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cursus sociologie

avant-propos à la deuxième édition

PREMIÈRE PARTIE - origines et significations


Chapitre 1 - ENJEUX THÉORIQUES ET SOCIOPOLITIQUES
1. Des objets de transactions et des processus

2. Une notion transdisciplinaire

3. Un regard ternaire

Chapitre 2 - Définitions et champ d’étude


1. Qu’est-ce qu’une représentation sociale ?

2. Quels critères de reconnaissance ?

3. La diversité des « objets » explorés

DEUXIÈME PARTIE - PHÉNOMÉNOLOGIE


Chapitre 3 - Processus, fonctions et organisation
1. Deux mécanismes essentiels

2. De nombreuses utilisations

3. Relations internes

chapitre 4 - Approches des contenus


1. Verbalisations

2. Une approche monographique : musique et société

3. Aspects schématiques et iconiques

4. Savoirs communs
TROISIÈME PARTIE - Dynamique et praxis
Chapitre 5 - Saisie de la structure : complexité et schèmes
1. Relations entre les cognitions

2. Vérification de la centralité

3. Schèmes cognitifs de base

Chapitre 6 - Articulations avec les conduites : polyphasie cognitive et changement


1. Comportements et évolution des représentations

2. Systèmes de communication

3. Rapports aux contextes

4. Les rites et l’efficacité symbolique

bibliographie

glossaire
© Armand Colin, Paris, 2010, 2 édition.
e

978-2-200-25969-3
cursus sociologie
S G F in dex
D
BAJOIT, Le Changement social
BARTHÉLEMY/GRANIER/ROBERT, Démographie et Société
BENOÎT, Comprendre Tocqueville
BÉRA/LAMY, Sociologie de la culture
BERTHIER, Les Techniques d’enquête. Méthode et exercices
corrigés
CANDAU, Anthropologie de la mémoire
DELANNOI, Sociologie de la nation
DELIÈGE, Anthropologie de la famille et de la parenté
DUPRET, Droit et sciences sociales
DUPUY, Anthropologie économique
EYRAUD, Les Données chiffrées en sciences sociales. Du
matériau brut à la connaissance des phénomènes sociaux
FERRÉOL, La dissertation sociologique
FERRÉOL, Les Notions clés de la sociologie
FERRÉOL/NORECK, Introduction à la sociologie
GÉRAUD/LESERVOISIER/POTTIER, Les Notions clés de
l’ethnologie. Analyses et textes
GUIBERT/JUMEL, La socio-histoire
GUICHAOUA/GOUSSAULT, Sciences sociales et
développement
LEGROS/MONNEYRON/RENARD/TACUSSEL, Sociologie de
l’imaginaire
LOMBARD, Introduction à l’ethnologie
NACHI, Introduction à la sociologie pragmatique
POLICAR, La Justice sociale. Les enjeux du pluralisme
RAULIN, Anthropologie urbaine
REZSOHAZY, Sociologie des valeurs
RIVIÈRE, Anthropologie politique
RIVIÈRE, Socio-anthropologie des religions
SCIEUR, Sociologie des organisations
SECA, Les Représentations sociales
SOULÉ/CORNELOUP, Sociologie de l’engagement corporel.
Risques sportifs et pratiques « extrêmes » dans la société
contemporaine
STÉBÉ/MARCHAL, Sociologie urbaine
TABBONI, Les Temps sociaux
VALIÈRE, Le Conte populaire. Approche socio-anthropologique
VALIÈRE, Ethnographie de la France
Internet : http://www.armand-colin.com
Conception graphique : Vincent Huet
avant-propos à la deuxième édition

La vogue du Téléthon offre une analogie pertinente pour


évoquer le thème de cet ouvrage. La célébration médiatisée de
notre dépendance vis-à-vis de l’institution de la recherche sur le
génome humain et de la médecine semble rencontrer un succès
renouvelé, se traduisant par les dons croissants nombre de
Français dans de tels moments (cf. « Téléthon : anatomie d’un
public solidaire », Le Monde diplomatique, décembre 1999, p. 27 ;
« Les Français n’ont jamais été aussi généreux », Le Monde,
5 décembre 2009, p. 1 et 10). Même si le caractère publicitaire de
ces soirées télévisuelles est avéré, on y met en scène une
espérance et une acceptation implicite d’une détermination
extérieure de la santé et de l’existence. Les représentations
sociales (ou RS) sont, de la même manière, des programmes
sociocognitifs et comportementaux agissant sur les groupes et
leurs membres. Ces séquences, analogues à celles qui influencent
le développement de l’individu ou d’une maladie en biologie, ont
une emprise sur la genèse de nos cultures, de nos pratiques et de
nos idées et nos choix les plus divers. N’est-ce pas là aussi une
forme de causalité externe des conduites ? On souscrit cependant
plus nettement et majoritairement à cette forme objective, à son
inéluctabilité, à son fatum, quand on signe un chèque pour faire
avancer les recherches mises en vedette par le Téléthon.
L’emprise du social et du psychologique et leur modelage des
savoirs, des actes quotidiens et des croyances sont moins
correctement assimilés. Pourquoi ? Il y a de nombreuses raisons à
cela. Des éléments de réponse à cette question figurent dans la
suite de cet exposé.
Appuyons-nous néanmoins sur l’exemple de l’individualisme.
Tout être humain, dès sa naissance, et même avant, dans les
espoirs et les projets plus ou moins grandioses dont il est le sujet-
objet, est « manipulé » par des sages-femmes ou des infirmières,
ou encore, vacciné, grondé, persuadé ou orienté. Dans bien
d’autres situations, il est privé de son moi et de sa maîtrise qu’il va
continuer, malgré tout, à rechercher durant toute sa vie. En
grandissant, en mûrissant, il acquerra un sentiment progressif de
son identité personnelle dont on lui a demandé, de multiples fois,
la production active et l’efficacité pratique. Dès l’âge de la crèche
ou de la maternelle, on le met en demeure de devenir un « individu
», de ne pas dépendre, d’être autonome. Mais, en même temps, il
reste plongé dans des situations de contraintes et de transactions
avec autrui.
Les RS de l’enfance, de la liberté et de l’individualité illustrent
avec force que certains âges de la vie ou les référents
philosophiques de l’autonomie en démocratie, sont des produits et
des processus très puissants, mobilisateurs d’affects et de
passions, sources de projets et d’apprentissages. Elles gouvernent
notamment les positions particulières des parents ou des
professeurs sur leurs décisions à prendre face aux petits et aux
adolescents. L’apparence indiscutable des savoirs partagés sur
l’authentique psychologie des enfants ou l’évidence trop forte des
idées de liberté et d’individu dissimulent en fait ce qui leur a donné
naissance et renaissance, ce qui les fait vivre et continue à les
rendre efficaces : les représentations.
Une fois qu’on a écrit cela, on n’a pas tout dit. Et pourtant,
affirmer que notre croyance dans l’individu est une construction,
une hypothèse socialement élaborée et un pari qui réussit plus ou
moins bien chaque jour, conduit à redéfinir le regard porté, par
exemple, sur les partenaires de travail et leurs exigences, qu’elles
soient d’ordre éthique (« Tu es responsable de… ») ou pratique («
Si tu es au chômage, c’est que tu ne t’es pas bien débrouillé… » ;
« Si tu travailles mal à l’école, c’est que tu es un incapable ou un
fainéant ! »). Cette raideur de jugement ne résulte pas d’une
franche volonté de nuire à autrui, mais plutôt d’une application
honnête de connaissances pratiques et de règles de décodage
des conduites. Les RS sont aussi constituées de ces codes et de
ces normes.
Une telle notion ne se « visualise » qu’à la suite d’un processus
de construction des données. Ce cheminement peut paraître
déroutant au premier abord puisqu’il est plusieurs fois affirmé que
ces ensembles symboliques exercent une influence effective sur
les groupes et leurs conduites. Comment justifier alors la
complexité des approches méthodologiques et des modèles
explicatifs ? On peut se dire, à tort, que cette difficulté dans l’étude
des RS, dont les aspérités sont grandement réduites dans cette
contribution, laisse planer un doute sur la réalité de leur existence.
Mais on sait que le repérage d’une bactérie nécessite un
appareillage sophistiqué, en dépit des ravages qu’elle peut
provoquer sur un corps. On a appris à construire des télescopes
numériques complexes pour préciser et enrichir la carte spatiale,
ce qui n’empêche pas certaines étoiles ou galaxies d’être
ignorées. La connaissance des phénomènes dépend, comme on
le sait, des instruments utilisés pour leur étude et des théories qui
soutiennent le dispositif d’observation. Les représentations
sociales n’échappent pas à ce détour par un chemin plus
technique. Cet ouvrage a une visée pédagogique et ne prétend
pas, bien évidemment, approfondir toutes les implications
méthodologiques, ni chaque détail des techniques de travail sur
les RS. En effet, il est malaisé, dans une telle initiation, de
présenter de façon complète la méthodologie expérimentale, le
questionnaire ou l’entretien, qui sont autant de moyens d’enquête
dans ce domaine. Il en est de même pour l’analyse de données
(analyses textuelles informatisées, de variance, en régression
multiple, factorielles, discriminantes et multidimensionnelles,
matrices de similitude, théorie des graphes, classification
hiérarchique, équations structurelles : Ferréol, 1995). Mais ce
sentiment des limites relatives imparties à une synthèse est
compensé par une conviction sur le sens même de cette notion.
Persuadé qu’on peut faire comprendre ce qu’elle recouvre et ses
manifestations, on recourra à un principe de simplicité dans
l’exposition de sa théorie.
En devenant des sujets de recherches, les acteurs d’une société
sont, potentiellement, des partenaires du sociologue et du
psychosociologue et, quelquefois, des participants à des
mouvements sociaux. À ce titre, comme du point de vue de
l’approche par les RS, on les décrira comme des penseurs et des
scientifiques entreprenants, même si leurs objectifs pratiques
transforment leur « lecture » du réel et les éloignent du
scientifique. Peu ou pas conscients de déterminismes tels que
ceux des systèmes de pensée collective, les acteurs/sujets d’une
RS sont cependant renvoyés, à un moment ou à un autre, quand
ils sont engagés dans des actions et des discussions, groupés ou
en formation, interrogés dans une enquête ou mis en confrontation
avec des situations simulées ou expérimentales, à une réflexion
plus poussée sur eux-mêmes et/ou sur leur monde. Ce processus
de production récursive, altérée, différenciée et critique de la
réalité sociale est l’un des socles de la théorie des RS (Palmonari
et Emiliani, 2009). Les RS ne se réduisent donc pas à de simples
clichés, cognitions ou stéréotypes. On doit inscrire cet écrit, sa
forme, son style et ses modalités de présentation des concepts
dans cette logique et dans cette volonté de connaissance
quotidienne de soi et des autres, en coopération et en progression
avec les acteurs d’une société et/ou les membres des
organisations. Cette pensée pratique ne peut être balayée d’un
revers de main, comme le font certains dirigeants, pédagogues,
savants ou hommes d’entreprise, et remplacée par un discours
technocratique se présentant comme un espace de vérités et de
certitudes sur autrui et sur les espaces organisationnels. Au
contraire, on doit supposer que des représentations sociales sont
aussi partiellement ou entièrement actives chez des experts, les
managers et les chercheurs, lors de leurs prises de décision ou de
leur activité de conseil. Mieux les connaître peut permettre aux
citoyens comme aux décideurs de maîtriser une partie de leurs
effets et d’organiser encore mieux leurs interventions et leurs
actions publiques.
Cette synthèse sur les RS a cependant de fortes probabilités de
favoriser la production d’approximations sur la théorie exposée. Et
ceci est d’autant plus probable que le lecteur peut ne pas consulter
des textes plus spécialisés. Il faut insister sur l’opportunité de
lectures complémentaires bien que soient ici résumées les
grandes orientations de ce champ d’étude et indiquées quelques
pistes d’application sur le terrain. Tout enseignement et tout
manuel doivent être considérés comme des invitations à d’autres
lectures.
L’approche des représentations est pluraliste
méthodologiquement parlant et plurielle du point de vue de la
pratique scientifique. Les premiers travaux, après l’approche
fondatrice de Serge Moscovici, furent empiriques et descriptifs.
Puis des chercheurs (à Aix-en-Provence, Genève, Montpellier ou
Paris…) ont entrepris des études expérimentales visant à valider
certaines implications de la théorie, comme par exemple
l’articulation avec les domaines de la cognition, de l’idéologie, des
tâches d’un groupe, des conduites, du statut ou de la position
sociale (Abric, 1987 ; Jodelet, 1989a). La progression d’une
recherche sur les RS peut suivre les phases suivantes (Abric
1994, p. 78-80) :

Étapes d’une étude sur les RS

Chacun de ces moments renvoie à des techniques variées


(entretiens, tests associatifs, questionnaires, planches de dessins
inducteurs, expérimentations, grilles monographiques). Le
traitement des données peut permettre de dépasser une vision
phénoménologique des contenus pour parvenir à dégager les
éléments organisateurs des représentations. Il en est de même
pour chacune des techniques qualifiées abusivement de «
qualitatives », comme les entretiens sur lesquels l’analyse
quantitative automatique ou fréquentielle du discours peut être
appliquée. De même, une expérimentation pourra être désignée
comme « qualitative », dans la mesure où elle est destinée à
vérifier la réalité de la structure et de la signification d’une RS et à
utiliser des techniques très diverses, ordonnées par une logique de
planification du recueil des données qui, en dernier ressort,
demeurent des chiffres. On reprendra, dans la suite de cet
ouvrage, le schéma progressif, ci-dessus évoqué, en le modifiant
dans son contenu comme dans ses thèmes afin de tenir compte
d’autres orientations de recherche. C’est pourquoi le cheminement
figuré ci-après, reprenant les grands axes du plan de ce livre, va
du théorique au pratique, des grandes fonctions des RS à certains
modes opératoires de leur étude, de l’approche du contenu à ses
liens avec le contexte d’une société.

Enjeux théoriques et sociopolitiques

Définitions et champ d’étude

Processus, fonctions et organisation

Approches du contenu

Saisies de la structure


Articulation avec les pratiques sociales

Ce livre, ouvert à diverses sensibilités théoriques, fait aussi une


large place à l’appréhension sociologique des représentations
sociales. C’est probablement du fait de cette caractéristique de
synthèse des divers courants de recherche qu’il a rencontré un
relatif succès auprès des lecteurs et qu’il a été publié, en 2008, à
Iasi, en Roumanie, par les éditions Institutul European. La sortie
d’une seconde édition française de cet ouvrage confirme l’intérêt
du public pour son contenu, son style et sa forme. Nous avons
bien pris soin de compléter les références bibliographiques afin de
tenir compte de l’évolution des travaux et des publications
nouvelles dans ce domaine. L’auteur tient, par ailleurs, à remercier
amicalement Gilles Ferréol pour ses conseils judicieux et sa
relecture attentive et rigoureuse du manuscrit de cette
contribution.
PREMIÈRE PARTIE

origines et significations
Chapitre 1

ENJEUX THÉORIQUES ET
SOCIOPOLITIQUES
1. DES OBJETS DE TRANSACTIONS ET DES PROCESSUS
2. UNE NOTION TRANSDISCIPLINAIRE
3. UN REGARD TERNAIRE

1. Des objets de transactions et des processus

1.1. Aller plus loin dans la description des opinions

Les opinions sont fondamentalement labiles

Ce champ de recherche est difficile à comprendre, notamment


parce que l’usage politique ou médiatisé des sondages alimente
les lieux communs sur l’étude des mentalités. Lorsque l’on parle
de l’opinion publique aujourd’hui, on se rapporte spontanément
aux dénombrements de réponses à des questions précises et
finalisées sur les thèmes les plus divers, même s’il s’agit de
personnages fictifs, de médicaments ou de pays n’existant pas,
dans les enquêtes par questionnaires auprès d’échantillons
représentatifs de telle ou telle population. La construction et la
lecture des résultats les plus hétéroclites, rapidement obsolètes ou
peu valides du fait de leur mode de construction et de la labilité
des opinions, donnent l’impression du concret et de l’efficacité,
recherchés par nos concitoyens et par nos décideurs, qu’ils soient
politiciens, administrateurs publics ou dirigeants d’entreprises.
Cette apparence d’accessibilité et ce sentiment d’objectivité sont
sources d’illusions parce qu’ils ne permettent pas de décrire des
discours ou des liens hiérarchiques entre les avis comptabilisés.
La notion de RS trouve une partie de sa pertinence dans cette
exigence d’approfondissement des liens existant entre les
opinions. On peut la comprendre comme un système de savoirs
pratiques (opinions, images, attitudes, préjugés, stéréotypes,
croyances), générés en partie dans des contextes d’interactions
interindividuelles ou/et intergroupaux. Ce système peut être
marqué, dans sa forme comme dans son contenu, par la position
sociale ou idéologique de ceux qui l’utilisent et la produisent. Les
éléments qui la composent sont plus ou moins articulés et
hiérarchisés entre eux. Elle est socialement déterminée. Elle peut
aussi être cause ou facteur momentané de conduites et de
variables d’appartenance sociale ou de statut qui la déterminent un
peu plus tard. Elle se constitue à la fois comme ensemble de
contenus (référents, savoirs) et comme processus (pensée
évolutive, en mouvement, constructive, créatrice). Il s’agit
finalement d’un assemblage structuré de références sémantiques
et cognitives (le produit ou le résultat d’un processus), activées
différentiellement en contexte, selon les finalités et les intérêts des
acteurs sociaux qui s’en servent pour communiquer, comprendre
et maîtriser l’environnement (celui-ci étant lui-même composé d’«
objets » représentés) et leurs relations avec autrui.

Discours de sens commun et énoncés volatils

L’opinion cernée par les sondages peut être essentiellement


définie par sa variabilité et son évanescence/labilité. Tenter de la
mesurer, c’est d’abord formuler une question à propos d’un
phénomène d’actualité sur lequel les médias, les journalistes, les
groupes sociaux, les institutions ont une influence structurante
importante. « Êtes-vous d’accord avec la dernière mesure
concernant un objet X, prise par tel ou tel responsable politique ?
», « Continuerez-vous à manger de la viande de bœuf, suite aux
révélations sur les derniers cas de “vache folle” recensés en
Europe ? », « Doit-on se vacciner contre le virus H1N1 ? »… sont
des exemples de questions typiques de sondage. On tente alors
de quantifier les énoncés les plus fréquemment suscités par un
événement, nouveau ou important économico-politiquement, qui
se construit mentalement en même temps qu’il est commenté par
divers acteurs. Les résultats chiffrés d’une enquête d’opinion
classique figent ce mouvement d’émergence des RS à un instant t
et mènent ceux qui les lisent à en faire une interprétation abusive,
objectiviste, approximative, donc acceptable sociopolitiquement,
source de conversations renouvelées, de discours du sens
commun et donc de représentations.
Finalement, ce n’est pas l’enquête d’opinion elle-même qui est
en cause, mais son appropriation par certains décideurs et
producteurs de représentations (enseignants, formateurs,
journalistes, analystes divers). Ce type d’enquête effleure parfois
ces mouvements d’idéation collective et, à d’autres moments, les
approfondit de façon significative (voir, par exemple, l’enquête
longitudinale synthétisée sous la direction de Pierre Bréchon,
2001). De plus, comme le souligne Annamaria De Rosa, les
méthodes servant à l’étude des RS se répandent de plus en plus
dans les organisations fortement demandeuses de sondages : «
La technique des associations libres a été valorisée et reconnue
dans des milieux de recherche appliquée, comme le marketing ou
l’advertisement » (De Rosa, 1995, p. 100). Le pire comme le
meilleur peuvent donc se rencontrer dans les comptes rendus
d’une enquête d’opinion.

1. Questions « types » préalables à une étude de RS


« On est au fond du trou ! C’est la catastrophe ! Le moral est au fond des
chaussettes ! Bientôt, il y aura plus de morts par le suicide d’éleveurs que par
la maladie de Creutzfeldt-Jakob ! », énonce amèrement un agriculteur,
interrogé par Dominique Le Guilledoux, un journaliste du Monde (Le Monde,
16 novembre 2000, p. 16).
Diverses questions se posent lorsqu’on réfléchit à un tel phénomène en
termes de RS. Si l’on reprend le thème de la maladie dite « de la vache folle »,
ou « encéphalite spongiforme bovine », que peut-on dire sur les idées que
s’en font les gens ? Une enquête du CREDOC (Le Monde, 24 novembre 2000,
p. 12), confirmée par d’autres études (Masson et al., 2003) décrit l’inquiétude
de deux Français sur trois, sur la question de la sécurité alimentaire. Les
graisses et les viandes sont placées en première place dans l’échelle des
risques perçus. Comment se structurent les RS par rapport à la conception de
l’alimentation, carnée ou non, en rapport explicite ou implicite avec
l’épidémie ? Quelles sont celles qui sont prééminentes, orientant les choix
quotidiens de tel ou tel groupe de consommateurs ? Comment sont-elles
générées ? À la suite de la constitution d’un nouveau savoir scientifique sur
cette maladie, quelle(s) forme(s) prend le comportement ou l’attitude de
consommation de la viande de bœuf ou des produits carnés ou lactés chez tel
ou tel type de sujet ? Sur quels savoirs préalables et communs se base-t-on ?
De quelle quantité et de quel type d’informations dispose-t-on sur le thème ?
Quelles sont les images qui viennent à l’esprit du consommateur quand il
réagit à ces phénomènes ? Enfin, comment ces idées et ces croyances sont-
elles enchâssées dans d’autres représentations, ayant trait à la vie
domestique, à la santé ou à la maladie, qui leur confèrent un sens et sont
altérées par ce nouvel objet de RS ? De la même façon, quelles sont les
nouvelles formes de savoirs pratiques des éleveurs face à la question de
l’alimentation de leurs animaux, de leurs fournisseurs d’aliments pour bétail et
du suivi vétérinaire ? Toutes ces questions obligent celui qui étudie les
opinions à postuler l’existence d’un mouvement de la pensée sociale, ou
processus, à partir duquel se forment certains contenus (ou produits) mentaux
et culturels. Ces nouveaux savoirs pratiques reçoivent peu à peu une
signification plus stable, source de positionnements des acteurs de la vie
alimentaire et du marché de la viande.
Le problème se complique d’autant plus que les hommes politiques ont
tenté à la fois de suivre le mouvement erratique de l’« opinion » et
l’argumentation plus ou moins fondée des scientifiques ou des experts
financiers (cf. « Lionel Jospin se défend d’avoir cédé aux injonctions de
Jacques Chirac » ou l’éditorial « Le “techno” ou le “démago” », Le Monde,
16 novembre 2000, p. 6 ; voir aussi Le Monde, 18 mai 2001, p. 1, 10 et 16).
Cependant, Estelle Masson et al. (op. cit.) ont observé, lors d’approches par
des focus groups que les consommateurs exprimant une contestation durant
l’épizootie, revenaient progressivement, après la phase critique, à une norme
antérieure de consommation de viande bovine. Cela indique que des
représentations et des connaissances (végétarisme, critiques de
l’industrialisation de l’élevage, alternatives agricoles) peuvent être mobilisées
temporairement sans produire une transformation profonde et durable des
comportements et des représentations chez les contestataires eux-mêmes.
1.2. Des interactions « individu/groupe/société »

Le partage des savoirs

Ce qu’il faut retenir, pour l’instant, de la notion de représentation


sociale, c’est que des informations, des images, des attitudes et
des croyances sont partagées par des groupes de personnes qui,
quelquefois, ne se connaissent pas personnellement et ont hérité
de ce savoir collectif dont on a largement sous-estimé l’importance
au début des recherches empiriques sur les opinions. En
psychologie, pour des raisons trop longues à exposer ici, on a
longtemps pensé que tout ce qui était du domaine du psychisme et
de l’activité perceptive relevait de la stricte individualité sans être
relié, aux interactions, aux institutions, aux règles de droit, aux
pratiques et aux rituels. Cette bipartition donnait aux psychologues
leur champ (abstrait) de recherche, centré sur une monade
(l’individu) sans lien interactionnel avec son contexte, et aux
sociologues leur objet d’étude, défini, entre autres choses, par son
extériorité et son degré de contrainte, alors que les deux
disciplines croisaient leur regard sur le même phénomène.
Les relations entre les mentalités et les individus ou groupes qui
les rendent actives et y puisent le sens de leurs conduites, sont
plus complexes et moins tranchées que cette opposition simple
entre disciplines. Les premières sont générées dans un échange
de signes entre les individus, dans les groupes, et l’ensemble
social où ils vivent. Comme le formulent Serge Moscovici, Michel-
Louis Rouquette ou Patrick Rateau, les représentations naissent et
se développent dans les conversations quotidiennes et par rapport
à des circonstances culturelles et historiques. Tout débat sur un
thème important de la vie culturelle, scientifique, politique ou
économique met en relation des individus persuadés d’être dans le
vrai ou en ayant le vague sentiment (principe de pertinence), qui
discutent, en cherchant à avoir « le dernier mot » et finissent par
avoir l’impression de parvenir à un avis commun (consensus), plus
ou moins remis en cause à d’autres moments par les mêmes
acteurs ou d’autres encore qui les fréquentent mais n’ont pas pris
part aux discussions précédentes. Les rumeurs, étudiées par
Allport et Postman, Bartlett, Kapferer, E. Morin, Renard ou
Rouquette, sont un bon exemple de ces transformations des
images et des idées collectives dans une suite de réductions,
d’accentuations et d’assimilations.

2. Pourquoi croyons-nous aux rumeurs ?


La première raison pour laquelle on prête foi aux rumeurs est liée à la
crédibilité de la source qui les transmet (ami, leader, journaliste connu ou
témoin qui a vu le premier observateur d’un fait). La seconde implique l’illusion
d’exactitude et l’objectivité attribuée à l’information (« ceci est vrai et vérifié »)
dont on oblitère spontanément les modalités de construction. Des relais
sélectifs « désintéressés » jouent alors le rôle de « personnes-ressources »
sur lesquelles « on peut compter » pour avoir une idée sur une question. Les
rumeurs présentent aussi la caractéristique de correspondre au construit
culturel du groupe où elles prospèrent. Elles sont vraisemblables dans la
mesure où elles réactivent une volonté d’y croire et la mémoire du groupe qui
les accueille. Enfin, la non-familiarité avec le contenu et les personnages
impliqués par une rumeur favorise la projection de « fantasmes » ou
d’idéologies exprimant des quêtes résiduelles de sens. À ce propos, Jean-
Noèl Kapferer reprend l’exemple de l’étude d’Edgar Morin et de ses
collaborateurs sur la Rumeur d’Orléans.
« En somme, les mots ont perdu leur référent physique : ils ne renvoient
plus qu’à des images, des représentations mentales. Ils sont devenus
autonomes. Nous réagissons désormais aux phrases comme à des
combinaisons de signes abstraits (les mots) : seule compte la vertu magique
du mot, et sa place dans une proposition grammaticalement correcte : “on dit
que, à côté de chez nous, des boutiquiers juifs droguent les jeunes filles pour
un réseau de traite des blanches”. À Orléans, les premiers à ne pas le croire
sont ceux qui connaissent personnellement les commerçants : pour eux, ce
n’est pas possible. Leur rapport aux incriminés n’est pas abstrait. Pour tout
autre, la phrase est un agencement de symboles : “boutique”, “juif”, “drogue”,
“jeune fille”, “traite des blanches”. En l’absence d’expérience empirique avec
leurs référents, la porte d’un doute est aisée à ouvrir. L’issue dépendra
largement des cadres de référence mentaux » (Kapferer, 1987, p. 88-89).
Les changements plus rapides et les renouvellements des savoirs
scientifiques ou culturels constituent un autre facteur de foi dans de tels
processus. L’évolution incessante des connaissances crée une vacuité
structurelle des référents. Comment peut-on alors penser l’impensable ?
Les liens entre le phénomène de la rumeur et celui de RS sont ici évidents.
« [La] force [d’une rumeur] tient à son effet structurant sur notre perception :
elle donne sens à un grand nombre de faits, soit que nous n’aurions jamais
remarqués, soit dont le sens ne nous avait pas paru évident. Elle fournit un
système explicatif cohérent à un grand nombre de faits épars : en cela, elle
satisfait notre besoin d’ordre dans la compréhension des phénomènes […]. La
rumeur attire notre attention sur des faits que nous avions déjà remarqués,
sans en tirer quelque conclusion […]. La plupart des faits sont muets par eux-
mêmes […], c’est nous qui leur conférons un sens, variable suivant les
individus et les époques » (ibid., p. 93). Des preuves se construisent ainsi par
un phénomène bien connu d’autovalidation de la croyance qui relie et permet
de relire les événements, ainsi réinterprétés en fonction de son contenu et de
sa forme.
« Un apologue chinois du e siècle avant J.-C. exprime parfaitement ce
processus. “Un homme ne retrouvait pas sa hache. Il soupçonna le fils du
voisin de la lui avoir prise et se mit à l’observer. Son allure était typiquement
celle du voleur de hache. Les paroles qu’il prononçait ne pouvaient être que
des paroles de voleur de hache. Toutes ses attitudes et comportements
trahissaient l’homme qui a volé une hache. Mais, très inopinément, en
remuant la terre, l’homme retrouva soudain sa hache. Lorsque le lendemain, il
regarda de nouveau le fils de son voisin, celui-ci ne présentait rien, ni dans
l’allure, ni dans le comportement qui évoquât un voleur de hache” » (ibid.,
p. 94-95). La rumeur permet enfin de fournir une explication alambiquée et
complexe d’un événement. Ce qui accroît son pouvoir, car le choix des formes
compliquées de justification et de compréhension du monde, est souvent
préféré, dans le sens commun, à celui de la simplicité scientifique. Ce qui
différencie l’étude des rumeurs de celle des représentations sociales est le
plus grand recours à la théorie de l’imaginaire dans l’explication des premières
formes (voir Jean-Bruno Renard, 2009, notamment).
D’après Kapferer, 1987.

Une connaissance pratique dans une société en mouvement

Ainsi, une RS renvoie à un mode de construction des savoirs,


partagés par les groupes et les individus, et à leurs contenus eux-
mêmes organisés en systèmes ouverts d’idées. Insistons sur
l’existence de cette double saisie de leur nature. C’est parce qu’il
s’agit d’un mouvement que son approche empirique ou théorique
engendre des difficultés et donnera toujours du fil à retordre au
chercheur. Pensée qui se fabrique au fur et à mesure, à partir de
réserves de savoirs antérieurs, de connaissances scientifiques, de
traditions, d’idéologies et de religions, les représentations sont
inscrites dans les périodes de l’histoire et les changements de la
vie sociale. Leur bonne appréhension est d’autant plus ardue
qu’elles sont emboîtées, articulées, croisées les unes aux autres,
dans un énorme puzzle notionnel dont personne, à titre individuel
ou dans une institution particulière qu’elle soit scientifique ou non,
publique ou privée, ne maîtrise l’organisation et l’évolution.
Le schéma ci-dessous, ne formalise qu’une partie de cette
mosaïque bien plus luxuriante, plurielle et interactive, composant
nos espaces culturels. On tente d’y figurer les idées
d’emboîtements entre représentations (RS1 à RSn) et
d’intersections entre divers systèmes, A, B et C. Afin d’illustrer la
plausibilité de l’interférence entre systèmes de RS, on peut penser
aux conceptions similaires du management dans les modes de
production capitalistes et communistes de 1920 à 1975 (taylorisme
et stakhanovisme). Mais on pourrait citer bien d’autres cas
analogues.
On doit entendre de tels ensembles comme des entités
élaborées dans des rapports entre groupes, attachées à des
positions ou à des statuts et inscrites dans une logique sociétale.
Les RS existent dans leurs liaisons avec les systèmes sociaux qui
les engendrent. Par ailleurs, ces derniers sont définis par elles.
Mais elles peuvent naître et perdurer quand une innovation, une
information marquante, un trouble majeur ou une science
pénètrent dans la société et dans des collectivités ou à l’intérieur
de mentalités plus traditionnelles. Certaines peuvent rester à l’état
« dormant » ou potentiellement actif ; d’autres se manifestent de
façon plus évidente parce qu’elles sont liées à des pratiques
quotidiennes ou à des problèmes vitaux à résoudre.
Par son ouvrage de référence, publié aux Presses universitaires
de France en 1961 et réédité en 1976, La Psychanalyse, son
image et son public, Serge Moscovici a été l’initiateur de ce
courant de recherche, bien qu’Émile Durkheim, dont on parlera
plus loin, en ait été l’ancêtre fondateur. Ce dernier considère la
notion de « représentation collective » comme radicalement
différente des « représentations individuelles » et comme
renvoyant à des processus mentaux plus en relation avec les
sociétés « mécaniques », « communautaires » ou « traditionnelles
».
Moscovici se situe dans une perspective différente. Son but est
de comprendre et d’analyser comment une science peut se
transformer et changer la société en étant appropriée par le « sens
commun ». Il accorde une attention plus grande à la genèse des
représentations et aux passages du plan individuel au niveau
interindividuel, puis à celui plus proprement social.
« Il fallait tenir compte d’une certaine diversité d’origine, tant
dans les individus que dans les groupes […]. Il était nécessaire
de déplacer l’accent sur la communication qui permet aux
sentiments et aux individus de converger, de sorte que quelque
chose d’individuel puisse devenir social et vice versa. En
reconnaissant que les représentations sont à la fois générées et
acquises, on leur enlève ce côté préétabli, statique, qu’elles
avaient dans la vision classique. Ce ne sont pas les substrats
mais les interactions qui comptent […]. En somme, la nécessité
de faire de la représentation une passerelle entre le monde
individuel et le monde social, de l’associer, ensuite, à la
perspective d’une société qui change, motive la modification en
question. Il s’agit de comprendre, non plus la tradition mais
l’innovation, non plus la vie sociale déjà faite mais une vie sociale
en train de se faire. »
Moscovici, 1989, p. 82

2. Une notion transdisciplinaire

2.1. Approches des fondateurs


Une science de la morale et une psychologie des peuples ?

Auguste Comte, l’un des concepteurs de la sociologie au


e
siècle, ajoute une septième science à sa liste comprenant les
mathématiques, l’astronomie, la physique, la chimie, la biologie, la
sociologie. Il invoque la constitution d’une « morale scientifique et
positive » ou « science du cerveau humain ». Il accorde une place
particulière aux faits religieux et mentaux dans son projet de
Système de politique positive (1851-1854). Il y décrit l’importance
d’une intelligence par images, placée « entre la Raison et le Cœur
». L’art de l’image est attribué aux poètes, propulsés au rang de
spécialistes de la « reliance » ou d’une forme de religiosité laïque.
Mais Comte est mort avant d’avoir pu écrire les deux traités qu’il
voulait y consacrer (l’un étant destiné à une Morale théorique et
l’autre à une Morale pratique).
Wilhelm Wundt, créateur en 1879 de l’un des premiers
laboratoires de psychologie, s’est proposé de fonder une
Völkerpsychologie et d’y étudier les productions mentales créées
par une communauté humaine, qui sont inexplicables en termes
de simple conscience individuelle puisqu’elles supposent l’action
réciproque de plusieurs d’entre elles. Le langage, la religion, les
coutumes, les rituels, la magie, les phénomènes de parenté en
font partie.

Mémoire, traditions et substrats

Durkheim donne l’impulsion théorique et épistémologique


décisive par ses divers écrits, notamment dans les Formes
élémentaires de la vie religieuse (1912), et ses travaux sur
l’éducation et la solidarité. En 1925, Maurice Halbwachs, l’un de
ses émules, se consacre à l’étude des Cadres sociaux de la
mémoire ; son ouvrage demeure encore aujourd’hui une référence.
Marcel Mauss, entre 1898 et 1930, s’emploie, quant à lui, à étudier
les mythes, les mentalités « archaïques », les représentations
religieuses et magiques (Mauss, 1974). Les travaux de Durkheim
et de ses successeurs, en y intégrant l’approche de Lucien Lévy-
Bruhl et celle de l’École des Annales en histoire, permettent de
parler d’une tradition française d’étude des représentations. Le
sociologue était particulièrement attentif à leurs formes ritualisées,
englobantes et stables. L’analyse des modalités d’émergence du
religieux dans les sociétés aborigènes d’Australie (Durkheim,
1912) ou l’idée de solidarité organique, comme résultant d’un
engagement rationnel volontaire de groupements associatifs
professionnels, afin de créer une forme de sociabilité régulatrice et
intégrative des individus dans la vie moderne, sont des exemples
d’un tel souci.

3. La nature des représentations individuelles chez


Durkheim
L’article de 1898, intitulé « Représentations individuelles et représentations
collectives », paru dans la Revue de métaphysique et de morale, est
particulièrement fondamental pour retracer l’historique de la notion. Dans la
plus grande partie de ce texte, Durkheim analyse essentiellement la nature
des représentations individuelles. Il en tire, dans un paragraphe final, des
conclusions et une analogie forte pour valider l’existence des représentations
collectives.
Comment s’y prend-il ? Il propose de fonder la légitimité de la sociologie des
représentations collectives en prouvant la réalité et l’autonomie des
phénomènes psychiques. Il reproche d’abord aux biologistes de son époque
d’avoir voulu « induire les lois sociologiques » sur la base de celles des
sciences du vivant alors que les deux ordres ne sont pas identiques. Il combat
l’idée d’une vision mécaniste et linéaire de l’origine physique des
représentations dans un substrat matériel ou cellulaire, ou encore dans des
localisations cérébrales rudimentaires. Durkheim était plutôt « branché » ou en
phase avec les grandes questions de notre époque, si on transpose son
analyse aux débats ultérieurs sur les liens entre les neurosciences et
l’éventuelle matérialité de l’« esprit » (Changeux et Connes : 1989). La
réfutation d’une conception organiciste de la conscience l’obsède littéralement.
L’une de ses préoccupations essentielles, comme pour Freud ou Halbwachs,
est de comprendre les causes et les formes prises par le souvenir. Selon lui,
les propriétés du système nerveux ne pourraient à elles seules expliquer le
processus de la mémoire. La représentation individuelle renverrait à une forme
de conscience. Rejetant la thèse associationnisme de William James, il
souligne le caractère sui generis du fait psychique. Ce que nous appellerions
aujourd’hui des représentations mentales aurait ainsi une vie propre,
indépendante du substrat bio-neurologique. Cette insistance sur l’autonomie
des phénomènes mentaux est notamment expliquée par le fait que les
représentations se généreraient et s’influenceraient les unes les autres pour
donner naissance à des formes nouvelles, sans passer par des stades
antérieurs ou primaires.
« Tout prouve que la vie psychique est un cours continu de représentations,
qu’on ne peut dire où l’une commence et l’autre finit. Elles se pénètrent
mutuellement » (ibid., p. 16.). Le but d’une « science des représentations »
est, par conséquent, de découvrir les lois de leur attraction et de leur
coalescence. Des phénomènes d’association d’idées, par ressemblance entre
elles, seraient alors réactivés. Ils expliqueraient la persistance des formes
symboliques et l’activité de réminiscence. Les états psychiques se
transmettent de cette façon à d’autres formes. « Ces phénomènes de transfert
sont d’autant plus faciles à concevoir en ce qui concerne la vie représentative,
qu’elle n’est pas formée d’atomes, séparés les uns des autres ; c’est un tout
continu dont toutes les parties se pénètrent les unes les autres » (ibid., p. 25).
Durkheim ne limite cependant pas ces processus mentaux au seul domaine
de la conscience individuelle. Il envisage l’existence de faits psychiques et
représentationnels inconscients se manifestant notamment par des
hésitations, des tâtonnements et divers autres signes comme les effets
différés sous hypnose. Des expériences de suggestion ou les travaux de
Pierre Janet sont évoqués. Ces processus, « n’étant pas toujours ressentis en
tant que tels », sont rapprochés, par exemple, des « préjugés », des « résidus
de vie antérieure » ou d’« habitudes ». Tout cela renvoyait donc, selon le
sociologue français, à l’existence d’une architecture bien plus vaste de
représentations. Finalement, le postulat d’une vie inconsciente ou d’une «
conscience sans moi » (ibid.) confère à la notion traitée dans cet article une
dimension à la fois sociale et psychologique, souvent réaffirmée depuis.

D’après Durkheim, 1898.

Les représentations individuelles ayant une vie indépendante du


substrat matériel et neurophysiologique, le même raisonnement
est alors tenu sur l’indépendance et l’extériorité des faits sociaux
par rapport aux consciences individuelles.
« La société a pour substrat l’ensemble des individus associés.
Le système qu’ils forment en s’unissant et qui varie suivant leur
disposition sur la surface du territoire, la nature et le nombre de
voies de communication, constitue la base sur laquelle s’élève la
vie sociale. Les représentations, qui en sont la trame, se
dégagent des relations qui s’établissent entre les individus ainsi
combinés ou entre groupes secondaires qui s’intercalent entre
l’individu et la société totale. Or, si l’on ne voit rien
d’extraordinaire à ce que les représentations individuelles,
produites par les actions et les réactions échangées entre les
éléments nerveux, ne soient pas inhérentes à ces éléments, qu’y
a-t-il de surprenant à ce que les représentations collectives,
produites par les actions et réactions échangées entre les
consciences élémentaires dont est faite la société, ne dérivent
pas directement de ces dernières, et par la suite, les débordent ?
Le rapport qui, dans la conception, unit le substrat social à la vie
sociale est, de tous les points, analogue à celui qu’on doit
admettre entre le substrat physiologique et la vie psychique des
individus, si l’on ne veut pas nier toute psychologie proprement
dite. »
Ibid., p. 34

Les croyances, les pratiques religieuses, les règles de la morale,


les « innombrables préceptes du droit » sont proposés comme
exemples de cette extériorité et de ce critère de contrainte,
définissant l’originalité des phénomènes sociaux. Durkheim ne se
contente pas de ces seules caractéristiques pour légitimer
l’existence des représentations collectives. Il invoque le « concours
» des individus entre eux. Il se réfère, d’une certaine manière, à
l’idée d’interaction sociale.
« Les représentations [étant la trame de la vie sociale] se
dégagent des relations qui s’établissent entre les individus ainsi
combinés ou entre groupes secondaires qui s’intercalent entre
l’individu et la société totale […]. Si l’on peut dire, à certains
égards, que les représentations collectives sont extérieures aux
consciences individuelles, c’est qu’elles ne dérivent pas des
individus pris isolément, mais de leur concours ; ce qui est bien
différent. Sans doute, dans l’élaboration du résultat commun,
chacun apporte sa quote-part ; mais les sentiments privés ne
deviennent sociaux qu’en se combinant sous l’action des forces
sui generis que développe l’association ; par suite de ces
combinaisons et des altérations mutuelles qui en résultent, ils
deviennent autre chose […]. La résultante qui s’en dégage
déborde donc chaque esprit individuel, comme le tout déborde de
la partie. Elle est dans l’ensemble, de même qu’elle est par
l’ensemble. Voilà en quel sens elle est extérieure aux particuliers.
»
Ibid., p. 34-36

La coopération entre individus ne devient sociale que sous


l’impulsion sui generis de l’association. Il ne fait aucun doute que
l’auteur attribue aux représentations collectives un pouvoir de
transformation, de traduction, d’orientation des élans individuels
vers la « sociation ». « Une synthèse chimique se produit, qui
concentre, unifie, les éléments synthétisés et, par cela même, les
transforme » (ibid., p. 36). Inversement, chaque individualité porte
les marques de l’influence des agrégations collectives dans une
progression permanente et alternée du particulier au général.
« La vie représentative ne peut se répartir d’une manière
définie entre les divers éléments nerveux puisqu’il n’est pas de
représentation à laquelle ne collaborent plusieurs de ces
éléments ; mais elle ne peut exister que dans le tout formé par
leur réunion, comme la vie collective n’existe que dans le tout
formé par la réunion des individus. Ni l’une, ni l’autre n’est
composée de parties déterminées de leurs substrats respectifs.
Chaque état psychique se trouve ainsi, vis-à-vis de la constitution
propre aux cellules nerveuses, dans ces mêmes conditions
d’indépendance relative où sont les phénomènes sociaux vis-à-
vis des natures individuelles. »
Ibid., p. 38

Comme on l’a déjà énoncé, Durkheim « défend la sociologie »


en prenant fait et cause pour une autonomie des processus
psychiques ou mentaux.
« La matière première de toute conscience sociale est
étroitement en rapport avec le nombre des éléments sociaux, la
manière dont ils sont groupés et distribués, etc., c’est-à-dire avec
la nature du substrat. Mais une fois qu’un premier fonds de
représentations s’est ainsi constitué, elles deviennent, pour les
raisons que nous avons dites, des réalités partiellement
autonomes qui vivent d’une vie propre. Elles ont le pouvoir de
s’appeler, de se repousser, de former entre elles des synthèses
de toutes sortes, qui sont déterminées par leurs affinités
naturelles et non par l’état du milieu au sein duquel elles
évoluent. Par conséquent, les représentations nouvelles, qui sont
le produit de ces synthèses, sont de même nature : elles ont pour
causes prochaines d’autres représentations collectives, non tel
ou tel caractère de la structure sociale. »
Ibid., p. 43

Pour conclure, le sociologue en appelle à un naturalisme


sociologique ayant pour objet l’étude de faits sociaux totaux, dont
la dimension représentationnelle serait l’essence.
« Si l’on appelle spiritualité la propriété distinctive de la vie
représentative chez l’individu, on devra dire de la vie sociale
qu’elle se définit par une hyperspiritualité ; nous entendons par là
que les attributs constitutifs de la vie psychique s’y retrouvent,
mais élevés à une bien plus haute puissance et de manière à
constituer quelque chose d’entièrement nouveau. »
Ibid., p. 48

2.2. Mondes de l’enfant et des sociétés orales

Représentations et développement cognitif

Dans une série d’études classiques, Jean Piaget analyse la


manière dont l’enfant se forme une conception du monde, du
jugement moral, de l’espace et du temps (Piaget, 1932, 1978).
L’évolution d’une pensée égocentrique et hétéronome (typique des
individus très jeunes) vers une représentation coopérative et
négociée des règles, puis vers une certaine autonomie de
l’individu, est, à chaque phase de développement, associée aux
types de relations et d’interactions instaurées avec les adultes et
les groupes de pairs (cf. les recherches de Lawrence Kohlberg ou
de Lev Vygotski). Willem Doise et Gabriel Mugny reprennent
l’approche de cet auteur dans leurs recherches sur le marquage
social et l’impact de l’interaction ou du conflit sociocognitif sur
l’intelligence (Doise et Mugny, 1997). Soulignons l’influence du
courant d’étude expérimentale de la représentation et, notamment,
des écrits de Michel Denis ou de Jerry Fodor (Denis, 1989 ; Fodor,
1986). L’approche neurophysiologiste, décrite par Jean-Pierre
Changeux, confirme, contrairement aux appréhensions
durkheimiennes sur les biologistes de son époque (voir infra),
l’importance notable de l’interaction individu/milieu social dans le
développement du système neuronal et cognitif, tant pour l’espèce
que pour l’individu (Changeux, 1983).
Le statut de la notion de représentation occupe aussi chez
Sigmund Freud une place de premier plan, par exemple dans sa
tentative pour construire une théorie du savoir pratique sur la
sexualité chez les enfants (Freud, 1905), de ses effets sur le
développement personnel (Freud, 1916), par son utilisation des
mythes ou dans ses explications de la psychologie politique des
masses (Freud, 1939 ; Moscovici, 1989a). Mais les rapports entre
les RS et les théories du penseur viennois ne se limitent pas à
cette dimension (Kaès, 1976, 1989 ; Mannoni, 1998, p. 15-20). Les
fonctions des fantasmes et des imagos dans l’économie des
pulsions, le statut collectif de l’inconscient, le lien entre agrégation
et identification à des modèles culturels ou à des leaders, sont
autant d’entrecroisements théoriques entre RS et approche
psychanalytique.

