Spécial IAS/IFRS
LA COMPTABILITÉ EST-ELLE ENCORE
“L’ALGÈBRE DU DROIT” ? (1)
Dominique LEDOUBLE
Expert-comptable
Président d’honneur de l’Ordre
des experts-comptables
Président de la Commission
IAS-Droit du Conseil national
de la comptabilité
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C et exposé est placé sous le
(1)
signe d’un double paradoxe :
d’abord parce que, dans un
colloque sur la fiscalité, je vais
vous parler de droit, ensuite
parce qu’il y a quelque risque
pour un expert-comptable à
parler du droit, transgressant
ainsi la sacro-sainte frontière
entre les gens du chiffre et
ceux du droit.
Je vais m’y essayer prudemment,
d’abord en explicitant un peu le
titre de mon intervention qui est
“la comptabilité est-elle encore
l’algèbre du droit ? ”. Les plus
anciens d’entre nous savent que
je fais référence à un ouvrage
d’un de nos grands anciens,
Pierre Garnier, qui a publié
un ouvrage de comptabilité
générale il y a relativement
longtemps, dont le sous-titre
était “la comptabilité algèbre
du droit et méthode
d’observation des faits
économiques”.
R.F.C. 380 Septembre 2005
A la question « la comptabilité est-elle
encore l’algèbre du droit ? », j’aurais envie
de répondre « non, elle est devenue une
méthode d’observation des faits écono-
miques », ce qui prouve bien l’ambiguï-
té de notre doctrine.
Contrairement à Dominique Villemot qui
a rendu son rapport sur IAS et Fiscalité, je
n’ai pas encore rendu le rapport sur IAS
et Droit ; je resterai donc prudent dès
lors que, peut-être, certaines de mes
conclusions ne seront pas reprises par
l’assemblée plénière du Conseil natio-
nal de la comptabilité.
Je propose que nous organisions l’ex-
posé autour de trois thèmes :
■ Comment cadrer le sujet ?
■ Quels sont les constats résultant de
l’analyse des normes ?
■ Quelles sont les conséquences de
ces constats ?
De quoi parlons-nous ?
La question qui nous était posée était
de savoir, dans l’hypothèse où demain
on devrait appliquer les normes IAS/IFRS
aux comptes sociaux, quelles en seraient
les conséquences juridiques. On s’aper-
çoit d’abord que, quand on pose la ques-
tion en ces termes, on la pose au futur
alors qu’on devrait la poser au présent,
et ce pour deux raisons :
• la première, c’est que, comme vous
l’ont indiqué mes prédécesseurs, il est
hypothétique d’attendre un “grand soir
1. Cet exposé est une adaptation de la confé-
rence prononcée par Dominique LEDOUBLE au
colloque “Fiscalité-Comptabilité-IAS” organisée
le 19 mai 2005 par le DESS 221 “Fiscalité de
l’entreprise” de l’Université Paris 9-Dauphine,
sous la présidence de P.F. RACINE, président de
la Cour administrative d’appel de Paris.
fiscalo-comptable” dans lequel nous pas-
serions de l’obscurité à la lumière, d’un
ancien droit comptable à un nouveau
droit comptable. Ce n’est pas du tout ce
qui se passera : ce qui se passe, c’est
que très progressivement, et volontai-
rement, le Conseil national de la comp-
tabilité fait évoluer le fond de nos règles
comptables pour les faire converger avec
les règles IFRS chaque fois que c’est pos-
sible ;
• la deuxième raison pour laquelle ce
n’est pas hypothétique et futur, c’est
que ces normes s’appliquent aux
comptes consolidés, lesquels, contrai-
rement à ce qu’on dit trop souvent, ne
sont pas sans conséquence juridique.
