieux ; le
maître doit, à l’occasion, leur laisser percevoir que cette
traversée, parfois si difficile, de l’adolescence fait partie
de toute vie humaine, comme les cris et les pleurs de la
première enfance, bien que les adultes semblent ensuite
avoir oublié ces deux étapes de la vie aussi totalement
l’une que l’autre. C’est à ces adolescents pleins de
tumulte intérieur, incertains de leurs gestes, de leur
corps et de tout leur être, que le maître a cependant
mission de faire aimer l’étude, de donner une soif de
comprendre tout ce qui se passe autour d’eux ; c’est eux
qu’il a mission d’intégrer graduellement à la vie de plus
en plus complexe du monde où nous vivons, de les y
intégrer par l’activité scolaire, et selon une dynamique
culturelle qui les incitera à participer eux-mêmes un
jour à cette évolution du monde.
6 536. — Un autre aspect de l’enfance et de l’adolescence
dont les parents et les maîtres ont à tenir compte, c’est
l’extrême diversité entre les enfants, aussi bien dans
une même famille que dans une même classe. Un maître
croit comprendre une réaction collective de sa classe, et
sans doute a raison de le croire ; mais que de diversités
d’attitudes sous une certaine unanimité ; chacun de ces
enfants est unique. L’adulte, au cours de cette lente prise
de conscience des caractères de l’enfance, a perçu cette
diversité et a cherché à mieux y adapter les systèmes
scolaires. Vouloir couler tous les écoliers dans un même
moule, c’est probablement briser chez plusieurs ce qu’il
y avait peut-être de plus personnel, de plus fragile, ou
comprimer des éléments de la personnalité. On s’en est
rendu compte sur le plan de la discipline scolaire avant
de s’en rendre compte sur le plan des programmes
d’études [...] Ce n’est que peu à peu que la
compréhension de cette diversité a poussé les
éducateurs à grouper les élèves d’une classe selon
divers rythmes d’apprentissage pour chacun des degrés
du cours, ce qui permet d’individualiser un peu mieux
l’enseignement ; cette compréhension, jointe à une prise
de conscience plus nette de la multiplicité des fonctions
sociales vers lesquelles se dirigent les élèves, dans un
système scolaire ouvert à tous, a poussé aussi les
éducateurs à des subdivisions du programme en
sections, puis à des assouplissements sous forme de
cours-options.
7 537. — Cependant, quelles que soient les différences
entre l’enfant et l’adulte ou la diversité entre les enfants,
tous les écoliers ont certains besoins communs : se
garder en bonne santé et se développer physiquement,
jouer, s’amuser, s’épanouir affectivement, apprendre à
vivre en société et à se conformer à l’ordre que cela
suppose, se développer intellectuellement et
moralement et s’instruire, se préparer à la vie d’adulte.
Parents et maîtres, spécialistes des diverses disciplines,
services d’orientation et de psychologie, service médical
et service social doivent éviter de ne considérer l’enfant
que sous l’angle particulier qui est le leur ; l’unité de sa
personne intellectuelle, affective, physique, sociale doit
rester bien présente à l’esprit de chacun de ces
éducateurs. C’est pourquoi l’éducation de l’enfant ne
peut vraiment se réaliser pleinement que par une
étroite collaboration entre tous les éducateurs.