Pensée « sauvage », bricolage et interactionnisme symbolique

Lucien Lévy-Bruhl, par sa recherche sur la mentalité prélogique,


a fortement influencé les travaux de Piaget et propose d’interpréter
les modes de pensée des individus des communautés
traditionnelles non pas en les rapportant à une échelle d’évaluation
absolue dont le modèle est la pensée scientifique, mais plutôt en
les référant au cadre culturel de la société dans laquelle ils sont
insérés (Lévy-Bruhl, 1922).
On peut situer dans la même lignée les écrits de Claude Lévi-
Strauss sur les structures des cultures orales ou traditionnelles, de
la parenté ou sur ce qu’il qualifie de « pensée sauvage », quoique
l’anthropologue structuraliste se refuse à percevoir dans l’activité
mythique des caractéristiques uniquement syncrétistes et
fusionnelles.
« Loin d’être, comme on l’a souvent prétendu, l’œuvre d’une
“fonction fabulatrice”, tournant le dos à la réalité, les mythes et
les rites offrent pour valeur principale de préserver jusqu’à notre
époque, sous une forme résiduelle, des modes d’observation et
de réflexion qui furent (et demeurent sans doute) exactement
adaptés à des découvertes d’un certain type : celles qu’autorisait
la nature, à partir de l’organisation et de l’exploitation
spéculatives du monde sensible en termes de sensible […]. Le
propre de la pensée mythique est de s’exprimer à l’aide d’un
répertoire dont la composition est hétéroclite et qui, bien
qu’étendu, reste tout de même limité ; pourtant, il faut qu’elle s’en
serve, quelle que soit la tâche qu’elle s’assigne, car elle n’a rien
d’autre sous la main. Elle apparaît ainsi comme une sorte de
bricolage intellectuel, ce qui explique les relations qu’on observe
entre les deux. » [De la même façon que le bricolage], « les
éléments de la pensée mythique se situent à mi-chemin des
percepts et des concepts. Il serait impossible d’extraire les
premiers de la situation concrète où ils sont apparus tandis que le
recours aux seconds exigerait que la pensée puisse,
provisoirement au moins, mettre ses projets entre parenthèses.
Or un intermédiaire existe entre l’image et le concept : c’est le
signe […]. Comme l’image, le signe est un être concret, mais il
ressemble au concept par son pouvoir référentiel. »
Lévi-Strauss, 1962, p. 29-32
Lévi-Strauss analyse la réflexion mythique comme « une forme
intellectuelle du bricolage » (p. 35). On peut, sans exagérer dans
le propos, y détecter plus qu’une similarité avec la pensée pratique
que constitue l’activité de représentation sociale. Il en est de
même pour les contributions de Georges Balandier sur
l’anthropologie politique, l’analyse du pouvoir et de sa dynamique
culturelle dans les sociétés africaines. Dan Sperber rappelle que :
« [Pour l’anthropologie], les représentations constituent son
objet sinon unique, du moins principal. Tantôt, les anthropologues
étudient une religion, une mythologie, une idéologie, une
classification, un savoir technique, c’est-à-dire directement des
représentations culturelles, tantôt [ils analysent] des institutions
sociales ou économiques et alors ils le font en fonction des
représentations […] qui y sont impliquées. »
Sperber, 1989a, p. 116

Divers ethnologues furent de fins observateurs des


représentations culturelles, magiques ou religieuses et des
systèmes mythiques (Benedict, 1934, 1956 ; Douglas, 1967 ;
Evans-Pritchard, 1937) ; Linton, 1945). Leur apport à ce courant
d’étude demeure fondamental.
Une sociologie interactionniste américaine s’est développée
autour des écrits de George Mead. Les représentants de l’École
de Chicago, tels qu’Ernest Burgess, Nels Anderson, Robert Park,
William Thomas, Florian Znaniecki, et leur appréhension des
attitudes (au statut théorique proche des RS chez les auteurs du
Paysan polonais en Europe et en Amérique : 1918-1920), des
phénomènes urbains, délinquants ou communautaires, ou de
l’articulation entre cultures et pratiques sociales, méritent une
attention particulière. Ils conférèrent une place essentielle aux
discours et aux interactions entre acteurs dans la genèse des
formes symboliques, du soi et de la société (Mead, 1934). On
pensera aux écrits sur la construction sociale de la réalité (Schütz
1987 ; Berger et Luckman, 1986), d’Harold Garfinkel ou d’Aaron
Cicourel sur les ethnométhodes – ou, ensembles de pratiques, de
routines, de procédures, utilisées par les individus dans le but de
donner du sens à leurs actions de tous les jours tout en les
réalisant –, d’Howard Becker sur les minorités, la stigmatisation et
les mondes de l’art et aux approches d’Erving Goffman sur la
déviance ou la mise en scène de la vie quotidienne (Becker, 2009,
1988, 1985 ; Goffman, 1973, 1975). Il ne s’agit là que des
références les plus connues d’une tradition d’anthropologie de la
ville fortement centrée sur les dimensions pragmatiques du
langage, les effets, les buts et le déroulement des programmations
sociocognitives des conduites.
« L’observation attentive et l’analyse des processus mis en
œuvre dans les actions permettraient de mettre au jour les
procédures par lesquelles les acteurs interprètent constamment
la réalité sociale, inventent la vie dans un bricolage permanent. »
A. Coulon, 1987, p. 28

Ces procédures renvoient notamment à des « connaissances de


sens commun descriptibles », utilisées par les acteurs qui savent,
par moments, s’auto-observer en train d’accomplir leur action et, à
d’autres instants, s’engager dans des conduites sans récapituler,
ou faire advenir à leur conscience le « listing » cognitif ou le «
script » de leur manière de faire. Il s’agit, par conséquent, de
systèmes de représentations.

2.3. Changement social, histoire et espace

Les foules et leurs images

Des analystes, comme Scipio Sighele, Gustave Le Bon, Gabriel


Tarde ou Elias Canetti explorent l’unité mentale des foules,
caractérisée par une forte aptitude associative, la prégnance des
images sur l’analyse objective du réel, la vivacité, l’indifférence à la
contradiction et la répétition (Canetti, 1960). Une masse est
structurée autour d’un chef capable de s’adresser à son « âme ».
Son aptitude à parler un langage adapté en fait un poète, au sens
que lui prête Comte, fabricant d’opinions et de nexus (Rouquette,
1994a, p. 67-84). La persuasion devient ainsi un objet central
d’étude, axé sur l’analyse de l’évolution des informations, des
opinions, des symboles et sur les stratégies des communicateurs
professionnels pour construire un savoir et un monde communs.

4. Les nexus : un langage spécifique pour les masses


Rouquette propose la notion de nexus pour décrire et théoriser l’emprise de
certains langages sur les foules (Rouquette, 1988, 1994, 2009). « Opinions,
prises de positions, propagandes, mobilisations, slogans, rumeurs,
manifestent l’existence et la prégnance de noyaux de sens irraisonnés qui ont
valeur de référentiels pour une communauté […], à une époque donnée :
ainsi, par exemple, la “patrie”, la “liberté”, la “révolution”, la “justice”, le
“peuple”, etc. Ces termes, assez peu nombreux dans une période historique
particulière, ne constituent pas de simples éventualités de lexique ; leur réalité
cognitive et collective pèse sur les conduites des individus et des foules au
point de les pousser parfois jusqu’au sacrifice ou au meurtre. Ils recouvrent
des monceaux de cadavres et des milliers de rêve » (Rouquette, 1994, p. 67-
68). Ces entités symboliques sont fondées sur la prédominance du sentiment
au détriment de l’argumentation rationnelle. « En première approche, les
nexus peuvent être caractérisés comme des nœuds affectifs prélogiques,
communs à un grand nombre d’individus d’une société » (ibid., p. 68.). Ils
relient et nouent entre elles les attitudes. Ils les orientent. « Ils introduisent et,
discursivement, expriment, une forme de cohérence à l’intérieur des systèmes
cognitifs : non pas la cohérence, articulée, de l’argumentation, mais celle,
compacte, de la fusion. Les nexus servent de justifications et de repères pour
toute une série de jugements, d’engagements et d’actes publics : ainsi le
“patriotisme” ou l’“internationalisme”, le “conservatisme” et le “progressisme”,
la “droite” et la “gauche”, etc. » (ibid., p. 68). Ils sont lestés par leur fonds
affectif et contribuent à l’émergence d’états d’effervescence collective. Ils «
matérialisent » des valeurs et des conflits majeurs dans la société. Ils
engendrent des adhésions massives et des émotions fortes, telles que les
manifestations lors de la mort de la Princesse Diana ou du pilote de Formule
Un Ayrton Senna. Leur pouvoir de galvanisation des foules a maintes fois été
décrit par Le Bon ou Tarde.
« Ces nœuds sont prélogiques, car ils se forment et s’activent en amont de
la rationalité. Ils ne résultent pas, en d’autres termes, d’une construction
procédant de règles explicites, ils ne sont pas les produits d’une analyse
réfléchie, ils ne découlent pas d’un argumentaire […]. Ils échappent à la
critique et à la remise en cause, ils sont impénétrables au doute ». Ibid., p. 69
Les nexus se caractérisent par les attributs suivants (ibid., p. 69-70) :

– Ils ont un caractère collectif. Ils sont réappropriés par la plupart des
membres d’un ensemble social ou d’une foule. Ils correspondent, par
conséquent, à des symboles d’appartenance et de fusion.
– En étant activés, ils masquent les tensions ou les différences entre les
sous-groupes d’une foule ou d’une société. Ils unifient, solidarisent,
restructurent au-delà des appartenances de classe ou de catégories diverses.
Il se déroule alors une sorte d’identification amoureuse au leader, porteur de
nexus, qui lui confère une proximité et une similarité psychiques avec les
membres d’un public.
– Ils apparaissent plus puissants et influents lors de situations de crise ou
d’oppositions polémiques. La guerre ou la menace favorisent leur force de «
reliance » (la « patrie en danger »).
– Ils se réfèrent à des entités abstraites qui facilitent des états projectifs ou
d’identification ambiguè. Ils suscitent plus facilement des situations
imaginaires « à réaliser » et accentuent l’exigence utopique, au détriment de
l’adaptation à la quotidienneté.
– « Ils sont indexés par un terme unique qui les exprime totalement.
Typiquement, ce terme n’a pas d’équivalent qui pourrait lui être substitué dans
l’usage » (ibid.) Rouquette donne alors l’exemple du substantif « fou »,
connoté différemment de « malade mental » pour faire remarquer : « Les
nexus correspondent, en somme, à la fusion de la dénotation avec la
connotation » (ibid.).
– Ils sont l’objet de discours emphatiques et de proclamations démesurées,
solennelles ou exaltées (hommages, répétitions, hymnes, slogans martelés,
langue de bois, vibrants appels, déclarations de dernière minute, etc.).

Les emblèmes, au sens durkheimien du terme, les drapeaux et autres


oripeaux ou symboles aident à leur mobilisation. Les nexus, assez proches de
la notion de représentation, s’en différencient essentiellement par leurs
attributs de mobilisateurs d’affects et d’actions immédiates et massives. « Le
nexus ressemble assez à un rêve », souligne Rouquette : « La représentation
alimente ou motive le dialogue, alors que le nexus demeure toujours en
amont : il ne se discute généralement pas » (ibid., p. 72).

Temporalité, spatialité et RS

Les historiens de l’École des Annales (notamment Marc Bloch et


Lucien Febvre), mais aussi un courant plus récent d’histoire
culturelle (Roger Chartier, Alain Corbin, Jean-Yves Mollier ou
Pascal Ory), privilégient l’étude des représentations. Signalons
aussi les apports de Philippe Ariès, Georges Duby, Robert
Mandrou, Norbert Elias (1969), Jacques Le Goff ou Michel Vovelle.
Chez les psychologues sociaux, la prise en considération de la
longue période comme critère d’appréciation du changement ou de
la permanence d’une RS est particulièrement soulignée par
Rouquette et Garnier, 1999). Les travaux de Moscovici sur
l’évolution des sciences et des systèmes de pensée qui leur sont
associés ressortent de la même intention (Moscovici, 1977, 1988).
La relation à l’espace peut être évoquée à travers les études de
sociologie urbaine (Annie Guédez, Raymond Ledrut), de la
perception des lieux de travail et de l’environnement (Gustave-
Nicolas Fischer), des sociétés traditionnelles (Radu Dragan), et
aussi des modes de représentation cartographiques du monde
(Bailly 1992 ; Roux, 1999).

3. Un regard ternaire

3.1. Le refus d’une vision réductrice de l’activité mentale

Le projet des béhavioristes

Au début de ce siècle, certains chercheurs en psychologie,


portés par une foi sans limites dans les sciences et leur progrès et
voulant s’éloigner des procédures d’analyse introspective de la
conscience, jugées trop spéculatives, procèdent par réduction
épistémologique et idéologique. Les domaines des mentalités et
du psychisme reçoivent ainsi un statut de « dimension
inconnaissable », rangée dans une « boîte noire » symbolisant tout
ce qui appartiendrait à la métaphysique et aux philosophies. Leurs
grilles d’analyse et leurs recherches ont été qualifiées, depuis cette
époque, de « béhavioristes » ou « comportementalistes » (Pavlov,
Skinner, Thorndike, Watson). On en a déduit un schéma, le «
modèle S-R » (stimulus- réponse), dans lequel l’étude en
laboratoire des réactions des individus aux stimulations ou aux
causes supposées extérieures à leurs conduites est savamment
organisée. Le but de ces travaux est de fonder une authentique
science positive, objective, du comportement dans une intention
philosophique à la fois pragmatique et progressiste. À des fins
économiques, ces résultats sont mis au service des entreprises
(tests d’aptitudes, évaluations des hommes, publicité…). Dans un
état d’esprit plus humaniste, ils peuvent servir à repérer les
variables déterminant l’apprentissage, par exemple pour édifier
des dispositifs éducatifs destinés aux enfants de groupes
défavorisés, déclarés « pauvres en stimuli ou renforcements
positifs » (cf. le progressisme éducatif affiché par Skinner).
Cette sociologie implicite a pour objet un acteur réduit à ses
conditions sociales et matérielles d’existence ou, en d’autres
termes, un animal-machine, rejoignant les préoccupations
managériales des premiers publicitaires des années 1920, des
tayloristes aux États-Unis ou des stakhanovistes soviétiques. Ces
conceptions se doublent d’un souci instrumental, proche de celui
des sciences neurophysiologiques. La centration sur les seules
variables déterminant les conduites autorise l’éventuelle inclusion
d’autres facteurs dans ce modèle. La biochimie du cerveau
travaille sur l’organisme (O), comme si celui-ci était quelque chose
d’extérieur, et place, conceptuellement autant que techniquement,
l’homme au même degré que l’animal. Le schéma S-O-R n’a
constitué qu’une avancée minime dans une telle approche. Notons
cependant que Durkheim, en psychologue averti, écrit, dès 1898 :
« Un agent doué de conscience ne se conduit pas comme un
être dont l’activité se réduirait à un système de réflexes : il hésite,
tâtonne, délibère et c’est à cette particularité qu’on le reconnaît.
L’excitation extérieure, au lieu de se décharger immédiatement
en mouvements, est arrêtée au passage, soumise à une
élaboration sui generis, et un temps plus ou moins long s’écoule
avant que la réaction motrice apparaisse… »
Durkheim, 1898, p. 3-4
L’attitude comme prédisposition à l’action

La notion d’attitude (A), introduite plus tard dans l’approche


béhavioriste, renvoie à une dimension plus interne aux individus,
généralement définie comme une « prédisposition à agir ». On se
résout à l’existence d’un troisième terme entre les stimuli et les
comportements. Cette réorientation, dénommée « néobéhavioriste
», permet de mener des enquêtes centrées sur les évaluations,
émises par des individus, à propos d’objets quelconques de leur
environnement. Les stimuli y désignent des facteurs de contexte,
d’ordre personnel, familial, social ou matériel, influençant les
attitudes individuelles. Le schéma S-A-R marque néanmoins un
progrès dans la prise en compte de l’intériorité psychologique.

3.2. L’apport décisif de la théorie des RS

L’attitude acquiert ainsi un statut de variable intermédiaire. Rien


n’est dit sur son origine sociale, hormis dans certains travaux
pionniers (Thomas et Znaniecki, op. cit.), repris par les sociologues
de l’École de Chicago. L’objectif de vouloir répertorier, par des
modèles de plus en plus sophistiqués, les facteurs, d’ordre externe
ou interne aux sujets, influençant telle ou telle attitude particulière,
ne permet pas de penser cette notion dans un ensemble plus
vaste et systémique.

Attitudes et RS

Une relation, allant de l’instable au permanent, existe entre les


opinions, les attitudes, les stéréotypes et les RS. Ces dernières
sont elles-mêmes plus ou moins fortement connectées à des
ensembles formels et contraignants comme les idéologies et les
discours religieux. Une opinion est un énoncé verbal dont la
distribution statistique varie en fonction de facteurs divers et
fluctuants. L’attitude les relie dans une raison et une cohérence de
niveau supérieur.
Elle est « une position spécifique que l’individu occupe sur une
dimension ou plusieurs […] pour l’évaluation d’une entité sociale
donnée » (Doise, 1989, p. 222), une disposition interne, latente et
durable. Les facilités opératoires engendrées par le modèle S-A-R
ont permis des avancées en matière de techniques d’étude. Les
échelles d’attitude, les expérimentations, le question naire ont été
développés dans un tel cadre (Abric, 2003 ; Beauvois et al., 1990 ;
Deschamps et Beauvois, 1996 ; Moscovici et Buschini, 2003).
Observable sous la forme d’expressions verbales (opinions) et
non verbales ajustées entre elles, l’attitude implique
potentiellement des actions conformes à ses orientations. Proche
des notions de caractère, de personnalité et de soi, par sa stabilité
et par ses liens avec les valeurs et les croyances, elle s’en
différencie par ses possibles évolutions et les influences qu’elle
subit (provenant du contexte, des acteurs, de facteurs liés à la
source d’une activité persuasive, aux conditions d’élaboration et de
transmission des messages et aux interactions diverses). Trois
composantes, reliées entre elles, la décrivent classiquement :
l’affectivité, la cognition et l’action (conduite potentielle ou
intention).
- Elle correspond d’abord à une appétence individuelle (affects),
exprimée par une valence positive ou négative à l’égard d’un objet.
Pour certains, cette orientation est sa caractéristique essentielle.
- La dimension cognitive évoque complémentairement sa
fonction de description et de catégorisation de l’objet sur lequel
elle porte. Par exemple, une attitude autoritaire, outre
l’investissement personnel, les connotations positives ou négatives
(niveau affectif) auxquelles elle donne lieu, implique l’émission par
le sujet de dénotations, de connaissances adéquates, notamment
sur la conception de la Nation, des traditions et de l’éducation.
- Les théories de la consistance supposent enfin que l’action (ou
son intention) découle de l’attitude, l’individu tentant de faire cadrer
les deux niveaux (Duflos, 1996). Cette prédictivité du
comportement à partir d’une attitude est cependant assez
contestée (Channouf et al., 1996).
Ce dernier point, difficile à résoudre et à synthétiser en quelques
lignes, est conçu autrement dans la théorie des représentations
sociales. Celles-ci intègrent les attitudes comme l’un de leurs
constituants. La genèse des conduites y a un statut probabiliste,
multidéterminé et virtuel. Les comportements sont activés selon
les différents contextes de leur avènement, ce qui veut dire que les
RS forment des palettes complètes de jugements et d’actions,
éventuellement opposés, mais colinéaires. La réalisation en actes
effectifs d’un de leurs composants par tel ou tel individu dépend de
son type d’insertion dans des rapports sociaux et de facteurs
multiples qui, par leurs interactions, les rendent possibles ou
utiles.
Si l’on reprend l’exemple de l’attitude autoritaire, on remarque
que celle-ci implique chez ceux qui y adhèrent ou la réfutent une
détermination par leur statut social, leur pratique religieuse, leur
relation à l’érotisme, aux minorités, et une articulation avec
différentes idéologies conservatrices. La cohérence dans tous les
domaines de la vie quotidienne d’un individu étant plutôt
l’exception, l’actualisation de certaines croyances qu’elle implique
se fait dans des situations où existent des enjeux d’identité de
groupe. Certaines recherches ont pu démontrer que la rigidité plus
ou moins forte de ces conduites dépend de systèmes sociaux
orthodoxes, régulant les identifications individuelles et beaucoup
moins des contenus idéologiques, c’est-à-dire de l’affichage de
l’orientation progressiste ou conservatrice d’un individu. Les RS de
l’autorité et du pouvoir sont, par conséquent, des programmes
potentiellement actifs où sont puisées quelques solutions à des
problèmes concrets pouvant conduire ou non à certaines dérives
autoritaristes, nationalistes ou à certains délires racistes.

Sujets et objets dans les représentations

L’étude des attitudes et des cognitions, durant les années 1970


et 1980, en prenant en considération des facteurs plus complexes
et contextuels va se rapprocher théoriquement et pratiquement de
celle des RS. La notion de cognition (C) acquiert ainsi une valeur
centrale dans les grilles d’analyse et conduit à
l’approfondissement, puis à l’éclatement du schéma S-R. Jean-
Léon Beauvois, dans un bilan sur la question, énonce que « le
cognitivisme est un paradigme asocial, quant à ses sources
métathéoriques, donc quant à son idéologie de base » (Beauvois,
1997, p. 289). Il revendique une prise en considération, dans les
hypothèses de recherche, de l’influence des rapports sociaux sur
les processus cognitifs. La progression des travaux peut être
résumée de la façon suivante :

Début du Schéma S – R
siècle

1920-1955 Schéma S – O (ou A) – R

1955-1980 Schéma S – O (ou A ou C) – R

Études sur la cognition sociale et les facteurs contextuels la


1980-2000
déterminant

Le même projet sous-tend toutes ces réorientations : une


réduction du complexe à l’élémentaire, une volonté de fonder une
science du comportement (béhaviorisme) ou du cerveau
(organisme, nature). La volonté d’identifier la pensée humaine
avec le type de rationalité des ordinateurs explique pourquoi
l’étude des cognitions a été menée dans la même visée, du moins
pour une grande partie de celle qui se fonde sur le paradigme du
traitement de l’information et de l’intelligence artificielle.

5. Attribution, cognition et RS
L’étude des RS implique une prise en considération de l’acteur comme
producteur de connaissances. L’homme de la rue et son mode de pensée
quotidien sont l’objet d’un champ de recherche centré sur l’analyse des
causes d’une situation et des savoirs utilisés dans les relations
interpersonnelles, initiés par Fritz Heider, dans les années 1950. Ce courant,
dit de « l’attribution causale », a aussi inspiré les études sur les RS et des
travaux sur les processus de mobilisation et de traitement des connaissances
dans les relations interpersonnelles (Beauvois et al., 1989a ; Deschamps et
Clémence, 1990 ; Guimelli, 1999 ; Truchot, 1994). Plus spécifiquement
centrées sur l’individu et son mode d’appréhension de l’information (Ghiglione
et al., 1990), ces recherches sur la « cognition sociale » sont interrogées, du
point de vue de la théorie des représentations, sur la hiérarchie accordée à
des notions comme l’historicité, la position sociale et la société comme entité
sui generis. L’instance « cognitive » est déclarée, sur la base de nombreux
travaux, comme pouvant être analysée en tant qu’entité autonome vis-à-vis
des systèmes de croyances, de valeurs et d’autres propriétés internes
(cerveau, perception) à l’individu. On s’appuie alors sur les « lois internes aux
univers cognitifs » (Deschamps et Beauvois, 1996, p. 189).
Qu’est-ce qu’une attribution ? Elle renvoie à « l’élaboration, par inférence,
de certains éléments de l’univers cognitif, à partir de l’observation par le sujet
des événements et des comportements qui se déroulent dans son monde »
(ibid., p. 190). L’émission d’un jugement ou l’inférence d’une qualité, d’une
intuition sur l’état d’un individu ou sur la cause d’un événement, à partir
d’informations diverses, constitue, dans un tel cadre théorique, un phénomène
d’étude en soi. L’individu recherche ainsi les facteurs d’un événement, c’est-à-
dire « une structure permanente, mais non directement observable, qui sous-
tend les effets, les manifestations directement perceptibles » (Deschamps,
1996, p. 210). Dans une telle approche, l’individu est un savant naïf ne
maîtrisant pas correctement les méthodes et les règles de la logique. Le
principe de non-contradiction ou de consistance cognitive (travaux de Heider,
Kelley ou Festinger) est un exemple des processus analysés dans un tel
cadre. D’autres mécanismes ont été mis en évidence, tel celui qualifié par
Moscovici de personnalisme (Moscovici, 1986, p. 49), la tendance à
l’imperméabilité à l’information, ou encore la prégnance à la constitution de
mondes clos, confirmant une croyance par la recherche d’indices conformes à
ce qu’elle implique. Le personnalisme, décrit aussi par certains comme une «
erreur fondamentale » (Nisbett et Ross), est vu comme un biais cognitif par les
représentants de ce courant. Il s’agit de la tendance, vérifiée très souvent
dans des recherches, à sous-estimer le poids des circonstances et à
surévaluer celui de l’individu dans une action ou dans une situation
problématique.
Pour Moscovici, ces travaux ne tiendraient pas suffisamment compte du fait
« que les êtres humains sont gouvernés par une curiosité authentique, des
croyances religieuses ou philosophiques, et une sorte d’engagement éthique
». Il ajoute : « Toute théorie de la cognition, toute analyse de notre vie mentale
qui n’assigne pas un rôle pivot à l’étude des modes de culture qui créent le
langage, qui ne s’intéresse pas au type de rapports entre les gens ou à leurs
attitudes envers les connaissances et les institutions, me semble sans objet »
(Moscovici, op. cit., p. 62). On comprendra que le débat sur la question se
veut à la fois feutré et polémique. Sous les atours de la scientificité, les
travaux centrés sur la seule cognition atténuent ou éludent la portée
anthropologique de la théorie des RS au profit de son seul contrôle
méthodologique ou d’une conception logico-mathématique et réductrice de la
rationalité psychosociale (Palmonari et Emiliani, op. cit.).

La notion de RS se révèle alors d’une utilité centrale. En effet,


les stimuli, externes dans les programmes d’étude S-A-R, sont
réintroduits, dans la mémoire et l’action des individus et des
groupes, sous la forme de savoirs partagés et de croyances, de
systèmes de pensée générés interactivement et socialement. Le
sujet et l’objet qu’il se représente sont interconnectés. L’un et
l’autre n’ont de signification que reliés entre eux par la
représentation. Cette dernière n’est elle-même active et
significative que si elle provient d’un acteur social (sujet individuel
ou groupe) et parce qu’elle porte sur quelque chose (objet). Cette
particularité ternaire structure une vision du monde social et une
certaine manière d’étudier les formes culturelles et les
comportements en son sein.

Travaux sur les attitudes, les images ou la cognition


Contexte extérieur, facteurs déterminants

Travaux sur les représentations sociales

L’intériorité (cerveau, cognition) est elle-même redéployée dans


une dynamique sociale et interactive. Le sujet et l’objet d’une RS
ne se distinguent pas l’un de l’autre puisque cette dernière les
modèle et est produite dans une situation interactive. Approchant à
sa manière la distinction entre « produit » et « processus », le
philosophe Giorgio Colli propose, lui aussi, de considérer toute
représentation sous ces deux aspects :
« Analysée dans son contenu élémentaire, une représentation
abstraite peut être configurée comme une force, une substance
solide, un état de contrainte, ou bien en tant que champ de
tensions, d’entrelacements, de connexions. Dans le premier cas,
c’est sa nature de miroir expressif de l’immédiateté qui isole son
contenu ; dans le second, on évoque en elle un lien, une relation,
résidant dans l’élan expressif qui la traverse. Dans les deux cas,
mais de façon différente, la représentation offre un objet. Soit ce
dernier est délimité avec netteté, quand il intervient comme un
cliché, un ressouvenir de quelque chose qui, à l’origine, était
immédiateté, l’universel se constituant alors en tant qu’objet
abstrait au sens propre du terme ; soit cette ré-évocation est un fil
continu, un enchaînement reconduisant en arrière, un tissu saisi
dans son rayonnement ou son irradiation ; dans ce dernier cas,
l’objet est associé et articulé à un quelque chose qui serait
attribuable au sujet, au point que les deux termes s’y retrouvent
enveloppés. En bref, on parlera ainsi d’une représentation
comme “objet” et d’une autre en tant que relation ou connexion.
»
Colli, 1969, p. 60

Il faut dès lors se résoudre à rejeter le principe d’une division


entre une subjectivité non influencée par les savoirs socialement
partagés et un objet vu comme définitif, extérieur, rationnellement
perçu et indépendant de l’appropriation que s’en font les groupes
sociaux, les individus, les médias, les institutions. Pensez à la «
vache folle », à la grippe porcine ou à Tchernobyl et vous
comprendrez très vite que l’objectivité de ces phénomènes est
strictement illusoire. À l’époque de l’apparition de l’épizotie de la
vache folle, peu de monde savait ce qu’était cette maladie et
quelles pouvaient être ses effets sur l’homme. Il en a été de même
pour la pandémie du virus grippal H1N1 de 2009. À la suite de la
catastrophe de Tchernobyl, bien qu’on devine ses effets possibles
ou ses conséquences tragiques sur les populations proches du
site, rares sont ceux qui peuvent dire si la radioactivité diffusée il y
a plus de vingt ans est ou a été plus ou moins dangereuse pour les
Milanais, les Genevois ou les Lyonnais. La consultation des
relevés des taux de becquerel a été souvent considérée comme
confidentielle dans l’Hexagone, excepté pour les publications du
laboratoire privé le CRIIRAD (Le Monde, fr, 24 avril 2001). L’objet «
radioactivité » est de l’ordre de la science. Son appropriation
sociale et mentale fait émerger et agir des RS. Dans une telle
perspective, les sujets sont eux-mêmes puissamment reliés à
l’objet qu’ils se représentent. L’une des raisons de ce lien tient
notamment au fait que chacun d’entre nous a besoin, pour des
raisons psychologiques et fonctionnelles, de parvenir à un certain
consensus à l’intérieur de son groupe familial, professionnel,
amical ou politique tout en affirmant sa singularité au sein de cette
matrice commune.
L’objet de RS se confond avec les pratiques et les interactions
de l’ensemble auquel on appartient ou auquel on se réfère pour
toutes sortes de raisons. Face à l’irruption quotidienne des
contenus des médias, avec la multiplication des découvertes
scientifiques ou techniques, des voyages, de la mobilité sociale et
professionnelle, des changements organisationnels, les groupes et
les individus sont toujours plus tenus de mettre à jour les référents
à partir desquels ils se pensent et agissent. Les savoirs populaires,
les pratiques magiques, les rituels, les coutumes ont longtemps
permis un relatif ajustement des idées et des comportements, bien
plus fréquemment régulés aujourd’hui par les RS.

À retenir
« Collectionner des opinions » sous une forme désordonnée n’est pas
synonyme d’« étudier des représentations sociales ». Opposer l’individu
(psychologie) et la société (sociologie) n’a pas de sens théorique pertinent car
les RS relient l’un et l’autre. Durkheim fut le fondateur, en 1898, de ce courant
d’étude. Moscovici le développe et l’affermit théoriquement dès 1961.
Les RS sont des phénomènes durables, structurés, provenant d’une
mémoire commune mais aussi susceptibles d’émerger face à des événements
extraordinaires, des objets nouveaux, étranges, ou sources d’enjeux vitaux ou
polémiques. Elles sont liées à la vie mentale des foules, au développement
des aptitudes enfantines, aux cultures orales traditionnelles, comme à celles
plus proches de la modernité. Les modes de communication modernes et la
démultiplication des savoirs, tant scientifiques, techniques, managériaux que
culturels, influencent de façon déterminante leur évolution et leurs contenus.
Le but des systèmes représentationnels est d’intégrer le mouvement des
pratiques et des appropriations mentales et sociales multiples qui altèrent
progressivement leurs formes quasi stables d’interprétation du réel.
Chapitre 2

Définitions et champ d’étude


1. Qu’est-ce qu’une représentation sociale ?
2. Quels critères de reconnaissance ?
3. La diversité des « objets » explorés

1. Qu’est-ce qu’une représentation sociale ?

1.1. Un corpus de définitions du monde

Les diverses appréhensions possibles

Moscovici a proposé plusieurs définitions, toutes


complémentaires, des RS (Moscovici, 1986). L’un des buts d’une
telle position est de ne pas limiter les recherches que peut faire
naître une telle théorie. Une autre raison, fondamentale, de cette
flexibilité sémantique tient au fait qu’il s’agit d’un paradigme, c’est-
à-dire d’un courant de pensée et d’un espace de structuration des
savoirs en sciences sociales. De plus, la réalité d’une
représentation est telle que sa définition peut varier en fonction de
la perspective adoptée par tel ou tel chercheur. On peut l’étudier
lorsqu’elle émerge, dans ses fonctions de communication, dans sa
structure ou dans ses liens avec les rapports sociaux, statutaires
ou organisationnels. Ce sont autant d’aspects du phénomène,
impliquant des nuances dans la manière de le préciser. Saadi
Lahlou suggère, à ce propos, une analogie avec une toile de Paul
Cézanne représentant des pommes :
« Ces dernières sont à chaque fois différentes […], [et] figurent
les pommes dans un contexte et un éclairage particulier, mais
toujours elles expriment “La pomme” […]. Il n’est pas étonnant
que les définitions de la représentation sociale changent suivant
les auteurs et les contextes […]. [Elles] sont elles-mêmes des
représentations du concept, et elles doivent être reformulées,
pour fonctionner dans le schéma du discours qui [l’] utilise. »
Lahlou, 1998, p. 19

Des théories collectives sui generis

Pour Moscovici, les RS sont conçues comme :


« [des] ensembles dynamiques […], “des théories” ou des
“sciences collectives” sui generis, destinées à l’interprétation et
au façonnement du réel. [Elles renvoient à] […] un corpus de
thèmes, de principes, ayant une unité et s’appliquant à des
zones, d’existence et d’activité, particulières […]. Elles
déterminent le champ des communications possibles, des
valeurs ou des idées présentes dans les visions partagées par
les groupes, et règlent, par la suite, les conduites désirables ou
admises. »
Moscovici, 1976, p. 48

Il insiste également sur la double caractéristique de cette


notion : produit et activité. Elle est un produit, désigne des
contenus, s’organise en thèmes et en discours sur la réalité. Elle
constitue aussi une activité mentale, un processus, un mouvement
d’appropriation de la nouveauté et des objets. De plus, son statut
est intermédiaire : entre le niveau du concept et celui de la
perception.
« Du concept, elle retient le pouvoir d’organiser, de relier et de
filtrer ce qui va être ressaisi, réintroduit dans le domaine
sensoriel. De la perception, elle conserve l’aptitude à parcourir,
enregistrer l’inorganisé, le non-formé, le discontinu […].
Représenter quelque chose, un état n’est, en effet, pas
simplement le dédoubler, le répéter ou le reproduire, c’est, le
reconstituer, le retoucher, lui en changer le texte […]. Ces
constellations matérielles, une fois fixées, nous font oublier
qu’elles sont notre œuvre. »
Ibid., p. 56-57

Il s’agit bien d’une pensée d’un type particulier, générée par les
acteurs sociaux, imprégnée partiellement d’idéologie et centrée sur
l’action dans la vie en société.
« Il s’agit d’une forme de connaissance, socialement élaborée
et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la
construction d’une réalité commune à un ensemble social.
Également désignée comme “savoir naïf”, “naturel”, cette forme
[…] est distinguée, entre autres, de la connaissance scientifique
[…]. On reconnaît généralement que les représentations
sociales, en tant que système d’élaboration régissant notre
relation au monde et aux autres, orientent et organisent les
conduites et les communications sociales […], la diffusion de
connaissances, le développement intellectuel et collectif, la
définition des identités personnelles et sociales, l’expression des
groupes et les transformations sociales. »
Jodelet, 1989a, p. 36-37

Les liens d’une RS avec les conduites sont programmatiques et


préparatoires.
« Si une représentation sociale est une “préparation à l’action”,
elle ne l’est pas seulement dans la mesure où elle guide le
comportement, mais surtout dans la mesure où elle remodèle et
reconstitue les éléments de l’environnement où [il] doit avoir lieu.
»
Moscovici, 1976, p. 47

Intégrant la notion de thêma (voir la définition de ce terme dans


le glossaire et sa position dans le tableau synoptique p. 44) à
l’analyse, Moscovici propose, plus récemment, avec Georges
Vignaux de voir dans toute RS, un « parcours iconique et
linguistique renvoyant vers l’amont (des « idées sources ») en
même temps qu’il vise à réguler l’aval sous forme de domaines
sémantiques et de schémas argumentés aisément transmissibles
» (Moscovici et Vignaux, 1994, p. 71).
En simplifiant la grille développée par Lahlou, on peut considérer
les RS dans leur généralité en en faisant des assemblages,
associations, arrangements et articulations ou « combinaisons
d’ensembles de signes » plus ou moins hiérarchisés, qualifiés de «
syplexes ». Ceux-ci sont extraits des « univers » des objets
composant le monde, comprenant l’ensemble des éléments
symboliques s’y rapportant et formant leurs « classes
constituantes », plus ou moins en relation entre elles (Lahlou,
1998, p. 51-83).
Dans la pratique, un individu (ou observateur) utilise les
représentations ou syplexes en puisant dans son univers de
possibles une sous-partie nommée « U-langages », constituée des
éléments cognitifs, descriptifs, de définitions, d’actions, adaptés au
contexte de ses conduites et ayant une désignation lexicale (un
nom X auquel se rapporte une représentation). Ces réserves de
savoirs et de cognitions sont tout autant sociales et génériques
que référentielles et pratiques pour chacun.
On peut formellement passer des univers de signes concernant
l’ensemble des objets du monde aux U-langages de chaque
observateur Ces derniers sont définis par l’appariement d’un objet
et d’un U-langage. L’actualisation ou la concrétisation d’une RS
correspondent à la « venue en contexte », dans la pensée de
chaque sujet, d’une articulation, d’une association ou d’un
arrangement entre les éléments constitutifs d’une représentation et
des buts d’accomplissement de pratiques sociales. Le lien entre
individus (représentation personnelle) et collectivité (représentation
publique) est descriptible dans une formalisation des
transmutations et des relations vis-à-vis d’un objet, quel qu’il soit.
Ceci aboutit à la définition suivante :
« Une représentation est un syplexe associant des objets de
l’univers d’un observateur […]. [Une RS], perceptible par un
groupe d’observateurs, est un objet […] partagé par ce groupe.
Elle appartient donc à l’intersection entre les représentations de
chacun de [ses] membres. »
Ibid., p. 61

Les rapports entre les instances individuelles et collectives


n’impliquent pas un simple modelage de la pensée d’un sujet par
une RS, mais plutôt une reconstruction « modularisée », par
remémoration d’une séquence pragmatique finalisée, parmi
d’autres coprésentes dans un syplexe.
Dan Sperber plaide, quant à lui, pour ce qu’il nomme l’«
épidémiologie des représentations », c’est-à-dire une « étude de la
propagation des états mentaux dans une population » (Sperber,
1996, p. 8-9). Il propose ainsi une distinction entre les
représentations mentales et publiques, dans le droit fil de l’héritage
durkheimien et des recherches plus contemporaines sur la
cognition sociale.
« Toute représentation met en jeu une relation entre au moins
trois termes : la représentation elle-même, son contenu et son
utilisateur ; trois termes auxquels il convient d’ajouter un
quatrième : le producteur […] lorsqu’il est distinct de l’utilisateur.
Une représentation peut exister à l’intérieur même de
l’utilisateur : il s’agit d’une représentation mentale. Un souvenir
une hypothèse, une intention [en] sont des exemples. L’utilisateur
et le producteur [d’une RS] ne font qu’un. Une représentation
peut aussi exister dans l’environnement […], comme, par
exemple, le texte qui est sous vos yeux. Il s’agit alors d’une
représentation publique. [Celle-ci] est généralement un moyen de
communication entre un producteur et un utilisateur, distincts l’un
de l’autre. Une représentation mentale n’a bien sûr qu’un seul
utilisateur. Une représentation publique peut en avoir plusieurs. »
Ibid., p. 49

1.2. Un système sociocognitif


Principes générateurs

Tentant de concilier une prise en considération de leur


complexité structurelle, de leur insertion dans des contextes
sociétaux et idéologiques pluriels et une visée méthodologique de
contrôle de leur interaction avec diverses variables, Willem Doise y
voit :
« des principes générateurs de prises de position liées à des
insertions spécifiques dans un ensemble de rapports sociaux
[…], ces schèmes organisent les processus symboliques
intervenant dans ces rapports. »
Doise, 1986, p. 89

Ils se stabilisent comme ensembles de repérage et


d’identification lorsque leur lien avec des entités sociales
spécifiques est rendu plus net et plus visible.
« C’est l’analyse des régulations effectuées par le
métasystème social dans le système cognitif qui constitue l’étude
proprement dite des représentations sociales, pour autant que
leurs liens avec des positions spécifiques dans un ensemble de
rapports sociaux soient explicités. Selon ces positions, les
exigences du métasystème varient ; elles peuvent, par exemple,
impliquer une application rigoureuse de principes logiques, lors
d’un travail scientifique, ou viser, surtout, une défense de la
cohésion du groupe, lors d’un conflit avec un autre groupe. Dans
les deux cas, le fonctionnement cognitif […] est, en fait, régi par
des régulations sociales différentes. »
Doise, 1990, p. 115

Ces formes structurantes, organisatrices sont rapprochées de la


notion d’habitus, proposée par Bourdieu, à qui est empruntée
l’idée qu’il s’agit de principes générateurs de prises de position,
définies par leur inscription dans un champ dynamique et
institutionnel (Bourdieu, 1979, 1980). La structure d’une société,
son organisation en classes d’âges, en statuts et en rôles divers,
notamment sexuels ou professionnels, les rapports entre groupes
sont ordonnés par et dans des transpositions symboliques, des
formes de classification ou des ensembles de schèmes cognitifs.
L’hypothèse d’homologie structurale permet alors de supposer
l’existence de reproductions plus ou moins complètes des relations
de pouvoir ou de domination entre classes sociales (rapports de
production) dans des interactions à l’intérieur d’un champ
spécifique (culture, travail, inégalité « hommes/femmes ») de
dispositions et de systèmes de représentations. Les conduites, les
opinions, les attitudes ou les réactions affectives de chaque acteur
de la société sont finalement pensées comme des réalisations et
des actualisations de « programmes » culturels. Ces matrices sont
donc « incorporées » dans des conduites d’acteurs dont on
méconnaît partiellement l’origine et les liens avec les rapports de
domination et de pouvoir. L’autonomie des faits de représentations
est cependant largement affirmée dans une telle analyse, mais on
insiste sur l’importance des transpositions et des traductions
symboliques des facteurs agissant dans le métasystème social.
Cette approche accorde une grande importance aux acquis des
recherches sociologiques et à leurs connexions techniques et
théoriques avec les travaux en psychologie sociale (Doise, 1982).

Filtres interprétatifs et structures

Jean-Claude Abric considère que la représentation sert de «


filtre interprétatif » et d’« instrument de décodage », favorisant une
« production originale et un remodelage complet de la réalité, une
réorganisation de type cognitif où les connotations idéologiques
personnelles (attitudes, opinions) et collectives (valeurs, normes)
prennent une place essentielle aussi bien dans le produit que dans
le mécanisme même de sa constitution » (Abric, 1987, p. 67-68).
« La représentation est le produit et le processus d’une activité
mentale par laquelle un individu ou un groupe reconstitue le réel
auquel il est confronté, et lui attribue une signification spécifique.
»
Abric, 1987, p. 64
Le rajout du qualificatif « sociale » à « représentation » implique
la prise en considération des « forces et contraintes » émanant de
la société ou d’un ensemble numériquement consistant et leur
équilibration ou médiation avec les « mécanismes psychologiques
».
« Une RS aura pour but essentiel de contribuer aux processus
formateurs et […] d’orientation des communications et
comportements sociaux […]. Dès lors, le propre d’une
représentation sociale sera de constituer un système cohérent où
les dimensions sociales produisent un système cognitif
spécifique, adapté à la dimension sociale de l’objet. »
Op. cit., p. 77

L’un des apports majeurs de cet auteur est une théorisation


structurale des RS qu’il perçoit comme des ensembles
hiérarchisés autour d’un noyau ou système central et d’éléments
périphériques (Abric, 1994, 2003). On reviendra sur ces concepts
dans le chapitre suivant. Soulignons, pour le moment, qu’Abric
décrit lui aussi les RS dans leur contextualisation discursive, socio-
économique et culturelle. Il les pense comme [des] « organisations
signifiantes dépendantes de facteurs contingents […] et du
contexte social et idéologique […], des systèmes d’interprétation
de la réalité qui régissent les relations des individus à leur
environnement […], des guides pour l’action » ou des «
constructions sociocognitives, régies par leurs règles propres »,
permettant de précoder le réel (Abric, 1994, p. 14).
On tentera de résumer les grandes lignes des définitions ci-
dessus et des discussions sur les attitudes et les opinions
(chapitre précédent) dans la schématisation qui suit. Il s’agit, plus
précisément, d’une schématisation de l’ensemble des constituants
de la pensée sociale (Rouquette, 2009).
Les flèches, partant du haut vers le bas et inversement, figurent
la nature en spirale, plus ou moins répétitive, évolutive ou
dialectique, des phénomènes de représentations et l’idée que ces
dernières naissent de situations d’interactions et d’idées-sources,
dans des organisations ou des institutions, tout autant qu’elles les
structurent en partie. Dans cette présentation, les catégories
fondamentales de la pensée renvoient à des formes plus
insaisissables, archétypiques et presque « consubstantielles » au
patrimoine culturel de l’humanité (catégorie du « pur » et de l’«
impur », du « masculin/féminin », de la « reconnaissance sociale
», du « normal et du pathologique », de la « nature » et de la «
culture », de la « prohibition de l’inceste »). Ceci ne veut pas dire
que ces catégories-là sont « hors du social », bien au contraire.
C’est leur appropriation/reformulation qui donne naissance à des
idéologies, des pratiques, des rituels ou des représentations
sociales. Mais, en même temps, elles se présentent sous une
forme duale, disjonctive et ont une diffusion universelle. Elles sont
« questionnées » ou problématisées dans toutes les sociétés et
impliquent un lien avec l’imaginaire et ses modes de propagation.
Les systèmes technoscientifiques sont aussi partiellement
imprégnés de représentations sociales. Certaines des pratiques
qui en sont issues sont conformes à un modèle de rationalité et
d’autres un peu moins (voir, par exemple, le livre de l’historienne
anglaise Frances Yates sur Giordano Bruno et sur la fonction qu’il
accorde à la magie et à l’hermétisme dans ses positions sur les
sciences : Yates, 1999).
« Quiconque connaît l’histoire des sciences sait que la plupart
des théories et des notions fort abstraites sont venues d’abord à
l’esprit des savants ou dans la science, sous un mode figuratif,
chargées de valeurs symboliques, religieuses, politiques ou
sexuelles. Il en a été ainsi pour les phénomènes d’évolution de la
biologie, de la chimie ou de l’électricité. C’est seulement par une
série de distillations successives qu’ils ont reçu une traduction
abstraite et formelle. Cette distillation n’est jamais complète, ni
achevée. Maint chercheur et mainte théorie dépeignent les
atomes comme des boules colorées de dimensions variées et
aucun physicien – malgré les efforts séculaires – ne saurait parler
de force sans se référer à l’image originelle d’un effort exercé par
quelqu’un sur quelque chose qui résiste. »
Moscovici, 1976, p. 64-65

Et même quand les praticiens des sciences ou les ingénieurs


affichent une rigueur étriquée, on peut parfois voir se profiler, dans
leurs actions et leurs discours, des réflexes idéologiques de la
technocratie.

2. Quels critères de reconnaissance ?


2.1. Consensus, dispersion de l’information et focalisation

Selon Rouquette et Rateau, les dimensions «


consensus/différenciation » et « relations intergroupes/intragroupe
» permettent d’envisager quatre formes de représentations et de
mieux appréhender quel type d’étude on entreprend (Rouquette et
Rateau, 1998, p. 15-16).
Dans un premier cas de figure, une représentation est entendue
comme « collective ». Elle favorise le consensus entre la grande
majorité des groupes sociaux. Elle renvoie alors au concept
durkheimien bien connu et à une stabilité proche de celle des
mythes, des croyances ou des valeurs fondamentales d’une
société.
Dans une deuxième acception, plus classique, on accole
l’adjectif « social » au terme « représentation » qui est ainsi
associé à la différence entre les groupes et, par conséquent, aux
positions qu’ils occupent dans la société. Une telle forme évoque
celle décrite précédemment par Doise.
Le troisième type formalise le consensus intragroupe. Ici, la
représentation sera qualifiée indifféremment de « sociale » ou de «
collective » car on ne peut discerner si elle désigne des valeurs
plus globalement partagées ou une spécificité culturelle.
Le quatrième implique une indétermination sur le statut ou
l’existence effective d’un tel système de savoirs et de cognitions
puisqu’il est associé à une différenciation dans un groupe. On peut
alors s’interroger sur la consistance, l’évolution, la transformation
ou la disparition d’une RS dans une communauté du fait même de
cette hétérogénéité.

Trois caractéristiques fondamentales des RS (Moscovici, 1976,


p. 246-252) permettent d’en repérer l’avènement :
– la dispersion (la vacuité) de l’information, concernant l’objet de
représentation du fait de la complexité et des différences de
position et de statut des acteurs sociaux. Un tel processus est
déclenché lorsque ces derniers manquent de données objectives
sur n’importe quel phénomène, qu’il soit scientifique, moral,
culturel ou économique. Des biais et des distorsions sur sa
définition en résultent et se propagent ;
– la focalisation est une procédure d’accentuation de certains
traits d’un objet de RS et d’occultation d’autres inadaptés au
système de valeurs des acteurs ou des sujets. Une vision globale
et complète de l’objet est, dans ce cas, assez peu probable. On
observe, par exemple, que la catégorie la plus citée par les sujets
interrogés, dans une enquête sur la définition de la pauvreté
(Seca, 1999), est celle des sans-abri. Ceux-ci forment le prototype
du pauvre alors que les groupes concernés sont beaucoup plus
divers et nombreux ;
– la pression à l’inférence, complétant les deux conditions
résumées ci-dessus, se traduit par la nécessité de parvenir à une
explication et à un code commun par rapport à des phénomènes et
des objets de RS. Elle se concrétise par des conversations et des
formulations descriptives et évaluatives de l’objet, en interaction
avec des membres de groupes d’appartenance ou de référence.
Le but de ces transactions verbales et cognitives est de parvenir à
un accord sur le contenu de la RS et de réduire la complexité
d’une question afin de l’adapter aux impératifs de l’action, de la
communication et du discours.

