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Université Strasbourg II - Marc Bloch

école doctorale des Humanités


équipe d’accueil EA3402
Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques

Thèse
pour obtenir le grade de

Docteur de l’Université Strasbourg II


Discipline: ARTS, mention Musique

présentée et soutenue publiquement par

Jonathan NUBEL

le 20 juin 2007

Les cordes baroques


dans la création musicale d’aujourd’hui

état des lieux, enjeux, perspectives

Directeur de thèse: M. Pierre Michel

JURY

M. Jean-Yves Bosseur (CNRS), président


Mme Anne Penesco (Université Lyon 2)
Mme Danièle Pistone (Université Paris 4-Sorbonne), rapporteur
Les cordes baroques dans la création musicale d’aujourd’hui
état des lieux, enjeux, perspectives

Résumé :

Depuis quelques années, les compositions nouvelles pour instruments baroques se sont multi-
pliées. Rares sont aujourd’hui les grands ensembles de musique ancienne qui n’ont pas abordé
au moins une fois le répertoire contemporain. Les cordes baroques, c’est-à-dire la famille des
violons baroques et les violes de gambe, sont particulièrement mis à l’honneur.
Un corpus de 180 œuvres a été élaboré, à partir duquel sont dégagées des tendances généra-
les : origine géographique, profils des compositeurs et des interprètes, dédicaces, titres. Après
une définition organologique précise des instruments concernés, une sélection d’œuvres permet
d’explorer les techniques de jeu et d’écriture spécifiques à ce répertoire.
L’historique et la philosophie du jeu sur instruments anciens sont évoqués afin de replacer ces
œuvres dans leur contexte. Une réflexion est alors menée sur les limitations inhérentes aux
instruments et sur les moyens de les dépasser pour assurer à ce répertoire en expansion un dé-
veloppement à la fois quantitatif et qualitatif.

MOTS-CLES : musique du 20e siècle - instrumentation - cordes - instruments anciens - violon


- viole de gambe

Baroque Strings in today’s musical creation


Status report, issues, perspectives

Abstract :

Since some years, new works for baroque instruments have flourished. Only a few important
early music groups have not, at least one time, adressed in contemporary music. The baroque
strings, i.e. the family of baroque violins and the violas da gamba, are specially favored.
A 180 works corpus have been compiled, from which general tendencies have been drawed :
geographical origins, composers profiles, performers profiles, dedications, titles. After a precise
organological definition of the instruments, a works selection allows to explore playing techni-
ques and compositional techniques in use int these pieces.
The history and philosophy of the early instruments playing are brought up for put back these
works on their context. This is followed by a reflection about the inherent limitations of instru-
ments and the means to go beyond these limits to assure a developpment at the same time in
quantitative and qualitative terms to this expanding repertory.

KEYWORDS : 20th century music - instrumentation - strings - early instruments - violin - viola
da gamba

Université Strasbourg II (Marc Bloch)


École Doctorale des Humanités
Equipe d’accueil EA3402 :
Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques
Remerciements

Je tiens à exprimer ici ma gratitude et mes remerciements à toutes celles et ceux qui m’ont
aidé, de manière consciente ou inconsciente, de manière académique ou non, dans cette tâche,
ô combien prenante, et sans qui elle n’aurait jamais été achevée:

M Pierre Michel, qui a accepté la direction de ce travail et qui a apporté toute sa compétence et
toute sa patience à l’élaboration et à l’amélioration de cet ouvrage

Les compositeurs et interprètes qui m’ont utilement renseigné, parmi lesquels MM. Klaus Hu-
ber, Henri Pousseur, Jean-Yves Bosseur, Gualtiero Dazzi, Francis Knights, Renzo Rota, Garth
Knox, Martin Gester, Franck van Lamsweerde, Alain Sobszack, Michael Radulescu

Le personnel du CDMC qui a su m’accueillir et me renseigner avec une grande efficacité durant
les longues heures passées là-bas

Les centres de documentation du CeBeDeM (Bruxelles) et du Canada Music Center, les édi-
tions Salabert, Schott, Ricordi et Suvini Zerboni qui m’ont aimablement prêté nombre de
partitions.

Tous les amis musiciens qui m’ont aiguillé sur des pistes inconnues, mais aussi qui m’ont aidé
à garder à l’esprit le vrai sens de mon entreprise.

Ma famille, et d’abord ma femme et mes filles, qui ont patiemment supporté ce long temps
d’une gestation parfois douloureuse.
Table des matières

Résumé 2

Remerciements 3

Tables des matières 4


Table des exemples musicaux 7
Table des illustrations 10

Introduction 11

Chapitre 1 : Domaine de recherche et méthodologie documentaire 14

1.1  Les cordes baroques : définition première 14


1.2  Pour les violes, violons et autres instruments… 16
1.3  Quelle(s) musique(s) d’aujourd’hui 17
1.4  Objectifs et méthodes 18
1.5  Les sources de documentation en musique contemporaine 20
1.6  Quelques remarques sur le catalogage de la musique imprimée 23
1.7  Autres ressources documentaires 25

Chapitre 2 : Aperçu général du corpus 27

3.1  Repères chronologiques et géographiques 27


3.2  L’instrumentation 29
3.3  Les compositeurs 30
3.4  Les interprètes 34
3.5  Commanditaires et dédicataires 37
3.6  Titres, textes et livrets 39
5

Chapitre 3 :Violons et ensembles de cordes 42

4.1  Histoire et évolution de la famille des violons 42


4.2  L’évolution des archets 45
4.3  Pour une définition efficace 48
4.4  Techniques baroques 49
4.5  La musique pour soliste 52

Musique pour violon baroque soliste 52

Barry Guy, Celebration 53


Barry Guy, Bubblets 55
Matthew Hindson, Baroquerie 57

Musique pour violoncelle baroque soliste 60

Gualtiero Dazzi, Un pas dans la neige… 60


Philippe Fénelon, Dix-huit Madriagaux 61

4.6  Les ensembles de cordes 64

Musique de chambre 64

Patrick Burgan, Tristis 64


Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême 65
American Baroque et Common Sense 67
Gualtiero Dazzi, Lichtzwang 68

Musique pour grands ensembles 72

Pascal Dusapin, Medeamaterial 72


Betsy Jolas, Motet III 81

Chapitre 4 : Les violes de gambe 85

5.1  Origine et morphologie des violes de gambe 85


5.2  La renaissance de la viole 87
5.3  Technique de la viole de gambe 89
5.4  Musique pour viole soliste 91

Murray Adaskin, Two Pieces 91


Jean-Yves Bosseur, Byrdy 92
Paolo Pandolfo, Solo - Travel Notes 96
Philippe Hersant, Le Chemin de Jérusalem 98

5.5  Musique pour ensembles de violes 98

étienne Rolin, Gamba Game 99


6
Fretwork et la musique pour consort 101

George Benjamin, Upon Silence 101


Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell) 103
Alessandro Solbiati, A nameless Pod 108

5.6  Musique d’ensemble avec viole(s) 111

François Rossé, OEM 113


Thierry Pécou, Tombeau de Marc-Antoine Charpentier 114
Thierry Pécou, La ville des Césars 116

Chapitre 5 : L’esthétique des instruments anciens 119

6.1  Aspects historiques du jeu sur instruments anciens 119

La redécouverte du répertoire 120


La redécouverte des instruments 122
L’essor des performance practice studies 123

6.2  La quête de l’authenticité 125


6.3  Le baroque, le moderne et le postmoderne 128

Chapitre 6 : La viole d’amour, instrument moderne 138

7.1  Histoire et permanence de la viole d’amour 138


7.2  Les compositeurs d’aujourd’hui et la viole d’amour 142

Georg Friedruch Haas, Solo für Viola d’amore 142


Klaus Huber, …Plainte… 147

7.3  La viole d’amour et ses interprètes 149


7.4  Un modèle d’intégration ? 150

Chapitre 7 : Quelle musique pour les cordes baroques ? Limites et perspectives 152

8.1  Les limites de la notion d’instrument baroque 152


8.2  Instrument, détournement, dépassement 154
8.3  Quelle musique pour quels interprètes ? 156
8.4  Le bel avenir de la viole de gambe 158

Bibliographie 162
Discographie 172

Catalogue des œuvres


Classement par effectifs 174
Classement par compositeurs 265

Index 270
Table des exemple musicaux

Ex. 4.1 – Barry Guy, Celebration : lignes 13–14 54


Ex. 4.2 – Barry Guy, Celebration : lignes 16–17 54
Ex. 4.3 – Barry Guy, Celebration : ligne 7 54
Ex. 4.4 – Barry Guy, Celebration : lignes 5–6 54
Ex. 4.5 – Barry Guy, Celebration : lignes 10–11 54
Ex. 4.6 – Barry Guy, Bubblets : ligne 7 56
Ex. 4.7 – Matthew Hindson, Baroquerie : 1er mouvement, mm. 30–35 58
Ex. 4.8 – Matthew Hindson, Baroquerie : 3e mouvement, mm. 2–7 58
Ex. 4.9 – Matthew Hindson, Baroquerie : 1er mouvement, mm. 62–64 58
Ex. 4.10 – Matthew Hindson, Baroquerie : 2e mouvement, mm. 1–5 59
Ex. 4.11 – Gualtiero Dazzi, Un pas dans la neige… : mm. 1–12 61
Ex. 4.12 – Philippe Fénelon, élégie : mm. 1–4 62
Ex. 4.13 – Philippe Fénelon, Fantaisie: mm.1–3 62
Ex. 4.14 – Philippe Fénelon, Fantaisie : mm. 15–25 63
Ex. 4.15 – Philippe Fénelon, Fantaisie : mm. 40–49 63
Ex. 4.16 – Philippe Fénelon, Fantaisie : mm. 50–52 63
Ex. 4.17 – Patrick Burgan, Tristis : mm. 43–46 65
Ex. 4.18 – Patrick Burgan, Tristis : mm. 82–91 65
Ex. 4.19 – Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême :
« Choral » mm. 1–9 66
Ex. 4.20 – Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême :
« Antienne » mm. 13–16 66
Ex. 4.21 – Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême :
« Cantique d’Ezechias » mm. 42–45 67
Ex. 4.22 – Dan Becker, Tamper Resistant : mm. 1–5 68
Ex. 4.23 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : V mm. 1–6 69
8

Ex. 4.24 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : VIII mm. 1–14 69


Ex. 4.25 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : X mm. 1–7 70
Ex. 4.26 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : X mm. 1–7 (2e version) 70
Ex. 4.27 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : IX mm. 7–14 71
Ex. 4.28 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 84–88 74
Ex. 4.29 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 89–92 74
Ex. 4.30 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 222–231 75
Ex. 4.31 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 351–359 75
Ex. 4.32 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 124–127 78
Ex. 4.33 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 160–163 78
Ex. 4.34 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 530–532 79
Ex. 4.35 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm.176–179 80
Ex. 4.36 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : mm. 386–393 80
Ex. 4.37 – Betsy Jolas, Motet III : Prima Pars, mm. 71–81 83
Ex. 4.38 – Betsy Jolas, Motet III : Tertia Pars, mm. 45–66 84

Ex. 5.1 – Murray Adaskin, Two pieces: I. mm. 1–13 93


Ex. 5.2 – Murray Adaskin, Two pieces: I. mm.22–29 93
Ex. 5.3 – Murray Adaskin, Two pieces: II. mm. 1–5 93
Ex. 5.4 – Murray Adaskin, Two pieces: II. mm. 83–89 93
Ex. 5.5 – Jean-Yves Bosseur, Byrdy 95
Ex. 5.6 – Johann Sebastian Bach: BWV 1008, Allemande 95
Ex. 5.7 – Johann Sebastian Bach: BWV 1009, Menuet 95
Ex. 5.8 – Johann Sebastian Bach, Matthäus-Passion, BWV 244:
Air « Komm, süßes Kreuz » 97
Ex. 5.9 – Christian Rosset, Enlightenment 100
Ex. 5.10 – George Benjamin, Upon Silence : mm. 1–17 104
Ex. 5.11 – George Benjamin, Upon Silence : mm. 57–62 105
Ex. 5.12 – George Benjamin, Upon Silence : mm. 68–77 105
Ex. 5.13 – George Benjamin, Upon Silence : mm. 229–231 105
Ex. 5.14 – George Benjamin, Upon Silence : mm. 197–200 106
Ex. 5.15 – Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell) :
distribution du cantus firmus et antienne Gloria tibi Trinitas 107
Ex. 5.16 ­– Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell): mm.62–67 107
Ex. 5.17 ­– Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell): mm.110 à la fin. 107
Ex. 5.18 – Alessandro Solbiati, A Nameless Pod: mm. 1–3 109
Ex. 5.19 – Alessandro Solbiati, A Nameless Pod: mm. 16–24 110
Ex. 5.20 – Une réminiscence « moderne » :
(a) Maurice Ohana, Nuit de Pouchkine ; (b) Philppe Hersant, Psaume 130 112
9

Ex. 5.21 – François Rossé, OEM: section 4 113


Ex. 5.22 – François Rossé, OEM: section 10 (début du solo de viole) 113
Ex. 5.23 – François Rossé, OEM: section 12 (fin du solo de viole) 113
Ex. 5.24 – Tierry Pécou, Tombeau de Marc-Antoine Charpentier:
II. « Prière de l’ombre » 114
Ex. 5.25 – Thierry Pécou, Le Tombeau de Marc-Antoine Charpentier:
« Chorus Angelorum » 115
Ex. 5.26 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 1ere partie, mm. 31–32 116
Ex. 5.27 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 1ere partie, mm. 131–143 116
Ex. 5.28 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 1ere partie, mm.150–151 117
Ex. 5.29 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 2e partie, mm. 1–3 117
Ex. 5.30 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 1ere partie, mm. 357–360 117
Ex. 5.31 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 2e partie, mm. 96–98 117
Ex. 5.32 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 2e partie, mm. 54–58 118
Ex. 5.33 – Thierry Pécou, La ville des Césars: 1ere partie, mm. 237–246 118

Ex. 7.1 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore :


accordatura réelle et de la tablature 143
Ex. 7.2 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 11 144
Ex. 7.3 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 25 144
Ex. 7.4 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 45 145
Ex. 7.5 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : lignes 68–69 145
Ex. 7.6 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : lignes 70–71 146
Ex. 7.7 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : lignes 31–32 146
Ex. 7.8 – Klaus Huber, …Plainte… : accordatura réelle et fictive 147
Ex. 7.9 – Klaus Huber, …Plainte… : mm. 1–3 147
Ex. 7.10 – Klaus Huber, …Plainte… : 3e section 148

Ex. 8.1 – Colin Matthews, Moto perpetuo : mm. 28–35 155


Ex. 8.2 – Bernd Alois Zimmermann, Sonate pour violon solo :
Toccata, mm. 1–7 155
Ex. 8.3 – Bernd Alois Zimmermann, Sonate pour violon seul :
Toccata mm. 44–51 156
Ex. 8.4 – Notations des différents vibratos dans Couleurs du temps
de Costin Miereanu 159
Ex. 8.5 – Accord des violes d’amour dans Solitude du Minautore
d’Alain Bancquart 159
Ex. 8.6 – Iannis Xenakis, Nomos Alpha : mm. 20–22 159
Table des illustrations

Fig. 4.1 – évolution de l’archet de violon d’après Fétis 47


Fig. 5.1 – Cantigas de Santa Maria (13e siècle) 86
Fig. 5.2 – Quelques différences de construction entre violes Renaissance
et baroques 86
Fig. 7.1 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 11 (Sonagramme) 144
Introduction

Hector Berlioz se lamentait, en 1841, en parlant de la viole d’amour : « Voilà encore un


instrument qu’on laisse se perdre! C’est pitoyable ! Le Conservatoire conserve bien mal »1. Et
pourtant, force est de constater que la viole d’amour est toujours présente aujourd’hui – certes
modestement et sans la défense du Conservatoire. Non seulement est-elle encore jouée, et fort
bien par quelques interprètes passionnés, mais surtout on lui consacre encore des pages nou-
velles. Aussi, un siècle après l’exclamation de Berlioz, la viole d’amour est-elle bel et bien un
instrument vivant.
Berlioz aurait pu de la même manière se lamenter sur le devenir de la viole de gambe.
à son époque, on n’en jouait guère plus que de la viole d’amour. Tout juste y avait-il quel-
ques interprètes assez curieux ou rétrogrades pour continuer à jouer ce répertoire de musique
domestique, ces vieilles partitions qui avaient naguère enchanté la cour élisabéthaine. Mais
aujourd’hui, même le Conservatoire défend l’instrument, même si bien sûr ce n’est plus contre
« les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle »2. On écrit même à nouveau, peut-
être pas encore assez, de la musique originale pour l’instrument. Mieux encore, après avoir
redécouvert sa technique ancienne, on lui en invente de nouvelles.

Ces « nouveaux instruments anciens » semblent ainsi avoir pris une place inédite depuis
quelques années. Alors que leur implantation dans la vie musicale par le biais d’interprétations
« historiques » est maintenant acquise, apparaissent de manière ponctuelle de bien curieuses
associations : certains noms connus de la musique baroque rencontrent certains noms connus
de la création contemporaine pour servir à un public médusé des harmonies nouvelles aux réso-

1.  Berlioz (Hector), De l’instrumentation, Paris, Castor Astral, 1994, p. 41.


2.  Pour emprunter au titre de l’ouvrage polémique de Hubert Le Blanc, Défense de la basse viole contre les
entreprise du violon et les prétentions du violoncel., publié à Amsterdam en 1740.
12

nances antiques. Quelle est la signification de cette coopération ? Les instruments « modernes »
ne suffisent-ils donc plus à servir l’inspiration des compositeurs ?

Antonin Artaud, avec quelque prémonition, avait affirmé en 1932 :

La nécessité d’agir directement et profondément sur la sensibilité par


les organes invite, du point de vue sonore, à rechercher des qualités de sons
absolument inaccoutumées, qualités que les instruments de musique actuels
ne possèdent pas, et qui poussent à remettre en usage des instruments anciens
et oubliés, ou à créer des instruments nouveaux.3

Ce serait donc cela, rechercher l’inouï pour mieux agir sur la sensibilité de nos contem-
porains, par la nouveauté de l’ancien plutôt que par les moyens de la technologie moderne et
des sons électroniques. Pourtant la tâche semble ardue: ces instruments sont-ils vraiment aptes
à toucher notre sensibilité actuelle, et n’ont-ils pas quelque handicap à opposer à cet usage
anachronique ? C’est ce que pensait Arnold Schoenberg, lorsqu’il écrivait quelques années plus
tôt, en 1924 :

Les instruments qui ont disparu, tels que la viole d’amour, l’oboe da
caccia, le hautbois d’amour, la viole de gambe, les différents types de luths,
le cor simple, la trompette ancienne et bien d’autres, doivent leur disparition
partie à ce qu’ils étaient moins faciles à jouer, partie parce qu’on ne pouvait
plus les améliorer. Tous ces instruments avaient des sonorités attachantes ou
originales, mais cela ne les empêcha pas de sombrer.4

Il y aurait donc contre-indication à utiliser ces instruments trop difficiles, la virtuosité


qu’il faudrait y mettre à jouer des musiques simples épuiserait toute possibilité de progrès. Mais
alors, qu’en est-il de la viole d’amour que vantait Berlioz ? Schoenberg avait là aussi son idée
sur la question :

Comment, par exemple, pourrait-on encore se servir d’une viole accor-


dée en ré majeur, avec laquelle la plupart des tonalités sont difficiles, qui
oblige la main à monter en troisième position pour donner la neuvième du ré2
à vide à mi3, qui ne peut donner l’octave sol3–sol4 que si l’on appuie sur deux
cordes à l’intervalle normal de dixième, qui oblige le joueur, comme avec le
luth, à « passer une grande partie de sa vie à regarder ce qu’il fait » ?5

Comment se servir aujourd’hui de ces instruments conçus pour une musique d’une autre
époque ? Cela est-il même seulement possible, ou n’est-ce qu’une utopie que de croire pouvoir
faire de la musique nouvelle avec des instruments anciens ? Surtout, quelle musique peut-on

3.  Artaud (Antonin), Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964, p. 147.
4.  Schoenberg (Arnold), Le Style et l’Idée, Paris, Buchet-Chastel, 2002, p. 247.
5.  Ibid.
13

écrire pour ces instruments difficiles à jouer et dont le développement avait connu un arrêt fatal
par épuisement des possibilités de progrès ?
C’est à ces questions, et à quelques autres, que nous essayerons d’apporter des éléments
de réponses. Pour cela nous tenterons de circonscrire aussi bien que possible le territoire de ces
nouvelles musiques.
Après avoir précisé le champ dans lequel nous évoluerons par la définition de termes
tels que « cordes baroques » et « création musicale d’aujourd’hui » (chapitre 1), nous pourrons
alors établir un corpus d’œuvres6 qui servira à dresser un premier état des lieux (chapitre 2). Au
travers de quelques œuvres choisies, nous tenterons alors de dégager des tendances et des pro-
blématiques  tant pour la famille des violons (chapitre 3) que pour les violes de gambe (chapitre
4). Nous essayerons alors de comprendre les enjeux esthétiques de cette nouvelle pratique dans
le monde de la musique ancienne au travers de son histoire et de sa « philosophie » (chapitre
5). Cela nous amènera à nous demander comment, en prenant comme exemple la viole d’amour
(chapitre 6), ce répertoire pour les cordes baroques peut s’enrichir d’œuvres véritablement no-
vatrices pour les auditeurs et pour les interprètes (chapitre 7).

6.  On trouvera ce corpus, présentant 180 pièces, dans les annexes.


Chapitre 1
Domaine de recherche et
méthodologie documentaire

« Les cordes baroques dans la création musicale aujourd’hui » : si les termes de ce titre ne
posent en apparence pas de grands problèmes, ils portent tout de même en eux plus que ce que
le sens commun ou l’usage y mettent. Il serait dommage, mais aussi dangereux, de ne s’arrêter
qu’à la surface des mots. Nous nous intéresserons ici à la multiplication, aujourd’hui, des com-
positions destinées à des instruments d’un autre temps. Au travers du répertoire pour cordes,
qui semble – nous nous en expliquerons plus loin – le plus emblématique et dans ce sens le plus
riche, nous tenterons de répondre à certaines interrogations, certains paradoxes qui se font jour
en examinant ce pan minoritaire, mais non négligeable, de la création musicale d’aujourd’hui.
Pour ce faire, et avant toute autre chose, il est nécessaire d’établir clairement dans quelles
limites et avec quels moyens nous voulons étudier un tel objet, qu’il s’agit lui aussi de définir
précisément, pour dégager des objectifs et des méthodes.

1.1  Les cordes baroques : définition première

Si depuis maintenant une cinquantaine d’années, l’appellation « instruments baroques »


est familière à la plupart des mélomanes, elle n’en demeure pas moins problématique à bien des
égards : quelles sont les bornes spatio-temporelles appliquées à ce qualificatif ? quelles est la
réalité organologique que recouvre cette expression ?

On s’accorde le plus souvent à situer l’ère baroque en musique dans une période com-
prise entre les expérimentations de la Camerata Bardi, qui mènent à l’élaboration des premiers
opéras, et l’émergence du style galant ; ce qui donne approximativement une plage s’étendant
15

de 1580 à 17501. Cela, c’est l’usage courant, la catégorie des disquaires et des magazines spé-
cialisés. Nous ne discuterons pas plus longuement ces découpages de l’histoire de la musique,
nous nous intéresserons plutôt directement à une catégorie qui en découle naturellement, mais
qui dans le même temps peut paraître suspecte : les « instruments baroques ».
On comprendra tout de suite que l’on qualifie de « baroques » les instruments en usage
à cette période, ou mieux encore : les instruments en usage à cette période sous leur forme
« originale ». On entre alors dans le vif du sujet : qu’est-ce que cet état original de l’instru-
ment ?  Qu’est-ce qui fonde son « authenticité » ? Nous aurons encore l’occasion de parler de ce
concept, encore vivace aujourd’hui, d’authenticité historique, mais que peut-il signifier préci-
sément en termes d’organologie ?

Certains exemples doivent nous alerter sur le caractère pour le moins insaisissable de
cette notion d’instrument baroque comme catégorie organologique historiquement précise. Que
l’on se penche un instant sur le terme « flûte baroque » par exemple. Quels sont les critères
objectifs, historiques et invariants qui fondent l’ensemble des objets qu’on appellera « flûte
baroque » ? En fait, il y en a très peu si l’on prend comme bornes temporelles celles du baroque
musical, c’est-à-dire une période de cent cinquante années2. Des instruments sans clé, d’un seul
tenant, aux modèles Hotteterre à une clé, en trois parties puis en quatre parties3, à plusieurs clés
à partir des années 1760, perce cylindrique ou conique : l’éventail est grand et les instruments
varient en taille, matière et forme selon les pays et selon les facteurs. Et c’est finalement la flûte
de Quantz qui est devenue le standard de la flûte baroque dans nos concerts alors que l’on de-
vrait bien plutôt la nommer « flûte rococo »4.
Nous voilà prévenus de l’« impureté » de ce terme de baroque appliqué aux instruments.
On ne saurait donc se contenter de définir ces cordes qui nous occupent uniquement par ce terme
de baroque, tant il est vrai que les instruments de cette époque ne se laissent pas si facilement
définir. Nous aurons donc à définir plus précisément la morphologie et l’usage des instruments
étudiés. Mais pour l’instant, il s’agit de trouver une voie, autre que celle de la périodisation
historique, pour définir de quelles « cordes » nous parlerons.

Si le terme de baroque est inopérant comme catégorie historique, il pourrait pourtant suf-
fire à notre définition comme « catégorie socioculturelle ». Cette voie aurait pour avantage de

1.  Ce sont les bornes proposées par Palisca par exemple (Palisca (Claude V.), La Musique Baroque. Ar-
les, Actes Sud, 1994). Par goût pour les chiffres facilement mémorisables, on parle aussi de 1600–1750, soit la
naissance de l’opéra et la défense de la seconda prattica par Monteverdi (1605), comme début du baroque. On ne
discutera pas le mot « baroque » lui-même, il a déjà été abondamment commenté ; pour une bibliographie détaillée
et un aperçu sur ce concept appliqué à la musique, voir l’article « Baroque » dans GroveMusic Online. On parle
aussi parfois du « temps de la basse continue » pour éviter cette référence au baroque.
2.  L’appellation traverso, que l’on rencontre parfois, n’est pas plus explicite et précise.
3.  Avec des corps de rechange permettant de faire varier le diapason.
4.  Addington (Christopher), « In search of the Baroque flute: the flute family 1680-1750 », Early Music,
vol. 12, n°1, 1984, p. 34–47.
16

réduire le champ pour se consacrer aux seuls éléments réellement signifiants pour notre propos
et surtout qui recouvrent une réalité musicale tangible.
Quel sens prend alors ce baroque-là ? Il doit se comprendre comme intimement lié au
mouvement de rénovation de l’interprétation des musiques anciennes, donc non pas comme
objet historique, mais comme reconstruction moderne, dans certains cas moderniste, en tout
cas moins passéiste que l’on a voulu le croire, et donc affranchi des exigences d’exactitude
musicologique et organologique. Il nous faudra donc prendre l’objet a priori et tenter de le dé-
finir de manière empirique, en lien direct avec le temps et la société dans lesquels il naît, celle
de la deuxième moitié du 20e siècle. C’est ainsi qu’en accolant l’adjectif baroque à un certain
nombre d’instruments, on ne décrira pas forcément une réalité organologique historiquement
fondée, mais plutôt certains arrangements avec l’histoire qui ont leur signification et qui ne
sont certainement pas sans intérêt pour notre sujet. D’une certaine façon, ces instruments seront
autant définis par leur morphologie que par ceux qui les jouent. On pourrait ainsi plutôt parler
en quelque sorte d’instruments « baroqueux ».
Ayant délimité sommairement le terrain des instruments baroques, il ne nous reste alors
qu’à définir plus précisément à quelles cordes nous nous intéresserons.

