Vous êtes sur la page 1sur 394

MOURINHO

Derrière le Special One


De la genèse à la gloire
Nicolas Vilas
Illustration de couverture : Geneviève Gauckler
© Exuvie, Dole, avril 2020
9 rue Patot - 39100 Authume
www.exuvie.fr
ISBN : 978-2-491031-03-9
Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays

NOTE DE L’ÉDITEUR
Qu’est-ce qui n’a pas déjà été écrit sur José Mourinho ? Que ne sait-
on pas de cet homme aussi sulfureux que sur-médiatisé ? Qui ignore
son palmarès et ses frasques, en conférence de presse et sur les
terrains ? Qui ne connait pas le sourire narquois du « Special One
»?
Il n’y aurait aucun intérêt à éditer un énième livre sur José
Mourinho s’il ne s’agissait pas de découvrir une approche nouvelle
avec des informations et un angle inédit. Et c’est ce qui m’a plu dès
nos premiers échanges avec Nicolas Vilas : raconter une histoire et
non pas des histoires.
Car, au fond, qui est donc le véritable Mourinho, le « Zé Mário » des
intimes ?
En passionné consciencieux Nicolas Vilas a recueilli deux années
durant plus de cent témoignages de ses proches en se concentrant
sur une période peu connue de la vie de l’entraîneur portugais. Au fil
des entretiens il a dessiné les contours d’une période fondatrice
avant un départ en Angleterre programmé pour le succès. De cette
genèse, sont ainsi détaillés son enfance depuis le berceau, son
adolescence, sa vie de joueur, sa formation de professeur et
d’éducateur, son rôle d’adjoint auprès des plus grands coachs, ses
débuts d’entraîneurs au Benfica, avant la gloire avec Porto. Une
existence riche et surprenante avant la médiatisation à outrance, et
un personnage savamment créé.
« Mourinho : derrière le Special One » est une véritable enquête au
cœur de la légende, pour accéder à l’humanité profonde de cette
personnalité si marquée. Et il se situe ici, l’intérêt de ce livre, dans sa
dimension humaine, bien loin de la polémique et de la « petite
phrase » ou du énième plagiat. Nicolas Vilas a tourné sa plume de
journaliste vers une dimension sensible et documentée pour nous
partager la seule chose essentielle à conserver : la part de vérité
fondamentale au-delà de l’apparence. La trajectoire immuable des
éditions Exuvie.
Fabien Moine, fondateur des éditions Exuvie.

TABLE DES MATIÈRES


PRÉAMBULE 11
Le petit José 11
Un homme de droite 15
Onze Mondial, Rijkaard et Gullit 16
Félix, le coach : la première étoile 17
La première licence de Zé Mário 19
Les rois de Caldas da Rainha 20
Leiria, quand l’União fait la farce 22
Plus qu’un ramasseur de balles 24
« Un monde de chien » 25
José, joueur sans jouer 26
O Sindicato : l’émancipation 27
La lettre du Sindicato à Mourinho 28
Le Peter Crouch de Bélem 29
L’Amora vache 30
Rio Ave, épisode I 31
Le rendez-vous manqué à l’ISEF 32
José, joueur en D1 (ou presque) 33
« Beau gosse » et Cupidon 33
Vanneur et carotteur 34
« Rebelle et intelligent à la fois » 35
47 buts en une saison ! 36
Son premier match pro 37
« Je suis puni, parce que je suis le fils de l’entraîneur » 38
Belenenses, le retour 40
Le hat-trick de José 41
« Je ne suis pas Mourinho, je suis Zé Mário » 42
« Envie d’être dans le football, autrement » 43
« Pas un adjoint mais… » 43
« Il est né pour être ce qu’il est » 45
Queiróz : « Une époque presque romantique » 45
« Un joueur normal » à Sesimbra 46
« Chie-du-lait » 47
Des « étincelles » à l’entraînement 48
« T’as une voiture ? Non, bah, je vous ramène jusqu’à Setúbal » 49
A fond la fac 50
Manuel Sérgio : « Il est super-doté intellectuellement » 51
« Très studieux, très appliqué » 52
« Ce n’est pas la note qui te fait être meilleur ou pire » 53
« Zé a toujours voulu se présenter seul » 54
« Il lui est arrivé de jouer gardien ! » 55
« On échangeait sur plusieurs aspects liés au football » 57
En aide à des enfants handicapés 57
Queiróz : « Les notes les plus élevées que j’aie données » 58
Félix, viré à Noël 58
« Une sorte de malaise » 60
Félix à Varzim, sans José 60
Re-union à Madère 61
Mourinho vs Sylvanus 62
« Un maître de la préparation physique » 63
La peur de l’avion et les claques à José 64
Comércio e Indústria, le début de la mue 65
« Comme un fou » face à la défaite 67
« Le prolongement de l’entraîneur sur le terrain » 68
Capitaine d’une galère 68
« Mourinho m’a sauvé des flammes ! » 69
Sa dernière saison en tant que joueur 71
Ses débuts comme entraîneur 71
« Il nous traitait comme des hommes » 72
« D’abord, vous étudiez. Ceci est un hobby » 73
La mort de son adjoint : « On a vu un homme pleurer devant nous »
73
Le départ pour le Vitória : « Je vous emmène dans mon cœur » 74
Le temps du Vitória 75
« Il taclait sur le parquet ! » 76
Un prof d’EPS « normal » 76
« On le vouvoyait et on l’appelait Mister » 77
Une demi-heure à monter et descendre les tribunes du stade après
une victoire 6-0 78
« Respecter l’adversaire, c’est le massacrer » 80
« Notre entraîneur, notre conseiller, notre frère… Il était tout » 81
« Avec lui, je me suis senti le meilleur joueur du monde » 82
Une médaille pour ses « enfants » 83
Un premier trophée remporté… en France 84
En lune de miel en Martinique avec… son équipe 86
« La privation n’est pas synonyme de succès » 87
La rencontre avec Manuel Fernandes 88
« Quand il est parti, j’en ai pleuré, avec mon père » 89
Félix peine à se poser 91
Le stage en Ecosse de José et la montée ratée de Manuel 92
O Elvas, les étirements et les clopes 93
Paredes, les feuilles A5 de José 95
Covilhã, la neige, des gants troués et un vestiaire en pleurs 96
Benfica de Castelo Branco, un dernier (sale) coup 99
Estrela da Amadora, à la découverte du monde pro 101
Manuel Fernandes : « Mon adjoint, mon bras droit » 101
« Il était presque l’un d’entre nous » 102
José, le conseiller 103
La lettre à Álvaro Magalhães 104
Abel Xavier : « On est liés » 104
« Je serai l’un des plus grands entraîneurs du monde » 106
L’au revoir : « Un moment d’émotion » 107
Ovarense, scout toujours 107
Félix, le « pompier » du Vitória 108
Sporting, le premier grand 109
Sousa Cintra : « Une grande fierté de l’avoir recruté » 110
« Pas un simple traducteur » 111
« Il ne se gênait pas pour tacler aux entraînements » 112
Le thé et les toasts de Robson 113
« Mister, tomorrow, you, I, José, out !» 114
FC Porto : « Robson et Mourinho ne font qu’un » 116
Rui Barros : « Mourinho aimait l’entraînement » 117
Edmílson : « Comme un ami » 118
Inácio, l’adjoint « numéro un » 119
Le « choc » Inácio – Mourinho 120
Le retour (gagnant) du leader 122
Barça, le premier grand amour de Mourinho 123
Stoitchkov : « Quand il est arrivé, il était « José nadie » » 123
Traducteur, médiateur, porte-parole et… 125
Au clash avec Luis Fernandez et Fabio Capello 126
Mourinho, le Catalan 127
La naissance de sa fille, le décès de sa sœur 128
Robson écarté : « Mourinho l’avait mauvaise » 128
Van Gaal, retour à la case départ 130
Anderson : « On nous l’a présenté comme le traducteur de Van
Gaal » 131
La vie sans Robson 133
Litmanen : « Van Gaal voulait des adjoints différents de lui » 134
Déhu : « Il était la seule personne qui parlait français » 136
Quand Mourinho dirige… le Barça 136
« De très bons rapports avec les joueurs » 138
La « découverte guidée » 140
« Beaucoup de respect » entre Mourinho et Guardiola 141
Le stage en Ecosse II 142
« L’envie d’être numéro un » 142
L’année de trop à Barcelone 144
Le départ, en Volvo 145
Le retour à Setúbal 145
« Une lutte » 146
« Comme sa mère » 147
Félix, le fétichiste 149
Benfica, l’envol éphémère 150
La négociation : « Ce fut facílimo » 152
Qui a eu l’idée d’embaucher Mourinho au Benfica ? 153
« Être, demain, meilleurs qu’aujourd’hui » 155
Meira : « Mourinho, c’était l’inconnu » 156
Boavista, le dépucelage 157
Mozer : « Dès le premier jour, j’avais foi en ce que je voyais » 159
« Il faisait ce que les autres entraîneurs ont fait ensuite » 161
« Toute l’équipe technique avait des responsabilités » 162
Maniche, le premier « cas » 163
Le cas Calado 164
« Les Frères mitraillette » 165
« Il a un don avec les jeunes » 166
La première victoire 167
« Avec moi, Toni sera l’entraîneur du Benfica » 167
« Les Frères mitraillette » II 169
Le cas Sabry 170
Privé de Dani 172
L’hôtel coupé en deux et les premiers « mind games » 173
Très chaud derby 175
« Ultimatum » 177
« Les larmes lui sont venues » 178
Quand Mourinho signe au… Sporting 179
Sá Pinto : « Une excellente opportunité pour nous » 180
Veiga : « Tout était bouclé entre Mourinho et le Sporting » 181
Sousa Cintra : « Peut-être qu’un jour il reviendra… » 182
Leiria, le tremplin 182
Manuel José, Tarzan et les poissonniers 183
« Surprise » et « méfiance » 184
Son premier « vrai » staff 185
« Il aimait savoir ce que chacun pensait » 187
« Une révolution totale » 188
« Bordel, mais tu veux qu’on se fasse virer ? » 188
« Vous croyez que vous entraînez le Benfica ou quoi ?! » 190
Power Point, les grandes feuilles et les causeries 192
« Toi et toi, je vais vous sortir ! » 193
Proche de ses joueurs 194
« Pensez, pensons, à ceux qui ne jouent pas » 195
Mourinho et le mendiant 196
Le retour raté au Benfica 197
« On veut m’imposer un adjoint » 198
« Le jour où j’ai emmené Mourinho à Porto » 199
Jesualdo : « On a raconté tellement de mensonges… » 201
En route pour Porto 201
« Il a pris les joueurs dans ses bras et s’est mis à pleurer » 202
L’après-José 204
Vítor Pontes, « Le disciple » 205
FC Porto, le grand saut 205
« Il était devenu un leader, c’était impressionnant » 207
Déjà, un clássico 208
Son baptême en C1 face Madrid : « Je continue d’être Culé » 209
Ouvrir les entraînements après les défaites 209
L’heure du premier bilan 211
Peixoto : « Une relation d’amour-haine » 212
Le retour de Jorge Costa 213
Premier stage, en France 214
Un nouveau capitaine 215
Le cas Baía 216
Joël Muller « fou de rage » contre José 219
Warmuz : « Le pire match de ma carrière » 221
Logé chez… Sá Pinto 222
Gagnant dans les défaites 223
Le premier « vrai » trophée de José 225
La rotatividade 225
L’empathique 227
Les finales de Séville et du Jamor 228
« Le succès nous a-t-il fait du mal ? » 229
Du 4-3-3 au 4-4-2 en un mot 231
« Quel entraîneur proposait 365 entraînements différents par an ? »
233
La « périodisation tactique » qui n’avait pas encore de nom 235
La « pression haute » 237
« Il ne se sent pas bien dans la défaite » 238
Alain Perrin : « Très surpris par le pressing » 239
L’opération de Peixoto… 240
… et celle de Derlei 241
Le maillot déchiré de Rui Jorge 243
« Il a gagné parce qu’il avait un groupe fantastique » 244
Govou : « Un sentiment d’impuissance » 245
« Il pense plus vite que les autres » 246
Le document pour la formation 247
Champions à l’hôtel 248
Mourinho vs Deschamps 250
« Mourinho a eu une vraie incidence sur le match » 251
Rothen : « Un regret de ne pas avoir eu un entraîneur comme lui »
253
« Mourinho père souffrait beaucoup pour son fils » 254
Adeus, Porto : « Un moment triste » 255
« Mourinho devait aller à Liverpool » 257
« Il ne pensait pas qu’il allait signer un aussi gros contrat » 258
Menacé de mort 259
Antero : « Il y a le Mourinho que les gens voient et il y a le vrai » 261
Le Porto de l’angoisse 262
Remerciements 265
PRÉAMBULE
« S’il vous plaît, ne dites pas que je suis arrogant mais je suis
champion d’Europe et je pense que je suis un Special One. »
Londres. 2 juin 2004. La presse a été conviée à Stamford Bridge afin
de faire connaissance avec le nouveau manager de Chelsea. Et les
premiers mots de José Mourinho donnent le ton. Selon plusieurs
échos, les Blues auraient lâché plus de 5 millions d’euros1 au FC
Porto pour faire venir l’entraîneur portugais qui a remporté – entre
autres et coup sur coup – la Coupe de l’UEFA et la Ligue des
champions avec les Dragons. La légende auto-légendée du
« Special One » vient de naître.
Entre autres records et récompenses en tout genre, le Portugais va
ajouter à ceux qu’il avait déjà conquis au FCP une vingtaine de
trophées avec Chelsea, l’Inter Milan, le Real Madrid et Manchester
United. Il va enfiler les titres, les punchlines et façonner son histoire.
Mourinho va faire de sa citation une devise, une prédiction. Après
tout, qui n’a jamais entendu parler de ce mec si… spécial ? Qui ne
connaît pas le Special One ? Y compris à l’heure où certains
affirment qu’il a perdu son mojo.
En revanche, qui a connu, côtoyé, José, « Zé Mário », comme il se
fait appeler dans l’intimité ? C’est cette histoire, ces histoires qui ont
précédé sa saga qui seront ici narrées, par les principaux intéressés.
Par quoi débuter ? Le gamin, l’élève, l’adjoint, le technicien,
l’homme ? Le plus simple est peut-être encore de commencer par le
commencement.

Le petit José
José Mourinho, ou plutôt, José Mário dos Santos Mourinho Félix,
naît le matin du 26 janvier 1963 dans la maison familiale, à Setúbal.
« On m’avait dit que c’était pour le jour suivant mais il était déjà plein
de volonté »2, raconte sa maman, Maria Júlia. Une sage-femme a dû
l’aider dans son travail, la faute à un bras mal placé du bébé José.
Maria Teresa, 3 ans, fait la connaissance de son frangin. José
Manuel Mourinho Félix, le papa, a veillé toute la nuit, lui aussi. En ce
samedi, un gros match face au grand Sporting du Portugal attend
pourtant le gardien de but du Vitória Futebol Clube. Son premier
réflexe est de partir inscrire son fiston sur la liste des sócios de son
Vitória. Le estádio do Bonfim, inauguré quelques mois auparavant,
n’est qu’à quelques mètres de la casa des Mourinho. (La légende –
entretenue par le principal intéressé – dit que José a fait ses
premiers pas sur le gazon du Bonfim). Quelques heures après la
naissance de son fils, Mourinho Félix tient sa place dans les cages
des Sadinos qui, après avoir mené 2-0, ratent l’exploit face aux
Lions (2-2). Mais si on en croit le compte-rendu édité par le quotidien
Record, le portier n’a rien à se reprocher : « Lors des quelques
moments de danger il s’est toujours interposé en réalisant
d’excellents arrêts. »
Même s’il n’y a pas vécu que des victoires, Mourinho Félix est
synonyme de Vitória. Justement parce qu’il y a tout connu : l’Europe,
une descente en D2, une remontée dans l’élite, deux Coupes du
Portugal (1965 et 1967) ; parce qu’il y a joué pendant plus de douze
ans.
Lorsque Fernando Tomé intègre l’équipe première des Sadinos, le
guarda-redes en est l’un des gardiens du temple. Tomé est un
proche des Mourinho. Un voisin de palier et un ami « depuis plus de
40 ans » du patriarche. C’est avec nostalgie et émotion qu’il relate
l’un de ses premiers moments avec le père Mourinho « parti
beaucoup trop tôt »3 : « J’étais très proche de Manel [diminutif de
Manuel, en portugais]. Je l’appelais Manel mais je le vouvoyais.
J’avais tellement d’admiration pour lui… Quand j’ai débuté, j’appelais
les tauliers du vestiaire Monsieur suivi de leur nom. Un jour,
Monsieur Fernando [Fernando Vaz, l’entraîneur] me dit : “Hey, le
jeune, mais t’appelles les joueurs monsieur ceci, monsieur cela… Le
temps que tu dises monsieur t’es déjà hors-jeu !” Mais, Mourinho,
c’est le seul coéquipier à qui je n’ai jamais pu dire tu. »
Félix, lui, s’est amusé à tutoyer les plus grands. Il a stoppé un péno
du Roi Eusébio. Un match de déglingués. Un huitième de finale
retour de Coupe du Portugal dans lequel les Setubalenses étaient
mal barrés. Juin 1961. Après une défaite 3-1 à Lisbonne, l’équipe de
Setúbal voit les Aigles se pointer au Campo dos Arcos avec leur
recrue : un certain Eusébio. A peine débarqué, le buteur né au
Mozambique a claqué cinq pions en deux matches de préparation.
Et, là, pour son premier match officiel, il remet ça. « Il a marqué un
but magnifique sur une action individuelle », relatera Félix Mourinho
dans Record, en 2014. A la 73e, le score est de 3-1 pour Setúbal et
le SLB obtient ce fameux pénalty. « Il a tiré fort sur ma gauche, je
me suis lancé et j’ai arrêté son tir », décrira l’ex-portier. Le Réi
deviendra pourtant un spécialiste dans cet exercice. Les pénalties
ratés au cours de la longue carrière du Ballon d’Or 1965 se
compteront sur les doigts d’une seule main. Et comme le rappelle
Rui Miguel Tovar dans son bouquin sur les buteurs portugais4, Félix
fera le même coup aux redoutables goleadores Matateu et Yazalde.
Quelques années plus tard, José n’échappera sans doute pas à la
Eusébiomania. C’est en tout cas l’avis de Fernando Tomé : « Je ne
sais pas si Zé Mário avait une idole mais, à cette époque, les gamins
étaient fans de qui ?... Eusébio, bien sûr ! Je suis convaincu qu’il
n’était pas une exception, tant Eusébio était un phénomène. »
Oui, « Zé Mário », c’est ainsi que ses intimes appellent Mourinho. Zé
(le diminutif de José, en portugais), comme son père et son grand-
père. Paraît-il que lorsqu’elle l’a mauvaise contre son rejeton, Dona
Júlia l’interpelle d’un « Mário ! » Cet autre prénom, José l’a hérité de
ses oncles : du frère de sa mère, Mário Carrajola dos Santos, et de
l’oncle par alliance de celle-ci, Mário de Ascenção Lêdo. Lorsque
son père est parti, Maria Júlia a grandi entourée de sa mère, Maria
Luíza, de sa tante et de l’époux de celle-ci, Mário Lêdo. Lêdo gérait
les conserveries de poisson Unitas et, en épousant une Carrajola, il
s’est uni à une famille investie dans l’activité de la pêche. Outre ces
affairements industriels, il est aussi un personnage important de
l’histoire du Vitória FC. Il en a été président et l’un des architectes de
la construction du Bonfim. « Mário Lêdo était une personne très
importante à Setúbal, confirme le Setubalense Fernando Tomé.
Cette famille a fait beaucoup pour le club. Et Lêdo a eu une
influence décisive dans la vie de Mourinho Félix. » Les Setubalois
les plus romantiques racontent que les parents de José Mourinho se
sont rencontrés dans l’usine de Setúbal où Manel a bossé. N’allez
pas croire que parce que le gardien du Vitória est devenu le mari de
la nièce de Lêdo, il avait des passe-droits. « C’était une autre
époque, témoigne Tomé. Il n’y avait pas de jalousies, les relations
humaines étaient saines. En ce temps-là, on disait même que le
football était une école de vertus. Les joueurs avaient l’obligation de
passer l’examen de la quarta classe [équivalent portugais du
certificat d’études primaires]. Beaucoup de joueurs devaient ainsi
prendre des cours du soir, pour apprendre à lire et écrire, à être de
meilleurs hommes. »
Maria Júlia, instit de profession, fera de l’éducation de son fiston une
obsession. Le gamin fréquente le Ciclo preparatório du Bocage, puis
la escola secundária de Bela Vista. Dona Júlia est une dame de
caractère. Outre un goût commun pour les gâteaux aux amandes et
les carottes râpées, mère et fils semblent partager un trait de
personnalité très prononcé. La maman envoie : « Il est capable de
donner sa chemise, il est très tendre et attentionné. Mais n’essayez
pas de lui marcher sur les pieds ! »5 Gamin, Zé Mário savait déjà ce
qu’il voulait et ce qu’il ne voulait pas. Mamã Júlia raconte : « Une
fois, mon mari est allé jouer en Norvège et il lui a ramené un
bulldozer télécommandé, un jouet qui n’a été mis en vente que bien
des années plus tard au Portugal. Il a vu le cadeau de son père, a
refermé la boîte et est parti pleurnicher dans un coin. »6 Zé Mário
voulait un ballon et son père est parti lui acheter le lendemain. « Le
ballon était tout pour lui, commente Félix bien des années plus tard.
A Noël, à ses anniversaires, si on ne lui offrait pas de ballon, c’est
comme s’il n’avait pas eu de cadeau. Il demandait d’autres choses
mais LE cadeau, c’était le ballon. » 7
José Manuel Mourinho Félix était issu d’un milieu modeste. « Il était
originaire de Ferragudo, un village de l’Algarve, détaille son ami
Tomé. Son père travaillait sur un bateau. Il est décédé en tombant
par-dessus bord. Manel est arrivé très jeune à Setúbal. » (Photo 1.
Voir pages centrales)
Dès ses plus tendres années, le sócio-fils Zé Mário accompagne son
papa aux entraînements et aux rencontres du Vitória. Fernando
Tomé puise dans ses nombreux souvenirs (et il en a !) et décrit sa
première rencontre avec le petit José : « Je m’en souviens très bien.
Saison 1965-1966. Je débutais avec l’équipe principale du Vitória.
Mourinho Félix en était le gardien de but, un joueur d’expérience,
nous avions dix ans d’écart. Zé Mário venait au stade avec son père.
Il avait 4 ou 5 ans. Il jouait, là, à côté de nous avec un ballon,
accompagné de sa mère, Dona Júlia, ou de sa grand-mère
maternelle, Dona Luíza. Zé Mário cohabitait ainsi avec l’équipe aux
entraînements et il a connu la vie de vestiaire dès cette époque-là,
continue le milieu de terrain. Ça a été ainsi jusqu’à ce que son père
aille jouer à Belém. »
En 1968, le paternel quitte, en effet, le Vitória pour le Belenenses. Le
club lisboète est alors le seul à part l’incontournable trio (Benfica, FC
Porto, Sporting) à avoir décroché un titre de champion du Portugal
(en 1946). Un transfert que José Mário vit mal. « Zé est celui qui a le
plus senti ce changement, confiera Mourinho Félix en 2003. Quand
j’ai annoncé à la maison que je n’étais plus à partir de ce jour un
joueur du Vitória, il a pleuré. »8 Le Restelo est bien plus loin que le
Bonfim et accompagner son paternel devient plus compliqué pour
José. Maria Júlia décrit le chagrin de son gamin alors âgé de 5 ans :
« Il était très proche de mon mari. Je me souviens que lorsque son
père est allé au Belenenses, Zé Mário était inconsolable et sa grand-
mère, grande amatrice de sport, a dû lui promettre de l’emmener aux
matches. Et elle l’emmenait. »9 « Dona Luíza a suivi la carrière de
Mourinho Félix partout où il allait et elle emmenait son petit-fils avec
elle », confirme Fernando Tomé.
Milieu de terrain du Belenenses à la fin des années 1960, Fernando
Luís Gonçalves assiste à la venue de Mourinho Félix au stade du
Restelo en 1968 et donc à celle de son fiston : « Son père
l’emmenait, parfois. Il était très attaché à son fils. Je me souviens de
l’avoir vu, avec d’autres enfants, aux entraînements mais… Pour
être honnête, ce n’est pas quelque chose qui a marqué mon esprit.
Qui pouvait deviner que ce gamin allait devenir une figure du foot
mondial… »
A la fin de ces sixties, les préoccupations sont tout autres. Outre le
contexte politique marqué par les guerres coloniales, côté foot, le
Belenenses n’occupe plus les premières places. Pire, il s’enfonce.
En 1970, Nelo Vingada est témoin des débuts de Mourinho Félix en
tant qu’entraîneur. Presque malgré lui, le gardien garde les gants
mais il met les mains dans le cambouis. « L’équipe a connu un
moment difficile et Mourinho père et Homero Serpa ont pris les
commandes, indique celui qui deviendra entraîneur au Portugal, en
Asie et en Afrique. Je jouais alors avec les juniors du Belenenses.
Mourinho Félix m’aimait beaucoup et il m’a convoqué plusieurs fois
pour m’entraîner avec l’équipe principale. » L’expérience dure
quelque mois. C’est au cours de cette période que Nelo croise José
pour la première fois (ils se retrouveront, dans quelques pages) :
« Je me souviens de Zé, gamin, il n’avait même pas 10 ans.
Il accompagnait son père, s’amusait avec un ballon et il savait plutôt
bien le manier. » Son père finit par reprendre sa place de « simple »
gardien et remet sa vie d’entraîneur à plus tard.
Un homme de droite
La vie personnelle des Carrajola-Mourinho, elle, traverse d’autres
peines. En 1972, Mário Lêdo décède. L’oncle de Maria Júlia – qui fut
comme un père pour elle – s’éteint à l’âge de 78 ans. Preuve de son
implication et de son statut, plusieurs figures publiques assistent à
ses funérailles dont le maire de Setúbal ou le délégué de la Direcção
Geral dos Desportos10.
Ses conserveries de Setúbal, Matosinhos et Olhão sont bientôt
réquisitionnées par l’Etat. La cause ? La revolução du 25 avril 1974.
Le Portugal met fin à des décennies d’une dictature longtemps
incarnée par Salazar. Certaines familles aisées – comme celle de
Lêdo – ayant fait fortune sous le régime du Estado Novo sont
dépossédées d’une partie de leurs biens. La Révolution des œillets
fait fleurir une nouvelle ère au parfum révolutionnaire, avant de
basculer dans la IIIe République. En juin 1976, le général Ramalho
Eanes qui avait intégré le Mouvement pacifique des forces armées
est plébiscité dès le premier tour des présidentielles. Curieusement,
le seul district du pays que le réformiste n’a pas conquis est celui
des Mourinho. A Setúbal, c’est le candidat d’extrême gauche, Otelo
Saraiva de Carvalho, autre militaire et figure du 25 de Abril qui arrive
en tête. Et José n’est pas franchement de ce bord-là.
Lorsque l’un de ses cousins, Ricardo Mourinho Félix, député
socialiste, est nommé secrétaire d’État adjoint aux Finances fin
2015, le Mou lâche au Diário Económico : « Nous sommes cousins
mais ça ne signifie pas que nous soyons intimes ou que nous
partagions des idéaux politiques. » Et il lance : « Vous ne m’avez
jamais vu faire de grands commentaires et encore moins en
campagne. » Non, mais ça ne va pas tarder. Deux mois plus tard, il
publie une vidéo dans laquelle il appelle à voter Marcelo Rebelo de
Sousa pour les presidenciais. Pour la « première fois », comme il
l’affirme lui-même, il « assume publiquement » soutenir un homme
politique. Et il mise sur le bon cheval : le leader du Partido Social
Democrata (centre droit) sera élu. Car, oui, José Mário est un
homme « de droite. » En 2003, dans un entretien au Público, il
endosse et explique : « Parce que j’ai grandi dans une famille
traditionnelle portugaise qui ne s’est jamais mêlée de politique mais
qui a toujours su être heureuse entre équilibre et discrétion ; parce
qu’ensuite je me suis marié avec une Portugaise qui, comme
beaucoup, a dû venir d’Angola [ex-colonie portugaise] comme
conséquence d’événements historiques marquants de notre pays [le
25 avril]. Je dirais que nous sommes des personnes sensées et que,
politiquement, nous nous considérons un point équidistant et
équilibré. Mais, sur une question aussi directe, de droite ou de
gauche, si je réponds de façon objective, c’est droite. »11
Une citation est souvent accolée à José Mourinho : « Être de droite
et de Setúbal c’est comme être portiste à Lisbonne. » En réalité, il
n’a jamais prononcé cette phrase. Tout part de cette même interview
au Público. C’est le journaliste (Bruno Prata) qui lui demande si
« être de droite à Setúbal est presque aussi difficile que d’être
portiste à Lisbonne », ce à quoi José rétorque : « C’est un peu une
erreur [de dire ça]. Je pense que les Setubalois, ceux qui sont
enracinés dans la ville, ne sont pas vraiment comme ça. Mais la ville
et la région se transforment, fruit des flux migratoires. Actuellement,
beaucoup de gens qui vivent à Setúbal n’en sont pas originaires. Au-
delà de la passion que j’éprouve pour elle, je la respecte
profondément, parce qu’elle est une ville qui, bien plus que les
couleurs politiques, analyse, connaît les personnes, et va vers elles
ou les fuit. »12
Onze Mondial, Rijkaard et Gullit
Bien avant ces considérations, le petit José Mário n’a qu’une
passion : le ballon, et elle vire déjà à l’obsession. Alors qu’il n’a
même pas 10 ans, il demande comme cadeau à son père un
abonnement à Onze Mondial et à World Soccer. Internet n’existe pas
et souscrire à une revue étrangère est un véritable casse-tête. Il faut
contacter les magazines, les banques, pour effectuer un transfert
bancaire international… Mais José Manuel fait ce plaisir à son
gamin. Ces revues, José Mário les dévore. En les feuilletant,
s’éveillent ses premiers émois. Des pubs pour des stages de foot,
des formations d’entraîneur… Il en fantasme. C’est dit : dès qu’il le
pourra, il ira.
A la maison, tout tourne autour de la bola13. « Il baptisait nos chiens
avec des noms de joueurs étrangers, se marre Dona Júlia. Une des
passions de la maison était Gullit. »14 Gullit, comme le talentueux
milieu de terrain néerlandais passé par le PSV, Milan ou Chelsea
dans les années 1980-1990. « C’était le chien de ma femme qui, à
l’époque, était ma petite amie, précise José Mourinho.15 J’avais déjà
17, 18 ans. Gamin, je crois que les noms des chiens étaient des
noms de clubs : il y avait Vitória et Vitória, un chien et une chienne.
Avant d’être mariés, nous avons eu deux bergers allemands : Gullit
et Rijkaard. »16

Félix, le coach : la première étoile


Chez les Mourinho, les histoires du père et du fils sont
indissociables. Mourinho Félix range les gants en 1974. Entre son
Vitória et le Belenenses, il compte alors près de 300 matches dans
l’élite du foot portugais. Et une cape aussi. En juin 1972, celui qui
doit alors cohabiter avec des Américo, José Henrique ou autre Vítor
Damas, célèbre sa première et dernière sélection avec le Portugal.
Il dispute les six dernières minutes de la victoire (2-1) de la Seleção
face à l’Irlande, lors de la coupe organisée par le Brésil pour célébrer
les 150 ans de son indépendance.
A 36 piges, Félix entame sa mue et se lance pleinement dans une
carrière d’entraîneur, avec les juniors du Belenenses. Dès la saison
1976-1977, il accepte une proposition du Sport Club Estrela, plus
connu sous le blase de Estrela de Portalegre. L’équipe sort d’une
saison plus que moyennasse en D2. C’est dans cette ville isolée de
l’Alentejo, à quelques kilomètres de la frontière espagnole (et à
200 km de Setúbal), qu’il va rencontrer celui qui sera l’un de ses plus
fidèles « soldats » : Francisco Trindade. Trindade est alors le jeune
gardien de but de l’autre club de la ville, le Club Desportivo
Portalegrense, lui aussi en D2. « On se voyait souvent, on côtoyait
les mêmes restaurants et cafés, raconte l’ancien portier prêté par le
FC Porto. C’est là que j’ai connu Zé Mário qui devait avoir 13 ans.
Il rejoignait son père certains week-ends. Il venait parfois avec sa
sœur qui était infirmière, Teresa. C’était un gamin très bien élevé.
Il s’exprimait déjà à merveille. Il savait déjà parler et analyser foot. »
Et il y a matière à causer. L’année sera aussi belle que cruelle.
Trindade (ce monsieur est une encyclopédie vivante) fouille dans sa
mémoire : « L’Estrela sortait d’une saison où il s’était péniblement
maintenu en D2 et, avec Mourinho Félix, il se retrouvait à se battre
pour la montée. A quelques journées de la fin, ils ont eu un
déplacement au Feirense. L’ambiance était tendue. Le bus de
l’Estrela a été attaqué et ils ont perdu 3-0. Le Feirense – qui n’avait
perdu que 1-0 à l’aller – prenait une option sur la première place
directement qualificative pour la première division. »
Petit point règlement. A cette époque, la deuxième division
portugaise se divise en trois groupes, trois zones géographiques. Le
premier de chaque zone monte en D1 et les deuxièmes disputent
une mini-ligue, la « liguilha ». Et tu l’auras compris, en cas d’égalité
de points, le départage se fait à la confrontation directe. L’Estrela est
donc battue par le Feirense. Mais après ce 0-3, il reste encore cinq
journées pour espérer et attendre un faux pas de la formation de
Santa Maria da Feira. Et elle en aura. Trindade reprend : « Lors de
l’avant-dernière journée du championnat, l’Estrela et le
Portalegrense se sont affrontés. Un derby. Un nul permettait à
l’Estrela de monter. Le Portalegrense a marqué à la 90e minute le
but qui a empêché Mourinho d’être promu. C’est notamment là que
Mourinho père m’a repéré. Par la suite, j’ai été son joueur dans cinq
clubs différents. » (Ouvrons une parenthèse. Comme l’explique
Trindade : « Partout où il allait, Mourinho Félix emmenait quatre, cinq
joueurs avec lui. C’est aussi de là que venaient ses bons résultats. »
Une méthode que le fiston adoptera tout au long de sa carrière.)
Restons encore un instant au sein de cette parenthèse. Leitão a été
le premier « soldat » de Mourinho Félix. En tant qu’attaquant –
passé par le Sporting ou l’Atlético Clube de Portugal dans les
années 1960 et 1970 – il avait eu Mourinho Félix face à lui. Ils se
sont recroisés en 1975-1976 au Belenenses. Leitão était joueur de
l’équipe première, Félix coach des juniors. « Quand il a débuté sa
carrière d’entraîneur à l’Estrela de Portalegre, j’étais déjà sur la fin
de la mienne en tant que footballeur et il m’a proposé de le suivre,
conte-t-il. » Dans l’Alentejo, Leitão fait lui aussi la rencontre du jeune
Zé Mário : « Les jours de match à domicile, il était présent et lors des
vacances de Noël et de Pâques, Félix emmenait son fils avec lui.
Il nous accompagnait partout. Il aimait bien traîner avec les joueurs
plus âgés. Il aimait apprendre. Il était très malin, très curieux. » Cette
saison de II Divisão, Zona Centro, 1976-1977 sera tout aussi
curieuse et maligne.
A la 30e et dernière journée, l’Estrela et le Feirense comptent le
même nombre de points. La formation de Manel possède une
meilleure attaque, une meilleure défense que son adversaire mais
c’est bien le Feirense qui a l’avantage, grâce à son fameux 3-0 à
l’aller. Félix peut toutefois encore espérer atteindre l’élite – fait inédit
dans l’histoire du club – grâce à la liguilha.
Oui mais là… « L’entraîneur argentin du Feirense, Rúben García, a
offert ses services aux dirigeants de l’Estrela pour les faire monter
lors de ces barrages, s’offusque Trindade. Mourinho Félix a ainsi été
remplacé. » « C’est le moment le plus triste de ma vie à l’Estrela,
concède Francisco Bagina, alors en charge du département football
du club. Au moment de disputer la liguilha, le président a estimé que
nous devions changer d’entraîneur. A l’époque, nous étions onze
dirigeants et ça s’est décidé lors d’un vote. Six ont opté pour le
changement d’entraîneur ; et nous étions cinq à vouloir que
Mourinho Félix poursuive. On lui a payé les salaires qu’on lui devait
et il est parti. J’étais dégoûté. » Bagina décrit Mourinho Félix comme
« la personne la plus honnête rencontrée dans le football, en 25 ans
passés à l’Estrela. »
« Ce fut honteux, renchérit Belo Gonçalves. On est revenus un
mardi à l’entraînement et on nous a annoncé que Mourinho Félix
n’était plus l’entraîneur. » Né à Portalegre, milieu de l’Estrela
pendant près de dix saisons, Belo l’a encore mauvaise : « On a très
mal réagi. On s’est réunis sur le terrain et on a décidé que personne
ne s’entraînerait. Nous, joueurs, n’avons pas accepté cette
décision. Vous savez, on n’est pas montés parce que les joueurs ne
l’ont pas voulu, poursuit-il énigmatique. Lors de la liguilha, on en a
pris 6 chez le CUF, 5 à Espinho. On était une famille et on s’est
sentis trahis par la volonté de quelques dirigeants. »
Zé Mário est ainsi témoin de la première « chicotada »17 subie par
son père. Les cicatrices peinent à se refermer. « Même des années
plus tard, ça reste un épisode difficile pour Mourinho, assure Belo
Gonçalves. Je l’ai recroisé à Setúbal lorsqu’il était déjà entraîneur
principal et il en garde une profonde douleur. Pour lui, Portalegre est
mort… »
La première licence de Zé Mário
Pendant que son pai18 tente de faire briller l’Estrela, José Mário
part régulièrement le retrouver dans l’Alentejo. Un périple. « A cette
époque-là, vous n’imaginez pas comme c’était compliqué de rallier
Portalegre, souffle Francisco Trindade. Les routes étaient
mauvaises. Zé Mário a tenté le train. Sauf que la gare se trouvait à
une dizaine de kilomètres du centre-ville. La première fois qu’il y a
débarqué, il s’est retrouvé, là, au milieu de nulle part. C’était le soir, il
n’y avait plus de bus. Son père a dû aller le chercher. Ensuite, il
venait souvent dans le camion d’un restaurateur de la ville qui
s’approvisionnait en poisson à Setúbal. »
« Sa mère et sa sœur venaient aussi les jours de match à
Portalegre, poursuit Luís Calado. Après les matches, ils repartaient
tous dans leur Toyota. » Calado est un jeune joueur au sein de
l’équipe première de l’Estrela : « J’avais 19 ans et il est souvent
arrivé, lorsque Mourinho Félix avait des réunions au club, que son
gamin vienne chez moi. Le Mister venait le chercher et les devoirs
étaient faits. » Calado replonge plus de quarante ans en arrière,
submergé par les souvenirs et l’émotion : « Zé Mário était très
proche de son père, très fidèle. Le Mister le savait. Je suis du 26
janvier [comme José Mourinho]. Zé Mário et moi avons perdu nos
pères à nos 54 ans et alors qu’ils étaient âgés de 79 ans. C’est la
vie… »
José vit les matches de son père à fond. Il court, va, vient, autour du
terrain. « Il faisait suivre les indications de son père aux joueurs
depuis le bord de la pelouse », se remémore le dirigeant Bagina. Le
gamin est tout aussi captivé par l’entraînement. « Il accordait
beaucoup d’attention à ces moments, se souvient le milieu Belo
Gonçalves. Il ne jouait pas comme les autres enfants, il s’intéressait
à ce qu’il voyait, au jeu. » A 14 ans, José Mário discute ballon avec
papa. « Il parlait foot avec son père, commentait ses choix, poursuit
Gonçlaves. Il donnait son avis. Le mardi, lors de la reprise des
entraînements, Mourinho Félix nous disait ce que son fils avait
pensé du match. Il y avait une certaine sensibilité dans ses paroles.
Nous, joueurs, ça nous amusait. Quand son fils était là, on le
chambrait : « Je peux tirer, là, comme ça ? » C’était une boutade. On
ne pensait pas qu’il allait devenir qui il est devenu. »
Les débuts du daron en tant que « vrai » coach correspondent à
ceux du fiston en tant que « vrai » joueur (entendez par là : licencié).
José Mário avait déjà joué au sein des escolinhas (« petites
écoles ») du Belenenses mais, à cette époque-là, il n’y avait pas de
compétition pour les catégories d’âge les plus tendres. Retracer,
certifier, témoigner du parcours de José joueur a été une (en)quête
très… spéciale. Les documents sont rares, les témoins peu
nombreux et, le temps n’aidant pas, il arrive que leur mémoire
flanche. Même les clubs concernés – qui ont connu un
renouvellement naturel en leur sein – ont dû faire appel aux anciens,
replonger dans leurs archives, pour confirmer ou infirmer telle ou
telle info. Merci à eux, donc.
Leitão qui avait accompagné Mourinho Félix à Portalegre n’a aucun
souvenir du fiston en tant que joueur de l’Estrela. Pour Francisco
Trindade, alors joueur du voisin portalegrense, « Zé Mário n’a pas
pu y jouer. » Manuel Semedo, membre de la direction de l’Estrela à
l’époque, cherche : « Il était ramasseur de balles mais… en tant que
joueur, je ne sais pas… »
Et pourtant… Un document de la Fédération portugaise de football
avec l’intitulé « Première inscription » en atteste : le 6 février 1977,
José Mário dos Santos Mourinho Félix, fils de José Manuel
Mourinho Félix et de Maria Júlia Carrajola dos Santos Mourinho
Félix est inscrit par l’Association de football de Portalegre en tant
que joueur du Sport Club Estrela, dans la catégorie Iniciado (moins
de 15 ans). (Photos 2 et 3. Voir pages centrales) L’intéressé pourra te le
confirmer : il y a bien joué.
En 1976-1977, Francisco Bagina est le boss de la section foot du SC
Estrela. Quarante ans plus tard et après 25 ans de dévotion à son
club, l’ouïe en a pris un coup mais pas la mémoire : « Pardoooon ?
Vous dites ? Si José Mourinho a été joueur du Estrela de
Portalegre ? Mais oui, il y a joué ! Je peux en témoigner, j’étais très
souvent délégué lors de ses matches. » Et Bagina pense savoir
pourquoi si peu s’en souviennent : « Il y avait peu de rencontres, à
l’époque. Le championnat de district de cette catégorie d’âge ne
comptait que quatre équipes : l’Estrela de Portalegre, le
Portalegrense, le Campomaiorense et l’Elvas. Il me semble aussi
que lorsque l’Estrela jouait à l’extérieur, il ne venait pas, puisque son
père n’était pas là. » Et alors, Senhor Bagina, c’était un bon joueur
José ? L’ancien dirigeant décrit « un milieu de terrain qui n’avait pas
une technique folle mais un certain talent. Il avait une forte
personnalité sur le terrain. Il donnait des indications à ses
coéquipiers. » Mais les Mourinho doivent donc déjà aller voir ailleurs.

Les rois de Caldas da Rainha


Après la déception vécue à l’Estrela de Portalegre, Mourinho Félix
s’engage avec le Caldas Sport Clube. Le club de Caldas da Rainha,
ville du centre du Portugal, vient d’être relégué en D3. Et Mourinho
Félix va les ramener en deuxième division, au terme d’une course
exaltée et exaltante avec le Torreense.
José Augusto connaît le Caldas SC comme personne. « J’ai été lié
au club pendant 50 ans », débute-t-il. Et Mourinho Félix ça lui parle,
forcément : « C’était la saison 1977-1978. Aussi exceptionnelle que
notre entraîneur. Il avait une envergure immense, c’était une
personne exquise. Jamais, je ne l’ai entendu pousser un cri. »
Augusto est tout aussi « marqué » par le fils Mourinho : « Avec ses
14-15 ans, son fils parlait déjà tactique avec lui. Ils discutaient, tous
les deux, sur le jeu de Caldas mais aussi du foot national. »
Comme il l’a fait à l’Estrela, José Manuel inscrit son rejeton dans les
catégories de jeunes (Iniciados, moins de 15 ans) du club qu’il
entraîne. La licence (avec photo) en atteste. (Photo 4. Voir pages
centrales) Un document du « transfert » émis par l’association de
football de Leiria (de laquelle dépend le Caldas SC), aussi. (Photo 5.
Voir pages centrales) Et si besoin, il y a des témoins. José Augusto,
bien sûr : « Mourinho fils venait tout seul, chaque week-end et lors
des vacances scolaires, retrouver son père à qui le club avait loué
une maison dans Caldas da Rainha. »
A 14 piges, José Mário se tape ainsi les 130 bornes séparant
Setúbal de Caldas pour aller retrouver son papa. Et le plaisir de
jouer. Car là-bas, José a donné sur les stabilisés. Rui Pedro était l’un
de ses coéquipiers : « Il nous rejoignait chaque fin de semaine
depuis Setúbal où il s’entraînait la semaine et où il était inscrit à
l’école. L’avant-veille des matches, c’est son père qui nous
entraînait. De mémoire, Zé a pris part à toutes les rencontres. »
Toutes, sauf une. Autre membre de la team, Luís Milheiro en rigole
encore : « Il n’a dû rater qu’un seul match lors de la saison et
devinez quoi ? C’était le jour de la photo officielle ! Il a eu un
impératif scolaire qui l’a empêché d’être là. Mais sinon, il jouait tout
le temps. » (Photo 6. Voir pages centrales)
Je te vois (re)venir… « Mourinho n’a jamais été un grand joueur. »
« Il n’a jamais tapé dans un ballon… » Tout ça, quoi. José Mário
affirme l’inverse. « J’avais une grande passion pour le football et un
certain talent, dit-il à Bruno Prata, journaliste du Público, en 2003.
Dans mon cercle d’amis et dans les équipes de jeunes, je n’étais
pas un surdoué mais j’avais une certaine qualité. » Tu te demandes
donc s’il était réellement un bon footballeur.
Rui Pedro : « Il n’était pas un footballeur hors du commun mais il
avait une volonté folle. Il donnait beaucoup d’indications à ses
collègues. » « Il ne se substituait pas à l’entraîneur, tempère
Milheiro. Mais il était toujours bien placé. Il jouait milieu. Ce n’était
pas un grand joueur mais il faut aussi dire qu’on était une équipe
médiane. Il avait donc clairement sa place chez nous. Il était un
titulaire indiscutable et s’il jouait, ce n’était pas parce qu’il était le fils
de l’entraîneur de l’équipe première. Il ne faisait rien pour être traité
comme tel. C’était un gamin cool, très simple. J’en ai connu des
gamins qui se la jouaient parce que leur père avait du galon mais,
lui, pas du tout. »
Le dirigeant José Augusto résume : « C’était un joueur normal.
Il était milieu de terrain mais il n’avait rien de spécial par rapport aux
autres jeunes de sa catégorie d’âge. En revanche, il vivait les
matches avec une forte intensité. Il donnait beaucoup d’indications à
ses collègues sans pour autant être arrogant. » (C’est loquace et
cocasse mais presque chaque témoin de ce bouquin se sentira
obligé, à un moment ou à un autre, de démentir par lui-même la
supposée arrogance de José Mourinho.)
Milheiro, Pedro et Mourinho font partie d’une génération qui aura
écrit l’histoire du Caldas SC. « On était la première équipe
d’Iniciados de l’histoire du club », s’enorgueillit Milheiro. « On était
une bande de rebelles mais c’est l’âge qui veut ça, sourit Rui Pedro.
Au final, on a eu une belle fournée. José Fragoso qui jouait avec
nous est devenu directeur des programmes de RTP19, Luis Milheiro,
journaliste… » Et Rui Pedro, lui, possède une clinique médicale à
Caldas da Rainha.
Les performances de José Mário à Caldas ne s’arrêtent pas là. « On
jouait le dimanche matin et l’après-midi, avec les autres jeunes du
club, on assistait aux rencontres des seniors, témoigne Milheiro. Les
dirigeants faisaient en sorte qu’on puisse être présents. On faisait
même les déplacements. C’était une saison géniale, une équipe
géniale. Ils ont gagné presque toutes leurs rencontres. » Le Caldas
SC remporte la Série D de III Divisão après avoir conquis 21 succès
en 30 journées, avec 2 points d’avance sur le club de Torres Vedras.
Et José va avoir un rôle dans ce succès. « Lors des matches de
l’équipe première, Zé Mário était ramasseur de balles, dévoile
Docteur Rui Pedro, avant de se marrer. En réalité, il était ramasseur
de balles tant que l’équipe en avait besoin. Dès que Caldas se
mettait à gagner, il disparaissait. Littéralement, il n’était plus là ! Une
façon de gagner du temps. » Une façon surtout d’aider son paternel.
« Il profitait d’être sur le bord du terrain pour donner des indications
aux joueurs, continue Pedro. Son père lui donnait des petits papiers
qu’il distribuait aux joueurs. »
Si lui, contrairement à ses jeunes copains, a accès au vestiaire de
l’équipe première, il évite de s’en vanter. « Pour nous, il n’était pas le
fils de l’entraîneur, c’était juste Zé », assure Rui Pedro. Et pour lui,
c’est déjà du sérieux. Dans un entretien concédé à Paulo Pedrosa
pour le site Maisfutebol à l’occasion des 40 piges de son fiston,
Mourinho Félix confiera : « A 15-16 ans, il me disait ce qu’il voulait
faire quand il serait grand : entraîneur de football. » Les chats ne
font pas des chiens. Même lorsqu’ils s’appellent Félix.

Leiria, quand l’União fait la farce


La saison 1978-1979 est, à plusieurs égards, une étape importante
dans la vie de José Mourinho. Parce qu’elle est marquante pour
celle de son père, parce qu’il atteint un âge où certaines attitudes,
valeurs, prennent tout leur sens, parce que les événements vécus,
subis, et son propre rôle, son implication, ont contribué à faire de lui
celui qu’il est devenu.
Au terme d’une année couronnée de succès à Caldas da Rainha,
Mourinho Félix bouge à quelques kilomètres de là : Leiria. Le club de
la ville du Lis est alors un habitué de la D2. Là encore, le Mister fait
appel à ses « soldats ». Il y a : Leitão qu’il avait déjà emmené avec
lui à l’Estrela de Portalegre ; Francisco Trindade qu’il avait repéré au
même moment chez le riverain du Portalegrense ; Fernando Tomé,
son ex-coéquipier et voisin de Setúbal. Et c’est justement sur le
palier que Félix a fait sa demande à Tomé. « Il me restait une année
de contrat au Vitória, narre ce dernier. Ça me fait sourire quand je
repense à la façon dont il m’a fait son offre… Il habitait au 2e étage
droite et moi au 3e étage droite. Il a monté les marches qui menaient
chez moi en répétant qu’il avait besoin de me parler. Le président de
Leiria était venu le rencontrer et il avait trouvé un accord avec lui.
Il voulait absolument que je me libère et que je l’accompagne. »
Tomé parvient à trouver un accord : « Je suis parti avec mon cher
Manel à Leiria ! » Sans oublier José Mário. Mourinho junior sera très
souvent présent au estádio Magalhães Pessoa.
Tomé reprend : « Il allait à Leiria toutes les semaines. Parfois, sa
grand-mère Dona Luíza qui accompagnait la carrière de son gendre
Mourinho Félix, y allait avec lui. Pendant les vacances, il restait sur
place. Habituellement, le vendredi, il prenait le bus. Son père allait le
chercher à la gare routière et il disparaissait au milieu des joueurs. »
A peine débarqué, José rentre dans le « lar » de l’UDL. Le lar était le
foyer, la résidence des joueurs. « Certains d’entre eux vivaient là-
bas. C’était un palacete20 situé au cœur de la ville qui servait aussi
de siège social, de lieu pour les mises au vert, de local de stockage
pour le matériel du club, décrit Tomé. José dormait là-bas. Il a
découvert très tôt ce qu’est la vie d’un footballeur professionnel, ce
qui a pu lui servir par la suite. » Parmi les locataires, figure Leitão.
L’ancien attaquant déballe : « A Leiria, on était très proches avec Zé
Mário. Il était toujours collé à nous, c’était un super gamin, on
l’adorait. Avec Tomé, il nous courait après. » Et ils faisaient quoi ?
« On jouait au ping-pong, on allait se promener dans le parc, près du
fleuve Lis, raconte Leitão. On y croisait des jeunes femmes et
parfois j’entamais la conversation. Zé Mário était très timide dans
ces moments-là, il riait, il riait. C’étaient des moments de sociabilité
très agréables. »
Leitão – un « sacré déconneur » selon ceux qui l’ont côtoyé – savait
occuper son temps. Mais avec lui, il y avait surtout un temps pour
tout. Surtout dans le lar qui, tu l’auras compris, servait à… à peu
près tout. Leitão raconte : « Les joueurs qui étaient de Leiria, les
locaux, quoi, aimaient bien jouer aux cartes dans la grande salle du
lar. Mais nous qui dormions là-bas, on ne pouvait pas pioncer parce
qu’ils faisaient du bruit. Un soir, il devait être 1h du matin, j’ai pris
une carabine à air comprimée qui traînait, j’ai mis un drap sur ma
tête, je suis entré dans la pièce et j’ai crié : « Mains en l’air ! » Les
gars se sont cachés sous les tables, ils essayaient de prendre
l’argent qui traînait dessus. Et moi : « Personne ne bouge ! » J’ai
enlevé mon déguisement et je leur ai dit : « On a match demain et
vous êtes là, à jouer, à pas d’heure. Laissez-nous dormir. » C’était
une façon marrante de leur dire qu’il fallait se reposer. Je crois que
Zé Mário était présent. » Et qu’il a certainement compris le message.
« Il nous observait, s’intéressait à tout, atteste l’ancien joueur du
Sporting. Il a beaucoup appris avec nous, à cette époque. Mais
jamais, à ce moment-là, nous comme lui n’imaginions qu’il
deviendrait qui il est devenu. »
Carpe diem. L’ado profite. Lors de ces séjours à Leiria, il participe
même à certains entraînements, avec les grands. Leitão est bien sûr
dans le coup, et il en donne : « Quand on faisait de petites
oppositions, il aimait bien entrer dans nos petits jeux, nos
provocations. J’aimais bien le chercher. Rien de méchant, hein ! Une
fois, lors d’un exercice, il était avec nous et je lui ai mis un petit coup,
sans le vouloir. Mais un coup bien donné. Il était vexé et contrarié et
menaçait d’aller tout dire à son père. Alors, je lui ai envoyé : « Si tu
lui dis, tu ne traîneras plus avec nous ! » Ça l’a calmé de suite :
« Non, non, je ne dirai rien, je veux traîner avec vous ! (Rires) Il ne
répétait rien à son père parce que de toute façon, il n’y avait rien à
répéter, assure Leitão. Je disais surtout ça pour le taquiner. Il était
très, très rusé, très fin. Il intégrait tout ce qu’il voyait et écoutait. » Et
l’ex-attaquant n’en est pas peu fier : « Plus tard, il dira qu’il a
beaucoup appris avec moi, dans le sens où il a compris ce qu’est le
football, ses habitudes, la vie de groupe, la cohabitation avec les
dirigeants. Il s’est servi de ça dans sa vie future. »
Plus qu’un ramasseur de balles
Sur le banc de Leiria, le pai Mourinho Félix assure. L’União
enquille les bons résultats. C’est encore serré mais la montée en
première division que l’UDL n’a jamais connue reste jouable. Et,
comme à Caldas, Zé Mário y va de sa contribution. « Il se la jouait
ramasseur de balles – il était déjà trop vieux pour ça – pour
transmettre aux joueurs les messages, des petites annotations, que
son père voulait leur faire passer », se marre Francisco Trindade.
Tomé corrobore : « Le stade de l’UD Leiria était entouré d’une piste
d’athlétisme. Les bancs étaient situés au niveau de la tribune
couverte. Quand Mourinho père voulait donner une indication à un
joueur qui était de l’autre côté du terrain, pour ne pas crier, il appelait
Zé et il disait : « Va dire à untel de faire ceci ou cela. » Zé Mário
courait à toute vitesse sur la piste et transmettait le message, ou
oralement, ou en faisant passer des petits papiers sur lesquels
étaient inscrites les indications. »
Mais l’adolescent fait maintenant plus que courir autour du gazon.
Il a pris du galon. Le gardien Trindade confie : « Son père lui disait
ce qu’il prétendait et, parfois, José lui rétorquait : « Peut-être qu’il
vaudrait mieux faire comme ça », et son père lui répondait : « Alors,
vas-y, fils. » »
Zé Mário tape des sprints, tape la discut’ avec le daron et il tape
aussi dans l’impro. « Il traînait autour de la pelouse et il lui arrivait
d’envoyer quelques réflexions aux arbitres quand il estimait que
leurs décisions étaient mauvaises », rigole Leitão. Au fil des années,
il en deviendra un pro.
Fernando Tomé qui fait partie de « la bande de Setúbal » rembobine
le film de sa vie et déniche d’autres scènes marquantes : « Je faisais
les voyages en voiture avec Mourinho Félix entre Leiria et Setúbal.
Lorsque Zé Mário était avec nous, il nous exposait des détails, nous
faisait des analyses de matches qui nous avaient complètement
échappées. Il était sûr de ce qu’il disait parce qu’au fond, il avait
raison. Il faisait preuve d’une perspicacité et d’une capacité
d’analyse hors du commun. Il ne regardait pas les matches de façon
normale. »
La saison 1978-1979 suit son cours. Et la première place de la Zona
Centro de la II Divisão qui offrira une place au sein de l’élite du foot
portugais est une bataille entre l’União de Leiria et l’União de Lamas.
A cinq matches de la fin, se profile un duel entre eux. L’UDL
s’impose 1-0 à domicile. Et, à en croire Trindade, le jeune José a là
une autre intervention, décisive : « Cette rencontre face à l’União de
Lamas était importantissime pour la montée. Notre stade était plein.
Le score était de 0-0. Zé Mário était juste derrière le banc de son
père. Tout d’un coup, je l’ai vu sprinter sur la piste autour du terrain
et s’adresser à notre milieu gauche. Il lui a dit de mettre le ballon au
second poteau, parce que leur gardien ne sortait pas. Et devinez
quoi ? On a gagné le match comme ça ! »
« Un monde de chien »
L’UDL compte maintenant un point d’avance sur Lamas. Mais dès
la semaine suivante, elle s’empale. A Peniche. Un 0-1 qui vire au
tête-à-queue. L’União de Lamas bat l’Estrela de Portalegre dans le
même temps et pense avoir décroché la lune. Les dirigeants
Leirienses paniquent (le mot est faible). L’équipe se reprend pourtant
dès le match suivant. Elle fait même plus que ça. Elle en claque 7 à
Santarém. Oui, oui, 7-0 face à une équipe alors en haut de tableau.
Et Lamas tombe à Tomar (0-1). L’UDL ne lâche plus et remporte les
deux dernières journées. Mourinho Félix vient d’envoyer Leiria en
première division ! Inédit. Historique. « Zé Mário avait célébré cette
montée avec nous dans le vestiaire, se remémore Tomé. C’était une
joie immense. On avait fait le trajet ensemble jusqu’à Setúbal. On
était très heureux. » (Photo 7. Voir pages centrales) Ce moment
demeure l’un des plus forts souvenirs de la carrière des Mourinho,
père et fils.
Mais, comme dit l’autre, la joie sera de courte durée car les
décideurs de l’UDL ont déjà tranché. Leitão enrage encore : « A la fin
de la saison, ils ont fait un sale coup à Mourinho Félix. Alors que la
montée était assurée, ils ont nommé Fernando Peres au poste
d’entraîneur. Je n’ai pas du tout aimé et j’ai demandé à quitter le
club. » Quarante ans plus tard, Fernando Tomé, ami et voisin de
Senhor Manel, a encore du mal à en parler. « C’est compliqué… Les
versions divergent, débute-t-il. On jouait la montée sur la toute fin du
championnat. Lors de la dernière journée, on devait s’imposer contre
le Portalegrense et l’União de Lamas était tout proche de nous. Mais
on l’a fait. On a gagné 3-0. Reste qu’une partie de la direction n’y
croyait pas, elle s’est précipitée et a entrepris de faire venir
Fernando Peres. Ensuite, afin de commémorer cette montée
historique en première division, un match d’hommage avait été
organisé à Figueira da Foz. Mais d’autres dirigeants avaient
programmé, le même jour, une autre rencontre ailleurs ! Manel a
donc dû diviser l’équipe en deux. Cette décision avait été prise sans
qu’il soit au courant. La situation était devenue trop compliquée.
Il n’a pas été prolongé et il est donc parti. » Aussi inévitable
qu’impensable. Les Mourinho vivent, subissent, un nouvel ascenseur
émotionnel. « En l’espace de trois ans, Zé Mário a connu deux
situations marquantes. De la joie à… ça, constate Tomé. Il a compris
à ce moment-là que, parfois, le foot est un monde de chien. Et
quand son tour d’entrer dans le foot est venu, il s’en est souvenu. Il a
adopté un comportement complètement différent de celui de son
père. »
José, joueur sans jouer
Comme il l’a fait à l’Estrela de Portalegre et au Caldas SC,
Mourinho Félix inscrit son fiston à l’União de Leiria. Si on se réfère
aux documents de la fédération portugaise de football et de
l’association de football de Leiria, José Mário dos Santos Mourinho
Félix figure dans l’équipe Juvenil (15-16 ans) de l’UDL, lors de la
saison 1978-1979. Et comme à Portalegre, aucun des « soldats » de
Mourinho Félix n’a souvenir d’avoir vu Zé Mário fouler les pelouses
de Leiria. Ni Tomé, ni Trindade, ni Leitão… Le club explique par
email que José Mário « a été inscrit » mais qu’il n’a « néanmoins
participé à aucun match officiel. » Et officieux ? L’enquête se
poursuit. Et elle se corse. Va retrouver les autres gamins de cette
époque-là, de cette saison-là, de cette équipe-là… Après moult
appels et raccrochages à la gueule (« Pardon mais je ne connaissais
pas votre numéro, je me disais que c’était encore du démarchage »),
Rui José finit par répondre : « J’ai effectivement joué dans l’équipe
Juvenil de Leiria en 1978-1979. On est de la même année José
Mourinho et moi. Mais j’ai très peu de choses à vous dire sur lui,
pour la simple et bonne raison qu’il n’a jamais joué avec nous. » Ça
se précise, donc. « Son père entraînait l’équipe senior, nous, on était
sur un terrain stabilisé à côté et, parfois, il se joignait à nous,
précise-t-il. Mais jamais il n’a disputé de match officiel avec nous. »
José Joaquim Miranda Silva (alias JJ) qui fait lui aussi partie de la
jeune génération du Lis embraye : « Il a réalisé un ou deux matches
amicaux avec nous. Il évoluait milieu droit. Il était maigrichon mais
technique. Je le surnommais Negrete, comme le Mexicain qui
évoluait au Sporting. » On l’aura compris, la cohabitation entre José
et les jeunes de son âge était occasionnelle. « Parfois, lorsque j’étais
convoqué aux entraînements des seniors, je le croisais, témoigne-t-
il. Il était toujours avec son père. Il était ramasseur de balles. Je dis
ça sans aucun mépris. Il observait et s’intéressait beaucoup à ce
que faisait son père qui était un excellent entraîneur et une personne
exceptionnelle. » Cette fameuse licence tamponnée par l’UD Leiria
lui permettait surtout d’avoir accès au stade les jours de match,
d’être au plus proche de son papa et du terrain.
Son inscription à l’União de Leiria a une autre explication. Au
moment où Mourinho Félix rejoint le club, José Mário participe à la
présaison de l’équipe première, et il songe à s’installer dans la cité
du Lis avec son paternel. La famille décide, toutefois, de privilégier
ses études et, donc, qu’il résidera à Setúbal. Mais entre Leiria et les
Mourinho, l’histoire est encore loin d’être finie.

O Sindicato : l’émancipation
Rentré, frustré, de Leiria, Mourinho Félix ne tarde pas à se trouver
une nouvelle monture. Et à lui offrir une nouvelle montée. Sa
nouvelle écurie : le Amora FC. Là, le voyage est bien plus court.
Administrativement, la ville d’Amora est intégrée au district de
Setúbal. Et bientôt membre de l’élite du foot portugais. L’AFC écrase
la zone sud de II Divisão 1979-1980, en terminant 6 points devant le
Lusitano d’Évora (la victoire ne vaut alors que 2 points). Manel qui
avait déjà fait monter l’União de Leiria pour la première fois de son
histoire en première division remet ça avec l’Amora Futebol Clube.
José est encore dans le coup et dans le coin. « Il établissait les
rapports sur nos adversaires, il nous exposait en détail ce qui nous
attendait et cette saison-là, on a été champions ! s’enthousiasme
Vítor Assunção. Il était un peu plus jeune que moi mais, là, j’ai
compris qu’il allait vivre dans et pour le foot. Il parlait beaucoup de
football et il en parlait comme un entraîneur. » Vítor, aka Vitinha
(retenez son nom, il reviendra dans quelques pages), est alors l’un
des attaquants d’Amora, l’un des tauliers du vestiaire, l’un des
Amorenses les plus anciens du groupe au sein duquel, le fils
Mourinho semble se faire une place. « Il passait beaucoup de temps
avec nous, se souvient-il. Il a participé au stage de présaison. On
allait courir à la plage. Il lui arrivait aussi de jouer avec nous, lors de
certains exercices à l’entraînement. » Et là, Vitinha se marre : « Bon,
jouer, ce n’était pas trop son truc, hein… »
La saison 1979-1980 marque un tournant dans le parcours du
(jeune) footballeur qu’est Zé Mário. Après avoir suivi le papa à
l’Estrela de Portalegre, au Caldas SC et à l’União de Leiria, il prend
sa licence dans un autre club que celui de son paternel. Alors, non,
le cordon n’est vraiment pas coupé – ne serait-ce que parce que la
distance est écourtée – mais à 16 piges, il s’émancipe et figure dans
l’équipe des Juvenis (moins de 16-17 ans) du Grupo Desportivo e
Recreativo « O Sindicato ».
Fondé à la fin des années 1970, après la chute du régime
salazariste, O Sindicato siège à Setúbal. Et la proximité avec le
Vitória Futebol Clube n’était pas que géographique. « O Sindicato
est un club populaire qui a une relation ombilicale avec le Vitória,
explique son président, Estevão Coutinho. Au moment de sa
fondation, le Vitória a mis à disposition des terrains pour les
entraînements et même pour certains matches. » C’est donc là que
Zé Mário se pose en 1979-1980. « C’est le premier club de Setúbal
pour lequel il a joué », lance fièrement Manuel Santana, l’un des
dirigeants de l’époque.
Santana tâche alors de ne manquer aucune rencontre de son
Sindicato. Il voit donc José jouer. « Certains disent qu’il était
mauvais mais il était loin d’être parmi les plus mauvais, jure-t-il.
Il évoluait défenseur central, parfois milieu. Il s’entraînait avec nous
chaque semaine et était là à chaque match. » Et (et ça n’a pas été
simple) on a retrouvé ceux avec qui il évolue alors en défense : Júlio
Gamito et João Luís Monteiro Piteira. « Honnêtement, ce n’était pas
un joueur exceptionnel, commence ce dernier. Disons qu’il n’en
mettait pas plein la vue. » « Il était très rude, détaille Gamito. On
jouait sur de la terre battue mais lui chaussait toujours des crampons
en alu. Lors d’un match contre Beja, il les a plantés dans la jambe
d’un adversaire qui a fini à l’hôpital. Il ne l’a pas fait à mal, c’était
dans le feu de l’action mais, oui, il avait un jeu dur. » Un footballeur
« dans la moyenne » que Gamito recroisera « bien des années plus
tard, lors de tournois de futsal », et dont il décèlera d’autres
qualités : « Curieusement, il était meilleur là que dans le foot à onze.
Techniquement, il était doué. »
Bien plus qu’un joueur se dégage un leader qui semble avoir gardé
certaines de ses habitudes d’Iniciado. « Il donnait beaucoup
d’indications à ses coéquipiers, témoigne Santana. Il détestait
perdre. Il avait déjà ce truc d’être, ou plutôt de vouloir devenir,
entraîneur. » Un « truc » qu’il va cultiver. Manuel Santana poursuit :
« Je me souviens qu’à l’époque on avait une formation, un séminaire
d’une semaine à Lisbonne. Une sorte de mise à jour pour les
techniciens. Zé avait demandé l’autorisation d’y assister. Il ne
pouvait pas intervenir mais il ingurgitait ce qu’il entendait. Le jour, il
allait à ses cours et le soir – puisque cela se passait le soir – il nous
rejoignait. » Aux portes de la majorité, José Mário façonne son
caractère et sa personnalité. Y compris face aux plus âgés. « Il avait
déjà cet air arrogant qu’on lui prête, parfois, même si moi je n’ai
jamais ressenti cela comme ça, assure Vítor Assunção, coaché par
le paternel à Amora. C’est un ami, quelqu’un de spécial… pour
moi. »
Au Sindicato, tout le monde ignore ses activités au Amora FC. « On
n’a su que bien des années plus tard qu’il aidait son père, avoue
Júlio Gamito. Il n’était pas du style à se mettre en avant. » « Il parlait
peu, confirme Piteira. Nous on pensait à s’amuser mais lui prenait
déjà ça très au sérieux. Il était très porté sur les études. Il était l’un
des rares de l’équipe à être au Lycée de Setúbal. » Zé se démarque.
Gamito : « On sentait à la façon dont il s’habillait, par les bijoux qu’il
portait, qu’il jouissait d’un certain confort, mais il n’en jouait pas,
c’était quelqu’un de très accessible. » (Photos 8 et 9. Voir pages
centrales)
La lettre du Sindicato à Mourinho
Bien qu’il n’ait joué qu’une saison au Sindicato, José Mourinho
reste très attaché au club de Setúbal. Manuel Santana qui était déjà
dirigeant du club lors de la saison 1979-1980 en a assuré la
présidence, par la suite, « pendant plus de vingt ans. » « Nous
sommes un club modeste, composé de beaucoup de gamins issus
de quartiers modestes, explique-t-il. Lorsque José Mourinho, version
Special One, entraînait l’Inter Milan [2008-2010], on lui a écrit une
lettre pour lui demander s’il pouvait nous aider. On était en manque
d’équipements. » Le Mou qui en Italie remportera deux Serie A, une
Coppa, une Supercoppa d’Italie et une Ligue des champions, répond
par des actes. « Il nous a envoyé de tout : des maillots, des ballons,
des plots… sourit Senhor Santana. Une quantité dingue de matériel !
C’était très classe de sa part. »

Le Peter Crouch de Bélem


Le jeune Mou ne reste qu’une saison au Sindicato. « Parce qu’il
avait atteint l’âge des Juniores et que nous n’avions pas d’équipe
dans cette catégorie », explique l’un de ses dirigeants, Manuel
Santana. En 1980-1981, il incorpore alors les juniors du Belenenses.
Ah, Bélem ! Sa tour, ses pastéis de nata, ses Bleus du Restelo pour
lesquels son père a joué pendant cinq ans et où il a initié sa carrière
de coach ; celui-là même où José, bambin, a initié son parcours de
footballeur. Zé n’est donc pas dépaysé. Sauf sur le terrain. Zé Mário
qui était défenseur central voire milieu au Sindicato évolue
maintenant milieu, voire avant-centre. Carlos Torres est alors l’un
des portiers de ces Belenenses : « Ce qui m’a marqué chez lui en
tant que joueur c’est qu’il était bon avec le ballon, bon
techniquement, habile. Il aimait s’amuser avec la balle, il savait bien
la manier et la garder mais il n’était pas très agressif, aussi bien pour
défendre que pour attaquer. » On est loin du joueur rugueux du
Sindicato.
« Avec les pieds, il n’était pas maladroit mais pas de là à dribbler
tous nos adversaires », tempère avec un sourire Tony Parreira.
Cette saison-là, Tony porte le brassard des juniors de Belém. Une
fois encore. « J’ai été capitaine dans presque toutes les
catégories », lance-t-il fièrement. Le Capitão se souvient de José
comme d’un attaquant et ose une comparação21 : « Si je devais le
comparer à un joueur actuel, je dirais Peter Crouch. Il était très
maigre et grand pour sa catégorie d’âge. C’était un bon joueur de
tête. Lorsqu’il entrait en jeu et qu’on l’associait à Mayer, on avait un
bon duo. On envoyait des centres et Zé était vraiment bon dans le
jeu aérien. » Mayer ? « Mayer et moi étions les seuls internationaux
de l’équipe, précise Tony qui déballe une histoire de sa mémoire. Au
retour d’un match avec la sélection disputé en France, Mayer était
forfait. On avait une rencontre de championnat à Setúbal, la terra de
Zé Mário. Et Zé Mário devait débuter ce match. Mais à
l’échauffement, il s’est blessé au bras et il n’a pas pu jouer. Son
père, sa famille étaient dans les tribunes. Il était tellement déçu…
Les larmes lui sont venues. C’était son match… » Mais José est un
taré. Dans les jours qui suivent, au bahut, des potes qui tapent dans
le cuir défient le néo-plâtré. « Zé Mário s’est joint à eux et il s’est
cassé l’autre bras, hallucine sa mère. Il est allé à l’hôpital sans me le
dire. Je l’ai su par une amie. Quand je suis allée le retrouver, il était
avec les médecins, les larmes aux yeux et les deux bras en l’air. »22
Mayer, l’autre éclopé de ce match de bras cassés, qui partira aux
USA à la fin des années 1980 (« En une semaine, je gagnais plus ici
dans une équipe amatrice qu’en un mois en tant que pro au
Portugal ») garde surtout l’image d’un Mourinho intello : « Il se
distinguait des autres non pas en tant que joueur mais en tant
qu’intellectuel. Lui et Paulo Garcia – qui est devenu journaliste à la
télévision SIC – avaient un bagage culturel autre que le reste du
groupe. A cette époque-là, les entraîneurs n’avaient pas un énorme
cursus scolaire. Je me souviendrai toujours qu’un jour, Paulo et lui
sont arrivés dans le vestiaire en parlant anglais. L’entraîneur s’est
tourné vers eux et leur a demandé : « Vous parlez l’anglais de
Liverpool ? » Paulo a répondu : « Non, celui de Londres. » On s’est
marrés. »
Malgré ses facilités, José évite de se la raconter. « Il ne se jugeait
pas supérieur à nous, parce qu’il ne l’était pas, enchaîne Mayer.
Il était un joueur de l’équipe mais pas un titulaire. Mais il avait une
façon de percevoir le foot, de l’observer, de l’analyser qui était au-
dessus. Il parlait jeu, ballon, mais, nous, on n’y prêtait même pas
attention. Avec le recul, je me dis qu’il avait raison… »
Les matches, José les joue surtout dans sa tête. « Alors qu’il était
remplaçant, à la mi-temps, il venait donner des conseils aux titulaires
sur leur positionnement, leurs déplacements, la circulation du ballon,
se remémore Toni Parreira. Il profitait d’être sur le banc pour
observer. Il faisait preuve d’une grande intelligence de jeu, déjà.
Il cherchait toujours à aider ses coéquipiers mais aussi à les
encourager lorsqu’ils prenaient la bonne décision. Je l’ai toujours
connu comme ça et il était le seul à le faire. »
Pendant que ses potes taquinent la balle, Mourinho mate, analyse,
lit, interprète et commence déjà à concevoir le foot plus comme un
technicien que comme un joueur. Y compris lorsqu’il est sur le
terrain. « A cette époque-là, on sentait déjà qu’il avait la notion du
placement, c’était un stratège, atteste le gardien Carlos Torres.
Il n’était pas un joueur influent avec le ballon mais on voyait dans sa
façon de penser qu’il était au-dessus. » Tout en sachant rester à sa
place. « Il était très humble, assure Parreira. Face à ses coéquipiers,
il n’a jamais remis en cause les choix de l’entraîneur. Même s’il
pouvait penser que ce n’était pas la bonne option, il a toujours fait
profil bas. C’était vraiment ce qu’on peut appeler un bon coéquipier.
J’ai croisé beaucoup de fils d’entraîneurs dans ma carrière et
certains n’avaient pas la même posture. » Des noms ?...
« Noooon ! »
L’Amora vache
Entre-temps, à quelques encablures de là, la mayonnaise tourne à
Amora. Au début de l’année 1981, quelques mois seulement après
une accession inédite dans l’élite, Mourinho Félix est remercié.
Dégagé en cours de route. L’équipe est pourtant hors de la zone de
relégation de la I Divisão, mais ses patrons ont préféré le remplacer
par le professeur José Moniz23. « Son départ a été une surprise pour
les joueurs, commente Vitinha. On l’a vécu comme une forme
d’injustice. On était très tristes. » Félix s’en va, une fois de plus, sans
rancune. « Il est venu nous dire au revoir, dans le vestiaire, et nous
souhaiter bonne chance pour le reste de la saison, continue l’ancien
attaquant. C’était vraiment un être fantastique. Il n’exigeait pas, il
demandait les choses. »
Vítor Assunção souligne une différence caractérielle entre les deux
Mourinho : « Le père était très différent du fils. Il demandait toujours
pardon, ça lui brisait le cœur de mettre un joueur sur le banc. Il en
souffrait. Tandis que Zé Mário est, disons… plus irrévérencieux. » Et
bien moins présent, déjà, à Amora, au cours de cette (demi-) saison.
L’attaquant Jorge Silva qui rejoint l’AFC à l’été 1980 n’a « aucun
souvenir de voir José Mourinho au club. » Et pour cause, José n’a
participé qu’au stage de présaison. Il investit toutefois une bonne
partie de son temps à scouter les adversaires de son père à qui il
remet des rapports. Il va bientôt parcourir les routes du pays au
volant de sa première bagnole, offerte par son paternel : une
Renault 5 grise.
Avec ses 14 pions, Jorge Silva va éviter le pire au successeur de
Félix. Moniz qui a hérité du Amora FC en cours de chemin
n’obtiendra le maintien que lors de l’ultime journée de la saison.

Rio Ave, épisode I


Le week-end du 30-31 mai 1981, pendant que le Amora célèbre
son maintien en D1, Mourinho Félix fête une nouvelle ascension.
A peine remis de son chagrin d’Amora, Papa Mou s’est jeté dans
une nouvelle aventure. A Vila do Conde, au sein d’une D2, celle de
la zone nord, Félix est en charge du Rio Ave, alors à la lutte pour
une remontée dans l’élite. Il succède à Fernando Cabrita.24 Pour une
fois, c’est Mourinho qui profite de l’impatience des boss. Lorsqu’il
débarque au estádio da Avenida, le Rio Ave est coleader avec
Paços de Ferreira.
« Les joueurs étaient un peu surpris même si Cabrita patinait un
peu, rappelle Baltemar Brito. Son discours devenait répétitif, il
pointait de plus en plus les joueurs du doigt. Il avait pris l’équipe au
cours de la saison précédente pour tenter de la sauver de la
descente en D2 mais il ne l’a pas sauvée. Il a poursuivi en D2 pour
la faire monter mais sa domination n’était pas absolue. Il n’y avait
pas cette confiance qu’on allait monter. » Brito est alors un
défenseur central brésilien bien rodé. Un personnage central dans la
carrière des Mourinho. Et là, tout de suite, à l’hiver 1981, Mourinho
père doit appréhender et apprivoiser ses nouveaux joueurs. « Il est
arrivé et s’est retrouvé avec un Brésilien, barbu, les cheveux pas
coupés, à quelques jours du carnaval ! », plaisante BB. Plus qu’un
tableau, un cliché et une photo finale avec plein de sourires. Les
joueurs sont sous le charme de Félix et le retour en I Divisão est
assuré.
Durant ces quelques mois, José Mário n’accompagne pas son père.
Il n’a pas pu le suivre en pleine saison. Il évolue avec les juniors du
Belenenses mais, surtout, il bûche. Et trébuche…
Le rendez-vous manqué à l’ISEF
Au moment où son père atteint le septième ciel et pénètre dans
l’élite avec le Rio Ave, José Mário prend une crampe. A 17 ans,
l’élève de terminale panne en maths. Il sèche. A la Mourinho. « Il a
eu une mésentente avec son professeur de mathématiques,
divulgue sa mère. Il savait que je ne consentais pas qu’il soit mal
élevé, alors il s’est levé, est sorti du cours et n’y a plus jamais mis
les pieds. Mais il ne m’a rien dit. »25 Conséquence ? « Il a dû passer
les maths en septembre mais, entre-temps, il n’y avait plus de place
pour entrer à l’ISEF. »26
ISEF, Instituto Superior de Educação Física (t’auras compris), c’est
là que José Mário veut aller, pour se former et devenir entraîneur,
comme son père. La maman est un peu moins séduite par l’idée.
D’ailleurs, ni l’instit, ni son entraîneur de mari n’encouragent leur fils
à voir le foot comme une finalité. « Sa mère et moi nous n’étions
prêts à l’accepter comme joueur que s’il était suffisamment bon pour
gagner sa vie, confie Mourinho Félix à maisfutebol en 2003. Dans le
cas contraire, il était préférable qu’il se dédie aux études, obtienne
un diplôme et joue pendant son temps libre. » Et selon son père, « il
avait des qualités » mais « pas assez pour ne vivre que du football.
On lui a demandé de d’abord faire ses études. »27
Ami, voisin, coéquipier, joueur de Mourinho Félix, Fernando Tomé
témoigne : « Sa mère voulait qu’il fasse des études supérieures. »
A en croire Tomé, il n’y a pas qu’une potentielle carrière de joueur
qui faisait flipper la mamã : « Dona Júlia avait des arguments. Elle a
vu son mari travailler à travers tout le Portugal, loin de sa famille, et
elle ne voulait pas que son fils suive cette voie. Elle n’y est pas
parvenue parce que la volonté de Zé Mário était plus forte.
Aujourd’hui, elle est sa première fan. » Mais avant d’en arriver là…
A l’été 1981, vu que son rejeton est recalé par l’ISEF, elle l’inscrit en
gestion. José Mário y va mais ça ne prend pas. « Dès le premier jour
de cours, il est rentré à la maison et m’a dit avec cet air qu’il a
encore aujourd’hui : « Mère, pardonnez-moi, mais ce n’est pas pour
moi. Ils sont tous en costume-cravate, avec tous leurs stylos… Moi,
j’aime les joggings et les tennis ! »28 Oui, José Mourinho vouvoie ses
parents. Non, il ne se la joue pas bourgeois. La génération de José
Mário (ainsi que celle qui a suivi) avait pour coutume de dire
« vous » à ses parents. Quel que soit son « rang » social. Zé Mário
qui aime donc les survêts et les baskets va bientôt les renfiler. Ou
comment celui qui vient de foirer son inscription à ce qu’on pourrait
comparer aux STAPS29 françaises intègre l’effectif d’une D1.
José, joueur en D1 (ou presque)
En 1981-1982, la paire père-fils est reformée. Manel et Zé Mário
partagent carrément leur quotidien au Rio Ave. Mourinho Félix dans
le rôle habituel de l’entraîneur, José Mário dans celui inédit de joueur
d’une équipe de première division. Le daron est en train de parfaire
sa réputation de spécialiste des promotions ; le fiston doit éviter
d’avoir celle d’être là par piston.
« Qu’il était le fils de l’entraîneur, je n’y pensais pas un seul instant,
affirme le défenseur brésilien, Baltemar Brito. Zé était très discret, il
ne parlait pas beaucoup. Il avait 18-19 ans et il était au milieu de
joueurs plus âgés et envers qui il faisait preuve de beaucoup de
respect. » « Il n’y avait aucune méfiance vis-à-vis de Zé Mário »,
garantit Alberto Dodat. L’attaquant uruguayen découvre cette saison-
là Vila do Conde et le Portugal. Non sans mal : « L’ambiance était
étrange parce que j’arrivais dans un nouveau pays et on me
regardait comme un étranger (ce que j’étais). Mais Zé Mário et son
père m’ont beaucoup aidé. »
Lorsque Dodat enfile les rayures vertes et blanches du Rio Ave, le
championnat de I Divisão est lancé. L’équipe, elle, patauge.
Mourinho Félix décide de lancer sa recrue. « Et là, on s’est mis à
gagner, raconte Dodat presque gêné. Les Mourinho ont toutefois
senti que je n’étais pas très à l’aise. Quand on jouait à domicile, ils
venaient me chercher chez moi, avec la voiture de Félix et on allait à
Póvoa de Varzim, au Guarda-Sol [un café-bar en bord de mer]. Je
prenais un carioca limão et, eux, un café. On parlait beaucoup, de
tout, de travail, de la vie et ça m’a aidé à m’intégrer. »
« Beau gosse » et Cupidon
Alberto dépeint José comme « quelqu’un de jovial qui aimait
s’amuser, rigoler. » « On a partagé quelques moments de vie
agréables, sourit-il. Il y avait un groupe qui était composé des
joueurs célibataires dont je faisais partie, tout comme Zé Mário,
narre-t-il. On sortait ensemble, on se voyait en dehors des terrains.
On allait à la plage, faire un tour… » Et José avait la cote : « Il était
déjà beau gosse, sourit Alberto. Les filles le trouvaient mignon. »
L’une d’elles a craqué depuis quelques mois, à quelques kilomètres
de là : Matilde. Tami (c’est son petit nom) et Zé se sont rencontrés à
Setúbal. Dans quelques pages, elle deviendra son épouse. En
attendant, José la joue Cupidon. « A l’époque, je flirtais avec celle
qui est devenue la mère de mes enfants, confie Dodat. A cette
époque, ça m’était presque interdit. Je venais d’un autre pays et je
pouvais à peine être à côté d’une dame. Du coup, très souvent, c’est
lui qui faisait le messager. Il lui transmettait mes messages et me
ramenait les siens. On était amis et il agissait comme tel. »
Chez José, il arrive que l’humour prenne le dessus sur l’amour.
Francisco Trindade, épisode II. Cette fois-ci, il est arrivé avant
Mourinho Félix (qui l’avait recruté à l’União de Leiria en 1978-1979).
Le gardien de but raconte, sans prendre de gants : « L’équipe
tournait bien. On était bien classés en championnat. Un jour, on
effectuait un exercice derrière l’un des buts, à l’entraînement : on
montait et descendait la tribune. C’était dur, punaise… Et puis on a
vu arriver une jeune fille en mini-jupe. Elle s’est assise. Sa jupe était
vraiment très courte. Certains joueurs ont commencé à balancer des
petites réflexions : « Ça y est, maintenant qu’on est troisièmes, tout
le monde nous veut ! » Zé qui était au milieu d’eux les piquait :
« Venir ici en mini-jupe… Franchement… » Un autre s’est tourné
vers le coach et a envoyé : « Mister, c’est une honte, venir ici,
comme ça ! » Et Zé en rajoutait. La séance terminée, la jeune fille a
monté les marches et s’est dirigée vers Mourinho Félix et José :
« Alors, papa, mano, ça va ? » C’était Teresa, la fille de l’entraîneur,
la sœur de Zé ! »
Vanneur et carotteur
La bande de potes du Rio Ave se retrouve quasi-quotidiennement
au Disco Bar qui jouxte le stade da Avenida. « On y allait tous, ou
presque, commence Francisco Trindade. On y dansait, on y
chantait. » Ne te fie pas ni à ça, ni à son blaze. Le Disco Bar est la
cantine des joueurs du Rio Ave. Un endroit relativement pépère.
« A cette époque-là, un joueur ne pouvait pas se permettre de
soirées, lance le goal. Au Portugal, les joueurs étaient des
personnalités publiques dans leur ville, quelle que soit l’équipe. Nous
étions des idoles. » José qui aimera partager un verre de bon vin
avec certains de ses confrères entraîneurs n’est pas encore porté
sur la chose. Francisco : « Il ne buvait jamais une goutte d’alcool. »
José avait d’autres vices. Jeune portier du Rio Ave, formé au club,
né à Vila do Conde, Alfredo Castro – qui filera au Boavista en 1984
et comptera plus de 200 matches en Liga portugaise et 3 capes
avec la Seleção A – est de la même génération que Mourinho. « On
était jeunes et notre amitié est née cette saison-là, commence-t-il.
Avec les autres jeunes de l’équipe, on avait un rituel. Près du stade il
y avait une quinta30. Tous les jours, avant l’entraînement, on allait y
voler des carottes. » Alfredo en rit encore : « Il paraît que c’est bon
pour la santé. On faisait le plein de vitamines ! On les mangeait sur
le chemin. »
Et puis, c’est bien connu, les carottes, ça rend aimable. Sur José,
elles ont un effet carrément hilarant. Toujours selon les dires de
Trindade, Zé est « très, très blagueur » : « Du genre à faire des
nœuds aux chaussettes ou aux lacets des chaussures de ses
coéquipiers. » Le Mou sait aussi être spécial dans la vanne.
Francisco Trindade raconte : « Notre kiné avait des soucis d’audition
et il portait un appareil auditif. Zé Mário disait qu’il répétait tout au
président. Un jour, Zé s’est présenté dans la salle de massage en
faisant mine de parler, en simulant avec ses lèvres. Il nous avait
demandé d’être ses complices. Et, forcément, le kiné n’entendait
rien. Il a donc mis le volume de son appareil à fond et, là, Zé Mário
s’est mis à crier ! Depuis ce jour-là, le kiné ne s’est plus jamais mêlé
à nos conversations. »
« Rebelle et intelligent à la fois »
A 18 ans, José jongle avec ses statuts de joueur, fils d’entraîneur
et coéquipier. « Il avait un côté rebelle et intelligent à la fois, analyse
Baltemar Brito. Il savait qu’il devait faire attention à ce qu’il faisait et
à ce qu’il disait à cause du rang de son père. » José sait aussi jouer
avec. Au Rio Ave, il tâtonne déjà avec le management. « Il y a eu un
épisode avec Adérito qui jouait avant-centre, relate Francisco
Trindade. Le Rio Ave évoluait sans avant-centre mais avec deux
joueurs décalés qui étaient Pires et Álvaro. Adérito avait dit à
Mourinho Félix qu’il fallait qu’il joue, sinon il demanderait à partir. Le
match suivant, nous allions jouer à Porto. » C’est accoudé dans un
restaurant des Caxinas, le quartier des pêcheurs de Vila do Conde,
que Zé Mário met le sujet sur la table. Trindade poursuit : « Il a dit à
son père : « C’est le moment de le faire jouer. » Il disait que c’était
une façon de mettre Adérito face à ses envies et ses responsabilités.
On a remporté ce match 2-1 et, à mon sens, Adérito a été le meilleur
sur le terrain. A partir de ce jour-là, Zé Mário l’a beaucoup soutenu. »
Le gamin qui, à Portalegre ou Leiria, faisait le messager pour son
père et se permettait de donner son avis, devient à Vila do Conde
une sorte d’adjoint officieux. « Je ne peux pas dire qu’il était un
conseiller mais il avait l’oreille de son père, dit Dodat. Il donnait son
opinion et il était écouté. »
S’il n’a pas encore intégré le prestigieux ISEF de Lisbonne, le jeune
José se mue en joueur-académicien. « Il n’allait nulle part sans ses
livres et passait son temps à étudier, bouquiner, sur la tactique, le
jeu », dixit Trindade. Et il aimait partager ses connaissances, selon
lui : « Zé donnait énormément de conseils, y compris aux joueurs
plus expérimentés. » A peine majeur, le fils du Mister n’est pas du
style à traîner. « On allait manger presque tous les jours au
restaurant de ma tante, lance Alfredo. Mais Zé rentrait toujours plus
tôt. Il nous disait qu’il allait étudier. On lui demandait de rester mais il
répondait : « Je ne peux pas, je dois aller travailler. » Il était très
casanier, très studieux. »
Parenthèse. Francisco Trindade et Alberto Dodat ont une vague
réminiscence, une impression floue, un doute que Zé Mário ait été
inscrit au sein d’une université de Porto en cette période 1981-1982.
Ce ne fut pas le cas. Après son année de terminale à Setúbal,
Mourinho a intégré le Rio Ave en tant que footballeur. Ce qui ne l’a
pas empêché de s’immerger dans les bouquins et de préparer, au
mieux, sa prochaine intégration à l’ISEF de Lisbonne.
En attendant, aux entraînements, José Mário a des délires de son
âge : de mise est le chambrage. Comme les autres joueurs. José
Mário Mourinho Félix n’est donc pas perçu comme un fils à papa ?
« Rien de tout ça, jure Alfredo. Il nous le disait : « Je suis ici, comme
un joueur de l’équipe à part entière, pour aider le groupe. » Il n’y
avait aucun complexe, ni aucun problème par rapport à ça. Au
contraire, c’est lui qui contribuait à mettre une bonne ambiance. Il lui
arrivait même d’avoir des opinions divergentes de celles du Mister
qui était son père et on en discutait de façon naturelle et
décontractée. » Le jeune homme est bien intégré, accepté par ses
collègues. « Il n’y avait pas de jalousies parce qu’il ne jouait pas
avec l’équipe principale, précise Brito. Et puis, il était jeune et il
s’entendait bien avec tout le monde. Il y avait un joueur ou un autre
qui étaient jaloux parce qu’il marquait pas mal mais c’était en équipe
réserve. »
47 buts en une saison !
José Mário est donc « un membre de l’équipe première » du Rio
Ave. Et en tant que tel, il s’entraîne avec l’équipe première. Sauf le
mercredi. Car, ce jour-là, il joue. Avec la réserve. « Il m’arrivait d’y
prendre part, commence Mário Réis. On affrontait des jeunes en
rodage, la plupart du temps. » A 35 ans, Réis vit là, sa dernière
année en tant que footballeur. Très bientôt, c’est une longue carrière
d’entraîneur qui va débuter pour lui. Avant de culbuter, il va se faire
quelques kiffs le mercredi après-midi et distribuer quelques pralines,
à l’heure du goûter. Et José aussi régale. « Zé et moi avons inscrit
plus de 100 buts cette saison-là avec la réserve ! s’enthousiasme-t-
il. Il en a marqué 47 et moi 63 ! J’étais milieu offensif, lui était un peu
plus devant, encore. » Mário Réis est aussi celui qui tire les
penalties. Quoi qu’il en soit, les stats sont colossales.
Trindade assiste « très souvent » aux rencontres de la b. Il décrit
Mourinho comme un « belíssimo joueur » : « Il n’avait pas une
technique extraordinaire mais il était très bon dans l’orientation du
jeu, il était très agressif. » L’ancien portier a surtout en mémoire un
match face au Penafiel d’António Oliveira (qui deviendra entraîneur
du FC Porto et sélectionneur du Portugal) : « Mourinho Félix et
Oliveira s’étaient mis d’accord pour aligner une équipe de
remplaçants. Félix y a même intégré des juniors. Zé allait jouer,
comme d’habitude. On était avec les titulaires dans les tribunes et,
au moment où les joueurs sont entrés sur le terrain, on a réalisé que
Penafiel s’était pointé avec ses titulaires ! On s’est tous regardés et
on s’est dit qu’on allait prendre une claque. Et bien, ce jour-là Zé
Mário a marqué 4 buts ! » « Il avait du ballon, renchérit Baltemar
Brito avant de tempérer. Il n’avait pas une grosse condition physique
et il ne s’en souciait pas trop. Il était un peu filou là-dessus. »
Son premier match pro
José Mário n’est pas qu’un réserviste du Rio Ave. Le 10 décembre
1981, il va disputer son premier match avec l’équipe première. La
formation de Vila do Conde dispute son 32e de finale de Coupe du
Portugal à Paranhos, un patelin de Porto. Son adversaire est le
Salgueiros, ambitieuse équipe de D2 (qui sera d’ailleurs promue à
l’issue de la saison 1981-1982). « On était menés 1-0 et son père
m’a dit d’aller m’échauffer, raconte Mário Réis. Entre-temps, le Rio
Ave a égalisé et Mourinho Félix m’a dit d’aller me rasseoir. Mes deux
gamins qui avaient trois et quatre ans, étaient juste derrière le banc,
à côté des journalistes (à cette époque, il n’y avait pas de barrières).
Et là, mon fils s’est approché de Mourinho Félix et lui a envoyé :
« Monsieur Mourinho, vous deviez faire entrer mon père et vous ne
le faites plus ? » Immense fou rire sur le banc ! Suite à ça, Mourinho
m’a renvoyé à l’échauffement ! » Réis finit par entrer. Et il n’est pas
le seul. Le match s’éternise. 1-1. Prolongations. « Zé et moi sommes
entrés quasiment au même moment et on a été impliqué sur le but
de la victoire que j’ai marqué face à mon club de cœur », s’excuse
presque Mário Réis.
Henrique Calisto est alors l’entraîneur du Salgueiros. « Je n’ai pas
de souvenir précis de ce match mais je me souviens très bien du
joueur que José Mourinho était, dit-il. Il était bon techniquement.
Il faut casser cette fausse image qu’on fait de lui comme étant un
pied de plomb. » Calisto qui deviendra sélectionneur du Viêt-Nam
dans les années 2000 en est persuadé : « Il aurait très bien pu faire
une belle carrière de joueur pro. Sa liaison avec son père lui a peut-
être parfois porté préjudice. » Calisto ne croit pas si bien dire…
José sera, au cours de cet exercice 1981-1982, cantonné à la b.
Dodat : « A cette époque, pour être titulaire en première division à 18
ans, il fallait vraiment être très, très bon. » Le jeune gardien, Alfredo,
est dans le même cas que José Mário : il attend son heure. « On
était jeunes mais on faisait partie de l’effectif, parce qu’on en avait
des qualités, affirme-t-il. Notre passion, c’était le football. Zé Mário
aimait beaucoup le foot, il a tenté le coup mais il avait conscience du
niveau de son niveau. Il savait qu’en tant que joueur il n’allait pas
atteindre le niveau qu’il a atteint en tant qu’entraîneur par la suite.
Il était studieux, curieux. Il cherchait toujours à comprendre comment
les choses fonctionnaient. » Certains épisodes vécus au cours de
cette période restent, même pour lui, difficiles à saisir.
« Je suis puni, parce que je suis le fils de l’entraîneur »
Le match le plus dingue, le plus légendaire (car l’histoire qui va
suivre a viré à la légende, avec tout ce que cela engendre en
fantaisies) de la carrière de joueur de José Mourinho est un match
auquel il n’a pas pris part. Là, où certains peuvent se dire que José a
pu profiter du statut de son père pour être pistonné, son expérience
au Rio Ave démontre que si cela lui, en effet, a permis d’intégrer une
équipe de l’élite, sa condition de « fils de » l’a surtout empêché
d’évoluer en son sein.
Nous sommes le 15 mai 1982. Avant-dernière journée du
Campeonato Nacional da I Divisão. Le Rio Ave promu en Liga cette
saison-là (rappelons-le) pointe à la 5e place du championnat. Fort,
dingue, inattendu. Mais pas autant que ce qui va se produire. Les
Vilacondenses se déplacent à Alvalade, l’antre des Leões. « Le
stade était plein, il grouillait de monde, dépeint le gardien, Francisco
Trindade. Ce match était décisif : le Sporting luttait pour le titre,
Jordão pour celui de meilleur buteur de la saison. »
Mourinho Félix et son groupe partent pour Lisbonne, la veille de la
rencontre. « Zé Mário était chez lui à Setúbal et il nous a rejoint au
stade, précise Trindade. On était en train d’inspecter la pelouse
lorsqu’un joueur m’a dit : « T’es mal barré, nos deux centraux ne
peuvent pas jouer. » Ils ne se sentaient pas bien, ils étaient malades.
En plus de cela, deux de nos jeunes devaient être préservés : ils
allaient rejoindre la sélection espoirs le lundi suivant. On allait se
retrouver avec seulement trois joueurs sur le banc, ce qui n’était pas
acceptable pour le Rio Ave qui figurait dans le haut du classement. »
Mourinho père décide d’inscrire son fils sur la feuille de match. Après
tout, le gamin est là, il a déjà évolué au poste et il a enfilé des pions,
toute la saison, le mercredi avec la réserve. « On avait mis un plan
en place pour qu’il puisse jouer, confesse Francisco Trindade. Ce qui
est drôle c’est que cette idée, on l’a mise en pratique lors de la
journée suivante avec un autre joueur. On a reçu le Belenenses qui
sera relégué en D2. Alfredo était notre troisième gardien. J’ai
demandé à Mourinho Félix de le convoquer. J’ai fait semblant de me
blesser en seconde période pour qu’il entre en jeu. C’est ce qu’on
pensait faire avec Zé Mário face au Sporting. » Mais le plan va
planter. « Lorsque le délégué a remis la feuille de match, le président
du Rio Ave, José Maria Pinho, s’est aperçu que Zé Mário était sur le
banc, poursuit Trindade. Pinho est entré dans le vestiaire et il a
exigé qu’il soit retiré. Nous, joueurs, étions à l’échauffement. Quand
on l’a su, on a même songé à ne pas jouer, en solidarité envers le
gamin. On est allés voir le président pour lui demander de le laisser.
« Même si on était dix, il est hors de question qu’il joue », a-t-il
répondu. »
« La résistance de Pinho était telle et d’une telle… inélégance… Il a
dit devant tout le monde que Zé Mário n’allait pas sur le banc,
embraye Baltemar Brito. Zé avait enfilé son maillot, il était prêt à
jouer et le président lui a dit d’enlever son équipement. Ça nous a
tous choqué. »
Et José Mário ? Comment réagit-il ? « Il a proféré quelques jurons, a
dit à son père qu’il n’avait pas besoin de ça, a enlevé son
équipement et est sorti », raconte le Brésilien. « Quand je suis arrivé
dans le vestiaire, les deux Mourinho étaient en train de pleurer, de
rage, révèle Trindade. Félix Mourinho était une personne très
fermée, très timide. » « C’était la première fois que je voyais un
entraîneur pleurer ainsi, enchaîne Alberto Dodat. Il était impuissant.
Ce fut très mal géré, très triste et moche. » Chez les Mourinho, la
version est moins tragique. Pas de larmes, ni de coup de sang en
mémoire. Père et fils commencent à avoir l’habitude de ce genre de
turpitudes.
Ah ! au fait, le résultat de ce « duel du haut de tableau » : le Sporting
éclate le Rio Ave 7-1. Oui, oui, 7-1. « Ce fut tragique », souffle Brito.
Jordão en plante quatre (mais c’est Jacques, du FC Porto, qui
remporte le ballon d’argent, récompense du meilleur buteur, au
Portugal).
Reste LA question concernant ce Sporting – Rio Ave de mai 1982 :
pourquoi José Mário, un joueur qui claque autant de buts avec la
réserve, ne joue-t-il pas en équipe première ? Pourquoi son
président va jusqu’à l’exclure de la feuille d’un match de
championnat ?
Baltemar Brito avance une première explication à la posture du boss
vilacondense : « Zé avait été appelé pour jouer et un joueur qui
n’avait pas été convoqué pour cette rencontre a monté la tête au
président en lui disant que s’il n’était pas dans la liste c’est parce
que l’entraîneur voulait faire jouer son fils. »
Autre version, signée Mário Réis : « Quand le fils de Mourinho Félix
a été recruté, il a été convenu qu’il pouvait s’entraîner avec l’équipe
première, jouer avec la réserve, mais pas avec l’équipe première en
championnat. Il était inscrit mais il y avait cet accord entre le
président et Mourinho Félix. » « Les Mourinho avaient un deal avec
le président : Zé Mário ne pouvait pas évoluer avec le Rio Ave dans
le championnat de première division, acquiesce Trindade. Il jouait en
semaine dans le championnat des réserves mais pas le week-end
avec nous. » L’ancien gardien de but garantit que « Zé avait les
qualités pour prétendre à une place de titulaire au Rio Ave. Il savait
qu’il ne jouerait pas en championnat, qu’il s’entraîne bien ou mal,
mais il tenait à donner l’exemple. Il disait : « Je suis puni, parce que
je suis le fils de l’entraîneur. » »
Pour les Mourinho, la raison de cet affront n’est pas le fruit d’un
quelconque accord mais la réaction vexée d’un président sur le point
de perdre son entraîneur. Mourinho Félix avait déjà décidé de
rejoindre le mal classé Belenenses. Et José Mário en est persuadé :
le but, en le rayant de la feuille de match lors de cette ultime journée,
au terme d’une saison historique pour le club et prolifique pour lui
d’un point de vue personnel (demande-lui et il te dira sûrement qu’il
a vécu au cours de cette saison 1981-1982 « le meilleur moment de
sa carrière de joueur »), est une façon de toucher son père.
Ses coéquipiers semblent corroborer, c’est certainement son
paternel qui est visé à travers lui. Trindade : « Le président avait déjà
un autre entraîneur dans sa manche. » Dodat : « Mais cette situation
était à l’image de la personne qui a fait ça. Le but de tout ça était, je
pense, de faire en sorte que Mourinho Félix parte sans lui payer les
salaires qui lui restaient. On cherchait à ce qu’il résilie. Les joueurs
les plus anciens, dont je faisais partie, sommes allés parler avec lui
dans le vestiaire pour qu’il reste et qu’il ne craque pas. Et il est resté
pour le dernier match. »
Mourinho Félix mène la formation de Vila do Conde à la cinquième
place du championnat. Il faudra attendre 2017-2018 pour qu’un
entraîneur (Miguel Cardoso, en l’occurrence) renouvelle cette perf.
Pour la der de la saison, il s’impose 3-0 face au Belenenses, relégué
en deuxième division. « Félix devait s’engager avec le Vitória de
Setúbal où je suis allé à l’issue de cet exercice, révèle Trindade. On
devait, une fois de plus, être ensemble mais il n’a pas trouvé
d’accord et il a finalement signé au Belenenses ». Une ultime
rencontre pour se dire au revoir. Le natif de Nazaré interroge son
ami José Mário : « « Alors, Zé, tu vas où, la saison prochaine ? »
Il m’a répondu qu’il allait à Estoril. Tout semblait bouclé mais,
finalement, il n’y est pas allé… »
Belenenses, le retour
Non, José Mário n’est pas allé jouer à Estoril. C’est finalement au
Belenenses que les Mourinho Félix se retrouvent et… se retrouvent.
Au terme d’une saison historique avec le Rio Ave, le technicien
rebondit en deuxième division. La formation lisboète, championne du
Portugal en 1946, avait jusqu’alors toujours évolué au sein de l’élite.
L’objectif est donc évident : remonter. Vite. Mourinho Félix présente
le profil idéal. L’ancien gardien des Bleus de Belém qui y a aussi
initié sa carrière de coach, s’est fait une réput’ de especialista des
montées.
Comme à Vila do Conde, il intègre son fils dans son effectif. José a
19 ans. Pour Toni Parreira qui l’avait déjà côtoyé en juniors au
Belenenses31 ce sont donc des retrouvailles. « On était une poignée
d’ex-juniors à avoir intégré l’équipe première, commence l’attaquant.
On a tous beaucoup progressé avec son père. Jouer en juniors était
une chose mais participer ne serait-ce qu’à une présaison avec
l’équipe principale, au milieu de footballeurs d’expérience, était un
autre monde. »
D’autres, comme Rúben Cunha, font connaissance avec José Mário
et Manuel. A 27 ans, le milieu de terrain a déjà roulé sa bosse. Le
natif de Póvoa de Varzim a été repéré au cours de la saison
précédente par Félix. Rúben porte le maillot rayé façon Juve du
Sporting Clube de Espinho : « Il avait assisté à l’un de nos matches
à Alvalade. On avait fait un nul (1-1) et ça s’était bien passé pour
moi [Rúben Cunha avait marqué]. Il ne m’a pas oublié et il a voulu
me prendre au Belenenses. C’est là que j’ai connu Zé Mário. Il faisait
partie de l’équipe principale. » (Petite indiscrétion glissée par Cunha,
au passage : « Varzim voulait faire signer son père mais il est allé au
Belenenses. »)
Et que pense donc Cunha qui compte quelques 150 matches en
Liga portugaise du footballeur José Mário ? « Il était bon
techniquement. Ce n’était pas le genre de joueur capable de
déséquilibrer toute une rencontre mais, contrairement à ce que
certains disent, il n’était pas mauvais. »
« On jouait au même poste, il était attaquant, enchaîne Manuel Bule.
Il se débrouillait pas mal mais les autres étaient meilleurs que lui. Je
pense que si son père n’avait pas été l’entraîneur, il n’aurait pas
intégré l’équipe. Et je dis ça sans arrière-pensée. Il n’a pris la place
de personne. Son père était juste et honnête. » La technique de
José aussi. « Il était bon avec le ballon. Pas très rapide mais il nous
sortait quelques feintes, décrit Bule. Il y avait Djão, Zé Pedro et moi.
Il était notre remplaçant et il a peu joué, au final. Je crois même qu’il
n’a même pas joué en championnat. »
Le hat-trick de José
A défaut d’avoir pu briller en II Divisão Zona Sul avec le club
lisboète, José Mourinho a pu, comme au Rio Ave, participer à la
Coupe du Portugal. Et il y a connu, ce qui est certainement, l’un de
ses plus grands kiffs en tant que footballeur. Le 7 novembre 1952, le
Belenenses reçoit Vila Franca, équipe amateur des Açores, en 64e
de la Taça. Le score : 17-0. Non, ce n’est pas une coquille, ni une
faute de frappe, 17, dix-sept, XVII. La deuxième plus grosse victoire
de l’histoire de la Coupe du Portugal, après le 21-0 collé par le
Sporting aux Cap-Verdiens du Mindelense en 1971 (le Cap-Vert était
alors une colonie portugaise).
« Et comment que je me souviens de ce match-là ! s’enthousiasme
Manuel Bule. J’ai marqué 4 buts mais on m’en a refusé 2 pour hors-
jeu alors que j’étais parti de ma moitié de terrain… » A la pause, les
Lisboètes mènent déjà 8-0. Mourinho Félix peut se permettre de
faire tourner et fait entrer son descendant. « Zé Mário en a marqué
3, commente Bule. Il était très content et c’est normal, un hat-trick ça
se fête ! Surtout qu’il jouait peu. »
Mourinho fils laissera éclater sa joie sans pour autant se la péter.
« Il n’était pas du genre à se la raconter et son père ne l’aurait pas
laissé faire de toute façon, assure Toni. Peut-être aurait-il pu jouer le
fier avec un autre entraîneur mais avec son père, ce n’était pas
possible. Il n’admettait aucun manque d’humilité. Et puis Zé n’était
pas arrogant, je dirais plutôt… fier. Il n’avait aucune raison d’être
arrogant, il n’était pas titulaire mais on sentait qu’il était volontaire. »
Carlos Torres qui, comme Toni a connu José en juniors au
Belenenses, enquille : « Zé était quelqu’un de très fier. Il avait déjà
cette façon d’être, cette posture, cette gestuelle… » Torres qui est
aujourd’hui coach mental en sourit : « C’est drôle parce que parfois
j’arrive à retrouver le Zé Mário de mon temps. Je regarde ses
conférences de presse et je dis à ma femme : « Tiens, lui, c’est le Zé
Mário que je connais. » Dans certaines de ses expressions, sa
personnalité… A l’époque, il était déjà très sûr de lui. Je me souviens
de situations dans le vestiaire où José s’imposait et affirmait cette
personnalité. »
« Je ne suis pas Mourinho, je suis Zé Mário »
Pour les joueurs du Belenenses, la fierté de José contraste
presque avec le tempérament de son vieux. « Mourinho Félix est
l’une des plus belles personnes que j’ai rencontrées, promet Manuel
Bule. Il avait un cœur énorme. Je n’ai pas connu d’homme aussi bon
que lui. Et parfois, ça a pu lui jouer des tours. » « Son père était
quelqu’un de très simple, poursuit Carlos Torres. Il s’excusait
presque de parler aux gens, alors qu’il avait été un grand joueur. Zé,
lui, était une personnalité plus forte. » José n’est pas titulaire, il est à
peine majeur mais il a de l’influence. « Il s’imposait beaucoup à
nous, ceux de sa génération, constate Torres. Il sentait aussi qu’il
avait une forme de prédominance sur les plus anciens,
probablement parce qu’il était le fils de l’entraîneur. »
Et parce qu’il est le fils de l’entraîneur, une certaine prudence est de
mise. « Il arrivait qu’on fasse attention à ce qu’on disait parce que Zé
Mário était présent, badine Torres. Non pas qu’on l’ait soupçonné de
quoi que ce soit… De toute façon, on n’avait pas de prises de
position ou de paroles qui pouvaient paraitre suspectes. On
s’entraînait, on jouait, on s’amusait. » « Disons que lorsqu’on avait
une critique à émettre on faisait attention s’il était présent, rigole à
son tour Rúben Cunha. Même si, franchement, on n’a jamais eu de
doute, on ne s’est jamais dit qu’il répétait quoi que ce soit à son
père. Je ne garde que de bons souvenirs de lui. On avait une
affection particulière pour lui parce que c’était un gamin. »
Cette saison-là, Rúben Cunha fait partie des plus aguerris du groupe
et il assure : « Il n’y avait pas de favoritisme. Au contraire. C’était
comme s’il n’était pas le fils du coach. Dès qu’il était là, avec nous, il
était un joueur comme les autres. Parfois, son père portait même
préjudice à son gamin. J’ai entraîné mon fils dans les catégories de
jeunes du Varzim et, sans m’en rendre compte je le traitais mal
parce que je ne voulais pas que les autres jeunes pensent qu’il était
privilégié. »
Et, à ce moment de sa vie, José sait aussi que pour se faire un nom,
il doit se défaire du sien. « Il n’aimait pas qu’on l’appelle Mourinho,
déballe Cunha. « Je ne suis pas Mourinho, je suis Zé Mário ! »,
disait-il. Il ne voulait pas qu’on l’estampille comme le fils de
l’entraîneur. »
Si, comme l’affirme Rúben Cunha, José est aimé au sein du
vestiaire, c’est aussi parce qu’il sait l’ambiancier. « Je suis toujours
surpris quand j’entends dire que Mourinho est arrogant ou je ne sais
quoi, s’étonne l’ancien attaquant. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi
humble que Zé Mário. Il était simple, sans préjugé aucun. Chaque
mercredi soir, les joueurs avaient pour habitude de dîner et il était là.
Il était très sociable, il savait communiquer. Il a toujours eu une
grande facilité à s’exprimer. Il avait beaucoup d’amis. Et s’il lui
arrivait de ne pas venir, c’est parce qu’il devait étudier. »
« Envie d’être dans le football, autrement »
Car, ça y est. En 1982-1983, José a intégré l’Insituto Superior de
Educação Física (ISEF), lié à l’Universidade Técnica de Lisbonne
(on va y venir en détail). Il y initie sa formation en éducation
physique et devient donc un footballeur-académicien. « Il lui arrivait
de ne pas venir à certains entraînements à cause des études, se
souvient son coéquipier Rúben Cunha. Son père qui cherchait à lui
inculquer l’idée qu’il fallait préférer les études au foot ne le laissait
pas manquer les cours. »
Toni qui est de sa génération et qui a effectué une partie de sa
formation à ses côtés, décrit un José « très studieux » : « Il avait
l’esprit tourné vers les études. Il en parlait parfois avec nous et il
avait conscience que le football, en tant que joueur, n’allait pas lui
réserver grand-chose. Il était réaliste. Il voyait que, même pour nous,
juniors qui avions été convoqués en sélection de jeunes, le niveau
en seniors était élevé. Parfois, il nous disait : « Vu comme j’aime le
foot, c’est dans cette voie que je dois m’orienter. » On lui
demandait : « C’est-à-dire ? Tu veux t’imposer sur le terrain ? »
Il répondait : « Non, je n’ai pas votre talent mais j’ai d’autres
intentions, une envie d’être dans le football, autrement. » »
Et comme tout jeune étudiant, il continue de cultiver la déconne. Toni
témoigne : « Il était très joueur, très extraverti, toujours prêt à
envoyer une blague mais, attention, sans jamais manquer de
respect à personne ! » Ses délires, c’était (dixit Toni Parreira) de
« mouiller les habits de ses coéquipiers, attacher les lacets de leurs
chaussures, faire des nœuds aux manches de leurs chemises,
mettre de l’eau dans leur shampoing… » Torres : « Taper ses
coéquipiers avec des serviettes mouillées ; quand un collègue était
dans un bassin d’eau bouillante, il s’en approchait pour remuer
l’eau… Il aimait chambrer. Il avait beau être le fils de l’entraîneur, il
avait une posture très décontractée. » Sauf quand il s’agissait de
bosser.
« Pas un adjoint mais… »
« Zé était toujours l’un des premiers à faire ce que son père
demandait, affirme Toni Parreira. Parce qu’il était le fils de qui il était,
il devait toujours donner l’exemple. » Carlos Torres garde en
mémoire une scène. Elle illustre la condition de José Mário en cette
saison 1982-1983 au Belenenses et laisse présager celle du futur
manager Mourinho : « C’était lors de la présaison. On était partis
courir au Estádio Nacional. Zé était en tête. Il était toujours devant
quand on faisait des cross. On cavalait jusqu’à n’en plus pouvoir.
Il fallait traverser une route et faire un grand tour. L’entraîneur,
Mourinho Félix et ses adjoints nous attendaient à l’arrivée. Avec
Figueiredo, autre gardien de l’équipe, on a pris un raccourci. On a
attendu là, avant de se remettre dans la course et on a terminé
premiers. Quand Zé est arrivé, il a envoyé : « Je ne comprends pas :
Torres ne m’a pas dépassé mais il est arrivé avant moi… » Il l’a dit
en en rigolant mais il nous a bien eus. Son père m’a regardé et a
rigolé à son tour. On est rentrés en bus jusqu’au Restelo et, là, au
moment de regagner le vestiaire, Mourinho Félix nous a dit à
Figueiredo et moi : « Vous, là, vous allez faire des tours de terrain. »
Tous les autres étaient partis à la douche et, nous, on était en train
de cavaler ! Une fois les tours terminés, Zé était là et il se marrait ! »
Les deux portiers vont se venger. « On a fait des nœuds à nos
serviettes de bain et, bien sûr, on s’en est pris à lui ! », se marre
aujourd’hui l’ancien gardien pour qui cette anecdote n’est pas si
anodine. « C’était une plaisanterie mais je n’ai jamais oublié cette
histoire. José assumait un rôle responsable. Il voulait nous dire :
« Vous êtes là en train de vous amuser mais les autres bossent et
on est une équipe. » Dans le travail, il était très sérieux. C’était déjà
son côté autoritaire. Zé n’était pas un adjoint mais il se sentait dans
l’obligation de donner l’exemple. »
Il n’est pas un adjoint mais il épaule le Mister. Et pas que dans le
vestiaire. « Quand il n’était pas convoqué, Zé Mário allait voir des
matches, il observait nos adversaires, se rappelle Torres. On sentait
sa touche dans le discours de son père. Je ne pense toutefois pas
qu’il avait une influence sur les choix de celui-ci. Au contraire, lui a
été très influencé par son père, au niveau des valeurs, de la rigueur,
notamment dans les entraînements. Mourinho Félix était un être
fantastique. » Avec un penchant certain pour le fantastique. Il était
bourré de tics, de trucs quasi-fétichistes. « Il était très superstitieux,
lance Carlos Torres. Si on gagnait un match et qu’il était habillé
d’une certaine façon, il gardait ces vêtements-là jusqu’à la prochaine
défaite. »
Bambin, José, lui, vouait déjà une adoration anormale pour les
entraînements, le jeu, la tactique. Un culte qu’il va exploiter,
développer au fil des années. Toni se rappelle du stage de cette
présaison 1982-1983 : « On était à São Pedro do Moel. (Photo 10.
Voir pages centrales) Zé Mário avait un dossier dans lequel il notait
tout ! Il observait et répertoriait tout. Il voulait savoir, comprendre,
pourquoi telle ou telle chose se faisait d’une façon et pas d’une
autre. Moi, à l’époque, j’avais son âge et je ne faisais pas attention à
ça. On voulait s’amuser, on occupait le temps, mais lui il l’optimisait,
déjà. Il avait une autre lecture du football. Il était venu avec ses
bouquins. » Rappelons que José Mário vient d’intégrer l’ISEF et il
est visiblement au taquet. « Lorsqu’on se retrouvait dans nos
chambres, il nous disait : « Aujourd’hui, on va travailler sur ça, j’en ai
parlé avec mon père », s’étonne encore Toni. Il était écouté par son
père. Pas devant nous, mais dans leur intimité, il devait échanger
leurs impressions. Son père avait une connaissance du football mais
son fils lui apportait une sorte d’actualisation. »
Et lorsque la modernité et la théorie rencontrent l’empirisme il arrive
que ça coince. José Mário n’est pas toujours en adéquation avec
son patriarche. « Il parlait beaucoup, notamment concernant notre
préparation physique, relate Rúben Cunha. Il avait déjà ses idées
sur ce qu’il fallait faire et ne pas faire. Il lui arrivait même de critiquer
son propre père sur sa façon d’agir. C’était au détour d’une
conversation, rien de méchant. Nous, on n’osait pas trop réagir. Tout
cela était toujours dans le respect de la fonction de son père. »
Cunha soupire, un brin de saudade dans la voix : « A cette époque-
là, il y avait un profond respect pour l’entraîneur. Quand il entrait
dans le vestiaire, on entendait les mouches voler. Ce temps semble
révolu… »
« Il est né pour être ce qu’il est »
Comme il le faisait lorsqu’il évoluait en jeunes, Mourinho glisse
quelques conseils à ses collègues. Sans complexe. « Il donnait
beaucoup d’indications, dit Carlos Torres. Moi qui étais gardien, il me
disait : « Ne fais pas ça, avance-toi, ne sors pas, anticipe ! » Il avait
déjà une vision très stratégique du placement. Il était une vraie plus-
value pour nous. »
Mourinho se met aussi au service des autres équipes du
Belenenses. « Zé assistait souvent aux matches des jeunes pour
leur donner des conseils, les motiver. Il était très protecteur,
témoigne Torres. Il est né pour être ce qu’il est. » L’ex-joueur du
Torreense ou Olivais e Moscavide est bien placé pour en parler :
« Aujourd’hui, je suis coach mental. Je travaille dans le
développement personnel et de ce que j’apprends et j’enseigne, je
constate qu’il est l’entraîneur qui est le plus évolué dans le domaine
mental sur les vingt dernières années. Il est devenu celui qui a fait la
différence au niveau mental. Et je comprends pourquoi il a fait cette
différence : par sa capacité à motiver, à pousser les autres à se
surpasser sans leur imposer. »
Malgré sa complicité et sa complémentarité, ce vrai-faux duo de
Mourinho ne s’impose pas au Belenenses. Félix est démis de ses
fonctions en cours de saison, suivi de son fiston. « Voir Mourinho
Félix partir a été l’une des plus grandes tristesses de ma vie, déplore
encore Rúben Cunha. Il ne méritait pas ça. » Bule a encore les
boules : « L’objectif était la montée. On avait beaucoup investi dans
l’équipe tandis que d’autres investissaient sur les arbitres… On a
occupé les places du haut de tableau mais on a été distancés. Et,
comme souvent dans ces moments-là, c’est l’entraîneur qui trinque.
Félix était triste, tout comme Zé, de nous quitter et c’était réciproque.
Fernando Mendes l’a remplacé mais ça n’a pas été mieux pour
autant. » Les Pastéis terminent quatrième de leur poule de D2. La
remontée sera pour plus tard.
Queiróz : « Une époque presque romantique »
Les Bleus de Belém traversent des années sombres. Mais au
milieu du brouillard, des futures références du foot portugais
commencent à se former. Au cours de cet exercice 1982-1983, le
Belenenses compte parmi ses coaches Carlos Queiróz32. « J’ai
travaillé avec le père de Zé Mourinho, commence-t-il. Je n’étais pas
son adjoint direct mais j’entraînais une équipe de jeunes du
Belenenses (Iniciados) au moment où il entraînait l’équipe principale.
On a eu une relation amicale, cordiale, proche. J’ai assisté à
beaucoup de ses entraînements et on échangeait énormément.
A cette époque-là, le football était beaucoup plus ouvert, plus
simple. Comme je collaborais déjà avec le projet de formation
d’entraîneurs de la fédération, à travers l’université, j’avais accès
aux formations d’entraîneur et je discutais souvent avec Mourinho
Félix. »
Témoin d’une époque obscure pour le Belenenses, Queiróz se
souvient d’un « jour assez spécial » : « C’était vers la période de
Noël. Avec tous les entraîneurs des catégories de jeunes et
Mourinho Félix de l’équipe principale, nous étions assis sur les
escaliers devant le secrétariat du club, en attendant de savoir si les
salaires allaient être versés. José Mourinho était là, lui aussi. Je l’ai
connu alors qu’il était quasiment un gamin. C’était une époque
presque romantique… » Carlos Queiróz et José vont très vite se
recroiser à la fac.
Les chemins des Mourinho, père et fils, se séparent. En réalité, ils
resteront toujours liés. Plus comme au Rio Ave et au Belenenses où
Manuel était l’entraîneur de José Mário, mais autrement. Car, tu l’as
compris – et lui aussi – José a décidé de vivre (de) sa passion
autrement qu’avec des crampons. Mais à 20 piges et alors qu’il
continue de se remplir la cervelle, il en a encore pas mal sous la
semelle.