2.2. Objets polymorphes et enjeux de groupe

Il existerait, d’une part, des représentations fortes, structurées,


captatrices et pourvoyeuses de sens, rassembleuses
d’enchaînements de cognitions, de symboles et de croyances, et,
d’autre part, des RS faibles, peu organisées, assez labiles,
englobées ou encastrées dans les précédentes, plus « stables »,
enveloppantes. Tout objet (social, physique ou autre) de
l’environnement ne donne pas systématiquement lieu à une RS
forte ou autonome, impliquant un système sociocognitif avec une
structure unique (noyau central) dont les normes ou prescriptions
sont inconditionnelles ou non négociables (Flament, 1994a, p. 44).
Les RS fortes conféreraient une orientation sémiotique à leurs «
satellites cognitifs » et autoriseraient une articulation avec d’autres
univers mentaux.
« Une représentation (qu’elle soit forte ou faible, plus ou moins
englobante) se révèle comme un matériau psychique basal à
partir duquel s’élabore un processus mental complexe qui
systématise (trie et ordonne) les représentations entre elles et
par rapport au tout de la pensée. Une religion, un mythe, une
croyance sont ainsi constitués de représentations possédant
chacune ses caractéristiques, son importance relative et sa place
“logique” dans le système où elles entretiennent, entre elles, des
relations d’interconnexions dynamiques qui ne se limiteraient pas
en une simple juxtaposition. »
Mannoni, 1998, p. 64
Dans le schéma ci-dessus, on peut décrire la configuration d’une
représentation en train de se former (les trois RS (a1, a2, a3) faibles – ou
groupements cognitifs – qui s’agrègent progressivement en une
seule, plus structurée) et d’une autre déjà existante, RSb (à droite,
entourée d’un cercle en pointillés gras), exerçant une attraction sur
des éléments plus ou moins formés, assez moyennement
structurés. Claude Flament indiquait, il y a quelques années, que
les RS relatives au sida ou à l’Europe semblaient correspondre à
des ensembles non autonomes ou faiblement structurés parce
qu’organisées autour de principes organisateurs divers
(mort/amour pour le sida ; guerre en Yougoslavie, monnaie unique,
frontières pour l’Europe), activés alternativement, en fonction des
contextes, au même titre que pour la RS l’argent (Flament,
1994b).
« Ce que nous suggérons, c’est qu’il est possible que plusieurs
représentations sociales, par ailleurs autonomes, puissent avoir,
chacune, une partie périphérique (une sous-structuration ?)
relative à un même objet. Donc, pour cet objet, la représentation
sociale est organisée à partir de plusieurs thèmes extérieurs, ce
que nous nommons une RS non autonome. »
Ibid., p. 115

Si l’on prend l’exemple de la RS de la santé, on observe, comme


pour la construction sociale des phénomènes de pauvreté ou
d’exclusion, l’apparition d’un espace représentationnel pluriel. Sa
description incite à pénétrer dans le raffinement d’un système
notionnel de la vie quotidienne où l’affrontement des problèmes
ressemble à un combat épique entre « soi » (individu) et l’«
extériorité » (la société), cause potentielle de déchéance.
« Le “modèle” qui se dégage est celui d’une série d’oppositions
dont le noyau essentiel réside dans la double opposition entre
santé et maladie, entre individu et société […]. Une telle
représentation, qui explique la santé et la maladie, dans et par
une interprétation des rapports de l’individu et de la société,
paraît avoir le sens d’une double défense de l’individu : contre la
société et contre la maladie. L’individu se différencie de la société
agressive et, par là même, il affirme sa non-participation à la
maladie. Elle provient du mode de vie, de la société. Sa défense
[…] est aussi accusation […]. Le sens global de la représentation
nous semble cependant résider dans le refus d’assumer une
responsabilité dans le déclenchement même de la maladie.
Quelle que soit l’importance des états psychiques dans sa
genèse, la responsabilité du déclenchement appartient au mode
de vie ; au demeurant, c’est de lui que viennent les stimulations
nocives, causes de “tensions nerveuses” et d’anxiété. L’individu
se sent et s’affirme infiniment plus attaqué qu’il n’est coupable.
En revanche, [il] se sent […], responsable de sa santé car, faible
ou forte, elle le définit. »
Herzlich, 1969, p. 70-71
À la suite de cela, Claudine Herzlich répertorie trois formes
fonctionnelles : « santé-vide », « fond-santé », « équilibre » dont
nous reproduisons les éléments dans le tableau ci-après. Elles se
présentent comme des pôles complémentaires et organisateurs
d’un tel système représentationnel.

Les trois constituants de la RS de la santé

D’après Herzlich, 1969, p. 89.

L’observation d’une représentation nécessite donc la pénétration


d’une organisation compliquée et mouvante dont la force
structurante se dégage au fur et à mesure d’une enquête. La
certitude de se trouver en face d’un thème de recherche pertinent
dépend de l’intuition personnelle, de la connaissance du terrain et
d’une analyse correcte de la problématique. Un certain nombre de
questions peuvent éventuellement aider tout chercheur désireux
de mieux en problématiser l’étude (Moliner, 1996, p. 33-48) :
– La polymorphie ou la complexité de l’objet est l’une de ces
conditions. Pour qu’il y ait existence d’une représentation, il faut
que ce à quoi elle se rapporte soit une classe de phénomènes,
d’événements ou d’idées, définie de différentes façons par les
acteurs et les groupes. La pauvreté ou la maladie répondent à
cette caractérisation. L’apparence de « sérieux » ou les
connotations de conformité du thème d’étude par rapport aux
usages dans une discipline ne comptent pas spécialement, car
une problématique marginale pour un champ de recherche
(psychologie) peut devenir centrale pour un autre (sociologie) et
inversement. L’objet de RS doit, de plus, renvoyer à un enjeu
public, source de divergences ou de questionnements sur son
identité, son influence ou son statut chez les acteurs de la vie
sociale.
– Les configurations des groupes générant des RS sont un autre
facteur permettant de dire qu’on a bien affaire à une construction
représentationnelle. L’existence d’individus « interdépendants pour
la réalisation de leurs objectifs et coopérant afin de mieux les
atteindre » est importante (ibid., p. 38-39). Deux situations sont
alors distinguées. L’une est structurelle, dans le cas d’un groupe
dont « l’existence est intimement liée à l’objet de représentation ».
Ici, c’est son identité qui est en cause, comme, par exemple, la
représentation de la pauvreté chez des sans-abri ou la conception
de la maladie mentale dans des familles s’occupant d’un proche
en situation de thérapie. L’autre est conjoncturelle. Les membres
de ce type d’ensemble sont alors « confrontés à des objets
nouveaux ou problématiques » (ibid., p. 39), comme des salariés
face à la réorganisation du travail et à l’implantation de nouveaux
systèmes d’information (Grize et al., 1987 ; Guillevic) ou bien des
étudiants rejetant des mesures d’augmentation de droits
d’inscription (Di Giacomo, 1986).
– L’absence ou la présence d’un système de contrôle orthodoxe
des pensées peut aussi être un critère. Voici des exemples de ce
type de régulations : un groupe de catholiques pratiquants
demandant à ce que son institution règle, contrôle ses conduites et
ses idées ; les médecins qui dépendent du Conseil de l’Ordre pour
les normes décrivant les diagnostics, les thérapies et les conduites
à tenir face aux malades. Les praticiens peuvent avoir une RS de
l’argent, mais leur savoir et leurs pratiques sur le sida, étant
codifiés, pourraient ne pas se concrétiser par des représentations
sociales autonomes ou fortes.
La référence à la régulation orthodoxe d’un collectif
professionnel ou confessionnel pour qu’émerge une RS forte
n’évacue pas la question de la construction des savoirs pratiques
des médecins, et donc de leurs représentations plus officieuses ou
non régulés des malades, de la relation interpersonnelle et des
maladies. Il ne s’agit pas seulement d’un pur espace codifié. Si tel
était le cas, comment expliquer l’importance des représentations
sociales, par exemple, dans la persistance des conduites
dangereuses en France, quand on prend en considération le
caractère fortement régulateur et policier du code de la route (cf.
travaux de l’INRETS ou : Assailly, 1992 ; Barjonet, 1988 ; Flament,
1994b, p. 93-96 ; Pervanchon, 1999) ? On peut aussi s’interroger
sur les RS de certains groupes de croyants qui interprètent le
dogme et les écritures en fonction de leurs intérêts du moment et
des lectures qu’en font des leaders.
On peut faire la même remarque pour l’importance des
configurations de groupes. La multiplication des réseaux
multimédias et l’effet d’atomisation causé par les foules solitaires,
l’identification à des entités de référence virtuelles, changeantes
ou symboliques chez les individus ne signifient pas que les RS se
cristallisent toujours autour de groupes d’appartenance
localisables, considérés comme leurs uniques porteurs et
producteurs. Ce critère de territorialisation des représentations, si
important soit-il, néglige l’incidence des communications de
masse, de la nouveauté et de l’actualité sur la pensée sociale. La
généralisation des interactions à distance (internet, intranet,
multimédia, téléphonie mobile, multiplication des produits
audiovisuels) annonce-t-elle la fin, le renouveau ou l’intensification
de l’influence des représentations sociales ? Le lien affirmé avec
un groupe, tel que défini plus haut, peut poser problème et ne rend
pas compte de la diversité des modes de formation et
d’émergence de ces systèmes sociocognitifs. La prédominance du
modèle de l’opinion dans un tel monde en mouvement ne signifie
pas que les idées y circulant ne forment pas un système et ne se
stabilisent pas en structures hiérarchisées selon d’autres modalités
que celle d’une appropriation groupale classique. L’appartenance à
une communauté professionnelle, par exemple, ne confère pas
toujours une stabilité à une représentation. C’est quelquefois
l’inverse qui se produit, dans la mesure où une RS peut structurer
le groupe plus que les « relations interpersonnelles ou affinitaires »
existant entre ses membres. Le plus souvent, un alliage entre les
deux tendances de la représentation de la professionnalité et de
l’affectivité groupale émerge ( Sainsaulieu, 1985).
Le facteur « âge » ou même, parfois, le statut sexuel, semble
être plus prédictif et différenciateur dans les études sur les
pratiques politiques et culturelles (Ferréol et Noreck, 2007) que
l’appartenance sociodémographique ou groupale. Mais, dans ce
cas, comment définir une classe d’âge ? La difficulté d’une telle
entreprise invite à la prudence et elle conduit à considérer les RS
comme des ensembles abstraits et formalisés qui se réalisent
dans des configurations de groupe dans certains contextes et
s’actualisent dans des rapports sociaux plus mobiles et/ou
individualisés, dans d’autres circonstances.
L’étude d’une représentation, outre le type d’objet, le groupe qui
la produit et les enjeux qu’elle implique, doit aussi être référée à
une dynamique sociale, théorisée autour des principes d’identité,
d’opposition et de totalité (Touraine). Nous avons déjà vu
l’importance de la finalité identitaire dans de tels phénomènes. Le
principe d’opposition renvoie à l’influence d’acteurs ou
d’institutions, antagonistes ou dominants, qui contestent
explicitement ou non la vision de la réalité du groupe étudié. Celui
de totalité oblige à penser le système représentationnel par rapport
à une structure sociale (et à une globalité) qui, par ses idéologies,
ses règles juridiques et ses contraintes diverses (économiques,
technologiques, organisationnelles ou culturelles), forme un cadre
face auquel une communauté ou un acteur doit se situer, accepter
ou non d’altérer ses conceptions du monde et ses croyances, ou
envisager des alternatives plus contestataires.

3. La diversité des « objets » explorés

3.1. Sciences, santé, culture, éducation

Connaissance et vulgarisation

L’interrogation sur la diffusion ou la propagation des sciences


dans une société a été à l’origine du travail de Moscovici sur la
psychanalyse et du modèle théorique dont traite ce livre et bien
d’autres. Philippe Roqueplo, dans le Partage du savoir, en 1974,
propose de généraliser les caractéristiques des RS, notamment le
processus de l’objectivation (cf. chapitre 3), à tout phénomène de
vulgarisation. D’autres analyses inspirées par la même approche
ont été produites (Ackermann, Barbichon et al.).
Des travaux consacrés à la conception et à l’impact de
l’informatique et des nouvelles technologies ont été réalisés (voir,
plus particulièrement, Grize et al., 1987). La représentation de
l’intelligence, telle qu’elle est construite et utilisée dans les tests de
quotient intellectuel, est décrite dans ses implications idéologiques
et manipulatrices (Doise, 1990 ; Mugny et Carugati, 1985). Les
recherches sur l’appréhension des origines biologiques de
l’homme, des causalités qu’elle implique et du patrimoine
génétique commun aux animaux (Deconchy et ses collaborateurs)
ou de la conception des embryons (Wagner), peuvent, à certains
égards, être classées dans le même domaine.
Diverses enquêtes menées sous la direction de Pierre Vergès
abordent aussi la diffusion des savoirs scientifiques, en décrivant
le degré d’autonomisation du discours économique ou ses liens
d’articulation avec d’autres formes, comme les valeurs ou la
politique (Vergès, 1994). Mentionnons notamment l’une des rares
recherches effectuée par Martin Gorin, depuis celles de Georg
Simmel sur la représentation de l’argent (Gorin, 1989).

Idéologies et préjugés

L’analyse des relations entre les religions, les idéologies et les


RS, dans la mesure où les premières et les secondes sont des
systèmes sociocognitifs fortement formalisés et normatifs,
appartient, partiellement, à ce secteur d’étude (Aebischer et al.,
1991 ; Rouquette, 1996). Du fait de ses dérives et de ses excès de
systématisation, l’approche du discours raciste peut être classée,
d’une certaine manière, dans le domaine de la psychosociologie
de la connaissance, dans la mesure où tout préjugé est d’abord
l’une de ses malheureuses mais inévitables modalités (Lipiansky ;
Taguieff ; Windisch). Les travaux de Roland Barthes sur les formes
contemporaines du mythe (le fameux Mythologies) appartiennent,
en partie, à un tel secteur de recherche, de la même façon que les
écrits de Jean Baudrillard sur la société de consommation, la
mode et le sport, ou aussi d’Henri Lefèbvre sur la vie quotidienne
ou le nationalisme (cf. Le Nationalisme contre les nations). Nous
ne parlerons pas de la quantité notable de publications sur le
thème de l’idéologie dont ce paragraphe ne peut synthétiser la liste
(Althusser, Ansart, Boudon, Bourdieu, Lukàcs, Mannheim, Marx,
Weber…). Leur particularité est de tenter d’appréhender les RS
comme des « portions » d’un ensemble plus englobant ou
formalisé ou en tant qu’actualisations de l’idéologie (Gaffié). Le
seul écueil d’une telle perspective intégrative et quasi
mathématique est la récurrence de l’observation d’une relative
autonomie des activités de représentations. Doit-on alors
reprendre la thèse marxienne ou althussérienne selon laquelle les
individus puisent dans l’idéologie et la « réveillent » sans s’en
rendre compte ? On comprendra qu’il est ardu d’insister sur une
position tranchée dans un tel débat. On peut seulement répondre
que les individus sont en partie « inconscients » de leurs préjugés
ou de leurs « réflexes idéologiques ». Sous un autre angle, ils en
sont relativement affranchis : les RS sont des reformulations et des
recréations, donc partiellement innovantes ou du moins différentes
d’un « patron » ou d’un « modèle » initial. On ne peut donc les
assimiler aux seules manifestations des préjugés et des
stéréotypes qui y sont cependant inclus.
Les comparaisons internationales de la conception de la
démocratie (Marková) ou l’approche en termes de thêmata
(Holton, Moscovici et Vignaux, 1994) peuvent être catégorisées
comme des illustrations d’une anthropologie des idées et de la
culture, au même titre que les livres de Louis Dumont sur les
systèmes sociaux hiérarchiques ou égalitaires (Dumont, 1983), de
Georges Dumézil, sur les trois fonctions (guerrière, sacrée,
commerçante ou nourricière) dans les sociétés indo-européennes,
de Jean-Pierre Deconchy sur l’orthodoxie religieuse ou sur
l’imaginaire de Gilbert Durand et Michel Maffesoli.

Santé et maladie

L’étude pilote Santé et maladie (Herzlich, op. cit.) est devenue


aujourd’hui un classique. La connaissance des contenus associés
à cet objet renvoie à divers ensembles symboliques dont, par
exemple, les RS de la médecine, du médecin et des médicaments.
Des rapports avec la question de la vulgarisation scientifique sont
à noter. La définition de la santé peut se faire par la négative (ne
pas être malade), par ses liens avec une certaine représentation
de la jeunesse ou de la nature ou bien encore par la mise au
premier plan d’une lutte entre l’individu, originellement sain, et son
environnement urbain ou de travail, sources de tensions
déstabilisatrices.

Santé et maladie
Environnement

Un développement connexe de cette orientation se centre sur


les représentations de l’environnement et des relations urbaines
(Galli ; Jodelet ; Laneyrie ; Moser), de la civilité (Bernard), de l’effet
de serre (Duron), du bruit (Morin), de l’arbre en ville (Cadiou), de
l’autoroute (B. Lefèbvre), du confort thermique domestique
(Bourgeat), de la chasse et de la nature (Guimelli, 1998) ou de
l’acte alimentaire (Fischler, Lahlou, op. cit.), bien que certaines de
ces conduites ressortent à la fois des domaines du biologique, du
culturel et des politiques publiques.

Culture et éducation

La représentation de la culture chez les ouvriers en France fut


l’une des premières monographies des années 1960 à appliquer la
théorie des RS (Kaès, 1968), prolongée par celle de Janine Larrue
en 1970-1972. Dans une perspective comparative, on tente
d’accéder aux structures de savoirs et d’argumentations des
classes populaires et à leurs relations avec les cultures plus
savantes ou d’autres groupes sociaux. On peut aussi comprendre
comment leur bonne description peut permettre de favoriser une
socialisation scolaire plus réussie pour certains enfants de milieux
modestes (Lieury).
Le champ éducatif est, bien sûr, investi d’espoirs et des vœux
parfois excessifs par rapport à ce qu’il peut apporter à ses « clients
» ou aux parents plus ou moins exigeants. Il se décrit à partir
d’articulations entre des pratiques pédagogiques, réglementaires,
des organisations (lycées, instituts, universités), des institutions
étatiques (ministères) et des représentations diverses, tant au plan
des attentes qu’à celui des valeurs à transmettre ou des disciplines
enseignées. Ce type de recherche implique, par conséquent, la
prise en considération du caractère pluriréférentiel des
transactions éducatives et des phénomènes à approfondir.
Mentionnons, à ce propos, les travaux sur l’échec scolaire et ses
causes possibles (Gosling, Mannoni), les liens entre l’institution
comme champ de pouvoir et sa capacité à faire évoluer les
dispositifs pédagogiques (Ardoino, Lapassade, Lourau),
l’importance des nouvelles technologies éducatives et du
multimédia (Breton, Lévy, Vigarello), la dynamique des groupes
(Demorgon, Lipiansky), l’ethnographie de l’école (Hess) ou la
conception des sciences ou des mathématiques (Lage, Mariotti,
Nimier), de la gymnastique (Aubert et Chifflet), de la musique et de
ses effets identitaires (Desvérité, Green, Ricard) ou formateurs
(Boudinet).
On peut agréger à cet ensemble les études sur la relation
maître-élèves (Gilly), la formation (Monteil et Mailhot ; Larose et
al.), l’alternance dans la formation (Cohen-Scali), le
développement intellectuel (Doise et Mugny, op. cit. ; Garnier et
Rouquette, 2000 ; Mugny et Carugati, op. cit. ; Perret-Clermont) ou
les ethnométhodes de l’étudiant (Coulon).

3.2. Déviance, travail, groupe, pouvoir

Minorités et exclus

Les recherches sur l’exclusion et la pauvreté se recouvrent sans


se confondre. L’observation du mode de vie des Gitans et de la
représentation dont ils sont les objets et les acteurs (Bigazzi,
2009 ; Ferréol ; Mamontoff ; Moscovici et Pérez), celle d’autres
groupes minoritaires, comme les femmes (P.-H. Chombart de
Lauwe et al., 1963), les féministes (Lortie-Lussier), les handicapés
physiques (H. Paicheler) ou mentaux (Giami), les enfants (M.-J.
Chombart de Lauwe, 1971), les immigrés (Doraï) ou les pratiques
toxicomanes (Echebarria Echabe et al. ; Ferréol, 1999 ; Ravenna,
1997 ; Seca 1999) ne doivent pas être assimilées aux travaux
portant sur les procédures sociocognitives de définition du pauvre
et de sa situation (Abric, 1996 ; Bertrand, 2003 ; Neculau et
Ferréol, 1999 ; Galli et Fasanelli ; Paugam, 1991 ; Seca, 2008).
L’approche des minorités a été entreprise du point de vue de
leur impact social et, plus rarement, au plan des représentations
de la déviance ou de l’affirmation de l’« être minoritaire »
(Buschini, Philogène). Les RS sont, dans le premier cas,
formalisées dans des types de discours innovants qui, selon
certaines conditions de réception (niveau privé ou public d’analyse,
message adressé à l’intragroupe de la minorité ou à un hors-
groupe) ou de production (flexibilité ou rigidité de la forme adoptée
dans la communication, consistance comportementale…) sont
sources de changements d’attitudes, de croyances ou des
cognitions chez la cible de l’action d’influence (Gaffié, Moscovici,
Mugny, Nemeth, G. Paicheler, Pérez, Papastamou,
Personnaz…).
L’appréhension des relations entre groupes d’âge (Galland) et
celle de l’influence de schémas liés au genre sexuel (Aebischer ;
Héritier, 1996 ; Jonckers et al. 1999 ; Hurtig et Pichevin ; Lorenzi-
Cioldi, 1988, 1994) peuvent, à certains égards, être définies
comme relevant de travaux sur les modes de production des
cultures ou sur les préjugés, la stéréotypie et la représentation de
soi des minorités.

Travail, groupes et pouvoir

Les recherches sur les objets « travail », « entreprise » ou «


catégorie professionnelle » ont été développées, notamment par
Jean-Claude Abric, Michel Bataille, Claude Flament, Christian
Guimelli, Fabrizio Lorenzi-Cioldi, Pascal Moliner ou Pierre Vergès.
Citons aussi des études sur le rôle des infirmières ou de la police
(Guimelli, 1994 et 1996), la professionnalisation des psychologues
(Palmonari ; Flatt), le commerce et l’artisanat (Abric ; Mardellat) le
changement technologique en entreprise (Singéry, 1994) ou les
images des organisations (Morgan, 1997). La RS du travail
(Salmaso et Pombeni, 1986) peut être approfondie dans ses
relations avec le chômage (Lidvan), le rôle des cadres (Goubert-
Seca ; Lévy-Leboyer) ou la transition vers l’économie de marché
dans un ancien pays communiste (Negura).
L’observation de l’identité collective et individuelle pourrait en soi
former un paragraphe à part. Les relations intergroupes (Doise ;
Tajfel) en constituent un chapitre de base au même titre que la
représentation de soi (Codol ; Faucheux et Moscovici), de l’amitié
ou des sentiments (Amerio et De Piccoli ; Maisonneuve et Lamy),
de son propre groupe (Kaès), de la nation et de l’Europe (De
Rosa ; Echebarria Echabe ; Tapia) ou des relations interculturelles
(Simon, 1998). Soulignons l’importance des expérimentations
pionnières sur les RS et leurs relations avec l’identité, la créativité,
les tâches et la structure groupale (Abric ; Codol ; Flament ;
Rossignol). Les études sur la mémoire et sur la commémoration
(Haas et Jodelet, 1999 ; Viaud, 2003) sont l’un des axes majeurs
de développements à ce sujet.
L’approfondissement des RS du pouvoir et du champ politique
(Aïssani ; Bonardi ; Di Giacomo ; Echebarria Echabe et Gonzalez
Castro ; Galli ; Vala), de la justice (Robert et Faugeron), de la
solidarité (Clémence) ou des droits de l’Homme (Doise ;
Clémence ; Huguet) indique l’existence d’autres orientations que
nous ne faisons que mentionner.

3.3. Exemple d’une problématique : nature et formes de


l’exclusion

L’innommable déchéance
L’analyse de l’exclusion ne peut se résumer dans les seules
conséquences de la récession économique. Parias, exilés,
réfugiés, persécutés, prisonniers, apatrides ou marginaux forment
depuis des siècles des franges en errance aux portes des cités ou
des grands empires, décrits par Bronislaw Geremek ou Philippe
Sassier (Geremek, 1976, 1987 ; Sassier, 1990). Avec la Révolution
urbaine et industrielle, la question sociale devient le thème
politique et scientifique dominant. La croissance démographique,
la généralisation des modes de gouvernement démocratique, la
multiplication des conflits régionaux, identitaires ou corporatistes,
parallèlement à l’augmentation des frustrations alimentées et
créées par les systèmes de consommation de masse, donnent
naissance, durant le e siècle, à une forme plus intense et subtile
de rejet de l’individu « non conforme ». L’augmentation de la part
de chômeurs de longue durée dans l’ensemble des personnes
sans emploi en France, de 10 % en 1974 à environ 30 % en 1995-
2000 (Lamarque, 1996, p. 36), la précarisation du statut de salarié
et du contrat de travail à durée indéterminée, pendant la période
1980-2000, combinée à la perte de l’emprise des pouvoirs
syndicaux dans les entreprises privées, conduisent à la
métamorphose de la question sociale (cf. titre du livre de Robert
Castel, 1995) dont on se demande si elle sera un jour remplacée
par celle, urgente aussi, du rapport à la nature et à
l’environnement.
Théoriser l’exclusion, c’est donc se placer aux confluences de
facteurs psychologiques, sociaux, économiques, culturels,
historiques et politiques (Ferréol, 1993 ; Neculau et Ferréol, 1999 ;
Paugam, 1994). En étudier les représentations, c’est dérouler peu
à peu les fils de chacun de ses composants. On peut penser que
la folie, le chômage, la privation des droits politiques et humains, la
pauvreté et la maladie composent l’essentiel de cet ensemble
notionnel. C’est d’ailleurs sur ces différentes dimensions qu’un
ouvrage, sous la direction de Jean-Claude Abric, sur les RS et
l’exclusion a été publié (Abric, 1996). Il s’agit d’un thème d’analyse
complexe parce qu’il renvoie aux processus qui conduisent au
malheur et à certains destins funestes. Étudier cet objet
pluridimensionnel, c’est aussi tracer la carte des minorités
stigmatisées portant les marques de la chute « hors les murs » ou
les signes de la malédiction. Parallèlement, il consiste dans le
décryptage des discours des communautés humaines sur le « tiers
exclu », l’innommable, le déviant, le fou ou le bouc émissaire. La
fatalité de ces mouvements vers la négativité voisine enfin avec la
mort et son anthropologie. La relation à l’exclu, qu’il soit condamné
à périr sur un bûcher, malade physiquement ou mentalement,
prisonnier, licencié, mis à l’index, demandeur d’asile ou sans-
papier, laisse perler, imperceptiblement mais sûrement, et sans
l’ombre d’un doute, tout le poids des idéologies, des croyances,
des stéréotypes ainsi que le fonds commun culturel d’une société
qui, en s’appropriant, en refoulant ou en rejetant le cycle fatal de
l’exclusion et ses causes possibles, énonce ce que l’ordre et la
justice du monde peuvent ou doivent être (Bourdieu, 1993).
Abric propose de distinguer deux modes d’approches des RS
relatives à ce phénomène (op. cit., p. 14-15). La première
concerne les représentations agissant chez ceux qui en sont les
victimes et bénéficient des politiques d’aide ou de prévention.
Quelle vision de tels sujets ont-ils d’eux-mêmes et sur quelles
modalités culturelles élaborent-ils leur identité, qu’elle soit perçue,
par eux ou par autrui, comme négative ou non ? Quelles sont les
explications qui sont générées sur les causes et la nature des
problèmes subis ? Quels types de solutions ces groupes exclus ou
stigmatisés envisagent-ils, concernant les difficultés qu’ils vivent
(chômage, maladie, violence, drogue) ?
La seconde dimension se rapporte aux RS que les acteurs de
l’insertion (éducateurs, politiques, administratifs, policiers) mettent
en œuvre quand ils agissent contre l’exclusion et pour les exclus
(perception de leur rôle, de leurs pratiques, de l’efficacité d’une
action et des déviants, c’est-à-dire de leurs « clients » ou publics
éventuels).
On ajoutera une troisième orientation d’enquête à celles qui
viennent d’être énoncées : les représentations sociales des
populations non concernées ou non impliquées par la lutte contre
l’exclusion. C’est dans ces groupes sociaux peu impliqués qu’on
risque de trouver des réflexes psychosociaux et idéologiques,
enfouis dans l’histoire et la mémoire collective, qui se déclenchent
plus facilement face à des entités inconnues ou mal appréhendées
et dont les décideurs politiques ou administratifs peuvent tenir
compte.

La RS de la pauvreté : approche descriptive

Lors d’une enquête par entretiens semi-directifs (Seca, 2008),


menée en Île-de-France, sur la RS de la pauvreté, un corps de
connaissances sur cet objet, support d’analyses ultérieures plus
affinées, a été constitué. Cette représentation est décrite dans trois
groupes de sujets : impliqués (30 individus) ou non (30) dans la
lutte contre la pauvreté, et « pauvres » (20 sujets). Ce dernier
sous-échantillon a été construit en fonction de la définition qu’en
donnent les membres des classes moyennes interrogées
préalablement.

Synthèse des réponses aux questions « Pour vous, c’est


quoi la pauvreté ? » et « Pour vous, c’est qui le pauvre ?
»*
* Pourcentages rapportés à l’effectif par colonne. Tiré
de Seca, 2008.
À la suite de l’analyse de contenu thématique, on remarque une
très forte centration du discours des sujets sur la grande pauvreté
et le dénuement matériel. La personne sans logement (SDF,
clochard, zonard) est unanimement désignée comme le prototype
même de cet ensemble social par 93,8 % des sujets. Deux
enquêtés le soulignent clairement en affirmant, à propos des sans-
domiciles, qu’il s’agit de la « vitrine » de la pauvreté ou de «
l’image » qui vient en premier. Bien sûr, d’autres mots et d’autres
concepts ont été associés à cet objet d’enquête. Mais ce qui
frappe, sans vraiment surprendre, c’est la première place de cet
état dans le comptage des fréquences thématiques. En modifiant
une formule souvent plagiée d’Arthur Rimbaud, tout se passe
comme si le pauvre était vraiment « un autre », presque réduit à
l’état animal, tant son dénuement est vu comme radical et
impensable. Cette mise à distance par « accentuation exotique »
de la souffrance d’autrui semble un mécanisme fortement similaire
à ceux mis en œuvre pour d’autres situations de détresse
(Boltanski, 1993).
Les chômeurs ou les sans-emploi et ceux qui ont du mal à se
nourrir, fréquentant les Restaurants du Cœur, les soupes
populaires viennent juste après. La précarité (extension de statut
salarial à durée déterminée ou assistés, aux ressources proches
ou inférieures au seuil de pauvreté) ou le manque d’argent sont
désignés comme des signes clairs de cette assignation au statut
de pauvre. Le souvenir des bidonvilles, supprimés autour de Paris,
à la fin des années 1970, est objectivé plusieurs fois à travers le
thème de l’insalubrité urbaine, des cités, et le fait d’être mal logé.
La question des banlieues, des habitants des cités HLM, est
évoquée par environ un quart des sujets. Le thème de la
frustration face aux biens de consommation et aux loisirs désigne,
par contiguïté, le « malvivre » dû à l’insuffisance de ressources.
Cette difficulté des « petits budgets » est l’un des seuls éléments
décrivant une pauvreté moins extrême, proche des « gens de peu
», de la réalité ouvrière ou des petits employés. Par conséquent,
être pauvre, aux yeux des classes moyennes parisiennes, c’est
avant tout être démuni, vivre dans la rue ou subir l’absence de (ou
les difficultés liées au) logement. Les notions de souffrance et
d’abattement semblent y être accolées de façon récurrente. La
solitude, l’isolement, conséquences et facteurs de l’exclusion
économique, complètent le tableau de cette définition. Ces
derniers termes soulignent la place notable du thème de la
pauvreté autre que matérielle, exprimé à travers la catégorie «
pauvres en clairvoyance, manipulables » (43 %). Cette dernière
référence renvoie au sentiment que l’éducation, la maîtrise
intellectuelle, le diplôme ou la formation constituent des remparts
contre la déchéance. L’idée que tout le monde peut être frappé par
l’exclusion (35 %) émerge à travers des formules telles que la
dégringolade, le cercle vicieux, la chute (41 %), rappelant, de
façon incidente, le phénomène de la disqualification sociale
(Paugam, op. cit.), dit de la « nouvelle pauvreté ». On dénomme
alors un processus plus qu’un état ou une « donnée naturelle ».
Ces énoncés sur la nouvelle pauvreté et la chute, l’enchaînement
fatal qu’elle implique, sont très peu formulés chez les sujets
pauvres (2 sur 20 et 0 sur 20).
La catégorie « déliaison familiale, divorce, séparation, décès »
est mise en exergue bien plus souvent par les sujets impliqués
dans la lutte contre la pauvreté (14 sur 30, contre 7 sur 30 pour les
non-impliqués), ce qui reflète peut-être une connaissance plus
approfondie des dossiers biographiques des exclus. Dans la
continuité de cette différence, les impliqués sont plus nombreux à
parler de l’abattement psychique et de la souffrance (24 sur 30,
contre 15 sur 30 chez les non-impliqués).
Notons aussi que les sujets des classes moyennes non
impliquées (17 sur 30, contre 7 sur 30 pour les impliqués)
souscrivent plus fréquemment à l’idée d’un relativisme culturel ou
d’une relativité de l’être pauvre. Des périodes historiques,
géographiques ou des situations, pires que celles vécues en
France, servent ainsi de support pour spéculer sur la réalité
insupportable de ce problème ou bien afin d’en atténuer, d’en
éviter ou d’en reformuler la gravité. « Il y a ou il y a eu plus
malheureux que… » est une expression sous-jacente aux
propositions qui s’y rapportent. Par contraste, les sujets « pauvres
» n’adhèrent ni spontanément, ni explicitement à cette philosophie
(0 sur 20).
Miséreux, mendiants, sans logis ou familles en errance dans les
pays du tiers-monde, les pauvres sont aussi peints sous les traits
d’assistés, aidés, secourus (26 %) ou comme des personnes à qui
doivent s’appliquer les droits sociaux et humains élémentaires
(31 %).
L’analyse de l’énonciation des besoins attribués aux pauvres
(tableau non présenté dans ce livre) permet de relever des
différences intéressantes entre les divers groupes de sujets. Le
logement est largement placé en tête des attributions faites sur
cette question (87 % des interviewés). Relevons cependant la
place notable accordée, par les sujets non impliqués dans la lutte
contre la pauvreté, aux manques alimentaires (26 sur 30) ou
d’habillement (14 sur 30), comparativement à ceux des impliqués
(18 sur 30 et 8 sur 30), ce qui peut expliquer les stratégies de
présentation de soi des mendiants à Paris ou ailleurs (centration
de leur discours quémandeur, adressé au public des transports,
sur le « manger » et le « rester propre ») qui redoubleraient
intuitivement, en la mettant en scène, la hiérarchie des besoins
élémentaires perçue chez les gens non impliqués dans la lutte
contre la pauvreté.
Les sujets pauvres valorisent, pour leur part, l’insertion par le
travail, qui est en deuxième position, juste après le besoin de
logement, confirmant des résultats issus d’un test d’association de
mots (Seca, 2003). Ils sont proportionnellement un peu plus
nombreux à accorder de l’importance à la dimension « argent ».
L’alimentation vient, pour eux, en troisième position. Ce qui tend à
confirmer l’idée, avancée par les spécialistes de la lutte contre
l’exclusion, interrogés dans cette recherche que l’on peut manger
à Paris sans trop de difficultés. Les impliqués placent d’ailleurs le
besoin de socialisation et de relation sociale en deuxième position,
avant la nourriture et le travail. Si l’on ajoute à la socialisation
(13 sur 30 chez l’ensemble des impliqués), le fait d’accéder à la
dignité d’un statut (9 sur 30) ou d’autres besoins culturels (loisirs),
psychiques ou affectifs (famille, donner du sens à sa vie, avoir
confiance en soi), est entérinée l’idée que l’on parle
essentiellement, dans nos entretiens auprès des acteurs de la lutte
contre la pauvreté, d’un phénomène de désaffiliation. L’énonciation
de l’emprise de ces manques psychiques ou de socialisation trace
le portrait d’une certaine rudesse des communications
interpersonnelles en région parisienne allant à l’encontre de
l’image d’opulence d’une agglomération qui demeurait, par ailleurs,
la région la plus riche d’Europe, selon une enquête de l’Insee
d’août 1998.
La clémence des acteurs impliqués dans l’aide sociale
transparaît dans les résultats de la question sur la responsabilité
du pauvre. Ces sujets mettent éventuellement en avant l’idée
d’une responsabilisation thérapeutique des assistés plus qu’une
attribution de responsabilité comptable ou morale. Les sujets
impliqués (20 sur 30 contre 12 sur 30 pour les non-impliqués)
affirment plus explicitement que les pauvres ne sont pas
responsables de leur situation. Ajoutons, en passant, qu’aucun des
soixante sujets interrogés sur cette question n’affirme que les
pauvres sont responsables de ce qu’ils vivent. Beaucoup, surtout
chez ceux non impliqués dans l’aide aux pauvres, définissent une
responsabilité personnelle mais limitée des exclus (18 sur 30
contre 10 sur 30 chez les impliqués). Ces résultats sont, à notre
avis, significatifs d’une tendance, souvent relevée, à l’attribution
interne, chez les observateurs, d’une injustice ou d’une souffrance
(Lerner, 1980). Cet automatisme sociocognitif idéologique signifie
que la première réaction d’un sujet non concerné par une situation
pénible, est de considérer que la personne victime d’un problème
ou d’une souffrance est à l’origine ou responsable de ce qu’elle vit.
Les données semblent renvoyer à une logique inverse lorsque les
locuteurs ont une expérience de l’aide aux pauvres. Ces chiffres
sont confirmés par des indices comme la fréquence du thème : «
responsables quand ils ne répondent pas aux critères de
rentabilité du système de la concurrence en entreprise », qui est
mentionné par 5 sujets sur 30 non impliqués contre 0 sur 30 chez
ceux qui le sont.
Bien d’autres données pourraient être décrites. Ce que nous
venons de livrer est une petite partie d’une analyse de contenu
thématique plus vaste. Est-il utile d’ajouter que les tests
d’association d’idées confirment ces tendances, ainsi que la
première place, en fréquence, du sans-domicile-fixe comme
prototype de ce groupe social, aux contours bien plus flous qu’on
ne le pense ?

3.4. Réseaux, colloques et sites web

Les RS donnent lieu à divers développements tant en Europe


dans les autres parties du globe. Depuis les années 1980, on a
assisté à un réel essor de ce courant et à sa diffusion mondiale.
L’existence de revues comme Papers on Social Representations
(revue accessible en ligne : http://www.psr.jku.at), le JIRSO
(Journal international sur les représentations sociales),
Psychologie et société en sont des signes parmi d’autres. Des
conférences internationales et des universités d’été sont
régulièrement organisées depuis 1991 dans divers centres
académiques. Donnons quelques exemples de ce type de
manifestations :
– IVe Conférence internationale, L’ére des RS, dans la ville de
Mexico, du 25 au 28 août 1998 ;
– Colloque international, La Pensée sociale : questions vives, à
Montréal, les 29, 30 avril et 1er mai 1999 ;
– Journées scientifiques de la MSHS de Poitiers,
Représentations, du 5 au 7 mai 1999 ;
– Ve Conférence internationale, Représentations sociales,
constructions nouvelles, à Montréal, du 29 août au 3 septembre
2000 ;
– IXe Conférence internationale Productions Alternatives de
Savoir et Représentations Sociales, du 30 juin au 5 juillet 2008, la
XIe Conférence internationale se déroule en Tunisie en été 2010.
Sous l’égide de l’Union européenne, une formation de doctorat
européen axé sur les représentations sociales et la communication
(http://www.europhd.eu/), coordonnée par le professeur De Rosa
de l’Université de Rome (Università degli Studi La Sapienza),
existe depuis 1996, dans le cadre d’un réseau dense d’universités
de différents pays (MSH et EHESS de Paris, Universités d’Aix-
Marseille, Paris-VIII, de Genève, de Vienne, de Linz, d’Helsinki, de
Lisbonne, du Pays Basque, de Valence, de Cambridge ainsi que la
London School of Economics and Political Sciences…). Ce
doctorat européen est aussi associé à un réseau international de
recherche spécialisé reliant tous les centres et laboratoires
effectuant des travaux sur les RS : le So. Re. Com Thematic
Network Excellence :
http://www.europhd.eu/html/_onda03/01/00.00.00.00.shtml on y
trouve des données bibliographiques, des documents, des
adresses et divers renseignements sur ce champ de recherches et
ses protagonistes.
Il faut enfin signaler l’importance historique et scientifique du
Laboratoire de psychologie sociale de l’EHESS de Paris qui a
permis de fertiliser et de croiser différentes thématiques de travail
sur les communications, les influences sociales, les
représentations et la mémoire collective (activités, publications)
sous l’impulsion de Serge Moscovici, Denise Jodelet et de leurs
divers collaborateurs dont Bernard Personnaz, en 2010.

À retenir
Abondance de définitions ne nuit pas. Même s’il faut savoir utiliser le rasoir
d’Occam à bon escient, la diversité des définitions des RS fait émerger les
notions de système sociocognitif hiérarchisé et de principe organisateur des
activités symboliques et cognitives en articulation avec l’insertion sociale et les
pratiques. On retiendra aussi la distinction entre « processus » et « produit » :
une représentation ayant la propriété d’être les deux à la fois.
Les objets de RS sont essentiellement générés suite à un manque relatif
d’informations par rapport à leur référent et en fonction de l’existence d’un
degré de consensus ou de dissension dans le groupe qui les élabore. De tels
objets doivent être pluriels, complexes, polymorphes, inconnus ou peu
connus. Ils peuvent aussi être très familiers mais sources de polémiques, de
conversations, de rêves, de répulsions et d’une dynamique sociale.
Ce champ de recherche est en fort développement en France et sur le plan
international. L’activité de revues, de laboratoires, de réseaux spécialisés,
divers sites internet et de nombreuses publications l’attestent.
DEUXIÈME PARTIE

PHÉNOMÉNOLOGIE
Chapitre 3

Processus, fonctions et organisation


1. Deux mécanismes essentiels
2. De nombreuses utilisations
3. Relations internes

1. Deux mécanismes essentiels

1.1. Objectivation

Deux processus fondamentaux gouvernent l’émergence et


l’organisation d’une représentation sociale : l’objectivation et
l’ancrage. Une RS se constitue en éléments, résumant l’objet
qu’elle appréhende, dans une nouvelle pensée qui le double en le
transformant. L’objectivation (ou réification) permet à un ensemble
social d’édifier un savoir commun minimal sur la base duquel des
échanges entre ses membres et des avis peuvent être émis. Elle
caractérise l’un des aspects de la construction représentationnelle
et se déroule en plusieurs phases :
– la sélection ;
– la formation d’un schéma figuratif ;
– la naturalisation.
La sélection implique un filtrage de l’information disponible sur
l’objet de représentation, donnant lieu à des distorsions, des
inversions, des réductions, des rajouts de certaines données et/ou
à des évaluations, des éliminations, des rétentions et des
suppressions d’attributs. Ces altérations, ou biais cognitifs,
résultent de l’intervention du mode de pensée, de l’idéologie, du
cadre culturel et des systèmes de valeurs de ceux (groupes et/ou
individus) qui accueillent un objet ou un phénomène nouveau ou
réévaluent un domaine familier.
Une décontextualisation des informations se rapportant au
référent originel des RS accompagne cette appropriation. Il s’agit,
par exemple, de dépouiller une science ou un phénomène
d’actualité de ce qui les rend inaccessibles ou non adaptés à
l’échange.
Dans le même temps, se forme un schéma figuratif, c’est-à-dire
une image qui fait sens et est cohérente pour l’acteur. Cette
structure, nouvelle par rapport à l’objet, est à l’origine de/et
cristallise le processus représentationnel. Il donne lieu à la
matérialisation et à la simplification du phénomène représenté.
Ainsi la complexité conceptuelle est ajustée à la pensée des
acteurs.
Un exemple, souvent cité, est celui de la RS de la psychanalyse
(Moscovici, 1976). Dans l’image qu’ils se font de cette science, la
plupart des membres des groupes questionnés vont, le plus
fréquemment, éliminer la notion de libido, tout en mémorisant la
structure théorique du conflit psychique décrite par Freud (1905).
Ainsi, le conscient et l’inconscient sont conservés avec la notion de
refoulement, favorisant, dans l’esprit des sujets interrogés,
l’apparition de complexes. La libido, qui renvoie à une hypothèse
forte sur l’étiologie de la névrose, à l’énergie sexuelle et à la
sexualité en général, non compatibles avec le système de valeurs
des sujets interrogés dans les années 1950, est donc souvent
absente de cette schématisation.
De la même façon, l’insaisissable et mystérieuse énergie
nucléaire peut être figurée par le tristement fameux champignon
atomique ou bien, chez des enfants, par des nuages radioactifs,
lors de l’année de la catastrophe de Tchernobyl (Galli et Nigro,
1990 ; voir encadré n° 12, p. 101).
Par la naturalisation, les idées psychanalytiques sont traduites
en outils de communication entre les acteurs. Le concept ou la
théorie scientifique, après avoir été transformés en images et en
éléments faisant sens dans l’esprit du sujet, perdent leur caractère
de reconstruction et sont apparentés à des entités autonomes,
naturelles, objectives. Celles-ci deviennent la réalité sur laquelle et
à partir de quoi on agit et communique. L’appropriation de notions
psychanalytiques, telles que « complexe » ou « inconscient », se
fait sous cette forme. Le premier terme se transforme, par
exemple, en qualificatif (« untel est complexé ») ou en
caractéristique personnelle que l’on croit localiser dans la position
du corps ou la timidité de tel ou tel ami. Désigné comme le noyau
figuratif de la RS de la psychanalyse, il reçoit le premier rang de
fréquence auprès des sujets interrogés (Moscovici, 1976, p. 116).
« De la sorte le complexe, l’inconscient ne sont pas seulement
des notions, mais des termes matérialisés, des organisations
quasi physiques […]. On parle également de la “ partition” du
“mélange” de l’inconscient et du conscient ; le complexe ne
traduit pas un rapport, mais bien quelque chose de particulier,
une sorte d’état ou d’organe. »
Ibid., p. 124

L’inconscient est « inquiet ». On « acquiert », on « dégage »,


voire même on « enlève » un complexe, comme on le ferait en
chirurgie pour une partie du corps. Cette identification du concept
et du réel est opérée par l’assimilation du psychologique et du
physiologique, dans une forme d’« animisme renversé » (ibid.,
p. 125). « L’appareil psychique devient un appareil tout court »
(ibid., p. 126), conformément à une conception techniciste de la
science expérimentale (agissant sur des matérialisations visibles,
etc.). Les notions psychanalytiques sont ainsi « naturalisées ». On
fait comme si elles avaient « un statut d’évidence ». L’auteur les
qualifie de « théories profanes autonomes », servant, par ailleurs,
à catégoriser, classer et dénommer les personnes et les
comportements (ibid., p. 126-151).
6. Une analyse de la RS du sida et des sidéens
Le même genre de sélection, de structuration d’un noyau et de
naturalisation, est apparu avec l’épidémie du sida, au début des années 1980.
Les malades étaient notamment perçus comme des « déviants pervers ». «
Avant que la recherche scientifique n’apporte quelques clarifications sur sa
nature, les gens ont élaboré des “théories” en s’appuyant sur les données dont
ils disposaient, concernant les porteurs (homosexuels, drogués, hémophiles,
transfusés) et le vecteur (sang) de ce mal » (Jodelet, 1989a, p. 32.)
Cette image-là de la maladie a servi, aux millions d’hétérosexuels ou aux
professionnels des médias, de moyen pour une mise à distance vis-à-vis d’un
phénomène inquiétant, mal appréhendé, sinon inconnu. On peut facilement
imaginer les problèmes de santé publique posés par la diffusion de ce type
d’image.
Deux types d’interprétation ont alors émergé, au début de cette épidémie :
dans un premier cas, on la perçoit comme une « maladie-punition » « frappant
la licence sexuelle » ; dans un autre, on la considère comme extrêmement
contagieuse, au-delà de ce qui est rationnellement admissible. « Marková et
Wilkie ont ainsi relevé dans la presse des expressions où le sida est, comme
le fut la syphilis, donnée pour effet d’une société permissive, condamnation
des “conduites dégénérées”, punition de l’“irresponsabilité sexuelle”, fléau dont
“les bons Chrétiens qui ne rêvent pas de se conduire mal” sont épargnés.
Elles observent corrélativement un repliement sur les valeurs familiales
traditionnelles qui est à la fois un garant de la protection contre la maladie et
une défense d’un ordre moral conservateur. D’où la dénonciation des mesures
visant à assurer une vie sexuelle libre mais saine, par l’usage des préservatifs
notamment » (Jodelet, op. cit., p. 32 ; Marková et Wilkie, 1987).
L’autre dimension de la représentation de cette maladie fait émerger une
perception spécifique du mode de contamination qui « se ferait aussi par le
canal de liquides corporels autres que le sperme, en particulier, la salive et la
sueur ». Il s’agit d’anciennes croyances sur les « humeurs », observées par
Jodelet dans la RS de la maladie mentale. « Ces croyances […] rapportent la
contagion par les liquides corporels à leur osmose avec le sang et le sperme.
Ainsi en va-t-il pour la maladie mentale dont la dégénérescence affecte les
nerfs, le sang et se transmet par la salive et la sueur. » Le sida ou la syphilis
se propageraient de la même manière dans l’esprit de ceux qui adopteraient
ce mode de pensée, malgré les démentis des scientifiques. « Cette
résurgence de croyances archaïques s’opère à la faveur d’un manque
d’information. Mais sa force tient aussi à sa valeur symbolique : le danger du
contact corporel est, depuis l’Antiquité, un thème récurrent du discours raciste
qui utilise la référence biologique pour fonder l’exclusion de l’altérité. »
Rappelons, en effet, les funestes connotations de néologismes, émanant de
partis extrémistes, comme « sidaïques » ou « sidatorium ».
Bien entendu, depuis cette époque, de nombreuses recherches ont été
entreprises (Apostolidis, 1994, 2000 ; Bosio ; Bastien ; Bueno ; Comby ; Devos
et Deschamps ; Moatti, M. Morin, 1994, 1999 ; Rangel). La conception des
relations intimes chez les adolescents, la vision de l’amour, des malades eux-
mêmes, des pratiques de préventions, l’attitude des professionnels de la santé
et d’autres aspects sont approfondis, par exemple, dans le cadre de l’Agence
nationale de recherche sur le sida (http://www.anrs.fr/).