Par exemple en droit des sociétés
puisque, dans le droit français, ils doivent
faire l’objet d’une approbation par les
actionnaires. Ces normes ne sont pas
non plus sans conséquence sur le droit
des contrats puisque, la plupart des
grands groupes le savent, les covenants
qui sont inscrits dans leurs contrats de
Résumé de l’article
Dans le système juridique français,
les liens entre le droit et la compta -
bilité sont étroits ; l'introduction des
règles IFRS, généralement fondées
sur une approche financière et non
juridique des opérations, pour l'éta -
blissement des comptes sociaux de
toutes les entreprises, aura donc de
nombreuses implications, tant sur le
fond du droit positif (en droit des
sociétés ou droit social par exemple)
que sur son interprétation (en droit
pénal des affaires notamment). Il
reste à anticiper quelles seront les
réactions des entreprises, des admi -
nistrations ou des magistrats, princi -
paux acteurs concernés.

financement sont généralement calcu-
lés non sur les comptes sociaux mais sur
les comptes consolidés. L’imprégnation
française des comptes me faisait penser
à la phrase du Général de Gaulle qui
disait « la Russie boira le communisme
comme le buvard boit l’encre ». Je pense
que cette une formule s’applique assez
bien à la façon dont nous nous impré-
gnons progressivement des normes.
Comment avons-nous travaillé ? Nous
avons pris l’ensemble des normes, puis
nous avons dit à des groupes de tra-
vail qui étaient formés de comptables
et de juristes : « vous allez étudier ces
normes, les unes derrière les autres, vous
les juristes, nous allons vous les expliquer
et vous allez nous dire ce qu’elles vous
inspirent, en droit des sociétés, en droit
social et nous allons faire l’inventaire de
vos remarques ».
Ça n’est évidemment qu’un premier
inventaire puisque le sujet est extrême-
ment vaste et que nous nous sommes
limités aux entreprises industrielles et
commerciales. Il reste donc le champ
immense des banques et des compa-
gnies d’assurances et l’ensemble de la
sphère financière que nous n’avons pas
abordés pour le moment. Nous ne
sommes pas allés en profondeur non
plus, c’est-à-dire que nous n’avons pas
décliné notre constat général par
branche professionnelle. Là aussi, on
s’aperçoit que l’incidence des normes
IFRS peut être très différente suivant
qu’on est dans le pétrole ou l’épicerie
fine.
Abstract
In the french system, accounting and
law are closely linked. It has been
envisaged to refer to IFRS, generally
based on an economic rather than
legal approach of transactions, as
accounting rules used to set up the
statutory accounts of all entreprises.
This reform would have numerous
impacts in the substance of legal rules
(in such areas as company law or
social regulations) or in their interpre-
tation (notably in business criminal
law). Reactions of businesses, civil
servants and judges, main actors
impacted by this sweeping change,
remain to be appraised.
Les constats généraux
Quels sont les constats qui résultent de
ce travail ?
Un changement de paradigme
Les constats généraux sont les suivants :
• un premier, que l’on connaissait dès le
départ mais dont nous avons analysé les
conséquences : une plus forte décon-
nection entre le droit et des normes
comptables qui, évidemment, ne peu-
vent pas se rapporter à un droit puis-
qu’elles sont d’origine internationale ;
• les différences viennent aussi du fait
qu’un certain nombre de paramètres
techniques retenus par les normes inter-
nationales sont différents de ceux qui
sont retenus dans nos conceptions habi-
tuelles.
Nous changeons de paradigme, pour
prendre un mot un peu pompeux, c’est-
à-dire que nous passons d’un système
patrimonial à un système, disons, à base
économique. C’est-à-dire pour simpli-
fier que nous passons :
• d’un système dans lequel le bilan est
la représentation chiffrée d’un patri-
moine à un système dans lequel le bilan
est la représentation d’une situation éco-
nomique,
• d’un système dans lequel le compte de
résultat est la représentation chiffrée de
l’ensemble des contrats et des opéra-
tions qui ont été passées par l’entrepri-
se à un système dans lequel c’est l’en-
semble des performances de l’entreprise
que l’on essaie de mesurer.