1.2  Pour les violes, violons et autres instruments…

Quels sont donc ces instruments auxquels nous mènent alors ces nouvelles définitions ?
Tout naturellement, si l’on pense aux instruments de l’orchestre, on se tournera d’abord vers le
violon baroque et sa famille. Ces instruments, parce qu’ils ont leur pendant moderne, rentrent le
mieux dans cette définition de l’instrument baroqueux en ce sens que leur utilisation a nécessité
une conversion : le passage par l’instrument moderne est une quasi-nécessité5. Il y a donc pour
le violoniste ou le violoncelliste baroque, tout comme le flûtiste ou le trompettiste, un « avant »
de la pratique de l’instrument ancien et un « après ».
Toute conversion n’est pas forcément le fait d’une religion, mais pour les violonistes,
peut-être encore plus que pour les autres instrumentistes, il a fallu des gourous, des apôtres et
des zélateurs, beaucoup de foi, de sermons et l’observance de règles extrêmement strictes, pour
s’approprier ce violon, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. C’est cet investissement to-
tal du musicien dans une quête mettant en jeu toute sa personne, qui qualifie peut-être le mieux
le mouvement baroqueux de l’après-guerre. Si Harry Haskell parle de subculture de la musique
ancienne6, on pourrait parler même de contre-culture. Sans anticiper trop sur la suite de notre
propos, il apparaît que l’on vient souvent à ces instruments en réaction à un certain nombre
d’aspects de la vie musicale traditionnelle. Nous verrons que cela a plus d’importance du point

5.  Il y a des exceptions, comme par exemple Frédéric Martin, membre et souvent premier violon des Arts
Florissants de 1980 à 1989 : s’étant spécialisé très jeune dans le répertoire ancien, il n’a pratiquement jamais
abordé le répertoire postérieur à Beethoven.
6.  Haskell (Harry), The early music revival: a history, Mineola, Dover, 1996, p. 161–174.
17

de vue de l’interprétation musicale qu’il n’y paraît au premier abord. Cette famille des violons
baroques sera donc abordée comme une sorte d’archétype de l’instrument « baroqueux », dans
toutes ses dimensions et ses contradictions.

ous nous intéresserons ensuite aux violes de gambe. Instrument ancien remis au goût du
N
jour dès le 19e siècle, la viole s’est longtemps vue remplacée par des violoncelles, là où dans le
répertoire canonique elle était requise, c’est-à-dire essentiellement les deux Passions de Bach.
C’est ainsi que ce sont essentiellement des violoncellistes qui ont redécouvert l’instrument et
ont redonné vie à son répertoire : que l’on pense à August Wenzinger, Nikolaus Harnoncourt,
Wieland Kuijken ou bien encore Christophe Coin. Néanmoins, dans ces dernières années, l’en-
seignement des deux instruments a été complètement déconnecté, si bien qu’une bonne part des
gambistes actuels a abordé l’instrument sans apprentissage préalable du violoncelle. Cela signi-
fie que le répertoire des ces instrumentistes est nécessairement limité à une période s’étendant
de la Renaissance à la fin du Baroque. Les gambistes paraissent ainsi être en quelque sorte les
authentiques instrumentistes baroques et habiter ainsi la musique ancienne depuis leur « nais-
sance ».
Nous voici donc en présence de deux logiques un peu différentes : d’une part, les violistes
qui choisissent leur instrument pour lui-même et subissent en quelque sorte la limitation his-
torique de leur répertoire. De l’autre côté, les violonistes et violoncellistes, choisissant délibé-
rément de réduire leur champ d’investigation à un temps historique particulier, et excluant de
facto des pans entiers du répertoire traditionnel de leur instrument, souvent sans retour et sans
état d’âme. Il semble donc que le choix de ces instruments ferme d’une manière ou d’une autre
toutes les portes à la création musicale d’aujourd’hui.

Ce sont justement les conditions d’ouverture de ces portes que nous étudierons dans ces
pages. Et dans ce sens, nous verrons que la viole d’amour, pour de nombreuses raisons, pourrait
bien nous servir de guide. Avec ces trois instruments, nous tenterons ainsi de circonscrire les
possibilités offertes par l’engouement pour la facture ancienne dans la perspective de la création
musicale vivante. Nous délaisserons par contre les instruments plus exotiques tels que baryton,
trompette marine, arpeggione ou violoncello piccolo. Non qu’il n’existe pas de répertoire ré-
cent pour ceux-ci, mais cela aurait été explorer un répertoire extraordinairement marginal, alors
même que celui qui nous occupera constitue lui-même une collection de raretés. Pour gagner en
cohérence, il nous a été indispensable de nous concentrer sur ces quelques instruments.

1.3  Quelle(s) musique(s) d’aujourd’hui

Nous avons pris soin d’éviter dans notre titre toute référence à la modernité musicale par
des termes tels que « musique moderne » ou « musique contemporaine » ; nous leur avons pré-
18

féré le terme plus neutre, et en même temps plus général, de « création musicale d’aujourd’hui ».
Il est nécessaire de bien préciser ce que cela signifie.

Disons-le immédiatement, afin de lever toute inquiétude, il ne s’agit en aucun cas d’éva-
cuer les problématiques liées à la modernité et aux débats qu’elle suscite de manière récurrente
dans l’histoire de la musique. Nous avons simplement souhaité poser d’emblée que le répertoire
étudié ne se limiterait pas a priori aux compositeurs réputés avant-gardistes, ou se proclamant
tels, mais s’étendrait aussi à ceux que l’on qualifie plus volontiers de post-modernes, archaï-
sants, néo-classiques ou même, plus sévèrement encore, commerciaux, mercantiles ou déma-
gogues. Il faut néanmoins immédiatement limiter la portée de pareille déclaration d’intention
en attirant l’attention sur la grande interdépendance existant entre les sources documentaires et
l’éventail de compositeurs résultant des recherches. Bibliothèques, institutions, éditeurs, zones
géographiques : autant de facteurs et de filtres qui influenceront fortement le contenu du corpus
obtenu.
Le deuxième aspect important de cette partie du titre, « création musicale d’aujourd’hui »,
c’est de laisser aussi une place aux interprètes : il ne s’agira donc pas seulement de savoir com-
ment la musique est écrite mais aussi de voir comment elle est jouée, par qui, et avec quelle
expérience. Nous voudrions ainsi nous placer aux confins des deux domaines de la composition
et de l’interprétation. La « création musicale d’aujourd’hui » concernera aussi donc, d’une cer-
taine manière, ceux que l’on appelle justement les créateurs de l’œuvre : les interprètes. Surtout,
cela nous permettra de mettre en perspective ces deux mondes en apparence si différents : celui
de la musique contemporaine et celui de la musique ancienne ou en tout cas « sur instruments
anciens ». Pour ce faire, il sera nécessaire de porter attention à la fois au jeu sur les instruments
anciens, avec ses techniques, ses méthodes et sa philosophie, et au monde de la musique dite
« contemporaine ».

1.4  Objectifs et méthodes

Nous pouvons désormais, après ces quelques définitions, établir plus précisément ce que
nous chercherons et comment nous entendons y parvenir.
Tout d’abord, il est nécessaire de préciser que le recensement des œuvres ne saurait être
exhaustif, malgré tout le soin que l ’on pourrait apporter à son élaboration. Nous établirons donc
un corpus, certes qui se voudrait le plus complet et le plus ouvert, mais dont il faudra toujours
garder à l’esprit le caractère essentiellement lacunaire. C’est la raison pour laquelle nous ne
nous livrerons pas à de longues analyses statistiques qui seraient de toute manière altérées par
ces lacunes. Nous avons donc préféré opter pour une exploration sélective de ce corpus afin de
dégager quelques lignes de force et poser des jalons pour mesurer l’importance de ce répertoire
peu connu et imaginer quelques pistes de développement possibles.
19

Choix des œuvres étudiées

Le choix des œuvres retenues pour un examen plus approfondi s’est fait selon trois cri-
tères. Tout d’abord, on a privilégié les compositeurs revenant périodiquement aux instruments
anciens. Ils sont peu nombreux, mais quelques-uns font preuve d’un intérêt soutenu pour ces
instruments.
Deuxièmement, il nous a semblé intéressant de nous attacher à des pièces créées par des
ensembles ou des interprètes renommés, ce qui théoriquement devrait offrir au compositeur
une grande liberté quant à l’exigence technique. Ces pièces donnent aussi un aperçu des goûts
ou en tout cas des choix esthétiques faits par ces ensembles pour ce qui constitue souvent leur
première et dernière incursion dans la musique d’aujourd’hui.
Enfin, nous avons privilégié aussi une certaine pluralité esthétique, afin de rendre compte
au maximum de la diversité des approches.
Il y a bien sûr des choix qui se sont imposés d’eux-mêmes, dans la mesure où certains
répertoires sont très peu représentés. C’est le cas des pièces pour violon et violoncelle baroques
seuls par exemple. Il n’a pas non plus été possible d’associer tous ces critères, mais c’était sur-
tout la variété de l’échantillon qu’il semblait le plus important de sauvegarder.

Nature de l’étude des œuvres choisies

Dans l’étude de ces morceaux choisis, nous nous attacherons à examiner principalement
deux aspects nous semblant importants : l’exploitation des techniques et des caractéristiques
acoustiques de l’instrument, et l’extension et même éventuellement le contre-usage de ces pro-
priétés instrumentales.
Les techniques de jeu propres à ces instruments sont bien sûr essentiellement des tech-
niques « historiques » qu’il s’agira de définir précisément. Quant à la sonorité naturelle, c’est
celle qui émane de l’instrument utilisé selon ces techniques conventionnelles. Il sera donc inté-
ressant de voir comment ces caractéristiques préalables sont utilisées dans le discours musical.
Mais ces techniques pouvant vite s’avérer insuffisantes et limiter la liberté du composi-
teur, certaines recherches peuvent alors être menées vers une utilisation plus libérée des instru-
ments, vers de nouveaux gestes et de nouvelles sonorités qui néanmoins mènent parfois à un
contre-usage de l’instrument.
On aura donc soin de bien définir ce qui fait l’identité des instruments, ainsi que leur
usage, et pour cela il faudra passer par un examen historique et organologique détaillé.

Pour une réflexion globale sur le phénomène

Ces morceaux choisis doivent nous permettre d’initier une réflexion plus globale sur
l’usage de ces instruments inhabituels dans le répertoire contemporain. Il sera alors intéressant
20

de réfléchir à ce qui fonde la modernité des instruments anciens et à ce qui peut les rapprocher
des préoccupations des compositeurs d’aujourd’hui. Pour cela, nous prendrons en compte à la
fois les présupposés musicaux et idéologiques des uns et des autres, mais aussi les structures
socio-économiques qui sous-tendent la création, afin d’établir des lignes de convergence possi-
bles entre deux milieux en apparence si étrangers.
Enfin, nous nous pencherons sur le cas particulier de la viole d’amour qui nous semble
être justement un exemple convaincant d’intégration d’un instrument ancien. Nous tenterons
de déterminer quelles sont les causes de ce succès à concilier instrument antique et création
contemporaine la plus libre possible, c’est-à-dire débarrassée du carcan de la référence histo-
rique.
C’est par ces étapes que nous espérons simplement cerner un peu mieux les enjeux, et
les perspectives pour l’avenir, de ces instruments à cordes conçus pour un tout autre temps aux
préoccupations toutes différentes du nôtre, mais qui peuvent probablement encore nous dire,
d’une manière renouvelée, la Vérité du monde dans lequel nous vivons.

Les principaux critères décrivant la nature de la musique considérée étant posés, il est dé-
sormais nécessaire de se pencher sur les méthodes à appliquer dans la recherche documentaire.
Nous allons voir que les difficultés à surmonter touchent d’une part à la nature des sources de
documentation, et d’autre part à la manière de laquelle la musique y est indexée. Cela nous
amènera à pointer certains problèmes et à esquisser quelques solutions dans le domaine de la
gestion et de l’indexation des ressources documentaire concernant la musique d’aujourd’hui.

1.5  Les sources de documentation en musique contemporaine

L’établissement d’un corpus d’œuvres contemporaines, quelques soient les critères rete-
nus, n’est jamais chose aisée et cela est dû aux caractéristiques très spécifiques à ce répertoire.
D’abord, il n’existe pas de recensement systématique des œuvres créées. Bien sûr, des
catalogues existent pour des compositeurs en particulier, mais les études recensant des œuvres
sur des critères instrumentaux sont assez rares pour la période contemporaine7. Il faut bien dire
aussi que ces travaux deviennent assez rapidement obsolètes contrairement aux études sur les
périodes anciennes pour lesquelles, à moins de découvertes somme toute assez rares, le réper-
toire est clos.
Pour établir un corpus représentatif, il est nécessaire d’élaborer une liste des ressources
disponibles. Celles-ci sont de trois sortes : les bibliothèques, les éditeurs et les centres d’infor-

7.  Il faut néanmoins signaler, dans un domaine proche de celui qui nous intéresse, le catalogue de Frances
Bedford sur la musique de clavecin au 20e siècle : Bedford (Frances), Harpsichord and Clavichord Music of the
Twentieth Century, Berkeley, Fallen Leaf Press, 1993.
21

mation de musique contemporaine.

Les bibliothèques

Les partitions imprimées étant, dans la plupart des pays, soumises au dépôt légal au même
titre que les livres, il semble naturel de se tourner d’abord vers les catalogues des bibliothèques
nationales. Toutefois, quelques remarques s’imposent.
Tout d’abord, seules les partitions éditées sont systématiquement prises en compte. Ce
qui a deux conséquences directes : d’une part, bien sûr, le caractère incomplet de ces collec-
tions ; d’autre part, une inévitable concentration de compositeurs déjà reconnus, ce qui exclut
les compositeurs trop jeunes ou pas assez visibles. Sont presque totalement exclues aussi, les
œuvres considérées comme mineures et celles dont l’effectif est trop original, comme celles qui
nous intéressent ici par exemple. On peut encore ajouter les délais parfois importants entre la
création d’une œuvre et sa publication.
D’autre part, ces fonds étant intégrés à des collections généralistes, les interfaces de re-
cherche ne sont pas toujours bien adaptées à des supports spéciaux, tels que les partitions im-
primées. Ces problèmes dans les recherches automatisées tiennent à la fois aux normes de
catalogage — le plus souvent Intermarc ou Unimarc — et aux interfaces de recherche.
On rencontrera souvent les mêmes limitations dans les bibliothèques universitaires ou
dans d’autres institutions à vocation généraliste.

Les éditeurs

Pour la musique imprimée, on se tournera bien sûr vers les catalogues des éditeurs et
d’abord vers les catalogues « papier ». Même s’ils sont d’un maniement peu aisé, ils sont extrê-
mement utiles par l’exhaustivité des informations qu’ils contiennent : date de composition, ins-
trumentation complète, données sur la création etc. On pourrait être tenté de minimiser l’intérêt
de ces informations, mais il faut remarquer que leurs homologues informatisés ne contiennent
que rarement l’instrumentation complète, mais plutôt une mention vague ressemblant à « pour
petit ensemble » ou bien « orchestre symphonique ».
Il faut noter que l’inconvénient principal de ce support est l’impossibilité d’une auto-
matisation des recherches qui a pour conséquence un grand investissement en temps pour des
résultats souvent maigres, surtout dans le domaine des instruments « exotiques ».

Pour des recherches automatisées, on se tournera tout naturellement vers les catalogues
en ligne des éditeurs. Mais, outre que tous les éditeurs n’en disposent pas, on ne doit pas espérer
trouver les mêmes informations : la plupart de ces sites étant à visée marchande, ils n’intègrent
que le minimum d’informations nécessaire au visiteur moyen, qui est rarement à la recherche
de musique « savante » d’aujourd’hui. Cela limite immédiatement l’intérêt de la recherche
22

automatisée qui ne pourra alors se faire que sur un nombre limité de critères, et ne produira
qu’un nombre limité d’informations. De plus, toujours par souci mercantile, on n’y trouvera pas
toujours les partitions épuisées.

Enfin, signalons que certains éditeurs, tels que ceux distribués par Salabert, proposent
des copies électroniques de leur catalogues papier. Ils contiennent exactement les mêmes in-
formations que ces derniers, mais ont l’avantage de pouvoir donner lieu à des recherches auto-
matisées. Cela permet alors de repérer des termes précis tels que « viole » ou « baroque » par
exemple.

Les centres d’information sur la musique contemporaine

La source d’information la plus précieuse, et peut-être la plus évidente, c’est bien sûr
l’ensemble des centres d’information sur la musique contemporaine. Il en existe dans la plupart
des pays occidentalisés, disposant de moyens plus ou moins importants, et proposant un aperçu
le plus complet possible des musiques nationales. C’est là que l’on trouve les ressources les
plus complètes : partitions éditées, épuisées, inédites, enregistrements audio et vidéo, dossiers
documentaires etc. La richesse de ces fonds offre bien sûr des perspectives intéressantes. Mais
pour être vraiment utiles de tels fonds doivent être exploitables efficacement et pour cela il
est indispensable que les catalogues censés les décrire permettent une grande ergonomie de la
recherche, et particulièrement, dans le cas qui nous intéresse ici, dans la recherche sur l’instru-
mentation.
Pour dresser l’inventaire de ces centres à travers le monde, nous nous sommes appuyé
sur la liste des membres de l’International Association of Music Information Centers (IAMIC)8.
Ces centres disposent pour la plupart d’un catalogue informatisé consultable en ligne. Toute-
fois, tous ne sont pas également performants en ce qui concerne l’ergonomie des recherches sur
des critères d’instrumentation. Bon nombre ne proposent pas des critères assez précis pour la
recherche d’instruments rares tels que la viole de gambe ou les instruments baroques.

Remarquons encore que certains de ces centres sont regroupés sous la bannière de l’Euro-
pean Music Navigator9. On peut ainsi, par le biais d’une interface unique, faire des recherches
sur les sites de tous les membres de l’EMN. Bien que l’idée soit intéressante, la réalisation
s’avère finalement décevante. En effet, la recherche n’y est possible que par des requêtes sur
l’ensemble des textes : annonces de concerts, notices d’œuvres, actualités musicales etc. Il s’en
suit un grand nombre de réponses non pertinentes et finalement une recherche peu fructueuse
par rapport à la masse d’informations à trier.

8.  Disponible sur le site web de l’association : <http://www.iamic.net>.


9.  <http://www.musicnavigator.org>.
23

On peut constater que malgré une informatisation quasi généralisée des catalogues dispo-
nibles, les recherches sont encore malaisées, du fait de l’impossibilité de poser certains critères
tels que la date de composition, l’identité des créateurs ou, plus particulièrement pour notre
sujet, l’instrumentation.

1.6  Quelques remarques sur le catalogage de la musique imprimée

Ces problèmes ne sont pas liés, comme on pourrait le croire au premier abord, à la dispa-
rité des systèmes de catalogage, mais sont au contraire en partie le fait de leur normalisation. En
effet, et c’est là le revers de la médaille, plus un système est normalisé, plus l’inertie est forte
lorsque des changements sont souhaités. Les normes utilisées sont le plus souvent dérivées de la
famille MARC10. Il s’agit d’une norme générale à la bibliothéconomie et qui concerne autant les
livres que les disques, les partitions, les périodiques ou tout autre document que peuvent détenir
les bibliothèques et autres institutions appelées à conserver des collections documentaires. Cela
conduit à décrire dans un même cadre des documents extrêmement divers. Bien sûr, à l’inté-
rieur de ce cadre, des champs spécifiques sont prévus pour chaque format de document11. La
musique est traitée de manière relativement détaillée : des champs sont prévus pour le format
des partitions12, pour le genre, pour l’instrumentation. Tout cela pourrait sembler idéal, mais
trois types de problèmes se font jour quant à la description de l’instrumentation : des problèmes
au niveau de la norme elle-même, au niveau du catalogage dans les bibliothèques et au niveau
de l’interface de recherche.

Pour ce qui concerne les formats Unimarc et Intermarc, on pointera surtout des problè-
mes dans la description de l’instrumentation. Les listes de codes utilisées pour le codage des
instruments souffrent d’abord de lacunes gênantes : il n’y a pas de code pour l’accordéon par
exemple, un seul code pour toutes les guitares etc. Mais lorsque des codes existent, ils man-
quent de clarté : en Unimarc, la guitare est désignée par le code tb, la flûte traversière est codée
ob, ce qui pourrait être confondu avec le hautbois, et un orchestre de chambre sera représenté

10.  USMarc aux Etats-Unis, Unimarc et Intermarc en France; pour Unimarc voir les documents publiés
par l’IFLA et particulièrement l’Unimarc Manual à <http://www.ifla.org/VI/3/p1996-1/sec-uni.htm> ainsi que, en
français, International Federation of Library Associations and Institutions, Manuel Unimarc, München, K.G.
Saur, 2002 ; sur Unimarc et la musique voir Guidelines for using Unimarc for Music à <http://www.cilea.it/music/
tools/unimarc_music.htm>, ainsi que les recommandation de l’IFLA dans ISBD(PM): description bibliographique
internationale normalisée de la musique imprimée, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1998 (2de éd. rév.)
téléchargeable à <http://www.bnf.fr/pages/infopro/normes/pdf/ISBD(PM)_trad.pdf>.
11.  Dans la norme Unimarc par exemple, la zone de données codées 128: « interprétations musicales et
partitions ».
12.  « full score », « miniature score », « Klavierauszug » par exemple.
24

par le code wa13. Le format Intermarc14, quant à lui, ne propose pas plus de simplicité : sa pour
le violon et ka pour le piano, par exemple. Enfin, il n’y a pas de sous-champ permettant d’in-
diquer le nombre des instruments par famille ou le nombre total d’instruments. Il y a donc des
éléments à améliorer et à compléter pour permettre une description complète et efficace de
l’instrumentation15.
Toutes ces difficultés ont pour conséquence directe des lacunes dans les enregistrements
bibliographiques des bibliothèques. Le catalogage, dans quelque codage normalisé que ce soit,
est une opération délicate et qui demande la plus grande rigueur ainsi qu’une bonne connais-
sance du répertoire traité. Mais lorsque la norme de catalogage est elle-même peu précise et
difficile à manipuler, cela rend le codage encore plus délicat. C’est ainsi que, comme le note
Isabelle Gauchet, ces zones de données codées pour l’instrumentation « sont finalement peu
utilisées dans la pratique »16. Dès lors, la recherche ne peut plus s’effectuer que sur des titres et
sous-titres qui ne contiennent la plupart du temps que des indications vagues sur l’instrumenta-
tion : « pour ensemble », « pour x instrument », « pour orchestre de chambre » etc.
On trouve donc souvent des informations incomplètes au niveau du catalogage. Il n’est
pourtant pas rare non plus d’avoir un catalogage rigoureux et complet, mais aucun outil per-
mettant d’exploiter ces informations, les interfaces des catalogues étant rarement adaptées aux
recherches sur des documents musicaux. En effet, il est souvent difficile, même pour des col-
lections spécialisées, de faire des recherches précises sur l’instrumentation, n’ayant comme
critères possibles que le titre ou le compositeur par exemple. Cette situation est d’autant plus
exaspérante lorsque le catalogage est fait soigneusement et que les notices sont complètes.
Il y a donc un certain nombre de difficultés qui empêchent une recherche efficace dans
des collections pourtant informatisées. Les différents groupes de travail de l’IFLA travaillent à
des améliorations et font des propositions mais comme pour toute norme internationale, il faut
du temps pour répercuter les perfectionnements dans la pratique. Pour pallier rapidement à ces
difficultés sans attendre une révision de la norme Unimarc, trois institutions parisiennes17 se
sont associées pour mettre en place une « micro-norme » commune prenant mieux en compte
la question de l’instrumentation. En utilisant le bloc de données 9XX, réservé aux données lo-
cales, ces institutions ont permis de mettre en place rapidement une nomenclature extrêmement

13.  Gauchet (Isabelle), « La description de la musique », Bulletin des Bibliothèques Françaises, t. 47, n°
2, 2002, p. 86.
14.  Norme utilisée par la BNF.
15.  Voir Gauchet (Isabelle), op. cit. p. 87—89 ; pour quelques propositions précises d’amélioration dans
d’autres domaines que l’instrumentation, on peut consulter par exemple Gentili-Tedesi (Massimo), « Authority
control in the field of music : names and titles », Proceedings of the International conference « Authority control
: definizione e esperienze internazionali », Florence 10-12 février 2003, disponible à <http://wotan.liu.edu/dois/
data/Papers/autautcon16.html>. Plusieurs normes peuvent par ailleurs se croiser comme la norme MARC et les
pratiques du RISM par exemple, à ce sujet voir « Changes needed to accomodate RISM data-music incipit»,
MARC Discussion Paper n° 2004-DP01 (2004), disponible à <http://www.loc.gov/marc/marbi/2004/2004-dp01.
html>.
16.  Gauchet (Isabelle), op. cit. p. 86.
17.  L’IRCAM, le CDMC et la Cité de la Musique.
25

détaillée, tout en gardant la complète intégrité des notices par rapport au format MARC, ce bloc
9XX n’étant pas inclus lors des échanges entre bibliothèques. On ne détaillera pas l’organisa-
tion de ce bloc, mais on notera simplement que pour la première fois ont été prises en compte
les contraintes imposées par l’élargissement des fonds à des répertoires « non-conventionnels »,
tels que la musique contemporaine ou les musiques actuelles, là où on avait élaboré des normes
sur un répertoire borné entre le 18e et le début du 20e siècle. Surtout c’est la première fois que
l’on prend en compte les besoins des musicologues et chercheurs en offrant la plus grande di-
versité possible de critères de recherche.

De ces deux points de vue, les recherches dans le catalogue du CDMC sont de loin les
plus efficaces. Il serait évidemment souhaitable que toutes les bibliothèques puissent disposer
d’outils aussi performants de manière à assurer une recherche de qualité, c’est-à-dire la plus
exhaustive possible sur les critères les plus divers et les plus précis. Mais cela dépend à la fois
de l’évolution des standards internationaux, nécessairement lente, et de la volonté de ces ins-
titutions de mettre en valeur leurs fonds musicaux, ce qui demande un investissement autant
humain que financier.

1.7  Autres ressources documentaires

Si les recherches dans les catalogues des éditeurs et des centres de documentation ont été
poussées aussi loin qu’il était possible, nous n’avons pas pour autant négligé des recherches
plus empiriques telles que programmes de concert, de radio ou bien tout simplement le bou-
che-à-oreille et le hasard des lectures. Ces informations fragmentaires et disparates sont venues
enrichir le corpus, parfois de manière importante. Mais si cet enrichissement est précieux, et
complète utilement le catalogue des œuvres, il ne faut pas perdre de vue ici encore qu’il n’y a
là rien de systématique ou d’exhaustif, d’autant plus qu’il a bien fallu décider de clore le corpus
afin d’exploiter les données déjà collectées. Un certain nombre d’œuvres ont ainsi été découver-
te par ces hasards des rencontres, alors que le travail était déjà trop avancé pour en tenir compte
ou leur réserver le traitement qu’elles auraient pourtant mérité. C’est parfois avec une grande
frustration que nous avons dû renoncer à évoquer aussi complètement que nous l’aurions voulu
un certain nombre de références portées trop tard à notre connaissance.
Mais nous avons néanmoins pris le parti de les intégrer au catalogue, lorsque cela était
possible. En effet, celui-ci doit pouvoir continuer à s’enrichir, étant par nature, du moins l’es-
pérons-nous, work in progress.

Nous nous sommes efforcé de mettre en exergue les problèmes spécifiques à la consti-
tution d’un corpus de musique contemporaine, mais il faut toutefois préciser que malgré tout,
nous avons pu constituer une base de travail tout à fait satisfaisante pour les buts que nous nous
sommes fixés. Surtout, malgré ses manques, ce catalogue saura trouver son utilité dans la pro-
26

motion et la diffusion des œuvres auprès des musiciens baroques et de leur public. Pour cela, sa
mise en ligne est dores et déjà en cours afin de permettre sa mise à jour régulière ainsi qu’une
recherche automatisée et efficace.
Chapitre 2
Aperçu général du corpus

Malgré les difficultés d’ordre documentaire que nous avons pointées au premier chapi-
tre, nous avons pu répertorier un certain nombre d’œuvres destinées aux instruments anciens1.
Si l’on ne saurait y trouver la fiabilité nécessaire à un traitement statistique rigoureux2, il est
néanmoins possible d’établir un aperçu nous renseignant sur les tendances générales de ce pan
particulier de la création musicale d’aujourd’hui.