« Un joueur normal » à Sesimbra


Maintenant qu’il a intégré l’ISEF de l’Université Technique de
Lisbonne, José Mário évite de trop s’en éloigner, tout en veillant à
rester au contact des terrains. En 1983-1984, à la fin de son
aventure avec son paternel au Belenenses, il poursuit en deuxième
division (Zona Sul) et incorpore le Grupo Desportivo de Sesimbra.
Sesimbra est une jolie petite ville portuaire du district de Setúbal.
Son équipe-fanion vient d’assurer le maintien en D2. Le but est de
remettre ça, le plus tranquillement possible. Pour José, le
compromis est parfait. A mi-chemin entre la fac et la maison, il
partage ses journées entre la capitale (le matin) et Sesimbra
(l’après-midi) et les termine à Setúbal.
Il débarque au GDS sur et avec les recommandations de son père.
« A l’époque, Francisco Mário était notre entraîneur-joueur et
Mourinho Félix a parlé avec lui », se souvient Sebastião Patrício
Simões. L’actuel président du GD Sesimbra est, à cette époque, le
boss de la section foot. « Il y avait deux, trois autres joueurs qui
étaient de Setúbal. Son père en a discuté avec eux et avec
Francisco Mário qui a proposé à Zé Mário de venir. Il a participé à
des entraînements et il est resté », précise Turíbio. Le latéral est
l’une des figures les plus marquantes de l’histoire du club où il a
passé toute sa carrière. Turíbio est le capitaine de José Mourinho,
au cours de cet exercice 1983-1984.
Et comment réagit le capitão lorsqu’il voit le fils de Mourinho Félix
débarquer ? « Son père était connu mais Zé Mário n’était pas vu
comme un pistonné », assure-t-il. Et, de facto, pas de passe-droit
pour Mourinho. Patrício Simões garantit : « Il était un joueur parmi
les autres. Un joueur normal, rien à voir avec l’entraîneur qu’il est
devenu. » « Comme homme, il était génial, comme joueur, il n’était
pas titulaire, traduit Turíbio. Il était dans le groupe mais on avait une
très bonne équipe à cette époque. »
« Il jouait milieu. Il était très technique mais il était lent. Toutefois, il
n’est pas si mauvais que ce qu’on peut lire ou entendre parfois »,
décrit Vítor Assunção, alias Vitinha (celui-là même qui avait été
entraîné par son père à Amora). Luís Emídio, l’un des gardiens de
buts de Sesimbra d’antan, confirme : « Il n’était pas un joueur
exceptionnel mais il avait de vraies qualités. Il y a d’ailleurs eu un
match… Si vous voulez je vous raconte… » Ah bah, oui, vas-y !
« On figurait donc dans la zone sud de la deuxième division. Vient le
match face au Marítimo qui luttait pour la montée, au coude à coude,
avec le Belenenses. Mourinho a sorti une de ces actions… On s’est
tous demandés comment il avait fait ! Il a été fauché dans la surface,
on a obtenu un pénalty et on a gagné grâce à ce péno. On lui disait :
« Tu nous as donné la victoire ! C’était son jour de gloire, à
Sesimbra, en tant que joueur », s’enflamme Vitinha. « Il a contribué,
indirectement, à la montée du Belenenses en première division »,
remarque le Presidente Patrício Simões. Les Lisboètes compteront,
en effet, un point d’avance sur les Madériens, à l’issue de la saison.
Quant au GD Sesimbra, il renouvellera sa place en II Divisão, sans
trop peiner.
« Chie-du-lait »
José qui va sur ses 21 ans se la joue discret. « Il parlait peu,
témoigne le portier Luís Emídio. Il était très poli et pas très
extraverti. » Impression partagée par le capitaine Turíbio : « Il n’était
pas très bavard. Au départ, il y avait un petit groupe formé par les
joueurs venant de Setúbal. Zé était un peu dans son coin. En tant
que capitaine, je suis intervenu : « Il faut que l’équipe soit unie ! » Et
ce fut le cas, après ça. » « Zé ne parlait pas beaucoup mais il
contribuait à faire un bon vestiaire », enchaîne-t-il.
L’étudiant de l’ISEF est plus assidu que jamais. Le capitaine
raconte : « Avant les séances de travail, alors qu’on s’équipait,
l’entraîneur me disait quoi faire pour débuter l’entraînement. Zé
Mourinho venait rarement avec nous. Il était plongé dans ses livres
et ses notes. Il me disait : « Je finis un truc et j’arrive. » Il posait ses
bouquins et venait ensuite. Il se trimballait toujours avec un paquet
de livres sous le bras. Je lui balançais : « Caga-Leite, c’est pas avec
ça qu’on joue, c’est avec les jambes ! » »
Caga-Leite ? Littéralement : « Chie-du-lait ». Turíbio traduit : « Les
gens de Setúbal nous surnomment, nous gens de Sesimbra, les
Pexitos [déformation linguistique de « petits poissons », en
portugais]. Et nous, on les surnomme caga-leite. Du coup, pour moi,
José était un caga-leite. » Ce sobriquet, les deux camps se le
renvoient. Pour les Sesimbrenses, aussi, les Setubalenses sont des
« chieurs de lait ». Plusieurs versions populaires tentent de justifier
cette appellation. Certaines sont encore plus dégueulasses que le
terme lui-même. Restons sobres et prenons celle-ci : Sesimbra et
Setúbal étaient deux villes de pêcheurs. L’industrialisation et l’exode
rural ont modifié leurs cultures. Sesimbra et ses alentours se sont
mis à produire du lait, à foison. Les producteurs cherchaient à en
revendre à leurs voisins de Setúbal qui se sont mis à les
surnommer : « Chie-du-lait. » Une variante : l’espadon, abondant à
Sesimbra, dégage une graisse blanche lorsqu’on le presse ;
vulgairement, il « chie du lait ».
Donc, Turíbio disait à son caga-leite de sortir le nez de ses écrits.
« Et il me répondait : « Turíbio, un jour tu entendras parler de moi. »
C’est véridique, il me disait vraiment ça ! » Luís Emídio certifie :
« C’est vrai qu’il allait partout avec ses livres. Il a vite compris qu’il
n’irait pas loin comme joueur. C’était mon ami et parfois, on en
parlait et il me le disait : « Je vais tenter d’atteindre mes objectifs »,
mais il ne disait pas quels étaient ces objectifs. Je devinais qu’il
voulait être entraîneur. Il était vraiment obsédé par les études,
l’ISEF. »
En attendant, il est footballeur. Emídio : « Il donnait toujours tout, aux
matches comme aux entraînements. Il était comme il est
maintenant : honnête, travailleur, dur. Parfois, certains s’en
plaignaient mais ce n’était pas méchant. » « Il n’aimait pas trop être
remplaçant, sourit Vitinha. C’était plus lié à son âge mais certains
joueurs de Sesimbra n’appréciaient pas. »
Turíbio, en mode chambreur : « Il m’arrivait de le titiller. Il montait
toujours ses chaussettes jusqu’aux genoux. Je lui disais : « Bah,
alors ? Faut les trouer ces chaussettes ! Faut te déchirer sur le
terrain ! » En ce temps-là, on n’avait pas de protège-tibias.
A l’entraînement, il n’enlevait jamais le pied. Il travaillait dur. Il était
dur. » Parfois, peut-être un peu trop…
Des « étincelles » à l’entraînement
La fougue, l’ardeur, la dévotion de José Mário sont à la hauteur de
ses ambitions et de sa passion. Une fois sur le terrain, le classieux
et soigneux étudiant se métamorphose. « Un jeudi, lors d’un
entraînement, l’entraîneur a mis en place une attaque-défense, narre
Turíbio. Zé est allé au duel avec Vítor Formiga, il lui est rentré
dedans et… ça a fait des étincelles. Chico Mário les a renvoyés à la
douche. A la sortie du vestiaire, ils se sont embrouillés, c’était
chaud. » « Il ne s’est rien passé dans le vestiaire, c’était hors du
stade, dans la rue, détaille Emídio. Je ne sais pas s’ils en sont
arrivés aux mains. Je n’y ai pas assisté. On me l’a raconté. »
Malgré de nombreuses tentatives, il n’a pas été possible de joindre
Formiga. De toute façon, selon Turíbio, « il n’a jamais souhaité
s’exprimer sur le sujet. » L’ancien capitaine sesimbrense relativise :
« Il n’y a rien de grave là-dedans, rien d’extraordinaire. C’est le
genre de choses qui arrive dans un groupe. » Sebastião Patrício
Simões, dirigeant à l’époque des faits, président du Grupo
Desportivo de Sesimbra depuis, ne souhaite pas non plus en
rajouter : « Je ne veux pas parler de ça. On parle d’une chose qui a
eu lieu il y a des dizaines d’années… Le club ne souhaite pas
s’exprimer là-dessus. » Le Presidente ne souhaite pas déterrer une
polémique qui, au fil des ans, a surtout viré au fantasme. D’autant
que tout est rentré dans l’ordre. Avec un peu de temps et un peu
d’aide, aussi.
C’est Turíbio qui a arrangé le coup. Près de dix ans plus tard.
« Mourinho était adjoint de Bobby Robson au Sporting [1992-1993],
récite-t-il. Et nous, nous allions faire un mini-stage au Estádio
Nacional, le temps d’un week-end. Là-bas, j’ai croisé Mourinho qui
accompagnait des joueurs du Sporting au rassemblement de
l’équipe nationale. En le voyant, je lui ai dit : « Tiens, y’a le caga-leite
de Mourinho ! » Il est venu nous voir. J’ai dit à Formiga : « Regarde
qui est là. » J’ai appelle Zé et il se sont salués. Et on en est resté
là. »
« T’as une voiture ? Non, bah, je vous ramène jusqu’à
Setúbal »
Avec le coach, Francisco Mário, c’était comment ? « Il était déjà en
place et il faisait du bon travail, se souvient l’un de ses gardiens de
buts, Luís Emídio. Il nous avait fait monter et je n’ai jamais entendu
Zé Mário émettre d’opinion sur lui. » Après moult appels, l’ancien
entraîneur-joueur de Sesimbra décroche : « Vous êtes qui ? Ah OK,
mais vous savez, je suis pêcheur, je suis en pleine mer, je vais, je
viens… Désolé mais je n’ai pas le temps, tu comprends ? Bonne
journée. » Bip. Bip. Bip. Pas de souci. Garde la pêche, nous, on
repart à la chasse.
Mourinho qui passe ses diplômes pour devenir entraîneur en
parallèle, sait rester à sa place. « Jamais il ne se mêlait des
décisions de l’entraîneur, assure Turíbio. Quand on commentait ses
choix, il lui arrivait de me dire : « Tu devrais dire à Chico qu’il devrait
peut-être faire comme ça. » Mais il ne le disait qu’à moi. » Turíbio
garde une certaine tendresse envers José. Le prolifique latéral de
Sesimbra avoue avoir ressenti un vide après le départ du jeune José
Mário : « Une fois la saison terminée, il a annoncé qu’il partait. Il m’a
manqué, parce que c’était un bon garçon. »
Faustino Pereira, originaire de la cité sadina comme les Mou,
éprouve la même empathie, lorsque son coéquipier quitte Sesimbra :
« Il y a des petites choses qui démontrent à quel point il était
quelqu’un de bien. A cette époque, on s’entraînait tard le soir, parce
que beaucoup de joueurs avaient un travail à côté. Une fois, je lui ai
demandé : « Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu quittes tes cours à
Lisbonne pour venir jusqu’ici t’entraîner à 19 heures… » Il m’a
répondu : « T’as une voiture ? Non, bah, je suis là pour vous
ramener jusqu’à Setúbal. » Pour vous donner une idée de l’être
humain qu’il était. Il aidait ses collègues et il le faisait avec plaisir. »
Il prend autant de plaisir à les piéger. José n’a pas perdu sa gouaille.
José Toureiro, l’un de ses potes de fac, se souvient : « Une fois, il a
fait une blague à un joueur de Sesimbra, un défenseur très dur. On a
demandé à une jeune fille avec laquelle on était amis, d’aller voir un
de leurs matches. Elle a commencé à jeter des regards à ce
défenseur et lui a laissé son numéro de téléphone. Il l’a appelé et a
convenu d’un rendez-vous à Setúbal. Le jour J, un matin, le gars
était là, un parapluie à la main, en train d’attendre cette fille. Et nous,
on est passés, en voiture, morts de rire ! » Le coup-de-Mou-du-lapin.
Au terme de cette saison à Sesimbra, José Mário va se plonger en
immersion au sein de l’ISEF. La cohabitation entre le foot de haut
niveau et les études devient trop compliquée. Et son choix est fait.
Il va vivre la fac quasiment sous perf. Et avec de belles perfs…

A fond la fac
En laissant Sesimbra à l’issue de la saison 1983-1984, José le
footballeur fait ses adieux au haut niveau. De toute façon, même
lorsque ses vissés l’accompagnaient sur les terrains défoncés, son
cerveau était envoûté par les bouquins et tout ce qui au jeu avait
trait. Et il date, cet intérêt.
Sa mère y est pour beaucoup. Dona Júlia, institutrice, dicte : « Os
estudos, filho ! »33 Collège, lycée, elle l’a même poussé à s’inscrire
en gestion, après le bac. Mais son truc, ça a toujours été le ballon.
Alors, elle s’adapte mais ne (le) lâche pas. Quand José Mário rédige
les compte-rendus sur les futurs adversaires de son père, elle ne
peut pas s’en empêcher : « Je mettais mon grain de sel pour vérifier
son portugais. Ces rapports étaient anormaux pour quelqu’un de cet
âge-là. Et à 15 ans, il en faisait déjà. »34 L’idée que son José puisse
embrasser le même destin que son mari la faisait néanmoins
carrément flipper. « Je ne voulais pas qu’il suive la même carrière
que son père à cause de la vie qu’il faut mener : de nombreux
déplacements et des absences prolongées, confiera-t-elle en 2003,
avant de concéder, avec tendresse. Aujourd’hui, mon club, c’est mon
fils. »35
Derrière chaque grand homme se cache une femme, n’est-ce pas ?
Dans le cas de José Mourinho, elles sont au moins deux. En plus de
la mamã, il y a l’épouse, Matilde. José in love : « Quand j’avais 17
ans, la femme de ma vie est apparue, une fille de 15 ou 16 ans qui
maintenant est ma femme. Elle aussi a suivi une formation
universitaire, en philosophie, et moi j’ai étudié l’éducation physique.
Au final, la constitution de ma pensée est le fruit de l’union de deux
aires que certains pensent incompatibles : l’université et le
football. »36 La voix et la voie de Tami confortent Zé dans son
cheminement, poursuivant le chemin tracé par ses parents. Les yeux
et l’esprit bien ouverts : « Quand j’entre à l’université j’ai tellement
d’obligations que la pression de faire les choses bien, de terminer
ma licence, changent ma manière d’être : je ne veux plus être cet
enfant qui veut devenir un footballeur de haut niveau et je sais que je
suis un jeune qui ne pourra jamais être le crack qu’il rêvait d’être ; je
me rends compte que je ne pourrais être qu’un joueur comme
beaucoup d’autres qui aiment le football, mais jamais être au top. »37
Et José ne veut pas être quelqu’un « comme beaucoup d’autres ».
Il veut être quelqu’un de spécial et il sait déjà comment y parvenir :
« C’est alors que je réalise que je dois voir la vie comme quelqu’un
qui a une tendance naturelle à diriger, à être un leader, à étudier, à
comprendre l’aspect scientifique des choses… »38
L’Instituto Superior de Educação Físcia (ISEF) va l’accompagner, le
former, l’éduquer, le forger dans sa quête. Lié à l’Université
Technique de Lisbonne, l’ISEF qui s’est d’abord appelé Instituto
Nacional de Educação Física (de sa fondation en 1940 à 1975)
porte, depuis 1989, le nom de Faculdade de Motricidade Humana
(FMH). José Mário y entre en 1982 et va y passer un quinquennat
plein de vies.
José Mário qualifie ses années fac de « géniales ».39 Mais pas en
mode cool, dilettante… Non, non. Le gars qui visait l’ISEF, l’a atteint
et il déroule : « Dès le premier jour, avant même de commencer, je
savais ce que je voulais. »40 Voilà qui promet…
Manuel Sérgio : « Il est super-doté intellectuellement »
« Il a toujours voulu être entraîneur. Je me souviens qu’il le disait.
Il avait la sensation qu’il allait triompher. » Manuel Sérgio garde un
souvenir très prononcé de José Mourinho. Pourtant, leur moment ne
va pas durer très longtemps.
Manuel Sérgio est une immense figure du sport au Portugal,
professeur et docteur en philosophie. Il a été l’un des profs du Mou à
l’ISEF. « Il a été mon élève, lors de sa première année », lance-t-il
fièrement. La matière avait pour nom : « Philosophie des activités
corporelles ». Le philosophe, qui fut aussi député au début des
années 1990, est le père-penseur de la « motricité humaine », une
nouvelle science sociale et humaine qu’il définit comme « un
mouvement intentionnel et solidaire de la transcendance. » C’est-à-
dire, prof ? « Lors de ma thèse en doctorat, je défendais déjà l’idée
que l’éducation physique, le sport, la danse, formaient un domaine
dans lequel les individus tendent toujours à se transcender. Dans
mes cours, je parlais aussi du physiologisme dans le sport. Je
pense, modestement, que j’ai un peu été un pionnier dans ces
choses. Le sport est une activité dans laquelle on retrouve la
complexité humaine. Je visais non seulement la partie physique
mais aussi le mental et je pense que Mourinho applique cela. »
On en revient à notre mouton qui, à en croire notre philosophe, a
plutôt la gueule d’un loup. Celui de Wall Street ? « José Mourinho
est un homme qui reproduit parfaitement et sans contestation la
haute-compétition typique de la société capitaliste, analyse Manuel
Sérgio. Le sport même dans lequel il se produit multiplie les traits de
la société capitaliste : les mesures, les records… Ni Mourinho, ni
Guardiola, ni Ancelotti ne peuvent être de grands entraîneurs dans
ce milieu sans reproduire, ni multiplier la haute-compétition
constante typique du capitalisme. Pour vivre dans le football de ce
niveau, il faut aussi être capable d’adopter un certain type de
comportement. »
Un certain mode de pensée, aussi. Le Professor a en mémoire un
échange avec son élève, au cours de cette saison 1982-1983 : « Je
me souviens d’avoir eu une conversation avec lui où je lui disais que
le football était plus que du football et que l’homme qui est dans le
football et qui ne connaît que le football ne connaît rien au football.
Il m’a demandé pourquoi et je lui ai répondu que le football n’est pas
qu’une activité sportive mais, surtout, une activité humaine où bien
d’autres choses au-delà du physique entrent en jeu. Il a tout de suite
compris ce que je voulais dire. » José capte vite. « Il est l’un des
élèves les plus brillants que j’ai croisés au cours de mes 45 ans de
carrière, ce n’est pas n’importe quoi, envoie l’octogénaire. L’analyse
qui s’impose sur Mourinho c’est qu’il est super-doté
intellectuellement. Et en tant que tel, il en met plein la vue. Il sait qu’il
est un homme intelligent. Le monde qu’il a intégré est un monde de
haute compétition où il gagne et dans lequel il se sent bien. C’est un
homme brillant au niveau intellectuel. Il sait très bien quoi faire. »
Le Professor Sérgio n’est pas peu fier d’avoir contribué à former
celui qui sera un maître dans l’art des Mind games mais il préfère la
jouer modeste : « Il a déjà parlé de moi, en disant que j’ai été un bon
professeur pour lui. Mais au niveau du football, il a appris avec son
père, avec d’autres. Il est né et a grandi dans le football. Par nature,
il a toujours voulu comprendre ce qu’il fait. Il avait donc besoin
d’étudier. »
« Très studieux, très appliqué »
José Toureiro confirme les dires du professeur Manuel Sérgio :
« Zé était très studieux, très appliqué. On aimait sortir, s’amuser,
comme n’importe quels jeunes de cet âge mais on était
responsables. Quand il fallait travailler, étudier, on savait s’organiser.
On voulait décrocher notre licence au plus vite et avoir notre carte
professionnelle pour pouvoir entraîner. » José et José sont amis
depuis la fac. Depuis l’ISEF, donc, même s’ils se sont déjà croisés
auparavant. « On s’est affrontés en juniors, précise Toureiro. J’étais
au Benfica et Zé Mário au Belenenses. On était rivaux, en équipes
de jeunes. » Toureiro qui est professeur d’EPS à l’escola secundária
Augusto Cabrita, au Barreiro, se souvient d’un footballeur « plein de
vitalité ».
Histoire de bien comprendre : que comporte donc cette fameuse
licence sur cinq ans décrochée par José Mourinho ? Que renferme
donc ce diplôme obtenu par le Special One ? Exposé de son pote,
Toureiro : « En première et deuxième année, nous avions un
enseignement d’éducation physique de base. Nos connaissances
liées à notre enseignement secondaire étaient, là, beaucoup plus
approfondies. Ensuite, on avait plusieurs spécialités : psychologie,
anatomie, physiologie, psycho-philosophie, psychomotricité… C’était
très complet, avec une base théorique très importante. Sur les
dernières années, on appliquait tout cela aux disciplines sportives ; à
partir de la troisième année, on devait choisir : gymnastique sportive,
athlétisme, football et basketball, par exemple. Et puis lors de la
quatrième et cinquième année, on a pris la spécialisation football.
Nous avons donc une licence en éducation physique avec une
spécialisation football. A l’époque, on sortait de là avec une carte
professionnelle qui était reconnue par la fédération. Lors de notre
dernière année de licence, on devait effectuer un stage dans un club
et on devait présenter un travail final, appelé « Centro de treino », un
dossier dans lequel figuraient les composantes d’entraînement et où
tout était détaillé : ce qu’on faisait, comment on choisissait les
exercices… » On reviendra plus en détail sur cette dernière année,
notamment.
« Ce n’est pas la note qui te fait être meilleur ou pire »
L’élève, l’académicien, José Mário Mourinho Félix se montre
appliqué, assidu. « Quand il était au lycée, il avait des notes
raisonnables et quand il est entrée à l’ISEF, il a passé cinq ans avec
de très bonnes notes », assure sa mère.41 Auto-critique de José, à la
Mourinho : « Je pense que j’aurais pu être un élève à la faculté avec
de meilleures notes que celles que j’ai eues. Pour moi, très
honnêtement, un élève de fac, surtout dans un domaine comme le
nôtre, ce n’est pas la note qui te fait être meilleur ou pire. »42
En réalité, José n’est pas très emballé par ses premières années à
l’université. Les trois ans de tronc commun ne le branchent pas. Le
jeune homme pense déjà pratique et se veut pragmatique. Il renie la
« bible » du grand méthodologue de l’entraînement professée alors
à l’ISEF. Trop généralisée, pas assez focalisée sur sa spécificité : le
foot.
Du coup, José Mário puise son inspiration ailleurs. Parfois, loin. Il va
jusqu’en Espagne pour s’approvisionner en bouquins. Là-bas,
plusieurs auteurs étrangers sont traduits. Parmi eux, Knut Dietrich.
« On a réalisé un travail sur lui, à la fac, indique José Toureiro. Sur la
simplification de la structure complexe du jeu. On partait de
situations simples : un contre un, contre deux, un contre trois, trois
contre deux… jusqu’à ce que le jeu devienne un onze contre onze.
Le jeu réduit était la cellule de base du jeu qu’on allait tenter de
mettre en pratique en onze contre onze. Dietrich était étudié en
France à Vichy43, notamment. On a aussi étudié plusieurs modèles :
anglais, allemand, français, néerlandais… et, au final, on a appris et
on a pris un peu de tous. »
Mourinho ne fait pas que lire des trads. Il bosse aussi les langues et
ses compétences linguistiques lui seront d’une grande utilité dans
quelques années (et quelques pages). Il racontera : « Je lisais le
français et l’anglais scolaire. Quand je suis passé dans
l’enseignement secondaire, je n’avais plus le français mais j’ai
continué l’anglais. L’un de mes meilleurs amis à l’époque avait vécu
en France et il parlait mieux français que portugais. »44 Son autre
ami, José Toureiro, tient à faire une précision : « On a appris
l’anglais et le français de façon très superficielle au lycée mais rien
qui pouvait nous permettre d’assumer une interview. Zé travaille
beaucoup. Il part en Italie et apprend l’italien… C’est un cérébral, il
aime penser, anticiper. Il lit beaucoup, il est très cultivé. »
« Zé a toujours voulu se présenter seul »
A l’ISEF, parmi les enseignants de José Mário, il y a Carlos
Queiróz. Le futur double champion du monde U20 avec le Portugal,
futur sélectionneur des A, mais aussi de l’Afrique du Sud, de l’Iran
ou de la Colombie exerce le sacerdoce de « professeur de football ».
Queiróz et Mourinho qui s’étaient rencontrés au Belenenses vont
cohabiter pendant les cinq ans de la licence de José.
« Avec moi, il était très intéressant, commente le Professor. Il a
toujours été joyeux, vif, déterminé, affirmatif. Il était une personne
très marquante, par sa personnalité. » José Mário s’avère être un
élève un peu… spécial. « Il y avait une chose curieuse chez lui, livre
Queiróz. Les examens étaient individuels, bien sûr, mais les travaux
qui encadraient ces examens pouvaient être réalisés en groupe.
Cela faisait partie de leur cursus. Et Zé a toujours voulu se présenter
seul, avec son travail personnel. C’est l’un des rares à avoir fait cette
demande, lors de ses épreuves finales, par exemple. »
Outre Queiróz, Mourinho va retrouver Nelo Vingada, à l’ISEF. « Je
l’ai reconnu tout de suite ! », lance celui qui avait connu José Mário,
gamin, à Bélem, alors que son père y jouait encore. Nelo est un
autre aventurier du ballon qui, à 27 ans, a stoppé sa carrière de
joueur pour initier celle de technicien, d’abord « comme adjoint de
Jimmy Hagan et, l’année suivante, d’Artur Jorge au Belenenses. »
Vingada – qui deviendra le second de Queiróz avec les U20 du
Portugal, mais aussi sélectionneur en chef de ces mêmes moins de
20 ans et des olympiques portugais – est devenu lui aussi prof de
foot. Et il va instruire Mourinho pendant un an. « Je n’ai plus de
souvenirs précis mais s’il n’a pas été le meilleur de sa classe, il a au
moins figuré dans les trois premiers », continue-t-il. A cette époque-
là, il n’imagine pas pour autant une telle destinée pour José : « Si on
me demandait si je voyais en Zé Mário, élève de la section football
de troisième année de l’ISEF, l’entraîneur de football qu’il est
devenu, je dirais non. Qui plus est, ma matière avait une vision plus
pédagogique du football, avec des objectifs différents. »
Le Prof Vingada qui dirigera le Marítimo, l’Académica, le Zamalek ou
le Al-Ahly détaille le contenu de ses interventions : « La matière
football était tournée vers les aspects plus didactiques et
pédagogiques du football. On formait des futurs professeurs
d’éducation physique. Plus tard, en quatrième année, Zé a opté par
la spécialité football. Les notions d’entraînement, d’organisation, de
méthodologie pesaient ; et seuls ceux qui étaient issus du foot ou
ceux qui avaient un goût et une capacité prononcés s’en sortaient. »
Dans la promo de Mourinho figure notamment José Peseiro. Plus
tard, il dirigera le Sporting, le FC Porto, Braga ou Guimarães. « Ils
ont été importants dans la phase de relance du football portugais de
la fin des années 1980, étaye Nelo Vingada. Ils portaient une bonne
partie de ce qu’était la philosophie de l’ISEF et de son organisation.
A l’époque, nous avions un protocole avec l’Associação Nacional de
Treinadores45, une sorte de joint-venture d’efforts mutuels, d’entente,
de compréhension, entre ce qu’étaient la pratique et la connaissance
de la faculté et la pratique des entraîneurs. Le football portugais a
ainsi fait un bond dans les années 1980. »
José Mário présente un autre avantage sur certains de ses
camarades : la connaissance du terrain (n’en déplaise à ceux qui
aiment le dépeindre comme un mec sans expérience de footballeur).
« A l’époque, peu de ceux qui intégraient l’ISEF venaient du milieu
du foot, explique le professeur Vingada. Du coup, quand un élève en
était issu, il était perçu comme une aide pour nous et pour les autres
élèves. Ils étaient quelques-uns à avoir joué en deuxième, troisième
division ou à des niveaux inférieurs et qui avaient une certaine
sensibilité vis-à-vis du foot. » Nelo insiste : « Zé, lui, a joué à un bon
niveau, il a connu des vestiaires ce qui lui a permis de flairer ce
qu’est le football. Moi qui ai joué en première et deuxième division,
qui ai évolué à plusieurs niveaux du foot, la réalité d’un vestiaire
n’est pas très différente d’une échelle à une autre. »
« Il lui est arrivé de jouer gardien ! »
Bien qu’il ait quitté Sesimbra et le monde pro en tant que
footballeur, José Mourinho n’en demeure pas moins un. Plutôt deux
fois qu’une. Un an durant, au cours de la saison 1984-1985, il
intègre l’équipe de l’Universidade Técnica de Lisboa (UTL) qui est
engagée sur deux fronts. « Il a joué dans l’équipe de la fac qui était
inscrite dans le championnat universitaire et dans le championnat du
district de Lisbonne, explique Carlos Queiróz. Nous avions alors un
projet de formation académique – qui reposait beaucoup sur la partie
scientifique et théorique – qui devait s’assoir sur la dimension
pratique. Les élèves devaient avoir une pratique en tant
qu’entraîneur et en tant que joueur. » L’UTL est développée en ce
sens. Le groupe est géré par les professeurs de la section football
de l’ISEF et certains élèves de dernière année dont José Vasques.
« J’étais l’entraîneur de l’équipe dans le championnat de district et je
jouais aussi dans le championnat universitaire, précise-t-il avant de
sourire. Je ne devrais pas vraiment dire ça mais… je pourrais
presque dire que j’ai été l’entraîneur de Zé Mário ! »
Vasques qui entraînera Fátima, qui officiera en Arabie Saoudite ou
aux Emirats Arabes Unis, décrit son « ex-joueur et ex-coéquipier »
comme un « bon collègue » : « Il aimait prendre part à ces moments
collectifs. » José Mário, dont la cervelle bout sur les bancs de la fac,
décompresse sur les gazons. « C’était le genre de joueur qui jouait
là où il fallait, épanche Vasques. C’était une période, disons, plus…
divertissante. »
Si t’as bien suivi, jusqu’ici, José a joué, dans les différents clubs où il
a été inscrit, comme défenseur, milieu, ailier, attaquant. A l’UTL, il
poursuit et parachève sa diversification. José Vasques : « Avec
nous, il lui est arrivé de jouer gardien ! Et il aimait bien jouer dans les
buts. » « A l’ISEF, il était polyvalent, il jouait aussi bien défenseur
central, qu’attaquant ou gardien de but, confirme son ami et alors
coéquipier, José Toureiro. S’il nous manquait un gardien, il y allait. »
Et le futur Special One démontre une certaine habileté en tant que
numéro 1. « Je ne sais pas si c’est dû au passé de gardien de son
père mais il était flexible, habile, il avait une super coordination »,
analyse Toureiro.
Le passé, le statut de son père n’est pas un sujet sur lequel José
Mário se répand. « On ne parlait pas trop de cela, ni de ses années
de footballeur, se souvient Vasques. Il ne s’en vantait jamais, ni ne
faisait référence au fait d’être le fils de qui il était. C’était un élément
du groupe. » Le statut de « fils de » n’était donc pas ici un souci. Pas
plus qu’ailleurs, estime le professeur Nelo Vingada : « Zé Mário n’a
pas joué dans un Benfica, un FC Porto mais il a joué au football et
lorsqu’il a était un joueur du Belenenses ou du Rio Ave c’était par
son propre mérite. Quand il devait jouer, il jouait, quand il devait être
sur le banc, il allait sur le banc. Connaissant son père, il n’aurait pas
abusé de sa situation pour pistonner son fils. Il a suivi son propre
chemin, de lui-même, avec son propre caractère. »
José s’est fait maintenant une raison. Il ne fera pas carrière en
poussant le ballon, mais en le pensant. « Il n’avait aucune frustration
de ne pas avoir fait une grosse carrière de joueur, assure Toureiro.
Nous avions une ambition académique. Même pour moi qui suis
passé par les catégories de jeunes du Benfica, c’était difficile de
m’imposer dans une équipe qui était composée de grands noms.
C’était dur pour les jeunes. C’est plutôt à partir de Carlos Queiróz
qu’on s’est mis à miser sur les jeunes joueurs. Jusqu’alors c’était les
« éternels rois » ». (Photo 11. Voir pages centrales)
« On échangeait sur plusieurs aspects liés au football »
Les prestations de l’équipe de l’União Técnica de Lisboa restent
anecdotiques. L’objectif de ces étudiants n’est pas de devenir des
cadors sur le terrain mais autour. A l’ISEF, plus précisément au sein
de l’UTL, « c’était une ambiance très fac, insiste José Vasques. Ce
n’était pas un esprit très compétitif. » Il était justement plus
question… d’esprit. De jeu. De philosophie.
« On échangeait sur plusieurs aspects liés au football, se souvient
Vasques. A l’époque, [Sven-Goran] Erkisson entraînait au Portugal
[le Benfica]. Il y avait une nouvelle philosophie qui s’implantait au
sein de la section football de la faculté, avec les professeurs
Mirandela da Costa, Carlos Queiróz, Jesualdo Ferreira, Nelo
Vingada, Jorge Castelo… De nouvelles idées sur ce qu’était le jeu.
La fac était l’extension de la section football et on conversait
beaucoup autour de ces sujets. »
La pensée de ces Professores va se matérialiser. « Tout était très
conceptualisé, au travers d’exercices spécifiques, il y avait aussi
l’apport de nos collègues du nord du pays, avec la périodisation
tactique, développe Vasques. Le travail devait être plus spécifié et
tourné vers le jeu. Ce fut un virage au niveau de la méthodologie, au
Portugal. Les succès de la Seleção en Coupe du monde U20 en
1989 et 1991 avec le professeur Carlos Queiróz ont prouvé
l’efficacité de ces méthodes et ont aidé à leur divulgation. » Selon le
natif de Mirandela, Mourinho « assimilait pleinement cette
philosophie, ce qui ne veut pas dire qu’il n’avait pas sa propre façon
de penser, ses notions, sa façon de travailler, ses propres
méthodologies. Chacun voit l’évolution du jeu à sa façon. Ça ne
voulait pas dire non plus qu’il y avait une pensée unique, loin de là. »
Et il n’y a surtout pas que le foot, dans la vie…
En aide à des enfants handicapés
Au-delà d’être étudiant et footballeur au sein de l’ISEF, José
Mourinho, comme ses autres camarades, est aussi et déjà prof.
« Dès nos premières années à l’université, on donnait des cours
dans des écoles, parce qu’il y avait un gros manque de professeurs
d’EPS, raconte José Toureiro. On étudiait le matin et on donnait des
cours l’après-midi. » Les journées des José sont lourdes : « Nous
qui avions l’option foot, on avait cours à 7 heures du matin. On avait
un travail de recherche sur toutes les coupes du monde. Le
professeur Jorge Castelo réalisait une thèse en doctorat sur les
mondiaux et il nous avait confié ce travail. On transpirait du foot par
tous les pores (rires). Puis, on avait les autres matières. C’était une
vraie lutte ! » Les élèves touchent à tout : gymnastique, danse
rythmique, athlétisme, handball, volleyball, natation…
La fac va aussi leur offrir une leçon de vie. « Au cours des deux
dernières années, deux fois par semaine, avec José, nous
travaillions avec des personnes handicapées, dans une piscine, des
jeunes atteints de la trisomie 21, révèle José Toureiro. On leur
apprenait à nager, de façon ludique. On tentait de les aider à
améliorer leur condition physique et leur quotidien. » La piscine du
Jamor accueille ces gamins et ces profs en devenir qui, au fond, ne
sont encore eux aussi que des gamins. Des échanges qui ont
profondément marqué Mourinho et Toureiro. « Ce furent des
moments prégnants, souffle avec pudeur ce dernier. Disons qu’on
était altruistes, on voulait aider les autres. »
Queiróz : « Les notes les plus élevées que j’aie
données »
Au bout de cinq ans de taf et de passion, José Mourinho est sur le
point d’obtenir sa licence. Pour cela, il lui faut réussir l’épreuve
finale. Face à lui, l’éminent Carlos Queiróz. « Quand il a terminé sa
formation, les professeurs Jesualdo et Mirandela étaient partis et
j’étais déjà responsable pédagogique et scientifique du département
football de l’ISEF, explique le Professor. Il a réalisé sa troisième,
quatrième et cinquième année, son examen final, sa licence, avec
moi en qualité de professeur de football d’éducation physique. »
Queiróz dissèque le contenu, la contenance et la consistance de ce
fameux test ultime. « Il y avait plusieurs matières et l’une d’entre
elles était pratique et pédagogique. Elle s’appelait « Centro de
Treino » (« Centre d’entraînement »). Les candidats devaient
entraîner une équipe pendant un an et effectuer une présentation
lors de l’examen final. N’importe quelle question tactique, technique,
physique, physiologique pouvait tomber. Tout était basé sur le
rapport technique établi lors de cette année d’entraînement. »
« J’ai encore la copie de Mourinho. Il faudra que je lui offre un jour »,
s’amuse Queiróz. Alors, valise ou carton ? « José Peseiro et lui ont
obtenu les notes les plus élevées que j’aie données en tant que
professeur », classe Queiróz. Les José – qui figurent parmi les plus
beaux ambassadeurs de l’ISEF / FMH depuis son existence – ont
tout déchiré. Leur parcours46 futur ne sera sans doute pas un
hasard…
Au moment où José Mário obtient son diplôme, un nouveau chapitre
de sa carrière est en train de s’écrire, non loin de là, au Comércio e
Indústria.

Félix, viré à Noël


Tu l’auras compris, le père Mourinho n’est pas du genre oisif. Pas
rancunier, non plus. En 1983, alors que son fils jongle entre les livres
et les ballons à Sesimbra, Manel est annoncé au… Rio Ave. Il y a un
an à peine, c’est pourtant là qu’il se prenait la plus grosse claque de
sa carrière : un 7-1 à Alvalade face au Sporting et, surtout, un
président, José Maria Pinho, qui refusait que José soit sur la feuille
de match.
« Dans le football, les choses se passent et elles passent… »,
philosophe Baltemar Brito. L’ancien défenseur brésilien effectue lui
aussi son retour à Vila do Conde, après une année à Setúbal. « Les
résultats n’ont pas été aussi bons que lors de la première saison de
Mourinho Félix qui était historique, analyse Brito. Mais au niveau de
l’ambiance, c’était top. » Le gardien, Alfredo, est toujours là et il est
devenu le titulaire au poste. « Mourinho Félix avait du charisme, il
était compétent, il avait eu des résultats plus que positifs, les joueurs
l’aimaient bien », dit-il. Félix amène l’équipe à la neuvième place du
championnat de première division et atteint, ce qui n’est pas rien, la
finale de la Coupe du Portugal (perdue 1-4 contre le FC Porto).
Il rempile à Vila do Conde en 1984-1985. Mais Manuel n’est pas au
bout de ses peines. Sur les quatre premières journées, il se tape les
futurs cinq premiers du championnat : FC Porto (0-3), Portimonense
(1-2), Boavista (0-3), Benfica (0-2). Un quinté dans le désordre qui
créé un sacré bordel. Il engrange son premier point face à « son »
Setúbal (0-0) ; sa première victoire lors de la 7e journée, contre
l’Académica (1-0). Une autre viendra face au Belenenses, à la 13e
journée. Ce sera la dernière.
Le 23 décembre, le Rio Ave, avant-dernier mais loin d’être largué,
s’incline à Vizela
(0-1). Ça sent le sapin pour Mourinho Félix. Après la claque
d’Alvalade, voici la fessée de Noël. Le pai Mourinho se fait lourder
en pleine période de Natal, sacro-sainte pour bon nombre de
Portugais.
José aurait pu ne pas vivre cela. « Il connaissait pas mal de joueurs
de l’équipe mais il venait moins souvent, se souvient Brito.
Néanmoins, il a été profondément marqué par cet épisode. » Zé
Mário est témoin d’une scène aux airs de Cène. « Je devais avoir 9
ou 10 ans et mon père a été renvoyé le jour de Noël. Il entraînait le
Rio Ave, les résultats n’étaient pas bons et il a perdu un match le 22
ou 23 décembre. Le jour de Noël, le téléphone a sonné et il a été
remercié en plein repas. Je connais donc très bien les hauts et les
bas du football. » The Guardian, The Telegraph, The Independant,
ont, entre autres, reproduit ces déclas datées de 2004 qui
comportent, toutefois, une incohérence. Lorsque José Mourinho
avait « 9 ou 10 ans » son père était encore joueur au Belenenses.
Plus qu’une erreur, un lapsus. A bientôt 22 ans, José Mário assiste,
tel un enfant, impuissant, bienveillant, à la mise à mal de son papa.
De quoi forger, un peu plus encore, le caractère de l’académicien de
l’ISEF. Une cicatrice qui peine à se refermer. Aujourd’hui encore, le
souvenir de ce Noël 1984 figure parmi les pires de la vie
footballistique des Mourinho.
« Une sorte de malaise »
Le remplaçant de Mourinho Félix est son adjoint, Mário Réis.
L’ancien milieu de terrain – qui avait régalé avec José au sein de la b
du Rio Ave – avait dévissé ses crampons en 1982, au cours du
premier passage historique de Félix à Vila do Conde. Depuis, Réis y
assurait le rôle de second. « Au départ, comme j’avais été son
joueur, il avait tendance à me considérer comme tel, commence-t-il.
Je participais aux séances mais il a fallu que je m’impose comme un
adjoint à ses yeux. » Et vient donc, le limogeage : « Mourinho Félix a
été démis de ses fonctions le jour de Noël et moi aussi j’ai été
remercié, ce jour-là, affirme Réis. Mais un dirigeant a dit au
président que j’étais un gars du club, de la maison, que j’étais déjà là
avant l’arrivée de Mourinho Félix et qu’ils avaient besoin de moi. Le
président m’a rappelé pour m’annoncer que j’allais être le nouvel
entraîneur. Ce fut un pari de leur part. Les choses se sont bien
passées et je suis resté. » Le Rio Ave de Réis qui arrachera une
place en barrages (la liguilha) ne se maintiendra pas en 1984-1985
mais remontera dès la saison suivante, en terminant invaincu en D2.
Reste comme un goût amer, y compris pour Mário Réis : « J’ai senti
une sorte de malaise chez José, depuis ce jour, du fait que j’aie
succédé à son père. Mais j’ai la conscience tranquille. J’ai été
honnête avec mon club et avec celui qui m’a donné l’opportunité de
travailler avec lui. J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec
Mourinho, aussi bien le père que le fils. J’ai beaucoup de respect
pour eux. » Que Mário Réis se rassure. Le (res)sentiment de José
ne le vise pas lui mais plutôt les décideurs. Mourinho lui dirait qu’il
n’apprécie guère ceux qui au sein des clubs semblent attendre que
les événements se produisent. Peut-être parce qu’il se veut et se
voit comme un homme d’action.
Félix à Varzim, sans José
Mourinho Félix n’a pas le temps, ni l’envie de méditer ou de rager.
En février 1985, quelques semaines après avoir été viré du Rio Ave,
il signe chez le voisin et rival : Póvoa de Varzim. Une demi-saison
plutôt bidon. Il succède à José Alberto Torres dont le bilan est déjà
peu reluisant (2 succès en 18 rencontres) et ne parvient pas à
remporter une seule rencontre en première division. Le Varzim Sport
Clube est ainsi relégué à l’issue de la saison 1984-1985. Mais Manel
reste. Pour une poignée de semaines encore. « Il était arrivé à mi-
saison et est reparti à la même période un an plus tard », se
souvient Lito Milhazes. L’ancien milieu de terrain, natif de Póvoa, a
porté le maillot rayé noir et blanc durant la quasi-intégralité de sa
carrière. Il n’a « pas souvenir d’avoir vu José Mourinho à Póvoa de
Varzim. » En revanche, il a en mémoire les « bonnes méthodes » de
son père et le « caractère très posé, très calme » de ce dernier.
L’absence de José Mário a aussi été remarquée par Rui Barros.
Celui qui deviendra l’un des joueurs les plus emblématiques et les
plus aimés des supporters du FC Porto, qui évoluera à la Juventus,
Monaco et Marseille, a été dirigé par Félix, en D2, en 1985-1986.
« José ne venait pas, il était sur Lisbonne où il étudiait », rappelle
l’international portugais.
Autre nom ronflant de ce Varzim : Vata. L’attaquant angolais qui sera
célèbre pour son but inscrit de la main avec le Benfica en demi-finale
de C1 face à l’OM en 1990 témoigne à son tour : « Je n’ai pas
souvenir d’avoir vu le fils Mourinho à Varzim, en revanche, je me
souviens de l’avoir rencontré à Setúbal chez son père. Lorsque
Mourinho Félix rentrait à Setúbal, après les matches, on faisait la
route avec lui, Lufemba et moi ; et il arrivait qu’on s’arrête boire un
café chez lui. On parlait un peu avec Zé Mário mais rien de spécial.
Qui pouvait deviner à ce moment-là qu’il allait devenir l’homme qu’il
est devenu ? C’était quelqu’un de simple, pas du tout hautain, ni
arrogant, comme on peut parfois l’entendre. » Et Manuel, quelqu’un
de réservé : « Son père parlait peu de son fils. En tout cas, c’était un
vrai bon entraîneur. » Qui ne terminera donc pas la saison de II
Divisão Zona Norte. « Il a été remplacé en cours par Henrique
Calisto », retrace Rui Barros.

Re-union à Madère
Comme à chaque fois, Mourinho Félix ne tarde pas à rebondir.
Il atterrit à Madère au cours de cette même saison 1985-1986. Le
voilà entraîneur du Clube Futebol União (CFU), plus communément
appelé União da Madeira, l’un des trois principaux clubs de l’île avec
le Marítimo et le Nacional. Il remplace Mário Morais avec pour
objectif la montée en première division. Il la loupe de très peu.
L’União termine deuxième de la II Divisão Zona Sul, derrière son
voisin du Marítimo. Reste donc la Liguilha pour arracher le dernier
billet pour l’élite. Raté. Le sésame revient à… Varzim qu’il vient de
quitter. Mais Manel prolonge à Funchal. Malgré la distance avec le
continent, il est loin d’être seul. Son José Mário n’est jamais bien
loin…
C’est au cours de l’exercice suivant (1987-1988) que les joueurs de
l’União da Madeira font connaissance avec José. Mourinho Félix a
concocté une préparation d’avant-saison, avec la participation de
son fiston. « Nous avons effectué un stage dans le nord du Portugal,
à Esposende. On y est resté 29 jours, raconte avec précision Inguila,
alors capitaine de l’União. On s’entraînait le matin et l’après-midi. »
Un (jeune) homme va rythmer ces longues journées. « L’un de nos
adjoints était malade et José a assuré notre préparation physique
lors de ce séjour », poursuit le capitão. Les cours n’ont pas encore
repris à l’ISEF et José s’est trouvé une nouvelle bande de
compagnons. « Il était le plus jeune d’entre nous et il a été bien reçu,
assure Inguila. Il était très bien élevé. On était presque 30 joueurs et
ce furent 30 amis pour lui. »
Le rapprochement entre l’effectif madérien et le père Mourinho est
encore plus évident. Dito, attaquant prometteur qui vient de rejoindre
l’União et la D2, explique : « Lors de ce stage, on a réalisé un match
de préparation face au Rio Ave. Mário Réis [celui-là même qui avait
remplacé Mourinho Félix lors de son deuxième passage à Vila do
Conde] qui en était l’entraîneur me voulait. Ils étaient en première
division, nous en deuxième, mais Mourinho Félix ne m’a pas lâché.
Il n’a pas voulu que je parte. « C’est mon joueur », disait-il. Je ne
suis pas parti et, franchement, je l’ai très bien vécu. J’étais avec un
coach qui me voulait vraiment. » Dito vient tout juste de lâcher les
Lions du Sporting : « J’ai rejoint l’União qui était déjà à Esposende
depuis plusieurs jours. Je me souviens d’avoir passé une soirée
avec José Mourinho. » Il y en aura d’autres.
« Il venait à Madère lors des vacances de Noël, pour le carnaval ou
Pâques, poursuit Humberto Câmara. Il venait aider son père. »
Formé à l’União, passé par le Marítimo, devenu entraîneur,
Humberto est l’un des autres capitaines du CFU, témoin des
escapades insulaires de José Mário au cours desquelles il se
mélange à l’équipe première. « Il lui arrivait de participer aux
oppositions à l’entraînement et je dois dire qu’il se débrouillait bien,
décrit-il. Il était rapide, technique. » « Il avait un bon toucher, il se
débrouillait pas mal, confirme Inguila. Mais il avait plus vocation à
devenir entraîneur et il était plus tourné vers l’ISEF et les études. »
Mourinho vs Sylvanus
A Madère, Mourinho Félix retrouve son « ange-gardien » :
Francisco Trindade, le portier qu’il avait dirigé à Leiria et au Rio Ave.
Et Trindade retrouve son José Mário. « Cinq ans après le Rio Ave,
j’étais à l’União da Madeira avec son père, narre-t-il. Zé l’a rejoint
lors des vacances de Noël. Il a passé deux semaines à Funchal.
Il s’entraînait avec nous, avec cette même bonne humeur. Il était très
sociable. Il entrait dans le vestiaire mais n’était pas perçu comme le
fils de l’entraîneur. » Comme ce fut le cas lorsque son père
l’entraînait au Belenenses et au Rio Ave, José n’a pas de traitement
de faveur. A la fin de ces années 1980, la star de l’União se nomme
Sylvanus Okpala. Sylvanus. C’est ainsi qu’on l’appelle. Un blaze de
guerrier, de gladiateur thrace. Ce milieu de terrain nigérian qui
portera aussi les couleurs du Marítimo et du Nacional a remporté
plusieurs coupes et championnats au pays avec l’Enugu Rangers et,
surtout, la CAN 1980 avec les Super Eagles.
« Il était arrivé avec le Professor Moniz qui l’avait mis à l’essai et il
était resté, se souvient le capitaine Inguila. C’est l’un des meilleurs
footballeurs étrangers passés par Madère. Il était très professionnel.
Le dimanche, les jours de match, il courait 15 km ! » « Une fois, le
réceptionniste de l’hôtel a appelé Mourinho Félix pour lui dire que
l’un de ses joueurs faisait du bruit dans le couloir, raconte Trindade.
C’était Sylvanus qui montait et descendait les cinq étages pour
s’exercer ! Les autres joueurs le charriaient parfois mais ils avaient
beaucoup de respect pour son talent et son professionnalisme. Ce
joueur était un crack. Il avait le plus gros salaire de l’équipe et de
très loin mais il était tellement fort… Mourinho Félix le prenait
souvent à part, parce qu’il avait vraiment un statut à part. »
Un joueur spécial qui va avoir droit à un duel avec le futur Special
One. Trindade : « Un jour, Sylvanus n’a pas accepté une décision de
l’entraîneur. Il y a eu un moment de tension. Zé était présent. Il n’a
rien dit, ne s’en est pas mêlé sur le coup. L’entraînement a repris.
On faisait une opposition. Zé était sur le terrain, avec nous. Il y a eu
un duel entre lui et Sylvanus. Zé a levé le pied, il y est allé
franchement. Il ne blaguait jamais sur le terrain, c’était toujours pour
la gagne. C’était un joueur dur. Et il a eu ce geste sévère envers
Sylvanus qui s’est relevé, avec son statut de « crack ». Ils se sont
pris la tête. C’était juste une histoire entre deux joueurs. A aucun
moment, Sylvanus se disait qu’il était face au fils de l’entraîneur. Ça
s’est fini là, là où ça avait commencé. » « Ce jour-là, Zé l’a taclé par
derrière. Ce sont des choses qui arrivent souvent, dédramatise
Humberto. Il y a eu un face-à-face entre deux hommes qui détestent
la défaite. »
Et Mourinho Félix dans tout ça ? « Son père n’était pas du genre à
se mêler des histoires. Ça se résolvait entre nous. Il n’y a pas eu de
rancœur, d’ailleurs », relate Trindade. « Félix ne parlait pas
beaucoup, il n’était pas très expressif, même sur le banc, continue
Inguila. Il n’était pas très frontal et plutôt discret. J’ai eu deux, trois
discussions avec lui, parce que j’étais frontal mais il n’aimait pas le
conflit. »
« L’affaire » entre José et Sylvanus se dissipe aussi vite qu’elle a
éclatée. Trente-cinq ans plus tard, le Nigérian affirme qu’il n’en garde
« aucun souvenir » : « Franchement, je ne me rappelle pas du tout
d’avoir eu une altercation avec José. » Okpala qui deviendra
notamment entraîneur adjoint du Nigéria garde même une
« merveilleuse » image de José : « C’était un super mec. Comme
son père d’ailleurs qui est sûrement l’entraîneur avec lequel j’ai le
plus apprécié travailler au cours de ma carrière. José est la réplique
de son père. Ils étaient très proches. Quand je vois les cheveux
blancs de José aujourd’hui, j’ai parfois l’impression de le revoir… »
Sylvanus perçoit toutefois « une différence » entre les Mourinho :
« José est un entraîneur plus agressif et j’aime ça chez un coach.
A l’époque, il était déjà très déterminé, enthousiaste. »
« Un maître de la préparation physique »
Poncif FC : mis à part cet accrochage qui « fait partie de la vie d’un
vestiaire » et après que les personnes concernées « se sont dits les
choses », le « groupe vit bien. » Et José y contribue grandement.
Lors de ses séjours sur l’île de Madère, le fils Mourinho enfile le
survêt mais pas des perles. Il bosse, il aide. « Il était un maître de la
préparation physique, s’enflamme Inguila. Il était jeune et je ne
pouvais pas prévoir qu’il allait devenir un aussi grand entraîneur
mais, sur la partie physique, c’était un artista. » António Alegre,
milieu offensif formé au Sporting, joueur de l’Uniao de Mourinho
Félix, en déduit que le boulot de ce dernier est, d’une certaine façon,
influencé par celui de son fils : « A cette époque-là, Zé Mário étudiait
à l’ISEF où on enseignait une autre vision du football. Et aujourd’hui,
je peux en déduire que l’évolution des entraînements du père venait
de là. »
L’implication de José va bien au-delà de ces quelques escales sur
l’archipel. C’est sur le continent qu’il servait le plus l’União da
Madeira. « Il suivait nos adversaires et établissait des rapports, rend
compte Alegre. On avait des détails sur tout : le positionnement des
joueurs, leurs mouvements… A l’époque, on en discutait avec nos
adversaires, ils étaient surpris qu’on ait autant d’informations sur
eux. » Francisco Trindade a retenu l’un de ces moments
d’étonnement : « C’était face à Santiago de Cacém. Le terrain,
comme c’était souvent le cas à cette époque, était un stabilisé. Zé
qui vivait à Setúbal était allé à Santiago de Cacém pour voir leur
entraînement. Il avait parcouru les 100 km qui séparaient les deux
villes. Le jour de la rencontre, son père nous a dit lors de la
causerie : « Mon fils m’a dit que leur numéro est 7 est intenable,
parce qu’il est comme ça et on va donc jouer comme ci. » On est
partis s’échauffer et les joueurs disaient : « Attends, son fils dit ça
mais s’il était si fort que ça, il ne jouerait pas au Santiago de
Cacém ! Ce sont des conneries ! » Le match a débuté, ce fameux
numéro 7 a feinté quatre joueurs, a pénétré dans ma surface, m’a
dribblé et a marqué le seul but du match. Ensuite, il s’est blessé et a
dû sortir. Le président de l’União da Madeira qui avait assisté à la
causerie a dit à Mourinho Félix : « Mais si le joueur est si bon, si
votre fils l’a repéré, tout ce que votre fils a dit, le joueur l’a fait,
pourquoi on ne le recruterait pas ? » Il a décidé d’aller parler au
joueur en question mais il avait déjà signé avec le Belenenses. »
Cet apport de José, Inguila tente de le récompenser. « Notre
président, Jaime Ramos, était après Alberto João Jardim47 la
personne la plus importante de l’île. Comme Zé allait regarder les
matches de nos adversaires sur le continent et faisait des compte-
rendus qu’il remettait à son père, j’ai dit à Jaime Ramos : « Donnez
quelque chose au gamin. » S’il a donné ou pas, ça, je ne sais
pas… »
La peur de l’avion et les claques à José
En acceptant de se poser à Madère, Mourinho Félix réalise un gros
effort. Ce n’est pas une question de pépètes mais de pépettes. « Le
vieux avait une peur bleue de l’avion ! révèle António Alegre, rythmé
par ses rires. Quand on atterrissait sur le continent, son fils nous
attendait à l’aéroport. Son père était tellement tendu que lorsqu’il
descendait de l’appareil, il s’approchait de José et lui collait deux
claques, mais de vraies bonnes baffes et lui disait : « Bordel, tu vois
ce que je suis obligé de faire pour toi ?! » C’était presque un rituel
pour lui quand il descendait de l’appareil. »
Si les voyages entre Madère et le Portugal continental sont
douloureux, ceux entre l’archipel madérien et celui des Açores sont
carrément une torture. L’attaquant Dito en tremble encore : « On a
eu un déplacement à Santa Clara. Je n’ai pas souvenir d’un voyage
aussi mouvementé. Une heure de turbulences. Mourinho Félix a
passé tout le vol accroupi. On a fini par réussir à atterrir à São
Miguel mais, pour le retour, Mourinho Félix voulait rentrer en
bateau. C’était terrible ! J’aimais bien rigoler et je lui disais : « Mister,
on va tomber ! » Il s’accrochait à son siège et me balançait : « Tu ne
viendras plus jamais ! » »
Certains de ses joueurs profitent même de la phobie du coach pour
lui soutirer des faveurs. « Quand on voyageait en avion, Mourinho
Félix avec un médaillon en or, un crucifix, qu’il serrait entre ses dents
durant le voyage, dévoile le gardien Trindade. Lors d’un
déplacement à Setúbal, Celso, un Brésilien très rapide, très bon
joueur, s’est assis à côté de l’entraîneur et il lui a dit : « Mister,
l’avion va s’écraser. » Mourinho gardait sa croix dans la bouche et
criait : « Tais-toi, tais-toi ! » Celso lui a dit : « Mister, si vous me faites
jouer, l’avion ne s’écrasera pas. » Mourinho a fermé les yeux et lui a
promis : « Tu vas jouer ! » Celso a joué, on a gagné 1-0 et c’est lui
qui a marqué ! »
Ce crucifix, Mourinho Félix ne le lâche jamais. Il l’accompagne sur le
banc, avec son paquet de clopes. « Il fumait beaucoup, trois paquets
par jour, souffle Trindade. Il passait le match avec une cigarette dans
la bouche. » Une superstition (tu verras) quasi maladive. Il y a
toutefois des coups du sort et du pied qu’aucune croyance, ni
aucune relique ne peut contenir : « Un de nos joueurs, Lima, avait
une frappe de mule, énonce Dito. Lors d’un entraînement, Lima a
repris un ballon aérien de volée et sa frappe a terminé sur la tête de
Mourinho Félix. En pleine nuque ! Il a fait trois galipettes arrière et il
est tombé dans les pommes. Les joueurs ont commencé à paniquer,
à se dire que Lima venait de tuer l’entraîneur. On a dû appeler les
secours et il a retrouvé ses esprits. Il en rigolait par la suite. »
La suite de la saison sera moins marrante. Félix est remplacé par
Carlos Cardoso, autre figure marquante de Setúbal et du Vitória, et
l’União termine huitième de son groupe de D2. Mourinho Félix va
bientôt s’unir avec une ex. Une autre União, celle de Leiria, va
renaître… José, lui, va retrouver Setúbal.

Comércio e Indústria, le début de la mue


Parallèlement à ses dernières années en tant qu’étudiant à l’ISEF,
José Mourinho signe une licence à l’União Futebol Comércio e
Indústria (UFCI). L’équipe première de ce club de Setúbal pointe en
III Divisão. José Mário sort alors de son année à « temps plein » à la
fac de Lisbonne où il évoluait au sein de l’União Técnica de Lisboa.
Au début de l’exercice 1985-1986, il s’engage ainsi à l’UFCI où il va
perdurer deux ans et concrétiser sa reconversion.
Fernando Lage est alors en charge de la direction sportive du
Comércio e Indústria. Le père de Bruno Lage, entraîneur du Benfica
depuis 2018-2019, revient, avec une certaine fierté, sur l’arrivée de
José Mário à l’UFCI : « C’était à l’approche du début de saison.
J’étais dans les tribunes en train d’assister à un match du Vitória de
Setúbal et il y avait une bande de jeunes devant moi qui parlait foot.
L’un d’eux a demandé à son ami : “Alors, tu vas où l’année
prochaine ?” Et il a répondu : “Je ne sais pas encore mais j’aimerais
bien rester à Setúbal. Pourquoi pas au Comércio e Indústria.” J’ai
demandé qui était ce jeune et on m’a expliqué qu’il s’agissait du fils
de Monsieur Mourinho, une personne envers qui j’avais une
profonde amitié et considération. J’ai laissé couler mais je voulais en
savoir plus sur ce jeune homme. Je lui ai tapé dans le dos : “Mais,
dis-moi, qui es-tu ? Tu veux jouer au Comércio e Indústria ? Si tu
veux, demain, tu me rejoins au stade et on en discute.” »
Lage poursuit sa narration : « Le lendemain, il était là, à l’heure
convenue. Il est entré dans mon bureau. Je lui ai demandé de me
raconter son histoire. Il m’a expliqué qu’il avait joué avec les juniors
du Belenenses, à Sesimbra, qu’il étudiait à l’ISEF et qu’il voulait
continuer de jouer parallèlement à ses études. Je me suis dit :
« Pourquoi pas. » Il était jeune, j’avais besoin d’un défenseur central.
Alors, je lui ai demandé :
« Tu veux venir au Comércio ?

Oui, a-t-il répondu.


Ecoute, je donne 2 500 escudos48 et tu signes au Comércio e
Indústria. »
Il m’a regardé l’air un peu méfiant : « Mais combien gagnent les
autres ?
Les autres sont expérimentés, l’équipe est quasiment faite.
Ils gagnent 5 000 escudos.
Pour 2 500, je ne joue pas, a-t-il lancé.
Bon, comme tu veux. Mais à partir du moment où tu franchis
le portail du stade, ce n’est pas la peine de revenir. »
Il m’a serré la main, est sorti de mon bureau et je l’ai vu s’arrêter
devant le portail. Il a fait marche-arrière et s’est présenté à
nouveau devant mon bureau :
« Je peux entrer ? a-t-il demandé.
Tu peux.
Je peux m’asseoir ?
Tu peux. »
Il s’est assis, m’a regardé et m’a dit : « Si je suis titulaire trois
matches avec le Comércio e Indústria, vous me donnerez les
5 000 escudos ?
Je savais que je t’aimais bien mais maintenant je t’aime
encore plus ! J’avais déjà de la considération pour ton père mais
c’est aussi valable pour toi. », lui ai-je dit.
Il était d’une ambition… Personne ne m’avait jamais fait ce
genre de proposition. Il a signé les papiers et ça a débuté
comme ça. »
Mourinho qui lors de son arrivée en tant qu’entraîneur du FC
Porto (2002) fera des contrats à objectifs une norme, applique
déjà là, la formule sur lui-même. En tant que joueur. Et le
Comércio e Indústria représente une nouvelle étape pour lui en
tant que tel. « Il a débuté les entraînements et il a convaincu
tout le monde, poursuit Lage. Il jouait en défense centrale.
Il était bon techniquement et très intelligent. Ce n’était pas un
crack et son ambition n’était de toute façon pas là mais c’était
un bon joueur. Dès le premier mois, il a atteint ses trois
titularisations et s’est mis à gagner le même salaire que les
autres. »
« Il jouait défenseur central, c’était un bon joueur, confirme
Paulo Formosinho, alors attaquant de l’UFCI. Quand on était
pris à la gorge, Zé jouait en attaque. C’était un très bon joueur
de tête. Il donnait tout. » Formosinho qui a été appelé en
équipes de jeunes de la Seleção « avec Paulo Futre ou
Fernando Mendes » et qui avait déjà affronté José Mário lors de
tournois à Setúbal va le côtoyer au cours de ces deux saisons.
« Il étudiait et était déjà prof, précise-t-il. Il était très focalisé sur
les études. Il pensait plus à ça qu’à une carrière de joueur. Mais
si Zé se pointait aujourd’hui il jouerait à un niveau beaucoup
plus élevé. »
« Comme un fou » face à la défaite
Bien que professeur, avec pour objectif de devenir entraîneur,
José demeure chambreur. « Il y a eu une période où j’étais bien
gras et on me taillait là-dessus, confesse Formosinho. Zé disait
que je n’avais pas un pied gauche mais une raquette.
Il m’appelait Formisini. Je ne sais pas pourquoi… Toujours est-il
que d’autres ont repris ce surnom. Et quand avec ma famille on
a ouvert une pizzeria, on l’a appelée comme ça. Quelque-part,
c’est Zé qui l’a baptisée ! » Paulo Formosinho est le neveu de
Ricardo Formosinho qui sera, bien des années plus tard, l’un
des adjoints du Special One à Manchester United et Tottenham.
« Bah, lui aussi, il l’appelle Formosini ! », se marre Paulo.
« Il mettait une super ambiance dans le groupe, enchaîne
Estevão Coutinho, alors dirigeant au Comércio. Il adorait
s’amuser, faire des blagues. Je me souviens d’un déplacement
en bus vers l’Algarve. Il a chanté, dansé, fait des blagues tout le
long du voyage. »
Mais José est aussi du style mauvais perdant. La défaite lui est
insupportable. Jaime Pereira, autre de ses coéquipiers, se
souvient d’un autre match à l’extérieur, en Alentejo : « On
menait 3-0. Il y a eu un temps additionnel de presque dix
minutes au cours duquel on a perdu 4-3. Mourinho était comme
un fou. Il donnait des coups de pieds sur tout ce qui se
présentait devant lui, après la rencontre. » Et José n’a pas fini
de craquer.
« Le prolongement de l’entraîneur sur le terrain »
La période de José Mourinho au Comércio e Indústria
coïncide avec celle d’une grande instabilité pour le club de
Setúbal. L’équipe va connaître une relégation de la III Divisão
au Distrital (district) et pas mal de changements d’entraîneurs.
Parmi ces martyres, il y a Nuno Martins. Ancien joueur de
l’Académica, Senhor Martins a passé son diplôme d’entraîneur
avec Otto Glória en 1958.49 Nuno Martins qui a aussi dirigé le
Sporting Lourenço Marques, au Mozambique, se présente
comme le « premier entraîneur d’Eusébio. » Après dix ans en
Afrique, il a retrouvé le Portugal et y a poursuivi son parcours
d’entraîneur. Il a notamment connu plusieurs passages à l’UFCI.
Et il y croise donc José Mário. « J’avais parlé avec son père,
puise-t-il dans sa mémoire. José était un joueur normalíssimo.
Il n’avait rien de spécial mais comme j’étais ami avec son père,
que je savais qu’il était régulier et qu’il était une sorte de
prolongement de l’entraîneur sur le terrain, je l’ai voulu. »
Selon Martins, footballistiquement José a une caractéristique
qu’il juge « très bonne » : « C’était un lutteur, un combattant qui
ne se retenait jamais sur les actions. Il mettait la tête, la bouche,
tout ! » Et il est tout aussi remuant et habile avec les mots.
« Il donnait des indications à ses coéquipiers, il avait déjà cette
fibre, affirme Nuno Martins. C’était un type qui avait besoin de
faire bouger les choses. Mourinho a et est un esprit de
leader. Combien de fois je l’ai vu agir comme s’il était mon
extension sur le terrain. Il écoutait les indications et il les
transmettait en les corrigeant s’il estimait que c’était
nécessaire. » Et comment l’entraîneur le prend-il ? « Je
l’encourageais à le faire, assure-t-il. A la mi-temps, je parlais et il
était toujours l’un des premiers à donner son avis. Il avait
toujours quelque chose à dire. »
« Il n’arrêtait jamais de parler, insiste son coéquipier, João Paulo
Gregório. C’était un leader. » Le milieu gauche se souvient de
José comme d’un « défenseur central rugueux » et en rigole
encore : « A l’époque, ça nous faisait rire : les attaquants
adverses commençaient le match dans l’axe, mais après que
José leur a donné quelques coups, ils se décalaient sur les
ailes. »
Capitaine d’une galère
Si José se sent aussi concerné, c’est aussi parce que Martins
en a fait l’un de ses capitaines, « en consensus avec tout le
monde », précise ce dernier. « Zé aimait bien s’amuser mais, en
tant que capitaine, il était exigeant, indique Formosinho. Il savait
motiver ses coéquipiers. Une fois, après une défaite, s’est
posée la question du : « Pourquoi a-t-on perdu ? » Zé a répondu
de suite : « On a un problème : nos défenseurs ne tapent pas
les attaquants adverses et nos attaquants ne tapent pas les
défenseurs adverses. Nos attaquants sont trop tendres, ils
doivent aller sur leurs défenseurs. » Je m’en souviens très bien.
Il y avait des indices qui démontraient qu’il voyait déjà plus
loin. »
José Mário est impliqué et engagé. Les atermoiements que
traverse le Comércio e Indústria ont raison de plusieurs
entraîneurs. A peine nommé, Jaime Graça qui était l’un des
adjoints de la sélection portugaise lors du (catastrophique)
Mondial 86 s’en va pour Santa Clara. Son second, Casaca,
prend le relai avant de céder à son tour. Nuno Martins va bientôt
sauter, lui aussi. Ses rapports avec la direction sont tendus. La
rupture devient inévitable. Mais José, qui a vu son père tant de
fois dans cette situation, ne l’accepte pas. « Il s’est présenté
avec trois ou quatre autres joueurs chez moi pour s’excuser de
l’attitude des dirigeants, confie Martins. Il voulait arranger les
choses et que je revienne. Je l’ai remercié mais, pour moi,
c’était fini. »
Le footoir s’installe pour de bon au Comércio. Boss du foot de
cet UFCI, Fernando Lage, témoigne d’une décision
surprenante : « Lors d’un match à Sines, la situation s’est
compliquée. L’entraîneur est passé adjoint et son adjoint est
devenu principal. C’était un peu rocambolesque. » La tension
contamine le vestiaire. Estevão Coutinho, autre dirigeant du
Comércio e Indústria, déballe : « Les résultats n’étaient pas là et
l’ambiance s’en ressentait. Un jour, une altercation a explosé
dans le vestiaire entre deux joueurs. Une histoire qui s’est
terminée au tribunal. Une fois devant le juge, tout est rentré
dans l’ordre et les joueurs ont fini par faire la paix. »
Mais avant d’en arriver là, ce désordre vire au chaos. « Au cours
de cette période, on avait un président qui n’a pas honoré ses
engagements, souffle l’attaquant, Paulo Formosinho. On nous a
coupé l’eau chaude, on n’était plus payés. Zé était notre porte-
parole et il a réussi à maintenir le groupe uni. » « Un riche
étranger venant du Moyen-Orient avait repris le club, précise
João Paulo Gregório. Mais très vite l’argent a manqué et les
problèmes se sont enchaînés. »
« Mourinho m’a sauvé des flammes ! »
Tchantchalana Demba Mário, alias « Dé », est l’incarnation, le
symbole, malgré lui, de la période tourmentée que le Comércio
e Indústria traverse alors. Formé chez les Leões, cet attaquant
de 23 ans bascule, à l’été 1986, de la II Divisão au Distrital.
« J’avais d’autres possibilités mais Marinho qui était mon
entraîneur au Sporting m’a recommandé auprès de Jaime
Graça et il m’a encouragé à aller là-bas, explique l’intéressé. Le
club avait été repris par un étranger qui se disait ambitieux.
L’équipe était en district mais je devais toucher une grosse
somme et j’avais envie de les faire remonter. Au final, ce fut une
tragédie… » Car l’histoire de Dé vire au drame : « Aujourd’hui,
je le vois comme une bonne expérience mais… ce fut le
moment le plus triste de ma vie. » Les escudos promis ne sont
qu’un mirage : « Ils devaient me trouver une maison et on m’a
logé dans une pension. J’avais commencé à trouver ça bizarre
mais j’avais déjà signé. » Dé n’est pas au bout de ses peines :
« Il s’est avéré que ce fameux repreneur était un trafiquant
d’armes ! Il s’est enfui et j’en dû trouver du travail pour
survivre. » C’est alors que Mourinho intervient. « Il nous a
beaucoup aidés, mon fils, ma femme et moi, livre Dé. Il nous
soutenait moralement et financièrement. » « Quand les
paiements ont cessé, Dé s’est retrouvé sans rien, avec sa
femme et son fils, déplore Gregório. En tant qu’ami et capitaine,
Mourinho a réuni les joueurs pour qu’on se cotise afin de l’aider
à payer son loyer. »
José est sur tous les fronts. « Il jouait au Comércio, il étudiait à
l’ISEF et, en parallèle, il écrivait dans un journal et rédigeait des
rapports sur des équipes pour son père », énumère
Formosinho. Et, parfois, il enfile même le costume de super-
héros.
Pour Dé, cette saison 1986-1987 est une descente aux enfers.
Les croyants diraient même : au sens propre du terme. Le
dirigeant du Comércio, Fernando Lage, plante le décor : « On
était tous à l’entraînement. Derrière le stade, il y avait un espace
au sein duquel on stationnait nos voitures. Dé était dans la
sienne et, je ne sais pas pourquoi, elle a pris feu. » On est loin
des clichés des footballeurs bling-bling. Pour ceux qui en ont,
les motos s’apparentent plus à la mobylette, les bagnoles au tas
de ferraille. Celle de Dé rend l’âme et s’embrase. Le joueur perd
connaissance, asphyxié par les fumées. José Mário, qui passe
par là, ne réfléchit pas et arrache son coéquipier du brasier.
« On s’est tous précipités sur les lieux et Zé a été héroïque. »
s’enflamme Lage. « C’est vrai, il m’a sauvé des flammes !
confirme Dé. C’est lui qui m’a extrait de la voiture qui
s’incendiait. Je n’arrive pas à expliquer ce qui s’est passé. Dans
certains pays on aurait peut-être dit que c’est de la magie noire.
Mais… Sans lui, je ne serais peut-être plus là, aujourd’hui. »
Au terme d’une année bien pourrie, Dé décide de s’exiler : « J’ai
émigré pour gagner ma vie. J’avais connu Paulo Futre au
Sporting. Un vendredi, je suis parti pour Madrid. Il jouait à
l’Atlético et allait affronter le Real ce week-end-là, en Coupe du
Roi. Je suis arrivé et j’ai demandé à un taxi où l’Atlético était
rassemblé. Il a fallu que je lui montre une photo de moi avec
Futre au Sporting pour qu’il accepte de m’y m’emmener. Paulo
est un grand homme. Il m’a aidé. » Après l’Espagne, Dé
s’envole pour l’Angleterre. Incroyable clin d’œil du destin, il a
vécu à Londres et à Manchester en même temps que le Special
One. Mais il ne l’a jamais revu : « Tous mes amis m’ont dit
d’aller le voir mais je refuse, pas par vanité mais par fierté. Je
ne veux déranger personne. » Peut-être que ces quelques
lignes les rapprocheront…
Sa dernière saison en tant que joueur
Revenons-en à cette saison 1986-1987. La deuxième (et
dernière) de José Mário Mourinho au Comércio e Indústria.
Predator cartonne au cinéma, les Français chantonnent Joe Le
Taxi et l’actualité est focalisée depuis plusieurs mois par la
catastrophe de Tchernobyl. A Setúbal, Mourinho va prendre une
décision nucléaire, un virage dans sa vie et dans sa carrière.
C’est à l’issue de cet exercice, à seulement 24 ans, qu’il met
définitivement un terme à son parcours de footballeur et initie
celui d’entraîneur.
Les problèmes traversés par l’équipe première du Comércio
deviennent pesants. Si on en croit certaines versions, le José
footballeur finit par se lasser. « Lors de sa dernière année en
tant que joueur, Mourinho n’appréciait pas vraiment les
méthodes de son coach, avance le dirigeant Estevão Coutinho.
Il venait souvent m’en parler. » Piteira qui évolue aux côtés de
José semble confirmer : « Il me semble qu’il avait un désaccord
avec l’entraîneur, notamment parce qu’il n’aimait pas jouer
attaquant. »
Le chef du foot de l’UFCI, Fernando Lage n’a, lui, pas souvenir
de ce récit : « Entre-temps, j’avais quitté le Comércio. J’avais
reçu une proposition pour aller jouer et entraîner une autre
équipe de district. Mais je ne m’entraînais que trois fois par
semaine et j’avais demandé à l’entraîneur Correia de
m’entraîner avec eux, au Comércio. Je jouais souvent en
défense centrale avec Zé Mário et je n’ai pas souvenir d’un
désaccord entre eux. » Dé lance et tranche : « Mourinho
privilégiait les études. Il commençait déjà à voir les choses à sa
façon. Comme, en plus, il y avait toutes ces confusions, ces
problèmes de paiement, il a arrêté de jouer à la fin de la
saison. »
José est surtout en plein dans son « Centro de Treino »
(« Centre d’entraînement ») qui, comme le professeur Carlos
Queiróz l’a expliqué, imposait aux élèves de l’ISEF de dernière
année « d’entraîner pendant un an avant d’effectuer une
présentation lors de l’examen final. » Estevão Coutinho, alors
coordinateur de la formation de l’UFCI, confirme : « Lors de sa
dernière année au Comércio, il m’a demandé de lui confier une
équipe à entraîner. Je lui ai donné les Iniciados. Il a réalisé un
très beau travail, avec des méthodes de travail déjà différentes.
Il était très organisé. »
Ses débuts comme entraîneur
A 23 piges, José Mário, l’étudiant brillant, effectue ses débuts
comme entraîneur, avec les moins de 15 ans du Comércio e
Indústria dont il est (pour quelques temps encore) l’un des
cadres de l’équipe première. Outre Coutinho, Fernando Lage,
en charge de la section football du club, tient là un rôle
important :
« Un jour, José est venu me trouver et m’a dit : “Lage, vous êtes
bien le directeur de toute la section foot ?
Oui.
Est-il possible que vous me confiiez une équipe ? m’a-t-il
demandé.
Je vais y réfléchir.”
J’ai en parlé à la direction et je leur ai dit que j’allais donner une
équipe de jeunes à José Mourinho. On m’a demandé s’il était
compétent, j’ai affirmé que c’était le cas, qu’il était ambitieux. Je
l’ai appelé et je lui ai dit qu’il avait une équipe d’Iniciados. Il était
très heureux. Il était donc entraîneur de jeunes et joueur en
seniors. »
A en croire l’ancien dirigeant de l’UFCI, José est obsédé par ce
taf de technicien : « Je faisais une formation d’entraîneur avec
la fédération qui se déroulait à l’ISEF. Je rencontrais Zé là-bas.
Il venait assister à mes cours. »
« Il nous traitait comme des hommes »
João Paulo Morais est l’un des jeunes entraînés par José
Mourinho au cours de cette saison-baptême 1986-1987. Mais la
première fois que João Paulo a vu José, c’est en tant que
spectateur. Comme beaucoup des gamins de l’UFCI, il assiste
aux rencontres des grands. « Il m’est arrivé de le voir jouer au
Comércio e Indústria, commence celui qui deviendra gardien de
but à Braga ou au Vitória FC. Il était dur. Il jouait défenseur
central ou milieu défensif. L’image qu’on a de lui en tant
qu’entraîneur, il l’avait sur le terrain : il était à fond dans
l’engagement. Il avait une personnalité très forte. »
Ces ados servent le labo de Mourinho dont l’approche diffère.
« On était jeunes, on n’avait pas beaucoup d’années de foot
mais on sentait qu’avec lui c’était différent, lance João Paulo.
On avait des entraînements spécifiques et déjà l’image d’un
système de jeu. Chacun savait ce qu’il devait faire. Il n’était pas
du genre à venir et nous dire : « Allez, les enfants, on y va ! »
Non, il y avait une idée derrière et il n’était pas dans la
condescendance. Il ne nous traitait pas comme des gamins. »
José Mourinho se démarque déjà et aussi par sa façon de
manager, de communiquer. Il n’a pas encore 25 ans et, face à
lui, des rejetons qui en comptent 10 de moins mais il les
responsabilise, les secoue. Trente piges sont passées et JP est
toujours marqué : « Il nous parlait comme si on était des
hommes. Il entrait dans le vestiaire et il s’adressait à nous
comme à des adultes : « Putain, de bordel de merde ! Mais
qu’est-ce que vous foutez ?! » Il parvenait à nous faire
comprendre qu’il était le chef tout en étant proche de nous.
Il savait se faire respecter. »
Le « Mister », comme l’appelle sa jeune team, fait du verbe une
autre de ses armes, parfois bien aiguisée. Ou peut-être est-ce
une armure. João Paulo rapporte : « Il lui arrivait de nous parler
crûment : « Si vous voulez grandir et mûrir, on doit vous traiter
comme ça, parce que le foot est un monde de chiens ! » Il nous
préparait d’une façon qui n’était pas normale à cette époque. »
A leur âge, Zé Mário avait vu, connu, le côté obscur du ballon.
Les licenciements de Mourinho Félix – cruels pour certains – ont
laissé autant de cicatrices sur son fils. José Mário a souffert
avec son père. Il semble vouloir préparer ces gamins, qui sont
quelque part les siens, à ce qui les attend. Et, il arrive que ça
pique. « Parfois, on en pleurait mais il nous préparait à la vie
réelle, commente João Paulo. Il nous défendait, avant tout.
Il était un conducteur d’hommes. Dans notre cas, il était un
conducteur d’enfants mais il nous traitait comme des hommes. »
« D’abord, vous étudiez. Ceci est un hobby »
Zé est un entraîneur, un leader, un protecteur. « Il était
toujours à l’écoute si quelqu’un devait rater un entraînement,
surtout si c’était à cause de l’école, se souvient le gardien João
Paulo Morais. Les études passaient toujours en premier.
« D’abord, vous étudiez. Ceci est un hobby », disait-il. Il était
très préoccupé par ça. On avait un grand entraîneur mais
surtout un grand ami qui nous protégeait. »
Mister Mourinho couve littéralement ses petits, comme le
faisaient ses parents avec lui. Et il ne laisse personne les
approcher. Pas même son propre boss. « Notre président
s’appelait Zé Maria, raconte João Paulo. Ce monsieur était,
disons, un peu… imprévisible. Une fois, il est entré, à la mi-
temps, dans le vestiaire et s’est adressé à nous en envoyant :
“Oh, t’as pas dormi ?! Tu t’es pas reposé ?!” Et là, Zé est
intervenu : “Personne ne parle comme ça à mes joueurs ! C’est
la dernière fois que vous entrez dans ce vestiaire sans mon
autorisation.” »
Bill Shankly, entraîneur légendaire de Liverpool entre 1959 et
1974, disait : « Dans un club de football, il y a une sainte trinité :
les joueurs, l’entraîneur et les supporters. Les présidents n’en
font pas partie. Ils sont juste là pour signer les chèques. »
Shankly disait aussi : « Certains pensent que le football est une
question de vie ou de mort. Je peux vous dire que c’est bien
plus important que cela. » Pour José Mourinho, le football a été,
cette année-là, une question de vie et malheureusement de
mort…
La mort de son adjoint : « On a vu un homme pleurer
devant nous »
Lorsqu’il prend en main les Iniciados du Comércio e Indústria,
José a pour adjoint l’un de ses camarades de fac : Paulo Brito.
Au moment de prononcer son nom, la voix de João Paulo
devient grave, sombre. Celui qui est alors jeune gardien de
l’UFCI n’a « rien oublié de ce jour tragique » : « Brito ne s’est
pas présenté le jour du match et Mourinho a su, pendant la
rencontre, que Brito avait perdu la vie au cours d’un accident de
plongée sous-marine. » « Paulo Brito faisait de la pêche sous-
marine pour arrondir ses fins de mois, précise José Toureiro qui
fréquente l’ISEF avec José et Paulo. Un jour, alors qu’il
plongeait au Bico das Lulas, à Tróia, on a retrouvé son corps,
sans vie. »
« On a été prévenus à la mi-temps, reprend João Paulo. On
aimait tous Brito et Mourinho montrait déjà qu’il était un leader.
Il a été impressionnant. Il nous a dit qu’on devait être forts,
qu’on devait gagner pour lui, parce qu’il était notre ami. On était
tous en pleurs, dans le vestiaire… Lui aussi. On a vu un homme
pleurer, devant nous. Il y a des choses qui marquent et qu’on
n’oublie jamais et ça en fait partie. On était menés à la pause et
on a gagné. On les a pliés. C’est un épisode qui nous a fait
grandir. » Y compris José Mário. « Paulo Brito était l’un des
meilleurs amis de Zé Mário, poursuit son ancien dirigeant,
Estevão Coutinho. C’est un grand sentimental, vous savez… »
Le départ pour le Vitória : « Je vous emmène dans
mon cœur »
Au Comércio e Indústria, malgré les contraintes, les
encombres et les drames, José donne tout. Son labeur et son
abnégation attirent l’attention. Il a réussi l’exploit de classer ses
gamins devant ceux du Vitória de Setúbal. Lorsque la saison
des Iniciados touche à sa fin, celle des Juvenis (moins de 16-17
ans) bat son plein. Estevão Coutinho qui en est le coach fait
appel à Mourinho. Et il s’en souvient « très bien » : « Je lui ai
demandé de nous faire un rapport sur notre adversaire, le
Barreirense. Il a réalisé un travail remarquable, hyper détaillé,
très précis. » Ce sera sa dernière mission au Comércio e
Indústria. Le Vitória, le grand de Setúbal, l’attend. Celui dont il
est sócio depuis le premier jour, celui où son père est considéré
comme une légende. Un bond dans sa jeune carrière
d’entraîneur. Un vide dans le cœur de ses jeunes joueurs.
« Il est venu dans le vestiaire, nous a présenté son successeur
et il est parti, retrace João Paulo. Ce fut difficile pour nous. »
Mais Mourinho ne part pas sans mot dire. JP se souvient
encore : « Il nous a expliqué quel était son nouveau projet à
Setúbal. Il nous a aussi dit : « La vie est ainsi faite. Les
professionnels sont confrontés à ce genre de choses. Je vous
emmène dans mon cœur et je vais emmener certains d’entre
vous avec moi, là-bas. » Là encore, il ne nous parlait pas
comme à des enfants. Il essayait de nous faire comprendre que
nous méritions plus grand, lui comme nous. Et il a d’ailleurs pris
un de nos défenseurs centraux avec lui. » Il adopte déjà une
recette qu’il appliquera bien des années plus tard et qui lui a été
transmise par son paternel : s’entourer de fidèles.
Quitter l’União Futebol Comércio e Indústria pour le Vitória
Futebol Clube revêt une certaine logique. Même si, en cette fin
de saison 1986-1987, le contexte est un peu différent. « A cette
époque, le Comércio était un club beaucoup plus grand,
beaucoup plus important qu’il ne l’est aujourd’hui, explique João
Paulo. Il évoluait dans une grande et belle troisième division et il
y avait une forme de rivalité avec le Vitória de Setúbal. Le fait
que Zé parte pour le Vitória a instauré un petit malaise. » « Il est
parti au Vitória parce qu’il avait de la valeur », dédramatise
Fernando Lage. « C’est la vie d’un club et d’un entraîneur,
philosophe Estevão Coutinho. Il a toujours été très ambitieux. »
Une ambition qui profite maintenant au Vitória de Setúbal.
(Photos 12 et 13. Voir pages centrales)