L’autonomie des règles
comptables
Il résulte de ce glissement une forte
déconnection, une forte autonomie des
règles comptables nouvelles par rapport
à l’ensemble des branches du droit. Les
relations entre les deux disciplines sont
extrêmement variées :
• des situations dans lesquelles les
normes comptables renvoient expres-
sément à la situation juridique. C’est par
exemple le cas de ce qu’on appelle la dé-
comptabilisation, la défaisance, dans
laquelle on a fondé la règle comptable
sur le renvoi à la situation juridique ;
• des situations dans lesquelles les règles
comptables utilisent des concepts juri-
Questions et solutions
diques mais ce sont des faux amis : en
réalité, on ne met pas la même chose
derrière les mots.
• des situations dans lesquelles le régu-
lateur comptable dit « oui, il y a une situa-
tion juridique, elle est ce qu’elle est, mais
ce n’est pas ça qui m’intéresse. Ce qui
m’intéresse, c’est l’analyse économique
des choses ; si elle coïncide avec l’analyse
juridique, c’est très bien mais si elle ne
coïncide pas avec l’analyse juridique, il
faudra s’en écarter ».
Ceci n’est pas absolument nouveau. Ce
qui est nouveau, c’est son caractère sys-
tématique.
De nouvelles définitions du bilan
et du compte de résultat
Quand vous définissez un actif comme
un élément dont vous contrôlez les avan-
tages économiques futurs, quand vous
retenez une définition aussi abstraite et
générale, vous en tirez la conclusion que
ça n’a pas grand-chose à voir avec le fait
de classer nos immobilisations en les rac-
crochant à un droit de propriété.
Sur les passifs, les différences sont un 19
tout petit peu moins accusées mainte-
nant, ne serait-ce que parce que c’est
nous qui avons fait le chemin vers les
IFRS avec le règlement du CRC sur les
passifs.
Par contre, nous observons encore de
très fortes différences s’agissant de la
nature des capitaux propres puisque,
dans le droit français, le capital c’est
la garantie du créancier. Il y a donc
implicitement, dans la notion françai-
se du capital, la notion de fixité du
capital. Les normes IFRS vous disent
que les capitaux propres sont un élé-
ment résiduel, c’est la différence qui
reste entre les actifs et les passifs ; cette
différence varie tout le temps et de
plus, on peut y toucher directement
dans l’année et pas seulement au
moment des assemblées générales. Se
posent alors un certain nombre de
questions sur le fait de savoir si les plus-
values à attendre sont dans le résultat,
si la contrepartie des modifications de
juste valeur va dans le résultat ou les
capitaux propres, etc.
Vous constatez le même genre de
découplage dans le compte de résul-
tat, entre une notion traditionnelle dans
laquelle un chiffre d’affaires est, pour
faire simple, la consécration chiffrée
R.F.C. 380 Septembre 2005
 Spécial IAS/IFRS
d’un contrat. En IFRS, nous passons à
quelque chose de différent : le chiffre
d’affaires est la juste valeur de la contre-
partie de ce que l’on donne à son cocon-
tractant. A partir de là, la notion d’opé-
rations comptables doit avoir un
périmètre très différent de la notion du
contrat. On peut découper un contrat
en plusieurs opérations comptables, on
peut à l’inverse considérer qu’une opé-
ration comptable correspond à plusieurs
contrats. La date de prise d’effet peut
aussi être différente. On pourrait raffi-
ner longtemps sur la situation françai-
se dans laquelle, religieusement, les
comptables distinguaient entre le pro-
tocole qui fait les pourparlers, et puis
l’avant-contrat, et puis la promesse de
contrat, et puis le contrat, et puis le ser-
vice après-vente. On doit prendre en
compte tous les effets présents et futurs
de la transaction, tous ses effets certains
mais aussi probables ; tout ceci ne cor-
respond pas, on le sent bien, à la façon
dont les choses peuvent être juridique-
ment fixées.