1.2. Ancrage

L’ancrage complète le mécanisme de l’objectivation. Il le


prolonge dans sa finalité d’intégration de la nouveauté,
d’interprétation du réel et d’orientation des conduites et des
rapports sociaux. Si objectiver, c’est « résorber un excès de
significations en les matérialisant » (Moscovici, 1976), ancrer une
représentation consiste dans l’activité de l’enraciner dans l’espace
social afin d’en faire un usage quotidien. L’ancrage permet
l’utilisation concrète et fonctionnelle de l’objet de RS, qui est
parallèlement filtré, décontextualisé, schématisé et naturalisé.
« [Ainsi], la société change l’objet social en un instrument dont
elle peut disposer, et cet objet est placé sur une échelle de
préférence dans les rapports sociaux existants […]. Le processus
d’ancrage […] transforme la science en savoir utile à tous […].
L’objectivation transfère la science dans le domaine de l’être et
l’ancrage la délimite dans celui du faire, pour contourner l’interdit
de communication […]. Par exemple, on procède par ancrage
quand on prétend expliquer la diffusion de la génétique par ses
rapports avec la guerre biologique ou la médecine et qu’on laisse
dans l’ombre ses prolongements théoriques, avec les
modifications qu’ils entraînent quant à la conception de la nature,
de l’homme ou de la religion. »
Moscovici, 1976, p. 171

Le lien entre les deux processus (objectivation et ancrage) est


dialectique. Il peut être repéré au moyen de la notion de
naturalisation dont les traductions concrètes (domaine de l’être)
sont utilisées par les acteurs et les groupes (domaine du faire) et
ne semblent pas différentes dans l’objectivation et l’ancrage. En
effet, le premier mécanisme décrit comment se forme une
représentation, et le second comment elle est modulée, pratiquée
en fonction des groupes, de leurs objectifs pratiques, des
systèmes de pensée et des cadres interprétatifs préexistant. Mais
pour se construire ou être objectivée, une RS doit pénétrer dans
un système (culturel, cognitif et représentationnel). Ce qui suppose
une insertion dans un ensemble de rapports sociaux complexes.
Objectivation et ancrage se déroulent parallèlement et en contexte.
Seulement, dans les travaux empiriques, ils peuvent être
présentés séparément. Ceci est précisé car de nombreuses
incompréhensions sont constatées lorsqu’on présente ces deux
processus auprès d’un public de non-spécialistes.
L’ancrage renvoie à une intégration ou à un enracinement de
l’objet de RS dans un cadre de référence préexistant
(représentations, idéologies, attitudes, croyances, valeurs,
conduites, groupe…) et se manifeste de plusieurs façons (Doise,
1990 ; Jodelet, 2003).
Cette insertion peut conduire, dans certains cas, à une altération
du cadre de pensée originel. On parlera alors de conversion. Le
collectif accueille la nouveauté en la filtrant, mais l’impact de cet
objet (crise économique, épidémie, catastrophe, nouvelles
pratiques politiques ou technologiques, innovations…) est tel qu’il
implique un changement de mentalité. Même si certains des
aspects du phénomène représenté sont niés, la prise en compte
d’une référence alternative pour penser et agir est avérée.
Cette intégration peut aussi être opérée par une appropriation
du nouveau en le classant dans des catégories et un système
d’idées déjà connus. On a ainsi affaire à un mouvement de
familiarisation de l’étrange, d’inversion, de normalisation ou de
conformisation. En reprenant le même exemple que
précédemment, au début de son apparition, le sida a été qualifié
de « peste du e
siècle ». La psychanalyse, dans l’enquête de
Moscovici, est comparée à des pratiques plus courantes comme la
confession chrétienne ou la conversation. Cette appropriation est,
bien sûr, liée à l’appartenance religieuse, culturelle, politique, au
statut et à la position des acteurs.
« Il se constitue alors un mouvement plus vaste de
significations collectives, lequel renverse celui qui mène à
l’objectivation. »
Moscovici, 1976, p. 173

L’ancrage permet aux éléments représentés d’être transformés


en fonction des types de rapports sociaux et diversement formulés
dans les multiples strates de la société. Ce mécanisme se
manifeste par un usage finalisé, incarnant des intérêts ou, en
d’autres termes, par une instrumentalisation par les acteurs de
l’objet représenté. Un sens ou une orientation évaluative est
assigné aux catégories descriptives qui ont été sélectionnées,
structurées en un modèle figuratif, puis naturalisées.
Par exemple, la psychanalyse va exprimer ou incarner un
attribut de groupes sociaux (les riches, les femmes, les
intellectuels), des relations entre ceux-ci (luttes des classes ;
antagonisme franco-américain), un système de valeurs ou de
contre-valeurs (liberté opposée à emprise de l’inconscient), un
emblème ou un signe (la vie sexuelle libérée). Ces catégories
permettent aux acteurs d’interpréter leurs relations à leur
environnement et correspondent à des cognitions normatives et à
des attentes (cf. la section 3 du chapitre 3).
L’ancrage reflète surtout, comme pour une traduction
mutilinguistique, une diversification et une modulation du savoir
commun d’une RS. Il n’y a ainsi pas de contradiction entre les
dimensions consensuelles d’une représentation et ses variantes,
liées aux appartenances sociales, aux contextes culturels et aux
individus qui l’actualisent dans leur environnement quotidien.

2. De nombreuses utilisations
2.1. Construction de la référence et identité

Systèmes de savoirs et de catégories

En tant que savoir pratique, de sens commun, une RS «


contribue exclusivement aux processus de formation des
conduites et d’orientation des communications sociales »
(Moscovici, 1976, p. 75). Les médias et les contenus qu’ils
diffusent ont un impact tel que le renouvellement des
connaissances et des informations des acteurs d’une société est
continu. Une nécessité de construction des catégories
collectivement partagées conduit à la genèse et à la reconduction,
même partielle, de ces systèmes symboliques qui ont la
particularité d’être un cadre cohérent d’informations utiles,
pondérées en fonction des positions sociales de chacun et de
l’évolution de l’actualité. Cette co-construction de la réalité renvoie
aux logiques pragmatiques du langage décrites dans l’activité
communicative et les conversations (Bromberg, Chabrol,
Charaudeau, Ghiglione, Larrue ou Trognon). La fonction
référentielle de tels systèmes se traduit par des processus de
catégorisation (Tajfel, 1972) et d’attribution (Deschamps et
Beauvois, 1996). Dans un langage plus imagé et pédagogique,
Lahlou parle des RS comme de « collections de définitions du
monde et de ses parties », de « catalogues des formes possibles
permettant aux sujets de s’orienter et d’agir sur son environnement
» ou de « modes d’emploi collectif du monde » (Lahlou, op. cit.,
p. 11-13).

Productions identitaires

Ces constellations symboliques, régulant fortement les relations


entre groupes (ancrage, fonctions normatives et organisatrices du
noyau central, principes organisateurs), sont, avant tout, des
moyens que se donnent ceux-ci pour assurer leur cohésion et un
consensus minimal. Être en groupe, c’est se représenter comme
tel à travers les signes, les emblèmes, les images et les croyances
communes. Les formations musicales underground, comme celles
de rap et de rock, sont de bons exemples de la formation d’une
identité à travers des chansons, un style musical, un rythme, mais
également un mode de vie et des croyances partagées (Seca,
2001, 2007).
L’étude des rapports intergroupes illustre, par de nombreux
résultats (Doise ou Lemaine ; Sherif, Tajfel ou Turner), la tendance,
chez tout sujet, à surestimer les caractéristiques de son propre
collectif et à dévaluer celles des autres afin de conserver une
perception positive de soi et de son entourage. Les
représentations sont alors des émanations culturelles de la
communauté ou d’une organisation, renforçant ces formes de
catégorisation et le sentiment d’appartenance des individus,
parfois même, par des conduites de conformité supérieure de soi
(effet décrit notamment par Jean-Paul Codol).
Il faut aussi rappeler que toute une tradition de psychanalyse
groupale, dont on citera, pour les plus connus en France, Didier
Anzieu ou René Kaès, accorde un statut privilégié à la notion de
RS dans l’étude des phases de développement, mais aussi des
dérives des conduites en collectif, de l’interidentification entre des
membres de groupes de diagnostic aux formes culturelles
démocratiques et indépendantes, sources de pratiques plus
adéquates.

2.2. Normativité et justification a posteriori des conduites

Emprise prescriptive

Cette fonction évoque l’essence d’une représentation car elle


suppose une relative détermination des conduites par les formes
cognitives ou symboli ques. Mais cette emprise ne se limite pas à
un tel schéma. Les RS en influencent d’autres : une suite plus ou
moins secrète et lente d’interactions, d’abord mentales, peut
présider à la genèse des comportements. Puis, la fonction
d’orientation et de prescription d’une RS se traduira par des
différences de statut de ses composants (certains étant plus
normatifs, incontournables, d’autres fonctionnels, d’autres encore,
plus périphériques).
Une telle caractéristique pourra inciter un ensemble humain à
organiser une réunion de travail en fonction de la perception qu’il
aura de ses objectifs (créativité opposée à rigueur logique, par
exemple ; centration sur la tâche ou sur les relations entre les
participants). La définition des buts d’une situation, les attentes et
les anticipations conditionnent très fortement l’accomplissement de
toute activité y compris pendant son déroulement.
Les recherches d’Abric (1987) concernant l’influence de l’image
du partenaire sur la réalisation d’un jeu comme le dilemme du
prisonnier illustrent cette fonction. Dans une des manipulations, les
sujets sont fictivement mis en compétition, soit avec une machine,
soit avec un être humain. Deux types de réponses aux problèmes
posés par le jeu, attribués au partenaire fictif (machine ou être
humain), sont alors formalisés et renvoyés aux sujets de
l’expérience : l’un est rigide (nombre identique de réponses
coopératives ou compétitives réparties au hasard) ; l’autre est
adaptatif (la réponse trouvée par le sujet naïf lui est renvoyée en
écho, à l’identique, par son partenaire fictif, donc par les
expérimentateurs). Dans ce dernier cas, si le sujet de l’expérience
a une représentation coopérative de l’interaction, il affrontera un
joueur élaborant le même type de réponse que lui. Quel que soit
son comportement, il se retrouvera, sans le savoir, face à sa
propre stratégie. Le but est ainsi de mesurer quel est l’effet de la
représentation du partenaire en matière de coopération ou de
compétition avec autrui.
D’après les résultats et très succinctement, on peut dire qu’on
est toujours plus coopératif face à un être humain, quelle que soit
la réalité du comportement adopté par ce dernier (rigide ou
adaptatif). La représentation du partenaire influence donc
effectivement la conception de la tâche. Un comportement
adaptatif, vu plus positivement chez un joueur humain, est, s’il est
attribué à une machine, plutôt décrypté comme rigide ou
stratégique (Abric, 1987, p. 149-163).

7. L’effet Pygmalion
Les expériences de Robert Rosenthal et Lenore Jacobson sur la perception
de l’intelligence des élèves chez des instituteurs illustrent, sans que ceux-ci se
revendiquent du courant dont on parle dans ce livre, cette fonctionnalité des
RS (Rosenthal et Jacobson, 1968). On annonce alors à des enseignants du
Primaire, en début d’année scolaire, qu’une partie de leur public a obtenu des
résultats à des tests d’intelligence qui la classe dans la catégorie des élèves
précoces alors qu’il n’en est rien : en fait, tous les enfants de la classe
obtiennent un score normal à ces tests. On laisse aussi croire aux instituteurs
que ce genre de mesure permet de prédire la réussite scolaire.
La représentation implantée dans l’esprit de ces pédagogues va ainsi agir
sur leur pratique et augmenter leur attention pour les 20 % de leur classe,
positivement évalués et choisis, en réalité, au hasard dans l’échantillon
d’observation. À la suite d’une période de temps assez longue (quatre, huit et
vingt mois après), ceux-ci s’avèrent être devenus des individus plus studieux,
mieux notés et obtenant effectivement des résultats supérieurs aux tests (+ 10
à 15 points) qu’ils avaient déjà passés en début de formation. Dans certains
cas, les attentes sont prescriptives de comportements éducatifs. Elles finissent
par produire une conduite qui n’existait pas objectivement au départ.
Ce phénomène n’a pas été fondamentalement remis en cause depuis ces
recherches, même si certaines discussions méthodologiques sur les effets des
attentes des expérimentateurs sur les sujets « manipulés » ont été engagées,
y compris par les auteurs eux-mêmes. Divers travaux, aux États-Unis, ont
confirmé l’existence de ces prédictions créatrices et des conséquences
stigmatisantes des préjugés. (J.-C. Croizet et J.-P. Leyens, 2003 ; Rosenthal,
1969). Les études sur les effets de la représentation de la tâche, du groupe,
de soi, d’autrui ou du partenaire (Abric, 1987 ; Codol, 1979) ont permis
d’explorer le fonctionnement d’autres aspects du même mécanisme.

Des gisements de savoirs malléables

Du fait de leur caractère générique et de leur spécificité de «


poches de savoirs » disséminées, pouvant rester inutilisées
pendant de longues périodes, les RS sont des sources de
légitimation des conduites et des prises de position particulières.
Elles peuvent fournir des connaissances, des valeurs, des
explications pour maintenir une habitude, favoriser une
discrimination, justifier une inégalité ou un événement
extraordinaire. Proche et complémentaire de l’activité de
rationalisation (cf. la section 1 du chapitre 6), cette fonction est
active dans des relations de pouvoir, de dépréciation de groupes
avec lesquels on se retrouve en situation de compétition, ou dans
des rapports qu’une majorité entretient avec une minorité
(sexuelle, de génération, ethnique…). Ici, les RS sont
probablement consécutives ou parallèles aux pratiques
discriminantes. Elles tendent à favoriser la permanence de
différences de statut ou d’appartenance sociale. Elles voisinent
avec des notions de stéréotype, de préjugé ou de valeur.
Sur un autre plan, cette fonction de légitimation a posteriori des
conduites ou des événements correspond à la mise en œuvre
d’une activité de réduction du degré de dissonance cognitive,
c’est-à-dire d’atténuation de l’impression d’inconfort mental, de
contradiction émergeant face à des situations non prévues et
opposées aux croyances d’un sujet (cf. Beauvois et Deschamps,
1996, pour une présentation synthétique de cette théorie proposée
par Léon Festinger).
La prédiction de la fin du monde, sous la forme d’un grand
déluge, par une secte des années 1950, les Seekers, inspirés par
Marian Keech, recevant des messages d’habitants de la planète
Clairon et croyant que des soucoupes volantes viendraient
recueillir les « élus » le 21 décembre, a été l’objet d’une
ethnographie sur L’Échec d’une prophétie (Festinger et al., 1956).
La prévisible non-survenue de cette catastrophe majeure généra
dans le groupe une explication pendant les jours qui suivirent le
21 décembre, visant à réduire le malaise engendré par le grand
désaveu. L’idée avancée par certains Seekers fut que leur
engagement avait permis de sauver le monde et que les
extraterrestres avaient « hésité » à se manifester, par peur de la
foule, assemblée le soir prévu pour leur venue.
À ce moment-là, les adeptes de Mrs Keech se serrèrent les
coudes et firent preuve d’un plus fort prosélytisme, recherchant
n’importe quel indice ou message codé pour connaître la suite à
donner à leur croyance. Une subite ouverture à la presse et une
suractivation cognitive, après de longs mois de secret et d’attitude
méfiante vis-à-vis de l’extérieur, succédèrent à cette crise majeure
de l’espérance. D’autres membres de la secte abandonnèrent leur
foi, durant cette période, la reformulation de leur système de
pensée étant due, dans ce dernier cas, à un plus grand isolement
par rapport au groupe des Seekers. Sur la base de ce cas clinique,
on comprend que les représentations supposent la déclinaison,
successive ou parallèle, de plusieurs de leurs fonctions afin de se
maintenir.

8. Fatalité des stéréotypes et idéologie du « grand public


»
Les relations de discrimination interethnique sont de tristes exemples de
cette tautologie et des « bégaiements » inhérents aux stéréotypes et des
formes de « savoirs » et de croyances qu’ils impliquent. Les membres de tel
ou tel groupe social sont vus comme violents ou voleurs. L’exemple de la RS
des Gitans, étudiée par Jorge Correia Jesuino et ses collaborateurs au
Portugal, montre bien l’existence de survivances interprétatives, traversant les
siècles (voir aussi Bigazzi, 2009). La complexité de la question est accrue par
la confirmation partielle de ces stéréotypes à travers des statistiques sur la
délinquance qui peuvent traduire, notamment, les effets d’une inégalité
économique et sociale ou des préjugés intergroupes. Du coup, il y a de fortes
probabilités pour que certains employeurs augmentent leurs réticences face à
l’embauche d’un membre de ce type de groupe (Arabes en France,
Hispaniques ou Afro-américains aux États-Unis). Ce qui peut générer des
insultes ou des conduites déviantes chez tel ou tel individu discriminé et
confirmer les préventions et les stéréotypes à leur encontre.
Dans un autre registre, les contenus des programmes de télévision « grand
public » sont élaborés à partir d’un raisonnement du même genre. « Le public
ne veut pas faire d’efforts intellectuels entre 18 heures et 23 heures » est une
assertion justifiant et entérinant des pratiques liées à des intérêts de
commercialisation et d’écoulement de produits d’industries de l’audiovisuel.
Les téléspectateurs, fortement influencés dans leurs goûts par la culture des
médias et sondés sur « leurs désirs » au moyen de questionnaires orientés,
finissent par correspondre à l’image qui leur est dispensée, quotidiennement
et depuis des années, dans les émissions et les divertissements, investis alors
par tout un ensemble de professionnels de la communication et de financiers,
réunis par une culture commune de « ce qu’“est” le grand public » (Wolton,
1990). La boucle se ferme alors sur elle-même et autour de ces
préconceptions.
La fonction prescriptive et celle de justification, après coup, des conduites
peuvent en fait se recouvrir. Un stéréotype ou une idéologie tendent à
entériner un état de discrimination ou une domination et finissent par peser sur
les normes, les attentes et les croyances au point de devenir des attributs «
naturels » et des outils de connaissance, des références créatrices de
pratiques conformistes chez les dominés et les exclus autant que chez ceux
qui les stigmatisent ou les persécutent. De la même façon, les systèmes de
savoirs développés par les seekers, durant la phase d’attente précédant la
date du 21 décembre, leur servent comme supports de légitimation de leur
comportement et comme normes d’orientation des conduites dans une
situation d’indétermination.

3. Relations internes

3.1. Systèmes centraux et périphériques

La théorie du noyau central (NC)

L’approche structurale du système organisateur des RS vise à


favoriser une plus grande opérationnalisation des enquêtes dans
ce domaine et un meilleur contrôle de la consistance de la notion.
Abric rappelle que Fritz Heider parlait, dès 1927, de « noyaux
unitaires, conditionnés de façon interne », de « centres de texture
causale du monde » ou de « noyau causal de l’environnement »
(Abric, 1987, p. 68). Son origine se situe aussi dans la définition de
l’objectivation et du schéma figuratif, émergeant lors de la
construction d’une représentation. Ce modèle reproduit l’objet de
RS de façon sélective et remplit trois fonctions :
– jonction entre l’objet de connaissance, par exemple la théorie
psychanalytique, et sa représentation ;
– traduction immédiate du réel et passage de l’abstrait au
directement accessible : le complexe joue ce rôle illustratif dans
l’élaboration de la RS de la psychanalyse ;
– élimination ou minoration des éléments qui entrent en
opposition avec les systèmes de valeurs des sujets (la libido est
fréquemment évacuée de la schématisation de Freud).
Le schéma figuratif est un « cadre de référence stable » à partir
duquel les informations sur l’objet de RS vont être filtrées,
organisées, interprétées en éléments de sens.
Abric, dans sa thèse de doctorat d’État en 1976, puis dans
d’autres écrits, va reprendre cette notion et la généraliser, en
privilégiant une définition de la « représentation » en tant que «
système sociocognitif ». Un tel ensemble est alors hiérarchisé en
éléments du noyau central (NC) et du système périphérique (SP).
« L’analyse du noyau central et des éléments qui le constituent,
est donc à même de révéler le type d’implication du sujet dans la
réalité. C’est dans ce sens que la représentation est, en elle-
même, un signe, un indicateur, qui témoigne de la relation du
sujet à son environnement, de sa nature et de ses connotations
affectives, cognitives et idéologiques. »
Abric, 1987, p. 69

Le NC, ou système structurant, est « l’élément fondamental de


la représentation car c’est lui qui détermine à la fois sa signification
et son organisation » (Abric, 1994, p. 21). Lié aux normes, aux
valeurs, aux attentes, à l’implication personnelle, aux finalités
fonctionnelles d’une pratique, à la mémoire et à l’histoire collective,
il favorise le consensus et l’homogénéité culturelle et
psychologique d’un groupe ou d’un individu.
9. Fonctions du noyau central
Le NC remplit deux fonctions majeures : génératrice et organisatrice. Par la
première, « se crée, ou se transforme, la signification des autres éléments
constitutifs de la représentation » (ibid.). Les opinions, les croyances
périphériques y sont rapportées, pour ce qui a trait à leur compréhension et à
leur sens. Grâce à la seconde, le système central « détermine la nature des
liens qui unissent entre eux les éléments de la représentation » (ibid.). Il a
alors un rôle stabilisateur et unificateur d’un tel système. C’est grâce au (ou «
à cause du ») NC qu’une représentation ne change pas ou difficilement et est
différente d’une autre qui peut lui ressembler. Son étude autorise une
approche comparative des RS, par exemple dans différents groupes sociaux
ou de façon diachronique.
L’enregistrement d’un discours par magnétophone, dans un entretien
d’enquête, permet de recueillir ce que l’on nomme des « contenus ». Le
problème rencontré, à ce stade, est de comprendre quelle est l’importance
d’un énoncé, d’une croyance, d’un élément de connaissance par rapport à
tous les autres présents dans les divers entretiens analysés. Cette théorie
postule que c’est l’organisation du contenu qui est essentielle. Un même
thème (A), relevé dans le discours de différents sujets, peut donner lieu à deux
formes distinctes de représentation, selon sa place et son degré de centralité
dans chaque structure de deux RS (a et b). Ainsi, un élément (A) peut faire
partie du noyau central d’une représentation (a), active dans une population
donnée. Il peut aussi être périphérique dans une autre RS (b), générée par un
autre groupe de sujets dans un contexte différent.
Les composants du NC sont qualitativement différents, en plus de leur
caractéristique quantitative. Deux cognitions, citées très fréquemment, par de
nombreux sujets peuvent, pour l’une, être un élément dans le noyau central et,
pour l’autre, appartenir au système périphérique de la même RS.
Le NC est structurant parce qu’il récapitule la culture, les normes, les
valeurs et les conduites habituelles de la communauté où il est influent. Il est
stable, source de cohérence et de résistance au changement. Il est peu
sensible aux évolutions du contexte ou de l’actualité, à l’insertion temporaire
d’un individu dans un collectif aux représentations différentes, à l’adoption de
pratiques contradictoires ou sources de dissonance. Il explique ou explicite,
peut-être, certaines formes de soumission publique d’un acteur social qui peut
conserver, en privé, la représentation plus « personnelle » de son groupe de
référence.

D’après J.-C. Abric, 1994.


Les éléments du noyau central sont définis par deux attributs.
Premièrement, ils peuvent avoir une utilité pratique (référence
fonctionnelle pour l’action). Deuxièmement, ils se caractérisent par
une dimension prescriptive (normativité), du fait de leurs liens avec
l’affectivité, l’idéologie, les stéréotypes et les croyances du groupe
où ils sont actifs. Si l’on schématisait la structure d’une
représentation, voici comment on pourrait la décrire :

Dans cette figuration, on remarque l’existence de frontières en


pointillés. En effet, on ne peut pas concevoir de tels systèmes
comme fermés et organisés une fois pour toutes. Les énoncés, les
images, les normes, impliqués par le noyau central, auront une
influence sur l’organisation et la structuration des discours et des
pratiques. C’est la raison pour laquelle ces éléments sont
symbolisés en plus foncé. Sa double caractéristique
(fonctionnelle/normative) signifie aussi que le NC est lui-même
hiérarchisé autour de finalités différenciées dont les équipes de
recherches des universités d’Aix-en-Provence et Montpellier
tentent d’approfondir la nature depuis quelques années.

Le système périphérique (SP)

Les éléments du SP n’en sont pas moins importants dans une


telle conception. Ils sont dits « périphériques » parce qu’ils sont
rapportés à l’emprise du noyau central et sont déterminés par lui
dans leur sens, leur degré de centralité, leur valeur et leurs
fonctions. Mais on devrait plutôt les qualifier de « schèmes de
concrétisation » ou d’« illustration » de la représentation car,
contrairement aux unités du système central, ils semblent, du fait
de leur diversité et de leur flexibilité, présents en plus grand
nombre dans les discours.

10. Fonctions des schèmes périphériques


Le système périphérique répond à trois fonctions : adaptation à la réalité
concrète, diversification du contenu d’une RS et protection du noyau central. À
un premier niveau, les éléments du SP favorisent l’ancrage d’une RS, son
utilisation dans la vie quotidienne, dans la communication et l’échange entre
individus ou groupes différents. Ils correspondent au foisonnement d’idées, de
situations et de comportements dans le vécu de chaque sujet, utilisant
quotidiennement une RS, à l’exigence de contextualisation ou d’« habillage »
des conceptions plus prescriptives et rigides du noyau central. Une
appropriation personnalisée et à finalité adaptative d’une représentation est
alors possible. Les différents éléments du SP, apparaissent plus souples dans
leurs significations et leur caractère normatif. Ils sont activés en fonction des
nécessités des discussions et de l’action et selon l’appropriation qui en est
faite par chaque individu. C’est dans le SP que règnent l’analogie et le recours
à l’exemple pour parler d’un concept. Chacun peut ainsi intervenir auprès
d’interlocuteurs différents en s’adaptant au thème de conversation ou en
émettant un comportement conforme aux attentes du groupe où il se trouve
sur le moment, sans remettre en cause ses croyances fondamentales. Les
SSP, ou sous-structurations du système périphérique, (décrites par Flament,
1994b, p. 101-106), peuvent même fonctionner temporairement et en fonction
des contraintes de la pratique, de façon indépendante du NC.
Deuxièmement, ce système est plus « poreux » que le noyau central. De ce
fait, les éléments qui le constituent sont plus susceptibles d’en sortir. De
nouveaux contenus peuvent en faire partie parce qu’ils entrent en
contradiction relative avec le NC mais se localisent de façon atténuée
(réinterprétation, minoration, filtrages divers) dans une frontière acceptable
pour le système global. Par ces mécanismes, une représentation peut
s’adapter aux évolutions du contexte, de l’actualité sans changer
fondamentalement.
Troisièmement, le SP est un véritable « pare-chocs » des représentations. Il
absorbe l’indicible, l’injustifiable, le nouveau sans dommages pour le cœur du
système sociocognitif. Il favorise ainsi le maintien de ce qui est non négociable
ou inconditionnel, pour tel ou tel acteur, dans les éléments du NC.

En fait, les éléments de ce système forment la partie


quantitativement la plus notable des contenus discursifs et des
symboles par et dans lesquels peuvent se développer les
représentations. Ils se différencieront selon leur place hiérarchique
ou leurs fonctions homologiquement similaires à celles à l’œuvre
dans le NC. On parle, à leur propos, d’un rôle d’« interface » entre
le système central et les situations concrètes. Ces cognitions
favorisent essentiellement l’expression et l’intégration individuelle
et permettent à l’hétérogénéité d’un groupe d’être viable. Plus
aptes à évoluer, sensibles au contexte immédiat, elles peuvent, à
un certain degré, entrer en contradiction avec le fondement d’une
représentation et favoriser sa transformation. C’est d’ailleurs
souvent par l’introduction de nouveaux éléments à la périphérie
d’une RS que cette dernière peut changer. Les préoccupations de
certains chercheurs concernant la possibilité d’agir sur la
transformation d’une représentation les ont incités à étudier le rôle
des schèmes du SP dans de tels processus (Flament, 1994a ;
Guimelli, 1994, 1998).
On insistera sur l’utilité essentielle de la connaissance de la
structure d’une représentation sociale lors de l’élaboration des
messages persuasifs et de l’organisation de plans de
communication interne ou externe des organisations publiques,
privées ou politiques. Les recherches sur le sida offrent de beaux
exemples d’erreurs et de réaménagements plus ciblés, à la suite
d’une meilleure connaissance de son organisation
représentationnelle (M. Morin, 1999 ; 1996). La détection des
éléments du système central est, dans une telle perspective, une
étape cruciale pour l’édification de la forme et du contenu d’une
stratégie communicationnelle ou d’une conduite de changement en
organisation.
Marcel Bromberg, dans une synthèse sur les procédures de
l’action persuasive, souligne que certains modèles, rendant
compte du traitement de l’information (Petty et Cacioppo, en 1983
et 1984 ; Chaiken et Eagly, en 1983), distinguent entre le procès
central, ou systématique, d’une part, et périphérique, ou
heuristique, de l’autre.
« Lorsqu’un procès cognitif de traitement central est mis en
œuvre, l’individu se focalise essentiellement sur le contenu du
message […] et l’intègre à ses connaissances préalables […]. À
l’opposé le processus de traitement périphérique (heuristique)
repose sur l’idée que, pour une grande part, nous agissons sans
vraiment faire attention aux informations de notre environnement
[…]. D’où l’idée d’un principe d’économie, selon lequel on pourrait
être influencé, non pas seulement sur la base d’un traitement
exhaustif de l’information mais également sur une base
relativement superficielle d’informations, indépendantes du
contenu lui-même. »
Bromberg, 1990, p. 261

Cette approche sur le traitement cognitif des messages


persuasifs n’est pas la même que celle qui se développe, en
France, à propos de la structure des RS. On peut cependant
penser à des interférences théoriques. L’activation du mode
d’assimilation systématique de l’information (centrée sur le
contenu, selon Bromberg) serait plus présente chez des sujets
ayant de forts besoins de connaissance (need for cognition, selon
Cacioppo et Petty) ou préférant les situations d’incertitude
(Bromberg, op. cit., p. 264-269), plus prédisposés à combattre leur
tendance éventuelle à la stéréotypie et l’appartenance non
réfléchie à un groupe. La centration sur les valeurs du noyau
central d’une représentation (normes du groupe, consensuelles,
indiscutées ou non négociables) favoriserait-elle un mode
heuristique (centré sur la forme) ou systématique (favorisant les
contenus complexes, fortement argumentés) d’appréhension des
messages ? Les travaux sur la zone muette des RS présupposent
d’ailleurs qu’il existe des niveaux implicites non suffisamment ou
non correctement explorés (Abric, 2003, p. 59-80).
On se contentera, pour le moment, de supposer qu’une « bonne
» action de communication, efficace dans son but de persuasion,
peut se contenter, pour des raisons diverses, tant stratégiques,
politiques que financières, de mettre en scène les éléments d’une
culture commune, synthétisée dans le noyau central d’une RS et
de tenter de la faire perdurer. À un autre niveau d’analyse, bien
communiquer, c’est aussi faire changer des stéréotypes ou des
cristallisations inadaptées ou non fonctionnelles de savoirs. Dans
ce cas, on se doit de faire « évoluer » une représentation (cf.
chapitre 6) et sur différents niveaux. Ces questions sur lien entre
RS, changement organisationnel et persuasion demanderaient
évidemment à être approfondies. Tentons maintenant de voir plus
précisément quels sont le statut et les fonctions des éléments
d’une structure représentationnelle.

3.2. Éléments descriptifs, normatifs, fonctionnels et prioritaires

Selon Pascal Moliner, on peut intégrer deux dimensions


complémentaires aux deux premiers éléments (noyau central et
système périphérique), en se basant sur certaines précisions de
Moscovici (1976, p. 65-72). La structuration d’une RS s’effectue,
en effet, autour de :
– l’information sur l’objet (connaissances et contenus) ;
– le champ et l’agencement des éléments d’un tel système
(organisation) ;
– l’attitude qui correspond à l’orientation évaluative globale ou à
des réactions positives ou négatives vis-à-vis du même objet.
(Moliner, 1996)
Le contenu d’une représentation peut alors être distingué en
cognitions descriptives qui définissent un objet, et évaluatives,
sources de jugements sur la qualité et l’usage de celui-ci. Cette
double fonctionnalité s’applique tant au niveau du système central
que de celui périphérique.

Les quatre champs cognitifs d’une RS

Pôle descriptif Pôle évaluatif

Système central Définition Normes

Système périphérique Descriptions Attentes

D’après P. Moliner, op. cit., p. 97.

Le premier champ rassemble les éléments de définition,


indissociables de l’objet de représentation. La hiérarchie, dans une
enquête de Moliner sur la RS de l’entreprise chez des étudiants,
est un exemple de ce type de cognition. Cette entité catégorielle
va organiser, dans le système périphérique, des schémas
d’interprétation de cet objet.
Celui des normes comprend des « cognitions centrales investies
d’une valeur positive ou négative aux yeux des individus »
(Moliner, op. cit., p. 98). Ces éléments ont une prégnance
évaluative dans la mesure où, appartenant au système central, ils
offrent aux individus la possibilité de repérer les critères de
conformité, de légitimité ou de normalité de cet objet. Dans
l’enquête, ci-dessus évoquée, le profit joue ce rôle. Il est analysé
comme le critère essentiel d’évaluation d’une bonne ou d’une
mauvaise entreprise.
Dans la zone des descriptions, on trouve des cognitions, sous la
forme de schèmes, dont l’organisation et la signification dépendent
du système central. Leur variabilité est grande, selon chaque
individu et en fonction du contexte historique. Elles permettent aux
activités locales de catégorisation et d’interprétation de se faire.
Comme le terme « descriptions » l’indique, les éléments cognitifs
de cette zone des RS actualisent, diversifient et traduisent les «
définitions » plus centrales.
L’espace des attentes « regroupe des cognitions périphériques,
insérées dans les structures cognitives du champ descriptif, et
investies aux yeux des individus d’une valeur particulière » (ibid.,
p. 99). Traductions concrètes des normes, ces éléments
correspondent, par exemple, à la valorisation de l’entreprise
comme lieu de recherche et de création. Cet élément-ci est vu
comme un moyen d’atteindre la norme (le profit) et indique la
bonne santé d’une telle organisation et son déploiement vers
l’avenir. Mais les attentes n’incluent pas que des
opérationnalisations des cognitions normatives. Elles peuvent
aussi se composer d’éléments évaluatifs moins directement liés à
la notion de profit comme, par exemple, l’idée d’épanouissement
personnel. La diversité des contenus de ce champ, source de
positionnements individuels, d’attraction/rejet vis-à-vis de l’objet de
RS, renvoie aux fonctions classiques de l’attitude dans un tel
système. La combinaison des deux modalités d’approche de la
structure (système central/périphérique ; dimension descriptive/
évaluative) autorise un classement du contenu des RS dans des
champs opérationnels, du point de vue des pratiques de
recherche. Une enquête sur la RS de l’entreprise chez des
chômeurs de longue durée illustre ce modèle. Les résultats
simplifiés présentent, ci-dessous, les grandes tendances d’une
analyse factorielle en composantes principales. Des libertés de
présentation avec les modes originaux de transcription des
données de cette contribution sont prises.
La représentation de l’entreprise chez des chômeurs de
longue durée

Inspiré de Moliner (op. cit., p. 105). Les « abscisses »


(dimension descriptive/évaluative) correspondent au
premier facteur et les « ordonnées » (dimension de la
centralité) au second. Les coordonnées et les gradations
des items, transcrites très approximativement,
équivalent aux valeurs absolues de leurs saturations sur
les deux facteurs.
Divers travaux favorisent la dénomination « système central »
(Abric, 2000, Ve Conférence internationale sur les RS) plutôt que «
noyau central » afin de faire émerger la différenciation existant, à
l’intérieur de cette zone, entre éléments fonctionnels/normatifs
(Abric, Moliner, Tafani, Rateau…), descriptifs/normatifs (Moliner,
infra) ou encore prioritaires/adjoints (Rateau). Un élément central
prioritaire (« prévention des maladies », étudié par Rateau, pour la
RS de l’hygiène) est comparativement plus important et beaucoup
moins négociable qu’un élément central adjoint (« bien-être » pour
le même noyau central de la même RS).
À retenir
Deux mécanismes fondamentaux sont à l’œuvre dans l’émergence puis
l’imprégnation socialement différenciée d’une RS : l’objectivation
(matérialisation et structuration autour d’un schéma figuratif) et l’ancrage
(enracinement et fonctionnement dans des contextes de groupes
spécifiques).
Les quatre fonctions des représentations sont celles de catégorisation
cognitive des objets, d’identification sociale et individuelle, d’orientation et de
prescription des comportements, de référentiels ou de gisements de savoirs
pour des justifications ou des rationalisations.
La structure d’une RS se compose de deux systèmes complémentaires
(central et périphérique), eux-mêmes hiérarchisés en éléments descriptifs,
fonctionnels, normatifs, plus ou moins négociables.
chapitre 4

Approches des contenus


1. Verbalisations
2. Une approche monographique : musique et société
3. Aspects schématiques et iconiques
4. Savoirs communs

1. Verbalisations

1.1. Le mouvement des conversations

La construction des données pour l’étude des RS peut à la fois


résulter de procédures expérimentales et de recherches
monographiques. L’enquête de terrain, depuis l’École de Chicago,
l’ethnométhodologie et le développement de la psychologie
clinique, permet une saisie différente, mais tout aussi riche et
intéressante, de ces formes de savoirs pratiques. Les « sociétés
de penseurs amateurs » (Moscovici, 1976) se forment au gré de
l’intégration des nouvelles et des informations circulant dans
l’espace social. Les représentations naissent, en effet, dans les
conversations quotidiennes qu’elles soient télétransmises ou
naturelles. Elles alimentent la substance de la parole.
[Chacun] « part des observations et surtout des témoignages
qui s’accumulent à propos des événements courants : le
lancement d’un satellite, l’annonce d’une découverte médicale, le
discours d’un personnage important, une expérience vécue
racontée par un ami, un livre lu. »
Ibid., p. 49

Des choses étranges, nouvelles ou des objets trop connus, donc


appréhendés de façon évaluative ou orientée affectivement (le
corps ou l’amitié), sont échangés sur un « marché du discours »,
alimenté en permanence en savoirs et en jugements émis par des
proches, des relations de travail, mais aussi par des journalistes,
des savants, des hommes politiques et d’autres experts ou
leaders. On passe ainsi d’une connaissance indirecte sur un
phénomène à sa compréhension immédiate, à son intériorisation
et à son expérimentation personnelle. De cette manière, un objet
étrange, lointain, inconnu devient familier, accessible et connu.
[Ainsi, cet objet] « en devenant intérieur et pour le devenir,
pénètre dans le “monde de la conversation”, des échanges
verbaux, se poursuivant depuis un certain temps. Des fragments
de dialogue, des lectures discontinues, des expressions
entendues ailleurs, reviennent à l’esprit des interlocuteurs, se
mêlent aux impressions qu’ils ont ; les souvenirs jaillissent, les
expériences communes les accaparent. Par ces bavardages, non
seulement les informations sont transmises, les conventions et
les habitudes du groupe confirmées, mais chacun acquiert une
compétence encyclopédique sur ce qui est l’objet de la
discussion. Au fur et à mesure que l’entretien collectif progresse,
le débit se régularise, les expressions se précisent. Les attitudes
s’ordonnent, les valeurs sont mises en place, la société
commence à être habitée par des phrases et des visions neuves.
»
Ibid., p. 51

Par la conversation, chacun résume les divers événements de la


vie ordinaire ou tout autre phénomène.
[Il] « les découpe, les classe et subit la même tentation que le
documentaliste de les fondre dans un même univers [sans la
prudence du spécialiste et en fonction de règles sociales,
scientifiques, pratiques] […]. De ce travail, mille fois recommencé
et répété, et déplacé d’un point à l’autre de la sphère, des
événements et des surprises qui captent l’attention, donnent
naissance à nos représentations sociales. L’esprit qui est à
l’œuvre, transforme les membres de la société en quelque sorte
en “savants amateurs”. »
Ibid., p. 53

Le mouvement des échanges verbaux reproduit celui de


l’emprise d’une RS sans s’y réduire pour autant. Les mots, les
activités dénominatives (Moscovici, 1999) et même les soliloques
enfantins, supposent une représentation préalable ou une
référence catégorielle, sociale, interactive, à la fois extérieure et
intérieure à la parole, une image, un signifié, une (ou plusieurs)
cognition(s) en train de se former.
La catégorisation sociale, les rituels, la recherche de
consistance ou d’explications, l’appartenance à des groupes, les
concepts de présupposé et d’implicite en pragmatique, sont autant
de facteurs et de formes qui structurent les RS et par lesquelles
ces dernières émergent. Les règles linguistiques et le parler
quotidien facilitent l’existence d’une quintessence formelle, à
revitaliser à chaque tour de parole, et d’espaces d’expression et de
réappropriation du sens. Les contraintes des univers de
connaissance de la société y sont dialogiquement détaillées,
retravaillées contournées et explorées ( Bourdieu, 1982).
Il n’y a bien sûr pas de dissociation profonde entre les cognitions
(catégories, schèmes, scripts, prototypes, attributions…), la
prégnance de la dimension collective et le discours (sa grammaire,
son lexique, la dynamique constructive de la parole), mais on ne
peut assimiler les premières aux seuls mots qui les expriment. La
relation entre ces divers aspects est dialectique. Ils se déterminent
les uns les autres. La « fétichisation » de la langue oublie de
considérer l’existence d’une élaboration représentationnelle en
amont. Et la centration sur la seule dimension cognitive, dans un
but de meilleur contrôle scientifique de ses manifestations, s’écarte
d’un approfondissement de leur contexte linguistique et social
d’émergence.
[En assimilant] « un vocabulaire d’émotions, nous n’apprenons
pas seulement une taxinomie de sensations corporelles, mais
aussi un système complexe d’assertions morales et de savoirs
pratiques de sens commun […]. Les psychologues cognitivistes
ont montré que, au moins pour certaines émotions, les croyances
relatives aux causes des sensations corporelles sont requises
[dans leur identification], et représentent ainsi nécessairement
une partie des règles d’usage des mots de l’ensemble
correspondant. »
Harré, 1989a, p. 147

Les rapports entre paroles et représentations ont été décrits à


travers un certain nombre de règles et de propriétés, dès 1961 par
Moscovici, puis par Jean-Blaise Grize (Grize et al., 1987) ou Rom
Harré (Harré, 1989). Les travaux sur la pragmatique du langage
(Chabrol, Charaudeau, Ghiglione, Trognon…) ou la sémantique
(Greimas) tentent, tout en se centrant assez exclusivement sur
l’analyse de discours, de concilier l’approche des RS et celle des
conditions d’avènement du sens. D’autres recherches sur le «
parler télévisuel » illustrent comment on peut travailler sur les
actes langagiers, les médias, les faiseurs d’opinion et les formes
symboliques qu’ils élaborent, en liaison plus ou moins coopératrice
ou manipulatrice avec les spectateurs (Charaudeau et Ghiglione,
1997).

11. Le style des représentations


Trois caractéristiques stylistiques des RS sont à signaler : le formalisme
spontané, la causalité mixte et le primat de la conclusion.
La première renvoie aux clichés, aux stéréotypes et aux idées toutes faites
qui sont un réservoir dans lequel tout sujet trouve, plus ou moins
spontanément, son inspiration lorsqu’il parle. La répétition, la redondance, les
formules conventionnelles, les associations sur la base d’indices conformes
aux buts de la communication, les références communes et les sous-entendus
forment une « infra-communication », où la pensée et la parole se rejoignent,
sans la finalité de se corriger par essai et erreur, mais plutôt dans l’intention de
tisser un ensemble discursif conforme à ce que l’on cherche à prouver.
La causalité mixte, phénoménale, anthropomorphique qualifiée aussi de «
dualisme causal », complète le style de la pensée naturelle qui vient d’être
résumée. L’implication entre les idées composant une RS se fonde soit sur
l’intention du groupe ou du sujet parlant, soit sur le contexte et la succession
d’événements ou en fonction du voisinage entre des catégories de pensée «
donnant l’impression d’une corrélation ». Des causes fausses sont trouvées
aux phénomènes, comme par exemple l’association, par un interviewé
communiste, entre psychanalyse et religion, toutes les deux ayant, dans son
esprit, intérêt « à endormir les gens ».
Le primat de la conclusion dans l’argumentation explique, en partie, le
fonctionnement de ces formes de logique sociale. Ce qui est à démontrer est
alors « donné dès le début », note Moscovici (ibid., p. 261). La conclusion
impose ainsi une recherche de significations, dès les prémisses du
raisonnement développé au fur et à mesure du discours. Chaque idée, en
s’enchaînant co-textuellement, confirme partiellement celle qui la précède et
celle qui la suit en procédant par affirmation plutôt que par progression selon
une démonstration rationnelle.

D’après Moscovici, 1976, p. 253-263.

1.2. Types de discours analysés

Quatre sources de données textuelles sont possibles pour celui


qui étudie les RS.
La première est élaborée lors d’entretiens, qu’ils soient semi-
directifs, très structurés ou non (recherches classiques de
Chombart de Lauwe, Herzlich, Jodelet, Kaès, Moscovici…).
La seconde consiste à enregistrer ou à noter le mouvement de
la conversation et d’autres types d’interactions verbales naturelles
dans un groupe, un lieu public ou dans toute autre situation
(travaux de Charaudeau, Ghiglione ou Larrue mais aussi de
Goffman ou Labov), comme lors de relations verbales à distance
(par le minitel, l’internet, le téléphone, le fax…) pouvant être l’objet
d’analyses du discours.
La troisième source de données renvoie à des corpus textuels
archivés (journaux, témoignages, archives historiques, comptes
rendus divers), à des ouvrages destinés à un public particulier
(amateurs d’un genre littéraire, professionnels, enfants, étudiants,
femmes au foyer, ouvriers, stagiaires, etc.), incluant ou non des
aspects iconiques (bandes dessinées, films, photos, romans
d’amour ou de science-fiction), ou à des ensembles plus experts,
complets ou formalisés (relevés d’arrêts des cours d’appel ou
d’institutions politiques, juridiques, humanitaires, nationales ou
internationales, encyclopédies, dictionnaires).
La quatrième forme est constituée par des corpus résultant de
tests d’associations de mots (cf. la section 4.1 de ce chapitre).
Pour parvenir à une connaissance de certains objets, l’usage
successif de plusieurs techniques de construction des données est
préférable : observation, participation plus ou moins périphérique
aux pratiques, passation de questionnaires, études d’archives, de
récits, de comptes rendus, entretiens compréhensifs. Ce dispositif
monographique implique une analyse pluriréférentielle (Jodelet,
1989b), la triangulation (Apostolidis, 2003) et la prédominance de
l’interprétation aux dépens de l’explication hypothético-déductive.
L’approche de rituels musicaux et des représentations qui les
soutiennent peut être envisagée avec le même dispositif (Becker,
1985 ; Seca, 2001).
Dans sa monographie sur les représentations des relations
interethniques dans le quartier de Belleville à Paris, Patrick Simon
observe et décrit certaines formes d’appréhension de l’espace
urbain. Il recueille des discours, par entretiens, auprès de
différents groupes d’habitants. L’appréhension de l’objet de RS
implique le recours à des théories de la socialisation dans les
grandes villes, à des données issues d’autres démarches et leur
application aux entités thématiques, synthétisées suite à l’analyse
de contenu. Il existe alors un risque relatif de « décrochage » vis-
à-vis de ce qu’est l’objet d’étude lui-même, du fait d’un « mélange
» entre données empiriques (les catégories « indigènes ») et cadre
d’interprétation de l’objet analysé. C’est cependant par la
multiplication des références analytiques et le recoupement entre
elles, qu’elles soient d’ordre théorique, statistique ou empirique,
que la synthèse descriptive autorise une reconstitution du sens. Ce
travail est ardu. Il nécessite une aptitude intuitive, une capacité à
rester collé au terrain tout en demeurant ouvert à des perspectives
théoriques pertinentes.
[Dans cette étude], « […] on utilise une typologie des groupes
en activité à Belleville, qui associe les représentations,
émergeant des discours des habitants, et les classifications
démographiques de la population. Trois catégories d’acteurs se
distinguent : les anciens habitants du quartier, les immigrés, les
nouvelles classes moyennes et supérieures. Chacun de ces trois
ensembles se segmente en de multiples sous-groupes qui,
éventuellement, n’entretiennent pas de relations entre eux. »
Simon, 1998, p. 29

Ces « sous-groupes » correspondent à des dénominations


reprises des discours enregistrés. Les « Chinois », par exemple,
sous-groupe de l’ensemble « immigrés », qualifient les Asiatiques
en général, qu’ils soient du Laos, du Vietnam, de Thaïlande ou de
Chine. Les Tunisiens, Marocains ou Algériens, à l’intérieur
desquels sont différenciés les juifs et les musulmans, sont
désignés comme « maghrébins », « arabes » et d’autres fois «
islamiques » ou encore « islamistes ». Les Espagnols ou les
Portugais continuent de recevoir le nom de leur nationalité
d’origine. Les contenus et l’activité dénominative ont, dans ce cas,
une signification qui demeure intéressante en soi, en dépit de la
valorisation récente de leur approche formelle et structurale. Bien
sûr, il faut réussir à savoir quelles sont les différences de sens
attribuées aux termes « arabe » et « islamiste », si elles existent,
qui les perçoit et comment on les justifie. L’apport des théories
structurales et de leurs méthodes (cf. chapitre 5), et l’application
de techniques statistiques étudiant les relations entre items et
sujets interrogés, peuvent alors apporter un éclairage sur les
mécanismes de construction de tels univers sémantiques.
2. Une approche monographique : musique et société

2.1. La « musicalisation » du social

On assiste en France comme ailleurs, depuis quelques dizaines


d’années, à la mise en œuvre d’un processus de « musicalisation
» des interactions sociales, principalement sous l’influence de
courants ou de styles électroniques, « pour les jeunes » et à visée
distractive ou rebelle. Comment définir ce mouvement qui semble
correspondre à une forme d’« être au monde » des diverses
générations du siècle précédent ? Ces genres musicaux sont des
ensembles assez proches sémantiquement et structuralement des
représentations sociales. Leur mode de production et de diffusion
permet, en effet, d’aborder l’objet de ce livre de façon intuitive et
analogique.
En élaborant leurs produits sonores et leurs messages, les
musiciens rock ou rap puisent, en fait, dans une mémoire
commune ressentie comme prégnante et affinée longuement et de
différentes manières : les disques, les sons, les rythmes, le vécu,
les vidéo-clips, le cinéma, les ouvrages panégyriques sur des
vedettes, la poésie ou le plaisir des concerts ou de situations
publiques exaltantes. Ces savoirs stylistiques s’organisent en
représentations sociales dont les sons et les rythmes forment la
partie émergente et « tangible ». Les éléments iconiques et
musicaux, para-verbaux, s’agrègent en entités sémantiques et
figuratives, matérialisant l’idée de style. Ils « font partie » d’une RS
tout autant que les aspects linguistiques et parlés. Ils sont en forte
liaison avec cette dimension (textes, croyances, connaissances).
Comme pour les RS, on retrouve, dans ce cas, la référence à
plusieurs niveaux d’influences et de détermination, des plus
abstraits et formels jusqu’aux plus concrets et actuels. Le principe
générateur (cf. Doise, op. cit.) d’opinions qu’est une représentation
sociale est une structure active mais générique. Dans notre
approche, il renvoie à un genre, impliquant certains schèmes
musicaux, une histoire, des influences sociales et un « état d’esprit
» (comme, par exemple, le jazz, le rock, le rap, la techno ou le
reggae). Des sous-tendances ou des courants plus spécifiques
tendent à exprimer ou à figurer ces genres de référence. Ils
intègrent, plus ou moins périphériquement, des innovations
underground ou l’apport de certains créateurs. Pour reprendre les
exemples précédemment cités, on peut penser, pour illustrer
chacun d’eux, au be-bop, au trash rock, au rap hardcore, à la
trance et au raggamuffin. Des articulations entre ces dernières
tendances et des élaborations plus personnelles, qu’on qualifiera
de « devises », se font. Des chansons, devenues ou non des «
classiques », des « standards », des vedettes plus ou moins
célèbres (Jimmy Hendrix, Louis Armstrong, David Bowie ou Bob
Marley) ou des performances en concert, actualisent et rendent
audible et visible une représentation et, par leur vitalité, la font
évoluer, la rendent plus ou moins hybride, plurielle ou la stabilisent.
Chez les musiciens amateurs, les associations créatrices entre
éléments langagiers, imagés, cognitifs, affectifs, mentaux et
comportementaux s’inspirent des RS-genres-musicaux.
Celles-ci sont donc des « maquettes » ou des matrices,
utilisables de différentes manières, selon les contextes de création
ou d’audition, en fonction des noyaux de sens qui les spécifient ou
s’articulent à leurs structures. Elles peuvent être partiellement
réaménagées par l’introduction d’éléments aberrants, tant sur le
plan de la forme musicale qu’au niveau des significations
idéologiques ou politiques, plus ou moins mises en avant dans
chaque entité concrète de création.
La fabrication d’une musique passe par un processus
d’objectivation. Elle se déroule à partir d’un sens commun,
partagé, de l’ancien, des traditions et des influences reçues (les
slogans, des schèmes musicaux). Elle implique aussi un ancrage.
L’émotion, à exprimer, et le code stylistique forment ainsi un «
alliage » original, incarnant une intention, une situation de vie et
une insertion culturelle. Le « nouveau » ou l’original résulte, par
conséquent, de la déconstruction et de la réélaboration du code et
de la matrice irradiant la performance musicale.
Les recherches sur les modalités de production, de diffusion et
d’appropriation des formes esthétiques, et des styles musicaux en
particulier, forment un secteur stimulant d’analyse de l’emprise des
RS. La difficulté principale d’une telle perspective réside surtout
dans la nature non linguistique et passionnelle du phénomène
étudié. La fascination ou la répulsion, voire l’indifférence, que
peuvent engendrer les arts, posent le problème de l’implication
affective, culturelle, de l’appartenance statutaire, des goûts
éventuels du chercheur et du mode de construction des catégories
d’analyse des données. D’où le caractère irremplaçable des
approches monographiques sur ces objets.
Si l’on devait caractériser la « musicalisation de la société », on
y percevrait une ligne de fuite ou de disjonction avec l’espace de
l’interlocution ou de la parole publique. Elle impliquerait aussi une
forme de traduction esthétique des névroses, des rêves et des
angoisses collectives. À l’intérieur des musiques populaires, plus
ou moins distractives, on peut repérer un continuum allant des
genres fortement « musicalisés », sans paroles, dont le but est
l’atteinte d’un état de transe (techno), aux courants « à textes »,
plus ou moins mélancoliques, moroses ou contestataires,
faiblement ou différemment mis en rythmes. Cette ligne croise une
autre parallèle ou analogue : celle de la politisation/dépolitisation
des masses (Seca, 2001, p. 213-222).