Les parents et les maîtres


8 538. — [...] En définitive, un éducateur conscient ne peut
plus enseigner à une classe comme s’il s’agissait d’une
masse anonyme, indistincte et docile ; il sait qu’il a
affaire à un groupe assez différencié et complexe ; il a
désormais assez nettement conscience de l’autonomie
de ces écoliers ou de ces adolescents ; il sait à quel point
ils seront rapidement de jeunes adultes, doués d’énergie
ou de violence, et plusieurs, pleins de ressources et
d’intelligence ; il sait que certains le dépasseront, dans
peu d’années, et par leurs dons et par ce qu’ils en feront.
Les parents et les maîtres, devant cette jeunesse
nouvelle, sont à la fois fiers et inquiets, partagés entre
l’espoir et l’incertitude. Mais ils savent que l’ère de
l’autoritarisme est révolue. Le maître ne peut plus être
uniquement un régent ou un conférencier ; c’est un
guide, un aîné, un être lui-même constamment à la
recherche de la vérité.
9 539. — Parents et maîtres, partageant certaines
perplexités, se posant parfois les mêmes questions,
cherchant les uns et les autres à mieux comprendre et à
mieux aider l’enfant, ont senti le besoin de se
rapprocher. L’école et la famille doivent collaborer, afin
que chaque enfant tire le meilleur profit possible de
l’éducation et de l’enseignement ; un divorce entre
l’école et la famille peut contraindre l’enfant à une
scission ou à un partage intérieur qui est un gaspillage
d’énergie. Maîtres et parents doivent pouvoir compter
les uns sur les autres ; le maître ne doit jamais blesser
un enfant quant à ce qu’il tient de sa famille ; la famille
doit habituer l’enfant à respecter les maîtres, l’école, le
travail scolaire, l’instruction et l’éducation.
10 540. — En plus de se manifester un respect mutuel que
l’enfant doit percevoir comme bien sincère, parents et
maîtres auront à s’aider les uns les autres pour
contribuer à l’adaptation harmonieuse de l’enfant aux
réformes scolaires. La régionalisation, la pédagogie et
les programmes nouveaux, le système d’options et
l’orientation scolaire qu’il suppose, vont réclamer des
parents et des maîtres certains changements dans leurs
habitudes et dans leur mentalité. Parents et maîtres
devront faire preuve de compréhension. Toute
modernisation de l’enseignement est difficile ; les
parents doivent mettre l’épaule à la roue, durant ces
années de transition. L’enfant doit sentir que tous
unissent leurs efforts en vue de son bien, du succès de
ses études et de son éducation, il doit se sentir aimé par
eux tous, mais savoir aussi qu’il doit en retour faire sa
part dans cette entreprise commune. [...]
11 541. — Les parents devront s’habituer, de diverses
manières, à collaborer plus concrètement avec l’école
qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici en général : conseils et aide
pour l’amélioration du service de cafétéria ou de
cantine, préparation à la maison de repas bien
équilibrés pour les enfants, parfois changement de
l’heure des repas familiaux pour accommoder l’enfant
qui utilise les services de transport scolaire ou doit
prolonger sa journée de classe afin de suivre certains
cours-options. Dans quelques écoles de ville, les parents
eux-mêmes assurent le service de la cafétéria ou ont
organisé le transport des enfants aux concerts
symphoniques de l’après-midi. Innombrables sont les
domaines où une association de parents bien organisée
peut améliorer grandement la vie scolaire et para-
scolaire des enfants : activités culturelles, alimentation
et hygiène à l’école et dans la famille, etc.
12 542. — Le rôle de l’école étant principalement le
développement intellectuel de l’enfant, c’est surtout
dans ce domaine que parents et maîtres ont besoin de
communiquer entre eux et de collaborer. Les maîtres
doivent considérer l’intervention des parents non pas
comme une intrusion encombrante, bien qu’il arrive
sans doute qu’elle le soit, mais comme un mouvement
naturel et nécessaire, et comme un apport qui peut être
précieux, à condition que parents et maîtres en arrivent
à des échanges de vues et de renseignements vraiment
naturels et sincères, reflétant une même préoccupation
du plus grand bien de l’enfant. Le principal de l’école
doit, deux ou trois fois dans l’année, s’adresser aux
parents réunis, pour leur faire comprendre le rôle qu’ils
peuvent jouer, solliciter leur opinion, leur faire
rencontrer les maîtres. Le principal et les maîtres ont un
devoir de vérité envers les parents, malgré le désir bien
naturel de ceux-ci de n’entendre dire que des choses
aimables de leurs enfants. Les bulletins scolaires
doivent être significatifs et l’on doit habituer les parents
à les lire avec attention. Dans le cas d’enseignants très
jeunes et inexpérimentés, mieux vaut que ce soit le
principal lui-même qui explique aux parents les
problèmes que rencontre et que présente leur enfant.
13 543. — C’est évidemment le problème de l’orientation
scolaire qui réclamera le plus la participation des
parents. Les enseignants, les parents, l’orienteur doivent
tous aider l’enfant à choisir les cours qui conviennent le
mieux à ses aptitudes et à ses goûts. [...] Parents, maîtres
et orienteurs seront les intermédiaires entre l’enfant et
les disciplines qui constituent l’objet de son expérience
intellectuelle, de ses recherches, de ses réflexions et de
ses études.