Le temps du Vitória
José Mourinho a beau n’avoir que 24 ans, il n’a pas le temps.
Cette fois, ça y est, il a mis un terme à sa carrière de joueur.
Après avoir coaché les Iniciados [moins de 15 ans] du Comércio
e Indústria pendant une saison, il s’engage avec le Vitória
Futebol Clube. Le Vitória est LA référence foot de Setúbal et il
occupe une place importante dans son cœur. C’est le club où
son père a longtemps joué, le club dont il est sócio depuis le
jour de sa naissance.
Mais qui a eu l’idée, le flair, d’enrôler ce si jeune et quasi
inconnu au VFC ? Ancien gardien du CUF (actuel Fabril
Barreiro), du Sporting ou de Braga, José António Mendonça
Ferreira, dit « Conhé », a servi durant de longues années le
Vitória de Setúbal en tant qu’entraîneur, adjoint, dirigeant… Et il
est là, lorsque José débarque : « C’était en 1987. Fernando
Oliveira [président du Vitória de Setúbal] m’avait proposé de
venir comme adjoint de Malcolm Allison qui dirigeait l’équipe
première et d’être le coordinateur des jeunes du Vitória de
Setúbal. Il manquait un entraîneur pour les Juvenis [moins de
17 ans] et on m’a parlé de José Mourinho, fils de Mourinho Félix
qui avait été gardien au club. J’ai dit : « OK, ramenez-donc le
garçon. » » Fernando Tomé, ami du père Mourinho, ancien
joueur et dirigeant du Vitória, révèle l’identité du « on » : « Zé
Mário a été invité par Rui Bento Salas, l’un des directeurs du
football du club, sous la direction de Fernando Oliveira. »
José, pistonné ? José, fils à papa ? « Un dirigeant du club m’en
a parlé. Son père avait été une référence au club, quelqu’un de
très respecté mais José s’est imposé par lui-même, cogne
Conhé. Peut-être que lorsqu’il a intégré le club il y avait ce truc
de : « C’est le fils de Mourinho Félix » mais ensuite il s’est
imposé tout seul. Et les gens l’ont aimé. »
Conhé kiffe tellement qu’il lui confie, très vite, d’autres
responsabilités : « Comme il était prof d’EPS, j’en ai profité pour
le mettre entraîneur des Juvenis et préparateur physique des
juniors de Jacinto João. Et les choses se sont bien passées. »
A tel point que José a droit à une promotion de la part de
Conhé : « L’année suivante, Jacinto João a rejoint la Quimigal
(ex-CUF) et j’ai promu Mourinho entraîneur des juniors. Il avait
26 ans. Pour moi, il avait les capacités pour le poste et il a fait
du bon travail au club. » Au total, Mourinho bossera trois
saisons au Vitória, une avec les Juvenis, deux avec les juniors.
José va rapidement se faire un prénom au Vitória (après tout, le
nom y est déjà plus que connu et respecté). Aparício, buteur de
l’équipe première (qui y sera longtemps dirigeant par la suite), a
un petit rituel avant ses matches : assister à ceux des jeunes de
José Mário. « Il jouait le dimanche matin et, nous, joueurs de
l’équipe première, devions nous rendre au stade pour l’heure du
déjeuner, explique l’ancien joueur de Villefranche. Comme
j’habitais à côté du stade, j’y allais très souvent. Ses équipes
avaient déjà une façon de jouer, de travailler, de communiquer
différentes. On se doutait qu’un jour ou l’autre il percerait. Zé
Mário est vite devenu une référence au Vitória en tant
qu’entraîneur. »
« Il taclait sur le parquet ! »
En tant que joueur aussi, José va marquer les esprits, à
Setúbal. Certes, il a mis un terme à sa carrière de footballeur au
Comércio e Indústria, avant d’intégrer le Vitória. Mais le
bichinho50 est là. Il lui arrive encore de prendre part à certaines
joutes locales. Aparício y apparaît : « Je me souviens de lui lors
de tournois de foot en salle. Comme j’étais joueur de l’équipe
première, je ne pouvais pas y participer mais j’assistais aux
matches. Il n’avait pas une technique folle mais au niveau du
positionnement il était top et, physiquement il y allait ! Il taclait
sur le parquet ! Il détestait perdre. » Tomé aussi est spectateur
de ces parties de futsal et sa réaction est un copier-coller de
celle d’Aparício : « Il n’avait peut-être pas les qualités naturelles
qui auraient pu lui permettre de devenir un joueur d’un autre
niveau mais il avait cette force mentale. Il taclait sur le parquet !
Il n’a pas été un joueur de standing européen mais il avait une
caractéristique : quand il jouait, c’était pour gagner. Il détestait
perdre. »
Une grinta, une garra, une raça qu’il va tenter de transmettre à
ses joueurs, aussi jeunes fussent-ils. Parce qu’avec José, il y a
un temps et un lieu pour tout. Et le terrain n’est pas celui de la
récréation. Pas même les jours de fête. Conhé se remémore un
épisode « au moment du carnaval. » Faut bien comprendre que
carnaval rime avec Portugal. Certaines municipalités et sociétés
en font même un jour férié. Conhé, donc : « Les juniors sont
arrivés maquillés de l’école et ils allaient s’entraîner. Mourinho
les a alertés qu’ils étaient des footballeurs et qu’en tant que tels
ils ne devaient pas venir maquillés. Ce n’était rien de grave mais
ça démontrait son caractère. Sa mère était institutrice. Il avait
reçu ces valeurs, cette éducation. C’est lui qui imposait les
choses. Je l’observais et je voyais en lui un vrai entraîneur. »
Un prof d’EPS « normal »
Ces gamins, ces juvénils Setubalenses, ils le voyaient
comment ? Quel souvenir José Mourinho leur a laissé ? Bah, on
va leur demander. Certains d’entre eux ont connu le professeur
avant le Mister. Souviens-toi, l’étudiant de l’ISEF et ses
camarades ont très vite été amenés à donner des cours d’EPS.
José Mário a ainsi officié à l’escola secundária da Bela Vista, à
Setúbal, dont certains lycéens deviendront ses joueurs au
Vitória. C’est le cas de José Salgado, José Cancela et Hélio
Rassul.
Né au Mozambique de parents setubalenses, José Salgado est
surtout connu sous le sobriquet de Ganga (qui signifie jean, en
portugais). « Quand j’étais en maternelle, je ne voulais mettre
que des jeans et je disais toujours à ma mère : « Je veux des
jeans ! Je veux des jeans ! » Et c’est resté », sourit-il. Ganga a
donc connu José au bahut : « Il était mon prof d’EPS. Je l’avais
eu pendant un mois, parce que ma prof était malade. Il était
l’entraîneur du Comércio e Indústria, aussi. Il était… normal,
comme professeur, pas sévère. Il voulait juste qu’on fasse les
choses comme il faut. » Pas relou, le Mou. José Cancela
confirme : « Il était mon professeur d’EPS, en seconde. Pour
nous, les garçons, c’était un bon prof parce qu’on pouvait jouer
au football. On lui mettait la pression et comme il aimait ça
autant que nous, il nous laissait toujours un peu de temps pour
y jouer. Il était tranquille. Il avait sa personnalité, forte, mais il
était parfaitement normal. » Cancela qui est devenu entraîneur
aux Pelezinhos, un club de quartier de Setúbal, poursuit : « J’ai
un peu suivi ses pas en devenant professeur d’EPS, même si
j’ai opté pour la gestion. »
« Il était plutôt cool, notamment avec les filles qui ne voulaient
rien faire, rigole Hélio Rassul. Il laissait couler : « Faites quelque
chose, ce que vous voulez. » » Rassul, qui bosse aujourd’hui
dans la médiation immobilière, avait fait connaissance avec
José Mário un peu plus tôt encore : « J’étais Iniciado au Vitória
et il m’avait fait une interview. Il écrivait pour un journal de
Setúbal, le Setubalense, je crois, en plus d’être au Comércio e
Indústria. » Prof, joueur, rédacteur pour un journal… José
remue, bouge, s’active. Mais ce qui le fait vraiment vibrer c’est
le ballon, le boulot d’entraîneur.
« On le vouvoyait et on l’appelait Mister »
Le professeur bonnard et « cool » va prendre une toute autre
posture en tant que coach, au Vitória. « Là, il était d’une
exigence… Il était dur mais il savait créer un esprit de groupe »,
assure le défensif, Hélio Rassul. « Il y avait un temps pour tout.
Quand il fallait s’amuser, on s’amusait, mais quand il fallait
travailler, on travaillait, poursuit Ganga. S’il devait avoir une
devise ce serait : « Donnez-moi tout et je ferai tout pour
vous. » » L’écart générationnel entre José et ses joueurs n’est
pas énorme : dix piges, ça en fait plus un grand frère qu’un
père. Il parvient toutefois à s’imposer sans mal. Ganga :
« Il n’était pas beaucoup plus âgé que nous mais on le
respectait à un point… Dès qu’on le voyait au loin on disait :
« Voilà le monsieur ! » » « On était proches tout en étant
respectueux, admire José Cancela. Il a réussi à instaurer cette
relation. » « Respect ». Le mot revient à chaque fois. Y compris
dans la bouche de João Mota qui sera l’un des capitaines du
Vitória de Mourinho : « On le vouvoyait et on l’appelait Mister. »
Autre proprio du brassard, Júlio Lourenço va passer trois ans à
Setúbal sous les ordres de Mourinho. « Le football a quelque
chose de très particulier qu’est le vestiaire, débute-t-il. Mourinho
avait conscience de l’importance qu’un vestiaire avait sur un
groupe. En tant que capitaines, avec Mota, il voulait qu’on veille
à ce que certaines valeurs soient respectées. Pour lui, l’objectif
était de gagner. Il nous donnait des moments de liberté
lorsqu’on était en déplacement, par exemple, et il nous
demandait d’être attentifs. » Mister José Mourinho va avoir
plusieurs occasions de tester la rigueur de ses jeunes.
« Il faisait ce qu’il fait aujourd’hui : il prenait quatre, cinq joueurs
de l’équipe sous son aile et ces joueurs-là lui permettaient
d’avoir le groupe entier dans sa main », observe Ganga.
« Il était très exigeant et nous responsabilisait beaucoup,
relance José Cancela. Lorsqu’on avait des tournois, des
déplacements, il n’était pas du style à être derrière nous.
Il instaurait des règles et voulait qu’on les suive. Il nous indiquait
un horaire mais il ne nous fliquait pas. En revanche, si le jour du
match, on ne répondait pas présent, ça devenait plus compliqué
pour nous (rires). Ceux qui n’étaient pas bons étaient
pénalisés. » Là aussi, tout est prévu, comme l’indique Cancela :
« Il y avait plusieurs sanctions possibles. Ça pouvait être une
amende, en cas de retard. Avec cet argent, on allait manger
tous ensemble. Si besoin, il avait une discussion en tête-à-
tête. » Il arrivait aussi que ce soit tout le groupe qui mange…
Une demi-heure à monter et descendre les tribunes
du stade après une victoire 6-0
José Mário Mourinho avait « deux faces contrastées ». C’est
Júlio Lourenço, l’un de ses capitaines au Vitória qui le dit. Une
main pour claquer, une autre pour caresser. « Il parvenait
toujours à avoir les joueurs de son côté, assure Júlio. Ça
m’étonne d’ailleurs un peu de voir que ces dernières années, il
n’a pas toujours le groupe avec lui. » Ce grand frère fouettard a
laissé quelques moments à ces gamins en mémoire. José
Ganga n’a « jamais oublié » celui qui suit : « On était en plein
hiver. Je vous laisse imaginer le temps… On avait un match
face à une équipe voisine d’un niveau inférieur au nôtre. A la mi-
temps, il y avait 0-0. Mourinho est entré dans le vestiaire sans
mot dire. Il a pris une craie et a écrit le chiffre 7 au tableau. Il l’a
posée et est reparti. » Le Mou vient de dessiner la mission fixée
à ses joueurs : en planter 7. Mais un autre dessein les attend.
Ganga reprend : « On s’est imposés 6-0. A la fin du match, alors
que certains étaient déjà sous la douche, il s’est pointé et a
envoyé : « Qui vous a dit que vous pouviez vous laver ? » On
s’est regardés et il a enchaîné : « On retourne sur le terrain ! »
On s’est dirigés vers l’intendant pour qu’il nous donne des
maillots propres, les nôtres étaient par terre, pleins de boue.
Mourinho les a pointés du doigt : « Non, non, vous prenez ceux
qui sont là ! » On s’est tapés une demi-heure à monter et
descendre les tribunes du stade avec nos maillots boueux ! »
« Je m’en souviens comme si c’était hier, lâche Hélio Rassul.
Il y avait deux championnats : le Campeonato Nacional et le
Campeonato Complementar. Et ce jour-là, il a décidé d’aligner
l’équipe principale dans le Complementar. Sur le papier, on
devait leur mettre une raclée. Il était dur et dans l’empathie à la
fois. Il travaillait notre mental. » Et parfois, ça peut faire mal.
José Mota raconte : « On était menés 2-0 à la mi-temps face au
Casa Pia. Le match se passait super mal, y compris pour moi.
Je me sentais fatigué. Il m’a appelé : « Mota, je veux te dire un
mot ! Qu’est-ce qu’il se passe, caralho51 ? T’es nul ! » Il était
hors de lui. Les larmes me sont venues. L’un de mes
coéquipiers est intervenu : « Mister, calmez-vous… » « Que je
me calme ?! Va te faire… Je te sors ! » Et il l’a sorti ! En
seconde période, on a marqué deux buts et on fait match nul 2-
2. On a ensuite dîné tous ensemble chez le père d’un des
joueurs. Il s’est approché de moi. J’en tremblais. Il a posé sa
main sur mon épaule : « Alors Mota, qu’est-ce qui ne va
pas ? Tu n’étais pas dans ton match, qu’est-ce que tu as ? » Je
me suis dit : « Le mec m’a fracassé à la mi-temps et, là, il se la
joue sympa ? » Mais, ce jour-là, j’ai appris beaucoup de choses.
Il frappait d’une main et caressait de l’autre. Maintenant que je
suis professeur, je comprends sa façon de faire. Il voulait qu’on
soit toujours attentifs. Il était exigeant, très rigoureux. »
En replongeant dans ses souvenirs, Mota retrouve un autre
coup du Mou : « On jouait au Quimigal. On perdait 1-0. On était
déçus, parce que leur équipe était plus faible que la nôtre. A la
mi-temps, l’un de nos joueurs s’est adressé à Mourinho :
« Mister, vous ne dites rien ? Vous ne parlez pas du match ? »
« Allez tous vous faire foutre ! », lui a répondu Mourinho. Et il
est sorti du vestiaire. On a gagné ce match. » Moralité ? « Il a
voulu nous responsabiliser et nous mettre face à nous-
mêmes », retient Mota. La colère de Mourinho était peut-être
sincère mais il savait surtout comment piquer ses joueurs.
Autre épisode narré par le Capitão Mota : « Un match à Évora,
en Juvenis. Il y avait 0-0 à la pause. Je jouais milieu avec un
autre gars. Mourinho est entré dans le vestiaire et nous a dit :
« Vous n’avez pas mal au cou ? » On s’est regardés, on l’a
regardé, un peu incrédules : « Mal au cou ? Non, pourquoi ? »
Il a repris : « Pourquoi ? Parce que ça balance de l’attaque vers
la défense et vous ne faites que regarder le ballon passer. Ça
ne vous dirait pas de prendre un peu le jeu à votre compte ? »
On a compris le message. On a remporté ce match 3-0. »
Il est arrivé que les jeunes Sadinos aient littéralement la tête en
l’air, les yeux braqués, bloqués dans les nuages. José Cancela
récite un improbable acte ayant pour scène le stade Alvalade :
« On avait monté notre stratégie, comme d’habitude, pour ce
match face au Sporting. On était sur une action de contre et, là,
un avion est passé au-dessus du stade. On s’est arrêtés de
jouer et on a levé la tête au ciel ! Certains de nos joueurs
vivaient dans des coins un peu plus reculés de Setúbal. Ils
n’avaient jamais vu un avion de leur vie ! Mourinho était à deux
doigts de rentrer sur le terrain ! » Cancela en rigole encore.
« Il était très passionné, sourit-il. Il détestait perdre. Il était
obsédé par la victoire. Du coup, il vivait tous les moments de
façon très intense. Aussi bien les matches que les tournois ou
les entraînements. » Une rencontre de championnat face à
l’Estrela da Amadora va presque lui faire perdre la tête, là
encore, au sens littéral. Cancela : « On a d’abord été menés, on
est parvenus à égaliser et lorsqu’on a réussi le 2-1, il a sauté au
niveau de son banc et s’est fracassé la tête ! La zone technique
était en ciment ! Il a dû se faire recoudre. On était en train de
célébrer le but sur le terrain et on l’a vu le visage en sang. »
José Cancela, João Mota, Ganga, Júlio Lourenço, Hélio Rassul
reviennent sur ces anecdotes avec nostalgie et saudade mais
ils n’ont rien oublié des efforts quotidiens exigés par leur ancien
coach.
« Respecter l’adversaire, c’est le massacrer »
La méthode Mourinho s’avère être un ensemble. Complet,
complexe. Comme le bonhomme. Il n’est pas question que
d’entraînement et de méthodologie. Il y a aussi beaucoup de
boulot psychologique, mental, cérébral. Que ses joueurs aient
12, 15, 18, 20 ou 30 ans, José s’en cague. Tout Mou. Il veut
gagner. Bien dur. Et il a un plan, ou plutôt des plans, pour ça.
Durant trois ans, ses Juvenis et ses Juniores vont ingurgiter,
savourer, boire, engloutir, manger, déguster du Mourinho.
A toutes les sauces.
José Cancela donne le ton : « Les entraînements étaient durs
dans le sens où il fallait vraiment tout donner. Il ne voulait pas
que ce soit une récréation. » Mourinho a autant le souci du
détail que l’amour du jeu. « On s’entraînait beaucoup avec le
ballon, poursuit l’ancien défenseur. Les coups de pied arrêtés
étaient très bien travaillés. Tout était bien défini. Il préparait des
schémas avec les différentes situations possibles et le
positionnement de chacun. »
João Mota atteste : « On savait ce qu’on avait à faire. A tel point
que… A cette époque, je jouais défenseur ou milieu axial. Mais
s’il avait fallu que je joue gardien ou avant-centre, j’aurais pu le
faire, parce qu’il nous disait quoi faire. Les postes devenaient
des données relatives. Tactiquement, il est fortíssimo. » Et il
avait une préférence, confie Mota : « Nous jouions en 4-4-2. Il y
avait peu de changements, sauf lorsqu’on perdait où il prenait
plus de risques. »
« Il y a trente ans déjà, il mettait en place une organisation très
haute sur le terrain », contemple Júlio Lourenço. Cette pressão
alta virera à l’obsession. Tout comme son sens de
l’organisation. « Il était très attentif à la rigueur défensive, à
l’organisation collective, aux déplacements, ce qui n’était pas
courant à cette période, enchaîne Júlio. J’avais eu deux
entraîneurs avant Zé Mário au Vitória mais ça n’avait rien à voir,
ni de près ni de loin avec sa façon de faire. Il était offensif. » Y
compris face aux gros. S’il est une chose qui n’a pas changé et
qui n’est pas près de l’être dans le foot portugais, c’est la
mainmise des trois grands (Benfica, FC Porto, Sporting). Les
autres n’ont qu’à crever la gueule ouverte, au mieux, bouffer les
miettes. Mais Mister José Mário Mourinho n’accepte pas cette
fatalité. « Quand on affrontait le Benfica ou le Sporting, ils
avaient beaucoup de difficultés à nous battre, remarque
Lourenço. Parce qu’il parvenait, grâce à son organisation, à
réduire l’écart entre nous et eux. On jouait toujours pour gagner
et il nous disait souvent : « Respecter l’adversaire, c’est le
massacrer. » Il voulait qu’on marque le plus de buts possibles,
sans en encaisser. Si on en marquait beaucoup mais qu’on en
prenait ne serait-ce qu’un, on avait les oreilles qui chauffaient. »
Pour contrer ces géants, José joue de malice. Ganga en rit
encore : « J’ai quasiment toujours été titulaire dans les équipes
de jeunes du Vitória, y compris avec Zé. J’étais technique,
rapide et je marquais pas mal de buts. Lors d’une rencontre
face au Sporting, il m’a sorti de l’équipe et m’a mis sur le banc.
J’étais dégoûté, parce que j’adorais le Sporting. Après 10
minutes de jeu, il m’a dit d’aller m’échauffer mais… dans le
vestiaire. A la mi-temps, il m’a annoncé que j’allais entrer et m’a
dit d’aller sur le terrain. J’ai compris son coup, bien plus tard. Le
joueur qui devait être face à moi était lui aussi sur le banc. En
me disant d’aller m’échauffer sans que personne ne me voit, il
m’a permis d’être 10-15 minutes sans personne au marquage.
Parce que le joueur en question a fini par entrer et me marquer.
Et là, mon match était presque terminé. » Ganga insiste :
« Avant lui, on avait pour habitude de perdre par trois ou quatre
buts d’écart face aux gros mais, avec lui, on s’est mis à rivaliser
avec eux. »
« Notre entraîneur, notre conseiller, notre frère…
Il était tout »
Comme il le fait avec Ganga, Mourinho jongle avec les
neurones de tous ses gamins et fait tout pour emmêler ceux de
ses adversaires. « Il avait de l’avance, des procédés nouveaux,
inhabituels, martèle José Salgado « Ganga ». Un exemple : on
faisait des tournois en Espagne et il changeait tout le
vocabulaire pour ne pas qu’ils nous comprennent. »
« C’est au niveau psychologique qu’il nous touchait le plus,
poursuit Ganga. De nos jours, dans un staff, vous avez un
spécialiste pour tout. Mais lui était notre entraîneur, notre
préparateur physique, notre conseiller, notre frère… Il était
tout. » Et Ganga est bien placé pour en parler : « Je ne pensais
qu’au foot, je ne voulais pas entendre parler des études. Quand
Zé a repris l’équipe, je m’entraînais une heure avant la séance.
Juste lui et moi. Il faisait cela pour que je sois un peu prisonnier,
que je ne sois pas sans rien faire. Il me donnait beaucoup de
conseils, me poussait à ne pas lâcher l’école. J’étais l’un de ses
gosses. »
Salgado a une pointe de regret dans la voix : « Si je l’avais
écouté, tout aurait été différent, c’est sûr… J’ai été professionnel
très jeune au Vitória mais je ne pensais qu’à sortir et à 21 ans,
j’ai abandonné le foot. Il me manquait une chose essentielle : la
tête et, surtout, continuer de travailler avec lui. » Narration d’un
autre temps où le foot est un passe-temps et beaucoup de
parents n’ont pas le temps. « Mon père était pêcheur, il partait
très tôt, tous les jours, soupire Ganga. A cette époque, les
parents ne se mêlaient pas de ça. »
Même ressenti chez Hélio Rassul : « Oui, il avait une
méthodologie différente. Il était de toute façon différent, il avait
une formation académique, il introduisait beaucoup le ballon
dans les séances mais… je persiste à dire que c’est le mental
qu’il travaillait. Là où d’autres nous disaient de prendre le ballon
et de faire un jeu, lui proposait quelque chose, il donnait autre
chose. »
Afin que sa recette prenne, José en choisit chacun des
ingrédients. Cette équipe de jeunes du Vitória Futebol Clube, il
l’a construite, façonnée, fignolée. « Il est allé chercher plusieurs
joueurs dans des clubs des alentours, explique João Mota, l’un
de ses capitães. Il était super-intelligent. Avant de le rejoindre,
j’évoluais au Pelezinhos, une équipe du coin. J’en étais le
capitaine. Je jouais avant-centre et je marquais beaucoup de
buts. Il avait constitué une équipe avec beaucoup de joueurs de
grande taille. Un jour, il m’a demandé : « Mota, tu sais pourquoi
tu es venu au Vitória de Setúbal ?
Non, Mister, lui ai-je répondu.
Parce que tu es grand ! Tu ne jouais pas un caralho ! »
Ce genre de choses qu’il nous disait contribuait à nous motiver.
A cette époque, je ne comprenais pas grand-chose au foot mais
il a su éveiller ma curiosité. »
N’oublions pas que José Mourinho est d’abord un formateur. Et
c’est en tant que tel qu’il débute sa carrière de technicien. Et,
déjà, il sait ce qu’il recherche.
António Eduardo Calção est à deux doigts d’intégrer le Vitória
de Mourinho. Il fait partie de ces promesses repérées par José.
« J’étais chez les jeunes du Estrela de Vendas Novas et
Mourinho voulait me faire signer, commence le milieu de terrain.
J’ai été mis à l’essai par le Vitória pendant près d’un mois.
Il appréciait beaucoup mes qualités et voulait que je reste mais
il n’y a pas eu d’accord entre les clubs. C’était l’époque des
premiers transferts concernant les jeunes joueurs et le Sporting
est venu me chercher. » Calção n’a rien oublié de ces quelques
jours passés avec le Mou, ni de sa façon de faire si spéciale :
« Il avait des méthodes innovantes. Beaucoup de travail avec le
ballon, le travail physique ne se faisait qu’avec la balle. Et
surtout, il savait préparer ses joueurs mentalement. Il dégageait
quelque chose de fort, sur le bord du terrain, une énergie folle.
Même s’ils ne l’étaient pas, pour lui, ses joueurs étaient les
meilleurs. »
« Avec lui, je me suis senti le meilleur joueur du
monde »
Les anecdotes illustrant la capacité motivationnelle de José
Mário auprès de ses petits Vitorianos ne manquent pas. Ganga
revient sur un tournoi disputé en Espagne : « Face à nous, il y
avait le Real Madrid, Valence et une sélection d’Estrémadure.
On affrontait le Real au premier match. Leurs joueurs
discutaient avec ceux de Valence et disaient qu’ils allaient être
champions d’Espagne, qu’ils avaient une grande équipe… Au
bout de deux minutes de jeu, on était déjà menés 2-0. On est
revenus à 2-2. A la mi-temps, Mourinho est entré dans le
vestiaire et a dit : « Pour nous, c’est déjà une victoire, allez sur
le terrain et faites ce que vous voulez. » Il a su nous motiver,
nous donner, nous faire confiance. On en a pris un troisième, on
a égalisé en toute fin de match et on les a éliminés aux tirs aux
buts. »
L’effet de surprise fait aussi partie des techniques employées
par Mister Mourinho. Pas seulement pour surprendre ses
adversaires mais aussi pour titiller, piquer, motiver, stimuler ses
propres joueurs. Ganga : « Avant un match contre le Farense, il
m’a dit que je ne jouerais pas, parce qu’ils avaient deux
centraux très grands. Je me suis donc entraîné avec l’équipe
des remplaçants. J’étais terriblement amer. Le jour du match, il
m’a croisé pendant que les titulaires se préparaient pour
l’échauffement et m’a dit :
« Qu’est-ce que tu fais là ?
Je lui ai répondu : Mister, on attend que les titulaires s’équipent.
Non mais tu vas jouer.
Moi ?
Oui, tu vas jouer, va t’habiller. »
Il m’a aligné dans le couloir. J’ai été l’un des meilleurs joueurs
du match, j’ai donné deux passes décisives. Il jouait avec nous,
il nous testait. »
José éprouve sans cesse le mental de ses bambins. L’air fermé,
froid, sévère qu’on lui voit souvent sur le banc ou en conf ‘ de
presse en font presque une caricature du daron portugais. Et
être son « fils » n’est alors pas toujours un privilège. A l’image
de son père, il ne veut pas qu’on dise que ses protégés sont
favorisés. Et là encore, Ganga te le dira : « Il a aussi été mon
entraîneur avec la sélection de Setúbal. José Augusto, ex-gloire
du Benfica, en était le sélectionneur et lui l’entraîneur. On avait
terminé troisième d’un tournoi interdistrict. C’est là que je suis
appelé en équipe nationale. Il a dit devant tout le monde : « Il y
en a un ici qui ne mérite pas d’y aller mais je vais lui donner
cette opportunité. » Ce n’était pas méchant, c’était sa façon de
me pousser à travailler plus. »
A la fin des 1990’s, bien des années après avoir été coaché par
Mourinho à Setúbal, et alors qu’il porte la tunique de l’Imortal,
en Algarve, Hélio Rassul le croisera. José n’aura rien perdu de
son pouvoir de séduction, de persuasion et de motivation : « Je
n’avais plus revu le Mister depuis je ne sais combien de temps,
conte-t-il. Il venait de quitter Barcelone et était venu assister à la
rencontre. Après le match, il est venu me parler. Après ce petit
moment passé avec lui, je me suis senti le meilleur joueur du
monde. La façon dont il m’a parlé, je me sentais le plus grand,
le plus fort. »
José sait aussi récompenser. « Une main pour claquer, une
autre pour caresser. » Et il arrive que son poing de fer renferme
une surprise. Même dans la défaite.
Une médaille pour ses « enfants »
Alors, OK, la façon de faire, de parler, de vivre le foot de José
Mourinho est spéciale à Setúbal. Mais est-elle efficace ? Ses
trois ans au Vitória parlent pour lui. Rien qu’au niveau régional,
rivaliser avec les géants Benfica et Sporting relève de l’utopie.
Ils absorbent les meilleurs jeunes, les meilleurs formateurs qui
ont pour ambition d’évoluer dans les meilleures conditions et le
cycle se répète inlassablement… Aucune équipe de jeunes du
Vitória de Setúbal n’a remporté un titre au niveau national. Les
Juvenis et les Juniores de Mourinho obtiendront toutefois des
résultats. Des records, même. En 1988, il enquille les victoires
dans son groupe du Championnat national.
« On est restés plus de 1000 minutes sans prendre de but »,
lance fièrement l’un des capitaines, Júlio Lourenço. 1120
minutes exactement. Un moment que José a voulu graver et
pas que dans les mémoires. L’autre capitão, João Mota
reprend : « On a perdu notre premier match au bout d’une
quinzaine de rencontres, sur un but contre notre camp, face à
l’Atlético CP. » « On était en pleurs autour de lui après cette
première défaite, confesse Hélio Rassul. On s’accrochait à lui,
en larmes. Et il était là, avec nous, il nous encourageait.
Il protégeait ses « enfants ». » Telle une louve, José Mário veille
sur ses petits. Tel un loup, il tient à ce que leurs crocs restent
aiguisés. Mota : « Le mardi suivant, il est venu à l’entraînement
avec une médaille pour chacun d’entre nous sur laquelle était
inscrit VFC et 1120, comme les minutes de notre
invincibilité. Il nous a dit qu’on allait vite se remettre à gagner. »
(Photos 14 et 15. Voir pages centrales)
La reconnaissance de José ne s’arrête pas à ses joueurs.
« Mon père, lors de cette année en Juvenil, nous suivait à
chaque match, confie João Mota. On a eu un tournoi en France
et Mourinho n’avait pas emmené l’un des dirigeants pour que
mon père puisse y aller. C’était une récompense pour mon pai
qui avait assisté à tous nos déplacements. Mon père n’a jamais
oublié ce geste. » Un voyage qui va marquer l’histoire du Vitória
et de Mourinho.
Un premier trophée remporté… en France
Avril 1988. La France pleure Pierre Desproges, assiste à la
percée du Front National au premier tour des présidentielles et
est le théâtre d’une victoire qui va initier la légende du Special
One. Car c’est en Région parisienne, à Guyancourt plus
exactement, que José Mourinho remporte le tout premier de ses
très nombreux trophées en tant qu’entraîneur. Un moment tout
aussi historique pour le Vitória de Setúbal puisque, comme
l’indique le magazine du club à l’époque, il s’agit là de la
« première grande victoire internationale du football juvénile »
du VFC. José Mário a 25 printemps et dirige les moins de 17
ans sadinos. Gamin, il avait visité le coin, en famille. Posés à
Brétigny-sur-Orge, les Mourinho avaient flâné à Versailles et à
Paris. Cette fois, JM est là pour taffer. Pour gagner.
Face à lui : Saint-Etienne, l’Atlético de Madrid, Metz, Bruges ou
le PSG. José et ses Juvenis débutent leur campagne face au
Paris FC (1-0), enchaînent par un nul face à l’ES Guyancourt
(un match marqué par un but refusé au Vitória et une avalanche
de grêle) et poursuivent avec un spectaculaire 4-2 face à
Karlsruhe. Face aux Allemands, le gardien portugais, Nuno
Santos, joue les héros et repousse deux pénos. Santos qui fera
une carrière pro avant de devenir entraîneur des gardiens du
LOSC et du Tottenham de Mourinho remet ça face à Bruges (4-
1). Il stoppe deux autres penalties et envoie son équipe en
demies. Et là, le Vitória explose les Canadiens de Montréal (3-
0). La finale sera elle aussi à sens unique. Face aux nombreux
emigrantes portugais présents, les Sadinos soulèvent le Matra
Racing (3-0) et la coupe. Les « mourinhos » – ainsi sont
surnommés les joueurs de José par le mag du club – qui ont
défié le froid et la pluie sont récompensés par une promenade
au château de Versailles et un dîner dans un bon restau de la
cité royale.
« C’était un grand tournoi pour les juniors, rappelle Gérard
Ancel, alors président de l’ES Guyancourt. On était sponsorisés
par Bouygues. Le Vitória est venu deux ou trois fois et c’était
toujours très sympa, ils étaient très sympas. » Du coup, Gérard,
il était tout aussi « sympa » José Mourinho à l’époque ? « José
Mourinho ?! Parce que c’était lui l’entraîneur de Setúbal ?! Vous
me l’apprenez ! » Trente ans plus tard, l’organisateur de ce
tournoi de jeunes qui a vu le Mou décrocher son premier
trophée apprend donc, via un coup de fil, qu’il a contribué au
« dépucelage » du Special One.
Il faut dire que l’anonyme Zé Mário n’en est qu’au début de son
chemin. Et il sera semé d’embûches. Parfois, au sens propre.
Le bus qui ramène la délégation setubaloise au pays tombe en
panne aux abords d’Andorre. Et voilà que Zé et ses jeunes se
retrouvent à pousser le vieux Scania dans les sommets
pyrénéens.
Lorsqu’il évoque ce tournoi en France, João Mota a encore les
yeux qui pétillent : « Ce fut fantastique. Zé Mourinho nous a mis
tellement à l’aise là-bas… La veille de la finale face au Matra
Racing, il nous a dit de faire ce qu’on voulait. On s’est regardés
en se disant qu’il se moquait de nous mais, non, il était sérieux.
Le fait est qu’on est arrivés le jour J hyper détendus et qu’on a
gagné. On travaillait beaucoup et on savait parfaitement ce
qu’on avait à faire. » Cette coupe glanée en 1988 en Île-de-
France trône aujourd’hui encore dans la salle des trophées du
Vitória de Setúbal. (Photos 16, 17 et 18. Voir pages centrales)
José responsabilise, une fois encore, ses joueurs, ces ados.
Hélio Rassul se souvient qu’en cas de manquement, « il ne
plaisantait pas. » La saison suivante (1988-1989), il prend part
avec le VFC à un autre tournoi en France, à l’issue duquel les
Sadinos doivent s’envoler pour une tournée en Martinique. Et
Hélio est à un rien de la louper : « Je ne me suis pas bien
comporté. Il a réuni le groupe et m’a dit : « Quand on sera
arrivés au Portugal, je vais réfléchir si tu repars ensuite avec
nous ou pas. » » Rassul n’ose pas trop avouer sa faute et finit
par lâcher, un peu gêné : « C’est tellement moche que je ne
veux pas le dire. On avait un système d’amendes pour les
sanctions. Moi, j’avais oublié mon équipement. Le garçon qui
gérait les amendes m’a donc dit que j’allais en prendre une. Je
l’ai presque agressé. Pourtant, quand on me connaît… Je m’en
suis voulu tout de suite après. J’ai payé, bien sûr, et Mourinho
m’a donc rappelé que je risquais de rater le voyage en
Martinique. Au final, il m’a dit : « C’était la première et la
dernière fois. Ceci ne se reproduira plus jamais. » » Rassul
retient la leçon.
Pour ceux qui n’écoutent pas, le couperet tombe. Toni,
prometteur joueur de ces jeunes Vitorianos, est mis de côté lors
du séjour à Guyancourt. En 2011, il confessera à la chaîne SIC :
« J’avais été convoqué pour un match à Alvalade, face au
Sporting. Mourinho m’avait entraîné toute la semaine en vue de
cette rencontre. J’étais attaquant, il m’avait mis trois défenseurs
sur le dos pour me compliquer l’entraînement, afin de rendre
mon match plus facile. Le Mister m’a dit que si je venais ne
serait-ce qu’avec une minute de retard au rassemblement, il ne
compterait pas sur moi. Je n’ai pas eu une minute de retard, je
n’y suis même pas allé. Je me suis endormi. » Mourinho sévit :
« Du coup, il ne m’a pas emmené lors de ce tournoi en France
où il a remporté son premier trophée. Plus tard, j’ai su qu’il avait
dit à mes coéquipiers qui revenaient de France, de ne pas me
parler, pour me sanctionner. » Si le Mou est dur c’est parce que
Toni est un récidiviste. « Je dis parfois en plaisantant que je dois
être le seul joueur au monde que José Mourinho allait sortir du
lit, dit-il en riant. On habitait à côté et il venait parfois me
réveiller. » L’année qui suit, Toni ne manque pas de mettre son
réveil et il est du séjour en Martinique.
En lune de miel en Martinique avec… son équipe
Cette tournée en Martinique est un peu tombée du ciel. Et elle
rime avec lune de miel. C’est quoi ce bordel ? Initialement, c’est
une sélection portugaise qui doit prendre part à ce tournoi aux
Caraïbes mais, au dernier moment, elle fait faux bond. Les
prestations des jeunes de Vitória de Sétúbal font écho et c’est
l’équipe de Mourinho qui est invitée à prendre la place de cette
Seleção. « On a voulu nous imposer de jouer avec l’équipement
de la sélection portugaise et Zé ne voulait pas au départ, rigole
Ganga. « Ou on joue avec le maillot du Vitória ou on s’en va »,
a-t-il lancé aux organisateurs. » Un compromis est finalement
trouvé avec José pour cette compétition composée de
sélections (Belgique, Suède et Martinique sont aussi
représentées). Et les Sadinos posent avec les couleurs de leur
pays. (Photo 19. Voir oages centrales)
Une autre personne s’est jointe à la délégation setubalense :
Matilde, « Tami », l’épouse de José Mário. Le couple qui s’est
marié au cours de cette année 1989 avait prévu de caler sa lune
de miel, au même moment que ce tournoi inattendu.
Changement de plan, donc.
On imagine la scène :
« José Mário – Chérie, j’ai un truc à te dire. Je crois que j’ai une
idée sympa pour notre lune de miel.
Matilde – Ah, dis-moi !
José Mário – La Martinique !
Matilde – Super, ça doit être magnifique !
José Mário – Bah écoute, on part dès la semaine prochaine. Ah,
au fait… Y’aura mon équipe du Vitória avec nous. Y’a un tournoi
sur place. »
Matilde prend réellement la chose avec sourire et philosophie
(elle a bien fait de l’étudier à l’université héhé). « Tami a toujours
été son bras droit, lance José Toureiro, ami de fac de José
Mário et proche du couple. C’est la femme de sa vie. Ils se sont
connus au lycée à Setúbal. Elle savait qu’il avait cette passion
sans limite pour le football. » Elle comprend et partage même la
passion de son homme qui n’en est qu’aux prémices de sa
destinée.
« C’était une femme fantastique, s’enthousiasme João Mota.
Au-delà du tournoi, on a visité la Martinique, Fort-de-France,
etc… C’était génial ! Elle nous encourageait. On avait une
relation très proche, très particulière avec Mourinho et son
épouse, c’était… authentique. Tout ce que j’ai pu vivre par la
suite n’avait rien à voir. Zé nous a avoué plus tard que ce qu’il
avait le plus aimé, c’était d’avoir entraîné les jeunes. »
Madame Mourinho intègre, à son tour, cette famille. « Jusque-là,
on la connaissait de vue mais on ne la voyait pas souvent,
commente José Cancela. En Martinique, Zé laissait toujours un
joueur off pour qu’il reste avec elle. » Les Sadinos veillent sur
Tami et la réciproque est tout aussi vraie. « Sur place, la
nourriture n’était pas fameuse et je l’ai vue de mes yeux se
priver pour qu’on puisse manger à notre faim, admire Cancela.
Elle se privait de manger pour qu’on puisse en avoir un peu plus
dans nos assiettes. C’est le genre de choses qui vous
marque… »
Júlio Lourenço, lui, connaît déjà bien les Mourinho : « J’avais
une certaine complicité avec eux. Tami, me donnait des cours
de soutien en philosophie. J’étais donc souvent chez eux. Je
m’entendais aussi bien avec son père. J’ai bien des histoires
mais… c’est privé, intime. » Et avec José, il est aussi difficile
pour les intrus de pénétrer sur son terrain de jeu que dans son
jardin secret.
« La privation n’est pas synonyme de succès »
Bien qu’il soit lui aussi en service ailleurs, Mourinho Félix n’est
jamais bien loin de Setúbal, de son Vitória et de son fiston.
« Il allait voir les entraînements de son fils, il parlait avec les
joueurs, se remémore Lourenço. Il nous donnait des conseils
sur le football, la vie. Il était très proche de son fils. Ils
s’entendaient à merveille. Rappelons que son père l’a emmené
partout avec lui. Une grande partie de la connaissance que
Mourinho a du football lui vient de son pai. »
Est-ce le cas de son management ? Difficile de comparer.
Mourinho Félix, ancien joueur de renom, n’a fait qu’effleurer le
boulot d’éducateur. José, lui, est en plein dedans. En cette fin
des années 80, il ne compte qu’une dizaine de piges de plus
que ses jeunes joueurs, mais pour se faire respecter, il ne se la
joue pas pour autant dictateur. « Il nous donnait beaucoup de
liberté mais attendait qu’on soit responsables en retour,
constate Júlio Lourenço. On a disputé plusieurs tournois à
l’étranger et, en dehors des matches, il nous laissait aller
découvrir d’autres pays, d’autres cultures. En ce temps-là, il n’y
avait pas autant de facilité pour accéder aux informations.
Il voulait qu’on puisse profiter, connaître le monde. »
« Avec lui, c’était différent, reprend João Cancela. La façon dont
il nous parlait, la liberté qu’il nous donnait. La plupart des
entraîneurs étaient rigides. Au-delà des entraînements, pour
moi, la grande différence avec lui était la responsabilisation des
joueurs. »
José Mário a beau vivre pour et par ça, il sait qu’il n’y a pas que
le foot dans la vie. En témoigne cet épisode lors du voyage en
Martinique, rapporté par Cancela : « On profitait de la piscine à
quelques heures d’un match. Les autres équipes n’avaient pas
cette latitude. Ils ne pouvaient rien faire et ils nous
provoquaient : « Vous êtes là, dans la piscine, vous allez
perdre ! » Du coup, ça le faisait rire et il nous disait : « Ils ne
peuvent rien faire et ils n’iront pas aussi loin que nous. »
A chaque fois qu’on a affronté ces équipes, on a gagné et on a
terminé dans les trois premiers. A l’issue du tournoi, Mourinho a
fait un discours devant les autres entraîneurs où il parlait
justement de cela : « La privation n’est pas synonyme de
succès. Il faut trouver un équilibre entre la responsabilisation et
la liberté. » Ça nous a fait grandir. » Et lui avec…
La rencontre avec Manuel Fernandes
Au cours de sa période triennale à Setúbal, José Mário
éduque autant qu’il apprend. En plus de son implication au sein
de ses Juvenis et de ses Juniores, il laisse vaguer sa curiosité.
Entre 1987 et 1990, l’équipe première du Vitória figure toujours
dans la meilleure moitié du classement de la première division52.
Une parenthèse de stabilité qui contraste avec la période dans
laquelle elle s’insère. Car si on dézoome, entre 1986 et 2004, le
VFC va surtout « faire l’ascenseur » entre l’élite et la D2.
Mourinho scrute et s’instruit. « Quand il est arrivé à Setúbal,
Malcolm Allison était l’entraîneur de l’équipe première et Roger
Spry était son préparateur physique, resitue José Cancela.
Avant de diriger nos entraînements, il les regardait et appliquait
ce qui lui semblait pertinent avec nous. » « Il était là en tant
qu’observateur, confirme Roger Spry. Et ce que j’en retiens c’est
qu’il était très intelligent et faisait preuve de beaucoup de
réflexion. »
L’Anglais avait déjà bossé avec son compatriote, Allison, au
Sporting. A Alvalade, ils ont remporté le championnat et la
Coupe du Portugal en 1982. « Big Mal » qui a fait remonter le
Vitória en I Divisão en 1986-1987 quitte son poste au cours de
la saison suivante. Spry reste, et c’est Manuel Fernandes qui
achève la saison en tant qu’entraîneur-joueur (il claquera 16
pions en championnat cette saison-là). A 37 ans, Fernandes,
redoutable goleador (il a planté plus de 200 pions en première
division portugaise, notamment avec le Sporting) initie sa
nouvelle vie, celle d’entraîneur. José, coach des juniors est dans
les parages. Mais il ne fait que mater.
« Il ne travaillait pas dans le staff de Manel, précise Conhé qui,
après avoir intégré le staff d’Allison, bascule dans celui de la
légende sportinguiste. Manel gérait l’équipe première et
Mourinho s’occupait des juniors. Il n’y avait pas trop de contact
entre eux. » Le lien existe pourtant bien. « A l’époque, la
formation travaillait à sa façon, elle était indépendante, concède
d’abord, Manuel Fernandes. Il y avait un championnat des
réserves le mercredi et, comme cette équipe était composée à
moitié de juniors, nous nous y voyions très souvent et on parlait
beaucoup. Zé dirigeait aussi une équipe réserve et on
échangeait notamment sur les joueurs que je lui mettais à
disposition. »
Manuel Fernandes, qui découvre le métier d’entraîneur à
Setúbal, fait comme José Mourinho : il observe. Qui ? Bah,
Mourinho. « J’assistais à ses entraînements et je voyais sa
façon de travailler et de dialoguer avec les gamins, confie-t-il.
Aujourd’hui, la philosophie d’entraînement a changé mais à
l’époque c’était une nouveauté. Sa façon de guider
l’entraînement et d’aborder les matches était différente. Tout ce
qu’il disait se vérifiait. » L’entraîneur de l’équipe principale
s’inspire ainsi de celui des catégories inférieures. « On s’est
beaucoup côtoyés au cours de ces années au Vitória où j’ai
débuté ma carrière d’entraîneur », souligne Manuel Fernandes.
Une rencontre qui sera lourde de conséquence.
Une nouvelle page est en train de s’écrire dans la vie de
Mourinho. Manuel Fernandes va bientôt rejoindre l’Estrela da
Amadora, et il va emmener José avec lui. « Je ne sais même
pas si Mourinho le sait mais c’est moi qui ai dit à Manuel
Fernandes de le prendre avec lui à l’Estrela, lâche Conhé. En
tant que coordinateur du football des jeunes, j’ai senti que
Mourinho avait de la qualité et je l’ai recommandé à Manuel qui
a accepté. » En 1990, après trois ans intenses, José est sur le
point de quitter le Vitória, son Vitória et ses gamins…
« Quand il est parti, j’en ai pleuré, avec mon père »
Le départ de José du Vitória provoque un véritable
déchirement chez ses joueurs. « On l’adorait. Quand il est parti,
j’en ai pleuré, avec mon père, confie João Mota. Il nous a
annoncé ça et on a fait un dîner d’adieu. » Et ce soir-là… « L’un
d’entre nous, Borba, était très porté sur les études, il était un
peu différent des autres, poursuit Mota. Il a, par exemple, raté
un tournoi parce qu’il devait étudier. Il est devenu ingénieur, par
la suite. Lors de ce dîner, il a écrit un texte dans lequel il
expliquait tout ce que Mourinho nous avait donné. Il a fait
pleurer tout le monde. »
Derrière cette tristesse germent quelques regrets. « On avait
une excellente équipe et on était attachés à lui, soupire Ganga.
On voulait, on espérait, être champions nationaux. On a terminé
au pied du podium mais s’il était resté, je pense qu’on aurait été
champions. »
Les habitudes, l’affect, la méthodologie… Quand le Mou s’en
va, il emmène tout ça avec lui. Et un peu plus encore. Du coup,
le vestiaire accuse le coup. « Mourinho est parti et on a senti la
différence par la suite, déplore João Mota. Son successeur n’y
pouvait rien parce qu’il venait remplacer celui qui, pour nous,
était déjà le meilleur du monde. » Celui qui était l’un des leaders
de Mourinho va bientôt faire banquette : « J’étais capitaine, je
l’ai ouvert et l’entraîneur m’a mis de côté. Un peu plus tard, José
Mourinho est venu nous voir. Je n’étais plus titulaire mais je
devais jouer à ce moment-là parce qu’un joueur était blessé.
Mourinho m’a dit, en riant : « Maintenant qu’il a besoin de toi, si
j’étais à ta place, je ne jouerais pas ! » Je ne l’ai pas fait. Mais il
était déjà comme ça. »
Mourinho s’envolera vers d’autres cieux mais il ne coupera
jamais avec son nid, ses racines. Ses allers-retours à Setúbal
seront une constante, un besoin. Depuis octobre 2017, une
avenue y porte son nom. Et le jour de son inauguration53, il
déclare : « Je viens à Setúbal parce que j’aime Setúbal, parce
que j’y ai ma mère, parce que je me sens plus proche de mon
père ; je viens à Setúbal parce que ma femme est setubalense,
parce que mes enfants n’y ont jamais vécu mais aiment Setúbal
autant ou plus que moi ; parce que je continue d’y avoir des
amis, des personnes qui m’appellent Zé et pas le Special One ou
ce genre de conneries. Une chose est le Zé Mário de Setúbal,
une autre est la personne que je suis dans le football. »
Quatre mois avant la naissance de cette Avenida José
Mourinho, Mourinho Félix a rejoint sa dernière demeure.
Setúbal s’est arrêté, un instant, pour lui rendre hommage.
Beaucoup d’anciens du Vitória étaient là. Dont les jeunes que
coachait José Mário. Et il n’a pas oublié ses petits. Ganga : « Je
l’ai revu 30 ans après, à l’enterrement de son père. Je n’ai pas
osé aller vers lui. Je suis passé à quelques de mètres de lui, il
s’est retourné et a dit au monsieur qui était à ses côtés : « Hey !
Ce gars-là a été mon joueur quand il avait 15 ans. Il avait du
ballon ! » Comment s’est-il souvenu après tant d’années que
j’avais été son joueur ? Ce n’était pas le moment de parler de
ça. Je lui ai juste présenté mes condoléances. »
Chaque année, les Juvenis et Juniores de Mourinho organisent
un dîner. L’occasion de refaire les matches, d’entretenir la
saudade. Et José y est allé. « Il est venu et il se souvenait de
tout le monde, de toutes nos caractéristiques, nos qualités, nos
défauts… », déclare Mota avec tendresse. « On n’aborde
jamais les questions liées à son actualité, sauf s’il veut les
raconter, révèle José Cancela. On se raconte surtout nos
histoires passées, on parle de nos familles. » Pour sûr, dans le
cœur de José Mário, ils en font aussi partie…

Félix peine à se poser


Pendant que José construit et se construit à Setúbal avec les
jeunes du Vitória, son père, Mourinho Félix, peine à se
stabiliser. Il coache cinq clubs entre 1987 et 1990. Après
Madère et son União, il s’unit avec une ex : Leiria. Dix ans
auparavant, il faisait monter l’UDL en première division pour la
première fois de son histoire. Une saison au terme de laquelle il
se faisait tristement larguer54. Mais une décennie s’est écoulée
et Manuel n’est pas un haineux. Quand le père Mourinho
revient, Leiria végète en D2 depuis cinq ans et reste sur une
triste douzième place en II Divisão Zona Centro.
« Cette saison-là, il avait mis en place une belle équipe,
expérimentée », explique Carlos Fragoso. Formé au Benfica,
passé par Famalicão, ce milieu de terrain alors âgé de 31 ans
fait partie des cadres du vestiaire leiriense. « Je devais être son
adjoint lors de la deuxième saison mais il a fini par quitter le
club, poursuit-il. On s’était mis d’accord pour que je prenne une
licence de joueur, et que, si besoin, je pouvais jouer. »
Mourinho Félix et l’União de Leiria se redécouvrent. Vítor
Roleiro, alias « Vitinha », est alors un tout jeune joueur, à peine
majeur. Il se souvient de Manel et de ses « cheveux
blancs », « une personne avec un certain âge, déjà. » Félix
approche la cinquantaine. « C’était quelqu’un de bien, on sentait
que c’était un leader, assure-t-il. Il nous appelait meninos55. »
Des « enfants » à qui il va vite imposer son leadership. « Après
un match à Viseu, on a compris à qui on avait affaire, se
souvient Vitinha. On avait deux très bons milieux droits et il
misait toujours sur l’un d’eux : Hernâni. Dans le bus, l’autre
milieu lui a dit : « Maintenant, c’est à moi de jouer, misez sur
moi. » L’entraînement suivant, Mourinho Félix nous a tous
appelés dans le vestiaire : « L’un de vos coéquipiers m’a dit
que, dimanche, c’était à son tour de jouer. Il va jouer mais s’il ne
répond pas aux attentes, il ne jouera plus. » Il a gagné le
respect de tous, ainsi. Et le joueur a fait son match. »
Une gestion que le groupe semble apprécier. « Mourinho Félix
était une personne faisant preuve d’une grande empathie,
affirme Rodrigues, l’un des gardiens de l’UDL. Dès le premier
jour, j’ai eu cette sensation. Nous partagions souvent la même
table et nous avons échangé quelques confessions qui resteront
entre nous. Il y avait une vraie amitié et un profond respect
entre nous. » Fragoso résume : « C’était une personne géniale
mais quand il a dû s’imposer, il l’a fait. Il parlait beaucoup avec
ses joueurs. Y compris de façon individuelle. »
Le groupe vit bien et l’équipe tourne bien. Après 24 journées,
Leiria est deuxième de sa zone. Il faut dire qu’avec Félix, ses
gars bossent. Certains, comme Marco Natário, tout jeune
leiriense, ne parviennent pas à tenir la cadence : « J’avais 18 ou
19 ans et… j’en garde un souvenir assez douloureux. Ce n’est
pas pour me vanter mais j’aurais pu aller loin. Mourinho Félix
me surnommait Inácio56. Il me comparait à lui. Mais la charge de
travail était telle que mon corps n’a pas résisté. A 18 ans, notre
corps est encore en phase de croissance et, cette saison-là, on
avait deux entraînements par jour. Je venais de monter de
l’équipe juniors et au bout de quelques mois, j’ai eu une
pubalgie. J’ai été stoppé net. » Ses souvenirs sont douloureux :
« On montait et descendait des tribunes en courant, on faisait
beaucoup d’étirements, c’était très intense. En présaison, on
alternait entre courir à la plage et dans les bois. On faisait
beaucoup d’entraînement sans ballon. A l’époque, c’était
comme ça. »
Pour d’autres, reste une toute autre image de ces séances de
travail. « Ses entraînements étaient tous les jours différents, très
diversifiés, riposte Fragoso. Il inventait des séries d’exercices.
C’était ludique. Je ne serais pas étonné de savoir qu’il a reçu
une aide, une actualisation de son fils. »
Le gardien Rodrigues a la réponse : « Je sais qu’il faisait des
schémas tactiques et des programmes d’entraînements pour
son père. » « A cette époque, les entraînements étaient à
l’ancienne mais son père était en avance sur son temps,
récapitule Vitinha. A chaque séance, il y avait une innovation.
On se disait que son fils y était pour quelque chose. Après
chaque activité, on faisait des étirements, ce qui n’était pas
courant à l’époque. C’était plutôt en toute fin de séance. »
Le stage en Ecosse de José et la montée ratée de
Manuel
Puisque que des joueurs de l’União de Leiria version Mourinho
Félix 1987-1988 se posent la question d’une éventuelle
intervention de son fiston, posons donc la question : José Mário
qui connaît bien la maison, qui se pointait chaque semaine à
Leiria il y a dix ans lors de l’historique saison de la montée, et
qui maintenant est en charge d’une équipe de jeunes à Setúbal,
fait-il de nouveau honneur de sa présence sur les bords du Lis ?
« Son fils n’est jamais passé à Leiria, cette saison-là, affirme le
milieu Carlos Fragoso. Je suis de Benfica [quartier de
Lisbonne]. On effectuait les trajets en voiture avec son père,
entre Leiria et le sud. Il me déposait à Vila Franca de Xira où ma
défunte épouse venait me chercher. On partait le dimanche,
après les matches, et on revenait le mardi. Lors de ces
voyages, on parlait de tout sauf de foot. Il aimait beaucoup
raconter des histoires de l’époque où il était joueur. Toujours de
façon très simple, très humble. Mais il ne parlait pas beaucoup
de son fils. » Marco Natário n’a « pas souvenir d’avoir vu le fils
du Mister là-bas » ; pareil pour Rodrigues qui « pense,
néanmoins, que Mourinho fils établissait des rapports pour son
père. » L’ancien portier de Peniche, qui sera victime d’une grave
blessure cette année-là, affirme : « Mourinho Félix ressentait
une profonde fierté pour son José Mário. A l’époque, ce dernier
effectuait un stage en Ecosse. » Le premier stage UEFA de Zé.
Octroyons-nous une légère digression, car ce séjour sera
important et marquant dans le parcours du Mou. A tel point (on
le verra) qu’il retournera au pays des Scots. Conhé qui
supervise José au Vitória se souvient : « Il est allé en Ecosse
effectuer une formation et il en est revenu plus enrichi, plus
documenté. Lors de sa deuxième année comme entraîneur des
juniors et avec sa formation en poche, il avait intégré un certain
nombre de méthodes différentes. C’est là que j’ai senti qu’il était
un garçon intelligent, actif, avec de la personnalité et du
caractère. C’était un leader. » Au Royaume-Uni, José Mário
retrouve Carlos Queiróz qui fut son prof à l’ISEF. « J’ai
commencé à travailler au département technique de la
FIFA comme FIFA instructor en 1988-1989, explique le
Professor. Je parcourais le monde pour donner des cours, des
formations. » Zé Mário fait partie de ces apprentis.
Un récit diffère, néanmoins, sur la non-présence de José à
Leiria au cours de cette saison 1987-1988. Vitinha affirme que
« très souvent, il rejoignait son père et assistait aux
entraînements et à des matches. Il ramassait les ballons, aidait
son père. » Toujours, selon lui, José Mário maintenait une
certaine distance : « Il ne s’immisçait pas trop. Il était un peu à
part, il observait. Son père aimait que chacun reste à sa place. »
Leiria va avoir du mal à garder la sienne. En fin d’exercice,
l’équipe s’essouffle. Elle perd la moitié de ses 14 derniers
matches. La claque prise à Caldas (0-5), à douze journées, de
la fin laisse des traces. Au loin, les premières places. Leiria
termine quatrième et foire la promotion. L’objectif n’est pas
atteint, le club traverse quelques remous en interne et Mourinho
Félix s’en va. Il s’agit là de la dernière saison pleine de sa
carrière d’entraîneur.
O Elvas, les étirements et les clopes
En 1988, Mourinho Félix repart en D2 et retrouve l’Alentejo, à
Elvas. C’est à quelques kilomètres de là, à Portalegre, qu’il avait
initié sa vie de coach pro. Sa nouvelle conquête se nomme O
Elvas Clube Alentejano de Desportos.
O Elvas vient d’être relégué après deux années en première
division plutôt compliquées. En 1986-1987, il avait terminé
dernier du Campeonato Nacional de I Divisão mais avait été
sauvé par un imbroglio administratif : le cas Mapuata. Cette
histoire reste, à ce jour, l’une des plus surréelles et absurdes du
foot portugais (et il y en a). Elle vaut le coup d’être racontée.
Mapuata est un joueur zaïrois du Belenenses. Au cours de
l’exercice 1986-1987, les Bleus du Restelo vont, avec Mapuata,
battre le Marítimo (1-0). Les Lions de Madère posent une
réclamation prétextant que l’inscription du joueur n’est pas
valide et ils remportent le match sur tapis vert. Deux points
(c’est alors ce que rapporte une victoire) qui leur permettent de
se maintenir au dépend du Salgueiros. Mais le club de Porto
proteste à son tour. La fédération lui donne raison. Le Farense
et O Elvas qui suivent au classement font de même. Et la fédé
décide quoi ? De garder tout le monde ! OK mais… et les
promus ? Mais qu’ils viennent ! Plus on est de fous… La I
Divisão bascule de 16 à 20 clubs… le temps d’une saison. Car
bientôt, il va falloir réguler tout ça, revenir à un format plus
raisonnable et donc, délester. En 1987-1988, six clubs sont ainsi
relégués vers la D2. O Elvas qui est quinzième est dans
carriole, à la différence de buts…
Lorsque José Manuel arrive, le but est d’effacer cette frustration.
« L’équipe venait de descendre et l’objectif était clairement de
remonter, retrace Osvaldo Jorge. Beaucoup de joueurs de notre
équipe connaissaient déjà bien la I Divisão. » Le milieu de
terrain de 30 ans atterrit dans l’Alentejo avec Mourinho Félix :
« Je l’avais connu à Madère. Il entraînait l’União et je jouais au
Marítimo. » Osvaldo ne regrette pas son choix : « Il était
exceptionnel. Il se préoccupait presque plus des joueurs qui ne
jouaient pas que de ceux qui jouaient. En début de saison, je
n’étais pas titulaire. Il me parlait énormément. Et puis un jour, il
m’a dit : « Tu rentres en jeu. » Quand l’équipe perdait, il prenait
les joueurs dans ses bras. Je n’ai jamais vu un entraîneur
comme lui. Vous ne trouverez personne qui ne s’entendait pas
avec lui. » Encore une âme éprise de Félix… « J’ai l’habitude de
dire que Mourinho Félix n’est pas le père de José Mourinho, se
marre Osvaldo. Mais dans le football et sans manquer de
respect à l’homme et au technicien qu’était son père, il faut des
José Mourinho pas des Mourinho Félix… » Al Capone a dit :
« On peut obtenir beaucoup plus avec un mot gentil et
un revolver, qu’avec un mot gentil tout seul. » A force de voir
son père se faire canarder, José va apprendre à dégainer.
« Quand je vois son fils à la télé, il n’a rien à voir avec son père,
renchérit João Conceição. Ce n’est que mon humble avis mais
je pense que Mourinho Félix était trop bon pour être entraîneur.
Pour percer dans ce milieu, pouvoir éviter de se faire avoir par
un vestiaire, il faut être très exigeant. »
Conceição est alors un jeune défenseur. Et le daron Mourinho
lui en met plein la vue : « Ce qui m’a le plus marqué c’est son
élasticité. Il avait 50 ans mais il était capable de se plier en
deux. Il mettait sa tête au niveau de ses genoux ! Lorsqu’on
s’étirait, il ne nous disait pas comment faire, il nous montrait :
« Regardez, faites comme moi ! » Même moi qui avais, quoi, 19
ans, j’étais incapable de suivre ! » Félix a pourtant un vice.
« Il fumait tout le temps, des SG Gigante ! s’exclame
Conceição. Quel fumeur ! » Le milieu Juanito Cruz qui va dédier
treize ans de carrière au Elvas évoque « un être humain
fantastique, un exemple en tant que personne. » Il parle, quant
à lui, d’un homme « très frontal, humble, avec beaucoup de
caractère. » La perception, le ressenti de chacun…
Et José ? On le perçoit, on le ressent à Elvas ? « Que je me
souvienne, je ne l’ai vu qu’une seule fois », rétorque Juanito.
Ses autres coéquipiers n’ont aucun souvenir de lui sur place.
Luís Manuel Calçador, jeune milieu elvense, s’interroge
toutefois : « Je ne sais pas s’il aidait son père mais une chose
est claire : Mourinho Félix avait des méthodes, notamment à
l’entraînement, qui étaient très en avance sur son temps. C’était
motivant pour les joueurs. Très différent de ce qu’on pouvait
vivre en ce temps-là. »
« Il continuait d’aider son père et établissait des rapports sur les
adversaires des clubs que ce dernier affrontait. Il connaissait
tout de l’équipe et du club (son histoire, son parcours…) qu’on
allait défier. » La précision est signée… Francisco Trindade. Eh
oui, encore lui ! Le gardien de but qui avait bossé avec
Mourinho Félix à Leiria, au Rio Ave et à l’União da Madeira le
rejoint, encore une fois, une dernière, au Elvas. Aucun autre
joueur n’a partagé autant d’aventures avec Senhor Manel. Mais
celle-ci lui laisse un goût particulièrement amer : « Il est parti
après une défaite contre Olivais e Moscavide. On menait 1-0 et
on encaisse deux buts dans les toutes dernières minutes. On
perd 2-1 sur un pénalty que j’ai concédé. Il était très triste et moi
aussi, parce que je l’aimais beaucoup. Il a été renvoyé et c’est
Dona Júlia, son épouse, qui est allée parler avec les
dirigeants. »
Un licenciement qui intervient après seulement 11 journées,
alors que l’équipe est deuxième de II Divisão Zona Sul, à un
point du leader, Estoril Praia ! Ce départ étonne, donc.
A commencer par les joueurs. « Il y a eu cette défaite à Olivais e
Moscavide à la suite de laquelle il a été remercié mais je ne
peux pas dire que c’était à cause des mauvais résultats, étant
donné notre place au classement, s’étonne Juanito Cruz. A mon
sens, il n’y avait rien qui justifiait cette décision. Les joueurs ont
été surpris. Nous étions tristes pour lui. J’étais jeune, je ne
jouais pas beaucoup mais il m’a toujours chéri. »
« Il est venu nous dire au revoir dans le vestiaire, tête baissée.
Je me souviens encore de sa touffe de cheveux blancs, tous
blancs… », dépeint Conceição. Son remplaçant est un autre
setubalense : Carlos Cardoso. Et Mourinho Félix va le soutenir.
Comme à chaque fois, il part avec classe, sans rancune. « A ma
connaissance, il n’y avait pas de tension, au contraire, lance
Osvaldo Jorge. Je me souviens d’avoir le pied cassé, d’être en
tribunes et d’assister au match de mes coéquipiers aux côtés de
Mourinho Félix. Il était venu voir la rencontre. Pourtant, c’était à
deux heures de route de Setúbal. » Félix n’aura toutefois pas
l’occasion de revenir souvent. Pendant qu’O Elvas termine
troisième de son groupe et rate donc la remontée, le père
Mourinho a déjà retrouvé du boulot.
Paredes, les feuilles A5 de José
A peine quelques jours après avoir quitté Elvas, Mourinho
Félix accepte le challenge de l’União Sport Clube Paredes.
Situé dans l’aire métropolitaine de Porto, Paredes est un club
qui, au cours de ces années 1980, ambitionne de pérenniser en
D2. Au bout de 13 journées en II Divisão Zona Norte 1988-
1989, l’USCP n’est que quinzième et donc relégable. Cassiano
Gouveia est prié de s’en aller et c’est Félix qui prend le relai.
Il commence plutôt bien : cinq matches sans défaite. La
première surgit à Freamunde. Et elle fait mal : 4-0. L’équipe
peine à s’en remettre. « On avait bien débuté avec lui et quand
les résultats ont commencé à être moins bons, certaines
personnes ont cherché à instaurer un climat confus, regrette Rui
Quinta. Lui, s’en éloignait. Il n’était pas du genre à se mêler à
ça. » Le milieu de terrain qui, plus tard, deviendra coordinateur
de la formation de Penafiel, adjoint au FC Porto ou entraîneur
de Paredes, « garde un très bon souvenir de Mourinho Félix ».
« A cette époque-là, les entraîneurs avaient l’habitude d’être des
dictateurs, plaisante-t-il. Lui, non, Il était très posé, respectueux.
Je garde un profond respect pour lui. »
Pendant ce temps-là, José Mário continue de bosser à Setúbal.
Ses activités et la distance rendent sa venue difficile. De toute
façon, son père n’a pas changé ses habitudes. Il se tape les
allers-retours en bagnole après les matches. Le fiston apporte
toutefois sa contribution. « Je n’ai jamais vu son fils mais je sais
qu’il faisait parvenir des documents à son père, confie Rui
Quinta. Mourinho Félix venait aux entraînements avec des
feuilles A5, sur lesquelles étaient inscrites plein d’annotations.
A cette époque, je faisais mes études en éducation physique et
sportive et je m’intéressais à ça. Un jour, je lui ai demandé ce
que c’était et il m’a dit : « Ce sont des indications envoyées par
mon fils qui étudie dans le domaine. » C’était des compléments
pour les entraînements. »
Mais tout ça ne suffira pas. « Mourinho Félix est arrivé en cours
de saison et il est parti avant la fin », se souvient Luís Caeiro.
Le gardien de but passé par le Sporting accuse le coup. Lui qui
est déjà mal en point : « Il est arrivé au moment où je me suis
blessé. J’en garde pourtant un excellent souvenir. » Bien
meilleur que le « climat confus » auquel Quinta faisait allusion.
« Des critiques ont commencé à surgir de la part de certains au
sein de la direction et il est parti. Le foot…, déplore Caeiro. J’ai
mal vécu son départ. Au-delà du très bon entraîneur qu’il était,
c’était un homme extraordinaire. Un homme bon et peut-être
même trop. Pour être un très grand entraîneur, il faut être un
peu José Mourinho, parfois… » Tiens, encore ce refrain…
Covilhã, la neige, des gants troués et un vestiaire en
pleurs
Lorsque la saison 1989-1990 s’engage, José entame sa
dernière année au Vitória de Setúbal avec ses juniors et son
papa n’a pas de taf. Mais dès novembre, Félix reçoit un appel
de Covilhã. Coincé dans le ventre mou de la zone centre de II
Divisão, le Sporting local vient de virer António Fidalgo. Voilà
deux ans que les Leões da Serra ont quitté l’élite. Alors quand
Manuel rapplique, l’ambiance est plutôt froide. A tous niveaux.
Covilhã est nichée au sein de la Serra da Estrela, chaîne
montagneuse où culmine le point le plus haut du Portugal
continental. Nuno Neto, 18 ans, est l’un des gardiens des
« Lions des montagnes ». Et il plante le décor : « On était en
plein hiver et le terrain n’était pas praticable. On ne pouvait pas
s’entraîner dessus et aucun gymnase n’était disponible.
Mourinho Félix a donc décidé de nous emmener à la Torre57, à
la Serra da Estrela. Il a demandé à ce qu’on prenne des ballons
et des plots oranges. Mais une fois là-haut, personne ne s’est
entraîné. La plupart des joueurs n’avaient jamais vu de neige. »
Devenu directeur d’une agence immobilière, coordinateur des
gardiens de la formation et entraîneur des gardiens de l’équipe
senior de l’Alcochetense, Neto décrit « un gentleman, très poli
et toujours élégant » : « Il portait un blazer, avait toujours un
foulard autour du cou et une pochette assortie. Il faisait très
attention à son apparence. Jamais, je ne l’ai entendu insulter un
arbitre. Il était toujours classe, même lors des moments
difficiles. » Et il va en connaître… Les résultats sont instables.
L’équipe ne s’effondre pas mais elle peine à décoller.
Manel va alors s’en remettre, une nouvelle fois, à la superstition.
« Il m’avait presque obligé à jouer avec des gants quasi troués,
sourit Nuno Neto. A cette époque, il n’était pas simple de se
procurer du matériel. J’avais effectué un match avec de vieux
gants et j’avais sorti une grosse prestation. Mourinho Félix
voulait que je continue de jouer avec parce qu’on avait
gagné ! »
Mister Félix a un autre truc pour réussir : le travail. Et à la fin de
ces eighties, il dénote. « Le ballon était présent dans le travail
physique et foncier et c’était une vraie nouveauté à l’époque,
lance Neto. Au début, les joueurs étaient surpris, ils trouvaient
ça bizarre. On était habitués à monter et descendre des tribunes
mais, avec lui, on ne faisait pas ça. Je suis convaincu que cette
originalité lui venait de son fils qui venait de conclure son cursus
universitaire. Il n’est jamais venu à Covilhã mais lors d’un de
nos voyages, Mourinho Félix, m’avait confié que c’était lui qui
préparait le travail physique. Son père venait avec des croquis
déjà prêts. »
Le Mister est pourtant peu loquace sur le sujet. « Il parlait peu
de son fils, livre le gardien. Une fois, il m’a parlé de Zé Mário.
Il m’a dit qu’il n’était pas un footballeur très doué mais qu’il avait
emprunté une autre voie dans le football, à travers les études.
Il m’encourageait à ne pas lâcher les études. Il utilisait son fils
en exemple et, à ce moment-là, José Mourinho était juste son
fils. »
Neto et le père Mourinho partagent quelques longs moments
ensemble. Le jeune portier est originaire du Barreiro, à une
trentaine de kilomètres de la cité des Mourinho. « Je prenais le
train jusqu’à Setúbal et Mourinho Félix nous conduisait à
Covilhã. » Les 300 bornes qui suivent ont un parfum
d’excursion. « A l’époque, les routes étaient mauvaises, décrit
Nuno Neto. Ce n’était que de la nationale, il n’y avait pas
d’autoroute. On partait avec nos sandwichs et on les mangeait à
mi-chemin. Au bout de quelques semaines, il m’a dit de ne plus
préparer mes casse-croûtes, c’est son épouse qui me les faisait.
Il me voyait un peu comme un fils. J’étais à peine majeur…
D’ailleurs, il m’appelait menino58. Même quand j’ai eu 40 ans et
que j’allais lui rendre visite à Setúbal, il continuait de m’appeler
comme ça. » En empruntant le réseau routier actuel, un tel trajet
exigerait trois bonnes heures. Imagine donc en 1989, en plein
froid… Ça laisse du temps pour briser la glace. Neto : « On
parlait de tout mais peu de football. Il m’avait raconté que la
famille de son épouse avait perdu des usines de conserves
après le 25 avril59. Mais il n’entrait pas dans les détails. Je
pense qu’il essayait de me donner quelques leçons de vie. »
Faut dire qu’à plus de 50 ans, Mourinho Félix en a vécu des
vies, il en a étudié, mangé des leçons. Et ce n’est pas fini. En
janvier, il s’en va. « Ses résultats n’étaient pas si mauvais mais
le club était dans une situation très compliquée, se souvient
Neto. A la fin de la saison, il y avait six mois de retard sur les
salaires, pas de stabilité. Ce n’était pas facile de gérer des
joueurs, expérimentés pour beaucoup, à Covilhã cette saison-là.
Il était lassé, il saturait face à cette situation et il est parti.
L’annonce de son départ a été un choc pour tout le monde.
C’est la seule fois de ma carrière où j’ai vu tout un vestiaire en
pleurs après l’annonce du départ de l’entraîneur. Et il n’est resté
que trois mois ! »
Félix ne part pas seul. Joaquim Mendes quitte Covilhã au même
moment. Il est l’un des autres gardiens du SCC. Formé au
Benfica, passé par l’Académica, Espinho, Portimonense et
Varzim, il approche de la trentaine. « Il avait été gardien et
j’avoue que j’avais une certaine admiration pour lui, confesse-t-
il. Mourinho Félix était une personne très calme, super bien
élevée. Il détestait le conflit. Il était très humble. Et parce qu’il
était trop bon, certains dirigeants en profitaient. De nos jours, le
professionnalisme pèse plus mais avant… Je suis convaincu
qu’il n’a pas fait une meilleure carrière à cause de son trop bon
caractère. » Encore un…
Un affectif qui ne partira pas sans dire au revoir à ses hommes.
« On a organisé un dîner dans un petit restaurant de Covilhã
dans lequel les joueurs avaient pour habitude de déjeuner,
conte Neto. Toute l’équipe était présente. Il était très ému. Il a
remercié tout le monde. Il n’a lâché que deux ou trois phrases
mais il n’avait pas besoin d’en dire plus. » Les dirigeants
covilhanenses rappellent Vieira Nunes mais l’équipe reste là où
Mourinho Félix l’avait laissée : dans le ventre mou. Le SC
Covilhã n’atteint pas les places lui permettant d’intégrer la Liga
de Honra, la nouvelle formule de la deuxième division (celle-ci
ne compte plus qu’un groupe unique de 20 clubs). En gros,
cette saison-là, les clubs de II Divisão luttent tous pour le
maintien. Et tu sais quoi ? Mourinho Félix va y parvenir… Chez
un voisin du SC Covilhã.
Benfica de Castelo Branco, un dernier (sale) coup
Deux mois après avoir laissé le Sporting da Covilhã, Mourinho
Félix est officialisé au Benfica de Castelo Branco. Il troque un
Sporting pour un Benfica mais reste dans la même région et la
même division. Le voilà reparti au sein de la II Divisão 1989-
1990 Zona Centro. Les Águias Beirãs montent de la III Divisão
et l’objectif est simple : terminer dans les huit premiers et
intégrer la future « super D2 » à un groupe, la Liga de Honra.
Lorsque Félix commence à bosser à Castelo Branco, les Aigles
ont déjà déplumé deux entraîneurs. L’équipe est onzième. Les
bons résultats à domicile contrastent avec les piquantes
défaites subies en déplacement. « Il est apparu alors que notre
situation était compliquée, commence Joaquim Peres. Il nous
disait : « Ce n’est pas parce qu’on est proches de la huitième
place qu’il ne faut pas aller chercher la cinquième ou la sixième.
Les règlements n’arrêtent pas de changer et la fédération est
capable de modifier les choses en cours de route… » Il savait
nous motiver. »
Joaquim Peres a alors la trentaine. Il avait évolué au Benfica de
Castelo Branco à la fin des années 1970 et il est de retour après
des aventures au Boavista, Salgueiros, Académico de Viseu,
Mangualde et Oriental. « Mourinho Félix était très intelligent.
C’est pour ça aussi qu’il a le fils qu’il a… », lâche-t-il un sourire
au coin des lèvres. José, justement… Il entre dans ses derniers
mois avec les Sadinos. Ses venues dans la cité albicastrense
sont plutôt discrètes. Beaucoup d’anciens joueurs du club n’ont
« aucun souvenir de le voir là-bas. » « Il lui est arrivé de passer,
assure Peres. Il observait, parlait un peu avec son père mais il
n’avait pas d’implication directe auprès de nous, même si on
sentait dans la façon que son père avait de travailler qu’il devait
y être pour quelque chose. » Là encore, dans la patte de Félix, il
y a la touche du fils. Peres poursuit : « Mourinho Félix entraînait
depuis pas mal de temps, il avait dépassé la cinquantaine mais
il employait des méthodes qui seront celles de son fils. Au
niveau des entraînements, du jeu, de la tactique… Par exemple,
il nous demandait de jouer en pression haute, notamment à
domicile. Il voulait qu’on aille sur le porteur du ballon le plus
haut possible sur le terrain, pour pouvoir le récupérer le plus
proche possible du but de l’adversaire et être ainsi en mesure
de marquer ou, inversement, d’être loin de notre propre but en
phase défensive. » Les Mourinho, père et fils, sont des
visionnaires. « Lorsqu’il était joueur, Platini disait qu’il était un
joueur des années 2000. Bah, Mourinho, c’était un peu ça, un
entraîneur des années 2000, lance Peres. Il ne nous parlait pas
beaucoup de son fils, de son éventuelle implication mais il était
très actualisé. »
Mais la patte de Félix, c’est aussi la patte de lapin. Son côté
superstitieux, encore. Joaquim Peres en sourit : « Mourinho
Félix était un personnage. Je m’en souviendrai toujours. Il se
mettait à l’extrémité du banc des remplaçants avec un genou au
sol. On aurait dit qu’il priait. Il avait un crucifix dans sa main
gauche. Mais pas un petit, hein, un beau crucifix ! Quand
l’équipe adverse s’approchait de notre but, il passait le crucifix
dans sa main droite. Quand on attaquait, il le remettait dans sa
main gauche. C’était un autre spectacle à côté de celui du
match. » La croyance du Mister est telle que Peres doute
encore face à certains mystères : « Le fait est qu’on a gagné
plusieurs matches, sans savoir comment. Avec des ballons sur
nos poteaux, nos barres… Rien n’entrait ! »
L’attaquant Dito, qui avait déjà œuvré sous les ordres de Mister
Mourinho Félix à Madère, peut en attester : « Il était toujours
avec son crucifix dans la main et la cigarette dans la bouche.
Il enchaînait les cigarettes. Et toujours la même posture : un
genou à terre. » Le gardien de but, Caio, précise encore :
« Il portait toujours un pull-over jaune. » Par fétichisme. Toutes
ces précautions ne lui permettront pas d’éviter les obstacles qui
se présentent à lui. Caio, dans gazon maudit : « On a eu un
problème avec notre pelouse et il a fallu creuser un trou au
niveau du rond central. Un jour, alors qu’on s’entraînait, le coach
a disparu. Il était tombé le dos en arrière dans le trou ! Il s’est
mis à crier : « Enlevez-moi de là ! » »
Manel va, quant à lui, empêcher son équipe de creuser sa
tombe. Il termine dans les sept premiers de la zone centre. Le
Benfica de Castelo Branco intégrera donc la Liga de Honra en
1990-1991. « Et pourtant, à la fin de la saison, les dirigeants ne
l’ont pas maintenu, se lamente l’offensif Rui Craveiro. Ça a été
un choc pour les joueurs et pour lui aussi. Je me souviens qu’il
était venu nous dire au revoir. Il était tellement marqué,
tellement triste. Il en a pleuré… » A son tour, l’ancien joueur de
l’Atlético Clube de Portugal envoie : « Dans le monde du foot, il
faut être comme l’est son fils, sinon on se fait dégager à coups
de pied au cul. » Les mots de Craveiro prennent tout leur sens
lorsque l’expérimenté Joaquim Peres expose les circonstances
du congédiement de Mourinho Félix : « C’était un moment
historique pour le club qui n’a pas été correct avec lui. Ils l’ont
renvoyé. » Pourquoi ? « Lorsqu’il est arrivé, il a négocié une
prime en cas de qualification pour la nouvelle deuxième division,
explique-t-il. Pour ne pas avoir à la payer, certaines personnes
au sein de la direction ont décidé de le virer. Mais le pire n’est
pas là. Le club a demandé à deux ou trois joueurs d’être leurs
témoins contre l’entraîneur. Mourinho Félix avait porté l’affaire
devant les tribunaux exigeant son dû. Ces joueurs qui n’étaient
pas des titulaires indiscutables ont plus que doublé leur salaire
la saison suivante… Il était très humble et ils ont voulu en
profiter. »
Car en coulisse, ça bruisse. Manel qui pensait poursuivre à
Castelo Branco, semble être la victime d’un accord passé en
loucedé entre son employeur et le Vitória de Guimarães.
L’ambitieux club du nord du Portugal a conclu un deal avec les
Albicastrenses. Ces derniers sont alimentés en joueurs (en prêt)
de la part de la formation du Minho et acceptent de nommer un
entraîneur estampillé… Guimarães. Bernardino Pedroto va ainsi
succéder à Mourinho Félix.
A 52 ans, José Manuel Mourinho Félix met un stop à sa
carrière. Il ne bossera plus qu’au sein de son Vitória FC.
Contrairement à ce que stipulent certains articles et sites
internet, il n’a jamais entraîné l’União de Santarém, au cours de
la saison 1991-1992. Les joueurs qui y ont pris part le
confirment et, contacté, le club lui-même l’affirme. Mourinho
Félix qui a sillonné le pays, va tenter de rattraper le temps
perdu, de profiter de son épouse, de sa famille. Et au moment
où il s’éloigne de l’univers (impitoyable) du foot professionnel,
son fils y pénètre.

Estrela da Amadora, à la découverte du


monde pro
En tant que joueur, José Mário a eu un avant-goût du
professionnalisme. Gamin, déjà, lorsqu’il accompagnait son
père, il s’était imprégné de cet univers. En 1990-1991, Mourinho
initie sa carrière dans le monde pro en tant que technicien.
Après trois ans au Vitória de Setúbal où il a coaché les Juvenis
et les Juniores, il intègre le staff de Manuel Fernandes à
l’Estrela da Amadora, en D1. Souviens-toi de ce qu’a déclaré
Conhé : « Je ne sais même pas si Mourinho le sait mais c’est
moi qui ai dit à Manel de le prendre avec lui à l’Estrela. En tant
que coordinateur du football des jeunes, j’ai senti que Mourinho
avait de la qualité et je l’ai recommandé à Manuel Fernandes
qui a accepté. » Ce dernier n’a plus en mémoire « ces détails »
mais rappelle : « J’ai connu José Mário avec les juniors et les
réserves du Vitória et c’est de là que je l’emmène à Amadora. »
Conhé reprend et précise les contours de ce « transfert » :
« Les deux ans au cours desquels Manuel Fernandes était
l’entraîneur de l’équipe principale du Vitória j’étais aussi son
adjoint. Quand l’Estrela da Amadora l’a embauché il m’a
proposé de le suivre. Je lui ai dit : « Manel, on n’a pas beaucoup
de connaissances dans le domaine physique, je connais José
Mourinho, il a de la valeur, on le prend avec nous, et on aura un
élément de qualité pour la préparation physique. » Manel a dit
OK. Mourinho est donc parti avec Manuel Fernandes à l’Estrela.
Entre-temps, on m’a proposé d’être l’entraîneur du Montijo et je
n’y suis pas allé avec eux. »
Manuel Fernandes : « Mon adjoint, mon bras droit »
Mister Fernandes se pointe ainsi au stade José Gomes
accompagné de José. Et José monte en grade. « Il s’occupait
de la préparation physique et il était mon adjoint, mon bras droit,
indique Fernandes. Je suis très fier d’avoir été celui qui l’a
amené au football professionnel et au haut niveau. A cette
époque-là, il n’était pas connu et je suis très heureux de voir
qu’il est devenu le meilleur entraîneur du monde. » Mourinho
que les joueurs de l’Estrela appellent « Prof » doit se faire un
nom. « Certains l’avaient peut-être déjà croisé auparavant mais
il était un inconnu dans le monde du foot », resitue Rui Neves
qui n’est encore qu’un jeune et prometteur défenseur.
A bientôt 30 ans, Álvaro Magalhães, lui, arrive du Benfica avec
un impressionnant palmarès : quatre championnats nationaux,
autant de Taças, deux supercoupes… « Zé était adjoint,
préparateur physique mais surtout l’homme de confiance de
Manuel Fernandes, martèle le latéral. Il avait un rôle très
important dans les aspects tactiques et techniques. Il était très à
l’écoute, prenait le temps d’expliquer. C’était un adjoint actif,
avec des connaissances. »
« Manuel Fernandes lui donnait une certaine liberté durant les
entraînements. Mourinho était très respectueux mais on sentait
déjà, dans sa façon de faire, de parler, qu’il avait quelque-
chose », constate « Ricky ». De son vrai nom Richard Daddy
Owubokiri, l’international nigérian qui avait régalé Metz et Laval
et qui sera le meilleur buteur de l’Estrela cette année-là (16
buts), déroule : « Il n’était pas un simple préparateur physique.
Il était un motivateur. Il aidait à mettre en place des
entraînements modernes. Il y a plus de vingt ans, il parlait déjà
de positionnement spécifique. » « C’était moderne et agréable
pour les joueurs, enquille Rui Neves. Souvent, cette partie
physique était contrariante mais Mourinho avait des méthodes
intégrées et intégrantes. »
José Mário s’intègre lui-même aux entraînements. Parfois, il y
taquine le ballon. « Quand Manuel Fernandes mettait en place
des oppositions, il lui arrivait d’y prendre part, relate Francisco
Agatão. Ne serait-ce qu’à cause de son âge (José est plus
jeune que moi), il était très participatif. » Le milieu de terrain de
bientôt 30 ans, qui vient de quitter Boavista pour Amadora, se
souvient encore : « Il n’aimait pas perdre. Il ne cherchait à
blesser personne, bien sûr, mais il détestait la défaite. » Avec
les Tricolores, il va en subir quelques-unes…
« Il était presque l’un d’entre nous »
Le Clube de Futebol Estrela da Amadora qui, en 1988-1989 a
intégré la première division pour la première fois, a vécu, un an
plus tard, l’un des épisodes les plus marquants de son histoire :
il a remporté, avec João Alves aux manettes, la Coupe du
Portugal. L’ancien milieu aux gants noirs du Benfica et du Paris
SG a aussi assuré le maintien en championnat sans trop
souffrir. Et il est parti coacher le Boavista. Du coup, quand
Fernandes et Mourinho débarquent, c’est un peu un lendemain
de fête. Et leur saison va tirer une sacrée gueule de bois.
Le démarrage est toutefois prometteur. L’Estrela da Amadora
s’impose face au FC Porto (champion en titre du Portugal) lors
du match aller de la Supercoupe nationale (2-1). La seconde
manche aux Antas sera une autre paire de manches (0-3) mais
la I Divisão 1990-1991 s’initie par un nul (1-1 à Famalicão) et
deux victoires (2-0 contre Braga et 3-1 à Chaves). S’en suit une
participation à la Taça de Honra de l’AF Lisboa, un tournoi
organisé par l’association lisboète de football. Deux défaites
face au Benfica et au Belenenses qui vont casser la dynamique.
A peine lancée, la saison semble déjà surchargée. Et voilà que
la Coupe des coupes se présente. L’Estrela sort le Neuchâtel
Xamax au premier tour (aux tirs aux buts). En championnat, les
défaites s’accumulent. Après 9 journées, l’équipe affiche un
rythme de relégable.
Pas de quoi flinguer l’ambiance. C’est là que José « le
motivateur » entre en jeu. « Il communiquait beaucoup et aimait
créer une bonne atmosphère dans le vestiaire, rapporte Álvaro
Magalhães. Il était très apprécié par les joueurs. En tant
qu’adjoint, il avait une réelle proximité avec le groupe. »
Rappelons qu’au coup d’envoi de cette saison, Mourinho n’a
que 27 ans. « Il avait d’excellents rapports avec nous ne serait-
ce qu’à cause de son âge, énonce Rui Neves. Il avait une
grande facilité à créer de l’empathie, des amitiés. Il avait un bon
relationnel et était presque l’un d’entre nous. »
Cette proximité entre son adjoint et ses joueurs, coach Manuel
Fernandes la cautionne. « Un adjoint n’a pas les mêmes
rapports qu’un entraîneur principal avec les joueurs, lance-t-il.
Un adjoint discute, plaisante plus qu’un entraîneur. Je lui
demandais de se renseigner, de savoir si des joueurs avaient
des problèmes personnels. Il était très bon dans le relationnel. »
José Mário endosse ainsi et aussi le statut de messager.
Il transmet les consignes du Mister et y ajoute sa touche perso,
son ressenti, ses conseils. Rui Neves : « Les jours de match,
Manuel Fernandes était encore dans le vestiaire et lui nous
accompagnait jusqu’à la sortie du tunnel pour nous motiver,
nous donner des indications. » Sur le banc, il était tout aussi
remuant. « Il bougeait et parlait beaucoup », sourit Manuel
Fernandes.
José, le conseiller
Mourinho n’a pas de complexe. Il a beau n’avoir que 27 piges,
débuter dans le monde pro, n’être « qu »’un adjoint, il n’hésite
pas à donner de la voix. Y compris auprès des plus
expérimentés. Le trentenaire et international portugais, Álvaro
Magalhães, témoigne : « Malgré son jeune âge, il faisait en
sorte que je sois encore meilleur. Il me donnait des conseils sur
ma condition physique, ma technique… Il avait des idées
nouvelles et novatrices. J’aimais travailler avec lui, parce qu’il
était très généreux et discipliné. Il faisait en sorte que, chaque
jour, on progresse un peu plus. Il mettait en place des exercices
spécifiques, même individuels, parfois. » José aime aussi
discuter, échanger. « On parlait beaucoup, de mon passage au
Benfica avec Eriksson notamment, ou de la Seleção, révèle
Álvaro. Ça a certainement été une étape dans sa croissance. »
Tous ne réagissent pas avec autant de sagesse que Magalhães.
« Parfois, un joueur ou un autre lui disait : « Calme, ce n’est pas
aussi simple, ce n’est pas vraiment comme ça. », confie ce
dernier. Mais il ne se démontait pas. Il ne faut pas oublier qu’il
savait jouer. Il avait suivi son père et savait ce qu’était être
joueur et ce qu’était la vie d’un vestiaire. Il n’est pas comme
certains professeurs, qu’on voit aujourd’hui et qui n’ont que la
théorie. Il savait sentir, comprendre, un joueur lorsqu’il avait un
coup de mou ou qu’il était peut-être perturbé dans sa vie
privée. »
José va jusqu’à chatouiller les bourses de ses joueurs. « Il nous
donnait des conseils financiers, pour qu’on fasse attention à nos
dépenses et nous disait qu’on devait penser à l’avenir », révèle
Agatão. « Il avait une façon de travailler et d’être très affective.
Et c’est une chose qui le caractérisera en tant qu’entraîneur
principal », enchaîne celui qui deviendra une référence aux
Açores où il coachera pendant plus d’une décennie.
La lettre à Álvaro Magalhães
Le 16 septembre 1990, c’est un Estrela qui brille encore qui
reçoit le Tirsense. L’équipe compte deux succès et un nul après
trois journées de championnat. Mais le ciel commence à
s’assombrir. Le début de saison est lourd, chargé. Et certains
n’y résistent pas. A la 26e minute, Álvaro Magalhães doit céder
sa place. « Au moment où j’ai taclé, deux joueurs tirsenses sont
retombés sur moi, narre-t-il. Résultat : fracture du bras. Une
blessure qui m’a stoppé pendant quatre mois. » Le match se
poursuit et se termine sur un nul (1-1). Un peu à l’image de cet
exercice. Mais ce n’est pas cela que « Magalha » retient : « Ça
a été très dur. J’étais à l’hôpital, Mourinho n’avait pas pu venir
me voir – l’équipe était en stage de préparation en vue d’un
match de Coupe d’Europe – mais il m’avait écrit une lettre.
Manuel Fernandes et António Bernardo, patron du foot du club,
sont venus me rendre visite et Fernandes me l’a transmise. J’ai
été très ému. José disait : « Magalhães, j’ai la chance de
travailler avec un grand professionnel comme toi. La malchance
a frappé mais je suis sûr que tu vas revenir fort et retrouver un
très grand club et la sélection. » Il avait d’ailleurs eu
connaissance que j’étais dans la liste du prochain
rassemblement de la Seleção. »
Une attention qui conforterait presque le futur entraîneur des Gil
Vicente, Naval ou Farense d’avoir opté pour l’Estrela cette
année-là : « Ce geste qu’il a eu envers moi m’a beaucoup
marqué. Je venais de quitter le Benfica à cause d’un désaccord
avec la direction. J’avais reçu plein de propositions mais
l’Estrela avait monté une grosse équipe et ils étaient
européens. » Le duo Fernandes-Mourinho va aussi lancer et
révéler un futur talent du foot portugais.
Abel Xavier : « On est liés »
En cherchant un peu sur un moteur de recherche sur internet,
tu finiras par trouver cette vidéo de José Mourinho, jeune, dans
ce qu’on appellerait aujourd’hui une « flash interview ». Sur
Youtube, ce document sobrement intitulé « Young Jose
Mourinho » représente sa première apparition télé en tant que
technicien. Mais contrairement à ce qui est indiqué, cette
archive ne date pas de 1988 – date à laquelle José Mário
entraînait les jeunes du Vitória de Setúbal. Artur Jorge, alors
entraîneur du FC Porto, apparaît lui aussi dans cet extrait. Ce
moment correspond, en réalité, à l’après-match FC Porto –
Estrela da Amadora du 23 septembre 1990. Les Dragons
s’imposent 2-0 au cours de la 5e journée de I Divisão. Le synthé
indique : « José Mourinho – Entraîneur adjoint E. Amadora ».
Chemise blanche, cheveux bruns faussement décoiffés, le
visage de José est celui d’un mec d’à peine 30 ans, son
expression est figée, le débit est rapide, les mots, le contenu
déjà bien choisis, incisifs. « Nous avons fait jeu égal avec le FC
Porto. Nous avons été aussi bons sinon meilleurs qu’eux. D’un
point de vue physique nous avons été supérieurs. Nous
pouvons nous féliciter, féliciter le FC Porto parce qu’il a gagné,
féliciter l’arbitre parce qu’il a su faire taire certaines voix qui
commençaient à se faire entendre sur l’arbitrage des matches
du FC Porto, et il faut féliciter un jeune de 17 ans qui a
aujourd’hui a été lancé en équipe première de l’Estrela et qui a
été le meilleur joueur sur le terrain. »
L’Estrela n’a pas résisté au champion en titre mais Mourinho
positive. Le gamin de 17 ans que José Mário encense n’est
autre qu’Abel Xavier, futur latéral de l’équipe du Portugal,
célèbre pour sa chevelure peroxydée, sa main dans la surface
en demi-finale de l’Euro 2000 face à la France et sa très riche
carrière60. C’est donc en ce jour de septembre 1990 que tout
commence pour lui. « Ils ont misé sur moi alors que je n’avais
que 17 ans et, en plus, dans un match face à un gros, salue le
natif de Nampula, au Mozambique. Je me souviens que j’avais
fait un bon match. J’étais très rigoureux dans le travail et
Mourinho appréciait beaucoup mes qualités et notamment celle-
ci parce qu’il était lui-même très rigoureux. Il avait le goût du
détail. J’aimais l’entraînement et je sentais qu’il était un soutien
pour moi. » Faire appel à Abel, n’a pourtant rien d’une évidence.
« A cette époque-là, l’Estrela da Amadora était un club stable,
avec une équipe compétitive qui disputait la Coupe des coupes,
rappelle-t-il. J’étais un gamin, j’évoluais avec les juniors et j’ai
été appelé en équipe première qui était entraînée par ce duo
Manuel Fernandes – José Mourinho. »
Un couple qui se complète bien. « En tant que personnalité du
football, Manuel Fernandes avait une posture importante, par
rapport à ce qu’il avait fait et été, poursuit Abel Xavier. Mourinho
était un élément très important pour lui. Au niveau de la
planification des entraînements, il était très impliqué. La relation
qu’il avait avec Manuel Fernandes allait bien au-delà du
professionnel. Et ça se ressentait dans leur travail : il y avait une
complicité. Ce n’est pas quelque chose que l’on voit souvent
dans les staffs. En général, la figure dominante est l’entraîneur
principal. Dans cette structure Fernandes – Mourinho, il y avait
une symbiose, une réelle confiance entre eux. Manuel
Fernandes travaillait sur certains domaines, comme par
exemple les aspects offensifs et les aspects tactiques, c’était
Mourinho qui les gérait. Tout ce qui était transition,
positionnement, réduction des espaces, simplification du jeu,
c’était pour lui. »
José, plus proche des joueurs que son principal et qui, il y a
quelques semaines encore dirigeait les juniors du Vitória FC,
s’adresse maintenant aux « seniors » de l’Estrela da Amadora.
Mais Abel Xavier continue de le percevoir « comme un
formateur », au sens large : « Il donnait des conseils tactiques,
en termes de positionnement mais il véhiculait aussi des valeurs
sur ce qu’était être un footballeur professionnel, sur la rigueur.
Il était très sûr dans ce qu’il transmettait. C’était quelqu’un qui
avait d’énormes connaissances et beaucoup de confiance. J’en
garde une profonde estime. A cet âge-là, ça a été très motivant
d’avoir été entraîné par lui, dû à son rapport au travail, son
approche pédagogique. Au-delà de rigueur, il avait des vertus
humaines très caractéristiques. Il avait compris que, même avec
peu de moyens et peu de ressources, on pouvait allait chercher
la performance ailleurs et notamment dans l’humain. C’était une
plus-value chez lui. »
Et elle finit par payer. Du moins, en ce qui concerne Abel : « Ma
carrière internationale débute à l’Estrela, en deuxième division.
J’ai été convoqué en Seleção A en étant un joueur de D2. Et
ces figures marquantes comme Mourinho ont eu un rôle là-
dedans. Je sais gré à ce duo d’avoir parié sur moi. » A l’issue de
cette saison 1990-1991, AX intègrera la fameuse Geração
Dourada61 et remportera le Mondial des moins de 20 ans.
« Je serai l’un des plus grands entraîneurs du
monde »
Au cours de sa longue carrière, le latéral à la crinière et au
bouc décolorés va parcourir le monde. « Mourinho a entraîné
dans tous les pays où j’ai joué [Portugal, Angleterre, Espagne,
Italie], remarque Abel Xavier. Chaque fois que nous nous
sommes croisés, nous nous sommes remémorés l’Estrela et,
donc, le commencement. D’une certaine façon, on est liés. »
Xavier qui dirigera la sélection du Mozambique entre 2016 et
2019 nourrit toutefois un regret : « Malheureusement, nous
n’avons plus travaillé ensemble dans le même club, parce que
je suis convaincu que si j’avais été entraîné par lui, il m’aurait
emmené avec lui, comme il l’a fait avec d’autres joueurs, parce
qu’il aimait mon côté compétitif. Je reste convaincu que
Mourinho garde une bonne impression de moi. Il y avait une
proximité, une certaine affection envers moi. Nos chemins ont
connu une forme de convergence. »
Abel Xavier est d’ailleurs « convaincu que Mourinho a eu une
influence » dans son transfert au PSV [1998-1999]. L’équipe
d’Eindhoven sera entraînée par Bobby Robson. « Je sais que
ce dernier a parlé de moi avec Mourinho », affirme Abel. Et une
fois aux Pays-Bas, Abel entendra une nouvelle fois parler de
José : « Robson disait que Mourinho était très intelligent,
méthodique et qu’il était fiable. » Sir Bobby Robson, on y
viendra, longuement, dans quelques pages.
En attendant, José Mário esquisse encore son dessein. Et ses
compagnons amadorenses semblent le deviner. « J’ai toujours
su qu’il allait faire une carrière d’entraîneur principal, lance Abel
Xavier. C’était évident, de par sa façon de travailler, son sérieux
mais aussi parce qu’il savait être joueur quand il le fallait. »
L’attaquant, Ricky, lui, jure : « Il me disait : « Ricky, tu verras, tu
entendras parler de moi : je serai l’un des plus grands
entraîneurs du monde ! » Il était très curieux. Il voulait toujours
savoir quoi et pourquoi. Il ne pouvait connaître que de la
réussite même si je dois avouer qu’il est allé bien au-delà de ce
que je pouvais imaginer. Je savais qu’il allait être un grand
entraîneur mais, là, il est plus que ça. » En attendant d’être un
grand, José Mário apprend. Et il en prend plein les dents.
L’au revoir : « Un moment d’émotion »
En décembre 1990, l’Estrela da Amadora n’en finit plus de
sombrer. L’équipe enquille sept rencontres sans succès et
plonge dans la zone rouge. Le début de l’année 1991 marque la
fin d’une histoire. Lors de la 21e journée, le CFEA se rend à
Braga. Les Amadorenses s’inclinent (0-1) et scellent le destin
Manuel Fernandes et de son adjoint. « J’ai eu beaucoup de
peine qu’ils soient partis, déplore le latéral Álvaro Magalhães.
Ce ne furent que quelques mois mais ils furent profondément
marquants. Ils nous ont dit revoir et c’est toujours un moment
d’émotion. Un lien avait été créé. Tout le monde était triste, eux,
comme nous. » Ce spleen, l’Estrela da Amadora va le traîner
jusqu’au bout. Jesualdo Ferreira va succéder à Fernandes mais
le choc psychologique n’aura pas lieu. « Cette saison s’est très
mal passée pour nous : on a fini par être relégués lors de la
dernière journée face au Vitória de Setúbal », regrette encore
« Magalha ».
« Nous avions un rythme différent. Le fait d’avoir participé à
cette Coupe d’Europe dont nous n’avions pas l’habitude a fini
par affecter notre rendement en championnat. Il y avait un
niveau d’exigence auquel nous n’étions pas habitués », analyse
Rui Neves. Mais tout n’est pas perdu. Ces quelques mois
passés à Amadora ont, sans conteste, servi à José. « Je pense
que, pour lui, ce fut une période d’apprentissage importante »,
lance Neves.