2.1  Repères chronologiques et géographiques

On peut tirer un certain nombre d’enseignements intéressants du simple examen des dates
de composition (Tableau 2.1). On remarquera ainsi d’abord que les plus anciennes compositions
se situent tout de même dans le courant des années 1950, soit au tout début du développement
des instruments anciens, avant même que la reconnaissance du public ne vienne sanctionner
les efforts de reconstruction des pionniers de la musique ancienne. Ces premières compositions
sont bien sûr destinées à la viole de gambe, le violon baroque étant une « invention » ultérieure.
Mais on remarquera aussi que la production d’œuvres pour cordes baroques est assez soutenue
quelles que soient les époques et va même naturellement en augmentant, avec le développement
croissant de la musique ancienne et des instruments historiques.
Quant à l’origine géographique des compositions (Tableau 2.2), il faut noter l’importance
du répertoire britannique, essentiellement destiné aux consorts de violes de gambe. Ce fait
trouve son explication bien sûr dans la tradition toute anglaise de ce répertoire, c’est-à-dire à la

1.  Le catalogue de ces compositions se trouve en fin de volume.


2.  Il est en effet indispensable de garder à l’esprit tout au long de ce chapitre, que la sur-représentation de
certaines aires géographiques, ou au contraire la sous-représentation, sont en corrélation directe avec l’existence
d’un centre d’information sur la musique contemporaine, son efficacité, la qualité de son interface de recherche,
etc.
28

1945–1959 1960–1969 1970–1979 1980–1989 1990–1999 2000– … Total


Instrument solo 1 4 4 17 4 30
Consort de violes 1 1 1 19 15 38
Petits ensembles 2 7 3 4 15 4 35
Orchestre baroque 1 2 4 7
Orch. et instr. baroque 1 1
Vocal et instr. baroques 2 1 7 11 25 17 63
Total 4 10 15 21 79 34

Tab. 2.1 – Œuvres par année de composition

Canada et USA Royaume-Uni France et Belgique Pays germaniques Autres

Instrument solo 4 12 9 2 6
Consort de violes 4 22 9 2 2
Petits ensembles 12 7 5 3 5
Orchestre baroque 2 3 7
Orch. et instr. baroque 1 1
Vocal et instr. baroques 4 28 26 3
Total 27 72 60 17 13

Tab. 2.2 – Œuvres par pays et par type

fois le besoin des compositeurs d’écrire pour ces formations, et la présence d’interprètes pour
jouer ces œuvres. On s’étonnera plus, surtout du point de vue d’un européen — l’Europe étant
le berceau de la renaissance des instruments anciens — de l’étendue du répertoire nord-améri-
cain collecté. On constate, et cela dès les premières décennies étudiées, une relative importance
en volume, des œuvres de compositeurs américains et canadiens. Ainsi, nombreuses sont les
pièces pour viole de gambe composées dans ces pays. Ces dernières années, les pièces pour
groupes d’instruments baroques s’y sont aussi multipliées. Nous verrons que cela tient pour
beaucoup à quelques acteurs qui jouent un rôle de moteur dans la création pour ces instruments,
qui reste néanmoins marginale dans le contexte de la musique nouvelle en général.
En France et en Belgique, on trouvera là aussi nombre de pièces destinées à des instru-
ments baroques. Néanmoins, si l’on rapporte le nombre de ces compositions à l’intense activité
de ces deux pays dans le champ de la musique ancienne, leur relative rareté est aussi étonnante,
sinon plus, que le relatif dynamisme du Royaume-Uni ou des pays nord-américains.
Enfin, en ce qui concerne les autres pays, la production est extrêmement réduite pour
chaque nation, avec néanmoins un certain nombre de pièces de compositeurs des pays nordi-
ques, surtout la Suède et la Finlande, et des pays germaniques (Allemagne, Autriche et Suisse).
L’Europe de l’Est semble très peu concernée par ce type de créations3 tandis que le sud en est
quasiment absent.

3.  C’est probablement tout simplement la rareté des interprètes spécialisés dans ces pays qui explique cette
absence.
29

Il faut néanmoins prendre ces chiffres avec prudence. D’abord parce que le corpus n’est
pas assez étendu (180 œuvres) et exhaustif, et ensuite parce que dans ce manque d’exhaustivité,
il y a aussi probablement un manque d’homogénéité dû, comme nous le pointions plus haut, à la
qualité variable des outils de recherche. De plus, il faut bien noter que nous n’envisageons que
la musique pour les cordes baroques : le répertoire de la flûte à bec ou du clavecin, par exem-
ple, ne sont pas considérés, ce qui offrirait des équilibres chronologiques et géographiques très
différents.
Nous pouvons simplement tirer de cela deux idées principales :
•  la création de musique nouvelle pour instruments anciens, surtout pour la
viole de gambe, n’est pas un phénomène récent mais existe depuis soixante ans.
•  dans les pays d’Amérique du Nord et au Royaume–Unis il y a une dyna-
mique assez forte d’écriture de musique nouvelle pour les cordes baroques. La France est elle
aussi très concernée.

2.2  L’instrumentation

Le catalogue présente certaines tendances dans les choix des instrumentations qu’il nous
faut commenter. D’abord, il est remarquable que la viole de gambe est extrêmement présente
dans tout le catalogue, à toutes les époques, et, proportionnellement, dans tous les pays. Plus
encore, le consort de violes, qu’il accompagne un chanteur – évocation des consort songs de
la période élisabéthaine – ou qu’il soit utilisé pour lui-même, semble séduire particulièrement
les compositeurs. On a noté la prépondérance de ces formations au Royaume-Uni, mais elles
semblent d’une manière générale être le moyen le plus « sûr » d’écrire pour les violes : les
questions d’homogénéité ou tout simplement d’équilibre en volume ne se posent pratiquement
pas si l’on a affaire à des instruments de la même famille. À cela s’ajoutent des considérations
plus pratiques, ces compositions étant commandées par des consorts. Si le genre méritait d’être
renouvelé, les compositeurs s’en trouvent néanmoins bridés quant aux possibilités de faire va-
rier les timbres.
Dans la même idée d’une facilité d’association, les pièces destinées à des groupes d’ins-
truments baroques permettent là encore une bonne homogénéité et on remarque ainsi que la
viole de gambe est plus volontiers associée au traverso, à la flûte à bec ou au luth qu’à des
instruments à cordes « modernes ». Il y a là aussi, encore une fois, une question pratique à ces
choix : ce sont plutôt des ensembles d’instruments anciens qui commandent et jouent ces piè-
ces.
Pourtant un certain nombre de compositeurs tentent tout de même des associations plus
risquées. Ainsi, Klaus Huber ( 1924– ) n’hésite-t-il pas à associer, dans …ausgespannt… (1972),
la viole de gambe à des cordes « modernes » (violons, altos, violoncelles et contrebasse) et
autres hautbois, calrinette et basson, eux aussi « modernes ». François Rossé (1945– ) quant à
lui, propose dans OEM un instrumentarium très inhabituel en mêlant les sons de l’accordéon,
du cor anglais, de la guitare basse, du saxophone à ceux d’une voix de soprano, d’un clavecin
30

et d’une viole de gambe. Le tout est amplifié, et certains sons sont transformés par des pédales
d’écho, de réverbération, de distorsion. On est très loin ici d’un son baroque ! Mais ce genre
d’expériences demeure assez rare.
On note enfin une assez grande importance du répertoire vocal accompagné par les cordes
baroques. Là, l’influence de modèles anciens tels que cantates, motets, madrigaux est manifeste.
Et encore une fois, cela correspond aussi à la structuration du monde de la musique ancienne, ce
que nous préciserons avec plus de détails plus loin.
On peut donc retenir :
•  d’une part une prépondérance des ensembles d’instruments baroques dans
ces compositions, par opposition à des ensembles mixtes baroque–moderne
•  d’autre part l’importance du répertoire vocal, qui offre des formes ancien-
nes paraissant s’imposer naturellement aux compositeurs.

2.3  Les compositeurs

Qui écrit pour les cordes baroques ? à l’examen du corpus on s’aperçoit que les profils
des compositeurs qui se sont intéressés à ces instruments sont extrêmement variés. En effet, de
Henri Pousseur à Gavin Bryars en passant par des personnalités moins célèbres telles que Elias
Gistelinck ou Matthew Hindson, toutes les esthétiques et tous les styles semblent représentés.
Mais sans parler même de leurs styles, on peut séparer les compositeurs en deux catégo-
ries : ceux qui écrivent régulièrement des pièces destinées à des cordes baroques, et ceux qui
n’ont pas plus d’une ou deux œuvres à leur catalogue. Dans le premier groupe on classera des
compositeurs tels que Ivan Moody, Barry Guy, John Tavener, Thierry Pécou, John Woolrich
ou bien encore Olli Virtaperko. Dans le deuxième groupe, on trouverait presque tous les autres
compositeurs. Il s’agit dès lors d’affiner en étendant quelque peu la définition afin d’inclure
dans le premier groupe tous les musiciens ayant une certaine habitude de composer pour les
instruments anciens en général. La liste s’enrichit alors des noms de Brice Pauset, François
Rossé, Christian Rosset, Klaus Huber …
Mais avant d’évoquer ces personnalités et l’attrait particulier qu’elles ont pu éprouver
pour les instruments anciens, examinons un peu ce qui a pu pousser les autres compositeurs à
écrire une pièce isolée pour des instruments qu’ils connaissaient peu ou pas.

Certains noms plus connus que les autres attirent l’attention dans le catalogue : George
Benjamin, Henri Pousseur, Maurice Ohana, Pascal Dusapin, Betsy Jolas, Harrison Birtwistle,
Alessandro Solbiati. Tous n’ont écrit qu’une ou deux pièces incluant des cordes baroques, au
gré de circonstances parfois impromptues.
Ainsi, la pièce de Maurice Ohana (1913–1992), Nuit de Pouchkine (1990) pour haute-
contre, chœur et viole de gambe est-elle le fruit de circonstances très particulières :
31

Nuit de Pouchkine est né de circonstances imprévues. Accompagnant le


groupe Musicatreize lors d’une tournée en U.R.S.S., en novembre 1990, Oha-
na accepte le pari d’écrire en deux jours, à Léningrad, une pièce susceptible
de compléter un programme de concert modifié au dernier moment. Ayant à
son répertoire de la musique ancienne, le groupe s’était adjoint un haute-con-
tre et une viole de gambe. Ohana décide de les utiliser, choisit quelques vers
de Pouchkine qui s’accordent à la grandeur et à la beauté du lieu, et compose
sur le champ cette pièce, vision inspirée par le Cavalier d’Airain tourné vers
la Néva, sous la lune pâle d’une Russie mythique, grandiose, à la mesure de
ses immenses espaces et du prestigieux passé de Saint-Pétersbourg.4

Cette anecdote, si elle est extrême dans l’importance du contingent, est néanmoins assez
représentative des circonstances qui accompagnent habituellement la naissance de pièces pour
cordes baroques dans ce groupe de compositeurs  : le hasard d’une rencontre, une commande
à honorer amènent à écrire des œuvres pour des instruments auxquels on n’avait même jamais
pensé. C’est ainsi que la pièce de George Benjamin (1961– ) pour mezzo et consort de vio-
les, Upon Silence (1990), est née de la rencontre avec un des membres de l’ensemble anglais
Fretwork :

Écrire pour des instruments anciens était étrange à cette époque. Après
avoir écouté un gambiste dans ma classe, je suis devenu obsédé par cette so-
norité, proche parfois des instruments de la tradition indienne, qui m’inspirait
beaucoup à cette époque.5

L’œuvre est donc née d’un rencontre presque fortuite mais qui s’est produite au moment
opportun, c’est-à-dire à un moment où les préoccupations de Benjamin, la musique indienne
et la musique de Purcell, étaient en résonnance avec l’objet nouveau que constituait pour lui la
viole de gambe. Cette obsession du son de la viole n’a pourtant pas perduré et Benjamin n’a
depuis plus jamais écrit pour l’instrument.

Mais le plus souvent, ce sont des commandes de circonstance qui amènent les compo-
siteurs à ces instruments. Les pièces de Betsy Jolas (1926– ) et Pascal Dusapin (1955– ) pour
grandes formations sont représentatives de la plupart des autres pièces isolées, quant à leur
genèse : c’est au travers de commandes ponctuelles que naissent ces œuvres sans qu’il y ait
nécessairement un intérêt particulier pour les instruments6. Dans le cas des deux œuvres de
Jolas et Dusapin, il reste néanmoins une marge de manœuvre dans le choix des instruments,
tant la palette offerte par les deux ensembles impliqués — la Chapelle Royale et les Arts Floris-
sants — est large à l’intérieur du groupe restreint des instruments anciens : Dusapin choisit de
se limiter aux cordes quand Jolas convoque un orchestre aux dimensions symphoniques. Mais

4.  Texte de Christine Prost dans le livret du disque Calliope CAL 9876.
5.  Benjamin (George), Les règles du jeu : entretiens avec éric Denut, Paris, Musica Falsa, 2004, p. 69–70.
6.  Ce qui ne signifie pas désintérêt pour la musique du passé.
32

les contraintes sont les mêmes, et les recherches sur le timbre, les tempéraments, l’articulation
propres aux cordes baroques sont un investissement coûteux pour une seule œuvre, si bien qu’il
manque probablement à ces compositeurs « occasionnels » de musique pour cordes baroques,
une certaine maturité dans ces œuvres de circonstance.
Nous avons évoqué là des noms qui s’imposaient par une certaine renommée, mais on
notera aussi sans tenter de l’expliquer maintenant, l’absence de certaines figures essentielles de
la musique de l’après-guerre, telles que Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, György Ligeti7,
ou Luciano Berio. Cette absence a probablement un sens, au-delà des questions de génération,
car ces compositeurs ont été directement contemporains de l’essor formidable des instruments
anciens.

La plupart des compositeurs dont plusieurs œuvres sont répertoriées dans le catalogue
présentent certains traits communs tels qu’un intérêt particulier pour le répertoire de musi-
que ancienne ou voire même la pratique de ces instruments. Ainsi, par exemple, Brice Pauset
(1965– ) a-t-il pratiqué le clavecin, le violon baroque et la viole d’amour, après des études de
piano et de violon au CNR de Besançon. Il a aussi enseigné l’analyse et l’esthétique de la mu-
sique baroque dans ce même établissement. Sa musique, qu’elle soit destinée aux instruments
anciens ou non, se nourrit souvent des techniques et de certaines conceptions théoriques du
passé. Mais au-delà des techniques anciennes il n’hésite pas non plus à faire parfois appel aux
instruments idoines. Outre Vanités (2000), qui est destinée à un ensemble baroque, Pauset a
ainsi écrit Six Préludes pour le clavecin (1999) et, pour le pianoforte, Kontra-Sonate (2000)8. Il
avait déjà intégré, dans M (1996), un petit groupe baroque composé d’un clavecin, d’un théorbe
et d’une viole d’amour.
C’est sur un plan plus musicologique que se situe l’intérêt d’Ivan Moody (1964– ) pour
la musique ancienne : collaborateur régulier et membre du comité éditorial de Goldberg9, il
a édité un grand nombre d’œuvres de musique ancienne et écrit des articles pour des revues
musicologiques, parmi lesquelles Early music, autant dans le domaine de la musique ancienne
que contemporaine. C’est cette connaissance musicologique, mais aussi sa foi orthodoxe et
l’inspiration musicale qu’il y puise, qui l’ont amené à utiliser un instrumentarium ancien dans
nombre de ses œuvres.

D’autres, tels étienne Rolin (1952– ) et François Rossé (1945– ), partagent des préoccu-
pations communes comme le rapport à l’improvisé — ils sont tout deux improvisateurs— mais

7.  Ses pièces pour clavecin ne relèvent pas vraiment des instruments anciens, hormis peut-être la Passaca-
glia Ungherese (1979) qui peut s’accommoder assez bien d’un clavecin historique dans la mesure où le composi-
teur préconise un tempérament mésotonique.
8.  Sur cette pièce, on trouvera un intéressant échange entre le dédicataire, Andreas Staier, et le compositeur
dans le premier numéro de L’inouï (2005, p. 124–133).
9.  Goldberg est un magazine grand public spécialisé dans la musique ancienne. Malgré son caractère grand
public, ce magazine s’efforce d’apporter une information de qualité et irréprochable scientifiquement au travers
d’articles de fond et d’une riche iconographie.
33

aussi le souci d’écrire des pièces didactiques10 . écrivant tout deux dans ce contexte pour la flûte
à bec, les rencontres avec le monde de la musique ancienne se sont faites de manière assez na-
turelle, amenant commandes et dédicaces. Dans les mêmes milieux de praticiens-pédagogues,
il faut ajouter le nom de Patrick Blanc, flûtiste et enseignant, qui a composé, outre son Dialogo
con Orfeo (1997), nombre de pièces pour son instrument.
Ces rencontres sont aussi à l’origine de la récurrence de la présence d’une viole de gambe
dans les œuvres de Thierry Pécou (1965– ). Sylvia Lenzi, la violoncelliste de l’ensemble Zellig
qui crée la plupart de ses pièces est aussi une gambiste accomplie. Quant à Barry Guy (1947– ),
outre qu’il joue lui-même de la contrebasse baroque11, sa femme, Maya Homburger, est une
violoniste reconnue dans le milieu de la musique ancienne. Cette proximité avec des musiciens
baroques permet des expérimentations approfondies de sonorité et de techniques nouvelles sur
ces instruments.
Certains compositeurs enfin, sont non seulement praticiens des instruments anciens mais
aussi interprètes de leurs œuvres. C’est le cas d’Olli Virtaperko (1973– ) et bien sûr de Paolo
Pandolfo. Il y a là une manière d’artisanat ressemblant beaucoup à ce qu’était le statut des musi-
ciens jusqu’au 19e siècle : des instrumentistes qui jouaient leurs propres œuvres. Olli Virtaperko
écrit des pièces pour l’ensemble Ambrosius dont il est l’un des fondateurs, tandis que les pièces
de Paolo Pandolfo se sont inscrites surtout dans un projet discographique particulier. On ajou-
tera encore le nom de Roy Whelden, gambiste d’American Baroque, compositeur et arrangeur
de nombre de pièces interprétées par l’ensemble.
Enfin, le cas de John Tavener (1944– ) illustre à la fois un goût du compositeur pour ces
sonorités anciennes — il écrit et adapte des pièces pour l’ensemble Fretwork, pour l’Academy
of Ancient Music — et dans le même temps le goût pour sa musique, très appréciée d’un large
public, de la part des interprètes qui lui passent commande.

Ces questions de goût nous amènent à une dernière remarque, d’ordre stylistique celle-
là : malgré le large éventail esthétique balayé par les œuvres répertoriées, la plupart des com-
positeurs appartient d’une part à une génération qui n’a pas connu l’immédiat après-guerre et
son radicalisme avant-gardiste, sauf exceptions notables telles que Klaus Huber et Harrison
Birtwistle, et d’autre part à un courant esthétique qui se situerait plutôt même à l’opposé de
cette avant-garde et de ses héritiers. Les figures de John Tavener et Gavin Bryars (1943) sont
emblématiques, mais d’autres contribuent à teinter ce répertoire pour cordes baroques d’une
couleur « postmoderne »12: Philippe Hersant (1948– ), Michael Nyman (1947– ), dans une cer-
taine mesure Pascal Dusapin et surtout les compositeurs moins connus tels que Ivan Moody,
Matthew Hindson (1968– ) ou bien encore élias Gistelinck (1935– ).

10.  Etienne Rolin est saxophoniste et François Rossé, pianiste. Les deux musiciens ont eu plusieurs fois
l’occasion de collaborer à des projets musicaux.
11.  Il est probablement plus connu comme contrebassiste de jazz.
12.  Le terme « postmoderne » est à prendre ici dans le sens commun, c’est-à-dire comme synonyme d’une
facilité d’écoute, de plaisir immédiat mais aussi d’hybridation. Le terme sera discuté plus longuement au chapitre
6.
34

Il semble donc qu’il y ait une certaine esthétique dominante dans ces répertoires, esthéti-
que qui se situerait plus du côté de la recherche d’une certaine facilité d’écoute — et d’interpré-
tation — et qui s’exprimerait soit parce que les instruments anciens répondent aux aspirations
musicales des compositeurs soit parce que cette esthétique conviendrait particulièrement bien
aux commanditaires et interprètes. Il ne faut toutefois pas oublier qu’il y a des exceptions,
comme le retour périodique de Klaus Huber aux instruments anciens, qui devront elles aussi
être expliquées.

2.4  Les interprètes

Les interprètes de ces partitions peuvent eux aussi se séparer en deux groupes : ceux qui
interprètent régulièrement des œuvres contemporaines et ceux qui ne le font que rarement ou
même qui ne l’on fait qu’une fois.
Les ensembles intéressés par ces répertoires nouveaux sont peu nombreux. Le premier
fut sans conteste l’ensemble Alarius. Cet ensemble fut fondé en 1954, entre autres, par le cla-
veciniste Robert Kohnen, et fut rejoint en 1959 par Wieland Kuijken et plus tard par son frère
Sigiswald. Cet ensemble était essentiellement intéressé par l’interprétation de la musique des
17 et 18e siècles mais ses principaux membres participaient aussi aux activités de l’ensemble
de musique contemporaine Musiques Nouvelles13. C’est ainsi que furent commandées les deux
œuvres de Henri Pousseur, Madrigal pour quatre instruments anciens (1961), et Pierre Bartho-
lomée (1937– ), Tombeau de Marin Marais (1961), inscrites au catalogue. Il ne subsiste une
partition que pour la première, la seconde étant malheureusement perdue.
De même, le Huelgas Ensemble de Paul van Nevel, s’il apparaît peu dans ce catalogue,
avait quant à lui une activité soutenue dans le domaine de la musique contemporaine dans les
premières années après sa formation, en 1971. La pièce intitulée De lange tijd (1975) de Frans
Geysen (1936– ) en est un témoignage.

L’ensemble Fretwork, s’il est plutôt intéressé lui aussi par le répertoire ancien, principa-
lement celui du consort anglais de la période élisabéthaine, apparaît comme un pionnier dans
sa politique volontariste de commande aux compositeurs. C’est suite à sa première collabora-
tion avec un compositeur vivant, en 1990 avec George Benjamin, que l’ensemble entreprend
d’élargir son répertoire aux musiques d’aujourd’hui. Dès lors les créations se succèdent, avec
des pièces de Simon Bainbridge (1952– ) et Michael Nyman (1944– ), et s’accélèrent avec la
collaboration de Fretwork aux commémorations du trois centième anniversaire de la mort de
Henry Purcell, en 1995. Avec le South Bank Centre de Londres, l’ensemble passe commande

13.  L’ensemble Musiques Nouvelles a été fondé en 1962 à Liège par Henri Pousseur et Pierre Bartholo-
mée et est toujours en activité aujourd’hui, sous la direction de Jean-Paul Dessy ; pour un aperçu de l’histoire de
l’ensemble de sa fondation à 2003 voir Pirenne (Chrstophe), « Histoire de l’ensemble Musiques Nouvelles » dans
Pirenne (Christophe) et Haine (Malou) éd., Les musiques nouvelles en Wallonie et à Bruxelles (1960-2003), Liège,
Mardaga, 2004, p. 37–90.
35

Compositeur Titre Instrumentation Année

George Bejamin Upon Silence mezz, consort de violes 1990


Michael Nyman Self-laudatory hymn of Inanna and her ct, consort de violes 1992
omnipotence
Simon Bainbridge Kinneret Pulse consort de violes 1992
Elena Firsova Phantom consort de violes 1993
Thea Musgrave Wild Winter satb, consort de violes 1993
Simon Bainbridge Henry’s Mobile consort de violes 1994
Tan Dun A sinking Love sop, consort de violes 1994
Poul Ruders Second Set of Changes consort de violes 1994
Peter Sculthorpe Djlile consort de violes 1994
Alessandro Solbiati A nameless pod consort de violes 1995
John Woolrich Fantazia consort de violes 1995
Barry Guy Buzz consort de violes 1995
Benedict Mason Room Purcell consort de violes 1995
Elvis Costello Put Away Forbidden Playthings ct, consort de violes 1995
Dmitri Smirnov The Lamb consort de violes 1995
Gavin Bryars In Nomine (After Purcell) consort de violes 1995
Sally Beamish In Dreaming ten, consort de violes 1995
John Tavener Nipson ct, consort de violes 1999
John Tavener Apokatastasi ct, consort de violes, 6 bols 1999
tibétains
Andrew Keeling Afterwords consort de violes 1999
Alexander Goehr 3 Sonnets & 2 Fantasias ct, consort de violes 2000
Orlando Gough Birds on Fire consort de violes 2001
Duncan Druce The Garden of Cyrus consort de violes 2002

Tab. 2.3 – Répertoire de musique nouvelle de l’ensemble Fretwork


36

de douze œuvres pour consort de violes répondant aux douze Fantazias à trois et quatre violes
et aux deux In Nomine de Purcell. Les douze compositeurs qui se sont pliés à ce jeu ont ainsi
notablement enrichi le répertoire contemporain de l’ensemble, et des consorts de violes en
général. Un disque regroupant certaines de ces compositions est paru sous le label Virgin Clas-
sics14. Nous donnons dans le tableau 2.3 la liste des compositions commandées par ou destinées
à l’ensemble Fretwork.
À la suite de Fretwork, d’autres consorts de violes se sont risqués à la création d’œuvres
nouvelles tels le Rose Consort of Viols ou l’ensemble Concordia mais d’une manière moins
importante, n’ayant suscité que quelques pièces chacun. Le Yukimi Kambe Viol Consort semble
quant à lui vouloir poursuivre une politique de commande régulière depuis quelques années
déjà, mais avec une diffusion moindre — en tout cas en Europe — que l’ensemble Fretwork qui
jouit d’une notoriété plus importante.

L’ensemble American Baroque voudrait quant à lui confronter de la musique nouvelle


américaine, par des commandes et des collaborations, aux œuvres du 18e siècle. C’est ce que
signifie ce nom d’American Baroque, en quelque sorte un plaidoyer pour une musique baroque
américaine. Outre les compositions du gambiste de l’ensemble, Roy Whelden (1950– ), Ame-
rican Baroque a collaboré notamment avec le collectif Common Sense15 et Jonathan Berger
(1954– ). Le répertoire contemporain de l’ensemble est ainsi exclusivement composé d’œu-
vres de compositeurs américains souvent d’esthétique minimaliste ou répétitive (Circa, Belinda
Reynolds) et faisant un large usage de la citation (Tamper resistant, Dan Becker).
Dans le même esprit, l’ensemble finlandais Ambrosius mêle à ses programmes les com-
positions nouvelles du violoncelliste Olli Virtpenko (1973– ) et d’autres compositeurs, à des
arrangements pour instruments baroques de morceaux de Frank Zappa. Allant encore plus loin
qu’American Baroque, Ambrosius ne joue pratiquement que des «  nouvelles musiques » sur les
anciens instruments, prenant ainsi ceux-ci pour eux-mêmes, sans alibi historique.

Les grands ensembles de musique baroque les plus connus des mélomanes sont quant
à eux relativement rares, la plupart n’apparaissant qu’une seule fois. C’est ainsi que les Arts
Florissants et la Chapelle Royale, comme nous l’avons déjà vu, n’ont suscité chacun qu’une
œuvre, dans des circonstances particulières. Les trois œuvres créées par le Concert Spirituel
d’Hervé Niquet, Méditation pour le Carême d’Elias Gistelinck, Terra Dolorosa de Thierry Es-
caich et Tristis de Patrick Burgan, l’ont été dans le même concert du 7 mars 2002, commandes
de Musique nouvelle en liberté. L’ensemble n’a plus créé de nouvelle œuvre par la suite. De
même, si Lichtzwang, de Gualtiero Dazzi, a été donné à plusieurs reprises par le Parlement de
Musique de Martin Gester, l’autre pièce qui lui a été dédiée, Our de François Rossé, n’a en fait

14.  Sit Fast, CD Virgin Classics 7243 5 45217 2 0.


15.  Common Sense est un collectif de compositeurs américains. Pour plus de détails, voir au chapitre 4
le paragraphe consacré aux compositions regroupées sur le disque The Shock of the Old (Santa Fe New Music
CD000513).
37

jamais été interprétée par ses dédicataires. L’ensemble Stradivaria a créé deux œuvres inscrites
au catalogue : Folia de Jean-Yves Bosseur, en 2000, et, de Gérard Garcin, La ultima puerta ou
le dernier combat de Clorinde, en 1987.
L’Academy of Ancient Music semble être le seul groupe d’instruments anciens à vouloir
développer sa politique de commande. L’ensemble a ainsi créé deux pièces de John Tavener
(1944– ), Total Eclipse (1999) et Eternity’s Sunrise (2000), et une œuvre de David Bedford
(1937– ), Like a Strand of Scarlett (1999). En 2003, une pièce de John Woolrich (1954– ),
Arcangelo, a été commandée pour célébrer le 350e anniversaire de la naissance d’Arcangelo
Corelli (1653–1713) et pour les commémorations Mozart de 2006, une pièce de Thea Musgrave
(1928– ), Journey into Light.
On retrouve ainsi la plupart des grands ensembles baroques dans ce catalogue, mais la
plupart du temps de manière isolée pour une ou deux œuvres : il semble que tous aient été
confrontés au moins une fois à la musique d’aujourd’hui mais que cela ne devienne que rare-
ment une habitude (tableau 2.4).

Chez les musiciens solistes, on remarquera que certains noms reviennent à plusieurs re-
prises. Pour le violon baroque, le nom de Maya Homburger reste naturellement attaché à celui
de son mari, Barry Guy, tandis qu’à la viole de gambe c’est surtout Matthieu Lusson, créateur
de pièces de Rosset, Bosseur et Hersant qui revient le plus souvent. Peggy Sampson, élisabeth
Matiffa, Sylvie Mocquet, Christine Plubeau et Marianne Müller sont quant à elles aussi présen-
tes plusieurs fois. Comme nous le signalions plus haut, Sylvia Lenzi est, en tant que membre
de l’ensemble Zellig, présente à toutes les créations de pièces de Thierry Pécou, sauf la toute
première, le Tombeau de Marc-Antoine Charpentier (1995), pour laquelle la partie de viole était
confiée à élisabeth Matiffa.