2.2. Consommation et pratiques créatives

La question du rapport aux objets artistiques suppose la mise en


œuvre d’une grille de lecture sur les rapports entretenus par les
consommateurs avec tous les produits issus des industries
culturelles et distractives. On peut tracer des plans de recherches
qui peuvent passer par des chemins aussi complémentaires et
variés que l’étude des fréquentations des musées et de la
vulgarisation (Schiele), l’appréciation des jeux et des modes
(Barthes, Baudrillard, Caillois, Yonnet), du star system (Buxton,
E. Morin), des fans d’un groupe de rock vedette ou d’artistes
mythiques (Heinich, Le Bart), du statut du corps ou de la beauté
dans les œuvres picturales (Maisonneuve et Bruchon-Schweitzer),
des photographes (Bourdieu et al.), des peintres (Moulin) ou des
musiciens (Becker, Boudinet, Hennion, Madiot, Menger, Seca).
Cette liste n’est, bien sûr, pas limitative.
Quel statut peut-on prêter au consommateur ? Les critiques de
l’industrie culturelle, depuis Walter Benjamin ou Theodor Adorno,
ont souvent attribué aux masses des prédispositions anomiques
de rébellion/obéissance. Consommer des produits de culture
distractifs ou télédiffusés déclencherait une posture
fondamentalement passive, source potentielle d’inculture et
d’adorations fanatiques des icônes de stars. L’amateur de jazz des
années 1950 autant que le rappeur des années deux mille,
seraient des réceptacles d’influences, à visée commerciale et
financière, mâtinées de velléités révoltées et endormantes : la
télévision comme nouvel « opium du peuple » ou « valium des
foules », des « troupeaux égo-grégaires » (Dufour, 2007).
Une position plus intermédiaire, sans nier le caractère mystifiant
de telles industries, consent aux publics des aptitudes à sortir de
cet état de léthargie (Frith, Green, Hebdige, Hennion, Mignon,
Yonnet). Dans ce cadre, les foules de fans seraient constituées de
morceaux plus actifs ou de cristallisations minoritaires, ou, encore
selon la formule de Karl Mannheim, de « groupes concrets », très
imbibés par l’esprit et le goût pour certains arts ou styles
(Mannheim, 1928).
On a procédé de cette manière à propos des représentations et
des pratiques de groupes amateurs de musique amplifiée (rock,
punk, new wave, antillais, rap…). De 1983 à 1986, puis en 2000,
une série d’enquêtes, dans un sous-sol de parking du e

arrondissement à Paris et dans différents autres lieux de répétition


de la Capitale, sur un ensemble de 110 groupes a été effectuée
(Seca, 2001). En fin de parcours, un modèle de la socialisation
musicale est formulé sur la base d’entretiens collectifs et
individuels, de questionnaires, d’observations et de participations à
divers rituels (concerts, auditions de répétitions, formation d’un
petit groupe avec des amis, soirées).
Le parler sur les styles musicaux underground évoque des effets
comparables à ceux du fameux « fluide magnétique », décrit par
les historiens du concept d’hypnose (Chertok, Stengers) renvoyant
à quatre dimensions principales de la RS de l’action musicale
(Seca, 2001, p. 25-30) :
– verbalisations de l’effraction corporelle et mentale, causée par
le fluide ;
– intérêt pour l’ambiance et la nécessité d’une circulation des
émotions ;
– analogie récurrente avec les effets des drogues
psychotropes ;
– recherche du contrôle du plaisir musical et technique.
Les messages fluidiques des groupes oscillent entre trois types :
celui du « slogan », qui révèle sa puissance communicative
propagandiste, voire hypnotique, lors de phénomènes
d’effervescence collective et de concerts ; le mode de la « musak
», fondé sur l’exigence de commercialisation, de diffusion auprès
d’une masse sérielle de consommateurs ; et celui de la « devise »,
plus proche des désirs d’affiliation, d’expression, d’empreinte
personnelle et de reconnaissance des musiciens, et donc de la
propagation (cf. chapitre 6 de ce livre, pour un approfondissement
sur ces formes de communication en lien avec les RS).

2.3. Jeu et transe

Il ne s’agit pas d’assimiler, de façon stéréotypique, les courants


de musiques populaires jeunes (rock, techno, rap, etc.) et les
risques de conduites toxicomaniaques. Cette vision mécaniste et
réductrice de telles activités n’est pas intellectuellement
acceptable, ni satisfaisante. On vient de le voir : il faut cependant
examiner les langages et les effets impliqués par ces formes
musicales. Leur prise en considération laisse entrevoir l’existence
potentielle d’une « traversée du miroir » un peu comme dans les
fameux romans de Lewis Carroll. En effet, l’une des clés pour
comprendre l’engagement et la fascination pour l’esthétique,
qu’elles émanent des producteurs comme des consommateurs,
dans les musiques pop ou ailleurs, est d’examiner l’attraction
exercée par les combinatoires formelles. Pour ce qui concerne la
musique, le goût pour les développements harmoniques et
rythmiques sophistiqués peut être présent aussi bien dans les
œuvres de Jean-Sébastien Bach que dans des productions plus
électroniques et underground. Il ne s’agit pas, en disant cela, de
décerner des étiquettes de génie à tel ou tel artiste contemporain
mais plutôt de faire ressortir l’importance de l’obsession pour les
structures formelles dans ces pratiques. Qu’est ce qu’une forme
esthétique ? En musique, il s’agit, comme on l’a vu plus haut,
d’une aspiration du réel par un système symbolique et d’une
concrétisation d’un style, d’une représentation irriguant un monde
de l’art (Becker, 1988). Univers artistiques et conventions épousent
des contours similaires. Ils cristallisent l’emprise des RS.
L’attirance pour leurs combinaisons et pour leur exploration
renferme une forte composante ludique. Cette propriété (le jeu) est
au fondement de nombre d’activités créatives et intellectuelles
ainsi que de la structuration de l’identité personnelle (Caillois,
Oberlé, Winnicott). Le lien entre jeu et cultures adolescentes
trouve une partie de sa légitimation dans la volonté de répondre,
plus ou moins efficacement, aux questions de la transition d’un
âge à l’autre : « ne pas se tromper sur la nature des choix qu’on
fait dans une vie ». Les conduites ludiques (jeux vidéo
électroniques, activités des « rôlistes » dans des clubs, amateurs
d’Agatha Christie se réunissant pour « jouer » un des romans
prisés, diffusion des karaokés dont le caractère distractif et «
simulationnel » est avéré, inclination pour les soirées masquées,
déguisées, pour Halloween et durant d’autres carnavals…)
favorisent donc des implications rituelles minimales efficaces, «
pour rire ou pour voir », afin de mettre à l’épreuve une partie de
son soi.
La création et la consommation musicales empruntent la même
route (cf. une thèse de doctorat en sociologie, soutenue en 2009
par Alexis Mombelet à l’Université de Paris-V, exploitant cette piste
de l’interprétation par le jeu des engagements dans la musique
metal). Depuis les punks (God Save the Queen) jusqu’aux styles
plus actuels, l’activité de recomposition de formes et de contenus
déjà diffusés (mix, boucles, reprises) est fortement valorisée. Au
final, les pratiques de jeu forment l’arrière-plan constant, déroutant
et troublant des engouements des quinze/trente ans. L’initiation
aux drogues parcourt-elle la même voie initiatrice ? S’agit-il aussi
de comportements « pour voir », comme on dit au poker ?
L’adoption d’un statut de toxicomane n’est pas le but de départ du
praticien de la fumette (joint de haschich ou de marijuana) ou du
cachet (ecstasy). De la même façon, les intentions de Lewis
Carroll ne sont pas de faire prendre des substances
hallucinogènes à sa jeune héroïne, Alice, mais de l’inciter à «
traverser le miroir », de la divertir un peu de son ennui en la faisant
entrer dans un monde merveilleux. L’addiction n’est-elle pas
intimement imbriquée dans ce moment vital où l’on recherche «
autre chose » sans savoir laquelle ? On peut ainsi se laisser
influencer par un programme distractif, une pensée qu’on n’avait
jamais eue ou une conduite hors normes. Ces « pannes
symboliques et bifurcatoires » sont le quotidien de beaucoup de
ceux qui vivent dans une forme de mélancolie démocratique
(Dufour, 1996). Mais il ne s’agit pas seulement d’incidents de la
symbolisation ou d’évasions aléatoires mais d’actualisations de
désirs, de pulsions ou de rêves éveillés. Ceux-ci demeurent
articulés à/ et /inspirés par des représentations sociales du plaisir,
des formes esthétiques et du projet personnel. Cela signifie qu’au
moment où le temps suspend son vol et s’insinue dans des
sinuosités virtuelles d’un jeu électronique, l’audition d’un morceau
de musique qui « tue », comme disent les rappeurs, ou des
consommations plus ou extatiques de substances interdites, nous
cédons, échangeons ou « sacrifions », une partie de nos
représentations contre d’autres, plus ou moins connues, attirantes,
néfastes ou agréables. En s’aventurant, de cette manière, sur des
territoires symboliques et des imaginaires, les joueurs apprennent
à établir des plans de voyages multiples et acceptent d’avance
d’être suggérés et influencés au gré de leurs envies et de leur
sincérité du moment. Certes, l’aspect pédagogique ou «
autoformateur » du jeu a déjà été souligné par maints
observateurs, mais en même temps, il incite à être moins
consistant ou à éluder le choix d’un chemin plus approprié à soi.
En tentant tous les parcours, on est sûr de ne pas avoir de
remords mais on risque, parfois, de ne pas réaliser grand-chose,
sauf de façon virtuelle ou ludique.
La manifestation la plus socialisable, pertinente et active de
l’exploration ludique est la création artistique, qu’elle soit littéraire,
plastique ou sonore. Certains groupes, plus anomiques, préfèrent
cependant ressasser et répéter des scénarii élaborés par des
spécialistes de la communication et des arts. Dans le pire des cas,
le programme vidéo ou le « film » se métamorphosent en une
seringue d’héroïne. On comprendra donc que les représentations
sociales des drogues forment un phénomène multiforme très
singulier à analyser puisqu’elles supposent ce background culturel,
cette perspective et non seulement des appareillages
méthodologiques pour enquêter sur « la manière de tenir un joint
».

3. Aspects schématiques et iconiques

3.1. Figures, représentations imagées et sens

Moliner rappelle qu’« objectiver, c’est encourager la production


d’images puisque, par définition, les objets concrets sont
perceptibles et donc reproductibles sous cette forme » (Moliner,
1996, p. 110). L’image correspond à une entité sensible, concrète,
relativement passive, de ré-évocation et de reflet d’un objet,
absent dans l’environnement de celui qui la met en œuvre. Elle est
vue comme distincte du sujet qui l’adopte en fonction de buts
précis. Il s’agit d’une notion souvent inférée dans les travaux sur
les représentations. L’étude de l’imagerie cognitive, développée
notamment par Michel Denis (op. cit), est essentiellement centrée
sur sa dimension fonctionnelle et adaptative. Des recherches dans
ce domaine se développent en pédagogie, en psychologie du
travail et en ergonomie de l’informatique (Guillevic, Sperandio). On
se cantonnera, dans ce paragraphe, à sa dimension sociale et à
ses liens avec la notion de figure, proposée par Moscovici.
On peut tenter de repérer les aspects figuratifs des RS, décrits
comme « expression et production du sujet » plus que comme «
image, reproduction ou reflet » (Moscovici, 1976, p. 63), en
utilisant des techniques fondées sur le processus de projection.
Les planches inductrices (Abric, 1994, p. 63) en sont un exemple :
des dessins y mettent en scène la thématique d’enquête de façon
suffisamment floue pour que les sujets interrogés projettent leurs
propres représentations sur l’objet imagé ambigu qu’on leur donne
à commenter. Dans cette technique, proche de l’entretien, le
support dessiné illustre la consigne verbale accompagnant ce
genre d’interrogation.
D’autres recherches, où l’on incite des sujets à dessiner l’objet
de leur représentation, ont été réalisées sur l’image du fou ou de la
folie (De Rosa, 1987), de la radioactivité après la catastrophe
nucléaire de Tchernobyl (Galli et Nigro, op. cit.) ou sur la vision de
la ville de Paris chez ses habitants ( Milgram et Jodelet, 1976). On
demande alors, et le plus souvent, aux sujets de produire une
série de dessins ou de symbolisations qu’on leur fait ensuite
commenter. On procède enfin à un codage et à une analyse
sémiologique et quantitative des contenus imagés et des
expressions verbales rapportées aux productions iconiques.

12. La représentation sociale de la radioactivité et son


évolution chez des enfants du Primaire à Naples
« Immédiatement après la diffusion en Italie de la nouvelle de l’explosion de
Tchernobyl, dans les cafés, les restaurants, les bureaux, la rue, partout, les
gens parlaient uniquement de la radioactivité. Tout cela avait déterminé de
brusques et éclatants changements d’habitudes et de conduites : personne ne
mangeait de légumes, ni de dérivés du lait, ni ne se promenait dans les
jardins. On interdisait aux enfants de jouer avec le sable, la terre, l’herbe »
(Galli et Nigro, 1990, p. 432.). Ida Galli et Giovanna Nigro se proposent
d’enquêter, à ce moment-là, auprès d’une population d’enfants, sur
l’émergence de cette nouvelle représentation. Il s’agit, par définition, d’un
groupe social ayant eu, avant cette catastrophe tristement célèbre, peu de
connaissances sur l’objet de RS. On peut donc y voir naître et se transformer
in vivo la représentation. On leur a demandé de « dessiner la radioactivité »,
de commenter leur production iconique et de définir ce qu’ils ont voulu
représenter.
« Le nuage radioactif devenait l’icône de la radioactivité, le fall out en
explicitait la dynamique. L’action de la radioactivité était expliquée par ses
propres effets et conséquences. Sur la base des interdictions que la diffusion
de la radioactivité avait déterminées, les gens avaient élaboré une sorte de
décalogue des comportements susceptibles de faire face aux difficultés
[provoquées] par l’urgence. » (ibid., p. 432-433).
Les auteurs remarquent qu’il ne faut pas de longues phases de gestation
pour que se construise une nouvelle RS, « si les circonstances l’imposent ».
Les « situations » peuvent, dans ce cas, fonctionner comme des « sélecteurs
» d’objets en favorisant ou, au contraire, en freinant leur intégration dans les
systèmes de pensée préexistants.
Une première étude est menée à Naples, durant onze jours de suite, en
mai 1986, auprès de 132 écoliers de neuf à douze ans, à partir du
quatorzième jour ayant suivi la diffusion de la nouvelle de la catastrophe en
Ukraine. L’analyse des résultats indique que les enfants symbolisent quasi
unanimement la radioactivité par un « nuage » (85 % des sujets interrogés).
D’autres éléments ont aussi été figurés (prédominance de dessins d’un milieu
rural [47 %], aquatique : fleuves, lacs, mer, ou végétal : plantes, herbe
contaminés ; attention accordée aux nourritures empoisonnées ; plus grande
présence de personnes [50 %] que d’animaux : 17,4 %). Les nuages
radioactifs sont souvent situés dans la partie supérieure des dessins et «
flottent dans un vacuum de ciel ». Peu de soleils sont tracés. « Dans la plupart
des cas, le nuage radioactif domine le dessin. Parfois, il est personnifié : les
enfants l’ont représenté comme un monstre, comme un vampire ou comme un
diable » (ibid., p. 436). D’autres fois, il est figuré comme « un récipient de
particules et d’atomes, eux-mêmes anthropomorphisés » (ibid.). L’influence
des médias et des consignes gouvernementales qu’ils diffusent est très
fortement ressentie, comme, par exemple, dans le fait de dessiner les aliments
proscrits par les autorités (fromage, légumes, lait). Dans les explications
fournies sur les dessins, on remarque que les jeunes sujets vont très loin dans
les détails des conséquences de la catastrophe (cancers plus nombreux à
l’avenir, altérations génétiques, figuration de l’irréversibilité des suites de la
contamination). Quant à la définition de l’objet étudié lui-même, on observe
une assimilation du principe scientifique « radioactivité » à son icône, « le
nuage », dont la valence destructive, mortifère, pathologique et « méchante »
est très fréquemment affirmée.
Dans une deuxième étude, quatre mois après, réalisée sur le même
échantillon (avec quinze sujets en moins, soit 117 élèves en tout), Galli et
Nigro tentent de trouver, par une méthode relativement identique, les éléments
stables de la représentation et de comprendre comment elle évolue dans le
temps. « Nous croyons qu’il est possible d’isoler le noyau, par une analyse
génétique […]. Autrement dit, le noyau central pourra être reconnu par des
observations périodiques » (ibid., p. 442). Tout ce qui restera d’une
représentation originelle pourrait être ainsi désigné comme une structure
stable, assimilable au système central.
On remarque, durant ce second prélèvement de données, que les « nuages
» sont toujours présents, même si en une proportion inférieure (52 % des
sujets), dans les dessins, avec la symbolisation du fall out, de projectiles ou
d’éclairs divers. Mais « le processus de contamination est désormais accompli
et les éléments radioactifs imprègnent l’atmosphère comme brouillard et
comme poussières » (ibid., p. 443). Les enfants désignent encore assez
souvent le caractère permanent, mobile, délétère et enveloppant des effets de
la catastrophe nucléaire. Les références aux conséquences néfastes et aux
interdictions gouvernementales sont faites à nouveau. Le réacteur de
Tchernobyl est, par exemple, « remplacé » par une bombe sur certains
dessins. Le thème de l’exode, de la ville abandonnée, fuie, est fréquemment
évoqué graphiquement. À la fois naturelle (conséquence d’une explosion dans
une usine) et surnaturelle, hors du commun, la radioactivité est conceptualisée
comme « laide » et en tant que « source de dégénérescence »
environnementale. D’autres données permettent de caractériser l’évolution de
cette RS, comme la localisation de l’origine de la radioactivité, de ses causes
et de la possibilité de ne plus l’utiliser (constat d’un « fatalisme » d’une partie
des enfants). « Avant, le nuage effaçait le ciel et le soleil. Après, le ciel et le
soleil reviennent car les dimensions du nuage se sont réduites. Parfois, le
nuage a disparu, car la radioactivité, dont il était le “récipient”, s’est répandue
partout » (ibid., p. 448). De plus, on comptabilise une « décroissance nette des
définitions et des évaluations de la radioactivité » : quatre mois après, le
phénomène est devenu familier. Les enfants peuvent en parler sans se sentir
obligés de le définir ultérieurement. Sont en augmentation les allusions plus
précises aux effets du désastre. L’attention se concentre encore plus sur la
contamination et la mort. Les enfants associent plus souvent le nucléaire civil
et celui militaire. Ils parlent plus fréquemment de l’explosion d’Hiroshima et de
Nagasaki. La RS de la radioactivité s’est progressivement encore plus «
négativisée ». À partir de la réaction émotionnelle devant l’inconcevable,
l’étrange et l’inconnu, les enfants vont émettre peu à peu des jugements plus
sévères, inéluctables et pessimistes (« un châtiment de Dieu »). Au final, les
auteurs estiment avoir pu observer la naissance, l’objectivation, puis l’ancrage
d’une nouvelle représentation sociale, auprès d’un échantillon d’une
génération qui, rappelons-le, aura, en 2010, entre 33 et 36 ans.
D’après Galli et Nigro, 1990.

3.2. Une procédure d’analyse des images

Le travail de Galli et Nigro est exemplaire à plus d’un titre. Il est


centré sur des formes iconiques mais permet d’atteindre des
éléments verbalisés, affectifs et cognitifs. À certains égards, les
auteurs mettent en évidence quelques principes organisateurs ou
divers éléments d’un système central.
Pour certains spécialistes, les aspects iconiques ou symboliques
ne seraient que des « composants des représentations ». Au vu du
travail précédemment présenté, n’est-il pas audacieux et, même,
hasardeux de prétendre que l’approche des symbolisations non
verbales ne fait qu’effleurer la réalité d’un tel ensemble ? Une
représentation est, dès l’étude de Moscovici sur la psychanalyse,
décrite comme une entité à deux faces : figure/sens, « aussi
indissociables que sont le recto et le verso d’une feuille de papier »
(Moscovici, 1976, p. 63). Ajoutons que les aspects figuratifs
peuvent aussi consister dans des formes sonores ou non visuelles
et qu’ils sont profondément intriqués aux dimensions linguistiques
et cognitives (pesant fortement sur la construction du sens dans
les interactions). L’aspect iconique synthétise cependant l’«
essence » de l’activité représentationnelle. On peut supposer que
l’« entendement » et la faculté auditive y sont fortement associés.
Jusqu’à quel degré sont-ils indépendants ou déterminés par elle ?
Est-ce vraiment utile de le savoir ? Il suffit, en effet, de remplacer
la dimension iconographique par celle d’un son pour obtenir le
recto « figure sonore » et le verso « sens » dans une
représentation musicale. Le problème de la description d’une
représentation se pose alors de la même manière que pour les
formes visuelles.
Revenons néanmoins aux icônes. Une image est
conceptualisée, selon Moliner, comme un ensemble de
caractéristiques et de propriétés, de nature descriptive, référées à
des dimensions physiques, sociales, personnelles ou
psychologiques et attribuées par un individu à un objet (Moliner,
op. cit., p. 145-170). Diverses conditions permettent son
émergence : une relative identité des informations la concernant,
des expériences individuelles vis-à-vis de l’objet et l’existence de
savoirs préalables. L’image permet aux individus de formuler des
jugements, des évaluations sur l’objet et son environnement, et
existe comme entité nettement repérable pour ceux qui la
produisent. Elle illustre fortement la notion de schéma figuratif,
pivot de la structuration d’une représentation.
Quelles peuvent en être les procédures d’étude ? L’image serait
une partie structurante de la représentation sociale sans la
résumer pour autant, selon Moliner. Elle ne correspondrait pas
toujours à son noyau central du fait de sa spécificité descriptive. Le
choix opéré par ce chercheur est d’appliquer à son endroit une
méthodologie inspirée de celle des RS. Par exemple, les
comportements d’achat d’une marque d’automobile ne seraient
pas prescrits par l’image qu’on en a. « Au contraire des
représentations […], l’image sociale est fluctuante et donc
susceptible d’être modifiée. Elle est le résultat de processus de
perception et d’interprétation qui dépendent d’une RS » (ibid.,
p. 151.) La connaissance structurale de la hiérarchisation d’une
RS va donc permettre de connaître et de prévoir les images
sociales que les individus vont produire à partir de diverses
sources d’information. Elles sont, de ce fait, structurées autour de
deux composantes : l’une est descriptive et l’autre est évaluative,
de façon isomorphe à ce que sont les RS. Une méthode
d’approche en est proposée respectant la chronologie suivante :

Une chronologie des méthodes pour l’étude de l’image


D’après Moliner, op. cit., p. 169.

On procède d’abord à une analyse de la RS associée à l’image.


On évalue ensuite la pertinence des interprétations de cette
dernière en s’appuyant sur les résultats d’une étude des quatre
champs cognitifs de la représentation (cf. chapitre 3). L’image peut
donc être ou non un élément central d’une représentation. Cette
succession de questions permet ainsi de mieux problématiser son
étude.
On insistera sur la richesse des voies offertes par l’appréhension
des dimensions iconographiques, qu’elles soient animées ou non
(photographies, peintures plus ou moins figuratives, vidéo,
cinématographie, dessins, graffiti, tags ou œuvres picturales :
Hugues Bazin, 1995, Martine Lani-Bayle, 1993 ; Maisonneuve et
Bruchon-Schweitzer, 1999). On peut généralement déplorer que la
hardiesse analytique et exploratoire se soit bien peu développée,
comparée à la prudence méthodologique, hormis quelques rares
travaux monographiques ou cliniques. Signalons l’ingénieux
dispositif d’un caméscope ultraléger, fixé sur des lunettes de
l’observateur, qualifié de « caméra subjective », présenté par
Saadi Lahlou pour étudier les comportements au travail ou dans
d’autres situations. Comme il l’a exposé à la Ve Conférence sur les
RS, à Montréal, en 2000, on peut étudier, au moyen d’un tel outil,
la journée de travail d’un cadre et sa gestion des tâches et des
temps morts.
La diversité des manifestations du phénomène
représentationnel, sa foisonnante richesse, la multiplicité de ses
formes tant esthétiques, comportementales qu’idéelles, devrait
inciter le chercheur à prendre plus de risques. Le cas des «
images », la dimension figurative et non linguistique et aussi
l’étude des liens « conduites-représentations », semblent
constituer de sources de riches gisements d’enquêtes. La
progressivité du schéma, préconisé par Moliner pour
l’appréhension des images, servira-t-elle le but de fertilisation
qu’on peut aussi assigner à une recherche, en plus de sa relative
rigueur ? L’outil du sculpteur doit-il s’enfoncer dans la pierre au
point de la fendre ? Pour l’instant, on se contentera de synthétiser
par un tableau la diversité des modalités d’étude des RS dont
certaines (signalées avec des *) seront détaillées ultérieurement.

Les diverses modalités de constructions de données sur les


RS
Inspiré, en partie, de De Rosa, 1995.
4. Savoirs communs

4.1. Tests associatifs

L’accès aux éléments de base des représentations peut se faire


de manière plus économique en temps et en moyen
d’investigation, en proposant aux sujets d’une enquête un test
d’association de mots.

13. L’origine des tests d’association (ou d’évocation)


Cette technique a diverses origines. Le travail de Freud sur l’association
libre en est une. Le célèbre thérapeute est d’abord intervenu auprès de ses
patients, de 1892 à 1895, par la méthode cathartique, inspirée par les
médecins français de l’école de la Salpêtrière à Paris (Charcot) et de Nancy
(Bernheim et Liébault). Il s’agit d’un moyen assez directif de faire revenir à la
conscience du névrosé des représentations associées à sa souffrance.
Catharsis est un mot grec qui signifie « purgation », « purification ». Freud fait
alors l’hypothèse que les affects associés aux souvenirs traumatiques restent
« coincés » dans l’inconscient et somatisés dans des symptômes hystériques
et des représentations. Le but des suggestions et des manipulations verbales
et physiques (mains posées sur le front du patient) des thérapies cathartiques
est de favoriser la décharge émotionnelle de ces traces mnésiques et des
images qui y sont liées afin, dans un second temps, de pouvoir favoriser la
remémoration et le travail par le langage sur ce qui a généré les traumatismes
et causé le malaise psychique. Le psychodrame et la narco-analyse (par des
moyens médicamenteux) ainsi que le rapport transférentiel du malade à son
thérapeute renvoient, pour chacun d’entre eux, à des moments cathartiques
plus ou moins intenses.
Divers problèmes sont posés par cet usage de l’hypnose : Peter Gay
raconte, par exemple, que l’une des toutes premières patientes du
psychanalyste viennois, « s’éveillant, délivrée de ses douleurs hystériques, se
jeta au cou de son sauveur » (Gay, 1991, p. 59). Freud, fidèle à son inspiration
kantienne, abandonne donc cette voie au profit de la méthode de la libre
association en faisant plus confiance au médium du langage pour parvenir à
faire travailler ses malades sur leurs souvenirs. Le patient y est invité à donner
libre cours à toutes ses idées au moment où elles lui viennent à l’esprit, sans
restriction, ni sélection, ni censure sur le contenu ou la forme. La narration
d’un rêve, d’un lapsus ou d’une situation de la vie quotidienne est une forme
inductrice d’une chaîne lexicale et associative supposée émaner de
l’inconscient et renvoyer à des « fantaisies », « fantasmes », « imagos », «
condensations », « figurations », « déplacements », « élaborations
secondaires » et « représentations ». C’est à partir de ces « signes » et de ces
« figures » plus ou moins travesties que le thérapeute et le patient vont
interagir. Karl Gustav Jung use aussi des tests d’association verbale,
parallèlement développés par les psychologues associationnistes, puis
béhavioristes, plus ou moins d’accord entre eux sur les rapports entre les
cognitions (inexistantes pour les derniers) et les mots.

L’hypothèse fondant cette technique se rapporte à l’existence de


liens sémantiques, lexicaux, synonymiques, référentiels,
analogiques, taxinomiques et de symbolisation entre les mots et la
(ou les) représentation(s). Ce type de test commence par une
question où l’on propose à un sujet de dire (ou d’écrire), sans
réfléchir trop longtemps, tous les mots, désignations, expressions
ou adjectifs qui lui viennent à l’esprit face à un terme stimulus ou
inducteur. Les associations produites (ou termes induits) sont
considérées comme spontanées et élaborées réactivement. Elles
recèlent une dimension projective puisque le mot stimulateur n’est
pas une phrase ou une question précise et peut être interprété par
chaque sujet en fonction de son propre cadre de pensée. Le
nombre de termes à évoquer est, en général, de trois à six.
Certains spécialistes invitent les sujets à en formuler un nombre
précis, d’autres en demandent beaucoup plus. D’autres encore ne
détaillent pas combien de mots il faut exprimer. Dans l’enquête sur
la RS de la pauvreté, menée en Île-de-France (Seca, 2003), cinq
termes sont requis, sans la garantie que chaque répondant ait la
même fluidité verbale, c’est-à-dire une aptitude à citer un nombre
identique de mots. D’autres enfin proposent aux sujets de produire
des réseaux de termes et des chaînes associatives.
Par ce moyen, relève Abric, on accède beaucoup plus
rapidement que dans un entretien aux « éléments de l’univers
sémantique du terme ou de l’objet étudié […], implicites ou latents
qui seraient noyés ou masqués dans les productions discursives »
(Abric, 1994, p. 66). L’application de cette procédure est facile et
permet d’obtenir une liste de mots constituant le système
catégoriel d’une représentation. Le travail d’analyse de contenu a
pour finalité de mieux connaître la nature et la structure des
associations par une approche sémantique (synthèse des
significations véhiculées par les termes induits, codage des
synonymes, des antonymes, des métaphores, des connotations),
thématique (création d’ensembles catégoriels permettant de
classer les termes induits par thème et sous-thème, calcul de leurs
fréquences, co-occurrences, dispersion, relation d’opposition ou de
conjonction) et lexicale (rapport verbes/adjectifs, termes les plus
cités, fluidité verbale, proportion du nombre de termes différents
par rapport au total de termes induits). Dans la section 1. du
chapitre 5, sont présentées quelques pistes pour
l’approfondissement du travail sur ces listes de mots.

4.2. L’accès aux « cartes mentales »

Le but de l’analyse de l’objectivation est de parvenir au


regroupement et à l’ordonnancement des informations
élémentaires conduisant à un degré relatif de consensus entre les
populations interrogées à propos de l’objet de RS. On peut pour
cela utiliser une approche sémantique qualitative ou des analyses
statis tiques complexes (classification automatique ou
hiérarchique, de similitude, analyse des correspondances,
multidimensionnelle ou en régression multiple) afin de faire
émerger une carte mentale commune, une « trame primitive » et
sa structure (Doise et al., 1993, p. 25-100).
Les logiciels d’analyse textuelle transforment radicalement le
travail des chercheurs, depuis la fin des années 1980, en leur
permettant de compléter l’appréhension thématique des contenus
par leur approche statistique et objective. La diffusion de
programmes, comme ALCESTE, DISCAN, EVOC, LEXICO,
PROSPERO, SPAD, SPHINX, WORDMAPPER et bien d’autres,
l’atteste. Une liste de réponses à une question ouverte ou
d’associations de mots et les archives les plus diverses
(dictionnaires, données d’entreprises, d’internet, de jurisprudence)
peuvent être traitées. Le protocole d’exploitation consiste dans la
combinaison d’algorithmes d’analyse des données et de procédés
de classement a posteriori en segments du contenu d’un texte,
quel qu’il soit (suite d’items, textes réglementaires, livres, articles
de journaux, entretiens…). Un travail de découpage préalable du
corpus (notamment la lemnisation, c’est-à-dire un rassemblement
des termes ayant la même racine comme par exemple «
technologie » et « technique » ; regroupement des synonymes,
etc.) est parfois nécessaire. On associe ensuite à chaque sujet, ou
unité de comptage, des variables sociodescriptives, des
propositions ou des énoncés pertinents du point de vue de la
problématique étudiée. Pour une liste de termes induits, ce travail
classificatoire peut impliquer de saisir les expressions en fonction
de leur ordre de citation ou de classement et par sujet. Les calculs
effectués consistent en tableaux de fréquences, de moyennes, de
dispersion et autres indices mais aussi en analyses factorielles ou
postfactorielles. Des classes et arbres hiérarchisés sont générés
regroupant les mots fortement corrélés entre eux, cités par
diverses parties de l’échantillon questionné.
Lahlou applique le logiciel d’analyse textuelle Alceste, conçu par
Max Reinert, pour parvenir à identifier des ensembles lexicaux
homogènes se rapportant à la représentation de l’acte alimentaire
(Lahlou, op. cit.). Deux corpus sont alors utilisés : celui du
dictionnaire Le Grand Robert, sous sa forme électronique, à
l’intérieur duquel des liens hypertextuels forment des ramifications
sémantiques compliquées entre les synonymes, les antonymes,
les expressions courantes, les exemples et les définitions du terme
« manger » ; et celui d’un test associatif, administré en 1991, à un
échantillon représentatif de la population française (deux mille
individus), dans le cadre d’une étude du CRÉDOC. Les résultats
du test d’association regroupent les termes induits auprès de deux
mille sujets, suite à la question « Si je vous dis “manger”, quels
sont les cinq premiers mots qui vous viennent à l’esprit ? ». Le
corpus tiré du dictionnaire comprend 544 définitions associées à «
manger », correspondant à un texte de 500 pages, synthétisant
l’essentiel du savoir sur l’acte alimentaire, soumis à l’algorithme de
la classification automatique d’Alceste. Une heureuse métaphore
permet de comprendre assez facilement la logique de l’analyse
appliquée à ces deux types de texte.
« Supposons qu’un ethnographe martien, étudiant la Terre,
veuille savoir de quoi est faite une “maison”. Il fait prélever, par
ses étudiants, un échantillon de maisons qui sont ensuite
découpées en petits morceaux dont chacun est muni d’une
étiquette indiquant sa provenance. Il fait ensuite des tas avec les
morceaux, en essayant de faire des tas, les plus homogènes
(morceaux de même couleur, texture…). [Des ensembles de
bois, de pierre, de brique, de fer, de verre, de plastique sont
formés et étiquetés.] Si on reclasse ensuite les morceaux par
provenance, on pourra dire que telle série de maisons (par
exemple les HLM de banlieue) est faite principalement de
marbre, de briques et de bois. C’est ainsi qu’Alceste procède sur
les textes : il les découpe en bouts de phrase qu’il classe ensuite,
tout l’art consistant à bien découper les morceaux et à faire des
tas bien homogènes. L’utilité d’Alceste est donc de permettre de
distinguer les éléments de base du discours, la matière dont il est
fait, sans a priori, ce qui permet, en principe, de bien repérer ce
qu’il est pertinent de mesurer pour bien décrire. »
Ibid., p. 25

Cinq grandes classes de termes sont produites, à la suite de


l’analyse textuelle informatisée du Grand Robert :
Paradigme de base du « manger »
D’après Lahlou, 1998, p. 33.

Chaque mot, à l’intérieur du schéma ci-dessus, n’est que la «


tête de chapitre » des regroupements effectués par Alceste. Si l’on
se réfère, par exemple, à la classe « repas », on remarque qu’elle
rassemble principalement, comme termes les plus
caractéristiques : « repas, table, restaurant, plat, dîner, cuisine,
déjeuner, inviter, servir, buffet, vaisselle, cantine, festin, couvert,
fête, café, menu, noce, nappe, hostie, gastronomie, soir, heure,
assiette, communier, collectif, manger, ensemble, thé, convive,
souper, tasse, gala, réception, jour, entrée, dessert, office,
serviette, cher, spécial, payer, préparer, léger, carte, pièce, on,
frugal, général, nuit, mettre, boisson, région, cours, verre,
métonymie, hôte, milieu, grand, après, chez, récipient… »
L’analyse du test associatif appliqué sur le « manger », auprès
de l’échantillon de Français, est beaucoup plus pauvre en
évocations mais les six classes, formalisées dans l’étude du
corpus du dictionnaire, sont retrouvées. Le noyau correspondant à
l’action « PRENDRE » devient nettement plus implicite et se traduit
par l’expression « CASSER LA CROÛTE » (3 % de l’ensemble
des termes induits contre 15 % des mots associés à « PRENDRE
» dans Le Robert). La classe « NOURRITURE » (24 % comparés
à 25 %) ne change pas dans son importance, même si elle est
moins richement illustrée. « REPAS » est plus fortement
représenté (20 % comparés à 13 %). « ÉQUILIBRE » (13 %)
renvoie à « REMPLIR » (7 %) et « AIME-APPÉTIT » (13 %) à «
LIBIDO » (8 %) dans le paradigme de base du manger. Le noyau «
VIVRE » (25 % comparés à 33 %) est, comme les classes
désignant la réplétion ou la prise, minoré ou éludé. Nous ne
restituons qu’une partie, assez limitée, d’une longue analyse sur
chacune des classes et sur leurs liens avec la représentation de
l’acte alimentaire. D’autres études, comme celle de la
représentation du « bien manger », livrant huit classes
homogènes, ou bien celle, plus typologique, des comportements
alimentaires des Français, complètent cette démarche.
Les approches de l’objectivation se proposent de cerner ce que
Lahlou qualifie de « paradigme de base » ou Milgram et Jodelet,
Doise, Clémence, nomment une « carte mentale commune »
(Clémence et al., 1994, p. 121). Il ne s’agit pas seulement de
décrire une liste quelconque d’attributs de l’objet d’étude. Le but
est de comprendre quels sont les images et les éléments cognitifs
qui font sens pour la plupart des acteurs et, aussi, comment ces
composants sont inscrits et formalisés dans les encyclopédies, les
dictionnaires, les règles de droits et les institutions. L’accès à cet
ensemble facilite la description de la structure, des formes
premières ou des principes générateurs d’une RS. L’analyse des
corpus textuels et celle des aspects figuratifs en constituent les
données essentielles.
« Les processus mis en jeu […] ont pour fonction à la fois de
découper une figure et de la charger d’un sens, d’inscrire l’objet
dans notre univers, c’est-à-dire de le naturaliser, et de lui fournir
un contexte intelligible, c’est-à-dire l’interpréter. Mais ils ont
surtout pour fonction de doubler un sens par une figure, donc de
l’objectiver d’un côté – tel complexe psychanalytique devient un
organe psychophysique de l’individu – et une figure par un sens,
donc ancrer de l’autre côté – le psychanalyste défini comme un
magicien ou un prêtre – les matériaux entrant dans la
composition d’une représentation déterminée. »
Moscovici, 1976, p. 64

14. La carte mentale des droits de l’Homme


Une étude des RS des droits de l’Homme (DH) conduit à une comparaison
dans quatre pays (Clémence et al., 1994 ; Doise, 2001). Dans cette enquête
internationale (Costa Rica, France, Italie, Suisse), 21 propositions résumant
les principales atteintes aux DH, extraites d’un travail d’analyse sur les arrêts
de la Cour de Strasbourg, sont proposées aux jugements, sur une échelle en
quatre points (« oui sûrement », « oui peut-être », « non pas vraiment », « non
pas du tout »), de quatre groupes nationaux de 234 à 255 sujets jeunes (13/20
ans). Diverses autres questions sont posées (attitude des questionnés face à
une institution judiciaire internationale, sexe, origine sociale…).
Résumons quelques objectifs de l’enquête : existence ou non d’une
universalité des DH dans des contextes sociaux différents ; description de la
RS de droits (socio-économiques, autodéfense, relations conjugales), moins
reconnus officiellement, ou de ceux plus formellement explicités dans la
Charte de 1948. Quels sont les principaux résultats ? Sur l’universalité des
DH, le savoir commun des sujets est comparable avec celui de la Déclaration
de 1948. « Un fort consensus se dégage pour lier aux DH les infractions aux
droits de la défense, à l’intégrité physique, à l’égalité raciale et à la liberté
d’expression […]. On peut distinguer une classe d’items relevant du domaine
des DH [d’une autre] qui l’est moins […]. Les situations qui impliquent des
enfants ont été classées parmi les atteintes aux DH lorsqu’elles concernent
manifestement une infraction plus générale telle que l’usage de la violence, la
négation du droit à être entendu ou à poursuivre des études. En revanche,
l’obligation de nature religieuse dans les familles contrairement à celle
imposée aux femmes par un gouvernement [n’est pas apparue comme telle] »
(ibid., p. 129.) Il en est de même pour la notion d’autodéfense, légitimée par
les principes de sécurité, de protection de la vie privée, de la propriété et des
libertés individuelles, ou pour les droits dans les relations conjugales,
subsumés dans ceux de la famille, élément naturel et fondamental de la
société (article 16.3 de la Charte de 1948). Ces nuances reproduisent les
débats de ceux qui ont rédigé la Déclaration Universelle des DH et indiquent
donc une « objectivation de ces droits remarquablement consensuelle » (ibid.,
p. 133).
Une approche statistique des variations individuelles permet cependant de
dégager cinq classes homogènes qui, pour l’une d’entre elles, associe « les
atteintes à la liberté religieuse des femmes par un gouvernement […] et celle
des enfants par leurs parents […] alors que l’analyse des distances moyennes
séparait clairement ces items » (ibid., p. 137).

D’après Clémence et al., 1994.

4.3. Organisateurs du rapport aux drogues chez des jeunes


Italiens

Cette recherche a été réalisée par Marcella Ravenna de


l’Université de Ravenne (spécialiste italienne de la toxicomanie :
Ravenna : 1997) et Nicoletta Cavazza, de l’Université de Bologne.
Ces résultats ont été présentés à la Ve Conférence sur les
représentations sociales de Montréal, du 29 août au 2 septembre
2000. Nous remercions les auteurs de ce travail d’avoir
communiqué leurs données. On y étudie les représentations de
trois types de psychotropes : ecstasy, haschich et cocaïne. Ces
drogues sont les plus accessibles et les plus consommées chez
les jeunes italiens mais aussi en France (Ferréol, 1999). Le but de
ces chercheurs est d’explorer la façon dont un échantillon de
jeunes de 15-25 ans se représente ces substances et les fonctions
qu’elles remplissent au moment de l’affrontement des difficultés
faisant suite aux phases de développement, typiques de cet âge
de transition vers la vie adulte (Erikson, 1972). Deux objectifs sont
alors à souligner :
– la détermination et la comparaison des éléments du champ de
référence commun sur ces différentes substances ;
– l’articulation de ce champ avec les attitudes à l’égard de la
consommation des drogues, les activités de loisir à risque et
l’implication dans des expériences critiques (Ravenna et Cavazza,
op. cit.).
Le système de représentations de ces trois drogues, qualifiées
dans l’enquête de « substances cibles », est composé des
opinions des sujets sur les motivations de la consommation, le
consommateur lui-même, les circonstances dans lesquelles on les
expérimente et les effets ressentis. Cette enquête est basée sur un
long questionnaire auto-administré auprès de 805 sujets,
provenant de lycées et d’universités du nord de l’Italie (Bologne,
Ferrare). Il a le même contenu pour tous les sujets interrogés,
mais est ciblé soit sur l’image de l’ecstasy (n = 274), soit sur celle
de la cocaïne (n = 266), soit, enfin, sur la RS du haschich (n =
265). Voici, ci-après, quelques résultats, correspondant aux
indicateurs sur les motivations de l’usage de ces substances, les
caractéristiques du consommateur, les circonstances, les effets et
le risque perçu.

4.3.1. Les caractéristiques du consommateur

La RS du consommateur a été étudiée en présentant 22 paires


d’adjectifs bipolaires, à évaluer sur une échelle en sept points.
L’analyse en composantes principales fait émerger une articulation
de trois facteurs expliquant, au total, 45,6 % de la variance.

Analyse factorielle sur les caractéristiques de l’usager


D’après Ravenna et Cavazza, 2000.

Le premier fait référence à des caractéristiques opposant une «


personne triste, irrésolue, solitaire et passive » à une autre «
joyeuse, sûre d’elle-même, sociable et active ». Cette dimension
est qualifiée de « dépression/solitude », étant donné que ces
jugements tendent vers une zone négative. Le deuxième facteur
regroupe les éléments opposant la « tendance à l’impulsivité » à
celle « à la réflexion ». Enfin, le troisième concerne la «
prédominance de l’attention à soi-même » versus « à autrui ».
Les éléments qui saturent chaque facteur ont été regroupés en
trois index (dépressif ; impulsif ; individualiste), inclus en tant que
variables dépendantes dans une analyse de la variance à un
facteur indépendant (correspondant au type de drogue étudiée).
Les données indiquent alors que l’attribution d’impulsivité domine
chaque représentation du consommateur de drogue. Elle est plus
consistante lorsqu’il s’agit d’ecstasy et de cocaïne que lorsqu’il
s’agit de haschich. L’individualisme et l’état de dépression
semblent être, au contraire, attribués plus particulièrement aux
consommateurs de cocaïne. Les réactions face à un
consommateur de psychotropes se révèlent globalement plus
négatives que positives Il y a quelques différences, selon la
substance utilisée. Les émotions négatives sont particulièrement
élevées face à un cocaïnomane. Les évaluations positives sont
plutôt réduites dans le cas de l’ecstasy.

Les opinions sur les motivations de la prise

Ces opinions sur chacune des trois substances ont été


collectées au moyen de 32 items. Une analyse en composantes
principales permet aux auteurs de formaliser une structure à
quatre facteurs (dont elles ont exclu sept éléments). Ces quatre
dimensions expriment 41,4 % de la variance totale. Le premier
facteur fait allusion à l’« envie d’expérimenter et de connaître »
(16,1 %), le deuxième renvoie à « la plus grande facilité de contact
» (10 %), le troisième rassemble les données évoquant une «
amélioration des prestations personnelles » (8,2 %). Le quatrième
ensemble se rapporte aux « dispositions négatives des
consommateurs » (7,1 %).
Les items qui saturent chaque facteur ont été réunis afin
d’obtenir quatre variables dépendantes (expérimentation ; facilité ;
performance ; qualités psychologiques), intégrées à une analyse
de la variance à un facteur indépendant (renvoyant au type de
substance). Cette analyse montre encore une fois que les
représentations des trois drogues diffèrent entre elles de manière
significative. La prise d’ecstasy est principalement associée à la
grande facilité à établir des contacts humains. Ce qui a une
importance moindre pour les autres substances. On perçoit
l’augmentation des prestations comme une incitation particulière à
la prise de cocaïne. Des caractéristiques individuelles comme la
fragilité, l’attraction pour le vice ou encore l’inadaptation sont
également fortement évoquées pour ce dernier type de
consommation. Enfin, l’envie de faire de nouvelles expériences
motiverait la consommation à l’ensemble des trois psychotropes.

