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Le Fantôme
de Canterville
Lecture d'image par Valérie Lagier
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Le Fantôme
de Canterville
Traduit de l'anglais par Henri Robillot
Le Fantôme de Canterville
Chapitre I 7
Chapitre 2 14
Chapitre 3 19
Chapitre 4 28
Agrégée de lettres classiques, Magali
Chapitre 5 35
Wiener est née en 1973 et enseigne
au collège. Passionnée par l'écriture sous Chapitre 6 42
toutes ses formes, elle s'intéresse de Chapitre 7 48
près au théâtre. Chez Gallimard, elle a
publié une lecture accompagnée d'Esca- Dossier
drille 80 de Roald Dahl (collection «La
bibliothèque Gallimard »). Du tableau au texte
Conservateur au musée de Grenoble Analyse de La Jeune Fille et la Mort d'Emma
puis au musée des beaux-arts de Rennes, Florence Harrison, vers 1910 57
Valérie Lagier a organisé de nom-
breuses expositions d'art moderne et Le texte en perspective
contemporain. Elle a créé, à Rennes, un Vie littéraire: Du roman gothique au roman fan-
service éducatif très innovant, et assuré
tastique 69
de nombreuses formations d'histoire de
l'art pour les enseignants et les étudiants. L'écrivain à sa table de travail : L'écriture du ren-
Elle est l'auteur de plusieurs publica- versement 76
tions scientifiques et pédagogiques. Elle
est actuellement adjointe à la directrice Groupement de textes thématique: Tous ces
des Études de l'Institut national du Patri- fantômes qui nous font peur! 85
moine à Paris. Groupement de textes stylistique: Le portrait
effrayant 97
Couverture: Emma Florence Harrison,
La Jeune Fille et la Mort. Illustration pour le Chronologie : Oscar Wilde et son temps 109
poème de Christina Rossetti, The Ghost's
Éléments pour une fiche de lecture 118
Pétition.
Le Fantôme de Canterville
I
bruits mystérieux qui venaient des couloirs et de la Mme Otis qui, sous le nom de miss Lucretia R. Tap-
bibliothèque. pan, de la 53e rue Ouest, avait été une des beautés
— Milord, répondit le ministre, je prendrai le célèbres de New York, était maintenant une superbe
mobilier et le fantôme selon évaluation. Je viens d'un femme entre deux âges avec de beaux yeux verts et
pays moderne où nous avons tout ce que l'argent un profil parfait. En quittant leur pays natal, bien des
peut acheter; et avec tous nos fringants jeunes gens Américaines adoptent un air de santé chancelante
qui viennent faire les quatre cents coups dans le avec l'impression que c'est une forme de raffinement
Vieux Monde et qui enlèvent vos meilleures actrices européen, mais Mme Otis n'avait jamais cru à cette
et prima donna, je suppose que, s'il existait un fan- fable. Elle jouissait d'une admirable constitution et
tôme en Europe, nous l'annexerions à bref délai pour d'une sorte de vitalité animale exceptionnelle. En fait,
le montrer au public dans un de nos musées ou dans à bien des égards, elle était tout à fait anglaise et offrait
les foires. un parfait exemple du fait que, de nos jours, nous
avons tout en commun avec l'Amérique, hormis, bien
— Je crains que le fantôme n'existe, dit lord Can-
entendu, le langage. Son fils aîné, baptisé Washington
terville en souriant. Encore qu'il ait peut-être résisté
par ses parents dans un moment de patriotisme qu'il
aux propositions de vos entreprenants imprésarios. Il
n'avait jamais cessé de regretter, était un jeune
est bien connu depuis trois siècles, depuis 1584 pour
homme blond, plutôt joli garçon, qui s'était qualifié
être précis, et il apparaît toujours avant la mort de
pour la diplomatie en conduisant le cotillon au casino
chaque membre de notre famille.
de Newport pendant trois saisons consécutives et
— Ma foi, on peut en dire autant du médecin de
qui, même à Londres, avait la réputation d'un excel-
famille, lord Canterville, mais les fantômes n'existent
lent danseur. Les gardénias et les aristocrates étaient
pas, non, monsieur; et je doute que les lois de la
sa seule faiblesse. Pour le reste, il était extrêmement
nature soient mises en échec en faveur de l'aristocra-
sensé. Miss Virginia E. Otis était une petite demoi-
tie britannique.
selle de quinze ans, svelte et ravissante comme une
— Vous êtes certainement très naturels en Amé-
biche avec de grands yeux bleus où se lisait un fort
rique, répondit lord Canterville qui n'avait pas bien
penchant pour la liberté. C'était une merveilleuse
compris la dernière observation de M. Otis, et si la
amazone et elle avait un jour défié le vieux lord Bil-
présence d'un fantôme dans la maison ne vous
ton à la course sur son poney. Après deux tours de
dérange pas, tant mieux. Seulement, souvenez-vous
parc, elle avait gagné d'une longueur et demie juste
que je vous ai prévenu.
devant la statue d'Achille aux suprêmes délices du
Quelques semaines plus tard, l'acquisition de la mai-
jeune duc de Cheshire qui lui avait demandé sa main
son était chose faite et, à la fin de la saison, le ministre
sur-le-champ et avait été renvoyé par ses tuteurs le
et sa famille vinrent s'installer à Canterville Chase.
10 Le Fantôme de Canterville Chapitre I 11
soir même à Eton dans un déluge de larmes. Après révérence profonde et, d'une voix affable, déclara à
Virginia, venaient les jumeaux, généralement appelés l'ancienne mode :
Stars and Stripes en raison des corrections répétées — Je vous souhaite la bienvenue à Canterville
qu'ils ne cessaient de recevoir. C'étaient des garçons Chase.
délicieux et, mis à part l'estimable ministre, les seuls À sa suite, ils traversèrent le magnifique hall Tudor
vrais républicains de la famille. et entrèrent dans la bibliothèque, une longue pièce
Canterville Chase étant situé à dix kilomètres envi- basse lambrissée de chêne sombre à l'extrémité
ron d'Ascot, la plus proche station de chemin de fer, de laquelle s'encadrait une large fenêtre garnie de
M. Otis avait télégraphié pour qu'une voiture vînt les vitraux... Là, ils trouvèrent le thé préparé à leur
chercher et ils prirent la route de la meilleure intention et, après avoir ôté leur manteau, ils s'assi-
humeur. C'était par une très belle journée de juillet rent et se mirent à regarder tout autour d'eux pen-
et l'air était embaumé de la senteur délicate des bois dant que Mme Umney les servait.
de pins. De temps en temps, ils entendaient un Soudain, Mme Otis aperçut une tache rougeâtre
pigeon ramier roucouler doucement ou entrevoyaient sur le parquet et, sans la moindre idée de ce qu'elle
dans les fougères bruissantes le poitrail cuivré d'un pouvait signifier, elle dit à Mme Umney:
faisan. De petits écureuils les regardaient passer, per- — Je crains qu'on n'ait renversé quelque chose
chés sur les branches des hêtres, et les lapins déta- par terre.
laient dans les taillis et par-dessus les tertres moussus, — Oui, madame, répondit la vieille servante à voix
leurs courtes queues blanches dressées en l'air. Alors basse. Le sang a été répandu à cet endroit.
qu'ils s'engageaient dans l'allée d'accès de Canterville — Quelle horreur! s'écria Mme Otis. Une tache
Chase, le ciel se chargea soudain de nuages; un calme de sang dans un salon. C'est inadmissible. Il faut la
étrange parut se répandre dans l'atmosphère, un nettoyer tout de suite.
grand vol de corneilles fila au-dessus de leurs têtes La vieille femme sourit et répondit de la même
et, avant qu'ils eussent atteint la maison, quelques voix confidentielle :
grosses gouttes de pluie se mirent à tomber.
— C'est le sang de lady Eleanore de Canterville
Debout sur les marches pour les recevoir se tenait qui a été assassinée ici même par son mari, sir Simon
une vieille femme, vêtue de manière stricte de soie de Canterville, en 1575. Sir Simon lui a survécu neuf
noire avec une coiffe et un tablier blancs. C'était ans et il a disparu dans des circonstances très mysté-
Mme Umney, la gouvernante que Mme Otis avait rieuses. Son corps n'a jamais été retrouvé mais son
consenti à maintenir dans sa position antérieure à esprit coupable continue à hanter le manoir. La tache
la demande expresse de lady Canterville. Comme ils de sang a été très admirée par des touristes et plu-
descendaient de voiture, elle leur fît à chacun une sieurs autres visiteurs, et elle est ineffaçable.
12 Le Fantôme de Canterville Chapitre I 13
— Tout ça ne tient pas debout! s'exclama cheveux sur la tête de n'importe quel chrétien. Et
Washington Otis. Le Détachtou et le Superdétersif pendant bien des nuits, je n'ai pas pu dormir à cause
Pinkerton la feront disparaître en un clin d'oeil. des événements terribles qui ont eu lieu ici.
Et, avant que la gouvernante terrifiée ait pu inter- Cependant, M. Otis et sa femme assurèrent avec
venir, il se laissa tomber à genoux et se mit à frotter conviction à cette âme pure qu'ils n'avaient pas peur
le sol avec une sorte de bâtonnet qui ressemblait à des fantômes et, après avoir invoqué l'intercession de
un fard noir. Quelques instants plus tard, toute trace la Providence en faveur de ses nouveaux maîtres et
de la tache de sang s'était effacée. négocié une augmentation de salaire, la vieille gou-
— Je savais bien que Pinkerton ferait l'affaire, vernante repartit à petits pas vers sa chambre.
s'exclama-t-il, triomphant, tourné vers les membres
de sa famille admiratifs, mais à peine avait-il prononcé
ces mots qu'un violent éclair illuminait la pièce tandis
qu'un fracas de tonnerre les faisait se dresser tous
d'un bond et que Mme Umney s'évanouissait.
— Quel climat impossible! dit le ministre améri-
cain d'un ton calme tout en allumant un long cigare
de Manille. J'ai l'impression que ce vieux pays est
tellement surpeuplé qu'il est incapable de fournir un
temps convenable à tout le monde. D'ailleurs, j'ai
toujours pensé que la seule solution pour l'Angle-
terre, c'était l'émigration.
— Mon cher Hiram, s'écria Mme Otis, qu'allons-
nous faire d'une femme qui tombe en pâmoison ?
— Opérer une retenue sur ses gages, répondit le
ministre. Ensuite, elle n'y tombera plus.
Et, en effet, quelques instants plus tard, Mme Umney
revint à elle. Elle n'en était pas moins extrêmement
perturbée et elle avertit avec gravité M. Otis qu'il
devait se méfier des malheurs éventuels qui pour-
raient s'abattre sur la maison.