Si quelques-uns des ensembles de musique baroque les plus connus ont approché la musi-
que d’aujourd’hui au moins une fois dans leur histoire, et que certains semblent vouloir en faire
une habitude, on remarque que le répertoire nouveau est surtout porté par quelques ensembles
spécialisés. De même, les instrumentistes quelque peu habitués à cette musique nouvelle sont
finalement assez peu nombreux.

2.5  Commanditaires et dédicataires

Beaucoup d’œuvres sont le produit de commandes faites aux compositeurs. Comme nous
le soulignions en 2.2, certains compositeurs n’auraient peut-être même jamais écrit pour les
cordes baroques s’ils n’en avaient reçu commande. Les commandes d’interprètes sont les plus
fréquentes que ce soit pour les pièces créées par des ensembles spécialisés ou par des « occa-
sionnels ». Un certain nombre ont aussi été commandées par des festivals ou pour des occasions
spéciales telles que le tricentenaire de la mort de Henry Purcell (Fretwork) ou bien l’inaugura-
38

Ensemble baroque Compositeur Titre Année

Les Arts Florissants Betsy Jolas Motet III 1999


La Chapelle Royale Pascal Dusapin Medeamaterial 1991
Le Concert Spirituel Thierry Escaich Terra Dolorosa 2002
Elias Gistelinck Méditation pou le Carème 2002
Patrick Burgan Tristis 2002
Stradivaria Gérard Garcin La Ultima Puerta 1987
Jean-Yves Bosseur Folia 2000
The Academy of An- John Tavener Total Eclipse 1998
cient Music David Bedford Like a Strand of Scarlett 1999
John Tavener Eternity’s Sunrise 2000
John Woolrich Arcangelo 2003
Thea Musgrave Journey into Light 2006
Taverner Players Hans Werner Henze Kleine Elegien 1984–85
Ivan Moody Revelation 1995
Taffelmusik Baroque Emily Doolittle Falling Style 2000
Orchestra Emily Doolittle Green Notes 2001
The Orchestra of the John Woolrich The Theatre represents a Garden 1991
Age of Enlightenment
Jonathan Dove Figures in the Garden* 1991
Jonathan Dove The Middleham Jewel 2003
Akademie für Alte Jonathan Dove Köthener-Messe 2002
Musik Berlin

* pour quintette de vents

Tab. 2.4 — Répertoire de musique nouvelle des


grands ensembles de musique ancienne
39

tion de l’orgue de la Chapelle Royale de Versailles (Thierry Pécou, Le Tombeau de Marc-An-


toine Charpentier). Autant dire que la plupart des commandes sont largement circonstanciées
et ne laissent que peu de choix aux compositeurs dans l’instrumentation.
Toutefois, il faut tout de même remarquer que l’attitude consistant à faire commande
d’œuvres nouvelles à certaines occasions, essentiellement commémoratives, devient assez na-
turelle pour les ensembles de musique ancienne. Cela a été le cas pour les commémorations
Mozart en 1991 et en 2006, Purcell en 1995, Corelli en 2003.
L’autre attitude courante, et allant parfois de pair avec les commémorations, consiste en
un jeu de miroir, déformant, entre une pièce ancienne, ou un compositeur ancien, et une com-
position nouvelle : c’est le cas par exemple entre les pièces de Dazzi (Lichtzwang) et Scarlatti
(Lamentations de Jérémie), Dusapin (Medeamaterial) et Purcell (Didon et énée), Musgrave
(Journey into Light) et Mozart (Exsultate Jubilate).
Quant aux dédicaces, elles vont le plus souvent aux créateurs des œuvres, ce qui dé-
note la plupart du temps d’une certaine complicité entre le compositeur et ses interprètes : soit
qu’elle ait préexisté à l’œuvre, par exemple Maurice Ohana et Musicatreize, soit qu’elle se
soit construite durant le travail de collaboration accompagnant le travail d’écriture, comme par
exemple Philippe Hersant et Christine Plubeau.

2.6  Titres, textes et livrets

Un examen rapide des titres des pièces montre que les références aux formes du passé,
contrairement à ce que l’on aurait pu penser a priori, sont finalement assez minoritaires. Bien
sûr, on trouve dans le catalogue des titres aux consonances archaïques : Sonate, Passacaglia, In
Nomine, Madrigal, Fantazia, Tombeau. Ces titres ne renvoient d’ailleurs pas toujours vraiment
à la forme à laquelle ils font allusion, comme certains In Nomine par exemple. Les titres des
pièces instrumentales sont en fait d’une manière générale assez originaux, et s’ils font allusion
au passé c’est parfois en usant de malice, comme un clin d’oeil, qui met immédiatement une
distance entre l’éventuel référent historique et l’interprète ou auditeur. Ainsi le titre Byrdy, pièce
pour viole de Jean-Yves Bosseur, fait-il allusion à William Byrd, tout en dédramatisant en quel-
que sorte la révérence par le jeu de mots qu’il opère. De même, Baroquerie, de Matthew Hind-
son, invite à la fois à voir dans la pièce un rapport explicite à la musique de violon du 17e siècle
mais tend aussi à donner un caractère, sinon comique, en tout cas badin, à cette partition.
D’autres titres correspondent plus à ce que l’on rencontre habituellement dans la musi-
que contemporaine, à savoir des « titres-programmes ». Ainsi, Enlightenment pour trois violes
(Christian Rosset), fait allusion dans le même temps au siècle des Lumières et à l’éclaircisse-
ment qui s’opère graphiquement et musicalement dans la partition.
De la même manière, Le Chemin de Jérusalem, de Philippe Hersant, fait allusion aux
labyrinthes des pavements de certaines cathédrales, mais aussi au célèbre Labyrinthe de Marin
Marais, qui est cité brièvement dans la pièce.
40

Le fantôme dont il est question dans la pièce pour consort d’Elena Firsova, Phantom,
n’est autre qu’une « petite cadence qui apparaît comme un fantôme de Purcell ou comme une
image de son temps et pénètre progressivement dans mon propre matériau musical »16.
On remarquera aussi qu’un certain nombre de titre sont extrêmement neutres, comme par
peur de tomber dans le piège de l’archaïsme. Des pièces intitulées Untitled 6 (Rudolf Komo-
rous), Two Pieces (Murray Adaskin), Quintet (Mark Argent) ou bien encore Dialogue (Conrad
Beck) ne laissent rien deviner, tandis que Ferenc Farkas affirme sans ambages All’antica.
Enfin, un certain nombre de pièces instrumentales portent des titres en rapport avec des
œuvres littéraires : ainsi Bubblets de Barry Guy renvoie à James Joyce ; le titre A Nameless Pod
d’Alessandro Solbiati est tiré d’un vers d’Emily Dickinson.

Les pièces vocales reprennent le plus souvent, et fort naturellement, un titre en rapport
avec le texte qu’elles portent. Les œuvres à teneur religieuse abondent, ce qui dans certains cas
est une manière de rendre hommage au passé, comme la Méditation pour le Carême d’Elias
Gistelinck, qui reprend là un titre utilisé par Marc-Antoine Charpentier ou bien encore les Sta-
bat Mater (Philippe Hersant, Jacques Lenot) et autres Symphoniae Sacrae (Douglas Leedy) qui
reprennent des textes maintes fois mis en musique. Deux compositeurs se singularisent par l’en-
gagement musical qu’ils mettent au service de leur foi orthodoxe : John Tavener et Ivan Moody.
Ici ce n’est pas tant la référence à l’ancien que le retour à une tradition qui est recherchée, au
travers de textes liturgiques orthodoxes.
Les références à Orphée reviennent à plusieurs reprises : Patrick Blanc et son Diologo
con Orfeo par exemple ou bien encore Orfeo, Farce musicale de Régis Campo. Cette figure
d’Orphée étant d’une certaine manière une figure fondatrice de l’esthétique musicale baroque,
il n’est pas étonnant de retrouver sa trace dans ces compositions.
Les auteurs et le type des textes profanes sont extrêmement variés. Mais on note néan-
moins que les auteurs de l’époque baroque sont quasiment absents (chez Brice Pauset : Mon-
taigne, d’Holbach et Jean Meslier ; chez John Beckwith : récits des colonisateurs du Canada ;
Samuel Spenser chez Lennox Berkeley), et que la préférence semble aller à des auteurs plus
proches de nous (Celan, Müller, Yeats, Rilke, Neruda) ou à des textes d’auteurs contemporains,
préexistants ou écrits spécialement (Pierre Essartier pour Thierry Pécou par exemple). Les tex-
tes antiques ont eux aussi inspiré quelques compositions (Lucrèce, textes antiques du Moyen-
Orient).
Il y a donc une grande variété à la fois dans le choix des titres, qui ne font majoritaire-
ment pas de référence explicite au passé, et dans le choix des textes qui peuvent être autant
liturgiques, bibliques, poétiques, historiques ou même philosophiques et qui, là encore, ne se
rapportent pas nécessairement à l’époque des instruments qui les portent.

16.  Notice de l’œuvre.


41

Nous avons dressé un rapide tableau d’ensemble de ce répertoire en expansion de musique


nouvelle pour les cordes baroques et pouvons maintenant en dessiner les contours généraux.
Ce répertoire est essentiellement composé d’œuvres de commande, portées par des interprètes
qui se sont en quelque sorte spécialisés dans ces musiques. Les compositeurs sollicités pour ces
occasions sont pour la plupart nés après 1950 et défendent souvent, surtout dans les pays anglo-
saxons, une approche musicale fondée sur le retour à des sonorités et à une structuration plus
facilement accessibles aux auditeurs. Mais avant d’examiner plus profondément les causes et
les implications de ces caractéristiques générales, il est temps de nous intéresser d’un peu plus
près à certaines de ces pièces afin de dégager des traits stylistiques et techniques pertinents et
de pouvoir ainsi engager une véritable réflexion sur le rôle que peuvent jouer ces instruments
anciens dans la création d’aujourd’hui.
Chapitre 3
Violons et ensembles de cordes

Dans les chapitres précédents, nous avions tenté d’établir un tableau d’ensemble de la
musique écrite aujourd’hui pour les cordes baroques. Nous allons maintenant nous pencher
d’un peu plus près sur les œuvres. Après une brève description des instruments et de leurs par-
ticularités organologiques et musicales, nous tenterons de dégager les traits caractéristiques de
l’écriture au travers d’œuvres choisies.

Le violon baroque et sa famille sont devenus au fil des années des acteurs incontournables
de la vie musicale et des concerts. « Roi des instruments », selon l’adage populaire, le violon
ne pouvait pas passer inaperçu dans sa mutation baroque. C’est ce violon mutant qui est devenu
en quelque sorte l’étendard du retour aux instruments anciens, attirant sur lui les critiques les
plus sévères (fausseté, indigence du son, articulations étriquées)1 mais aussi ralliant les plus
ardents zélateurs. C’est ce contexte particulier et son incidence sur l’identité même des violons
baroques que nous allons examiner maintenant.

3.1  Histoire et évolution de la famille des violons

On ne s’étendra pas longuement sur le problème des origines du violon: les motifs de
controverse sont nombreux et, comme le note Emmanuel Winternitz, « l’une des grandes la-
cunes de l’histoire des instruments de musique est la question de l’origine du violon. Ce qui
semble absurde, si l’on considère l’importance croissante de cet instrument depuis plus de trois

1.  Pour un aperçu de ces critiques, qui ne semblent plus justifiées aujourd’hui, voir le pamphlet polémique
de Jean-Claude Penin, Les baroqueux ou le musicalement correct, Paris, Gründ, 2000. Malgré de nombreux clichés
et inexactitudes, certaines critiques sont tout à fait pertinentes.
43
cents ans » . Le fait que le violon n’ait pas été « inventé », comme l’a été le pianoforte par
2

exemple, ne rend pas les choses aisées3. Après une longue période d’expérimentations, la forme
générale du violon ne se fixe en Italie que vers 1550 et dans les pays nordiques vers 1660. Cela
doit nous rappeler que les influences sont multiples : des rébecs et fidels médiévaux, il est diffi-
cile de démêler les fils et de savoir exactement dans quel sens vont les influences4.

La première description de la famille des violons apparaît en 1533, dans le traité de Gio-
vanni Lanfranco, Scintilla di musica5. Il y décrit quatre instruments du soprano à la basse, com-
portant chacun trois cordes accordées de quinte en quinte. Ce sont certainement les instruments
représentés sur la fresque bien connue de Gaudenzio Ferrari, peinte à Saronno en 1534. C’est
la première représentation connue de cette Violetta da Arco senza tasti : quatre coins, trois cor-
des, pas de frettes, un chevalet haut et arqué, permettant de jouer sur une seule corde à la fois,
et surtout la position caractéristique sur le bras (da braccio). Cette forme générale de l’instru-
ment, avec l’addition d’une quatrième corde, est décrite par Philibert Jambe-de-Fer en 15566 et
constitue le point de départ de l’évolution de l’instrument qui va s’étendre de cette moitié du 16e
siècle à la « perfection » dans la facture, au début du 18e siècle avec Nicolò Amati et Antonio
Stradivari. Dès lors, les instruments sont relativement standardisés et reprennent le plus souvent
des proportions dérivées des meilleurs instruments de Stradivari. Cette stabilité dans la facture
de l’instrument durera jusqu’aux dernières décennies du 18e siècle.
C’est à cette époque que des modifications importantes sont apportées aux instruments,
telles que le renforcement de la barre d’harmonie et la rectification de l’inclinaison du manche.
Ces modifications visent essentiellement au renforcement de l’instrument afin de permettre
une plus forte tension ainsi qu’une plus grande puissance sonore7. La touche évolue elle aussi,

2.  Winternitz (Emmanuel), « Early violins in paintings by Gaudenzio Ferrari and his school » dans Mu-
sical instruments and their symbolism in western art, Londres, Faber & Faber, 1967, p. 99 : « One of the great
lacunæ in the history of the musical instruments is the question of the origin of the violin. This seems absurd,
considering the increasing importance of this instrument for more than three hundred years ».
3.  Winternitz (Emmanuel), op. cit. p. 99.
4.  Sur les origines du violon on peut encore se référer à Boyden (David D.), The history of violin playing
from its origins to 1761, Londres et New-York, Oxford University Press, 1965 ; on réactualisera avec l’article
« Violin » du New Grove Dictionary of Music and Musicians. Mais les incertitudes demeurent, et une préhistoire
définitive du violon n’est pas encore écrite.
5.  Lanfranco (Giovanni Maria), Scintilla di Musica, Brescia, 1533.
6.  Dans son Epitome musical, il présente le violon ainsi (p. 61–62):
Le violon est fort contraire à la viole, premier, Il n’a que quatre cordes, lesquelles s’ac-
cordent à la quinte de l’une à l’autre, & en chacune desdictes cordes y a quatre tons, en sorte
et manière qu’en quatre cordes il a autant de tons que la viole en a cinq. Il est en forme de
corps plus petit, plus plat et beaucoup plus rude de son, il n’a nulle taste parce que les doigts
se touchent quasi de ton en ton en toutes les parties.
Pour une présentation et un fac-simile du traité, voir Lesure (François), « L’épitome musical de Philibert
Jambe-de-Fer », Annales Musicologiques, 1958, p. 341–385.
7.  Voir Stowell (Robin), Violin technique and performance practice in the late eighteenth century and
early nineteenth centuries, Cambridge, Cambridge University Press, 1985. On notera néanmoins que les lignes
et les proportions extérieures de l’instrument sont conservées : on modifie les instruments anciens qui servent de
modèle aux luthiers, tels les instruments de luthiers italiens du 17e siècle. Cela signifie que la plupart des grands
solistes jouent des instruments anciens, de plus de deux cents ans d’âge, mais modifiés entre les années 1790 et
aujourd’hui. Il devient alors difficile de distinguer entre instruments montés « à l’ancienne », instruments anciens
montés « moderne » et instruments modernes.
44

devenant plus fine pour faciliter les démanchés, et plus longue afin d’étendre la tessiture de
l’instrument dans l’aigu.

Ces modifications, qui constituent la dernière évolution majeure de l’instrument, accom-


pagnent les changement dans les goûts musicaux qui s’opèrent dès la fin du 18e siècle : le jeu
cantabile, la préférence marquée pour un son plein, la rivalité entre le soliste et un orchestre
de plus en plus développé, l’essor des concerts publics dans des salles aux dimensions de plus
en plus imposantes, et bien sûr le développement de la technique vers une virtuosité toujours
plus grande. Néanmoins, si l’on tente de dresser un portrait du violon baroque, et des autres
instruments de sa famille, on ne peut que poser des généralités qui ne reflètent guère le manque
de standardisation inhérent à toute la facture instrumentale de l’époque. Le portrait standard du
violon baroque, dressé en comparaison des instruments d’aujourd’hui et indépendamment des
écoles nationales8, est communément le suivant : barre d’harmonie plus longue et plus large,
manche plus court et dans le prolongement de la table, touche plus large et plus courte, chevalet
plus découpé et plus bas, pas de mentonnière ni d’épaulière, bien sûr9, et enfin, cordes en boyau
de mi à ré, et, à partir de la fin du 18e siècle, boyau filé ou lesté pour le sol10.

L’alto ancien présente des caractéristiques générales tout à fait comparables à celles du
violon, faisant partie du même consort. Néanmoins, une grande confusion demeure dans les
appellations, le terme italien viola désignant, au 16e siècle, tout instrument à cordes, qu’elles
soient pincées ou frottées. Plus tard, le terme de viola da braccio désigne toute la famille des
violons, que l’on partage alors selon leur tessiture en dessus, alto, ténor et basse de violon. Alto
et ténor de violon correspondent à deux tailles d’instruments différentes : un gros ténor et un
plus petit alto, qui deviendra la norme au 18e siècle, en raison d’une demande technique accrue.
Mais au cours du 19e siècle, la taille est à nouveau augmentée pour permettre, avec les modifi-
cations dejà observées sur les violons, d’accroître le volume et l’épaisseur sonores. Ainsi, sous
le nom d’alto baroque se cachent en réalité deux instruments un peu différents11.

Le violoncelle pose quant à lui des problèmes à la fois d’ordre organologique et d’ordre
terminologique, rendant encore une fois difficile une définition précise de ce que peut être un
violoncelle « baroque ». Sur la terminologie, il faut noter que des mots tels que « violoncelle »,
« cello » ou « violoncello » sont entrés dans l’usage courant assez tardivement dans la période
baroque, aux alentours des années 1700. Corelli utilise encore le mot « violone » dans ses œu-

8.  Les instruments de l’école tyrolienne (Jacob Stainer puis Matthias et surtout Sebastian Klotz) présentent
par exemple des caractéristiques très particulières en ce qui concerne le profil de la table et du fond.
9.  La mentonnière est introduite par Louis Spohr vers 1820 et son usage est recommandé dans sa Vio-
linschule de 1832. Mais l’usage de cet accessoire n’est de loin pas la norme pendant plusieurs décennies. Il n’est
toutefois pas rare de voir aujourd’hui des violonistes baroques l’utiliser ; c’est le cas par exemple de Giuliano
Carmignola ou bien encore de certains membres de Musica Antiqua Köln.
10.  Il existait néanmoins déjà des cordes en acier, auxquelles les violonistes semblaient préférer celles en
boyau. A ce sujet voir Boyden (David D.), op. cit. p. 203 et 322.
11.  Stowell (Robin), The early violin and viola, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 34.
45

vres les plus tardives, qui n’est pas l’instrument de 16’, mais bien une petite basse de violon de
8’. En effet, au 17e siècle, la basse de violon diffère quelque peu du violoncelle des décennies
suivantes.
Plus gros, surtout dans ses courbes supérieures, il est généralement posé sur le sol ou calé
sur un support. C’est Stradivari qui est réputé avoir standardisé les dimensions de l’instrument,
en en réduisant la taille en longueur et en largeur. Comme pour le violon, le manche est aligné
avec la table, et n’est rectifié dans son inclinaison qu’au début du 19e siècle. Quant aux cordes
utilisées, il semble que celles en boyau nu aient été assez rapidement remplacées par des cordes
filées12. Ces difficultés organologiques étant précisées, il faut signaler que la plupart du temps
c’est le même violoncelle, c’est-à-dire le modèle post-stradivarius, qui est utilisé pour toute la
musique baroque de 1580 à 1760.

3.2  L’évolution des archets

Si les instruments et leur facture jouent évidemment un grand rôle dans le jeu des mu-
siciens, l’archet est lui aussi un élément tout à fait essentiel dans la production du son et sur-
tout dans sa qualité. On peut tenir la maxime selon laquelle l’archet est l’âme de l’instrument,
comme un lieu commun de l’époque baroque13. Par ses évolutions il rend peut-être compte de
manière encore plus fine de l’évolution du goût dans le courant des 17e et 18e siècles.

Lorsque le violon apparaît, vers 1550, on peut dire que l’instrument est de loin plus raf-
finé dans sa facture que son archet. Cet archet primitif est directement hérité de celui des vièles
et rebecs. Mais en vérité, on ne connaît pas très bien les détails de sa construction, ne disposant
plus d’exemplaires originaux pour cette période14. L’iconographie, quant à elle, n’est pas tou-
jours aisée à interpréter15. On ne peut ainsi que déduire des formes très générales : la baguette
est courte et convexe, sans tête, le crin est grossièrement fixé à la pointe et au talon, une hausse

12.  On en trouve la première mention pour les instruments de basse d’archet dans Playford (John), Intro-
duction to the Skill of Music, Londres, 1664, p. 45 :
There is a late Invention of Strings for the Basses of Viols and Violins, or Lutes, which
sound much better and louder then the common Gut String, either under the Row or Finger.
It is Small Wire twisted or gimp’d upon a gut string or upon Silk.
D’après Jean Rousseau, les cordes filées sont introduites en France par Sainte-Colombe : Rousseau (Jean),
Traité de la viole, Paris, 1687, p. 24.
13.  L’Abbé-le-fils dit précisément: « On peut appeler l’archet, l’Ame de l’Instrument qu’il touche puisqu’il
sert à donner l’expression aux sons, à les filer, à les enfler, et à les diminuer.» ; L’Abbé-le-fils, Principes de violon,
Paris, 1772, p. 1.
14.  Si un certain nombre d’archets des 17e et 18e siècles sont encore conservés dans des musées, on n’en
connaît pas du 16e.
15.  On en trouvera un exemple extrême dans l’article de Winternitz, « The visual arts and the historian
of music » dans Musical instruments and their symbolism in western art, Londres, Faber & Faber, 1967, p. 32 :
il y évoque la « première » représentation picturale d’un instrument à archet occidental, qui n’est en fait qu’un
bâton de mesure confondu à tort avec un archet par Curt Sachs dans son Handbuch des Musikinstrumentesnkunde
(Leipzig, Breitkopf & Härtel,1930). Cette confusion est encore relayée par certaines références actuelles telles que
la deuxième édition de 1996 du dictionnaire Bordas. Sur les problèmes généraux de l’interprétation des sources
iconographiques, voir Winternitz (Emmanuel), op. cit. p. 39.
46

fixe vient tendre la mèche. Il semble n’y avoir alors aucune standardisation quant au poids, à
l’équilibrage ou au bois utilisé ; même la taille de l’archet ne semble pas s’accorder de manière
logique avec celle des instruments16.
La facture des archets des premières décennies du 17e siècle nous est plus familière, puis-
que certains de ces archets sont parvenus jusqu’à nous. Ces archets du début de l’âge d’or du
violon, âge italien en premier lieu, répondent aux nouveaux besoins expressifs et techniques
d’une musique instrumentale largement inspirée par le « buon canto ». Se posent alors deux
problèmes essentiels : l’équilibre de la baguette et la tension de la mèche.

Concernant l’équilibre de l’archet, l’une des premières solutions a consisté en l’ajout d’un
capuchon d’os ou d’ivoire à la pointe, afin de compenser le poids de la hausse. Certains exem-
plaires de ces archets nous sont bien parvenus, mais sans leur capuchon, si bien que c’est en
omettant un élément essentiel qu’ils ont été fidèlement copiés par les facteurs d’aujourd’hui17.
Cette question de l’équilibrage de l’archet a finalement été résolue en utilisant le procédé encore
en usage aujourd’hui, consistant à simplement fixer le crin dans une mortaise creusée dans la
tête de l’archet. Ce mode de fixation permet d’alourdir la pointe sans usage de pièce extérieure,
simplement par le dessin de la tête.
Différentes formes ont ainsi été utilisées avant que ne s’impose définitivement la tête car-
rée : tête de brochet, col de cygne et tête de requin sont les formes les plus courantes au début
du 18e siècle.
La tension de la mèche est un problème plus ardu et qui n’a vraiment été solutionné
qu’avec l’introduction de la vis à écrou, dans la seconde moitié du 18e siècle. Jusque là deux
procédés avaient eu cours. D’abord, la hausse amovible qui vient se coincer entre le crin et la
baguette : le seul moyen d’ajuster la tension consiste alors à placer une pièce de cuir ou de tout
autre matériau, entre la baguette et la hausse. Il s’agit là du système le plus commun tout au long
du 17e et jusqu’au début du 18e siècle18. L’autre solution — plus pratique et plus fine — consis-
tait en un système de crémaillère permettant d’avancer ou de reculer la hausse sur la baguette,
selon la tension recherchée. Ce système n’a toutefois pas connu un grand succès.
Les archets « baroques » utilisés par les interprètes d’aujourd’hui sont en majorité équipés
d’une vis à écrou, ceci pour des raisons évidentes de commodité, au vu des conditions actuelles
de la production musicale.
En ce qui concerne la forme générale, c’est-à-dire essentiellement le dessin de la baguet-
te, l’évolution des archets est beaucoup moins linéaire. L’histoire « traditionnelle » de l’archet
est largement inspirée par celle que proposait Fétis au milieu du 19e siècle19, et qui est reprise
par tous les auteurs, quasiment inchangée, jusqu’aux travaux de Boyden.

16.  Boyden (David D.), op. cit. p. 45.


17.  Seletsky (Robert E.), « New light on the old bow – 1 », Early Music, vol. 32, n°2, 2004, p. 286–301.
18.  Seletsky (Robert E.), op. cit. p. 287.
19.  Fétis (François Joseph), Antoine Sradivari, luthier célèbre, Paris, Vuillaume, 1856.
47

Fig. 3.1 – évolution de l’archet de violon d’après Fétis

Cette belle histoire voudrait qu’il y ait eu, d’une part, un allongement régulier au fil des
décennies, et d’autre part que le profil se soit transformé peu à peu, passant progressivement
d’une courbure convexe à une courbure concave. La célèbre illustration de Fétis (Figure 3.1),
reprise dans nombre d’ouvrages de référence, laisserait à penser que chaque époque, de Mer-
senne à Viotti, aurait usé d’un modèle standard unique. Ce scénario est néanmoins trop lisse
pour rendre compte d’une réalité bien moins schématique.
Examinons tout d’abord la longueur des archets. Si la tendance générale sur deux siècles
est bien à l’allongement, il serait pourtant exagéré de croire que celui-ci s’est opéré de ma-
nière régulière et uniforme dans toute l’Europe. Tout comme pour les instruments, il n’y a tout
simplement pas de standardisation avant le début du 18e siècle. Surtout, certaines idées reçues
quant aux archets courts, dits « de danse », et aux archets longs, ou « archets de sonate » sont
tout simplement inexactes. On a longtemps catégorisé ces archets courts comme archets fran-
çais, et les archets longs comme italiens. Pourtant, un certain nombre d’éléments montrent que
l’usage des archets courts était extrêmement répandu en Italie, jusqu’à la moitié du 18e siècle.
C’est d’ailleurs pour le distinguer de ce standard, que l’on appelle l’archet long, « archet de
sonate ». Dans le même temps, en France, on utilise des archets longs, malgré le goût présumé
des Français pour la danse20.
Quant à la forme, il faut remarquer qu’en Allemagne on use longtemps d’un archet de
longueur moyenne et un peu plus convexe que ceux des pays voisins, ce qui facilite l’exécu-
tion des pièces polyphoniques alors très en vogue dans les pays germaniques. On connaît aussi

20.  Seletsky (Robert E.), op. cit. p. 291 sq


48

un certain nombre d’exemplaires du début du 18e siècle qui présentent un profil légèrement
concave. Cette forme concave, qui sera le changement le plus radical de la révolution de Tourte,
offre une plus grande souplesse, et permet ainsi d’augmenter le volume sonore tout en gardant
une certaine élasticité dans l’articulation.

Ainsi, différents types d’archets ont cohabité en Europe et même à l’intérieur de chaque
pays, suivant les préférences individuelles et les styles pratiqués. Il n’existe donc pas d’arché-
type unique et définitif de l’archet baroque.