20 Je passe sur l’évolution relative à la juste
valeur dont il a déjà été parlé et je reviens
sur quelque chose qui est peut-être moins
connu, le fait que les normes IFRS privi-
légient l’approche bilan. Il se trouve que
je participe aux organisations interna-
tionales depuis un certain temps : il y a
20 ans, nous avions précisément cette
position. Et les Anglais nous disaient « le
bilan n’a aucun intérêt ; ce qui intéres-
sant, c’est le compte de résultat ». Nous
les avons donc suivis. Ce sont eux qui
sont revenus en arrière en nous disant
« finalement, ce qui est très important,
c’est le bilan ; le compte de résultat, ce
n’est que la différence entre deux bilans
successifs ».
Quelles sont
les conséquences
de ces constats ?
On pourrait essayer de résumer les
conséquences en trois volets :
• sur l’écriture de nos règles comptables
actuelles,
• sur l’ensemble du droit des affaires en
général,
• sur le comportement des acteurs,
c’est-à-dire l’incidence sur leur activité
juridique contractuelle.
R.F.C. 380 Septembre 2005
Incidences sur les règles
comptables
Il est évident que, si demain nous devions
passer à un outil IFRS, il faudrait que
nous revoyions le Code de commerce,
le plan comptable général et l’ensemble
des décrets qui se trouvent entre les
deux. Avec, probablement, quelques dif-
ficultés dans la répartition des matières
comptables entre la loi et le décret, pro-
blème constitutionnel qui n’a jamais été
très clairement résolu s’agissant de notre
matière.
Il faudrait aussi réécrire le plan comp-
table puisque les normes IFRS vous disent
comment on traite tel ou tel type d’opé-
ration, mais ne vous donnent aucun
cadre comptable ressemblant à notre
plan comptable général.
Nous aurions probablement aussi
quelques difficultés liées à l’application
aux comptes individuels, simplement
parce que les normes IFRS sont, par
essence, faites pour des groupes et non
pas pour des entreprises individuelles.
Se pose aussi une vraie question, une
question très difficile sur l’application de
ces règles. Dans le groupe IAS Droit, nous
avons discuté assez longuement sur plu-
sieurs points :
■ Le premier, c’est le problème de la
preuve. En droit français, la comptabi-
lité fait foi entre commerçants et fait
foi contre le commerçant. Il va falloir
que les entreprises s’habituent au fait
que, plus vous avez des écritures com-
pliquées, de caractère calculatoire, et
plus la question de la preuve, de la jus-
tification des écritures, devient un vrai
sujet. Quand vous passez une écriture
de ventes sur la base d’une facture
client, c’est simple : il faut que vous
gardiez la facture client. Quand vous
passez une écriture d’impairment de
vos actifs sur la base d’un business plan
compliqué qui résulte de vos estima-
tions, il est évident que, vis-à-vis du
juge d’instruction qui vous posera des
questions dans 5 ans, vous avez tout
intérêt à avoir gardé le détail de tous
vos calculs.
■ Ensuite, il y a la question des agré-
gats. Il s’agit d’une interprétation un
peu personnelle : je me dis que plus
nous irons vers des normes comptables
très éloignées du droit civil, plus il fau-
dra d’autres règles là où il faut régler
des problèmes de comptabilisation du
patrimoine. Je vois difficilement com-
ment nous allons appliquer à une entre-
prise individuelle des comptes établis
sur les normes IFRS au moment d’un
partage de communauté ou au
moment d’une succession.
Vient ensuite la question de l’interpré-
tation de ces nouvelles règles :
■ Premier sujet : les principes d’inter-
prétation. Les juges français sont arc-
boutés, en tout cas c’est la jurispru-
dence traditionnelle, sur la notion de
prudence. Sauf en matière fiscale, on
pardonnera assez volontiers un excès
de prudence, alors que l’inverse non. Il
faut bien savoir que les normes IFRS ne
sont pas fondées sur la notion de pru-
dence, elles sont fondées sur la notion
d’image fidèle, ce qui est différent.