— J'ai vu certaines choses de mes propres yeux,
monsieur, dit-elle, des choses qui feraient dresser les
Chapitre 2 15
perçut distinctement un bruit de pas. Il chaussa ses dans le but de s'éclipser, pour la quatrième dimen-
pantoufles, sortit une petite fiole oblongue de sa sion de l'espace, il s'évanouit à travers les boiseries et
valise et ouvrit la porte. Juste devant lui, dans un pâle le calme revint dans la maison.
rayon de lune, se tenait un vieil homme d'aspect ter- Comme il atteignait une petite chambre secrète
rible. Ses yeux étaient aussi rouges que des charbons dans l'aile gauche, il s'appuya contre un rayon de lune
ardents. Ses longs cheveux lui tombaient sur les pour reprendre son souffle et tenta de faire le point
épaules en mèches entremêlées. Ses vêtements de sur sa situation. Jamais, au cours d'une brillante car-
coupe antique étaient souillés et déchirés ; à ses poi- rière ininterrompue de trois cents ans, il n'avait été
gnets et ses chevilles pendaient de pesants fers man- aussi grossièrement insulté. Il songea à la duchesse
gés de rouille. douairière qu'il avait tant effrayée en apparaissant
— Cher monsieur, dit M. Otis, je vous prie ins- dans le miroir où elle se regardait avec ses dentelles
tamment de huiler vos chaînes; je vous ai apporté et ses diamants ; aux quatre caméristes prises d'hys-
dans ce but une petite bouteille de lubrifiant indien. térie lorsqu'il se contentait de leur grimacer un sou-
On le dit d'une parfaite efficacité après une seule rire à travers les rideaux d'une des chambres d'amis ;
application et l'emballage comporte plusieurs témoi- au recteur de la paroisse dont il avait soufflé la chan-
gnages en ce sens dus à quelques-uns de nos plus delle tandis qu'il rentrait très tard une nuit de la
éminents ecclésiastiques. Je vais vous le laisser ici à bibliothèque et qui depuis, ravagé de tics nerveux,
côté des quinquets et je serai heureux de vous en était resté le patient de sir William Gui! ; à la vieille
fournir un peu plus si vous en avez besoin. Mme de Trémouillac qui, réveillée de bonne heure un
Sur ces mots, le ministre des États-Unis posa le fla- matin, avait vu un squelette assis dans un fauteuil près
con sur une console de marbre et, refermant la du feu, plongé dans la lecture de son journal intime,
porte, regagna son lit. et avait été condamnée à garder le lit durant six
Un instant, le fantôme de Canterville resta immo- semaines en proie à une fièvre cérébrale et s'était,
bile, figé par l'indignation; puis, projetant avec vio- une fois remise, réconciliée avec l'Église et avait
lence la bouteille sur le parquet luisant, il s'élança le rompu tous rapports avec le scandaleux et mécréant
long du couloir en poussant des grognements caver- M. de Voltaire. Il se souvint de la terrible nuit où le
neux et en émettant une affreuse lumière verdâtre. pervers lord Canterville avait été trouvé suffoquant
Cependant, comme il parvenait au sommet du grand dans son cabinet de toilette avec un valet de carreau
escalier de chêne, une porte s'ouvrit à la volée, deux coincé en travers de la gorge et avait avoué juste
petites silhouettes drapées de blanc apparurent et un avant de mourir qu'il avait triché au jeu à l'aide de
énorme oreiller lui frôla la tête. Il n'y avait de toute cette carte et extorqué chez Crockford cinquante
évidence pas une seconde à perdre, aussi, optant, mille livres à Charles James Fox et juré ensuite que le
18 Le Fantôme de Canterville
closes. Par ailleurs, la couleur de la tache de sang, Le fantôme se dressa avec un cri de rage aigu, il se
qui changeait aussi souvent que celle d'un caméléon, précipita sur eux et les traversa comme un lambeau de
suscitait des commentaires. Certains matins elle était brume, éteignant au passage la bougie de Washington
terne, presque brunâtre, puis elle passait au ver- Otis et les plongeant ainsi dans une obscurité totale.
millon, puis à une riche nuance pourpre et, une fois, Parvenu au sommet de l'escalier, il se ressaisit et
alors qu'ils descendaient pour dire les prières fami- résolut de recourir à son célèbre éclat de rire sata-
liales selon les rites simples de la libre Église réfor- nique. Plus d'une fois, ce procédé lui avait été fort
mée épiscopalienne américaine, ils la trouvèrent d'un utile. C'était lui qui, disait-on, avait fait virer au gris en
vert émeraude éclatant. Ces changements kaléido- une seule nuit la perruque de lord Raker et qui avait
scopiques amusaient toute la famille et les paris certainement décidé trois des gouvernantes fran-
étaient ouverts chaque soir à ce sujet. La seule per- çaises de lady Canterville à plier bagages bien avant
sonne qui n'entrait pas dans le jeu était la petite Vir- la fin du mois. Il émit donc son ricanement le plus
ginia qui, pour quelque raison inexpliquée, était atroce jusqu'à ce qu'il résonnât et se répercutât
toujours perturbée à la vue de la tache de sang et qui, contre l'antique voûte de plafond, mais à peine le ter-
le matin où elle vira au vert émeraude, faillit fondre rifiant écho s'était-il éteint qu'une porte s'ouvrait
en larmes. et que Mme Otis surgissait, vêtue d'une robe de
La seconde apparition du fantôme eut lieu un chambre bleu pâle.
dimanche soir. Peu après être allés se coucher, les Otis — Je crains que vous ne soyez bien mal en point,
furent subitement mis en alerte par un terrible fracas dit-elle. Voici donc un flacon de l'élixir du Dr Dabell.
dans le hall. Ils se précipitèrent au bas des marches et S'il s'agit d'une indigestion, ce remède vous fera le
constatèrent qu'une énorme armure ancienne s'était plus grand bien.
détachée de son socle pour s'éparpiller sur les dalles Le fantôme, furieux, la foudroya du regard et prit
de pierre tandis que le fantôme de Canterville, assis aussitôt ses dispositions pour se transformer en un
dans un fauteuil à haut dossier droit, se frictionnait énorme chien noir, opération pour laquelle il était
les genoux avec une expression de douleur aiguë sur justement renommé et que le médecin de famille
les traits. Les jumeaux, qui s'étaient munis de leurs sar- avait toujours jugée responsable de l'état d'idiotie
bacanes, tirèrent immédiatement deux boulettes sur permanent de l'oncle de lord Canterville, l'honorable
lui avec cette précision qui ne peut être atteinte que Thomas Horton. Un bruit de pas qui se rapprochait
grâce à une pratique assidue et prolongée sur la per- le fit toutefois hésiter et il se contenta de devenir
sonne d'un maître d'école, tandis que le ministre des légèrement phosphorescent pour disparaître avec un
États-Unis, son revolver braqué sur l'intrus, lui intimait grognement sépulcral à l'instant où les jumeaux le
selon l'étiquette californienne l'ordre de lever les bras. rejoignaient.
22 Le Fantôme de Canterville Chapitre 3 23
Une fois dans sa chambre, il sombra dans le Vers le soir un violent orage éclata accompagné de
marasme et devint la proie d'une violente agitation. trombes d'eau; le vent soufflait avec une telle vio-
La vulgarité des jumeaux, le matérialisme grossier de lence que toutes les portes et les fenêtres de la vieille
Mme Otis étaient, bien entendu, odieux, mais ce qui demeure grinçaient et battaient à qui mieux mieux.
le démoralisait le plus, c'était sa totale inaptitude à En fait, c'était exactement le temps que le fantôme
revêtir la cotte de mailles. Il avait espéré que même préférait. Son plan d'action était le suivant: il allait
des Américains modernes vibreraient à la vue d'un pénétrer sans bruit dans la chambre de Washington
spectre en armure, ne fût-ce, à défaut de motif plus Otis, l'abreuver d'invectives incompréhensibles et le
sensé, que par respect pour leur poète national, poignarder trois fois à la gorge au son d'une musique
Longfellow, dont la poésie gracieuse et élégante lui lente. Il gardait une dent particulière contre Washing-
avait allégé bien des heures de dépression pendant ton, n'ignorant pas que c'était lui qui effaçait chaque
les séjours des Canterville à Londres. D'autant que jour la tache de sang avec le Superdétersif Pinkerton.
c'était sa propre armure. Il l'avait glorieusement por- Après avoir plongé ce godelureau sans cervelle dans
tée au tournoi de Kenilworth et elle lui avait valu les un état de terreur abjecte, il se rendrait dans la
plus vifs compliments de la Reine Vierge en personne. chambre occupée par le ministre des États-Unis et
Et pourtant, quand il avait essayé de l'endosser, il sa femme et poserait une main glaciale et visqueuse
avait été complètement écrasé par le poids de la sur le front de Mme Otis, tout en chuchotant d'une
cotte d'armes et du bassinet et il était tombé lourde- voix sifflante à l'oreille de son mari les terribles
ment sur le dallage de pierre, s'écorchant les genoux secrets du caveau de famille. Vis-à-vis de la petite Vir-
et s'éraflant les jointures de la main droite. ginia, il n'avait pas encore arrêté de décision. Jamais
Durant plusieurs jours après cette mésaventure, elle ne l'avait insulté et elle était jolie et gentille.
gravement malade, il ne sortit guère de son refuge, Quelques gémissements lugubres du fond de l'ar-
sinon pour assurer le bon entretien de la tache de moire, se dit-il, seraient plus que suffisants pour la
sang. Cependant, à force de se prodiguer à lui-même réveiller, sinon il pourrait tirailler sur son édredon à
des soins attentifs, il se rétablit et résolut de faire petits coups saccadés. Quant aux jumeaux, il était
une troisième tentative pour effrayer le ministre des bien résolu à leur donner une leçon. La première
États-Unis et toute sa famille. Il choisit le vendredi chose à faire était de s'asseoir sur leur poitrine pour
17 août pour apparaître et passa la plus grande partie leur faire éprouver une sensation d'étouffement cau-
de la journée à inspecter sa garde-robe. Finalement, chemardesque. Ensuite, comme leurs lits étaient tout
il opta pour un vaste chapeau de feutre aux larges proches l'un de l'autre, de se tenir entre eux sous la
bords rabattus orné d'une plume rouge, un linceul forme d'un cadavre vert et glacé jusqu'à ce qu'ils
plissé aux poignets et au col et une dague rouillée. soient paralysés de peur, enfin de rejeter son linceul
24 Le Fantôme de Canterville Chapitre 3 25
et tourner lentement autour de la pièce avec ses os rouillée. Enfin, il parvint à l'angle du couloir qui menait
blanchis et un œil roulant au creux de l'orbite dans le à la chambre de l'infortuné Washington. Un instant il
rôle de «Daniel le Muet» ou «Le Squelette du sui- s'y arrêta, tandis que le vent faisait voleter ses longues
cidé», rôle dans lequel il avait plus d'une fois fait un mèches grises autour de sa tête et tordait en plis
effet spectaculaire et qu'il considérait comme égal à bizarres l'horreur sans nom de son linceul funèbre.
celui de «Martin le Dément» ou «Le Mystère Mas- Puis la pendule sonna le quart et il jugea que le
qué». moment était venu. Avec un petit rire sarcastique, il
À dix heures et demie, il entendit la famille qui tourna le coin. Mais à peine l'avait-il fait qu'il vacilla en
montait se coucher. Pendant un moment, il fut dérouté arrière avec un pitoyable cri de terreur, et cacha son
par les hurlements de rires aigus des jumeaux qui, visage livide derrière ses longues mains osseuses.
avec leur insouciante gaieté d'écoliers, batifolaient Droit devant lui se dressait un horrible spectre, immo-
avant de se mettre au lit mais, à onze heures un quart, bile telle une statue, aussi hideux que le cauchemar
tout était calme et, lorsque minuit sonna, il s'élança. d'un fou ! Son crâne était chauve et poli, son visage
Le hibou se mit à voleter aux carreaux, le corbeau à rond gras et blanc ; un rire atroce semblait s'être figé
croasser en haut du vieil if et le vent à gémir et à se à jamais sur ses traits grimaçants. Les yeux proje-
lamenter autour de la maison comme une âme per- taient des rayons de lumière sanglante, la bouche
due; mais les membres de la famille Otis dormaient, était un large puits de feu, et un affreux vêtement,
inconscients de leur destin et, très haut par-dessus semblable au sien, drapait de ses plis neigeux sa sil-
la pluie et les rugissements de la tempête, le fantôme houette de Titan. Sur sa poitrine, une pancarte por-
entendit les ronflements sonores du ministre des tait des mots écrits en caractères archaïques, quelque
États-Unis. Il émergea sans bruit des boiseries avec attestation ignominieuse, semblait-il, quelque liste de
un sourire mauvais sur ses lèvres cruelles et la lune péchés atroces, quelque funeste éphéméride du crime
se voila la face derrière un nuage comme il se glis- et, dans sa main droite, il brandissait une large épée
sait devant la grande fenêtre en encorbellement où d'acier luisant.