3.3  Pour une définition efficace

Comme on a pu en juger, il y a quelque difficulté à dresser le portrait-type de ces instru-


ments baroques. Qu’il s’agisse de l’archet ou de l’instrument, l’objet baroque « authentique »
semble échapper à toute définition historique précise. Mais il y a une autre définition des ins-
truments baroques qui nous contentera peut-être plus, et qui sera surtout plus efficiente, c’est
celle des interprètes.
Dans le livret de son premier disque, consacré aux Sonates pour violon et clavecin de-
Bach, Sigiswald Kuijken résume ce qui, à ses yeux, constitue un violon baroque21:

Depuis son apparition, le violon a subi des modifications en rapport avec


les développements sociaux et stylistiques. Des salles de concert de plus en
plus grandes, des orchestres de plus en plus importants pour accompagner le
soliste ont amené à modifier le violon dans quelques détails, afin que sa sono-
rité s’adapte aux conditions nouvelles :
– la corde sonnante fut légèrement allongée dans nombre de cas.
– l’angle du manche par rapport à la caisse fut changé (on inclina le
manche légèrement en arrière) afin d’augmenter la tension des cordes du che-
valet.
– pour la même raison les cordes devinrent plus épaisses (ce qui donne
un son plus ample mais aussi plus équilibré, plus égal). Aujourd’hui presque
personne ne joue sur des cordes en boyau, qui étaient pourtant les seules en
usage jusqu’au début du 20e siècle.
– âme et barre furent renforcées, la dernière allongée, pour amortir la
tension.
– l’archet du violon s’est développé parallèlement : vers 1800 (au mo-
ment où le violon connaissait ses premières modifications) le modèle mo-
derne, conçu par Tourte, l’a emporté ; il permettait un son plus ample. Le
modèle antérieur était en général un peu plus court, en forme d’arc, plus léger
et tout à fait différent quant aux possibilités d’articulation, visant plutôt une
interprétation oratoire.

Dans cette définition, qui procède par comparaison avec le violon post-1800, transpa-

21.  Bach (Johann-Sebastian), Sonates pour violon et clavecin, Sigiswald Kuijken (violon), Gustav Leon-
hardt (clavecin), CD – Deutsche Harmonia Mundi GD 77170 (éd. 1990, enr. 1970).
49

raissent toutes les préoccupations artistiques et peut-être aussi sociales du pionnier qui tente
de démontrer l’originalité et l’intérêt de ses trouvailles. Sans pour l’instant nous étendre plus
avant, il semblerait bien qu’ici c’est autant le musicien qui fait l’instrument, que l’instrument
qui détermine l’expression musicale. Il y a en même temps la volonté de justifier l’usage d’ins-
truments anciens par leurs spécificités musicales et le souci d’affirmer des choix musicaux,
qui découleraient naturellement des instruments utilisés. Ce sont des influences croisées et des
distorsions réciproques qui font que l’objet « violon baroque » n’est probablement plus exac-
tement le même aujourd’hui qu’il y a trente ans et qu’il ne sera demain, se transformant au gré
des modes. Néanmoins, les traits stylistiques définis par Kuijken influencent encore aujourd’hui
le jeu des violonistes baroques.
L’alto et le violoncelle se définissent de la même manière, en creux, avec toutefois la dif-
ficulté supplémentaire du choix entre ténor et alto de violon, et entre basse de violon et violon-
celle. D’une manière générale, les instruments utilisés sont ceux du 18e siècle, soit le « petit »
alto et la « petite » basse, et cela pour toute la période baroque. Les choix se sont donc portés
sur les instruments du prétendu âge d’or de la lutherie qui correspond à la première standardi-
sation due pour l’essentiel à l’internationalisation du style.

3.4  Techniques baroques

Si les instruments baroques se différencient physiquement de leurs homologues moder-


nes, il en va de même des modes de jeu qui contrastent fortement. La différence la plus évidente
se situe dans le jeu de la main droite. Outre la grande importance accordée à l’expressivité de
l’archet dans tous les traités de l’époque baroque, l’équilibrage de la baguette et le matériau des
cordes jouent un grand rôle dans l’émission du son. Cette importance de l’archet dans l’expres-
sion se traduit d’abord par un grand soin apporté à l’articulation, essentiellement grâce à une
grande souplesse du poignet et surtout des phalanges22. Mais c’est aussi par un contrôle accru
de la vitesse d’archet que l’on peut alors définir le son d’une manière très fine, permettant de
donner vie à chaque note individuellement23. C’est donc la recherche d’une certaine finesse de
jeu, au détriment parfois de la brillance, qui prévaut la plupart du temps et cela surtout dans
la musique française. Il faut toutefois remarquer que dans les dernières années, on a assisté à
un retour en grâce d’une certaine opulence sonore avec des musiciens tels que Rachel Podger,
Giuliano Carmignola ou bien encore Fabio Biondi. Le son des orchestres lui-même s’est épaissi
et n’est en rien comparable à ce que l’on a pu connaître, et critiquer, dans les années 1970.
En ce qui concerne la main gauche, la situation est moins claire et sur ce point particu-

22.  « Que les jointures des doigts soient fort libres, afin qu’elles puissent faire les mouvements impercep-
tibles et nécessaires pour tirer un beau son du violon » ; Mozart (Leopold), Méthode raisonnée pour apprendre à
jouer du violon, Paris, 1770, p. 2.
23.  « Une des principales beautés du Violon, c’est d’enfler ou d’augmenter & d’adoucir le son ; ce qui se
fait en pressant l’Archet sur les cordes avec le premier doigt, ou plus ou moins. […] Car en cela principalement, &
de le tenir parallele avec le Chevalet, & en le pressant seulement avec le premier doigt sur les cordes avec discré-
tion, dépend le beau son du violon » ; Geminiani (Francesco), L’Art de jouer le violon, Paris, 1752, p. 1.
50

lièrement, il y a différentes lectures qui sont faites des traités baroques. On pourrait séparer les
violonistes en deux catégories : les « Puristes » et les « Pragmatiques ». Les premiers se situe-
raient dans la lignée de l’enseignement de Sigiswald Kuijken. Le principe essentiel est que le
menton ne touche en principe jamais le violon. Cela demande alors une technique particulière
de démanché, la main ne pouvant pas à la fois soutenir l’instrument et se déplacer d’un bloc.
Il est nécessaire, surtout en passant d’une position supérieure à une inférieure, d’avoir un
pivot qui maintienne le violon en place et permette la rotation de la main vers le bas du manche.
C’est bien sûr le pouce qui joue ce rôle en restant posté en arrière :

Après avoir exécuté dans le premier Ordre, il faut passer au second, &
après au troisième ; auquel cas il faut avoir soin que le pouce reste toujours
plus en arrière que le premier doigt ; & plus vous avancez dans les autres
Ordres, plus le pouce se doit trouver en plus grande distance, jusqu’à ce qu’il
reste caché sous le manche du Violon.24

Si cette technique permet en effet de se passer du soutien du menton, elle ne l’empêche


pas pour autant25, et un certain nombre de traités évoquent cette possibilité, dès le 17e siècle,
notemment Prinner dès 167726. C’est là la seconde école, qui considère la technique de main
gauche d’une manière peut-être plus pragmatique, en visant une efficacité immédiate et un
usage plus facile des positions hautes. Il semble que cette manière d’exécuter les démanchés ait
déjà eu cours tôt dans l’histoire. Outre Prinner, que nous citions plus haut, Corrette est l’un des
rares auteurs de son temps à être véritablement explicite quant à la manière de démancher.
Voici ce qu’il dit:

Il faut nécessairement poser le menton sur le Violon quand on veut dé-


mancher, cela donne toutte liberté à la main gauche, principalement quand il
faut revenir à la position ordinaire.27

Il ne semble donc pas forcément qu’il y ait réellement une technique baroque spécifique
en ce qui concerne la main gauche. On pourrait plutôt penser que c’était d’une part un chapitre
qui ne concernait finalement qu’assez peu le public visé par la plupart des méthodes, et d’autre
part qu’il s’agissait d’une question individuelle, qui devait correspondre à la morphologie de
chacun et aux habitudes des professeurs. Quant à l’utilisation qui peut être faite aujourd’hui
de techniques inspirées de la méthode de Geminiani, il semble qu’il s’agisse plus d’une option
esthétique, parfois même idéologique, que du résultat de déductions historiques implacables.

24.  Geminiani (Francesco), op. cit. p. 2.


25.  Geminiani pose toutefois l’instrument juste sous la clavicule, ce qui rend impossible, ou en tout cas
difficile, le contact du menton ou de la joue avec l’instrument ; Geminiani (Francesco), ibid.
26.  Il considère en substance qu’il est impossible de jouer la musique virtuose de son temps sans tenir fer-
mement l’instrument entre le menton et la clavicule ; Prinner (Johann Jacob), Musikalische Schlissl, ms. Library
of Congress Washington, 1677.
27.  Corrette (Michel), L’école d’Orphée. Méthode pour apprendre à jouer facilement du Violon […],
Paris, 1737, p. 7.
51

Quant au violoncelle baroque, la technique d’archet est là aussi un trait essentiel du jeu.
Elasticité des cordes, concentration du son et équilibrage de l’archet modifient fortement l’usa-
ge de la main droite. Comme pour le violon, l’importance d’une grande souplesse et d’une
grande finesse d’articulation est soulignée par la plupart des violoncellistes baroques. Il faut
néanmoins noter que, depuis l’enseignement de Pablo Casals surtout, il y a une tradition de jeu
fortement aéré et articulé, que l’on retrouve chez des violoncellistes « modernes » autant que
« baroques ». Il semble bien donc que l’important ne soit pas alors tant les moyens de produc-
tion du son, que la manière d’appréhender l’archet. Voici ce qu’en dit Anner Bylsma, qui joue
des deux instruments :

[…] les archets anciens sont faits plus pour parler, les archets modernes
plus pour chanter. Mais quand vous utilisez l’archet moderne à la manière
ancienne, la différence n’est pas si grande que lorsque vous le tenez à la ma-
nière moderne, près de la hausse. Et, bien sûr, vous ne devez pas trop penser
aux instruments, parce que pour un bon instrumentiste, ce que son oreille
intérieure entend, ses mains peuvent le faire. Donc, si l’on sait ce que l’on
veut alors on peut normalement le faire tout aussi bien avec un archet et un
instrument modernes. Mais d’abord il faut savoir ce que l’on veut.28

Cette manière ancienne, c’est la tenue de l’archet un peu plus haut sur la baguette, c’est-
à-dire que l’auriculaire est placé en face de la hausse. La manière moderne, c’est de placer le
pouce le plus bas possible sur la baguette, l’auriculaire étant alors en face du bouton. Cette po-
sition « ancienne » de la main modifie l’équilibre et oblige à une grande souplesse du poignet.
Dès lors, on ne peut plus poser qu’une seule différence d’usage entre instruments mo-
dernes et baroques : l’usage ou non de la pique. Il n’y a pas unanimité chez les interprètes ba-
roques, et certains, non des moindres, jouent avec le support d’une pique. Cette question de la
pique est en quelque sorte le pendant de la question du support du menton, au violon.
L’école pragmatique dira, avec Anner Bylsma par exemple29, que l’aide de la pique est
précieuse et que rien ne justifie de se passer de cette aide. Tandis que des musiciens plus fer-
vents de l’« authenticité », argueront d’un rapport différent à l’instrument, qui change toute la
philosophie du jeu. On notera simplement que cet usage d’un support, pique ou tabouret, est
avéré assez tôt dans l’histoire du violoncelle et que parallèlement, un certain nombre de grands
solistes ont continué jusqu’au début du 20e siècle à jouer l’instrument maintenu entre les jam-
bes30.

28.  Sherman (Bernard D.), Inside early music : conversations with performers, New York, Oxford Univer-
sity Press, 1997, p. 219.
29.  Ibid.
30.  La pique est déjà mentionnée en 1741 chez Corrette par exemple (Méthode théorique et pratique pour
apprendre en peu de tems le violoncelle dans sa perfection […], Paris, 1741). Robert Haussmann, créateur avec
Joseph Joachim, du Double Concerto de Johannes Brahms jouait sans pique tout en ayant la réputation de posséder
un son puissant.
52

3.5  La musique pour solistes

Les pièces solistes pour violon ou violoncelle baroque sont tout à faits minoritaires dans
le répertoire contemporain des cordes anciennes. Peut-être est-ce le poids d’une tradition riche
menant des grands cycles de Bach, Suites et Sonates et Partitas, à la Sonate de Bartók et bien
sûr aux Sequenzas de Berio : il y a tant de défis à relever avec les instruments conventionnels !
Ou peut-être ces instruments limitent-ils les compositeurs plus qu’ils ne les inspirent. Au tra-
vers de quelques œuvres pour instrument seul ou avec accompagnement, nous allons tenter
d’évaluer l’intérêt d’un tel usage soliste.

Musique pour violon baroque soliste

Dans notre corpus, on ne trouve que peu d’œuvres pour violon baroque. Deux compo-
siteurs peu connus nous intéresserons ici : Barry Guy (1947– ), plus renommé comme contre-
bassiste et improvisateur, et Matthew Hindson (1968– ). Ces pièces ont un certain intérêt pour
nous, dans la mesure où Barry Guy a écrit ses œuvres pour sa femme, Maya Homburger, violo-
niste baroque, et que la pièce de Hindson a été créée par Andrew Manze, l’un des plus virtuoses
parmi les musiciens baroques actuels. C’est-à-dire que dans le premier cas, on peut imaginer
que le compositeur a eu tout loisir d’étudier et d’expérimenter les possibilités de l’instrument,
et que dans l’autre cas, il n’y avait aucune limitation du point de vue des difficultés techniques,
ayant affaire à un violoniste de tout premier plan.

Barry Guy, Celebration

Celebration (1994) est la première pièce pour le violon baroque de Barry Guy et a été
composée en même temps que Ceremony, pour violon baroque et bande. Ces deux œuvres par-
tagent d’ailleurs certaines caractéristiques communes, et principalement « l’idée d’une suspen-
sion contrastant avec des figurations rapides »31. Mais Barry Guy parle aussi d’une pièce écrite
comme une cadence avec tout ce que cela implique de rubato et d’expression individuelle, à
la guise de l’interprète. L’inspiration paraît ici directement puisée aux sources du répertoire de
violon. Il y a dans ce projet compositionnel des réminiscences du répertoire italien du 17e siè-
cle  ; que l’on songe aux Canzoni de Falconieri, ou aux Sonates de Castello, et l’on retrouvera
cette même logique d’opposition d’un caractère virtuose et vocalisant à une expression, certai-
nement pas « suspendue », mais plus cantabile et mélodique. Ce qui nous intéresse finalement
ici, c’est de déterminer comment le compositeur, avec des moyens et un projet compositionnel
puisés dans la musique ancienne, peut écrire une musique nouvelle. Et inversement comment
une musique nouvelle peut trouver son expression la plus juste avec des moyens archaïques.

31.  Notice de l’œuvre (Novello 120833).


53

Suspension et figurations rapides : d’une manière générale, cette œuvre semble être une
alternance de ces moments, avec néanmoins une forme en arche, l’activité s’intensifiant et
culminant environ aux deux tiers de la partition, pour peu à peu se ralentir et finalement s’étein-
dre sur un point d’orgue en harmonique, pianissimo. Le début de la pièce pose une atmosphère
très méditative, faite de longues tenues, ponctuées de notes rapides atténuées par une nuance
mezzo-piano ou jouées sul ponticello. Cette atmosphère se retrouve à la fin de la pièce, cette
fois-ci en une évaporation pointilliste en harmoniques.

Mais le plus intéressant, c’est tout ce qui se situe entre ces deux extrêmes, c’est-à-dire
le cheminement progressif vers le climax, vers le maximum d’activité. Pour y parvenir, Guy
joue de l’ambiguïté entre la suspension et l’agitation. Certains passages exploitent de manière
franche l’articulation particulière du violon baroque, comme par exemple aux lignes 14 et 15 :32 
l’articulation des doubles-croches accentuées est d’autant plus nette et incisive que la mèche
étroite et la baguette un peu raide de l’archet baroque rendent un son très concentré et une at-
taque acérée (Exemple 3.1). Cette capacité d’articulation est aussi exploitée dans les trémolos
des lignes 16–17, la grande réactivité de l’archet baroque les rendant très précis et « aérés »
(Exemple 3.2).
Pour mener son projet, Guy ne se contente pas d’alterner les caractères, il les fait aussi
s’interpénétrer en usant des spécificités du violon baroque. Par exemple, le jeu sul ponticello est
beaucoup plus doux que sur un violon moderne. À la ligne 7 (Exemple 3.3), le jeu sur les places
d’archet compense en quelque sorte l’accelarando par le son flûté, et comme suspendu, du jeu
sur le chevalet. De même, à la ligne 5, des arpègements joués avec le bois et les crins, rendent
le mouvement plus aérien, misterioso, cela d’autant que les cordes en boyau ne rendent alors
pas un son métallique, mais un son très mat et très concret (Exemple 3.4).
D’autres traits rappellent les pièces virtuoses de Biber : les grandes arabesques de triples-
croches, certaines périlleuses pour le violoniste, renvoient peut-être aux battements d’ailes de
l’Ange dans la Sonate de l’Annonciation. Ces grandes lignes s’opposent aux passages extrême-
ment articulés rythmiquement tout en étant dans la même agitation (Exemple 3.2).
Si la main droite joue un grand rôle dans le jeu d’opposition entre suspension et figurations
rapides, la main gauche n’est bien sûr pas en reste. Les passages lents privilégient les intervalles
conjoints qui sont amplifiés par l’usage de doubles-cordes aux allures « baroques ». Aux lignes
10 et 11, par exemple (Exemple 3.5), l’allusion aux marches harmoniques si caractéristiques
des Concerti Grossi ou bien encore des Sonate da Chiesa de Corelli, ne fait aucun doute.
D’autre part, les harmoniques, naturels ou non, jouent un grand rôle dans l’expression de
la suspension. Tout comme pour le jeu sul ponticello, les harmoniques naturels sonnent beau-
coup plus flûtés sur le boyau que sur une corde en acier, rendant les arpègements des lignes
5 et 6 très aériens (Exemple 3.4). Les harmoniques artificiels sont par contre assez difficiles à

32.  La partition ne comportant pas de barres de mesures, nous utiliserons les numéros des lignes pour nous
repérer.
54

produire sur les cordes en boyau, ils demandent une précision accrue du placement des doigts
sur la corde et une position de la mèche bien à plat. Mais lorsqu’ils sont bien réalisés, ils pro-
duisent eux aussi une qualité de son extrêmement éthérée. Il faut quand même noter que leur
exécution ne peut que difficilement se faire avec la technique Geminiani, la main étant obligée,
tout comme dans le jeu en octaves, de se déplacer d’un bloc, donc sans possibilité de laisser le
pouce comme soutien.

    
     
          
                                  
              
               
ff mf f mf ff f

Ex. 3.1 – Barry Guy, Celebration : lignes 13–14

Ex. 3.2 – Barry Guy, Celebration : lignes 16–17

 norm. pont. norm. pont.

      
                                                         
mf p cresc. f p cresc. f

Ex. 3.3 – Barry Guy, Celebration : ligne 7

Ex. 3.4 – Barry Guy, Celebration : lignes 5–6

   
         
a tempo

    
rit. (q=100) norm. pont.


  
       
     

     
    

 
 
  
p 

Ex. 3.5 – Barry Guy, Celebration : lignes 10–11


55

Guy a développé ces éléments de jeu encore un peu plus profondément dans Ceremony
(1995), tout en brouillant parfois les repères par l’emploi de la bande enregistrée : jeux d’écho,
amplification, sonorisation, tous artifices qui gomment finalement un certain nombre des fines-
ses d’articulation du violon enregistré, pour se mélanger et s’opposer aux sons « réels ». Cette
longue pièce (17’) est un peu plus « diluée » que la première, les oppositions de caractère n’y
sont pas aussi affirmées. Mais les procédés sont les mêmes : jeu sul ponticello et harmoniques
donnent un ton aérien à certains passages de la pièce, tandis que des figurations rapides et des
changements brusques de corde, semblables à ceux de l’exemple 3.1, contrastent avec le legato
obsédant qui parcourt toute la pièce en bourdon.

Dans les deux œuvres avec accompagnement, nous allons retrouver certains de ces traits
caractéristiques, avec toutefois des extensions techniques qui ne sont pas propres au violon ba-
roque et qui parfois vont à l’encontre d’une certaine « philosophie » de l’instrument.

Barry Guy, Bubblets

Dans Bubblets (1998), pour violon baroque et clavecin, Guy fragmente son propos en
trois mouvements fortement contrastés. Dans le premier, la partie de violon présente essen-
tiellement des figures longues ponctuées de notes « ornementales », ainsi que d’intéressants
passages d’harmoniques naturels, parfois en doubles cordes et colorés « en déplaçant [l’archet]
vers le chevalet, de façon à faire sonner les partiels de plus haut rang »33. On trouve par ailleurs,
ligne 7 (Exemple 3.6), un figuralisme musical digne des sonates représentatives baroques lors-
que Guy imite les cloches par des balancements de quintes en doubles-cordes harmoniques.
Le clavecin seul donne quelques mouvements, bruissements d’acier sous-terrains ou
égrenages discrets, qui s’intensifient pour donner lieu à des arpègements déchaînés se calmant
progressivement pour finalement s’éteindre, accompagnés d’un violon imperturbablement en
valeurs longues.
Dans le deuxième mouvement, on entre dans une tout autre atmosphère : mouvements de
triples croches notés « très vite », cellules libres à exécuter « très, très vite ». C’est l’agitation
qui domine tout le mouvement avec toutefois des modulations de timbre au violon comme au
clavecin : au violon par les mouvements d’archet entre la touche et le chevalet mais aussi par
l’usage de la sourdine ; le clavecin répond à la sourdine par le jeu de luth, utilisant les autres
registres, 4’ et 8’, en fonction du volume désiré. Là encore, le mouvement se conclut sur une
extinction progressive, violon et clavecin à l’octave decrescendo pour aboutir pianissimo.
Enfin, la pièce se conclut sur une Méditation, sans sourdine. Le violon y développe essen-
tiellement des notes longues, liées entre elles par des glissandi sur des intervalles d’un quart de
ton, pour finir avec une longue tenue sur un si bémol oscillant sur 1/8 de ton.

33.  Notice de l’œuvre (Novello NOV 120862).


56

(bells)






       
     
Violon      gliss.

 

     
Clavecin
    
 

Ex. 3.6 – Barry Guy, Bubblets : ligne 7

Dans ces quelques pièces, Barry Guy a posé un certain nombre de techniques de jeu et
de gestes musicaux qui conviennent assez bien au violon baroque, même s’ils ne lui sont pas
tous spécifiques, et qui sont rendus d’une manière particulière sur ce type d’instrument. On peut
les classer assez simplement en deux catégories : des techniques historiques et des techniques
d’avant-garde (Tableau 3.1). Il va de soi que la frontière entre ces deux catégories n’est pas her-
métique34 et qu’il ne s’agit que de distinguer les gestes le plus caractéristique de l’instrument de
ceux qui lui sont plus étrangers. Il faut aussi relativiser cette dichotomie, en ce sens que Barry
Guy fait souvent s’interpénétrer ces techniques justement dans les passages où la suspension et
l’agitation se rencontrent (trémolos sul ponticello par exemple).

Techniques anciennes Techniques d’avant-garde


arabesques de triples-croches (Biber) harmoniques (naturels et artificiels)
marches en doubles-cordes (Corelli) jeu sul ponticello
notes « blanches » senza vibrato jeu col legno
trémolo microtonalité

Tab. 3.1 – Techniques de jeu dans Celebration et Bubblets

34.  Il faut toutefois remarquer que certaines de ces techniques « modernes » ont été utilisées à l’époque
baroque, essentiellement à des fins descriptives (cf. le Capriccio Stravagante de Carlo Farina ou la Battalia de
Biber).
57

Matthew Hindson, Baroquerie

Avec Baroquerie (2002), Matthew Hindson nous plonge dans une atmosphère totalement
différente, tout en utilisant un certain nombre de techniques et de gestes musicaux similaires à
ceux utilisés dans les pièces de Barry Guy. A propos de sa pièce, Hindson parle d’une virtuosité
joyeuse que l’on trouverait selon lui dans la musique de Vivaldi et Hændel35. En tous les cas,
il s’agit effectivement ici d’une pièce virtuose, à la fois pour la main gauche et pour la main
droite.

Pour la main gauche, c’est la rapidité des traits et leur étendue du grave au suraigu qui
sont les éléments les plus prégnants. Dans le passage des mesures 31–35 du premier mouve-
ment (Exemple 3.7), on passe ainsi du mi4 au si5 pour revenir au la2 à une vitesse assez incon-
fortable sur le violon baroque. On trouve aux mesures 80–83, une variante du même passage,
transposée, qui va du do4 au ré6 pour redescendre au do3. Ces traits font penser ici encore aux
grandes arabesques des sonates de Biber, ou à certains passages des concertos de Vivaldi. Des
doubles-cordes, des glissandos, des glissandos en doubles-cordes et même des pizz. de la main
gauche viennent aussi ponctuer le discours musical.
Certaines figures digitales sont par ailleurs largement inspirées du répertoire baroque.
Nous avons déjà parlé des grands traits de triple-croches, mais on trouve aussi par exemple des
mouvements en gammes brisées dans le troisième mouvement, tout à fait typiques de la musi-
que baroque (Exemple 3.8).
Quant à la main droite, Hindson propose des modes de jeu variés et pour certains, assez
étrangers au répertoire habituel du violon baroque. Si le staccato lié36, noté en doubles-croches
liées et pointées, que l’on trouve dans le solo introductif du second mouvement (Exemple 3.9),
se rencontre souvent dans le répertoire baroque37, il prend ici des proportions pour le moins
inhabituelles : pas moins de vingt-cinq quadruples-croches en un seul coup d’archet, dans un
tempo Lento non troppo, molto flessibile. Dans ce même solo, des coups d’archets jetés viennent
s’ajouter à la panoplie des techniques d’archet déjà relevées dans les pièces de Barry Guy.
L’intérêt porté à l’accentuation est l’une des principales caractéristiques de la musique
de Hindson, et cela surtout lorsqu’elle s’appuie sur la superposition de mètres différents. Ces
accents — produisant généralement des hémioles — sont très précisément indiqués, le coup
d’archet étant parfois même proposé (Exemple 3.10). Les qualités de précision et de clarté de
l’archet baroque sont les bienvenues dans ces passages.

35.  Notice de l’œuvre (Faber Music 0571568181).


36.  Appelé aussi « coup d’archet articulé » par L’Abbé-le-fils ou bien encore, selon les auteurs, pichettato,
notes piquées, Pikiren. Pour un aperçu complet de ce coup d’archet au 18e siècle, voir Stowell (Robin), Violin
technique and performance practice in the late eighteenth century and early nineteenth centuries, p. 172–175 et
182–187.
37.  Déjà chez Biber, Schmelzer et Walther.
58


           
           
 
Violon   
3 3 5 f

      
                           
Clavecin

   


    
 

                     

                   
          
Violon
    
9

 
          
 
   

Clavecin


  

Ex. 3.7 – Matthew Hindson, Baroquerie : 1er mouvement, m. 30–35

             


Violon
              
p f p p
                 
f
             

       
          
        
Clavecin
    

Ex. 3.8 – Matthew Hindson, Baroquerie : 3e mouvement, m. 2–7

    
   
                           

Violon          
                  
mf

    


 

              
      
Clavecin         
     
   
   
   

Ex. 3.9 – Matthew Hindson, Baroquerie : 1er mouvement, m. 62–64


59

Ex. 3.10 – Matthew Hindson, Baroquerie : 2e mouvement, m. 1–5


60

Avec Baroquerie, Hindson demande de la virtuosité aux deux instrumentistes, le cla-


veciniste étant lui aussi sollicité, mais — dans le même temps — n’apporte pas d’éléments
nouveaux au jeu sur le violon baroque. Il semble que ce compositeur se soit plus inspiré des
techniques d’écriture baroques que des qualités propres à l’instrument. Ces éléments d’écriture
constituent d’ailleurs le principal argument, dans sa notice de l’œuvre :

Dans Baroquerie, j’ai fait référence à certaines caractéristiques musica-


les de la période baroque, y compris la notion de « virtuosité joyeuse », et j’ai
ensuite tenté de les absorber dans mon propre style musical. Les trois mouve-
ments ont chacun leur caractère propre. Le premier mouvement est librement
conçu comme un récitatif et un air. Le second mouvement alterne entre solos
improvisés pour les deux instruments et une mélodie au dessus d’une basse de
ground qui se développe graduellement. Le troisième mouvement utilise des
techniques musicales spécifiques à la période baroque, telles que le cycle des
quintes et une libre interprétation de la forme à ritournelle.38

Nul mot sur l’instrument utilisé et ses qualités timbriques ou ses techniques de jeu parti-
culières. Il semble que cet aspect n’ait tout simplement pas été au cœur des préoccupations du
compositeur.