Ovarense, scout toujours


Pendant une bonne partie de l’année 1991, José Mourinho
semble s’éloigner du foot pro. L’adjoint de Manuel Fernandes à
l’Estrela da Amadora lui a été fidèle lorsque celui-ci a été invité
à s’en aller. Les deux hommes qui s’étaient connus au Vitória de
Setúbal vont, toutefois, bientôt rebosser ensemble. C’est
l’Ovarense, club de II Honra (D2), qui concrétise ces
retrouvailles. Mais sous une autre forme.
Fondée au début des années 1920, l’Associação Desportiva
Ovarense vit, en 1991-1992, la première saison de son histoire
à ce niveau. Ovar est une ville située en bord de mer, au sud de
Porto. Manuel Fernandes y est nommé entraîneur en novembre
1991. Après 7 journées, l’équipe est alors relégable.
Manuel fait alors appel à José. « Zé donnait à nouveau des
cours, commence-t-il. Je lui ai donc proposé d’aller superviser
nos adversaires le week-end. Il a réalisé un excellent boulot.
Ses rapports étaient excellents, très bien élaborés. J’ai
beaucoup aimé son travail. » Zé Mário replonge quelques temps
en arrière, lorsqu’il scrutait les opposants de son père et qu’il en
dressait le portrait. Il rend service, de temps en temps et
gracieusement, à son ami. De quoi remplir un peu plus les
semaines (mais pas les bourses) du prof d’EPS qui touche alors
40 000 escudos (200 euros actuels) par mois.
En 1991-1992, Casimiro Rocha vient lui aussi d’intégrer
l’Ovarense. Formé au FC Porto, passé par Salgueiros ou
l’União da Madeira, le défenseur est un cadre des Alvinegros. Et
Casimiro se souvient d’avoir aperçu Mourinho à Ovar :
« Il venait de façon régulière parler avec Manuel. Beaucoup de
joueurs ne se rendaient même pas compte que certaines
indications venaient de lui mais les plus expérimentés
savaient. »
José est discret mais Manuel Fernandes n’hésite pas à mettre
son travail en lumière. « Il nous disait : « C’est un très bon
jeune ! », dévoile Rocha. Il disait qu’il avait une grande
connaissance et qu’il maîtrisait le football. Nous, joueurs, on se
rendait compte une fois sur le terrain que ce qu’il transmettait à
Manuel était vrai. Ses informations étaient toujours très
précises. A chaque match, on savait ce qui nous attendait. Ses
rapports étaient essentiels. » Ils le seront dans la course au
maintien du Ovarense qui terminera treizième de D2. Manuel
Fernandes a rendu cette saison et sa mission faciles. José
Mourinho n’y est pas pour rien. Manuel le sait et il ne va pas
l’oublier.
Félix, le « pompier » du Vitória
Si le début de l’année 1991 marque une coupure dans le
parcours footballistique de José Mário, pour son père, Mourinho
Félix, c’est le cas depuis quelques mois, déjà.
En 1990, dans la foulée de son ahurissant congédiement du
Benfica de Castelo Branco, le père Mourinho prend ses
fonctions au Vitória Futebol Clube. Il y est nommé secrétaire
technique. Mourinho Félix qui a marqué l’histoire des Sadinos
en tant que gardien tend la main à qui en a besoin. Il aide la
formation, intègre une commission de gestion et dirige même
l’équipe première quand celle-ci est en galère. « Il était ce qu’on
appelle un pompier », sourit Rui Carlos. La connexion entre le
milieu de terrain luso-angolais et les Mourinho est comme un
signe du destin. « Mourinho Félix a été l’entraîneur de Delfim,
mon défunt beau-père à Leiria, explique Rui Carlos. Quand elle
devait avoir 5 ou 6 ans, mon ex-femme allait voir jouer son père
et Zé Mário, qui devait avoir 15-16 ans, la prenait dans ses
bras. »
En 1992, à peine son contrat signé avec le Vitória – où il
passera neuf ans – Rui Carlos passe pas mal de temps avec
Mourinho Félix : « Quand je me suis engagé, j’étais marié
depuis peu de temps. J’ai passé des semaines et des semaines
à chercher un logement et Mourinho Félix m’accompagnait lors
de toutes mes visites. Il n’en pouvait plus ! Je suis resté un mois
à l’hôtel mais on a fini par trouver. »
Et Rui Carlos va bientôt faire la connaissance de José Mário.
Parallèlement à son taf de prof d’EPS à Setúbal, ce dernier
dresse des rapports pour son ami Manuel Fernandes qui
coache le Ovarense. Mais à l’été 1992, un autre boulot l’attend.
« Il nous a accompagné au stage de présaison à Tróia, pendant
une semaine, révèle Rui Carlos. L’entraîneur était Raúl Águas et
Zé Mário était assez proche de notre préparateur physique, le
professeur Fidalgo Antunes. José passait souvent au stade,
témoigne encore Rui Carlos. Il n’a jamais tourné le dos au
club. » Ni à ses proches. Manuel Fernandes peut en témoigner.
Un proverbe dit : « Qui sert avec loyauté ne saurait avoir assez
de récompense. » La voici pour José.

Sporting, le premier grand


1992. Les spectateurs vibrent devant Basic Instinct, le clip
Erotica de Madonna est censuré et José Mourinho cherche un
boulot. Dans les faits, Zé Mário n’est pas inactif, il donne des
cours d’EPS au bahut et a donné la main, en tant que
superviseur des équipes adverses, à Manuel Fernandes qui
coachait l’Ovarense en D2. Leur destin, surtout celui du Mou,
est sur le point de basculer.
Le panorama footballistique portugais est alors cristallisé par le
binôme Benfica – FC Porto. Ils remportent tous les titres de
Primeira Divisão depuis 1983, année du dernier sacre national
du Sporting. Les Leões ont bien remporté une Supertaça en
1987 mais leur ventre commence à gargouiller. A l’été 1989,
après un an de gouvernance, Jorge Gonçalves avait
démissionné de son poste de président. La situation était
critique. Au-delà des résultats sportifs (le Sporting venait de
terminer pour la troisième saison de suite à la quatrième place
du championnat) le club devait faire face à une crise financière
et institutionnelle. Quatre candidats se sont présentés aux
élections des Lions. Parmi eux, Sousa Cintra, un self-made-man
quasi-inconnu qui a récolté plus de 60 % des voix. Le nouveau
presidente a commencé à assainir les comptes et a tenté de
monter une équipe ambitieuse.
Ça a plutôt pas mal débuté. Son Sporting a atteint la troisième
place en Liga en 1989-1990. Il a remis ça la saison suivante en
y accolant une demi-finale de Coupe l’UEFA. Lorsque la saison
1992-1993 se profile, le SCP vient de terminer au pied du
podium. Marinho Peres et António Dominguez se sont succédés
sur le banc. Le leader des Lions – qui s’avèrera être un bon
consommateur d’entraîneurs – réfléchit à son nouveau staff et il
s’appuie sur Manuel Fernandes. « Manel » qui vient d’assurer le
maintien du Ovarense en D2 est une légende vivante du
Sporting. En douze exercices avec le célèbre maillot rayé vert et
blanc, il a claqué plus de 260 buts62.
Sousa Cintra : « Une grande fierté de l’avoir recruté »
« Peu avant la fin de la saison [1991-1992], le président du
Sporting, Sousa Cintra, m’a proposé un poste d’entraîneur-
adjoint, avant même de nommer un entraîneur, confie Manuel
Fernandes. On a trouvé un accord et au moment de choisir
l’entraîneur, je lui ai dit que j’aimais beaucoup les managers
anglais, leur façon d’être et qu’ils s’encadraient très bien avec le
profil du joueur portugais. Robson était en fin de contrat avec le
PSV. Et je suis allé le voir avec Cintra. »
Robson, Bobby de son prénom, était un monsieur du football.
Décédé en 2009, cet international anglais qui a planté une belle
brochette de pions pour Fulham et West Bromwich Albion s’est
reconverti comme manager à la fin des années 1960 avec les
Cottagers. Il a rallié Ipswich Town en 1969 où il est devenu une
légende. Une statue le représentant trône aux abords de
Portman Road. Elle rend hommage à ses treize années dédiées
aux Blues à qui il a offert, en 1978, la première FA Cup de son
histoire et, surtout, la Coupe de l’UEFA 1981. Des trophées qui
lui ont valu de prendre en main la sélection de son pays en
1982. Huit ans au service des Three Lions. Il fut notamment
l’une des victimes de la « Main de Dieu » de Maradona lors du
Mondial 1986. Quatre ans plus tard, c’est sa fédé qui lui en a
collé une. Juste avant la Coupe du monde, elle a annoncé qu’il
ne serait pas prolongé. Il a atteint les demies en Italie et a signé
au PSV Eindhoven. En deux ans, il a remporté deux
championnats néerlandais. On en est donc là.
Manuel Fernandes reprend le cours de l’histoire dans laquelle
Mourinho s’inscrit bientôt : « Une fois le contrat de Robson
signé, j’ai dit à Sousa Cintra : “Président, je vais être l’adjoint de
Robson mais j’aurais aimé que vous recrutiez une personne qui
a été mon adjoint et qui va aider le club à tous niveaux, par son
dynamisme et sa qualité de travail.” Il m’a demandé de qui je
parlais et j’ai répondu qu’il s’agissait de José Mourinho qui était
dans mon staff à l’Estrela da Amadora. José Mourinho a signé à
son tour. Sousa Cintra m’a fait confiance. » Manuel Fernandes
insiste bien : « Je ne l’ai pas exigé mais je l’ai demandé au
président. Tout s’est fait en une semaine. »
« Nous avions besoin de quelqu’un qui maîtrise l’anglais et c’est
Manuel Fernandes qui m’a parlé de lui : “Je connais Mourinho,
le fils de Mourinho Félix de Setúbal…” », corrobore Sousa
Cintra dont la décision d’enrôler José est prise après… un
entretien d’embauche. « Il est venu me voir et la première
impression que j’ai eue a été bonne, c’est pour ça que je l’ai
enrôlé, affirme le président. C’est une grande fierté pour moi de
l’avoir recruté. » Sousa Cintra dont le premier cycle ira jusqu’en
1995 se souvient encore : « Il avait d’excellents rapports avec
tout le monde : les joueurs, les autres membres du staff, les
salariés du club. Il s’est très vite intégré. Il était très sociable, il
avait une communication facile. Et puis, il descend d’une famille
liée au football. Son père a été un grand joueur, un grand
gardien de but et Mourinho a baigné dans le milieu du foot. »
Un autre homme semble être à la genèse de ces rencontres, de
ce trio Robson, Fernandes, Mourinho. Cet homme s’appelle
Lucídio Ribeiro. Cet agent FIFA connaît bien Sousa Cintra : « Je
travaillais beaucoup avec lui et le Sporting, commence-t-il.
Outre l’organisation de stages, de matches de préparation, il
m’arrivait de lui proposer des joueurs. » Au cours de cette
année 1992, Lucídio lui souffle le nom d’un entraîneur : « Je me
souviens encore du moment où je lui ai parlé de Bobby Robson.
L’équipe revenait d’un déplacement et je l’accompagnais. Nous
étions dans l’avion et il m’a dit qu’il cherchait un coach. Je lui ai
répondu que j’avais justement trois CV à lui soumettre. Bobby
Robson était l’un d’eux. » Qui sont les deux autres ? Ribeiro
sourit : « Par respect pour tout le monde, je ne le dirai pas mais
les deux autres étaient eux aussi de très grands noms. » Ribeiro
poursuit : « J’ai donc proposé Robson à Sousa Cintra.
Il revenait d’une opération. Il était dans une situation au PSV qui
le rendait accessible pour le Sporting. Le seul hic était qu’il ne
connaissait pas le football portugais. J’ai donc suggéré au
président qu’il prenne un adjoint qui connaisse le football
portugais et notamment le Sporting. Je lui ai soufflé alors le nom
de Manuel Fernandes, un joueur majeur de l’histoire du club. Je
pense que Manuel Fernandes ne sait même pas que c’est moi
qui ai glissé son nom… Et c’est Manuel Fernandes qui va
emmener José Mourinho au Sporting. »
« Pas un simple traducteur »
Et c’est là, chez les Lions, que naît la réputation de tradutor de
José. « Beaucoup de gens disent que José Mourinho était le
traducteur de Bobby Robson mais il n’a jamais été traducteur,
s’emporte presque Manuel Fernandes. Comme il parlait bien
anglais, certains disaient ça mais c’est faux ! Il a toujours été un
homme de terrain. Moi, j’étais le premier adjoint et lui le second.
Robson répartissait les tâches entre Mourinho et moi. » Le
président Sousa Cintra confirme la version de Fernandes :
« Il était beaucoup plus qu’un traducteur. Il était un collaborateur
de monsieur Robson. Moi, ce que j’ai vu en lui, c’est qu’il était
polyvalent. Il parlait anglais et ça l’a rapproché de Bobby
Robson qui n’hésitait pas à lui demander ce dont il avait besoin
et ce dont le club avait besoin. »
Fact checking. Au moment où le Sporting engage Bobby
Robson, il a besoin d’un interprète qui maîtrise la langue de
Shakespeare et celle de Camões. Le fait est que si Mourinho
est choisi, c’est aussi et en partie pour ses compétences
linguistiques. Dans un entretien accordé au quotidien Record en
2000, Robson l’avance lui-même. Lorsque le journaliste le lance
en disant : « Je me souviens qu’il [José Mourinho] avait été
recruté par le Sporting pour exercer seulement la fonction de
traducteur… » Robson répond : « C’est vrai. Mais en apprenant
avec moi et en entendant parler de football au quotidien et aussi
parce qu’il est très intelligent, il est rapidement devenu
beaucoup plus qu’un simple traducteur. Je l’ai formé. C’était un
excellent élève. »63 Nul doute que Manuel Fernandes qui avait
intégré José Mário au sein de son équipe technique à Amadora,
qui l’avait déjà vu à l’œuvre avec les jeunes de Setúbal, voit en
lui un technicien et pas un « simple traducteur » ; n’empêche
que Bobby Robson, lui, part de zéro avec Mourinho et, au tout
premier abord, il appréhende fatalement ce jeune polyglotte
comme un interprète. Une perception et une relation qui vont
« rapidement » évoluer. L’emploi de Mourinho va quasi-
instantanément se décliner au pluriel.
Les joueurs de l’époque confirment la rapide évolution de sa
fonction. Jorge Cadete est l’un des capitaines du Sporting. L’un
de ses meilleurs buteurs, aussi. Formé par les Leões, le
Portugais avait déjà croisé José à Setúbal où il avait été prêté
au cours de la saison 1988-1989. « C’était lors de ma deuxième
année en tant que senior, se souvient-il. Mourinho y entraînait
les jeunes. On s’y est croisés quelques fois. » C’est surtout à
Alvalade que le futur attaquant du Celtic va côtoyer José dont il
détermine, à son tour, le rôle : « Manuel Fernandes, qui s’était
vu proposer le poste d’adjoint de Bobby Robson, connaissait les
capacités de José Mourinho comme préparateur physique et
savait qu’il parlait couramment anglais. Il y a eu cette
conjugaison de facteurs. Mais il n’était pas un simple
traducteur. » Le trio instaure un fonctionnement bien défini que
Cadete décrit : « Lors de ses causeries, Robson était quasiment
le seul à s’exprimer. C’était court et très objectif. Il savait que,
sinon, il perdait la concentration des joueurs. Ensuite, ses
adjoints faisaient des ajustements auprès des joueurs. »
« Avec le temps, Robson a donné plus de responsabilités à
Mourinho », insiste Fernando Lucas. Cet ami de Manuel
Fernandes va « naturellement » se rapprocher de José.
« Il supervisait les matches, établissait des rapports, poursuit-il.
Je l’ai souvent vu aligner l’équipe adverse sur le tableau, dans
le vestiaire. Il ne se trompait que très rarement. »
Les trois hommes bossent en confiance. « Bobby Robson avait
foi en José et il lui demandait son avis sur les questions d’ordre
technique, tactique, comme il le faisait avec Manuel
Fernandes », assure José Leal. A 27 ans, l’international
portugais, est l’un des footballeurs les plus expérimentés de ce
Sporting 1992-1993. Et pour lui, José Mourinho est à ranger
dans la catégorie des cadors : « Il est super intelligent. S’il avait
été ingénieur, architecte ou médecin, il aurait été une pointure
dans son domaine. Il est donc devenu une pointure comme
entraîneur de football. Le meilleur du monde. Mourinho a
beaucoup appris de Robson mais Robson a aussi beaucoup
appris de Mourinho. »
« Il ne se gênait pas pour tacler aux entraînements »
En 1992-1993, le Sporting termine troisième du championnat,
loin derrière le Campeão, FC Porto ; une demi-finale de Coupe
du Portugal, une élimination au premier tour de la Coupe de
l’UEFA, face au Grasshopper. Le premier bilan du trio Robson-
Fernandes-Mourinho à Alvalade n’a rien de folichon. Le mercato
connaît peu de mouvements mais énormément de remous. Aux
jeunes, issus de l’académie, se joint un duo provenant du grand
rival Benfica. Sousa Cintra profite de la crise qui règne chez les
Aigles pour leur arracher deux joueurs emblématiques :
Pacheco et Paulo Sousa. Le boss des Lions est même à un rien
de faire venir João Vieira Pinto. Nous sommes en plein « Verão
quente »64. Ces nouveaux arrivants font connaissance avec
Bobby Robson et son staff et, donc, avec José Mário. « Il était
déjà très focalisé sur ce qu’il voulait, confie le milieu de terrain,
Paulo Sousa. C’est une personne très exigeante, très
analytique. Il sait parfaitement ce qu’il veut et, à l’époque, c’était
déjà le cas. » Outre ces recrues très médiatisées, deux gardiens
débarquent du Boavista : Lemajic et Paulo Costinha. Ce dernier
a alors 19 ans. « Ne serait-ce que parce qu’il y avait des
situations qu’il n’arrivait pas à expliquer, Bobby Robson
déléguait un certain nombre de tâches à Zé, dit-il. Du coup c’est
Zé qui préparait les entraînements. Oui, il assurait la traduction
de Robson qui ne parlait pas portugais mais il entraînait, aussi.
Il aidait en tout. Il accompagnait le Mister partout où il allait, y
compris sur le terrain. Il était un entraîneur adjoint. »
Parfois, Mourinho repart, comme au bon (et pas si) vieux temps,
sillonner les stades portugais. L’agent Lucídio Ribeiro a en
mémoire l’une des rencontres supervisées par José :
« Il analysait un match du Marítimo. Moi, j’étais à Madère pour
affaires. On s’est retrouvés à suivre la rencontre ensemble. J’ai
été impressionné par sa façon de voir, de suivre, d’analyser le
jeu et les joueurs. Il avait une vision différente, intelligente. »
En plus de sa casquette de scout, il arrive que « Zé », comme
l’appelle aussi Jorge Cadete, renfile les vissés. « Parfois, lors
des entraînements, il lui est arrivé de jouer avec nous, explique
l’attaquant. Lorsqu’un joueur manquait – pour cause de blessure
ou de convocation en équipe nationale – Zé occupait son poste
et c’était souvent celui de latéral. » José Mário, l’ancien
défenseur, milieu, ailier et même gardien (souviens-toi, à
l’Universidade Técnica de Lisboa) était-il au niveau de ces
Lions ? Sourire de Cadete : « C’était un joueur avec beaucoup
d’envie, de la garra, de la trempe. Il ne se gênait pas pour tacler
aux entraînements. De ce que j’ai pu constater, s’il a pu jouer là
où il a joué, ce n’était pas juste parce que son père était
l’entraîneur, il avait aussi des qualités. Il n’avait pas une
technique dingue mais beaucoup d’engagement. »
Le thé et les toasts de Robson
Ses quelques tacles glissés à l’entraînement n’entachent en
rien les bons rapports que José entretient avec le vestiaire
sportinguiste. Au contraire. « Il était toujours là dans les
moments de rigolade, lâche Jorge Cadete. Mais quand il fallait
être plus sérieux, il était là aussi. Il ne se gênait pas pour faire
les remarques qu’il fallait à qui il fallait. » « Il s’entendait
parfaitement avec les joueurs, il était très joueur, poursuit José
Leal. Je trouve même étranges les confusions qu’il a traversées
plus récemment. Parce qu’il est très proche des joueurs. Après,
il est aussi très exigeant et il attend beaucoup d’eux. »
José sait et aime motiver. En 1992-1993, Jorge Cadete dispute
le titre de meilleur buteur du championnat. Moment de
complicité entre Mourinho et le goleador narré par ce dernier :
« Lors de la dernière journée à Paços de Ferreira, il avait une
radio vissée à l’oreille pour écouter le match du Boavista, et
savoir si Ricky (Owubikri) n’allait pas me passer devant au
classement des buteurs. J’ai marqué face à Paços. Au moment
où le match du Boavista s’est terminé, Mourinho qui était
derrière l’un des buts, m’a dit : « C’est bon, c’est fini, tu es le
meilleur buteur ! » »
Cette union est encore plus vraie au sein du staff. L’entente du
trio Robson-Fernandes-Mourinho se vérifie aussi hors des
terrains. Manuel Fernandes relate, avec humour et tendresse :
« J’avais invité Robson à manger un bon poisson avec le
président Sousa Cintra et José. Robson a voulu nous inviter
chez lui en retour. Lorsqu’on est arrivés, il nous a offert du thé
avec des toasts ! On s’est marrés avec José. Au Portugal, on
n’est pas habitués à ça au déjeuner ! On s’est regardés et on a
fait croire que c’était parfait. » L’humeur sera bientôt moins
détendue, en mode… fort de café…
En juin 1993, le Sporting termine sa saison par une tournée en
Afrique du Sud. Les dernières journées ont été pénibles. Un
seul succès sur les quatre dernières rencontres. Insuffisant pour
inquiéter les Dragons et les Aigles. La présidence de Sousa
Cintra peine encore à titiller ses concurrents sur le volet sportif
mais elle se caractérise par une certaine stabilité institutionnelle.
Ce voyage en Afrique va néanmoins accoucher d’une discorde,
en interne. « Il y eu un moment délicat en Afrique du Sud, livre
José Leal. Les joueurs se sont levés contre la direction pour une
raison qu’il n’est pas la peine d’évoquer ici. Ce qui est important
c’est que Bobby Robson a soutenu les joueurs. Il y avait une
énorme tension et José Mourinho a toujours été du côté de
Robson. Ça n’avait rien d’évident, car les dirigeants et une
bonne partie du staff étaient contre nous. Je pense que c’est là
que Robson a décidé que Mourinho le suivrait au FC Porto et à
Barcelone. » Les prochaines étapes se rapprochent…
« Mister, tomorrow, you, I, José, out !»
L’histoire entre le Sporting Clube de Portugal et Bobby Robson
touche à sa fin. Nous ne sommes pourtant qu’au tiers de la
saison 1993-1994 et les résultats sont loin d’être mauvais pour
les Leões. Après 11 journées, l’équipe est première du
Campeonato Nacional da I Divisão, à égalité de points avec
Benfica et Porto ; elle vient aussi d’écarter Leça au quatrième
tour de la Coupe du Portugal (4-3). Le 7 décembre 1993, elle se
rend en Autriche, pour son troisième tour retour de Coupe de
l’UEFA. A Alvalade, Cherbakov et Cadete avaient scellé un bon
2-0 face au Casino Salzbourg qui va réaliser l’improbable dans
son Stadion Lehen. Le Casino – qui cette saison-là ne tombera
qu’en finale face à l’Inter Milan – va faire péter la banque aux
prolongations (3-0). Rien ne va plus. Les Lions sont au tapis. Le
trajet qui les ramène vers Lisbonne est plus que turbulent.
Bobby Robson va se faire larguer en plein vol.
PNC aux portes, armement des toboggans. La pente est
glissante. Manuel Fernandes déroule : « J’étais assis à côté de
Robson. Mourinho était sur le banc d’à côté. On était tristes
parce que, pour nous, cette élimination était injuste. On discutait
et Sousa Cintra a demandé au commandant s’il pouvait
s’adresser aux passagers. Il a fait un discours en portugais et
Robson a entendu son nom. Il m’a demandé : « Manuel, qu’est-
ce qui se passe, pourquoi il parle de moi ? » Je lui ai répondu :
« Mister, je vous explique ça dans un instant. » J’ai laissé le
président terminer son speech et je me suis tourné vers
Robson : « Mister, tomorrow, you, I, José, out ! » Il n’y croyait
pas. J’ai dit à Zé Mário : « Zé, c’est fini ! » Le discours était très
clair. Ce fut triste. Je suis convaincu que le Sporting aurait été
champion sans ça, parce que les joueurs adoraient Robson et
qu’on avait une grande équipe. »
José Leal n’est toujours pas redescendu, lui non plus : « Ce
voyage en avion… C’était horrible… Ce fut l’un des moments
les plus tristes de ma carrière. Ce fut indigne. Bobby Robson
était un monsieur, un gentleman. Ce fut une décision
malheureuse de la direction du Sporting. Il y a eu un dîner
d’adieu. C’était triste, une douleur immense. Tous les joueurs
étaient présents. Il y avait des journalistes devant le restaurant
qui dressaient la liste des joueurs présents mais surtout celle
des absents et… Il n’y en n’avait pas. Même ceux qui jouaient
moins ou n’étaient pas en osmose avec ses décisions étaient là.
On a vu partir un monsieur qu’on aimait tous. »
Plus de 25 ans plus tard, Sousa Cintra dément avoir « renvoyé
Bobby Robson dans l’avion » mais il admet :
« Malheureusement, j’ai fait là la grosse erreur de ma vie en tant
que président du Sporting : avoir démis monsieur Robson. Et Zé
Mourinho est parti avec monsieur Robson et il a poursuivi sa
brillante carrière. »
A peine Robson barré, son successeur est déjà trouvé : Carlos
Queiróz. A même pas 40 berges, l’ancien prof de Mourinho à
l’ISEF qui vient de démissionner de son poste de sélectionneur
du Portugal jouit d’une belle cote. En 1989 et 1991, il a porté les
moins de 20 ans du Portugal jusqu’au sacre mondial. Avec lui,
le Sporting terminera troisième du championnat cette saison-là
et s’inclinera en finale de la Taça. Les Lions attendront 1995
pour remporter un trophée (la Coupe du Portugal).
L’arrivée du Professor correspond à une réorganisation interne
qui entraîne les départs de Manuel Fernandes et de José
Mourinho. Le premier a repris un taf de coach principal, en D2,
au Campomaiorense. La formation alentejana qui est seizième
à son arrivée, terminera huitième. La saison suivante, Manuel
Fernandes fera carrément monter le Sporting Clube
Campomaiorense pour la première fois de son histoire en
première division.
Et José, dans tout ça ? Il va suivre Bobby Robson, tel un fils.
Combien de fois José Mário a-t-il vu son paternel dans pareille
situation ? L’Anglais ne reste toutefois pas longtemps dans
l’attente. Après le coup de griffe du Leão, il s’engage avec le
Dragão. Zé est du voyage. « Robson a vu de la qualité chez
José Mourinho et il l’a logiquement emmené au FC Porto
comme adjoint, commente Fernandes. On en a discuté avec Zé
et je lui ai dit d’en profiter parce que Porto c’est Porto. Au cours
de cette période j’étais au Campomaiorense et le
Campomaiorense, c’est le Campomaiorense. »
FC Porto : « Robson et Mourinho ne font
qu’un »
Dès janvier 1994, soit un mois seulement après avoir reçu ce
qu’il a qualifié lui-même de « coup de pied au cul »65 de la part
du Sporting, Bobby Robson se case avec le FC Porto. Le timing
semble parfait pour tout le monde. Robson est libre et Tomislav
Ivic qui dirige les Dragons depuis le début de la saison 1993-
1994 a, selon les dires de son président Pinto da Costa,
« demandé à partir ». Dans les jours qui suivent, Ivic s’engage
avec la fédération de sa Croatie natale.
Lorsque l’ex-technicien du Paris SG ou de l’OM, qui avait déjà
coaché le FCP au lendemain de la C1 remportée par Artur
Jorge en 1987 s’en va, le FCP est troisième du championnat, à
4 points du Benfica. C’est justement face au SLB que Robson
débute en I Divisão. Une défaite 2-0 au estádio da Luz qui sera
la seule du Porto version British dans la compétition cette
saison-là. Non, le Dragon ne sera pas champion, puisqu’il
terminera à deux points des Aigles ; il atteindra toutefois la
demi-finale de C1 et obtiendra sa revanche sur les Lisboètes en
août 1994, en remportant la Supercoupe du Portugal aux tirs
aux buts. Les Portistes sont portés par Kostadinov, Drulovic,
Domingos, Vítor Baía… et menés par Robson et son second :
José Mourinho.
Dans une interview qu’il donnera à Record fin 2000, le manager
anglais décrit les missions de son adjoint : « Il avait les mêmes
fonctions [qu’au Sporting]. C’est sûr que lorsqu’il est arrivé aux
Antas [nom de l’ancien stade du FC Porto], José avait plus
d’expérience et de confiance parce qu’il travaillait avec moi
quotidiennement. Chaque jour, il s’améliorait un peu. » Si au
Sporting, il était déjà bien plus qu’un traducteur, chez les
Dragons c’est d’autant plus vrai.
« Comme adjoint, il avait un rôle très important », garantit
Antero Henrique. Le futur directeur sportif du Paris SG qui
occupe alors les fonctions d’attaché de presse du FC Porto
assure encore : « Il était déjà bien préparé ; très intelligent, très
perspicace, avec une immense soif d’apprendre, de mettre la
pratique à exécution. » Le tout guidé par son maître. « Robson
était très tourné vers l’équipe, sa préparation et les matches,
poursuit Antero. Comme il était portugais, Mourinho avait une
vision plus élargie, plus approfondie. Il avait une vision
transversale du football portugais. N’oublions pas, ne serait-ce
que grâce à son père, que Mourinho est né dans le
football. Robson était un bon communicant et Mourinho finissait
par être, au fond, un adjoint de terrain, mais aussi pour sa
communication. »
Formé au FC Porto dont il sera le capitaine, Jorge Costa,
impétueux défenseur de 22 ans, dévoile l’une des facettes de
José : « Le quotidien de Mourinho était celui d’un adjoint qui
intervenait de façon directe aux entraînements. Il dirigeait des
exercices. Il n’a jamais été un traducteur. Il traduisait mais il n’a
jamais fait que ça. » Autre produit du FCP où il va passer douze
saisons, le buteur Domingos Paciência précise encore : « Très
souvent, il s’occupait de la partie physique des
entraînements. Je me souviens parfaitement que lorsque je me
suis blessé, c’est lui qui a assuré ma récupération. »
Domingos se dit surtout frappé par la relation Robson-
Mourinho : « Au fond, Mourinho était la copie de Bobby Robson.
Il faisait tout le travail en suivant ses directives, bien sûr. Il faisait
partie du staff technique comme un élément à part entière, pas
comme un traducteur. Il nous expliquait ce que Robson voulait,
parce que son portugais n’était pas très fluide et qu’il était
toujours à côté de lui. Robson et Mourinho ne formaient qu’un. »
Rui Barros : « Mourinho aimait l’entraînement »
Quelques mois avant l’arrivée du duo Robson et Mourinho à
Porto, Rui Barros y signe son retour. Après avoir émigré à la
Turin (Juventus), Monaco et Marseille, le milieu offensif entame
sa « petite mort ». Et il observe le fonctionnement de la paire qui
officie en équipe première : « Mourinho faisait partie intégrante
de nos séances et il apportait déjà de nouvelles méthodes. »
José et sa jeunesse insufflent un vent de fraîcheur sur le
Dragon. « On s’est mis à travailler beaucoup plus la possession
de balle, le pressing, précise Rui Barros. On analysait
énormément les équipes adverses, ce qui à l’époque ne se
faisait pas trop. On abordait nos matches avec une profonde et
inhabituelle connaissance de nos adversaires. Mais il était
surtout un homme d’entraînement. Mourinho aimait
l’entraînement, expliquer, inventer, mettre en place, organiser. »
Et il n’avait pas peur de prendre des initiatives. « Robson était le
leader mais Mourinho avait déjà ses idées, lance João Manuel
Pinto. Très souvent, il venait nous dire : « Je sais que
l’entraîneur veut que vous fassiez les choses de telle façon mais
essayez de le faire comme ça. » Il n’était pas en contradiction
avec Robson, il le complétait. Par exemple, Robson était un
entraîneur offensif et on ne travaillait pas énormément l’aspect
défensif. Du coup, Mourinho nous expliquait comment défendre.
Il était déjà un entraîneur. » João Manuel Pinto n’a que 22 ans
lorsqu’en 1995, il troque le Belenenses pour le FC Porto.
« J’étais jeune, j’arrivais dans une maison composée de grands
noms et Mourinho a été important pour moi parce qu’il était
proche des joueurs, déclare le défenseur. Quand j’entrais en
jeu, il me disait : « Joãozinho [petit João], si ça devient chaud, tu
montes, tu vas nous donner un petit coup de pouce. » Et c’est
comme ça que j’ai marqué quelques buts. » C’est comme ça
aussi (à un autre niveau) que Zé Mário en avait planté, lorsqu’il
était joueur.
« Il avait un rôle fondamental, il faisait le lien entre Bobby
Robson et les joueurs », relance Edmílson. L’attaquant signe
chez les Dragões en 1995. A 23 ans, il ne change pas de ville
mais de dimension en passant du Salgueiros au FCP. Et José
qu’il appelle « Mister » va être essentiel dans son adaptation :
« Il discutait beaucoup avec les joueurs. Je me souviens d’un
épisode me concernant. On allait jouer à Braga et il m’a dit :
« Edmílson, ça fait deux matches que tu n’es pas à ton niveau
et si tu n’es pas bon aujourd’hui, on va devoir te mettre sur le
banc. » Lors de ce match, j’ai inscrit un triplé et on s’est
imposés 6-3. A peine la rencontre terminée, il m’a appelé sur le
terrain et il a déclaré en souriant : « Edmílson, j’ai parlé avec
Bobby, tranquille, tout va bien… » »
« On sentait déjà qu’il était une personne qui comptait, continue
le Brésilien. Le plus important quand on occupe cette fonction,
c’est de parler la même langue que les joueurs et il savait
comment leur parler. » Edmílson qui rejoindra le PSG en 1997
ne se réfère pas ici aux compétences linguistiques de Mourinho.
Au cours de la saison 1995-1996 (la dernière de Robson-
Mourinho à Porto), José n’a déjà presque plus besoin d’assurer
la trad de l’Anglais. « Son travail de traduction était un infime
pourcentage de ce qu’il faisait, Bobby parlait un petit peu
portugais déjà à cette époque », insiste le Brésilien.
Comme au Sporting et à l’Estrela, il arrive que José Mário
pousse le ballon, de temps en temps, aux entraînements. A 32
piges, il est encore frais. « Il jouait, parfois, là où il y avait
besoin, confie Domingos. Il était jeune, très joueur et très
proche des joueurs. Il avait vraiment un bon relationnel. »
L’international portugais décrit un Mourinho « très énergique »,
« très actif, presque turbulent », qui « ne s’arrêtait jamais »,
mais surtout un obsédé par le ballon : « Il ne parlait que de foot.
C’était futebol, futebol, futebol… »
Edmílson : « Comme un ami »
Au FC Porto, l’entraîneur-adjoint de Robson, diplômé de
l’ISEF en tant que professeur d’EPS, se fait appeler
« Professor », se souvient Rui Barros. « Parfois, on l’appelait
aussi Mourinho mais on maintenait une certaine distance, un
respect, poursuit-il. Il aimait s’amuser et travailler, quand il le
fallait. Il n’était pas dur, ni sévère. Il était adjoint et c’est autre
chose que d’être entraîneur principal. Il était proche de nous. »
Domingos Paciência est un autre témoin de cette
proximité maîtrisée : « Il parlait beaucoup et était très bien
intégré. Lors des stages, il traînait avec les joueurs. C’est donc
logiquement qu’il nous rappelait à l’ordre ou nous donnait des
indications quand il le fallait. Bobby Robson lui donnait cette
liberté. Mourinho le connaissait bien et il savait ce qu’il voulait. »
Il arrive que José joue cartes sur table. Littéralement. « On
jouait au King mais lui évoluait en deuxième division, rigole
Domingos. Il y avait deux tables et il jouait toujours en D2. Jorge
Costa, João Pinto étaient en première. C’est un jeu très drôle.
On pariait de l’argent mais c’était des petites sommes. »
L’attaquant Edmílson, lui, le présente carrément « comme un
ami » : « Un joueur est un être humain. On aimait sortir, boire un
verre et il le savait. Il savait surtout qu’il y avait un temps pour
tout. Et quand le moment était venu, il nous disait : « C’est bon,
tu peux y aller. » »
José est un joueur, un pote, un Prof, un Mister… Il est le lien
entre Sir Bobby et ses hommes. Il sait leur parler et aussi les
écouter. Carlos Secretário : « Je me souviens d’un match
auquel je n’avais pas pris part. Habituellement, j’étais titulaire et,
là je n’avais pas joué et j’étais très contrarié. On s’est croisés
sur le parking du stade des Antas et je lui ai dit, en souriant :
« Mister, c’est quoi, ça ? » Il m’a répondu : « Tu as vraiment
besoin de te reposer… » Je me suis mis à penser à ça et ça m’a
calmé. » Mourinho est incontestablement l’homme de confiance
de Robson. Un statut qu’il va devoir défendre.
Inácio, l’adjoint « numéro un »
Un an après avoir loupé le titre de champion (deux points de
retard sur le Benfica), le Porto de Bobby Robson remporte le
championnat. Les Dragões terminent l’exercice 1994-1995 avec
sept unités d’avance sur le Sporting, l’ex de l’Anglais. Une
année marquée par une demie en Coupe du Portugal et un
quart en Coupe des coupes. Le parcours des Portistes en
championnat est quasi parfait : 29 succès, 4 nuls et une seule
défaite. Le FCP débute donc la saison qui suit comme favori.
Mais sans Bobby.
Le manager de 62 ans se bat contre le cancer depuis 1992.
Cette année-là, il s’absentait trois mois d’Eindhoven pour
soigner son intestin. Elsie, son épouse, insistait pour qu’il
maintienne un suivi médical. Les mois ont passé, Bobby ne
s’est pas pressé, malgré une autre gêne, au niveau des sinus.
Elsie n’a pas lâché et elle a fini par lui sauver la vie. Trois ans
après sa première opération, peu avant le coup d’envoi de la
saison 1995-1996, le corps médical lui diagnostique un
mélanome malin au niveau du nez. Pour le soigner, les
médecins doivent lui ôter ses dents, creuser son palet et le
remplacer par une prothèse. L’opération est lourde. Les
chances de survie sont réduites. Les médecins lui
recommandent de tout arrêter. Le Britannique est un battant.
Il refuse de lâcher mais ne peut assurer la reprise.
Qui gère donc l’équipe en son absence ? Mourinho, dis-tu ?
Logique, c’est l’homme de foi de Sir Bobby depuis quatre ans.
Eh bah, pas vraiment. Quand Robson n’est pas là, c’est
Augusto Inácio qui prend sa place sur le banc. Inácio était un
latéral, international portugais (25 sélections) qui a partagé sa
carrière entre le Sporting et le FC Porto. Il a initié son parcours
d’entraîneur avec les jeunes Dragões, à la fin des années 1980.
Et depuis 1992, il est entraîneur-adjoint de l’équipe première.
Il a ainsi secondé le Brésilien Carlos Alberto Silva, le Croate
Tomislav Ivic et, donc, l’Anglais Bobby Robson.
« Lorsque je suis tombé malade, il y a eu une courte période au
cours de laquelle la responsabilité était, littéralement, dans les
mains d’Inácio, expliquera Robson, en 2000, en prévision d’un
duel entre Inácio et Mourinho lors d’un derby lisboète (on va y
venir). Je luttais pour ma vie. José était l’adjoint d’Inácio. »66
Robson fait ce qu’il a toujours fait, travailler avec les salariés du
club qui l’a recruté : « Je n’ai jamais dit : « Celui-ci, je n’en veux
pas. » Au Portugal, je travaille avec des Portugais, aux Pays-
Bas avec des Néerlandais, en Espagne, avec des
Espagnols. »67 Il en va donc ainsi avec Augusto Inácio dont le
statut est déjà défini à son arrivée : « Inácio était l’entraîneur-
adjoint principal et je n’ai pas modifié ce statut. L’une de mes
demandes au président Pinto da Costa a été de ramener José
avec moi. D’abord, pour m’aider sur la question de la langue,
comme traducteur, ensuite, pour travailler sur le terrain.
Il pouvait parler anglais et pas Inácio. J’avais besoin de José
pour être sûr que les joueurs comprennent ce que je disais. Et
lui, en étant à mes côtés, il apprenait. Il est très malin. »68
Vingt-cinq ans plus tard, Augusto Inácio résume : « J’étais
l’adjoint du FC Porto et Zé était l’adjoint de Bobby Robson.
Lorsque celui-ci est allé au FC Porto, je lui ai dit de se sentir à
l’aise, que s’il fallait que je parte, je partirais. Il a répondu que
non, parce que je connaissais bien le FC Porto, les joueurs et
j’ai donc intégré son staff technique. Il a insisté pour je
poursuive et, Zé et moi, on s’est retrouvés adjoints de Bobby
Robson. »
Lorsqu’il débarque, José Mário devient, aux yeux de certains
joueurs, le « second adjoint ». Ancien capitaine du FC Porto,
Jaime Magalhães est l’un des patrons du vestiaire au moment
où Robson et son bras droit s’installent. Ce Portuan de
naissance déclare : « Mourinho était l’interprète de Bobby
Robson. On sentait que Robson avait une forte confiance en lui
mais, lorsqu’ils sont arrivés, Inácio était déjà là et, pour moi,
c’était lui l’adjoint numéro un. » Une impression qu’Inácio
corrobore, d’abord : « Je ne savais pas parler anglais mais
j’étais, si on peut dire, le numéro deux, celui juste derrière
l’entraîneur. » Néanmoins, il assure : « Je n’ai jamais accordé
d’importance à la hiérarchie. Ce qui m’importait c’était de servir
le FC Porto, avec professionnalisme et c’était la même chose
pour Zé. On travaillait sans se demander si l’un était plus
important que l’autre. On a tous les deux été importants pour
Bobby Robson. »
Le « choc » Inácio – Mourinho
L’absence de Robson n’est toutefois pas sans effets. La
cohabitation entre ses deux adjoints n’est pas toujours aussi
flegmatique que lui. José et Augusto sont ambitieux. Leur
carrière parlera pour eux. Les deux seront, entre autres,
champions du Portugal69. L’ancien manager d’Ipswich l’avoue
lui-même : « Quand j’ai emmené José avec moi aux Antas
[ancien stade du FC Porto] j’ai compris qu’éventuellement, un
jour, il deviendrait entraîneur. »70 Inácio a lui aussi de l’appétit.
Robson tente donc de régenter : « J’ai fait en sorte qu’ils se
sentent importants et à égalité. Je n’ai favorisé personne.
Quand il y avait une réunion, les deux étaient présents. J’ai
cherché à cultiver une bonne relation et un esprit de groupe. »71
Certes, mais (c’est d’une logique implacable), impossible pour le
coach d’être présent lorsqu’il est… absent. Et entre José et
Augusto c’est… Quand le chat n’est pas là, les souris se
bouffent entre elles. C’est exagéré, voire franchement
« putassier », OK. Disons que l’homme de l’entraîneur fait front
à l’homme du club. Le défenseur Jorge Costa confie : « Le
numéro un a toujours été Robson mais en son absence il y a eu
une période de friction entre Mourinho et Inácio. Ne me
demande pas pourquoi, même si j’ai mon avis… Je sentais que
la coexistence était chaude. » Lors d’un stage à l’étranger, la
tension monte. Carlos Secretário se souvient et dépassionne :
« Il y a eu une période de choc entre les deux mais jamais ça
n’a eu d’incidence sur le groupe. On ne l’a pas ressenti. »
« C’est normal quand l’entraîneur principal n’est pas là qu’il
puisse y avoir un choc, prolonge Domingos. Mourinho
connaissait bien Bobby Robson et il savait ce qu’il voulait. Peut-
être que sans vouloir en arriver à une situation de conflit, Inácio
voulait lui aussi prendre le travail en main. Il pouvait donc y
avoir parfois un manque de cohésion. »
Pas de quoi bouleverser le vestiaire dont Rui Barros est l’un des
tauliers : « Nous, joueurs, on ne s’en rendait pas vraiment
compte. Ce qu’ils pouvaient se dire entre eux ne nous regardait
pas. Mais ce que je peux t’assurer, c’est que tout était
parfaitement organisé. Ils étaient des personnes responsables.
S’il y avait un éventuel conflit, ça ne se percevait pas à
l’entraînement. » « Porto est un bon club dans ce domaine,
poursuit Edmílson qui effectue ses débuts au FCP avec Inácio.
Même lorsqu’il y a un problème, c’est l’institution qui prend le
dessus. »
Augusto Inácio garantit qu’il n’y a « rien eu de spécial » entre lui
et Mourinho : « Peut-être, parfois, Zé avait-il une idée des
joueurs qui devaient être alignés et moi j’en avais une autre.
C’est tout à fait normal de ne pas être totalement d’accord sur
ce genre de questions. » Et c’est bien lui, « l’entraîneur-adjoint
principal » de Robson, qui tranche : « Quand il fallait prendre
une décision, on en discutait avec Zé qui parlait ensuite au
téléphone avec Bobby Robson sur le contenu des
entraînements et des matches. Bobby Robson décidait quels
joueurs étaient convoqués. » Et pendant les matches ? « Je
faisais ce qui me semblait le plus juste, rétorque Inácio. Les
remplacements, les changements s’effectuaient selon ma
décision. On échangeait nos impressions avec Zé mais la
décision finale me revenait. »
Pragmatiques, professionnels, les deux adjuntos s’accoutument
à leur condition. Une certaine proximité commence même à
poindre entre eux. « J’avais ma famille, il avait la sienne mais,
parfois, on déjeunait ensemble, livre Inácio. On avait une bonne
relation, professionnelle et, de temps en temps, on se retrouvait
en dehors. »
Le retour (gagnant) du leader
Malgré la maladie, Sir Bobby Robson n’est jamais bien loin.
En septembre 1995, le FC Porto débute sa campagne en Ligue
des champions, face à Nantes. Le manager est toujours off.
Off…iciellement. « Il est resté en tribunes, près du banc, narre
Augusto Inácio. Au cours de la rencontre, j’ai dit à Zé : « Je
pense qu’on devrait faire deux changements. » Il est allé voir
Bobby Robson qui lui a répondu qu’il ne voulait pas. Je suis
resté tranquille et j’ai dit : « A partir de maintenant, je ne dis plus
rien. Quand il voudra, il décidera. » J’estimais, comme j’étais sur
le banc et lui en tribunes, que je devais donner mon opinion. On
a fait 0-0. » Non, l’adjoint n’est pas vexé : « Il n’y a pas eu de
problème, aucune tension suite à cela. Il n’y avait aucune raison
pour ça. Qui est le leader ? L’entraîneur principal. Disons que,
dans ce cas précis, comme il n’était pas sur le banc, on en était
droit de donner notre avis. Si le leader n’avait pas été là, j’aurais
agi mais il était bien là. »
Avec le duo Inácio-Mourinho aux commandes, les résultats sont
là. Porto débute sa saison par trois confrontations face au
Sporting. La Supercoupe aller et retour (qui après deux nuls 0-0
et 2-2 ne se décidera qu’en avril 1996 en faveur des Lions) et
un succès en Liga (2-1). Augusto et José dirigent l’équipe
jusqu’à la mi-octobre. Ils sont leaders du championnat (après 7
journées) et, en C1, comptent une victoire (2-0 contre Aalborg)
et ce fameux nul à Nantes (0-0).
C’est Mourinho qui a préparé ce déplacement en France.
Fernando Lucas, un ami de Manuel Fernandes qui a maintenu
le contact avec José et Bobby, est du voyage : « On est allés en
Corse, à Bastia, pour superviser le FC Nantes qui allait affronter
Porto en Coupe d’Europe. On a été reçus comme des princes.
On nous a offert le maillot du club, on a dîné avec le staff. On
est restés le week-end. Bobby Robson était malade et, dans la
foulée, nous sommes allés lui rendre visite en Angleterre. »
Un mois plus tard, le manager anglais revient mais ne parvient
pas à faire décoller l’équipe en C1. Il terminera troisième de son
groupe, derrière le Panathinaïkos et les Nantais. Il se fera sortir
en demies de la Taça par le Sporting mais survolera le
championnat. En 1995-1996 (première saison avec la victoire à
3 points) le FC Porto est sacré campeão avec 11 longueurs
d’avance sur le Benfica.
En deux ans et demi à Porto, Robson remporte deux
Championnats, une Coupe et deux Supercoupes du Portugal.
Le Barça lui tend les bras et la séparation avec les Dragons est
un peu tendue. Lucas révèle : « Il y a eu un retard de paiement.
Bobby Robson a instauré une action contre le club, Zé n’a pas
suivi et je crois que Robson a été un peu vexé. » Si José ne
bronche pas, c’est qu’il est surtout plus habitué à ce genre de
contretemps que l’Anglais. Il se doute que tout rentrera dans
l’ordre (ce qui sera le cas). Et il accompagne Robson en
Catalogne. A l’été 1996, les Blaugranas renouent avec la
tradition des entraîneurs anglais. Mourinho, lui, est loin d’en
avoir fini avec le FC Porto.

Barça, le premier grand amour de


Mourinho
« Més que un club ». Bobby Robson va vite capter la
signification de la devise du FC Barcelone. Porté par ses succès
au FC Porto, lorsque le sexagénaire manager apparaît en
Catalogne, il est encore sur un nuage. Le sourire qui
accompagne ses premières déclarations – un mélange de
portugais et d’anglais – trahit son enthousiasme.
Le contexte est, pourtant, on ne peut plus compliqué. Le Barça,
quoi. Le site internet officiel du club qui dédie une mini-
biographie sur Sir Bobby résume plutôt pas mal son passage en
son sein. En intro : « Ce gentleman anglais, né à Sacriston le 18
février 1933, est arrivé en 1996 au FC Barcelone avec la difficile
tâche de remplacer Johan Cruyff ».
Cruyff, la légende. Le Néerlandais qui avait été joueur au club
entre 1973 et 1978, en a été l’entraîneur entre 1988 et 1996.
Vainqueur, entre autres, de la première C1 de l’histoire du FCB
en 1992. Bobby ne se laisse pas impressionner et bombe le
torse : « Je n’ai pas peur de lui succéder. Quand le président
des États-Unis part, un autre président des États-Unis est
nommé. » Il ne croit pas si bien dire… Robson est en plein
conflit politique. Josep Lluis Nuñez qui préside le Barça depuis
1978 a divisé les socios en dégageant Cruyff. Le Brit’ ne
parviendra jamais à se défaire de la comparaison et devient
l’incarnation de ceux qui n’ont pas voulu de ce départ, de ceux
qui en veulent à Nuñez. Il aura du mal à entendre les critiques
des fans, des médias, de certains notables, compte-tenu de ses
résultats. Ses conf’ de presse seront donc souvent animées. Et
celui qui en assurera la bonne compréhension est son fidèle
José. Aux côtés du gesticulant, expressif, touchant Robson,
trône l’imperturbable Mourinho. Le visage fermé, le regard froid,
le ton stoïque. Il semble impénétrable. Ces passages devant la
presse seront, pour lui, un avant-goût, un test taille réelle (voire
XXL), de ce qui l’attend.
Stoitchkov : « Quand il est arrivé, il était « José
nadie » »
Sur les premières images de Bobby Robson arrivant à
Barcelone, Mourinho apparaît à ses côtés. Il assure la trad.
L’Anglais ne parle pas castillan et sa maîtrise du portugais
demeure bancale. José est sa béquille, son bras droit, le
prolongement de sa pensée. Et ce, depuis maintenant quatre
ans. Pourtant, c’est à Barcelone, à 33 ans, alors qu’il a
démontré au Sporting et au FC Porto qu’il n’était pas un
« simple traducteur » qu’on lui accole le plus cette étiquette.
Aujourd’hui, encore. Peut-être parce qu’au Barça la caisse de
résonance est démesurée, peut-être parce qu’au Barça,
Mourinho repart de zéro.
Robson a dû lutter pour que les décideurs barcelonais
acceptent son adjoint. Dans un magnifique documentaire intitulé
Bobby Robson, more than a manager, Joan Gaspart, vice-
président du club catalan entre 1978 et 2000 se souvient :
« Dès le premier rendez-vous, dans un hôtel, Bobby Robson est
venu avec un jeune homme qui était son assistant : José
Mourinho. On lui a dit : « Non, c’est mieux que votre assistant
soit quelqu’un de Barcelone. » « Non, non ! », il a insisté encore
et encore. « S’il vous plaît. Si c’est une question d’argent,
donnez-lui une partie de ce que vous me donnez. » C’est Bobby
Robson… » En 2011, sur les ondes de COM Ràdio, ce même
Gaspart livre d’autres détails : « Nuñez a dit à Robson qu’en
aucun cas il ne recruterait un traducteur, qu’il aurait quelqu’un
du club et, face à son insistance, il a offert 10 000 pesetas par
mois à Mourinho. » Soit quelques 400 euros actuels. Mourinho
refuse expliquant « qu’avec 10 000 pesetas mensuels il était
impossible de vivre. » Nuñez revoit son offre à la hausse « mais
pas de beaucoup », poursuit Gaspart qui y va de sa
contribution : « Il logeait gratuitement dans une chambre d’un
hôtel à moi, El Arenas, parce qu’il n’avait de l’argent que pour
survivre. Quand il a démontré être plus qu’un traducteur, on lui a
augmenté son salaire et il a pu se trouver un appartement. »
Hristo Stoitchkov qui, cet été-là, signe son retour au Camp Nou
l’affirme lui-même : « Avant de devenir le meilleur entraîneur du
monde, Mourinho n’était personne et quand il est arrivé à
Barcelone, il était José nadie72. » Mourinho est dans une
nouvelle étape de croissance et d’apprentissage. Celui qui avait
débuté, dix ans auparavant, comme éducateur au Comércio e
Indústria, côtoie maintenant les stars du Barça. Le Ballon d’or
94 est l’une de ces étoiles. « C’est à ce moment-là qu’il a
commencé à se préparer pour devenir le meilleur entraîneur du
monde, lance le Bulgare. Tous les jours, il prenait des notes, il
échangeait avec les membres du staff, les joueurs, il nous
corrigeait, nous aidait… Il est très exigeant parce qu’on ne peut
pas triompher sans exigence. »
Mais ne dites surtout pas au natif de Plovdiv que le rôle de José
était celui d’un interprète. Car, là, le ton change : « Quelqu’un a
inventé qu’il était traducteur. José Mourinho a travaillé sur le
terrain, il connaissait, parlait, mettait en place la tactique, les
coups de pied arrêtés… Un traducteur ne sait pas ce qu’est le
football. Il était un membre de l’équipe de travail. Moi, je le dis :
José Mourinho a été mon entraîneur et il est devenu mon ami. »
« Quand il a démontré être plus qu’un traducteur, on lui a
augmenté son salaire et il a pu se trouver un appartement »,
disait Gaspart. José ne va pas tarder à faire étalage de ses
qualités et de son éventail de compétences. Son binôme avec
l’Anglais est déjà bien rodé. « Avec Bobby Robson, José
travaillait beaucoup sur le terrain, constate Stoitchkov. Il avait
une façon de voir les choses qui était différente. Il encourageait
les jeunes joueurs, s’intéressait à tout ce qui se passait à
l’entraînement : les phases de jeu, les mouvements, le profil, les
caractéristiques de nos adversaires. »
Mourinho reprend aussi ses activités de scout. Dès sa prise de
fonction en Catalogne, José va couvrir l’Euro en Angleterre. Il y
supervise de futures potentielles recrues. Robson connaît et
apprécie sa capacité d’analyse. Il envoie donc aussi Zé
espionner, une première fois, l’AEK Larnaca, premier adversaire
du Barça en Coupe des Coupes.
José est pied au plancher. Il fonce, ne compte pas ses heures,
s’assoit sur ses congés et finit par se retrouver dans le fossé.
Peu après avoir paraphé son contrat avec le Barça, sur le trajet
qui le ramène à la casa, il s’endort au volant et percute un
camion. Son Suzuki Vitara termine à la casse. José parvient à
s’extraire de la carcasse et s’en sort, presque par miracle, avec
quelques contusions à la tête.
Traducteur, médiateur, porte-parole et…
Les dirigeants catalans ont vite mis Mourinho à l’épreuve. Et
ils comprennent vite qu’il va faire bien plus que de jouer les
interprètes. Quelques jours seulement après avoir été
embauché, Mourinho est invité à la table des négos de son ex-
patron, le président portiste Pinto da Costa et de son nouveau
boss, Gaspart, pour le transfert Vítor Baía. Un feuilleton qui va
s’éterniser au cours de cet été 1996. José qui a connu le
gardien au FC Porto, va être une sorte de médiateur dans ce
dossier. Après moult tergiversations et volte-face, le portier
portugais s’engage en juillet et, à en croire El Mundo Deportivo,
Mourinho a été « décisif ». Le quotidien sportif catalan dédie
carrément une pleine page à l’entraîneur-adjoint du FCB. Un
entretien au cours duquel José commente notamment le
recrutement de Baía : « Il a une grande personnalité mais ni
Robson ni moi ne voulons de leader. La star doit être toute
l’équipe. »73 Celui qui est alors un inconnu, qui vient de
débarquer au sein du grand FC Barcelone avec l’étiquette de
« traducteur », cause à la première personne.
Et il cause beaucoup. A peine arrivé, José, que les dirigeants
catalans rechignaient à faire signer, devient la voix du Barça
dans les médias. Radio, télé, presse… C’est lui qui commente
les dossiers mercato du FC Barcelone. Les arrivées de Baía,
Amunike, Ronaldo, Stoitchkov, Giovanni, Couto, Laurent
Blanc… De facto, son polyglottisme est précieux. Lorsque « Le
Président » se confie sur ses premiers pas au Camp Nou, il
déclare : « J’ai beaucoup de chance que notre second
entraîneur, Mourinho, parle un peu français. »74 Il y a aussi les
départs très discutés de Jordi Cruyff ou Kodro. Lorsque ce
dernier s’épanche sur son sort dans la presse, Mourinho lui
répond, par le même biais : « Je lui conseillerais de moins parler
et de travailler plus. »75 Mourinho maîtrise les langues, y
compris la bien pendue.
Quand l’équipe est tenue en échec face au Racing, lors de la
troisième journée de Liga, José l’allume : « Elle a joué avec un
excès de confiance et trop peu d’ambition pour marquer le
deuxième but. » Et il prend pour cible la recrue la plus chère de
l’histoire : « Ronaldo ne peut pas marquer un but et dormir les
89 minutes restantes. » Une sortie qui énormément fera du
bruit…
Au clash avec Luis Fernandez et Fabio Capello
José n’a pas peur d’être exposé. Pas plus que de clasher.
Lors de la cinquième journée de Liga, Bobby Robson, grippé et
aphone, lui cède sa place en conférence de presse d’après-
match à Saragosse. Une rencontre folle. Menés 3-1, les
Catalans s’imposent 5-3. Chatouillé sur la défense du Barça, Zé
cogne : « Moi, il me semble que c’est parfait d’encaisser 3 buts
à chaque match et d’en marquer 5. » Dans les jours qui suivent,
Bobby est cloué au lit. Son adjoint prend le relai à
l’entraînement et en conf’. José en profite pour tailler Zagallo, le
sélectionneur Brésil qui, malgré la demande du Barça, a
convoqué Ronaldo pour un amical face à la Lituanie mais pas
Jardel qui cartonne avec le FC Porto : « Zagallo a sûrement dû
recevoir un maillot de Porto quand il était enfant. » Le tout
nouvel adjoint du Barça semble parfaitement à l’aise avec les
médias et la com’.
Et José Mário n’a pas fini de se faire des potes. En novembre
1996, après 14 journées, le FC Barcelone s’incline pour la
première fois de la saison en Liga. La faute à l’Athletic Bilbao de
Luis Fernandez. L’ancien entraîneur du Paris SG, intenable
dans sa zone technique, échange quelques mots avec le Mou.
A l’issue de la rencontre, il sourit : « Je ne lui ai rien dit.
L’Athletic a gagné sur le terrain et, ce qu’il y a, c’est que
personne n’aime perdre. » La réponse de José ? « Personne
n’aime perdre. Mais je dirais que si nous avons perdu, c’est
principalement lié au mérite des joueurs de Bilbao. » Un
message pour Luis ? « Je ne parle qu’aux personnes éduquées
pas aux gamins. » Les retrouvailles lors du match retour ?
Mourinho jure qu’il ne serrera pas la main de Fernandez qui
riposte : « Ça m’aurait préoccupé si ç’avait été monsieur
Robson. Mais ceux qui espèrent devenir célèbres en Espagne
devront attendre un autre jour. » José attendra, donc.
Un quart de siècle plus tard, Luis revient sur cet échange :
« A San Mamés, les bancs des deux équipes étaient presque
collés. José n’arrêtait pas de bouger, de râler. Il protestait contre
certaines décisions. Moi aussi j’étais expressif. Je suis allé vers
lui pour lui dire : « Reste assis. L’entraîneur ce n’est pas toi,
c’est monsieur Robson. » Juste ça. Il n’y a pas eu d’insulte.
C’était le Barça en face et, le Barça, ça se respecte. » Le
technicien français se souvient d’un « Robson très classe, très
calme. C’était un monsieur d’un certain âge. » Le flegme de
l’Anglais marié à la fougue du Portugais. « Ça me rappelle
Suaudeau et Eo à Nantes, compare Fernandez. L’un restait sur
le banc, ne bougeait pas, et l’autre était en mission. »
Luis et José ne se recroiseront que bien des années plus tard.
A l’été 2002, le FC Porto dirigé par Mourinho disputera un match
de prépa face au PSG de Fernandez. « On a reparlé de cet
épisode lors de cet amical, livre ce dernier. On s’est serrés la
main, on s’est remémorés cette situation. Je me suis excusé et
il m’a dit qu’il comprenait, que c’était du passé. On les avait
battus. C’était un moment de chaleur. »
José Mourinho, l’asistente de Barcelone, va aussi chauffer le
Madrid de Fabio Capello. Avril 1997. Alors que Mourinho titille le
Real à l’approche du clásico, l’Italien est invité à lui donner la
réplique : « Qui est Mourinho ? Je ne parle qu’avec Robson, pas
avec Mourinho. » José Mário détone et dénote. « En Italie, les
adjoints ne parlent jamais, constate Capello. On suit cette
norme à Madrid et on s’en porte très bien. »76 Dans quelques
années, ce sera Mourinho à la place du maître Capello…
Mourinho, le Catalan
A toi pour qui Mourinho est clairement identifié Madrid depuis
son passage au Real (2010-2013), voici la version Culé de
José. En octobre 1996, El Mundo Deportivo s’intéresse à celui
qui vient de débarquer avec Robson et qui s’assume, sans
complexe, face à la presse. L’adjoint a cette fois-ci carrément
droit à une double page dans le quotidien catalan. Au cours de
l’entretien, le journaliste lui demande s’il hait le Real Madrid ce à
quoi José répond : « Je ne hais pas Madrid mais je sais que
dans le football il est mon ennemi. » Zé est engagé. Un mois
avant, en marge d’un nul à Santander
(1-1), il s’exprime devant les médias en… catalan… « Pour moi,
c’est un geste de respect », dit-il.
Et du respect, il en exige en retour. L’inséparable duo Robson-
Mourinho, certains s’en font carrément des films… de cul(és).
Dans un papier intitulé : « Mourinho, bien plus qu’un
entraîneur », daté d’avril 2010, Fernando Polo, journaliste à El
Mundo Deportivo, replante le décor : « Il n’a pas évité la
controverse lors de sa première année. Il a été la cible de
commentaires médisants émanant des égouts du Camp Nou.
Il y a même eu une rumeur qu’il entretenait plus qu’une bonne
amitié et une étroite relation professionnelle avec Robson. La
réponse du Mou à cette calomnie a été autant dénuée de tact
que remplie de force. « Que celui qui pense que je suis
homosexuel me ramène sa sœur », a-t-il dit lors d’une interview
avec le journaliste Luis Martín. »77
La naissance de sa fille, le décès de sa sœur
Au cours de leurs premiers mois à Barcelone, les Mourinho
vont être traversés, envahis, submergés par les émotions. José
Mário et Matilde se sont installés à Sitges, jolie station balnéaire
située à une quarantaine de kilomètres au sud de Barcelone. Et
ils s’y plaisent. Le 4 novembre, le couple accueille Matilde,
« Tita », née lors d’un séjour à Setúbal.
Mais cette année 1996 est aussi chargée de tristesse. José
perd sa belle-mère et sa sœur, Teresa. Le 2 octobre, quelques
jours avant la naissance de Tita, le Camp Nou se recueille et
rend hommage à la grande soeur de José Mário. Plongée dans
un coma diabétique depuis plusieurs jours, l’infirmière de 37 ans
qui luttait contre la maladie depuis qu’elle était gamine est
décédée. José qui était parti à son chevet, est sur le banc face à
Tenerife. Mais le cœur n’y est pas. « Il peut ne l’avoir jamais
exprimé mais personne ne peut soulager ce chagrin, s’attriste
José Toureiro, ami de José depuis la faculté. Zé souffre de
l’intérieur. J’ai senti chez lui une volonté encore plus forte de
vouloir aider sa famille et ses proches, suite à cette tragédie. »
« Quand tu perds quelqu’un d’aussi proche, tu n’es plus jamais
la même personne, soupire à son tour Hristo Stoitchkov. Il y a
des choses très privées que je garde pour moi. Comme José, je
suis très famille. Celui qui connaît José Mourinho sait qu’il a un
cœur énorme. »
Depuis ces années Barça, Stoitchkov est un proche de
Mourinho. Attaquant-star de la sélection bulgare des Nineties, le
Ballon d’or 1994 retrouve la Catalogne, après une pige à
Parme. Entre José et lui, ça matche direct. « Je peux te parler
de lui pendant des heures, s’enthousiasme-t-il. Notre amitié a
débuté en 1996 et elle n’a jamais vacillé. On s’appelle, on se
donne des nouvelles. Beaucoup de gens parlent de lui sans le
connaître. Moi, je sais qui il est. Pour moi, José est une
personne très humble, un travailleur déterminé, un bon mec. »
Un mec fidèle et loyal à celui qui l’a fait venir au Barça et pour
qui l’horizon semble s’obscurcir.
Robson écarté : « Mourinho l’avait mauvaise »
Comme ce fut souvent le cas dans la carrière de Mourinho
Félix (le « vrai » père de José Mário), Bobby Robson va aller de
déceptions en désillusions. Et son « fils » va aussi les endurer.
Au Barça, malgré de bons résultats, le technicien anglais de 64
ans est sous pression. Encore et toujours le fantôme et le
fantasme du « Hollandais Volant »…
Le site officiel du FC Barcelone recontextualise : « La pression
générée par le licenciement de Cruyff et les fortes critiques liées
à son système de jeu n’ont sans doute pas contribué à ce que la
saison de Bobby Robson soit calme. » Une saison surtout
marquée par des élections. Les présidentielles du FCB se
tiendront en juillet 1997. Nuñez est donc en pleine campagne.
Robson va en être une victime, un sacrifié. Le successeur de
Cruyff peine à se faire aimer. Les nostalgiques regrettent plus le
« football total » du Néerlandais qu’ils n’apprécient les victoires
de l’Anglais. Une partie de la presse le démonte. Le nouveau
plan de Nuñez a un nom : Louis van Gaal. Le Néerlandais vient
d’atteindre deux finales de C1 avec l’Ajax (vainqueur en 1995 et
finaliste en 1996). Pays-Bas + Ajax = Cruff ! Les deux
entraîneurs sont différents en bien des points (ils nourrissent
même une rivalité), mais, à ce moment-là, Nuñez se dit qu’il
parviendra peut-être à faire oublier son ex en se maquant avec
ce qu’il se dit être un sosie. Ce sera donc Louis. Et il ne s’en
cache pas.
Un match va symboliser la situation : le quart de finale retour de
Coupe du Roi face à l’Atlético de Madrid. A l’aller, les deux
équipes s’étaient neutralisées (2-2). La deuxième manche au
Camp Nou, débute mal. Très mal. A la pause, les Barcelonais
sont menés 3-0. Ils vont alors entamer une incroyable
remontada et s’imposer 5-4 grâce à des buts de Figo, Pizzi et,
surtout, un triplé de Ronaldo. Mais la vraie star de la soirée est
dans les tribunes. Louis van Gaal est là, à la vue, aux yeux de
tous et notamment des caméras. Nous ne sommes qu’en mars
et les rumeurs qui circulent depuis quelques semaines semblent
fondées. Dur à encaisser pour Bobby et José. D’autant que rien
n’est encore officiel.
Le 16 avril, le Barça s’incline à Valladolid (1-3). Mourinho envoie
aux journalistes : « Si vous deviez travailler avec les deux pieds
quasiment dehors vous ne pourriez pas être au top dans votre
travail. » Un mois plus tard, Robson révèle aux journalistes ce
qui est un secret de polichinelle : « On m’a confirmé que l’avenir
du club à long terme serait entre les mains de Louis van Gaal. »
En finale de Coupe du Roi, il dirige le Barça pour la dernière
fois. Un succès aux prolongs face au Bétis (3-2). L’hymne
barcelonais retentit au Bernabéu, Robson a remporté trois titres
sur quatre possibles78, Nuñez va bientôt remporter les
présidentielles et recaser l’Anglais au poste très officiel de
« directeur du recrutement » avec Mourinho comme second.
Voilà ce qu’indique la mini-bio de Robson sur le site officiel du
Barça : « Malgré les bons résultats sportifs, Louis van Gaal a
été recruté pour diriger le Barça les saisons suivantes. Bobby
Robson, qui s’est distingué sur le banc azulgrana, a assumé,
avec l’arrivée du technicien néerlandais, une place au sein du
secrétariat technique du Club. » En décrypté : Nuñez a cédé
aux critiques, embauché Van Gaal et mis Robson au placard.
Une gestion foireuse, voire foirée, selon Hristo Stoitchkov :
« Pour moi, Barcelone s’est trompé en écartant Robson du
poste d’entraîneur. C’était un monsieur du football. Ce n’est pas
lui, c’est l’équipe qui a perdu le titre en Liga cette saison-là, lors
de certaines rencontres qu’on ne devait pas perdre, contre
Hércules, l’Espanyol… Le travail effectué par Bobby Robson et
José Mourinho a été fondamental. On a gagné trois titres alors
que Barcelone n’était pas une équipe capable de le faire cette
année-là. »
« On l’a vu venir et ça n’a surpris quasiment personne, se
remémore le milieu de terrain formé au Barça, Óscar García
Junyent. L’idée du club était de revenir aux idées néerlandaises
qui avaient eu du succès auparavant. » La pilule a du mal à
passer pour José. « Il l’avait mauvaise parce qu’avec Robson ils
avaient travaillé ensemble durant de nombreuses années »,
poursuit celui qui sera l’entraîneur de Saint-Etienne en 2017.
Plusieurs clubs et sélections s’intéressent alors à l’Anglais. Le
Benfica qui sort d’une saison blanche le sonde à l’intersaison
mais Robson qui veut tester son nouveau poste au Barça,
décline. C’est ensuite Abílio Rodrigues, candidat aux
présidentielles des Aigles d’octobre 1997, qui intègre l’Anglais
dans son programme électoral. « Gagnez et après on
discutera », lui répond l’intéressé. Rodrigues se fait balayer par
Vale e Azevedo et son Ecossais d’entraîneur, Greame Souness.
Dans les jours qui suivent, c’est le Sporting du Portugal qui
tente l’improbable come-back du Britannique. Oui, oui, ces
mêmes Lions qui l’avaient largué à plusieurs kilomètres
d’altitude, lors d’un vol retour de Coupe d’Europe en 1994. Faut
dire que ce n’est plus vraiment le même Sporting. Sousa Cintra
qui l’avait viré a laissé la présidence à José Roquette. Ce
dernier envoie ses hommes de confiance à Barcelone pour
tenter de convaincre Sir Bobby. Mais son salaire pose souci,
son adjoint aussi. Mourinho n’est pas tenté par cette possibilité
et une partie des dirigeants sportinguistes le lui rendent bien.
« José avait quelques doutes et craintes sur les personnes qui
géraient le football au club au cours de cette période, expliquera
Robson. Il estimait qu’elles n’étaient pas correctes. Je ne
connaissais pas la situation mais lui, si. »79 Bobby Robson reste
donc à Barcelone. Avec Mourinho. Et… avec Van Gaal.
Van Gaal, retour à la case départ
Les premiers mots de Louis van Gaal face à la presse
catalane sont à l’image de ce qu’il dégage, froids et directs :
« A partir d’aujourd’hui, le Barça est le Barça de Van Gaal. »
A ses côtés, les sourires de Nuñez et Robson sont contrastés.
Et voilà José au milieu de deux feux. Son mentor est là sans
être là, et il n’a plus d’emprise sur leur destinée. « Je pense que
la mise à l’écart de Robson a été difficile pour José », lance
Stoitchkov.
Mourinho que Nuñez avait annoncé comme second de Robson
au poste de directeur du recrutement après la venue de LvG,
songe d’abord à se barrer. « Le jour où Bobby Robson partira, je
partirai aussi », affirme-t-il le 30 avril 1997. Mais le Brit’ qui a
reçu des propositions finit par rester. José aussi est sollicité. Au
cours de cette intersaison, il reçoit une offre du Sporting de
Braga qui vient de se qualifier pour la Coupe de l’UEFA. « Je
veux connaître le potentiel sportif et économique pour estimer
les recrues potentielles. Après, je déciderai »80, commente-t-il.
En réalité, il a déjà décidé.
Une réunion entre lui, Robson et Van Gaal, après la finale de la
Coupe du Roi, a fini de le convaincre. Mourinho prend part aux
groupes de travail mis en place par LvG qui lui a proposé
d’intégrer le stage de présaison en Suède et aux Pays-Bas. Le
retour au Portugal, le poste de principal, ce sera pour plus tard.
Le Mou est un rationaliste. Il lui reste une année de contrat avec
le Barça, il se dit qu’il a beaucoup à apprendre d’un autre grand
technicien, en attendant qu’un meilleur projet (que celui de
Braga) se présente.
Mais pourquoi Louis van Gaal qui est arrivé à Barcelone avec
son propre staff fait-il confiance à l’adjoint de son prédécesseur
qui est toujours dans les parages ? Robson a une réponse :
« Parce qu’il a constaté que Mourinho était intelligent, qu’il
connaissait les joueurs, le club, qu’il faisait de bons rapports sur
les équipes adverses et qu’il savait analyser les matches et la
capacité des joueurs. »81 Mourinho fait ainsi le pont entre
l’ancien et le nouveau staff et, accessoirement, assure la
traduction.
Une célèbre citation du Néerlandais traduit la confiance que ce
dernier accorde au Portugais : « Parfois, je me dis que je suis le
seul gars qui a cru en José. Quand Bobby est parti, Mourinho
était en colère. Sa position était en train de disparaître. »82 Au
sujet de José, Van Gaal précisera : « J’ai été impressionné par
sa personnalité et il a donc été maintenu, d’abord pour un an.
Quand j’ai dit au club qu’il devait rester, ils n’étaient pas
ravis. »83
Avec Louis, Mourinho repart, toutefois et encore une fois, de
zéro. Il n’est plus le bras droit de l’entraîneur principal. « Au
début, il était juste un traducteur mais, au fur et à mesure, il est
devenu l’un de mes adjoints les plus importants, expliquera le
Néerlandais. On a fait beaucoup de jeux de position lors des
entraînements. C’est là que vous voyez si quelqu’un peut
devenir un vrai entraîneur. Et lui pouvait. »84
Anderson : « On nous l’a présenté comme le
traducteur de Van Gaal »
« Au début, il était juste un traducteur », affirme Van Gaal.
Voilà qui explique peut-être le souvenir que Christophe Dugarry
garde de sa demi-saison passée à Barcelone : « Franchement,
pour moi, dans ma mémoire, Mourinho était traducteur. Je ne
l’ai toujours vu que comme ça. » Après une année à Milan,
l’attaquant français s’engage en Catalogne à l’été 1997.
« Mourinho traduisait aux Brésiliens les indications de Van Gaal,
il me traduisait le français à moi, continue-t-il. Lors de la
première année de Van Gaal, ce dernier ne lui donnait aucune
responsabilité. Que dalle. Van Gaal avait ramené ses gars. »
Au bout d’une demi-douzaine de matches, l’hiver venu, Duga
quitte les Blaugranas pour l’OM. Son séjour en Catalogne a été
difficile. Voire étrange. Pour le futur champion du monde 1998,
Van Gaal est « très bizarre » : « C’est lui qui m’avait fait venir.
Il avait vu mes matches au Milan où ça ne se passait pas trop
mal. Il voulait me faire jouer en soutien de Ronaldo. Bon, OK,
très bien. Je suis arrivé, le Brésilien a fait deux entraînements et
il s’est barré à l’Inter. C’est Sonny Anderson qui l’a remplacé.
Van Gaal voulait me mettre un peu au poste de numéro 10, une
sorte de piston. Je recevais les ballons, je les ressortais en une
touche et je me projetais ; un jeu très, très simple qui n’était pas
forcément le mien, mais bon, OK. Lors d’une séance
d’entraînement, j’ai reçu un ballon, j’ai fait un contrôle orienté,
lucarne, but extraordinaire. Et là, il m’a engueulé, m’a défoncé :
« Non ! Les dribbleurs, c’est les mecs de côté : Figo,
Rivaldo… » Il voulait qu’ils créent pour que moi je me projette
en deuxième attaquant. C’était son idée au départ. Mais elle va
tourner, très, très vite. Je me suis retrouvé numéro 6. Les
matches que je jouais n’étaient pas catastrophiques mais
ternes, neutres. Chaque fois qu’il débriefait les matches, il était
là, dans le vestiaire, il me demandait pourquoi j’avais perdu un
ballon à telle ou telle minute. Je ne m’en souvenais même pas.
Il analysait tout. Il plaçait les joueurs comme des pions. »
Le Girondin sature. Son adaptation est tourmentée, tout comme
sa vie privée : « Tout ce que je faisais, ça n’allait pas. Il ne
voulait pas que je parte. Ma femme venait de faire une fausse
couche. Je lui ai dit que je n’allais pas bien. Il a essayé de me
convaincre de rester, que j’allais y arriver mais je n’avais qu’une
envie, c’était de me barrer. J’étais à l’hôtel depuis six mois…
C’était plein de paradoxes. Il sortait des mecs pendant des
semaines, sans raison, puis les rappelait. C’était compliqué
avec Van Gaal. Avec la presse, avec Stoitchkov… » Pas la
peine de demander au Bulgare ce qu’il pense de LvG. « Je ne
parle pas de cette personne », balance-t-il sèchement. Lui aussi
quittera le Barça peu après la venue de Van Gaal.
A cette époque, Mourinho résume plutôt pas mal la relation
entre l’ancien technicien de l’Ajax et ses joueurs : « Ils l’aiment
beaucoup à la fin de la saison, lorsqu’ils comprennent qu’on a
gagné le championnat. Mais c’est vrai qu’au cours de la saison,
la vie au sein d’un club qui a Van Gaal comme leader n’est pas
facile ni agréable et il a parfaitement conscience de cela. »85
Tout n’est pas cata, pour autant. Y compris pour Duga : « Tous
les entraînements se faisaient avec ballon. Par rapport à ce que
j’avais connu en Italie, par exemple, ça n’avait rien à voir. On a
dû faire un ou deux footings au stade au départ mais après
c’était tout avec ballon. » Mourinho assiste à ça, « un peu en
retrait ». Sir Bobby aussi : « Je le voyais de temps en temps
mais Van Gaal voulait tout gérer », poursuit Dugarry.
« C’était assez bizarre parce que quand on est arrivés, on nous
a présenté Mourinho comme le traducteur, reprend Sonny
Anderson. Il traduisait ce que Van Gaal disait dans le
vestiaire. Quand il a commencé a animé les séances
d’entraînement, on s’est mis à le voir comme un adjoint. »
Et Mourinho se voit « très vite » confier d’autres tâches que
celle d’interprète. « Au bout de quelques semaines, on aurait dit
qu’il avait entraîné à l’Ajax avec Van Gaal, assure Óscar García.
C’est une personne très intelligente et il a très vite assimilé ses
concepts. Il s’est très vite adapté et a très vite gagné la
confiance de Van Gaal. »
Comme avec Robson, il poursuit ses missions d’espion.
« Il allait voir jouer nos adversaires, c’est lui qui gérait la
causerie de veille ou d’avant-veille de match, lorsque Van Gaal
voulait évoquer un adversaire qu’on ne connaissait pas, poursuit
Anderson. Par exemple, on est allés jouer à Riga86 et on ne
connaissait pas un joueur. Mourinho s’était rendu là-bas et il
nous avait fait la présentation du club, des joueurs. On avait
toutes les informations. » Mais ça ne suffira pas à faire briller le
Barça en Champions League cette saison-là. Le FCB termine
dernier de son groupe, derrière le Dynamo Kiev, le PSV et
Newcastle. Le premier exercice de Van Gaal n’est pas un échec
pour autant : il remporte la Liga, la Coupe du Roi et la
Supercoupe d’Europe. Ce melting pot qui illustre plutôt pas mal
ces premières années post-arrêt Bosman s’avère, au final,
plutôt solide, voire solidaire.
La vie sans Robson
Louis – originellement Aloysius Paulus Maria van Gaal – et
José Mário se rapprochent. Ils sont même voisins, à Sitges.
Mourinho va bientôt être orphelin de Robson. La cohabitation
entre l’Anglais et le Néerlandais aura duré une saison. En avril
1998, le retour de Sir Bobby au PSV est annoncé. Quelques
mois auparavant, il avait repoussé plusieurs avances mais le
gazon lui manque trop. Aux Pays-Bas, au pays de Van Gaal, où
il a été champion en 1991 et 1992, il va prendre le relai de Dick
Advocaat.
José qui lui avait juré fidélité ne le suit pas et, passés quelques
mois, il expliquera pourquoi : « Si j’avais senti qu’il était
contrarié que je reste au Barça, je l’aurais accompagné à
Eindhoven. Mais Bobby Robson, qui est indiscutablement mon
meilleur ami dans le football, m’a conseillé de rester ici et m’a
confié qu’au PSV son contrat était une saison de transition. »87
José réapprend à vivre sans son ex. A 35 ans et après un
quinquennat de vie commune avec l’Anglais, José Mário est
confronté à tout autre style avec Louis van Gaal. Au-delà de
leurs personnalités, Robson et Van Gaal n’ont pas la même
façon de travailler. Voilà comment Mourinho décrit le
Néerlandais à cette époque : « C’est un fanatique de travail.
Il passe en moyenne huit à dix heures par jour au club et il gère
parfaitement les capacités des individus qui travaillent avec lui.
Il a une parfaite notion que, dans le club, il y a des personnes
qui font certaines choses mieux que lui et il délègue en
conséquence. Van Gaal ne s’intéresse pas seulement aux
entraînements et aux matches, il contrôle aussi les équipes de
jeunes, la relation club-médias et les départements
d’observation et de scouting. Au niveau des entraînements, il
n’assume très souvent que le rôle de planification et
d’observateur, tandis que ses adjoints sont les opérationnels. »88
Dans sa biographie publiée en 2004, le Portugais détaille
encore : « Avec Van Gaal, je pouvais arriver au stade une demi-
heure avant l’entraînement. Je n’avais à me préoccuper de rien
parce que le travail était toujours parfaitement défini. Je savais
déjà ce qu’on allait faire. Des objectifs d’entraînement, au temps
d’exécution des exercices, en passant par les principales
incidences méthodologiques. Rien n’était laissé au hasard et
tout était programmé dans le moindre détail. Il me restait donc –
à moi et aux autres adjoints des divers domaines – à entraîner
sur le terrain. Cette situation a été un énorme bond qualitatif
dans mon travail, puisqu’avec Robson je ne développais pas
beaucoup cette pratique sur le terrain. »89 Mourinho continue de
peaufiner ses théories mais, surtout, il pratique.
Le pote de fac de Zé Mário, José Toureiro, a pu assister au
quotidien de Mourinho à Barcelone. « J’y suis allé au moment
où Van Gaal était l’entraîneur », dit-il. Et alors, c’était comment,
concrètement ? « Van Gaal organisait une réunion avec ses
entraîneurs une heure ou deux avant la séance. Il n’interférait
que très peu lors de celle-ci. Ce sont ses adjoints qui animaient.
Il réajustait s’il le fallait, débriefait, mais il agissait plus en tant
que manager. Zé était donc très actif, à ce moment-là. »
« Quand José a été amené à travailler avec Bobby Robson, il a
eu un professeur qui était très bon sur le terrain, expose le
Professor Toureiro. Comme Zé possédait une grosse
connaissance théorique, il a beaucoup évolué avec Robson. Zé
était excellent aussi bien dans le travail de préparation physique
que sur le technico-tactique. Il excellait dans
l’opérationnalisation des exercices. Et quand Van Gaal a
remplacé Robson, il a appris d’une autre inspiration, un autre
style. Van Gaal était un très bon organisateur, il savait tout
planifier sur le papier mais il était moins porté sur le travail de
terrain, contrairement à Robson. Au final, il a pris et appris des
deux. Il nous est arrivé d’en parler, et il disait qu’au fond il avait
bu de plusieurs sources et qu’il en avait créé sa propre
formule. »
Litmanen : « Van Gaal voulait des adjoints différents
de lui »
Avec Van Gaal, José est actif, participatif. « Mourinho animait
des exercices, lors des séances », confirme Boudewijn Zenden.
Lorsqu’il s’engage avec le FC Barcelone en 1998, « Bolo » fait
la connaissance d’un José Mourinho qui entame sa deuxième
année avec LvG. « Van Gaal lui faisait confiance, poursuit
l’international néerlandais. Il faisait beaucoup plus que poser
des plots. Aujourd’hui, on voit beaucoup d’entraîneurs qui sont
plutôt des managers, qui ont des coaches qui gèrent
l’entraînement. Mais Van Gaal, c’est lui qui faisait les
entraînements. Ses adjoints étaient présents mais ils étaient
commandés par lui. »
Un an plus tard, c’est Jari Litmanen qui signe au Barça. Avec
plus de 200 matches et plus de 100 buts au compteur, le
gracieux milieu offensif finlandais est une légende de l’Ajax.
A Amsterdam, il a été gouverné pendant cinq ans par Louis van
Gaal. Il le connaît donc à la perfection. « Van Gaal est quelqu’un
qui veut mener l’équipe mais il donnait toujours beaucoup de
choses à faire à son staff, commence-t-il. Il voulait des adjoints
différents de lui, qui communiquaient mieux, qui étaient plus
détendus, ou plus liés au club. Des personnalités différentes,
qui apportaient quelque chose d’autre que ce que lui apportait à
l’équipe. Il voulait que ses adjoints aient leurs opinions.
Il n’aimait pas les gens qui disent toujours oui. Il voulait de fortes
personnalités qui donnaient leur avis avec assurance et ils en
parlaient ensuite. Il en attendait autant de la part des joueurs :
qu’ils discutent des postes, de l’équipe… »
Comme quoi, Louis van Gaal n’était (écrit au passé, parce qu’il
a annoncé sa retraite en mars 2019) pas juste un entraîneur
« froid », « cassant », « autoritaire », « égocentrique », comme
on peut souvent le lire (fais une recherche sur Google). C’est
aussi un champion, un tacticien, un stratège. Et en tant que tel,
il sait s’entourer de lieutenants capables de mener au mieux son
plan de bataille.
Et il n’y a pas que José dans la garde rapprochée de LvG.
A Barcelone, Van Gaal est d’abord escorté par Frans Hoek. Cet
ancien gardien néerlandais qui avait déjà bossé avec Cruyff à
l’Ajax y était le coach des gardiens. « Frans Hoek a été partout
avec Louis van Gaal : à l’Ajax, à Barcelone, au Bayern Munich,
en équipe nationale, à Manchester United, partout », constate
Jari Litmanen. En 1998-1999, un autre Oranje se joint à eux :
Ronald Koeman. Koeman était un joueur à part. Un défensif
avec une frappe de taré qui a planté plus de 200 buts dans sa
carrière ! En 1997, il a rangé ses souliers. Koeman a surtout
joué pour le Barça. Entre 1990 et 1995, il a remporté quatre
Ligas, trois Copas del Rey, deux Supercopas, une Coupe des
clubs champions (1992) et une Supercoupe d’Europe. Rajoutez
à cela une autre C1 remportée avec le PSV, un Euro avec sa
sélection en 1988 et une autre bonne demi-douzaine de
trophées soulevés bien haut aux Pays-Bas. Ce mec est un
joueur de légende. Certains diront, l’anti-Mourinho. D’autres
répondront que ça ne compte plus. Pour le général Van Gaal, il
y a un peu de tout ça. Et il lui faut un peu de tout ça. « Ronald
Koeman était un héros à Barcelone, un grand nom en tant que
joueur, donc il est venu comme adjoint, » analyse Litmanen.
Et José dans tout ça ? Il les guide, dans un premier temps,
s’adapte et devient, lui aussi, un membre d’une troupe, au sein
de laquelle chacun tient son rôle. « Pendant les matches,
Mourinho était souvent en tribune, et il avait une vision claire du
terrain, de ce que l’on faisait et de ce que l’adversaire faisait,
révèle le Finlandais. Il était toujours en connexion radio avec
Frans Hoek qui était sur le banc. S’il y avait quelque chose,
Hoek était assis à côté de Van Gaal et lui transmettait
l’information. » Ce boulot d’analyse, d’étude, de scouting, de
contemplation, les adjoints le réalisaient aussi en amont :
« Lorsqu’on avait un match, l’un des deux, Mourinho ou
Koeman, observait notre opposant et nous donnait une
introduction. Par exemple, on jouait à domicile contre Valence,
avant l’entraînement, Mourinho ou Koeman avaient regardé
quelques matches de Valence et nous indiquait le système, les
forces et faiblesses de leurs joueurs… »
Déhu : « Il était la seule personne qui parlait
français »
José continue d’emmagasiner de l’expérience. A l’issue de la
saison 1998-1999 (sa troisième au Barça), le Portugais de 36
ans vient de remporter une nouvelle Liga avec Van Gaal. Les
Catalans comptent 11 points d’avance sur le Real Madrid. En
Champions, ça bloque encore. Le Barça est troisième de son
groupe, derrière le Bayern et Manchester United qui se
retrouveront en finale. A l’intersaison, le FC Barcelone qui
célèbre son centenaire se renforce. Parmi les recrues, figure
Frédéric Déhu qui vient de décrocher un inédit championnat de
France avec Lens.
Comme il l’avait fait notamment avec Laurent Blanc deux ans
auparavant, Mourinho accompagne les premiers pas du
défenseur au Barça : « Quand je suis arrivé, il était la seule
personne qui parlait français. Il m’a aidé. Il m’apportait toutes les
informations tactiques dans ma langue. Il était polyglotte et
quand Van Gaal voulait faire passer un message et être clair,
c’est lui qui prenait le relais. Avec tous les étrangers qu’il y avait
dans l’équipe, c’était important. Avant que le match commence,
il lui arrivait de discuter sur l’aspect tactique avec certains
joueurs, par rapport à la causerie du coach. »
Pour le joueur formé chez les Sang-et-Or, José « était le
troisième entraîneur du staff » : « Le deuxième second
entraîneur (sic). Il y avait Van Gaal, Koeman et lui. Le premier à
qui Van Gaal déléguait était Ronald Koeman. Il a joué le rôle
qu’on lui a donné. » Et ce rôle évolue, toujours selon Déhu :
« Il y a eu des moments dans la saison, où c’est Mourinho qui a
pris en charge les entraînements, toujours sous les ordres de
van Gaal qui supervisait. Mourinho a apporté sa contribution et
sa connaissance. »
Quand Mourinho dirige… le Barça
Au terme d’une rapide phase d’observation et de transition,
José prend du galon sous Louis van Gaal. Sonny Anderson
brosse une partie de ses nouvelles attributions : « Les
lendemains de match, il assurait les entraînements. Il faisait ce
que Van Gaal demandait mais à sa façon. Ne serait-ce que par
sa façon d’expliquer les choses. » A en croire le Brésilien, le
Setubalense assure le taf d’un entraîneur principal : « Lorsqu’il y
avait des matches entre les remplaçants et l’équipe réserve,
c’est lui qui dirigeait. »
José Mário va carrément driver la « vraie » équipe du Barça,
« pour de vrai ». Note bien cette date, peu connue du parcours
du futur Special One : 24 mars 1998. Ce jour-là, José Mourinho,
futur entraîneur du Real Madrid, dirige l’équipe première du FC
Barcelone. Son baptême en tant que technicien d’une équipe
pro s’est donc fait avec et pour les Blaugranas. Il s’impose 2-190,
au Camp d’Esports de Lleida, face à l’UE Lleida (un habitué de
la D2) en demi-finale de Coupe de Catalogne. L’édition du
quotidien sportif catalan El Mundo Deportivo du lendemain
relate : « Louis van Gaal a préféré que José Mourinho réalise la
conférence de presse, parce que explique-t-il : « C’est lui qui a
dirigé le Barça durant ce match. » L’adjoint du technicien
néerlandais a expliqué que la rencontre avait été positive pour
tous : « Positive pour nous parce que les joueurs ont agi avec
professionnalisme et ceux qui ne jouent pas habituellement ont
obtenu des minutes et je crois que ça a été un match agréable
et plein d’émotions pour le public. » Mourinho a rendu hommage
à la prestation des plus jeunes et l’a justifié en disant que « c’est
la suite logique d’un travail réalisé par le football de formation
depuis que Van Gaal est arrivé. Tous les gars sont identifiés et
croient en la philosophie de Louis, ce qui prouve qu’il a
beaucoup d’influence sur eux. » »
Ce 24 mars 1998, les deux buts du FC Barcelone sont l’œuvre
d’un (jeune) homme : Jofre. Les débuts de cet ailier de 17 ans,
produit de La Masia, coïncident donc avec ceux de Mourinho.
Jofre Mateu qui évoluera à Levante, à l’Espanyol, au Rayo
Vallecano ou à Valladolid fouille dans sa mémoire : « Beaucoup
de jeunes étaient alignés, ce jour-là. Je me souviens de ce qu’il
a dit aux joueurs : « Il faut en profiter, jouer tranquille. » Il nous a
dit qu’il avait confiance en nous. Pour nous qui débutions, c’était
une très belle opportunité et comme nous avions une bonne
relation avec lui, il a été un facilitateur. Il nous a enlevé
beaucoup de pression. »
Le Portugais a déjà tissé un lien avec ces gamins. Au moment
où Jofre lui offre ce doublé, il est un membre de l’équipe c du
FC Barcelone. Et José la connaît. « Il était très impliqué, il se
sentait très concerné par les jeunes, la formation, explique
l’ailier. Il assistait aux entraînements, aux matches de la b ou la
c. »
Il assiste aussi aux sorties de ses petits. « Cet été-là [1998], j’ai
participé à l’Euro des moins de 18 ans avec l’équipe nationale, à
Chypre, livre Jofre. On s’est retrouvés là-bas avec Mourinho. On
a affronté le Portugal (2-1) et, à la fin du match, il est venu me
féliciter. » Mais c’est surtout le retour à Barcelone qu’il garde en
mémoire : « Quand on est rentrés pour la présaison, Mourinho
m’a dit : « Le jour où j’entraînerai une grande équipe, je
t’emmènerai avec moi. » Mais il ne m’a jamais emmené ! » Jofre
en rigole et justifie : « Après son départ de Barcelone, on a
perdu contact. Je pense que lui comme Van Gaal avaient de la
considération pour moi et me voyaient comme un joueur avec
un bon potentiel. »
Jofre dépeint Mourinho comme le membre du staff de Louis van
Gaal qui « était le plus proche des joueurs. » « Van Gaal avait
un caractère spécial, poursuit celui qui deviendra commentateur
pour Gol Televisón. Il n’était pas un despote absolu mais tu ne
savais pas trop comment aller vers lui. Il avait un caractère très
fort. Parfois, tu le sentais proche de toi et, d’un coup, il devenait
froid. José Mourinho est devenu le lien avec l’équipe. Il avait
vraiment une bonne relation avec les joueurs. » Et, selon le
Catalan, c’est la même avec son supérieur : « Mourinho est
intelligent, il savait quel était son rôle, comment se placer. De ce
que j’ai vu, il y avait une vraie complicité entre eux. »
Sonny Anderson participe lui aussi à la première du Mou face à
Lleida. « C’était assez fort, parce qu’il avait une forte
personnalité, dit-il. Van Gaal était là mais c’était Mourinho le
coach, il faisait ses choix. Je me souviens qu’il avait décidé que
c’était moi qui frapperais les coups francs. Van Gaal avait ses
tireurs mais lui a fait ses choix. Les autres ont bien réagi parce
qu’on avait de bons rapports avec lui. » « C’était un peu bizarre
de ne pas voir l’entraîneur donner les indications sur le banc,
s’amuse Óscar García. Mais on voyait déjà que Mourinho était
une personne très intelligente et qu’il allait tirer le meilleur de
chaque entraîneur dont il avait été l’adjoint. » Van Gaal comme
Mourinho semblent apprécier l’expérience.
Le premier onze de José Mourinho, en tant qu’entraîneur d’une
équipe pro :
25 mars 1998. UE Lleida – FC Barcelona : 1-2 (Vilanova – Jofre
x2)
FC Barcelona : Busquets (Baía) – Couto, D. Alvarez, Puyol,
Ferrón – Xavi, Giovanni (Anderson), Miguel Ángel (Luis), Ciric –
Jofre (De la Peña), Pizzi
La saison suivante, ils remettent ça. En décembre 1998, José
est à la tête de l’équipe première du Barça lors d’un amical face
à l’Etoile Rouge de Belgrade. Un succès 4-1 à Cadix qui, bien
que symbolique, fait du bien. Les Culés restaient sur quatre
défaites en Liga. Au lendemain de ce succès, El Mundo
Deportivo titre : « Con Mourinho, si »91 et décrit : « Van Gaal est
resté au second plan (il ne s’est limité qu’à prendre des notes
sur son carnet), José Mourinho étant en charge de donner les
ordres durant la partie. L’entraîneur portugais a employé un
système de jeu similaire à celui de son maestro Robson,
spécialement en zone défensive (quatre défenseurs et deux
milieux centraux), alors que devant il a misé sur un seul milieu
offensif (Luis Enrique) pour optimiser l’attaque avec trois
attaquants (Babangida, Kluivert et Zenden.) » Qui a dit que
Mourinho était frileux ? (Photo 20. Voir pages centrales)
« De très bons rapports avec les joueurs »
A l’issue de la saison 1998-1999, la deuxième de Louis van
Gaal à Barcelone, le Barça est de nouveau champion
d’Espagne, grâce notamment aux œuvres de Kluivert, Luis
Enrique, Philip Cocu, Sonny Anderson et, surtout, Rivaldo. Ce
dernier qui sera sacré Ballon d’or cette année-là ne s’en cache
pas : « Je m’entendais mieux avec Mourinho qu’avec Van
Gaal. »92 Le Brésilien ne supporte pas certains choix de son
entraîneur et il se rapproche de son second qui, en plus, parle
sa langue.
Peut-être te demandes-tu : « Mais comment un gars qui a eu
d’aussi bons rapports avec des stars peut-il paraître aujourd’hui
si froid, si clivant, avec ses joueurs vedettes ? » D’abord, il est
difficile d’établir ce ressenti extérieur comme une vérité ;
ensuite, il y a la condition d’adjoint, différente en bien des
aspects – notamment en ce qui concerne les relations humaines
– de celle d’entraîneur-principal. Frédéric Déhu explicite :
« Autant il y a toujours une certaine distance avec l’entraîneur
principal, autant le contact et l’échange sont plus faciles avec
les adjoints. Ils font le lien entre les joueurs et le principal. »
Cette fonction de bras droit, Bolo Zenden l’endossera lorsqu’il
mettra un terme à sa carrière de joueur. L’ancien ailier de
Chelsea, Liverpool, de l’OM et du Barça deviendra adjoint au
PSV, son club formateur. « C’est partout pareil. Les assistants
sont toujours plus proches que les entraîneurs principaux. Je vis
cette situation au PSV. Moi, je veux qu’ils jouent tous, parce
qu’ils font tous de leur mieux. Je les aide tous mais ce n’est pas
moi qui fais les choix. J’ai mes idées que je transmets au coach
mais c’est lui qui tranche. » Lorsqu’il transpose cette relation à
ses années en Catalogne, il constate : « Je ne vais pas dire que
j’étais mal avec Van Gaal, pas du tout, mais ma relation avec
Mourinho était un peu différente, tout comme celle que j’avais
avec les autres adjoints. »
Patrick Kluivert affirme ainsi que Mourinho « avait de très bons
rapports avec les joueurs. Avec Figo, notamment, les Sud-
américains, aussi. Avec tous, même s’il était plus proche
d’eux. » Recruté en 1998 par les Blaugranas, l’international
néerlandais confie : « J’ai toujours eu un très bon feeling avec
lui. Il m’aidait toujours, pour quoi que ce soit. »
L’international Auriverde, Sonny Anderson, atteste les dires de
Kluivert : « On était souvent ensemble, avec Figo, Vítor Baía,
Fernando Couto, Rivaldo… On parlait beaucoup. Il assurait la
traduction, pareil pour les Français. C’était vraiment un ami
dans le vestiaire, pour nous. A cause de la langue, c’était plus
compliqué avec les autres membres du staff. Mourinho était
plus chaleureux. » José est proche mais maintient une certaine
distance. « On n’est jamais sortis avec lui, ni rien de ce genre »,
jure Sonny.
Même ressenti chez Litmanen. Jari a beau être estampillé « Van
Gaal » avec qui il a bossé à l’Ajax, il entretient « une bonne
relation avec José Mourinho » : « Même si je ne savais pas
vraiment ce que disaient les Espagnols, la sensation générale
que j’ai, c’est qu’il avait une bonne relation avec tout le
monde. »
En réalité, José a des préjugés, des préférés. Sonny Anderson
balance : « Mourinho n’aimait pas les joueurs qui n’avaient pas
de technique, qui misaient tout sur le physique. Parce que
Mourinho aimait le jeu. » Et il sait comment partager cet amour.
La « découverte guidée »
Dans sa biographie publiée en 2004, au lendemain de son
succès en C1 avec le FC Porto, José Mourinho expose, avec
précision, combien et comment il a appris à manier les stars de
Barcelone. Au cours de ses quatre années en tant qu’adjoint au
Barça où il jongle avec des Ballons d’or (Ronaldo, Rivaldo,
Stoitchkov, Figo), il met au point une méthode de travail, de
management qu’il intitule la « descoberta guida93 » :
« Entraîner des joueurs de ce calibre ne peut être qu’un
apprentissage, y compris au niveau des rapports humains. Les
joueurs de ce niveau n’acceptent pas ce qu’on leur dit,
simplement par l’autorité de celui qui leur dit. Il faut leur prouver
qu’on dit vrai. La vieille histoire du « Mister a toujours raison »
n’est pas applicable, ici. Ça ne l’est déjà d’ailleurs plus d’une
façon générale, d’autant moins avec des joueurs hautement
évolués, comme c’est le cas de n’importe quel joueur de
Barcelone. C’est à travers la relation que j’ai maintenue avec
eux que j’ai appris l’une de mes principales vertus comme
entraîneur. Le travail tactique que je promeus n’est pas un
travail dans lequel d’un côté il y a l’émetteur et de l’autre le
récepteur. Je l’appelle la « découverte guidée », c’est-à-dire,
qu’ils découvrent à travers mes pistes. Je construis des
situations d’entraînement pour les mener vers un chemin donné.
Ils commencent à le sentir, on parle, on discute et on arrive à
des conclusions. Mais, pour cela, il faut que les footballeurs que
nous entraînons aient leurs propres opinions. Très souvent,
j’arrêtais l’entraînement et je leur demandais ce qu’ils sentaient
à ce moment-là. Ils me répondaient par exemple qu’ils sentaient
le défenseur droit trop loin de la défense centrale. « OK, on va
rapprocher les deux défenseurs et voir comment ça
fonctionne. » Et on expérimentait, une, deux, trois fois, jusqu’à
leur redemander comment ils se sentaient. C’était comme ça,
jusqu’à ce que, tous ensemble, on arrive à une conclusion.
C’est cette méthodologie que j’appelle la « découverte
guidée.94 » » Intéressant, non ?
En juin 1999, Mourinho déclare au quotidien Record, avoir été
« grandement influencé par le concept d’entraîneur de Van
Gaal. » Il explique : « Plus que de trouver des nouveautés
tactiques, je dirais qu’il est, ça oui, un fanatique des principes de
jeu. Qu’est-ce que le Barça fait que les autres ne font pas ?
Presser plus haut et avoir moins de joueurs derrière le ballon. »
Eh ouais, José est un adepte aussi bien de la domination
territoriale que de celle de la balle : « Le secret est de perdre le
moins possible la possession du ballon. C’est pour ça qu’il est
nécessaire d’avoir un défenseur central avec une grande
capacité de construction du jeu et un pivot comme Guardiola qui
a une efficacité de passe redoutable. A partir du moment où
nous avons commencé à jouer avec Frank de Boer et Guardiola
dans la distribution, notre pourcentage de possession de balle a
augmenté de façon significative et les risques qu’encouraient
notre défense ont largement diminué. »95 Un élément, cité par
José himself, est donc au cœur de ce système conquérant et
ambitieux : Pep Guardiola.
« Beaucoup de respect » entre Mourinho et
Guardiola
C’est devenu algorithmique, quasi fatidique : la simple
évocation du nom de José Mourinho suscite celle de Pep
Guardiola. Et, là, comme beaucoup, tu penses : « Rivalité ».
Parce que le nom du Portugais est associé à celui du Real
Madrid et de Manchester United et que celui du Catalan est lié
au Barça et à Manchester City.
Leur première opposition date de septembre 2009. En phase de
groupe de Ligue des champions, Guardiola dirige le FC
Barcelone, Mourinho, l’Inter Milan. Pas de vainqueur (0-0). Au
retour, les Blaugranas s’imposent (2-0). Mais les Nerrazzuri vont
vite obtenir leur revanche. Dès les demies, ils se retrouvent et
l’Inter passe (3-1, 0-1) après une seconde manche épique.
L’exclusion de Thiago Motta pousse Mourinho à repositionner
son avant-centre Eto’o – qui vient de quitter le Barça – au poste
de latéral. Messi est muselé et les Milanais s’imposeront en
finale face au Bayern (2-0).
La dualité Pep-Mourinho prend une autre tournure en 2010,
lorsque le Mou est embauché par le Real Madrid, LE grand
adversaire du FC Barcelone. Le 29 novembre 2010, au menu
de la 13e journée de Liga, un clásico. Madrid mange un 5-0 au
Camp Nou. Une manita en pleine gueule. L’année suivante, en
Supercoupe d’Espagne, c’est un doigt qui fait scandale. Celui
que José plante dans l’œil de Tito Vilanova, adjoint de
Guardiola.
Mais bien avant d’être adversaires, José et Josep étaient
partenaires. Quatre ans durant. Et là, forcément, on se
demande : c’était comment ? « Être rival, ne veut pas dire être
ennemi, il ne faut pas confondre ! lance Hristo Stoitchkov qui
cohabite avec les deux hommes entre 1996 et 1998. Il y avait
beaucoup de respect entre eux. Trop souvent, on pose la
question de façon mal attentionnée. José ne cherche pas la
polémique. »
Zenden et Kluivert emploient les mêmes termes : « Du
respect entre eux. » « Guardiola n’était pas un joueur parmi les
autres, poursuit Déhu. De par sa personnalité, son aura, sa
qualité, c’était le capitaine… » C’est d’ailleurs Van Gaal qui
confie le brassard au milieu de terrain. La légende du stratège
Guardiola s’écrit donc là. Avec, pour complice, José Mourinho.
Les propres paroles de Mourinho confirment ces dires. Au cours
de l’une de ses premières interviews en tant qu’entraîneur-
adjoint du FC Barcelone, Zé cite Pep comme l’un des joueurs
« qui restera dans l’histoire du Barça » et affirme : « Avec le
ballon, il est grand, l’un des meilleurs du monde. »96 Dans cet
entretien accordé en octobre 1996 à El Mundo Deportivo,
Mourinho déclare aussi être un « admirateur de Cruyff ». Quand
on sait ce que les deux vont s’envoyer dans la gueule…
Le stage en Ecosse II
Au cours de sa dernière saison au FC Barcelone, José
Mourinho poursuit sa mise à jour et continue d’actualiser ses
diplômes. En 1999-2000, il passe la licence B UEFA, en
Ecosse. A la fin des années 1980, alors qu’il formait les jeunes
du Vitória de Setúbal, il y avait déjà effectué un séjour97. José se
rend au National Center Training Center Inverclyde, situé à
Largs, à une bonne cinquantaine de kilomètres de Glasgow.
« Il était très agréable, très poli avec les personnes qui
animaient nos sessions, commente David Gemmel, autre
candidat de cette promo. C’était quelqu’un qui paraissait très
confiant quant à ses capacités. » Idem quant à ses idées.
« Il semblait vouloir des joueurs qui se sentaient à l’aise avec le
ballon », poursuit le Britannique. Des propos qui font écho à
ceux de l’élégant Sonny Anderson.
José se montre plutôt discret sur son boulot d’adjoint au Barça.
« On n’a jamais trop parlé de son expérience à Barcelone et
certains entraîneurs ne croyaient pas au fait qu’il travaillait là-
bas ! », se souvient Gemmel, sourire en coin. A ce sujet, il a
« une anecdote plutôt marrante » :
« Après le dîner officiel organisé par la formation, nous sommes
allés dans un bar du coin. A cette époque-là, les ordinateurs qui
étaient reliés à internet étaient situés dans des bars. José a mis
1£ dans l’une de ces machines et s’est mis à chercher une
photo de lui avec le staff de Barcelone et une autre de Louis van
Gaal qui mettait ses bras autour de lui. J’ai appelé les autres
entraîneurs pour qu’ils viennent voir. Ils ont fait une de ces
têtes… » Le récit est amusant mais ce n’est pas ce genre
d’histoire que Mourinho cherche à écrire.
« L’envie d’être numéro un »
José Mourinho ne compte pas se morfondre dans ce statut
d’adjoint, fusse-t-il celui d’un Robson, d’un Van Gaal ou d’un
Heynckes. En avril 1999, Vale e Azevedo (retiens son nom),
président du Benfica, avait proposé à Mourinho de terminer la
saison en cours en tant qu’entraîneur-principal et de devenir le
second d’un grand nom pour l’exercice qui suivra. Le big blaze
en question, c’était Jupp Heynckes98. José avait dit non. A quoi
bon quitter le Barça pour un autre poste d’adjoint au Benfica ?
Mourinho a rempilé à Barcelone, dans l’ombre de Van Gaal et
de son staff.
Au moment de célébrer ses 37 ans, Mourinho assiste à l’envol
de Ronald Koeman. Au début de l’année 2000, ce dernier
abandonne sa condition d’adjoint de Van Gaal pour embrasser
celle d’entraîneur principal au Vitesse Arnhem. José Mário y
pense, lui aussi. Frédéric Déhu se souvient d’un Mourinho
« avec du charisme », « chez qui on sentait l’envie d’être
numéro un. » Dans l’intimité du vestiaire catalan, José garde
néanmoins ses envies pour lui. Sa volonté de franchir le pas est
plus implicite. « Il en parlait dans le sens où quand il y avait des
séquences de jeu, il donnait son avis, il avait sa vision des
choses, décrypte Sonny Anderson. « On aurait dû faire ci ou
ça », lançait-il, mais il ne nous disait pas qu’il voulait être coach.
Il est intelligent. Son rôle l’empêchait de dire ce genre de
choses alors qu’il était adjoint de Van Gaal. » D’autres ne se
gênent pas.
Litmanen fait une distinction entre Mourinho et Koeman : « Je
savais que Ronald Koeman voulait devenir numéro un un jour,
parce qu’il le disait. Mais pour Mourinho, c’était difficile à dire.
Evidemment, il avait acquis beaucoup d’expérience avec
Robson, puis avec Van Gaal dont il avait pris beaucoup de
conseils utiles. Mais je ne peux pas dire, à partir de cette seule
saison [1999-2000], que Mourinho voulait devenir entraîneur
principal et qu’il allait le devenir. Pour Koeman, c’était différent, il
le disait, il le clamait : « Je veux être entraîneur principal, je suis
en train d’apprendre. » »
Si Mourinho ne déballe pas ses désirs en interne, lorsque la
presse le lance sur le sujet, il assume, déballe, s’étale. En mars
2000, quand Record lui demande s’il compte effectuer le
« grand saut », Zé répond : « Si se présente le club que
j’idéalise, le projet que j’idéalise, ça pourrait être dès demain.
Van Gaal est au courant de cela. »99 Et le genre de dessein qui
l’exalte c’est « celui qui [l’]oblige à dire adieu au Barça. » Pas
facile de séduire José Mário…
Braga, par exemple, va se manger deux râteaux. En novembre
1999, le club du Minho – qui l’avait déjà sollicité deux ans
auparavant – revient à la charge et présente un contrat de
quatre ans à Mourinho qui refuse, une fois encore. Ces
sollicitations, Van Gaal en sourit. Pas par mépris. Mourinho
confie : « Chaque fois qu’un journal espagnol annonce un
limogeage au Portugal, il [Van Gaal] me demande : « On t’a
appelé ? » Il me dit souvent que dans le football portugais je
pourrais être une star. »100
Un mois avant la relance du SC Braga, Mourinho reçoit un
appel de Bobby Robson. L’ami de José vient de succéder à
Ruud Gullit à Newcastle. Une évidence pour le natif de
Sacriston. Gamin, avec son père, les jours de match, ils étaient
parmi les premiers à se pointer devant les grilles de St James’
Park. L’idée du nouveau manager des Magpies est de faire
venir José en tant qu’entraîneur-adjoint pendant une saison
avant de prendre sa succession en tant que principal, la saison
suivante ; Robson en tant que manager et Mourinho comme
entraîneur. Mais José est toujours sous contrat avec le Barça.
Et surtout, il connaît l’Anglais. Il sait que Robson aime trop le
terrain pour le lâcher comme ça. Sir Bobby ne lui en tient pas
rigueur. Il le kiffe et le kiffera toujours autant.
Passé par le FC Barcelone entre 1997 et 2000, Patrick Kluivert
qui y a donc côtoyé Zé sera recruté par le manager britannique
à Newcastle en 2004. Le buteur néerlandais confie : « Parfois,
Robson parlait de Mourinho. Ce n’était pas de longues
discussions. Il disait qu’il avait énormément de qualités en tant
que personne et en tant qu’entraîneur. Il le connaissait très bien
et il aimait sa vision du football. » Une vision née de ce qu’il a
notamment appris avec lui et Van Gaal, « Les maîtres », comme
Mourinho les qualifie dans sa biographie.
L’année de trop à Barcelone
Ces propositions refusées, être resté à Barcelone une
quatrième année, José l’aurait presque regretté. Dans sa bio,
rédigée par Luís Lourenço, Mourinho revient sur sa dernière
saison chez les Culés. « Douloureuse », écrit-il. Ses mots sont
teintés d’anxiété et de frustration. Il rend hommage à sa moitié :
« Tami a toujours été à mes côtés, elle a été témoin des
moments d’angoisse par lesquels je suis passé cette année-là.
Elle a accompagné le moindre de mes pas et elle comprenait ce
qui se passait avec moi. Très souvent quand je rentrais à la
maison, je revêtais le costume de critique, beaucoup plus que
celui d’adjoint. La journée, je travaillais normalement comme
l’adjoint sérieux et fidèle que j’ai toujours été. Le soir, à la
maison, j’étais beaucoup plus critique et je m’entendais dire que
Van Gaal avait enlevé celui-ci, mis celui-là, que j’aurais fait
comme ci, ou comme ça. J’étais donc un adjoint angoissé,
d’une certaine façon, aigri, je dirais trop critique. Cette situation
m’a fait prendre conscience que mon heure était arrivée. »
A l’issue de l’exercice 1999-2000, le FC Barcelone laisse le
championnat au Deportivo La Corogne. Le Super Depor de
Maakay, Djalminha, Pauleta ou Naybet et mené par Irureta
remporte la première (et seule, à ce jour) Liga de son histoire.
LvG tombe en demies de C1 et de Copa d’El Rey et perd la
Supercoupe d’Espagne. Une année quasi-blanche, puisqu’il ne
remporte « que » la Coupe de Catalogne.
Le FCB entame une profonde mue. Le président Nuñez qui
siège depuis 22 ans (plus long mandat dans l’histoire du club)
lâche son fauteuil. Louis van Gaal quitte son banc. Pour José
Mourinho c’est le moment de monter en selle. C’est la fin de sa
condition d’adjoint. En quatre ans au service du Barça, il a
contribué à la conquête de deux Ligas, deux Coupes du Roi,
une Coupe des coupes, une Supercoupe d’Europe, une
Supercoupe d’Espagne et une Coupe de Catalogne.
Celui qui avait suivi Bobby Robson depuis le Sporting et
poursuivi avec Louis van Gaal, va couper le cordon. Suivre ou
plutôt décider de sa propre destinée. C’est là, à Barcelone, que
José Mourinho – hyper identifié Madrid aujourd’hui – a passé la
plus longue période de sa carrière : quatre saisons non-stop.
Le départ, en Volvo
Lors des élections de juillet 2000, Joan Gaspart est élu et
succède à Josep Lluís Nuñez dont il était le vice à la présidence
des Azulgranas. Sa première décision est de nommer Serra
Ferrer au poste d’entraîneur. Dans la foulée, Mourinho résilie
l’ultime année de contrat qui le lie au Barça.
José qui au coup d’envoi de l’Euro 2000 a initié une
collaboration avec le site portugais Maisfutebol y écrit : « Je
quitte un club gigantesque. Et, même si cela peut paraître
contradictoire, je suis heureux. Je me connais mieux que
personne et je sais qu’en travaillant sans responsabilités ni
protagonisme, je vivrais démotivé. »101 Et il annonce : « Je viens
de terminer une carrière d’entraîneur-adjoint qui a atteint le plus
haut niveau. Je vais débuter une nouvelle vie avec pour défi de
mettre en pratique le niveau de connaissance et d’expérience
que j’ai atteint. Je serai entraîneur principal. »102
La famille s’apprête à regagner Setúbal. Et depuis quelques
mois, elle s’est agrandie. En février 2000, Matilde a donné la vie
à un petit garçon : José Mário (Oui, fils et fille Mourinho portent
les mêmes prénoms que papa et maman). Ils embarquent à
bord de la Volvo du pai, direction le bled. Vingt ans plus tard, ce
cabriolet que José s’est payé lors de ses années catalanes, il l’a
encore. Il le garde, comme un trophée. Parce que ses gamins
l’adorent et parce qu’il lui rappelle le temps où il n’était pas
encore entraîneur principal, ni le Special One. Peut-être se dit-il
aussi que c’est cette caisse qui l’a conduit sur la route du
succès.