étaient blasonnées en azur et or ses armes et celles
N'ayant jamais vu de fantôme, il fut naturellement
de sa femme assassinée. Il continua à se faufiler comme
terrifié et, après un deuxième coup d'ceil furtif à l'hor-
une ombre maléfique et l'obscurité même semblait
rible question, il se sauva jusqu'à sa chambre, trébu-
prise de répulsion à son passage. À un moment, il crut
chant dans les plis de son suaire et lâchant dans sa
entendre un appel et s'immobilisa, mais ce n'était que
course sa dague dans les hautes bottes du ministre
l'aboiement d'un chien de la Ferme Rouge et il se remit
où elle fut retrouvée au matin par le maître d'hôtel.
en marche, marmonnant d'étranges blasphèmes du
Une fois en sûreté dans son refuge, il se jeta sur son
xvi e siècle et brandissant de temps à autre sa dague
étroite paillasse et rabattit son voile blanc sur sa tête.
26 Le Fantôme de Canterville Chapitre 3 27
Au bout d'un moment toutefois, la vieille tradition de ville brilla dans son regard ; il grinça de ses gencives
vaillance chevaleresque des Canterville reprit le des- édentées et, levant ses mains ridées très haut au-des-
sus et il résolut d'aller trouver l'autre fantôme dès sus de sa tête, il jura, selon la pittoresque phraséolo-
qu'il ferait jour. Ainsi, à peine les lueurs argentées de gie de la vieille école, que lorsque Chantecler aurait
l'aube avaient-elles effleuré les collines qu'il retour- allègrement sonné du cor par deux fois, des crimes
nait vers ce lieu où l'abominable spectre lui était de sang seraient perpétrés et le Meurtre, à pas silen-
apparu, tout en songeant qu'après tout, deux fan- cieux, se mettrait en marche.
tômes valaient mieux qu'un et qu'avec l'aide de son À peine avait-il achevé ce terrible serment qu'un
nouvel ami, il pourrait plus sûrement s'en prendre coq chanta sur le toit de tuiles rouges d'une ferme
aux jumeaux. Mais, comme il atteignait l'angle du cou- lointaine. Il laissa échapper un long rire étouffé chargé
loir, une angoissante vision frappa son regard. Il était d'amertume et attendit. Heure après heure, il atten-
de toute évidence arrivé quelque chose au spectre, dit, mais le coq, pour quelque raison étrange, ne
car la lumière était totalement éteinte dans ses yeux rechanta pas... Enfin, à sept heures et demie, l'arri-
caves, le glaive luisant lui était tombé des mains et il vée des femmes de chambre l'obligea à abandonner
était adossé de guingois au mur dans une position sa veille et il regagna dignement son refuge, ruminant
insolite. Il se ruait en avant pour ceinturer son adver- ses espérances déçues et ses objectifs manques. Puis
saire quand il vit la tête de celui-ci tomber et rouler il entreprit de consulter divers ouvrages de chevale-
par terre tandis que le corps s'affaissait, et il se rie antique, ses lectures de prédilection, et découvrit
retrouva cramponné à une courtine de basin blanc, que, chaque fois qu'il avait été invoqué par serment,
avec un balai, un couperet de cuisine et un gros navet Chantecler avait toujours chanté une seconde fois.
creux gisant à ses pieds. Incapable de comprendre — La peste étouffe cette maudite volaille, mar-
cette singulière métamorphose, il empoigna la pan- monna-t-il. Il fut un temps où, de mon fidèle épieu, je
carte avec une hâte fébrile et, à la lumière grisâtre du lui aurais transpercé le bréchet et fait chanter pour
matin, il lut ces mots : moi seul jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Sur quoi, il alla s'allonger dans son douillet cercueil
LE F A N T Ô M E OTIS de plomb et y demeura jusqu'au soir.
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il avait tant effrayé lady Barbara Modish qu'elle avait étouffés qui venaient des deux lits à baldaquin. La
brusquement rompu ses fiançailles avec le grand-père surprise lui causa un tel choc nerveux que, dans une
de l'actuel lord Canterville et s'était enfuie à Gretna fuite éperdue, il courut s'enfermer dans sa chambre
Green avec le beau Jack Castleton en déclarant que où, le jour suivant, il se trouva cloué au lit par une
rien ne pourrait l'inciter à prendre époux dans une grippe sévère. Du moins dans son malheur eut-il
famille qui permettait à un fantôme aussi horrible de une consolation. Il avait laissé sa tête chez lui, car s'il
se promener sur la terrasse au crépuscule. Plus tard, l'avait mise sur ses épaules, les conséquences auraient
le pauvre Jack avait été tué en duel par lord Canter- pu être dramatiques pour lui.
ville dans le parc de Wandsworth et lady Barbara Ayant désormais renoncé à tout espoir d'effrayer
était morte de chagrin à Tunbridge Wells avant que cette grossière famille d'Américains, il se contenta,
l'année fût écoulée, si bien qu'à tous égards, on pou- pour la bonne règle, de rôder dans les couloirs avec
vait parler d'un succès complet. des chaussons de lisière aux pieds, une épaisse écharpe
C'était toutefois une «composition» très difficile à rouge autour du cou contre les courants d'air et
réaliser, si je puis appliquer une expression aussi scé- armé d'une petite arquebuse au cas où il serait atta-
nique à l'un des plus grands mystères du monde sur- qué par les jumeaux. Ce fut le 19 septembre qu'il
naturel ou, pour avoir recours à un terme plus reçut le coup de grâce. Il était descendu dans le grand
scientifique, le monde supranaturel, et il lui fallut trois hall d'entrée, certain de ne pas y être molesté, et il
bonnes heures pour achever ses préparatifs. Enfin, s'amusait à ironiser sur les grandes photos du ministre
tout fut prêt et il était enchanté de son aspect. Les des États-Unis et de sa femme, signées Saroni, qui
hautes bottes de cuir qui faisaient partie de son cos- avaient maintenant pris la place des portraits d'an-
tume étaient un peu trop grandes pour lui et il ne put cêtres de la famille Canterville. Il était vêtu simple-
trouver qu'un seul des deux pistolets d'arçon mais, ment mais avec élégance d'un long linceul souillé de
dans l'ensemble, il était satisfait et, à une heure et terre de cimetière, avait attaché sa mâchoire avec
quart, il traversa la boiserie et commença à longer le une bande de tissu jaune et portait une petite lan-
couloir à pas comptés. Comme il atteignait la chambre terne ainsi qu'une bêche de fossoyeur. En fait, il était
occupée par les jumeaux qui, je dois le préciser, était déguisé en «Jonas le Déterré ou le Voleur de Cadavres
appelée la Chambre Bleue en raison de la couleur de de Cherney Barn», une de ses créations les plus
ses tentures, il trouva la porte entrebâillée. Désireux remarquables, création dont les Canterville avaient
de faire une entrée spectaculaire, il poussa brusque- toute raison de se souvenir, car c'était là la véritable
ment le panneau et reçut un lourd broc d'eau qui origine de leur querelle avec leur voisin, lord Rufford.
l'inonda et lui manqua l'épaule gauche d'un cheveu. Il était environ deux heures et demie du matin et,
Au même instant, il entendit des hurlements de rire pour autant qu'il pouvait en juger, rien ni personne
32 Le Fantôme de Canterville Chapitre 4 33
ne bougeait. Comme il s'approchait de la biblio- M. Otis écrivit une lettre en ce sens à lord Canter-
thèque pour voir s'il restait quelque trace de la tache ville qui, en réponse, lui fit part de tout le plaisir que
de sang, soudain lui sautèrent dessus, surgies d'un lui causait cette nouvelle et envoya ses meilleurs
coin sombre, deux silhouettes qui agitaient frénéti- compliments à la digne épouse du ministre.
quement les bras au-dessus de leur tête en lui hurlant Les Otis se trompaient cependant, car le fantôme
« Bouh ! » à l'oreille. était toujours dans la maison et, quoique maintenant
Pris de panique — ce qui dans sa situation était à demi invalide, n'était nullement disposé à abandon-
rien moins que naturel — il se rua vers l'escalier mais ner la partie, en particulier lorsqu'il apprit que parmi
se heurta à Washington Otis qui l'attendait avec le les invités se trouvait le jeune duc de Cheshire dont
grand pulvérisateur du jardin. Ainsi cerné de tous le grand-oncle, lord Francis Stilton, avait naguère
côtés par ses ennemis et presque à leur merci, il parié cent guinées avec le colonel Carbury qu'il joue-
s'évanouit dans l'énorme poêle de fonte qui, par bon- rait aux dés avec le fantôme de Canterville et avait
heur pour lui, n'était pas allumé et, réduit à battre en été découvert le lendemain matin gisant sur le sol du
retraite en se faufilant dans les conduits et les chemi- fumoir dans un tel état d'aphasie que, en dépit d'une
nées, il parvint chez lui dans un affreux état de saleté, longévité remarquable, il n'avait plus jamais été
de désordre et de désespoir. capable de dire autre chose que « Double Six! ». L'his-
Par la suite on ne le revit plus jamais s'aventurer toire avait fait grand bruit à l'époque, encore que,
dans une expédition nocturne. À plusieurs occasions, bien entendu, par respect pour les sentiments des
les jumeaux le guettèrent et semèrent chaque soir les deux nobles familles, tout avait été tenté pour la gar-
couloirs de coquilles de noix au grand dam de leurs der secrète, et l'on pourra trouver un exposé détaillé
parents et des domestiques, mais sans résultat. Il était de toutes les circonstances qui avaient entouré l'af-
évident que le fantôme était à ce point blessé qu'il ne faire dans le troisième volume des Souvenirs du prince
réapparaîtrait plus. En conséquence, M. Otis se remit régent et de ses amis, de lord Tattle. Le fantôme tenait
à sa grande œuvre sur l'histoire du parti démocrate à donc beaucoup à montrer qu'il n'avait pas perdu son
laquelle il s'était attelé depuis plusieurs années déjà. influence sur les Stilton dont il était en vérité un
Mme Otis organisa un somptueux raout qui émer- parent éloigné, sa première cousine germaine ayant
veilla tout le comté. Les garçons jouaient au hockey, épousé en secondes noces le sieur de Bulkeley, dont,
au mistigri, au poker, et Virginia faisait du poney dans comme chacun sait, descendait la lignée des ducs de
les allées du parc, escortée par le jeune duc de Che- Cheshire. Il prit en conséquence ses dispositions pour
shire qui était venu passer la dernière semaine de ses apparaître au jeune soupirant de Virginia sous son
vacances à Canterville Chase. Il était généralement aspect du «Moine Vampire ou Bénédictin Exsangue»,
admis que le fantôme s'en était allé et, pour tout dire, une apparition tellement horrible que, lorsque la vieille
34 Le Fantôme de Canterville
consoler. Elle marchait d'un pas si léger que, dans son courtois de la part de ses frères de me laisser mourir
accablement, il ne s'aperçut pas de sa présence avant de faim.
qu'elle ne lui ait adressé la parole. — Vous laisser mourir de faim ? Oh, monsieur le
— Je vous plains beaucoup, dit-elle, mais mes fantôme, je veux dire sir Simon, avez-vous faim ? J'ai
frères repartent pour Eton demain donc, si vous vous un sandwich dans mon sac. Voulez-vous que je vous
tenez tranquille, personne ne vous fera d'ennuis. le donne?
— Il est absurde de me demander de me tenir — Non, merci. Je ne mange plus rien maintenant,
tranquille, répliqua-t-il, regardant, ébahi, cette ravis- mais c'est très gentil de votre part et vous êtes beau-
sante enfant qui s'était risquée à lui parler. Totale- coup plus aimable que le reste de votre détestable
ment absurde. Je dois faire tinter mes chaînes, gémir famille, grossière, vulgaire, malhonnête.
par les trous de serrure et me promener la nuit, si — Arrêtez ! cria Virginia en tapant du pied. C'est
c'est à cela que vous faites allusion. C'est ma seule vous qui êtes détestable et vulgaire et grossier. Quant
raison d'exister. à la malhonnêteté, vous savez très bien que vous avez
— Ce n'est pas du tout une raison d'exister et volé mes tubes de peinture pour essayer de refaire
vous savez très bien que vous avez été très méchant. cette tache de sang ridicule dans la bibliothèque.