Musique pour violoncelle baroque soliste

Gualtiero Dazzi, Un pas dans la neige suffit à ébranler la montagne…

Peu d’œuvres ont été destinées à un violoncelle baroque soliste. Parmi celles-ci on trouve
une pièce de Gualtiero Dazzi (1960– ), Un pas dans la neige suffit à ébranler la montagne, pour
violoncelle baroque ou moderne. La pièce a été composée en 1990 pour violoncelle moderne
et destinée ensuite à l’instrument baroque (en 1996). Il s’agit d’une méditation qui oppose de
longues notes tenues, souvent en doubles-cordes, à des passages plus « ornés » (exemple 3.11).
Les tenues sont souvent agrémentées de messa di voce, trait typiquement baroque, surtout ac-
compagné d’un vibrato très léger et enflant progressivement39. Mais cela est bien sûr aussi tout à
fait praticable sur le violoncelle moderne. En réalité, peu d’éléments laissent à penser dans cette
pièce que le violoncelle baroque puisse être plus adapté. Une certaine opulence sonore, surtout
dans les longues tenues et dans les passages legato, est même la bienvenue et peut faire défaut
sur l’instrument ancien. Pour les passages plus « ornés », il n’y a pas non plus d’observation
particulière à apporter quant à l’instrumentation : qu’il s’agisse de trilles ou de « passages », les
deux instruments conviennent également. Il est évident que la différence entre deux exécutions
l’une avec instrument baroque et l’autre avec le moderne résidera essentiellement au niveau de

38.  Notice de l’œuvre, notre traduction.


39.  C’est un des traits en tout cas du jeu à l’ancienne tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, en accord avec Ge-
miniani qui dit qu’il faut donner vie à chaque note ; Geminiani (Francesco), op. cit. p. (8)– (9).
61


 4    

         
10'
3    
calmo meditativo
     
  
 
con vibrato senza vibrato decrsescendo lento

Cello solo
  
 ff pp sub.  pp
ppp p
mf pp mf f

Ex. 3.11 – Gualtiero Dazzi, Un pas dans la neige… : m. 1–12

l’interprète : la lecture de la partition et des gestes musicaux sera certainement passée au filtre
de l’expérience stylistique individuelle, ce que dit explicitement le compositeur affirmant que
« le choix de l’instrument n’est pas seulement lié au timbre. C’est aussi une question de phrasé
et de légèreté donnés par un archet plus léger »40.

Philippe Fénelon, Dix-huit Madrigaux

Dans ses Dix-huit Madrigaux (1996), Philippe Fénelon (1952– ) fait quant à lui appel à
un quatuor d’instruments anciens : violon, alto et violoncelle baroques, et théorbe. Cette for-
mation accompagne les chanteurs mais est aussi sollicitée pour des moments instrumentaux, en
ensemble ou en solo.
Le choix des instruments anciens fait écho à l’écriture qui puise son inspiration chez
Monteverdi et dans la musique médiévale, faisant largement usage de la citation ­— réelle ou
imaginaire. Il y a aussi chez le compositeur, la volonté de s’assurer un mélange harmonieux
entre les voix — un groupe vocal habitué à la musique ancienne — et les instruments, ainsi que
d’éviter « cette dureté et cette acidité de son que donnent parfois des instruments modernes »41.
Les deux numéros destinés au violoncelle seul peuvent être exécutés séparément du cycle de
madrigaux, et constituent un diptyque contrasté.

élégie est une partition grave qui n’est pas sans rappeler le répertoire de la viole de
gambe : la fluidité mélodique associée à une grande liberté rythmique sont comme dramatisés
par les accords qui viennent ponctuer le discours musical (Exemple 3.12). Certaines tournures
mélodiques sont largement inspirées des figures ornementales de l’époque baroque : trillo (me-
sure 6), appoggiatures (mesures 5 et 16 par exemple), et fusées (mesures 10 et 27) sont présents
en filigrane, sans pour autant apparaître comme des citations anachroniques ou s’imposer de
manière agressive à l’auditeur. Au contraire, Fénelon parvient à les intégrer stylistiquement à
son discours en prenant soin d’une part de les insérer dans la logique générale de la pièce, et
d’autre part, en ne cédant pas à la tentation de trop forcer le trait.

40.  Blanc (Patrick), « Musique ancienne et création » dans Musique ancienne aujourd’hui, quels ensei-
gnements pour demain ?, Strasbourg, CNR de Strasbourg éditions, [s.d.], p. 105.
41.  Fénelon (Philippe), Arrière–pensées : entretiens avec Laurent Feneyrou, Paris, Musica Falsa, 1998,
p. 50.
62

Ex. 3.12 – Philippe Fénelon, élégie : m. 1–4

Ex. 3.13 – Philippe Fénelon, Fantaisie: m. 1–3

Dans sa Fantaisie, Fénelon fait encore montre d’une grande habileté à alimenter son dis-
cours à des sources étrangères sans pour autant le dénaturer. Toutefois les allusions sont ici en-
core plus transparentes, et rendent l’usage d’un instrument baroque particulièrement précieux.
Ainsi les premières mesures semblent appeler des articulations et des appuis typiques des dan-
ses anciennes (Exemple 3.13). D’autres réminiscences se font vite entendre, qui rapprochent
immédiatement cette partition des Suites de Bach : la pédale de ré des mesures 15–21 pourrait
évoquer la Gigue de la troisième Suite (Exemple 3.14) pour glisser finalement vers des sono-
rités plus orientales, tandis que les mesures 42–47 rappellent le Prélude de la première Suite
(Exemple 3.15). Peut-être même a-t-on affaire à une vraie citation du nom de Bach à la mesure
51 (Exemple 3.16).
En définitive, l’instrument baroque semble intervenir ici plus comme une méta-citation,
ou en tout cas comme catalyseur de la citation, que comme destinataire unique de la partition :
le violoncelle « moderne » serait aussi bien adapté techniquement, mais il ne rehausserait pas
de la même manière — par son timbre et ses articulations — les pseudo-citations qui fleurissent
tout au long de ces deux pièces, tout comme du reste dans les dix-huit madrigaux de l’œuvre
originelle.
63

Ex. 3.14 – Philippe Fénelon, Fantaisie : m. 15–25

Ex. 3.15 – Philippe Fénelon, Fantaisie : m. 40–49

Ex. 3.16 – Philippe Fénelon, Fantaisie : m. 50–52


64

3.6  Les ensembles de cordes

Après avoir examiné les oeuvres pour solistes, on a pu éprouver une certaine déception
quant à la pertinence de ces instruments baroques dans cette musique. De la musique de cham-
bre à un instrument par partie aux œuvres pour orchestre, nous allons tenter d’évaluer l’intérêt
que peut présenter une instrumentation baroque dans la création musicale nouvelle.

Musique de chambre

La musique de chambre est d’une certaine manière le répertoire de prédilection des ins-
truments baroques dans la mesure où ceux-ci sont construits essentiellement pour cet usage. Les
questions de timbre, et surtout des alliages de timbres, sont ici au centre des choix en matière
d’instrumentation. Dans le cas des violons et violoncelles baroques, il s’agit le plus souvent
de les associer à d’autres instruments anciens, tels que luths, théorbes ou violes de gambe. La
première raison c’est la recherche d’une certaine homogénéité sonore : les cordes en boyau se
marient mal avec des cordes en acier ; on voit ainsi rarement aujourd’hui un violon moderne
associé à une viole de gambe par exemple. C’est en scond lieu parce que dans la plupart des piè-
ces de musique de chambre, ou convoquant un ensemble instrumental réduit, les compositeurs
s’adressent à un groupe composé exclusivement d’instruments anciens. C’est le cas par exem-
ple des pièces composées par le collectif Common Sense pour l’ensemble American Baroque ou
bien des deux pièces de Burgan et Gistelinck pour le Concert Spirituel.

Patrick Burgan, Tristis

Patrick Burgan (1960– ), dans Tristis (2001), traite les instruments d’une manière extrê-
mement conventionnelle et exploite les réminiscences que peuvent susciter les timbres et les
modes de jeu à l’ancienne. Ecrite pour quatre voix, deux violons, alto, violoncelle baroques et
théorbe, la pièce s’appuie sur le texte « Tristis est anima mea »42, souvent mis en musique de
Lassus à Poulenc. Ce texte décrit les derniers moments du Christ avec ses disciples, au jardin
des Oliviers. Burgan fait un usage très expressif et même illustratif des moyens instrumentaux
à sa disposition.
Au début de la pièce, le théorbe ponctue le chant de la basse de notes isolées sur la corde
la plus grave de l’instrument : « Tristis est anima mea usque ad mortem »43. Les cordes accom-
pagnent ces paroles d’un discret halo, un peu à la manière de Bach dans sa Passion selon Saint-
Matthieu. Puis, sur les paroles « Sustinete hic et vigitate mecum »44, les quatre voix s’associent,

42.  C’est le texte du deuxième répons du premier nocturne des matines du Jeudi Saint. Il s’agit d’un mon-
tage de textes : Marc 14:34, Matt. 26:38 (Tristis est anima mea usque ad mortem / Sustinete hic et vigilate mecum)
et des extrapolations de versets isolés des évangiles de Matthieu et Marc.
43.  « Mon âme est triste à en mourir ».
44.   « Demeurez ici et veillez avec moi ».
65

  
43

   
6 6
       
           
Violon 1

    
6

       
Violon 2

       
6
   

Alto

 

6 6

    
          
Violoncelle
      

Ex. 3.17 – Patrick Burgan, Tristis : m. 43–46

 
          
         

                 
82

Vln. I              
3 3 3 3


3

               


3

 
   
3
Vln. II     
       
p dolce
     
3


 
(molto legato)
         
Alto
p dolce

(molto legato)

Ex. 3.18 – Patrick Burgan, Tristis : m. 82–91

accompagnées colla parte par les cordes, comme un écho des disciples aux paroles du Christ.
Sur les paroles « Nunc videbitis turbam »45, le tempo accélère, le volume augmente, les instru-
ments s’agitent et donnent à entendre des bourdonnements oppressants, la foule approche et se
fait de plus en plus pressante (Exemple 3.17). Finalement c’est la fuite, « Vos fugam capietis
»46, naturellement illustrée par un fugato du chant et des cordes en pizzicati, se terminant sur
l’exclamation commune « et ego : ». La pièce s’achève par une « fugue » largement inspirée
de l’Art de la Fugue et qui en épouse même les sonorités de cordes anciennes (Exemple 3.18).
Enfin, la pièce se referme comme elle a commencé, basse et théorbe seuls : « Vadam immolari
pro vobis »47. Burgan fait ici un usage très sobre et très conventionnel des instruments anciens :
tessitures moyennes, modes de jeu traditionnels et langage musical proche de la musique baro-
que font de cette pièce un pastiche habile et non dénué d’émotion.

Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême

Une autre œuvre, cette fois d’Elias Gistelinck (1935– ), a été écrite pour le Concert Spi-
rituel d’Hervé Niquet : Méditation pour le Carême (2001) s’adresse à une voix de soprano et
à un quatuor de cordes baroques ou un ensemble instrumental. Là encore, il s’agit d’une pièce
faisant indirectement référence aux temps de la Passion48. La pièce se présente en trois parties :
« Choral », « Antienne », « Cantique d’Ezéchias ».

45.  « Bientôt vous verrez la foule qui me cernera ».


46.  « Vous, vous prendrez la fuite ».
47.  « J’irai pour être immolé pour vous ».
48.  Voir les Méditations pour le Carême de Marc-Antoine Charpentier (H.380–389) ; celle de Gistelinck
reprend le texte de la seconde de Charpentier (Isaïe 38, 14–17).
66

      
  
           
Violon I              

  
f

Violon II

                

         

    
p sempre
     
Alto

      
p sempre
  
Violoncelle
         
p sempre

Ex. 3.19 – Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême :


« Choral » m. 1–9



   

13
  
Vln. I  
mf sempre

Vln. II                       

           
ppp

Vla.          
ppp

Vc.
                    
molto ppp

Ex. 3.20 – Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême :


« Antienne » m. 13–16

Le choral est entièrement instrumental et présente une mélodie harmonisée tonalement,


très legato et organisée de manière très classique en antécédent, conséquent (2+2+4 mesures).
Cette ligne mélodique passe à tous les instruments, transposée en divers tons, sans que l’accom-
pagnement ne soit varié (Exemple 3.19). Dans le deuxième mouvement, on a réellement affaire,
au premier violon, à un choral, Herzlich thut mich verlangen49, accompagné par de petites cel-
lules répétées constamment par les autres cordes (Exemple 3.20). Peu à peu cet accompagne-
ment se désagrège pour finalement achever le mouvement avec le seul alto. Une courte phrase
de chant, sur les mots de l’antienne « Cunctis diebus vitae nostrae, Salvos nos fac »50, assure
la transition vers le troisième mouvement, « Cantique d’Ezéchias ». On notera d’ailleurs une
certaine parenté avec la mélodie grégorienne (Exemple 3.21).
Ce troisième mouvement ne présente pas de nouveauté quant à l’utilisation du quatuor
à cordes, puisque les instruments assurent essentiellement un rôle harmonique et se canton-
nent ainsi le plus souvent à de longues notes tenues qui soutiennent un chant essentiellement
conjoint. C’est donc ici le simple son du boyau qui est recherché, et pas du tout une qualité d’ar-
ticulation ou des techniques de jeu particuliers. Gistelinck semble finalement plus rechercher
une ambiance archaïsante, par un son brut et une écriture souvent tonale, que l’exploitation de
possibilités nouvelles des instruments anciens.

49.  Connu aussi sous le titre O haupt voll Blut und Wunden (Hans Leo Hassler, 1601).
50.  Texte inspiré de Isaïe 38, 20 : «Seigneur, viens à mon aide, et nous ferons résonner nos harpes tous les
jours de notre vie dans la maison du Seigneur ».
67

18

Vln. I                      
Cun - ctis di - e - bus vi - tae nos - trae Sal - vos nos fac do - mi - ne

Ex. 3.21 – Elias Gistelinck, Méditation pour le Carême :


« Cantique d’Ezechias » m. 42–45

American Baroque et Common Sense

On a le même sentiment à l’écoute des pièces composées par le collectif américain Com-
mon Sense, pour l’ensemble American Baroque. Common sense est un groupe de huit compo-
siteurs fonctionnant comme un workshop et qui s’est constitué en 1993. L’ambition à l’origine
de cette association était l’expérimentation dans la manière de laquelle la nouvelle musique est
conçue, développée et présentée. Dans cette optique, il était tout naturel que ces compositeurs
s’intéressent aux instruments anciens comme voie nouvelle de création. De cette collaboration
avec American Baroque, sont sorties huit œuvres de musique de chambre, toutes enregistrées
sur un disque paru sous le titre « The Shock of the Old ».

Beaucoup de ces pièces sont très largement influencées par la musique répétitive et mi-
nimaliste, c’est le cas notamment de Circa (1996), de Belinda Reynolds (1967– ), pour flûte
traversière baroque, violon baroque, viole de gambe et clavecin . Toute la partition est parcou-
rue d’ostinati rythmiques et de figures répétées et variées aux flûte et violon, le tout soutenu par
un violoncelle jouant les métronomes. Ici c’est la mixture des quatre instruments qui semble
importante, surtout pour des questions d’équilibre : la flûte baroque ne pourrait rivaliser avec
des cordes modernes. Dans des passages présentant de longues notes de flûte flottant au-dessus
d’un arrière-plan répétitif des cordes, cela est précieux. Cette pièce ne présente toutefois pas de
caractéristiques particulières du point de vue du jeu des cordes, comme du reste la plupart des
autres pièces de Common Sense.
Dans Tamper Resistant (1996), pour hautbois baroque, flûte baroque, violon baroque vio-
le de gambe et clavecin, Dan Becker utilise une pièce de Telemann à laquelle il fait subir aug-
mentations, répétitions et autres distorsions. Il reste de ce fait des cellules originales allant de
quelques notes à une phrase complète. Ces fragments étant originellement prévus pour ces ins-
truments anciens, le compositeur n’a eu aucune peine à « écrire » une pièce qui tienne compte
de leurs caractéristiques. Il ne s’agit finalement que d’un pastiche assez humoristique mais sans
véritable substance (Exemple 3.22).
68

Malgré l’affirmation d’une collaboration étroite avec les membres d’American Baroque,
il ne semble pas que du point de vue des techniques instrumentales les œuvres présentent un in-
térêt particulier. Plus intéressante est l’affirmation d’une recherche sur une esthétique qui serait
inhérente aux instruments : la création semble ainsi se plier à une norme organologique qu’il
serait interdit de transgresser.

             


q = 96-104
      
Flûte                            
 
mf
    
Hautbois              
                                                              
f

Violon     
mf

Viole de gambe
          

         
     
    
Clavecin f
        

Ex. 3.22 – Dan Becker, Tamper Resistant : m. 1–5

Gualtiero Dazzi, Lichtzwang

La plus imposante de ces pièces de musique pour petit ensemble, par ses dimensions et
aussi par la gravité des textes utilisés, est certainement Lichtzwang (1996), de Gualtiero Dazzi
(1960– ). Dans sa version la plus large, portant le titre Tenebrae, c’est une confrontation des
Lamentations de Jérémie, mises en musique par Alessandro Scarlatti, et de poèmes de Paul Ce-
lan extraits de son recueil posthume Lichtzwang. Reprenant les mêmes instruments que l’œuvre
de Scarlatti, Dazzi ne paraît pourtant pas attacher une importance particulière à d’éventuelles
caractéristiques spécifiques à ceux-ci. Il semble que ce soit essentiellement le souci d’une conti-
nuité timbrique entre la pièce de Scarlatti et celle de Dazzi qui prime, et il est vraisemblable que
la version Dazzi sans Scarlatti, s’accommoderait très bien d’être exécutée avec des instruments
modernes. Néanmoins, la couleur et les modes de jeu (vibrato, articulation) ne seraient évidem-
ment pas exactement les mêmes.
Certains passages semblent en effet pouvoir être particulièrement bien rendus par les
cordes en boyau et les archets baroques. Dans les numéros V et VII, les deux violons jouent sur
l’hétérophonie, en tournant autour de la note ré et évoquent, certainement aussi en partie par
la sonorité particulière du boyau, quelque instrument exotique, tel que le sarangî par exemple
(Exemple 3.23). Les glissandi et les notes vibrées au demi-ton accentuent encore un peu plus
cette évocation.
Du point de vue de la sonorité des cordes en boyau encore, dans le long récitatif du nu-
méro VIII, les trémolos des basses d’archet sont particulièrement « granuleux », probablement
plus que sur des cordes en acier (Exemple 3.24), et donnent du relief à l’accord très serré de
69

Ex. 3.23 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : V m. 1–6

Ex. 3.24 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : VIII m. 1–14

l’orgue51. Ces sonorités très sombres s’éclaircissent au fur et à mesure, pour aboutir à des textu-
res beaucoup plus légères des cordes : registres plus élevés, accords moins serrés, notes tenues.
On rencontre ce types de sonorités « aériennes » encore au numéro X (Exemple 3.25), en hé-
térophonie. Ce passage est intéressant aussi par le fait qu’il a été révisé pour cause d’une trop
grande difficulté : le registre assez aigu pour le violon baroque et l’unisson des deux violons,
rendaient l’intonation extrêmement délicate (Exemple 3.26).
Quant aux articulations particulières pouvant être rendues par les archets baroques, le
compositeur semble s’en être moins préoccupé, certains passages semblant même en faire un
contre-emploi. Les passages très legato, s’ils ne sont bien sûr pas l’apanage des archets moder-
nes seulement, ne rendent peut être pas le meilleur de la technique des archets baroques. Cela
tient au peu de crin et au poids de ces archets, à quoi l’on peut ajouter leur longueur habituel-
lement inférieure à celle des modernes. Ainsi, les mesures de l’exemple 3.25 ne sont-elles bien

51.  Cet accord, tenu sur vingt-trois mesures, n’est d’ailleurs que l’énonciation des notes du mode utilisé
dans le passage en question.
70

Ex. 3.25 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : X m. 1–7

Ex. 3.26 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : X m. 1–7 (2e version)


71

sûr pas injouables sur un violon baroque, mais elles ne sont pas pour autant très naturelles. Plus
naturelles sont les articulations de l’exemple 3.27 qui font appel à la précision de l’archet baro-
que pour accompagner le jeu mécanique du clavecin.

On a pu constater ici une certaine indifférence du compositeur par rapport aux moyens
qu’il utilise : nulle recherche de timbres nouveaux, nulle exploitation des caractéristiques parti-
culières d’articulation et de phrasé. Bien sûr, des modes de jeu trop « exotiques » auraient nui
au projet d’intégrer la composition nouvelle à la musique de Scarlatti. Il va de soi que la réussite
de la composition ne dépend pas directement de l’exploitation ou non de toutes ou partie des ca-
ractéristiques timbriques et techniques d’un instrument. Si la pièce de Dazzi n’est pas exempte
de qualités, ce n’est toutefois pas grâce à une exploitation optimale de son instrumentarium.

Ex. 3.27 – Gualtiero Dazzi, Lichtzwang : IX m. 7–14


72

Musiques pour grands ensembles

Le répertoire destiné aux ensembles de plus grande envergure est plus rare encore que
celui de musique de chambre, mais certaines des pièces répertoriées présentent l’intérêt majeur
d’avoir été écrites pour des ensembles renommés et par des compositeurs importants dans le
paysage musical contemporain. Deux œuvres d’envergure attireront spécialement notre atten-
tion : Medeamaterial de Pascal Dusapin (1955– ) — composée en 1991 et destinée au Colle-
gium Vocale de Gand et à la Chapelle Royale de Philippe Herreweghe — et Motet III « Hunc
igitur terrorem » de Betsy Jolas (1926– ), écrite pour le vingtième anniversaire des Arts Floris-
sants, en 1999.

Pascal Dusapin, Medeamaterial

L’opéra Medeamaterial est né de la commande faite par le Théâtre de la Monnaie


(Bruxelles)52, d’un prologue au Didon et Enée de Henry Purcell, prologue inexistant dans l’œu-
vre originale. Il s’agissait donc de confronter à la fois deux histoires de couple tragiques53, et
deux esthétiques musicales à priori étrangères. Dusapin convoque ainsi les instruments contem-
porains de l’opéra de Purcell, et avec le chœur du Collegium Vocale de Gand, un certain type
de voix. Se limitant strictement aux cordes, il refuse d’emblée l’opulence sonore qu’aurait pu
offrir l’ajout de flûtes et hautbois, et opte pour une certaine austérité, voire une froideur, des
sonorités. Il faut bien avouer aussi qu’avec Philippe Herreweghe et ses musiciens, c’était à une
esthétique des instruments anciens particulière que Dusapin livrait son œuvre pour sa création :
le tragique et la noirceur du livret appelaient d’une certaine manière cette sonorité très brute,
sans artifice qui caractérise, sinon les instruments anciens, en tout cas l’interprétation qu’en ont
donnée les créateurs54.
Sur Heiner Müller et ce livret, les études abondent et l’auteur lui-même nous a laissé quel-
ques pistes de réflexion dans un recueil autobiographique55. Le texte éponyme de l’opéra, rédigé
entre 1962 et 1982, est une réécriture du mythe ancien, un dialogue avec les textes antiques de
Sénèque et Euripide, mais aussi avec la Médée de Hanns Henny Jahnn56. Cette notion de réé-
criture, de dialogisme57, dans l’œuvre de Müller, a été largement commentée. Mais il apparaît
que Dusapin dialogue lui aussi : avec Purcell, avec les moyens instrumentaux et vocaux mis à sa
disposition, avec la musique ancienne et son esthétique. Márta Grábócz a identifié cinq modes
d’écriture mettant en relation plus ou moins directe la musique baroque et la pièce de Dusapin :

52.  Et de son directeur de l’époque, Bernard Foccroulle, à qui est dédiée l’œuvre.
53.  « La partie dialoguée de Matériau-Médée est presque le sténogramme de la dispute d’un couple qui
en est au dernier stade, ou dans une crise relationnelle », Müller (Heiner), Guerre sans bataille. Vie sous deux
dictatures, Paris, L’Arche, 1996, p. 270.
54.  Enregistrement Harmonia Mundi HMT 7905215.
55.  Müller (Heiner), op. cit.
56.  Hanns Henny Jahnn (1894–1959), écrivain allemand, fut aussi facteur et restaurateur d’orgues.
57.  Klein (Christian), Heiner Müller ou l’idiot de la république : le dialogisme à la scène, Berne, Peter
Lang, 1992.
73

passacaille, perpetuum mobile, ostinati, modes anciens, « stile espressivo »58. Nous allons ten-
ter de déterminer comment Dusapin tient compte des spécificités des instruments anciens dans
ces différentes modalités du discours musical.
L’évocation de la chaconne baroque ne présente pas apparemment de spécificités quant
aux instruments anciens, néanmoins le passage de la partition concerné est caractéristique du
rôle généralement confié aux cordes dans la partition. Ce fragment traduit une douleur immense
et cette douleur immense, qui submerge d’une certaine manière tout l’opéra, est exprimée ici
par une grande oppression. Un seul accord contenant un triton et une seconde mineure, tenu
aux cordes, et une descente doublement chromatique (chromatisme du dessin et intervalle en-
tre ténors et basses) répétés deux fois dans un crescendo menant au forte, appellent la grande
concentration de son et en même temps la netteté des changements de notes que peuvent offrir
les cordes baroques (Exemple 3.28). Les mesures suivantes demandent ces mêmes caractéristi-
ques, avec les effets de messa di voce qui nécessitent, pour être efficaces, un jeu senza vibrato
(Exemple 3.29).
Dans le même esprit, les passages en ostinati semblent appeller eux aussi le jeu neutre et
le son concentré des cordes anciennes. Ainsi le passage des mesures 222 à 272, avec ses vibra-
tos d’archet et ses accords statiques, est-il rendu proprement entêtant par l’implacabilité froide
des cordes (Exemple 3.30). Aux mesures 351 et suivantes, le même phénomène se produit,
avec des figures différentes : martèlements de croches et balancements se répètent, semble-t-il,
à l’infini (Exemple 3.31).
Sur les modes, outre leur utilisation expressive et symbolique, il faut remarquer que Du-
sapin prescrit une différentiation des dièses et des bémols59. Il s’en explique assez longuement
dans la notice de la partition :

Le tempérament pourrait être un compromis entre un mésotonique et


un Werckmeister 3 car toutes les échelles utilisées pour Medeamaterial sont
conçues en différenciant les dièses et les bémols. Dans ce tempérament « ba-
roque », les dièses sonnent plus bas que les bémols. Même si je n’ignore pas
l’aspect un peu utopique de cette démarche, il est cependant important de
veiller à construire une intonation la plus exacte possible. Les phrases écrites
[avec sol bémol suivi de fa dièses par exemple] ne sont pas exclusivement une
« coquetterie » mais doivent induire une couleur harmonique et expressive
sans cesse mouvante. En revanche, et pour des raisons de commodité orga-
nologique, je fais quelquefois des entorses à cette règle pour l’écriture des
claviers. Ces deux instruments (Positif et Clavecin) ne peuvent évidemment
se prêter à une telle différentiation entre dièse et bémol.60

58.  Grábócz (Márta), « La notion de réécriture dans Medeamaterial » dans Backès (Jean-Louis), Coste
(Claude) et Pistone (Danièle) éd., Littérature et musique dans la France contemporaine, Strasbourg, Presses Uni-
versitaires de Strasbourg, 2001, p. 289–313.
59.  Sur les modes dans Medeamaterial voir Grábócz (Márta), op. cit. p. 306–308 ; sur les modes dans
l’œuvre de Dusapin en général, on se réferrera à Amblard (Jacques), Pascal Dusapin : l’intonation ou le secret,
Paris, Musica Falsa, 2002.
60.  P. I de la partition.
74

Ex. 3.28 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 84–88

Ex. 3.29 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 89–92


75

Ex. 3.30 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 222–231

Ex. 3.31 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 351–359


76

Cette note liminaire appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord sur le caractère uto-
pique de la prescription, on remarquera que la différentiation des tempéraments n’est pas im-
possible, surtout avec la présence d’un clavier. Les musiciens baroques sont habitués à adapter
leur intonation à différents systèmes d’accord : Werckmeister III, Valotti et mésotonique étant
les plus courants. Toutefois, sans le secours d’un instrument de référence ou si celui-ci est cou-
vert par un orchestre complet, la problématique n’est alors plus du tout la même. Beaucoup de
traités instrumentaux de l’époque baroque insistent sur le fait que l’intonation des instruments
autres que ceux à frettes ou à clavier est très mouvante selon le contexte et qu’il est indispensa-
ble de différencier les enharmonies, en d’autres termes qu’il n’existe alors plus de « tempéra-
ment » à proprement parler, mais une intonation la plus juste possible et se rapprochant souvent
du tempérament mésotonique61.
Enfin, il serait difficile de définir précisément ce que pourrait être ce tempérament si-
tué entre un mésotonique et un Werckmeister III. Pour rappel, le tempérament mésotonique
« classique » produit huit tierces pures, et réduit onze quintes de ¼ de comma syntonique. La
douzième quinte, la quinte du loup, est quant à elle beaucoup trop grande62. Le tempérament
Werckmeister III63, est construit sur cinq quintes abaissées de ¼ de comma syntonique (ré - la,
la - mi, fa# - do#, do# - sol#, fa - do), et une quinte augmentée de la même quantité (sol# - ré#). On
trouvera une comparaison des deux tempéraments dans le tableau 3.3. Nous remarquons ainsi
que le tempérament Werckmeister III n’est que très légèrement inégal, alors que le mésotonique
présente de grandes disparités. Un tempérament situé entre ces deux extrêmes semble être donc
plutôt de l’ordre du tempérament égal avec différenciation des dièses et des bémols. On est ici
très proche d’un simple jeu microtonal, l’appellation « tempérament » ne concernant que l’or-
gue et le clavecin, qui ne peuvent de toute manière pas différencier dièses et bémols.64

Le style motorique, meccanico, de certains passages est particulièrement intéressant du


point de vue de l’articulation et du phrasé des cordes baroques. Aux mesures 124 et suivantes,
les cordes accompagnent le clavecin en pizzicati (ripieni) et sul ponticello legato (premiers so-
los). Ainsi, le son métallique du clavecin est-il accentué par ce halo d’harmoniques du jeu sur
le chevalet, tout en préservant l’aspect percussif de l’instrument (Exemple 3.32). Ces figures
sont répétées mesure 160 et suivantes, arco pour toutes les cordes, cette fois-ci dans des gestes
beaucoup moins rythmiques, dans une expression plus lancinante contrastant avec les ferraille-

61.  Voir Haynes (Bruce), « Beyond Temperaments : Non-Keyboard Intonation in the 17th and 18th Centu-
ries », Early Music, vol. 19, n° 3, 1991, p. 356–381 ; on consultera aussi Barbieri (Patrizio), « Violin intonation :
a historical survey », Early Music, vol. 19, n° 1, 1991, 69–88.
62.  Il est intéressant de remarquer que c’est ce tempérament qui est demandé par Ligeti dans sa Passaca-
glia Ungherese.
63.  Dusapin inclut dans la notice de la partition, deux pages du traité de Werckmeisrer, Die Musicalische
Temperatur (Quedlinburg, 1691).
64.  Dusapin affirme avoir dû chercher concrètement, par tâtonnements et essais successifs, les moyens
d’une technique d’écriture non tempérée (Formery (Christophe), L’utilisation des instruments anciens dans la
musique contemporaine : techniques instrumentales, procédés d’écriture et caractéristiques stylistiques et esthé-
tiques, Mémoire de DEA, IRCAM/EHESS, 1991, p. 89 sq.
77

ments du clavecin (Exemple 3.33). Le même contraste est obtenu, sur une partie de clavecin
meccanico, avec des cordes très « glissantes », dans une expression toujours froide et neutre,
malgré le caractère oppressant de la musique (Exemple 3.34).
Les crises hystériques ou sur-expressives de Médée appellent toujours un accompagne-
ment de cordes complètement détaché, comme pour accentuer sa solitude et son étrangeté.
Ainsi, aux mesures 176 et suivantes, les cordes continuent-elles leur mouvement meccanico
commencé plus tôt, tandis que Médée fait entendre des sauts d’octave allant jusqu’au contre-mi
(Exemple 3.35). La scène par laquelle Médée prépare sa vengeance, mesures 386 et suivantes,
est accompagnée des cordes sul ponticello ou en harmoniques. Les ponctuations et unissons
avec le chœur ou la soliste, alternent dans une sorte de fatalité inéluctable et inflexible contre
laquelle Médée se débat sans résultat (Exemple 3.36).