Autre idée, la notion de jugement pro-
fessionnel, qui est un standard d’inter-
prétation des normes IFRS. Est-ce
qu’elle correspondra dans l’esprit des
juges à celle de “chef d’entreprise pru-
dent et avisé” ?
■ Deuxième question : le mode d’in-
terprétation, dès lors que la plupart des
règles comptables trouvent des sanc-
tions fiscales, des sanctions devant
l’AMF, des sanctions pénales, qui sont
des sanctions de droit public. Comment
ces règles vont-elles être appliquées ?
Nous avons découvert, avec le Professeur
Pasqualini, que contrairement à ce que
nous pensions, en matière de droit
pénal des affaires, la jurisprudence de la
Cour de cassation a largement pris ses
aises avec la notion d’interprétation
stricte.
La question se pose de savoir comment
seront interprétées ces règles nouvelles :
va-t-on les interpréter strictement, le
texte, rien que le texte, tout le texte, ou
bien va-t-on les interpréter de manière
large, en allant chercher des travaux pré-
paratoires, et Dieu sait s’ils sont impor-
tants puisqu’ils sont publics ? Le due pro-
cess des IFRS fait que, depuis l’origine
de la norme, on peut travailler sur tous
les travaux préparatoires. Les intérêts et
les contraintes pour les entreprises se
discutent, d’ailleurs, parce qu’il y a des
avantages et des inconvénients dans les
deux systèmes d’interprétation.
Le dernier point, c’est le poids de la
sanction. Je vous l’ai dit, une bonne par-
tie de nos règles comptables trouvent
des sanctions dans des formes de droit

répressif. Il est certain que selon qu’on
doit respecter un plan comptable géné-
ral qui, certes, s’est enrichi, mais reste
de taille modeste, ou qu’on doit appli-
quer un document qui fait 2 500 pages,
le poids sur les entreprises n’est pas le
même.
Incidences sur le droit
des affaires
Il y en a de très nombreuses, elles sont
extrêmement diffuses et, naturellement,
nous ne les avons pas toutes trouvées.
Ce que nous savons, c’est qu’un certain
nombre de dispositions du droit des
sociétés devront être revues, soit parce
qu’elles imposent des règles comptables
ou des dispositifs comptables qui sont
contraires aux IFRS, soit parce qu’elles
s’appuient sur des notions comptables
qui vont se trouver fondamentalement
modifiées par les règles nouvelles. Il en
est ainsi des notions de perte de moitié
des capitaux propres, de dividendes fic-
tifs, de résultat distribuable. La défini-
tion même des capitaux propres par rap-
port aux capitaux d’emprunt se trouve
affectée : une obligation convertible est-
elle un emprunt ou une partie de fonds
propres ? La réponse n’est pas la même
suivant la règle, française ou internatio-
nale. Toute la partie financière de notre
droit sur les sociétés est à revoir, pas for-
cément à changer en totalité mais cer-
tainement à revoir.
Il en va de même en droit social. On
s’aperçoit que les normes IFRS vous
disent « la rémunération, qui est donc la
contrepartie d’un service rendu, doit être
calculée de manière générale, c’est-à-dire
sur tout ce qui va être perçu par le salarié
en argent ou en nature, aujourd’hui ou
demain, de manière certaine ou statis-
tique ». Vous allez donc inscrire dans les
comptes de résultat des entreprises des
chiffres qui vont s’imposer aux parte-
naires sociaux et qui vont les obliger à
raisonner différemment de la manière
dont ils raisonnent aujourd’hui. La pra-
tique actuelle consiste à traiter de maniè-
re séparée, d’ouvrir des négociations sur
les tickets restaurant, sur la retraite, sur
la mutuelle d’entreprise, puis sur l’inté-
ressement… « Ça fait du grain à moudre »
comme disait André Bergeron. Toutes
ces sommes s’inscrivaient dans des cases
Questions et solutions
différentes ; maintenant on vous dit : ment mauvaise pour l’avenir que les
« non, tout ça c’est la même chose, c’est gens les abandonneront ?