Mme Umney nous a dit, le jour de notre arrivée ici, D'abord, vous avez pris tous les rouges, y compris le
que vous aviez tué votre femme. vermillon, ce qui fait que je ne pouvais plus peindre
— D'accord, je l'admets, dit le fantôme avec viva- de couchers de soleil, puis vous avez pris le vert
cité, mais c'était un problème purement familial et qui émeraude et le jaune de chrome et, pour finir, il ne
ne concernait personne d'autre. m'est resté que l'indigo et le blanc de Chine et je
— C'est très mal, de tuer les gens, dit Virginia qui ne pouvais plus faire que des clairs de lune, ce qui est
faisait parfois preuve d'une charmante rigueur puri- toujours déprimant à regarder et en plus très difficile
taine, héritée de quelque lointain ancêtre de Nou- à réussir. J'étais excédée et tout ça était vraiment
velle-Angleterre. ridicule, mais jamais je ne vous ai dénoncé. A-t-on
— Oh, je déteste la misérable austérité de cette jamais vu du sang vert émeraude ?
éthique abstraite! Ma femme était très laide, mes — Vous avez raison, dit le fantôme, l'air plutôt
fraises n'étaient jamais bien amidonnées et elle n'en- déconfit, mais qu'est-ce que je pouvais faire? C'est
tendait rien à la cuisine. Tenez, je pense à ce daim très difficile de se procurer du vrai sang de nos jours,
que j'avais abattu dans le bois de Hogley, un superbe et c'est votre frère qui a commencé avec son super-
daguet, et savez-vous comment elle l'a fait servir à détersif, je ne vois pas pourquoi, moi, je n'aurais pas
table ?... Enfin, peu importe. Tout ça est bien loin et, pris vos peintures. Quant à la couleur, c'est toujours
même si je l'avais tuée, je crois que ce n'était guère une affaire de goût. Les Canterville ont du sang bleu,
38 Le Fantôme de Canterville Chapitre 5 39
par exemple, le plus bleu d'Angleterre, mais je sais tome, et les beaux yeux bleus de Virginia se dila-
bien que ce genre de détails ne vous intéresse pas, tèrent d'étonnement. Trois cents ans que je n'ai pas
vous autres Américains. fermé l'œil et je suis si fatigué.
— Vous ne savez rien du tout et ce que vous Virginia prit un air très grave et ses lèvres fines fré-
pourriez faire de mieux, ce serait d'émigrer et de mirent comme des pétales de rose. Elle s'approcha,
vous cultiver un peu. Mon père sera trop heureux s'agenouilla à côté de lui et leva les yeux vers son
de vous offrir un voyage gratuit et, bien qu'il y ait des vieux visage fripé.
droits énormes à payer sur l'esprit-de-vin, vous — Pauvre, pauvre fantôme, murmura-t-elle. Vous
n'aurez pas de problèmes à la douane car tous les n'avez vraiment aucun endroit où dormir ?
employés sont démocrates. Une fois à New York, — Bien loin au-delà des pinèdes, répondit-il à voix
vous êtes sûr d'obtenir un énorme succès. Je connais basse et rêveuse, il y a un petit jardin. L'herbe y
des tas de gens qui donneraient cent mille dollars pousse haute et drue, les grandes étoiles blanches de
pour avoir un grand-père, alors, vous pensez, pour la ciguë fleurissent, le rossignol y chante toute la nuit.
un fantôme de famille ! Toute la nuit il chante, et la froide lune de cristal le
— Je ne crois pas que l'Amérique me plairait. regarde et les ifs étendent leurs ramures géantes au-
— Parce que nous n'avons pas de ruines ou de dessus des dormeurs.
curiosités, je suppose ? dit Virginia d'un ton ironique. Les yeux de Virginia se remplirent de larmes et elle
— Pas de ruines! Pas de curiosités! s'exclama le se cacha le visage dans les mains.
fantôme. Vous avez votre marine et vos manières. — Vous voulez dire le Jardin de la Mort, chu-
— Bonsoir. Je vais aller demander à papa de s'ar- chota-t-elle.
ranger pour que les jumeaux aient une semaine de — Oui, la mort. La mort doit être si belle. Repo-
congé de plus. ser dans la douce terre brune, avec l'herbe qui
— Je vous en prie, miss Virginia, ne partez pas! ondule au-dessus de votre tête et écouter le silence.
s'écria-t-il. Je suis si seul et si malheureux. Et je ne Ne connaître ni hier ni lendemain. Oublier le temps,
sais vraiment pas quoi faire. Je voudrais dormir et je oublier la vie, être en paix. Vous pouvez m'aider,
n'y arrive pas. vous pouvez ouvrir pour moi les portes de la maison
— Ça ne tient pas debout. Vous n'avez qu'à vous de la mort, car l'amour toujours vous accompagne et
coucher et souffler la bougie. C'est quelquefois très l'amour est plus fort que la mort.
difficile de rester éveillé, surtout à l'église. Voyons, Virginia se mit à trembler. Un frisson glacé la par-
même les bébés savent comment s'y prendre et ils ne courut et pendant quelques instants régna le silence.
sont pourtant pas bien malins. Elle avait l'impression d'être plongée dans un terrible
— Je ne dors pas depuis trois cents ans, dit le fan- rêve.
40 Le Fantôme de Canterville Chapitre 5 41
Puis le fantôme reprit la parole et sa voix murmura Il se leva de son siège avec un faible cri de joie, lui
comme un souffle de vent: prit la main et, avec une grâce surannée, y déposa un
— Avez-vous jamais lu la vieille prophétie sur la baiser. Ses doigts étaient aussi froids que la glace et
fenêtre de la bibliothèque ? ses lèvres brûlaient comme le feu, mais Virginia n'eut
— Oh, souvent, s'écria la petite fille en levant les pas d'hésitation tandis qu'il lui faisait traverser la
yeux. Je la connais très bien ; elle est peinte en drôles pièce obscure. Les petits chasseurs qui ornaient la
de lettres noires et c'est difficile à lire. Elle n'a que six tapisserie aux tons vert fané se mirent à souffler dans
lignes. leurs trompes festonnées de pompons et, de leurs
mains minuscules, lui firent signe de battre en retraite :
Quand une fille aux cheveux d'or viendra «Retourne en arrière, petite Virginia, retourne en
arrière ! » Mais le fantôme lui étreignait la main et elle
Qu'une prière aux lèvres du pécheur naîtra
ferma les yeux pour ne pas les voir. D'horribles ani-
Quand l'amandier stérile ses fruits prodiguera
maux à queues de lézard et aux yeux globuleux bat-
Qu'une petite enfant ses larmes donnera
tirent des paupières du haut de la cheminée aux
Alors dans la maison le calme renaîtra
montants de bois sculpté, en murmurant: «Prends
Et Canterville enfin la paix retrouvera.
garde, petite Virginia, prends garde ! On ne te reverra
peut-être jamais plus ! » Mais le fantôme allait de plus
Mais je ne sais pas ce qu'elles signifient.
en plus vite et Virginia ne les écoutait pas. Comme
— Elles signifient, dit-il tristement, que vous devez
ils atteignaient l'autre bout de la pièce, le fantôme
pleurer pour mes péchés, parce que je n'ai pas de
s'arrêta et murmura quelques mots qu'elle ne put
larmes, et prier pour mon âme, parce que je n'ai pas
comprendre. Elle ouvrit les yeux, vit le mur qui se
de foi et, si vous avez toujours été douce, bonne et
dissipait lentement comme un écran de brume, et
gentille, l'Ange de la Mort aura pitié de moi. Vous ver-
une vaste caverne noire s'ouvrit devant elle. Un vent
rez des formes effrayantes dans l'obscurité et des voix
froid et mordant les enveloppa et elle sentit quelque
maléfiques vous chuchoteront à l'oreille, mais elles
chose qui tiraillait sa robe.
ne vous toucheront pas car, contre la pureté d'une
enfant, les puissances de l'Enfer sont désarmées. — Vite, vite, cria le fantôme, ou il sera trop tard !
L'instant d'après, les boiseries se refermaient der-
Virginia ne répondit pas et le fantôme se tordit les
rière eux et la Salle des Tapisseries était vide.
mains de désespoir, les yeux baissés sur le casque
d'or de sa tête inclinée. Soudain, elle se redressa, très
pâle, avec une lueur étrange dans les yeux.
— Je n'ai pas peur, dit-elle avec fermeté, et je
demanderai à l'ange d'avoir pitié de vous.
Chapitre 6 43
— O h , zut pour le chapeau ! C'est Virginia que je et quatre d'entre eux s'étaient séparés du groupe
veux! s'écria le petit duc en riant, et ils prirent le pour participer aux recherches. L'étang aux carpes
galop en direction de la gare. avait été dragué et toute la propriété minutieusement
M. Otis demanda au chef de gare si une jeune fille explorée sans le moindre résultat. Il était évident
répondant à la description de Virginia avait été vue que, pour cette nuit-là du moins, Virginia était per-
sur le quai, mais il n'apprit rien à son sujet; le chef de due; et c'est dans un état d'abattement profond que
gare, toutefois, expédia des dépêches dans les deux M. Otis et les garçons rentrèrent dans la maison, sui-
directions opposées de la ligne et assura M. Otis vis par le valet d'écurie qui ramenait les deux chevaux
qu'une étroite surveillance serait exercée en vue de et le poney. Dans le hall, Us trouvèrent un groupe de
retrouver sa fille. Après avoir acheté un chapeau domestiques sur le qui-vive et, allongée sur un canapé
pour le petit duc chez un mercier qui était en train de dans la bibliothèque, la pauvre Mme Otis, à demi folle
fermer ses volets, M. Otis chevaucha jusqu'à Bexley, de peur et d'anxiété, dont la vieille gouvernante bas-
un village à six kilomètres de là environ, lieu bien sinait le front avec des compresses d'eau de Cologne.
connu, lui avait-on dit, de rassemblement des bohé- M. Otis insista aussitôt pour qu'on lui servît quelque
miens dans le vaste pré communal voisin. Il alerta le chose à manger et commanda un souper pour tout le
représentant de la police locale mais n'en obtint monde. Ce fut un triste repas ; personne ou presque
aucun renseignement et, après avoir exploré à che- ne souffla mot et les jumeaux eux-mêmes étaient
val tout le pré, ils tournèrent bride pour regagner la désemparés, prostrés, car ils aimaient énormément
maison et arrivèrent à Canterville Chase vers sept leur sœur. Lorsqu'ils eurent fini, M. Otis, en dépit des
heures, recrus de fatigue et l'âme en peine. Ils t r o u - prières du petit duc, leur donna l'ordre d'aller se
vèrent Washington et les jumeaux qui les attendaient coucher en disant qu'on ne pouvait rien faire de plus
au portail avec des lanternes, car l'avenue était très cette nuit-là et qu'il télégraphierait le lendemain à
sombre. Scotland Yard qu'on leur envoyât sans délais des ins-
On n'avait découvert aucune trace de Virginia. Les pecteurs de police. Au moment où ils sortaient de la
bohémiens avaient été retrouvés dans les prés de salle à manger, minuit se mit à sonner à l'horloge de
Broxley mais Virginia n'était pas avec eux, et s'ils la tour et ils entendirent un grand bruit accompagné
étaient partis précipitamment, expliquèrent-ils, c'était d'un cri aigu ; un roulement de tonnerre effrayant fit
à la suite d'une erreur sur la date de la foire de Chor- vibrer la maison, les accents d'une musique céleste
ton où ils avaient craint d'arriver trop tard. Ils avaient flottèrent dans l'air, un panneau de la boiserie au
même été désolés d'apprendre la disparition de Vir- sommet de l'escalier se déroba avec fracas et, sur le
ginia, d'autant qu'ils étaient très reconnaissants à palier, très pâle et blanche, un petit coffret à la main,
M. Otis de les avoir autorisés à camper dans son parc, surgit Virginia. Ce fut en un instant une ruée générale
46 Le Fantôme de Canterville Chapitre 6 47
vers le haut des marches. M. Otis étreignit Virginia plafond voûté et une minuscule fenêtre garnie de bar-
avec passion, le petit duc l'étouffa de baisers fréné- reaux. Scellé dans le mur, un énorme anneau de fer
tiques et les jumeaux se mirent à exécuter une danse auquel était enchaîné un squelette gisant de tout son
du scalp autour du groupe. long sur le sol de pierre, et qui semblait essayer de sai-
— Grand Dieu, mon enfant, où étais-tu donc? sir de ses longs doigts décharnés une cruche antique
s'écria M. Otis avec une certaine humeur, pensant et une écuelle placées juste hors de sa portée. De
qu'elle avait voulu leur jouer un tour de sa façon. Cecil toute évidence, la cruche avait été jadis remplie d'eau,
et moi avons parcouru tout le pays à cheval pour te car ses parois intérieures étaient tapissées d'une
retrouver et ta mère était mortellement inquiète. Il mousse verdâtre. Dans l'écuelle ne restait qu'un infime
ne faut plus jamais faire des mauvaises farces de ce tas de poussière. Virginia s'agenouilla à côté du sque-
genre. lette et, joignant ses petites mains, elle se mit à prier
— Sauf au fantôme ! Sauf au fantôme ! glapirent les en silence tandis que les autres semblaient songer
jumeaux en exécutant des cabrioles. avec effroi à la terrible tragédie dont le secret venait
— Ma petite chérie, Dieu merci te voilà retrou- de leur être dévoilé.
vée. Je ne veux plus jamais que tu me quittes, mur- — Ah tiens ! s'exclama soudain l'un des jumeaux
mura Mme Otis en embrassant l'enfant tremblante et qui regardait par la petite fenêtre pour tenter de
en lissant ses mèches d'or emmêlées. découvrir dans quelle aile du manoir était située la
— Papa, dit Virginia calmement, j'étais avec le fan- pièce. Tiens! Le vieil amandier desséché est en fleur.
tôme. Il est mort et il faut que tu viennes le voir. On le voit bien au clair de lune.