Dans toute la partition, les cordes, par le paysage lunaire qu’elles évoquent, par cette
lueur blafarde et froide qu’elles rayonnent, semblent isoler un peu plus Médée, la renvoyer en-
core plus loin dans ses contradictions et dans son étrangeté. C’est dans la schizophrénie la plus
complète qu’elle est plongée : héroïne mythique, à la fois bourreau et victime, de notre temps
et d’un autre temps, étrangère — d’abord à elle-même — et en même temps en terrain connu.
Comme les instruments baroques utilisés ici…

do do# ré ré# mi fa fa# sol sol# la la# si do


Mésotonique 0 76 193 310 386 503 579 697 773 890 1007 1083 1200
Werckmeister III 0 96 204 300 396 504 600 702 792 900 1002 1098 1200

Tab. 3.3 – Comparaison entre le tempérament mésotonique au ¼ de comma


et Werckmeister III (en cents)
78

Ex. 3.32 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 124–127

Ex. 3.33 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 160–163


79

Ex. 3.34 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 530–532


80

Ex. 3.35 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 176–179

Ex. 3.36 – Pascal Dusapin, Medeamaterial : m. 386–393


81

Betsy Jolas, Motet III

Dans le monumental Motet III de Betsy Jolas, c’est un tout autre monde sonore qui s’offre
à l’auditeur. Les effectifs à l’œuvre sont très différents de ceux de l’opéra de Dusapin, puisque
Betsy Jolas fait appel à un orchestre aux dimensions symphoniques (nomenclature au tableau
3.4). Ce riche instrumentarium rend possible une infinité de combinaisons sonores. A l’écoute
de cette partition, on retrouve toute la richesse timbrique de l’orchestre symphonique, que Jolas
ne se prive pas d’exploiter d’une manière très variée.
Pourtant, dans ce foisonnement on a peine à retrouver des sonorités caractéristiques des
instruments anciens. Comme chez Dusapin, ce sont certaines ambiances et une certaine clarté,
largement imputables au jeu senza vibrato, qui sont ici les traits les plus saillants de l’orchestre
et du chœur baroques. En réalité, la sonorité des instruments anciens s’épanouit le mieux dans
les passages solistes.

L’œuvre étant construite un peu à la manière des grands motets français, il y a alternance
de parties tutti, d’intermèdes instrumentaux et de parties solistes. Ces partie solistes, reprennent
souvent la distribution en parties vocales et basse continue, ici le groupe nommé Concertino-
Continuo dans la nomenclature. Ainsi, le commencement de la pièce convoque-t-il les deux
sopranos solistes et un groupe de basse continue un peu particulier composé des habituels vio-
loncelle, viole de gambe, théorbe et orgue, et complété par les plus inhabituelles timbales et une
« réalisation » des sopranos et altos du chœur, chantant bouche fermée.
Le long duo de ténors des mesures 70 et suivantes (lettre E), est quant à lui plus conven-
tionnel dans son instrumentation et donne lieu à des figurations de doubles croches « très iné-
gales » de la viole et du violoncelle (Exemple 3.37). Dans la troisième partie, un long solo de
baryton, précédé de quelques mesures de théorbe seul, associe la viole de gambe à une contre-
basse dans le registre grave, faisant sonner les grosses cordes de boyau dans des crescendi que
l’on pourrait dire « ronflants » ou « bruiteux » (Exemple 3.38).
Les violons sont toujours mobilisés en ensemble, une fois en division par quatre (pre-
mière partie, mesure 259). Lorsqu’ils ne participent pas aux effets de tutti, c’est souvent en toile
de fond qu’ils interviennent. En trémolos, avec sourdine ou dans le registre suraigu, Jolas met
à profit une certaine froideur du son, déjà rencontrée chez Dusapin, pour créer des atmosphères
souvent oppressantes.
Mais d’une manière générale, la matière sonore foisonnante et l’écriture en tutti très four-
nis ne favorisent pas l’émeregence d’un son d’« orchestre baroque » hormis peut-être pour les
vents, qui sont en position soliste et qui ont un timbre plus caractéristique. Mais ce n’est certai-
nement pas l’aspect le plus important de cette pièce par ailleurs très réussie.
82

Nomenclature des instruments

VOIX: Solistes: 2 sopranos


2 ténors
1 baryton

Choeur mixte: soprano - alto - tenor - basse

INSTRUMENTS: Bois 1 piccolo


1 flûte
2 hautbois
2 bassons

Cuivres 2 trompettes (in C - in Es)


1 trombone ténor

Percussions timbales (4 timb. G C C# Fa#)



Clavier 1 orgue
1 théorbe

Cordes 8 violons
5 altos
4 violoncelles
1 viole de gambe
2 contrebasses

Concertino-Continuo (5)
violoncelle
viole de gambe
contrebasse
orgue
théorbe

Tab. 3.4 – Nomenclature de Motet III (Betsy Jolas)


83

Ex. 3.37 – Betsy Jolas, Motet III : Prima Pars, m. 71–81


84

Ex. 3.38 – Betsy Jolas, Motet III : Tertia Pars, m. 45–66


Chapitre 4
Les violes de gambe

Avec le répertoire pour viole de gambe, nous entrons dans un domaine plus souvent ar-
penté et qui offre en même temps des perspectives nouvelles pour la création musicale. Les
oeuvres pour viole de gambe restent encore marginales dans les catalogues des compositeurs,
mais un certain nombre d’entre eux, de toutes sensibilités, se sont confrontés à cet instrument.
Nous verrons qu’il y a certainement encore des possibilités nouvelles à explorer, en particulier
dans la voie ouverte par Thierry Pécou.

4.1  Origines et morphologie de la viole de gambe1

La viole de gambe, ou plutôt les violes de gambe, trouvent leur origine aux mêmes sour-
ces que les violons, c’est-à-dire avec les instruments à cordes médiévaux tels que rebecs et
vielles. Un certain nombre d’illustrations présentent ces instruments joués sur les genoux dès
le 12e siècle. On trouve ainsi un rebec joué de cette manière dans les Cantigas de Santa Maria
(Figure 4.1)2. Mais il semble que cet usage des instruments à archet ait disparu presque partout
en Occident durant le 14e siècle, sauf en Aragon où l’on continue de jouer de cette manière.
C’est d’ailleurs en Espagne que l’on trouve les premières représentations picturales de la viole,
vers la fin du 15e siècle. L’instrument se répand rapidement dans tout le bassin méditerranéen
pour atteindre l’Italie aux alentours de 1500 et connaîtra dès lors une expansion sans frein à
travers toute l’Europe.

1.  Pour une information particulièrement synthétique sur les violes de gambe, on se référera à l’article
« Viola da gamba » dans la MGG (édition de 1998). Bien qu’un peu daté, l’ouvrage de Nathalie Dolmetsch reste
une référence intéressante : Dolmetsch (Nathalie), The Viola da Gamba : its origin and history, its technique and
musical resources, Londres, Hinrichsen, 1962.
2.  Manuscrit conservé à la bibliothèque du monastère San Lorenzo de El Escorial.
86

Fig. 4.1 — Cantigas de Santa Maria (13e siècle)

Fig. 4.2 – Quelques différences de construction


entre violes Renaissance et baroques
87

La viole de gambe évolue rapidement à la faveur de ce développement, si bien que les


instruments de la Renaissance diffèrent sensiblement de ceux des 17e et 18e siècles. Il s’agit
essentiellement de différences dans des détails de construction qui ne sont pas sans rappeler
les modifications apportées aux instruments de la famille des violons au 18e siècle, telles que
le rehaussement du chevalet ou l’adjonction d’une barre d’harmonie et d’une âme par exemple
(Figure 4.2)3.
Comme pour la plupart des autres instruments de la Renaissance, on désigne toute la
famille des violes sous le même terme générique de « viole de gambe ». Le consort peut ainsi
regrouper les instruments de la basse, ou même contrebasse, au soprano4. Mais dans l’usage
courant, viole de gambe signifie basse de viole, et plutôt la viole de Forqueray que celle de
Ganassi.
Cette basse de viole « standard » comporte donc le plus souvent sept cordes, accordées
par quartes et tierce. Les modes d’accord ont beaucoup varié selon les époques, les lieux et les
auteurs, mais suivent habituellement ce schéma. La basse à sept cordes est ainsi accordée ordi-
nairement en AA D G c e a d.5 Ces cordes sont en boyau, les plus grosses étant filées d’argent
ou de cuivre.
L’archet ressemble fort à son homologue pour violoncelle : forme convexe, mèche étroite,
hausse à coincer, puis à crémaillère et enfin à vis. Quant à sa forme générale, elle n’a jamais
évolué vers une cambrure convexe et la tête est toujours restée en forme de tête de brochet, et
on n’en connaît pas qui ait une tête de marteau.
Les deux autres membres du consort de violes, le tenor et le dessus (treble), partagent
avec la basse la même allure générale, mais diffèrent quant à leur taille et leur accord : le dessus
est accordé à l’octave de la basse et le ténor, le plus souvent, une quarte plus haut.

4.2  La renaissance de la viole

Alors que les modifications organologiques opérées sur les violons et violoncelles à la
fin du 18e siècle étaient définitifs et ne furent jamais remis en question avant l’avènement des
instruments historiques, la disparition présumée de la viole de gambe après 1780 doit être re-
lativisée.

3.  La figure provient de l’article de Ian Harwood sur les violes Renaissance : Harwood (Ian), « An intro-
duction to Renaissance viols », Early Music, vol. 2, n° 4, 1974, p. 234–246.
4.  Playford signale d’ailleurs l’appellation « consort viol », et dénombre trois tailles: treble, tenor et bass
(Playford (John), Introduction to the Skill of Music, Londres, 1664, p.91). Ce sont les trois tailles d’instrument
utilisées dans la musique de consort proprement dite. Chez Banchieri, on trouve mention des Violone da gamba
et Violone in contrabasso con tasti (Banchieri (Antonio), Conclusioni del suono dell’organo, Bologne, 1609).
Prætorius cite quant à lui la « Groß Viol de gamba » (violono ou Contrabasso da Gamba) (Prætorius (Michael),
Syntagma Musicum II : De Organographia, Wolfenbüttel, 1619, p. 44). Pour un aperçu de ces difficultés termi-
nologiques voir l’article «Violone» dans la MGG ainsi que Baines (Francis), « What exactly is a violone?: a note
towards a solution », Early Music, vol. 5, n° 2, 1977, 173–176.
5.  On trouvera un tableau synthétique de ces accords de la viole dans l’article « Viola da gamba » de la
MGG, col. 1589–90.
88

S’il est vrai que la mort de l’un des derniers violistes virtuoses du 18e siècle, Carl Frie-
drich Abel (1723–1787), est commode pour assigner une date à la fin de la viole comme ins-
trument actuel, il n’en demeure pas moins qu’il y a une histoire de la viole au 19e siècle, et que
cette histoire ne se résume pas seulement aux concerts historiques qui font alors leur apparition
un peu partout en Europe6.
De nombreux éléments montrent que la viole connaît encore une certaine actualité jus-
que dans les premières décennie du 19e siècle. Il serait ainsi exagéré de croire qu’Abel était le
dernier violiste important, d’autres musiciens plus tardifs ayant exercé encore après sa mort.
D’autre part, un examen détaillé des dictionnaires et traités musicaux de l’époque montre qu’il
faut nuancer l’obsolescence présumée de la viole à cette époque. Il est vrai qu’en France et sur-
tout en Italie, il y a déjà bien longtemps que la viole est perçue comme un instrument archaïque,
mais en Allemagne et en Autriche, il semble qu’elle reste actuelle encore au moment même où
elle apparaît dans les concerts historiques en France. Une pratique amateur semble avoir aussi
perduré tout au long du siècle en Angleterre et la tradition, si l’on en croit ce qu’affirmait encore
Edward J. Payne en 1889, ne s’est jamais complètement perdue:

Et bien que le dernier grand professeur de l’instrument, Karl Friedrich


Abel, […] soit mort il y a un siècle, je pourrais prouver, si cela était néces-
saire, que l’art d’en jouer ne s’est jamais éteint dans ce pays, mais que les
traditions de l’instrument ont survécu dans une constante succession d’inter-
prètes amateurs.7

A cette présentation orale de la viole de gambe devant les membres de la Royal Musical
Association de Londres, Payne avait adjoint un concert de pièces et airs avec viole de gambe
incluant des œuvres de Hændel, Abel ou encore Johann Sebastian Bach. Et si la plupart des
auditeurs entendaient alors une viole de gambe pour la première fois, le renouveau de la viole
et de son répertoire ancien avait déjà été initié ailleurs en Europe quelques décennies plus tôt.

Les concerts historiques bien connus de Fétis (1832–35) sont une étape décisive dans cet-
te redécouverte, mais c’est surtout à la fin du 19e siècle que s’accélère, en même temps que celle
de toute la musique ancienne, la renaissance de la viole8. C’est alors que le goût pour les col-
lections d’instruments anciens se développe dans un esprit tout romantique. En 1880, Auguste

6.  à ce sujet, voir Rutledge (John), « Towards a history of the viol in the 19th century », Early Music, vol.
12, n° 3, 1984, p. 328–336.
7.  « And although the last great professor of the instrument, Karl Firedrich Abel, […] died a century ago, I
could prove, if it were necessary, that the art of playing it has never died out in this country, but that the traditions
of the instrument have survived in a constant succession of amateur performers » ; Payne (Edward John), « The
Viola da Gamba », Proceedings of the Musical Association, 1888–1889, p. 93.
8.  Sur ces sujets, on consultera Rutledge (John), « Late 19th Century Viol Revivals », Early Music, vol.
19, n° 3, 1991, p. 409–418 ; ainsi que les premiers chapitres de Haskell (Harry), The Early Music Revival : a
History, Dover, 1996.
89

Tolbecque (1830-1919)9, accompagné par Saint-Saëns et Paul Taffanel, joue en concert une des
Pièces de clavecin en concert de Rameau. Moins de dix ans plus tard, les premiers ensembles
spécialisés apparaissent : la Société des Instruments Anciens à Bruxelles dès 1889, avec un vio-
loncelliste reconnu, Jules Delsart, à la viole. Par la suite c’est la Société des Instruments Anciens
Casadesus, qui se produira partout en Europe de 1901 à 1939, en présentant, outre la viole de
gambe, le clavecin et la viole d’amour.
Il ne faut bien sûr pas oublier la figure emblématique d’Arnold Dolmetsch (1858–1940)
qui fut à la fois le continuateur et l’amplificateur du mouvement amateur et de l’intérêt pour la
facture des instruments anciens. Mais c’est surtout avec les figures de Paul Grümmer et de son
élève August Wenzinger que la viole connaît un développement durable et surtout un rayon-
nement académique. Paul Grümmer (1879–1965), qui a été violoncelle solo à la Musikverein
et à l’Opéra de Vienne, a enseigné le violoncelle à l’Académie de musique de Vienne, puis à
Cologne et Berlin. Il s’est produit dans toute l’Europe comme chambriste avec le Busch-Quaar-
tett. Mais le plus intéressant pour nous, c’est sa Viola da Gamba-Schule10, qui est l’un des rares
exemples de traité moderne d’instrument ancien.
La figure d’August Wenzinger (1905–1996) est quant à elle fortement liée à la Schola
Cantorum de Bâle : il en fut l’un des fondateurs, et aussi le premier professeur de viole de
gambe11. Il y forma plusieurs ensembles de violes, et parmi ceux-ci, un trio avec lequel il créa
plusieurs pièces de compositeurs suisses tels que Rudolf Keltenborn (1931– ) et Conrad Beck
(1901-1989) ou bien encore l’américain David Loeb (1939– )12. Il a eu aussi une grande in-
fluence aux Etats-Unis, où il a enseigné régulièrement dès 1953.
Sur ces bases et dans le mouvement général du développement de la musique ancienne
de l’après-guerre, la viole de gambe connaît alors un engouement à la fois des interprètes et des
auditeurs, succès couronné par le premier rôle d’un long métrage qui aura beaucoup contribué
à populariser encore d’avantage la viole de gambe : Tous les matins du monde (1991)13.

4.3  Technique de la viole de gambe

Les techniques de jeu de la viole diffèrent grandement de celles du violoncelle. C’est


essentiellement la technique d’archet qui distingue les deux instruments.
En effet, la tenue de l’archet la paume tournée vers le haut, influe de manière significative

9.  Issu d’une illustre famille de musiciens, on lui doit, outre la conservation et la restauration de nombreux
instruments aujourd’hui au musée instrumental de Bruxelles, un traité de lutherie (L’art du luthier), un ouvrage
historique (Notice historique sur les instruments à cordes et à archet), ainsi qu’un livre d’exercices pour le violon-
celle (La gymnastique du violoncelle).
10.  Grümmer (Paul), Viola da gamba-Schule, Leipzig, 1928.
11.  Parmi ses élèves, Jordi Savall est certainement le plus illustre. Il lui succéda à la Schola Cantorum en
1973.
12.  Un disque de deux de ses compositions pour violes avait été enregistré aux Etats-Unis par Wenzinger:
The Viola da Gamba Yesterday and Today (Gasparo GS-210).
13.  Réalisé par Alain Corneau d’après le roman de Pascal Quignard (Gallimard, 1991).
90

sur le jeu. Toute la gestuelle de la main droite est affectée par cette manière particulière. Jean
Rousseau explique ainsi la conduite de l’archet :

Pour conduire l’archet, il faut que le poignet soit avancé en dedans, &
commençant à pousser l’Archet par le bout, le poignet doit accompagner le
bras en obeïssant ; c’est à dire que la main doit avancer en dedans, & quand
on tire il faut porter la main en dehors, toûjours en accompagnant le bras sans
tirer le Coude ; car on ne doit pas l’avancer quand on pousse, ny le porter en
arriere quand on tire.14

Cette façon de mouvoir l’archet sur les cordes implique donc une certaine souplesse du
poignet qui est pointée explicitement par Danoville:

Il est nécessaire pour la belle execution d’avoir la flexibilité du poignet


& que le bras agisse pour le secourir; cette flexibilité ne s’acquiert que par le
grand exercice.15

C’est la flexibilité du poignet qui produit cette attaque si caractéristique de la viole16 : un


élan très rapide de l’archet qui donne un certain rebond, une dynamique que l’on ne retrouve
sur aucun autre instrument à archet.
L’autre conséquence de la prise de l’archet, la paume tournée vers le haut, c’est l’inver-
sion des coups d’archet par rapport à ceux des violons: le tirer est plus faible que le poussé, si
bien que les règles, héritées de Lully, sont inversées pour la viole. Et comme le remarque Dol-
metsch, cette position empêche les accents trop appuyés, simplement parce que le poids du bras
ne s’applique pas sur la corde. Ceci entraîne que c’est essentiellement la vitesse de l’archet qui
est en cause dans l’accentuation17.
Les six ou sept cordes de l’instrument sont bien sûr susceptibles de sonner en accords:
ceux-ci peuvent être aussi bien joués brisés, que plaqués — même sur trois ou quatre cordes
simultanément — grâce à la grande vitesse de l’archet lors de l’impulsion du poignet.

Pour la main gauche, il faut noter d’abord que la présence de frettes limite l’intonation
de l’instrument aux degrés de la gamme chromatique dans un tempérament prédéfini. Bien sûr
l’instrument peut être joué au-delà des frettes, ce qui permet alors une totale liberté d’intona-
tion.
On remarquera aussi que le vibrato est praticable et pratiqué dès l’époque baroque.
Deux sortes de vibratos coexistent alors : le vibrato à un doigt tel qu’on le connaît et le définit

14.  Rousseau (Jean), Traité de la viole, Paris, 1687, p. 33.


15.  Danoville, L’art de toucher le dessus et basse de viole…, Paris, Christophe Ballard, 1687, p.11.
16.  Poignet qui doit rester coordonné aux mouvements du bras: « Il faut toûjours accorder le poignet avec
le bras; car qui ne jouëroit que de l’un ou de l’autre, comme plusieurs font, ne feroit jamais rien qui vaille. » ;
Demachy, Pieces de violle, En Musique et en Tablature, Paris, 1685, Introduction, p. 10.
17.  Dolmetsch (Arnold), The Interpretation of the Music of the Seventeenth and Eighteenth Centuries,
Londres, Novello & Co, 1915 (rééd. University of Washington Press, 1969), p. 446 sq.
91

aujourd’hui, et un vibrato à deux doigts, cité par Marais et Rousseau par exemple. Le premier
s’exécute « en variant le doigt sur la touche »18, c’est-à-dire par un balancement de la main.
Ce vibrato s’appelle en France « plainte », ou « aspiration » selon les auteurs, en Angleterre
« close shake »19. La seconde manière, ce que Rousseau appelle « batement », s’apparente plus
au flattement des flûtistes, et « se fait lors que deux doigts estant pressez l’un contre l’autre, l’un
appuye sur la chorde, & le suivant la bat fort legerement ».20
Enfin, la manière particulière de tenir la viole, coincée entre les jambes, induit un rapport
particulier à l’instrument que l’on soutient soi-même complètement, mais que l’on met dans le
même temps à distance : on peut aisément se regarder jouer, en tout cas voir sa main gauche
poser les doigts sur la touche. Cela influence aussi directement l’expressivité musicale.21

4.4 Musique pour viole soliste

Comme nous l’avons constaté à partir du corpus d’œuvres établi plus haut, les premières
pièces pour viole de gambe soliste ont été écrites assez tôt au vingtième siècle. Nous passerons
rapidement sur la pièce de William Wordsworth22, Nocturne pour viole de gambe et clavier
(1948), qui semble être un pastiche23. L’enthousiasme de certains gambistes pour les composi-
tions nouvelles, tels que David Nesbitt ou August Wenzinger, a permis le développement d’un
répertoire encore modeste ­— mais appelé à s’étoffer avec le temps — de pièces pour la viole
soliste dès 1940, avec la Sonate pour viole de gambe et orgue de Conrad Beck (1901–1989) ou
bien encore Little Suite d’Adrian Cruft (1921–1987).

Murray Adaskin, Two Pieces

Cette collaboration étroite entre le compositeur et son dédicataire se manifeste particuliè-


rement dans une pièce plus tardive, Two Pieces for viola da gamba de Murray Adaskin (1906–
2002)24, composées en 1972 pour la violoncelliste et gambiste canadienne Peggy Sampson25.

18.  Demachy, op. cit., p. 9.


19.  Il faut prendre garde à la taxinomie extrêmement confuse, un mot désignant plusieurs agréments fort
différents, comme l’aspiration et la plainte par exemple qui n’ont pas le même sens chez Demachy que chez Rous-
seau.
20.  Rousseau (Jean), op. cit., p. 100.
21.  Sur les postures des violistes dans l’histoire de l’instrument et dans les traités voir Woodfield (Ian),
« Posture in Viol playing », Early Music, vol. 6, n° 1, 1978, p. 36–40.
22.  William Wordsworth (1908-1988) est un compositeur britannique prolifique ayant toujours revendiqué
un certain attachement à une tradition rassurante face aux audaces de l’avant-garde. Pour un aperçu de son œu-
vre on peut consulter Goddard (Scott), « William Wordsworth », The Musical Times, vol. 105, n° 1460, 1964, p.
732–734.
23.  Daniells (Ruth), « Viols in the twentieth century », The Consort, vol. 20, 1963, p. 210–203.
24.  Comme la plupart des compositeurs canadiens, Murray Adaskin demeure inconnu en Europe. Il a laissé
une œuvre abondante flirtant souvent avec un néoclassicisme archaïsant, comme dans sa Sonatine Baroque pour
alto ou bien encore dans sa Sonate pour violon et piano.
25.  Peggie Sampson (1912– ), née à Édimbourg et naturalisée canadienne en 1973, a été professeur de
violoncelle, d’histoire et de théorie musicale à l’Université du Manitoba de 1951 à 1971, puis de théorie musicale
92

Ces deux pièces notées Adagio et Allegretto, présentent une assez intéressante entrée en matière
dans la composition pour les violes de gambe.
Ici, Adaskin oppose une première pièce assez exigeante techniquement à une deuxième
pièce d’écriture beaucoup plus conventionnelle. Dans la première, on trouve ainsi tout un « ar-
senal » technique pour la viole de gambe : pizz de la main gauche, harmoniques naturels et
artificiels, glissandos et accords arpégés constituent la palette des moyens mis en œuvre ici.
Il s’organise en une section de treize mesures, assez dense, donnée au commencement et à la
fin et encadrant un long passage plus aérien alternant glissandos, notes aiguës et harmoniques
(Exemples 4.1 et 4.2).
Cette opposition entre un jeu très legato, en doubles-cordes, et exploitant tous les registres
de l’instrument, et le son très flûté de la viole dans les harmoniques et les notes « hors frettes »,
ne se retrouve pas dans la seconde pièce qui demande elle aussi une grande virtuosité de la part
de l’interprète : dans la vitesse digitale de la main gauche et dans les mouvements rapides de
l’archet qui balaye toutes les cordes, souvent dans le temps limité de six croches.
Cette pièce à l’allure de scherzo, rappelle beaucoup les mouvements rapides et virtuoses
de certaines pièces de Marais. Il s’organise en deux parties notées allegretto, encadrant un an-
dantino (de la mesure 39 à la mesure 69). Il n’y a pas ici d’usage particulièrement innovant de
la viole de gambe, hormis encore les harmoniques et le jeu dans l’aigu, mais il est certain que
la manière propre à l’instrument de conduire l’archet donne à cette seconde pièce un caractère
proprement violistique, tout particulièrement dans des passages tels que les premières mesures
(Exemple 4.3) ou bien encore les mesures 83—89 (Exemple 4.4). L’archet, par l’élan que la
main droite lui donne naturellement, produit un caractère dynamique particulier dans ces pas-
sages, caractère qui ne pourrait être obtenu au violoncelle par exemple.