Matières, méthodes et atmosphères


nouvelles
14 [...]
15 545. — Dans cette école où le maître ne se tiendra plus
constamment à sa tribune mais participera aux
recherches en équipe, travaillera au laboratoire de
langues, « fera faire » de la physique et de la chimie en
laboratoire autant et plus même qu’il n’en enseignera
théoriquement, les relations du maître et de l’élève et
l’atmosphère de l’école seront modifiées. L’école, se
donnant pour mission d’habituer les élèves à
apprendre, à comprendre, à travailler verra le maître en
train lui aussi de chercher la solution à un problème qui
lui a été posé, beaucoup plus souvent qu’en train de
transmettre des connaissances livresques constituant
un ensemble indigeste ; le manuel sera un ouvrage de
consultation, comme le dictionnaire, la grammaire ;
mais l’expérimentation et la recherche personnelle
seront une source tout aussi fréquente et ordinaire de
connaissances. On aura des classes interrogation et
recherche tout autant que des classes transmission de
connaissances. Les parents ont, eux aussi, tout comme
les maîtres, à comprendre et accepter ces méthodes
nouvelles, plus profitables à l’enfant. Et le maître sera
ainsi, à son tour, une sorte d’élève ; il apprendra de ses
écoliers bien des choses : d’abord à mieux les connaître,
ensuite à mieux voir et mieux respecter leur sérieux,
leur bonne volonté, leur initiative, leur intelligence, leur
indépendance qui est une étape vers leur nécessaire
autonomie et l’une des formes de leur dignité.
16 546. — Dans cette école nouvelle, cette école-atelier où
voisineront des salles où l’on travaille le fer et les
moteurs et des classes où se donne le cours d’analyse
littéraire, d’espagnol et d’histoire de l’art, le costume de
gymnase fera partie de l’équipement de l’enfant tout
autant que le dictionnaire français ; certains élèves
seront déjà très sérieusement en train de s’initier au
métier ou à l’occupation technique au moyen desquels
ils gagneront leur vie dans un an ou deux. On n’aura pas
là une école de bricolage, ni une école médiocre et
insuffisante du point de vue intellectuel ; ce sera une
école proche de la vie, habituant déjà l’élève au contact
avec les réalités concrètes. Chacun y trouvera non
seulement la discipline de l’esprit, mais la coordination
de l’intelligence avec les yeux et avec les mains, avec le
mouvement et avec le réel. L’élève apprendra à
connaître et à aimer l’ensemble des jeunes de sa
génération, quelle que doive être la destinée de chacun
dans la vie. Seul un système scolaire collant ainsi
solidement au réel peut éviter à la province l’énorme
gaspillage intellectuel qui condamne actuellement des
milliers d’adolescents au chômage, à des occupations où
ils ne donnent pas leur mesure, à l’insatisfaction et à
l’amertume.
17 547. — L’attitude interrogative et l’esprit de recherche
vont obliger chaque élève à s’engager beaucoup plus
activement dans le travail intellectuel, à être lui-même
le principal agent de son développement et de sa
formation. La mémoire ne devra pas pour autant cesser
de servir, mais son rôle ne sera pas prédominant. Un
enseignement qui pose des questions et cherche des
réponses, qui oblige chacun à expérimenter, à « faire »
de la science, à « parler » autant qu’à écrire sa propre
langue et les autres langues réclame des maîtres qui
connaissent bien leur matière, qui sont capables de
l’apprendre et de s’y perfectionner sans cesse ; la classe
est pour eux un enseignement autant que pour leurs
élèves ; mais la passivité de l’enseignement livresque
n’est plus possible. L’interrogation en commun oblige le
maître à la modestie, car il ne connaît pas toutes les
réponses, doit souvent l’admettre, demander à sa classe
le temps nécessaire pour trouver la réponse à une
question, à un problème. Pour savoir où et comment
chercher, le maître doit être bien formé ou bien
encadré ; c’est pourquoi nous recommandons que, pour
le niveau élémentaire, un spécialiste des diverses
matières puisse, au besoin, aider le maître de ses
conseils ou lui donner les renseignements utiles. Au
secondaire, nous voulons que les professeurs de
français, par exemple, ou de mathématiques, forment
une équipe, puissent se consulter les uns les autres,
échanger des méthodes et des informations ; un
professeur moins sûr de lui-même, moins expérimenté
ou moins spécialisé, pourra toujours, de cette façon, être
assuré d’une aide et des conseils nécessaires.
18 548. — Le cours élémentaire, dont les objectifs sont
restés à peu près les mêmes au cours des diverses
réformes qu’a subies l’enseignement, conserve le
programme d’ensemble qui a toujours été plus ou moins
le sien : lecture, écriture, calcul, formation morale et
religieuse. Le prolongement de la scolarité obligatoire a
permis de reporter au secondaire des notions qu’on
jugeait utiles comme préparation à la vie. C’est surtout
sur le plan des méthodes que les classes élémentaires se
sont modifiées ; et cette rénovation a entraîné par la
suite un mouvement semblable de rénovation
pédagogique dans l’enseignement secondaire. Il n’est
pas impossible cependant que l’enseignement
élémentaire soit appelé tôt ou tard à réviser à son tour
jusqu’à son programme [...]