C'avait été un très méchant homme, mais il regrettait — Dieu lui a pardonné, dit gravement Virginia en
sincèrement tout ce qu'il avait fait de mal et, avant se relevant, et une lumière radieuse parut illuminer
de mourir, il m'a donné cette cassette de bijoux son visage.
superbes. — Vous êtes un ange ! s'écria le jeune duc et il lui
Toute la famille la regardait, muette de stupeur, passa un bras autour du cou et l'embrassa.
mais elle était parfaitement sérieuse et grave, puis
elle se détourna et les conduisit par le panneau ouvert
dans la boiserie le long d'un étroit corridor secret;
Washington suivait avec une bougie allumée qu'il avait
prise sur la table. Enfin, ils parvinrent à une lourde
porte de chêne rehaussée de clous rouilles. Sous les
doigts de Virginia, la porte pivota sur ses gonds et ils
se trouvèrent dans une petite pièce basse avec un
Chapitre 7 49
fait autorité en matière d'art, ayant eu le privilège de crânerie. Les bijoux sont à elle, sans le moindre
passer plusieurs hivers à Boston quand elle était jeune doute et, parbleu ! je crois que si j'étais assez sordide
fille — que ces pierreries ont une grande valeur mar- pour les lui prendre, le vieux scélérat sortirait de sa
chande et que, mises en vente, elles atteindraient des tombe séance tenante et me ferait mener une exis-
prix considérables. Dans ces conditions, lord Canter- tence infernale. Quant à faire partie de l'héritage, rien
ville, il m'est tout à fait impossible de les laisser en la ne peut être considéré comme tel à moins de figurer
possession d'un membre de ma famille et, à vrai dire, sur un testament ou un document légal; en outre,
toutes ces vaines parures, si opportunes ou néces- l'existence de ces bijoux était totalement inconnue...
saires qu'elles soient à la dignité de l'aristocratie bri- Je vous assure que je n'ai pas plus de droits sur eux
tannique, seraient très déplacées parmi ceux qui ont que votre maître d'hôtel et quand miss Virginia sera
été élevés selon les principes austères et, je crois, grande, j'ose dire qu'elle sera ravie d'avoir de jolies
immortels, de la simplicité républicaine. Peut-être choses à porter. D'ailleurs, vous oubliez, M. Otis, que
devrais-je ajouter que Virginia désire beaucoup que le mobilier et le fantôme étaient compris dans notre
vous lui permettiez de conserver le coffret comme transaction, donc tout ce qui appartenait au fan-
souvenir de votre ancêtre infortuné mais dévoyé. tôme vous revient de droit car, si remuant qu'ait pu
Comme il est très ancien et presque irréparable, se montrer sir Simon dans les couloirs, du point de
vous jugerez peut-être bon d'accéder à sa requête. vue légal, il n'en était pas moins mort et vous avez
Pour ma part, j'avoue que je suis assez surpris qu'un acquis ses biens par contrat.
de mes enfants soit attiré par le monde médiéval M. Otis, vivement contrarié par le refus de lord
sous quelque forme que ce soit et, selon moi, la seule Canterville, le pressa de revenir sur sa décision, mais
explication de cette singularité tient à ce que Virginia l'affable pair du royaume n'en démordit pas et, pour
est née dans un de vos faubourgs de Londres peu finir, il persuada le ministre de permettre à sa fille de
après le retour de Mme Otis d'un voyage à Athènes. conserver le cadeau du fantôme.
Lord Canterville écouta avec beaucoup de gravité Quand, au printemps de 1890, la jeune duchesse
le discours du digne ministre, tiraillant de temps en de Cheshire fut présentée à la Reine à l'occasion de
temps sa moustache grise pour dissimuler un sourire son mariage, ses bijoux firent l'admiration de tous.
involontaire et, lorsque M. Otis eut terminé, il lui Car Virginia reçut la couronne, qui est la récompense
serra cordialement la main et répondit : de toutes les bonnes petites filles américaines, et
— Cher monsieur, votre charmante petite fille a épousa son soupirant dès qu'il eut atteint l'âge requis.
rendu à mon malheureux ancêtre, sir Simon, un très Ils étaient l'un et l'autre si charmants et s'aimaient
grand service, et ma famille et moi-même lui sommes d'un tel amour que leur union enchanta tout le
infiniment reconnaissants de son sang-froid et de sa monde, à l'exception de la vieille marquise de Dum-
52 Le Fantôme de Canterville Chapitre 7 53
bleton qui s'était efforcée d'annexer le duc pour l'une — Virginia, une femme ne devrait pas avoir de
de ses sept filles à marier et n'avait pas donné moins secrets pour son mari.
cfe trois grands dfners dans ce faut, auxquels, bizarre- — Cher Cecil, je n'ai pas de secrets pour vous.
ment, M. Otis lui-même avait été invité. — Si, vous en avez, répondit-il avec un sourire.
M. Otis éprouvait personnellement une vive sym- Jamais vous ne m'avez dit ce qui vous était arrivé
pathie pour le jeune duc mais, par principe, il était quand vous étiez enfermée avec le fantôme.
hostile aux titres et, pour citer ses propres paroles: — Je ne l'ai jamais dit à personne, Cecil, fit Virgi-
« Il n'était pas sans craindre que les influences débili- nia d'un ton grave.
tantes exercées par une aristocratie assoiffée de plai- — Je sais, mais à moi, vous pourriez le dire.
sir n'entraînent l'oubli de la simplicité républicaine. » — Je vous en prie, ne me le demandez pas, Cecil.
Ses objections furent néanmoins totalement battues Je ne peux pas vous le dire. Pauvre sir Simon ! Je lui
en brèche, et je crois que lorsqu'il s'avança le long de dois beaucoup. Si, si, ne riez pas, Cecil, c'est vrai. Il
la nef de Saint-George sur Hanover Square avec sa m'a fait comprendre ce qu'était la Vie et la significa-
fille à son bras, il n'y avait pas d'homme plus fier dans tion de la Mort et pourquoi l'Amour est plus fort que
toute l'Angleterre. l'un et l'autre.
Une fois la lune de miel terminée, le duc et la Le duc se releva et embrassa sa femme avec ten-
duchesse se rendirent à Canterville Chase et, le len- dresse.
demain de leur arrivée, ils allèrent à pied jusqu'au — Vous pouvez garder votre secret aussi long-
cimetière solitaire en passant par le bois de pins. Le temps que votre cœur sera mien, murmura-t-il.
choix de l'inscription à graver sur la tombe de sir — Il a toujours été à vous, Cecil.
Simon avait suscité des discussions ardues mais, pour — Et vous raconterez l'histoire un jour à nos
finir, il fut décidé d'y graver simplement les initiales enfants, n'est-ce pas ?
du vieux gentilhomme avec le poème figurant à la Le rose monta aux joues de Virginia.
fenêtre de la bibliothèque. La duchesse avait apporté
un bouquet de superbes roses qu'elle effeuilla au-des-
sus de la tombe et, après s'être recueillis un moment
sur les lieux, ils gagnèrent à pas lents le chœur de la
vieille abbaye en ruine. La duchesse s'assit sur une
colonne qui gisait au sol tandis que son mari, étendu
à ses pieds, une cigarette aux lèvres, regardait ses
beaux yeux. Soudain, il jeta sa cigarette, prit la main
de sa jeune épouse et lui dit:
Du tableau
au texte
Valérie Lagier
Du tableau au texte
La Jeune Fille et la Mort
d'Emma Florence
Harrison
en perspective
Magali Wiener
68 SOMMAIRE
(1799-1850) dans ses premiers écrits ou George Sand principe q u e les passions les plus fortes naissent au
(1804-1876). Ces r o m a n s p o u r amateurs d ' é m o t i o n s sud. Loin de se c o n t e n t e r d ' u n e simple m e n t i o n
fortes, où s'expriment librement des passions déchaî- g é o g r a p h i q u e , il se plaît à décrire l'horizon qui
nées dans un univers propice à l'angoisse et à la ter- e n t o u r e ses personnages. On y retrouve, c o m m e u n e
reur, où s'opposent des p e r s o n n a g e s sataniques et constante, la m o n t a g n e et ses cimes dangereuses,
des j e u n e s filles vertueuses, connaissent un i m m e n s e des forêts touffues où nul n ' a i m e r a i t se p e r d r e et le
succès. Les lecteurs a i m e n t frissonner, et les i n n o m - c h a n t d ' u n ruisseau qui traverse de ses m é a n d r e s ce
brables rebondissements qui les a t t e n d e n t les ren- paysage digne d ' u n tableau soigneusement agencé.
d e n t avides et insatiables, ils en d e m a n d e n t toujours Parfois u n e cascade, un t r o u p e a u ou les toits d ' u n
plus. Face à cet e n g o u e m e n t du public, de n o m - village v i e n n e n t égayer cette composition qui p r e n d
b r e u x auteurs se l a n c e n t dans l'aventure du r o m a n toute sa force dans la lumière naissante de l'aurore
terrifiant, si bien q u ' o n m e t au p o i n t la recette du ou celle plus mystérieuse du crépuscule. A n n Rad-
succès (Almanach des Muses p a r u en 1810) : cliffe m e t parfaitement en scène cet aspect du r o m a n
g o t h i q u e d a n s Les Mystères d'Udolphe (trad. Victorine
Voulez-vous composer un roman bien tragique de Chastenay, Folio classique n° 3493) :
Qui passe de nos jours pour un chef-d'œuvre
unique ? L'aspect du pays changea bientôt. Les voyageurs se
Dans un lieu bien désert, inculte, inhabité, virent alors au milieu de montagnes à pic, et cou-
Peignez un vieux château, tombant de vétusté ; vertes jusqu'en haut de noires forêts de sapins. Des
Que de longs corridors régnant dans son enceinte flèches de granit, s'élançant du vallon même,
Y forment un dédale, un obscur labyrinthe... allaient cacher au sein des nues leurs pointes cou-
Ajoutez à cela des souterrains voûtés, vertes de neige. Le ruisseau, devenu une rivière,
Humides, ténébreux, surtout ensanglantés... coulait doucement et en silence, et ces noires forêts
Soyez certain qu'alors votre livre plaira se réfléchissaient dans ses eaux limpides. Par inter-
Et que de main en main on se l'arrachera. valles un roc sourcilleux relevait son front hardi
au-dessus des bois et des vapeurs qui servaient de
ceinture aux montagnes; quelquefois une aiguille
de marbre se soutenait perpendiculairement au
2. bord des eaux ; un mélèze colossal la serrait de ses
bras vigoureux, et son front sillonné de la foudre
Le goût du pittoresque était encore couronné de pampres.