Le retour à Setúbal
Après quatre années de boulot intense à Barcelone, José
Mourinho se pose à Setúbal. Chez lui, au milieu des siens. Il en
profite pour aller mater les matches de son Vitória au Bonfim,
passer du temps avec Tami, Tita, Zuca, ses parents. Avec son
père, notamment. Avant de rencontrer Manuel Fernandes puis
Bobby Robson, Mourinho Félix et son fils avaient une relation
quasi-fusionnelle.
Souviens-toi, après avoir été salement congédié du Benfica de
Castelo Branco en 1990, Félix a intégré le Vitória FC. Il y
occupe plusieurs fonctions, selon les besoins. A la fin de la
saison 1994-1995, la formation setubalense tente d’éviter une
chute qui semble inéluctable. Après 21 journées, le Vitória est
dernier de I Divisão, à 9 points du premier non-relégable.
L’entraîneur Abel Braga s’en va. Il est le troisième fusible à
sauter cette saison-là. Mister Mourinho Félix est appelé à la
rescousse. « Il était déjà très présent, il faisait tout pour aider
l’équipe et les entraîneurs en place, se souvient l’attaquant,
Dino Barreto. Il était dans le dialogue et parlait individuellement
aux joueurs pour tenter de les mettre en confiance. C’est ce qu’il
a fait avec moi, par exemple. J’étais arrivé comme le
successeur de Yekini103. Un statut difficile à assumer, même si je
sortais de belles saisons avec le Nacional et le Beira-Mar. Il m’a
beaucoup motivé, conforté, réconforté. » Le Brésilien qui
deviendra prof d’EPS à Salvador da Bahía décrit le pai
Mourinho comme un être « très ouvert. Ce n’était pas un
entraîneur à l’ancienne, dur. » Félix promeut des éléments des
équipes de jeunes, parvient à stopper l’hémorragie mais le
retard est trop important. Le Vitória est relégué. Seule et maigre
consolation : il atteint la demi-finale de Coupe du Portugal.
Le bombeiro104 a un vice, un comble, dévoilé par Barreto :
« Il fumait tout le temps ! Bon, à cette époque-là, il y avait aussi
beaucoup de joueurs qui fumaient… » « Oh lalaaaaa ! Le
cendrier de son petit bureau était toujours plein ! », s’exclame
Hugo Alves. Le gardien de but formé au Vitória FC intègre
l’équipe première en 1996-1997. Mário Réis qui a drivé le
Salgueiros vient d’être nommé entraîneur. Réis, l’ancien joueur
de Mourinho Félix au Rio Ave qui lui avait succédé au poste de
coach au Noël 1984105. Le bon démarrage de Mário Réis avec
Setúbal va attirer l’attention. En janvier, l’équipe est installée en
haut de tableau et c’est à ce moment-là que le Boavista le
débauche. « On avait réalisé un excellent début de saison, le
Boavista a contacté Mário Réis et, à cette époque, c’était
difficile de refuser le Boavista », lance Hugo Alves.
Mourinho Félix – qui roule « en Suzuki Swift bordeaux » (« Je
ne sais pas pourquoi mais ce détail m’a marqué », sourit Alves)
reprend le flambeau. « Il était très respecté, on l’appelait
“Senhor Félix” », poursuit l’ex-portier qui avait déjà été entraîné
quelques temps par Félix en juniors. Là encore, la solution est
temporaire. Une demi-douzaine de rencontres plus tard, Manuel
Fernandes, en poste en D2 au Tirsense, revient au Vitória qu’il
traînera à la douzième place de I Divisão. A 59 ans, Mourinho
Félix vient de diriger ces derniers matches pros en carrière.
Alves témoigne : « Il était très calme, serein. Il dégageait une
profonde tranquillité. »
« Une lutte »
Mais cette saison 1996-1997 n’a rien de tranquille. La famille
Mourinho est frappée par la mort. Maria Teresa, la grande sœur
de José Mário, perd la vie. « Ce fut une phase très difficile,
souffle Hugo Alves. Senhor Félix était en deuil, vêtu de noir. »
« Ce fut une douleur immense pour cette famille, regrette Rui
Carlos. J’ai senti que Mourinho Félix que je côtoyais avait du
mal à s’en remettre… On ne se remet jamais de cela. »
Mourinho Félix n’entraînera plus mais il demeurera au sein du
club en tant que dirigeant. Il reste à Setúbal, près des siens.
Près de Teresa. En juin 2017, il partira la rejoindre. Son cercueil,
recouvert des drapeaux du Vitória de Setúbal et du Belenenses,
les deux clubs pour lesquels il a joué, sera déposé dans le
caveau familial où repose déjà sa fille.
En plus de ce chagrin, José Mário fait face à ce qu’il nomme
une « lutte ». Il sait que son retour au pays où il espère devenir
entraîneur principal n’a rien d’aisé. Il n’incarne pas le profil-type,
le genre de statut que les clubs s’arrachent dans son pays.
Historiquement, les techniciens étrangers y ont la cote et les
Portugais qui se voient proposer de bons postes sont, pour la
plupart, d’anciens joueurs de premier plan. « J’ai conscience
que je ne fais pas partie du clan, de ceux qui distribuent les
cartes, écrira-t-il dans sa bio publiée en 2004.106 Je n’ai jamais
été un joueur à succès et je ne vais pas avoir droit à la
protection dont beaucoup jouissent. » Il ne croit pas si bien
dire…

« Comme sa mère »
En portugais, lorsqu’on veut signifier que quelqu’un a des
ressemblances avec sa mère on dit : « Sai à mãe », ce qui se
traduirait littéralement par : « Il est sorti comme sa mère ». Les
proches des Mourinho l’affirment : « José Mário sai à mãe »
Coaché deux ans par José Mourinho chez les jeunes du Vitória
de Setúbal, Júlio Lourenço témoigne : « Oui, il tient de sa mère,
Dona Maria Júlia. Toutes les personnes qui les connaissent bien
disent que c’est le cas. » Lourenço qui est devenu un proche de
la famille (« Certaines histoires ne peuvent pas être racontées,
elles sont off the record », sourit-il) développe : « Sa mère était
institutrice. Elle était ferme, avec des principes forts. Je pense
qu’elle a transmis son fort caractère à Zé. Je me risquerais
presque à dire que si son père avait eu le même caractère que
sa femme pour faire face aux gens, il aurait eu une autre
carrière. » La plupart des témoins cités dans cet ouvrage ayant
cotoyé le père Mourinho manifestent spontanément ce ressenti.
Francisco Trindade est l’un d’eux. L’ancien gardien de but qui a
suivi Mourinho Félix (« Il a été un père, pour moi », dit-il ému) à
Leiria, Vila do Conde, Madère, ou Elvas, en est convaincu : « Le
père de Zé Mário n’a pas atteint un niveau supérieur comme
entraîneur parce qu’il était trop humble. En ce temps-là,
beaucoup d’entraîneurs signaient leur contrat dans des boîtes,
des soirées et lui n’était pas du tout dans cet esprit-là. Il était
réservé, très respectueux. »
« Il y avait un lien très fort entre Zé Mário et son père »,
continue Trindade. Le fiston pouvait donc se permettre quelques
remarques. « Zé disait souvent à son père de se mettre plus en
avant, confie l’ex-portier. Mourinho Félix avait connu de
nombreuses montées et, très souvent, Zé Mário lui disait :
« Avec tout ce que tu sais en matière de foot, avec tout ce que
tu as fait, tu devrais avoir plus de reconnaissance et de
caractère. » Mourinho Félix était très timide. Et la mère donnait
raison à son fils. Elle soutenait beaucoup les idées de celui-ci. »
La mamã, Maria Júlia, l’avoue elle-même : son fils lui ressemble
en bien des points. Faut dire qu’elle lui a professé des valeurs,
des habitudes. En 2003, le site portugais maisfutebol décide de
célébrer les 40 ans de José Mário en donnant la parole à ses
parents. Le Mou est alors au FC Porto et obtenir quelques mots
de ses proches est encore possible. Dona Júlia décrit un enfant
« organisé » : « A cinq ans, à l’école, il ne partait pas tant que sa
trousse n’était pas rangée, avec ses crayons et ses gommes à
leur place. Aujourd’hui encore, il est comme ça. » Selon la
Professora, « tout est programmé. Il sait ce qu’il fait. Gamin, il
était déjà le leader du groupe. Il imposait les règles du jeu et il
ne voulait pas perdre. »
La mère n’est pas peu fière. Y compris de l’union
qu’entretiennent son époux et son fiston. « La relation qu’il a
avec son père est hors du commun, sourit-elle alors. J’ai côtoyé
beaucoup d’enfants et jamais je n’ai vu une relation comme
celle-ci. Et pourtant son père n’a pas été souvent à la
maison. »107 Choyé, guidé par sa mãe, José Mário a été
spectateur, puis acteur du parcours de joueur et d’entraîneur de
son paternel.
« Zé Mário est le fruit de ce qu’il a vécu, appris avec son père et
de ce que Dona Júlia lui a inculqué, condense Fernando Tomé.
Il a bu de deux sources qui ont fait de lui qui il est devenu. » Au
fil de la discussion, l’ancien coéquipier-joueur-voisin de
Mourinho Félix en convient à son tour : « Sai à mãe. » Il se
rappelle alors « d’une histoire marquante » : « Il y a quelques
années [2012], le Vitória de Setúbal a reçu la visite du président
de la République du Cap-Vert.108 On discutait Mourinho Félix,
moi et le président et ce dernier a dit : “Mourinho, votre fils n’a
rien à voir avec vous.” Le père Mourinho lui a rétorqué : “Encore
heureux, monsieur le président, parce qu’il a un statut dans le
monde foot différent du mien. Moi, j’étais un “banana”109 !
Il voulait dire par là qu’il était une personne pour qui tout allait
toujours bien, tandis que Zé Mário a deux visages : il se
comporte d’une certaine façon dans le foot et d’une autre en
dehors. » Tomé valide les propos de son défunt ami : « C’est
vrai que sur certaines choses, Zé Mário est différent de son
père. Il a plus le caractère de sa mère. Son père était beaucoup
plus pondéré, très respectueux – ce qui ne veut pas dire que Zé
Mário ne l’est pas. Il a aussi des points communs avec son
père. Sa famille, ses parents ont été une source d’inspiration
importante. Son père dans un domaine, sa mère dans un
autre. »
Dirigé par Mourinho Félix au Rio Ave et à Varzim, coéquipier
puis adjoint de José, Baltemar Brito confirme que le fils « est un
peu à l’image de sa mère » : « Elle est plus directe, très forte. »
Brito confie encore : « Quand son mari était remercié, elle était
toujours là. Elle lui donnait de la force, pour le soutenir. Elle était
une forteresse. C’est une femme de caractère. » José a donc de
qui tenir…
Félix, le fétichiste
Plusieurs anecdotes témoignent du côté fétichiste de
Mourinho Félix. Les gants presque troués de Neto à Covilhã,
son crucifix… Carlos Torres qui fut son gardien au Belenenses
rappelle que lorsqu’il gagnait un match, « Mourinho Félix enfilait
les mêmes vêtements lors du match suivant. » Le fiston est-il
superstitieux, comme son père ? Il te dira que non. A Porto, il
avait pour habitude d’embrasser une photo en marge de ses
matches. Une photo de Matilde et José Mário, ses enfants,
explique-t-il au Público en mai 2003 : « Ce n’est pas une
superstition mais un acte d’amour. »
José ne s’épanche que très rarement sur sa vie privée. Une
façon de préserver les siens. Combien des intervenants de ce
bouquin ont eu cette réaction lors de la prise de contact : « Ah,
vous faites un travail sur Zé Mário ? Laissez-moi d’abord lui
demander et je vous rappelle. » Les proches de José savent
qu’il s’efforce à protéger ceux dont il est proche. Une volonté de
contrôler à laquelle s’ajoute une forme de pudeur.
Cette réserve beaucoup la retrouvaient chez son père. Sous
une autre forme. José Manuel n’aimait pas le conflit, ni élever la
voix. Pas bling-bling pour un sou. Il était un joueur connu et
reconnu, un gardien de but de talent (qui compte une sélection
en A avec le Portugal) mais, de son temps, les salaires étaient
loin de ce qu’ils peuvent être de nos jours. Du coup, Mourinho
Félix était du genre économe.
Autant son épouse était issue « d’une bonne famille » de
Setúbal, autant lui (re)venait de loin. « Il était issu d’un milieu
modeste et ça se sentait, parfois, rappelle en souriant son fidèle
ancien joueur, Francisco Trindade. Au café, il s’assoyait,
commandait son café et, dès qu’il voyait des joueurs arriver, il
faisait l’appoint. Il ne payait rien à personne. » Les souvenirs de
Leitão qui a été coaché par Félix au Estrela de Portalegre et à
l’União de Leiria sont coupés par les mêmes rires : « A Leiria, on
mangeait tous ensemble dans un petit restaurant, avant
l’entraînement. Félix était là, aussi. Il partait toujours au moment
du café. « Je vais préparer l’entraînement », disait-il. Il ne payait
jamais un café ! Il préparait sa monnaie, le compte juste, et
partait. On en rigolait. »
António Alegre qui a bossé sous les ordres de Mourinho Félix à
Madère affirme qu’il « avait un rapport particulier à l’argent » :
« A l’époque, Alberto João Jardim qui était le Gouverneur de
Madère aidait beaucoup le club. Il versait des aides sous
différentes formes. Je me souviens d’un match où nous avions
battu le Boavista, le Boavistão qui était un habitué de l’Europe.
On avait les genoux en sang, ce match avait été un combat. A la
fin de la rencontre, le vieux nous dit : « Vous avez mal au
genou ? Changez-le ! On va avoir une prime ! 30 contos [150
euros] ! Ma femme qui est instit ne gagne même pas ça en un
mois ! » »
Mourinho Félix peinait à se défaire d’une forme de crainte,
d’appréhension. Celle du lendemain. Sûrement parce qu’il a eu
un passé de déveine, il aspirait à un futur plus confortable.
Comme l’a prosé l’écrivain italien Riccardo Bacchelli : « La
misère aussi est un héritage. » Le père Mourinho n’était
toutefois pas avare de sentiments. Ses peurs n’altéraient en rien
son élégance et sa bienveillance. Autant de qualités dont
certains ont abusé. Et ça, José ne l’a pas supporté. Et sur ce
point, il ne voulait pas lui ressembler. On ne lui marchera pas
sur les pieds.
José ne te dira toutefois pas qu’il ressemble plus à sa mère.
Il dira : « Nous sommes le produit des parents mais nous
sommes aussi le produit de notre épouse, de notre époux. Nous
sommes le produit de nos rapports avec nos enfants, avec nos
amis. Mais, au fond, on finit par être tous uniques. Avec des
influences plus ou moins prononcées mais on finit par être des
pièces uniques. »110 Et même spéciales, dans certains cas.

Benfica, l’envol éphémère


Mourinho ne peut cacher son obsession pour le ballon. Une
addiction qui vire parfois à la torture. En août 2019, alors qu’il a
quitté Manchester United, il éclate en sanglots devant l’équipe
de tournage de Sky Sports : « Le jour où j’ai débuté dans le
football professionnel, j’ai eu un déclic : « Maintenant, c’est du
sérieux. » Et depuis, ce fut du sérieux, non-stop. Maintenant,
que je suis arrêté, au lieu d’en profiter, je n’y arrive pas. Je
n’arrive pas à en profiter, ça me manque… » Cette saudade des
terrains, du boulot, du quotidien, il l’a connue dès ses « vrais »
débuts. Et c’était déjà un poids.
Ce qui devait être une bouffée d’oxygène vire à l’asphyxie.
Après s’être libéré de sa dernière année de contrat avec le
Barça, José Mourinho se (re)pose à Setúbal. Tami, Tita, Zuca et
José partagent de « vrais » moments de vie. Ils prodiguent leur
temps entre la cité sadina et leur maison de vacances en
Algarve, la région natale de Mourinho Félix. Dans sa chronique
pour Maisfutebol publiée le 27 juillet 2000 et intitulée « De retour
au Portugal », José écrit : « Août. Pour la première fois depuis
douze ans, j’aurai des vacances au cours du mois le plus
chaud. Vacances forcées, mais vacances. Ma femme saute de
joie, ma fille fait des projets, le petit mange et dort. Je pense
que j’y arriverai, mais je promets, au moins, de faire un effort
pour oublier les sensations étranges de ne pas avoir de foot. »
Un ahan qui ne compense pas le néant. Les semaines passent
et rien ne vient. Rien de ce qu’il espère, en tout cas. La saison
2000-2001 débute et nada pour José. Jamais, il n’avait connu le
chômage. Et ça commence à le peser…
Et puis, un jour de septembre 2000… José Mário reçoit un
appel de son bon pote Eládio Paramés. Cet ancien journaliste
est devenu le responsable presse du Sport Lisboa e Benfica. Le
SLB. Le « Glorioso », le club le plus titré du foot portugais,
vainqueur, entre autres, de la Coupe des clubs champions en
1961 et 1962 ; celui qui a révélé Eusébio, premier Ballon d’or de
son pays en 1965.
Mais à la fin de ces années 1990, les Encarnados peinent à
faire honneur à leur réputation. Ils sont dans l’ombre de leurs
rivaux : le Sporting et le FC Porto. En 1999-2000, ils ont vécu
l’une des défaites les plus humiliantes de leur histoire, un 7-0 à
Vigo face au Celta en Coupe de l’UEFA. Au cours de l’été, ils
ont laissé filer João Vieira Pinto, l’un de leurs joueurs les plus
emblématiques au… Sporting. Le début de la saison 2000-2001
est à l’image des précédentes : poussif. Le Benfica qui n’est
plus champion du Portugal depuis 1994 ne compte que deux
victoires après 5 matches. L’équipe qui s’était inclinée au
premier tour aller de la Coupe de l’UEFA face aux Suédois
d’Halmstads (1-2) vient de s’imposer, à l’arrache, face à l’Estrela
da Amadora (1-2). Jupp Heynckes demande à partir. Champion
d’Allemagne avec le Bayern, champion d’Europe avec le Real
Madrid, l’Allemand est une pointure mais refuse d’être un caillou
dans la chaussure du club. Il coûte cher et explique au moment
de s’en aller : « C’est le mieux pour moi et pour le Benfica. »
Quand Paramés l’appelle, José est persuadé qu’on veut encore
lui refiler un boulot d’adjoint. Souviens-toi qu’en 1999, le
président Vale e Azevedo voulait en faire le second d’Heynckes.
Zé avait dit non. Et là, à 37 ans, il en est encore moins question.
Il faut être allé au Portugal pour comprendre l’engouement, la
passion, l’irrationalité, voire l’irresponsabilité qui gravitent autour
des « Grandes. » Lorsqu’une rumeur annonce le départ de
l’entraîneur du Benfica, FC Porto ou Sporting, la plupart des
médias n’en n’ont que pour ça. Forcément, ils vont en faire des
caisses sur la démission d’Heynckes. A peine le Teuton barré,
ça tâtonne sur le nom de son remplaçant. Et un blaze revient :
Toni. Joueur du SLB entre 1968 et 1981 (avec une brève
parenthèse aux USA en 1977), il a déjà coaché les Lisboètes à
deux reprises. Toni incarne la Mística du club et pèse une
vingtaine de trophées dont le dernier titre de Campeão Nacional
en date. La presse en fait son favori et José a l’air d’y croire lui
aussi. Sur la route qui le conduit à son rendez-vous à Lisbonne,
un flash-info affirme que Toni est en passe d’être annoncé à la
Luz. Mourinho fulmine, s’empare de son portable et pianote le
nom d’Eládio qui doit lutter pour le convaincre d’accepter de
rencontrer ses patrons : « Je vais faire demi-tour ! Tu sais que je
n’accepterai pas d’être l’adjoint de qui que ce soit ! » Vale e
Azevedo a fait jurer à Paramés de garder le secret mais face au
courroux du Mou, il est obligé de céder : « Calma, Zé ! On va te
proposer le poste d’entraîneur principal du Benfica. » Rien que
ça.
La négociation : « Ce fut facílimo »
Lorsque Mourinho arrive dans la capitale, une délégation
benfiquiste l’accueille. Elle est composée d’Álvaro Braga Júnior,
directeur exécutif de la SAD (Société anonyme sportive), Michel
Preud’homme, directeur sportif et Eládio Paramés, boss des
relations publiques et pote de José. Les quatre hommes se
posent et palabrent. Zé accepte un contrat qui le mène jusqu’à
la fin de la saison, avec une option de prolongation automatique
en cas de victoire de Vale e Azevedo aux élections prévues fin
octobre. Son salaire avoisine les 8 000 euros mensuels. Braga
Júnior assure : « Ce fut très simple. J’ai demandé à Zé : « Tu te
sens le courage d’entraîner le Benfica ? » Il m’a répondu en
deux secondes : « Bien sûr ! » J’ai appelé Vale e Azevedo et je
lui ai dit : « Monsieur le président, nous avons un entraîneur.
Maintenant, on vient chez vous pour discuter des détails
financiers. » A minuit, tout était bouclé. Ce fut facílimo. »
« Il débutait comme principal, il pensait pouvoir le faire et il n’a
eu aucune exigence, poursuit Preud’homme. On a appelé
Carlos Mozer avec qui j’avais joué au Benfica pour savoir s’il
voulait devenir adjoint. Le lendemain matin, on avait constitué la
nouvelle équipe technique. »
Mozer, le légendaire, défenseur du SLB entre 1987 et 1989,
puis entre 1992 et 1994. Entre-temps, l’international brésilien a
joué à l’OM. Une personnalité très appréciée des sócios qui
depuis 1996 partage son temps entre son restau à Lisbonne et
son boulot de consultant télé. « Le président [Vale e Azevedo]
m’a appelé pour me demander si je pouvais me rendre au
estádio da Luz pour une réunion, conte-t-il. Je ne m’imaginais
pas que c’était pour être entraîneur-adjoint. Quand je suis
arrivé, il y avait Zé et Álvaro Braga Júnior. Au cours de cette
réunion, le président m’a dit qu’il était en train d’embaucher
Mourinho dont l’une des exigences était que je sois son adjoint.
J’étais très étonné et enthousiaste, à la fois. J’ai accepté de
suite. »
Carlos et José se sont connus il y a quelques années. Ils ne
sont pas proches, ni intimes, mais quelque chose semble les
unir. « Quand je jouais encore, presque tous les joueurs du
championnat portugais partaient en vacances en Algarve, confie
Mozer. Avec José on passait les nôtres dans la même résidence
et, un jour, on s’est mis à parler football. Je pense qu’à ce
moment-là on s’est rendu compte qu’on avait des idées
communes. » Mozer qui n’a alors aucune expérience en tant
que technicien est un choix habile. Beaucoup de supporters du
Benfica espéraient voir Toni, l’une de leur légende, succéder à
Heynckes. Et c’est le jeune et inexpérimenté José Mourinho qui
lui est préféré. Et, en plus, ce gars-là a bossé pour leurs rivaux !
Un article de Record pondu au moment de son intronisation
relaie les doutes – voire la suspicion – qui planent alors sur
Mourinho. Son titre : « Le nom de José Mourinho est mal perçu
par les supporters. ». « Certains trouvent que les liens de
l’entraîneur avec le Sporting et le FC Porto peuvent être
préjudiciables pour le Benfica. D’autres défendent qu’un
entraîneur adjoint (Mourinho a même été appelé « interprète »)
n’est pas un choix idéal », lit-on.111 Au pays où le clubisme fait
souvent foi et loi, Mozer représente un soutien, voire une forme
de crédibilité pour Mourinho aux yeux de nombreux sócios
benfiquistas. N’oublie pas que les élections approchent.
Mais, au fait, qui a pensé à Mourinho pour le poste d’entraîneur
du Benfica ? Mozer sourit : « Je ne sais pas du tout de quel
cerveau, ni de quelle bouche est sortie cette idée, mais elle fut
brillante ! »
Qui a eu l’idée d’embaucher Mourinho au Benfica ?
Si Mozer n’a pas la réponse à cette question, d’autres ont la
leur. Et elles diffèrent quelque peu. Pour bien comprendre le
choix de la succession de Jupp Heynckes, il faut être conscient
du contexte.
Avant l’Allemand, le Benfica était entre les mains de Graeme
Souness. Pas un grand succès. Au démarrage de la saison
2000-2001, le dernier titre du club date de 1996 : une Coupe du
Portugal remportée par le « Vieux Capitaine », Mário Wilson.
Cinq ans que le SLB court après un trophée. Une éternité… Les
caisses aussi sonnent creux. Le club traverse l’une des pires
crises institutionnelles de son histoire. Les présidentielles du
club se rapprochent et Vale e Azevedo, élu en 1997, est censé
assainir la situation. Autant que faire se peut. Pour toutes ces
raisons, V&A veut « lusitaniser » son équipe et miser sur un
jeune entraîneur portugais ambitieux (comprends par là : pas
cher).
Mais avant d’en arriver là, il a fallu cogiter. Le directeur exécutif,
Álvaro Braga Júnior, replonge au lendemain de la victoire de la
4e journée du championnat, face à l’Estrela da Amadora :
« Monsieur Jupp Heynckes m’avait dit qu’il voulait quitter le
Benfica. Le lendemain, j’en ai parlé au président du Benfica,
Vale e Azevedo, et on a négocié son départ. J’ai dit au président
que le Benfica devait avoir un entraîneur dès le lendemain. » La
deuxième étape est enclenchée. « On a convoqué une réunion
en début d’après-midi à laquelle ont participé le président,
Michel Preud’homme et moi, confie ABJ. Preud’homme voulait
un entraîneur néerlandais. J’ai mis mon véto. Une autre faction
de dirigeants du Benfica voulait Toni. Et au cours de la
discussion, j’ai suggéré le nom de José Mourinho. Je parlais
beaucoup avec Eládio Paramés, un ami de José qui était notre
responsable presse au Benfica et qui est aussi mon ami. Je lui
avais dit qu’en cas de départ de Heynckes, je miserais sur Zé.
Mais la décision en revenait au président. Même s’il n’était pas
présent au cours de la réunion au cours de laquelle nous avons
décidé de faire venir Zé, Eládio a été fondamental à travers les
échanges que nous avons eus. »
Braga Júnior lance alors à son boss : « « Il y a deux
possibilités : ou il vient comme entraîneur principal, ou comme
adjoint d’un entraîneur de top – mais j’ai un doute qu’il accepte
en tant que tel. Et si on va chercher un entraîneur de top, on va
le payer une fortune et, au final, celui qui travaillera ce sera
José. » Le président a réfléchi quelques minutes et m’a lancé :
« Vous pouvez lui parler ? » C’était parti. » Ça, c’est la version
d’Álvaro Braga Júnior.
Voici celle du directeur sportif, Michel Preud’homme : « Quand
le président a décidé de se séparer de Jupp Heynckes, un
gentleman avec qui j’avais bien travaillé jusque-là, il m’a dit :
« Alors, Michel, qui me conseilles-tu ? » Je lui ai répondu que
j’avais brossé quatre profils. 1. Un entraîneur réputé européen
(j’avais pensé à Arrigo Sacchi qui n’avait pas de poste et on
aurait pu essayer de le convaincre) ; 2. un entraîneur européen
qui était moins connu mais dont je connaissais les qualités (le
Néerlandais Aad de Mos que j’avais eu à Malines) ; 3. au niveau
portugais, il y avait des entraîneurs comme Toni, apprécié du
grand public, aimé des benfiquistes ; 4. ou bien un jeune
entraîneur qui n’était même pas encore entraîneur-principal
mais dont je pensais qu’il pouvait le faire. C’était José. Il m’a
demandé ce que je ferais et j’ai répondu que je tenterais
Mourinho. J’avais aimé notre rencontre et je voulais le revoir à
nouveau. »
Car, oui, Michel et José se sont déjà rencontrés. Avant d’être
directeur sportif du SLB, l’international des Diables Rouges qui
a défendu la cage des Aigles entre 1994 et 1999 était en charge
des relations internationales du club de Vale e Azevedo. « Il y
avait un nouveau président qui voulait faire connaître le Benfica
de nouveau à travers l’Europe et il m’a chargé de prendre
contact avec les plus grands clubs européens, explique-t-il. Je
suis allé visiter les deux Milan, Barcelone, le Real, le Bayern,
Dortmund, Paris, Marseille… Je venais leur présenter le
nouveau président du Benfica. Avant mon déplacement à
Barcelone, Eládio m’a dit : « Si tu vas là-bas, il faut que tu
rencontres José Mourinho qui est adjoint au Barça ; plutôt que,
c’est quelqu’un de très intéressant. » On s’est donc donnés
rendez-vous en matinée dans un hôtel. On avait prévu de se
voir une demi-heure, une heure, de boire un café. On a
commencé à parler football et j’ai failli rater mon avion qui était
en soirée ! On a parlé toute la journée ! » Les deux hommes
échangent dans la langue de Molière. « Quand on était que tous
les deux, on parlait en français », sourit le Belge dont la version
diffère donc quelque peu de celle d’Álvaro Braga Júnior.
Ce dernier reprend : « Beaucoup revendiquent la paternité de
Mourinho comme entraîneur mais… Je n’ai découvert personne,
j’ai eu une idée et le président aimait prendre des risques et
celui-ci était calculé. » Enfin, tout dépend qui tient (et demande)
les comptes… « Je me souviens qu’à l’époque, peu après
l’annonce de Mourinho, il y avait une émission télévisée, les
lundis, animé par Paulo Catarro qui était accompagné de trois
commentateurs. Je me suis fait trucider ! », se marre Braga
Júnior. ABJ qui deviendra président du Boavista quelques
années plus tard revient sur la mouture du Belge :
« Preud’homme était contre [le choix Mourinho], parce qu’il
n’avait été qu’adjoint et je lui ai dit : « On va le rencontrer et tu
vas voir que tu vas changer d’avis. » Il avait été adjoint, oui,
mais de Robson et de Van Gaal, il était plus que prêt et préparé.
En plus, il avait suivi le parcours de son père en tant que joueur
et entraîneur. Il connaissait le football. » Braga Júnior affirme
même avoir « organisé un dîner avec Eládio et Preud’homme »
au soir du premier rendez-vous avec José. « Justement parce
que je sentais que Preud’homme n’était pas emballé par l’idée,
affirme-t-il. J’ai demandé à Eládio de s’arranger avec Mourinho
pour qu’on se retrouve chez moi, à Lisbonne, après ce dîner. »
Preud’homme rétorque : « Que les autres disent qu’ils l’ont fait
venir… Ils étaient présents aussi. » Et il conclut : « J’ai présenté
quatre profils parmi lesquels José. Ça ne m’intéresse pas de
dire que c’est moi ou pas. »
Quant à celui qui était alors vice-président, José Manuel
Capristano, il déclare pour sa part : « Il n’y a qu’une vérité : Toni
était un nom à l’étude pour succéder à Jupp Heynckes mais il y
a eu quelqu’un et ce quelqu’un est Eládio Paramés qui a donné
du crédit à José Mourinho et a influencé le président du Benfica
qui a été convaincu par Eládio et Álvaro Braga Júnior. »112
Capristano qui avoue avoir « lutté pour faire venir Toni »113
explique que « Michel Preud’homme faisait tout pour faire venir
un ami belge à lui. »114 Il fait sûrement allusion au Néerlandais
De Mos.
Au final, une chose est sûre et certaine : José Mourinho a été
nommé entraîneur principal du Benfica. Et, après tout, comme
disait Mozer : « Je ne sais pas du tout de quel cerveau, ni de
quelle bouche est sortie cette idée, en tout cas, elle fut
brillante ! »
Débute là une phase capitale dans la vie et la carrière de José
Mourinho. Aussi courte qu’intense, aussi passionnée que
passionnante, chaque journée, chaque jour de ses quelques
semaines au Benfica seront une expérience.
« Être, demain, meilleurs qu’aujourd’hui »
Maintenant que les dirigeants ont tranché et que José
Mourinho a signé, il faut l’officialiser. « Je savais que la journée
allait être difficile et j’avais demandé à tout le monde de rester
confiné, se souvient Álvaro Braga Júnior. Je voulais que ça
sorte dans la presse au moment où on l’aurait décidé. » Alors
que plusieurs autres noms circulent, le Benfica veut garder le
secret. « Ce jour-là, les médias ont été surpris, lance, taquin, le
directeur exécutif de la SAD du Benfica. On s’est rendus très tôt
à mon bureau, à la Luz. Le président Vale e Azevedo m’a
appelé vers midi en me disant qu’il n’arrivait plus à contenir la
SIC ; chaîne de télévision avec qui le Benfica avait de bons
rapports. La SIC voulait donner l’info pour le JT de 13 heures.
Je lui ai dit : « Donnez-leur mais dévoilez tout le staff. Comme
ça, en plus, on pourra aller manger (rires). » »
20 septembre 2000. C’est le jour J. Le jour José. La salle de
presse est bondée. Costard sombre, chemise noire, cravate
rayée grise, José Mário dos Santos Mourinho Félix est présenté
à la presse en tant qu’entraîneur principal du Benfica. Il pose au
côté de ses dirigeants ; Capristano, Braga Júnior, Vale e
Azevedo et de son adjoint, Mozer. Mourinho prend la parole.
D’un ton posé et assuré, il exprime son « immense honneur de
travailler pour le Sport Lisboa e Benfica » et lance : « Je
pourrais être là à remercier celui qui a usé de sa légitimé pour
me choisir mais je préfère utiliser mon travail au quotidien pour
faire ce remerciement. » Et il laisse pour seul serment : « Ce
que nous promettons et quand je dis « nous », s’il m’arrivait de
dire « je » ce ne serait qu’un oubli, parce que quand je dis
« nous » je me réfère à l’ensemble des personnes qui vont
travailler avec moi, nous avons l’objectif clair d’être, demain,
meilleurs qu’aujourd’hui. »
A 37 ans, le Setubalense est le plus jeune entraîneur du SLB
depuis Sven-Goran Erkisson en 1982 (le Suédois avait 34 ans).
Hormis les rares rencontres que Louis van Gaal lui a confiées
au Barça, il vit là sa première expérience en tant que manager
d’une équipe professionnelle. Le président Vale e Azevedo
scande, tel un slogan de campagne : « Le football sans risque
n’existe pas. C’est important dans cette phase d’avoir un
entraîneur portugais, jeune et ambitieux. Ce n’est pas un risque,
c’est un choix fort. » Le démissionnaire Jupp Heynckes aussi y
va de son éloge : « Le président a bien choisi. Il [Mourinho] est
portugais et il a beaucoup appris avec Bobby Robson et Van
Gaal. Les supporters vont devoir être plus patients avec cette
équipe, elle en vaut la peine. » Patience + supporters = une
sacrée équation pour José qui n’attend pas pour se mettre au
taf.
« Le jour où il a été présenté à la presse, il m’a demandé les
vidéos de tous les matches de la saison, révèle le directeur
exécutif des Aigles, Álvaro Braga Júnior. Il m’a aussi demandé
où l’équipe effectuait ses mises au vert. C’était au Méridien.
Il habitait Setúbal qui n’est pas très loin de Lisbonne mais il m’a
dit : « Prenez-moi une chambre parce que je n’aurai pas le
temps de rentrer chez moi dans les prochains jours. » Il s’est
enfermé à l’hôtel pour préparer ses entraînements et ses
matches ! Il ne vivait qu’avec les membres de son staff. Eládio
et moi allions déjeuner avec eux. » Des moments savoureux.
« On mangeait ensemble tous les jours, avec Álvaro Braga
Júnior, sourit Mozer. On passait le midi à rire. Mourinho est
génial. Il aime s’amuser, provoquer, rire. Rien à voir avec le
Mourinho au travail. » Le travail, il est en plein dedans. Une
grosse semaine, avec deux rencontres, l’attend.
Meira : « Mourinho, c’était l’inconnu »
Les joueurs du Benfica vont vite faire la connaissance du
« Mourinho au travail ». Comme tout le monde, ils ont suivi
l’actu, les infos, les rumeurs qui insistaient sur le retour de Toni.
L’officialisation de José Mourinho est donc une surprise et une
découverte pour eux aussi. Défenseur du SLB entre 1996 et
2001, le Brésilien Ronaldo confesse : « Je ne le connaissais
pas. Je savais juste qu’il avait été adjoint à Barcelone. Quand il
est arrivé, je me suis dit que c’était un entraîneur de plus. Avec
le temps, en voyant son style, là oui, j’ai appris à comprendre
qui il était. »
« Ce fut un peu surprenant », concède l’attaquant João Tomás.
« Comme l’équipe traversait une période compliquée, qu’on
avait eu des entraîneurs expérimentés et que ça n’avait pas
pris, on s’est dit qu’un jeune, portugais, ambitieux, qui venait
avec Mozer qui a été une gloire du Benfica comme adjoint ça
pouvait le faire », poursuit José Calado. Le milieu de terrain est
l’un des capitaines de l’équipe avec Fernando Meira qui
recontextualise : « Je suis resté un an et demi au Benfica et au
cours de cette période, j’ai connu quatre entraîneurs et deux
présidents. Ça donne une idée de l’état dans lequel était le
Benfica à l’époque. »
La venue de Mourinho est une injection de sang neuf pour les
Encarnados. « On était contents d’avoir un nouvel entraîneur,
parce que quand les choses ne se passent pas bien, c’est bien
de prendre une décision, poursuit Meira. Pour nous, Mourinho
c’était l’inconnu. Il venait, c’est vrai, d’un grand club, avec de
l’ambition, c’était un portugais, ce qui était important, et ce fut
quelque chose de positif pour nous tous, y compris pour le
Benfica. Ce fut, sans conteste, une expérience fantastique. »
Une tirade de l’époque traduit l’énigme que suscite alors
Mourinho. Interrogé au sujet de son nouveau Mister, le
prometteur défenseur espagnol Carlos Marchena – que
Heynckes avait fait venir au SLB – confie au quotidien Record
« savoir qu’il a travaillé dans un grand club comme le FC
Barcelone »115 et avoue s’être renseigné auprès de ses
coéquipiers barcelonais de la sélection olympique (Xavi, Puyol
et Gabri) ; « mais ils n’ont pas dit grand-chose parce qu’ils n’ont
pas travaillé avec lui en tant qu’entraîneur principal. »116
José Mourinho va dompter cette peur de l’« inconnu ». Il va
mettre en place des entretiens individuels avec ses joueurs.
José Calado raconte : « Il s’est réuni avec chaque joueur.
Il voulait d’abord savoir où chacun se sentait le mieux sur le
terrain, quel était l’objectif de chacun dans et pour l’équipe, ce
qu’ils avaient vécu et ce qu’ils vivaient au sein du club. Dès lors,
il a mis les joueurs de son côté. »
Fernando Meira se souvient « parfaitement » du premier
discours que lui a tenu le Mister : « Il m’a dit qu’il m’appréciait
beaucoup, que j’avais beaucoup de valeur, qu’il voyait en moi
un leader, un joueur qui pouvait aller bien plus haut encore et
qu’il comptait sur moi. » Meira et Calado sont convoqués pour la
première de José.
Boavista, le dépucelage
Le premier adversaire officiel de José Mourinho en tant
qu’entraîneur principal est le Boavista Futebol Clube. Fondé en
1903, ce club basé à Porto est, depuis les années 1970, un
habitué des places européennes. En 1998-1999, il a même
terminé deuxième de la I Divisão, derrière son voisin le FCP.
Une équipe de caractère, à l’image de son entraîneur Jaime
Pacheco. Au moment de recevoir le SLB, les Axedrezados
restent sur une défaite contre Braga (0-1). Leur ambition
contraste avec la période instable des Aigles qui, après 4
journées de championnat, ne comptent que deux succès (un nul
et une défaite).
En conf’ d’avant-match, le José Mourinho séducteur qui s’était
présenté à la presse trois jours auparavant, dévoile une autre
de ses facettes : « Que celui qui a peur reste à la maison. Celui
qui ne pense pas avoir le potentiel psychologique travaille toute
sa vie dans des clubs de plus petite dimension. Celui qui se
sent en confiance pour se lancer dans ces guerres et avec la
capacité technique et psychologique sera présent. » José qui
n’a eu que peu de temps pour se préparer à son dépucelage se
veut rassurant : « Je vais dormir comme un petit oiseau cette
nuit et, demain, je serai heureux à l’heure du match. »
Le lendemain, le 23 septembre 2000, ne sera, néanmoins, ni
jouissif ni chantant. L’Aigle va se faire voler dans les plumes par
la Pantera (surnom du Boavista). Car oui, le premier match pro
dirigé par José Mourinho en tant qu’entraîneur principal est une
défaite (0-1). La faute à Duda qui conclut l’affaire au bout de
deux minutes. « C’est un très bon souvenir, sourit l’attaquant
brésilien. On ne pense pas à ça quand on est sur le terrain mais
faire partie de l’histoire d’un aussi grand entraîneur, c’est un
privilège. » Carlos Eduardo Ventura – son vrai nom – restera
comme le premier joueur à avoir marqué contre Mourinho. Ce
dernier le réfère d’ailleurs dans sa bio. « Quand le livre est sorti
on m’a dit qu’il parlait de moi, s’emballe Duda. J’ai couru à la
FNAC pour l’acheter et je l’ai conservé. » Pourtant, ce jour-là, il
a un quasi-anonyme face à lui : « On ne connaissait pas
vraiment Mourinho quand il est arrivé au Benfica mais on se
doutait que s’il avait été nommé entraîneur d’une telle équipe,
dans un tel club, c’est qu’il avait des qualités. »
Cette rencontre sera importante pour la suite de la saison. Les
Panthères viennent de bouffer un gros et entrent dans la cour
des grands. Le Boavista remportera le championnat 2000-2001.
Un exploit insensé puisqu’il s’agit du seul titre de Campeão
Nacional de l’histoire – avec celui du Belenenses (en 1946) –
qui n’a pas été remporté par l’un des trois grands.
Revenons à nos Aigles. Et à cette première de José. Mourinho
n’attend pas pour innover et plaquer son style. Il fait évoluer le
4-2-3-1 d’Heynckes en 4-3-3. Peut-être que certains vont
trouver ça dingue à lire aujourd’hui tant son nom et son
parcours, sont associés au Real Madrid ; mais lorsqu’il débute
comme principal, José est breveté Barça. L’édition de Record le
lendemain de la rencontre du Bessa évoque le « novateur »
et « fringant 4-3-3 que Mourinho a ramené de Barcelone jusqu’à
la Luz. » Le journal pousse la comparaison : « Les encarnados
sont entrés sur la pelouse avec Meira dans le rôle de Guardiola
et Pobrosky et Maniche jouant à la façon de Ronald de Boer et
Zenden. » Voyant son équipe menée et malmenée, « Mourinho
va intervenir dans le jeu » : « Le nouvel entraîneur du Benfica a
compris, que dans ces conditions, il ne pouvait être fidèle à la
doctrine de Louis van Gaal et il a interverti le triangle du milieu
de terrain, en faisait reculer Maniche à côté de Meira. »
Mourinho commente en conf’ d’après-match : « Les niveaux de
confiance sont très bas. Plus que d’un choc psychologique cette
équipe a besoin d’un choc méthodologique. » En face, Jaime
Pacheco jubile et provoque : « On a gagné et ce n’est que
justice (…) J’ai dit aux joueurs que ce n’était pas le Benfica de
mon époque. » En tant que milieu de terrain du FC Porto, du
Sporting, de Setúbal ou de Braga, Pacheco a connu les grandes
heures du Glorioso dans les années 1970 à 1990. Ce jour-là,
avec ces déclas, il se fait un nouveau pote. Les deux
techniciens s’adonneront à d’autres échanges passionnés.
Le premier onze de José Mourinho, en tant qu’entraîneur
principal d’une équipe pro
23 septembre 2000. Boavista – Benfica : 1-0 (Duda)
Benfica : Enke – Dudić (Calado), Paulo Madeira, Ronaldo,
Rojas – Fernando Meira, Poborský (Miguel), Maniche (João
Tomás) – Carlitos, Van Hooijdonk, Sabry
José a du taf. Et il n’est pas au bout de ses peines. Cinq jours
seulement après avoir perdu à Porto, Mourinho effectue son
baptême européen. Et il doit rattraper les erreurs du passé. Le
Benfica reçoit le Halmstads BK, au premier tour de la Coupe de
l’UEFA. A l’aller, les Suédois s’étaient imposés 2-1.
L’international néerlandais Pierre Van Hooijdonk met le SLB sur
le bon chemin. Après 23 minutes de jeu, sa tête qualifie
provisoirement les siens. Les benfiquistes poussent, insistent.
Mais les hommes du Mou sont encore trop tendres, trop
fragiles. Le HBK égalise dix minutes plus tard. Pire, à deux
minutes de la fin, ils prennent les devants. L’égalisation de
Miguel, dans la foulée, n’y change rien. Le SLB est éliminé et
son entraîneur continue de dégainer : « Je n’irai à la guerre
qu’avec les joueurs sur qui je peux compter à 100 %. Je crois
que tous sont disponibles pour aller à la guerre et gagner. J’ai
confiance en tout le monde. » Mourinho pique son vestiaire
mais il sait aussi comment le cajoler.
Mozer : « Dès le premier jour, j’avais foi en ce que je
voyais »
Très vite et malgré son contrat précaire et son staff réduit,
José Mourinho impose et appose sa patte. Tout aussi vite, il
réalise à quel point la structuration du club est éloignée de ce
dont il a joui au Barça pendant quatre ans. Avant le match face
au Boavista, il commande un rapport sur son adversaire au
département d’observation du Benfica. Lorsque le document lui
est remis, seuls dix joueurs y figurent. Bizarre. D’autant plus que
le joueur manquant n’est autre qu’Erwin Sánchez. Ce
spécialiste des coups de pied arrêtés est l’un des joueurs-clés
du BFC. Un international bolivien qui a connu deux passages
au… Benfica, et qui au cours de cette saison 2000-2001 sera le
joueur le plus utilisé par Jaime Pacheco ; le futur champion.
José Mário qui, à peine ado, pondait des topos détaillés sur les
adversaires de son père, hallucine. Il indique à ses dirigeants
qu’il ne veut plus bosser avec ce service. On lui répond qu’avant
les élections rien ne bougera. José paie alors un pote de fac de
sa poche pour faire le job.
Mourinho sait ce qu’il veut, avec qui, où et comment il le veut.
Ses méthodes vont renforcer cette sensation de nouveauté qui
s’installe à la Luz. « Il était très accessible, les joueurs
adhéraient à ce qu’il faisait et c’était très important, assure son
directeur sportif, Michel Preud’homme. Il était passionné. »
Son adjoint, Carlos Mozer, qui débute son parcours de
technicien est enthousiaste : « Je ne savais pas comment il
travaillait mais dès le premier jour d’entraînement, j’ai été très
motivé, plein d’espoir. J’avais foi en ce que je voyais. Je croyais
déjà qu’il allait devenir l’un des meilleurs entraîneurs du monde
et il n’a pas tardé à le devenir. » A tout juste 40 ans, Mozer est
un jeune retraité. Après avoir défendu le Flamengo, le Benfica
et l’OM, il a effectué une dernière pige au Kashima Antlers avec
qui il a remporté le championnat du Japon en 1996. Ses
souvenirs des terrains sont donc encore frais. Mais Mourinho va
lui mettre un coup de vieux : « A l’époque, nous n’étions pas
habitués aux entraînements de haute intensité, avec des temps
de travail et de récupération très réduits et une grande
organisation structurelle. Tout ce qu’il faisait à l’entraînement
était une intégration de ce qui attendait l’équipe lors des
matches. »
Le Brésilien détaille : « Les séances de Mourinho duraient, au
maximum, 1 h 30 mais l’intensité était brutale. Chaque exercice
était une répétition de deux, trois minutes, coupée par une
minute de récupération et suivie d’un autre exercice, et ça
s’enchaînait ainsi. L’hydratation était très légère. Il ne concédait
qu’une minute pour boire. Je me souviens que le premier jour, il
a fait une pause fraîcheur au bout de trois exercices. Il a dit aux
joueurs : « Une minute pour boire ! » Les joueurs qui avaient
leurs habitudes sont allés chercher de l’eau en marchant
tranquillement, en discutant. Lui était braqué sur sa montre.
Quand la minute s’est écoulée, il a sifflé : « Allez, on y
retourne ! » Tout le monde s’est mis à crier : « On n’a pas eu le
temps de boire ! » Il a répondu : « J’ai dit une minute ! » Les
joueurs ont compris le message : ils ne devaient pas faire
baisser l’intensité. Dès la fin de l’entraînement, j’ai senti, chez
chaque joueur, une admiration envers cette nouvelle
méthodologie et celui qui la portait. »
Ils en disent quoi, les joueurs, justement ? A 25 ans, João
Tomás initie sa première saison pleine avec les Aigles.
L’attaquant avait été déniché à l’Académica au début de l’année
2000 et, avec José, il en prend plein la vue et plein la
gueule. « Je n’étais pas habitué à ce niveau d’entraînement,
souffle-t-il. Tout était court, facile à percevoir. C’était différent,
très bien organisé. Tout était contrôlé : le temps de chaque
exercice, le temps entre chaque exercice, le temps de
s’hydrater… »
« Il nous donnait 30 secondes pour boire de l’eau. Il ne voulait
pas de temps morts dans ses entraînements. Celui qui n’avait
pas bu, tant pis pour lui, on enchaînait ! », confirme Diogo Luís.
A seulement 20 ans, le défenseur qui va bientôt débuter en
équipe première du SLB se souvient que « les entraînements
étaient toujours différents » : « On ne savait jamais ce qui nous
attendait et ça nous motivait, ça nous rendait curieux. En termes
de contenus, les exercices étaient adaptés à nos adversaires.
On intégrait ce qui nous attendait le jour J, dans le moindre
détail. Il arrivait dans le vestiaire et il nous disait ce qu’on allait
faire. Ça durait une heure, jamais plus. C’était impressionnant.
On arrivait sur le terrain et tout était prêt, délimité. »
« La durée des entraînements était beaucoup plus courte mais
l’intensité était beaucoup plus forte, détaille encore Dani. La
qualité de ses entraînements était excellente. Les exercices
étaient très axés et très identifiés par rapport à ce qui devait se
transposer sur le terrain et pour l’équipe. Le travail était divisé
par secteur, par joueurs, mais tout était lié au travail collectif.
L’idée était de travailler avec ce qu’on avait et, cette saison-là,
l’effectif n’était pas des plus forts. On a fait avec ce qu’on a
pu. » A 23 ans, Dani est un grand espoir du football portugais.
Aussi fantastique que fantasque. Formé au Sporting, déjà passé
par West Ham, c’est à l’Ajax que le SLB va le chercher.
A Amsterdam, il a œuvré sous les ordres d’un certain Louis van
Gaal. « Dès les premiers entraînements, j’ai retrouvé l’école de
Van Gaal avec qui Mourinho a travaillé à Barcelone, dit-il. Sa
méthodologie découlait de ce qu’il avait appris avec lui et
Robson. Et moi-même j’avais une certaine connaissance de
cette école. J’ai reconnu des méthodes, des exercices que Van
Gaal nous faisait travailler à l’Ajax mais qui étaient adaptés à ce
que Mourinho voulait, au football portugais et aux joueurs dont il
disposait. »
« Il faisait ce que les autres entraîneurs ont fait
ensuite »
L’Ajax et le Barça ; deux clubs réputés pour leur jeu, leur
amour du ballon. Cette passion, Mourinho la cultive au
quotidien. « Il privilégiait le travail avec ballon et, ça, les joueurs
aiment, s’enthousiasme Calado. Le travail physique existait
mais le ballon était toujours là. Il avait des idées nouvelles sur
ce qu’était le football et sur ce qu’allait devenir le football dans
les années à venir. Il pensait au jeu offensif, en donnant de la
liberté aux joueurs dans le dernier tiers du terrain, pour
déséquilibrer l’adversaire, tout en ayant toujours en tête un plan
tactique pour ne pas déséquilibrer son collectif. » Pour le milieu
de terrain portugais, « José Mourinho faisait ce que les autres
entraîneurs ont fait ensuite, dans l’ère moderne. »
La méthode Mourinho diffère aussi hors du terrain. Un
qualificatif revient, une fois encore, dans la bouche de Calado :
« différent » : « Parce que certains entraîneurs nous imposaient
des causeries d’une heure voire plus et, avant un match, un
joueur n’aime pas être assis trop longtemps à écouter son
coach parler. » Avant José Mourinho l’entraîneur, il y a eu Zé
Mário, le joueur. Cette expérience (aussi brève fut-elle) cumulée
à celles qu’il a vécues en tant qu’adjoint au sein de clubs
toujours plus huppés et ambitieux, lui permet de percevoir la
sensibilité et la complexité des footballeurs. Il évite de les
bassiner – de les perdre – avec de longs discours. José
Calado confie : « On travaillait durant les entraînements et le
jour J il nous disait : « Cette semaine, vous avez bien travaillé,
vous connaissez votre valeur, celle de l’adversaire. Je ne vous
demande qu’une chose : faire ce qu’on a travaillé cette
semaine. » Parfois, sa causerie se limitait à ça. Ce qu’il nous
disait toujours c’est qu’on prenne conscience de nos capacités
parce qu’on était meilleurs que notre adversaire. Il savait que si
psychologiquement on était meilleurs qu’eux, on allait réussir à
le faire sentir sur le terrain. Grâce à cela, les joueurs faisaient
peut-être plus que ce qu’ils pensaient être capables de faire. »
Pour arriver à ses fins et capter au maximum l’attention de ses
hommes, Mourinho innove le contenu et la forme de ses
speechs. « Il faisait ses causeries par secteurs de jeu, ce qui
était totalement nouveau, à l’époque, explique son adjoint,
Mozer. Il s’adressait au secteur défensif, d’abord aux titulaires,
puis il donnait des indications à ceux qui allaient débuter sur le
banc. Il prenait cinq à dix minutes pour donner ses explications.
Ensuite, il appelait les milieux et ainsi de suite. » Le Brésilien qui
deviendra entraîneur quelques années plus tard, s’en inspirera
lors de ses expériences à l’Interclube de Luanda, au Raja
Casablanca, à la Naval et au Portimonense : « J’en suis arrivé à
une conclusion : quand il effectuait son discurso à l’ensemble de
l’équipe, ça prenait cinq minutes. Parce qu’avant, il avait déjà
donné d’autres indications de façon plus ciblée. Au final, il avait
donné deux fois plus d’informations aux joueurs. Et avec cette
façon de faire, il parvenait ainsi à mieux capter l’attention de
chacun. J’ai trouvé ça fantastique et je m’en suis servi par la
suite. »
« Toute l’équipe technique avait des
responsabilités »
Lorsqu’il s’installe à la Luz, José Mourinho hérite d’une partie
du staff de Jupp Heynckes. Angel Vilda, préparateur physique
espagnol et Walter Junghans, coach des gardiens allemands se
joignent à « son » Carlos Mozer. Parce qu’il connaît
parfaitement ce rôle, cette fonction, ce statut, cette posture de
second, Mourinho a tenu à souligner leur importance, dès sa
première conférence de presse : « Je ne crois pas aux
entraîneurs-adjoints. Je crois aux entraîneurs, avec leur propre
identité, qui parfois sont d’accord, parfois ne le sont pas. »
Traduisez : il veut des collaborateurs actifs. Ce qu’il a aimé
vivre, au fond, lorsqu’il était à leur place. Baratin ou vérité ?
« Il donnait des responsabilités à tout le monde au sein du staff
technique, affirme Mozer. Lors de la première réunion qu’il a
faite avec les joueurs, il leur a dit que les membres de son staff
méritaient le même respect que lui et que, sinon, ça se
passerait mal. » Le Brésilien qui débute à ce poste est briefé par
José : « Il m’expliquait tout, parce que je n’avais jamais
entraîné. Il m’appelait, me montrait ce qu’il voulait et me
déléguait des fonctions pendant l’entraînement. Toute l’équipe
technique avait des responsabilités. Il nous demandait notre
opinion, il rentrait chez lui, analysait et décidait. »
Mozer s’étonne encore : « Au-delà de la qualité de ses
entraînements, ce qui m’a impressionné chez lui c’est que
lorsqu’on arrivait le matin, il avait déjà en main tout ce qui était
sorti dans les journaux du jour. Je me disais : « Mais, c’est pas
possible, il ne dort pas ! » Il avait préparé l’entraînement et
savait ce qui avait été dit par chaque joueur dans la presse.
Il maîtrisait les médias, les séances, il gérait les discussions
avec les joueurs et toujours en ma présence. Il a toujours fait en
sorte que je sois là. J’ai assisté à des sessions de correction à
des joueurs, c’était… magnifique. »
Le milieu de terrain, José Calado, témoigne : « Il déléguait
certains entraînements à son adjoint mais il était toujours attentif
pour voir comment l’équipe s’entraînait. Il mettait en place des
exercices spécifiques pour la défense, le milieu et l’attaque.
Il surveillait et, dès que quelque chose ne lui convenait pas, il
intervenait. Il corrigeait les joueurs, les mouvements. »
Un mois après le remplacement d’Heynckes par Mourinho, Vilda
est invité par la presse à les comparer : « Il n’y a pas
d’entraîneurs similaires, mais les deux nous facilitent le travail,
parce que nous avons connaissance du planning de travail de
façon anticipée. » En janvier 2001, l’Espagnol déclarera au sujet
du Mou au micro de Rádio Renascença : « Il est jeune,
extraordinairement bien préparé, avec beaucoup d’ambition.
Pour moi, il est l’entraîneur du futur. » Mais avant de devenir le
Special One, il a quelques dossiers à gérer.
Maniche, le premier « cas »
Peu après son baptême, Mourinho est confronté à un premier
« cas ». Face au Boavista, Maniche a pris un rouge en toute fin
de rencontre. Sur le ralenti diffusé par la RTP, il semble glisser
quelques « mots doux » à l’arbitre de touche. Formé au club,
Nuno Ricardo de Oliveira Ribeiro – « Maniche » est un surnom
en référence à l’ancien Dannois du Benfica ; Manniche – est un
milieu de terrain de talent dont la passion dépasse parfois la
raison. A 23 ans, il sort d’une grosse saison avec le SLB. En
1999-2000, après trois ans à Alverca, il est l’un des éléments
les plus utilisés par Heynckes et, avec 12 buts, il est le
deuxième meilleur buteur des Aigles, derrière Nuno Gomes
(parti à la Fiorentina).
Suite au revers du Bessa, le Mister convoque ceux qui n’ont pas
joué, pour une opposition contre l’équipe B benfiquiste. L’exclu
Maniche est lui aussi convié. Mourinho prend ce jeu très au
sérieux et demande à Mozer qui endosse le rôle d’arbitre d’en
faire tout autant. A peine lancé, le match d’entraînement est
arrêté. Maniche vient de découper un joueur d’en face – qui est
donc aussi un coéquipier – et Mozer l’exclut du terrain. Nuno se
dirige vers le vestiaire mais son entraîneur qui assiste à la
scène depuis les tribunes demande à ses adjoints de lui
imposer des tours de terrain. Maniche bougonne, traîne les
pieds, trottine, marche.
Lorsque la convocation pour le match suivant tombe, Maniche
constate qu’il n’en est pas. Mourinho qui passe par là, lui
demande s’il sait pourquoi. Le joueur (se) dit que c’est à cause
de ce tacle trop appuyé sur son collègue de la B. José le coupe
et lui lance, non sans ironie : « Non, c’est parce que tu n’es pas
bien physiquement. Tu n’as fait que deux tours de terrain, c’est
que tu n’es pas bien physiquement… » Nuno saisit le message.
Il demande à voir son manager, s’excuse et est très vite
réintégré au sein de l’équipe première dont il devient bientôt l’un
des capitaines.
Maniche que Mourinho recrutera au FC Porto en 2002 (rendez-
vous dans quelques pages) mais aussi à Chelsea (2005-2006)
a publié sa biographie en novembre 2018. Il y dédie tout un
chapitre à Mourinho. Et, des nombreux moments vécus avec
l’entraîneur portugais, il écrit que c’est celui-ci qui l’a le plus
marqué ; lorsque le Special One ne l’était pas encore.
Le cas Calado
Défaite contre le Boavista (0-1), nul face à Halmstads (2-2).
José Mourinho attend encore le fameux « match référence ». Eh
bien, le voilà. Et il ne s’agit pas d’une victoire. Le 2 octobre
2000, lors de la 6e journée du championnat, le Benfica reçoit le
Sporting de Braga. Les Águias et les Arsenalistas se quittent sur
un 2-2 mais José Mário dira : « C’est là qu’est né « mon »
Benfica. »
A la pause, le SLB est mené 1-0, frappé par un but de Miki
Féher, le regretté international hongrois117 prêté par le FC Porto.
Une fois dans le vestiaire, le Capitão, José Calado, se désape
et file sous la douche. Il refuse de reprendre la deuxième
période. Depuis plusieurs jours, une rumeur selon laquelle il
aurait une relation avec un chanteur portugais circule et certains
joueurs de Braga se font un plaisir d’en remettre une couche sur
le terrain. Calado qui vit déjà mal la situation craque et se
braque. Mourinho est contraint de le remplacer. A l’heure de jeu,
João Tomás entre en scène. Dans la minute qui suit, il égalise.
A la 75e, Van Hooijdonk renverse la rencontre mais Braga
arrache le 2-2 à la 90e. Mourinho apprécie le contenu. Et il n’en
veut pas à Calado. « Il n’était pas du tout énervé, assure ce
dernier. Il a parfaitement compris ce qui était en train de se
passer. La seule chose qu’il m’a dit c’est : « Je suis avec toi, de
ton côté, je comprends ta position mais réfléchis bien à ce que
tu veux faire. » Il m’a aussi dit : « Je suis à ta disposition pour
toute éventuelle réunion que tu pourrais avoir avec le
président. » Il regrettait le fait que je ne dispute pas la deuxième
mi-temps mais il comprenait ce que je faisais. Mozer a pris le
relais pour essayer de me calmer parce que j’étais très en
colère. Mourinho comprenait la direction mais il me comprenait
moi aussi. Il a toujours eu une posture très humaine. »
Ses patrons, eux, font moins de sentiments. « J’ai été
sanctionné parce que j’ai refusé de jouer, confie l’ancien joueur.
Ce fut une décision des dirigeants. J’ai eu une réunion avec le
président et on a eu une grande discussion. J’ai expliqué que
ma famille et moi souffrions d’une situation dans laquelle mon
nom était sali et que le Benfica ne m’avait pas soutenu. Je lui ai
aussi dit qu’en tant que benfiquiste-né et par respect pour le
club, je voulais trouver une solution pour que mon départ se
fasse de façon à ce que le club y gagne de l’argent et que je
demandais à ce qu’il ne s’y oppose pas. »
Calado est écarté de l’équipe première. Moins de dix jours
après la rencontre contre Braga, les joueurs organisent un
déjeuner, afin de manifester leur soutien envers leur coéquipier.
« Toute l’équipe est venue, l’entraîneur est venu, Mozer aussi,
se souvient Calado. Tout le monde a été solidaire avec moi.
Même les supporters ont fini par comprendre qu’à travers moi,
en tant que capitaine, c’est le Benfica qu’on voulait atteindre.»
Le Lisboète qui quittera le SLB pour le Bétis à la fin de cet
exercice 2000-2001 décrit Mourinho comme « un entraîneur-
ami » : « C’était important, parce que ça a contribué à ce que
tous aient confiance en lui. On se parlait souvent. Comme j’étais
capitaine, il voulait savoir comment était l’équipe, le vestiaire.
Savoir si un joueur avait un problème personnel. » C’était le cas
de Calado qui réintègrera le groupe après trois semaines de
mise à l’écart. « Ce fut une période marquante et ça m’a permis
de comprendre que parfois il y a des choses dans la vie qui font
mal mais qui nous rendent plus fort », souffle-t-il.
« Les Frères mitraillette »
Trois jours après le nul contre Braga, le Benfica dispute un
amical face à l’Olympique de Marseille. La Luz sonne creux et
les deux équipes se lâchent sur un nul (1-1). Abel Braga, côté
OM, et Mourinho font pas mal tourner. José donne là sa chance
à quelques jeunes. Sa défense qui n’a pas encore réussi de
clean sheet est rajeunie. Il aligne Diogo Luís, Geraldo Alves et
Nuno Abreu. Des gamins de l’équipe B qu’il va surnommer les
« Irmãos Metralha. »118
Diogo Luís vient d’effectuer (contre Braga) ses débuts officiels
avec l’équipe première des Aigles. « Je suis le premier jeune
joueur que Mourinho a lancé dans sa carrière d’entraîneur, dit-il
fièrement. Il m’a appelé et m’a dit : « Tu vas être titulaire. Pas la
peine de stresser, tu vas faire ce que tu sais faire. Tu seras le
premier jeune joueur que j’ai lancé, dans mon histoire, et moi je
serai l’entraîneur qui t’a lancé. » Il a dit ça avec une telle
conviction… Comme s’il savait ce que son parcours allait être.
Ça m’a donné confiance en moi et j’ai aussi compris qu’il avait
confiance en lui. » Reconverti consultant télé au Portugal, Diogo
Luís ne restera que quelques mois au SLB avant de défendre
Alverca, le Beira-Mar, Naval ou Estoril.
Contre l’OM, c’est surtout Nuno Abreu qui va se mettre en
évidence. « En fin de match, j’ai séché un mec à l’entrée de la
surface et ça a provoqué une énorme embrouille, se souvient-il.
Ça se bousculait, l’arbitre voulait m’expulser et Mourinho est
entré sur le terrain pour éviter que je prenne un rouge. Je n’ai
pas été exclu mais j’avais créé là un sacré boxon… » Abreu
s’en sort pas mal mais craint le retour de manivelle : « Les jours
qui ont suivi, je m’entraînais avec la réserve et mon entraîneur
m’a dit que Mourinho voulait me parler. Là, je me suis dit qu’il
allait m’annoncer qu’après ce que j’avais fait, je ne serai plus
appelé en équipe première. Je m’en souviens encore, j’étais
dans la buanderie. Il est arrivé en rigolant et m’a dit que j’avais
bien fait. Il m’a expliqué qu’il avait revu le match et notamment
cette action et que si je n’avais pas fait cette faute, sur ce
contre, on aurait probablement encaissé un but. Si ç’avait été un
autre entraîneur, il m’aurait peut-être démonté mais, lui, non, il
me félicitait, avec le sourire. » Les annotations de Record du
lendemain de cette rencontre face aux Phocéens concernant
Nuno Abreu sont assez explicites : « Jeune défenseur-central
de l’équipe b entré au début de la deuxième période. Et il a eu
le temps de tout faire. Il a raté un but tout fait et n’a pas été
exclu de peu. Il a besoin d’être plus contenu, moins
impétueux. » Nuno Abreu qui ne disputera aucun match officiel
avec les A du Benfica en est convaincu ; le sobriquet « Frères
mitraillettes » vient de là : « Il nous a surnommé comme ça
après ce match amical face à Marseille. »
Ces Irmãos Metralha, José les intègre aux entraînements de
l’équipe première dès son arrivée. Il tente ainsi de bousculer le
train-train dans lequel certains de ses joueurs, peu motivés ou
blessés, ont basculé. Il impose les protège-tibias au quotidien et
convoque ces gamins, ces « smicards », du Benfica pour
secouer les « sénateurs ». « Il ne nous demandait pas de
donner des coups mais disons qu’il nous disait d’être agressifs
aux entraînements, confie Abreu. La première fois que j’ai parlé
avec lui, j’étais avec Geraldes. Il nous disait de continuer de
travailler parce qu’on était aux portes de l’équipe première. » Si
le temps de jeu du trio au sein de celle-ci sera réduit, leur rôle
sera fondamental aux yeux de leur entraîneur.
« Il a un don avec les jeunes »
C’est au cours de son séjour benfiquiste que José Mourinho
fait la rencontre de José Morais, l’un de ses prochains et plus
fidèles collaborateurs119. Morais est un jeune technicien en
charge de l’équipe B du SLB ; le QG des Irmãos Metralha. « Je
sentais que José s’intéressait aux jeunes joueurs, commence-t-
il. Non seulement il les convoquait pour s’entraîner avec l’équipe
première, comme en plus il en faisait jouer certains. Au fond, il a
lancé la carrière de plusieurs joueurs et il n’a pas fait plus, parce
qu’il n’est pas resté plus longtemps. »
Pour le futur coach de l’Espérance de Tunis ou du Jeongbuk
Motors, Mourinho a carrément « un don avec les jeunes » :
« Quand il en choisit un, c’est qu’il est vraiment prêt à
s’affirmer. » De quoi casser quelques idées reçues sur Mourinho
et sa prétendue frilosité quant à la valorisation de la formation.
Et les propos de José Morais se réfèrent aussi « à son travail à
l’Inter, à Madrid, Chelsea ou à Manchester United. »
A la Luz, la connexion entre les deux José s’opère d’entrée.
« L’un des premiers impacts positifs que José a suscité est de
s’être préoccupé de ce qui existait au sein de l’équipe B, en
termes de jeu, de joueurs, se souvient Morais. Il y avait un réel
échange
avec lui. Il me demandait mon avis : « Y a-t-il un joueur qu’on
peut exploiter, qui puisse
être utile à l’équipe première ? » A travers ce dialogue, il a
réussi à tirer profit de
beaucoup de jeunes, ce qui ne s’était pas produit avant. Avant,
on sentait une volonté de créer un lien mais il n’y avait rien de
concret. » Et avant Mourinho, ce n’était pas n’importe qui. « Au
Benfica, j’avais suivi le travail d’Artur Jorge, de Paulo Autuori,
Manuel José, Greame Souness, Jupp Heynckes, énumère José
Morais. Par rapport à ce que j’avais vu et sans avoir d’attente
particulière j’étais curieux, parce que José était portugais, jeune,
diplômé en éducation physique, qu’il sortait de l’école du FC
Barcelone. Il y avait réellement beaucoup de curiosité autour de
lui. » Et ça ne fait que commencer…
La première victoire
José Mourinho doit attendre le 15 octobre 2000 pour obtenir
son premier succès en tant qu’entraîneur principal. La Luz reçoit
l’un de ses voisins, le Belenenses. Et rien n’est facile, en cette
année 2000. Marchena qui a marqué le seul but du match à la
demi-heure de jeu, sort sur blessure à la mi-temps. Le Benfica
est décidément en peine. Rappelons que les Aigles restaient sur
un 2-2 contre Braga et un but d’Artur Jorge dans le temps
additionnel. Et là, ils jouent encore à se faire peur. Sérgio Nunes
prend un rouge dans le dernier quart d’heure. Les Bleus de
Bélem poussent. Les Encarnados sont dans le rouge. Mais ils
tiennent. Au bout de son quatrième match, Mourinho gagne
enfin. « C’est une bonne sensation, dit-il. Tout le monde mérite
ce triomphe mais il n’était pas nécessaire de souffrir autant. »
S’en suit un triste 0-0 à Paços de Ferreira. Marchena est forfait.
Le Benfica domine mais demeure stérile. Même face à des
Castors réduits à dix (dès la 42e), l’Aigle ronge son frein et José
Mário lance un appel : « Le Benfica a besoin de se renforcer. »
Un message qui tombe à quelques semaines de la réouverture
du mercato et à quelques jours des élections présidentielles du
Benfica. Vale e Azevedo qui a embauché Mourinho a pour rival
Manuel Vilarinho. Un problème de plus pour le Mister car là
encore, l’impensable va se produire.
« Avec moi, Toni sera l’entraîneur du Benfica »
Trois ans après son élection au Sport Lisboa e Benfica, le
Presidente João Vale e Azevedo a pour obstacle, dans la
course à sa propre succession, Manuel Vilarinho. V&A et MV
sont des avocats-businessmen. Le sortant est donné favori
dans les sondages mais son adversaire mène une campagne
active. José Mourinho va devenir l’un des principaux objets de
discorde. A trois jours du scrutin, en pèlerinage à la Casa du
Benfica d’Arganil, Vilarinho déclame : « Il sait qu’il n’est pas
mon entraîneur et peut-être mettra-t-il son poste à disposition. »
Il promet aux sócios : « Avec moi, Toni sera l’entraîneur du
Benfica. » L’ancien joueur et entraîneur des Encarnados était
déjà le préféré de Capristano, l’un des lieutenants de V&A,
lorsqu’il fut question de l’après-Heynckes. Difficile pour le jeune
et débutant José de rivaliser avec cette figure mystique du
Glorioso. Toni incarne la réussite, le dernier titre de champion
en date (1994).
Le 27 octobre 2000, les benfiquistes sont appelés à choisir. Le
froid et la pluie s’abattent sur le nid des Aigles. Et pourtant, ils
sont plus de 21 000 à se rendre aux urnes, une participation
jamais atteinte jusqu’alors dans l’histoire d’une élection
présidentielle d’un club au Portugal. Plusieurs personnalités
benfiquistas honorent leur devoir de sócio. Anciens dirigeants,
anciens joueurs, certains devenus entraîneurs comme Toni ou
Dimantino Miranda, sont là. Vale e Azevedo et Vilarinho abattent
leur dernière carte. L’outsider tire un dernier coup. La légende
du SLB, Eusébio, Ballon d’or 1965, effectue un bref passage au
QG improvisé de Vilarinho. La « Panthère Noire » refuse de
prendre clairement position mais sa simple présence suffit à
attirer l’attention et peut-être même à convaincre quelques
indécis.
Dans la nuit du 27 au 28 octobre, les résultats tombent :
Vilarinho est élu avec 62 % des votes. La surprise est énorme.
Non seulement Vilarinho n’était pas favori mais il vient en plus
d’écraser son adversaire. Mauvaise nouvelle pour Mourinho
dont le contrat prévoyait une prolongation en cas de succès de
Vale e Azevedo. Pire, son nouveau boss a fait de Toni son
favori. Sur les plateaux télé de RTP et TVI, Vilarinho martèle :
« Toni sera l’entraîneur du Benfica », mais tempère « Mourinho
va honorer son contrat jusqu’à la fin de la saison. » Le nouveau
patron du SLB semble avoir le cul entre deux chaises. José, lui,
reste accroché à son banc : « La seule chose qui pourrait me
porter préjudice dans ce club c’est l’empathie entre moi et les
joueurs. J’ai des conditions de travail fantastiques. Je ne vois
aucune raison de mettre mon poste à disposition. » « Il était
l’entraîneur du Benfica, avec un contrat signé et il devait rester,
analyse aujourd’hui Álvaro Braga Júnior, directeur exécutif du
président sortant. Zé n’est pas quelqu’un qui se laisse abattre
facilement. Je suis parti à ce moment-là et j’ai eu une
conversation avec lui. Je lui ai dit qu’il devait continuer, parce
qu’il réalisait du très bon travail. Et j’ai compris qu’il avait envie
de poursuivre. » Directeur sportif de Vale e Azevedo, Michel
Preud’homme reste au club pour quelques semaines encore.
« Moi aussi j’étais toujours là mais je n’avais plus le même rôle,
dit le Belge. Quand un nouveau président arrive, c’est presque
tout un nouveau gouvernement qui arrive avec. José faisait son
boulot d’entraîneur, les élections c’était de la politique. »
Deux jours après le scrutin, Vale e Azevedo fait ses adieux aux
benfiquistes face au Campomaiorense. Dans quelques mois, il
sera condamné à 6 ans de prison, après avoir été accusé de
s’être approprié plus de 600 000 euros dans le cadre du
transfert d’Ovchinnikov. D’autres « affaires » suivront. En
attendant, entré peu avant l’heure de jeu, João Tomás plante un
doublé et permet à son équipe de l’emporter (2-0) contre le
SCC. Un jeu de patience pour José qui fait évoluer son 4-3-3 en
4-2-3-1, bascule en 4-4-2 et même en 3-1-4-2. En conf’ d’après-
match, Mourinho rend hommage à son ancien patron : « Je
voudrais dédier cette victoire au président qui m’a fait venir et je
souhaite le meilleur au nouveau. » Une décla que certains
perçoivent comme une provocation envers la nouvelle direction.
Vilarinho et Mourinho se réunissent dans les jours qui suivent.
Le nouveau boss des Aigles conforte l’entraîneur à son poste…
jusqu’à la fin de la saison. José Mário prend sur lui. « Mourinho
est très fort psychologiquement, la seule chose qui l’intéressait
c’était son travail, se remémore José Calado. Il voulait s’imposer
au Benfica. »
João Tomás évoque toutefois « un certain malaise ». Comment
peut-il en être autrement ? « Manuel Vilarinho avait déclaré
publiquement qu’un entraîneur serait nommé s’il venait à
remporter les élections, rappelle l’attaquant. Tout le monde a été
mal à l’aise avec cette annonce, y compris le président
nouvellement élu. Nous démontrions sur le terrain que les
choses étaient en train d’être bien faites et que ça ne faisait pas
de sens de changer. Bien sûr qu’on en parlait entre nous et je
pense que ça nous motivait, même. » Le Setubalois n’en
demeure pas moins lucide. « Il sentait que la promesse de
Vilarinho de ramener Toni l’avait mené dans une impasse »,
affirme Fernando Meira. Une impasse bourrée d’obstacles.
« Les Frères mitraillette » II
La première rencontre de l’ère Vilarinho fait mal. En
déplacement à Funchal, le Benfica se fait exploser par le
Marítimo. L’Argentin Lagorio claque un triplé. Les Leões da
Madeira sont coachés par Nelo Vingada, l’ancien prof de Zé
Mário à l’ISEF. « Au Benfica, je l’ai attrapé d’entrée, sourit Nelo.
On s’est imposés 3-0 mais c’est un résultat un peu trompeur.
Tout s’est bien passé pour le Marítimo et tout s’est mal passé
pour le Benfica. Il venait à peine d’arriver et ce n’était pas un
résultat représentatif. Son passage au Benfica a été court, les
conditions n’étaient pas faciles pour travailler. Moi-même j’étais
passé par le Benfica de Vale e Azevedo peu avant et j’avais
préféré résilier mon contrat, parce que je ne me sentais pas à
l’aise dans ce contexte. » Le Professor qui avait été l’adjoint de
Souness à la Luz vient de mettre son ancien élève le nez dans
la lose.
Mourinho déplore les « erreurs défensives de son équipe ».
Face aux Madériens, il a expérimenté une défense à trois, avec
Marchena, Paulo Madeira et Fernando Meira. « Des joueurs de
référence, avec un statut », rappelle Diogo Luís. Le jeune
défenseur est titulaire dans le couloir. Il est l’un des trois
« Frères mitraillettes »120 promus de la réserve par Mourinho
pour secouer les A. Après cette piquante débâcle, José va de
nouveau s’appuyer sur les trois frères. L’entraînement qui suit le
retour de l’archipel va piquer autant que la défaite. Diogo Luís
raconte : « Il a convoqué les centraux qui avaient été titulaires et
a dit : « Ce match a été très mauvais. Maintenant, on va
s’entraîner et si vous ne courez pas, ces gamins vont jouer à
votre place. » On jouait sur une petite partie du terrain et si le
ballon touchait l’attaquant, c’était considéré comme un but.
Geraldo avait chaussé ses crampons hauts en aluminium et dès
que le ballon allait vers un attaquant, il levait le pied ! Du coup,
dans le camp d’en face, Meira et Marchena (Paulo Madeira était
blessé) ont fait de même. Mourinho a su les motiver. Il voulait
que les joueurs apportent une forme de rage sur le terrain. »
Et il en faut. Car dans quelques jours, le Benfica va affronter le
Farense. Et José a une crainte : Hassan. Le Marocain, passé
par le SLB entre 1995 et 1997, est un redoutable buteur.
« Mourinho ne voulait pas que Hassan fasse ce que Lagorio
nous avait fait à Funchal, se souvient l’un des frangins metralha,
Nuno Abreu. Toute cette semaine avait été focalisée sur la
préparation de la défense. Il avait instauré une concurrence
entre les habituels titulaires et nous. Il a su les piquer, faire en
sorte qu’ils se remettent en question et ça a fonctionné. »
Fernando Meira peut en témoigner : « On a parfaitement
compris la franchise de Mourinho, on a travaillé pour garder
notre place de titulaire et on y est parvenus. Parce qu’on avait
de la valeur et pris conscience qu’il fallait être plus concentrés,
plus rigoureux pour avoir plus de succès. Quand tu perds un
match et que tu commets des erreurs, tu ne t’attends pas à ce
que l’entraîneur dise du bien de toi. Il a pointé nos erreurs, ce
qu’il fallait changer. » Hassan ne va pas marquer mais son
coéquipier Marco Nuno va s’en charger. Le Benfica parvient à
retourner une histoire qui semblait bien mal barrée, avec deux
pions de Van Hooijdonk en toute fin de rencontre (2-1). Un
week-end qui se termine bien après une nouvelle semaine bien,
bien agitée.
Le cas Sabry
Face au Farense, José Mourinho écarte Abdel Sattar Sabry.
Recruté quelques mois auparavant au PAOK Salonique,
l’international égyptien est technique, élégant, imprédictible,
imprévisible. Et cette interview, José ne l’a pas vue venir. La
veille de la rencontre face aux Algarvios, A Bola publie un
entretien du numéro 10 benfiquiste dans lequel il balance : « J’ai
commencé à sentir que l’actuel entraîneur me mettait de côté
(…) Je sens que José Mourinho ne m’aime pas (…) Il n’a jamais
parlé avec moi, mais je crois que sa façon d’être avec moi, n’est
pas correcte (…) Quand on me donnera des opportunités à mon
vrai poste je me sentirai plus à l’aise. » Malaise…
Le club ne réagit pas. Mais lors du point presse d’avant-match,
le Mister va lui répondre, point par point. Imperturbable, glacial,
Mourinho énonce : « Il n’est pas facile pour un entraîneur
d’aimer un joueur qui : possède une moyenne absurde de hors-
jeux, qui ne sait pas que quand la balle est en possession de
l’adversaire côté opposé, il doit fermer l’espace intérieur, qui ne
sait pas ce qu’est la relation position et occupation équilibrée de
l’espace et qui, à l’extérieur, s’enfuit quand on lui montre les
crocs. » Mourinho n’a pas fini de montrer les siens et grogne :
« A la mi-temps, quand je suis plus agressif, il va se plaindre au
secrétaire technique pour lui dire qu’il a peur de moi. Je lui ai
déjà dit que pour jouer à ce poste, il doit avoir une culture
tactique élevée, être un lien entre la défense et l’attaque et ne
pas donner le ballon à l’adversaire. » Il détaille les stats des
ballons perdus par l’Egyptien et rappelle que depuis son arrivée,
Sabry a été titulaire quatre fois en sept matches disputés et qu’il
était prévu qu’il soit titulaire face au Farense « et il le savait ».
Mourinho indique qu’il a eu « sept entretiens individuels avec lui,
dont trois lors des quatre derniers jours » : « Il n’aime pas ce
que je lui dis. » Le Mou s’attarde encore sur une scène vécue à
la Mata Real : « A Paços de Ferreira, il a peu joué parce qu’il a
pris 8 minutes à mettre ses chaussures et ses protège-tibias,
devant moi. » Et il conclut par : « Déjà que Saby m’a laissé un
message par média interposé, je me sens parfaitement à l’aise
pour lui laisser un message par média interposé. Et le message
est, suite à ce qu’il dit dans l’interview : ici c’est le Sport Lisboa
e Benfica, pas le PAOK Salonique. » Pour les lusophones, une
vidéo de cette fameuse conf’ est accessible sur le web. Les
punchlines de Mourinho sont fracassantes. Dans sa bio, il dira
avoir été « un peu dur » avec Sabry. Plus tard, il apprendra que
cet entretien de l’Egyptien avait été concédé avant les élections
du SLB, en présence d’un individu pas vraiment adepte de Vale
e Azevedo. Une bonne partie de ces déclarations auraient été
dirigées, voire influencées. Voire carrément inventées.
Face à ce nouveau cas, l’entraîneur a le soutien du
groupe. José Calado qui avait été au cœur d’une première
« affaire » de vestiaire face à Braga121 confie : « D’abord, on
s’est adressés au joueur parce qu’on pensait qu’il n’y avait pas
de raison pour qu’il donne cette interview. Ensuite, on a compris
que ce n’était pas aussi simple, qu’il y avait peut-être d’autres
personnes, d’autres enjeux derrière ça. On a dit au joueur qu’il
avait fragilisé le groupe et l’entraîneur et qu’il avait tort puisqu’il
avait des opportunités de se montrer et que s’il n’avait pas
donné satisfaction, ce n’était pas de la faute du coach. Mourinho
lui avait fait confiance, il lui parlait, le faisait jouer. » Le capitaine
du SLB poursuit : « On a compris les déclarations de José
Mourinho. Tout ce qu’il a dit était un message pour le groupe.
Il n’avait pas peur du conflit, ni de personne. Sabry lui-même a
saisi qu’il avait manqué de tact. L’équipe n’avait pas besoin de
ça à ce moment-là. Personne n’a été scandalisé par la réponse
de l’entraîneur et Sabry a fini par en souffrir. »
Le jeune Diogo Luís évoque un « Sabry doué techniquement
mais qui tactiquement ne faisait rien de ce que Mourinho
attendait. Malgré cela, Mourinho le faisait jouer. » Au moment
du « problème», « Mourinho a pété un câble, dit-il. Il est entré
dans le vestiaire et il lui est tombé dessus. Lors de la
conférence de presse, il a dit ce qu’il avait à dire, à la Mourinho.
De façon systématique. Il avait tout noté, bien documenté, bien
argumenté. Le groupe a senti qu’il était frontal. Il a été sincère et
honnête et les joueurs apprécient ça. »
Autre taulier de ce SLB, Fernando Meira assure : « Mourinho a
toujours eu le vestiaire avec lui. Personne ne sait motiver les
joueurs comme lui. Il parvient à garder le groupe uni parce qu’il
est frontal, parce qu’il est quelqu’un en qui tu peux avoir
confiance. On était prêts à mourir pour lui sur le terrain. Même
ceux qui ne jouaient pas se sentaient concernés. C’est ce qui
fait qu’il est un entraîneur différent des autres : sa façon de
manager, son leadership. »
Après deux matches de suspension, l’Egyptien réapparaît dans
les choix du coach. En 2014, il déclarera au sujet de cette
embrouille au site Maisfutebol : « Mon grand problème était la
communication. Je ne comprenais pas bien ce que Mourinho
voulait. Tout cela est du passé, nous sommes très amis avec
Mourinho, maintenant. » A la Luz, José lui, continue de s’en
faire…
Privé de Dani
Deux mois seulement que José Mourinho est au Benfica et il a
déjà vécu une belle dose de galères. Une équipe à reconstruire,
des résultats qui tardent à venir, le coup de sang de Maniche, le
coup de stress de Calado, l’élection de Vilarinho, l’interview de
Sabry. Et ce n’est pas fini. Une semaine après le succès sur le
Farense, son Benfica se déplace à Guimarães. Et José doit
maintenant composer sans Dani.
L’offensif de 23 ans est arrivé à la Luz quelques jours seulement
avant Mourinho. Issu de la très reconnue formation du Sporting,
ce talent précoce a débuté en pro à 17 ans. Deux ans plus tard,
il découvrait la Seleção A. Malgré son jeune âge, l’ancien joueur
de West Ham est comme le Benfica : à la relance. Et c’est José
qui en hérite. Dix jours après sa prise de fonction, le technicien
confie à la SIC avoir eu « une conversation individuelle avec
tous les joueurs », sauf un : Daniel da Cruz Carvalho. « J’ai
appelé Dani, j’ai allumé mon ordinateur, je me suis connecté à
internet et je lui ai demandé de lire ce texte », dit-il. Mourinho
fait référence à une chronique qu’il a rédigée pour Maisfutebol.
José a initié sa collaboration avec le site d’info de foot portugais
en juin 2000, au coup d’envoi du Championnat d’Europe des
nations. Daté du 3 septembre 2000, l’article en question a pour
titre : « Trois noms propres ». Il y donne son opinion sur un trio
au cœur de l’actu : Mário Jardel, Rodrigo Fabri et Dani. Sur ce
dernier, il écrit : « Lors de ma première chronique, ici, j’ai
déploré l’absence de Dani au dernier Euro. Quelques semaines
plus tard, j’attends avec impatience la concrétisation de son
retour au Portugal. Quelqu’un doit lui dire, de façon frontale et
objective, que pire que de ne pas avoir de talent, c’est de ne
pas utiliser son incroyable potentiel. Et que la reconnaissance
mondiale et l’auto-estime sont incomparablement plus
importantes que l’admiration des teenagers. Dani a un potentiel
technique fantastique, physiquement il est doté de
caractéristiques décisives, au niveau de la vitesse de réaction et
de la coordination, il a une culture tactique et est préparé pour
les multiples sollicitations du jeu d’aujourd’hui. Avec la
permission des lecteurs, je lui adresse ici un message de façon
directe : Dani, révolte-toi tant qu’il est encore temps. Le moment
de cette révolte intérieure est maintenant ! Extériorise au monde
du sport, plus spécialement à toi-même, tes caractéristiques et
tes ambitions. Bonne chance ! »
Ce sont donc ces mots que Mourinho demande à Dani de lire,
au moment de sa prise de fonction. « Je veux bien croire que
c’est vrai mais je ne m’en souviens pas, confesse l’intéressé. Je
n’ai jamais lu cette fameuse chronique. Je ne lisais rien en
rapport avec le foot. » En revanche, Dani se souvient bien de sa
relation avec le Mister : « Extraordinaire ». « C’était un leader,
non pas parce qu’il criait mais par ce qu’il nous apprenait, par ce
qu’il nous demandait et nous donnait, dit-il. Il voulait toujours
progresser, dans tout : marquer, attaquer, défendre. Il était
toujours présent, avec des solutions et un message clair. »
La belle gueule de Dani suscite, comme l’écrit le Mou,
« l’admiration des teenagers. » Lorsque Vale e Azevedo
parvient enfin à trouver un accord avec l’Ajax, il ordonne à son
service marketing de se mettre au boulot et se marre : « Il est
déjà bien connu des Portugaises ! » Sa réputation de beau
gosse, fêtard, va finir par le rattraper. A la mi-novembre, veille
du départ pour Guimarães, le joueur est suspendu par son
propre club. La presse affirme qu’il s’est pointé à l’entraînement
avec une demi-heure de retard. Des accusations que le joueur
dément. Un bras de fer s’engage entre la direction de Vilarinho
ainsi que Dani et son avocat. Mourinho dans tout ça ? « Il a
immédiatement pris position et s’est rangé de mon côté, affirme
Dani. J’ai eu une réunion avant un entraînement et quand il a su
ce qui avait été décidé il a entrepris de me soutenir. Il a terminé
sa séance et il s’est entretenu avec la direction. Je n’étais déjà
plus présent et je n’ai plus eu la possibilité de me rendre aux
installations du club et d’en parler avec lui. » Car Dani ne jouera
plus avec le SLB. Ses 45 minutes face au Farense seront les
dernières avec le maillot couleur chair. Il aura disputé 5
rencontres avant de quitter Lisbonne pour Madrid et l’Atlético,
alors en D2. Il y jouera jusqu’en 2003. A 27 ans, il arrêtera tout.
Ce divorce avec le Benfica durera de très longs mois. Et celui
de Mourinho se précise.
L’hôtel coupé en deux et les premiers « mind
games »
Outre la suspension imprévue de Dani, un autre événement va
perturber la préparation de la rencontre à Guimarães. L’équipe
doit se poser dans la ville voisine de Braga. Lorsque la
délégation benfiquiste se présente au check-in de l’hôtel, José
Mourinho réalise que ses joueurs sont répartis entre les deux
bâtiments qui composent l’établissement. L’entraîneur du
Benfica fulmine et exige que ses joueurs restent ensemble.
Il obtient gain de cause, non sans mal. Et surtout, tout seul.
Il doit gérer ce souci logistique lui-même. Aucun dirigeant ne
l’accompagne au cours de ce voyage. « Je pense que c’était un
problème d’organisation. Je ne veux pas croire que c’était du
sabotage », commente Mozer. Toujours est-il que ce nouvel
épisode vient rajouter un peu plus de tension encore, en interne.
Au estádio D. Afonso Henriques, l’ambiance n’est pas des plus
chaudes. Peu de monde, un froid hivernal. Une affiche entre
deux équipes qui crisent. L’entame du SLB est poussive. Le
gardien, Robert Enke, est l’un des Aigles les plus en vue. Pas
bon signe. En toute fin de première période, le Benfica obtient
un coup franc lointain. L’Espagnol Chano envoie une patate
dans les cages de Tomic. Les Lisboètes mènent sur leur
premier tir cadré. A l’heure de jeu, c’est le match de João Tomás
qui débute. L’attaquant portugais claque un triplé. Le Benfica
s’impose 4-0 et enchaîne. Mourinho tient là son premier succès
à l’extérieur.
Un autre va suivre. Le tirage au sort de la Coupe du Portugal
envoie le SLB à Campo Maior, ville située à quelques kilomètres
de Badajoz. Le Sporting Clube Campomaiorense évolue en Liga
depuis quatre saisons et est entraîné par Diamantino Miranda.
Dans les années 1970 et 1980, Diamantino a disputé plus de
300 matches pour le Benfica avec qui il a remporté une
douzaine de trophées. Souviens-toi, l’ancien milieu de terrain du
Benfica – sócio du Glorioso – avait fait valoir son droit de vote
aux dernières élections et il avait scandé : « Que le Benfica
retrouve son passé, quand nous respections et étions
respectés. » Un entraîneur d’un club de première division qui
vote à la présidentielle d’un autre club ? C’est possible. Et là,
dans la semaine qui précède la venue de son ex, Diamantino en
remet une couche dans la presse. Une aubaine pour José
Mourinho…
« En début de semaine, Diamantino avait donné une interview
dans laquelle il déclarait que beaucoup de nos joueurs n’avaient
pas les qualités et les conditions pour jouer au Benfica, se
remémore Fernando Meira. Le jour du match à Campomaior, en
revenant de l’échauffement, on a constaté que Mourinho avait
placardé cet entretien sur la porte de notre vestiaire. Il l’a pointé
du doigt et a dit : « Cet enfoiré a dit que vous n’aviez pas le
niveau pour jouer au Benfica. Aujourd’hui, vous allez avoir
l’occasion de lui montrer s’il se trompe ou pas. » Il aurait pu
utiliser cela pendant la semaine mais il a attendu le bon moment
pour le faire : juste avant la rencontre. Il savait que ça aurait un
impact émotionnel plus fort. » « Quand un adversaire disait du
mal de l’équipe, il entrait dans le vestiaire, sans rien dire, collait
ses déclarations et partait, emboîte Diogo Luís. On était curieux,
on allait lire et on avait la rage. Ça faisait partie de sa
préparation mentale. »
Mourinho est un spécialiste des mind games. Et c’est bien lui
qui va remporter le game. Son Benfica s’impose 1-0 au stade
Capitão César Correia. Et devine qui marque le but de la
victoire ?... Sabry ! L’Egyptien de retour dans le groupe après
avoir été mis à l’écart pour ses propos tenus lors d’une interview
plante le seul but de la rencontre. Et il en jette. Son entraîneur,
lui, balance : « Diamantino fait preuve de cohérence et de
courage. D’abord, il a dit qu’aucun joueur du Benfica n’avait sa
place au Campomaiorense. Je pensais que si nous nous
imposions il changerait d’avis. Il n’a pas changé d’avis parce
qu’il est cohérent. Mais je préfère être à ma place, qualifié, qu’à
la sienne. »
Ça fait donc trois victoires de rang pour Mourinho. Et le derby
arrive. Le 3 décembre 2000, le Benfica reçoit le Sporting, le
champion en titre, entraîné par Augusto Inácio, ex-collègue de
Mourinho au FC Porto. Là encore, avant le match, José va user
du « jeu de l’esprit » pour secouer ses gars. Il profite de la
présence de certains éléments du Sporting aux Masters de
tennis de Lisbonne pour titiller son groupe. « Z’avez vu ? Ils
décompressent au tennis pendant que, nous, on bosse. » Outre
des dirigeants, des joueurs des Lions, comme Sá Pinto,
assistent à l’événement. « Il trouvait toujours une stratégie,
précise l’attaquant des Leões. Si ça n’avait pas été ça, ç’aurait
été autre chose. » José Calado, l’un des capitaines du Mou,
remarque : « Il savait créer des polémiques afin de détourner
l’attention de ses joueurs, pour qu’ils soient plus tranquilles,
mieux concentrés sur le match. Il les attirait vers lui. » D’autres
polémiques surgissent bien malgré lui…
Très chaud derby
Quinze jours après l’embarrassant coup de l’hôtel de Braga,
un autre souci organisationnel attend José Mourinho. La mise
au vert du derby est prévue à l’hôtel Meridien, lieu de
concentration habituel des benfiquistes. C’est d’ailleurs là que
José s’est enfermé au moment de son engagement avec le
SLB. La veille du duel face au Sporting, l’entraîneur, son staff et
ses joueurs sont tout étonnés lorsque leur bus se parque devant
l’hôtel Altis. Le Mister explique au chauffeur qu’il a dû se planter.
« Non, non, c’est bien ici qu’on m’a dit de venir. » Les dirigeants
benfiquistes ont tout simplement changé de QG, « pour des
raisons économiques », mais personne n’a pris la peine de
prévenir l’entraîneur. José est à deux doigts de renvoyer tout le
monde à la maison. Mais, demain, y a le Sporting qui sera là…
L’irrationnel ne lâche plus Mourinho. Y compris le jour J. Le
stade de la Luz est bondé pour cette bataille entre les deux
géants lisboètes ; ce duel entre José Mourinho et Augusto
Inácio, les ex-adjoints de Bobby Robson au FC Porto dont les
rapports avaient parfois été « tendus »122. Le jeune Diogo Luís
vit lui aussi son premier dérbi. « Ce match m’a marqué parce
que Mourinho m’a demandé de faire la causerie d’avant-match,
confie-t-il nostalgique. Il faisait sa causerie, on allait s’échauffer
et quand on revenait au vestiaire, avant de retourner sur la
pelouse, il demandait à un joueur de glisser un ou deux mots.
Ça tournait. Et ce jour-là, c’était moi. »
Fidèle à son 4-3-3 modulable, Mister Mourinho obtient, en fin de
première période un pénalty. André Cruz accroche Van
Hooijdonk dans la surface et le Néerlandais se charge de le
frapper. Et il marque. Jorge Coroado intervient et demande à ce
que le coup de pied de réparation soit de nouveau tiré (plusieurs
joueurs étaient entrés dans la surface avant que le tireur ne
touche le ballon). A ce moment précis, les Lions n’ont plus
encaissé de but sur péno en championnat depuis cinq ans ! Van
Hooijdonk remet ça et… ne rate pas.
La rencontre est tendue, disputée. Les décisions de Coroado
divisent. A la 75e, Pedro Barbosa prend un rouge. Une exclusion
qui vaudra une brouille entre Augusto Inácio et son ancien
joueur… 18 ans plus tard !123 Réduit à dix, le Sporting va plier.
Le super-sub João Tomás y va d’un nouveau doublé. 3-0. Le
buteur portugais a des stats dingues sous Mourinho : 8 buts en
9 rencontres, avec un ratio d’un but toutes les 51 minutes. Car
Tomás n’a été titulaire que deux fois sous JM. Sans rancune.
« Je savais que seuls onze joueurs pouvaient jouer et j’avais la
confiance de l’entraîneur parce qu’on en parlait, dit-il d’un ton
posé. On avait des conversations très claires. On croyait l’un en
l’autre. Du coup, ce fut facile à gérer. »
La gestion de João Tomás mérite qu’on s’y attarde un instant.
Le staff a pris le temps de débattre, d’échanger sur sa situation.
Mozer révèle : « João Tomás était un joueur très important
quand il entrait en jeu et on avait Van Hooijdonk en attaque.
Chaque fois que João Tomás entrait en jeu, il marquait.
Mourinho a su lire ce match face au Sporting à travers lui, en le
faisant entrer au moment où le Sporting commençait à faiblir.
Leur défense commençait à perdre de la concentration. Lui et
moi discutions, analysions la situation de João Tomás et de Van
Hooijdonk. On en a parlé aussi avec Angel Vilda, le préparateur
physique, qui était très expérimenté. On est arrivés à la
conclusion que le moment de titulariser João Tomás était venu
mais Vilda nous a fait voir les choses d’une autre façon. Tomás
entrait très souvent en jeu et nous permettait tout aussi souvent
de renverser le score. Au final, nous ne savions pas comment il
allait réagir en tant que titulaire. Et si le match ne se passait
bien pour lui ? On ferait entrer en jeu Van Hooijdonk qui n’aurait
probablement pas la même attitude, le même impact que João
Tomás lorsque lui était dans cette situation de remplaçant. On
s’est remis en cause et on l’a expliqué à João Tomás. Zé lui a
dit qu’il entrerait à 20 minutes de la fin, qu’il se glisserait dans le
couloir droit entre César Prates et André Cruz et qu’on
gagnerait grâce à lui. » Dans le mille.
Le défenseur Fernando Meira se souvient que « Mourinho avait
préparé ce match de façon spéciale » : « Il savait déjà ce qui
allait se passer. Il nous expliquait ce que notre adversaire allait
faire à 20 minutes de la fin et comment il allait répondre. » 3-0.
Le succès est retentissant. Vilarinho tient sa première grosse
victoire en tant que président. Un élément de sa direction
suggère à Mourinho de la lui dédier. L’entraîneur se fait porter
pâle et sèche la conf’. Son adjoint Mozer fait de même.
Officiellement, ils n’ont plus de voix. Ce soir-là, le président se
tient à l’entrée du bureau de Mourinho. José Mário est au
téléphone avec Tami et ignore son boss qui finit par se lasser et
se barrer. Une attitude que Mourinho regrettera, plus tard.
A la 13e journée, le Benfica est 6e du championnat. Certes, le
FC Porto est déjà loin (à 7 points) mais la deuxième place n’est
qu’à trois points. Deux jours plus tard, José a retrouvé sa voix.
Elle a un parfum de miel : « Mon équipe a été la perfection. »
Elle dégouline : « Je ne sais pas quel joueur peut venir au
Benfica en ce moment et prendre la place d’un de mes petits.
Qui que ce soit. »
Et toi, José ? Et ta place ? En langage Mourinho, cette sortie a
tout d’une analogie (remplace « joueur » par « entraîneur »).
Faut pas oublier que son contrat s’achève dans quelques mois
et que le revers de Vale e Azevedo a grandement fragilisé sa
position. Mais avec ce 3-0 face au Sporting, José fait forte
impression et met la pression : « Si la direction veut que je
poursuive, je suis son entraîneur ; si la direction pense que la
saison prochaine je devrais continuer au poste d’entraîneur du
Benfica, je ne sais pas. Si Dieu le veut, ma vie professionnelle
va se poursuivre et d’autres équipes vont s’intéresser à moi. »
Au cas où le message n’est pas assez clair : « Je tente de
visualiser quelles sont les options si je ne reste pas au
Benfica. » Nous y voilà…
« Ultimatum »
Trois jours après son triomphe face au Sporting, José
Mourinho a convié la presse, au stade de la Luz. La salle est
bondée. Des sócios, rouges de bonheur, scandent le nom de
Mourinho. José prend la parole : « C’est un jour triste pour nous,
le jour où se termine notre relation contractuelle avec le Sport
Lisboa e Benfica. » Cette fois, c’est bel et bien fini. « Monsieur
Manuel Vilarinho est arrivé au club avec la marque d’un
entraîneur, ce qui était légitime mais moi et Mozer considérons
que la seule façon de mettre fin aux spéculations et à la
situation d’entraîneurs à terme, dépendant d’un résultat ou d’un
autre, était de dire à la direction que nous ne continuerions que
si nous étions prolongés d’une saison, pour donner continuité à
notre travail. Je n’ai rien contre monsieur Vilarinho mais il a
estimé que le mieux était de ne pas accepter notre demande.
Nous avons interprété cela comme une preuve de manque de
confiance et estimons qu’il est préférable de mettre notre place
à disposition de la direction, pour qu’elle puisse opter pour un
entraîneur qu’elle estime pouvoir mieux servir les intérêts du
Benfica. »
Replongeons quelques heures en arrière… Renforcé par une
série de bons résultats, porté par ce 3-0 claqué au Sporting,
échaudé par les déclarations de Manuel Vilarinho sur son
avenir, menacé par l’ombre de Toni, José Mourinho tente un
coup de poker, un coup de pression, sur son patron. Son
adjoint, Mozer, raconte la rencontre : « Je suis allé au estádio da
Luz avec Mourinho pour demander une prolongation de contrat
à Vilarinho. Mourinho est entré dans le bureau du président. Je
l’attendais dehors. Et là, j’ai entendu un dirigeant du club au
téléphone avec un journaliste en train de dire que Mourinho
mettait le couteau sous la gorge du président, qu’il demandait
de l’argent, ce qui n’était pas vrai. Mourinho voulait être conforté
à son poste pour poursuivre son travail. Il avait déjà l’intention
de le faire, avant le 3-0. » Le président repousse la requête.
« Vilarinho lui a répondu que ce n’était pas possible parce qu’il
s’était engagé auprès d’autres personnes, continue Mozer.
Mourinho a donc posé sa démission. Il est sorti de la pièce très
irrité et m’a dit : « On s’en va. Je ne vais pas rester et je ne vais
pas préparer l’équipe pour un autre. » Il a poursuivi : « Mozer, tu
es quelqu’un du club et tu n’as pas à partir avec moi. » Mais j’ai
refusé : « Non, tu m’as fait venir avec toi, tu pars, je me sens
donc dans le devoir de partir aussi. J’entre et je pars avec toi »,
lui ai-je répondu. » Contrairement à ce que prétendent certaines
versions, le Brésilien n’a pas assisté à la réunion avec Vilarinho.
Dans un long entretien publié par Record dix jours après son
départ, Mourinho a des mots très durs envers Vilarinho qu’il
accuse d’être « impuissant ». « Il ne commande rien au
Benfica, » lance-t-il. Il s’en excusera. Sur le coup, les dirigeants
vilarinhistes dénoncent un « chantage », un « ultimatum ».
Convié sur le plateau de la RTP en mai 2015, Manuel Vilarinho
acceptera de revenir sur « cette histoire », « une dernière fois,
une fois pour toutes. » Le moment sera savoureux, le ton
relâché. L’ancien président du SLB débitera : « Mourinho avait
gagné 3-0 contre le Sporting. Le Benfica n’avait aucun jeu, son
équipe était une cochonnerie (sic), même moi j’aurais pu en
faire partie, ou au moins être remplaçant. Il n’y avait pas de
matière première. Et monsieur Mourinho qui est un excellent
entraîneur et un leader – il est à moitié sorcier – arrive à
changer les mentalités. Le défenseur gauche, David… Luís…
Comment s’appelait-il, déjà ? Diogo Luís, c’est ça, il était
convaincu qu’il était le meilleur latéral gauche du monde. Et
quand une personne est déterminée, elle est meilleure que ce
qu’elle est. Monsieur Mourinho gagne 3-0 contre le Sporting,
sans savoir lire, ni écrire. Ça se passe un samedi. Le lundi nous
avons une réunion avec la direction, il est 10 h 30 et il se
présente avec Mozer. J’ai trouvé ça bizarre, à cette heure-là. Et
Mourinho me dit : « Ou vous me prolongez d’un an de plus ou,
demain, je n’entraîne plus. » Il ne m’a jamais aimé, je ne sais
pas pourquoi, surtout que je suis une personne facile à
apprécier mais il n’a pas aimé. Il devait penser que je ne
l’aimais pas. »
Et alors, comment le président a-t-il réagi à la demande de
Mourinho ? « Je lui ai dit : « Alors, s’il vous plaît, nous allons
faire les comptes et vous allez partir. » » Comme Vilarinho le
rappellera, « les temps étaient difficiles » : « Il y avait cette
bande qui soutenait Vale e Azevedo et qui m’attendait, qui
donnait des coups sur ma voiture. Il fallait que je résiste à
cela. » « Mon objectif était de remettre le club à flot et j’y suis
parvenu, dira-t-il encore. L’actuel président [Luís Filipe Vieira] y
était et c’est moi qui l’ai emmené parce que je savais que je ne
résisterais pas à ça. »
« Les larmes lui sont venues »
Bien que la séparation entre Mourinho et Vilarinho semble
inévitable, ses meninos comme il les appelle refusent d’y croire.
Le défenseur brésilien Ronaldo en garde un souvenir encore
ému : « On est arrivés à l’entraînement et il n’était plus notre
entraîneur. » « J’étais triste et frustré, comme tous les autres, y
compris Sabry, soupire João Tomás. Personne n’a apprécié ce
départ. Ce fut difficile. » Pour José, aussi.
« Mourinho est allé au vestiaire parler aux joueurs, confie José
Calado. Il était très ému. Les larmes lui sont venues. Il sentait
qu’il y avait quelque chose de fort entre lui et nous, qu’on était
totalement avec lui. Il nous a expliqué qu’il avait voulu partir
parce que les conditions n’étaient pas réunies pour qu’il
continue. Il nous a souhaité bonne chance et dit qu’on avait là
un ami. A partir de ce moment, je pense que tous se sont mis à
suivre sa carrière. Pour moi, aujourd’hui encore, c’est le cas.
Il est le meilleur entraîneur portugais de tous les temps. »
Calado tente de recoller les morceaux : « Je faisais partie des
capitaines et nous sommes allés, au nom de toute l’équipe,
parler avec le président pour qu’il le maintienne en poste. Le
président nous a expliqué qu’il était impossible qu’il poursuive.
On a insisté sur le fait que ça nous faisait beaucoup de peine
mais il nous a dit que le Benfica ne pouvait pas céder. J’ai
vraiment regretté d’avoir travaillé si peu de temps avec lui.
J’aurais appris beaucoup plus. »
José sera resté 77 jours aux commandes des Aigles. C’est
court mais ça lui a laissé le temps de connaître deux présidents,
un capitaine qui jette l’éponge sous la douche à la mi-temps
d’un match, des cadres en besoin de recadrage, un joueur qui le
dézingue dans une interview, un autre qui se fait suspendre, des
galères d’hôtel, la pression des résultats, celle d’une légende du
club qui attend de prendre sa place… Grâce au Benfica et pour
sa première expérience en tant que coach principal, il a connu
une sorte de formation accélérée. Une passion.
Le lendemain de l’officialisation de sa démission, Toni effectue
son retour à la Luz. Il écourte ses vacances à Dubaï pour
retrouver son ex. Il terminera à la 6e place du championnat ; le
pire classement de l’histoire du club. Le Benfica attendra 2004
avant de remporter un trophée. Une éternité pour le Glorioso.
Une période au cours de laquelle Mourinho va écrire les plus
belles pages de son parcours.