Les circonstances de la consommation, ses conséquences et la


perception des risques

Les situations au cours desquelles se déroulerait la prise de ces


trois drogues semblent plutôt hétérogènes : le haschich est décrit
comme la substance qu’on consomme, plus que les autres,
convialement. L’ecstasy semble être vu comme la « drogue de la
nuit ». La cocaïne est catégorisée comme celle de la « solitude ».

Les contextes de la consommation


D’après Ravenna et Cavazza, op. cit.

La représentation des conséquences (tableau ci-


dessous) de l’usage de ces trois psychotropes confirme
l’importance accordée à la convivialité dans l’usage du
haschich.

Effets perçus de la consommation


D’après Ravenna et Cavazza, op. cit.

Ce qui est un fait bien connu sur la représentation de cette


drogue en France (Ferréol, op. cit.) et ailleurs. La prise d’ecstasy
fait plutôt penser à des conséquences physiques négatives. La
cocaïne générerait de la dépendance (physique et psychologique).
Les risques perçus pour un usage occasionnel et régulier de
haschich sont inférieurs à ceux mentionnés pour l’ecstasy ou la
cocaïne, qui ont des valeurs équivalentes dans les deux cas.
Ravenna et Cavazza ont effectué une analyse discriminante
pour vérifier si les réponses correspondant à chaque substance
constituent globalement des représentations relativement
homogènes. Elles incluent, en tant que variables indépendantes,
les facteurs correspondant :
1) à la représentation du consommateur des trois substances
cibles ;
2) aux opinions à propos des motifs de la prise ainsi que celles
émises sur les émotions (positives et négatives) suscitées par la
vue des consommateurs.
Cette manipulation des données permet de différencier des
ensembles d’opinions de manière significative. Deux fonctions
discriminantes sont obtenues. Par la première, on observe, sur un
pôle, la plus grande facilité, l’expérimentation comme motif des
prises, associées aux émotions positives. Le haschich est la
substance cible qui représente le plus cette zone. Sur l’autre axe,
on trouve les autres variables ayant une connotation négative et se
rapprochant plus de la cocaïne. La deuxième fonction sépare les
émotions positives de toutes les autres variables. À propos de
cette deuxième fonction, la cocaïne et le haschich obtiennent des
indices (des centroïdes) du même signe, se rapportant aux
émotions positives, alors que l’ecstasy se place sur le pôle
opposé. La première fonction exprime une forte distinction entre
cocaïne et haschich. On observe plutôt les aspects fortement
négatifs de la première et les aspects positifs de la seconde. La
deuxième fonction permet surtout de saisir la connotation
fortement négative de l’ecstasy par rapport aux deux autres
substances.

Modalités d’articulation du champ de représentation

Pour les trois drogues, la représentation du consommateur en


termes de « dépression/solitude », d’« individualisme » et d’«
impulsivité » est plus formulée par les filles que par les garçons,
ainsi que par ceux qui ont une attitude négative face à l’usage de
drogue. L’âge différencie assez les réponses des sujets. Les
évaluations de dépression/solitude sont surtout émises par les plus
âgés. L’attribution d’impulsivité est plus le fait des plus jeunes.
L’attirance pour les loisirs à risque n’a pas d’influence sur la
perception du consommateur, qui est appréhendé comme une
personne déprimée et seule. Les scores, pour cette
caractérisation, semblent être plus élevés chez ceux n’étant pas
du tout (ou très peu) attirés par les expériences d’addiction.
La qualification du consommateur en termes de
dépression/solitude et d’impulsivité disparaît de manière
significative avec l’implication plus grande des sujets dans les
conduites d’addiction. Une telle tendance semble moins linéaire
dans le cas de l’attribution d’individualisme. En ce qui concerne les
émotions provoquées par la vue d’un consommateur, les réactions
négatives sont plus fréquentes chez les filles, chez ceux qui ont
une attitude dépréciative face à la drogue et parmi les sujets qui ne
sont pas du tout ou peu attirés par des loisirs à risque. Ces
jugements stigmatisants diminuent de façon significative lorsque
l’implication dans la consommation augmente. Si on considère les
résultats des analyses effectuées sur les quatre facteurs
correspondants aux motifs de la consommation, on remarque que
l’expérimentation mais également les attributs personnels négatifs
sont le plus souvent cités par les filles. La plus grande facilité
relationnelle et, plus particulièrement, la performance sont plus
fréquemment mentionnées par les garçons. De plus, la relation
dépréciatrice à la performance et aux attributs personnels négatifs
est plus élevée chez ceux qui ont une attitude négative face aux
drogues. Les jugements en termes d’attributs personnels négatifs
diminuent de façon significative au fur et à mesure que l’implication
dans la consommation augmente. Dans les jugements en termes
d’expérimentation, un tel effet est plus modéré. Toutes les opinions
exprimées se différencient selon le type de drogue évalué. Des
effets d’interaction ont été constatés dans le cas du facteur «
performance » entre « drogue cible » et « âge », ainsi qu’entre «
drogue cible » et « attitude face à l’usage de drogue ».
D’autres travaux sur les drogues, plus monographiques, existent
mais celui-ci a l’avantage d’illustrer les méthodes prônées par
l’équipe de Doise à Genève et complète donc la présentation faite
sur les méthodes de description de l’objectivation.
À retenir
Les représentations sont aussi des « objets de transactions linguistiques »
qui sont transformés par ce mouvement incessant. Diverses sources de
données textuelles existent pour l’étude d’un tel processus mais l’approche
par entretiens demeure la voie royale d’accès aux contenus et au champ
informationnel et sémantique.
Les dimensions iconiques, musicales et esthétiques forment un secteur
stimulant, complémentaire de l’analyse des discours, renvoyant au niveau
symbolique et social des RS.
Les tests associatifs ainsi que d’autres méthodes du même type, combinées
à des formes interrogatives de construction des données, permettent de tracer
des « cartes mentales » et, donc, de mettre en évidence des principes
organisateurs de ces ensembles symboliques et sociaux.
L’approche des aspects figuratifs peut être entreprise selon des modalités
structuralistes ou plus phénoménologiques et plurielles au risque de perdre de
la rigueur méthodologique et de gagner en richesse descriptive.
L’étude des contenus d’une RS est irremplaçable mais il faut savoir choisir
les techniques les plus efficaces, les plus proches de formes associatives ou
structurées si l’on veut mettre en évidence la hiérarchie entre ses
composantes.
TROISIÈME PARTIE

Dynamique et praxis
Chapitre 5

Saisie de la structure : complexité et


schèmes
1. Relations entre les cognitions
2. Vérification de la centralité
3. Schèmes cognitifs de base

1. Relations entre les cognitions

1.1. Lien « fréquence/rang »

À partir d’une liste associative, on peut décrire la structure d’une


RS en adoptant un mode de calcul très simple (Grize et al., 1987 ;
Vergès, 1992). À la suite de l’analyse du système de catégories
des sujets, livrées par le matériel associatif, on calcule deux
indicateurs :
a) la fréquence de chaque item sur l’ensemble de l’échantillon ;
b) son rang d’apparition dans l’association (défini par le rang
moyen rapporté à l’ensemble de la population). Sur ce point, Abric
propose de prendre en considération le rang d’importance plutôt
que celui d’apparition des items cités pour chaque sujet (Abric,
2003, op. cit.) suite à un classement des termes induits.
On peut ensuite tenter d’évaluer quel est le coefficient de
corrélation (Spearman) entre a) et b). Si celui-ci est significatif pour
un certain nombre d’items à forte fréquence et au faible rang
moyen (cités et/ou classés en moyenne en premier), on a de fortes
probabilités de se trouver en face d’éléments du noyau central,
probablement organisateurs de la représentation. Le calcul du lien
de corrélation entre a) et b) est facultatif, ce qui confère une
grande simplicité d’application à cette technique. L’importance
accordée à la fréquence traduit la dimension collective et partagée
des éléments du NC. L’ordre de citation ou d’importance des
termes associés par les sujets est un critère renvoyant à
l’appréhension individualisée de l’objet de représentation et aux
caractéristiques plus qualitatives des éléments d’une telle
structure.
Le tableau des termes les plus corrélés, du point de vue de leur
fréquence et de leur rang moyen, pour le mot inducteur « travail »
se présente, pour l’enquête de Grize et al., comme suit :

Associations induites par le mot « travail »*

* Termes cités au moins 3 fois.


D’après Grize et al., 1987, p. 124.

On remarque que les items « salaire, gagner sa vie, argent,


occupation » ont de fortes probabilités d’appartenir au système
central, de former un « noyau organisateur » pour reprendre
l’expression des auteurs (Grize et al., op. cit., p. 123) ou de
constituer un prototype (cf. glossaire p. 195) de l’objet. « Plaisir,
connaissance, ambiance, partie de la vie, horaire, fatigue » sont
plus probablement périphériques et forment ainsi des référents
linguistiques lors des modulations conversationnelles de la RS du
travail ou des points de vue de sous-groupes minoritaires
interrogés lors de l’enquête. Les caractéristiques relationnelles («
contact »), contraignantes ou d’obligation de l’objet étudié peuvent
être des illustrations, plus ou moins périphériques, normatives ou
fonctionnelles dont le sens peut ou non provenir du système
central. Les cases « forte fréquence/faible rang moyen » ou «
faible fréquence/fort rang moyen » ont donc un statut intermédiaire
cristallisant des « zones potentielles de changement » (Vergès,
1992). Les « colorations positives » du travail proviennent
apparemment des marges du système représentationnel, comme
ses connotations négatives plus détaillées (« horaire », « fatigue
»). Le paradoxe est que le sens de « travail », présent dans le
noyau organisateur, cité en premier, fréquemment et plus
rapidement accessible en mémoire, n’émergerait pas tel quel dans
l’ensemble des discours des sujets. Les éléments périphériques «
habillent » les éléments plus fortement structurants qui « habitent »
le discours généré, tout en étant déclinés sous des formulations
diverses, parfois anecdotiques.
L’étude de Vergès sur la représentation de l’argent a été
entreprise de la même manière (Vergès, op. cit.). Voici les résultats
de l’une des deux enquêtes : l’une ayant été effectuée à Marseille
(sur 367 hommes et femmes) et l’autre à Nîmes (auprès de 400
femmes). Dans le tableau ci-dessous, le rang moyen, qualifié de «
faible », est l’équivalent de celui qu’on désigne comme « fort »
dans le tableau précédent. « Faible rang moyen » signifie, ci-
après, que les mots correspondant à cette catégorisation ont été
cités plus souvent en premier et sont tendanciellement proches du
chiffre 1. Tout ceci n’est qu’un problème de codage des réponses
des sujets.

Associations induites par le mot « argent »*


Termes cités au moins 10 fois dans l’enquête de
Marseille.
D’après Vergès, 1992, p. 205.

1.2. Classement des associations par les sujets

Faire évaluer des couples de mots

Dans le but de faire émerger la structure d’une RS, on peut


inciter l’enquêté à effectuer lui-même un travail d’analyse, de
comparaison et de hiérarchisation de ce qu’il pense ou dit. Suite à
la production d’un corpus d’associations de mots, on propose aux
sujets, dans une deuxième phase, de construire des paires de
termes qui « semblent aller ensemble ». Ce type de classification
favorise une meilleure compréhension du sens attaché à chaque
mot et un début de repérage de ceux qui sont plus fréquemment
choisis afin d’être associés à d’autres (termes charnières, centraux
ou organisateurs). On peut compléter cette démarche par des
questions sur le type de rapprochement, opéré par chaque sujet,
entre deux mots (similitude, contraste, liens divers, mots les plus
importants…).
La comparaison par échelles

Une autre technique est celle de la comparaison « pairée » (ou


par paire), développée par Georges Le Bouedec, en 1984, illustrée
ci-dessous par une recherche de Jean-Marc Monteil et de Louis
Mailhot. Dans un test associatif, il est demandé trente substantifs
auxquels fait penser le mot « formation ». Les vingt termes, les
plus fréquemment cités par 90 formateurs d’un premier échantillon,
résument l’information sur la RS dont voici la liste : apprentissage,
changement, chômage, communication, compétence,
connaissance, développement, échange, école, éducation, emploi,
enseignement, entreprise, étude, information, profession,
recyclage, relation, stage, travail.

15. La RS de la formation
Afin de déterminer le champ de la représentation et l’attitude des 168
formateurs d’un deuxième échantillon, deux recueils de données sont
effectués. D’abord, les vingt substantifs plus le mot « formation » (n = 21)
servent à former 210 paires possibles de termes (d’après la formule : « n (n –
1)/2 »), soumises à évaluation sur une échelle en cinq points (allant de « très
semblable » à « très peu semblable »). Chaque couple de mots, par exemple
« apprentissage – emploi », est jugé par cette procédure.
L’étude de l’attitude consiste ensuite à faire évaluer chacun des 21 concepts
au moyen de huit échelles à sept degrés, du type « différenciateurs
sémantiques », comme par exemple « utile – inutile » ou « difficile – facile ».
Les données sont traitées par des analyses factorielles des correspondances
(AFC) et par une classification ascendante hiérarchique (CAH). Les AFC
portent sur les réponses au degré un (très semblable) sur les cinq existants de
l’échelle d’évaluation des 210 paires de substantifs. Le premier facteur (F1 =
32,76 % de la variance) fait apparaître la place notable de « chômage »,
évoqué dans sa dimension de privation socio-affective, et opposé à «
communication, échange, connaissance, développement ». Dans le facteur 2
(F2 = 22,82 %), « entreprise, emploi, profession, travail » sont en opposition
au monde scolaire symbolisé par les termes « école, enseignement, éducation
». Le troisième facteur (F3 = 19,24 %) est caractérisé par une distinction entre
« relation, communication, échange » (valeurs relationnelles) et «
apprentissage, étude, compétence » (valeurs du savoir et du savoir-faire).
Cette AFC, traduite en projection graphique de F1 et F2, ci-après, laisse
apparaître l’existence d’un principe organisateur de la RS, opposant le cognitif
au relationnel.

Une autre série d’analyse sur des sous-groupes et une classification


ascendante hiérarchique permettent de confirmer ces grandes orientations qui
expriment une opposition entre la contrainte du monde de l’entreprise et
l’apprentissage et les valeurs relationnelles associées à la formation et à
l’éducation.
L’analyse des données, issues du différenciateur sémantique (dimension de
l’attitude vis-à-vis de la formation) révèle que, « hormis le chômage, tout est
plutôt situé du côté de l’utilité, en particulier la connaissance, la compétence,
la communication, l’échange, l’information » (p. 24). De même, les échelles «
souple-contraignant » ou « facile-difficile » distinguent, à nouveau, les deux
grandes dimensions de la RS de la formation : la communication (sphère
socio-affective) au sens large, perçue comme plus flexible, et l’apprentissage
(sphère sociocognitive) vu comme plus rigide.

D’après Monteil et Mailhot, 1988.

Technique du réseau d’associations


Mentionnons la proposition d’Annamaria De Rosa de travailler
sur des réseaux d’association (De Rosa, 1995). Ceux-ci peuvent
être combinés avec l’utilisation de plusieurs méthodes
(questionnaires, échelles, différenciateurs sémantiques,
graphiques ou métaphoriques, entretiens semi-directifs). Dans la
tâche, on demande aux sujets de tracer par eux-mêmes des liens
d’enchaînement ou d’implication entre le mot inducteur (placé au
centre de la feuille) et les termes qu’ils lui auront associés. On leur
propose aussi de connoter les différents mots induits par des
signes (+) ou (-) ou neutres (0). Enfin, les enquêtés procèdent à un
classement par ordre d’importance des termes produits par eux.
Ce procédé s’apparenterait à une forme de « technique projective
», afin de repérer la « structuration de la carte sémantique induite
par le mot-stimulus et d’expliciter ses composantes connotatives »
(De Rosa, 1995, p. 101). Plusieurs mots inducteurs d’un même
ensemble représentationnel (« nation », « limite », « États
membres » pour la RS de l’Europe, par exemple) peuvent être
ainsi testés, soit sur des feuilles différentes, soit sur une même
page (« Est »/« Ouest »). Ces productions, à la fois projectives et
associatives, sont ensuite traitées statistiquement (construction
d’indices, analyses de données multidimensionnelles) afin de
mettre en évidence le champ sémantique et la structure. On
analyse aussi l’ordre de présentation des mots, les chaînes
associées qui forment des classes hiérarchiques (clusters),
directement construites par les enquêtés. On calcule divers
indices, dont celui de la polarité (nombre de mots positifs moins le
nombre de mots négatifs divisés par le total des mots induits). Des
logiciels d’analyse textuelle sont utilisés (voir pour une
présentation très détaillée des modes de traitement de données de
réseaux d’association : De Rosa, 2003).

Regroupements en « paquets »

Abric suggère de faire classer, par les sujets, un nombre


important d’items, regroupant des termes les plus cités, suite à un
premier test d’association. Ce type de classement permet d’éviter
les biais liés à l’interprétation. Trente-deux fiches sont soumises
aux sujets qui doivent d’abord choisir de les séparer en deux
paquets : un premier de seize mots, les plus spécifiques de l’objet
de représentation, et un second, en nombre identique, les moins
caractéristiques. Le même travail est ensuite demandé sur les
seize mots les plus représentatifs (huit les plus proches de l’objet
de RS et huit les plus éloignés). On réitère à chaque fois le
classement jusqu’à épuisement de la liste.
Schéma des regroupements par paquets d’une liste de
termes induits
D’après Abric (éd.), 1994, p. 74.

On analyse enfin la corrélation « fréquence/rang moyen » pour


accéder aux éléments organisateurs. Le noyau central de la RS de
l’artisan, trouvé par cette procédure, comprend les éléments
suivants : travailleur manuel, amour du métier, travail personnalisé,
de qualité et apprenti (Abric, 1984, 1989).

2. Vérification de la centralité

2.1. Contrôler l’existence du noyau central

Associativité, saillance et connexité

L’analyse des éléments d’une RS se fait par l’interprétation


d’indices quantitatifs (fréquence, rang, calculs de distances
moyennes à partir d’évaluations sur des échelles graduées ou de
différenciateurs sémantiques) et leur analyse statistique complexe.
Les éléments du noyau central sont caractérisés (Abric ; Flament
et Rouquette, 2003) par une plus grande associativité (termes
charnières, le plus souvent évoqués et renvoyant à plusieurs types
de notions) et une forte saillance (cognitions le plus fréquemment
choisies, rejetées ou citées).
L’analyse de similitude, basée sur la théorie des graphes
(Degenne et Vergès, 1973 ; Flament, 1986), permet, par une
procédure complémentaire, de lister l’essentiel de la carte mentale
qu’est une RS. En fonction de divers indices et matrices, on
synthétise les liens entre les « cognèmes » qui vont « le plus les
uns avec les autres », puis on les transpose graphiquement.
L’évaluation de ces relations peut porter sur des résultats de tests
associatifs, des catégories de questionnaires ou succéder à une
analyse de contenu d’entretiens. Les éléments centraux sont
supposés être fortement connexes ou en relation de similitude
avec un nombre plus important d’items. Au même titre que pour
les calculs évoqués plus haut, on se base sur le principe que les
éléments du noyau central sont inférés comme tels mais non pas
vérifiés dans leur incidence sur le système sociocognitif et dans
leurs propriétés qualitatives (Bouriche, 2003).

Le caractère qualitatif des éléments du NC

La théorie du noyau central postule, en effet, que les éléments


en faisant partie, en plus de leur forte saillance ou de leur degré de
connexité, sont qualitativement différents de ceux du système
périphérique (ou SP). Pour vérifier l’existence de cette structure,
on construit, préalablement, comme on vient de le décrire
longuement jusqu’à maintenant, des données sur le champ
(objectivation) de telle ou telle représentation. Par la méthode
expérimentale et des questionnaires adaptés, on peut ensuite
tester des cas de figure, issus d’une première approche empirique,
auprès de groupes en faisant varier certains éléments plutôt que
d’autres.
Une recherche sur la conception du groupe idéal, entreprise par
Flament en 1982, a servi à Moliner pour parvenir à cette
vérification en 1988 (voir Moliner, 1996). Deux éléments sont
fréquemment verbalisés lorsque l’on interroge des individus sur
une telle RS : la fraternité et l’égalité. La première notion se traduit
par l’importance accordée à la convergence d’opinions, la seconde
par l’idée qu’une telle communauté ne doit pas avoir de chef ou est
sans hiérarchie. Ces deux cognitions ont été l’objet d’une
vérification sur leur centralité quantitative auprès d’étudiants : elles
sont d’ailleurs désignées comme ayant une importance égale
(75 % de probabilité moyenne pour que ces deux cognitions
impliquent l’existence d’un groupe idéal).
Le critère qualitatif est approché, dans une seconde étape, par
la méthode MEC (mise en cause d’une cognition). On soumet
alors, à deux groupes de sujets équivalents, le texte suivant :
« Pierre, Olivier, Jean-Jacques, François et Marc forment un
groupe très uni et, lorsqu’on les rencontre, ils donnent
l’impression d’être satisfaits d’être ensemble. Ils sont d’ailleurs
très sympathiques et chacun d’eux s’épanouit pleinement au
contact des quatre autres. En les voyant, on ne peut s’empêcher
de penser qu’ils forment là un groupe formidable. »
Cet écrit se termine différemment, selon ceux auxquels il est
adressé. Dans un cas, « après une observation approfondie de ce
groupe d’amis », on mentionne la présence d’un chef. Dans l’autre,
on précise qu’il existe des divergences d’opinions entre eux. Dans
chaque condition, on met en cause une cognition considérée
comme « centrale », du point de quantitatif. On demande ensuite à
tous les sujets si la situation qui leur est présentée correspond ou
non à celle du groupe idéal. La synthèse de leurs réponses est
présentée ci-après :

D’après Moliner, 1989, p. 762.

Un groupe, décrit comme sympathique, fusionnel mais


comportant un chef, n’apparaît pas comme « idéal ». Si on le
caractérise par ses divergences d’opinions, la grille de lecture de
la RS étudiée n’est pas remise en cause. Le premier élément, plus
abstrait, fait donc partie du NC, le second du système
périphérique. Ce type de résultat confirme l’hypothèse de
l’existence du noyau central dans une RS et du caractère qualitatif
de ses constituants.

2.2. Reconstruction de l’objet et méthode ISA

Abric dans son travail sur la RS de l’artisan (cf. dans ce chapitre)


demande à des étudiants, dans une phase ultérieure, d’exécuter
une tâche de mémorisation (immédiate ou différée d’une heure)
d’une liste de trente termes associés à « artisan » dont cinq font
partie du NC et les autres du SP (Abric, op. cit.). Deux conditions
expérimentales sont créées : l’une où les cognitions centrales sont
présentes, l’autre où elles sont remplacées par des éléments
périphériques de la RS. Pour chacun de ces deux groupes
d’étudiants, la liste qui leur est présentée est associée
explicitement ou non à la représentation de l’artisan (objet de la
RS invoqué ou non).
Dans les diverses conditions, les éléments du NC sont
significativement mieux restitués que ceux du SP, plus
particulièrement, en mémoire différée. De plus, lorsque les
constituants du NC sont absents du groupe de mots à retenir, dans
une situation où l’objet de RS (artisan) est invoqué, les sujets
soumis à cette situation, en citent quand même, et de façon
statistiquement plus significative que pour les éléments du SP.
Ces « fausses restitutions » tendent à confirmer la validité de la
théorie du noyau central et montrent que les RS sont des
processus, des reconstructions mentales, anticipant sur la réalité à
décrire et pourvoyeuses de sens.
Moliner, dans la continuité de ces travaux et de ceux de
Solomon Asch sur la formation des impressions, propose la
méthode d’induction par scénario ambigu ou ISA (Moliner, 1993 ;
Moliner et al. 2002). Cette procédure s’applique à des objets
polymorphes, mal définis, sources de RS. On repère les éléments
du NC et du SP, en comparant la réaction de divers groupes face
à un objet (texte ou image), pouvant engendrer plusieurs types
d’interprétations. Cet objet est exposé dans les différentes
conditions, comme relevant ou non de la RS étudiée. On suppose
alors que « si une caractéristique quelconque est attribuée à l’objet
ambigu uniquement lorsque celui-ci est explicitement présenté
comme Objet de Représentation, alors [celle-là] relève du noyau
de la représentation étudiée » (ibid., p. 12).
La RS de l’entreprise sert d’application à une telle démarche.
Dans un premier temps, on demande à des sujets (étudiants) de
répondre à une question ouverte sur la définition d’un tel objet.
Une analyse thématique du contenu des réponses permet de
construire 14 items sur l’objet de RS. Lors d’une seconde étape,
un texte qualifié de « scénario ambigu » est proposé à un autre
groupe de sujets. Cet écrit ne doit mentionner ni le terme
générique « entreprise », ni les 14 items caractéristiques de celle-
ci (utilisées ensuite lors d’un questionnaire), et est énoncé de la
façon suivante :
« Depuis de nombreuses années, Solitec réunit plusieurs
dizaines de personnes aux compétences et aux intérêts très
divers. Chacune de ces personnes contribue à sa manière au
fonctionnement de cette organisation qui est reconnue comme
l’une des plus importantes de sa spécialité. »
Ibid., p. 12

Le contrôle préalable de l’ambiguïté du texte donne satisfaction


puisqu’il engendre des réponses diverses à propos de la nature de
l’organisation décrite (association, entreprise, organisation
internationale, centre de recherche, etc.). Deux conditions sont
ensuite instituées : l’une où l’on fait référence, à la fin de l’écrit, à la
notion « entreprise », et l’autre où l’on réfute un tel lien. Après la
lecture de ces deux scénarios, on demande aux deux groupes de
sujets de dire quelles sont les caractéristiques de l’organisation en
leur soumettant les 14 items issus de l’analyse de la question
ouverte sur la définition de l’entreprise (lieu de travail, organisée,
production, hiérarchisée, épanouissement personnel,
communication, profit, objectifs à long terme, insertion dans
l’économie, patron, conflits, création/recherche, concurrence,
créatrice d’emplois). Les réponses à donner sont notées sur des
échelles graduées en six points (de 1 « très probablement non » à
6 « très probablement oui »).
Quatre éléments sont évalués comme faisant partie du NC et
reçoivent une notation significativement plus élevée : profit,
insertion dans l’économie, patron et créatrice d’emplois. Les autres
items, moins fortement notés, sont considérés comme «
périphériques ».
La phase terminale de vérification des éléments du NC est
réalisée par la méthode de la mise en cause d’une cognition (ou
MEC). Le même texte est présenté à un autre échantillon de
sujets, avec des variantes, incluant soit les constituants du NC,
soit ceux du SP de la représentation de l’entreprise. Ainsi, dans
l’expérience finale, deux conditions sont créées. Dans la première,
à la fin du texte sur Solitec, la phrase suivante est rajoutée :
« Cependant Solitec n’est pas un lieu de recherche et de
création (schème périphérique) et ce n’est pas sa vocation. »
Pour le second groupe de sujets, c’est la notion de profit
(cognition centrale) qui est incluse dans le même énoncé à la fin
de l’écrit. Les sujets se prononcent ensuite sur les caractéristiques
de l’organisation évoquée en évaluant, sur une échelle en six
points, l’item « Solitec est une entreprise », puis les autres
caractérisations de la RS de l’entreprise (14 moins une,
correspondant à la conclusion du texte de présentation de Solitec).
Les résultats sur la mise en cause, statistiquement significatifs,
sont les suivants concernant l’évaluation de l’item « Solitec est une
entreprise » :

Évaluation de l’item « Solitec est une entreprise »


D’après Moliner, 1993, p. 18.

82 % des 23 sujets, confrontés à la mise en cause de la notion


de profit, jugent ne pas avoir affaire à une entreprise, alors que
pour l’élément périphérique les avis sont partagés. La
comparaison des scores moyens des réponses à cette même
question confirme les statistiques de ce tableau.
Une approche complémentaire a permis de mettre en évidence
un effet de structure du noyau central dans la mesure où, lors de la
mise en cause de l’idée de profit, les sujets reconnaissent
significativement plus rarement dans l’objet (texte du scénario) les
caractéristiques d’une entreprise, listées dans les treize autres
items auxquels ils répondent par la suite.
« Ainsi Solitec est moins hiérarchisée, moins insérée dans
l’économie ou moins confrontée à la concurrence […]. Tout se
passe donc comme si la mise en cause d’une caractéristique
centrale provoquait [celle] de nombreuses autres […] aboutissant
ainsi à la non-reconnaissance de Solitec en tant qu’entreprise. »
Ibid., p. 19

Le protocole ISA est relativement facile à adopter et peut être


intégré dans un questionnaire classique. L’étape terminale, de
mise en cause du scénario ambigu, peut être conçue à partir de
données sur l’hypothèse de centralité, construites par d’autres
démarches. « On peut même imaginer, moyennant des procédures
rigoureuses de contrôle, de mettre en œuvre la méthode à partir
d’un matériel graphique (photos, dessins) », souligne l’auteur
(Moliner, 1996, p. 78).

3. Schèmes cognitifs de base

3.1. Des connecteurs d’éléments de représentations

Le modèle des schèmes cognitifs de base (SCB) repose sur le


principe structuraliste qu’une représentation peut être caractérisée
en termes d’éléments et de relations (Flament, 1994, p. 37 ;
Guimelli, 2003 ; Rouquette et Rateau, 1998, p. 57 ; Flament et
Rouquette, 2003). Ces éléments minimaux d’un système
sociocognitif, qualifiés de « cognèmes », sont des classes d’idées,
impliquant un rapport entre un système connaissant (sujet), un
objet représenté et les informations qui le définissent. Les SCB
formalisent les processus cognitifs déclaratifs, présidant
vraisemblablement à la production des discours et du sens,
attachés aux RS. Rouquette a décrit leurs fondements théoriques
dans un texte de référence (Rouquette, 1994b). Le protocole SCB
formalise ces formes déclaratives au moyen de classes impliquant
des liens de description, d’évaluation et d’action ou fonctionnalité
entre les sujets et les objets de représentation.
L’application du protocole SCB nécessite d’abord la désignation
des éléments auxquels il va être appliqué (Guimelli, 1994). Dans
un premier temps, par un questionnaire associatif, on demande
aux enquêtés de citer trois termes induits suite à la présentation
d’un mot-stimulus, évoquant la représentation étudiée ou, le plus
souvent, un élément central ou périphérique de celle-ci (par
exemple « fraternité » ou « égalité » pour la RS du groupe idéal).
Dans une seconde étape, on invite les sujets à « expliquer »
pourquoi ils ont exprimé leurs associations (phase de justification).
Dans un troisième moment, on leur demande de répondre à un
questionnaire de caractérisation des relations entre ces termes
induits et le mot inducteur.
Les relations entre les éléments induits et le terme inducteur
sont donc déjà formalisées. Elles sont présentées dans le «
questionnaire SCB », faisant suite à ce test associatif. On propose
aux sujets d’évaluer les liaisons perçues par eux entre le mot
inducteur (S) et les termes évoqués (X, Y ou Z) suite au test
associatif. Ces relations préconstruites sont nommées «
connecteurs » ou (c). Renvoyant à plusieurs niveaux de l’activité
cognitive d’un sujet, ils sont regroupés en schèmes (ou
hyperconnecteurs). Le questionnaire SCB décrit ainsi le type de
liens possibles (c) entre le mot-stimulus et chacune des trois
associations produites par les sujets. La réponse à chaque
question sur les connexions se fait par un choix entre les items : «
oui », « non », « peut-être ». Les sujets d’une telle enquête
subissent donc trois fois le même questionnaire (une fois pour
chacun des trois termes induits). Ce qui est, pour l’instant, le seul
problème technique non résolu (lourdeur de la procédure, fatigue
mentale des sujets, résultant de la répétition des mêmes
questions) dans l’application de cette technique d’appréhension
des RS. Différentes formules ont été construites : le modèle [15/2]
regroupant quinze connecteurs répartis en deux
hyperconnecteurs ; le questionnaire [28/5], renvoyant à vingt-huit
connecteurs classifiés dans les cinq SCB « Lexique », « Voisinage
», « Composition », « Praxie », « Attribution ».
Très succinctement, le SCB « Lexique » (L dans le tableau du
questionnaire suivant) renvoie aux relations qui définissent un
objet de représentation. Le SCB « Voisinage » (V) réunit
l’ensemble des opérateurs exprimant la relation d’inclusion ou de
co-inclusion. Celui de « Composition » (C) évoque la famille des
opérateurs établissant la relation du tout à la partie, de la partie au
tout et de la partie à la partie. La grille « Praxie » (P) définit les
opérations liées à la description de l’action. Le SCB « Attribution »
(A) se compose de l’ensemble des opérations de jugement faisant
correspondre ou non l’attribut du « mot associé » au stimulus, par
exemple la relation de fréquence entre les deux ou celle
évaluative, etc.
16. Description du questionnaire SCB
Évocation : À partir du terme : « PAUVRETÉ », donnez très rapidement trois
mots ou expressions qui vous viennent à l’esprit :
Votre réponse 1 :
Votre réponse 2 :
Votre réponse 3 :
JUSTIFICATION : Vous allez maintenant justifier vos réponses.
J’ai répondu : (votre réponse 1)
parce que :
J’ai répondu : (votre réponse 2)
parce que :.
J’ai répondu : (votre réponse 3)
parce que :
PREMIÈRE ÉTAPE DU QUESTIONNAIRE (pour le premier mot induit ; le
sujet répond trois fois, au moyen de la grille ci-dessous, une par terme
associé) :
D’après Rouquette et Rateau, 1998, et sur la
base de documents communiqués par le
laboratoire de psychologie sociale de
l’Université Paul Valéry de Montpellier.

Le sens du contenu des associations produites par les enquêtés


est volontairement écarté de la démarche de construction des
données.
« L’objectif est de modéliser les processus cognitifs qui ont
généré cette production, quelle que soit la teneur sémantique
particulière (ibid., p. 76). [Ce principe repose sur l’idée que le
répondant est] l’expert des processus de pensée qui l’ont amené
à émettre ses réponses. On évite ainsi les écueils interprétatifs
bien connus d’une analyse de contenu effectuée par un tiers […].
Cette “auto-analyse” est effectuée a posteriori : le sujet associe
d’abord, puis revient ensuite sur sa production pour en identifier,
à sa manière, les règles génératrices. »
Ibid.

Dans la phase « justification », on incite les sujets à dire


pourquoi ils ont exprimé les trois termes en pensant au mot
inducteur. On leur permet ainsi d’expliciter les processus qui
opèrent dans leur propre représentation. Par cet artifice technique
et psychologique, on favoriserait l’émergence, l’autojustification et
la mise en mémoire relativement plus durable des attributs
cognitifs les plus caractéristiques d’une RS. Ceci est essentiel à la
bonne continuation de la procédure SCB et du questionnement
standardisé qu’elle comporte. Sans cette phase préalable, elle
pourrait, en effet, ne pas avoir de « substance » et de « contenu »
auxquels elle serait appliquée. Cristallisés dans les productions
associatives et leurs types de liens, les schèmes qualifiés de «
prédiscursifs » sont censés préparer et organiser l’action et la
production du discours d’un individu. Par l’« explication » des
réponses associées au stimulus, les sujets mettent en relief, peut-
être inconsciemment, la dimension prédiscursive des SCB qui
acquiert une pertinence et une efficacité plus grandes, durant les
trois passations successives de questionnaire.
Cet outil permet de distinguer des éléments appartenant au
noyau central, en leur conférant des caractéristiques (normatives,
fonctionnelles, pratiques). L’usage d’une forme simplifiée comme
celle des métaschèmes favorise une telle visée.

3.2. Utilité des métaschèmes

La fréquence des réponses positives (nombre de « oui ») est la


variable de calcul d’indices de valence, compris entre 0 et 1. Ces
indices expriment le rapport entre le nombre de réponse « oui »
d’un sujet ou d’un groupe de sujets et la somme des réponses
possibles (pour la globalité d’un échantillon interrogé, Vt, pour
chaque SCB, Vscb, et pour chaque connecteur, Vx). À partir de
ces calculs, est repéré le degré de centralité ou d’associativité des
éléments d’une RS. Un élément central aura une valence forte,
contrairement à un cognème périphérique. La valence reflète la
propriété d’un terme induit d’entrer dans un nombre plus ou moins
grand de relations avec le mot inducteur. Par ces indices, on
repère les éléments du noyau central (forte valence) et ceux
périphériques (faible valence), dont les différences sont testées
par le χ2 ou par l’analyse de variance. Par des comparaisons entre
groupes de sujets ayant des comportements différents, on peut
notamment mettre en évidence la structure ou le degré de
transformation d’une représentation.
Pour simplifier la procédure et parvenir à des buts identiques,
des classes de SCB qualifiées de « métaschèmes » ont été
construites, suite à une analyse secondaire.

Métaschèmes regroupant les cinq SCB

D’après Rouquette et Rateau, op. cit.

Ces trois grandes classes de SCB sont indépendantes les unes


des autres et peuvent être plus ou moins prégnantes, selon les
contextes. Elles servent à distinguer le caractère définitionnel,
fonctionnel ou normatif des éléments d’une RS.
« On peut alors supposer qu’une population […], dans une
situation donnée […], mettra préférentiellement en œuvre l’un ou
l’autre de ces trois métaschèmes […]. Tout se passe comme si
les sujets disposaient de trois registres de cognitions, l’un ou
l’autre de ces registres étant plus ou moins activé, selon une
multiplicité de variables relatives à l’objet, à la situation et aux
caractéristiques sociales des sujets eux-mêmes. »
Ibid., p. 84-85

Cela autorise la constitution d’une tripartition des cinq SCB du


modèle [28/5] et d’un questionnaire simplifié [19/2], axé
essentiellement sur les deux SCB « Attribution » [sept
connecteurs] et « Praxie » [douze connecteurs]. Les constituants
normatifs du noyau central engendrent une forte valence pour les
réponses aux questions du métaschème « Évaluation » ; les
cognitions fonctionnelles du NC activent plus intensivement le
métaschème « Praxéologie ».

3.3. La localisation des éléments suractivés

L’indice de la valence, utilisé pour distinguer les éléments du SP


et ceux du NC, est source d’incertitudes dans l’interprétation des
résultats décrivant la suractivation de schèmes périphériques
(Flament, 1994, p. 103 ; Guimelli, 1994). Un élément suractivé est
une cognition périphérique, formant une sous-structure signifiante,
acquérant, momentanément et pour des raisons d’adaptation au
contexte, une plus grande importance dans les pratiques d’un
groupe (exemple : instituteurs à la pédagogie « innovante », mutés
en zone d’éducation prioritaire, devant pratiquer une forme plus
traditionnelle/autoritaire de relation avec les élèves).
Pour résoudre cette question, une traduction vectorielle de la
valence a été avancée. Cette reformulation ne nécessite pas de
nouveaux prélèvements de données : la valence est tout
simplement transformée en une grandeur différente, plus
commode à utiliser et plus finement discriminante pour
appréhender ces phénomènes au statut difficile à décrypter par la
précédente mesure. À partir du théorème de Pythagore, divers
rapports vectoriels sont alors calculés et exprimés par trois valeurs
d’un nouvel indice nommé « l ». Ainsi, si l’évaluation statistique
des réponses des sujets à propos d’un terme induit, soumis aux
phases de questionnement SCB conduit à la situation « l = 1 ± Δ »,
on a de fortes probabilités d’être en face d’un élément central. S’il
prend la valeur « l > 1 + Δ », il s’agira d’un schème périphérique. Il
tendra à se rapprocher de la forme « l < 1 – Δ », pour une
cognition suractivée. Précisons que, dans cette approche, Δ
renvoie à une procédure de calcul de l’incertitude, résultant de la
prise de mesure.
Ces procédures et ces formules ont été appliquées
expérimentalement et comparées aux résultats issus de thèmes
d’étude (RS du groupe idéal), déjà explorés et vérifiés par d’autres
méthodes, comme celles de Moliner, par exemple. Des formules
complémentaires d’approximation et une table des valeurs de l
sont accessibles (Rouquette et Rateau, op. cit.). Une grande
économie de temps et une facilité d’application caractérisent cette
réorientation.
« Il est donc possible d’utiliser l’indice l comme simple outil
diagnostic descriptif, mais aussi de l’exploiter au sein d’études
synchroniques ou diachroniques. »
Ibid., p. 99

Un travail sur la RS de l’hygiène chez des lycéens illustre ce


protocole méthodologique (ibid., p. 99-101). Quatre éléments sont
saillants dans les discours sur cet objet : « prévention des
maladies », « bien-être », « respect des autres », « mauvaises
odeurs ». Pour chacune de ces cognitions, Rateau applique la
procédure SCB auprès de quatre groupes de quinze sujets, à qui il
demande d’associer et de justifier trois mots à propos de l’une des
quatre formes de la phrase : « L’hygiène peut être caractérisée par
le fait qu’elle : 1. permet la prévention des maladies, 2. procure le
bien-être, 3. est une forme de respect des autres, 4. permet
d’éviter les mauvaises odeurs ». Le questionnaire [28/5] est
ensuite administré afin de permettre de catégoriser les trois
réponses associatives des sujets. Le calcul des indices (valence et
l), pour chacun des éléments, révèle que « prévention des
maladies », « bien-être », « respect des autres » font partie du NC
et que « mauvaises odeurs » est un élément périphérique. Une
autre étude sur la RS du déviant chez des personnels de police
(Guimelli, 1996) ayant des pratiques différentes (répressives,
préventives, mixtes) démontre l’efficacité de cette procédure pour
la mise en évidence de sous-structurations périphériques dans des
contextes particuliers, comme chez les policiers « mixtes » (à la
fois préventifs et répressifs) où les deux schèmes « être
réinsérable » ou « installé dans la déviance » sont suractivés
(Rouquette et Rateau, p. 101-104).
L’avantage de cette technique est qu’on peut distinguer, grâce à
son application, les éléments périphériques suractivés dont la
valence est plus élevée que celle des cognèmes du système
central. Les premières formes (suractivées) représentent des
cognitions pouvant être porteuses de transformation d’une
représentation ou d’une solution provisoire aux problèmes que
traverse un groupe. L’indice l est alors nettement plus sensible.
L’utilisation de la table des valeurs de l, établies suite à de
nombreux tests, est ainsi basée sur la seule connaissance des
valences des deux métaschèmes Praxie (VP) et Attribution (VA).
Voici, maintenant, l’exemple d’une recherche utilisant,
notamment, le protocole SCB.

3.4. La RS des sciences et des métiers correspondants

La question de l’orientation scolaire et professionnelle est


toujours plus complexe qu’elle apparaît. La structuration des
vocations des élèves des collèges et des lycées est un cas, parmi
d’autres, des divers thèmes impliqués par ce champ de pratiques
et de recherches. Le goût pour les sciences et les mathématiques
est-il influencé et organisé par des représentations sociales ? Cela
semble fort probable. Jacques Nimier avait étudié quelles étaient
les RS des mathématiques dans des groupes de diagnostic,
formés par des enseignants et chez des élèves de lycées (Nimier,
1988). Il en appelait, dans sa conclusion, à un sursaut des
pédagogues afin qu’ils soient mieux formés aux implications
psychosociales et symboliques de leur métier.
L’emprise des savoirs implicites, des préjugés et des « idées
toutes faites » ou « presque achevées », sur une discipline est
aussi en interaction avec les représentations de genre sexuel. On
sait, depuis la contribution de Christian Baudelot et Roger Establet,
Allez les filles (Paris, Seuil, 1992), que la gent féminine est plus
active en matière scolaire (réussite, évaluations, diplômes). Au-
delà de ce constat encourageant, on doit retenir la permanence
des différences dans la destination professionnelle. Les garçons
sont plus souvent attirés par les carrières scientifiques. Est-ce là
un fait de nature ? Bien sûr que non.
L’édification d’une formation aux sciences et aux métiers
correspondants se fait par opposition ou en lutte contre des
tendances déterminantes, des préjugés et des stéréotypes. Le lien
entre les femmes et leur prétendue « intuition féminine » sert, par
exemple, de rationalisation afin d’« expliquer » leur désaffection
vis-à-vis de champs plus rationnels ou techniques d’activité
professionnelle. Une idéologie de la domination est ainsi réactivée
dans ses effets comme dans ses formes et ses contenus. Derrière
la plus grande réussite scolaire des filles dont on enregistre les
manifestations tangibles (Baudelot et Establet, op. cit.), on perçoit
la permanence d’inégalités, tant dans l’intérêt pour certains
contenus « nobles » ou « scientifiques » de formation que sur le
plan de l’accès à l’emploi ou à des niveaux de revenus identiques
à statut ou fonction similaires. Les politiques gouvernementales et
européennes tentent d’apporter des correctifs et des solutions
partielles à cette dérive (sensibilisation des élèves, des familles et
des personnels enseignants, aide à l’orientation des filles pourvues
du diplôme de technicien). Les métiers à forte connotation
masculine existent, du moins dans les pratiques et les
représentations. Des mémoires exploratoires réalisés, il y a un
quelques années, sur les femmes policières ou exerçant dans un
dépôt de la SNCF (Pommereau ou Théréné, sous la direction de
Seca, 1996) nous avaient permis de l’observer malgré la
consistance de certains groupes minoritaires féminins en leur
sein.
Françoise Mariotti éclaire utilement ce type de questionnement
par ses Études expérimentales des représentations sociales de la
science et des métiers scientifiques selon le sexe, au collège et au
lycée (Mariotti, 2000). Elle porte sur des groupes de collégiens et
de lycéens âgés de 12 à 18 ans (de la Sixième à la Terminale). On
constate, depuis quelques années, la régression ou une certaine
stagnation des vocations pour les études scientifiques en France,
en Allemagne ou au Canada (Garnier et al., 2000). Un moindre
intérêt des élèves féminins pour ces disciplines est aussi
régulièrement observé. S’appuyant sur diverses enquêtes, Mariotti
rappelle des données (Ferrand et al., 1997) sur les disparités dans
la répartition sexuée des filières scientifiques d’enseignement, où
la part des filles diminue au fur et à mesure de l’entrée dans un
cursus d’excellence (36 % en Terminale scientifique, 15 % dans
les écoles d’ingénieurs et environ 10 % dans promotions 1985-
1990 de mathématiciens et de physiciens ; 41,9 % dans les
Terminales S, 60,9 % en ES, 81,5 % en L en 1997-1998).
L’auteur entreprend une analyse du développement de cette
représentation à travers différents âges d’élèves de collèges. Ces
métiers sont considérés comme « masculins », « prestigieux » et «
solliciteurs de motivations intellectuelles fortes » (Lage, 1978 et
1993, cité par Mariotti, op. cit.). Les choix d’orientation scolaire de
ces jeunes gens ont aussi la caractéristique d’être relativement
impliquants tant au niveau de l’identification personnelle, de la
valorisation de l’objet (« sciences » ou autre), vis-à-vis duquel on
se détermine, qu’à celui des « capacités d’action », consécutives
ou préalables à l’orientation choisie. L’observation de la
succession des représentations des métiers scientifiques, en
Sixième, Troisième et Terminale, suppose la prise en considération
des phases différenciées d’accès à la professionnalité et, donc,
une éventuelle « mise en formation » par rapport une occupation
précise. Dominique Goubert-Seca (1991 et 1998) distingue, par
exemple, dans sa recherche sur la représentation du statut cadre,
trois types d’investissement professionnel : symbolique (étudiants
d’IUT ou de BTS, s’identifiant à un statut qu’ils ne sont pas sûrs
d’atteindre), potentiel (élèves de grandes écoles, hiérarques en
devenir) et réel ou effectif (managers en exercice). Dans tous les
cas, une représentation de l’objet « profession » existe mais elle
n’émerge fonctionnellement que dans une situation
d’apprentissage alterné ou d’activité. Ce rapport entre éducation,
fonctionnalité ou adaptation à un rôle (celui du professionnel
pratiquant son « métier ») et cultures du travail favorise la
distinction de degrés de professionnalisation dont on sait que le
médecin constitue la figure centrale (Ferréol, 2002, p. 159-162).
L’orientation vers des métiers scientifiques est alors celle d’une
stratégie projective et identificatoire, d’une vision de soi et de la
vocation chez des sujets en situation de scolarisation différenciée,
ayant une connaissance ambiguè et incomplète de ce à quoi ils se
destinent.
Les résultats des enquêtes reflètent une effective différenciation
des RS des sciences et des métiers scientifiques, selon le sexe et,
ceci, dès la classe de Sixième. Une distinction structurale, proche
de la notion de thêmata, entre le domaine du « vivant » (« biologie,
naturelle, corps, médecine » chez les filles de Troisième) et celui
de l’« inerte » (« mathématiques, chimie, recherche, Einstein,
technologie, physique » chez les garçons), se manifeste du début
à la fin du collège, même si, tendanciellement, « physique » est
aussi cité par les sujets féminins et « biologie » par ceux
masculins.
« Il y aurait chez les filles de Troisième, un système central à
deux éléments, un prioritaire, à saillance prescriptive [biologie] et
l’autre, adjoint [physique]. Chez les garçons […], l’élément central
de la Sixième [biologie] et celui de la Troisième [mathématiques]
ne sont pas organisateurs de la signification de la représentation.
Les mathématiques demeurent présentes dans la RS des filles
non en termes de fréquence mais au plan de l’importance du
rang moyen. »
Mariotti, op. cit., p. 113-114

De la même façon, les garçons de collège citent plus de noms


de scientifiques célèbres (au profil majoritairement masculin) que
les filles (ibid., p. 117-118). Quant à l’image du métier scientifique
prototypique, on constate qu’il s’agit de biologiste en Sixième, et
de chercheur et physicien en Troisième. Des tendances sont
observables, en fonction de l’appartenance sexuelle : les filles de
Troisième valorisant les professions médicales ; les garçons
voulant s’orienter vers les classes scientifiques évoquent en
premier des métiers techniques comme « ingénieur ».
De même, l’application d’un questionnaire SCB remodelé,
autour des deux métaschèmes Attribution et Praxie, chez des
élèves de Troisième, indique une relative différence.
« Les filles […] opèrent plus de jugements sur les métiers
scientifiques que les garçons et semblent relever plus qu’eux les
difficultés liées à l’accès et à l’exercice de ces métiers […]. Les
garçons se réfèrent à la physique comme à un domaine
d’exercice. Ce que rejettent massivement les filles. »
Ibid., p. 136

La RS des métiers scientifiques chez des Terminales littéraires


et scientifiques de lycée se révèle être un objet plus consistant, car
relié à un phénomène social plus affirmé et diffus. Le modèle
[19/2], dont on a parlé plus haut, centré sur les SCB Praxie et
Attribution, est appliqué avec, comme termes inducteurs, «
mathématiques » et « débouchés », à 179 lycéennes et lycéens de
quatre lycées de Montpellier. Ces deux mots sont, en fait, ceux qui
correspondent le plus aux motivations des classes scientifiques de
Terminale pour s’engager dans des activités professionnelles dans
ces secteurs.
Le texte inducteur, proposé aux Terminales scientifiques est, par
exemple, le suivant :
« Vous êtes en terminale S, une filière qui prépare le plus
souvent à exercer un métier scientifique ou technique. Au sujet
de ces métiers, on s’accorde généralement pour dire que les
mathématiques y tiennent une grande place et les débouchés y
sont nombreux.
Écrivez rapidement, ci-dessous, les trois mots ou expressions
qui vous viennent très vite à l’esprit quand vous pensez au terme
“mathématiques”. »
Le terme « débouchés » remplace « mathématiques », en
italique, quand il est proposé comme stimulus. Une consigne
légèrement différente précède le questionnaire pour les élèves
littéraires. Conformément aux prédictions expérimentales, le terme
« mathématiques » est désigné comme appartenant au noyau
central. Il y a un paradoxe de l’investissement dans les filières
scientifiques qui sont valorisées pour leurs débouchés, sans que le
contenu d’enseignement ou de professionnalisation soit
particulièrement apprécié. On constate, en effet, le statut étonnant
d’élément périphérique de « mathématiques » chez les garçons de
Terminale S. L’une des preuves de cette attitude est la similarité de
la structure de cette représentation chez les lycéens littéraires et
scientifiques. L’analyse plus fine des effets sur les SCB « Praxie »
et « Attribution » permet de trouver des différences entre les
sexes, essentiellement sur le premier schème. Les filles littéraires
tendent à émettre moins de jugements fonctionnels (Praxie) pour «
mathématiques ». Les garçons scientifiques s’approprient
tendanciellement plus souvent les métiers scientifiques sur le plan
fonctionnel (Praxie) s’ils sont confrontés au terme inducteur «
Débouchés ». Les filles ont plus de représentations
praxéologiques par rapport à « mathématiques », conformément à
une volonté d’être « plus conforme », ou les premières d’entre les
égaux (primus inter pares), face à la norme scientifique que ceux
(les garçons) qui y sont destinés traditionnellement. Ce que vérifie
une dernière étude de Mariotti sur l’implication, plus grande chez
des lycéennes de Terminales S qui s’identifient plus que les
garçons au projet de s’engager dans un métier scientifique. Tout
se passe comme si les sujets masculins, à qui l’on attribue plus
régulièrement une destinée scientifique, ne forçaient pas sur
l’importance de ces vocations dont l’instrumentalisation (par les
débouchés) est plus forte chez les lycéens de filières S.