plus grande horreur. Son image me poursuivait basse avec un plafond voûté et une minuscule fenêtre gar-
sans cesse, et je devins la proie d'une continuelle nie de barreaux». P o u r le reste, Wilde n ' a pas j u g é
mélancolie. o p p o r t u n d'alourdir son récit de riches descrip-
tions; on sait s e u l e m e n t que la bibliothèque est
Lire les grands romans gothiques « une longue pièce basse lambrissée de chêne sombre», pas
Ann R A D C L I F F E , Le Roman de la forêt. de quoi vous glacer le sang ! C'est sans d o u t e qu'il
Les Mystères d'Udolphe, Folio classique n° 3493. est é g a l e m e n t influencé p a r u n e autre littérature
L'Italien ou Le Confessionnal des pénitents noirs n o n m o i n s en vogue, le fantastique. Or le fantas-
d'Otrante, dans «Romans terrifiants», Robert tique, c o n t r a i r e m e n t au r o m a n noir, s'attache à
Laffont, collection Bouquins. p e i n d r e un cadre réel de vie q u o t i d i e n n e , et c'est
Horace W A L P O L E , Le Château d'Otrante, dans d a n s u n espace parfaitement c o n n u q u e surgit
«Romans terrifiants», Robert Laffont, collec- l'inexplicable, source d'angoisse et d'interrogations
tion Bouquins. multiples. Wilde a d o n c e m p r u n t é aux d e u x genres
Matthew G. (dit Monk) L E W I S , Le Moine, Actes p o u r mieux les mêler et aboutir à un troisième, le
Sud, collection Babel n° 214, trad. Léon de conte de fées.
Wailly.
Antonin A R T A U D , Le Moine de Lewis (traduction Lire quelques grands textes fantastiques
libre), Folio n° 690.
Charles M A T U R I N , Melmoth ou L'Homme errant Prosper M É R I M É E , La Vénus d'Ille, La Biblio-
d'Otrante, dans «Romans terrifiants», Robert thèque Gallimard n° 76.
Laffont, collection Bouquins. Guy de M A U P A S S A N T , Le Horla (les 3 versions),
Folioplus classiques n° 1.
Alexandre P O U C H K I N E , La Dame de pique, Folio
classique n° 542.
Bram S T O K E R , Dracula, Pocket n° 4669.
Henry J A M E S , Le Tour d'écrou, Librio.
Vers le fantastique
raît dès le d é b u t des Mystères d'Udolphe, la phrase ins- chaînes grincer, ils ne se p e l o t o n n e n t pas au fond
crite sur la boiserie : de leur lit, ils ne se sauvent pas en h u r l a n t mais pro-
p o s e n t au fantôme du lubrifiant p o u r huiler sa fer-
Dans une de ces charmantes parties, elle aperçut
sur un coin de la boiserie les vers suivants, écrits raille rouillée ! Q u a n d ils e n t e n d e n t le fantôme
avec un crayon : ricaner l u g u b r e m e n t , ils n ' o n t pas le sang qui se
De mes chagrins trop faibles interprètes, glace mais ils lui offrent un élixir p o u r calmer ses
Enfants naïfs du plus pur sentiment; douleurs ! Le rire naît de ces situations incongrues
Etc. où l'on voit un fantôme essoufflé, vexé de n ' ê t r e
Ces vers ne s'adressaient à personne. Emilie ne
plus effrayant, qui m a n q u e de faire u n e crise car-
pouvait se les appliquer, quoiqu'elle fût sans aucun
doute la nymphe de ces bocages. Elle parcourut le diaque q u a n d il t o m b e nez à nez avec un fantôme.
cercle étroit de ses connaissances sans pouvoir en C o m p l è t e m e n t abattu face à l'incrédulité de ses
faire l'application et resta dans l'incertitude... hôtes, il veut fuir le manoir, il p r e n d d o n c le rôle de
ses traditionnelles victimes.
Alors q u e , chez Wilde, la c o m p r é h e n s i o n de ces
T o u t est mis en place p o u r q u e le lecteur identifie
vers sibyllins p e r m e t la libération du fantôme chez
parfaitement la situation mais soit déstabilisé p a r la
Radcliffe, ils p r é c è d e n t la m o r t de la m è r e et le
c h u t e , ainsi l'arrivée des Otis à Canterville Chase
d é b u t de tous les m a l h e u r s p o u r l'héroïne, Emilie.
Wilde affirme ainsi sa volonté de s'amuser et de provoque-t-elle un c h a n g e m e n t climatique brutal :
d é t o u r n e r les clichés du g e n r e g o t h i q u e . « le ciel se chargea soudain de nuages; un calme étrange
parut se répandre dans l'atmosphère... » qui a n n o n c e un
é v é n e m e n t surnaturel terrifiant, mais rien de tel ne
3. Démystifier pour faire rire se p r o d u i t : « L'orage se déchaîna toute la nuit, mais il
Dans la nouvelle qui n o u s intéresse, Wilde réin- n'arriva rien de particulier.» C'est un clin d'œil de
vestit le r o m a n gothique et le g e n r e fantastique en Wilde à son lecteur, u n e m a n i è r e de dire : «Je vous
utilisant un sujet q u e les auteurs affectionnent parti- ai bien eu, vous attendiez le fantôme, eh bien il fau-
c u l i è r e m e n t : le m a n o i r h a n t é et son fantôme. Mais, d r a l'attendre e n c o r e ! »
au lieu d ' e n faire un récit terrifiant, il en fait un
conte drôle et spirituel en inversant littéralement les 4. Satire et caricature
lois du g e n r e : le fantôme ne fait p e u r à p e r s o n n e ,
c'est lui qui a p e u r des n o u v e a u x locataires améri- Wilde peint des personnages hauts en couleur,
cains qui le maltraitent et le r e n d e n t c o m p l è t e m e n t qui n o u s a m u s e n t p a r leur caractère entier. Les
n e u r a s t h é n i q u e . Wilde j o u e avec i m p e r t i n e n c e et Anglais sont superstitieux, respectueux des anciennes
brio sur le décalage p e r m a n e n t e n t r e la réaction traditions et fiers de leur lignée familiale alors
a t t e n d u e (la p e u r ) et l'attitude inébranlable et q u e les Américains apparaissent plus matérialistes
rationnelle des Américains : q u a n d ils e n t e n d e n t les q u e jamais, n e p o u v a n t croire aux forces occultes e t
80
distance avec le propos, pour saisir les jeux de mots dans la douce terre brune, avec l'herbe qui ondule au-des-
et les heureuses métaphores. sus de votre tête, et écouter le silence. »
Le goût très développé chez Wilde de l'aphorisme
se retrouve moins dans ce conte que dans Le Portrait
2. Du dialogue à la formule
de Dorian Gray, où Lord Henry est véritablement
Les personnages de Wilde ont le sens de la réplique le porte-parole de l'auteur, néanmoins on peut rete-
comme lui l'avait de la formule. Ce sont des dia- nir quelques phrases qui stigmatisent la différence
logues parfaitement huilés, peut-être même trop entre les Américains et les Anglais :
travaillés, qui rappellent le goût de l'auteur pour «Je viens d'un pays moderne [l'Amérique] où nous
l'artifice. Wilde était un excellent causeur et un avons tout ce que l'argent peut acheter. »
conteur très apprécié lors des dîners. Il n'est donc «Je connais des tas de gens qui donneraient cent mille
pas absurde de penser qu'il a « essayé » son conte sur dollars pour avoir un grand-père, alors, vous pensez, un
un auditoire choisi, expérimentation qui lui per- fantôme de famille!»
mettait de supprimer les longueurs pour parvenir à
un agencement parfait, à un ensemble brillamment 3. Du fantastique au merveilleux
équilibré.
Wilde vide le fantastique de son caractère terri-
C'est à travers leurs paroles que le lecteur découvre
fiant ou angoissant car celui qui devrait faire peur
véritablement le caractère des personnages, leurs
fait rire. Conscient néanmoins que sa stratégie litté-
réactions trahissent leurs sentiments et leur état
raire finirait par lasser, il change de genre à partir
d'esprit. L'un des ressorts du comique de ce conte
du chapitre cinq : de l'humour il passe au lyrisme
est justement leur sang-froid dans des situations où
digne d'un conte de fées. Le ton n'est plus mordant
ils devraient être ébranlés et sans voix. Quand leur
ou moqueur mais touchant. Le lecteur prend pitié
servante s'évanouit à la simple évocation du fan-
de ce fantôme, mort comme un animal dans un
tôme devant la tache de sang ineffaçable, M. Otis
cachot, et Virginia apparaît comme l'âme pure qui
n'a qu'une phrase pour la ramener à elle : « Opérer
peut libérer l'esprit maléfique. Cette fin inattendue
une retenue sur ses gages. » laisse une note optimiste et délicatement naïve dans
Ce sont aussi les paroles du fantôme désorienté l'esprit du lecteur. Wilde nous aura surpris jusqu'à
par sa nouvelle vie de reclus volontaire qui avoue la dernière ligne, c'est là tout son génie.
timidement à Virginia qu'il n'arrive plus à dormir
depuis trois cents ans! Wilde nous invite à penser
que le métier de fantôme est bien fatigant pour
peu de reconnaissance ! Et le fantôme dès lors
évoque, dans un accès de lyrisme, les douceurs
exquises de la mort : « La mort doit être si belle. Reposer
84 DOSSIER
que je ne continue pas à empiéter sur lui, et il prit que le coq chante et je disparaîtrais tout de suite. »
une attitude déconfite. « Non, répondit-il à la per- Il eut l'air très embarrassé. « Le fait est, monsieur...,
sistante interrogation de mon regard. Non, je commença-t-il. — Je disparaîtrais tout de suite,
ne suis pas membre du club... Je suis un fantôme. répétai-je, pour qu'il ne se méprît pas. — Le fait est,
— Très bien, mais cela ne vous autorise aucune- monsieur, que... ce n'est pas de ma faute... mais...
ment à profiter des avantages du club. Désirez-vous je ne peux pas. — Comment ! Vous ne pouvez pas ?
voir quelqu'un? En somme, qui est-ce que vous — Non, monsieur. »
cherchez ici ? » J'allumai ma bougie d'une main
aussi ferme que possible, de crainte qu'il ne prît
pour les effets de la peur la légère agitation due au
Ivan TOURGUENIEV (1818-1883)
whisky. Le bougeoir à la main, je lui fis face.
« Qu'est-ce que vous cherchez ici ? » insistai-je. Il Fantômes
avait laissé retomber ses bras, cessé d'articuler son
(trad. R. Hofmann, Le Livre de poche)
«bou-ou», et il restait là, gauche et stupide, fan-
tôme d'un jeune homme faible, idiot et irrésolu.
«Je fais le revenant, balbutia-t-il. — Qui donc vous I
l'a permis? questionnai-je d'une voix tranquille. Je me retournais dans mon lit, n'arrivant pas à
— Je suis fantôme, dit-il en manière d'excuse. dormir.