Quand Mourinho signe au… Sporting


Le 3-0 infligé par le Benfica au Sporting va faire deux
« victimes ». A la Luz, ce succès précipite la démission de José
Mourinho ; à Alvalade, il entraîne le départ d’Augusto Inácio.
Deux jours après leur derby, les deux grands de Lisbonne
changent donc d’entraîneur. Rien que ça, c’est déjà assez fou.
Chez les Aigles et c’était prévisible depuis l’élection de Manuel
Vilarinho, Toni succède à Mourinho. Chez les Lions ? Une
démente rumeur circule : le successeur d’Inácio pourrait être…
Mourinho.
Oublie le conditionnel, les spéculations et autres racontars. Le
Mou est réellement en passe de basculer chez l’ennemi. José
Morais qui entraîne alors l’équipe B du SLB révèle : « C’était au
lendemain ou au surlendemain du derby. On était dans le
vestiaire de la Luz et José m’a dit : « Il me manque un élément
dans mon staff technique. Tu aimerais venir ? » Mozer devait
l’accompagner comme étant son principal adjoint et il m’a
proposé d’être son préparateur physique. » (Carlos Mozer, lui,
affirme : « Mourinho avait la possibilité de travailler au Sporting
mais pas moi. Je ne faisais pas partie de ce projet. »)
Morais décline la proposition de Mourinho : « J’ai été honnête
avec lui. Je lui ai dit que j’aurais aimé occuper cette fonction
mais que tout le monde me connaissait comme entraîneur des
jeunes du Benfica et que je ne voulais pas qu’il sente une
quelconque pression à cause de ça, que certains puissent dire
après un mauvais résultat : “Regarde-moi ce mec qui est venu
du Benfica…” » Ce n’est que partie remise pour José Morais qui
se joindra au staff du Special One une première fois à l’Inter
Milan en 2009.
Sá Pinto : « Une excellente opportunité pour nous »
Revenons un instant au moment où José Calado et les autres
capitaines du Benfica se rendent dans le bureau de Vilarinho
pour lui demander de retenir Mourinho. Leur président leur
glisse un autre élément. « Il nous a expliqué qu’il existait déjà un
possible accord entre le coach et le Sporting et qu’il était donc
impossible que Mourinho poursuive, confie Calado. Vilarinho
nous a dit que le Benfica ne pouvait pas céder à cela. La
polémique a enflé. Ça a rendu sa continuité impossible. »
Tout aussi « impossible » semble le déménagement de José à
Alvalade. Sa célébration – poing serré, genou à terre – sur le
but du 2-0 n’a pas été digérée par une partie des sportinguistes.
Beto – l’un des capitaines des Leões – qui vient d’apprendre le
départ d’Inácio est invité à s’exprimer, à chaud, sur la possibilité
Mourinho : « Vous vous moquez de moi ? Ça doit être une
mauvaise blague. » Autre joueur marquant du Sporting, autre
adversaire du Mou lors de ce duel lisboète, Ricardo Sá Pinto
commente, dix-neuf ans après : « Il s’est imposé 3-0 dans un
derby et il a eu une manifestation de joie très expressive qui est
à son image, celle d’un vainqueur. Il était au sein d’un club rival
et ce geste n’a pas plu à certaines personnes. Le foot est ainsi,
chacun défend son club, son équipe. »
Sá Pinto et Mourinho se sont croisés « lors de divers
événements », ils ont « des amis en commun, comme Mozer »
et s’ils ne sont « pas proches », l’ancien attaquant indique qu’il
existe « une réelle empathie » entre eux. En 2000 – au moment
où l’ère Augusto Inácio qui avait mené le Sporting au titre de
champion quelques mois auparavant touche à sa fin –, Sá Pinto
est d’ailleurs plutôt emballé à l’idée de bosser avec José :
« Quand j’ai eu vent de cette possibilité, personnellement, je l’ai
vue d’un bon œil. J’étais sur le terrain, le Benfica n’avait pas des
joueurs extraordinaires, leur effectif n’était pas meilleur que le
nôtre mais j’ai compris que c’était sa stratégie, la compétence
de l’entraîneur qui avait remporté ce match. On a tous compris
qu’on avait affaire à un très bon qui aurait pu être très bon pour
nous. D’ailleurs Luís Duque peut le confirmer. J’étais l’un des
capitaines et je lui ai dit : « Je pense que c’est une excellente
opportunité pour nous. » »
Veiga : « Tout était bouclé entre Mourinho et le
Sporting »
Luís Duque est le président de la SAD (Société anonyme
sportive) du Sporting. Depuis quelques mois et malgré le statut
de Campeão en titre, l’atmosphère est précaire à Alvalade. En
conflit avec Duque, le président José Roquette a laissé la
présidence du club à son vice, Dias da Cunha, dont la prise de
fonction s’effectue en août 2000. Et Duque, qui coordonne
notamment sa cellule foot, fait de Mourinho son favori pour
remplacer Inácio.
José Mourinho et les dirigeants du Sporting vont longtemps nier
avoir été en contact au cours de cette période. Le sujet sera
carrément tabou pendant plusieurs années. Luís Duque va
même être poussé à démentir l’arrivée de José au moment où il
pense l’annoncer. Tu vas comprendre. Deux jours après la
claque reçue par le Benfica, les dirigeants du Sporting tiennent
une conférence de presse. Au moins aussi agitée que celle de
Mourinho à la Luz, quelques heures auparavant. Là aussi, des
sócios se sont joints aux journalistes et ont envahi la pièce. Luís
Duque, entouré d’autres dirigeants des Lions, prend la parole.
Inácio est là. Une dernière fois. Duque lui rend hommage, le
remercie, les deux hommes se prennent dans les bras, des
applaudissements retentissent. Contrairement aux apparences,
l’atmosphère est plus que tendue. Les sportinguistes sont
inquiets pour l’après. Echaudés par les célébrations de José
lors du derby, certains d’entre eux interpellent le patron de la
SAD : « Démentez Mourinho ! », « Mourinho jamais ! » Un sócio
peu convaincu et bien, bien remonté, prend un ton menaçant :
« Je vous garantis que si Mourinho signe, ni moi, ni vous ne
mettrons jamais plus les pieds à Alvalade. » L’insistance est
telle que Duque finit par lâcher : « Je démens avoir un
quelconque contrat ou une quelconque promesse de contrat
avec José Mourinho. » Il tente de calmer les ardeurs : « Nous
n’allons pas spéculer, ni parler de A, B ou C. Compte tenu de la
situation et jusqu’à nouvel ordre, Fernando Mendes est notre
entraîneur. » Milieu de terrain du Sporting dans les années
1950-1960, Mendes n’est pourtant là que pour assurer l’intérim.
Duque nie, renie. En réalité, tout est déjà acté avec José. Un
homme œuvre en coulisse : José Veiga. Dans les années 1990-
2000, il est l’un des plus puissants agents de la planète foot. Il a
transféré des Paulo Sousa, Vítor Baía, Figo ou Zidane. Il a
connu le Mou à Barcelone où il avait placé quelques joueurs.
C’est lui qui fait le lien entre le Sporting et Mourinho. Veiga
revient sur cet épisode qui aurait pu complètement changer la
destinée du Special One : « Il y a eu cette conférence de presse
à Alvalade. Le départ d’Inácio a été officialisé. La veille,
Mourinho avait donné sa démission au Benfica. Et ce jour-là,
c’est Mourinho qui devait être annoncé par Luís Duque au poste
d’entraîneur des Lions ! Tout était bouclé entre Mourinho et le
Sporting, le précontrat était signé. Mais la conférence de presse
a été très, trop, tendue. Beaucoup de sócios ne voulaient pas
de Mourinho et ils ont exigé que Duque démente sa venue qui
faisait déjà beaucoup parler. Duque était pris à la gorge. Il a fini
par promettre que Mourinho ne viendrait pas et a annoncé
Fernando Mendes au poste d’entraîneur. »
Ce revirement de situation, José le suit en direct. « Mon bureau
était juste à côté d’Alvalade, narre Veiga. Je suivais ça à la
télévision et Mourinho était avec moi. On attendait que Duque
l’annonce au poste d’entraîneur mais j’ai vite compris qu’il ne
pouvait pas. Il était dans une impasse. Mourinho m’a dit : « Mais
c’est quoi ce bordel ?! » Il était furieux. La situation n’était pas
simple pour José. Il était sans club, donc, sans revenus et il a
fallu trouver un moyen pour qu’il ne soit pas totalement lésé
dans cette affaire. »
Sousa Cintra : « Peut-être qu’un jour il reviendra… »
La parenthèse Fernando Mendes va se refermer avec l’arrivée
de… Manuel Fernandes. Celui qui côtoya Mourinho au Vitória
de Setúbal, qui l’intégra à son staff à l’Estrela da Amadora et au
Sporting, termine cette saison 2000-2001 en tant qu’entraîneur
des Lions. Ceux-ci terminent troisième du championnat, bien
loin du Boavista – inédit champion – et du FC Porto.
« J’entraînais Santa Clara, aux Açores, ça se passait très bien,
commente Fernandes. Le Sporting m’a appelé et je n’ai pas pu
dire non. Je venais éteindre un feu. C’est toujours bon d’être au
service de ce club. »
La non-venue de José Mourinho nourrit toutefois quelques
regrets. Sá Pinto déplore : « Je pense que c’est l’une des plus
grandes erreurs que nous avons faites. L’une des grandes
douleurs que j’ai, c’est de n’avoir jamais été entraîné par lui.
J’aurais été beaucoup plus que ce que j’ai été, avec lui. » Même
l’ancien président du Sporting, Sousa Cintra, qui avait lourdé
Bobby Robson – et donc, José Mourinho – en décembre 1994
regrette : « C’est dommage que ça ne se soit pas fait. Peut-être
qu’un jour il reviendra… » Peut-être…

Leiria, le tremplin
José Mourinho commence l’année 2001 sans club. Quelques
mois seulement après avoir connu le chômage – suite à son
départ du Barça – le revoilà sans emploi. La signature ratée au
Sporting le condamne à une patience qu’il tente de rentabiliser.
L’entraîneur de 38 ans potasse, étudie, s’inspire. Il a bien eu
des touches en Espagne où l’Atlético de Madrid (qui a plongé
en deuxième division) et la Real Sociedad l’ont approché mais
la réglementation locale lui impose d’avoir coaché au moins
deux ans dans son pays d’origine, avant de pouvoir y exercer.
José Mário poursuit au Portugal.
Trois mois après avoir quitté la Luz, son nom est associé à
l’União de Leiria. Vasco Pinto, représentant de Media Capital,
groupe actionnaire de la société anonyme sportive de l’UDL,
confie être en contact avec l’agent José Veiga pour négocier la
prolongation de certains joueurs leirienses. Et au cours des
discussions, ils évoquent Mourinho. Veiga qui avait orchestré le
mariage raté entre José et le Sporting tente de recaser son
poulain. C’est Jorge Baidek, son collaborateur, qui mène les
négos. « Il était mon employé », confirme le boss de Superfute.
Plus pour longtemps, car Baidek crée sa société :
Championsdek. L’ancien défenseur brésilien explique avoir reçu
un appel de Mozer, l’ex-adjoint de Mourinho au Benfica.
« Il voulait travailler avec moi, assure-t-il. On avait joué l’un
contre l’autre et on a aussi joué ensemble en sélection. » Et,
selon Baidek, c’est de là que ça part : « Pour ne pas que
Mourinho l’apprenne par la presse, je l’ai appelé pour le prévenir
que Mozer me rejoignait. Mourinho m’a dit : « Je n’ai rien et je
suis en train de construire ma maison. » Je lui ai répondu :
« Dans 15 minutes, je t’ai trouvé un club. » J’ai appelé João
Bartolomeu, le président de Leiria, un club avec lequel je
travaillais déjà. Je lui ai lancé : « J’ai l’entraîneur qu’il vous faut :
Mourinho ! » Il m’a rétorqué : « Trop cher! » et il m’a raccroché
au nez. Mourinho m’a regardé et je lui ai dit : « Ne t’inquiète
pas, il va rappeler. » Et il a rappelé : « Vous êtes où ?
Rejoignez-moi de suite ! » Voilà, comment ça s’est passé. »
Avant de signer, Mourinho va avoir d’autres réunions avec ses
futurs patrons. Il leur dresse un rapport sur l’équipe et son
projet. Il prospecte et cherche déjà de possibles renforts. Le 16
avril 2001, l’União de Leiria l’officialise au poste d’entraîneur-
principal. Zé Mário retrouve le club que son paternel avait fait
monter en première division pour la première fois de son
histoire, en 1978-1979. Celui qui, à 16 piges, célébrait cette
promotion légendaire dans le vestiaire, hérite d’une des ex de
son père. Celui qui quelques semaines auparavant coachait le
Glorioso Benfica se retrouve chez un… même pas outsider.
L’histoire européenne de l’União de Leiria se limite alors à une
présence en Intertoto (sortie en phase de groupe en 1995).
Mais le Mou se veut ambitieux. « Venir à Leiria n’est pas un pas
en arrière, mais un pas ferme », lance-t-il, lors de sa première
conf’ de presse. Mine de rien, la barre est haute. Car ce cru
leiriense 2000-2001 va atteindre la cinquième place de la
Primeira Liga ; du jamais vu. Et cela, grâce au taf de Manuel
José qui n’apprécie pas du tout la tournure que prennent les
événements.
Manuel José, Tarzan et les poissonniers
Deux jours après les confessions de Vasco Pinto déclarant
songer à engager Mourinho, le départ de Manuel José –
l’entraîneur en poste – est officialisé. Cet ancien coach du
Sporting, du Boavista ou du Benfica est un technicien
expérimenté, connu et reconnu. Au moment où sa fin à Leiria
est actée, il est 10e du championnat (place à laquelle il avait
terminé en 1999-2000). Il est surtout à 9 journées de la fin. Mais
João Bartolomeu a tranché : « Manuel José arrivait en fin de
contrat et je ne l’ai pas prolongé, même s’il était un très bon
entraîneur. Je ne pouvais pas continuer de payer son salaire. »
« Les négociations avec Mourinho ont été faciles et rapides,
continue Bartolomeu. Je lui ai proposé un salaire de 5000 euros
nets, pour un contrat d’une saison. Il a accepté le défi, parce
qu’il était sûr de ses qualités. Au bout de deux mois à Leiria, je
lui ai dit qu’il serait le meilleur entraîneur du monde. Il avait le
profil que je recherchais : jeune, ambitieux, intelligent, avec de
la personnalité et malin. » Et pas cher, donc. Baidek précise :
« On avait aussi négocié une voiture. »
Manuel José, lui, poursuit son bout de chemin et va mener
l’UDL à une cinquième place jamais atteinte par le club jusque-
là en Liga. Les tractations rendues publiques quant à sa
succession ont toutefois instauré un malaise. Le 17 avril, celui
qui est encore technicien de Leiria est l’invité de la chaîne
publique RTP 1. Réputé autant pour ses trophées que pour son
franc-parler, le Mister de 55 ans envoie lorsqu’on l’interroge sur
son successeur annoncé : « Il ne m’a même pas passé un coup
de fil. Ce n’est pas acceptable entre confrères et, ça, je ne
l’oublie pas. » Manuel José bombe le torse et balance : « S’il
pense que c’est la loi de la jungle, il se trompe. J’ai déjà vu
beaucoup de Tarzans qui sont je ne sais où maintenant. »
Mourinho qu’il a aussi qualifié « d’apprenti » ne tarde pas à
répliquer : « Pour le moment, je ne vais pas alimenter des
conversations de poissonniers », et il tacle à son tour : « Je ne
nourris aucune amitié, ni aucun respect pour lui. » José
Mourinho qui a vu son père se faire lourder plus d’une fois sans
que son successeur ne lui adresse un message, ne capte pas
les attaques de Manuel José.
Ces échanges, cette succession mal gérée « a beaucoup fait
parler » constate Paulo Duarte. Le défenseur est un témoin
privilégié de cette époque. Avec quasi douze saisons à l’UDL et
il est un des tauliers du vestiaire quand le Mou signe.
« L’annonce de l’arrivée de Mourinho a été faite avant que la
saison se termine et Mourinho a été présenté au stade
Magalhães Pessoa où Manuel José exerçait encore, décrit-il.
Ce ne fut pas très bien reçu. Manuel José n’a pas aimé. » « Le
principal responsable est peut-être le président qui, à l’époque,
n’aurait pas dû confronter ces deux grands professionnels.
Cette exposition était évitable, selon moi, poursuit celui qui est
marié avec la fille du… président João Bartolomeu. Nous,
joueurs, n’avons pas valorisé cet épisode mais la transition ne
s’est pas opérée de façon sereine. »
« Surprise » et « méfiance »
Aussi parce qu’il est le gendre du président Bartolomeu, Paulo
Duarte a eu l’occasion de côtoyer Mourinho un peu avant ses
coéquipiers : « C’était en juin 2001, je crois. Nous étions en
vacances en Algarve, en famille et João Bartolomeu a organisé
une réunion à la maison avec Mourinho qui venait de signer. »
Duarte se dit « d’abord surpris » de le voir s’engager avec son
UDL : « Mourinho venait du championnat espagnol, une ligue
d’élite. Il avait travaillé avec Robson, Van Gaal, deux grands
entraîneurs. Et ensuite, il était passé par le Benfica où il avait
fait un gros travail. Il n’était pas parti à cause des résultats,
rappelons-le. C’était une surprise qu’un club aussi modeste que
l’União de Leiria fasse venir un tel profil. »
Formé à l’União, Micas Pedrosa n’a que 20 ans lorsqu’il
découvre le Mou. Et, lui aussi tique sur l’aventure lisboète de
son nouveau coach : « Il avait eu cette expérience courte mais
intense avec le Benfica. » Pas suffisante pour balayer les
doutes. « Je me souviens que lorsqu’il est arrivé, il y avait une
certaine méfiance, confesse Micas. On sortait d’une grosse
saison au cours de laquelle on avait terminé cinquièmes. Et là,
on a appris que Manuel José s’en allait et que Mourinho allait le
remplacer. Mais cette méfiance a duré peu de temps. Dès la
présaison, les joueurs ont commencé à aimer. »
Paulo Costinha, qui avait connu José Mário au Sporting comme
adjoint de Bobby Robson, le (re)découvre en tant que principal.
A son tour, le gardien de but s’étonne : « On était très surpris de
voir un entraîneur qui était au Benfica venir à Leiria, même si on
avait une excellente équipe et que nous sortions d’un très bon
championnat. » Un autre joueur de cet UDL 2001-2002 avait
croisé José à Alvalade : Nuno Valente.124 Il va devenir l’un des
joueurs les plus importants de la carrière de José Mourinho,
before Special One. C’est à Leiria que leur relation débute
réellement. « Il est venu nous voir juste avant notre départ en
vacances, à la fin de la saison 2000-2001, se souvient le latéral.
Notre première impression a été très bonne. Il nous a expliqué
qui il était, ce qu’il prétendait et qu’on pouvait compter sur lui.
On a été impressionnés, d’entrée. Ce n’était pas habituel à cette
époque, d’arriver comme ça, d’exposer par Power Point, de
façon aussi précise sa façon de jouer. Cette réunion a été
productive. » La première d’une longue série… un indice sur la
méthode Mourinho.
Son premier « vrai » staff
C’est à Leiria que José Mourinho constitue son premier
« vrai » staff. Au Benfica, l’urgence de la situation avait
accouché d’une sorte de compromis entre les éléments déjà en
place et le recrutement de « son » adjoint : Carlos Mozer. Le
Brésilien n’accompagne pas José à Leiria. « J’ai eu une
conversation avec le président Bartolomeu qui m’a dit qu’il
n’avait pas les moyens pour recruter Mourinho et moi en plus,
explique l’ancien défenseur du Benfica ou de l’OM. J’ai dit au
président : « Dans ce cas, faites signer Mourinho parce que
vous allez avoir l’un des meilleurs entraîneurs du monde. »
« Vous croyez ? », m’a-t-il demandé. « Oui, je le pense. » »
« Mozer devait venir mais je n’ai pas voulu, pour des questions
financières », confirme Bartolomeu. Mozer reste sur Lisbonne,
occupé par son restaurant et son association avec Baidek.
L’entraîneur de 38 ans fera donc sans. « Mais c’est à Leiria qu’il
a constitué son équipe technique, se félicite le presidente. Leiria
a été le lancement du meilleur entraîneur du monde. »
Le jour de son intronisation à l’UDL, le 16 avril 2001, José
Mourinho présente les hommes qui l’épauleront dans sa
nouvelle quête : Baltemar Brito, Rui Faria et Vítor Pontes.
Chacun d’entre eux a une histoire très particulière avec José
Mário. Baltermar Brito d’abord. L’ancien défenseur brésilien a
joué avec Zé Mário au Rio Ave, sous les ordres de son père
Mourinho Félix qu’il suivra aussi à Varzim et qu’il retrouvera lors
de son deuxième passage à Vila do Conde. Au moment où
l’invitation est lancée, le contact est pourtant rompu depuis un
moment. « Ça faisait huit ans que je ne voyais pas José lorsqu’il
m’a appelé pour me proposer de devenir son adjoint et j’ai
accepté avec plaisir, sourit Brito. L’idée lui a été soufflée par son
épouse, Tami et par son père, aussi, je pense. J’étais proche de
la famille. »
Dans sa biographie, Mourinho explique avoir en effet débattu du
sujet avec sa femme, énonçant qu’il cherchait un second qui
soit imposant physiquement. « Il voulait un adjoint qui soit
grand, oui, mais je pense aussi qu’il éprouvait une sorte
d’admiration du temps où je travaillais avec son père, de ce que
je donnais aux entraînements, en match, reprend Brito. J’étais
grand mais j’étais aussi quelqu’un de responsable, travailleur,
passionné, rigoureux. » Baltemar va bosser avec José pendant
dix ans.
Rui Faria va carrément partager dix-huit piges avec le Mou !
Contrairement à Brito, au moment où il intègre le staff de Leiria,
il n’est pas une vieille connaissance du Setubalense. Alors qu’il
bûchait à la Faculté du sport et d’éducation physique de Porto, il
a demandé à celui qui était alors adjoint du Barça s’il pouvait y
effectuer un stage. Le contact était pris. Et José s’en souvient
au moment de se poser à Leiria. A seulement 25 ans, le natif de
Barcelos devient le préparateur physique de l’UDL ; sa première
expérience professionnelle. « Malgré son jeune âge, il
comprenait très bien ce que Zé voulait : des exercices très
tournés vers le jeu. Zé supervisait tout mais Rui apportait
beaucoup d’innovations. Il les exposait à Zé qui les validait, ou
pas, ou les modifiait », explique Vítor Pontes.
Pontes est le troisième membre du staff de José Mourinho à
l’União de Leiria. L’ancien portier s’occupe des gardiens du club
depuis le milieu des années 1990. « A l’époque, lorsque
l’entraîneur principal changeait, il était habituel que l’entraîneur
des gardiens reste en place, explique-t-il. J’ai eu la chance de
collaborer avec de très bons entraîneurs à Leiria. Quand
Manuel José est parti, il s’est produit la même chose que
lorsqu’il était arrivé : j’ai intégré le nouveau staff. J’avais ma vie
à Leiria, j’ai été formé au club, j’étais considéré comme un
homme de la maison. »
« Je me souviens de mon premier contact avec Zé à Leiria,
poursuit-il. Je sortais de l’entraînement, Manuel José était
encore en poste. Le fait qu’il n’allait pas poursuivre avait été
rendu public. On s’est croisés avec Mourinho en voiture, près du
stade. Il m’a reconnu, il a baissé sa vitre : « Alors, Vítor,
comment tu vas ? » Il était très détendu, très chaleureux. Il m’a
demandé si je voulais travailler avec lui. « Bien sûr, Zé ! Je suis
d’ici et si tu veux de moi, bien sûr que je veux », lui ai-je
répondu. » En réalité, Vítor Pontes connaît déjà les Mourinho :
« Son père a été mon entraîneur à Leiria [1978-1979]. Zé devait
avoir 15-16 ans. Cette saison-là, l’União de Leiria montait pour
la première fois de son histoire en première division. José venait
le week-end, retrouver son père. » « Je n’avais plus jamais eu
de contact avec lui, ni avec son père, après cela », précise-t-il.
Vítor Pontes aurait toutefois pu connaître une autre destinée.
Fidèle gardien de Mourinho Félix qu’il a accompagné au Rio
Ave, à l’União da Madeira ou encore au Elvas, Francisco
Trindade confie : « Zé Mário m’aimait beaucoup. Comme en
plus je n’habitais pas loin de Leiria, il m’a proposé de devenir
son entraîneur des gardiens mais j’ai refusé. Je vais être
honnête, je n’y croyais pas. Non pas que je ne croyais pas en
lui, mais Manuel José sortait d’une grosse saison et je connais
le football, si Zé Mário ne faisait pas aussi bien, il risquait de
sauter. Le foot est irrationnel. Il suffisait de voir ce qui lui était
arrivé au Benfica. »
« Il aimait savoir ce que chacun pensait »
L’adjoint Brito décrit Mourinho comme « très exigeant, très
méticuleux » : « Il ne laissait rien au hasard. » L’entraîneur de
38 ans parvient-il à déléguer ? « Vu la façon dont il travaille, il
est obligé de le faire, répond Baltemar. Il met en place plusieurs
groupes de travail, par postes, par secteurs de jeu. Chacun de
ses adjoints est ainsi responsabilisé et, lui, coordonne le tout. »
« La partie initiale de l’entraînement était gérée par Rui Faria
mais il aimait bien avoir la main sur tout, se souvient Micas. On
était souvent séparés en petits groupes pour réaliser certains
exercices. Chaque adjoint avait un groupe mais ça tournait.
Il faisait en sorte d’intervenir partout. Les joueurs se sentaient
ainsi tous concernés. » « La partie de l’échauffement revenait
au préparateur physique (Rui Faria) et ensuite c’est lui qui
prenait la main. Il réalisait 80 % de l’entraînement », résume
Paulo Duarte.
A l’image de ce qu’il a vécu avec Van Gaal au Barça125, José
demande l’avis de ceux qui l’entourent. « J’ai été surpris par
l’ouverture dont il faisait preuve envers ceux avec qui il
travaillait, s’étonne Vítor Pontes. Il devait avoir confiance en eux
et sentir qu’ils étaient compétents. La répartition des tâches était
une chose à laquelle nous n’étions pas habitués. Jusqu’alors,
l’entraîneur-principal s’occupait de tout. Mourinho, lui, déléguait
beaucoup de tâches, ne serait-ce que pour comprendre notre
façon de faire et d’être. Par exemple, il nous demandait à Brito
et moi de lui faire un rapport sur un même match, parce qu’il
voulait savoir et sentir la façon dont on voyait la rencontre. »
Mourinho sollicite aussi ses adjoints au moment de faire ses
choix. Pontes se souvient : « On jouait à Santa Clara. Il s’est
dirigé vers Brito et moi : « Vítor, qui alignerais-tu titulaire pour ce
match ? » Et il a demandé la même chose à Brito. On devait
exposer nos choix et les défendre. Il fallait argumenter. Il aimait
savoir ce que chacun pensait et la décision finale lui revenait.
C’était une façon de faire différente à l’époque. »
« Une révolution totale »
La « façon de faire » de José Mourinho qui avait déjà
« choqué » au Benfica, va produire le même effet à Leiria. Le
quotidien des Leirienses va être complètement chamboulé.
Arrivé sur les bords du Lis en 1999, Derlei s’y impose direct
comme le goleador, avec Manuel José. Mais quand Mourinho et
ses méthodes s’installent, le Brésilien prend une claque, disons
plutôt une caresse des plus jouissives : « Ce fut une révolution
totale. Les autres entraîneurs avaient un travail plus globalisé,
basé sur le onze. Avec Mourinho, on travaillait beaucoup la
possession du ballon, l’occupation de l’espace, sur des terrains
réduits et dans un temps réduit. »
Vítor Pontes qui anime une partie des séances est lui aussi
épris : « Les entraînements étaient tous très différents. C’était
révolutionnaire. Tout se passait sur le terrain et avec le ballon.
Il disait : « Si on joue sur le terrain, c’est sur le terrain qu’on
s’entraîne. » Sa méthode d’entraînement consistait à démonter
l’équipe, et à travailler par secteurs. »
Passé par le Benfica, le Rayo Vallecano ou Tenerife avant
Leiria, le milieu de terrain, Tiago, est tout aussi enthousiaste :
« Ses entraînements étaient très attractifs. On a tous été
marqués par ça, parce qu’on n’y était pas habitués. Ça
enchantait tout le monde parce que c’était motivateur. Tout était
avec le ballon, le physique, la tactique… On n’était que sur le
terrain. »
« Il venait du FC Barcelone où il avait collaboré avec Van Gaal
qui travaillait tout le temps avec le ballon, resitue Nuno Valente.
Et il a transposé ça à Leiria en y ajoutant ses idées. En termes
psychologiques, c’était très important pour les joueurs qui
étaient habitués à aller courir dans les bois, à faire des tours de
terrain. On peut croire que non, mais ce genre de choses est
très usant psychologiquement. La présaison était très différente
de ce qu’on avait pu connaître. » Le milieu Luís Vouzela
développe : « Avant, les préparations c’était deux, trois
entraînements par jour dont un où l’on ne travaillait que le
physique. Avec Mourinho, on bossait le physique mais toujours
avec le ballon. Et, au final, on travaillait plus encore le physique
comme ça, parce qu’on aimait ce qu’on faisait ! »
« Bordel, mais tu veux qu’on se fasse virer ? »
Le stage de présaison va donner le ton de cette « révolution ».
C’est à Tábua, dans le centre du Portugal, enserrée de forêts
d’eucalyptus, que se pose la délégation de l’União de Leiria.
C’est là que Mister Mourinho et l’UDL apprennent à se
connaître, à s’apprivoiser. Non sans mal. Baltemar Brito revient
sur un échange entre Zé et son président : « Bartolomeu nous a
rejoint près du terrain qui était entouré de bosquets et il a dit :
« Cet endroit est parfait pour aller courir. » Mourinho a répondu :
« Je n’ai besoin que de ballons, pas de courir dans les bois. »
Le président a insisté mais Mourinho n’a pas lâché : « Les
footballeurs ont besoin de courir sur un terrain, pas dans les
montagnes. » Une fois le président parti, Rui Faria a envoyé à
Mourinho : « Bordel, mais tu veux qu’on se fasse virer ?! Si ça
se passe mal, c’est nous qui allons courir ! » Rui Faria pensait
comme Zé mais il ne le manifestait pas avec la même
conviction, ce que certains qualifient comme de l’arrogance. »
Aux commandes de l’União depuis la fin des années 1980, João
Bartolomeu a vu passer bon nombre de coaches. Mais, avec
Mourinho, il va vivre quelque chose de nouveau, d’inédit. « Je
n’étais pas du tout habitué à voir des méthodes comme les
siennes, concède-t-il. C’était tellement révolutionnaire pour
l’époque… J’étais étonné et impressionné. Il a révolutionné le
football portugais. Il faisait tout avec ballon, y compris la partie
physique. Il a montré la voie aux autres entraîneurs. »
Bartolomeu revient sur un autre détail de ce séjour estival : « Un
soir, il s’est réuni avec ses joueurs. Il les a reçus un par un. Cela
s’est avéré fondamental. Il faisait ça avec tout le monde : ceux
qui jouaient et ceux qui ne jouaient pas. Je n’avais jamais vu ça
avec un coach. »
Le président certifie n’avoir « pas douté » de José mais son
gendre, Paulo Duarte, a une autre impression. « Je pense qu’à
un moment il a douté, commente ce dernier. Mourinho avait
tellement transfiguré le modèle d’entraînement, sa façon de voir
le football était tellement différente, que ce fut un choc. Les
joueurs ont senti qu’ils étaient face à un grand entraîneur. Mais
comme ce choc n’a pas été suivi de résultats immédiats, cela a
soulevé un certain nombre d’interrogations chez certains qui ne
comprenaient pas pourquoi on n’allait pas courir dans les bois, à
la plage. Heureusement pour le football portugais, ces questions
n’ont pas duré longtemps et ses méthodes ont été adoptées par
la nouvelle génération d’entraîneurs au pays. »
Une génération que Paulo Duarte va lui-même incarner,
quelques années plus tard. Au cours de la saison 2006-2007,
l’adjoint qu’il sera au sein de l’équipe première à Leiria y
débutera sa carrière d’entraîneur. Et pourtant… « Je donne ma
parole que jamais je ne pensais devenir entraîneur ! jure-t-il.
Mais quand j’étais sous les ordres de Mourinho, je rentrais à la
maison et j’écrivais ce qu’il nous faisait faire aux entraînements
le jour même. Tu vas me demander pourquoi. Parce que c’était
tellement différent, tellement bon, que je voulais le garder pour
moi. Beaucoup de gens n’aiment pas qu’on dise ça mais
Mourinho a amené ce que les joueurs n’avaient jamais vu
jusqu’alors. » C’est sous l’influence de son collègue Leão « qui
ne voulait pas effectuer sa formation tout seul à Coimbra » que
Duarte passera ses diplômes. Cinq ans après Mourinho, Duarte
bossera dans le staff de Jorge Jesus. « Avoir travaillé avec
Jorge Jesus a été un autre bonheur total, s’emballe-t-il. Jesus
possède une telle richesse tactique… Entre ça et ce que
Mourinho m’a fait découvrir… Ce fut un bonheur de croiser ces
deux monstres du football. Lui et Jesus qui est incroyable
tactiquement, sont responsables à 95 % de la cote des
entraîneurs portugais à travers le monde. »
Duarte se fera notamment un nom au Burkina-Faso dont il
deviendra le sélectionneur en 2007. D’ailleurs, ses résultats
avec les Étalons lui vaudront une invitation du Mans en 2009.
En Ligue 1, il sera lui aussi confronté à une forme de méfiance,
voire de suspicion, à cause de ses procédés : « Lorsque je suis
arrivé en France, des journalistes m’ont demandé pourquoi les
joueurs ne faisaient pas de footing, de cross… Le modèle de
Jardim a subi les mêmes interrogations lors de sa venue à
Monaco. J’avais appris avec Mourinho qui intégrait la partie
physique au reste. L’intensité des entraînements était différente.
Tout était programmé, tout avait un objectif. Tout se faisait avec
le ballon. Le travail physique, de vitesse, se fait avec le ballon. »
Mourinho qui avait testé plusieurs systèmes au Benfica met en
place son schéma préférentiel à Leiria. « Nous jouions en 4-3-3,
parce qu’il trouvait – et je le pense aussi – qu’au point de vue de
l’équilibre de l’équipe c’est le système qui donne le plus de
garanties, explique Vítor Pontes. En cas de perte de balle,
l’équipe est mieux organisée pour réagir. L’occupation de
l’espace est différente dans un 4-2-2. Si la plupart des équipes
européennes évoluent en 4-3-3 c’est qu’il y a une raison. Ce
n’est pas parce qu’on joue avec deux avant-centres qu’on est
plus offensifs, ce n’est pas aussi simple que ça. Tout dépend
des dynamiques. » Celle de Mourinho va prendre un certain
temps avant de se montrer efficace. De quoi laisser une autre
place à la défiance.
« Vous croyez que vous entraînez le Benfica ou
quoi ?! »
L’União de Mourinho débute la saison 2001-2002 par un nul
(0-0) à Braga qui avait terminé au pied du podium, lors du
précédent exercice. Pas si mal, donc. S’en suit un 2-2 face à
Santa Clara. Plutôt contrariant. Parce que la formation des
Açores est un promu, parce que l’UDL menait 2-0 et surtout
parce qu’elle a galéré. Les premières critiques ne tardent pas.
Le quotidien Record du lendemain parle d’une « exhibition
médiocre de l’União de Leiria, à tous points de vue, mais
notamment au niveau physique. » Le journal s’interroge
clairement sur les procédés du Mou : « L’intensité et les charges
imposées aux joueurs au cours de ce début de saison n’ont-
elles pas été excessives ? » Pas mal d’observateurs et de
supporters sont (déjà) circonspects quant au départ de Manuel
José et de son inédite cinquième place.
Mourinho a intérêt à ramener un résultat de Paços de Ferreira.
Paços est un club modeste mais imprévisible. Sa Mata Real a
tout du traquenard. « L’ambiance était un peu tendue à cause
des résultats, se souvient Vítor Pontes. Certains se posaient
déjà des questions. La veille du match, vers 1 h du matin, avec
Zé et Rui [Faria] on se promenait aux abords de l’hôtel. »
L’entraîneur des gardiens leirienses confie ressentir « une
certaine crainte autour de ce match » : « Parce qu’on devait
gagner et parce que je pensais qu’il y avait un joueur qui devait
débuter mais que Zé craignait d’aligner d’entrée : Renato. Pour
celui qui ne le connaît pas, Renato peut paraître un peu
dilettante à l’entraînement, mais en match il est incroyable.
C’était un excellent joueur. A l’époque Zé misait sur un jeune,
Nuno Mendes. Comme j’étais là depuis longtemps, j’ai dit à Zé :
« Si tu veux aligner Renato, n’aie pas peur de le faire. »
Mourinho suit l’indication de son adjoint et il fait bien puisqu’il
s’impose (2-1). Un succès qu’il dédie à Pontes. « A la fin du
match, Zé est venu me voir et m’a dit : “C’est toi qui vas faire la
conférence de presse, pas moi”, confie Pontes. Il m’a donné
deux, trois indications, des choses dont il ne voulait pas parler
mais il a voulu récompenser mon conseil, mon soutien. Et
Renato s’est imposé comme titulaire. »
L’équipe n’est pas encore lancée pour autant. Le 1-1 obtenu
dans la foulée face au Sporting est plutôt encourageant. Les
Leões emmenés par Bölöni marquent les premiers sur un péno
du redoutable Jardel. L’exclusion de Tiago, en début de
seconde période, ne va pas faciliter le taf de Leiria qui va
égaliser par Silas. Compte tenu du scénario, quand on sait que
ce Sporting sera sacré champion, le résultat est bon à prendre.
Mais l’UDL avance au ralenti. Un succès après quatre journées
et… voilà la première défaite… Au Bessa, où Mourinho avait
initié sa carrière d’entraîneur principal avec le Benfica un an
auparavant quasi jour pour jour, José Mourinho s’incline sur le
même score (0-1). L’U. Leiria compte 6 points sur 15 possibles
et n’est qu’à deux unités de la zone rouge.
« Les premiers mois, on était tout proche des dernières places
mais j’étais déjà habitué à ça et j’ai cru en lui et je voulais lui
donner une chance, assure le président João Bartolomeu. Je
n’ai pas douté parce que j’ai vu que l’équipe s’entraînait bien et
qu’il y avait une vraie union entre lui et son groupe. » Là encore,
une version moins optimiste vient contredire la mémoire de
l’historique patron de l’UDL. Jorge Baidek, l’agent qui a mené
José à Leiria, raconte : « Au bout de 5 journées, Bartolomeu m’a
appelé : « On doit faire une réunion et vite ! » Je préviens
Mourinho et on se rend chez le président. Bartolomeu lui a
envoyé : « Vous croyez que vous entraînez le Benfica ou quoi ?!
Vous jouez beaucoup trop l’attaque ! » « C’est ma façon de faire
et d’être », lui a rétorqué Mourinho. Je suis intervenu et j’ai dit
au président de ne pas s’inquiéter. »
Le fait est que José va rester et que la patience de Bartolomeu
va encore être mise à l’épreuve. La victoire (2-0) face au
Marítimo de son ancien prof Nelo Vingada n’apporte pas encore
la stabilité espérée. Une défaite à Varzim (0-2), un nul face au
Benfica de Toni (1-1) et un autre, chez son Setúbal (1-1). La
victoire contre le Beira-Mar (4-1) est suivie de deux défaites à
Porto : une face au FCP (2-1) en championnat, l’autre, en
Coupe, face au Boavista (3-0, après prolongations). La période
faste de Mourinho à Leiria commence véritablement à partir de
là. Fin novembre, il bat le Belenenses à domicile (3-0) et ne va
plus perdre avec l’UDL. Début décembre, sa team écrase
Salgueiros 7-0, avec un quadruplé de Derlei. « Quand il y a
cette transition entre deux entraîneurs, il y a une période
d’adaptation, tente d’expliquer Nuno Valente. Il nous a fallu un
peu de temps pour tout assimiler. On était devenus une équipe
de possession et, pour en arriver là, il a fallu travailler pour
trouver les mécanismes et être productifs. »
Power Point, les grandes feuilles et les causeries
La méthode Mourinho ne se limite pas qu’au terrain. José a
trouvé comment intégrer les différents aspects du jeu aux
entraînements afin de les rendre attractifs et productifs. Aussi, il
a ses trucs concernant les séances plus théoriques, comme la
tactique « pure » ou le visionnage des matches. C’est souvent
le genre de moments que redoutent bon nombre de
footballeurs. Là aussi, Mourinho va innover. Il va faire appel à
un nouvel adjoint : Power Point. « Il utilisait Power Point et il
nous donnait des « devoirs », des annotations sur la façon de
jouer de nos adversaires, explique le milieu Tiago. Il nous
donnait des feuilles où tout était détaillé, pour chaque poste. »
L’utilisation du logiciel développé par Microsoft viendra dans un
deuxième temps. José Mário bosse d’abord à l’ancienne.
« Avant d’utiliser Power Point, il dessinait des terrains de foot
sur des feuilles grand format qu’il avait préparées la veille, se
remémore Vítor Pontes. A l’époque, tout le monde travaillait sur
un tableau mais lui, non, il venait avec ses cinq, six, sept,
grandes feuilles. Il y avait dessiné les schémas, les coups de
pied arrêtés, les mouvements… » Le milieu de terrain Luís
Vouzela confirme : « Il avait de grandes feuilles sur lesquelles
l’équipe était disposée. Tout était prêt, écrit, détaillé. Et puis, sur
une feuille il y avait un mot d’écrit : « Humilité »,
« Agressivité »… Ca changeait, à chaque fois. Il discourait
autour de ce mot. » Et une fois encore, le même constat : « On
n’était pas habitués à ça. »
Du changement, il y en a aussi concernant la vidéo. Finies les
longues heures de “débrief” sur le match joué ou celui à venir.
Mourinho cible les séquences, les secteurs de jeu et adapte ses
interventions. Avec lui, les sessions de projections collectives
sont… subliminales. « Lorsqu’on allait et revenait de
l’entraînement, qu’on voyageait en bus, il mettait une cassette
de notre prochain adversaire, révèle Vouzela. Il nous disait :
« Je sais que certains d’entre vous vont dormir, d’autres vont
jouer aux cartes, passer des coups de fil mais le match de
Braga (par exemple) est là. Je vous le mets. Jetez un œil de
temps en temps. » Et on le faisait. Moi, je jouais souvent aux
cartes et je regardais sans même m’en rendre compte et je
m’imprégnais de ce que je voyais. »
Comme au Benfica, Mourinho va aussi responsabiliser ses
joueurs à travers les causeries. « Il choisissait quelques
joueurs-clés qui avaient un certain poids dans le vestiaire, dont
il savait qu’ils allaient avoir un discours fort et il leur demandait
de faire une petite causerie avant le match, lance Micas.
Il sollicitait beaucoup Derlei. »
Lorsque José initie son aventure leiriense, l’attaquant brésilien
n’est pas là. « J’étais prêté à Leiria par Madureira, un club
brésilien, explique l’intéressé. Mon prêt avait touché à sa fin et il
a fallu attendre avant qu’il soit renouvelé. J’étais parti en
vacances et quand je suis revenu Mourinho était déjà en poste.
Je me souviens de mon premier contact avec lui. C’était lors de
la présaison, il m’a taquiné en me disant : « Il faut marquer pour
qu’on te garde ! » » Le Ninja (surnom de Derlei) devient l’un des
relais de Zé. « J’étais un joueur actif dans le jeu et j’ai toujours
cru en mes capacités individuelles et en celles de ceux qui
jouaient avec moi », commence-t-il. José apprécie et lui confie
une partie de ses causeries. « Mourinho a très vite compris ma
façon d’être et de faire, poursuit Derlei. J’ai toujours dit que,
quel que soit mon maillot, je n’avais rien à envier à mon
adversaire. Il aimait cette façon de penser, ce genre de
discours. Il n’avait pas besoin de m’indiquer ce que je devais
dire, parce que je pense comme ça. »
Ce genre de moments, le président Bartolomeu les affectionne.
« J’aimais pénétrer dans le vestiaire à la mi-temps, avant et
après les matches, histoire d’écouter les discours, de sentir
l’ambiance, admet-il. Je sentais le respect que les joueurs
avaient pour José Mourinho. Mais je n’interférais en rien ! »
Valait mieux pas ! José fait très vite comprendre à ses patrons
que, sur le terrain et dans le vestiaire, c’est lui le boss.
D’emblée, il fait passer le message. Avant que la saison ne soit
lancée, à Tábua, il profite du traditionnel match entre salariés-
dirigeants du club et journalistes présents pour asseoir son
autorité. La rencontre doit se dérouler sur le terrain
d’entraînement, après la séance orchestrée par le Mister.
Adepte des espaces réduits (on l’aura compris), il ne bosse que
sur une moitié de terrain. Ses dirigeants qui s’apprêtent donc à
disputer leur rencontre commencent à s’échauffer sur une partie
du gazon laissé libre par José. « Dehors ! », s’écrie ce dernier.
L’un des patrons leirienses tente bien d’expliquer au coach qu’il
n’occupe pas toute la parcelle mais le Mou est dur. Y compris
de la feuille. Il ne veut rien entendre. Tant que ça bosse, la
pelouse est sienne.
« Toi et toi, je vais vous sortir ! »
Au Benfica, en l’espace de quelques semaines, Mourinho a pu
exposer une partie de son know-how motivationnel. A Leiria, il
va pouvoir le développer. Le Mou, c’est un palmarès
extraordinaire et des mind games d’exception. A la Luz, il
jonchait le vestiaire d’interviews données par ses prochains
adversaires, pour exciter ses gars. A Leiria, alors que les
résultats sont capricieux, il continue de tapisser les murs. Le
gaucher, Nuno Valente, raconte : « Un jour, en arrivant à
l’entraînement, il y avait un papier fixé au mur sur lequel
figuraient nos cinq, six prochains matches. Il avait inscrit, en
face de chaque équipe, le nombre de points à gagner. Il avait
mis la barre haut. Ce qui est curieux, c’est qu’à la fin de cette
série, on avait atteint l’objectif qu’il nous avait fixé. Ce fut très
stimulant pour nous. »
Le jour J, celui du match, il sait comment leur mettre la
pression. « Il n’aimait pas quand c’était trop tranquille, rigole
Vítor Pontes, son adjoint pour les gardiens. A la mi-temps, il lui
arrivait de s’adresser à un ou deux joueurs et de leur dire : « Toi
et toi, je vais vous sortir ! » C’était une façon de les secouer. »
Pendant la rencontre aussi il y va. « S’il voyait qu’un joueur
n’était pas dans son match, il envoyait un autre joueur du même
poste s’échauffer, révèle Pontes. Et il faisait ça en première
période, s’il le fallait. A l’époque, personne n’envoyait des gars
s’échauffer aussi tôt. »
Maciel a été la cible de ses coups de pression. Arrivé au cours
de l’été 2001 à Leiria, le Brésilien n’a que 22 ans et connaît un
démarrage difficile. « Je revenais de blessure, justifie-t-il. J’ai
débuté titulaire lors d’un match face au Boavista [0-3 après
prolongation, Coupe du Portugal] et je n’ai pas été très bon.
Pareil lors du match suivant. Je commençais à m’embourber.
Mes coéquipiers avaient de l’avance sur moi. Lors de la
préparation de la rencontre suivante qui était face au
Belenenses, Mourinho m’a demandé si je me sentais prêt à
jouer. Il voyait que j’étais contrarié. J’ai répondu que oui, que je
voulais jouer. Duah avec qui j’étais en concurrence était forfait.
Mourinho m’a dit : « Si tu ne joues pas bien, tu ne joueras plus
jamais avec moi. » J’ai marqué deux buts ! A la fin, il est venu
me voir pour me dire : « Heureusement que tu as été bon ! »
Il me connaissait très bien. Il savait comment me parler,
comment me faire réagir. » Ce doublé, cette victoire 3-0 sur la
formation de Belém, marquent le début de la série d’invincibilité
de Mourinho à l’UDL et le lancement de la saison de Maciel qui
claquera 10 pions en 2001-2002.
Proche de ses joueurs
Le technicien de 38 ans impose certaines règles. Et on est loin
de l’absolutisme. Comme il le faisait du temps où il gérait les
jeunes du Vitória de Setúbal, Mourinho responsabilise ses
joueurs et tolère même certains écarts. « Il ne voulait pas qu’on
fume, explique Luís Vouzela. Le joueur qui se faisait prendre en
train de fumer prenait une amende. Un jour, on était à l’hôtel, en
stage, je fumais avec un coéquipier et un autre faisait le guet.
Sauf qu’au moment où il me prévient, je sens une main sur mon
épaule. C’était Mourinho : « Je t’ai eu ! » Il ne nous a pas
sanctionné. Il nous a juste dit de faire attention, de ne pas fumer
lorsqu’on était habillés aux couleurs du club, parce que ça
donnait une mauvaise image aux enfants. » Avant d’avoir Klopp
pour rival, le Mou combat donc la cigarette (héhéhéhé).
Tu te souviens de l’interview fumante de Sabry, au Benfica ? Un
autre épisode du genre – moins politisé – va se produire à
Leiria. Lorsque Mourinho s’y pose, il valide notamment le
recrutement de Jacques. Recruté par le Bétis en 1998, cet
attaquant brésilien ne s’est jamais imposé à Séville et enquille
les prêts. Mais José y croit. Et Jacques va lui permettre
d’affirmer son autorité. Le jeune défenseur, Micas Pedrosa,
évoque « un moment de tension avec Jacques », en tout début
de saison : « Il ne jouait pas beaucoup. Et puis, Mourinho a
décidé de le titulariser et Jacques a marqué. Il a fait un bon
match. Dans une interview parue le lendemain, Jacques
déclarait qu’il devait être titulaire. Oh, ce qu’il n’avait pas dit là…
Lors de l’entraînement suivant, Mourinho nous a enfermés dans
le vestiaire et lui a dit, devant tout le monde : « J’avais l’intention
de te mettre titulaire lors du prochain match, mais après ton
interview… Ou tu démens, ou tu ne joues plus avec moi. Parce
qu’avec moi, les coups de pression, ça ne prend pas. » Jacques
a démenti ses propos, il a rejoué et tout s’est bien terminé. »
Vítor Pontes assiste lui aussi à la scène : « Jacques avait
franchi la ligne. » Cette explication marque un tournant, un
avertissement. « Parfois, on aurait dit que Zé était un joueur,
s’étonne encore l’adjoint Pontes. Il était capable d’entrer dans le
vestiaire, s’asseoir au milieu d’eux et se mettre à raconter ou
écouter des histoires. Et ce n’était pas quelque chose de
normal, de courant. Je lui ai donné mon opinion sur sa relation
avec les joueurs. Je le trouvais trop proche, parfois. Certains
pouvaient en abuser. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter. Cette
histoire avec Jacques a fini par être positive, parce qu’elle s’est
produite dès le départ et que le groupe a compris qu’il fallait
faire la part des choses. »
A Leiria, l’União porte bien son nom. Baltemar Brito décrit un
Mourinho « proche de ses joueurs » : « Je l’ai trouvé
sensationnel. Comme tout être humain, il a des défauts mais
ses vertus sont bien plus importantes. » Paulo Costinha en
atteste : « Il se préoccupait de notre bien-être, au quotidien.
Aussi bien en ce qui concernait le travail que notre situation
personnelle. On arrivait le matin pour l’entraînement et il était
déjà dans le vestiaire, avec nous. Il nous retrouvait aux soins.
C’est comme s’il était l’un d’entre nous. Ce n’est pas habituel
que dans un effectif de plus de 20 joueurs tout le monde soit
satisfait et bien mais, à Leiria, c’était le cas. » Le gardien de but
qui connaît Mourinho du temps où il était adjoint de Robson au
Sporting assure qu’il y a « beaucoup de respect envers
l’entraîneur » : « Zé était exemplaire là-dessus. Il y avait le
travail et l’amusement. Il faisait en sorte qu’il existe des
moments de vivre ensemble. Chaque semaine, on organisait un
déjeuner dans lequel on était tous réunis. »
Paulo Duarte avance qu’il avait « deux postures » : « Une avec
le groupe, il était très proche de nous, il lui arrivait d’aller
déjeuner avec les joueurs, il n’a jamais mis de séparation entre
lui et les joueurs ; et une autre posture envers l’extérieur. » Et
celle-ci est plus distante et plus austère. « Il est tout sauf
arrogant, jure toutefois Duarte. Il a créé une stratégie. Tout ce
qu’il faisait avait un but. Il a transmis une image à la presse qui
avait un objectif bien précis. Il s’est fait une carapace pour se
défendre des médias et pour défendre son groupe. C’était aussi
un moyen d’atteindre son adversaire. Il attendait une réaction du
camp adverse et il utilisait ça pour motiver ses joueurs. »
« Pensez, pensons, à ceux qui ne jouent pas »
Mourinho s’adresse à tout son groupe. Y compris aux jeunes.
Au Benfica, il a misé sur les « produits maison » pour remuer
les plus anciens. Mourinho, souvent présenté comme un
entraîneur dépensier (et il le sera au cours de sa période
Special One) n’a pas délaissé la sensibilité de l’éducateur qu’il
était à Setúbal.
Le Leiriense Micas Pedrosa débute en Liga avec José. Il n’a
pas encore 20 ans. Et jusque-là, il a rarement été convoqué en
équipe première. « Mourinho a réussi à motiver tout le monde, y
compris ceux qui ne jouaient pas, affirme le natif de Colmar. Je
n’étais pas titulaire mais je me sentais utile. De temps en temps,
il nous adressait un message du type : « Continue de travailler,
tu vas y arriver. » » Et puis le 25 novembre 2001, le grand
moment arrive, face au Belenenses (3-0). Micas entre à dix
minutes de la fin. Ce moment est autant historique pour le jeune
défenseur qu’il pourrait être anecdotique pour son entraîneur. Et
bien, non. « Quand j’ai disputé mon premier match, j’ai eu un
test antidopage dans la foulée et Mourinho n’avait pas eu le
temps de me parler, narre-t-il. J’étais enfermé dans une pièce,
sans pouvoir voir personne. Il y est allé mais on ne voulait pas
le laisser entrer. Il a tellement insisté qu’ils ont fini par ouvrir la
porte. Il m’a pris dans ses bras et m’a dit : « Félicitations ! »
C’était une petite chose mais ça m’a marqué. Il estimait que ce
moment était important. »
« Avec lui, même les joueurs qui étaient moins utilisés étaient
de son côté, accentue le milieu Luís Vouzela. Il nous disait :
« Ceux qui jouent doivent avoir le moral, parce qu’ils jouent.
Mais pensez, pensons, à ceux qui ne jouent pas. » Il avait une
réflexion de groupe et, du coup, tout le monde se sentait
concerné et était motivé. »
Preuve qu’il compte sur tous ; dans sa biographie, José
Mourinho écrit que « l’un des joueurs les plus importants de
l’União de Leiria », de son UDL, est Paulo Duarte. Or, Paulo
Duarte, la trentaine bien tassée, est en fin de carrière et n’aura
joué que deux matches avec Mourinho. « Je suis très fier de ces
mots mais j’ai été surpris parce que nous n’en avions jamais
parlé, il ne m’a jamais rien dit, commente Duarte. J’étais un
joueur qui avait une certaine connotation, celle d’être le gendre
du président. Mais lui m’a vu d’une autre façon. »
Mourinho perçoit Duarte comme « un homme de vestiaire » :
« Il a senti mon leadership. J’avais eu plusieurs blessures et
j’étais un joueur arrêté mais, même sans jouer, je suis devenu le
joueur le plus important pour lui. » Son premier match avec le
Mou, Paulo le dispute face au Belenenses. Une rencontre qui
marque le « vrai démarrage de Leiria » cette saison-là. Comme
un symbole, c’est Paulo Duarte qui anime la mini-causerie
d’avant-match : « 90 % du temps, le joueur qui avait droit à cette
minute était Derlei. Curieusement, ce jour-là, il m’a choisi. Et le
plus drôle, c’est que durant la semaine je sentais qu’il pourrait
me choisir. J’ai dit que même si nous n’étions pas les meilleurs
joueurs du monde, si nous avions la conviction de l’être, nous
nous imposerions. Et on a réalisé une prestation superbe
[victoire 3-0]. »
Mourinho et le mendiant
Paulo Duarte jure que « Mourinho est à l’opposé de l’image
qu’on en fait ou que certains s’en font. » Il décrit un « homme
simple et altruiste » et déballe une histoire qui l’a « beaucoup
marqué » : « Il y avait un mendiant qui traînait aux abords du
stade. Mourinho le faisait monter dans le bus, avec nous. Il nous
accompagnait à certains entraînements. Parfois, Mourinho le
croisait sur la route au moment d’aller déjeuner et il lui disait de
se joindre à nous. »
« Cette personne aidait les gens à se garer aux abords du
stade, détaille Micas. On lui donnait un peu d’argent. C’est
Mourinho qui a eu cette initiative et les joueurs ont suivi. On a
fini par lui trouver une chambre pour qu’il puisse être logé. »
« On était très attachés à cet homme, poursuit Tiago. C’était un
personnage à Leiria. Un jour, on lui a même acheté un maillot
floqué à son nom et il est venu taper dans le ballon avec nous et
Mourinho. Parfois, il nous accompagnait même en
déplacement. »
« On l’appelait Bill, se souvient l’adjoint Vítor Pontes. Il se
douchait avec nous, enfilait les équipements de l’équipe, on lui
donnait de l’argent… Mourinho lui a donné cette opportunité
d’être avec l’équipe et d’avoir une vie un peu meilleure. » « Bill »
fait partie de l’équipe. « Comme Mourinho voulait des
entraînements dynamiques et ne voulait pas perdre de temps,
quand des ballons étaient envoyés en dehors du stade et que
l’intendant n’arrivait pas à les retrouver, Mourinho allait voir Bill
pour lui demander de se joindre à nous et de ramasser des
ballons », sourit Pontes. Le genre d’histoires que José Mário
n’aime pas raconter. « Quand on veut vraiment aider, on ne le
fait pas pour se faire de la publicité. » Sa promo, José se la fait
grâce à son taf. Et après quelques mois à Leiria, cela prend
déjà.

Le retour raté au Benfica


A compter du 25 novembre 2001, date du succès face au
Belenenses (3-0) pour le compte de la 12e journée de
Championnat, José Mourinho ne va plus perdre avec l’União de
Leiria. A la trêve, il est cinquième de la Liga, à un point
seulement du SL Benfica. Et voilà près d’un mois que son nom
résonne à la… Luz. Et ouais ! Benfica, l’ex de José qui l’avait
laissé partir un an auparavant, aimerait maintenant qu’il
revienne. Toni, la promesse du président Manuel Vilarinho, n’a
pas tenu les siennes. Son SLB, quatrième, est à 5 unités de la
première place. Ça sent le sapin pour Toni. Au lendemain de
Noël, il s’en va. Les boules. Se pose la question de la
succession. Toni déclare au moment de ses adieux : « Que le
Benfica soit champion, quel que soit son entraîneur : Mourinho,
Jesualdo ou Carlos Queiróz. » Mourinho ; cité par celui qui lui
avait succédé, en même temps que deux anciens professeurs
de l’ISEF dont il est diplômé. Queiróz ; le champion du monde
U20 1989 et 1991 qui avait succédé à Robson au Sporting.
Jesualdo Ferreira ; ami et membre du staff de Toni, un
personnage central dans les négos à venir.
Le divorce entre Mourinho et Vilarinho avait été animé, pour ne
pas dire violent. José avait très vite regretté ses propos tenus à
l’encontre du président du Benfica. En octobre 2001, à quelques
jours de ses premières retrouvailles avec les Aigles (qui vont
accoucher d’un 1-1), le journal Record le cuisine sur cet
éventuel retour à la Luz : « Je crois que dans le football toutes
les portes sont à la fois ouvertes et fermées. Tout dépend du
moment. » Le temps va, ici, être très important.
Dès que Toni officialise sa résiliation, Vilarinho et Mourinho se
réunissent et enterrent définitivement la hache de guerre. Les
tractations débutent et butent une première fois sur le cas de
Jesualdo Ferreira. Le Professor qui a notamment été
sélectionneur des Espoirs du Portugal entre 1996 et 2000 a été
l’adjoint de Toni au Benfica à plusieurs reprises. Lorsque le
célèbre moustachu avait pris le relais de Mourinho, il avait
demandé à ses dirigeants de le faire revenir d’Alverca – club
proche des Aigles – où il entraînait. Au SLB, Jesualdo occupe
un statut particulier il est à la fois adjoint de l’équipe première et
superviseur de toute la cellule foot du club. Lorsque Toni s’en
va, il reste et ses patrons tiennent à ce qu’il maintienne ses
fonctions. Ça coince. José veut s’entourer de ses propres
adjoints. Il n’a rien contre son aîné. Ce qui le gêne c’est de ne
pas pouvoir décider de la composition de l’ensemble de son
équipe technique.
Les négociations se poursuivent. C’est Luís Filipe Vieira qui
représente le Benfica. Le patron du foot de Vilarinho prend du
poids. En réalité, Vilarinho prépare déjà sa succession. Il sait
qu’à la fin de son mandat, en 2003, il ne se représentera pas.
Vieira – qui avant de rejoindre la team de Vilarinho en 2001 a
été le président du FC Alverca pendant dix ans – sera l’élu126.
Vieira et Mourinho se retrouvent dans le bureau de José Veiga ;
l’agent qui, l’année précédente, était à un poil de faire signer
José chez les Lions du Sporting. Le cas Jesualdo bloque
toujours. Les jours, les meetings passent sans que la question
soit résolue. Pour l’anecdote, au détour de l’une de ces réunions
à Lisbonne, José Mourinho tombe nez à nez avec l’un des
dirigeants de Leiria. « Le hasard a fait que je l’ai croisé à la
sortie d’un hôtel alors qu’il venait de rencontrer leurs dirigeants,
se marre João Bartolomeu. Je savais qu’il était en contact avec
le Benfica. » Difficile pour le président de l’UDL d’être
hermétique au tapage médiatique que suscite le retour annoncé
de son entraîneur au SLB.
« On veut m’imposer un adjoint »
Carlos Mozer qui avait été l’adjoint de Mourinho au Benfica en
2000 suit ces tractations de près. Le Mou aimerait qu’il réintègre
son staff en cas de retour au SLB. « On était scotchés à nos
téléphones, à se parler, sourit le Brésilien. Ils se sont réunis à
plusieurs reprises avec José Veiga. Il sortait de ces réunions et
m’appelait. Il me disait : « On veut m’imposer un adjoint. »
Il disait qu’il ne voulait pas et qu’il voulait que je le
l’accompagne. Alors, Veiga m’a appelé pour me dire que je
devais convaincre Mourinho, qu’il avait débloqué la situation
pour que je puisse l’accompagner. Mais quand Mourinho a pris
une décision… Il m’avait dit qu’il ne retournerait pas au
Benfica. »
« Le président Manuel Vilarinho était très enthousiaste à l’idée
de faire revenir Mourinho, assure José Veiga. On discutait
depuis un moment. Il y avait la question de Jesualdo que
Mourinho ne voulait pas dans son staff mais dont le Benfica ne
voulait pas se séparer. C’est vrai que les discussions bloquaient
sur ce point. José ne cédait pas mais Vilarinho et Vieira ont fini
par lâcher et Vieira a fini par me dire : « Dis-lui qu’on trouvera
une solution, qu’il composera le staff qu’il voudra. » »
Veiga et le Benfica se disent que l’accord est proche. La presse
aussi. Le 28 décembre 2001, Record affiche à la une :
« Mourinho, l’élu ». (Photo 21. Voir pages centrales) Le quotidien
publie les résultats d’un sondage lancé sur internet. Les votants
(supposément benfiquistes) sont plus de 41 % à opter pour
José Mourinho au poste d’entraîneur du Benfica. Zé Mário est
largement devant Humberto Coelho (14,1 %, ancien joueur du
SLB, ex-sélectionneur du Portugal), Toni (9,6 %), Carlos
Queiróz (8,3 %) et Jesualdo Ferreira (7,1 %). Ce genre de gros
titres, l’entraîneur s’en amuse et en joue. Son milieu de terrain,
Tiago, raconte : « A Leiria, on avait pour habitude de se croiser
dans un petit café où on prenait notre petit déjeuner avant
d’aller à l’entraînement. Un jour, j’étais accompagné de deux
coéquipiers et la une d’un journal annonçait Mourinho au
Benfica. Il s’est tourné vers moi en disant : « C’est bon, très
bon ! » Il était en train de me dire que s’il allait au Benfica, il
m’emmènerait très certainement avec lui. »
Pour l’agent José Veiga, le come-back du Mou à la Luz est sur
le point de se conclure : « On avait rendez-vous le 28 décembre
avec les dirigeants du Benfica et Mourinho. Je me souviens que
j’étais en famille au Luxembourg pour les fêtes. On devait régler
les derniers détails. La veille, j’étais avec Mourinho au
téléphone. On devait signer. Tout semblait sur le point de se
débloquer. Mais le lendemain… je suis arrivé à Lisbonne et des
informateurs m’ont indiqué que Mourinho était dans le nord, que
Pinto da Costa lui avait fait une offre pour entraîner le FC Porto
pour remplacer Otávio Machado. J’ai essayé d’appeler
Mourinho, encore et encore, mais il n’a pas répondu. Je ne lui ai
plus jamais reparlé… » Veiga qui avait déjà conclu un accord
entre le Mou et le Sporting quelques mois auparavant, voit son
deal avec les Aigles se faire cramer par les Dragons.
« Le jour où j’ai emmené Mourinho à Porto »
Car oui, José Mourinho va finalement s’engager avec le FC
Porto. En l’espace de quelques mois, il a quitté le Benfica, s’est
compromis avec le Sporting, rapproché des Aigles et a rejoint
Porto. Et là, non seulement il plante le SLB mais en plus, il file
chez son plus grand rival.
Impliqué dans les négos qui avaient mené Mourinho à Leiria,
Jorge Baidek entre en scène. L’ancien collaborateur de José
Veiga a monté sa structure en cette année 2001. Et, il s’est
rapproché du président des Dragons, Jorge Nuno Pinto da
Costa : « Quand j’ai quitté Veiga [Superfute], Pinto da Costa m’a
appelé et pour me dire : « A partir de maintenant, ma porte est
ouverte. » Veiga était associé avec Alexandre Pinto da Costa, le
fils du président qui était en froid avec son père. » Ce conflit
entre père et fils va durer de longues années. Veiga qui était un
proche de Pinto da Costa a, lui aussi, des rapports tendus avec
le boss du FCP depuis 1998 et une histoire de commission non
versée sur le transfert de Sérgio Conceição à la Lazio. Le
football, peut-être davantage au Portugal que dans d’autres
pays, prend souvent la tournure d’une telenovela : amour, gloire
et… business. Pendant que Veiga se rapproche du Benfica et
d’Alexandre, Baidek cultive ses liens avec Pinto da Costa et
Porto. Baidek : « Lors d’un déjeuner avec Pinto da Costa, j’ai
appelé Mourinho : « Je suis avec le grand président. » Pinto da
Costa a pris le téléphone. Le feeling passait à merveille entre
eux. J’avais emmené Pinto da Costa plusieurs fois à Leiria
assister aux matches de Mourinho. »
L’agent brésilien stoppe son récit un instant. Et il reprend, en
souriant. Le débit est plus lent : « Je me souviens encore de la
date : le 28 décembre 2001. Le jour où j’ai emmené Mourinho à
Porto. » On dirait le titre d’un film ou d’un bouquin, pas vrai ? Le
scénario en est digne. Baidek replante le décor : « Mourinho
s’est réuni plusieurs fois avec Luís Filipe Vieira [dirigeant du
Benfica]. Brito et moi l’attendions dans la voiture. Tout était
pratiquement fait mais ça bloquait sur Jesualdo Ferreira.
Mourinho voulait travailler avec son staff. Les discussions
continuaient. Alors, j’ai appelé Pinto da Costa pour lui dire :
« Président, nous sommes en train de perdre notre entraîneur.
Il en est déjà à trois réunions avec le Benfica !
Demain matin, venez et on en discute, m’a-t-il répondu.
Demain, ce sera trop tard ! Il faut que ce soit fait aujourd’hui.
Mais ce soir, je ne peux pas, c’est mon anniversaire, j’ai des
invités… »
J’ai insisté et on s’est mis d’accord sur un plan : quand ses
invités seraient partis, il descendrait promener son chien,
Dragão, et je lui ferai des appels de phare pour signaler notre
présence [on est dans un film ou pas ?]. J’ai pris ma voiture, j’ai
récupéré Mourinho et nous sommes montés à Porto. Pinto da
Costa faisait mine d’être fatigué auprès de ses convives mais le
dîner s’éternisait. Il est descendu de chez lui après minuit. On
est montés chez lui et en une heure et demi, on avait trouvé un
accord. » Le deal porte alors sur la saison à venir (2002-2003).
Le jour suivant, l’União de Leiria dispute un amical face au
Riachense ; dernière séance avant la coupure hivernale. Une
cohue de journalistes s’est agglutinée à Riachos. Ils sont loin de
se douter du film qui s’est déroulé durant la nuit, à Porto. La
presse est toujours persuadée que Mourinho est en passe
d’être annoncé au Benfica. Mais José va tous les calmer :
« Après l’agitation de ces derniers jours qui a fini par être
désagréable, j’ai décidé de récupérer ma tranquillité. Je me suis
réuni avec mes joueurs et je leur ai dit que je continuerai à
l’União de Leiria jusqu’à la fin de la saison, mettant ainsi fin aux
questions liées à d’hypothétiques propositions. » Mourinho
explique encore qu’il a demandé à l’un de ses dirigeants de lui
faciliter un éventuel départ « en cas d’offre intéressante, en fin
de saison ». Le discours est bien préparé. Les dirigeants du
Benfica le sont beaucoup moins.
A la Luz, où l’on commence à avoir écho de ce qui s’est tramé
chez Pinto da Costa la veille, les Aigles sont à poils. Les mots
du Mou – qui ne répond plus aux appels de Veiga depuis deux
jours – mettent un terme aux négos. Baidek et Mourinho se
doutent que les Encarnados ont dû voir rouge et préfèrent
esquiver. « On savait que la pression serait immense et on s’est
isolés, confie l’agent. On est partis, lui et moi, à Vigo. José
Veiga et Carlos Janela [directeur de la Superfute] se sont
pointés chez lui. Ils le cherchaient. Ils sont allés à la rencontre
de Brito, son adjoint, pour lui demander où Mourinho était parti.
José a reçu un appel de sa femme. Il entendait ses enfants
pleurer, derrière. C’était tendu. »
Jesualdo : « On a raconté tellement de
mensonges… »
Au SLB aussi, c’est raide. Le raid. Quelques heures après les
déclas de José Mourinho, Jesualdo Ferreira est nommé
entraîneur principal du Benfica. Le Professor est devenu
l’incarnation de la cause du non-retour de Mourinho à la Luz.
« Je ne sais même pas de quelle histoire il s’agit, commente-t-il
vingt ans plus tard. Personne ne savait ce que je faisais au
Benfica à l’époque. » Jesualdo qui remportera six trophées avec
le FC Porto entre 2006 et 2010 explique : « J’avais un contrat
avec le Benfica en tant que deuxième entraîneur de la structure
professionnelle du club. Le poste d’entraîneur principal n’allait
donc pas m’affecter, c’était d’ailleurs une clause contractuelle,
sinon je ne serais pas retourné au Benfica. Quand j’y suis
revenu pour la troisième fois, j’avais déjà été champion à deux
reprises en tant que membre du staff. »
L’expérimenté entraîneur ressent-il une douleur quant à la
posture de Mourinho ? Il rétorque : « Douleur, de quoi,
pourquoi ? Je ne peux pas vous répondre puisque pour moi la
question ne s’est pas posée. Il n’est pas allé au Benfica mais à
Porto, il n’y a donc pas eu d’incidence sur moi. [...] On ne m’a
jamais proposé d’être l’adjoint de Mourinho, lance Jesualdo. Si
on lui en a parlé à lui et pas à moi, je n’y peux rien. »
« On a raconté tellement de mensonges à ce sujet, souffle-t-il.
Je ne sais pas si Mourinho m’a voulu ou pas comme adjoint. Je
ne sais même pas si Mourinho a voulu aller au Benfica. On peut
dire ce qu’on veut mais ce que je sais, c’est qu’il est allé au FC
Porto et pas au Benfica. »
En route pour Porto
L’accord initial entre Porto et Mourinho porte sur la saison
2002-2003 mais les choses vont bientôt s’accélérer. Après les
fêtes, José est, comme il l’a annoncé, aux commandes de
l’UDL. Il y poursuit sa belle série d’invincibilité. Au 21 janvier, à
l’issue de la 19e journée, les Portistes qui viennent de perdre
leur derby face au Boavista (0-2) pointent à la cinquième place
du championnat, derrière… Leiria. L’UDL vient d’arracher un 1-1
aux Açores, face au Santa Clara de Manuel Fernandes. C’est la
“der” de José pour Leiria. Óctavio Machado est remercié par
Porto. Ancien joueur du Vitória de Setúbal et du FC Porto,
Octávio a été adjoint chez les Dragons entre 1984 et 1992,
avant de s’engager au Sporting. En 2001, il est nommé
entraîneur du FCP. Très vite, l’ambiance se crispe autour de lui.
Machado est plutôt grande gueule. Sans filtre. Quatre jours
après les attentats du 11 septembre 2001, en marge du clássico
face au Benfica (0-0), il balance : « Ce qui ne va pas dans le
football portugais c’est qu’on transforme ces figurines en de
grandes figures mais l’heure viendra aussi pour ces Ben Laden
du football. » Il ne précise pas à qui il fait allusion mais ses
multiples attaques, à l’encontre de Jorge Mendes, offrent
quelques indices. Ces déclarations provoquent en tout cas, un
certain malaise. Les performances de son FCP ne vont pas
l’aider. « Les mauvais résultats se sont accumulés et Octávio
Machado s’est retrouvé sur la sellette, se souvient Jorge
Baidek. Le président m’a appelé : « Il faut anticiper la venue de
Mourinho. » J’ai donc joint Mourinho pour lui dire : « Après ton
match contre Santa Clara, tu pars à Porto. » On s’est réunis
avec les dirigeants de Leiria à Mealhada. »
Et à Melhada, ça discute pas mal. Porto est pressé. L’UDL,
beaucoup moins. Mourinho est sous contrat. Contrairement à
certaines versions et, à en croire le président leiriense João
Bartolomeu, il n’a pas de clause libératoire : « Je vous donne
ma parole qu’il n’avait aucune clause. Il avait un contrat d’un an.
Il est parti à Porto à mi-saison mais l’União de Leiria n’a reçu
aucune indemnité. Pinto da Costa et moi avons trouvé un
accord sans que Porto n’ait à payer de compensation à Leiria. »
Mourinho va donc entraîner un troisième club en l’espace d’un
an. C’est beaucoup. C’est même « trop », concèdera le principal
concerné dans un entretien à AS, en janvier 2002. Mais cette
situation, il l’a subie en partie. Comme il le rappelle au quotidien
sportif espagnol : « J’étais enchanté au Benfica mais mon
candidat [Vale e Azevedo] a perdu les élections et j’ai dû partir.
J’étais en train de construire l’équipe que je voulais mais je n’ai
pas pu la terminer. » C’est le FC Porto qui va lui offrir cette
possibilité de bâtir.
A cette époque, Antero Henrique – lequel est en charge des
relations externes du FCP – n’est pas encore impliqué dans le
recrutement des Dragões mais il se souvient de cette arrivée
anticipée. « Avant de signer au FC Porto, un autre club de top
au Portugal voulait Mourinho et ils ont misé fort pour tenter de le
convaincre. Mais Mourinho a bien senti que Porto avait le profil
qui lui convenait le mieux, il connaissait bien le club et le
président Pinto da Costa. Aujourd’hui encore, je doute qu’il eût
pu connaître un profil aussi proche de ce qu’il défend ailleurs
qu’au FC Porto. » Cet « autre club de top » est le Benfica.
« Il a pris les joueurs dans ses bras et s’est mis à
pleurer »
Sans entrer dans les détails, José Mário ne laisse pas les
joueurs de Leiria à l’écart de sa situation. « Il n’était pas de ces
entraîneurs fermés qui ne disait rien à son groupe, dit Luis
Vouzela. On était tristes de le voir partir mais heureux pour lui. »
Micas poursuit : « Il nous maintenait toujours au courant, ne
serait-ce que parce que la presse ne cessait d’en parler. Il nous
réunissait et il nous expliquait ce qu’il se passait et des
possibilités qu’il avait, des conditions qu’il imposait : les joueurs
qu’il voulait emmener et la question de l’adjoint qu’on souhaitait
lui imposer. Il ne donnait pas de noms mais par la suite, on a
compris de qui il parlait. Il nous disait que si ses conditions
étaient respectées, il irait au Benfica mais que sinon, il n’irait
pas et resterait à Leiria. C’est alors que Porto surgit. Et là, ce fut
rapide. »
Le départ de Mourinho – déjà acté en coulisse – est une fatalité.
« Nous savions qu’il allait partir parce que l’équipe tournait bien
mais on ne savait pas quand, ni où, lance l’attaquant Maciel. Et
puis, un jour, il nous annoncé qu’il n’allait probablement plus
entraîner l’équipe et que c’était sûrement ses adieux. » « Ce fut
un choc même si on savait que ça arriverait tôt ou tard, reprend
Micas. Certains de mes amis me rappellent qu’à l’époque je
disais déjà qu’il serait l’un des meilleurs du monde. On a senti
de suite qu’il ne resterait pas là-bas longtemps. » Le défenseur
qui n’a alors que 20 ans se souvient du dernier jour du Mou :
« Il a fait son dernier entraînement. Nous savions qu’il allait
partir à Porto. Il a pris les joueurs dans ses bras et s’est mis à
pleurer. Il était ému et nous aussi. Il est revenu ensuite payer un
dîner aux joueurs. »
Certains d’entre eux vont le rejoindre, dans quelques mois, à
Porto. Et ils s’en doutent déjà. « Un matin, il est arrivé à
l’entraînement, il nous a dit : « Peut-être que d’ici peu, il va se
passer quelque chose et que je vais partir. Je ne peux pas le
faire avec tout le monde mais si je peux, j’emmènerai certains
d’entre vous avec moi. » raconte Derlei. Le Brésilien le suivra
dans le nord du Portugal, tout comme Maciel, Tiago et Nuno
Valente. « Il m’a dit que, là où il irait, il m’emmènerait avec lui,
qu’il avait confiance en moi, confie ce dernier. Et ça s’est
confirmé. Lorsqu’il s’est engagé avec Porto, il a demandé aux
dirigeants portistes de me faire venir la saison suivante. »
Le président de Leiria João Bartolomeu, y voit une certaine
« logique » : « Il a pris les meilleurs. On a trouvé un accord et le
FC Porto a payé ce qu’il devait payer pour ces joueurs. »
Comme le faisait son père dans les différents clubs où il est
passé, José Mourinho s’entoure de joueurs et d’hommes sur
lesquels il sait qu’il peut compter. Une façon de faire dont il se
sert comme moyen de communication et de motivation. Début
décembre 2001, avant d’affronter un Benfica en plein doute, il
déclare sur le site de l’União : « Je serai champion avec l’actuel
effectif du Benfica et deux ou trois joueurs de l’União de Leiria
que j’y emmènerai. » Des mots jugés « peu éthiques » par Toni
qui lui avait succédé sur le banc du SLB. Au-delà du bon point
(1-1) glané aux Aigles, José donne le ton, un indice. « Le fait est
qu’il a emmené trois joueurs avec lui au FC Porto et il y a été
champion… », remarque Paulo Duarte.
En attendant, les Leirienses vont devoir terminer leur saison. Et
le départ du Mou est dur à vivre. « Ça a été difficile pour moi
mais ce qui prévaut c’est l’avenir des personnes, philosophe le
président Bartolomeu. Mourinho réalisait une saison
extraordinaire. » Quatrième au moment où il se barre, Leiria va
terminer la saison à une honorable septième place en
championnat. Et ce n’est finalement pas si mal, tant l’après-José
a été agité.
L’après-José
A Leiria, le successeur de José Mourinho n’est autre que
Mário Réis. Celui qui avait remplacé son père au Rio Ave, au
Noël 1984. Le pire souvenir foot de José Mário… « Depuis le
temps où j’ai succédé à son père au Rio Ave, j’ai eu l’impression
que quelque chose l’avait gêné, confie ce dernier. On était très
amis mais on n’a jamais reparlé de cela. J’ai beaucoup de
considération pour Zé et son père. » Les deux hommes
échangent quelques mots lorsque José revient payer son dîner
d’adieu. Le nouvel entraîneur du FC Porto a pris soin de convier
l’ensemble des joueurs et du staff (nouveau et ancien) de
l’União de Leiria.
Réis qui a déjà mené l’UDL à la sixième place de la I Divisão en
1998-1999 débute par un succès sur Paços de Ferreira (2-1).
Ce sera le seul. Il enfile quatre défaites face au Sporting (1-4),
Boavista (0-1), Marítimo (0-3) et Varzim (0-1) et se fait lourder.
« Mário Réis n’a pas réussi à s’imposer, ce n’était pas facile
pour lui, analyse Luís Vouzela. L’équipe avait pris des
habitudes, avec des méthodes différentes et, inconsciemment,
certains n’ont pas accepté le départ de Mourinho. Et puis le
calendrier n’était pas favorable. On a joué contre de grosses
équipes et on a perdu. » Pour le jeune Micas Pedrosa, « ce fut
un choc positif lorsque Mourinho est arrivé et un choc négatif
lorsqu’il est parti. Mário Réis a fini par en être victime. »
Même lecture de la part de l’expérimenté Paulo Duarte : « Mário
Réis était un grand entraîneur mais d’une autre génération.
Il avait réalisé du très bon travail à Leiria quelques années
auparavant : mais l’avoir choisi pour succéder à Mourinho…
Mário Réis est un homme merveilleux mais ses concepts
d’entraînement étaient totalement différents. Mourinho était
tellement en avance qu’on a eu l’impression de revenir en
arrière. Ce fut un choc. Le groupe s’est divisé et Réis n’en est
pas le responsable. Les joueurs ont accusé le coup. Ils se sont
mis à discuter sur tout et n’importe quoi. Ils étaient frustrés. »
Duarte garde une scène en mémoire illustrant cette frustration
et cette transmission ratée : « Aujourd’hui, je peux le dire, je me
souviens à l’époque d’être entré dans le vestiaire et de voir
l’équipe complètement retournée. J’ai assisté à des agressions
entre coéquipiers. Nous avions pourtant l’un des meilleurs
groupes de l’histoire du club mais des tensions sont nées après
le départ de José Mourinho. »
Son beau-père, le président de l’UDL, a sa part de
responsabilité. Peut-être aurait-il dû suivre les indications de
Mourinho au moment où il l’a sollicité, car lorsque José s’en va,
João Bartolomeu lui demande qui il verrait pour lui succéder.
« Et Zé Mourinho lui a indiqué mon nom, livre Vítor Pontes, l’un
des adjoints du Mou. Ce fut une surprise pour Bartolomeu. Moi-
même, je n’ai su que plus tard qu’il m’avait recommandé.
Bartolomeu l’a entendu mais il n’a pas voulu suivre son
conseil. » Alors, il limoge Réis, un mois seulement après l’avoir
nommé. « Faute de résultats, João Bartolomeu a décidé de
licencier Mário Réis et le président m’a demandé si je voulais
prendre l’équipe jusqu’à la fin de la saison, poursuit Pontes.
Mon premier match officiel a eu lieu au estádio da Luz. On s’est
imposés 2-0. C’est, à ce jour, la seule victoire de l’histoire de
l’União de Leiria dans le stade du Benfica. » Et ce n’est pas
tout : « Trois semaines plus tard, j’ai affronté Mourinho, à
Marinha Grande et on a fait match nul 1-1 contre son Porto. Les
choses se sont bien passées pour moi. A la fin de cette saison,
je suis toutefois repassé adjoint de Manuel Cajuda. L’année qui
a suivi (2003), je suis redevenu entraîneur principal. Zé
Mourinho a, de fait, eu une grande influence dans ma carrière. »
Vítor Pontes, « Le disciple »
Dans sa biographie, parue en 2004, voilà ce que Mourinho
écrit sur Vítor Pontes : « Si je devais désigner un de mes
disciples, le premier nom que je marquerais serait celui de Vítor
Pontes. » « Je ne me suis jamais revendiqué comme étant le
prochain José Mourinho, commente l’intéressé. Je lui suis très
reconnaissant de m’avoir recommandé comme entraîneur de
Leiria, j’ai beaucoup appris avec lui, mais Mourinho est unique.
Je ne prétends pas être le nouveau Mourinho. »
Entraîneur-principal de l’UDL entre 2003 et 2005, l’ancien
gardien de but filera ensuite au Vitória de Guimarães. Et dans la
cité-berceau, les choses se gâteront. « Le football est complexe,
souffle-t-il. Quand Mourinho a quitté Leiria, j’ai connu une bonne
phase dans ma carrière, j’étais en pleine ascension, mon travail
était reconnu. Après mon passage à Guimarães, tout s’est
refroidi. » Pontes héritera d’un groupe en plein doute et finira
par prendre part à la pire saison de l’histoire du Vitória Sport
Clube depuis 50 ans. En 2005-2006, l’équipe – laquelle aura
d’abord eu Jaime Pacheco pour coach – sera reléguée en
deuxième division. « Je ne voulais pas y aller, non pas à cause
du Vitória qui est un club fantastique, avec des supporters
incroyables, mais mon agent à l’époque, Jorge Mendes, a
insisté pour que j’y aille, explique Mister Pontes. J’ai fini par plier
et ça s’est mal passé. Il y a eu un changement de président, des
guerres internes, ce fut très compliqué, terrible. L’équipe a été
reléguée. » Pontes poursuivra au Portimonense (en D2
portugaise) et effectuera une pige à Leiria (2011) avant
d’émigrer au Mozambique et en Chine. Entre-temps, José
Mourinho aura déjà éclaté aux yeux du monde, grâce à ses
succès au FC Porto.