À retenir
Le repérage de la structure d’une RS peut prendre plusieurs chemins. Le
but étant de faire produire, par les sujets eux-mêmes, des contenus et des
évaluations, soumis à divers traitements de données.
L’une des méthodes les plus simples (le lien « fréquence/rang » d’une liste
de termes induits) peut être complétée par des analyses de similitude et
diverses approches multidimensionnelles.
La vérification expérimentale de l’effective existence et de la nature
qualitativement distincte des éléments du noyau central a été opérée en 1988
par Pascal Moliner, puis affinée par la méthode « ISA » (induction par scénario
ambigu).
Le développement le plus sophistiqué, malaisé à appliquer, notamment sur
des objets de RS émergentes ou peu connues, est la procédure « SCB »
(schèmes cognitifs de base), proposée par Rouquette et ses collaborateurs.
Ce protocole devrait pouvoir compléter utilement une approche par entretiens
et des analyses statistiques préalables de description des dimensions
principales « à vérifier » dans leurs effets.
Chapitre 6

Articulations avec les conduites : polyphasie


cognitive et changement
1. Comportements et évolution des représentations
2. Systèmes de communication
3. Rapports aux contextes 4. Les rites et l’efficacité symbolique

1. Comportements et évolution des représentations

1.1. Rationalisations

Le degré d’abstraction des RS, la prégnance de leurs contenus


centraux ou « influents », les fonctions qu’y jouent les éléments
périphériques accréditent l’idée que leur évolution est, en général,
très lente et rarement brusque. Les variations de l’actualité
n’affecteraient pas leur emprise et leur permanence. L’analyse de
leur possible transformation nécessite le rappel succinct d’un
certain nombre de remarques et de questions.
D’abord, il faut préciser à quel degré de généralité on se situe.
Parle-t-on d’un changement global de société ? Assurément non !
Ce genre de mutation est rare. Il se déroule sur de très longues
périodes et implique une prise en considération des notions de
croyance, de valeur ou d’idéologie. Ces types de bouleversements
sont difficiles à étudier, voire à théoriser, même lorsqu’on se place
dans la perspective de la théorie des RS. Les explosions
révolutionnaires ou les basculements politiques ne sont que la
traduction théâtralisée de micro-changements cumulés, affectant
les représentations, les pratiques, les arts et la culture. La
révolution française ou celle américaine ne sont-elles pas des
exemples clairs de cette progressive et diffuse évolution
intellectuelle des groupes sociaux, qui se déploie plus intensément
sur quelques années charnières (cf. Pascal Ory (éd.), Nouvelle
histoire des idées politiques, Paris, Hachette, 1987, p. 127-176) ?
Une question, complémentaire, est de savoir si les transformations
observées sont majeures ou mineures, selon qu’elles concernent
la périphérie ou le noyau central d’une RS et des pratiques qui lui
correspondent. On traitera de ce point au paragraphe suivant.
Autre interrogation : le changement commence-t-il d’abord par
les représentations sociales ou bien par les conduites ? La nature
des liens entre ces deux dimensions est difficile à mettre en
lumière. Rouquette insiste pour percevoir dans les RS des «
conditions des pratiques » et dans celles-ci un « agent des
transformations des représentations » (Rouquette, 2000, p. 137).
Enfin, on peut se demander, si le porteur du changement ou de
différenciation, est l’individu, le groupe, l’institution ou
l’organisation. Il est inévitable que des formes hétérogènes soient
décrites, par exemple, lorsqu’on prend, comme entité de
référence, un petit groupe de travail où l’affirmation d’un projet mis
en commun peut masquer des désaccords, en fonction du rôle ou
du statut de ses membres. Selon que l’on se réfère à l’individu
minoritaire actif, consistant ou au déviant, alternant entre plusieurs
référents culturels sans affirmer une position ferme et distinctive,
l’influence sur les représentations d’une démarche solitaire peut
s’avérer assez contrastée et même opposée, parfois nulle ou
évanescente.
Les théories de la rationalisation et de l’engagement constituent
une voie pour penser la question (Joulé et Beauvois, 1998). Ces
approches, ancrées fortement autour de la théorie de la
dissonance cognitive (Festinger et al., op. cit.), supposent que les
acteurs sont des producteurs d’explications causales, une fois que
de nouvelles conduites se sont déroulées ou ont été extorquées,
du fait d’une situation d’implication plus ou moins forcée
(soumission, manipulation, voire « automanipulation »). Tout
individu serait ainsi à la recherche d’un équilibre, d’un ajustement
ou d’une consistance entre ses pensées et ses actions. Si, pour
des raisons de circonstances, il vit une incohérence entre ses
attitudes et d’autres, nouvelles ou inconnues ou bien s’il est en
contradiction entre ses idées et certains de ses comportements
contraints, extorqués ou choisis, il va tenter de restaurer un lien de
correspondance entre ces différents niveaux, en générant une
explication sur sa nouvelle conduite, donc en activant des
cognitions conformes et concordantes. Cette activité de
reconstruction cognitive, d’équilibration, de recherche de
consonance et d’attribution causale est qualifiée de «
rationalisation ».
Dans une telle grille, ce sont les conduites qui « engendrent »
contextuellement les opinions. Beaucoup de chercheurs se rallient
à cette théorisation (Flament, op. cit. ; Guimelli, 1999 ; Rouquette
et Rateau, 1998). Le contexte libéral ou permissif des sociétés
modernes renforcerait une telle tendance en diffusant une RS de
l’individu autonome. Les acteurs d’une société s’identifient
passionnément à ce type de représentation, bien qu’elle puisse
provenir d’influences sociales complexes (Beauvois, 1994). En
effet, les activités de rationalisation seraient d’autant plus
importantes, en nombre et en intensité, que les sujets auraient le
sentiment d’être libres alors que leur choix réel dans les décisions
qu’ils prennent peut être objectivement restreint.
Les RS sont entendues, dans une telle grille, comme des
activités mentales socialisées, permettant aux sujets de s’adapter
aux conditions concrètes d’existence et aux comportements plus
ou moins obligés des relations socio-économiques et de pouvoir.
On n’est pas très éloigné de la conception défendue par Jodelet ou
Moscovici (ensembles de savoirs pratiques socialement élaborés
et partagés) ou de Bourdieu. La rationalisation est une forme
d’activité idéologique. Elle est aussi présente dans des situations,
peu contraignantes, d’engagement individuel dans des pratiques
nouvelles. Cette implication s’accentue d’autant plus que l’illusion
de la maîtrise de soi et de l’action prédomine (Joulé et Beauvois,
op. cit.).
Malgré leur statut effectivement distinct, on parvient à un accord
relatif, dans les milieux de la recherche, autour de l’idée que les
pratiques et les RS sont en situation d’engendrement alterné et
dialectique. On peut, dans ce cas, parler de « systèmes de
représentations et de pratiques ». L’activité de rationalisation ou
l’engagement « libre » dans une conduite nouvelle sont
envisageables comme l’un des moments de la construction ou de
la reformulation d’une représentation.
Même s’il n’y a pas une profonde incompatibilité entre la
conception d’un homme rationalisateur et celle des RS, Abric
insiste sur le fait que cette théorie de l’engagement atténue
l’importance de l’influence (Abric, 1994, p. 219-220) :
– des matrices culturelles, de la mémoire et de l’histoire d’un
groupe ;
– des valeurs et des normes sur le choix des sujets à s’engager
dans des conduites ;
– des facteurs de construction (précodage de la situation,
attentes, anticipations…) et de réappropriation mentale d’une
situation et des buts d’une action par les acteurs, même soumis ou
forcés.
Les RS ont, par exemple, un fort effet de modelage sur la
coopération, la créativité, les attentes, les relations et les
communications intergroupes et intragroupe. Ces types de
détermination ont été l’objet de vérifications expérimentales.
L’influence des représentations sur les pratiques dépend surtout
de la nature de la situation dans laquelle est engagé l’acteur, et
plus précisément (ibid., p. 230-231) :
– de la part d’autonomie dans la situation, c’est-à-dire de sa
place et des relations qu’il entretient dans le système de pouvoir et
de contrainte sociale ;
– de la forte charge affective investie dans une action et de ses
relations avec la mémoire collective, nécessaire pour maintenir ou
justifier l’identité, l’existence ou les conduites d’un groupe
(Candau, 2005 ; Viaud, 2003).
Dans le premier cas, c’est le caractère non contraignant, voire
ambigu, projectif et complexe d’un contexte, qui favorise
l’avènement et la prédominance d’une RS et ses effets sur les
pratiques.
Dans le second, les représentations, les discours et les
pratiques, interconnectées, forment une entité signifiante, quasi
rituelle, proche de la notion de croyance, imprégnée d’affects et
d’éléments de la mémoire d’un groupe. Les systèmes d’actions et
les grilles de lectures de la réalité sont ainsi unifiés et coordonnés
dans des « pratiques signifiantes » ou des « actions
représentationnelles » (Moscovici, 1989, p. 25), sources de
conduites, de prises de positions et d’opinions correspondantes.
La théorie de l’implication organisationnelle (Thévenet, 2004) ou
celle de Karl Weick sur le processus de construction du sens dans
les organisations correspondent au même type de phénomène
dans le cadre des sciences du management (Weick, 2009).
Un troisième cas de figure est répertorié. Il s’agit des
changements sous contraintes (matérielles ou institutionnelles)
dont parlent les théoriciens de l’engagement et de la
rationalisation. Dans ce cas, ce sont les conduites nouvelles,
apparaissant d’abord dans le système périphérique qui peuvent
être à l’origine de telles évolutions.

1.2. Transformations

Rouquette suggère de tenir beaucoup plus compte des


caractéristiques des pratiques sociales pour mieux comprendre les
transformations des RS (Rouquette, 2000, p. 138-139). Pour
préciser leur nature, il différencie des critères comme l’existence
ou non :
– d’un passage à l’acte, unique, rare ou plus fréquent, récurrent
ou habituel, conférant à une conduite sa permanence ou sa
réversibilité éventuelles ;
– d’une technicité, d’une efficacité et d’aspects procéduraux,
renvoyant, le cas échéant, à des codifications rigides ou souples ;
– d’un calcul, ou analyse évaluative et cognitive, préalable à
l’action. Dans ce cas, on peut distinguer entre des « calculs », plus
ou moins longs, suivis ou non de concrétisations « actées »,
colinéaires, proches de l’élaboration représentationnelle.
Le changement structural d’une RS est avéré lorsqu’un élément
central devient périphérique ou inversement. Selon les
structuralistes, la suractivation d’une partie du SP, pour des
raisons idéologiques, d’influence ou circonstancielles, n’implique
pas de transformation d’un tel système. Les facteurs externes,
environnementaux, et les conduites peuvent engendrer un
changement au niveau de la représentation, à condition que ces
dernières soient récurrentes dans une population, valorisantes
matériellement ou symboliquement et que leurs implications soient
spécifiques, limitées, localisables dans un ensemble social, sans «
incidence sur le niveau de raison proprement idéologique »
(Rouquette et Rateau, op. cit., p. 115 ; Guimelli, 1999).
Compte tenu de ces conditions, une transformation de RS peut
être résistante, progressive ou brutale. Dans le premier cas, des
conduites nouvelles (pénétrant périphériquement) sont des objets
de rationalisations, intégrés de façon conforme aux prescriptions
du noyau central et peuvent, à la longue, le déstabiliser du fait
même de leur répétition ; dans le second scénario, la nouveauté
ne donne pas lieu à une opposition conflictuelle avec le NC, d’où
l’idée d’une progressivité de la transformation du système
sociocognitif ; le dernier type apparaît quand des pratiques
nouvelles (catastrophe majeure, découverte scientifique
indiscutable, crises diverses) rendent impossibles tout travail
conformisateur. Une telle transformation est liée au conflit entre la
nécessité de l’action et l’emprise d’une représentation.
À ce stade et en reprenant la théorisation de Flament, deux
modèles du changement sont figurés et analysés : les schèmes
étranges et les schèmes de la négation (Flament, 1994a, 1989).
Le premier type correspond au processus d’assimilation de
l’exception, caractérisé par le rappel du normal, la désignation
claire de l’alternative aux tendances présentes dans le noyau
central, l’affirmation d’une contradiction entre les deux termes et la
proposition d’une rationalisation permettant d’en supporter la
contradiction.
La seconde forme définit une situation où l’exception est
totalement rejetée. L’information discordante est désignée comme
incompatible avec le maintien de l’intégrité d’une représentation.
La perception de la réversibilité ou du caractère négociable de la
situation, invoquée par Flament ou Moscovici, intervient d’ailleurs
sur la production de ces deux orientations selon que les éléments
mis en cause sont centraux ou périphériques (Flament, 1994b). Un
tableau résumera les différentes combinaisons de facteurs
conduisant aux transformations des RS.

Élément mis en cause

D’après Rouquette et Rateau, op. cit., p. 124.

Cette schématisation ne décrit cependant qu’une partie des


évolutions des représentations dont on peut sophistiquer l’analyse.
Les études sur la genèse des RS se développent de plus en plus
(Garnier et Rouquette, 1999). Les travaux sur l’influence sociale
(Moscovici Mugny, Pérez, Personnaz,…), ressortant du même
champ, compléteront la réflexion du lecteur. L’étude des altérations
du même objet dans des contextes différents répond, aussi et en
partie, aux questions posées jusqu’à maintenant. Voyons ce qu’il
en est à propos des systèmes de communication.
2. Systèmes de communication

Les RS sont fortement descriptibles par leurs relations avec les


groupes et, plus largement, les institutions et les organisations.
L’étude de l’ancrage illustre, de façon précise, ces relations de
détermination dynamiques et dialectiques entre pensée sociale et
collectivités humaines. Quels sont les liens des RS avec les
systèmes de communication ? Ceux-ci sont définis comme des
ensembles articulés de publics, de contenus, de technologies, de
modes de pensée et de croyances. Il s’agit d’entités
multidéterminées, historiquement et socio-économiquement, dont
l’orientation sociocognitive dépend des relations affectives,
libérales ou autoritaires, participatives ou unilatérales, existant à
l’intérieur de l’institution, du groupe et du public.
« Il ne s’agit pas de dire “à chaque public son système”, du
moins tant qu’on n’a pas défini de manière invariante les critères
permettant justement d’identifier un public particulier et de le
rattacher à une classe compréhensive. Il s’agit de se rendre
capable de reconnaître des configurations de situations,
auxquelles correspondent des catégories formelles de publics ; et
c’est alors qu’on va voir surgir l’adéquation de systèmes de
communication spécialisés […]. Un système de communication
est donc la résultante d’une inscription historique […]. [Il] n’est
pas une entité autonome qui serait seulement affectée par
l’histoire ; il est, de part en part, une production ou, si l’on préfère,
une réalisation de celle-ci. C’est dire qu’il ne peut être compris
hors des notions de filiation, de rapports d’antagonisme, de
pouvoir et de pratiques sociales. »
Rouquette, 1998, p. 88-90

Une étude du contenu de la presse de grande diffusion,


catholique et communiste, correspondant à trois modes de
divulgation de l’information (Moscovici, 1976), illustre
classiquement cette perspective. Chacun d’entre eux renvoie à
une manière typique de concevoir les relations entre des
représentations, des publics spécifiques et ses formes plus ou
moins instituées de régulation. Ces trois types sont ceux de la
diffusion, de la propagation et de la propagande.

2.1. Logique de la diffusion et opinion

Cette première forme appréhende les buts de la communication


dans les régimes démocratiques, les journaux « grand public »,
s’adressant à un ensemble hétérogène d’individus réunis par un
thème d’actualité ou une mode. Les contenus y sont faiblement
hiérarchisés et susceptibles de varier en fonction de la demande
du marché, des sondages et des visées éditoriales. Dans un tel
système, la source d’information n’a pas de but défini ou
d’intention déclarée de changer les conduites, sauf de façon
incidente. La prévalence de l’opinion nécessite, dans un tel
dispositif, que l’émetteur de la communication, lors de la rédaction
ou de la confection de ses messages, s’identifie avec les supposés
« intérêts » du public dont les préférences ne sont pas clairement
perceptibles.
« [Le contenu de communication est traité] de telle sorte
qu’une certaine distance est maintenue entre l’objet et l’émetteur
de la communication ; la non-implication apparente permet et
suppose une marge d’ajustement entre la source émettrice et son
public ; les messages gardent, à l’intérieur d’une même source,
une relative autonomie qui se manifeste par la discontinuité ;
quoique ce ne soit pas une forme de communication visant,
ouvertement, à produire des conduites d’ensemble, la diffusion
peut être efficace. »
Ibid., p. 331

Les thèmes abordés dans ce mode sont caractérisés par leur


mobilité et leur modération, afin de ne pas heurter des sensibilités
particulières et par la distanciation avec le courant
psychanalytique. Les références explicites à celui-ci associent des
termes spécialisés (complexe, névrose, libido) à des
préoccupations composites comme l’astrologie, le développement
personnel ou l’adoption de produits esthétiques. Le psychanalyste
est, par exemple, transformé en être asocial « regardant par le trou
de la serrure » les hôtes lors d’une réception à la campagne. Par
des raccourcis rhétoriques et des formules imagées, la diffusion
cherche « à s’assimiler le plus possible au public » (ibid., p. 340) et
à s’approcher d’un type de communication non formelle comme la
rumeur ou la transmission de bouche à oreille. L’humour, l’ironie, le
sérieux académique scénarisé à gros traits sont souvent présents
dans les entrefilets et les énoncés de la grande presse et
concernent aussi bien les thérapeutes, les analysés, l’éducation
des enfants ou la vogue de cette pratique aux États-Unis durant
les années 1950. L’objet de représentation est élimé, décomposé
et recomposé dans le cadre d’une « communication
consommatoire » (ibid., p. 348), d’une langue destinée à être
adoptée sans finalité particulière ou autre que celle de plaire au
lectorat et ainsi de le divertir en décrivant des thèmes
aléatoirement liés.
« La diffusion construit un monde social imaginaire, tout pétri
de “neutralité”, de “consensualité” et de bienveillance, dans
lequel chacun est censé se retrouver comme exemplaire d’une
image multipliée que l’on prétend faire coïncider avec une
condition commune. La prétention pédagogique de la diffusion
constitue le signe le plus sûr de cette uniformisation projetée. »
Rouquette, 1998, p. 93

Tout ceci permet à chaque lecteur de « faire son miel », à partir


de propositions dont le faible enchaînement logique autorise une
appropriation personnelle.
« La psychanalyse, par exemple, est tantôt un langage, tantôt
une matière plaisante, tantôt un prétexte et, conjointement, une
orientation, une thérapeutique à laquelle on peut recourir. Et
même quand elle est présentée comme une possibilité
thérapeutique, on ajoute que d’autres applications médicales
arrivent au même résultat […]. Finalement le nouveau ne fait que
renforcer l’ancien, le statu quo. »
Moscovici, 1976, p. 368

Le public se retrouve ainsi dans un état d’indétermination


relative sur la position à prendre face à l’objet ou d’« identité faible
» (Rouquette, 1998, p. 93). Une prise d’information plus active ne
dépend pas directement du mode « diffusion ».

2.2. Propagation et attitude

Ici, une relation plus grande existe entre un appareil idéologique


institutionnalisé, raisonneur et structuré, animé par des cadres, et
des leaders spirituels. L’église catholique et sa presse, ou d’autres
institutions du même type, adoptent, face à la psychanalyse, une
position filtrante et attentive. La notion d’attitude, plus
affectivement marquée que l’opinion, convient mieux à définir l’axe
mental des RS dans un tel mode. Elle suppose, de plus,
l’existence d’une hiérarchie entre les cognitions d’un sujet et la
préparation vague d’une action. La propagation rend compte d’une
nécessité de communiquer de façon adaptée, en prenant en
considération les particularités du nouvel objet (la psychanalyse) et
son « accueil raisonné » dans la pensée du groupe. La finalité est
alors de rendre cette théorie compatible, en la transformant et en
l’intégrant au système de valeurs qui structure l’appartenance à
l’institution de référence, qui s’affiche, par ailleurs, par son
ouverture plus ou moins critique. Une similitude de préoccupation
entre le prêtre et le psychanalyste s’oppose cependant à une
conception différente de l’homme. La fonction instrumentale
(éduquer, proposer une vision du monde, exercer une pression
douce mais ferme) est dominante dans la propagation, au
contraire de la diffusion.
« Plus que contraignant et militarisé, cet appareil est avant tout
adaptatif. Il explique, commente, nuance ce qui pourrait être
incompréhensible ou choquant ; il fournit des points de vue
nouveaux qui prolongent ou infléchissent, sans les contredire,
[ceux] plus anciens ; il montre, en somme, une capacité
d’absorption qui tout à la fois rassure et procure des moyens de
réflexion et d’action. Cette capacité rassure parce qu’elle
démontre, en situation, la validité perdurable d’un cadre de
pensée ; elle fournit des moyens de réflexion et d’action parce
qu’elle intègre la nouveauté dans une sorte de conquête
permanente qui se transforme finalement en arguments. »
Rouquette, 1998, p. 92

Les normes et les valeurs de la source président donc à la


reformulation des jugements à propos de la psychanalyse. «
Quand nous parlons de psychanalyse, gardons-nous donc, soit de
tout condamner en bloc, soit de tout admettre sans critique », est-il
affirmé dans l’un des extraits de presse d’origine catholique,
(Moscovici, 1976, p. 397). La revalorisation de la dimension
spirituelle de l’homme ou d’une « psychologie des profondeurs »
est, par exemple, privilégiée, au détriment d’une lecture athéiste,
pansexualiste et matérialiste des présupposés freudiens.
« [Contrairement au mode “diffusion”], la propagation a comme
objectif de provoquer une conduite chez tous les membres du
groupe […]. À l’encontre de la diffusion où il s’agissait toujours
d’une incitation à des prises de position partielles et
“atomisantes”, nous remarquons ici l’apparition d’une
construction d’ensemble qui se propose d’œuvrer efficacement à
la régulation des processus cognitifs, affectifs et
comportementaux concernant la psychanalyse […]. Élaborée,
plus complexe et abstraite, la propagation s’adresse à un groupe
ayant déjà une certaine unité, un langage défini et un système de
valeurs propres, mais aussi, probablement, à la partie de ce
groupe, dont la préparation intellectuelle atteint un niveau plus
élevé. »
Ibid., p. 401

On assisterait, aujourd’hui, à un remplacement inéluctable de la


propagande par la propagation. La première forme serait plus
marquée par un style autoritaire, pyramidal, une culture de la
conviction « à renforcer » et par son application à une cible «
passive » ou nettement orthodoxe. Cette substitution serait le
résultat d’une « granulation relativement récente du tissu social »
et d’une multiplication des « instances de sociabilité » (Rouquette,
1998, p. 92). L’extension d’une culture de la concertation, de la
négociation, de la prise de parole dans des groupes restreints,
l’accroissement du nombre d’individus se retrouvant «
responsables de quelque chose » ou en charge d’un service ou
d’un problème, la généralisation de la « multi-appartenance […] à
des groupements, en sus des appartenances objectives
traditionnelles », conféreraient à la propagation le statut de «
système de communication le plus adéquat » (ibid., p. 93) aux buts
contemporains de confirmation, d’intériorisation et d’adaptation
d’ensembles idéels.
On complétera ce diagnostic en pensant à l’importance prise par
la forme fluidique de la communication, dans les musiques
underground (Seca, 2001, 2007), très prisées par les jeunes
générations. Ce système se rapprocherait des buts de la
propagande, avec le maintien parallèle d’objectifs vagues de
propagation et de diffusion. Ces trois derniers modes seraient, par
conséquent, idéaltypiques. Ils peuvent être combinés et
différentiellement utilisés en fonction des contextes, dans des
pratiques concrètes de communication en organisation ou par
rapport à la société plus globale. La perte d’influence des doctrines
et des dogmes (religion, idéologies politiques), en France et dans
les pays fortement développés, favoriserait plutôt l’activation de
formes hybrides de pratiques communicatives.

2.3. Propagande et emprise des stéréotypes

Un fonctionnement rigide des relations sociales et un objectif de


bataille d’idées (la question du « vrai » et du « faux », de l’«
authentique » et de l’« aliéné ») spécifient ce modèle. Proche de la
propagation par ses entreprises de renouvellement des
significations attribuées à l’objet de RS, son objectif est plus
concret : créer et renforcer les informations servant l’institution par
l’usage réitéré du stéréotype (voir Rouquette, 2004 pour une
sémiologie affinée de la propagande contemporaine).
Trois objectifs « techniques » sont dégagés par Rouquette
concernant la propagande.
En premier lieu, on vise à l’encadrement du groupe des adeptes
ou des militants et de la masse plus élargie d’individus faiblement
concernés (la majorité silencieuse ou manipulée). Fortement
imprégnés d’orthodoxie, les cadres agissant pour le
développement de ce système n’hésitent devant aucun des
moyens offerts par les outils de persuasion.
« La propagande présente un monde simple dans lequel les
rôles, les places, les devoirs et même les calculs de chaque
camp sont à la fois permanents et transparents. Et cela encadre,
à son tour, la pensée, en jetant une lumière crue, quasi
obsessionnelle, sur ce qui paraît l’essentiel, au détriment de ce
qui ne serait que distraction, effet d’écume ou manœuvre
perverse de l’adversaire. »
Rouquette, 1998, p. 91

Le renforcement et la répétition, sous toutes les formes, des


croyances et des stéréotypes, objets du combat politique, guerrier
ou culturel sont une autre finalité instrumentale de la propagande,
conformément aux observations faites par les psychologues des
foules.
L’incitation à l’action est une troisième visée de ce type de
système. Mais ce but est dépendant d’autres facteurs et constitue
une sorte d’armature rhétorique des discours propagandistes dont
le fondement conformisateur repose sur une culture traditionnelle,
parfois mythifiée, et une mémoire commune vivante et vivifiée de
toutes les manières.
Contrairement au raisonnement intégrateur de la propagation, la
propagande implique une schématisation volontaire, destinée à
déclencher des réactions passionnelles, et une compréhension
dichotomique, finalisée intellectuellement.
« Ainsi, parler de psychanalyse nazie, mystifiante, rapprocher
la théorie des instincts et le racisme hitlérien ou antinoir, sans
parcourir toutes les chaînes nécessaires de raisonnement, ce
n’est point développer un système conceptuel mais indiquer qu’il
y en a un et construire une représentation de cette doctrine.
L’argument peut être répété par toutes les relations établies entre
la psychanalyse et les États-Unis, les classes bourgeoises, la
police, etc. Les assertions et les discussions plus conceptuelles,
quoique rares, existent, mais leur aboutissement final est bien
l’édification d’un ensemble ordonné d’images et de symboles à
virtualité représentative. »
Moscovici, 1976, p. 444

La véritable science pavlovienne, développée en Union


Soviétique, est opposée à la théorie psychanalytique « américaine
», désignée comme une idéologie confortant les intérêts des
capitalistes. La propagande lyssenkiste des communistes des
années 1950 est à interpréter dans le contexte de la lutte pour
l’affirmation d’une identité, d’une représentation du parti et sa
différenciation avec les savoirs rejetés dans l’autre camp
(américain, capitaliste, management participatif, sciences sociales
appliquées). Une analyse du contenu de la presse durant les
années 1960 montre que les organes communistes d’information
vont transiter vers le mode « propagation » dans leur description
plus fine et réfléchie de la psychanalyse (ibid., p. 479-493).

3. Rapports aux contextes

3.1. Modulations et position sociale

On ne peut se contenter d’une approche établissant l’existence


de cartes mentales communes à un ensemble social. Cette vision
consensuelle des RS ne correspond pas à l’inspiration de l’analyse
des systèmes de communication que nous venons de résumer.
Les visions du monde, les idéologies, les appartenances à des
groupes, l’assomption d’un statut et l’influence de la position dans
une hiérarchie, sans parler de variables sociodémographiques et
économiques, donnent à penser les RS comme des champs
structurés de cognitions modulables en fonction de leur contexte
d’actualisation. L’étude des RS des Droits de l’Homme (cf. le
chapitre 4) permet de connaître quels sont les éléments
organisateurs (principalement : droits à la défense juridique,
expression politique, conditions élémentaires de vie) ou
périphériques (notamment : liberté de fumer, de refuser
l’hospitalisation en cas de maladie contagieuse, droits
économiques) de cet objet dans les quatre pays où les données
ont été collectées. Les auteurs soulignent cependant que le mode
de visualisation des données conduit à nuancer ce constat :
« L’examen des différences individuelles montre ainsi que la
distinction entre éléments centraux et éléments périphériques se
réduit. En effet, seule la liberté de fumer apparaît clairement hors
du domaine des DH dans lequel ne sont intégrés [nettement] que
certains droits fondamentaux (défense juridique, alimentation,
protection des enfants). Les autres éléments périphériques
entretiennent des liens avec différents aspects des DH [comme
les relations conjugales, la protection des enfants, les sanctions
contre les déviants ou des minorités]. Les sujets prennent donc
appui sur des principes organisateurs différents pour structurer le
champ des DH. »
Clémence et al., 1994, p. 149

Doise, dans une synthèse sur cette question, relève l’existence


de divers types d’ancrage (Doise, 2000). L’un d’eux est décrit, par
exemple, par une opposition entre des individus privilégiant une
conception des droits de l’homme, limitée par une contrainte,
obtenant un score élevé à une échelle de nationalisme, une note
basse à celle d’internationalisme et de libertés civiques, plutôt
républicains d’une part, et des sujets adhérant à la RS des DH,
centrée sur la sécurité sociale, internationalistes et de tendance
démocrate, de l’autre.
« De même, une conscience et une expérience plus aiguès de
conflits et d’injustices, ainsi qu’une absence relative de souci de
bonheur peuvent permettre un engagement plus personnel
opposé à une attitude gouvernementaliste. »
Ibid., p. 203

En fait, différentes combinaisons sont possibles. Il n’y a pas de


lien univoque entre « les choix de valeurs, de perceptions, les
expériences personnelles, les explications de violations et […] les
positionnements par rapport aux droits de l’homme » (ibid.,
p. 203). Une autre forme d’ancrage renvoie au progrès de la
socialisation avec l’âge (ibid., p. 203-204) ou à l’influence d’une
vision ethnocentrique des DH : situation occidentale, perçue
comme moins problématique par des jeunes de ces pays, devant
évaluer divers scénarii de violations des DH, présentés dans des
contextes proches du leur (Montréal, Genève) ou dans des pays
du Tiers-monde (Moscou, New Dheli). Le caractère abstrait et
général d’une charte ou, au contraire, concret, situationnel,
complexe, d’infraction aux droits implique aussi des différences de
positionnements.
L’insertion sociale ou l’appartenance nationale conduisent ainsi
à des modifications importantes de ces savoirs communs chez les
divers sujets. Ces modulations sont mises en évidence par des
analyses de données du questionnaire. Dans cette optique, la
construction de la réalité représentée est étroitement dépendante
des types de techniques statistiques retenues comme les plus
pertinentes pour faire émerger ces différences. Moscovici procède
de la même façon dans son enquête sur la psychanalyse décrite
dans différents milieux (classes moyennes, ouvriers, étudiants,
élèves d’écoles techniques, professions libérales).

17. L’usage du questionnaire


Contrairement à l’entretien, illustrant les méthodes inductives, cette
technique n’a pas pour but de « surfer » sur le mouvement conversationnel.
Elle repose sur une logique hypothético-déductive, même si l’élaboration de la
forme et du contenu de ses questions a été l’objet d’une phase de pré-enquête
exploratoire. Le questionnaire vise à organiser la catégorisation préalable et
l’encodage statistique des réponses des sujets interrogés. L’ensemble ou la
grande majorité des questions, y sont, comme on le sait, de type fermé,
impliquant une clôture du choix, même multiple, laissé aux répondants pour
l’expression d’un avis sur un objet quelconque. Si la technique est mal
appliquée, les synthèses chiffrées sur de telles réponses risquent
généralement de décrire des entités abstraites, émanant de la pensée de celui
qui a fabriqué le questionnaire. Mais à ces limites de circularité, mises en relief
par de nombreux auteurs dont Bourdieu ou Champagne, on peut opposer
l’intérêt que peut avoir une démarche d’analyse quantitative structurée sur des
hypothèses fortes, standardisée et appuyée sur une visée comparative (entre
des groupes sociaux, entre représentations et facteurs explicatifs ou
sociodémographiques).
L’ouvrage de Doise et al. (1993) peut être consulté afin d’approfondir
l’analyse de données, notamment des procédures d’appréhension statistiques
de l’ancrage. Abric conseille l’usage de « question plus ouvertes » ou
proposant au questionné « un large éventail de réponses », donnant à celui-ci
« la possibilité de mettre en œuvre sa propre démarche » ou « l’activité de la
personne interrogée » pour atténuer les biais induits par cette technique
(Abric, 1994, p. 63 ; Vergès, 2001). La réussite de cette démarche dépend de
l’aptitude du chercheur à proposer des hypothèses fertiles, sources
potentielles de positionnements différenciés dans les réponses des sujets de
l’échantillon étudié. Ces hypothèses ont elles-mêmes pour origine la
connaissance inductive du thème d’étude, la formalisation théorique
audacieuse et élégante ainsi que la capacité à simplifier, à passer de la
foisonnante complexité du réel à une structure explicative modeste mais active
(cf. Ferréol et Deubel, 1993).

3.2. Genre, statut, rôle et conceptions du groupe

La catégorisation du féminin et du masculin est évidemment


présente, par définition, dans toutes les sociétés humaines.
Comme le suggère Françoise Héritier, elle est connectée à l’une
des formes élémentaires de la pensée, qu’elle soit
anthropologique, littéraire, mythique, religieuse ou scientifique
(Héritier, 1996).
« C’est l’observation de la différence des sexes qui est au
fondement de toute pensée, aussi bien traditionnelle que
scientifique. La réflexion des hommes, dès l’émergence de la
pensée, n’a pu porter que sur ce qui leur était donné à observer
de plus proche : le corps et le milieu dans lequel il est plongé. Le
corps humain, lieu d’observation de constantes – place des
organes, fonctions élémentaires, humeurs –, présente un trait
remarquable qui est la différence sexuée et le rôle différent des
sexes dans la reproduction. Il m’est apparu qu’il s’agit du butoir
ultime de la pensée, sur lequel est fondée une opposition
conceptuelle essentielle : celle qui oppose l’identique au différent,
un de ces thêmata archaïques que l’on retrouve dans toute
pensée scientifique, ancienne comme moderne, et dans tous les
systèmes de représentations. »
Héritier, 1996, p. 19-20

Ce constat, assez trivial au premier abord, renvoie par exemple


aux oppositions aristotéliciennes : « féminin/masculin », «
chaud/froid », « animé/inerte », « souffle/matière ». On retrouve
ces catégories tranchées dans des discours hygiénistes ou
médicaux plus contemporains. Réfléchir à cette distinction, c’est
donc entrer dans l’approfondissement des grands ensembles de
représentations et de savoirs. Peut-on aller jusqu’à admettre que
cette analyse favorise la genèse de toute forme de pensée, même
la plus formelle et logique ? Il y a, en effet, une dimension digitale
ou binaire dans la catégorisation « femme/homme ». L’expérience
de la corporéité, tout autant que celle, primordiale, de la relation
enfantine à la mère, les formes prises par la constitution de
l’identité chez le bébé, selon certains psychanalystes comme
Mélanie Klein (projection, introjection, identification, répulsion), les
classifications, structurées sur le mode de l’opposition, qui lui font
suite (« bon/mauvais », « haut/bas », « dehors/dedans », «
chaud/froid ») évoquent une élaboration épistémique et cognitive
de base. Ce que confirment les travaux de Piaget en psychologie
du développement, notamment sur la phase sensorimotrice (cf.
Doise et Mugny, 1997 ; Piaget, 1978).
Les études sur la représentation du genre sexuel sont en nette
progression numérique depuis l’ouvrage de Paul-Henry Chombart
de Lauwe (1963). Lors de la Conférence internationale sur les RS
de Montréal, en 2000, on comptait trois tables rondes ou ateliers
consacrés à ce thème. Diverses recherches, dont celles de Marie-
Claude Hurtig et Marie-France Pichevin, Geneviève Paicheler ou
de Verena Aebischer sont particulièrement citées à ce sujet. On
développera, par la suite, une synthèse sur l’un des modes
d’approche de la question, en centrant l’intérêt du lecteur sur une
recherche sociologisante d’un psychologue social suisse (Lorenzi-
Cioldi, 1988, 1994). Son approche illustre celle défendue par
Moscovici et Doise sur les principes organisateurs, l’objectivation
et l’ancrage.
L’identité sociale est objet de transformations et d’acquisitions
en fonction du groupe dans lequel on s’insère. Dans le même
mouvement, on s’identifie aux valeurs et aux tendances positives
de l’intragroupe et l’on s’oppose à d’autres groupes. Un individu
structure, par conséquent, son identité en se mettant en phase
avec les formes d’affirmation de l’ensemble auquel il se réfère.
Conformément à une hypothèse d’Henri Tajfel (1972), on distingue
deux composantes de l’identité : personnelle et collective.
L’insertion groupale conduirait à la dépersonnalisation (Turner,
1979), à l’uniformisation et à l’adoption de normes collectivement
élaborées. L’individu est, dans ce cas, à la fois « unique et
dépendant ».
On observe que les ensembles dominés sont composés de
personnes dont l’identité est homogène et que ceux dominants
intègrent des individus à la personnalité différenciée, répugnant à
l’idée « de faire partie de… ». D’un côté, l’identité sociale est
collective, de l’autre elle est personnelle. La première forme
renvoie à un « agrégat d’individualités relativement indifférenciées
les unes des autres » ; la seconde désigne une « collection
d’individualités ayant chacune leur propre spécificité » (Lorenzi-
Cioldi, 1988, p. 33-65). Dans les enquêtes de Lorenzi-Cioldi, les
hommes appartiennent plus souvent au pôle dominant et forment
une collection. Les femmes se réfèrent, quant à elles, jusqu’à
aujourd’hui et tendanciellement, à une situation dominée et à la
forme « agrégat ». Ceci entraîne cependant des conséquences
particulières dans les relations entre groupes sexués. L’homme, se
voyant comme indépendant, tendra à ne pas se préoccuper de
l’autre groupe car il ne se vivra pas comme « appartenant à un
ensemble collectif ». La femme, plus dépendante de son
environnement, s’intéressera plus fréquemment à l’autre groupe.
L’identité féminine résultera, entre autres choses, des interactions
entre membres de l’intragroupe tout autant que de
communications avec des acteurs masculins, extérieurs à l’entité
d’appartenance. Ce qui a pour conséquence une bipolarité des
jugements sociaux féminins contrairement à ceux des hommes
plus unipolaires. Les femmes sont ainsi plus sensibles à
l’opposition entre les deux sexes. L’hypothèse d’homologie est
proposée où sont articulés les liens entre l’appartenance à un
groupe (agrégat ou collection) et la caractérisation d’un individu
par son genre sexuel.
Ces propositions théoriques ont été l’objet d’enquêtes, de
formalisations et d’opérationnalisations expérimentales (Lorenzi-
Cioldi, 1988). Par exemple, la perception des discriminations «
hommes/femmes », lors de relations inter groupes, semblerait
beaucoup plus accentuée chez les sujets féminins. Les hommes,
tendanciellement plus proches de l’ensemble « collection »,
minimiseraient cette saillance. Le champ scolaire renforcerait de
telles représentations. « Les rôles sont donc bien distingués en
fonction du sexe » (ibid.). Les femmes auraient, toutes, à l’esprit la
bipolarité sexuelle et feraient montre d’une moindre estime de soi
comparativement aux sujets masculins. Ces derniers vont
constamment favoriser leur groupe alors que les femmes vont
émettre une catégorisation moins favorable de leur entité
d’appartenance. Le groupe dominant a un ainsi un fort pouvoir
d’influence sociale qui explique grandement les positions des
femmes face à autrui. Bien entendu, on peut, par divers artifices
expérimentaux mettre les sujets masculins face à des stimuli
féminins ou en situation de groupe agrégat. On retrouve alors,
chez ces hommes, des attitudes adoptées par les sujets féminins.
Les tendances dont nous parlons ne sont donc évidemment pas
un « fait de nature » mais sont reproduites, en partie, lors de
travaux sur les représentations du groupe et du genre sexuel.

18. Le modèle de l’androgynie


D’origine mythologique, cet être idéalisé, antérieur à l’apparition du principe
féminin ou masculin, selon Platon (Le Banquet), se pare, au fur et à mesure
du passage vers la modernité, de connotations monstrueuses, transgressives,
négatives, stigmatisantes associées aux conduites homosexuelles ou aux
hermaprodites. Plus généralement, l’étude de cette figure fait émerger des
lignes d’opposition spécifiques comme celle de l’abstrait (angélisme)/concret
(hermaphrodisme) ou bien encore de l’individualité (autonomie,
minorité)/fusion/indifférenciation (symbiose des affects). Certaines fictions
romanesques la négativisent (Artus Thomas, L’Île aux hermaphrodites, 1605),
ou bien l’idéalisent (Gabriel de Foigny, La terre australe connue, 1676). Ce
genre de tension « concret/abstrait » se retrouve dans d’autres écrits
(Séraphîtüs-Séraphîta d’Honoré de Balzac, 1835). Lorenzi-Cioldi, dans son
livre sur cette question, observe que le mouvement est inverse en
psychologie. Initialement considéré de façon négative et concrète, l’androgyne
y devient finalement fortement mythifié. L’auteur tente d’approfondir la notion
d’androgynie psychologique qui serait liée à l’émergence de l’autonomie et à
l’idée d’indépendance individuelle à l’égard des prescriptions de rôle dans
l’appartenance de groupe. Il en résulterait, pour ce type d’individu, une
meilleure adaptation aux tâches, un développement plus pragmatique du Soi,
une appréhension symétrique des rapports « hommes/femmes » et un
dépassement des frontières entre ces ensembles.
La définition de la personnalité androgyne a été, dans un premier temps,
opérée sur la base de l’inventaire des rôles sexuels (Bem). Par ce procédé, on
recueille des autodescriptions des sujets, sans référence comparative explicite
à un groupe d’appartenance masculin, féminin ou autre. Ce test permet de
différencier les individus sexués, des indifférenciés (qui rejettent aussi bien les
qualités masculines que féminines) et des androgynes (qui endossent et
alternent différents types de rôle). Lorenzi-Cioldi remarque que, dans cette
grille d’analyse, l’individu est un « caméléon » : il adopte successivement
divers critères comportementaux sexués en fonction de l’évolution des
contextes. La possibilité d’une telle conduite implique néanmoins la
permanence et, peut-être, l’accentuation d’une dissociation des pôles féminins
ou masculins. L’androgyne réunirait ou synthétiserait le « meilleur » de ces
deux tempéraments. Les qualités androgyniques sont ainsi plus souvent
associées aux conduites masculines. Ce biais réduirait la portée et l’originalité
de cette forme de comportement aux dépens d’un équilibre des pôles féminins
ou masculins.
Les femmes, plus sensibles aux frontières et aux relations entre groupes,
auraient une perception plus conformiste et culturelle de l’appartenance à
l’intra-groupe. Cela impliquerait, chez elles, une plus grande rigidité dans la
lecture des conduites masculines/féminines. Elles utiliseraient, plus souvent, le
schème de l’interdépendance (le collectif, le communal, le modèle oriental).
Les hommes généreraient une vision plurielle et indéterminée, fondée sur
l’application d’un schème d‘indépendance occidental. L’appartenance groupale
est cependant loin d’être exclusive, conformément à une définition
prototypique d’un ensemble social. Un prototype est une figure centrale (la
ménagère) autour de laquelle varient les formes d’inclusion plus ou moins
périphériques des éléments (la ménagère salariée, la femme divorcée
salariée, etc.) d’un groupe. Les hommes ou les femmes, tout en étant confinés
à l’intérieur de leurs entités d’appartenance aux limites floues, seraient plus ou
moins proches d’un prototype. On se centre alors sur la variété des
représentations plus que sur une perception monolithique et unipolaire du
schéma de genre. Ceci évite d’enfermer les individus dans des formes
invariables et figées de conduites et en autorise une appréhension nuancée.
Cela explique pourquoi la concrétisation de choix de rôles androgyniques se
ferait plus facilement dans les groupes masculins où est activé un schème des
différences individuelles, identique au modèle occidental de l’individuation.
L’homme n’aurait ainsi pas la nécessité permanente de penser qu’il est un
homme. Sa position sociale rappelle plus souvent à la femme son statut
sexuel.
Cette psychosociologie de la domination fournit un cadre interprétatif des
signes de sociabilité comme le sourire, le toucher et toutes les formes de
communication non verbales des femmes. Leur situation, socio-historiquement
plus opprimée, les aurait conduites à développer des styles relationnels,
d’appréhension et de manipulation, flexibles ou doux des dominants et une
auto-attribution stéréotypée de la fameuse « intuition féminine », reposant
cependant sur des attitudes effectivement correspondantes. Le même
contexte expliquerait d’autres comportements, qu’ils émanent d’hommes ou de
femmes subissant d’autres types de dissymétries. Dans les rapports
professionnels, hommes et femmes dominés peuvent être amenés à avoir une
connaissance de soi axée sur l’appartenance au groupe des pairs et une
vision des chefs centrée sur l’idée de personnalisation. Plus encore, ils
peuvent tendre à accepter et à intégrer la perception d’eux-mêmes que les
dominants leur renvoient. Dans le cas de l’« intuition féminine », on
considérera que les femmes développent, par ce moyen, une connaissance
implicite et pratique du dominant (personnalisation, formes diverses
d’affirmation du soi, etc.). En définitive, la réflexion se déplace de la notion de
schème de genre à celle de relation de domination ou de pouvoir. Dans cette
mesure, l’accomplissement plus important de conduites androgyniques chez
les hommes, comparativement aux femmes, est une illustration de la
complexité de l’analyse d’un tel objet. L’androgynie est « une modalité
d’identité personnelle s’acquérant plus facilement dans certains groupes que
dans d’autres » (ibid.). C’est dans cette mesure qu’elle est une représentation
sociale, articulée au statut. Paradoxalement, elle « signale », par sa
distribution différentielle selon les contextes et les appartenances, l’emprise
d’un schéma de genre dont l’origine culturelle est réaffirmée.

D’après Lorenzi-Cioldi, 1994.

3.3. Analogie et compensation

Deux principes illustrent le fonctionnement de l’ancrage de ces


systèmes sociocognitifs : l’analogie et la compensation. Le premier
« décuple les pouvoirs de l’imaginaire », l’autre « assure l’emprise
de l’ordre symbolique » (Moscovici, 1976, p. 278).

L’économie d’information

L’analogie se caractérise par une tendance à la « généralisation


d’une réponse ou d’un concept ancien » à ceux d’un objet nouveau
par le « transvasement de leur contenu » (ibid., p. 264). Celui-ci
est ainsi tiré d’un stock de savoirs maîtrisés dans le but
d’appréhender la nouveauté à partir du déjà connu. Une mise en
commun de notions relevant de champs de valeurs ou de
significations différents en résulte et finit par s’agréger en classes
d’objets distincts, unifiés sémantiquement, exprimant une
explication, une inférence. L’analogie permet une médiation entre
des univers de pensée non compatibles et un gain de temps, une
économie d’information et de réflexion pour parvenir à la
représentation de ce qui est étranger ou non fonctionnel. La
référence faite par certains enquêtés à la « confession » pour
qualifier la psychanalyse ou, à l’inverse, au caractère fortement
thérapeutique de ce sacrement chez d’autres, illustre comment
s’applique ce principe.
« L’acte religieux est compris comme un acte laïque où seule la
relation intersubjective conserve son importance. Excluant toute
autre connotation, l’entourage matériel, le rôle propre des
personnages s’estompent pour faire face à la notion d’un
échange simplifié et purement humain. Le dialogue
psychanalytique, à son tour, prend une figure concrète, “banale”,
l’image de la confession le plongeant dans une réalité perçue et
connue. »
Ibid., p. 264

Le recours à l’analogie se fait dans le contexte de la


quotidienneté où chacun d’entre nous est amené à déborder du
champ de ses propres compétences. Une quantité réduite de
connaissances est utilisée afin de formuler des jugements,
exprimer des avis et définir des objets ou des phénomènes dont
on n’est inévitablement pas expert.