Nouvel équilibre des programmes d’études


19 549. — Mais c’est au niveau secondaire que, pour le
moment, les transformations se produisent. Pour bien
répondre aux nécessités de notre temps et aux besoins
des enfants et des adolescents d’aujourd’hui, les
programmes d’études doivent subir, à intervalles
réguliers, des transformations. Le choix des disciplines à
enseigner dans les écoles peut varier considérablement
d’une époque à une autre, d’un pays à l’autre. [...]
20 550. — La place réservée dans l’horaire aux diverses
matières du programme marque la quantité de travail
scolaire qu’elles requièrent si l’on veut y atteindre à un
certain niveau de connaissances et de formation ; il est
certain que pour saisir aujourd’hui un minimum des
notions scientifiques courantes, il faut y mettre plus de
travail et plus de temps qu’on ne devait en mettre il y a
100 ans. Les horaires n’étant pas extensibles à l’infini,
on ne peut augmenter la part des sciences ni introduire
l’éducation physique, artistique et technique sans
emprunter du temps à une autre matière. Dans une
province comme la nôtre où le français, langue de la
majorité, subit constamment les pressions de
l’Amérique anglophone, on doit consacrer à
l’enseignement du français les efforts et le temps
nécessaires si on veut en assurer la survie et la qualité.
[...]
21 551. — Un programme bien conçu doit tenir compte du
temps qu’il faut pour en arriver, dans chaque matière, à
un niveau raisonnable de connaissances ; ce serait, par
exemple, un gaspillage de temps et d’énergie que de
consacrer une seule année à l’étude de l’espagnol ou de
l’allemand pour ensuite abandonner l’apprentissage de
cette langue ; on doit compter trois ou quatre ans pour
en arriver, avec le reste des études, à une certaine
maîtrise d’une langue étrangère. [...]
22 552. — Le programme doit également tenir compte du
niveau de maturité requis pour l’apprentissage de
certaines matières ; ainsi il serait utopique de faire de la
philosophie à l’école élémentaire [...]
23 553. — Cependant, l’amélioration des méthodes
d’enseignement peut faire varier considérablement le
temps à consacrer à l’apprentissage d’une matière. [...]
Par ailleurs, dans bien des disciplines, on tend
aujourd’hui à rejeter l’encyclopédisme, à élaguer ce qui
n’est pas essentiel pour se concentrer sur les principes
de base, à préférer — comme dans les mathématiques et
les sciences — certaines notions nouvellement acquises
à des notions devenues moins importantes.
24 554. — La conception nouvelle de l’humanisme, dont
nous avons parlé plus haut, fait une beaucoup plus large
place aux sciences, envisage les études comme une
préparation de l’enfant à la vie de notre époque. La
culture gréco-latine, centre des études traditionnelles,
n’est plus qu’un des éléments ou des aspects de
l’enseignement. Si l’étude du grec et du latin a pu être si
longtemps un si remarquable instrument de formation
intellectuelle, c’est en grande partie à cause du soin et
du sérieux qu’on y apportait. Nous croyons que toutes
les matières du programme, enseignées avec le même
sérieux, peuvent développer aussi la rigueur
intellectuelle, l’exigence, la précision, la finesse ; c’est
affaire de méthode, de respect du travail bien fait, de la
part du maître et de l’élève. [...] Cependant, dans une
formation devenue beaucoup plus polyvalente, dans
une civilisation où chacun doit savoir se servir de ses
mains, les programmes doivent veiller à ce que cette
polyvalence ne soit pas de la dispersion, ni de
l’éparpillement ; il faut assurer à l’enfant une certaine
continuité et une certaine unité de formation, l’ancrer
non seulement dans le réel contemporain, mais assurer
à l’enfant certains liens avec le passé et la tradition, un
équilibre puisé dans une réflexion synthétique sur les
connaissances, sur le sens de sa destinée.
25 555. — Les chapitres suivants expliquent le choix des
matières que nous proposons en montrant, à propos de
chacune d’elles, sa nécessité et son importance dans la
culture contemporaine, ainsi que sa valeur formatrice
particulière pour l’enfant. On pourrait grouper les
disciplines proposées sous trois chefs :

1. arts et disciplines de l’expression :


langue maternelle
langues anciennes et langues étrangères
modernes
arts plastiques
art cinématographique ;
2. sciences de la nature et de l’homme :
Mathématiques
sciences expérimentales
géographie
histoire
sciences de l’homme ;
3. disciplines de synthèse et formation globale de la
personne :
éducation physique
formation technique ou ménagère
éducation civique et familiale
éducation morale et religieuse
philosophie.