— C'est possible, mais vous n'avez pas le droit de « Que le diable emporte toutes ces sottises de tables
faire le revenant ici. Cette maison est un respec- tournantes!... Cela n'est bon qu'à vous détraquer
table club particulier ; souvent des gens y viennent les nerfs ! » me disais-je...
avec des nourrices et des enfants, et, à la façon Peu à peu, le sommeil finit par me gagner...
insouciante dont vous hantez ce corridor, quelque Tout à coup, je crus entendre, dans ma chambre,
petit bonhomme buterait facilement dans vos un son faible et plaintif comme une corde que l'on
jambes et il en tomberait malade de frayeur. Je sup- pince.
pose que vous n'avez pas songé à cela. — Non, Je soulevai la tête. La lune était basse dans le ciel,
monsieur. Je n'y ai pas songé. — Vous auriez dû y et me regardait droit dans les yeux. Sa lumière des-
songer. Rien ne vous autorise à venir ici, n'est-ce sinait sur le parquet une raie blanche, tracée à la
pas ? Vous n'avez pas été assassiné ici ? Il ne vous est craie... Et de nouveau je perçus l'étrange bruit.
arrivé dans cette maison aucune mésaventure de Je me dressai sur le coude. Une légère appréhen-
ce genre ? — Aucune, monsieur. Mais je pensais sion me faisait tressaillir. Quelques minutes passè-
que, dans un immeuble vieux et plein de boiseries rent. Un coq chanta au loin ; un autre lui répondit.
creuses... — Ce n'est pas une excuse, interrompis- Je reposai ma tête sur l'oreiller.
je en le regardant sévèrement. Je vous certifie que «Voilà où cela nous mène... À présent, J'ai des
vous faites erreur en venant ici», ajoutai-je sur bourdonnements d'oreilles ! »
un ton d'amicale supériorité. Je fouillai dans ma Je me rendormis presque immédiatement et fis un
poche, feignant de m'assurer si j'avais mes allu- rêve singulier. J'étais couché dans mon lit et ne dor-
mettes, puis, levant la tête, je le fixai de nouveau et mais pas, ne pouvant pas même fermer l'œil. Dere-
repris : « Si j'étais à votre place, je n'attendrais pas chef, le son se fit entendre... je me retournai... Le
92 DOSSIER
rayon de lune se soulevait doucement, se redressait, bouche, mais elle me dévisageait toujours de son
s'arrondissait par le haut... Une femme blanche, regard sans vie. J'eus peur de nouveau.
immobile et transparente comme la brume, se « Me voici ! » m'écriai-je enfin avec effort.
tenait devant moi. Le son de ma propre voix me parut singulièrement
« Qui es-tu ? » demandai-je avec effort. assourdi.
Une voix semblable au chuchotis des feuilles : «Je t'aime, souffla la femme.
«C'est moi... moi... moi..., je viens te chercher. — Tu m'aimes? répétai-je au comble de l'étonne-
— Me chercher?... Qui es-tu donc? ment.
— Viens, la nuit, au coin de la forêt, sous le vieux — Sois à moi, reprit-elle à voix basse.
chêne. J'y serai. » — Être à toi?... Mais tu es un fantôme... Tu n'as
Je voulus discerner les traits de la femme mysté- même pas de corps... »
rieuse, mais un tremblement involontaire me par- Un sentiment bizarre s'empara de moi.
courut tout entier et une bouffée d'air glacé me «Qu'es-tu donc? repris-je... Une fumée? De l'air?
frappa au visage. Je n'étais plus couché, mais assis Une vapeur ?... Que je sois à toi ?... Dis-moi d'abord
sur mon séant, et, à l'endroit où j'avais cru aperce- qui tu es. As-tu vécu sur la terre ? D'où viens-tu ?
voir la vision, il n'y avait plus qu'une longue raie de — Sois à moi. Je ne te ferai point de mal. Dis-moi
lumière blanche, projetée par la lune. seulement deux mots : "Prends-moi"... »
Je la regardai... « Que dit-elle ? », me demandai-je...
rv « Que signifie tout cela ? Comment fera-t-elle pour
me prendre ? Dois-je essayer ? »
Au début, je ne remarquai rien de particulier... «Soit, proférai-je à voix haute, si fort que j ' e n fus
Mais, en jetant un coup d'oeil, de côté, mon cœur moi-même intrigué (l'on eût dit qu'une main mys-
se serra violemment : la forme blanche était là, térieuse m'avait poussé par-derrière)... Prends-
immobile auprès du buisson, à moitié chemin entre moi ! »
le chêne et la forêt. Mes cheveux se hérissèrent À peine avais-je prononcé ces mots que la femme
légèrement mais je pris mon courage à deux mains spectrale, tout son corps secoué par un rire inté-
et me dirigeai en avant. rieur, fit un mouvement brusque dans ma direction
C'était bien ma visiteuse nocturne. Quand je fus et ouvrit les bras... Je voulus m'écarter... Trop tard :
tout contre elle la lune brilla de nouveau. Il sem- j'étais déjà à elle. Ses bras m'enlacèrent, mon corps
blait que la vision eût été tissée d'une brume lai- se détacha du sol et nous nous envolâmes douce-
teuse et diaphane. A travers son visage, je distinguais ment, lentement, au-dessus de l'herbe humide.
une branche que le vent agitait faiblement. Seuls,
ses yeux et sa chevelure formaient des taches noires,
et une grosse bague d'or brillait à un doigt de ses
deux mains jointes.
Je m'arrêtai et voulus parler, mais les sons s'étran-
glèrent dans ma gorge, bien que je n'éprouvasse
plus de frayeur, à dire vrai. Ses yeux me fixaient;
ils n'exprimaient ni joie ni tristesse, mais une
sorte d'attention inerte. J'attendais qu'elle ouvrît la
94 DOSSIER
centes victimes dont il boit le sang. Au début du roman, laissa encore mieux voir ses dents proéminentes.
Jonathan Harker est l'invité de Dracula, et prend peu à Puis il alla reprendre place près de la cheminée.
peu conscience que son hôte a un caractère étrange, presque
cruel.
C'était, en vérité, la première occasion qui m'était Honoré DE BALZAC (1799-1850)
donnée de pouvoir bien l'observer, et ses traits
accentués me frappèrent.
Le Chef-d'œuvre inconnu (1832)
Son nez aquilin lui donnait véritablement un profil (Folio classique n° 2577)
d'aigle; il avait le front haut bombé, les cheveux
rares aux tempes mais abondants sur le reste de Au début de ce roman, un jeune homme « accablé de
la tête; les sourcils broussailleux se rejoignaient misère» se rend chez un peintre, Porbus. Redoutant l'ac-
presque au-dessus du nez, et leurs poils, tant ils cueil que lui fera l'artiste, il hésite à frapper à la porte. A
étaient longs et touffus, donnaient l'impression de ce moment, comme venant à son secours, surgit un per-
boucler. La bouche, ou du moins ce que j ' e n voyais sonnage étrange.
sous l'énorme moustache, avait une expression
cruelle, et les dents, éclatantes de blancheur, étaient Un vieillard vint à monter l'escalier. À la bizarre-
particulièrement pointues ; elles avançaient au-des- rie de son costume, à la magnificence de son rabat
sus des lèvres dont le rouge vif annonçait une vita- de dentelle, à la prépondérante sécurité de la
lité extraordinaire chez un homme de cet âge. Mais démarche, le jeune homme devina dans ce person-
les oreilles étaient pâles, et vers le haut se termi- nage ou le protecteur ou l'ami du peintre. Il se
naient en pointe ; le menton, large, annonçait, lui recula sur le palier pour lui faire place, et l'examina
aussi, de la force, et les joues, quoique creuses, curieusement, espérant trouver en lui la bonne
étaient fermes. Une pâleur étonnante, voilà l'im- nature d'un artiste ou le caractère serviable des
pression que me laissait ce visage. gens qui aiment les arts; mais il aperçut quelque
J'avais bien remarqué, certes, le dos de ses mains chose de diabolique dans cette figure, et surtout ce
qu'il tenait croisées sur ses genoux et, à la clarté du je ne sais quoi qui affriande les artistes. Imaginez un
feu, elles m'avaient paru plutôt blanches et fines ; front chauve, bombé, proéminent, retombant en
mais maintenant que je les voyais de plus près, je saillie sur un petit nez écrasé, retroussé du bout
constatai, au contraire, qu'elles étaient grossières : comme celui de Rabelais ou de Socrate ; une bouche
larges, avec des doigts courts et gros. Aussi étrange rieuse et ridée, un menton court, fièrement relevé,
que cela puisse sembler, le milieu des paumes était garni d'une barbe grise taillée en pointe, des yeux
couvert de poils. Toutefois les ongles étaient longs vert de mer ternis en apparence par l'âge, mais qui,
et fins, taillés en pointe. Quand le comte se pencha par le contraste du blanc nacré dans lequel flot-
vers moi, à me toucher, je ne pus m'empêcher de tait la prunelle, devaient parfois jeter des regards
frémir. Peut-être, son haleine sentait-elle mauvais; magnétiques au fort de la colère ou de l'enthou-
toujours est-il que mon cœur se souleva et qu'il me siasme. Le visage était d'ailleurs singulièrement flé-
fut impossible de le cacher. Le comte, sans aucun tri par les fatigues de l'âge, et plus encore par ces
doute, le remarqua, car il recula en souriant d'un pensées qui creusent également l'âme et le corps.
sourire qui me parut de mauvais augure et qui me Les yeux n'avaient plus de cils, et à peine voyait-on
102
quelques traces de sourcils au-dessus de leurs infinis? Ses membres étaient bien proportionnés
arcades saillantes. Mettez cette tête sur un corps et j'avais choisi ses traits en raison de leur beauté.
fluet et débile, entourez-la d'une dentelle étince- Leur beauté, Grand Dieu ! Sa peau jaune couvrait à
lante de blancheur et travaillée comme une truelle peine l'assemblage des muscles et des artères; ses
à poisson, jetez sur le pourpoint noir du vieillard cheveux étaient d'un noir de jais, sa chevelure abon-
une lourde chaîne d'or, et vous aurez une image dante ; ses dents d'une blancheur nacrée. Hélas, ces
imparfaite de ce personnage auquel le jour faible merveilles accentuaient l'horrible contraste qu'of-
de l'escalier prêtait encore une couleur fantastique. fraient ses yeux aqueux — presque de la même
Vous eussiez dit d'une toile de Rembrandt mar- couleur que les orbites sombres dans lesquelles ils
chant silencieusement et sans cadre dans la noire étaient incrustés ainsi que son teint hâlé et ses
atmosphère que s'est appropriée ce grand peintre. lèvres droites et noires. [...]
C'est alors que dans la lumière pâle de la lune tami-
sée par les persiennes, je contemplai le pauvre hère
— le misérable monstre — que j'avais créé. Il avait
Mary SHELLEY (1797-1851) soulevé le rideau de mon lit et ses yeux, s'il est per-
Frankenstein ou Le Prométhée moderne (1817) mis de parler d'yeux, étaient fixés sur moi. Ses
mâchoires s'ouvrirent et il proféra des sons inarti-
(trad. Paul Couturiau, Folio plus n° 29) culés tandis qu'un rictus déformait ses joues. Peut-
être parla-t-il, mais je ne l'entendis pas. Il avait
Victor Frankenstein, passionné de chimie et de phy- avancé une main, sans doute pour me retenir, mais
sique, découvre le moyen d'animer la matière. Il décide de je m'étais déjà enfui et je dévalais les escaliers. Je
réaliser un «être de taille gigantesque». Après avoir ras- me réfugiai dans la cour de ma maison et j'y restai
semblé tous les éléments nécessaires, il assiste au réveil du jusqu'au matin, faisant les cent pas, en proie à l'agi-
monstre dont le visage a été immortalisé, au cinéma, par tation la plus vive. J'écoutais de tout mon être,
l'acteur Boris Karloff. redoutant au moindre son de voir s'avancer le
cadavre démoniaque auquel j'avais si misérable-
Ce fut par une nuit lugubre de novembre que je ment donné la vie.
contemplai l'accomplissement de mon œuvre. Je
Oh ! nul mortel n'aurait supporté la vue de ses
rassemblai autour de moi avec une anxiété proche
traits. Une momie réanimée n'aurait pas été aussi
de l'agonie les instruments de vie afin d'en infuser
hideuse que ce monstre. Je l'avais escompté alors
une étincelle à la chose inerte qui reposait à mes
qu'il était encore inachevé; il était laid, c'est vrai,
pieds. Il était déjà une heure du matin ; une pluie
mais ses muscles et ses articulations ayant acquis la
morne battait les vitres et ma chandelle presque
faculté de se mouvoir, il était devenu une créature
consumée dispensait une lueur vacillante grâce à
telle que Dante lui-même n'en aurait pu concevoir.
laquelle je vis s'ouvrir l'œil jaune et terne de la
créature : elle respirait avec peine et un mouve-
ment convulsif agitait son corps.