FC Porto, le grand saut


En l’espace de trois jours, le FC Porto va changer d’ère et
initier, sans doute la plus fastueuse de son existence, déjà plus
que centenaire. Un règne qui permettra à José Mourinho de
s’autoproclamer « Special One ». Le 21 janvier 2002, au
lendemain du revers face au Boavista (0-2), Óctavio Machado
quitte ses fonctions d’entraîneur de l’équipe première « d’un
commun accord ». Une réunion se tient à Mealhada entre
dirigeants des Dragons, de l’União de Leiria et Mourinho ; et ce,
afin de trouver un accord pour que celui-ci prenne, au plus vite,
les rênes des Dragons. Le Mou lâche à la presse, campée là
depuis de longues heures, qu’il « ne manque plus que quelques
détails ».
Deux jours plus tard, la SAD (Société Anonyme Sportive) du FC
Porto, cotée en bourse, communique au marché la signature de
Mourinho. Et ce, pour deux saisons et demie. Lorsque José
débarque, outre son élimination en quarts de Coupe du
Portugal, le FCP est cinquième du championnat après 19
journées, à 7 points du leader le Sporting. Les Dragons sont
alors juste derrière… l’União de Leiria. « Même si hier encore
j’entraînais le quatrième de la I Liga, le FC Porto est le FC Porto
et revenir dans cette maison est un rêve que je poursuivais »,
déclare celui qui fut adjoint de Robson chez les Dragões, entre
1994 et 1996.
Les premiers mots du Mou en tant qu’entraîneur du FC Porto
résonnent telle une promesse, une prédiction : « J’ai la
conviction que la saison prochaine nous serons champions mais
2002-2003 ne nous intéresse pas pour l’instant et c’est ce que
j’ai dit aux joueurs. » Deco, arrivé à Porto en 1999, se
remémore les premiers instants de Mourinho dans le vestiaire.
« Ce fut un discours pour le groupe, il fut très direct, dévoile-t-il.
Il nous a dit qu’il était convaincu qu’on allait se qualifier pour
l’UEFA ; qu’il savait déjà à peu près sur qui il voulait compter
pour la saison suivante mais que tous étaient en phase
d’observation, qu’il avait quatre mois pour décider de qui
resterait ou pas. Parce que l’année qui suivrait on serait
champions. » Tout comme Deco, Francisco da Costa, dit
Costinha, est déjà là. Et comme Deco, le milieu de terrain
deviendra un élément-clé du Porto de Mourinho. « Le discours
qu’il nous a tenu dès les premiers jours a été assez clair,
confirme-t-il. Il nous a dit qu’il était venu pour triompher, que
notre classement était difficilement récupérable mais que notre
obligation était de faire le mieux possible et de ne plus perdre. »
L’audace et la classe. Le jour de sa présentation, Mourinho a
enfilé un costard bleu foncé barré de fines rayures bleues. Un
« costume à la Porto », relate la presse locale. José a le souci
du détail. Porto, comme ses rivaux, cultive une forme de
fétichisme pour ce type de symboles. Ce jour-là, Mourinho est
escorté par son staff : Baltemar Brito et Rui Faria qui étaient
avec lui à Leiria, ainsi que Silvino (entraîneur des gardiens),
André et Aloísio, anciens joueurs emblématiques du club et
membres de la structure du FCP. « André, Aloísio et Silvino
seront importants pour que je puisse avoir connaissance de
tous les joueurs », déclare José. Carlos Mozer, son compagnon
de la première heure au Benfica, qui ne l’avait pas suivi à Leiria,
n’en est pas. « Ça aurait été difficile pour lui de faire venir un
benfiquiste, dans l’esprit de certains supporters, commente le
Brésilien. J’ai l’étiquette benfiquiste et j’en suis fier. On en a
parlé et j’ai senti que cela aurait pu poser problème. » Les
symboles…
Le nouvel entraîneur du FC Porto promet « de mettre en place
un football d’attaque, une fois qu’il aura été systématisé. » Et il
affirme : « Les joueurs ont déjà commencé à comprendre ma
philosophie. Il suffit de voir comment jouait l’União de Leiria
pour comprendre qu’il ne ferait aucun sens, avec ces joueurs,
de changer ma philosophie en un modèle plus défensif. » Dit de
cette façon, cela semble simple et évident. Pourtant, le contexte
et les résultats sont compliqués. De plus, le mercato est fermé.
Mourinho refuse toutefois d’épiloguer sur ce point : « Les
inscriptions sont terminées et je ne veux plus parler de ça. Mon
effectif est celui-ci. »
« Il était devenu un leader, c’était impressionnant »
La venue du Mou semble soulager ce « vestiaire » portiste
qu’Octávio peinait à chérir. « Quand Mourinho est arrivé, il a
apporté une bouffée d’optimisme, se souvient l’offensif brésilien,
Clayton. Nous étions dans une saison difficile et l’ambiance
n’était pas bonne. Il est arrivé à point nommé. »
José Mário ne vient pas : il revient, par la grande porte ! Hasard
du calendrier, il retrouve les Antas huit ans, quasi jour pour jour,
après son premier passage en tant que membre du staff de
Bobby Robson. « Pinto da Costa n’aurait pas pu faire meilleur
choix, lance alors le technicien anglais. José est devenu un
grand entraîneur. Il était un bon élève et une bonne personne. »
L’élève est devenu un maître. Sans complexe. Ils sont
quelques-uns à assister à cette évolution. Le latéral droit et
international portugais, Carlos Secretário qui a connu Zé Mário
adjoint de Robson fait maintenant connaissance avec Mister
Mourinho. « Il était devenu un leader, c’était impressionnant,
lance celui qui avait entre-temps affronté le José, sauce catalane,
lorsqu’il portait le maillot du Real Madrid. Il était très organisé.
Il valorisait toujours ses joueurs. »
Ancien milieu offensif de la Juventus ou de Monaco, Rui Barros
a stoppé sa carrière de joueur en 2000 au FC Porto où il a initié
sa reconversion. « Quand Mourinho est revenu à Porto comme
principal, je n’étais plus sur le terrain mais j’assistais à ses
matches, ses entraînements, dit-il. Il avait une incroyable
capacité à résoudre les problèmes qu’il allait rencontrer pendant
le match. Ce qu’il travaillait et annonçait à l’entraînement se
produisait presque toujours le jour de la rencontre. Il lisait les
adversaires comme personne. Ses explications étaient
détaillées. Et comme ce qu’il disait se vérifiait à chaque fois, les
joueurs le suivaient jusqu’à la mort. Il y avait une parfaite
compréhension de son discours de la part des joueurs. Ce qui
n’est pas toujours le cas. Il savait se faire comprendre. » La
communication est l’une de ses meilleures armes.
Ces gars, pour certains, l’avaient connu en tant que « Zé
Mário » ou « Prof », en tant que second de Bobby Robson.
Comment l’appellent-ils maintenant qu’il est devenu le número
um ? « Lors de son premier jour, au petit déjeuner aux Antas,
Paulinho Santos127 lui a demandé comment il voulait qu’on
l’appelle, confie Secretário. Il a répondu : « Appelle-moi comme
tu veux. » La plupart d’entre nous l’appelait Mister, parce qu’on
avait du respect pour lui. »
« Certains le tutoyaient même, se souvient le jeune offensif
Pedro Oliveira. Il avait une relation spéciale avec les Baía,
Costinha, Maniche, Jorge Costa, Paulinho Santos… Il savait
qu’ils étaient le vestiaire. C’étaient aux joueurs recrutés de
s’adapter au FC Porto et au groupe, pas l’inverse. »
« Pour lui, dire « tu » ou « vous » n’était pas le plus important,
reprend Secertário. Le respect ne passe pas nécessairement
par le vouvoiement. »
Déjà, un clássico
Si la presse s’attarde sur sa « conviction » d’être champion la
saison suivante, José Mourinho, lui, est obsédé par ce qui
l’attend, maintenant. Ses promesses portent sur cet instant :
« Nous promettons de débuter chaque match avec l’objectif de
gagner et de penser au présent. Et le présent, pour nous, c’est
le match face au Marítimo. »
Trois jours seulement après son intronisation, Mourinho reçoit
les Lions de Madère, toujours dirigés par son ancien prof de
l’ISEF, Nelo Vingada. Il débute par une victoire 2-1, grâce à
CSC de Briguel et un but d’Hélder Postiga. Porto enchaîne à
Varzim (1-0, sur un péno de Deco) et le 10 février, José vit
(déjà) son premier clássico ; son premier FC Porto – Benfica.
José avait déjà recroisé son ex lorsqu’il était en couple avec
Leiria. Mais là, c’est une autre histoire. Il retrouve Manuel
Vilarinho, le président du Benfica, qui n’avait rien fait pour le
retenir, ni vraiment tout pour le faire revenir. Et cela en tant
qu’homme fort de son plus grand rival. Qui plus est, au coup
d’envoi de la 22e journée du championnat, Aigles et Dragons
sont à égalité, à 7 points des Lions, rois de cette Liga. Epique…
Et des piques ! Dans la semaine qui précède ce duel, Vilarinho
s’enflamme et pronostique un 3-0 pour son équipe. José fait
quoi ? « Il a fait faire des photocopies de l’interview et l’a
affichée dans le vestiaire, se marre son adjoint Baltemar Brito.
Il faisait souvent cela. Si un joueur ou un dirigeant adverse
parlait dans la presse, il utilisait cela comme un élément de
motivation pour ses propres joueurs. Il savait qu’à Porto, même
à Leiria et à Chelsea, il avait un groupe avec un mental très
fort. » Vilarinho se dit d’abord qu’il a vu juste. Son SLB mène 1-
0 mais… finit par s’incliner 3-2.
Mourinho s’impose ensuite 4-1, chez lui, à Setúbal. C’est un
sans-faute pour l’instant : quatre succès en autant de
rencontres, dont le choc face au Benfica. Voilà un autre gros
morceau. Lorsqu’il était à la Luz, José avait eu un avant-goût de
l’Europe avec la Coupe de l’UEFA. C’est maintenant la Ligue
des champions qui l’attend. Il a connu la compétition en tant
qu’adjoint. Désormais, il est en première ligne, parachuté dans
la deuxième phase de groupe de C1. Porto reste sur un nul face
au Panathinaïkos (0-0) et une défaite face au Sparta Prague (0-
1). Le premier adversaire du Mou en Champions est… le Real
Madrid.
Son baptême en C1 face Madrid : « Je continue
d’être Culé »
A l’approche de ce Real Madrid – FC Porto, médias portugais
et espagnols s’attardent sur le retour de José Mourinho en
terres espagnoles, qui plus est, madrilènes. Parce que José est
encore très marqué par ses quatre années de service au Barça.
Celui qui incarnera la Casa Blanca entre 2010 et 2013 porte et
assume, avant cette date, l’étiquette de Barcelonais. Record
prédit : « L’ex-Culé aura une ambiance peu accueillante à
Chamartín128 ». En Catalogne, El Mundo Deportivo titre :
« Mourinho contre Madrid ». Mourinho a un doute et redoute :
« Réussir quelque chose au Bernabéu est une mission
impossible. Ça me fait mal de le reconnaître parce que je suis
l’entraîneur du FC Porto et parce que je continue d’être Culé
mais c’est comme ça. »129
La team du Mou pédale plutôt pas mal mais l’arrivée est encore
loin et la pente qui se présente est de première catégorie. Dans
un entretien d’avant-match accordé à AS, Mourinho affirme être
« dans le pire moment du FC Porto depuis vingt-six ans ». Il se
réfère à la saison 1975-1976 à l’issue de laquelle les Dragons
ont terminé quatrième du championnat. Porto a, depuis, toujours
figuré sur le podium. Au moment où il s’exprime, Mourinho y est
mais il sait que sa place reste encore fragile. Et il y a donc ce
match (ces matches même, puisque le retour est proche) de C1
face au Real Madrid. Celui de Raúl, Figo ou Zidane qui
s’imposera en finale, face au Bayer Leverkusen, avec
notamment, un chef d’œuvre du Français.
Porto va s’incliner à Madrid mais le Real va souffrir, comme Figo
et Guti, blessés en première période. Les Madrilènes attendront
la 83e et un pion de Solari pour s’imposer. Mourinho vit là sa
première défaite au FCP. Dans la foulée, il rechute face au
Beira-Mar (2-3) et perd de nouveau en Ligue des champions
face à Madrid (1-2).
Ouvrir les entraînements après les défaites
Le FC Porto pense stopper l’hémorragie en s’imposant à
Salgueiros (3-0) mais il prend une autre claque. Et elle pique :
Porto encaisse un 3-0 à Belém. Le prometteur Hélder Postiga
est exclu en toute fin de rencontre et Mourinho voit rouge.
Il pousse une gueulante dans le vestiaire (il y en aura d’autres).
La liaison entre le buteur, tout juste majeur, et son entraîneur est
compliquée. L’attaquant brésilien, Clayton, se souvient d’une
« discussion dans le vestiaire » : « Benni McCarthy130 était
absent. Postiga a joué et il a raté deux buts alors qu’il aurait pu
passer le ballon à un coéquipier. Le lendemain, lors de la
séance de visionnage, Mourinho lui a fait remarquer qu’il aurait
pu, dû, faire un autre choix. Postiga lui a dit : « Pourquoi vous
ne dites rien à Benni ? » Mourinho a répondu : « Quand tu
auras marqué autant de buts que Benni tu pourras faire ce que
tu veux ! » »
Reste qu’après ce 0-3 au Restelo, dès début mars, José
Mourinho dénombre déjà autant de défaites (4 au total) en 9
matches à la tête du FCP qu’en 20 avec l’U. Leiria. Il prend
alors une décision forte et inhabituelle. Les grands clubs
portugais sont plutôt du genre à cultiver la discrétion et le
blackout à l’encontre des médias et de l’opinion publique,
surtout en période de crise. José va une fois encore à contre-
courant et décrète les séances ouvertes à chaque lendemain de
défaite. Sans prévenir personne. « On est arrivés à
l’entraînement après avoir perdu et le public était là, se
remémore Clayton. A vrai dire, j’avais déjà connu cela au Brésil.
Quand Mourinho a fait cela, il a voulu montrer aux supporters
que personne n’était là pour s’amuser. Celui qui souffre le plus
après une défaite et un mauvais match, c’est le joueur. »
« Le groupe a bien réagi, assure l’expérimenté Carlos
Secretário. Certains n’étaient peut-être pas habitués mais tout le
monde a accepté qu’il fallait assumer cette décision. Avec lui,
on sentait passer les victoires mais encore plus les défaites. On
en a peu vécues mais quand cela se produisait, dans le bus,
c’était une ambiance d’enterrement. Personne ne parlait. En
réalité, il nous responsabilisait. »
L’adjoint de José, Baltermar Brito, commente : « Les joueurs se
sont mis à avoir honte de perdre. Bien sûr qu’ils éprouvaient
déjà ce sentiment mais leur subconscient était encore plus
touché, encore plus motivé par la victoire. C’était, là encore,
quelque chose de nouveau qu’il mettait en place, au bon
moment. Cela a très bien fonctionné. »
Porto se reprend en s’imposant 2-1 contre le Panathinaïkos en
C1. Une qualif en quarts est même encore jouable ! Le scénario
est assez simple et loin d’être impensable : lors de la dernière
journée, il faut espérer un faux pas des Grecs face au Real et
s’imposer à Prague, contre le Sparta. Juste avant de partir en
République Tchèque, le FCP lâche un triste 0-0 contre Alverca.
Et, chez les Tchèques, c’est l’échec. Le FCP s’incline (0-2) et
termine dernier du groupe. Encore un nul dans la foulée, un peu
plus spécial celui-ci puisqu’il s’agit de Leiria (1-1), coaché par
Vítor Pontes. Certains supporters leirienses n’ayant pas digéré
le départ précipité de Mourinho l’accueillent à coups d’insultes
et de sifflets. José a d’autres chats à fouetter. Le onze qu’il a
aligné donne des indices sur la saison qui arrive. Le technicien
a déjà tranché. Il sait sur qui il va compter. Et il l’a annoncé à
ses joueurs. Face à l’UDL, il teste aussi pour la première fois le
4-4-2. Lui, l’adepte du 4-3-3, a trouvé une alternative qui
s’avèrera bientôt décisive.
Le FC Porto conclut sa saison avec sérieux et brio : six victoires
de rang, dont un 4-0 à Braga qui avait éliminé le FCP en Coupe
du Portugal, juste avant la venue de Mourinho. Les Dragons
terminent sur le podium, à 7 unités du champion : le Sporting. Ils
sont surtout deux points derrière le Boavista, et ratent la Ligue
des champions… Maigres consolations : la Supertaça
remportée en août 2001 – par Octávio Machado – évite une
saison blanche et le Benfica, son ex et maintenant son rival, est
resté derrière à 5 points.
L’heure du premier bilan
Au terme de ses six premiers mois à Porto, Mourinho peut
établir un premier bilan et préparer son mercato en vue d’une
saison 2002-2003 pour laquelle il avait prédit un titre de
champion. Beaucoup de mouvements sont opérés au cours de
l’été 2002. A commencer par les départs. Une quinzaine de
joueurs quittent le FCP. Parmi eux, Pena. Le Brésilien, meilleur
buteur de la Liga portugaise un an plus tôt, part à Strasbourg à
la fin d’une année assez terne. « Au moment où José Mourinho
est arrivé, je voulais déjà quitter le FC Porto, assure-t-il. J’avais
un problème lié à un agent qui m’avait pris plus de 800 000
euros, à l’époque. Or, j’avais des engagements à respecter au
Brésil et une offre me permettant de résoudre ce souci est
venue de France. Le FC Porto a été loyal envers moi. J’avais
besoin de partir. » Et à en croire Pena, Mourinho a eu de la
peine : « Il voulait que je reste. On était déjà proches avant qu’il
vienne. Il disait qu’il voulait travailler avec un attaquant comme
moi. Il aimait bien les attaquants rapides, puissants. Au cours de
sa carrière, il a pris Benni McCarthy, Drogba… » L’ancien joueur
du Palmeiras nourrit quelques regrets aujourd’hui : « Même si
j’ai travaillé peu de temps avec lui, j’ai eu le temps d’apprendre
beaucoup. Etant donné la façon dont il jouait, je suis convaincu
que j’aurais eu bien plus de lignes sur mon palmarès. Mais Dieu
n’a pas voulu qu’il en soit ainsi. » Pena s’envole, tout comme
Jorge Andrade vendu à La Corogne, ou Paredes parti en Italie.
Le FCP engrange quelques millions mais le président Pinto da
Costa ne fait pas de folies pour autant. Porto recrute mais, faute
de moyens, il va devoir être malin.
Lorsqu’il menait l’União, José avait déclaré (non sans fracas) :
« Je serai champion avec l’actuel effectif du Benfica et deux ou
trois joueurs de l’União de Leiria que j’y emmènerai. » Et bien il
va mettre ses paroles à exécution à un (gros) détail près : il va
le faire avec le FC Porto. Mourinho fait venir trois joueurs dans
ses bagages : le latéral Nuno Valente, le buteur Derlei et le
milieu Tiago. « Aucune différence » entre le Mourinho de Leiria
et celui de Porto, assure le trio. « C’était le même, il était
toujours ambitieux, sauf que là il avait un meilleur effectif,
développe Nuno Valente. Être à Leiria et être à Porto sont deux
choses différentes, la distinction est surtout là. L’exigence est
autre mais comme il voulait vaincre et qu’il était exigeant ça lui
allait parfaitement. »
« La pression des médias et des supporters étaient bien
différentes mais il avait déjà connu ça au Benfica », poursuit
Derlei.
A l’image de ces trois piliers de l’UDL, Mourinho va recruter
local : Paulo Ferreira – qui le suivra ensuite à Chelsea – du
Vitória de Setúbal, Pedro Emanuel du Boavista, Bruno du
Marítimo, ou encore Maniche. Ah, Maniche ! L’histoire de la
rivalité des grands clubs portugais a souvent été rythmée par
les transferts. FC Porto, Benfica et Sporting aiment se « voler »
des joueurs. Faire venir un footballeur sur lequel l’autre lorgne,
ou, « mieux » encore, débaucher l’un des leurs. Le FC Porto qui
avait déjà récupéré Deco au Benfica, va faire de même en 2002
avec Maniche. Le milieu de terrain, formé chez les Aigles, est
en froid avec ses dirigeants depuis de longs mois. Il est mis de
côté et n’a pris part à aucun match officiel en 2001-2002.
Il reçoit pourtant un appel du Mou qui, dit-il dans sa bio, le
« surprend ». Les deux hommes s’étaient croisés à la Luz lors
des débuts de l’entraîneur en tant que principal131. Ce fut parfois
tendu mais José n’a pas oublié la force de caractère de celui qui
deviendra l’un de ses piliers.
L’équipe de Mourinho prend forme. Elle n’a pas demandé de
gros investissements. José a fait sa sélection en interne et a
ciblé ses besoins. L’attaquant lituanien, Jankauskas, prêté par
Real Sociedad au Benfica en 2001-2002, vient s’ajouter ; tout
comme le gardien de but, Nuno Espírito Santo, en provenance
du Depor. Sans oublier César Peixoto, du Belenenses. Ô
César !
Peixoto : « Une relation d’amour-haine »
César Peixoto est une espèce de talent indompté. A 22 ans,
ce polyvalent joueur de couloir est capable de cavaler dans la
peau d’un latéral comme dans celle d’un attaquant. Natif de
Guimarães où il a initié sa formation au Vitória, il a par la suite
bourlingué dans des petits clubs du coin. En 2001, le
Belenenses le repère au Caçadores das Taipas, en IIIa Divisão.
Après seulement une saison en première division, le FC Porto
l’enrôle. En l’espace de quelques mois, ce jeune athlète bascule
alors de la D4 à l’Europe. « J’ai intégré l’équipe et Mourinho m’a
dit que je devais m’adapter à un grand club, explique Peixoto.
Il ne m’a pas donné d’indications personnelles. » José va lui
envoyer ses messagers…
Le rapport entre Mourinho et Peixoto est assez singulier.
« J’avais une relation différente, j’étais jeune, un peu irrévérent,
je commettais parfois des erreurs, je pouvais être dans l’excès
et je dirais qu’on avait une relation d’amour-haine, même si le
terme est un peu fort, sourit Peixoto. Ou tout allait bien, ou rien
n’allait. Mais j’ai toujours été un joueur d’équipe et il voyait que
j’avais les qualités pour en faire partie. Il m’a donné ma chance.
On était surtout dans le respect. » Mais quelle est donc cette
« irrévérence » dont le jeune César fait état ? « J’étais un joueur
assez individualiste qui forçait parfois les un contre un et lui
voulait que je sois plus collectif, confesse l’intéressé. A cette
période-là, je pensais que je devais jouer comme ça et on était
dans cette forme de lutte. »
C’est là que Mourinho fait intervenir ses soldats face à César.
« Plus tard, j’ai su qu’il s’était mis d’accord avec les anciens,
Jorge Costa, Paulinho Santos, Secretário, pour me bourriner à
l’entraînement, se marre maintenant Peixoto. Il ne signalait alors
jamais de faute, exprès. C’était sa façon de me faire
comprendre qu’il fallait que je lâche le ballon. » « C’est faux,
parce que je ne tapais personne ! rigole à son tour Carlos
Secretário avant de (se) confesser. Mourinho ne nous disait pas
de le taper. Disons que lors des entraînements, on était
agressifs. C’était culturel au FC Porto et cela a perduré avec lui.
Si lui ou un de ses adjoints animait une séance et qu’on donnait
un coup à César, il laissait couler. Il n’avait pas besoin de nous
le dire. On savait très bien où le Mister voulait en venir. Mais il
n’y avait aucune méchanceté. Il en était de même que lorsqu’on
faisait des exercices avec Hélder Postiga et Hugo Almeida qui,
bien que grand, était un mou parfois. »
César Peixoto qui deviendra entraîneur de Varzim, de
l’Académica ou de Chaves s’en amuse lorsqu’il ressasse cette
histoire, mais à l’époque… « J’étais révolté ! Parfois, je râlais et
il est arrivé que je me fasse renvoyer au vestiaire. Je pensais
qu’il me persécutait. Nos prises de bec venaient surtout de là.
Je ne comprenais pas. Pour moi, je devais jouer comme ça. Et
j’ai fini par comprendre qu’il avait peut-être raison. » Il tient le
coup et les coups. Et Mourinho apprécie : « C’est lorsque Rui
Faria m’a expliqué que c’était à la demande de l’entraîneur que
j’ai compris que ce n’était pas une persécution et que j’avais
bien résisté à la pression. » César est venu, il a vu et il n’a pas
été vaincu.
Le retour de Jorge Costa
L’une des recrues les plus importantes du Porto de Mourinho
est un retour de prêt : Jorge Costa. Né à Porto, formé chez les
Dragons, le défenseur central était capitaine du FCP. Il avait
pourtant été cédé à Charlton, en Angleterre, quelques jours
seulement avant que Mourinho remplace Octávio Machado. La
relation entre « O Bicho »132 et Octávio était devenue invivable.
Un épisode a tout précipité.
En septembre 2001, face au Vitória de Setúbal, Octávio avait
sorti Costa, juste avant la pause. Frustré, le Capitão qui en
l’espace d’un mois avait été remplacé à quatre reprises (deux
fois avec Porto, autant avec le Portugal) avait balancé son
brassard au sol. La polémique avait pris de l’ampleur. Machado
qui voyait éclore Jorge Andrade et Ricardo Carvalho s’était
contenté d’un : « C’est l’entraîneur qui décide. » Le match
suivant, Jorge Costa disputait l’intégralité de la rencontre de
Ligue des champions face au Celtic (0-1). Puis, il disparaissait
de l’équipe première, s’entraînant avec un petit groupe, à part.
Et il s’inquiétait. Sa place en Seleção était en danger et la
Coupe du monde en Corée du Sud et au Japon, approchait.
Il avait donc – demandé au président Pinto da Costa – à partir.
C’est alors que Charlton s’était présenté. En décembre, le
joueur était annoncé à Londres et déclarait : « Je suis ici pour
gagner et aller au Mondial. » Il s’est imposé comme titulaire en
Premier League et a conquis le cœur des Addicks en les aidant
à obtenir le maintien. A l’issue de la saison, les Anglais veulent
donc le garder. C’est alors que José intervient. « J’étais prêté à
Charlton, avec une option d’achat, confie le défenseur. J’étais
sur le point de la signer quand j’ai reçu un coup de fil de
Mourinho. Il voulait me parler, me demander ce que je
souhaitais et il m’a fait part de sa volonté que je revienne au
club. J’étais déjà proche de lui lorsqu’il était adjoint et, là, plus
encore, parce qu’avec lui je suis redevenu le capitaine de
l’équipe et ça nous a encore plus rapproché. »
José vient de récupérer un taulier. Jorge, lui, redécouvre celui
qu’il avait connu comme second de Bobby Robson : « Il était
plus mature. Sa posture avait un peu changé, ce qui est logique.
Ce qu’il faisait lorsqu’il était adjoint, il l’avait transmis à Brito ou
Rui Faria. Mais il est resté proche des joueurs. Me concernant,
je ne dirais pas que nous étions amis mais très, très proches. »
Premier stage, en France
Son tout premier stage de présaison avec Porto, José
Mourinho le réalise en France. A l’Etrat, près de Saint-Etienne.
C’est Lucídio Ribeiro qui est en charge d’une partie de
l’organisation. « J’ai commencé à travailler avec le FC Porto
dans les années 1970 quand Pedroto en était l’entraîneur,
explique l’agent. Il me demandait de lui caler des matches de
préparation. Il me disait quel genre de football, de style de jeu, il
voulait affronter et je lui calais des adversaires. » Même principe
avec Mourinho. Ribeiro s’occupe de fixer le stage de l’Etrat et il
en sera de même pour celui de Marienfeld, en Allemagne, au
début de la saison suivante. Voilà comment ça se passe :
« Mourinho me disait : « Pour le premier match, je veux une
équipe de deuxième ou troisième division allemande (j’ai calé
Paderborn) ; pour le deuxième, une équipe de D2 néerlandaise
(Fortuna Sittard) ; pour le troisième une équipe de D1
allemande (Hanovre) ; ensuite, une équipe de niveau
international (Paris SG). Il avait une idée très précise de ce qu’il
voulait. Et surtout, il souhaitait un hôtel situé à côté d’un terrain
où il était possible de jouer au foot. Il a été l’un des premiers à
exiger cela. Ensuite, tout le monde s’y est mis mais, lui, voulait
que ses joueurs et son staff puissent se rendre à pied vers leur
lieu de travail. »
Côté FCP, Antero Henrique occupe plusieurs fonctions : outre
son costard de responsable des relations externes du club, il a
aussi la casquette de boss de la logistique de l’équipe. Et il se
souvient bien d’une anecdote liée à ce stage à Saint-Etienne :
« Le FC Porto avait affronté Rouen, une équipe de division
inférieure. J’étais retenu ailleurs et, à la fin du match, Mourinho
m’a appelé. Il était très content parce qu’il n’avait pas encaissé
de but. Je lui ai dit : « Mais, José, on jouait face à une équipe
bien plus faible que nous… » J’ai d’abord été surpris par sa
réaction et j’ai ensuite compris qu’il était satisfait parce qu’à ce
moment de la saison, il priorisait la préparation défensive de
l’équipe ; et sa victoire était de ne pas avoir pris de but, de voir
que son travail avait été bien exécuté, comme il l’avait planifié. »
Pour le futur administrateur des Dragons, « cela illustre la façon
dont il abordait la préparation de l’équipe : un processus
défensif très fort et un processus offensif développé sur cette
solidité défensive. La possession du ballon, le pressing étaient
très importants mais tout était très consistant, la priorité était la
consistance collective, la force globale de l’équipe. »
Malgré sa rigueur, Mourinho laisse « un bon souvenir » à
Antero. Et pour cause : « Nous avions une très bonne relation
parce qu’au niveau de l’organisation nous étions tous les deux
très méthodiques, chacun dans nos domaines de compétences.
Au fond, il y a eu une heureuse coïncidence. En étant rigoureux
dans la planification, il y a moins de surprises à l’arrivée.
Mourinho savait ce qu’il voulait et, comme moi aussi, j’aimais et
j’aime anticiper et planifier, cela rendait les choses faciles. S’il
fallait modifier quelque chose on pouvait le faire. En termes de
communication et logistique, nous étions en totale osmose. »
« Il n’avait pas de demandes, ni d’exigences particulières,
commente encore celui qui sera directeur sportif du Paris SG
entre 2017 et 2019. Il était très sûr de lui. Il n’était pas le genre
d’entraîneur qui avait besoin d’être briefé. Contrairement à ce
qu’on peut croire, il était très focalisé sur l’équipe et pas sur la
communication. A Porto, Mourinho n’a pas cherché à se
valoriser à travers la communication. Toutes les actions liées à
celle-ci n’avaient que pour seul but d’aider l’équipe. »
Un nouveau capitaine
Revenons à ce stage dans la Loire, un moment de
consolidation pour le Porto de Mourinho, lequel tient à ce que
tout le monde participe à cette étape fédératrice. Même les
boiteux. « Il m’a emmené au stage de présaison à Saint-Etienne
alors que je n’étais pas opérationnel, témoigne Clayton.
Il voulait que je me sente intégré, dans le projet. » A 39 ans,
José a eu le temps de penser, raisonner et préparer ce qui
s’amène. Son arrivée anticipée aux Antas lui permet de mieux
cerner ses besoins.
Suite au prêt de Jorge Costa à Charlton, le brassard était
revenu à Vítor Baía. L’expérimenté gardien de but a connu José
Mário en tant qu’adjoint à Porto et au Barça. Baía possède l’un
des plus impressionnants palmarès du foot portugais. Et avec
Mourinho, il va encore gonfler. Avant cela, le Mister doit
décider ; qui sera son capitaine, Jorge Costa ou Baía ? Il va
laisser son groupe choisir. « Tout s’est fait de façon très
naturelle, raconte Jorge Costa. Nous sommes partis en stage
en France et il y a eu une réunion au cours de laquelle nous
devions élire notre capitaine. Vítor a pris la parole et a dit qu’il
voterait pour moi et qu’à partir de là, il n’y avait pas de doute sur
qui devait porter le brassard. Et il n’y a même pas eu de vote. »
Revoilà O Capitão ! Un match va illustrer l’importance de son
rôle et de ses rapports avec son entraîneur. En janvier 2003, le
FC Porto affronte le Belenenses. Une équipe qui réussit plutôt
mal aux Dragons, menés à la pause. Jorge Costa narre ce qui
suit : « Je suis arrivé au vestiaire avant le coach. J’étais
contrarié. J’étais dans mon rôle de capitaine et j’ai eu un
discours avec les joueurs qui était un peu plus agressif que
d’habitude. Mourinho m’a laissé parler, sans m’interrompre. Il a
attendu que je termine et il a donné deux ou trois indications
stratégiques. Par la suite, il m’a dit que ce que j’étais en train de
faire avec les joueurs, c’était ce qu’il avait envie de faire lui
aussi. » Le Mou responsabilise ses joueurs, à commencer par
ses cadres. Le FCP va renverser le match (3-1) et le défenseur
central va planter un doublé.
« Mourinho ne me sollicitait pas pour des questions tactiques ou
techniques mais pour ce qui concernait la vie du groupe, savoir
comment les joueurs se sentaient, poursuit le Bicho. Nous
étions dans le respect mutuel, c’était une relation très ouverte.
Chacun savait quel était son statut au sein du club. » Mourinho
n’est pas un castrateur. Dans un entretien à AS daté de janvier
2002, il revient sur ses années barcelonaises et donne un indice
sur son management : « Mon modèle n’est pas Van Gaal. J’ai
été très influencé par lui mais aussi par Robson. Mon style de
leadership est différent de celui de Van Gaal. Je pense qu’on ne
doit pas traiter les joueurs avec autant de rigueur que lui. Ma
relation avec les joueurs est distincte de la sienne. J’aime le
respect dans le travail mais qu’il y ait aussi de la communication
et de la joie. »133 Il y aura un peu de tout cela, à Porto.
Le cas Baía
Les choses sérieuses peuvent commencer. La saison 2002-
2003 débute face au Belenenses pour le FC Porto qui doit
batailler pour obtenir un nul (2-2). La deuxième journée du
championnat se déroule chez le voisin, le Boavista ; le
champion de 2001. Le FCP s’impose 1-0 sur un but de
Costinha. Cependant, une absence est à noter : celle de Vítor
Baía. Son palmarès, son expérience, son parcours font de lui
l’un des patrons, des leaders, des capitaines du vestiaire.
La veille du derby de Porto, l’international portugais s’est pris un
ballon en plein visage à l’entraînement ce qui lui a provoqué une
inflammation à l’œil. Le staff médical l’a déclaré inapte. La
journée suivante face au Gil Vicente (3-1), Baía est remis – il a
d’ailleurs rejoué entre-temps en sélection face à l’Angleterre (1-
1) – mais Mourinho l’envoie sur le banc et maintient sa
confiance envers Nuno Espírito Santo. Même chose en Coupe
de l’UEFA (6-0 contre le Polonia Varsovie). Baía a des fourmis
dans les gants et dans les glandes. Juste avant le déplacement
à Guimarães, le quotidien Record publie des déclarations du
portier portiste : « Je me sens satisfait en termes collectifs parce
que l’équipe joue bien, qu’elle gagne et affirme sa force mais,
en termes individuels, je ne peux pas être satisfait. » Il balance :
« Je n’arrive pas à trouver une justification évidente qui explique
que je n’aie pas récupéré ma place de titulaire après le match
du Bessa. » Il prévient : « Le football a l’habitude de produire
des idoles et d’ensuite les engloutir mais je ne me laisserai pas
engloutir. » Et il adresse un message à peine voilé : « J’ai
toujours été frontal dans mes relations professionnelles et
j’attends donc la même chose des autres. »
Le jour où ces propos sont publiés, Mourinho les confronte à
son auteur, devant le groupe avant la séance de travail. Le Mou
reproche à son joueur de s’être épanché auprès des
journalistes, qui plus est, à ceux du quotidien Record avec
lequel, le FC Porto est en froid. Le ton monte entre l’entraîneur
et son gardien de but. « Ce fut… un peu violent, confie l’adjoint
Baltemar Brito. Ils n’en sont pas arrivés aux mains mais ce fut
tendu. Lorsqu’un joueur se trompe dans une interview et qu’il
est confronté à ça, qu’il n’agit pas en bien, et qu’il lui est
démontré qu’il est dans le faux, il se retrouve sans réponse.
C’est ce que Mourinho a fait. » L’entraîneur se montre ferme. Et
il a le soutien de son président. « Le jour-même, Pinto da Costa
a soutenu son entraîneur devant tout le groupe, continue Brito.
Il a dit : « Ce qui est arrivé ne doit plus se reproduire. Je suis
totalement d’accord avec Mourinho. Il est mon entraîneur. C’est
comme ça et celui qui ne veut pas continuer, qu’il demande à
partir parce que je vais prolonger Mourinho de deux ans. » Baía
a compris que Pinto da Costa était du côté de Mourinho. »
Interrogé sur l’affaire Baía, le presidente déclare même qu’il se
refuse à « ouvrir des exceptions ». Et les autres joueurs ? De
quel côté sont-ils ?
« Il ne s’agissait pas de se ranger du côté de l’un ou de l’autre,
commence par répondre Carlos Secretário. On devait suivre
notre leader et notre leader était Mourinho. On se devait de
respecter ses décisions. Il a réglé le problème les yeux dans les
yeux et face au groupe. Et il le faisait avec tout le monde.
Il disait ce qu’il avait à dire, à qui que ce soit. On savait jusqu’où
on pouvait aller, parce qu’avec lui on avait une grande liberté…
jusqu’à un certain point. »
« Ça a été géré de façon intelligente, continue le buteur Derlei.
Vítor était un symbole du club, il avait beaucoup de poids dans
l’équipe. Cela a surgi tôt dans la saison. Ils ont échangé leur
point de vue, ils ont exposé leur opinion. Au final, les deux ont
laissé un message très clair : celui qui commandait c’était
Mourinho. » Pour Deco, « dans un groupe composé de
personnes de caractère avec, en plus, un entraîneur avec de la
personnalité, il peut y avoir des frictions. Mais à mon avis, ce fut
un malentendu, une mauvaise communication entre Vítor et
Mourinho. Il y a eu cette histoire de blessure ou pas blessure…
Pour être honnête, j’ai connu ça dans d’autres clubs. » Jorge
Costa abonde dans le même sens et relate « un moment tendu
mais normal qui arrive dans un club, dans une famille. » Le
Bicho va être important au cours de cette période : « Comme
capitaine, ami de Vítor et proche de Mourinho, j’ai eu un peu un
rôle de médiateur. Indépendamment de qui avait raison ou pas,
ce fut une situation difficile pour moi. Il y a eu une décision
administrative vis-à-vis d’un joueur qui avait une histoire énorme
au FC Porto et j’ai tenté de calmer les esprits, de rétablir la paix
entre tous. Faire en sorte qu’une solution soit trouvée à ce
malentendu et, en peu de temps, tout est rentré dans l’ordre. »
En charge des relations externes du club, Antero Henrique peut
lui aussi témoigner de l’intérieur : « Tout était clair : le leader
était Mourinho. Il n’y avait pas matière à discussion. Le leader
d’une équipe, c’est l’entraîneur qui a ses capitaines qui sont
importants dans l’animation d’un vestiaire mais c’est totalement
différent du rôle d’un entraîneur. » Plus globalement, Antero
estime que « tous les « cas » ont été bien résolus par Mourinho,
avec le soutien du club, parce que sans ça, ce n’est pas
possible. »
« Il était un leader fort parce que le club lui donnait toutes les
conditions pour qu’il le soit, enchaîne-t-il. Il y avait une parfaite
harmonie avec le président. Je dirais même que la façon de
penser de Mourinho était la façon de penser de Porto et vice-
versa. A Porto, tout le monde voulait gagner et Mourinho était
l’un d’entre eux et il voulait beaucoup gagner. »
Le temps va toutefois paraître long pour Baía. Ses dirigeants lui
collent une procédure disciplinaire. Le joueur est mis à pied et il
lui est interdit de fréquenter les installations du club. Baía
s’entretient avec son président et son entraîneur et présente ses
excuses. L’instruction suit toutefois son cours. Baía loupe les
rencontres contre Guimarães
(2-0), le Marítimo (1-0), le retour de C3 face au Polonia Varsovie
(2-0) et le Beira-Mar (1-1).
Pendant ce temps-là, l’international portugais s’entraîne seul et
entretient sa forme à Leça da Palmeira, au sein de l’académie
de foot créée par Domingos et Rui Barros. Les deux anciens
coéquipiers de Baía au FC Porto occupent également des
responsabilités au sein des Dragões. « Vítor ne voulait pas
rester inactif et il m’a demandé s’il pouvait s’entraîner au sein de
mon académie où nous avions des entraîneurs, débute l’ancien
buteur. Il y a eu une précipitation, une incompréhension,
personne n’avait tort ni raison et cela a débouché sur une
situation compliquée. Parfois, des entraîneurs doivent prendre
certaines décisions pour le groupe et Mourinho a certainement
agi en ce sens. L’entraîneur doit parfois montrer qu’il est le
leader, celui qui commande, et cela s’est peut-être plus fait dans
ce sens-là. »
« Vítor était un grand gardien de but, une personne importante
dans le vestiaire et Mourinho qui débutait a voulu s’imposer et
imposer ses règles, corrobore Rui Barros. Au final, en tant que
personnes responsables, ils ont tous les deux été très
importants dans les conquêtes de Porto. Les mariages ne sont
pas toujours parfaits mais quand Mourinho a rappelé Vítor, il a
répondu présent parce qu’il savait qu’il était important pour
l’équipe et le club. »
Après 24 jours de mise à l’écart, deux jours après avoir soufflé
ses 33 bougies, VB est autorisé à reprendre l’entraînement
collectif : à trois jours du duel face au Benfica coaché par
Jesualdo. Mais Baía n’est pas convoqué pour le clássico, match
ô combien important et que Porto remporte (2-1) après avoir été
mené. Nuno continue de garder les cages portistes face à Leiria
(2-2).
« Le lendemain, Silvino [entraîneur des gardiens du FC Porto]
m’a dit que l’homme [Mourinho] voulait me parler, narrera Baía
en 2019 au quotidien O Jogo. J’ai cru que c’était mauvais signe
mais Silvino m’a rassuré. Le match suivant était à Vienne. Il m’a
demandé comment allait ma famille, comment j’allais et il m’a
lancé : « Tu veux jouer ? Alors tu vas jouer, mercredi [jeudi, en
réalité]. » Je lui ai rappelé que j’étais arrêté depuis un mois et il
m’a dit : « Ça ne m’intéresse pas. S’il se passe quelque chose
de moins bon, lors du prochain match, ce sera toi plus dix
autres. » Le match s’est bien passé, j’ai récupéré ma place de
titulaire, mais ce fut une bonne leçon pour moi. »134 Et voilà
comment le 31 octobre, Baía rejoue. A Vienne, lors du
deuxième tour de Coupe de l’UEFA, il permet au FCP de
s’imposer face à l’Austria (1-0). Le numéro 99 du FCP vient de
reconquérir sa place de numéro 1. Non sans mal.
VB se dit « surpris » par la façon de faire de Mourinho : « Ce fut
un exemple pour tout le monde et mes coéquipiers se sont dits :
« S’il fait ça à Vítor, qu’est-ce qu’il me fera à moi ? » Moi, je ne
l’entendais pas comme ça. Il aurait suffi qu’il me parle et tout
serait rentré dans l’ordre mais il a estimé qu’il ne devait pas agir
ainsi. »135
Joël Muller « fou de rage » contre José
L’affaire Baía apporte son lot de bénéfices. Mourinho affirme
son autorité, ses dirigeants et ses joueurs suivent et les
résultats aussi. Le prochain adversaire du FC Porto en
UEFA est le RC Lens. Les Nordistes sont reversés de la Ligue
des champions où ils avaient hérité d’un groupe franchement
balèze. Leur troisième place derrière Milan et le Depor et devant
le Bayern en font un adversaire redouté par José. Après le
tirage, il affirme que « Lens est avec le Maccabi Haïfa et le FC
Bâle, la sensation de la Ligue des champions. » Il dit admirer la
passion des Lensois pour leur Racing et l’ambiance « terrible »
de Bollaert.
Son homologue, Joël Muller, est tout aussi élogieux : « Nous
poursuivons notre Ligue des champions, en tout cas, en ce qui
concerne la valeur de notre adversaire qui a l’habitude de la
C1. » Et pas moins ambitieux : « Je suis très heureux de tomber
contre eux et je le serais plus encore si nous les éliminons. »
Près de vingt ans plus tard, le gardien lensois, Guillaume
Warmuz, resitue : « On savait que ça allait être difficile d’aller là-
bas mais si on se remet dans le contexte c’était plutôt un bon
tirage. On sortait d’un groupe relevé en C1. A l’époque, les
équipes portugaises avaient toujours de bons jeunes mais
peinaient à confirmer au haut niveau. On les croisait toujours
avec l’équipe nationale en jeunes mais, après, on remarquait
qu’ils avaient du mal à franchir un cap. » Son coéquipier du
milieu, Jocelyn Blanchard, confesse même : « Porto était un
grand nom d’Europe mais cette équipe était un peu moins
connue pour nous. Et Mourinho était un inconnu pour nous,
pour moi, en tout cas. »
Il va très vite faire connaissance. A quelques jours de ce
troisième tour aller de Coupe de l’UEFA, l’ambiance se crispe.
Blanchard a droit à une pleine page dans les quotidiens sportifs
portugais. Record qui évoque des « déclarations passibles de
gérer la controverse » lui prête les propos suivants : « Les
Portugais sont provocateurs. Ils tirent les maillots. Ils jouent un
peu comme Marseille. » Si l’intéressé ne garde « aucun
souvenir de ces déclarations, ni de cette polémique », il
commente : « C’est un secret de polichinelle que de dire que le
FC Porto faisait partie de ces équipes latines qui avaient
beaucoup plus d’expérience que nous. Moi qui revenais de la
Juve, j’étais bien placé pour le constater. Ils savaient comment
parler avec l’arbitre, gagner du temps… » A l’époque, Muller
tente d’expliquer qu’il s’agit d’un « problème de traduction »,
qu’il « ne faut pas sous-estimer Porto qui est l’une des grandes
équipes d’Europe » et tente de recentrer l’attention sur le
match : « La victoire serait un bon résultat parce qu’elle
donnerait un avantage pour le retour. » Une tirade d’une
banalité… Sauf pour José. Mourinho est déjà dans son match,
celui du Mind Game : « Ils ont dit qu’ils étaient meilleurs, qu’ils
allaient se qualifier et que chez eux ils étaient imbattables.
Après ça, je ne peux que me taire. » Et laisser faire. Le Mou a
réussi son coup. Ses gars sont au taquet et saignent les Sang-
et-Or (3-0).
Les années – deux décennies – se sont écoulées mais Muller
garde de ce duel contre le Porto de Mourinho un « double
souvenir » qu’il qualifie de « désagréable ». « Sur le plan sportif,
j’ai déploré le résultat de l’aller, commence-t-il. Guillaume
Warmuz n’avait pas été exceptionnel. A 0-2 c’était encore
jouable mais on a encaissé un troisième but en toute fin de
rencontre. Et là, c’était quasi mission impossible. » L’autre
versant marquant pour l’ancien entraîneur du FC Metz se situe
« au niveau humain » : « Je ne connais pas Mourinho, je n’ai
jamais discuté avec lui, mais la veille du match, en conférence
de presse, des journalistes portugais m’ont interpellé en
demandant pourquoi j’avais pris le FC Porto de haut et pourquoi
j’avais dit que ce serait un match facile pour nous. Nous, Lens,
qui avions l’image d’un club sympathique, étions dans
l’obligation de nous justifier. Je leur ai demandé d’où ils sortaient
ces déclarations et ils m’ont dit que ça venait de l’entraîneur du
FC Porto. J’étais fou de rage. » Le JM français ne tarde pas à
saisir la stratégie de son adversaire : « Après quelques heures,
j’ai compris qu’il avait fait ça pour motiver ses joueurs mais j’ai
trouvé ça petit. Ce n’est pas ma façon de faire, cela ne
correspond pas à mon éthique. Je ne le connais pas et je ne
doute pas qu’il est différent dans sa vie de tous les jours mais je
préfère quand les gens restent… identiques. J’étais déçu parce
que je pense qu’il faut respecter l’adversaire, être dans le fair-
play. »
« Je me souviens qu’à l’époque, on avait été surpris par la
tension qu’il régnait autour du match, insiste Warmuz. On a été
surpris d’être attaqués de cette façon-là. Il nous avait bien
énervé le José. Muller était remonté. Il n’aimait pas ce genre de
conflit. Mourinho a senti une faille chez nous. On était Lens, pas
un grand d’Europe et on avait l’image d’un club sympathique.
Il nous a attaqué là où personne ne s’y attendait. Il a provoqué
cette confrontation et on a plongé. On avait envie de montrer qui
on était. Cela montre son intelligence. »
Warmuz : « Le pire match de ma carrière »
Ce match contre le FC Porto revêt une signification particulière
pour Guillaume Warmuz. « C’est le match qui a scellé mon
avenir, souffle-t-il. Le pire de ma carrière. » Le dernier avec le
Racing. Il n’a « pas été exceptionnel » dit coach Muller. Warmuz
qui a porté le maillot Sang-et-Or entre 1992 et 2003 passe au
travers face aux Dragons. « A la mi-temps, je me suis isolé et
j’ai craqué, j’ai chialé confie-t-il. Siko [Eric Sikora] est venu me
voir : « Allez, Gus, on y va et on ne prend plus de but en
seconde période. » Avec le recul, je me dis que c’était un beau
moment entre nous deux. » Bien plus chaleureux que celui qu’il
vit au quotidien : « J’étais en conflit avec les entraîneurs et on
avait atteint une situation qui n’était plus vivable. A la fin de ce
match, à l’aéroport, j’ai donné mon brassard à Gervais [Martel,
le président] : « C’est fini. » Il m’a compris. »
Ce 3-0 infligé par le FCP, GW l’assume : « Je le prends pour
moi. » Il sort pourtant quelques parades. Et il n’est pas le seul à
se rater. « On était empruntés, continue-t-il. Mourinho avait déjà
sa patte. On a été dépassés dans tous les domaines. Niveau
technique, rapidité, son équipe était comme une équipe
d’aujourd’hui. A cette période-là, il semblait plus joueur, peut-
être moins tacticien qu’aujourd’hui. Il y avait une folie créative. »
Champion de France avec le RCL quelques semaines avant le
sacre mondial des Bleus, le futur portier de Dortmund compare :
« Quand on les a joués, ils m’ont fait penser à nous en 1998. Ils
avaient tout : un public, ils étaient unis et emmenés par un
leader : Mourinho. »
Pour coach Muller, cette élimination s’explique par « la qualité
de cette équipe de Porto » : « Elle était composée de grands
joueurs. C’était l’ossature de l’équipe du Portugal. Il y avait du
talent. Les joueurs trouvaient eux-mêmes les
solutions. Pourtant, on avait pris le temps de les étudier, comme
on le faisait avec tous nos adversaires. » Son milieu Jocelyn
Blanchard embraye : « On avait reçu quelques indications
d’ordre collectif mais pas tant au niveau individuel. Et quand je
me suis retrouvé face à Deco qui était dans ma zone, je me suis
dit : « Mais qu’est-ce que c’est que ce joueur ?! » Il était l’un des
meilleurs 10 du monde. C’est un peu ce qui nous a mis dedans.
On n’était peut-être pas préparés psychologiquement
notamment à ce qui nous attendait. » Et ce qui les attend au
Dragon, c’est un FCP qui « jouait à 100 à l’heure », s’ébahit-il.
A Bollaert, la victoire lensoise est trop courte (0-1). Le FC Porto
passe, enchaîne. A la trêve hivernale, il est leader de la
SuperLiga et compte déjà 9 points d’avance sur le Benfica.
Invaincu en championnat, le Dragon ne compte que deux revers
insignifiants en Coupe de l’UEFA.
Logé chez… Sá Pinto
L’année 2003 débute à merveille : 3-0 contre Braga. Bientôt un
clássico face au Sporting dont le score ne reflète pas l’écart qui
existe entre les deux formations. Costinha inscrit, d’entrée, le
seul but de la rencontre et envoie les Lions, champions en titre,
à 14 points de la première place.
Ricardo Sá Pinto en garde un souvenir marqué. L’emblématique
attaquant du Sporting a été, ce jour-là, l’une des victimes de
Mourinho. Lorsque Quiroga se blesse en fin de première
période, Bölöni le fait entrer. « Je revenais de blessure et j’ai
joué latéral droit, rappelle Sá Pinto. C’était déjà compliqué et, là,
je vois que Mourinho fait entrer un joueur frais, Clayton, dans
mon couloir. Je me tourne vers lui et lui dis, en rigolant : « T’en
n’as pas un autre à mettre ici ? » »
Natif de Porto, Sá Pinto qui deviendra l’un des capitaines
sportinguistes, connaît bien Mourinho. Il est carrément son
bailleur. « J’étais son propriétaire, dévoile-t-il. J’avais un
appartement à Foz [localité de Porto]. Quand il est parti à Porto,
il m’a appelé pour me dire qu’il cherchait un logement et je lui ai
dit que j’avais un appartement en location. Il l’a visité, il l’a aimé
et il l’a loué. Et il me l’a rendu en parfait état (Rires). » Ricardo
et José ne sont « pas des amis proches » mais le sportinguiste
avoue qu’il existe « une réelle empathie » entre eux.
Sá Pinto décrit José Mário comme un être « drôle, qui aime
discuter, rire, il est très positif. Le plus marquant, c’est qu’il est
très attentif envers les personnes qu’il apprécie. Il est très à
l’écoute et sensible à leurs besoins. » Et présent lors des coups
durs. « Lorsque je jouais encore, j’ai été victime d’une grave
blessure, raconte RSP. Il n’était pas mon entraîneur mais il a
pris de mes nouvelles. Je ne l’oublie pas. Après le décès de
mon père, il m’a appelé. Lorsqu’il a su que je traversais un
moment plus compliqué, il m’a contacté pour savoir comment
j’allais. Je l’admire pour sa carrière mais aussi pour la personne
qu’il est. Il est à l’opposé de ce que certains pensent voir. »
A la fin des années 2000, Ricardo Sá Pinto initiera sa nouvelle
vie, celle d’entraîneur. Il rendra visite à Mourinho à Milan, à
Madrid. « Il est moderne dans tout : la planification, la
communication, la préparation, la stratégie… explique le futur
coach du Sporting, du Standard de Liège ou de Braga. Il a une
chose qui est fondamentale pour un entraîneur aujourd’hui : son
leadership. C’est un grand leader. Il sait comment gérer les
individus. Il arrivait à maintenir les joueurs focalisés sur le
groupe, même ceux qui ne se sentaient pas concernés jusque-
là. Peut-être, selon ce qu’on peut lire ou entendre d’éventuels
désaccords avec certains de ses joueurs, qu’il a perdu patience
avec certains cracks, face au manque de caractère de certains
d’entre eux. »
Gagnant dans les défaites
Après son succès sur le Sporting, Mourinho poursuit sa belle
série. Treize victoires d’affilée en championnat. Le FC Porto va
chuter pour la première fois en Liga, le 15 février 2003. Au
terme de 22 journées ! C’est à Funchal que le FCP trépasse. La
faute au Marítimo de Nelo Vingada, l’ancien professeur de José
Mário à l’ISEF. Encore lui ! Les Lions de Madère l’emportent 2-1
au terme d’un duel marqué par les exclusions de Pepe et Deco.
Le premier tacle le second. Ils pètent les plombs. Pepe – qui
rejoindra Porto en 2004 – a été l’un des atouts des Madériens.
« Pepe a débuté, non pas comme défenseur central, mais
comme milieu, explique le Professor Vingada. Il a complètement
effacé Deco. On a fait un match fantastique et Zé Mário m’a
félicité. On peut lui faire des reproches mais on ne peut pas dire
qu’il n’est pas sincère. »
Porto ne tarde pas à s’en remettre et déboite Denizlispor (6-1)
en Coupe de l’UEFA.
Ça repart aussi en championnat (3-0 contre le Beira-Mar). Le
retour de C3 face aux Turcs est une formalité (2-2). Et revoilà le
Benfica. C’est la première fois que José retourne à la Luz
depuis leur houleuse séparation. Une bonne heure avant le
coup d’envoi du clássico, il pénètre dans le nid des Aigles. Le
stade bout déjà. L’accueil est hostile. José jubile. « C’était
fantastique, écrira-t-il dans sa bio en 2004. J’ai ressenti une
belle sensation. Je n’ai jamais été un joueur de premier plan
pour ressentir, par exemple, ce que Figo a senti lorsqu’il est
retourné à Barcelone et je n’avais donc pas la notion de ce que
pouvait être 80 000 personnes me sifflant et me huant. » Bien
qu’à 10 points, les Aigles sont les plus proches poursuivants
des Dragons. Deco va plier le match et le championnat par la-
même.
Il y a la Coupe du Portugal aussi. En quarts, Porto démonte
Varzim 7-0. Mourinho et ses gars semblent intouchables. Leur
confiance est au climax au moment de recevoir le
Panathinaïkos en quart de finale de Coupe de l’UEFA. Et
pourtant… Porto perd. Olisadebe refroidit le Dragon dans le
dernier quart d’heure. Et les Grecs basculent dans la certitude.
Leur entraîneur, Sergio Markarián, exulte, effluve. Mourinho le
croise dans les entrailles des Antas. « Mourinho lui a dit : « Ce
n’est pas fini ! », relate Baltemar Brito – avant de confier –, le
match retour face à cette équipe est celui qui m’a le plus
marqué des années passées avec Mourinho. » Car malgré cette
défaite, José se montre tout aussi convaincant et convaincu
devant ses gars. Deco se souvient : « Les joueurs étaient
déçus, abattus. Il nous a dit de ne pas nous inquiéter parce
qu’on allait gagner en Grèce. La façon qu’il avait de transmettre
cette confiance était anormale. » Et au retour ?... « On a gagné,
sourit Deco. Le Panathinaïkos ne perdait plus en Coupe
d’Europe à domicile depuis des années. Ça m’a marqué. »
Derlei lui, a marqué ; un doublé. Porto pousse le plaisir aux
prolongations. Mourinho change de plan. « On a joué en 4-4-2
classique et en 4-4-2 losange, précise Costinha. C’est l’un des
seuls matches où on a procédé à ce basculement tactique cette
saison-là. J’étais au milieu avec Deco, Maniche et Alenichev.
Seïtaridis136 m’a raconté qu’à la mi-temps, ils s’étaient dits qu’ils
ne savaient pas comment nous arrêter, parce qu’on venait de
partout. On s’est imposés 2-0 grâce à un important travail
tactique, technique et mental de Mister Mourinho. C’est l’un des
deux matches hors-normes, sous Mourinho. »
Et quel est l’autre, alors ? On imagine que Costinha va citer
l’une des affiches de 2003-2004 au cours de laquelle les
Dragons remporteront notamment la Champions League. Et
bien non. « C’est la demi-finale aller de Coupe de l’UEFA de
cette même saison [2002-2003] face à la Lazio de Roberto
Mancini. Pour moi, c’est notre prestation la plus aboutie,
s’enthousiasme l’international portugais. On a réalisé un grand
match. On a été menés très tôt face à une équipe italienne qui
avait de grands joueurs (Simeone, Fernando Couto, Claudio
López, Mihaljovic, Peruzzi, Stanković…) Et on s’est imposés 4-
1. Ce fut une rencontre fantastique. » En effet, le FCP ne plie
pas malgré le but de Claudio López dès la 4e minute. Maniche,
Derlei à deux reprises et Postiga renversent les Italiens. Le Mou
lui-même le concède : « C’est notre meilleur match de la
saison. » Le retour est bien géré. Du moins, en apparence, car
José est dans tous ses états à Rome. Son pilier du milieu,
Costinha, est blessé et, lui, est suspendu. Aux Antas, il a retenu
Castromán au moment où l’Argentin s’apprêtait à remettre un
ballon en jeu. Quand le Mister voit ses joueurs descendre du
bus qui les amène au Stade olympique, il craque. Mourinho est
en sanglots. Il ne peut accompagner ses hommes « au
combat ». Mais le général sait qu’il peut compter sur ses
colonels. « Il avait confiance en son staff, assure l’un d’entre
eux – Baltemar Brito. De toute façon, il ne peut travailler que s’il
est entouré de gens en qui il a confiance. Mais, surtout, lorsqu’il
savait qu’il allait être absent, il préparait avec encore plus
d’attention ces matches-là. Il savait que les joueurs dépendaient
beaucoup de lui, de sa présence sur le banc, il cherchait donc à
être le plus précis possible, à compenser son absence. » José a
donc tout prévu. En tribunes, il s’est placé entre ses scouts :
André Villas-Boas et Lima Pereira. Comme l’UEFA lui interdit
tout contact avec ses adjoints et ses joueurs pendant la
rencontre, José donne ses indications à ses deux complices qui
les communiquent au banc à travers un système de
communication aussi discret que sophistiqué. En demie de C3,
face à la Lazio, ses gars gèrent. Baía repousse un péno et
Porto rentre de Rome avec un 0-0.
Cette rencontre sera l’occasion pour le grand public et les
médias de faire plus ample connaissance avec l’ensemble du
staff de Mourinho. « Il était du genre à déléguer, remarque le
virevoltant César Peixoto. Rui Faria gérait la partie physique,
Silvino s’occupait des gardiens, Baltemar Brito aidait à
l’organisation de l’entraînement, André Villas-Boas était plus
dans les bureaux, dans l’observation des adversaires. » Et
comme avec ses joueurs, José Mário aime que ses proches
collaborateurs osent le dépassement de fonction. Lorsqu’il
apprend sa suspension pour la demie retour de C3, l’entraîneur
principal des Dragons annonce qu’il sera suppléé par Aloísio,
Baltemar Brio et Silvino. Jamais à court d’idée, les journaux
portugais parlent d’un « triumvirat » ; terme qui originellement
désigne une magistrature romaine composée de trois hommes.
José explique encore qu’il n’assurera pas les conférences de
presse prévues à Rome. Il en profite pour mettre en avant ceux
qui œuvrent dans son ombre, comme Rui Faria. Autre exemple,
à l’approche de la fin de la saison, afin de saluer le boulot de
son département d’observation, il laisse sa place en conf’ à ses
scouts: André Villas-Boas et Lima Pereira.
La team Mourinho vient d’envoyer le FC Porto en finale de
Coupe de l’UEFA. Le club n’avait plus atteint ce stade au niveau
continental depuis 1987 et le sacre d’Artur Jorge et la Madjer à
Vienne face au Bayern en C1 (2-1). Première finale européenne
pour le Portugal depuis 1990 (le Benfica s’était incliné en finale
de C1 1990 contre l’AC Milan, 0-1). En un mot : un exploit.
Le premier « vrai » trophée de José
Parallèlement à cette qualif pour la finale de l’UEFA, José se
balade au bled. Il enquille les succès. Le 4 mai 2003, sa
prophétie se réalise. Lors de son arrivée aux Antas, Mourinho
avait prédit qu’il serait champion la saison suivante. Nous y
voilà. Le stade est plein, peint de blanc et bleu. A cinq journées
de la fin, Porto explose les Açoriens de Santa Clara (5-0). José
est en tribune, suspendu. Cette saison-là, fait inédit pour un
entraîneur du FCP, il est exclu deux fois (par le même arbitre,
l’actuel président de la Ligue portugaise, Pedro Proença). Bien
loin de l’image du « Bad Boy » – sobriquet qui lui a été accolé
par certains journalistes locaux –, il assiste à la démonstration
de ses Dragons aux côtés de Matilde – son épouse – et de leurs
gamins – Tita et Zuca. Mourinho qui a levé quelques coupes
avec ses jeunes du Vitória, vient de remporter son premier
« vrai » trophée. Il mène le FCP au titre de Campeão Nacional
qui lui échappait depuis 1999. José Mário embrasse sa famille,
salue son président et part rejoindre ses joueurs dans le
vestiaire. L’euphorie y règne déjà. Mourinho l’embrasse, elle
aussi. Et la ville s’embrase pour ses Dragons. Mourinho y est
pour beaucoup. Il se promet d’en profiter mais il a déjà l’esprit
occupé. Deux autres finales l’attendent ; la Coupe de l’UEFA et
la Coupe du Portugal. La défaite contre Paços (0-1) et la victoire
étriquée contre Varzim (3-2) s’expliquent, en partie, par ces
proches échéances. Mourinho préserve ses troupes.
La rotatividade
La gestion du temps de jeu de ses joueurs, le turnover, la
rotatividade contribuent à expliquer les succès de José
Mourinho à Porto. A l’image de Van Gaal au Barça, le Mou
double les postes. « Les joueurs connaissent une chute
lorsqu’ils sont trop utilisés et sa plus grande préoccupation à
l’époque était la récupération physique, explique son adjoint,
Baltermar Brito. A l’époque, peu d’entraîneurs étaient soucieux
de cet aspect. Ils pensaient tous à travailler mais pas à
récupérer. Les joueurs ont compris face à l’intensité qu’il
imposait que c’était dans leur intérêt. Il avait pour habitude de
donner des jours off aux joueurs qu’il utilisait le plus. »
Cette rotatividade fait partie intégrante du management
mourinhien ; tout d’abord parce que le coach portiste joue sur
plusieurs tableaux. En 2002-2003, Porto va disputer 53
rencontres, en remporter 41 et n’en perdre que 5 (7 nuls, donc),
avec trois titres à la clé.
« Au final, il n’a pas fait tant de turnover que ça, pondère
Costinha. La base était presque toujours la même. » Les
chiffres vont dans le sens de l’analyse du milieu de terrain. Alors
oui, Mourinho a utilisé 34 joueurs et c’est plus que lors des
précédents exercices ; mais si on rentre dans le détail, on
constate que le nombre de joueurs ayant participé au moins au
tiers des matches n’est pas plus important qu’avant. Costinha
reprend : « Ce qui se passait c’est qu’on était tellement forts en
championnat, qu’il faisait tourner à l’approche des matches
européens. On était tellement au-dessus dans les compétitions
nationales, qu’il pouvait faire jouer tout le monde. Et comme il
disait toujours la vérité à ceux qui allaient jouer mais surtout à
ceux qui ne jouaient pas, lorsque l’un de ces derniers entrait, on
ne sentait pas la différence, parce qu’il était motivé. »
C’est l’autre versant de cette gestion : l’humain. A en croire ses
ex, José est direct et franc. Pas le genre à te mettre la carotte
devant le nez pour, au final, te l’enfoncer… ailleurs. Costinha,
encore : « Il pouvait avoir deux très bons athlètes au même
poste. Il savait qu’à la fin de la saison l’un des deux allait devoir
partir et il savait lequel ce serait sans avoir de problème à
l’assumer. C’est difficile de prendre des décisions, parce qu’on
ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Mais il privilégiait
l’intérêt du club et sa façon de jouer. Quand on veut devenir
entraîneur, on s’inspire de ce genre de situations. » Francisco
da Costa suivra d’ailleurs cette voie en se remémorant la voix
de Mourinho : « Il y avait une chose importante : il ne mentait
pas aux joueurs. Lorsqu’il disait à l’un deux qu’il allait jouer, il
jouait mais il disait aussi la vérité à ceux sur qui il ne comptait
pas. On n’apprenait pas ses choix à travers la presse, les
adjoints, les dirigeants mais par lui. »
Le jeune Hugo Luz, lancé dans le grand bain par le Mou affirme
que « les joueurs n’avaient aucun problème avec le turnover
parce qu’il y avait beaucoup de compétitions. Tout le monde
était prêt à jouer. A cette époque-là, n’importe quel joueur qui
entrait dans l’équipe était décisif. Il n’y avait pas un onze titulaire
duquel étaient exclus les autres. Tout le monde s’entraînait et
jouait de la même façon. » « Il parlait plus aux joueurs qui ne
jouaient pas qu’à ceux qui jouaient, s’étonne encore Paulo
Machado, autre espoir de Porto. Les joueurs l’acceptaient parce
qu’il leur parlait et leur expliquait son choix. Il savait transmettre
de la confiance. Il était très intelligent avec les gens. Ce qui a
fait la différence c’est sa relation avec le groupe. » Le milieu de
terrain qui passera par Toulouse ou Saint-Etienne explique :
« Il était très proche, presque un ami. Quand il voyait qu’un
joueur n’allait pas bien, il discutait avec lui, cherchait à
comprendre, lui donnait des jours off s’il le fallait. »
L’empathique
Mourinho sait que pour qu’un footballeur soit bon avec ses
pieds, il doit être bien dans sa tête. Et ce, quel que soit son âge
et son statut. Formé au FC Porto, Carlos Secretário a quasi
dédié sa carrière aux Dragons. En 2003-2004, l’international
portugais de 34 ans dispute les dernières de ses 309 rencontres
pour le FCP. « Je savais que j’étais dans la phase finale de ma
carrière, dit-il. Sans vouloir entrer dans les détails, je traversais
aussi un moment difficile dans ma vie personnelle et Mourinho
m’a toujours aidé. Il a été plus qu’un père pour moi, à la fin de
ma carrière. Je lui serai toujours reconnaissant pour ce qu’il a
fait pour moi. Il m’a aidé à finir ma carrière de façon positive. »
Derrière ce turnover, il y a donc aussi l’empathie. A l’été 2002,
Deco est en plein divorce. Ses deux enfants, en bas âge, sont
au Brésil avec leur mère. « Je suis passé par des phases
compliquées, pendant ma séparation, confie O Mágico.
Mourinho m’a donné des jours de repos, une coupure pour que
je puisse aller au Brésil. Il a été très compréhensif. Mourinho
savait qu’un joueur qui se sentait bien dans sa vie allait être
bien sur le terrain. Il était différent parce qu’il savait comment
chaque joueur était et réagissait. Aussi bien à l’entraînement,
qu’en match, qu’au niveau personnel. Il contrôlait le vestiaire,
aussi parce qu’il était entouré de personnes de qualité qui
connaissaient et comprenaient les problèmes de chacun. »
Mourinho va avoir écho des soucis persos de Deco. Jorge
Baidek, l’agent qui a contribué à faire basculer le technicien de
Leiria à Porto, raconte : « A la fin de ses premiers mois à Porto,
Mourinho m’a appelé : « Ce soir, on sort. » On est allés dans
une boîte de nuit, avec deux salles, deux ambiances. L’une
d’entre elles était plus calme et, là, il m’a dit : « Ce soir, je vais
résoudre un problème. » Deco est arrivé et Mourinho lui a dit :
« A partir d’aujourd’hui, tu es libre, en vacances. Résous tous
tes problèmes, fais tout ce que tu as à faire, parce que la saison
prochaine, on va tout exploser, tout gagner. » Deco l’a pris dans
ses bras. » Bientôt, l’élégant milieu offensif portera l’équipe à
bout de bras. Ses perfs, son influence seront telles que la
presse portugaise inventera le terme de « Decodépendance ».
Recruté au Vitória de Setúbal en janvier 2003, Marco Ferreira a
été « très marqué » par la façon de faire et d’être de José
Mourinho. Et notamment par « son côté humain » :
« Normalement, lorsqu’il avait quelque chose à dire, il le faisait
devant tout le groupe. Mais lorsqu’il avait un message plus
personnel, il organisait des entretiens individuels. Ne serait-ce
que pour protéger le joueur. Cela pouvait être un aspect
technique, tactique ou beaucoup plus personnel. Savoir si on
avait des soucis d’ordre privé. » Comme Deco, Marco a des
problèmes familiaux : « J’avais traversé une période un peu
compliquée, un divorce, et il m’avait dit que si j’avais besoin de
quoi que ce soit il était là, que nous étions une famille. »
Côté foot, Marco tente de se faire une place au sein d’une
machine qui tourne : « Je n’étais pas souvent titulaire mais j’ai
fini par participer à de nombreuses rencontres. Aux
entraînements, il parvenait à maintenir tout le monde concerné
et motivé, parce qu’il parlait avec tout le monde. Et comme
Porto jouait pratiquement tous les trois jours, on finissait tous
par avoir une chance. » Marco Ferreira aura celle de participer à
la finale de Séville.
Les finales de Séville et du Jamor
Le 21 mai 2003, le stade olympique de Séville, La Cartuja,
accueille la finale de la Coupe de l’UEFA entre le FC Porto et le
Celtic. Un match qui aurait bien pu être un derby. En demies, les
Ecossais de Martin O’Neill ont lutté pour éliminer le Boavista. Le
match du titre est tout aussi âpre et disputé. Mourinho perd
Costinha dans les premières minutes. Un vrai coup dur.
« Costinha est mon adjoint sur le terrain », dit le Mister qui peut,
toutefois, compter sur son buteur, Derlei. Le Brésilien marque
juste avant la mi-temps. Mais dès la reprise, Larsson égalise
d’une tête parfaitement dosée. Sur une merveille d’ouverture de
Deco, Alenichev redonne l’avantage aux Dragons. Et trois
minutes plus tard, le Suédois remet ça, encore, de la tête. Prise
de tête. Prolong. L’atmosphère devient irrespirable. Un tacle
trop appuyé de Bobo Baldé et un deuxième jaune pour le
défenseur de Guinée (96e). Deux minutes plus tard, Marco
Ferreira est lancé par José. « Il y avait 2-2, je m’apprêtais à
rentrer en jeu et il m’a dit : « Allez, marque le but de ta vie ! » Je
m’en souviendrai toujours », sourit-il. L’ailier était en ballotage
avec Capucho pour le onze de départ. Mourinho a opté pour le
second mais Ferreira ne lui en veut pas. Pourquoi ? « Parce
qu’il me l’a annoncé de façon très simple, très naturelle. Ça n’a
même pas été frustrant. On était un groupe et on voulait
vaincre. » Derlei en crève d’envie. A la 115e, il récupère un
ballon repoussé par Rab Douglas et met fin au suspense. Le FC
Porto, fraîchement champion du Portugal, remporte la C3, la
première de son histoire. Et ce n’est pas fini. Il reste encore la
Taça, la Coupe du Portugal.
Quatre jours après la folle nuit de Séville, le FCP se déplace à
Braga. Il rentre avec un nul (1-1) et termine son campeonato par
un succès sur le Sporting (2-0). Les portistes disposent de
quinze jours pour préparer leur dernier match de la saison : la
finale de la Coupe du Portugal. C’est l’União de Leiria, une
vieille connaissance de José Mário, qui l’attend au Jamor. En
guise de stage, Mourinho envoie sa team en Algarve. Même
ambiance, même osmose qu’au début de saison à l’Etrat. Les
joueurs ont quartier libre le soir mais la plupart d’entre eux
préfère rester à l’hôtel, entre potes. Pas étonnant que Porto
s’impose, donc, au stade national. Derlei dans le rôle (habituel)
du bourreau crève le cœur de son ex.
José Mourinho vient d’achever sa première saison pleine en
tant qu’entraîneur principal. Il vient surtout de parachever un
triplé (championnat, Coupe, Coupe de l’UEFA) et un jeu des
plus excitants. En 2003-2004, le FC Porto va faire mieux que
confirmer, il va remporter la prestigieuse Ligue des champions,
on va y venir. Pourtant, beaucoup des acteurs – dont José
Mourinho – de ces années historiques pour le FCP et pour le
foot portugais s’accordent à dire que 2002-2003 est la saison la
plus plaisante, la plus séduisante, la plus stimulante, la plus
kiffante.
« L’équipe qui a remporté la Coupe de l’UEFA jouait les yeux
fermés, elle pratiquait un bon football et elle était irrésistible,
justifie le milieu Costinha. Elle était très forte. Celle qui a
remporté la Ligue des champions aussi mais le football que
nous pratiquions en 2003 était plus beau, selon moi. »
« Je suis d’accord, enquille le latéral Nuno Valente. L’équipe
était tellement bien préparée, tellement confiante dans son
système qu’on prenait du plaisir à jouer. On était heureux à
travers le jeu. » Presque dégoûtés de devoir se quitter, le temps
de quelques jours de congés.
« Le succès nous a-t-il fait du mal ? »
Le FC Porto débute 2003-2004 sous pression. Lorsqu’il a
rejoint le FCP, Mourinho avait hérité d’une équipe malade. Un
an et demi après, il en a fait une équipe de malade. La voilà
soignée et avec une toute autre gueule : celle d’une favorite au
plan national et d’une championne d’Europe. Mais non,
personne, pas même Mourinho, n’imagine Porto s’imposer en
Ligue des champions.
José procède à quelques ajustements au sein de son effectif.
McCarthy effectue son retour et compense la vente de Postiga à
Tottenham ; Bosingwa débarque du Boavista pour renforcer le
couloir droit ; Pedro Mendes arrive du Vitória de Guimarães
pour faire concurrence aux milieux ; Capucho tente sa première
aventure à l’étranger, aux Glasgow Rangers ; Clayton part au
Sporting, échangé contre Ricardo Fernandes. « Je vais vous
dire la vérité, glisse le Brésilien en guise d’intro. Il y avait un
intérêt du Sporting qui datait déjà du temps où je jouais à Santa
Clara. Je n’étais plus titulaire à Porto et je voulais jouer plus.
José Mourinho savait que je voulais partir et m’a dit : « Tu fais
partie de mon équipe et tu ne pars que si tu le veux. » Si j’avais
su je serais resté ! Je n’ai pas pris la bonne décision, mais lui a
été très cool avec moi. » Un regret dont il lui fera part, bien des
années plus tard : « Je l’ai retrouvé à Chypre, il était venu avec
l’Inter Milan. On a mangé ensemble, on a discuté des heures et
je lui ai dit que je n’avais pas fait le bon choix à l’époque. »
Au cours de ce mercato, la plus grande recrue de Mourinho est
la continuité, d’avoir réussi à maintenir la quasi-totalité de ses
cadres et d’être lui-même resté, faisant fi d’alléchantes
sollicitations. En juin 2003, il prolonge son contrat jusqu’en
2006. Reste maintenant à maintenir ses joueurs concentrés,
focalisés. Car José craint l’excès de confiance. Lors de sa
première conférence de presse, édition 2003-2004, il prévient :
« Notre potentiel n’a pas diminué. Cependant, j’ai besoin de
temps pour avoir la certitude que nous aurons la même
motivation, la même envie, et que le succès ne nous a pas fait
de mal. L’année dernière, j’étais sûr, dès le premier jour, que
nous allions lutter pour gagner mais, cette année, j’ai besoin de
savoir si ce succès n’a pas fait de mal à certains. » José est
sans pitié. Lorsque Serginho Baiano, tout juste embauché, se
pointe pour la présaison en surpoids, il le renvoie. Lorsque
Maniche traîne des pieds face à Hanovre, en amical, il le sort au
bout de 20 minutes de jeu en l’affichant : « Je n’ai pas aimé la
façon dont il jouait. »
Après les entraînements ouverts au public les lendemains de
défaite, le Mister institue une autre mesure afin de maintenir ses
hommes au taquet : les contrats par objectifs. Les fans de
Football Manager connaissent le truc. Prime de victoire, prime
de but, prime en cas qualification en Ligue des champions,
etc… « C’est une chose courante dans le football moderne mais
à l’époque, ce n’était pas le cas, remarque Clayton. Il était pour
la méritocratie. »
« Hormis ceux qui étaient au club avant lui, tout le monde
signait des contrats par objectifs, détaille Derlei. J’avais un
salaire fixe et des primes. » Le Mou maîtrise tout. La carotte et
le bâton… Mais celui-ci lui sert surtout à y accrocher la carotte.
Paulo Machado se souvient que « Mourinho voulait connaître
les primes auxquels les joueurs pouvaient avoir droit afin qu’ils
les atteignent. Si, par exemple, il fallait disputer cinq matches
pour avoir une prime, il demandait qui étaient les joueurs
concernés pour qu’ils puissent la toucher. » Clayton peut le
certifier : « Lorsque je me suis blessé, j’ai perdu ma place. Les
semaines passaient, on a été sacrés champions, il est venu
vers moi et m’a demandé : « Combien de matches te manque-il
pour que tu atteignes l’objectif que tu t’étais fixé ? » Il m’a fait
jouer les matches qu’il restait. J’ai trouvé ça dingue. Il se
préoccupait de tout le monde. »
C’est Mourinho lui-même qui explique dans sa bio avoir mis en
place ce système de rémunération au FC Porto. Antero
Henrique tient toutefois à préciser : « Je n’ai plus en mémoire ce
qui a précisément changé en termes de rémunération avec
Mourinho, car il y a toujours des ajustements mais les contrats
par objectif étaient une pratique du FC Porto. Ce ne fut pas une
nouveauté de Mourinho. Compte-tenu des limites budgétaires
qui étaient les siennes, le président Pinto da Costa avait établi
des rémunérations contenant une part variable très forte,
dépendant d’objectifs. Le club prétendait ainsi partager ses
bénéfices avec ceux qui aidaient à les réaliser. Porto était un
club très agressif au niveau des rémunérations variables. Nous
avons eu des joueurs qui quadruplaient leur salaire grâce à
cela. »
Maciel qui avait été dirigé par José à Leiria le rejoint au FC
Porto en janvier 2004. Pour lui, l’entraîneur n’a pas changé :
« Sa discipline était basée sur le respect. Il voulait qu’on
respecte le club, l’entraîneur et qu’on se respecte entre nous.
Il n’était pas derrière nous. On avait même une grande liberté,
tant que sur le terrain si on faisait ce qu’il fallait. » Le
Setubalense impose toutefois quelques règles de vie,
énumérées par le Brésilien : « Il n’aimait pas qu’on soit avec nos
téléphones lors de la causerie et des repas. C’était plus une
question de concentration que de discipline. » De la
concentration et de la discipline, il en faut aussi sur le terrain.
Du 4-3-3 au 4-4-2 en un mot
José Mourinho veut aussi éviter les relâchements au niveau
tactique. Son équipe a parfaitement tourné en 2002-2003 mais,
maintenant, tout le monde l’attend au tournant. Le Mister a une
astuce pour préserver l’effet de surprise : l’alternance des
systèmes. Pour 2003-2004, l’entraîneur portiste veut une équipe
capable de passer du 4-3-3 au 4-4-2 en un claquement de doigt.
Le 4-3-3 est son plan habituel, celui qu’il adopte quasi
systématiquement dans les compétitions nationales. Pour
appréhender la prestigieuse Ligue des champions, il songe à
une alternative : le 4-4-2, façon losange, avec, dans l’idéal,
Deco en meneur et Costinha en pointe basse. Mourinho qualifie
ce dernier, comme étant « [son] adjoint sur le terrain ». Petite
anecdote : lors du quart de finale retour de Ligue des
champions face à Lyon, le dossier UEFA remis à la presse
comporte une erreur que les plus fantaisistes qualifieront de
lapsus : à l’endroit où doit figurer le nom de l’entraîneur apparaît
celui de… Costinha. Le « Ministro »137 est un curieux, un
bosseur. « J’aimais demander à mes entraîneurs le pourquoi du
comment, dit-il. J’aime comprendre, savoir. J’ai posé la question
à Mourinho sur les systèmes adoptés et il m’a notamment
expliqué que le 4-4-2 losange en Ligue des champions était plus
adapté parce qu’on allait affronter des équipes plus fortes et
qu’il fallait avoir un meilleur contrôle du jeu ; et avec quatre
joueurs au milieu (j’étais le pivot plus défensif, il y avait
Maniche, Deco, plus Pedro Mendes qui était très bien doté
techniquement et avait une capacité de beaucoup travailler pour
l’équipe), on avait une maîtrise du jeu bien plus importante. On
avait, en plus, deux joueurs rapides devant (Derlei, McCarthy ou
Carlos Alberto), des latéraux qui étaient très incisifs (Nuno
Valente et Paulo Ferreira). C’était facile, parce qu’on avait déjà
intégré le 4-3-3 et qu’il suffisait de changer une pièce pour
basculer en 4-4-2. Et si le 4-4-2 ne prenait pas, on re-basculait
en 4-3-3. Les autres équipes avaient beaucoup de difficultés
parce qu’elles étaient habituées à évoluer dans un seul
système. Elles ne savaient pas comment nous arrêter. Elles
s’étaient préparées à l’un mais pas à l’autre. Ce fut une avancée
très importante mise en place par le Mister. »
L’ancien joueur de Monaco occupe une place primordiale dans
ce dispositif. « J’avais un rôle important dans les déséquilibres,
défensifs comme offensifs, explique-t-il. J’étais le premier
tampon au milieu dans le soutien à la défense ; dans les
transitions offensives, il fallait faire tourner le jeu latéralement et
je devais toujours être disponible, en retrait, entre les lignes
pour faire circuler le ballon. » L’international portugais possède
une autre qualité qui n’a pas échappée à José : « J’avais aussi
une certaine facilité à apparaître dans la surface adverse.
Mourinho me disait souvent que je lui apportais 18 à 21 points
sur la saison, parce que je marquais presque toujours des buts
décisifs. Il savait que sur les coups de pied arrêtés offensifs et
défensifs, j’avais un rôle à jouer. Il donnait une certaine liberté
aux joueurs. Il aimait qu’ils s’expriment sur le terrain. »
Le joueur qui symbolisera le mieux cette « liberté » est Deco.
Paroles du Mister, il est, avec Costinha, l’élément le plus
important de ses années Porto. « J’ai été un joueur important
parce qu’à l’âge que j’avais, j’avais connu la génération du
Penta138, mais aussi des années un peu plus difficiles,
commente humblement le Luso-brésilien. J’étais préparé au défi
qui nous attendait et je voulais gagner. Au fond, mon ambition
personnelle allait à la rencontre de celle de l’entraîneur qui m’a
le plus impressionné dans sa façon d’aborder le jeu et les
matches et de faire en sorte que les joueurs deviennent des
individualités importantes dans un collectif. » L’autonomie
concédée par José est, dit Deco, toute calculée : « Mourinho
était toujours au-dessus des autres en ce qui concerne le jeu.
Du coup, il nous préparait sur ce qui allait venir. Quand vous
êtes dans une équipe où chacun sait ce qu’il a à faire et qui est
au mieux physiquement et tactiquement, le rendement collectif
s’en ressent. » L’ancien joueur du Corinthians ou d’Alverca
reçoit quelques indications, ciblées : « Tout dépendait, du
moment mais ça pouvait concerner le positionnement. Il était
dans le détail. Par exemple, si un joueur adverse important avait
un carton, il voulait qu’on force le jeu de son côté. »
Le basculement entre le 4-3-3 et le 4-4-2 n’a que peu
d’incidence sur le jeu du Mágico : « La fonction était à peu près
la même. Mais en 4-4-2, il y avait plus de liberté au niveau
offensif. Et il me donnait cette liberté. Dans le 4-3-3, il y a une
plus grande responsabilité défensive, pour maintenir
l’équilibre. »
Costinha et Deco représentent finalement l’incarnation du
fantasme footballistique mourinhien dévoilé par son adjoint
Baltemar Brito : « Il aimait les joueurs intelligents et ces
changements tactiques exigeaient des joueurs intelligents. »
Carlos Secretário en parle encore avec passion : « Ses
entraînements étaient fantastiques, incroyablement organisés et
nous poussaient à comprendre le jeu. Tout était focalisé sur le
jeu, le match. Sans qu’on s’en rende compte, il nous préparait
ce qui allait se présenter à nous en compétition. » Du coup,
personne n’accuse le coup. « On était préparés, confirme
Maciel. Il nous expliquait durant la semaine à quels moments du
match on allait adopter tel ou tel système. Tout dépendait du
scénario. On finissait par comprendre nous-même quand il
fallait adopter un schéma ou un autre. » Pour Marco Ferreira
c’est tout aussi « facile » : « Tout était intégré. Même pendant
un match, il parvenait à changer de système sans avoir besoin
de changer de joueur. Parce qu’il l’avait déjà travaillé à
l’entraînement. Chaque joueur savait quoi faire. Il n’avait qu’un
mot à dire et on s’adaptait. Ses méthodes de travail rendaient
les choses simples. » Derlei résume : « Chacun savait ce qu’il
fallait faire dans chacun de ces systèmes. La qualité des
joueurs lui rendait les choses plus faciles. »
« Quel entraîneur proposait 365 entraînements
différents par an ? »
On en (re)vient aux méthodes employées par José Mourinho
au quotidien, aux entraînements. Mis à part ses « suiveurs » de
Leiria et du Benfica, les portistes découvrent sa façon de
bosser. Et eux aussi kiffent. « Mister Óctavio [Machado]
travaillait, disons… autrement, il faisait beaucoup de
coordination dans les sprints, resitue l’offensif Pedro Oliveira.
Mister Mourinho avait une façon d’entraîner totalement
différente. On ne faisait rien sans ballon. »
« Il y avait autre chose : l’entraînement était adapté à chaque
secteur de jeu, reprend-il. Un bon entraînement pour défenseur
centraux ne l’est pas pour des défenseurs latéraux. Les latéraux
travaillaient davantage la vitesse, les centres, le
positionnement… Tout était intense mais adapté et avec le
ballon. » C’est lui LA star : le ballon (amuse-toi à compter
combien de fois il va être cité). « Tout se faisait avec le ballon, y
compris l’échauffement, enquille le défenseur Hugo Luz. Il n’y
avait pas de charges physiques sans ballon. Mais, surtout, il
savait expliquer de façon claire ce qu’il voulait à l’entraînement
et en match. La manière dont il entraînait et il l’expliquait était
très en avance sur ce qui se faisait à l’époque. On arrivait et on
comprenait de suite ce qu’il fallait faire. Tout était structuré
calculé, à la minute près. Ses entrainements étaient courts et
intenses. Et avec le ballon. » Paulo Machado, autre filho do
Dragão139, récapitule et scande : « Personne ne faisait ce qu’il
faisait à l’époque. Quel entraîneur proposait 365 entraînements
différents par an ? Lui et seulement lui. »
Là, tu te dis : « Ce ne sont que des gamins, normal qu’ils en
prennent plein la gueule, face à José. » César Peixoto le
concède : « A cette époque-là, il y avait une différence abyssale
par rapport à ce que j’avais connu. Mais je n’avais que 20 ans.
Je n’avais joué qu’une saison en première division. De ce que
j’avais connu, ça n’avait rien à voir mais même mes coéquipiers
qui évoluaient au plus haut niveau depuis longtemps disaient
qu’il y avait une énorme différence par rapport à ce qu’ils
avaient connu. » Voyons ce qu’en dit, Marco Ferreira, par
exemple, qui en 2002 connaît sa première cap avec le
Portugal : « C’était du jamais vu. Il a été le premier à tout
contrôler avec le ballon. Y compris le mental. Tout était
chronométré, segmenté, calculé. En deux ans de Mourinho, je
n’ai pas souvenir d’avoir fait un 11 contre 11 sur un grand terrain
à l’entraînement. »
Et les tauliers ? Les patrons du vestiaire, ils en pensent quoi ?
« Il avait une façon de travailler différente, commence par
expliquer Costinha. Il a mis en place toute une série d’exercices
par secteurs de jeu qui se sont révélés être très importants. »
Mais ce qui a le plus marqué le milieu de terrain c’est (une fois
encore) l’omniprésence du cuir : « J’ai toujours aimé travailler
avec le ballon. Après tout, si on aime courir, on a qu’à se mettre
à l’athlétisme ! Dans tout ce qu’on développait le ballon était là,
y compris le physique. Il utilisait le ballon comme un aimant, il lui
permettait de nous amener là où il le voulait. Au final, on courait
surement plus parce que le ballon était là. »
« C’était révolutionnaire à l’époque, ose carrément le Capitão
Jorge Costa. Pour moi, en tant que joueur, et c’était la même
chose pour tous les autres, il a amené une méthodologie
totalement différente de celle à laquelle nous étions habitués.
Tout se faisait avec le ballon. Et ça nous a beaucoup plu, parce
qu’on gagnait en ayant du plaisir. Tous les matins, je me levais
avec le sourire pour aller m’entraîner. »
Encore et toujours « le ballon » … José tient là l’outil idéal pour
mener son équipe là où il l’entend. Mais il ne force pas ses
joueurs. Il les éveille. Il met en place la fameuse Descoberta
guiada qu’il avait commencée à concevoir lorsqu’il bossait au
Barça140. Plutôt que les bons vieux exercices répétitifs,
lancinants, mécaniques, il suscite l’esprit, l’entendement, la
curiosité. Il se plaît à arrêter une séance et à leur demander
pourquoi, comment, avec qui agir ? « Il aimait que les joueurs lui
posent des questions, sur l’intérêt de tel ou tel exercice, de tel
ou tel système », témoigne Costinha. Et il tenait à ce que tout le
monde participe. « Il ne mettait pas ses titulaires d’un côté et les
remplaçants de l’autre, il travaillait avec tout le monde, de la
même façon », continue le milieu portugais.
« C’était une rupture totale, témoigne encore Antero Henrique.
Par rapport à ce que j’avais pu voir jusque-là, il avait une
appréhension totalement différente de l’entraînement, au niveau
de l’intensité, de la préparation. Mourinho est très intelligent,
très méthodique et très bien préparé. Quand on réunit tous ces
éléments, on a la bonne formule pour préparer une équipe à
gagner. Mourinho avait comme intention de bien programmer le
travail et, ainsi, de le maximiser. Il était le premier à contrôler les
moindres détails. Je peux par exemple dire que les terrains
d’entraînement étaient entièrement préparés, divisés et
organisés bien avant chaque session, pour que les exercices
soient fluides, avec du rythme et de l’intensité. Même pour les
médias ce fut un choc. Je me souviens qu’il y avait des
journalistes qui avaient du mal à comprendre les objectifs des
sessions, donc un jour, pour éviter qu’ils se trompent, on a
décidé de publier sur le site du Club les objectifs de tous les
entraînements, de chaque cycle de travail. Comme ça, tout le
monde savait si l’objectif de l’exercice était la récupération,
l’activation ou l’organisation, etc… Fin des discussions et des
mauvaises infos pour nous supporters ! »
Henrique « considère Mourinho comme le meilleur entraîneur
du monde, parce qu’il a gagné au plus haut niveau, deux
Champions, les championnats les plus difficiles et parce qu’il
domine parfaitement la fonction d’entraîneur. Il choisit les
meilleurs concepts à appliquer parce qu’il les domine à la
perfection, sachant que les moyens humains à disposition,
essentiellement les joueurs, sont fondamentaux. » Ce qui
expliquera, peut-être et en partie, certaines de ses périodes
moins prolifiques.
La « périodisation tactique » qui n’avait pas encore
de nom
Variété, intensité, temporisation, sectorisation, ballon… Les
entraînements de José Mourinho sont composés de phases de
jeu condensées, calculées, étudiées. Le Mou est en rupture
avec la façon de faire traditionnelle qui se focalise sur le
développement des capacités physiques de l’athlète, où les
ateliers sont séparés et composés de gestes répétitifs, et dont
les séances tactiques sont dissociées, basées sur un discours
théorique et froid. Avec José, tout est intégré dans ses séances,
tout doit être concret, efficace et tendre vers le jeu. Une
méthodologie qui n’est pas sans rappeler la « périodisation
tactique ». La quoi ?!
Les spécialistes connaissent, les initiés en ont déjà entendu
parler. La périodisation tactique est une méthode qui englobe
l’ensemble des composantes et des facteurs de l’entraînement.
Tout est bossé de façon simultanée. Et ce, en vue de
développer le « modèle de jeu », avec la croyance qu’une
équipe peut se maintenir au même niveau sur une saison sans
pics, ni chutes de forme. L’appréhension de cette méthodologie
est on ne peut plus absconse. Parce qu’elle incorpore le
physique, la technique, la tactique, le psychologique mais
surtout parce qu’elle s’adresse à un ensemble d’individus. Or, si
un individu est un être complexe, qu’en est-il pour onze
individus en quête d’un objectif ; sachant que chacun renferme
sa propre complexité. La notion de « modèle », fondamentale
dans cette approche, sous-entend une notion de temporalité et
de coexistence entre individus avec leur subconscient et leur
inconscient ; si ce modèle est une perspective, une idée, il ne
peut, en tant que tel, être totalement maîtrisé, pas plus que les
réactions des individus. T’es encore là ?
Disons que la périodisation tactique est, avant tout, une
philosophie. Ce terme est né de la pensée d’un Portugais : Vítor
Frade. Un touche-à-tout. Né en 1944, il a étudié l’éducation
physique, l’ingénierie, la médecine, la philosophie, avant de
devenir prof, à son tour. Là encore, il se diversifie et enseigne la
théorie et la méthodologie d’entraînement, à la Fac des sports
de l’université de Porto (FADEUP). Frade a également été
footballeur, volleyeur, entraîneur de volleyball, entraîneur-
adjoint, préparateur physique de football (au Boavista, Rio Ave,
FC Felgueiras, FC Porto). Il a secondé des Henrique Calisto,
Mário Wilson, João Alves, Augusto Inácio, Tomislav Ivic, Jorge
Jesus, Fernando Santos, Bobby Robson… Au début des
années 1990, il est préparateur physique au FCP, lorsque
Robson et Mourinho s’y installent. Il retrouve José lorsque celui-
ci revient comme principal à Porto. En 2002, il devient
coordinateur technique des jeunes portistes. Vítor Frade restera
lié à la formation des Dragons pendant de nombreuses années.
Il poursuivra son activité professorale en parallèle. Le fidèle
adjoint de José, Rui Faria, a été son élève et il dit de lui : « C’est
lui qui m’a appris à penser le football. »141
Ces liens entre Frade et Mourinho, la convergence de leurs
idées sur la méthodologie de l’entraînement, poussent de
nombreux observateurs à affirmer que José Mourinho est un
« disciple » de Vítor Frade. Le fait que le Mou explose à Porto
où Frade est implanté, le fait aussi que son plus fidèle adjoint,
Rui Faria, ait été formé par Frade, a plus forcé que renforcé
cette impression. Sur le site officiel de la periodização táctica, il
est écrit : « Une méthodologie d’entraînement apparue il y a
approximativement 35 ans, étant connue, internationalement, à
travers les succès de plusieurs entraîneurs portugais de José
Mourinho, André Villas Boas à Vítor Pereira, entre autres. »142
Mais Mourinho est-il réellement un « disciple » de Frade ? La
réponse à cette question en entraîne une autre : qu’y a-t-il en
premier, la théorie ou la pratique ? Mourinho qui ne s’est jamais
publiquement exprimé à ce sujet te dira que parfois c’est l’un,
parfois c’est l’autre mais que, dans le cas précis, il a précédé les
théoriciens. José a opérationnalisé une idée, une façon de
travailler à laquelle le professeur Frade a accolé des mots, une
définition et, par extension, une doctrine. Vítor Frade a théorisé,
nommé, marketé, développé cette méthode, avec un réel
succès. Mourinho a pratiqué sa méthode, l’a faite évoluer, sans
jamais chercher à la baptiser ou à la faire connaître. Les grands
chefs tentent de garder leurs meilleures recettes secrètes. Le
nom du plat leur importe bien moins que sa composition. Tant
que c’est bon…
Baltemar Brito affirme : « Je ne dirais pas que Mourinho était un
adepte de la périodisation tactique. Il avait sa façon de travailler.
A l’époque, personne ne parlait de ça. Et personne ne travaillait
de cette façon. C’est lui qui a donné vie à cette fameuse
périodisation tactique. Il a mis en pratique une chose que tout le
monde ignorait encore, avec l’aide de Rui Faria qui était son
préparateur physique. Ils ont donné forme à une façon de
travailler. » Le duo Mourinho-Faria ne se séparera qu’en 2019,
lorsque l’adjoint décidera de suivre sa destinée en tant que
principal. Outre la confiance qui les unit, leur complicité sera
fondée sur le fait que José ne considère pas la préparation
physique comme une composante à part, mais une partie
intégrante de ses entraînements et de sa vision. La forme
physique d’un footballeur n’a de sens que si elle s’inscrit dans
un projet, un modèle de jeu qu’il doit maîtriser.
Cette méthodologie Mourinho l’a mouvée au fil des années. Les
souvenirs de José Vasques, l’un des responsables de José
Mário lors de ses années d’étudiant à l’ISEF, viennent le
confirmer : « A l’époque, Sven-Goran Erkisson entraînait au
Portugal [le Benfica]. Il y avait une nouvelle philosophie qui
s’implantait au sein de la section football de la faculté avec les
professeurs Mirandela da Costa, Carlos Queiróz, Jesualdo
Ferreira, Nelo Vingada, Jorge Castelo… De idées novatrices sur
ce qu’était le jeu. » La pensée de ces Professores va se
matérialiser. « Tout était très conceptualisé, à travers des
exercices spécifiques, explique Vasques. Il y avait aussi l’apport
de nos collègues du nord du pays, avec la périodisation
tactique. Le travail devait être plus spécifié et tourné vers le jeu.
Ce fut un virage au niveau de la méthodologie, au Portugal. Les
succès du Portugal en Coupe du monde U20 en 1989 et 1991
avec le professeur Carlos Queiróz ont prouvé l’efficacité de ces
méthodes et ont aidé à leur divulgation. » Selon Vasques,
Mourinho « assimilait pleinement cette philosophie, ce qui ne
veut pas dire qu’il n’avait pas sa propre façon de penser, ses
notions, sa façon de travailler, ses méthodologies. Chacun voit
l’évolution du jeu à sa façon. Ça ne voulait pas dire qu’il y avait
une pensée unique, loin de là. »
Lorsque Mourinho arrive en tant que principal au FC Porto, Vítor
Pereira – qui en deviendra l’entraîneur à son tour entre 2011 et
2013 – œuvre à la formation des jeunes Dragons. Comme
Faria, le natif d’Espinho a eu Frade comme prof. « J’ai eu la
chance de l’avoir à la faculté et mon orientation méthodologique
a été faite par lui, commence-t-il. Vítor Frade était au club quand
Mourinho est arrivé au FC Porto. On avait déjà de la qualité au
club en termes de méthodologie. » Pour Pereira, l’apport du
Mou a néanmoins été « très important » : « Il n’a pas apporté, à
proprement parler, un changement de méthodologie mais son
apport a été de donner du sens. Il a permis au club d’effectuer
un saut qualitatif. Pour moi, il a été une inspiration. »
Outre un passé de joueur de second plan143, comme José, Vítor
est passé par la fac. « Et à cette époque celui qui n’avait pas
été un grand joueur pouvait difficilement devenir entraîneur
principal dans l’élite du football portugais, constate-t-il. Il y avait
des possibilités en tant qu’adjoint ou préparateur physique mais
sinon… Et puis, il y a eu Carlos Queiróz, une bouffée d’air frais,
et quand j’ai commencé comme entraîneur, Mourinho nous a
ouvert des portes. Certaines personnes ont commencé à
comprendre qu’il y avait des entraîneurs intéressants qui
n’avaient pas été de grands footballeurs. Son ascension
correspondait à mon début de carrière. »
La « pression haute »
La vision de Mourinho, son fameux « modèle », se fondent sur
un certain nombre de principes. José que certains se plaisent à
dépeindre comme défensif, « chauffeur de bus », partisan du
contre, est un adepte de la possession. Mais seulement si elle a
un but. Pour lui, la circulation du ballon n’a d’intérêt que dans la
quête de la profondeur, du déséquilibre de l’adversaire. Il lui voit
une autre vertu : avoir la balle peut aussi permettre à son
équipe de pouvoir récupérer physiquement. Mourinho a
conscience que son modèle est éprouvant, exigeant,
notamment parce qu’il repose sur la pressão alta144. Costinha,
dont le rôle est qualifié de « fondamental » par son entraîneur,
explique : « Plus vite on récupère le ballon et au plus proche du
but adverse, plus rapidement on sera en possibilité de marquer
et on évitera d’être en danger. »
En 2003, lors d’une intervention à l’Instituto Universitário da
Maia (ISMAI), l’entraîneur du FC Porto confesse que ce dogme
de la pression haute est une « obsession » apparue lors de sa
première année à Barcelone. « Nous encaissions beaucoup de
buts et nous défendions mal, dit-il. Nos hommes de devant,
Figo, Ronaldo et Stoitchkov avaient des problèmes en ce sens
mais ils devaient défendre. On leur a demandé ce qu’ils
voulaient : se joindre aux lignes défensives lors de la perte du
ballon ou reculer de deux ou trois mètres et initier la pression
haute ? Ils ont préféré la pression haute. »145 Ce jour-là, il en a
déduit que « les joueurs de haut niveau préfèrent la pressão
alta » et il jure que, tant qu’il entraînera un grand, il optera pour
cette devise.
« Il ne se sent pas bien dans la défaite »
Cette intervention à l’ISMAI, près de Porto, est organisée par
l’un des professeurs de l’établissement : José Neto. Diplômé en
psychologie sportive, il est méthodologue de l’entraînement
avec psychologie appliquée au football.
Lorsqu’il a passé sa licence, Neto a fait la rencontre de José
Maria Pedroto, ex-joueur du FC Porto dont il devenu l’un des
entraîneurs les plus mythiques. Au-delà de ses résultats, cette
forte personnalité affichait une particularité pour l’époque : il
était diplômé. A 25 ans, alors qu’il jouait encore, il obtenait sa
formation pour devenir entraîneur. Six ans plus tard, c’est
auprès de la Fédération française de football qu’il présentait sa
thèse146. Il n’était pas un ancien joueur, machinalement
reconverti. Il avait une vision. « La première fois que je l’ai
rencontré, j’étais étudiant et il m’a convié à Guimarães où il
entraînait, se souvient Neto. Il m’a posé plusieurs questions,
m’a demandé mon avis sur les entraînements mais je n’avais
pas toutes les réponses. J’avais la théorie mais la théorie sans
la pratique, ce n’est pas grand-chose. Il disait : « Regarde le jeu
et il te dira comment tu dois entraîner. » J’ai donc commencé à
analyser le jeu à ma manière. J’ai commencé à noter des
données, des statistiques, par position, par secteur, sur la
possession de balle, le temps de jeu, les zones de jeu,
l’efficacité, les passes… »
Pedroto est devenu l’un des premiers techniciens de l’ère
moderne. « Un jour, je lui ai remis un rapport de cinq ou six
pages d’un match contre Penafiel et il m’a dit : « Hey, mais faut
qu’on parle de ça ! », poursuit Neto. Il a voulu acquérir ces
données qui n’étaient pas de simples statistiques. Il y avait une
problématisation, dans le but de les intégrer aux entraînements
et d’adapter ces derniers en fonction. » José Neto a suivi
Pedroto dans son retour chez les Dragons en 1982. Il y a bossé
comme observateur. « Nous n’avions pas d’ordinateur, ni rien,
sourit-il aujourd’hui. Au cours de la semaine, on parlait avec les
joueurs et on adaptait les séances de travail en fonction. Il y
avait une réflexion permanente. Pedroto tenait à ce que je sois
près de lui sur le banc, parce que je faisais les données en
temps réel et il voulait les utiliser pour procéder aux ajustements
nécessaires en deuxième période. » Dans la foulée, Neto a
passé ses diplômes d’entraîneur, il est devenu lui-même
formateur d’entraîneurs et il a intégré les entraînements du FCP
en tant que préparateur physique. Il a collaboré avec Artur
Jorge qui a succédé à Pedroto en 1984 et est devenu – entre
autres – champion d’Europe, trois ans plus tard.
C’est au cours de cette période que le taf de Neto a commencé
à être rendu public. Et José semblait s’y intéresser. « Alors qu’il
étudiait à l’ISEF, José Mourinho suivait avec beaucoup
d’attention notre travail au FC Porto », affirme le doctorant en
sciences et psychologie du sport. « Je ne suis pas psychologue,
je suis méthodologue des entraînements sportifs en utilisant la
psychologie, précise-t-il. A l’entraînement, je ne vois pas que la
psychologie, je vois l’homme, dans sa dimension humaine. Pour
marquer et frapper, je dois entrer dans le corps et la pensée de
l’homme. C’est un travail physique, physiologique et mental. Je
ne peux pas voir juste le joueur. »
En 2003, Neto assure la formation de quatrième degré du
diplôme d’entraîneur à laquelle participe Mourinho. Le stage se
déroule à Lisbonne sur quatre semaines. « Il était intégré dans
une bonne classe, très cultivée, la plupart des candidats avaient
suivi une formation académique : José Mourinho, Carlos
Carvalhal, José Peseiro, José Couceiro, se souvient le Prof
Neto. Il était intelligent, perspicace, très proche des siens, très
motivateur et il donnait au cours une certaine allégresse. Il était
toujours de très bonne humeur. Pas du tout l’image que certains
en font parfois. Il était vraiment très intéressant et enrichissait
réellement les cours. »
José Neto définit José Mourinho comme « un vainqueur » :
« Il s’est habitué à gagner. Il ne se sent pas bien dans la défaite.
Certains entraîneurs positivent après avoir perdu mais je pense
que, lui, n’est pas à l’aise avec ça. Pourquoi il gagne ici et pas
là ? On ne peut pas s’arrêter qu’à l’entraîneur. La structure, les
joueurs influent. » Lors de son passage à Porto, l’ensemble de
ces conditions sont réunies.
Alain Perrin : « Très surpris par le pressing »
C’est un Mourinho aux procédés toujours plus recherchés, à la
confiance régénérée et au palmarès entériné qui se lance dans
la saison 2003-2004. Celle de la confirmation. Et ça débute pas
mal. Il remporte la Supercoupe du Portugal (1-0 face à Leiria)
avant de perdre celle de l’UEFA contre l’AC Milan (0-1). En
championnat, tout va bien. Dès l’entame, il bat ses principaux
rivaux, le Sporting (4-1) et le Benfica (2-0). En Ligue des
champions, c’est moins évident. Un nul face au Partizan (1-1) et
une défaite face au Real Madrid (1-3). A ce moment-là, qui
imagine le FC Porto tirer la coupe aux grandes oreilles ? Les
Marseillais, qui s’apprêtent à les affronter, invoquent surtout leur
propre chance. « On y croyait, confie leur attaquant, Steve
Marlet. Porto était notre concurrent direct, on va dire. Une fois
que t’as tiré le Real Madrid, forcément celui qui vient
derrière… » « Pour nous, la bataille était contre le FC Porto. On
espérait les accrocher », confirme son entraîneur, Alain Perrin.
En octobre 2003, le Vélodrome reçoit les Portistas et vit un
concentré d’émotions. Il y a le scénario : l’OM mène grâce à
Drogba, Porto en plante ensuite trois, avant que Marlet redonne
espoirs aux Phocéens dans les derniers instants. C’est chaud,
mais ça passe pour Porto. « Quand j’ai marqué le 2-3, j’ai senti
qu’ils étaient un peu moins sereins mais ils ont tenu, déplore le
buteur olympien. Il y avait beaucoup de rythme. Il y a eu pas
mal de coups. » L’UEFA a comptabilisé 50 fautes lors de ce
match. L’arbitre grec, Kyros Vassaras, a sorti 8 jaunes dont 6
« pour » Porto147.
Alain Perrin, lui, retient « une équipe de Porto assez offensive ».
Il détaille et s’étonne : « J’avais été très surpris par le pressing
qu’ils avaient exercé à Marseille. Ça nous a beaucoup gêné. Ils
venaient très haut sur le terrain et ça nous a empêché de
relancer. » « Il faut aussi dire que Marseille n’avait pas non plus
une équipe extraordinaire, resitue le vainqueur de la Coupe de
France avec Sochaux en 2007. L’OM était en reconstruction. On
n’était pas dans la même dynamique que le FC Porto qui venait
de remporter la Coupe de l’UEFA. »
Autant le Lensois Joël Muller était en colère contre José en
C3148, autant le Marseillais Alain Perrin en retient du bien de sa
confrontation en C1. « Il était très cordial, affirme ce dernier.
Il m’a parlé en français en marge de la rencontre. Je ne me
souviens plus du contenu de notre échange mais c’était des
banalités. Reste que c’était très sympa. Il n’était pas encore le
Number One. » Marlet : « Pour nous, Mourinho c’était
l’entraîneur de Porto. C’est à partir de cette année-là qu’on a
commencé à vraiment en parler. »
L’opération de Peixoto…
A Marseille, Porto va connaître la victoire mais aussi subir « le
drame » (dixit Mourinho) : la blessure de César Peixoto. L’ailier
sort à l’heure de jeu. Ses croisés ont pété. Un choc pour José :
« C’est la première fois qu’une blessure aussi grave touche l’un
de mes joueurs depuis que je suis entraîneur. C’est une
sensation étrange. » D’autant que le jeune César est en pleine
bourre. « Je traversais une excellente période avec le FC Porto,
confirme l’intéressé. J’étais en train de m’affirmer et ça a été un
vrai coup dur pour moi et pour l’équipe aussi, je pense. » Et
pour le coach, donc. Mourinho partage la douleur de son joueur.
Il est présent lorsque Peixoto passe sur le billard. « Le jour de
l’opération, j’étais accompagné de ma famille et Mourinho était
déjà là, se souvient-il. Je ne savais pas qu’il serait là. On a
discuté un peu. A la fin de l’intervention, j’ai su qu’il avait assisté
à tout. Ça m’est resté… »
Les misères commanditées par le Mister aux entraînements149
ont laissé place à la complicité. « Avant le match contre
Marseille au cours duquel je me suis blessé, on avait affronté le
Belenenses, raconte l’ancien joueur de Belém. A la mi-temps, il
y avait 0-0. J’étais bien mais j’avais pris un jaune. A la pause,
alors qu’il faisait sa causerie, il s’est tourné vers moi et m’a dit :
« T’as déjà pris un carton, je ne veux pas que tu en prennes un
autre, je vais donc te sortir. » Instinctivement, je lui ai répondu :
« Ne faites pas ça, je suis bien dans le match, je sais ce que je
fais. » Et là, il m’a envoyé : « Je vais te faire confiance. Si tu
m’entubes, t’es foutu. » Dès la reprise, j’ai marqué, je me suis
dirigé vers le banc et je lui ai balancé : « Maintenant, tu peux me
faire sortir. » Il s’est marré. »
Cette « peine » liée à la lésion de César, le coach portiste la
transforme en force collective : « Tous ensemble, nous allons
surmonter cette épreuve. » Le FC Porto confirme quelques jours
plus tard, face à l’OM (1-0). « On a été dominés, témoigne
l’attaquant marseillais Steve Marlet. On était totalement
maîtrisés. Ils exerçaient une grosse pression. Nous, on avait un
extraterrestre avec Didier [Drogba], eux avaient un collectif,
certes composé de très bonnes individualités mais ils formaient
un tout. En termes collectifs, ils étaient au-dessus de nous. »
D’autres émotions attendent les Dragons. Leur nouvelle
enceinte vient de naître. Le estádio do Dragão est inauguré le 16
novembre 2003 face au Barça, l’une des ex de José. Dans
quelques mois, le Portugal va accueillir la phase finale de l’Euro
et plusieurs villes du pays en profitent pour rénover leurs
installations. Le FCP remporte cet amical (2-0) grâce à Derlei et
Hugo Almeida. Mais le gazon du nouveau stade a pris cher et
Mourinho refuse d’y jouer, tant que le problème n’est pas réglé.
Porto retourne donc aux Antas pour quelques semaines encore.
Il faudra attendre février et la venue de l’União de Leiria (encore
une ex de Zé) pour que le FCP s’installe définitivement dans
son nouveau chez lui. Pas de quoi le déstabiliser. José a géré le
déplacement à Madrid (1-1) et continue de se promener dans
les compét’ nationales.
… et celle de Derlei
Ça a l’air facile mais le Dragão souffre. Le dernier match de
l’année 2003 vire carrément au châtiment. A trois jours de Noël,
le FCP se déplace à Alverca, futur relégué. Derlei marque dans
le premier quart d’heure. Moins de dix minutes plus tard, le
Ninja s’écroule, agrippé à son genou droit. Le diagnostic va
bientôt se confirmer : rupture du ligament croisé antérieur. Après
César Peixoto, José Mário perd son buteur. Et il pleure en son
for intérieur. Son adjoint Baltemar Brito livre : « Quand Derlei
s’est blessé à Alverca, Mourinho a dit : « J’ai perdu mon
Ninja ! » C’était un joueur capital. Pour moi, il était l’un des
joueurs les plus importants de ce FC Porto. »
Derlei passe entre les mains des médecins. Celui du FC Porto,
le Dr Nélson Puga, se souvient à son tour : « J’étais sur le
terrain, ce jour-là. Lorsque Derlei s’est blessé, je suis allé voir
Mourinho et je lui ai dit : « Mister, on a un grave problème. Ses
croisés sont rompus. » Il était d’abord mécontent. Logique,
aucun entraîneur n’aime recevoir ce genre de nouvelles. Lors
du trajet qui nous ramenait à Porto, on a eu un dialogue très
intéressant. Il a commencé par me dire : « Doc, je ne sais pas si
notre rêve de Ligue des champions ne s’est pas envolé. » Je lui
ai demandé pourquoi et il m’a répondu : « Pour moi, Derlei est
le meilleur joueur du monde dans les transitions. » On s’est
alors mis à parler et à imaginer les scénarii possibles quant au
retour de blessure de Derlei. Le joueur n’avait pas encore
effectué d’examen, qu’on se demandait déjà quand il pouvait
reprendre la compétition, dans le meilleur des cas. On s’était
fixés un objectif qui était qu’il soit opérationnel pour la demi-
finale des Champions, face à La Corogne et c’est devenu une
motivation pour tout le monde : le joueur, le staff technique, le
staff médical. » Le Mou fait de ce coup dur, une force. Dr Puga :
« Il a donné un coup de poing sur la table et a dit : « Nous ne
sommes bons que lorsqu’on résiste à l’adversité ! » C’était une
réaction captivante face à une si mauvaise nouvelle. Le fait est
que Derlei était présent face à La Corogne et il a même marqué
le but de la qualification… »
Et comme pour Peixoto, le Mister est là au moment où son
joueur passe sur le billard. « Il est allé à l’hôpital, il a
accompagné tout le processus, il est resté pendant l’opération,
du début à la fin, révèle Derlei. Il me soutenait, y compris
pendant ma rééducation. Et j’ai fini par revenir beaucoup plus
vite que prévu. » Le 25 avril 2004, quinze jours avant la demie
retour à La Corogne, Derlei rejoue. Clin d’œil du destin, face à…
Alverca.
Le Dr Puga tient à souligner : « Nous avions une excellente
communication avec José Mourinho. Au cours de ma carrière,
j’ai travaillé avec de nombreux entraîneurs et pas que dans le
football. Je n’ai jamais eu de problème avec personne, mais, ça
fait vingt ans que je suis au FC Porto et, avec lui, je peux dire
que ce fut facile. » Pourquoi ? « Parce qu’il était très ouvert, très
curieux, il avait une réelle soif de connaissance, sur tout.
Il aimait échanger tout type d’informations utiles, médicales et
chirurgicales pouvant aider le joueur. » Le praticien insiste :
« Son grand objectif était de mettre le joueur dans les meilleures
dispositions. Il était prêt à accepter l’introduction de nouvelles
méthodes, ou une décision médicale à partir du moment où il
comprenait leur intérêt. » Concrètement, « si un joueur
ressentait une gêne, il était disposé à ce qu’il travaille sans
risquer d’aggraver ce problème physique. Il acceptait qu’il soit
dispensé de sprint, qu’il ne participe pas à un exercice
spécifique et qu’il se soumette à un autre pouvant améliorer sa
condition. » Ça peut sembler évident mais, comme le rappelle le
médecin portiste, « ce n’est pas toujours facile à gérer : les
entraîneurs doivent cohabiter avec une certaine pression. »
Dans le cas de José, elle est grandissante…
Le maillot déchiré de Rui Jorge
A Porto, Mourinho va aussi en (faire) baver. Un match, un
clássico face au Sporting fait, aujourd’hui encore, suinter, couler,
encre et salive. Le 31 janvier 2004, le FC Porto se déplace à
Alvalade. La rencontre entre Lions et Dragons est disputée,
mouvementée. Un but de Jorge Costa, un péno raté par
Rochemback. Neuf jaunes distribués. L’action qui amène le but
égalisateur des Lisboètes fait jaser. João Pinto se fait projeter
dans les panneaux publicitaires par un adversaire. Touché au
bras, il fait signe au soigneur d’intervenir. Des joueurs de Porto
s’en inquiètent et s’arrêtent. Pendant que les uns suivent,
d’autres poursuivent. Rui Jorge – ancien latéral gauche du FCP
– remet le ballon en jeu. João Pinto étant en dehors du terrain et
s’agissant d’une touche, il peut. Liedson court vers la cage de
Baía et tombe au contact de Paulo Ferreira. Pénalty. Pedro
Barbosa l’inscrit. 1-1. C’est fini. En fait, ça ne fait que
commencer.
A l’issue de la rencontre, José est très remonté. Fernando
Santos, du banc d’en face, en est témoin. Le Setubalense
s’excuse auprès de lui en salle de presse mais il ne décolère
pas. Il lance même un appel à son patron, Pinto da Costa : « S’il
vous plaît, président, à la fin de la saison, laissez-moi partir, loin
de tout ça. Le football portugais ne m’aime pas, donc, le mieux
est que je parte le plus vite possible. » Blasé, Mourinho.
Le spectacle continue. José Eduardo Bettencourt, alors
administrateur de la SAD du Sporting, se présente en salle de
presse avec le maillot de Rui Jorge complètement déchiqueté.
Il accuse : « Notre intendant, Paulinho, voulait échanger le
maillot de Rui Jorge avec celui de Vítor Baía et José Mourinho a
fait ceci et il a dit : « J’aurais aimé que Rui Jorge meure sur le
terrain. » » Une semaine auparavant, le cœur de Miki Féher,
buteur du Benfica passé par le FC Porto, s’est arrêté en plein
match, à Guimarães.
Mourinho dément la version du dirigeant sportinguiste. Les
instances s’en mêlent, le sanctionnent, le relaxent, alors qu’il
sera déjà parti à Chelsea. Car ce caso (se) traîne. Mais que
s’est-il donc passé dans les entrailles d’Alvalade ce 31 janvier
2004 ? Qui donc a réduit la camisola de Rui Jorge en
lambeaux ? Quinze ans plus tard, le sujet demeure sensible.
Nuno Valente lance avec un sourire presque gêné : « Je ne
commente pas ça. Je ne l’ai pas vu mais j’en ai entendu
parler… » Deco : « Je me souviens juste d’entendre une
discussion dans laquelle Mourinho disait qu’il ne voulait pas
échanger de maillot avec une équipe qui avait manqué de fair-
play. Mais je n’ai vu personne découper le maillot. »
« Ce fut plus du bruit qu’autre chose, dépassionne Antero
Henrique. Ce fut exagéré. A l’époque, le FC Porto n’a pas
donné d’importance à cela, pas autant que le Sporting en tout
cas, qui était dans une situation sportive plus défavorable et qui
a cherché à s’excuser ainsi face à ses résultats. Ce fut un
épisode de vestiaire que je ne qualifierais pas de normal mais
qui peut se produire, si on prend en compte certaines émotions
qui peuvent parfois être difficiles à contrôler. Mais ce n’est pas
Mourinho qui a déchiré le maillot. » L’ex-dirigeant du FCP n’en
dira pas plus. De quoi alimenter les fantasmes…
En 2018, Maniche publie ses mémoires. Et il balance : « Tout le
monde pense que c’est Mourinho qui a déchiré le maillot de Rui
Jorge mais ce n’est pas lui. C’est Costinha. José Mourinho ne
l’a pas déchiré et il n’a pas non plus dit qu’il voulait que Rui
Jorge meure. » Point, à la ligne, nouveau chapitre. Des mots qui
ne font pas vraiment marrer Costinha. Lancé sur le sujet, le
« Ministro » répond laconiquement : « Cette question sera
réglée là où elle doit l’être. »150
« Il a gagné parce qu’il avait un groupe fantastique »
La vie de Mourinho sur les bords du paisible Douro n’est pas
un long fleuve tranquille. Il doit tenir la barre lorsque les vagues
sont houleuses. Après les cas Postiga et Baía, vient celui de
McCarthy. Benni avait connu un premier passage au FC Porto
en 2001-2002. Prêté par le Celta Vigo, l’international sud-
africain avait claqué 13 pions en 12 matches. A l’été 2003,
Mourinho fait de lui le remplaçant de Hélder Postiga vendu à
Tottenham. L’ancien attaquant de l’Ajax assume son statut.
Il terminera meilleur marcador de la SuperLiga 2003-2004 (20
buts). McCarthy est du genre intenable. Et pas que sur le
gazon.
En février, à deux jours d’un clássico à la Luz (1-1), il s’offre une
virée nocturne à Vigo. Il y retrouve sa fiancée qui y célèbre son
anniversaire. Et il en revient la gueule à l’envers. Face au
Benfica, il est remplacé à 20 minutes de la fin. Mourinho
n’esquive pas l’affaire devant la presse : « On ne va pas faire
comme si rien ne s’était passé, parce que ce n’est pas ma façon
d’être. Voilà la réalité : il s’est passé quelque chose d’anormal
dans sa vie sociale. C’est son problème et c’est mon problème
parce que je suis son chef. » Le Mou le met à l’amende, l’envoie
s’entraîner deux jours avec l’équipe b mais ne l’enterre pas :
« On ne peut pas, sur une chose ponctuelle, remettre en cause
le joueur et l’homme. » McCarthy est même convoqué pour le
match qui suit, contre Guimarães. Porto s’impose 3-0 et devinez
qui plante le troisième but ? Devinez qui dans la foulée, plante
un doublé contre ManUnited en huitième aller de C1 ? Benni,
oui, oui…
Le Mou marque le coup tout en éludant les séquelles. Certes,
McCarthy est un élément important mais rien n’est au-dessus
de l’équipe, du club, de la fameuse « institution ». « Tout n’était
pas une mer de roses [la version portugaise du « long fleuve
tranquille »], admet le capitaine Jorge Costa. On était
relativement jeunes, on commettait des erreurs mais tout a
toujours été résolu de façon paisible. On était une véritable
famille. On parvenait à résoudre nos problèmes en interne et
pacifiquement. » Le Bicho a une explication à cela : « Ce
groupe était fantastique. » L’ailier Marco Ferreira avance
même : « Je pense que Mourinho a gagné à Porto parce qu’il
avait un groupe fantastique. Tout le monde allait dans la même
direction. Il y a eu des conflits mais tout le monde était bien, on
mangeait, on sortait tous ensemble. C’était une famille. En plus
de ça, il avait le soutien de la direction. » Mourinho flirte avec la
schizophrénie. « C’était toujours à fond, très professionnel, mais
pendant les pauses, il en profitait pour lancer des vannes,
détendre l’atmosphère, continue Ferreira. Quand tu as le groupe
avec toi, tu peux te le permettre. »
Le fait est qu’aucune « polémique » ne se répercute sur les
résultats. Porto, dont la dernière défaite date d’octobre 2003 (0-
1 contre le Real Madrid, en C1) ne va tomber que six mois et
plus de 30 matches plus tard. Le 3 avril 2004, le FCP s’incline
face au Gil Vicente (0-2). Un revers anecdotique tant le Dragon
survole le championnat. Dans la foulée, tout le monde va gérer
le quart retour de Champions face à l’OL.
Govou : « Un sentiment d’impuissance »
Le FC Porto qui avait affronté (et battu) l’OM en phase de
groupe de Champions se retrouve, en quart de finale, face à un
autre club français, un autre Olympique, le Lyonnais. Un OL qui
entame ses années folles, qui remportera cette année-là le
troisième de ses sept titres successifs de L1, mais qui n’est pas
encore un coutumier de la C1. Ce quart est le premier de son
histoire.
De ce duel face au FCP, le jeune produit des Gones, Bryan
Bergougnoux, se souvient « surtout du tirage » : « On était un
peu déçus. Ça sentait le piège. On savait que c’était une bonne
équipe mais on nous présentait un peu comme les favoris. Tout
le monde nous voyait passer. Porto était pourtant un club plus
habitué que nous à ce genre de rendez-vous. » Mister Paul Le
Guen fait d’ailleurs de Porto « un favori ».
Bien qu’auréolé de la C3, José n’est pas un sujet de discussion
dans le vestiaire lyonnais. « Mourinho, on en parlait pas plus
que ça, pour être honnête », confesse Bergougnoux. « On ne
parlait pas de Mourinho, on parlait de l’entraîneur de Porto »,
nuance Sidney Govou. J’ai même une anecdote sur lui. Il était
venu nous voir jouer, une semaine avant notre confrontation
mais il n’avait pas assisté à l’intégralité de la rencontre. On nous
avait dit : « L’entraîneur de Porto (il n’était pas appelé par son
nom) est venu et il était parti vers la mi-temps en disant : « C’est
bon, j’ai tout vu. Je sais comment je vais gagner. » » On s’est
dit : « Mais il ne nous respecte pas ! » Et le fait est qu’il avait
raison. »
A Porto, les Dragons mangent Lyon (2-0). Avec Deco dans le
rôle du héros, passeur décisif et buteur. « Ils avaient Deco qui
était un magicien et des joueurs qui bataillaient,autour, analyse
Bergougnoux. Ils étaient efficaces, il n’y avait pas de fioritures
dans leur jeu. On savait que c’était une équipe très bien
organisée. Ils ont fait la différence sur l’intensité qu’ils mettaient
sur le porteur du ballon. Ils allaient très, très vite devant et
étaient très solides derrière. Paul Le Guen nous avait bien tout
expliqué lors des séances vidéo mais… » Mais l’OL s’emmêle,
gêné par les commutations entre 4-4-2 et 4-3-3 de son
adversaire. « On était prévenus qu’ils alternaient entre deux
systèmes mais l’aller nous a déstabilisé », concède l’offensif
lyonnais.
Titulaire au Dragon, Govou confie même : « Tactiquement, c’est
l’une des rares fois où j’ai eu ce sentiment d’impuissance. Je ne
pouvais rien faire. On avait beau courir, se déplacer, rien n’y
faisait. J’étais complètement bloqué. »
Au retour, Maniche se paie un doublé et permet à Porto de
repartir de Gerland avec un 2-2. Le FCP est qualifié. Et il n’y
plus de quoi s’étonner. « Quand on voit l’évolution des joueurs
de cette équipe et de leur entraîneur, on comprend qu’on avait
une sacrée génération face à nous, constate Govou. Après les
avoir joués, on a compris pourquoi et comment ils ont autant
gagné. »
« Il pense plus vite que les autres »
José Mourinho manage et ménage son groupe à merveille. Sa
communication fait partie intégrante de sa méthodologie, de sa
psychologie, de sa philosophie. Les médias, que beaucoup
d’entraîneurs subissent, sont pour lui un outil, voire une arme
qui lui permettent non seulement de défendre comme d’attaquer
ses adversaires, mais aussi de renforcer ses liens, sa
complicité, avec ses joueurs. Clayton témoigne : « Alors que je
revenais de blessure après plus de deux mois d’arrêt, j’étais
convoqué en conférence de presse. Mourinho m’a appelé et m’a
dit : « Les journalistes vont te poser des questions. Tu vas être
titulaire au prochain match mais tu ne vas pas leur dire. Tu vas
même les provoquer. Tu vas leur dire : « Je sais si je vais jouer
ou pas mais je ne vais pas vous le dire. » Il m’a briefé sur les
questions qui allaient m’être posées et à 90 % c’était ce qu’il
avait prédit ! »
Pour l’adjoint, Baltermar Brito, « cela ne doit rien au hasard » :
« Il prépare tout. Plus globalement, il s’est préparé à tout ça, à
tout ce qui lui est arrivé et tout ce qui lui arrive. Il pense plus vite
que les autres et, surtout, il pense à ce dont personne ne
pense. Il provoque ? Mais pourquoi ? Parce qu’il sait qu’il a un
atout à sortir de sa manche. Il est sûr de ce qu’il fait. C’est un
gagnant sur et en dehors du terrain. »
Hugo Luz va connaître le même genre de briefing que le
Brésilien Clayton. Mais pour le juvénile défenseur, ce passage
en conf’ de presse a une teneur très singulière : « Je m’en
souviens encore, c’était le mardi précédent ma première avec
l’équipe première. On allait affronter Varzim. Il est venu dans le
vestiaire et m’a dit : « C’est toi qui vas aller parler à la presse. »
J’ai dit : « OK. » Et là, il m’a dit : « Bon, ils vont te demander si
tu vas jouer contre Varzim et tu vas leur répondre que tu seras
titulaire. » Je lui ai répondu : « Mister, on est mardi, je ne vais
pas annoncer que je vais être titulaire ?! » Il a insisté : « Si, si. »
Le lendemain, la presse titrait : « Un gamin sera titulaire contre
Varzim. » Ça m’a mis un peu de pression, j’étais un peu nerveux
mais ça m’a aussi permis de me responsabiliser. »
Le document pour la formation
Puisque Hugo Luz amène le sujet : comment Mourinho gère-t-
il les « gamins » ? Le Special One a pour réputation de les
délaisser, voire de les « maltraiter ». L’éducateur du Comércio e
Indústria et du Vitória de Setúbal qu’il a été est-il en
déconnexion avec ce passé ?
Luz éclaire : « Lorsqu’il est arrivé à Porto, il appelait
régulièrement des jeunes de la b pour s’entraîner avec l’équipe
première. Il y avait Ricardo Costa, Pedro Nuno, Manuel José,
moi… » Le défenseur évoque un Mister « très communicatif » :
« Il nous demandait beaucoup, il était très exigeant avec nous
comme il l’était avec les autres joueurs. Il nous parlait de la
même façon qu’aux autres. » Le jour où il est lancé, le natif de
Faro est « mis à l’aise » par José : « On avait disputé un amical
à Vigo, face au Celta. Il est venu vers moi et m’a dit : « Tu es
avec nous, tu connais notre façon de jouer. » Il m’a donné
quelques indications très précises. »
Le témoignage de Pedro Oliveira rejoint celui de Hugo Luz et
rappelle ce que le Mou avait instauré lors de son intronisation
au Benfica151 : « Dès sa première semaine, on était plusieurs
jeunes convoqués par Mourinho pour l’entraînement de l’équipe
première. Il nous a expliqué ce qu’il attendait de nous. Il nous a
mis en confiance en nous disant que si on était arrivés là, c’était
grâce à nous-même. A moi, il m’a dit : « Un numéro 10 qui ne
joue qu’avec le ballon, ça ne m’intéresse pas. Il faut bien
t’entraîner, tout donner et mettre tes qualités au service de
l’équipe, avec et sans le ballon. » »
Mourinho va ainsi titiller les tauliers en convoquant des habitués
de la réserve, sans pour autant mépriser cette dernière.
« Il venait assister aux entraînements, à des matches de
l’équipe b, de temps en temps. Il suivait certains joueurs »,
confie Domingos Paciência, alors entraîneur du FC Porto b. Et
Zé Mário qui a bossé avec Domingos lorsqu’il était l’adjoint de
Robson chez les Dragons n’impose rien. « Il n’avait pas
d’exigence, explique l’ancien buteur. La seule chose qu’il a faite,
c’est de réunir tous les entraîneurs de la formation au début de
sa première saison pleine [2002-2003] et d’expliquer ce qu’il
prétendait, quels types de joueurs, quelles caractéristiques, il
prétendait retrouver en eux. Il a exposé sa façon de jouer et de
penser. On a donc cherché, en tenant compte des joueurs que
nous avions, à nous rapprocher de ses idées. Il nous a remis un
document qu’il avait déjà préparé et il nous a demandé de
travailler dessus. »
Ce document interne et confidentiel se présente sous la forme
d’un Power Point. En voici quelques extraits. La première page
indique :
« VISION…