26 Cette classification n’est présentée ici que dans le but


d’établir un certain équilibre pratique dans les
programmes ; nous reconnaissons qu’elle paraîtra assez
arbitraire à qui voudrait la discuter sur le plan
purement théorique. En effet, il y a un aspect technique
dans l’apprentissage des langues et des arts, on peut
trouver des formes d’expression de soi et satisfaire un
sentiment esthétique dans l’étude des sciences et des
techniques. Mais un programme équilibré doit se baser,
nous semble-t-il, sur un dosage harmonieux entre des
orientations réparties à peu près selon ces trois
perspectives.
27 556. — Il nous semble nécessaire qu’un futur homme de
science ait une solide formation linguistique et
artistique ; mais on ne peut, comme autrefois, songer à
former un être humain uniquement dans les disciplines
littéraires. Par ailleurs, des matières enseignées
autrefois dans une perspective culturelle assez générale,
comme l’histoire et la géographie, doivent être fruitées
clairement comme des sciences. Il faut garder un
équilibre entre ces trois groupes de disciplines, dans le
programme de chaque enfant ; l’orientation s’occupera
d’établir cet équilibre, en conformité avec les aptitudes
et les goûts de l’enfant et la carrière vers laquelle il se
dirige.
28 [...]
29 560. — Le programme de chaque semestre ou année
devra être nettement défini, dans les disciplines de base
et dans les cours-options, et en tenant compte de
l’adaptation de ce programme aux deux ou trois
rythmes d’apprentissage à prévoir pour les matières de
base. On devra entraîner les maîtres, au moment de leur
formation, à présenter, à la fin d’une année ou d’un
semestre, une synthèse claire de la matière étudiée ; de
même ils devront, au début d’une année ou d’un
semestre, faire la synthèse de la matière déjà connue et
établir les raccords indispensables avec celle dont on
aborde l’étude. Des réunions entre professeurs d’une
même discipline aux divers niveaux devraient se
donner pour objet de bien assurer cette coordination
verticale.
30 561. — Pour que les élèves — dans un système d’options
où l’on ne vit pas du matin au soir avec un groupe fixe
— n’aient pas l’impression d’un éparpillement dans
leurs études, on devra aussi entraîner les maîtres à
rappeler constamment les liens qui rattachent les
disciplines les unes aux autres, malgré la diversité de
méthodes entre ces disciplines. Le rôle du tuteur [...]
consistera en partie à souligner souvent cette synthèse,
ces rapprochements, l’unité des études ; le tuteur devra
veiller, auprès de la vingtaine d’étudiants dont il a la
responsabilité, à ce que chacun comprenne bien ce qu’il
fait dans chacun des cours et avance, dans tous les
cours, à une cadence satisfaisante. On pourrait aussi,
comme cela se pratique en certains endroits, former des
équipes de quatre ou cinq professeurs — hommes et
femmes — pour un groupe d’une centaine d’élèves ;
cette équipe pourrait se partager le travail, s’occuper du
groupe en collaboration, discuter des expériences à
tenter et des initiatives nouvelles. Pour les étudiants,
cette variété dans l’unité serait peut-être plus
intéressante que la direction assumée par un seul
maître.

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Référence électronique du chapitre
8. L’esprit nouveau d'une école nouvelle In : L'éducation pour tous :
Une anthologie du Rapport Parent [en ligne]. Montréal : Presses de
l’Université de Montréal, 2002 (généré le 02 février 2024).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pum/13302>.
ISBN : 979-10-365-0462-4. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.pum.13302.

Référence électronique du livre


CORBO, Claude (dir.). L'éducation pour tous : Une anthologie du
Rapport Parent. Nouvelle édition [en ligne]. Montréal : Presses de
l’Université de Montréal, 2002 (généré le 02 février 2024).
Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pum/13285>.
ISBN : 979-10-365-0462-4. DOI :
https://doi.org/10.4000/books.pum.13285.
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L'éducation pour tous


Une anthologie du Rapport Parent

Ce livre est cité par


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