Comment pourrais-je décrire mes émotions devant
cette catastrophe, devant le malheureux que je
m'étais employé à former au prix d'efforts et de soins
104 DOSSIER
1.
a p p a r e n c e . Son h a b i l l e m e n t le distingue déjà des ture française. Lors de sa venue à Paris, il fréquen-
autres, il aime p o r t e r des chemises p o u r p r e s ou lilas. tera les écrivains les plus en vue.
On p e u t p e n s e r qu'il s'est inspiré de l'enfant qu'il
était p o u r faire le portrait du prince de son conte de 1856 Flaubert, Madame Bovary : procès pour
fées « L e j e u n e r o i » . Dès son enfance, il «montrait immoralité.
des signes de cette étrange passion pour la beauté qui était Hugo, Les Contemplations.
destinée à avoir une si grande influence sur sa vie. Son 1857 Baudelaire, Les Fleurs du mal : procès pour
entourage [...] évoquait souvent le cri de plaisir qui lui immoralité.
1862 Baudelaire, Petits poèmes en prose.
échappa lorsqu'il vit le vêtement délicat et les riches joyaux
Flaubert, Salammbô.
préparés pour lui ». Hugo, Les Misérables.
Brillant élève, il excelle en latin et en grec, il quitte 1866 Verlaine, Poèmes saturniens.
le P o r t o r a Royal School en 1871 avec les h o n n e u r s 1874 Barbey d'Aurevilly, Les Diaboliques.
et poursuit ses études au Trinity Collège à Dublin, 1876 Mallarmé, L'Après-Midi d'un faune.
où il c o m m e n c e à affirmer son g o û t p o u r la b e a u t é Zola, L'Assommoir.
1876 La reine Victoria (règne 1837-1901) pro-
qui dirigera ensuite toute sa vie.
clamée impératrice des Indes.
Grâce à u n e bourse, o b t e n u e facilement, il gagne 1886-1914 Les forces politiques anglaises sont
Magdalen Collège, l'un des collèges les plus réputés très divisées sur la question de l'indépen-
de l'université d'Oxford, en Angleterre. Il y déve- dance de l'Irlande. Le premier «Home
loppe son excentricité, cultive u n e a p p a r e n c e raffi- Rule» (autonomie interne) irlandais est
rejeté par le Parlement britannique en
n é e et originale et p e n s e à faire carrière dans les
1886.
lettres : « Je serai poète, écrivain, dramaturge. D'une façon
ou d'une autre, je serai célèbre, quitte à avoir mauvaise
réputation. » P r o f o n d é m e n t influencé et séduit par
l ' e n s e i g n e m e n t de ses professeurs d'histoire de l'art, 2.
Walter Pater et J o h n Ruskin, il p r e n d p l e i n e m e n t
conscience de la place de l'art et de la r e c h e r c h e du
Le dandy et l'écrivain
b e a u dans u n e vie.
Il découvre l'Italie et la Grèce d o n t la culture
1. Un homme en vue
l'émerveille ; toute sa vie, il a r e c o n n u son fort atta-
c h e m e n t aux arts de l'Antiquité et à la somptuosité Oscar Wilde fréquente la société l o n d o n i e n n e , sa
de la Renaissance. Il publie ses premiers p o è m e s et m a n i è r e d'être le r e n d vite célèbre dans les milieux
reçoit p o u r l'un d'eux, « R a v e n n e » , le Newdigate artistiques et aristocratiques. C o m m e sa m è r e , il aime
Prize. Il a alors vingt-quatre ans. l'excès, le p a r a d o x e et le g o û t de la provocation.
G r a n d lecteur, il s'intéresse b e a u c o u p à la littéra- Lors des n o m b r e u x dîners auxquels il participe,
112 DOSSIER
il brille par ses talents de conteur, amuse par son la Californie, Oscar Wilde découvre Paris où il fré-
humour caustique et son don de la formule. Ses quente les écrivains de l'époque (Zola, Hugo, Ver-
aphorismes font mouche, par des petites phrases laine, Nodier) et le monde du spectacle, il rencontre
bien frappées, il dicte des vérités ou des contre-véri- notamment l'actrice Sarah Bernhardt.
tés sur les femmes, le mariage, le plaisir, la beauté, Sa première pièce de théâtre, Véra, est enfin mon-
etc. tée à New York mais le succès attendu n'est pas au
Affichant sans scrupule un certain snobisme, et rendez-vous. Il continue à donner des conférences
un mépris de la vie courante, il se promène vêtu de et à publier des poèmes.
tenues voyantes — il aime par exemple porter des
vêtements de la mode Renaissance —, il porte les
3. La carrière littéraire
cheveux longs et un chrysanthème à la bouton-
nière. Il s'amuse aussi en s'inventant des pseudo- En 1883, il se marie avec Constance Lloyd qui lui
nymes où son goût pour l'Italie est visible, comme donne deux fils, Cyril et Vyvyan. Il se fait journaliste,
par exemple Basil Giorgione. Oscar Wilde s'est véri- devient rédacteur en chef du magazine The Woman 's
tablement fabriqué un personnage, sa personnalité World où il défend la cause féminine et écrit de nom-
fait beaucoup parler : les uns, surtout les jeunes dan- breuses chroniques; il s'essaie aussi à la nouvelle
dys, l'admirent, d'autres, fidèles aux mœurs de la et publie Le Fantôme de Canterville dans une revue
société victorienne, le critiquent et n'approuvent avant de l'associer à trois autres pour constituer un
pas son esprit, trop éloigné de la morale bien-pen- recueil.
sante. En 1891, son seul roman, Le Portrait de Dorian Gray,
connaît un retentissement immense, tant sont nom-
breux et véhéments les admirateurs et les censeurs
2. Les États-Unis et Paris
qui lui reprochent sa trop grande immoralité. Il
À la fin de l'année 1881, devenu le chef de file des revient à Paris, est reçu par Mallarmé et se lie avec
théoriciens de «l'art pour l'art», il se rend en Amé- Pierre Louÿs et André Gide avec qui il noue une
rique pour « donner une série de conférences sur le mou- forte amitié.
vement artistique moderne en Angleterre» où il présente Il écrit alors des pièces de théâtre qui vont renou-
la peinture des préraphaélites (Burnejones et Ros- veler le genre théâtral anglais de cette fin de siècle.
setti) qu'il admire tant. C'est à cette occasion qu'il Ses comédies portent un regard ironique et caus-
donne sa définition de l'esthétisme : «L'esthétisme est tique sur la société traditionnelle anglaise : L'Even-
une quête des signes de la beauté. C'est une science du beau tail de Lady Windermere, Une femme sans importance, Un
permettant de chercher la correspondance entre les arts. mari idéal, L'Importance d'être constant.
C'est, plus exactement, la quête du secret de la vie. » Il compose également une pièce sur un thème
Après un riche voyage de la Nouvelle-Angleterre à décadent très en vogue à l'époque, Salomé, dont la
114 DOSSIER
« Q u a n d n o u s sommes h e u r e u x , n o u s sommes
toujours bons, mais q u a n d n o u s sommes b o n s n o u s
5. ne sommes pas toujours h e u r e u x . »
Intrigue
Éléments p o u r une • Quel phénomène météorologique se produit-il
fiche de lecture lors de l'arrivée de la famille Otis à Cantervïlle
Chase? Qu'annonce-t-il?
• Quelle est la première énigme pour les Otis?
Comment réagissent-ils ? Ont-ils peur ?
• Comment se passe la première rencontre entre le
fantôme et M. Otis ? Pourquoi est-ce drôle ?
• Quand a lieu la seconde apparition? Pourquoi
Regarder le tableau est-ce un échec pour le fantôme ?
• Observez les couleurs du fond du tableau, notam- • Pourquoi M. Otis peut-il écrire à lord Canterville
ment le coin supérieur droit, là où la peinture que le fantôme a disparu ?
semble tourbillonner. Selon vous, pourquoi le • Que demande le fantôme à Virginia? Pourquoi a-
peintre a-t-il donné cet effet? Est-ce un mur, une t-il besoin de son aide ?
porte, un monde parallèle d'où vient le fantôme ? • Comment comprenez-vous la vieille prophétie
• Décrivez la position des corps des deux person- écrite sur le bord de la fenêtre de la biblio-
nages. Que va-t-il se passer ? Imaginez la suite des thèque ?
événements. • Comment réagissent les Otis en constatant la dis-
• Dans «Du tableau au texte», Valérie Lagier nous parition de leur fille ?
explique que le tableau représente une femme • Comment réapparaît Virginia? Quelle nouvelle
qui voit apparaître devant elle le spectre de son apporte-t-elle ? Que tient-elle dans ses mains ?
mari. Imaginez un autre scénario entre les deux • Pourquoi M. Otis ne veut-il pas accepter le coffret
personnages. offert?
• On distingue à peine les traits de la jeune femme • Comment se finit cette histoire ? À votre avis, que
rousse. Selon vous, quelle est l'expression de son s'est-il passé entre Virginia et le fantôme?
visage : la peur, le désir, la tristesse, la joie ?
• Faites une recherche sur Emma Florence Harrison.
Que pensez-vous de ses autres tableaux ? Quelle Cadre spatio-temporel
ambiance développe-t-elle dans son œuvre ?
• À quelle époque se situe l'histoire? Quels élé-
ments vous permettent-ils de la dater ?
• Décrivez le plus précisément possible Canterville
Chase.
120 DOSSIER
• Que se passe-t-il la nuit du 17 août à minuit? • Relevez tous les rôles qu'il sait incarner pour
• Combien de temps dure l'histoire? Relevez les effrayer les habitants du manoir.
compléments circonstanciels de temps. • Montrez que ce fantôme est à la fois acteur et
• Comment est évoqué le Jardin de la Mort? metteur en scène.
• Pourquoi se sent-il insulté par la réaction des
Otis lorsqu'il leur apparaît enchaîné? Comment
Les personnages prépare-t-il sa vengeance ?
• Pourquoi en veut-il particulièrement à Washing-
• Qui est l'acheteur de Canterville Chase ? Quelles
ton Otis ? Comment veut-il le punir ?
sont ses convictions ?
• À quelle occasion a-t-il peur? Montrez que c'est le
• Qu'est-ce qui distingue, dès le début du conte, les
monde à l'envers.
Anglais et les Américains ?
• Montrez que le fantôme change ses habitudes.
• Pourquoi le fantôme devient-il dépressif? Qu'est-
La famille Otis ce qu'il ne supporte pas ?
• Montrez que ce fantôme est humain et attachant.
• Faites le portrait de chacun des membres de cette Le lecteur n'a-t-il pas un peu pitié de lui?
famille. • Qui lui vient en aide ?
• Que pensez-vous des prénoms donnés aux enfants ? • Que découvre-t-on sur les conditions de sa mort?
En quoi sont-ils un signe de patriotisme ? • Comment retrouve-t-il la paix ?
• Montrez que Virginia est différente. Pourrait-elle
appartenir à un conte de fées ? Pourquoi ?
• Relevez tous les tours des jumeaux pour faire fuir Vocabulaire
le fantôme. • Cherchez les synonymes de «fantôme». Essayez
de souligner les nuances de chaque terme.
• Sous forme de tableau, relevez le vocabulaire de
Le fantôme
la laideur et de la peur associé au fantôme et celui
• Qui est le fantôme ? Quelle est son histoire ? de la pureté et de la confiance associé à Virginia.
• Depuis quand apparaît-il ? À quelle occasion ?
• Relevez toutes ses apparences. Le trouvez-vous
Ecriture
effrayant? Qu'en pense la famille Otis?
• Comment se déplace-t-il à travers la maison ? • Vous venez d'acquérir un manoir que les habi-
• Racontez la «brillante carrière ininterrompue tants de la région disent hanté. Racontez com-
de trois cents ans» du fantôme. Quels sont ses ment vous parvenez à faire fuir le fantôme en le
exploits ? Faites un inventaire précis. dissuadant de ne jamais revenir.
127 DOSSIER