la rémunération du travail fourni ». Je pense en particulier à l’ensemble, à
Autre exemple, et je m’arrêterai là, celui l’immensité du droit public, à tous les
des seuils. Nous avons commencé à faire contrats de délégation de service public,
un inventaire très parcellaire du grand de concession de service public, à toute
nombre de seuils quantitatifs qui existent cette pratique très ancienne, très éta-
dans toutes les branches du droit. Dès blie comme les sociétés en participation
lors que ces seuils sont comptables, le dans le BTP : que va-t-il en rester si les
changement de règles comptables normes IFRS s’appliquaient aux comptes
impacte en réalité l’application de la sociaux des entreprises du BTP ? Voilà
règle. Prenons un exemple simple : dans une vraie question qui montre l’utilité
toutes les professions d’intermédiaires, d’une approche par branche.
vous avez deux façons de présenter l’ac-
tivité :
• soit en brut, vous inscrivez en produits
Conclusion
la totalité du chiffre d’affaires et vous
Pour terminer, juste un mot, une idée,
comptabilisez en charges ce que vous
celle de feed-back : la comptabilité influe
recédez à celui qui vous a donné man-
sur le droit, qui influe sur la comptabi-
dat,
lité, qui influe sur le droit. C’est une
• soit en net, vous ne comptabilisez en
boucle de rétro-action.
produits que votre commission.
Je vais vous citer un exemple qui m’a été
Vous comprenez bien que les chiffres
donné dans une autre enceinte par quel-
sont très différents et que, si le seuil de
qu’un qui travaille dans la grande distri-
telle ou telle réglementation est en chiffre
bution. La question est la suivante : quand
d’affaires, son application peut être extrê-
mement différente suivant les cas.
vous allez dans n’importe quel grand 21
magasin, vous découvrez ce qu’on appel-
Incidences sur le comportement le des corners, c’est-à-dire des emplace-
des acteurs ments gérés de manière autonome par
des grandes marques. Quand j’achète
Mon dernier point portera sur l’appli-
un sac Louis Vuitton aux Galeries
cation dans la vie contractuelle. Nous
Lafayette, est-ce les Galeries Lafayette
aurons à gérer la modification des
qui facturent et qui se font facturer par
contrats en cours : les juristes devront
Louis Vuitton, ou bien les Galeries
procéder au récolement de l’ensemble
Lafayette ne sont-elles qu’un intermé-
des contrats, des conditions générales de
diaire ? Posée de cette manière la ques-
vente, bref de tout ce qui est contractuel
tion semble avoir une incidence comp-
dans les entreprises, pour voir comment
table voire fiscale mais quel problème
interfèrent les normes IFRS par rapport
juridique soulève-t-elle ? Si je considère
à toutes ces conventions. C’est un tra-
que c’est Louis Vuitton qui vend au
vail que les entreprises ont naturelle-
consommateur, ne suis-je pas en train
ment commencé à faire dans la mesu-
de lui conférer la propriété commercia-
re où les covenants, par exemple,
le, un droit à rester dans les murs ? Vous
s’appuient sur des comptes consolidés
voyez qu’une simple disposition comp-
qui eux ont déjà basculé.
table a une conséquence juridique à
Ce que nous ne savons pas aujourd’hui, laquelle il est difficile de penser a priori.
c’est comment les gens réagiraient à des
Edgar Morin a déjà écrit « la nature de la
normes aussi différentes. Vous me répon-
nature », « la matière de la matière », il
drez « ils vont les appliquer ». Certes, mais
pourrait ajouter à son illustration de la
quels sont les phénomènes d’évitement
boucle de feed-back, un nouveau thème
qui vont se produire, quelles sont les
qui serait « la comptabilité de la comp-
figures juridiques qui vont tomber en
tabilité » !
désuétude, quelles sont celles qui vont
se révéler d’un coût comptable si élevé
ou d’une présentation comptable telle- Dominique LEDOUBLE
R.F.C. 380 Septembre 2005