MODÈLE DE JEU.
Philosophie de jeu.
Culture du jeu. »
Le fameux « modèle de jeu », si cher à Mourinho et aux
disciples de la périodisation tactique. Au fil des presque 100
pages que constituent ce dossier, il développe ses principes de
jeu, son système, à travers des mots-clés et des schémas.
Il préconise, poste par poste, le profil des joueurs adaptés à son
système (le « modèle tactique – technique » détaillé est le 4-3-
3) et détermine les qualités tactiques, physiques mais aussi la
personnalité requise, pour chacun d’entre eux.
Vítor Pereira, comme tous les autres formateurs et entraîneurs
des équipes de jeunes du FC Porto, se voit remettre cette
« bible ». « Lors d’une réunion, en début de saison, il nous a
expliqué ce que Porto, le club, attendait de nous, entraîneurs ;
ce que lui attendait de nous, comment les joueurs devaient être
préparés pour atteindre l’équipe première, commence celui qui
sera champion du Portugal en 2012 et 2013 en tant que coach
principal du FCP. Nous, éléments techniques de la formation,
avions reçu un document d’orientation sur les comportements à
adopter par les équipes de jeunes de Porto : la domination du
jeu, la possession de balle, l’agressivité dans les transitions. »
Si le lien entre l’équipe première et celles des jeunes n’est « pas
direct », Mourinho établit une connexion, une forme de
cohérence, poursuit Vítor Pereira : « Quand Mourinho est arrivé,
le dossier qu’il a fourni s’étendait de l’équipe première à celles
de la formation, et constituait un fil conducteur pour préparer les
joueurs à une certaine façon de jouer, celle qu’il prétendait. Le
système était le 4-3-3 et nous nous sommes mis à jouer en 4-3-
3, si on estimait, compte tenu du profil de nos joueurs, qu’il était
préférable de le faire. On s’est tous mis en quête des mêmes
comportements dans les différents moments du jeu. Idem pour
les joueurs, on focalisait sur les mêmes caractéristiques pour
chaque poste : ce qu’on attendait d’un latéral, d’un défenseur
central… Chaque fonction devait avoir des qualités précises
pouvant servir l’équipe première. Le document d’orientation est
devenu celui de toutes les équipes. »
Les indications du Mou modifient l’approche vis-à-vis des
catégories de base. « Son arrivée a donné du sens au travail de
la formation, insiste Pereira. On n’était plus là que pour gagner
des titres mais pour préparer les joueurs à atteindre l’équipe
première. C’est le genre de situation idéale dans un club : avoir
un modèle de jeu défini et que toutes les équipes le suivent et
l’alimentent. » Pendant que le Dragon de Mourinho ingurgite les
titres.
Champions à l’hôtel
Le titre de champion du Portugal 2003-2004, le FC Porto va le
célébrer sans avoir à jouer. A trois journées de la fin, Mourinho
et ses gars sont au vert à l’hôtel Tivoli de Porto. Le lendemain,
ils affrontent Alverca. Mais ce soir-là, l’União de Leiria bat le
Sporting (1-0) et le Dragão est campeão. José peut
tranquillement préparer sa demi-finale retour de Champions
face au Deportivo La Corogne. L’aller, à Porto, a accouché d’un
0-0. José, avec sa fameuse rotatividade, fait tourner contre le
Rio Ave. Un match âpre. Trois exclus au total et une victoire
pour la formation de Vila do Conde (1-0).
Place maintenant au Riazor. Et là encore, c’est chaud. Faut se
remettre dans l’ambiance. Ces Galiciens poursuivent l’œuvre du
« Super Depor », champion d’Espagne en 2000, vainqueur de la
Coupe du Roi deux ans plus tard et deux Supercoupes
d’Espagne. Un abonné au podium de la Liga (ce sera encore le
cas en 2003-2004). Drivée par Javier Irureta, cette Coruña est
composée du « Ministre de la Défense » marocain Nourredine
Naybet, de l’ancien défenseur de Porto, Jorge Andrade, du
champion du monde brésilien Mauro Silva, du fantasque
attaquant uruguayen Walter Pandiani, du « Maestro » Valerón,
du prolifique « Diegol » Tristán, du « Torero » Albert Luque ou
encore de l’énergique Lionel Scaloni. C’est Derlei, sur pénalty,
qui débloque la rencontre et la qualif, à l’heure de jeu. « On a
été brillants tactiquement et mentalement, scande Costinha.
Avec beaucoup de joueurs qui étaient menacés de suspension
pour la finale. »
Mourinho l’a carrément joué devin, avant cette rencontre.
Docteur Puga en est témoin : « Lors des entraînements, s’il
avait un doute quant à la condition physique d’un joueur il lui
arrivait de me consulter. Avant la demie retour contre le Depor, il
m’a appelé et m’a dit : « Les joueurs savent ce qu’ils ont à
faire. Maintenant, je vais les mettre dans les conditions pour le
moment où on mènera 1-0 et qu’ils feront entrer Tristán en
cours de jeu. » Il ne m’a rien demandé par rapport à mon rôle
de médecin. Sur le ton de la plaisanterie, je lui ai dit : « Mais
quelqu’un, là-haut, vous dit ce qu’il va se passer ? » Il m’a
répondu : « Non, mais on marque à tous les matches, non ? Eh
bien, on va marquer, ils vont faire entrer Tristán mais ils ne
marqueront pas parce qu’on ne leur laissera pas l’opportunité
de le faire. » Croyez-le si vous le voulez ou pas mais tout s’est
passé exactement comme il l’avait prédit ! »
Le FC Porto vainqueur en titre de la Coupe de l’UEFA est en
finale de Ligue des champions. Première finale de C1 pour un
club portugais depuis 1990 (défaite 0-1 du Benfica face à l’AC
Milan). Mais avant de retrouver Monaco pour la décision ultime,
les Portistes doivent affronter le Benfica en finale de la Taça de
Portugal.
En conf’ d’avant-match, Mourinho se montre prudent, voire
méfiant. « C’est le Benfica le plus motivé de ces dernières
années, dit-il. Nous avons conscience qu’à l’exception d’un ou
deux joueurs du Benfica, les autres n’ont rien gagné. Cette
finale est donc pour, presque tous leurs joueurs, non seulement
le match de la saison mais je dirais aussi celui de leur vie. Dans
le même temps, mes joueurs ont déjà gagné tant de choses en
peu de temps… » Ces déclas peuvent paraître provocatrices –
José est plutôt adroit dans ce genre d’exercice – mais,
objectivement, il parle vrai. Le dernier trophée des Aigles
remonte alors à 1996 ! Et c’est sous le commandement de
l’Espagnol José Antonio Camacho que cette faim prend enfin
fin. Car, oui, le Benfica va s’imposer. Derlei plante le premier
(45e), le Grec Fyssas égalise (58e), Jorge Costa se fait exclure
et la décision ne se fait qu’aux prolongations quand Simão offre
la Coupe du Portugal au SLB.
Mourinho affiche toutefois une stat assez dingue face aux
grands lisboètes. Cette défaite – aux prolongs, donc – est la
seule qu’il a essuyée en carrière face au Benfica et au Sporting
(12 victoires, 4 nuls et 1 défaite, en 17 confrontations). Ce
clássico perdu est sans doute pollué par l’obsession de la Ligue
des champions. N’allez pas croire… José et ses joueurs l’ont
mauvaise. Ils voulaient, ils visaient le triplé. « Il n’aime pas
perdre. Après une défaite, il remet tout en question. Il veut
comprendre le pourquoi du comment », assure Brito. Comme
lui, ses joueurs ont la tête basse et sûrement l’esprit ailleurs.
Deco est l’un des rares qui accepte de lâcher quelques mots à
la presse : « Il y en aura encore dans les prochains jours et le
meilleur est à venir. »
Le duel du Jamor s’apparente à une répétition générale, à dix
jours de LA finale, celle de la Champions. Face au SLB,
Mourinho a aligné la grosse équipe. Mis à part Nuno (habituel
gardien en Coupe) et Benni McCarthy (qui laissera sa place à
Carlos Alberto contre Monaco), la compo de départ est la
même. Le résultat sera tout autre.
Mourinho vs Deschamps
C’est en Allemagne, à Gelsenkirchen, que FC Porto et AS
Monaco s’affrontent lors de la 49e finale de la Ligue des
champions. En ce 26 mai 2004, José Mourinho couche un 4-4-2
losange (Vítor Baía – Paulo Ferreira, Ricardo Carvalho, Jorge
Costa, Nuno Valente – Maniche, Costinha, Pedro Mendes –
Deco – Derlei, Carlos Alberto), avec Costinha en pointe basse
et Deco en pointe haute, au milieu.
En face, l’ASM vit une saison historique. Didier Deschamps qui,
comme joueur et capitaine, avait remporté la C1 1993 avec
l’OM, vient de mener le club du Rocher à un stade jamais atteint
jusque-là dans la plus fastueuse des épreuves européennes.
Flavio Roma, Ibarra, Julien Rodriguez, Givet, Evra, Edouard
Cissé, Lucas Bernardi, Zikos, Giuly, Morientes, Rothen, Prso,
Nonda, Adebayor ou Squillaci composent le groupe de DD. Ces
mecs-là ont notamment sorti le Lokomotiv Moscou, le Real
Madrid et Chelsea. Avec, à chaque fois, des scénarii de folie.
En huitièmes, ils perdent l’aller en Russie (1-2) et passent au
retour (1-0) ; en quarts, ils s’inclinent 4-2 en Espagne et
réalisent l’exploit à la maison (3-1) ; en demies, face aux Blues,
ils jouent à se faire peur : ils remportent l’aller 3-1 et, à Londres,
ils se laissent mener 2-0 avant d’égaliser. En gros, une équipe
de talents et de tarés, une équipe avec un talent de taré.
Et Mourinho veut éviter de se rater. Rien (dans les limites du
possible) ne doit lui échapper. Niveau rapports, José est un
obsédé. Il aime que tout soit effeuillé dans les moindres détails,
tout connaître de son vis-à-vis. « Ce qui m’a le plus marqué
chez Mourinho, ce sont les notes qu’il remettait à chaque joueur
sur son prochain adversaire, s’extasie l’offensif Maciel. Moi qui
étais ailier, il m’indiquait toutes les qualités et les défauts du
latéral que j’allais avoir en face de moi. Rares étaient les
entraîneurs qui faisaient ça à l’époque. Avant chaque match,
chaque joueur se voyait remettre ce rapport détaillé. Toutes les
caractéristiques, techniques, tactiques, des joueurs y étaient. »
Mourinho fait de ses séances de visionnage des pièces,
séquencées par les actes et les scènes qui en découlent. Et il
sait soigner sa chute, comme en témoigne Marco Ferreira :
« A travers les séances vidéo qui étaient quelque chose de
sérieux, il parvenait à transmettre son message, ses indications
tout en y ajoutant une touche d’humour. Ce n’était pas
assommant pour nous, joueurs. Il terminait souvent par un
article d’un journal, un dessin, une caricature, une citation, une
vanne… Là aussi, à chaque fois, c’était novateur. » Ses
sessions de Power Point deviennent même attendues par ses
joueurs. « C’était des moments qu’on appréciait », sourit le très
rodé Secretário.
Face à Monaco, Mourinho pousse le kiff un peu plus loin
encore : chaque joueur se voit remettre un DVD personnalisé.
Tout y est. Le boulot d’observation et de prospection d’André
Villas-Boas et de Lima Pereira est clippé, mis en boîte, sous la
supervision de leur producteur-réalisateur. « Mourinho était très
fort pour analyser les équipes adverses, insiste Nuno Valente.
C’était une personne qui voulait gagner et avoir du succès. »
Une ambition qu’il sait transmettre. Rendre ses joueurs
meilleurs et leur donner la sensation qu’ils sont les meilleurs.
Quel que soit l’adversaire. « Avant, en Coupe d’Europe, si on
tombait sur un gros comme Manchester ou l’Inter, on se disait
que ça allait être compliqué, lance le latéral. Il a changé notre
façon d’aborder ce type de rendez-vous. Après la victoire contre
Manchester United, dans les dernières minutes [huitième de
finale de Ligue des champions 2003-2004, 2-1 ; 1-1 au retour],
sa réaction a été de dire : « Eux, c’est fait. » Quand on tombait
sur des équipes de cette dimension, c’était des adversaires
comme les autres, comme si c’était un match du championnat.
Il a beaucoup changé nos mentalités. »
Il fait évoluer par là même, la condition d’entraîneur-professeur.
FC Porto – AS Monaco, c’est Mourinho vs Deschamps.
« Pendant que Didier Deschamps gagnait des titres sur les
terrains de foot, j’investissais tout ce que j’avais dans ma
formation professionnelle, resitue le Mou en avant-match.
Comme joueur il a tout gagné, tandis que moi, en tant que tel, je
n’ai rien gagné, mais je peux dire que, comme entraîneur, c’est
moi qui ai presque tout gagné, alors que lui, encore peu. »
« Mourinho a eu une vraie incidence sur le match »
A Gelsenkirchen, Mourinho assume même le statut de favori.
En toute prudence, il concède un « 51 % pour nous et 49 %,
pour eux » et prédit un « score serré ». Il ne sera jamais aussi
heureux de se planter. Le Dragon survole la rencontre. 3-0.
Carlos Alberto, Deco et Alenichev sont les buteurs de ce large
succès. Jérôme Rothen se remémore cette finale avec
« émotion », « déception » et « tristesse ». Car pour le gaucher
monégasque, son ASM avait les faveurs des pronos : « Avant le
coup d’envoi, avec le parcours qu’on avait eu, la force qu’on
dégageait… Ce n’était pas du 80-20 mais, même dans le
discours des médias, on nous voyait la gagner et nous aussi
inconsciemment. On a eu le temps d’en parler. Pour nous, on
allait être au même niveau que sur les tours d’avant et si c’était
le cas… Quand tu regardes, tous les gros matches qu’on a fait,
on les a tous bien négociés. Pour nous c’était presque naturel
de se transcender sur cette finale. Malheureusement, on n’a
jamais réussi. Plein de choses rentrent en compte et c’est là
qu’on en vient à parler de Mourinho. »
Parmis ces « choses », il y a la connaissance du Mou et de ses
hommes. « L’année d’avant, ils remportent la Coupe de
l’UEFA et quand tu joues une finale, t’as une expérience, affirme
Rothen. Dans l’approche, ils n’ont pas géré comme nous. »
Il y a ensuite « l’approche tactique ». « Je n’ai pas trouvé qu’il y
avait une grosse intensité, commence le futur ailier du PSG. En
revanche, quand on entrait dans leur moitié de terrain, on se
heurtait à une équipe solide, agressive, il y avait très peu
d’espace entre les joueurs. C’est ce qui m’avait choqué. J’avais
un jeu dans lequel j’utilisais beaucoup mon corps et un pied qui
faisait la différence mais, là, quand j’arrivais dans les trente,
quarante mètres adverses, il fallait que j’aille encore plus vite. »
Le plan de Deschamps démarre bien, pourtant. Mais dès la 23e,
il vrille. Ludovic Giuly sort sur blessure. Un tournant, selon
Rothen : « Sur ce que Didier avait mis en place, sur le début du
match, Mourinho n’avait pas réussi à nous contrer. Giuly prenait
beaucoup la profondeur, avec une charnière, en face, qui était
assez lourde. » Mais, là, c’est le club du Rocher qui se met à
sombrer. « On s’attendait à ce qu’ils fassent plus en fonction de
nous, que nous en fonction d’eux, analyse Rothen. Parce que
même quand on a joué de grandes équipes, on a essayé de
développer notre jeu. Bien sûr que le coach, Didier, mettait
l’accent sur les joueurs importants à surveiller mais on ne jouait
pas pour bloquer l’adversaire. » C’est Monaco qui est prisonnier.
Impuissant face au Porto de Mourinho. « Ce n’est pas étonnant
qu’ils aient reçu chacun un DVD, reprend l’international français.
Je n’ai revu que des bouts de cette finale. La sensation que j’ai,
même avec le recul, est toujours la même : c’est de ne pas être
totalement libéré. Etait-on impressionnés par l’engouement,
l’enjeu ? Etait-ce le fait qu’ils avaient gagné la finale de C3
l’année d’avant ? J’avais vraiment un sentiment d’impuissance.
Alors que, même encore aujourd’hui, je me dis que c’était
largement jouable. »
Jérôme Rothen enchaîne : « On a senti que Mourinho a eu une
vraie incidence sur le match, tactiquement, psychologiquement,
avec ses joueurs. J’ai des flashs sur ce match, où pendant la
rencontre on était à court d’idées et on se disait : « Essaye de
nous aider, Didier ! » T’as toujours un œil sur le banc adverse.
On voyait Mourinho. Il dégageait beaucoup de sérénité, au-delà
de son charisme naturel. Tu sentais qu’il était en osmose avec
ses joueurs. »
Avant cette finale, le Mou n’est cependant pas (encore) un sujet
de conversation dans le vestiaire Monégasque. « On en parlait
pas de lui, avoue JR. Même s’il avait gagné l’UEFA l’année
d’avant, que ce n’était pas anodin, et que c’était une très bonne
équipe. On ne voyait pas encore Mourinho comme un monstre.
On commençait à en parler. Pour nous, le meilleur entraîneur
des deux, avant le coup d’envoi, c’était Didier. »
Rothen : « Un regret de ne pas avoir eu un entraîneur
comme lui »
Comme beaucoup d’autres joueurs de Monaco de cette saison
historique 2003-2004, Jérôme Rothen va quitter Louis II. Et il va
choisir son club de cœur : le Paris SG. Mais la patte gauche
aurait bien pu connaître une autre destinée. Il raconte : « Après
la demi-finale retour contre Chelsea qui est certainement le
meilleur match de ma carrière, le propriétaire des Blues, Roman
Abramovitch, voulait me voir. Je devais passer au contrôle
antidopage. A Stamford Bridge, les vestiaires sont tous petits.
Abramovitch était là avec son bras droit. Je ne voulais pas lui
parler. Il ne m’a pas vu, je suis resté à l’intérieur et je l’ai
entendu. Il a demandé à Jean-Luc Ettori et à un autre joueur :
« Where is Rothen ? » Après ce match-là, j’étais persuadé qu’il
me voulait absolument. Je savais très bien qu’avant, il y avait eu
de gros contacts entre Chelsea, mes agents et mon président,
en accord certainement avec le futur entraîneur, pour me faire
venir. Je ne voulais pas lui parler parce que je ne voulais pas
être perturbé et, surtout, je ne savais pas quoi lui dire. J’avais
déjà rencontré les dirigeants de Barcelone. Sachant que, dans
ma tête, il y avait le PSG. »
Le « futur entraîneur » en question de Chelsea n’est autre
que… José Mourinho. Mais José et Jérôme ne se parleront que
quelques mois plus tard. « Le tirage a fait qu’avec le PSG, on a
joué contre Chelsea la saison suivante, en Ligue des
champions, sourit Rothen. On s’est dit “bonjour” avec Mourinho
mais, avant le match, tu ne peux pas vraiment parler. Mais il y a
toujours eu un truc, un petit rictus. » Rothen qui passera six ans
au Parc des Princes affirme ne pas avoir de « regrets
particuliers » sur ses choix sportifs. « En revanche, dit-il, sur le
côté humain, c’est un regret de ne pas avoir été entraîné par un
entraîneur comme lui. J’avais commencé ma carrière avec de
super coaches, comme Alain Perrin, puis Didier. Avoir été
entraîné par un Mourinho aurait pu m’aider à franchir un cap. »
Rothen qui deviendra consultant sur RMC Sport à la fin de sa
carrière confie même : « J’y vais mollo sur les critiques des
mecs comme lui parce que, quand t’as tout gagné avec autant
de clubs, c’est que t’es plus intelligent que les autres. »
Et c’est à Porto que Mourinho initie ses habitudes de trophées.
Un an après avoir remporté la Coupe de l’UEFA, ses Dragões
soulèvent la coupe aux grandes oreilles. Seul Liverpool a réussi
un tel enchaînement.152 « On travaille tellement mais tellement
pour en arriver là… On a perdu qu’un seul match cette saison-là
dans la compétition, face au Real Madrid (1-3), rappelle
Costinha. J’ai d’ailleurs marqué là mon seul but dans le stade
de Porto ! On a éliminé de grandes équipes : Manchester
United, Lyon, La Corogne. »
Beaucoup d’observateurs, de suiveurs, de supporters du FC
Porto, continuent toutefois de préférer le cru de 2003 à celui de
2004. « Peut-être qu’on était moins spectaculaires l’année de la
victoire en Champions League mais nos adversaires
éprouvaient beaucoup de difficultés face à nous parce qu’on
était très consistants, explique Costinha. On était dangereux,
n’importe laquelle de nos actions était létale. Le moindre espace
qui nous était accordé pouvait être fatal. Les pénétrations de
Maniche dans la surface, ses frappes lointaines, le jeu intérieur
et extérieur de Deco, le pressing exercé par Derlei, McCarthy et
Carlos Alberto, la consistance de Paulo Ferreira, Jorge Costa,
Ricardo Carvalho, Nuno Valente, Pedro Emanuel, Bosingwa… »
Nuno Valente avance une autre explication : « Lors de la
deuxième saison, comme les équipes connaissaient notre façon
de jouer et qu’elles étaient mieux préparées, Mourinho
changeait notre façon de jouer, notre schéma et ce n’était peut-
être plus aussi fluide, plus aussi plaisant pour nous. »
« Mourinho père souffrait beaucoup pour son fils »
Il y en a un pour qui ces émotions virent au supplice : José
Manuel Mourinho Félix, le paternel de José Mário. Voisin,
ancien joueur et surtout ami de Félix, Fernando Tomé se
souvient : « Mourinho père souffrait beaucoup pour son fils.
Il avait peur de ce qui pouvait lui arriver en tant qu’entraîneur.
Parce qu’il avait lui-même connu des périodes compliquées à ce
poste, il ne voulait pas que cela arrive à José Mário. Il a connu
des victoires, des succès mais aussi le revers de la médaille, les
licenciements. »
Zé Manel adopte donc un traitement drastique. « Il évitait de voir
certaines rencontres, révèle Tomé. J’en suis témoin. Quand les
matches de Zé Mário débutaient, j’entendais sa porte claquer et
ma femme me disait : « Ah, Manel s’en va ! » Il allait se
promener à travers la ville. Il faisait son petit tour et il revenait à
la fin du match. Si le résultat était positif, Dona Júlia, son
épouse, lui envoyait un SMS. Il souffrait intérieurement. »
Littéralement. « Un jour, il regardait un match de José et il a fait
un malaise. Il m’avait dit : « Hier, je regardais le match de mon
fils, et je me suis senti mal. Il y avait quelque chose
d’anormal. » » Il faut dire que son rejeton n’a rien de normal.
Nombreux sont les curieux se rendant sur ses traces à Setúbal.
Et Mourinho Félix leur lâche que dalle. « Une fois, une équipe
de tournage espagnole s’est rendue ici, se souvient encore
Fernando Tomé. J’allais prendre mon café tous les matins au
café du Bonfim. Ils sont entrés, Manel les a vus, il a bu son café
et il m’a dit : « Je m’en vais. » Il s’est levé et il est parti. Les
journalistes l’ont suivi mais il a refusé de parler. Il voulait
préserver la vie de son fils. »
José prend tout autant de soin à protéger les siens. Sa vie
privée porte bien son qualificatif. Rares sont les moments où il
s’épanche sur le sujet. En octobre 2017, il accepte de le faire
pour SFR Sport. Dans le cadre des habituels entretiens
accordés aux diffuseurs de la Premier League, celui qui était
alors entraîneur de Manchester United fait tomber le masque du
Special One pour laisser s’exprimer Zé Mário. L’attachée de
presse du club, calée dans un coin de la petite salle de presse
des immenses Red Devils, attend sa réaction et laisse couler.
Il lui est arrivé auparavant de couper court. La semaine
précédente, le manager inaugurait une avenue à son nom à
Setúbal, à quelques pas de la tombe où repose Mourinho Félix.
Un moment d’autant plus fort. « Mon père était une personne de
peu de mots mais d’émotions très fortes, commence José
Mário. Je pense que plutôt que des mots, il y aurait eu des
larmes, cachées, à l’image de sa discrétion, de son humilité.
Mais je sais, j’ai toujours senti qu’il était très fier de moi, en tant
que professionnel du football et surtout en tant que fils. C’est
sûr, ça se serait passé comme ça… Des larmes cachées parce
que moi-même j’ai dû retenir les miennes. »
Il y a de l’émoi dans sa voix. De la saudade lorsqu’il évoque son
paternel, avec qui lequel il entretenait une relation quasi-
fusionnelle : « Je continue de le sentir proche mais d’une façon
différente. J’ai toujours été très famille. Matilde, les enfants,
toujours avec moi, c’est obligatoire. Mes parents, mes amis…
Même en étant loin, ils sont près de moi, dans leur soutien,
dans leur désir que les choses se passent bien pour moi. Rien
n’a changé, par rapport à ça. Je sais qu’il était et qu’il est avec
moi, dans notre croyance catholique. Je crois vraiment qu’il est
tout près. »
José se détend, se confie et se remémore les enseignements,
les conseils de son pai : « Mon père me disait toujours :
« Beaucoup de foi, beaucoup de force », mais jamais avec cette
obsession que le football est la chose la plus importante de ma
vie parce qu’il ne l’est pas. Durant les 90 minutes, ce que les
gens voient chez eux, les portent à croire que le football est la
chose la plus importante de ma vie mais le foot n’est clairement
pas la chose la plus importante de ma vie. Durant ces 90
minutes, je suis en train de travailler mais c’est un travail
spécial. C’est un travail qu’on aime beaucoup, qui donne un
plaisir presque contagieux. J’adore mon travail et, au fond, c’est
mon métier et j’ai des responsabilités inhérentes à cela. Mais ça
continue d’être une passion. C’est pour ça que les grands
matches sont faits, pour qu’on en profite, pas pour souffrir. » Un
comble quand on sait ce que son père pouvait endurer… « Mais
toujours de douleur le plaisir s’accompagne », a écrit Pierre de
Ronsard.
Adeus, Porto : « Un moment triste »
N’oublions pas qu’il est ici question de jouissance. Porto et
Mourinho terminent la saison 2003-2004 au septième ciel. Sur
le toit de l’Europe. En deux ans et demi, José a remporté six
trophées dont deux coupes européennes. Pourtant, au moment
des célébrations, au moment de tirer la coupe par ses grandes
oreilles, il brille par son absence. Au cœur de l’euphorie de
Gelsenkirchen, beaucoup de sentiments, d’émotions, de
sensations se bousculent. Voilà plusieurs semaines déjà qu’il
est question, dans la presse, en coulisse, d’un départ de José
Mourinho. « J’ai su qu’il avait une possibilité de quitter le FC
Porto mais il ne l’a annoncé qu’après avoir remporté le
championnat et la Ligue des champions », révèle Derlei.
Costinha est lui aussi dans la confidence : « Je savais qu’il allait
partir. J’en avais discuté avec lui et je devais même partir avec
lui à Chelsea mais, entre-temps, il y a eu des complications au
niveau du transfert. En février, alors que j’avais reçu pas mal de
sollicitations, il m’a dit : « On va terminer la saison, remporter le
championnat, la Ligue des champions et on partira. » Plusieurs
clubs le voulaient alors : Chelsea, l’Inter Milan, Liverpool, la
Juventus… »
Mais à Porto, tous ne sont pas au courant. Secretário, qui vit sa
dernière année au FCP, fait partie de ceux qui « écoutaient ce
qui se racontait et qui ont fini par comprendre que la fin de
l’aventure de Mourinho au club était proche. Les joueurs, le club
étaient tristes mais Mourinho était très ambitieux, il avait tout
gagné avec le FC Porto et il a jugé que c’était le meilleur
moment pour partir, concède le latéral. Il n’a pas eu le temps de
nous dire au revoir mais, à la fin de la saison, on sentait qu’il
allait partir, ne serait-ce que par certains de ses discours. »
« On a terminé la saison par une finale et il n’allait pas parler de
ça à ce moment-là, justifie César Peixoto. On est ensuite tous
partis en vacances et là, on a su qu’il avait signé avec
Chelsea. »
Le capitaine, Jorge Costa, avoue avoir ressenti « de la peine »
mais il perçoit ce départ comme « quelque chose de normal » :
« Il avait tout gagné avec le FC Porto. Après deux années
fantastiques, il avait fait le tour et avait tout réussi. » Ou presque
tout. Au final, ce que Mourinho a peut-être le plus raté à Porto,
c’est sa sortie. Baltermar Brito, son adjoint, en garde des
séquelles. Ses souvenirs de Gelsenkirchen, de ce 26 mai 2004,
de ce triomphe 3-0 en finale de Ligue des champions ? « Je
n’en ai pas, souffle-t-il suivi d’un silence. Ce fut un moment
triste, que je n’aime pas remémorer. Ce fut bon parce qu’il y a
eu le titre mais ce ne fut pas un moment agréable. Pour moi, le
meilleur moment au FC Porto, c’est la victoire en finale de
Coupe de l’UEFA. Ça a été le top. Mais la finale de
Champions… Un moment trouble. Il n’y a pas eu d’émotion, de
célébration. On a gagné mais il n’y a rien eu de cela. Ce ne fut
pas un bon moment. » L’ancien rugueux défenseur n’en dira pas
plus.
L’offensif, Marco Ferreira, pas beaucoup plus : « Il y a des
histoires qui ne se racontent pas… On savait qu’il y avait
quelque chose entre lui et le président, parce qu’il s’était déjà
engagé avec Chelsea. » « Je suis sûr et certain qu’il était très
heureux, affirme Deco. Chacun célèbre à sa façon et
concernant Mourinho, c’était sans doute une histoire
personnelle, en rapport avec lui et le club. »
« Mourinho devait aller à Liverpool »
L’année de son plus beau millésimé, ce Porto 2004 est en
train de tourner au vinaigre. En interne, ça se raidit entre le
président Pinto da Costa et Mourinho. Dans sa biographie153, le
boss portiste affirme être convaincu que son entraîneur – qui est
lié jusqu’en 2006 – va honorer son contrat.
Selon lui, la qualif pour les quarts de C1 face à Manchester
United, va « transformer radicalement le comportement de
beaucoup de gens qui ont vu en [leur] entraîneur un filon. Et va
transformer José Mourinho lui-même. » PdC affirme qu’il a eu
connaissance, « plus tard », que la veille de ce quart, « [s]on
ami » Jorge Baidek s’est rendu à l’hôtel où se trouvait l’équipe
de Porto, « en compagnie d’un responsable de Liverpool », pour
évoquer un éventuel engagement entre les Reds et José
Mourinho.
Baidek, l’agent qui avait fait basculer le Mou de Leiria à Porto,
est catégorique : « Mourinho devait aller à Liverpool. » Mais sa
version diverge un peu de celle de Pinto da Costa : « Bruno
Satin et moi sommes allés là-bas. Mourinho nous avait
demandé de boucler le deal : « Il faut que dans dix jours tout
soit résolu. » Rick Parry était le directeur sportif et Gérard
Houllier, l’entraîneur des Reds. On avait convenu d’un accord. »
« Nous n’avions aucune offre concrète et formelle, tempère de
son côté le Français, Bruno Satin. On avait rendez-vous le
lendemain du match contre Manchester United avec Rick Parry.
Gérard Houllier était toujours sous contrat et Parry était un peu
bloqué. Il nous a demandé d’attendre quinze jours. »
Mourinho devient une histoire de temps et donc d’a(r)gent. Le
nerf d’une guerre. Baidek affirme être alors en possession d’un
« mandat exclusif pour Liverpool et Chelsea ». Le patron de
Championsdek raconte : « Après avoir rencontré Parry, j’ai dit à
Satin : « Viens, on va à Chelsea ! » Il m’a répondu que ce n’était
pas éthique, étant donné qu’on avait un accord avec Liverpool
et qu’en plus, Liverpool, c’était ce que Mourinho nous avait
demandé. Au final, Jorge Mendes a fait jouer ses contacts et il a
bouclé l’affaire avec Chelsea. Les montants étaient tellement
supérieurs à ceux proposés par Liverpool… » Satin qui n’a
« pas souvenir de cette conversation » rappelle : « A cette
époque, Liverpool était un géant endormi et Chelsea n’était pas
le Chelsea d’aujourd’hui. Entre-temps, Jorge Mendes est venu
avec une offre des Blues. Il nous est passé devant. »
Des journaux portugais écrivent que Baidek et Mendes se sont
insultés lors de leur arrivée à Gelsenkirchen où ils ont assisté au
sacre de leur José en C1. Selon Baidek et Satin, l’affaire n’ira
pas plus loin. « Oui, j’avais un mandat exclusif mais je n’ai rien
demandé, commente aujourd’hui le Brésilien. L’argent ne fait
pas tout. On s’est éloignés mais je n’en veux à personne. Je
préfère perdre de l’argent que de me retrouver dans des
histoires. » Satin atteste : « On n’a rien demandé en
contrepartie. »
Le récit de Mourinho ? Il te confirmera que Baidek avait un
mandat pour Liverpool ; que la réunion avec les Reds avait été
prévue à un moment où il avait décidé de ne pas la faire, parce
qu’il avait ce match contre Manchester United en Champions
League et qu’il a préféré reporter ; qu’au même moment,
Chelsea est entré en action, de façon très forte, avec Jorge
Mendes qu’il a connu lorsqu’il était encore adjoint au FC Porto ;
que ce n’était pas une question d’offre plus tentante ou pas ;
que c’est le mandat qu’Abramovitch a fait à Mendes qui l’a
attiré ; que Mendes lui a dit qu’Abramovitch allait venir lui parler
au Portugal et que c’était fort et impactant ; que ce n’était pas lui
qui allait vers Abramovitch mais Abramovitch qui venait à lui.
« Il ne pensait pas qu’il allait signer un aussi gros
contrat »
Roman Abramovitch, proprio des Blues de Londres depuis un
an, met, en effet, le paquet. Il voyage en avion privé jusqu’à
Vigo et roule jusqu’au nord du Portugal pour rencontrer
Mourinho. Jorge Mendes est dans le coup. Des photos du
milliardaire russe escorté par un collaborateur de la Gestifute de
Mendes circulent. Pinto da Costa tombe dessus. Et il tombe sur
le cul. Ce rendez-vous est calé deux jours avant la demie aller
de Champions de Porto face à La Corogne et celle de Monaco
face à Chelsea. Mourinho négocie donc avec son potentiel futur
adversaire en finale de C1. Le président portiste décide alors
d’appeler Mendes : « Avec la certitude que j’avais et que j’ai
qu’à moi, il ne mentirait et ne me ment pas. »154 Et il a sa
réponse : « Tout était confirmé ! »155
A partir de là, c’est bien Jorge Mendes qui gère, seul, les
destinées de Mourinho. « Mourinho disait toujours : « Je
travaillerai avec l’agent qui viendra avec un contrat entre les
mains », livre son adjoint, Baltemar Brito. Baidek l’a emmené à
Leiria et il est resté un moment avec lui. Il a eu une discussion
avec lui. Il y a eu un désaccord mais tout s’est arrangé. Et puis,
il a travaillé avec Jorge Mendes. »
Et le boss de la Gestifute a bien bossé. Ancien attaquant de
l’ASM, Sonny Anderson qui a connu José à Barcelone en tant
qu’adjoint confie : « Je l’ai rencontré à Monaco, par hasard, au
moment où il a signé à Chelsea. C’était après la finale de la
Champions. Il venait juste de sortir du bateau d’Abramovitch.
On a pas mal discuté. Il ne pensait pas, en quittant Porto, qu’il
allait signer un contrat aussi gros que celui qu’il venait de signer.
Il n’était pas étonné d’avoir été pris par un grand club mais par
les montants engagés. Comme il a beaucoup de personnalité,
ça l’a encore plus stimulé. »
Motivé, José l’est déjà, avant cela. Au taquet, focalisé sur sa
finale, certes, mais déjà concerné par ce qu’il l’attend en
Angleterre. L’agent Lucídio Ribeiro qui avait notamment géré
l’organisation des stages de présaison du Mou au FC Porto se
souvient d’avoir rejoint l’entraîneur setubalense à l’hôtel, la veille
du duel contre Monaco. « On a discuté un long moment et je lui
ai demandé si, comme l’annonçaient pas mal de journaux, il
allait à Chelsea, narre-t-il. Il m’a répondu : « Oui. » On ne s’est
pas attardés sur les détails. Je me suis juste permis de lui
conseiller trois joueurs pour les Blues : Eto’o, Berbatov et
Drogba. Il avait déjà repéré Drogba qu’il avait affronté en Ligue
des Champions. Je lui ai proposé d’amorcer les contacts, il m’a
répondu : « Tu peux y aller. » J’ai appelé Pape Diouf qui était
son agent et qui venait d’intégrer la direction de l’OM. Diouf,
avec qui je m’entendais bien, m’a expliqué que c’était Pierre
Frelot qui avait repris sa société. Et je connais aussi bien Pierre
Frelot. C’est ainsi que les premiers contacts se sont noués. »
Menacé de mort
De cet échange, à quelques heures de la finale de C1 contre
Monaco, Lucídio Ribeiro garde l’image d’un Mourinho « normal,
posé qui ne laissait transpirer aucun stress. » L’atmosphère est
pourtant délétère. « Au moment de son départ, il y a eu un
moment de fortes tensions, rappelle Jorge Baidek. Beaucoup de
rumeurs, de menaces ont circulé. Certaines personnes ont
essayé de lui mettre dans la tête que ça venait de moi mais il a
fini par savoir que ce n’était pas vrai. » Si l’entraîneur de 41 ans
ne se mêle pas à la foule lors des célébrations de la Ligue des
Champions, c’est parce qu’il est sous escorte. Dans sa
biographie, publiée en septembre 2004 (soit quelques semaines
après ses débuts avec Chelsea), il affirme avoir reçu des
insultes et des menaces de mort, par téléphone, dans les jours
précédents le duel face à Monaco. Il a donc fait appel à un
service de sécurité privé pour assurer sa protection et celle de
sa famille.
L’auteur de ces attaques est lié aux Super Dragões, groupe
d’ultras du… FC Porto. Les SD réagissent aux écrits de
Mourinho dès leur parution. Ils organisent une conf’ de presse et
leurs leaders – Paulo Trilho, Fernando Madureira et Rui Teixeira
– déclarent : « En ce qui concerne les supposées menaces dont
monsieur Mourinho affirme avoir été victime, nous devons dire
qu’il s’agit d’une situation véridique dont nous avons
connaissance, même si elle n’a rien à voir avec les Super
Dragões en tant que groupe de supporters, ni avec aucun de
ses leaders ici présents, mais avec un élément de poids du
groupe. »
Madureira, alias « O Macaco », explique aux médias : « Deux
jours avant la finale, il [cet élément de poids des SD] a
découvert que Mourinho envoyait des messages à sa
compagne. » Mourinho réagit, dément et invite l’auteur de ces
accusations à prouver ses affirmations.
L’histoire aurait pu en rester là. Mais le hasard du tirage place le
FC Porto et Chelsea dans le même groupe de Ligue des
champions 2004-2005. Le 29 septembre 2004, les portistes se
déplacent à Stamford Bridge, chez José. Les SD font, comme
toujours, le voyage. Au moment de l’échauffement, Mourinho se
dirige vers le coin réservé aux fans visiteurs. Certains scandent
son nom, d’autres le conspuent, Hélder Mota lui crache dessus.
Mota est le fameux « élement de poids » des SD.
« Je suis allé à Londres avec l’intention de voir le match mais
quand j’ai vu Mourinho je n’ai pas réussi à me contenir, lâche ce
dernier à News of The World. Pleins de choses me sont venues
en tête : les messages qu’il envoyait à ma femme, le fait qu’il ait
abandonné le FC Porto pour l’argent. Lorsqu’il est venu donner
des autographes à notre tribune, je voulais sauter sur le terrain
et lui donner un coup mais mes amis m’en ont empêché et j’ai
fini par lui cracher au visage. Suite à cela, j’ai été attrapé par
quatre stewards et j’ai vu le match à la télé. » Mota affirme que
Mourinho a rencontré sa femme dans une discothèque à Porto,
qu’il a demandé son numéro à un ami et qu’il lui a envoyé « des
messages anonymes disant qu’elle est jolie. » « Peut-être ne
savait-il pas qu’elle est ma femme », conclut-il.
Mourinho évite d’en rajouter : « Certains m’apprécient, d’autres
moins » mais, en coulisse, ses avocats traînent l’affaire en
justice.156 Le mollard de Mota ne passe pas non plus auprès de
l’UEFA qui colle une amende au FC Porto. José écrira à
l’organisme qui tutelle le foot européen afin de minimiser
l’incident. « C’est du show-off, commente alors Madureira, l’un
des leaders des Super Dragões. Il adore le théâtre. Il veut laver
le cerveau des portistes et les diviser. »
Le 7 décembre, c’est le grand retour de Mourinho à Porto. Un
imposant dispositif de sécurité l’attend à l’aéroport Sá Carneiro.
RAS. Tranquille. Chelsea, déjà assuré de terminer premier du
groupe, s’incline et permet au FC Porto de se qualifier pour les
huitièmes. Le Dragon s’arrêtera là, les Blues tomberont en
demies, face à Liverpool, le futur vainqueur et l’ex possible-futur
du Special One.
Seize ans plus tard, Fernando Madureira, leader des Super
Dragões, commente : « C’était une histoire personnelle, ça
n’avait rien à avoir avec les SD. Nous ne voulions et ne
pouvions pas tout mélanger. » « Les supporters étaient tristes
que Mourinho ne célèbre pas le titre de Champions, » déplore le
« Macaco ». Et les menaces ? « Qui allait s’attaquer à lui sur le
terrain ? lance-t-il. Les supporters et le club n’avaient rien à
avoir avec ces histoires. » Lesquelles finissent par s’arranger.
« J’ai parlé avec Hélder et Jorge Mendes a demandé à lui
parler, aussi, révèle Madureira. Jorge a fini par être le médiateur
dans cette histoire. »
La hache de guerre est donc bien enterrée. L’Ultra le plus
médiatique des Dragons ne serait d’ailleurs pas contre un
éventuel retour de Mourinho à Porto : « Il est dans l’histoire de
notre club. S’il venait avec l’envie d’aider notre club, bien sûr
que j’aimerais. Il a été l’un des premiers entraîneurs à
comprendre l’importance de ce qui se passait en dehors du
terrain, y compris les supporters. »
Madureira a de la saudade dans la voix : « Je me souviens de
son long manteau, de son cabriolet… Il faisait et portait attention
à tout. » Une anecdote lui revient : « C’était quelques semaines
avant la finale de Séville. J’avais rejoint Reinaldo Teles qui était
l’homme fort du foot de Porto à l’hôtel où l’équipe se réunissait
avant les matches. L’un des associés de Reinaldo, Senhor
Tiago, était venu avec une Mercedes CLK. Elle venait tout juste
de sortir. Mourinho qui était là a demandé à monsieur Tiago s’il
pouvait faire un tour avec. Lorsqu’il est revenu, Angelino
Ferreira, responsable financier de la SAD du FC Porto, qui était
arrivé entre-temps lui a dit : « Mister, vous avez une nouvelle
voiture ? » Mourinho a répondu : « Le jour où vous me verrez
dans une voiture comme ça, enterrez-moi ! » » Madureira se
rappelle de la « simplicité » de José et plaisante : « Quand on
se dit qu’aujourd’hui il pourrait presque racheter Mercedes… »
Et qu’il est devenu ambassadeur de la luxueuse marque
Jaguar…
Antero : « Il y a le Mourinho que les gens voient et il
y a le vrai »
Parmi les personnalités les plus marquantes du FC Porto des
« temps modernes » figure Antero Henrique. Bien avant de
prendre en main la direction sportive du Paris SG (2017-2019),
de responsable de Dragões, la revue du club, à la fin des
années 1980, il est devenu vice-président et administrateur du
FCP jusqu’en 2016. Au cours de la période Mourinho, ses
activités sont plurielles et vont de la gestion des « relations
externes » du club à la logistique. Il partage alors le quotidien du
Mou dont il devient un proche, et fait partie de ceux qui ont
pressenti son départ.
« Ce sont des choses qui arrivent dans le foot quand tu as du
succès. Avec Mourinho, le FC Porto a vécu deux saisons
vraiment uniques, pas seulement au Portugal, mais aussi en
Europe. Il n’y a pas beaucoup d’exemples de victoires
consécutives comme celles-ci. Je savais que le nom de
Mourinho faisait beaucoup parler un peu partout depuis l’été
2003. Et, en 2004, j’ai pris connaissance d’autres mouvements
et d’un rendez-vous dans un restaurant au nord de Porto. Ce
sont des choses qui ne sont pas agréables si tu les regardes du
côté Club. Mais le plus important, c’est que l’objectif a été
atteint. Le FC Porto a réussi une saison exceptionnelle en
remportant la Ligue des champions, en plus d’autres trophées.
Tout le reste, ce sont des détails, puisque le travail a été bien
fait. Cela a fini par rendre ce processus normal, si on se réfère
au foot. »
« Normal ». Un qualificatif qui ne semble plus approprié pour
José qui se voudra « Special » devant les médias. A ce sujet,
Henrique tient à témoigner : « Il y a le José Mourinho que les
gens voient et il y a le vrai José Mourinho. Le José Mourinho
qu’on aperçoit aujourd’hui se rapproche plus du vrai José
Mourinho, que de celui qu’on a pu voir tout au long de sa
carrière. Je ne saurais pas dire pourquoi. Le « vrai » est très
intelligent, très proche de ceux qui l’entourent, c’est une
personne qui partage beaucoup sa façon de travailler, de
penser. Il est le leader incontesté de son processus mais il aime
partager, il écoute, explique ceux qui sont liés à sa mission. »
Antero affirme avoir « beaucoup aimé travailler avec Mourinho,
mais beaucoup aussi avec d’autres entraîneurs de très bonne
qualité. » Il en cite un autre : « Ce fut aussi très spécial de
travailler avec André Villas-Boas. Au-delà d’être l’entraîneur qu’il
est, il avait un sentiment absolu envers Porto. Tout chez André
était presque une question d’honneur, de passion bleu et
blanche, il était presque un guerrier. Il était très intense, très
Porto. Disons que la composante Porto d’André et la
composante professionnelle de Mourinho étaient quasi
parfaites. »
AVB et JM qui s’étaient connus du temps où Robson était
l’entraîneur des Dragons entretiennent alors d’excellents
rapports. « Ils s’entendaient très bien, se souvient Antero. C’est
Mourinho qui a convié André à intégrer l’équipe technique. Ce
fut une suggestion du club lors d’une situation ponctuelle : la
personne qui assurait habituellement l’observation des matches
n’était pas disponible et on a suggéré André qui a fait un tel
travail, qu’il s’est rapproché de l’équipe principale et qu’il est
devenu l’un des adjoints de José Mourinho. » Et qui va donc
suivre José dans ses prochaines aventures…
Le Porto de l’angoisse
Le plus dur pour le Dragon est maintenant de (di)gérer le
départ de Mourinho. Comme le Benfica et Leiria, Porto va
galérer à assumer l’après-José.
D’abord, parce que l’entraîneur ne s’en va pas tout seul à
Chelsea. A Londres, il embarque son staff, son latéral droit,
Paulo Ferreira, et l’un de ses centraux, Ricardo Carvalho.
Comme le faisait son père lorsqu’il entraînait, comme il l’a fait
lui-même après avoir quitté l’UDL, Zé Mário part avec certains
de ses meilleurs soldats. Et ils ne sont pas les seuls à quitter le
FCP. Après deux telles saisons, les joueurs portistes sont
logiquement courtisés. Tottenham s’offre Pedro Mendes,
Alenichev rentre au pays (Spartak Moscou), Deco s’engage
avec le FC Barcelone. Porto empoche cette saison-là près de
100 millions d’euros en ventes de joueurs. Un record.
Le FC Porto doit maintenant s’occuper de ceux qui sont restés.
Les cadres Maniche, Derlei ou Costinha vont éprouver quelques
difficultés à accepter celui imposé par leur nouveau Mister :
Luigi Delneri. Un mystère. Cet Italien, au palmarès vierge, vient
de terminer neuvième de Serie A avec le Chievo Vérone. Son
style, sa communication, son modèle n’ont rien à voir avec son
prédécesseur. Un épisode légendaire de la présaison 2004-
2005 va traduire le malaise ambiant. Lors de la tournée estivale
qui se déroule aux USA, afin d’exposer son projet à son groupe,
Delneri projette des vidéos de son Chievo. Carlos Alberto, dont
l’imprévisibilité ne se limite pas qu’au terrain, s’exclame : « On
est champions d’Europe et on va apprendre avec le Chievo ? »
Au libéralisme du jeune Mourinho s’oppose la rigidité de
l’allenatore de 54 ans. Début août, alors que la saison n’a pas
encore officiellement débuté, Porto annonce le départ de
l’Italien. Delneri incarne un casting globalement raté. Le Dragon
réinjecte une bonne partie des millions engrangés. Il fait revenir
Postiga, investit sur Quaresma (dans le cadre du transfert de
Deco au Barça), mise sur les Brésiliens Diego, grand espoir du
Santos et Luis Fabiano, passé par le Stade Rennais il y a
encore peu, embauche le tout nouveau champion d’Europe (au
Portugal), le Grec Seitaridis…
C’est Víctor Fernández qui remplace Delneri. L’Espagnol
remporte la Supercoupe du Portugal face au Benfica (1-0) mais
perd celle de l’UEFA contre Valence (1-2). Il enchaîne avec
quatre nuls. Le début de saison est essoufflant. Comment peut-
il en être autrement ? Le Porto ultra-dominateur n’est plus. Il est
éliminé dès son entrée, en Coupe du Portugal et lutte pour
s’accrocher au podium en Championnat. En décembre, il
remporte péniblement la dernière édition de la Coupe
Intercontinentale, aux tirs aux buts, face aux Colombiens
d’Once Caldas. C’est le dernier coup d’éclat de Fernández. Fin
janvier, au lendemain d’un revers contre Braga (1-3), il est viré.
José Couceiro, alors en poste au Vitória de Setúbal, lui
succède.
Le renouvellement s’éternise. Au cours du mercato d’hiver,
Derlei, Maniche, Carlos Alberto, Maciel, César Peixoto s’en
vont. « On avait perdu notre leader qui voulait absolument tout
gagner, commente ce dernier. Deux ans de succès, avec un
processus clair et bien établi, c’est difficile pour celui qui prend
le relais. Difficile de changer les mentalités qui avaient été
instaurées. Difficile pour lui et pour les joueurs. » Ce n’est pas
facile pour Couceiro qui ne passe pas si loin d’un exploit.
Il termine deuxième de la SuperLiga, à 3 longueurs du Benfica.
Pendant que Porto consume trois coachs en une saison,
Mourinho fait péter les compteurs à Chelsea. En plus de
Ferreira et de Carvalho, le « Chelski » d’Abramovitch s’offre
Drogba, Robben, Tiago, Cech, Alex… Les Blues sont
champions d’Angleterre après 50 ans d’attente. Mourinho
remporte la Premier League avec 95 points157. José qui atteint
les demies de C1 soulève aussi la Coupe de la Ligue. La suite,
tu la connais. Inter Milan, Real Madrid, re-Chelsea, Manchester
United, Tottenham vont contribuer à parfaire, parfois défaire,
l’image, la notoriété, la carrière, la légende du « Special One ».
Car c’est ainsi qu’il convient maintenant de le (sur)nommer. Un
sobriquet qu’il a lui-même trouvé. Grande gueule ? Arrogant ?
Son ex-joueur, Marco Ferreira, rétorque : « Tout ça, ce ne sont
que des mensonges. Moi, j’appelle ça de l’intelligence. C’est
une façon de se protéger. S’il n’avait pas été comme ça, on
l’aurait déjà tué. » Et José Mário a trop souffert de voir son père
se faire assassiner, avant de le voir mourir.
A ceux qui ont vu (ou pas, d’ailleurs) À bout de souffle, cette
réplique du film de Jean-Luc Godard habillerait à merveille le
film de la vie de José Mário dos Santos Mourinho Félix :
« Quelle est votre plus grande ambition dans la vie ?
Devenir immortel et puis… mourir. »

Remerciements
Merci à tous les intervenants qui ont accepté de se livrer.
Merci à ceux qui n’ont pas souhaité s’exprimer mais qui ont pris
le temps de répondre.
Un merci tout spécial à :
Paulo César, Dominique Baillif, Julien Momont, Sacha Tavolieri,
Rui Miguel Tovar, Guillaume Ribeiro, Nabil Djellit, Francisco
Empis, Hélio Rassul, Paulo Tavares, Olivier Feliz, Romain
Molina, Philippe « Lucho » Araújo, Mathieu Grégoire, Patrick
Esteves, Fred Hermel, Hugo Delom, José Vasques, Fernando
Lucas, Francisco Trindade, Tony Parreira, Hugo Carrapiço,
Vanda Roque et tout le SC Estrela de Portalegre, le Caldas SC,
l’UD Leiria, l’UD Santarém, Maurício Pinto, Fred Oliveira,
Ganga, José Cancela, Fernando Tomé, Fernando Luís
Gonçalves, Sérgio Nuno Duro, Fred Oliveira, Luís Calçador,
Baltemar Brito, Nuno Neto, João Piteira, Vítor Assunção, Djibril
Cissé, Jaime Pereira (fils), Maëva Touri, Emanuel Gentil da
Cunha, Grégory Arnolin, Salim Arrache, Pierre Issa, Nuno
Santos, Luís Campos, Réda Mrabit, David Lortholary, Fabien
Moine, Nathalie Guillaume, Gwenaëlle Nowak, Aurélie Boureille,
Emmeline Huguet, Nelly Quivet, Emilie Godeau, Linda Vuletic,
Dominique Revy.
A ma Special One, Clémence et à notre Milia.
La publication de cet ouvrage a été grandement perturbée par le
Covid-19. Mais ce n’est rien comparé à toutes ces vies brisées.
Une pensée pour les victimes et leurs proches.
1 Un proche du deal nous a con é que José Mourinho n’avait pas de clause libératoire. Le FC Porto
aurait touché une compensation (autour de 2 millions d’euros) de la part de Chelsea, équivalente à la
durée de contrat restant au technicien portugais avec les Dragons. A l’époque, lorsque le club portiste a
o cialisé le départ du Mou (le 1er juin 2004), il a évoqué « un accord avec le Chelsea Football Club des
termes pour la résiliation du contrat de travail avec l’entraîneur de son équipe principale », sans
préciser les montants.
2 Correio da Manhã, 11 mai 2003
3 José Manuel Mourinho Félix est décédé le 25 juin 2017 à l’âge de 79 ans, des suites d’une longue
maladie.
4 Fome de Golo, Rui Miguel Tovar, Clube do Autor, 2018
5 Correio da Manhã, 11 mai 2013
6 Correio da Manhã, 11 mai 2013
7 maisfutebol.iol.pt, 2003
8 maisfutebol.iol.pt, 2003
9 Correio da Manhã, 11 mai 2013
10 Créée en 1942, la DGEFDSE était un organe du régime salazariste qui avait pour but de diriger,
contrôler et centraliser le sport.
11 Público, 4 mai 2003
12 Público, 4 mai 2003
13 « Ballon », en portugais.
14 maisfutebol.iol.pt, 2003
15 Público, 4 mai 2003
16 Ruud Gullit et Frank Rijkaard, deux internationaux néerlandais des années 1980-1990, vainqueurs
notamment de l’Euro 1988. Tous deux ont ensuite embrassé la carrière d’entraîneur. Rijkaard, qui a
connu plus de succès dans cette nouvelle vie que son compatriote, a a ronté Mourinho à six reprises,
en Ligue des champions. Le Portugais étant alors l’entraîneur de Chelsea et le Néerlandais celui du FC
Barcelone. Et personne n’a donné sa part au chien : 2 victoires chacun et deux nuls.
17 Terme portugais signi ant littéralement « coup de fouet » et qui désigne le limogeage d’un
entraîneur.
18 « Père », en portugais.
19 Télévision publique nationale portugaise.
20 «Petit palais », en portugais.
21 « Comparaison », en portugais.
22 maisfutebol.iol.pt, 2003
23 Le premier « maître » de Leonardo Jardim, à Madère.
24 En tant que joueur, Fernando Cabrita a été international A et a porté les couleurs d’Olhanense,
d’Angers et du SC Covilhã. Devenu entraîneur par la suite, il sera notamment à la tête de la
commission technique du Portugal qui atteindra la demi- nale de l’Euro 84 perdue face à la France.
25 maisfutebol.iol.pt, 2003
26 maisfutebol.iol.pt, 2003
27 maisfutebol.iol.pt, 2003
28 maisfutebol.iol.pt, 2003
29 Acronyme de Sciences et techniques des activités physiques et sportives. Filière universitaire qui
forme les futurs professionnels des activités physiques et sportives, en France.
30 « Ferme », en portugais.
31 Lire partie : Le Peter Crouch de Belém
32 Le Professor Carlos Queiróz est l’un des techniciens de référence au Portugal. Il a été l’un des
grands architectes de la formation au sein de la Fédération portugaise de football. Il a notamment
remporté le Mondial U20 en 1989 et 1991. Il a été sélectionneur des A du Portugal à deux reprises
mais aussi des E.A.U., de l’Afrique du Sud, de l’Iran, de la Colombie. Il a été entraîneur du Sporting, du
Real Madrid, a aussi œuvré aux USA, au Japon, ou a encore a été l’adjoint d’Alex Ferguson à
Manchester United.
33 « Les études, mon ls ! »
34 maisfutebol, 2003
35 Correio da Manhã, 11 mai 2003
36 El País, 22 août 2010
37 El País, 22 août 2010
38 El País, 22 août 2010
39 Espiral do Tempo, 31 décembre 2009
40 Espiral do Tempo, 31 décembre 2009
41 maisfutebol, 2003
42 Espiral do Tempo, 31 décembre 2009
43 Fondé en 1972 et dissout en 1990, l’Institut national du football de Vichy était un centre de
formation de football, créé par la Fédération française de football.
44 Espiral do Tempo, 31 décembre 2009
45 Le syndicat des entraîneurs portugais.
46 José Peseiro sera l’adjoint de Carlos Queiróz au Real Madrid ; entraîneur principal au Nacional, au
Sporting, à Braga, au FC Porto, à Guimarães, au Panathinaïkos, ou encore au Al Ahly. Il a remporté
plusieurs titres dont une Coupe du Portugal, deux Coupes de la Ligue portugaises et un championnat
en Egypte.
47 Président du Gouvernement régional de Madère entre 1978 et 2015.
48 Ce qui, avec le taux actuel, équivaut à 12.50 euros.
49 Otto Glória était une gloire du foot lusophone. Troisième du Mondial 1966 avec le Portugal, le
Brésilien a coaché le FC Porto, le Sporting mais surtout le Ben ca avec qui il a notamment remporté
cinq championnats du Portugal et atteint la nale de la C1 en 1968.
50 Littéralement : « petite bête », en portugais et qui, populairement, dé nit un vice, une passion.
51 « Caralho » est un juron portugais, pouvant revêtir plusieurs signi cations.
52 En Championnat, le Vitória FC termine 8e en 1987-1988, 5e en 1988-1989 et 7e en 1989-1990.
53 Le 3 octobre 2017.
54 Lire partie : Félix, viré à Noël
55 « Enfants », en portugais.
56 Augusto Inácio est alors joueur au FC Porto. Passé par le Sporting, cet international portugais qui
deviendra entraîneur travaillera avec José Mourinho dans le sta de Bobby Robson au FC Porto.
57 Point culminant du Portugal continental (1993 mètres d’altitude). Un tour de 7 mètres a été érigée
à ce sommet naturel a n d’atteindre la barre symbolique des 2000 mètres.
58 « Enfant », en portugais.
59 Le 25 avril 1974, jour de la Révolution des œillets. Lire partie : Un homme de droite
60 Abel Xavier compte 20 sélections (et 2 buts) avec le Portugal. Après l’Estrela da Amadora, il a
évolué au Ben ca, à Bari, Oviedo, au PSV, à Everton, Galatasaray, Hannovre, Rome, Middlesbrough et
au LA Galaxy.
61 « Génération Dorée ». Surnom donné aux U20 du Portugal vainqueurs des Coupes du monde 1989
et 1991 et dirigés par Carlos Queiróz.
62 Seul l’intouchable Peyroteo (recordman de buts dans l’histoire du championnat portugais) fait
mieux.
63 Record, 1er décembre 2000
64 « Eté chaud », en portugais.
65 Record, 1er décembre 2000
66 Record, 1er décembre 2000
67 Record, 1er décembre 2000
68 Record, 1er décembre 2000
69 Mourinho sera champion du Portugal avec le FC Porto en 2003 et 2004 ; Inácio avec le Sporting en
2000.
70 Record, 1er décembre 2000
71 Record, 1er décembre 2000
72 « Personne », en castillan.
73 El Mundo Deportivo, 8 juillet 1996
74 El Mundo Deportivo 8 août 1996
75 El Mundo Deportivo, 1er août 1996
76 El Mundo Deportivo, 3 décembre 1996
77 El Mundo Deportivo, 20 avril 2010
78 En 1996-1997, le Barça de Robson va remporter la Coupe du Roi, la Supercoupe d’Espagne, la
Coupe des coupes et terminer deuxième de la Liga, à 2 points du Real Madrid.
79 Record, 1.12.2000
80 El Mundo Deportivo, 2 juillet 1997
81 Record, 1.12.2000
82 Daily Mail, 24 octobre 2014
83 Daily Mail, 24 octobre 2014
84 Daily Mail, 24 octobre 2014
85 Record, 12 juin 1999
86 Face au Skonto Riga, en 2e tour préliminaire de C1 1997-1998 (3-2, 1-0).
87 Record, 12 juin 1999
88 Record, 12 juin 1999
89 José Mourinho, Luís Lourenço, Prime Books, Septembre 2004
90 Curieusement, le but de Lleida est l’œuvre de Tito Vilanova, formé au FC Barcelone, et qui
deviendra adjoint puis entraîneur principal du Barça. En août 2011, lors d’un clásico, une altercation
éclate entre Mourinho et Vilanova, respectivement entraîneur du Real Madrid et adjoint de Pep
Guardiola. Le Portugais met un doigt dans l’œil du Catalan. Quelques mois plus tard, le Mou
regrettera son geste. Vilanova est décédé en avril 2014 des suites d’un cancer.
91 « Avec Mourinho, oui »
92 As, 18 avril 2019
93 « Découverte guidée », en portugais.
94 José Mourinho, Luís Lourenço, Prime Books, Septembre 2004
95 Record, 6 juin 1999
96 El Mundo Deportivo, 6 octobre 1996
97 Lire partie : Le stage en Ecosse de José et la montée ratée de Manuel
98 L’entraîneur allemand a alors déjà remporté (entre autres) deux titres de champion d’Allemagne
avec le Bayern Munich et soulevé la C1 1997 et la Supercoupe d’Espagne 1998 avec le Real Madrid.
99 Record, 18 mars 2000
100 Record, 12 juin 1999
101 maisfutebol.iol.pt, 27 juillet 2000
102 maisfutebol.iol.pt, 27 juillet 2000
103 Rashidi Yekini a inscrit 98 buts en 126 matches pour Setúbal entre 1990 et 1994. Il a été le
meilleur buteur du championnat portugais en 1993-1994 (21 buts).
104 « Pompier », en portugais.
105 Lire partie : Félix, vire à Noël
106 José Mourinho, Luís Lourenço, Prime Books, Septembre 2004
107 maisfutebol,iol.pt, 2003
108 Jorge Carlos Fonseca, supporter du club de Setúbal depuis gamin. En ce jour de juin 2012, il
con era aux journalistes présents avoir « vibré avec les campagnes européennes des années 1960-
1970 » des Sadinos. Il dira encore : « J’ai aussi joué au Cap-Vert, au Vitória FC de Praia. J’étais gardien
de but et on m’appelait Mourinho, en référence au gardien du Vitória. »
109 Expression imagée portugaise pour quali er une personne molle, faible.
110 SFR Sport, octobre 2017. Entretien avec l’auteur.
111 Record, 20 septembre 2000
112 Diário de Notícias, 16 octobre 2017
113 Diário de Notícias, 16 octobre 2017
114 Diário de Notícias, 16 octobre 2017
115 Record, 24 septembre 2000
116 Record, 24 septembre 2000
117 Le 25 janvier 2004, Féher s’est e ondré sur la pelouse de Guimarães, en plein match. Victime d’un
arrêt cardiaque, à seulement 24 ans ; il ne se relèvera jamais. Il portait le maillot du Ben ca.
118 « Frères mitraillettes », en portugais. Surnom que Mourinho donne aux trois jeunes défenseurs du
Ben ca dans sa biographie (José Mourinho, Luís Lourenço, Prime Books, Septembre 2004).
119 José Morais intégrera le sta de Mourinho à l’Inter Milan, au Real Madrid et à Chelsea.
120 Lire partie : « Les Frères mitraillette »
121 Lire partie : Le cas Calado
122 Lire partie : Le « choc » Inácio – Mourinho
123 Dans une interview au Expresso de 2018, l’ex-technicien des Lions déclarera : « Pedro Barbosa m’a
ciré la planche (…) Pedro Barbosa a tout fait pour perdre le match à la Luz. Il a tout fait pour être
exclu et Coroado m’a raconté plus tard qu’il a tout fait pour prendre un rouge. » La justice
condamnera, en première instance, Augusto Inácio à payer 20 000 euros pour avoir tenu des propos
« vexatoires ».
124 « Quand j’étais en junior au Sporting, j’avais été convoqué en équipe réserve pour a ronter Estoril,
explique Nuno Valente. C’était la première fois qu’on se parlait avec Mourinho. Il est venu vers moi,
me dire d’être tranquille, détendu, qu’il était là pour nous aider. Mais je l’ai peu connu au Sporting,
nalement. »
125 Lire partie : Litmanen : « Van Gaal voulait des adjoints di érents de lui »
126 Luís Filipe Vieira est encore, à ce jour, le président du SLB.
127 Milieu de terrain emblématique du FC Porto de 1993 à 2003.
128 Ancien nom du stade Santiago Bernabéu, enceinte du Real Madrid.
129 Record, 31 janvier 2002
130 Attaquant sud-africain qui a joué au FC Porto en 2002 et entre 2004 et 2006.
131 Lire partie : Maniche, le premier cas
132 « La Bête », en portugais, l’un des surnoms de Jorge Costa.
133 AS, 31 janvier 2002
134 O Jogo, 14 octobre 2019
135 O Jogo, 14 octobre 2019
136 Défenseur du Panathinaïkos entre 2001 et 2004 qui jouera pour le FC Porto en 2004-2005.
137 De son vrai nom Francisco José Rodrigues da Costa, Costinha est aussi surnommé « le Ministre »
parce qu’il est toujours habillé en costard.
138 Fait inédit dans le foot portugais, le FC Porto a remporté le championnat cinq fois de suite, entre
1994 et 1999.
139 « Fils du dragon », en portugais.
140 Lire partie : La « découverte guidée »
141 maisfutebol.iol.pt, 25 juillet 2002
142 periodizacaotactica.com
143 Sous le nom de « Vítor Tá », Vítor Pereira a joué au niveau régional à Avanca, Oliveirense,
Esmoriz, Estarreja, Fiães, São João de Ver et Lobão.
144 « Pression haute », en portugais.
145 maisfutebol.iol.pt, 27 mai 2003
146 Sur les 87 candidats, seuls 5 ont été validés. Pedroto était le seul étranger et il est devenu, par la
même, le premier portugais auréolé par la FFF.
147 Le total de cartons jaunes le plus élevé du FC Porto sur un match de Ligue des champions en
2003-2004.
148 Lire partie : Joël Muller « fou de rage » contre José
149 Lire partie : Peixoto : « Une relation d’amour-haine »
150 En septembre 2019, quelques semaines après l’entretien réalisé et publié ici avec Costinha, le
Diário de Notícias fait savoir que l’ancien milieu de terrain a porté l’a aire en justice. Un accord sera
nalement trouvé avec l’auteur de la bio de Maniche (Tiago Guadalupe) et son éditeur (Prime Books).
Les prochaines éditions de la biographie de Maniche devront corriger le passage en question. Maniche
a fait savoir au DN qu’il n’a pas demandé pardon à son ex-coéquipier et qu’il ne le fera « jamais ». Il a
expliqué avoir été lui-même « induit en erreur » a rmant que la version au cœur du litige est l’œuvre
de l’auteur et de ses sources.
151 Lire partie : « Les Frères mitraillette »
152 Les Reds ont été vainqueurs de la C3 en 1976 et de la C1 en 1977.
153 Jorge Nuno Pinto da Costa, Largos dias têm 100 anos – Ideias & Rumos, novembre 2004
154 Jorge Nuno Pinto da Costa, Largos dias têm 100 anos – Ideias & Rumos, novembre 2004
155 Jorge Nuno Pinto da Costa, Largos dias têm 100 anos – Ideias & Rumos, novembre 2004
156 En 2006, un accord sera trouvé entre Mourinho et Mota. Mourinho retirera ses plaintes pour
déclarations calomnieuses et menaces et Mota se rétractera.
157 Un record qui ne sera battu qu’en 2017-2018 et 2018-2019 par le Manchester City de… Pep
Guardiola.
1. Mourinho Félix, le père de José Mário, gardien de but du Vitória de Setubal.

4. La licence de José Mário en tant que joueur du Caldas SC (1977-1978). Il est alors âgé
de 14 ans.
2. et 3. Première inscription de José Mário auprès de la Fédération portugaise de football,
en tant que joueur du Estrela de Portalegre (1976).

5. Document du « transfert » du jeune José Mário de l’Estrela de Portalegre vers le Caldas


SC (1978).

6. Ne le cherchez pas ! José était absent le jour de la photo du Caldas SC en 1978 (merci
Luís Milheiro).
7. La célébration de la première montée de l’União de Leiria en première division en 1978-
1979, avec Mourinho père pour entraîneur (José est le troisième en partant de la droite, au
deuxième rang). Merci José-Maurício Pinto.

8. En 2002, un incendie a dévasté le siège social du GDR « O Sindicato ». Cette photo est
l’un des derniers documents restants, témoin du passage de José Mourinho au club, en
1979-1980 (merci Manuel Santana).

9. José Mário, joueur du au Sindicato (premier, en haut à gauche). Merci Júlio Gamito.
10. José Mourinho (deuxième en partant de la droite) lors du stage de présaison du
Belenenses en 1982 à São Pedro do Moel (merci Manuel Bule).

11. José Mourinho, joueur de l’União Técnica, l’équipe de l’ISEF, en 1984-1985 (premier à
gauche, debout).

12. José Mário, joueur du Comércio e Indústria, lors d’un amical face au Benfica (en bas à
droite), en 1987. Fernando Lage : « C’est une photo que mes amis m’ont envoyée. Cette
saison-là, on a inauguré l’illumination de notre stade face au Benfica. On a fait un gros
match. »
13. José, capitaine du Comércio e Industria (en haut à droite).
14. et 15. La médaille remise par José à ses jeunes joueurs de Setúbal pour les féliciter de
leur série en 1988. 1120, comme les minutes d’invincibilité des jeunes du Vitória FC de
José.
16. Le tout premier trophée remporté par José Mourinho comme entraîneur, le tournoi de
Guyancourt en 1988, trône au musée du Vitória FC (merci Fernando Tomé).

17. L’équipe du Vitoria qui a participé au tournoi de Guyancourt en 1988. José porte le
survêt bleu.

18. José (au premier plan) au tournoi de Guyancourt, en 1988. Le gardien de but derrière lui
est Nuno Santos, son futur adjoint à Tottenham en 2019.
19. La délégation du Vitória FC qui s’est envolée pour un tournoi en Martinique en 1988.
(José : 4e debout en partant de la droite). Merci Hélio Rassul.

20. Le 17 décembre 1998, El Mundo Deportivo titre : « Avec Mourinho, Oui ». La veille, José
a dirigé l’équipe première du Barça face à l’Etoile Rouge de Belgrade et s’est imposé 4-1.

21. « Mourinho, l’élu ». A l’image de la une de Record du 28 décembre 2001, les médias
portugais misaient sur un retour de Mourinho au Benfica.

Achevé d’imprimer en avril 2020

Vous aimerez peut-être aussi