Métasystème et logique formelle

Le principe de compensation est l’équivalent, pour la pensée


naturelle ou sociale, de celui de non-contradiction dans le
raisonnement scientifique. Il exprime la nécessité d’accorder à tout
prix les idées avec les contraintes de la vie sociale, culturelle et
intellectuelle. Cette règle générale permet à celui qui s’approprie
une représentation d’exprimer son identité, et donc de se poser en
s’opposant, de procéder à des classements. On raisonne sur des
objets en tenant autant compte de critères de logique formelle
(recherche d’équilibre, de consistance, non-contradiction) que de
ceux plus proprement sociologiques (positions, statuts,
appartenances, goûts, normes, historicité). On se situe alors
toujours à deux niveaux de la pensée : celui du cadre de référence
du sujet (métasystème de son insertion sociale) et celui de son
activité discursive et cognitive (système de relations opératoires),
celle-ci s’exerçant en articulation avec celui-là.
« Soumission de la partie au tout, existence d’une échelle
hiérarchisée d’orientations du jugement, propension à identifier,
voilà les ressorts de ce travail intellectuel, de l’unification qui en
résulte. Les opérations spécifiques ont lieu, sans tenir compte
des contradictions partielles. Celles-ci peuvent se produire soit
vis-à-vis du cadre logique, soit vis-à-vis des relations normatives
privilégiées. La tâche du sujet est de les modifier en fonction du
schéma global auquel il adhère. »
Ibid., p. 273-274

Proches des canevas de la négation et étranges, deux types


d’opérations sont alors possibles : la justification et la conversion.
La première forme est, par exemple, produite lorsqu’un sujet
défavorable à la psychanalyse tente, par l’émission d’un discours
accumulant les arguments idéologiques et les attributs négatifs de
cette science, de maintenir ou de changer la relation à l’objet de
RS en l’excluant progressivement de son univers mental. Par la
seconde, un individu va tenter de faire perdurer ou de changer
l’objet. Il transformera, par exemple, l’étiquette accolée
habituellement à la psychanalyse dans son milieu par le recours à
l’attribut « progressiste » ou à un autre nom pour la qualifier. Ce
sont autant de moyens pour appréhender autrement cette thérapie
dans ses effets, par exemple par son intégration, par exemple, à
l’idéologie de gauche des interlocuteurs.

3.4. Actualisations, RS et idéologie

L’état de polyphasie cognitive

Certains attributs des RS donnent l’impression que ce type de


pensée est un équivalent, chez les adultes, de modes
d’appréhension enfantins du monde (intelligence concrète,
syncrétisme). C’est ce que suppose Piaget dans plusieurs de ses
écrits (cité par Doise, 2000). La majorité de nos contemporains ne
sont pas pour autant demeurés des enfants. Il ne s’agit pas non
plus de survivances, dans le psychisme de l’adulte, d’organisations
intellectuelles antérieures. Ce sont essentiellement les situations et
les circonstances collectives qui rendent actives et adaptées chez
tel ou tel sujet, ces règles et ces formes d’activité mentale.
« En effet, on conçoit parfaitement qu’un individu dogmatique,
rigide, ayant un système cognitif qualifié de clos dans le domaine
racial, politique, puisse être tolérant, ouvert en tant qu’artiste,
savant, étudiant. »
Ibid., p. 280

Dans un tel contexte, plusieurs types de pensée peuvent


coexister, être potentiellement disponibles ou appliqués, et se
manifester selon les questions auxquelles on doit répondre et les
problèmes à résoudre. L’attitude vis-à-vis de l’objet de RS va
prédéterminer les modes de raisonnement et les analogies qu’un
sujet emploie pour en parler. Si un intellectuel ou un savant
considère que la psychanalyse n’est pas une science, il peut en
discuter en relâchant ses exigences de rigueur du fait des
manques qu’il lui attribue. Cela explique alors les à-peu-près de
son discours (dualisme causal, redondance, stéréotypie) sur ce
thème alors qu’il va être plus précis pour parler d’autres
domaines.
Plus fondamentalement, avec la diversification des cultures et
des connaissances (sciences, techniques, religions, idéologies,
arts, contenus hétérogènes des médias) et du fait de la division et
de la fragmentation des espaces de légitimation des savoirs, nous
serions devenus de plus en plus des « polyglottes » (ibid., p. 286).
« Outre le français, l’anglais ou le russe, nous parlons le
médical, le psychologique, le technique, le politique. Nous
assistons probablement à un phénomène analogue pour la
pensée. »
Ibid.

Une hypothèse est avancée sur le mouvement des RS, qualifié


de polyphasie cognitive. Ces systèmes sociocognitifs doivent être
vus comme étant en développement et en expansion plutôt que
tendant vers l’équilibre et autosuffisants. Les éléments qui les
composent sont ainsi des instruments, utilisés en fonction des
nécessités de l’action.
« D’une manière globale, on peut estimer que la coexistence
dynamique – interférence ou spécialisation – de modalités
distinctes de connaissances, correspondant à des rapports
définis de l’homme et de son entourage, détermine un état de
polyphasie cognitive […]. Dans la mesure où groupes et individus
sont appelés à affronter et à résoudre des problèmes de plus en
plus complexes, d’ordre aussi bien social que naturel, la
variabilité des outils mentaux adoptés est une conséquence
inéluctable. Un mode de raisonnement est plus apte à répondre
aux exigences de la propagande, un deuxième à celles des
décisions économiques, un troisième aux impératifs de la science
et ainsi de suite. Il y a toujours liaison et communication entre ces
modes mais aussi spécialisation. »
Ibid., p. 286

Ce phénomène, qualifié d’« hypothèse » par Moscovici il y a une


cinquantaine d’années, semble constituer l’un des points de force
de la théorie des RS. Michael Billig ne propose-t-il pas le terme de
« dilemme idéologique » pour exprimer l’idée que les explications
quotidiennes proposées par les acteurs ne sont pas
fondamentalement cohérentes, unifiées et linéairement
développées (Billig et al., 1988) ? L’inférence de causes internes
(la « faute » à celui qui subit un problème comme la pauvreté) peut
accompagner celles attribuées à l’extériorité et à la situation en
fonction du contexte auquel on se réfère, de la volonté de contrôle
du milieu et des buts qu’on s’assigne (Truchot, 1994).

Ordre idéologique et « désordre » des représentations

La cohérence doctrinaire apparaît plutôt comme un fait


minoritaire face à l’efflorescence des représentations. Pour éclairer
cette idée, précisons quelques points sur la notion d’idéologie
souvent confondue avec l’objet qui nous occupe. Originellement
décrite comme la science de la genèse des idées et de leur
emprise par Antoine Destutt de Tracy, l’idéologie est devenue, par
la suite, un objet d’analyse et de débats sur l’origine des idées
fausses, principalement sous l’influence de la pensée marxiste : on
parle notamment d’effet de masquage de la domination de l’État et
des classes dominantes, de travestissement, de fétiches, d’idées
irrationnelles sur le monde. Selon Louis Althusser, dans Pour
Marx, en 1972, l’idéologie ferait organiquement partie de la vie en
société, se rapprochant de la notion de RS, par l’autonomie
relative attribuée à l’activité symbolique, tout en s’en distinguant
par le maintien du qualificatif « irrationnel » à ses contenus et à
ses formes. Raymond Boudon, dans sa synthèse sur la question,
définit les idéologies comme « des doctrines reposant sur des
théories scientifiques, mais […] fausses ou douteuses, […]
indûment interprétées, auxquelles on accorde une crédibilité
qu’elles ne méritent pas » (Boudon, 1986, p. 45).
On insistera sur le caractère formalisé et systématique du
phénomène et sur sa clôture autour de « schèmes épistémiques »
(Rouquette, 1994) ou de « thêmata » (Moscovici et Vignaux,
1994), principes d’ordonnancement dualistes et de mise en
pertinence, source d’éventuelles dérives, visant à la promotion
d’un certain ordre social et idéel, qu’il soit institué ou à produire.
Plusieurs représentations sociales, en étant reliées par une
volonté de cohérence de leurs acteurs, peuvent former ou générer
une idéologie ou, dans un autre cas, être marquées ou influencées
par plusieurs d’entre elles.
La composition et l’origine des RS sont mixtes, plurielles
(idéologies, religions, pratiques sociales, sciences officielles ou
occultes, magie, actualités, technologie, vie quotidienne, corps,
argent, etc.). Leurs formes multiples (paradoxales, émergentes,
anticipatives, autonomes, faibles, composites, instituées), ouvertes
sur le nouveau et héritées socio-historiquement, et leurs visées
symboliques, pratiques, souvent stéréotypiques et parfois,
créatives, les distinguent de l’enfermement raisonneur des
idéologies. Ces dernières peuvent tendre à « s’ouvrir » à des
phénomènes non connus pour les annexer à une « raison »
d’ordre supérieur. C’est dans ce sens que les RS doivent être
analysées séparément, même si leurs relations avec l’idéologie
sont nombreuses et importantes (analogie, dualisme causal,
préjugés…). Les représentations ne se réduisent cependant pas
en des formes dégradées de connaissance par comparaison avec
les sciences, les dogmes religieux et les discours formalisés,
raisonneurs et prescripteurs des idéologies dont elles se
démarquent et où elles trouvent certaines orientations.
Il s’agit de distinguer entre la réalité expressive des
représentations sociales et le caractère aliénant, oppressif,
systématique, même si mobilisateur, des idéologies. Cette
différence est simple à comprendre dans la mesure où les
individus et les groupes agissent sur un plan différent, par rapport
aux discours des institutions (partis, églises, laboratoires de
recherche). Une reproduction exacte des consignes d’un groupe
politique peut engendrer un certain autoritarisme ou une tendance
totalitaire. L’application au jour le jour de l’Évangile ou d’autres
textes sacrés isole du monde profane et de ses continuelles
imperfections, même si elle semble procurer de la consistance à
certains. La lecture strictement scientifique d’une demande
d’intervention (construction d’un pont ou résolution de problèmes
de communication dans un service) ne donne pas toujours de
réponse satisfaisante aux commanditaires.
Il y a donc un lien entre représentations sociales et idéologie,
surtout dans la mesure où les premières – en s’agrégeant, en
s’institutionnalisant et en renforçant leur cohérence – pourraient
tendre à ressembler de plus en plus à la seconde forme
symbolique.

4. Les rites et l’efficacité symbolique


4.1. Définition et spécificité des conduites rituelles

Revenons, pour terminer, au débat sur le lien entre RS et


conduites. Situer les cognitions par rapport aux comportements, en
se demandant lesquel(le)s précèdent les autres, se présente sous
un autre jour si on parvient à intégrer ce questionnement au
phénomène primordial des rites. Ceux-ci sont, par définition, des
ensembles d’actes symboliques codifiés, à visée fonctionnelle et
pratique, « imposés par le groupe social, se répétant selon un
schéma fixé chaque fois que se produisent les circonstances
auxquelles ils sont rattachés […], orientés vers la communication
avec les puissances surnaturelles » (G. Ferréol, 2002, p. 196). Les
rites ne doivent leur existence qu’à la croyance en l’efficacité dont
ils sont investis. Même si de telles conduites ne font pas toujours «
tomber la pluie » et « n’attirent les bonnes grâces » d’aucun dieu,
leur but propitiatoire ou opératoire est primordial, bien que leurs
vertus cognitives et d’apaisement de l’anxiété soient importantes
(Maisonneuve, 1999).
On peut, à la suite de Erving Goffman aux États-Unis, de Jean
Maisonneuve, de Claude Rivière ou de Jean-Pierre Sironneau en
France, proposer d’attribuer à la notion de conduite rituelle le statut
de « champ d’étude allant au-delà du contexte magico-religieux »
de son avènement.
« On assiste […] à un phénomène de déplacement : le sacré
tend à se réinvestir dans un certain nombre d’objets, d’attitudes,
d’êtres ou d’institutions, au point qu’il n’est pas toujours facile de
le reconnaître. »
Maisonneuve, 1999, p. 64

La prolifération et la persistance des formes rituelles, leurs


transformations en contenus profanes et donc l’extension de leur
emprise sous une apparence autre, « déguisée », peuvent servir à
étendre leur définition à d’autres formes qualifiées de «
hiérophanies modernes » (Maisonneuve) ou de « rites séculiers »
ou « profanes » (Rivière). Ces phénomènes resurgissent par les
arts, le cinéma, les mythes, les mouvements charismatiques, la
futurologie, la science-fiction, les jeux, les sports, les spectacles
divers, les mouvements de foules, les cérémonies, défilés et
pratiques politiques ainsi que lors d’interactions corporelles,
festives ou vestimentaires. Toute une approche anthropologique
du quotidien permet de percevoir les systèmes symboliques sous
un autre jour.

19. La façade d’une représentation, selon Goffman


« On a utilisé jusqu’ici le terme de « représentation » pour désigner la
totalité de l’activité d’un acteur qui se déroule dans un laps de temps,
caractérisé par [sa] présence continuelle […] en face d’un ensemble déterminé
d’observateurs influencés par cette activité. On appellera “façade” la partie de
la représentation qui a pour fonction normale d’établir et de fixer la définition
de la situation qui est proposée aux observateurs. La façade n’est autre que
l’appareillage symbolique, utilisé habituellement par l’acteur, à dessein ou non,
durant sa représentation » (Goffman, 1973, p. 29.)
Quelles sont les parties qui composent cette façade ? Il y a le « décor »,
comprenant le « mobilier », la « décoration », la « disposition des objets » et
d’autres « éléments de second plan » qui forment la « toile de fond et les
accessoires » des actes humains. Le décor étant difficile à modifier ou à
transporter, sauf dans certains cas exceptionnels (cortèges funèbres, défilés),
les acteurs doivent se déplacer jusqu’à lui pour en tenir compte dans leur
représentation. La façade implique aussi une différenciation entre les «
personnages éminents » ou sacrés (monarques, chefs) et les « acteurs tout à
fait profanes » (vendeurs ambulants) qui se déplacent eux aussi avec leur
décor. La scène de la représentation revêt une connotation symbolique
fondamentale. « On constate qu’il est de plus en plus important pour un
médecin d’avoir accès à ce théâtre d’activités scientifiques complexes que
constituent les grands hôpitaux et que, de moins en moins [d’entre eux]
peuvent concevoir leur décor comme un lieu dont on pourrait verrouiller les
portes le soir venu » (ibid, p. 30). Le décor décrit par conséquent les éléments
scéniques de l’appareillage symbolique. La « façade personnelle » comprend
les éléments confondus avec la personne de l’acteur lui-même. Ces
composants le suivent partout où il va. On y inclura : « les signes distinctifs de
la fonction ou du grade ; le vêtement ; le sexe ; l’âge et les caractéristiques
raciales ; la taille et la physionomie ; l’attitude ; la façon de parler ; les
mimiques ; les comportements gestuels ; et d’autres éléments semblables »
(ibid, p. 30). On différencie, dans cette façade personnelle, l’« apparence » et
la « manière ». Dans la première notion, on percevra les « stimuli dont la
fonction, à un moment donné, est de […] révéler le statut social de l’acteur.
Ces stimuli nous dévoilent aussi le rite, auquel il participe sur le moment, et
nous disent par exemple s’il s’adonne à une activité officielle, à un travail, ou
bien à un divertissement, ou encore s’il est entrain de célébrer une phase
nouvelle dans le cycle des saisons ou dans le cours de la vie » (ibid., p. 31).
Le terme « manière » sert à désigner les informations ou signaux qui indiquent
le rôle que compte jouer l’acteur dans la situation présente (exemple :
manières arrogantes ou agressives pour quelqu’un voulant prendre l’initiative
et diriger le déroulement d’une action). Décor, apparences et manières sont
souvent congruents et fournissent aux partenaires d’une interaction les clés
des rôles qu’ils doivent ou peuvent adopter mais tous les cas de figures sont
possibles, y compris les dissonances ou incongruences entre ces éléments.
On voit, dans ces courts extraits, que la notion de représentation est
employée, par Goffman, dans un sens proche de rite d’interaction tout en s’en
différenciant par l’importance accordée à l’analyse des systèmes de signes,
non immédiatement « agis ». La représentation, les jeux, les rôles, les
personnages, le décor, la scène, les enjeux et les pratiques, qui sont
dramatisées dans la mise en scène de la vie quotidienne, se conçoivent
comme des formes symboliques potentiellement en actes. Le travail de Becker
sur les artistes et la société est un exemple de recherche inspirée par cette
conception de la représentation (Becker, 2009).

D’après Goffman, 1973, p. 29-40.

Le phénomène de la rationalisation et des modalités minimales,


réduites ou inexistantes, d’émergence du sens, dont parlent les
spécialistes de l’engagement (Joulé et Beauvois, précédemment
cités), ne se déroule-t-il pas dans une « mise en condition »
spontanée, symbolisée et actée, assez similaire ou analogue ?
Quand on demande à quelqu’un de produire un comportement
anodin afin de l’inciter, secrètement, à s’engager dans une cause
(ce que l’on appelle la technique du « pied dans la porte »), ne
l’invite-t-on pas à entrer dans une explication, juste avant et au
moment même de l’action majeure suscitée ? Suite à une fameuse
expérimentation aux États-Unis, 76 % des ménagères, ayant
préalablement collé un autocollant sur l’une des fenêtres de leur
maison en faveur de la prévention routière, acceptèrent de faire
poser dans leur jardin un encombrant panneau publicitaire en
faveur de la même cause. Lorsque le petit geste (in) signifiant
(autocollant) n’est pas demandé au préalable, elles ne sont que
16,7 % à consentir à une telle installation (Freedman et Fraser,
1966). Ces mini-conduites préparatoires sont des « manipulations
». Elles constituent surtout des actions symboliques
infinitésimalement distillées et subtiles. Les ménagères « se
fabriquent » parallèlement une explication limitée, en s’auto-
attribuant des caractéristiques, « du point de vue […] d’un
observateur social générique », suggèrent Joulé et Beauvois (op.
cit, p. 52-72), les scrutant en train de faire quelque chose qui
donne du sens à leur pratique en advenant.
Elles réduisent ainsi la dissonance entre leurs actes nouveaux et
l’idée qu’elles pouvaient avoir de leur soumission à une situation
non préalablement désirée. On n’ira pas jusqu’à parler de situation
rituelle, mais on peut y penser, dans la mesure où cette libre
soumission suppose à la fois des interprétations élaborées « sur le
vif » – alimentées par le mythe de l’individu autogéré, source de sa
propre action et tendanciellement d’accord avec ce qu’il vient de
faire sans l’avoir vraiment voulu – et des actes tendant à être
répétés : première conduite, peu coûteuse, suivie d’une autre, plus
« chère », analogue ou non sur le plan comportemental
(soumission) ou du sens (contenu proche comme par exemple la
privation de tabac ou la prévention routière). Bien entendu, ceci
n’est pas une présentation complète des rapports possibles entre
les dimensions attitudinales et comportementales, analysés dans
ce champ de recherche. On se reportera aux publications
spécialisées pour l’approfondir (Joulé et Beauvois, 1998). Ce que
l’on peut souligner est que l’intrication des rites et des
représentations, des conduites et de la façade gofmanienne, des
codes, des actes et des symboles est beaucoup plus grande et
bien moins triviale qu’on ne le croit, y compris dans les
comportements les moins « sémiotisées » en apparence. Mais,
pour rendre compte de l’importance du lien entre RS et conduites
rituelles, on suivra le meilleur versant de l’ascension de ce versant
escarpé, en prenant l’exemple de phénomènes où l’on ne peut
distinguer l’un et l’autre.
4.2. « Mécaniques » sorcières : l’exemple du Bocage normand

Les systèmes sorciers et magiques étudiés, par exemple, par


Evans-Pritchard, Mauss ou Moscovici, illustrent la nature de telles
interconnexions.
On sait que « jeter un sort », c’est faire incidemment « savoir » à
celui qui le subit qu’il vient d’en recevoir un. Inversement, accuser
quelqu’un de sorcellerie, c’est aller à la quête des signes les plus
dérisoires d’une « attaque » et tenter de dénommer le « malfaisant
». L’un des buts essentiels du jeteur de sorts est de parvenir à
atteindre l’esprit de sa victime en entrant au centre de sa vie et de
sa manière d’être. N’importe quel symbole ou comportement le
plus inoffensif sert à l’ensorcelé pour se croire « pris » ou au
sorcier à asseoir son pouvoir métonymique sur une cible. Le bon
fonctionnement de cette mécanique présuppose un construit
culturel commun : la croyance dans l’efficacité magique de certains
actes ou de certains indices et une tradition animiste latente ou
régulièrement transmise de génération en génération. Comme tout
phénomène aux frontières du clandestin et du public, la sorcellerie
implique des conduites régressives, liées à la fois à des tendances
idiosyncrasiques et à des structures culturelles de la personnalité,
dans une société donnée, comme le décrit l’approche
ethnopsychiatrique (cf. les positions de Tobie Nathan et de ses
collègues, en France, notamment dans un numéro spécial de la
revue Psychologie française, tome 36, n° 4, 1991). Quoi qu’il en
soit, l’influence de ces systèmes magiques dépend du contexte de
légitimation de la croyance dans leur existence effective. C’est une
des raisons pour lesquelles les ethnopsychiatres prennent en
considération ces référents culturels dans leurs pratiques
thérapeutiques auprès de sujets se pensant « victimes » de
machinations magiques. Sur le plan logique et avec des
conséquences psychosociologiques spécifiques, on peut
formaliser différentes tendances comportementales et
contextuelles.
Les formes de l’expérience sorcière

Cette typologie peut être produite, quelle que soit la croyance du


chercheur dans la sorcellerie. Ce qui compte, avant tout, c’est de
formaliser ce système par un rite où il faut être au moins deux pour
que « cela marche ». Jeanne Favret-Saada, citée de très
nombreuses fois pour son observation participante dans le Bocage
normand, décrit une logique d’emprise spécifique de la sorcellerie
où les mots, la mort et les sorts s’entremêlent dans une lutte fatale
(Favret-Saada, 1977). L’étude des systèmes sorciers est bien celle
de représentations et de leurs étroits rapports avec les rites qui les
supportent et les cristallisent.
« Une crise de sorcellerie consisterait en ceci : un sorcier
entreprend d’attirer à lui, par des moyens magiques, la force
vitale d’un individu quelconque, c’est-à-dire […] totalement
dépourvu de moyens [identiques] […]. Quand un ensorcelé est
ainsi investi, il ne lui reste pas d’autre issue que de faire appel à
un justicier magique, le désensorceleur. Celui-ci doit être tel qu’il
puisse opposer à l’agresseur une force magique plus intense et
[…] ainsi le contraindre à restituer, à son client, la quantité de
force vitale dérobée. Faute de quoi, l’ensorcelé perdant
progressivement sa force vitale, serait inévitablement conduit à la
ruine ou à la mort. »
Ibid., p. 331

Une défaite, pour un sorcier, l’amène à être privé de cette


énergie-là et donc à mourir. La force vitale est l’objet de la
convoitise des acteurs du système sorcier, le vecteur magique
permettant sa circulation. Le sorcier vise, en général, le chef d’une
famille ou d’une exploitation et ses proches. L’augmentation de
l’intensité de cette attaque dépend des types de protections ou de
charmes, opposés au sorcier, et des liens d’intimité entre la victime
et son entourage, plus ou moins fortement visé par les sorts. Ce
combat dure longtemps jusqu’à l’atteinte du but (absorption de la
force vitale de la victime). Les sorts s’adressent au territoire de
l’ensorcelé (enfants, femmes, animaux, cultures, productions
diverses). On s’en prend alors au « corps » du chef de famille à
travers ses éléments et ses liens.
« Le “je” de l’ensorcelé, c’est l’ensemble constitué par lui-
même et ses possessions […]. Dans un tel ensemble, on ne
saurait distinguer corps et biens parce qu’[ils] font corps avec
celui dont ils portent la marque du nom. »
Ibid., p. 334

Cet ensemble humain et bio-économique est le domaine de


l’ensorcelé. Survie, reproduction et production des éléments de ce
domaine sont ébranlées par des techniques diverses. Dans un tel
contexte, il n’existe pas d’autre espace vital, vacant et à conquérir,
que celui de l’ensorcelé. De plus, on distingue une matérialisation
topologique du domaine (au sens de territoire) et sa figuration
dynamique, plus indéterminée et invisible (l’action de « posséder
», d’investir une « possession ») de la force de l’ensorcelé
potentiel qui peut longtemps demeurer dans un état de prospérité
relative sans subir de sort.
« Les bénéficiaires de force magique sont d’un autre type. Leur
énergie “excède le périmètre marqué à leur nom” et le déborde.
Qu’il existe des êtres qui, comme les sorciers, sont capables
d’accroître le potentiel bio-économique de leur domaine sans
passer par les médiations symboliques ordinaires – c’est-à-dire
sans que leur activité soit contenue par le système des noms –,
c’est ce qu’affirment les ensorcelés. À les entendre, il est
toutefois impossible de repérer la force du sorcier comme telle :
aucun ensorcelé n’[en] a jamais vu […] poser un charme, puisque
[il] travaille sous couvert de la nuit ou de l’invisibilité ; nul […] n’a
lu un livre de sorcellerie, source supposée du pouvoir […] ; cette
lecture ferait de lui un sorcier et non la victime qu’il prétend être.
»
Ibid., p. 339-340

On évalue, après son passage, les effets et les signes de la


puissance magique d’un sorcier. Souvent, il s’agit d’interprétations
« après-coup ». De la même manière, on ne peut connaître
exactement la force du désensorceleur qui, lui, est effectivement «
vu » entrain de pratiquer les rituels de désenvoûtement. Le sorcier
est impliqué à distance. On agit directement sur un objet qui le
représente. Par exemple, on « transperce un cœur de bœuf ». Ce
n’est qu’après avoir constaté les effets d’un tel acte entre les
partenaires de la crise que l’on peut estimer la réalité du combat
engagé. D’après les victimes :
« […] la force du sorcier est d’une grandeur inconnue,
incommensurablement supérieure à la leur propre. Qu’[il]
paraisse et il fait peser sur la frontière de leur “enclos” une
intensité pour laquelle [cette limite] n’était nullement prévue !
Alors, s’ouvre une brèche, par laquelle la force de l’ensorcelé va
commencer à s’échapper. »
Ibid., p. 343

La connaissance, plus ou moins grande, de l’existence de telles


énergies occultes expliquerait la relative fragilité des victimes au
début de l’attaque. Plus il avance dans la reconnaissance et la
nomination de sa situation d’ensorcelé et plus la victime peut «
faire face », avec l’appui de désensorceleurs. Dans le bocage
normand, le sorcier est désigné comme un « jaloux » ou un «
envieux » et, par conséquent, comme un insatisfait qui a besoin
d’appliquer sa puissance ailleurs que dans son propre domaine.
« Ce qui est “magique”, chez le sorcier, c’est donc ce
fondamental débordement, cet excès de la force par rapport au
nom (ou au territoire) […]. Il manque perpétuellement d’espace
vital où investir cette force […]. [Cette dernière] produit ses effets,
sans passer par les médiations symboliques ordinaires. »
Ibid., p. 343

« Manquant » d’espace vital et « forcé » à exporter son énergie,


le sorcier est en quelque sorte « condamné à jouer des tours à ses
voisins ». Il est « travaillé » par cette puissance qui le dépasse et
le voue à errer. Il lui en faut « toujours plus », quelles que soient la
richesse et l’importance de son domaine qui, pour cette seule
raison psychologique, est affecté d’un signe (-). Quand un territoire
est lesté d’un signe (+), cela signifie qu’il est autosuffisant pour son
possesseur qui y trouve force et équilibre.
« Les représentations des deux domaines (celui du sorcier et
celui de l’individu quelconque) sont strictement
complémentaires : il n’y a de manque pour l’un qu’au regard de la
suffisance de l’autre, et réciproquement. »
Ibid., p. 345

Les sorciers ne s’attaqueraient pas « entre eux » et « font


masse » ou « se communiquent ». Le seul cas où le sorcier «
s’attaque à un congénère » est celui durant lequel il doit contrer le
désensorceleur faisant obstacle à sa magie contre tel ou tel
individu normal. Dans ce cas, des duels « à mort » sont possibles
mais sans le but de guerre d’usure, caractéristique de l’attaque
sorcière sur un individu ordinaire.
« Toute atteinte à la force “magique”, que ce soit celle du
sorcier ou du désensorceleur, se traduit donc par un effet
unique : les avatars du domaine où cette force est investie. Le
reste n’est que déduction. »
Ibid., p. 346

Le but du sorcier est de conquérir de l’espace pour y annexer sa


force et la revitaliser.
« Dans un tel système, la vie est conçue comme une poche
pleine qui pourrait se vider ou comme un champ clos qui pourrait
s’ouvrir ; la mort, conçue comme le résultat final d’une attraction
par le vide, constitue le principe actif qui, seul, fait circuler la
force. »
Ibid., p. 346

L’attaque sorcière est d’autant plus efficace qu’on ignore qui est
l’agresseur. Lorsque le sorcier n’est pas identifié comme tel et
qu’aucune force magique ne vient se placer sur son parcours, son
action tend vers son pouvoir maximal. Dans le schéma ci-après,
on observe que ce type d’agression consiste dans le fait de puiser
dans la positivité (ou fragilité ou encore suffisance) d’un individu
quelconque. L’avidité ou jalousie fondamentale du sorcier est
essentielle. Sur le plan du visible et topologique, c’est le domaine
de l’ensorcelé qui est investi. Au niveau des forces engagées
(invisibles), celles du sorcier viennent envahir le territoire de sa
victime et « rattirer » ce qu’elle a « en plus ». Il y a intrusion dans
le « corps » et « vampirisation » de l’ensorcelé. Passons sur
l’interprétation de ce lexique et présentons des schématisations
des attaques sorcières.
Schématisation (I) d’une attaque sorcière*
D’après Favret-Saada, 1977, p. 349-350.
Schématisation (II) de l’ensemble sorcier*
*Op. cit., p. 355-356.

Oscillant entre la puissance (triomphe et enchaînement de


victimes) et l’impuissance (empêchement d’agir, généré par un
autre jeteur de sorts « plus fort »), le sorcier peut éventuellement «
basculer » dans l’état de victime s’il « trouve son maître ». Mais la
description de son emprise sur autrui est fondamentalement
signalée par le signe (-). On le voit dans le schéma II ci-dessus.
Les éléments (+) du domaine d’un sorcier ne sont que des « butins
», résultant de rapines sorcières, d’emprunts ou de prélèvements
sur des territoires de victimes. Ayant « trop de force » mais ne
pouvant combler le manque qu’elle engendre par rapport aux
ressources propres, il doit perpétuellement continuer à chercher
ailleurs un équilibre qu’il ne trouve jamais.
La description complète de ce système culturel et symbolique
nécessite la prise en considération d’autres éléments. Le principal
d’entre eux est la fonction et le rôle du désensorceleur dont la
caractéristique est de disposer indistinctement de signes (+) et (-),
d’une force excédentaire, à mettre au service d’autrui, et de ne pas
l’utiliser à mauvais escient, ni à son propre profit, si on fait appel à
lui. Le désensorceleur dispose dans un tel contexte d’une certaine
aura auprès de ses clients avec qui il fait « corps » et qu’il
s’engage à défendre au péril de sa vie. Ceci signifie que l’attaque
contre l’un de ses protégés est conçue comme une agression
contre lui. À certains égards, ce genre de clientélisme se
rapproche un peu des systèmes mafieux (Matard-Bonucci, 1994)
mais sans demande instituée de contrepartie matérielle ou
financière de la part des protecteurs, du moins en Normandie. Le
prestige ou la considération, peuvent, peut-être, constituer des
bénéfices psychologiques non négligeables pour les
désensorceleurs. Toujours est-il que le sorcier vaincu est amoindri.
Il dispose de moins d’éléments (+) prélevés habituellement sur
autrui. Ce qui renforce encore son manque et le déporte vers des
attaques sorcières supplémentaires sur d’autres individus peut-
être moins bien entourés ou moins au courant de ses défaites
précédentes.
On peut, par conséquent, parler d’un « système sorcier » où
chaque acteur a avantage à invoquer l’action visible ou invisible
(essentiellement représentée) d’un autre. Les motifs du
désensorceleur semblent désintéressés mais il ne faut pas oublier
que tous ces individus vivent dans un cadre rural et
communautaire. Ne pas en profiter mais « faire cela pour le bien »
correspond à des valeurs qui honorent celui qui les incarne et lui
confère un statut qui peut être plus recherché que les domaines et
les richesses dont sont apparemment avides les sorciers. Ces
derniers jouent la fonction bien connue du bouc émissaire, en qui
toute la violence d’une société « à méfiance », en lutte pour une
identité territorialisée, peut trouver un exutoire utile. Néanmoins,
n’oublions pas que le magicien, le guérisseur ou le chaman sont,
en général, des êtres à part dans les systèmes sociaux
traditionnels. On les présentera comme des « techniciens des
représentations », fascinés par les formes symboliques et capteurs
de leur emprise (le fameux mana, décrit par Marcel Mauss dans
son Esquisse d’une théorie général de la magie, 1902).
« Le magicien est un être qui s’est cru et […] s’est mis, en
même temps qu’on l’a mis, hors de pair. Nous l’avons vu, dans
un certain nombre de sociétés australiennes, se confondre
définitivement avec l’esprit qui l’initie. Nous l’avons vu, dans
toutes les autres, obtenir certaines qualités, d’ordinaire
matérialisées en une substance magique (cailloux, os, etc.), dont
la possession, toute spirituelle et mystique, le fait ressembler plus
étroitement aux esprits qu’aux autres mortels […]. Il est devenu, il
reste, et il est obligé de rester un autre. C’est ainsi que le
magicien australien acquiert les pouvoirs qui le rendent apte à sa
profession […]. Ces esprits, ces pouvoirs, n’ont d’existence que
par le consensus social, l’opinion publique de la tribu. C’est elle
que le magicien suit, et dont il est à la fois l’exploiteur et l’esclave
[…]. [Il] est ce qu’il est, sent ce qu’il sent, se traite comme il fait,
et est traité comme il est traité, parce que, pour lui et pour les
autres, il est un être que la société détermine et pousse à remplir
son personnage. »
Mauss, 1974, p. 368-369

La description des mécaniques sorcières, bien qu’incomplète et


effectuée à grands traits, montre à quel degré les systèmes de
représentations sont des modes opératoires. On peut finalement
comprendre quelles sont les relations possibles avec les conduites
rituelles, en lisant la définition qui peut en être donnée :
« Système codifié de pratiques, sous certaines conditions de
lieu et de temps, ayant un sens vécu et une valeur symbolique
pour ses acteurs et ses témoins, en impliquant la mise en jeu du
corps et un certain rapport au sacré. »
Maisonneuve, 1999, p. 12

« Ensemble d’actes formalisés, expressifs, porteurs d’une


dimension symbolique, […] caractérisé par une configuration
spatio-temporelle spécifique, par le recours à une série d’objets,
par des systèmes de comportements et des langages […], par
des signes emblématiques dont le sens codé constitue l’un des
biens d’un groupe. »
Segalen, 1998, p. 20

En accord avec Maisonneuve, on peut voir à l’œuvre dans les


conduites rituelles trois fonctions essentielles (Maisonneuve, op.
cit., p. 13) :
– Maîtrise du mouvant et réassurance contre l’angoisse : ces
pratiques permettent d’exprimer et de libérer l’inquiétude humaine
devant le corps et le monde, « de canaliser des émotions
puissantes » (conjuration, propitiation, deuil, initiation, soins
corporels, passage d’espaces, de limites ou de temps
particuliers).
– Médiation avec le divin ou avec certaines forces et valeurs
occultes ou idéales par l’activation de codes, gestes, signes,
objets, prières, formules et actes de superstition divers.
– Communication et régulation, en attestant et en renforçant le
lien social dans un sentiment communautaire et par le
rassemblement (fêtes, manifestations diverses, jeux, transactions
associées au savoir-vivre, attention à l’apparence).
Les recherches sur les systèmes d’interactions, de savoir-vivre,
de présentation de soi et de communication (Marc et Picard,
1989 ; Picard, 1983) ou les approches ethnométhodologiques et
anthropologiques, ressortent directement ou indirectement des
champs de recherches sur les représentations. Un vrai travail
d’articulation conceptuelle et méthodologique enrichirait ces deux
zones d’investigation d’une heureuse façon.
À retenir
La prise en considération des relations avec les pratiques sociales permet
d’illustrer l’intérêt d’une approche structuraliste qui tente de mieux caractériser
les constituants d’une RS.
L’observation des modalités de l’ancrage est une manière de comprendre
comment les acteurs d’une société ou d’une organisation pensent leur
adaptation à l’hétérogénéité. Les liens de détermination ou d’influence entre
les RS et facteurs positionnels ou statutaires sont avérés et pertinents à
explorer. On peut appréhender l’ancrage à travers les formes idéologiques,
commerciales ou religieuses et leurs systèmes de communication.
Le recours à l’analogie et au principe d’économie cognitive explique aussi
comment on « bricole » avec les représentations.
L’imbrication des formes symboliques et des conduites, est bien plus grande
qu’on ne le pense lorsqu’on considère l’importance prise par les rites et leurs
transmutations dans les sociétés modernes.
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Quelques noms de revues publiant des articles sur les RS


ou les formes symboliques

Bulletin de psychologie
Cahiers internationaux de sociologie
Culture and Psychology
European Journal of social psychology
JIRSO (Journal International sur les Représentations sociales)
Les Cahiers de l’Imaginaire
Les Cahiers internationaux de psychologie sociale
Psychologie et société
Revue française de pédagogie
Revue française de sociologie
Revue internationale de psychologie sociale
Social Science Information
Sociétés
Textes sur les représentations sociales
glossaire
Affect : état de l’émotion dont l’agrégation en ensembles actifs
oriente le comportement vers des formes plus ou moins inhibées
ou cathartiques. Le lien entre les phénomènes inconscients,
pulsionnels, quantitatifs et leur « figurabilité » ou symbolisation
convertie, déplacée, obsédante, triste ou anxieuse, est opéré par
la médiation de représentations, émanant à la fois de l’individu et
d’une modalité fusionnelle, collective d’être au monde.
Ancrage : assignation d’un sens à une figure, implantation et
distribution d’une RS chez différents groupes et membres d’une
société. Ce mécanisme donne lieu à une transformation du mode
de pensée (conversion, schèmes étranges, rationalisation) ou à
une intégration de l’objet de RS dans le système cognitif
préexistant (familiarisation, normalisation, justification, négation).
Association : propriété des éléments d’une représentation,
activée lors de collectes de données, par l’application de tests
associatifs structurés autour d’un mot inducteur susceptible de
faire émerger des termes induits dont on analyse la centralité
(valence, connexité), la sémantique et le lexique. La
caractérisation à la fois projective, affective et cognitive d’un tel
phénomène est avérée.
Attitude : composant d’une RS, décrivant principalement
l’orientation affective, évaluative vis-à-vis de l’objet. L’attitude est
une structure individualisée et hiérarchique d’opinions, typique du
mode « propagation » de construction d’une représentation, et
défini comme une prédisposition à l’action d’un sujet.
Attribution : élaboration cognitive (schème causal ou
d’événement) servant à produire une explication sur les relations
interpersonnelles ou sur l’origine d’un fait, du point de vue d’un
sujet. Des modèles d’analyse décrivent divers « biais cognitifs »
tels que la survalorisation de l’individu, vu comme responsable
(causalité interne ou « erreur fondamentale ») d’un accident ou
d’un échec à un examen.
Catégorisation sociale : regroupe diverses approches sur la
genèse des catégories composant une RS. L’une des grilles
théoriques postule qu’un groupe, se représentant socialement, est
le lieu d’un nivellement catégoriel (assimilation en interne), de
façon concomitante à son opposition à un autre collectif
(stéréotypes et formes identitaires, émergeant par contraste avec
autrui). D’autres travaux indiquent que certains ensembles peuvent
produire des définitions différenciées d’eux-mêmes tout en
maintenant une cohésion interne forte (prototypes, groupes «
collection »).
Cognition : désigne, parfois sous l’appellation « cognème »,
tout élément de connaissance causal, descriptif, prescriptif ou
fonctionnel, plus ou moins négociable ou central, composant le
système d’idées et d’actions collectivement partagées qu’est une
RS.
Conversion : intériorisation de valeurs innovantes, originales ou
d’adhésion à de nouvelles pratiques. Elle implique une crise
morale ou spirituelle des acteurs (état naissant) qui la vivent et
l’efflorescence de représentations hétérogènes, à la valence
contradictoire, bousculant radicalement ou progressivement un
champ cognitif conventionnel ou structuré. Les « canevas étranges
» sont un exemple de tels processus.
Croyance, valeur, idéologie : renvoyant à des formes
systémiques, de type religieux, moral, scientifique ou politique,
plus permanentes, transhistoriques, ritualisées ou
institutionnalisées, des représentations. Une valeur se compose de
grands principes et d’orientations générales. Elle correspond à la
dimension idéelle (modèle) de la norme (concrétisation).
L’idéologie (communisme, par exemple) renferme le même genre
de tension entre l’utopie et sa réalisation. Elle présuppose aussi
une volonté de justifier l’existant (idéologie libérale de l’individu
autonome et rationnel). Comme d’autres idéologies, le libéralisme
se présente, par ailleurs, comme un programme utopique et sous
des formes scientifiques (économétrie). La croyance religieuse
implique une alternance assez similaire (parole du Christ opposée
à son institutionnalisation dans l’église). Ses traductions profanes
n’échappent pas à cette tendance.
Image : aspect figuratif, iconique, matérialisé dans les qualités
sensorielles d’un objet absent. Une image d’un objet X peut être
structurante d’une RS ou bien dépendre du noyau central dont on
doit détailler les éléments pour mieux comprendre le sens et les
fonctions des dimensions visuelles et non verbales. Ne pas
confondre « figure », impliquant la construction active d’un sens
analogique et représentationnel, et « image », dont la forme est
passive, mimétique.
Interaction : propriété définie par une suite d’actions mutuelles,
de comportements, de relations et d’échanges plus ou moins
symbolisés, signifiants, réciproques, symétriques ou
complémentaires, d’altérations et d’influences entre divers
individus ou groupes. La possibilité de rétroaction et l’aptitude à
métacommuniquer (parler sur l’acte de communication en train de
se faire et usage de signes abstraits pour en évoquer d’autres, de
même nature) donnent une spécificité à cette notion. Les RS sont
générées essentiellement durant des séquences interactives tant
linguistiques que non verbales, mettant en jeu un « tiers »
symbolique présent ou absent et la relation avec la totalité sociale
et historique.
Naturalisation : usage classificateur et pragmatique de
catégories, élaborées durant l’étape d’objectivation, comme si elles
étaient naturelles et univoques. On adhère alors à une notion («
complexe » ou « complexé »), comme si son origine
conventionnelle, approximative et discutable n’avait jamais existé.
On parle, par exemple, sur un objet pluriel à partir d’un élément qui
le représente de façon réduite, schématique mais englobante (le
sans-domicile comme prototype de la pauvreté).
Normalisation : mécanisme d’intégration dans les systèmes de
représentations où les éléments ou objets nouveaux, dérangeants,
sont déniés, placés en marge, à la périphérie. Cette familiarisation
de l’étrange implique une sorte d’inversion, par la mise en
conformité des contenus extérieurs, aberrants ou inconcevables.
Les « canevas de la négation » (Flament, Rouquette) sont un
exemple de ce type d’ancrage. L’influence minoritaire peut
engendrer de telles dénégations.
Objectivation : attribution d’une figure à un sens, sélection des
informations concernant un objet polymorphe et matérialisation de
la RS autour d’un schéma figuratif, d’un paradigme ou d’un noyau
commun à un groupe, permettant d’en parler de façon collective,
naturelle ou naturalisée.
Opinion : constituant d’une attitude, et donc d’une RS,
renvoyant à une position plus ou moins partagée par des individus
à propos d’un objet X, à un instant t. Elle est une réalité statistique
fluctuante, étudiée par des sondages, susceptible d’évoluer en
fonction de facteurs de contexte et d’influence sociale et
correspond au mode « diffusion » de l’ancrage d’une RS.
Principe organisateur : « programme sociocognitif », actualisé
dans les rapports sociaux symboliques, ou collection de conduites
potentielles, d’opinions, d’attitudes et d’informations, articulées
entre elles sur la base de relations de dichotomie, d’adaptation,
d’assimilation, de syncrétisme. Le métasystème ou ensemble
dynamique de facteurs institutionnels, groupaux, intergroupaux,
idéologiques, positionnels, statutaires, hiérarchiques,
d’appartenance socioprofessionnelle ou de classe est, sur la base
d’une certaine homologie structurale, articulé aux (voire similaire
ou proche des), principes générateurs d’opinions que sont les RS
et, donc, aux activités symboliques et perceptives des acteurs
sociaux.
Prototype : catégorisation, repérée par Eleonor Rosch (1973),
ayant un statut intermédiaire, entre des classes supra-ordonnées
et l’hétérogénéité d’éléments appartenant à tel ou tel ensemble. Le
groupe social, forte ment diversifié, des « cadres » se prête
utilement à l’analyse prototypique (Boltanski, Desrosières,
Goubert-Seca, Thévenot). Ce type de catégorie est caractérisé par
sa forte fréquence de citation dans un test associatif (Vergès,
1992). Il s’agit d’une « synthèse cognitive », aux contours flous,
reflétant, par sa relative mais effective précision, la pluralité des
cas d’un ensemble (« ingénieur » comme prototype du groupe «
cadres » ; « rose » pour la catégorie des fleurs ou « moineau »
pour les oiseaux). Le prototype correspondrait parfois à la zone de
définition d’un système central de RS.
Rationalisation : processus consécutif à des situations de
soumission forcée ou de libre engagement où le sujet est conduit à
agir dans un sens contraire à ses principes ou à affronter des
situations dissonantes. Il se traduit par une modification des
attitudes et des conduites d’un acteur de façon à les rendre
conformes à l’acte de soumission extorqué ou socio-
organisationnellement vécu, soit en contexte de contrainte, soit en
situation de liberté.
Regard ternaire : mode d’analyse de la relation à trois pôles
entre le sujet (ou acteur social), l’objet (matériel, idéel, culturel,
abstrait, concret…) et la représentation qui leur donne sens. Cette
dernière permet à l’objet d’être communiqué, échangé, reformulé
et au sujet d’élaborer son identité, de formuler un savoir sur l’objet,
de trouver une orientation à son action et une explication de sa
situation.
Rite et pratique sociale : une pratique sociale renvoie à des
actes signifiants reliés entre eux par une finalité et une logique
fonctionnelle, symbolique ou adaptative. Un rite est une pratique
sociale, plus connotée par son rapport au sacré, organisée en
fonction d’un code ou de mythes, impliquant un réinvestissement
corporel et mental du sens par des communautés et des individus,
lors des séquences temporelles et spatiales particulières.
Schème : cognition ou classe d’événements, d’objets ou
d’actions, synthétisant, à gros traits, l’expérience d’un sujet,
permettant d’accueillir et d’interpréter d’autres informations sur la
réalité et pouvant se traduire en prescriptions, descriptions, scripts,
scénarios et attentes vis-à-vis d’un objet. Les schèmes cognitifs de
base (Guimelli, Rateau, Rouquette) sont l’une des synthèses
possibles, à la fois formalisées et méthodologiques, de l’influence
de ces structures actives, articulant des opérations élémentaires
(connecteurs et hyperconnecteurs) et leurs modelages contextuels
(application à des objets lestés de sens psychosociologique).
Stéréotype : dimension cognitive du préjugé, lequel implique
une catégorisation négative, une extrapolation hasardeuse, une
généralisation rigide, une antipathie accentuée vis-à-vis de
certains groupes et de leurs membres. Constituant essentiel des
activités de propagande, il renvoie à des oppositions radicalisées
en termes de vie et de mort ou de vrai et de faux, incitant les sujets
sous leur emprise à des jugements hâtifs sur un individu sur la
base de son appartenance catégorielle et potentielle à une ethnie,
un statut, une religion, une nationalité ou une classe.
Système de communication : ensemble coordonné de moyens
de production, de publics, de rapports sociaux, de systèmes de RS
et de finalités financières, commerciales, politiques, idéologiques
ou distractives. Trois types sont repérables : l’un axé sur le ciblage
d’une masse sérielle et de l’opinion qui la représente
minimalement (diffusion) ; l’autre organisé sur la régulation
attitudinale de l’information auprès d’un groupe hiérarchisé et
informé, (propagation) ; et le dernier impliquant l’assimilation
stéréotypique de données à l’intention d’un groupe d’adeptes, de
militants ou de soldats recherchant des ressources mentales pour
combattre un ennemi réel, imaginé ou imaginaire (propagande).
Systèmes « central » / « périphérique » : hiérarchisation en
deux structures complémentaires d’une représentation. Le
système central composé de cognitions non négociables, de
définitions de l’objet, de prescriptions et de normes est
qualitativement générateur et organisateur des schèmes du
système périphérique plus nombreux, conditionnels, contextualisés
et variables.
Thêma (ou thêmata, plur.) : notion proposée par Holton (1981),
puis reprise par Moscovici et Vignaux, en 1994, se présentant
généralement sous la forme d’idées-sources, d’archétypes, de
schémas d’oppositions (homme/femme ; élite/peuple ;
liberté/contrainte ; sacré/profane), impliquant une « thématisation »
générique et des modulations socio-historiques, argumentatives et
spatio-culturelles, intégrées plus ou moins fortement dans les RS.

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