Jean-Yves Bosseur, Birdy

La pièce de Jean-Yves Bosseur, Birdy (1987), elle aussi écrite pour viole de gambe solo,
fait clairement référence à des traits de technique ancienne, ce dont ne se cache d’ailleurs pas
le compositeur :

A travers Birdy, je souhaiterais communiquer quelque chose de cette


passion que je nourris depuis quelques années pour la musique élisabéthaine
et pour l’œuvre de William Byrd en particulier. Le solo de viole est ainsi
traversé par de nombreuses allusions stylistiques à cette époque particuliè-
rement inventive de l’histoire de la musique, mais envisagée à distance de
quatre siècles qui nous en séparent.26

à l’Université York, Toronto. Elle s’intéresse à la viole de gambe à partir de 1960, et se consacre principalement
à son répertoire au courant des années 1960. Elle est co-fondatrice du Manitoba University Consort, premier en-
semble de musique ancienne canadien à acquérir une réputation internationale. Pour une biographie détaillée voir
l’Encyclopédie de la musique au Canada à <http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&
Params=Q1ARTQ0003097>.
26.  Notice de l’œuvre (Cahiers du Tourdion 9660).
93

              
          
             
                         
 
f 3 p f
3

I II

(L.H. pizz.)
                         
    


II

                  
III

8
     
  
        

poco rit. a tempo rit. p rit.
f    
a tempo poco rit.

Ex. 4.1 – Murray Adaskin, Two pieces: I. m. 1–13


sounding

       
     
           
  
  
  
       HARM.

4 4
  
NAT.
   
HARM.   
NAT.
q       
f rit. p VI V p IV VI

Ex. 4.2 – Murray Adaskin, Two pieces: I. m.22–29


Allegretto
         
                       
            
V
2

 
f

Ex. 4.3 – Murray Adaskin, Two pieces: II. m. 1–5

    
                            
 
   
2

       
1 3 1 1

   
  

Ex. 4..4 – Murray Adaskin, Two pieces: II. m. 83–89


94

Ces allusions stylistiques sont de deux natures : d’abord de l’ordre du geste technique,
« violistique », et ensuite de l’ordre du geste musical, figures et tournures empruntées au réper-
toire ancien. Les premières consistent d’abord essentiellement en l’exploitation du potentiel des
six cordes de l’instrument : accords en arpèges ou plaqués et rapides changements de registres
sont typiques du répertoire de viole. La demande technique pour la main droite est à la fois tra-
ditionnelle (changements rapides de registre, coups d’archet « naturels ») et extrêmement fine
(nuances très détaillées et changeantes, articulations précises et variées).

L’une des caractéristiques intéressantes de la viole c’est bien sûr le nombre de ses cordes
et la facilité du jeu en accord. Dans cette pièce de Bosseur, les accords de trois sons ou plus se
présentent sous de nombreuses formes et dans des contextes très différents, ce qui demande des
gestes techniques variés. Dans l’exemple 4.5, on trouvera un certain nombre d’accords de plus
de trois sons, dans leur contexte immédiat. On peut les classer en trois catégories principales :
initiale, mélodique/harmonique, finale/cadentielle. Ce sont trois fonctions différentes qui sont
ainsi assignées à ces accords, par ailleurs si caractéristiques de la musique pour violes. On re-
trouve du reste ces mêmes fonctions dans la littérature ancienne. Il faut remarquer ici que ces
accords sont pour la plupart très consonants (accords parfaits de sixte, sixte et quarte ou même
à l’état fondamental) dans les deux premiers mouvements et deviennent beaucoup plus disso-
nants dans le troisième et dernier mouvement.
On notera donc d’abord des accords servant d’élan à une phrase musicale, comme dans
les exemples 4.5a et 4.5c. Cette capacité à initier un élan moteur dans un accord, est un aspect
tout à fait particulier de la viole de gambe. Non qu’une phrase musicale ne puisse, au violon-
celle par exemple, commencer sur un accord de trois sons ou plus, mais simplement que seule
la viole peut donner une dynamique à ces accords offrant l’élan nécessaire à leur intégration
à la phrase et à son mouvement. Cela peut être illustré par quelques passages des Suites pour
violoncelle seul de Bach (exemples 4.6 et 4.7). Bach n’y utilise les accords qu’en tant que pi-
liers harmoniques donc soit, comme dans les Allemandes, pour établir la tonalité et poser les
degrés importants : dans l’exemple 4.6 les accords posent les premiers degrés (mesures 1 et 2),
et l’accord pivot qui permet la modulation (mesure 3) ; soit, comme dans l’exemple 4.7, pour
marquer la conclusion d’une phrase musicale.
Ce qui donne leur fonction de piliers à ces accords, c’est leur grande force d’inertie
lorsqu’ils sont joués sur les violoncelles et les violons. On peut ainsi considérer que les Sonates
et Partitas de Bach, sonnent d’une certaine manière mieux dans leur version pour luth qu’au
violon. Cela tient au fait que la courbure du chevalet et la conduite de l’archet empêchent de
plaquer les accords de manière naturelle. Sur la viole, le chevalet étant un peu plus plat, les
cordes plus proches, et le poignet plus souple, le jeu en accord se fait de manière beaucoup plus
simple, dans un geste plus fluide. Très curieusement, si l’on considère les sonates pour viole
de gambe (BWV 1027-1029), l’écriture semble très violoncellistique, alors que l’air avec viole
a. I m. 8 b. I m. 10 c. I m. 13 d. I m. 17
    
   
    





 
                                  
          
   
  
 
poco rit. f mp

p

ff mp f
 
ff

e. I m. 19 molto rit. q=42 f. I m. 22 rit. a tempo


a tempo poco s.p. 3
poco rit.
6
        
                           
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         

3 3
  
p mp f
  
f pp
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3 mp mp
ff
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poco acc. rit. a tempo poco rit. h. II m. 6 3
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 
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   pp  
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  

Ex. 4.5 – Jean-Yves Bosseur, Byrdy (1987)

Ex. 4.7 – Johann Sebastian Bach: BWV 1009


Ex. 4.6 – Johann Sebastian Bach: BWV 1008
95
96

de la Passion selon Saint-Matthieu, « Komm, süßes Kreuz », exploite bien plus les possibilités
des six cordes dans le jeu en accords. Dans cet air, c’est essentiellement la capacité de la viole à
jouer avec élan ces accords qui lui donne toute sa force d’évocation (Exemple 4.8)27.
Pour autant, on retrouve aussi chez Bosseur ces accords comme fin de phrase ou de geste
musicaux (Exemples 4.5b et 4.5h). Dans ce contexte, la réalisation des accords ne se différencie
alors plus autant entre viole et violoncelle.
Les passages d’accords enchaînés de manière plus « mélodique » sont quant à eux rendus
plus « horizontalement » qu’ils ne pourraient l’être sur un violoncelle. On en trouvera une il-
lustration dans la mesure 19 de la première partie (Exemple 4.5e). Quant aux accords précisant
dans le cours d’une phrase un contexte harmonique, la viole permet de les effectuer sans trop
d’arrêt et dans une relative continuité, comme c’est le cas à la mesure 7 de la deuxième partie
(Exemple 4.5h).
Cette manière particulière d’effectuer les accords est probablement l’aspect le plus frap-
pant du jeu sur la viole dans cette pièce. En cela la musique de Bosseur renvoie aux idioma-
tismes de l’instrument et à son répertoire ancien, surtout français. D’autres gestes musicaux
participent de cette réminiscence.
Certaines figures rappellent explicitement les ornementations baroques, essentiellement
des mordants (Exemple 4.5d), mais aussi des appoggiatures (Exemple 4.5a), des coulades
(Exemple 4.5h) et bien sûr des trilles que l’on retrouve en maints endroits dans la partition. Au-
delà des ornements, ce sont certaines tournures musicales qui semblent directement importées
du 17e ou 18e siècle. Ainsi les deux premières mesures du deuxième mouvement présentent-elles
deux gestes, antécédent et conséquent, qui pourraient tout à fait se retrouver dans le répertoire
ancien (Exemple 4.5g). Ou bien encore, cette manière presque galante de terminer le premier
mouvement, dans une articulation des doubles croches par deux, que l’on retrouve en plusieurs
autres points de la partition (Exemple 4.5f).
On trouve ainsi dans cette pièce, à la fois certains traits d’écriture idiomatiques et une
grande finesse dans le traitement qui en est fait, notamment en modelant cette matière par des
prescriptions agogiques et dynamiques très précises.

Paolo Pandolfo, Solo - Travel Notes

Nous ne pouvons pas ne pas évoquer dans ce répertoire pour viole soliste, les pièces
composées par le gambiste Paolo Pandolfo. Celui-ci voudrait, au travers de ces compostions,
« suggérer une vie « actuelle » à la viole, considérée dans notre panorama musical comme un
instrument pour « musique ancienne » mais non encore suffisamment apte à exprimer notre vie

27.  Il faut remarquer que Bach, et les compositeurs allemands en général, utilise la plupart du temps la
viole de gambe d’une manière assez peu conventionnelle, en tout cas très différemment de la manière française
par exemple.
97

Ex. 4.8 – Johann Sebastian Bach, Matthäus-Passion, BWV 244:


Air « Komm, süßes Kreuz »

d’hommes de ce millénaire finissant »28. On peut supposer chez le compositeur-interprète une


recherche informée sur les possibilités de l’instrument. Cela peut constituer bien sûr un atout,
mais ici on a le sentiment que cette connaissance intime du répertoire muselle au contraire
l’inspiration du musicien. Sa première pièce enregistrée, Solo (1997), est un tombeau qui joue
sur les ressorts expressifs traditionnels de la viole, et des pièces en solo en particulier, c’est-à-
dire sur des tensions-détentes induites par des dissonances et leurs résolutions, des oppositions
marquées entre les registres. Surtout, la pièce se dissout finalement dans des accords de plus
en plus consonants, dans des gestes archaïsants ornés d’agréments explicitement issus de la
musique baroque.
Dans l’album Travel Notes29, entièrement consacré à des compositions nouvelles avec
viole, l’auditeur est plongé dans un mélange des genres qui, pour être dans l’air du temps,
n’en est pas moins parfois désarçonnant. Dans les quelques pièces en écriture « savante », on
retrouve les mêmes recettes éprouvées dans Solo, et un usage finalement toujours très conven-
tionnel de l’instrument. Alors que le compositeur-interprète aurait eu tout loisir d’explorer de
nouvelles « voix » pour la viole, Pandolfo a préféré mettre à profit sa connaissance du répertoire
traditionnel de la viole. Il en résulte une musique qui sacrifie la richesse de l’invention au profit
de la recherche d’un beau son et d’un certain conformisme dans le traitement de l’instrument.

28.  Livret du CD Glossa GCD 920403.


29.  CD Glossa GCD P30407.
98

Philippe Hersant, Le Chemin de Jérusalem

On pourrait du reste en dire autant de la pièce de Philippe Hersant (1948– ) pour viole
solo, Le Chemin de Jerusalem (2003), qui confine parfois même au pastiche, tant elle est sur-
chargée de références au répertoire traditionnel de la viole, ce dont ne se cache d’ailleurs pas
le compositeur. Il faut dire que la viole de gambe est présente en toile de fond déjà dans bien
d’autres œuvres : dans son Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre de chambre (1989), et
dans la Pavane (1987) pour alto solo, qui s’inspire directement d’une pavane de Tobias Hume,
dans le Trio (1998) aussi, élaboré à partir de la Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont de Ma-
rais. Mais c’est surtout dans son In Nomine (2001), pour huit violoncelles, que le répertoire de
viole est la plus évidente source d’inspiration : Hersant reprend là une tradition ancienne de
compositions pour violes et cite même textuellement la musique de John Taverner. Ainsi, Her-
sant possède-t-il déjà une certaine culture violistique au moment de la composition du Chemin
de Jerusalem, et c’est tout naturellement que le langage musical épouse de manière intime cette
tradition ancienne.
Ces réminiscences peuvent être des citations pures et simples — le choral Durch Adams
Fall ou bien le Labyrinthe de Marais — ou des «à la manière de» comme le mouvement de
danse central ou le refrain qui est répété périodiquement, comme dans un rondeau. Mais ce sont
surtout les gestes musicaux, confinant parfois à la néo-tonalité, qui sont directement puisés dans
le répertoire ancien : accords largement consonants, appoggiatures suivies de leurs résolutions
mais aussi l’accentuation et la manière de jouer sur les registres. Tout cela achève de donner
à cette pièce un parfum d’antique, un peu de la même manière que les Madrigaux de Fénelon
évoqués plus haut.
On a pu constater, dans ce répertoire pour viole seule, une prépondérance de la citation, de
la réminiscence et finalement assez peu de recherches de sonorités nouvelles ou de «techniques
avancées». Comme nous allons le voir maintenant, c’est paradoxalement dans la musique de
chambre que la viole donne le plus lieu à expérimentation.

4.5 Musique pour ensembles de violes

La littérature pour ensembles de plus de deux violes, est relativement plus importante, en
nombre, que la littérature soliste. On a pu voir, dans l’aperçu du corpus, qu’un certain nombre
de ces œuvres avaient été commandées pour la commémoration de l’année Purcell, en 1995,
par le South Bank Center de Londres. Ces pièces sont conçues pour consort, c’est-à-dire pour la
formation la plus représentée dans le répertoire ancien de musique de chambre avec violes.
Mais avant de nous intéresser à ces pièces, une œuvre pour trois basse de violes à sept
cordes de Christian Rosset (1955– ), Enlightenment, doit attirer notre attention. Cette partition,
écrite en 1991, se présente sous la forme de 336 cellules musicales au total. Celles-ci sont re-
groupées en six parcours, six « territoires autonomes », d’une page chacun et de respectivement
99

91 (7x13), 77 (7x11), 63 (7x9), 49 (7x7), 35 (7x5) et 21 (7x3) cellules. Celles-ci étant distri-
buées également sur les pages, elles deviennent aussi de plus en plus longues à mesure de leur
raréfaction. On parcourt ces territoires l’un après l’autre, dans l’ordre de la partition, mais de
manière libre à l’intérieur de chacun d’eux. Chaque musicien décide ainsi du chemin qu’il va
suivre de façon à la fois autonome et attentive à ce que les autres proposent.
C’est un véritable catalogue des possibilités de la viole que nous offre ici Christian Ros-
set. On y retrouve la plupart des aspects déjà rencontrés : jeu loco, sul ponticello, sul tasto,
pizzicato, en accords de deux, trois voire sept sons, mais aussi trémolos, figures « ornementa-
les » et autres effets dynamiques. Un échantillon de ces cellules est proposé à l’exemple 4.9.
Mais ce qui interpelle le plus, c’est l’objectif affiché par le compositeur de « ne rien écrire qui
ne soit la conséquence d’un geste » et en même temps l’exigence que « le ou les violiste(s)
abandonne(nt) des réflexes afin de pénétrer dans cet univers interrogatif, mobile, sans réponse
univoque ; change(nt) ses (leurs) habitudes sans pour autant perdre la mémoire »30. Il y a bien
sûr quelque chose de paradoxal dans ces remarques, mais cela pose de manière aiguë un problè-
me essentiel : celui du chemin à parcourir de part et d’autre, du compositeur vers un instrument
inconnu, ou mal connu, et de l’interprète spécialisé vers un domaine de la création inexploré.
Néanmoins on a du mal à comprendre dans quelle mesure la musique pourrait ne pas être consé-
quence d’un geste, sauf à être proprement injouable31. Mais on comprend mieux cette assertion
si l’on considère qu’il s’agit d’une musique de gestes, c’est-à-dire qui privilégie une certaine
fragmentation musicale, des gestes musicaux mis en relation, et d’autre part qui produit des
gestes et des images gestuelles.
Cette fragmentation s’impose d’elle-même à la simple vue de la partition et de la variété
des rythmes, des registres et des modes de jeu. Les gestes physiques sont quant à eux moins
directement visualisables sur la partition, mais un bref examen de certaines cellules, surtout
les plus courtes, permet d’imaginer ce que la musique induit comme gestes de la part des ins-
trumentistes, gestes qui ont aussi leur rôle dans l’expression musicale, et qui sont proprement
violistiques : jeté du poignet droit, trémolos à la pointe, verre cassé, sauts de cordes. Ici, le corps
de l’instrumentiste est aussi, sinon plus, violistique que la musique elle-même.

Etienne Rolin, Gamba Game

Dans un tout autre esprit, la pièce d’Etienne Rolin (1951– ) pour deux violes de gambe,
Gamba Game (1998), présente un visage beaucoup plus traditionnel de la viole de gambe. Ici
point d’effets de placement d’archet, de jeu en harmonique ou bien encore de glissandos sur
plusieurs cordes. Rolin présente un instrument extrêmement conventionnel, et affirme que cette

30.  Notice de l’œuvre, Cahiers du Tourdion CDT 9657. Il faut préciser que la pièce peut être interprétée par
un seul musicien grâce au re-recording (comme lors de la création de l’œuvre), ce qui explique l’usage du singulier
dans cette phrase. La version à trois violes est néanmoins préférée par le compositeur.
31.  Injouable étant à entendre comme sortant des possibilités intrinsèques et extrinsèques de l’instrument
notes inexistantes, demandes techniques physiquement irréalisables et non au sens d’une trop grande virtuosité.
100

« Territoire » 1

« Territoire » 7

Ex. 4.9 – Christian Rosset, Enlightenment


101

pièce « relève d’une écriture qui, venant d’une autre époque, effleure délicatement un objet
rare et noble »32. Il ne malmène donc ni l’instrument ni les interprètes, offrant une pièce très
naturelle et rappelant sous certains aspects les dialogues délicats, pour reprendre les termes du
compositeur, des pièces à deux violes égales de Sainte Colombe et Marin Marais.

Fretwork et la musique de consort

Le répertoire-roi de la viole de gambe, c’est bien sûr la musique de consort, à quatre ou


cinq violes, seules ou accompagnant un chant (consort song). Nous avons signalé plus haut
l’importance de l’ensemble Fretwork dans le développement d’un répertoire moderne pour
les violes des gambe. Ce sont des œuvres qui leur ont été destinées qui vous nous intéresser
maintenant. Parmi les compositeurs ayant travaillé avec Fretwork, nous considérerons trois
d’entre eux : George Benjamin (1960– ), peut-être le compositeur le plus important en termes
de notoriété, Gavin Bryars (1943– ), celui ayant la plus grande audience, et enfin Alessandro
Solbiati (1956– )33.

George Benjamin, Upon Silence

La composition d’Upon Silence (1990) se situe, dans l’œuvre de Benjamin, après la créa-
tion d’Antara, pour 16 instruments et électronique, et pendant l’écriture de Sudden Time, pour
orchestre. Cette situation chronologique est intéressante à plus d’un titre. Il faut d’abord signa-
ler qu’Antara, réalisée à l’IRCAM en 1987, est la seule pièce de Benjamin utilisant des outils
électroniques tels que la synthèse et l’échantillonnage. Il y a dans cette pièce des recherches sur
le timbre et les résonances qui ont certainement eu leur importance dans l’appréhension d’ins-
truments nouveaux comme les violes de gambe34. Dans le même temps, et depuis 1983, Benja-
min est occupé par la composition de Sudden Time, pièce pour laquelle il se demande « com-
ment “ pousser ” le temps à l’intérieur de l’harmonie »35. La composition de Upon Silence, se
fait donc dans un contexte à la fois de recherches sur le timbre, sur le rapport à l’instrument et
dans des problématiques de gestion du temps et de son intégration dans les autres paramètres de
l’écriture. Ce sont des préoccupations que nous allons tout naturellement retrouver dans cette
pièce.

32.  Notice de l’œuvre, Cahiers du Tourdion CDT 9669.


33.  On trouvera la pièce de Benjamin sur le disque Nimbus 5505 et celle de Bryars sur l’album Sit Fast
Virgin 7243 5 45217 2 0.
34.  Sur la genèse d’Antara, voir Benjamin (George), « Quelques réflexions sur le son musical », dans
Barrière (Jean-Baptiste) éd., La timbre, métaphore pour la composiition, Paris, Christian Bourgois / IRCAM,
1991, p. 400–401.
35.  Benjamin (George), La règle du jeu : entretiens avec éric Denut, Paris, Musica Falsa, 2004, p. 71.
102

Ecrite pour consort de violes (dessus, deux ténors et deux basses)36 et mezzo-soprano,
cette œuvre s’appuie sur un poème de Walter Butler Yeats (1865–1939), Long-Legged Fly37 ,
qui présente dans ses trois strophes, trois grands personnages dont l’esprit, « comme une arai-
gnée d’eau sur le courant, […] flotte sur le silence ». Ici Benjamin exploite principalement deux
aspects musicaux : une grande flexibilité temporelle, qui s’appuie autant sur des moyens ryth-
miques que sur les textures, et le jeu sur les modes, qui fait contraster le groupe des violes avec
la voix. C’est surtout le premier aspect, temporel, qui exploite les possibilités des violes. Cette
partition se présente en effet comme une longue dilatation, ou même une dilution du temps du
poème, qui pour n’être pas rigoureusement rythmé, propose néanmoins par son alternance de
strophes et refrain, une temporalité qui vole en éclats au contact de la musique de Benjamin.
Pour ce faire, outre la structure musicale s’étendant de strophe en strophe, Benjamin
utilise deux propriétés essentielles des violes : la dynamique particulière de l’archet et le timbre
naturellement voilé de l’instrument. Ces deux aspects lui permettent de modeler le temps à la
fois par un jeu sur les textures et par les variations rythmiques et de tempo.
Le début de la première strophe ne présente pas de phénomène particulier: la voix et les
violes semblent aller dans la même direction c’est-à-dire vers une accélération concertée, ac-
centuée par le jeu des imitations aux violes, et stoppée brusquement par un piano subito sur de
longues tenues (Exemple 4.10). Mais dans la suite de la partition, les interactions deviennent de
plus en plus complexes : les violes proposent des phrases aux mélismes rapides là où le chant se
déploie en longues lignes, la voix est agitée de hoquets et de sursauts cependant que les violes
tissent un tapis extrêmement lisse et apaisé. C’est là l’un des aspects importants aux yeux de
Benjamin:

Le propos principal d’Upon Silence porte sur la conception du temps,


l’accélération de la voix et le ralentissement des instruments, les effets de
déphasage des tempi et des rythmes entre la voix et l’accompagnement ins-
trumental.38

Les situations paradoxales ne manquent pas et vont même en se multipliant et en s’em-


plifiant tout au long de l’œuvre. Le dosage judicieux des nuances et le choix des timbres et des
techniques de jeu permettent de mener le discours sans que ces antagonismes anihilent tout
mouvement.
Benjamin utilise ainsi beaucoup le tremolo pianissimo par exemple, dans des passages
pour lesquels il recherche une certaine immatérialité, un caractère très aérien (Exemple 4.11)
mais avec la possibilité de basculer très rapidement dans l’agitation, en augmentant la nuance,
la tension sur la corde (Exemple 4.12). Ce genre de textures très granuleuses, c’est-à-dire ayant
l’apparence d’être planes mais gardant un micro-relief intéressant, se retrouve aussi à la fin de

36.  Pour être précis, le dessus est remplacé par une basse à la lettre V de la pièce.
37.  Publié en 1938 dans le recueil Last Poems.
38.  Benjamin (George), La règle du jeu…, p. 70.
103

la pièce dans les balancements sur deux cordes qui, là encore, permettent une grande réactivité
des violes pour infléchir dans un sens ou dans un autre le sens du discours musical (Exemple
4.13). D’une manière générale, les violes restent le plus souvent très mobiles tout au long de la
pièce, mobilité qui ne sature pas pour autant le discours, justement du fait des qualités timbri-
ques particulières de l’instrument.39
D’autres traits caractéristiques sont utilisés pour accentuer l’agitation et l’accélération
des évènements : les accords en pizzicato par exemple, qui par leur résonance et leur qualité
percussive viennent surprendre l’auditeur et provoquer des ruptures dans le rythme. La manière
particulière de conduire l’archet permet aussi dans certains passages d’augmenter la tension
par le caractère extrêmement dynamique des accents (Exemple 4.14). Enfin, c’est la grande
homogénéité du consort de violes qui permet aussi cette efficacité dans la manipulation des
textures.
Il est très étonnant que cette pièce, si réussie justement dans son exploitation des qualités
de timbre et d’attaque de la viole, ait pu être transcrite pour les instruments du quatuor classi-
que40. On ne retrouve pas dans cette version jouée par sept instruments41 ce qui fait justement
tout le sel de la pièce, c’est-à-dire le jeu entre le temps et le timbre, et l’imbrication très forte
qui existe entre ces deux paramètres du matériau musical et cela malgré des efforts manifestes
de transcription des effets des violes par le jeu sul ponticello ou sul tasto. Il y manque la dyna-
mique et la réactivité des violes.
Après cette première collaboration avec un compositeur vivant, Fretwork a commémoré
le trois-centième anniversaire de la mort de Henry Purcell au travers de commandes, notam-
ment à Gavin Bryars et à Alessandro Solbiati.

Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell)

La pièce de Gavin Bryars (1943– ), In Nomine (After Purcell) (1995), se propose de per-
pétuer la tradition des compositions sur le cantus firmus Gloria tibi Trinitas42. Pour cela, Bryars
se place naturellement sous la tutelle de Purcell auquel il emprunte à la fois le matériau instru-
mental et certains procédés d’écriture.
Ainsi, la pièce est-elle organisée en deux parties inégales: une première, m. 1­­–24, qui
constitue à proprement parler l’In Nomine, puisqu’elle est bâtie sur le cantus firmus distribué
aux différentes voix (Exemple 4.15), et une seconde, de la mesure 25 à la fin, beaucoup plus
longue et contrastée, qui s’apparente plus au genre de la Fantaisie.

39.  En un sens, cela rappelle, toutes proportions gardées bien sûr, les micropolyphonies de Ligeti.
40.  Il s’agit d’une commande de l’Opéra Bastille, faite en 1991.
41.  Deux altos, trois violoncelles et deux contrebasses.
42.  Il s’agit d’une antienne chantée aux secondes vêpres du dimanche de la Trinité. La version utilisée dans
les In Nomine, est celle du rite de Salisbury; sur les origines de l’In Nomine voir Reese (Gustave), « The Origins of
the English In Nomine », Journal of the American Musicological Society, vol. 2, n°1, 1949, p. 7–22. Pour ce qui
concerne plus précisément les compositions de Purcell, voir Malhomme (Florence), « Les deux In Nomine pour six
et sept violes de Purcell : archaïsme ou modernité ? », Ostinato Rigore, n° 5, 1995, p. 199–208.
104

Ex. 4.10 – George Benjamin, Upon Silence : m. 1–17


105

Ex. 4.11 – George Benjamin, Upon Silence : m. 57–62

Ex. 4.12 – George Benjamin, Upon Silence : m. 68–77

Ex. 4.13 – George Benjamin, Upon Silence : m. 229–231


106

Ex. 4.14 – George Benjamin, Upon Silence : m. 197–200

Sur le plan de l’écriture, Bryars se plaît à alterner, voire confronter, une écriture harmo-
nique (souvent en vibrato d’archet ou en longues notes) et une écriture contrapunctique, plus
proche de la tradition de ces pièces pour consort. Ainsi succèdent à des passages en mélodie
accompagnée des imitations serrées, évoquant parfois même le hoquet médiéval. Que l’on se
penche par exemple sur les mesures 62 à 71 : un accompagnement rappelant immanquable-
ment certains « tics» d’écriture de Phil Glass, le balancement de la deuxième viole ténor et le
décalage rythmique des deux premières voix, posent un arrière-plan à la ligne mélodique de la
première basse (Exemple 4.16).
D’une manière générale, Bryars privilégie une expression très neutre et un son tout en
retenue, tout à fait en accord avec la conception qu’il a du son de viole : « […] la dynamique
très restreinte du consort de violes implique une retenue qui me séduit tout particulièrement (le
fortissimo ne relève pas vraiment du caractère de la viole) »43. La fin de la pièce illustre parfai-
tement ce parti-pris, avec ses harmoniques en nuance piano et ses tremolo pianissimo (Exemple
4.17).

43.  Livret du disque Virgin 7243 5 45217 0, p. 30.


107


Ténor 1 Soprano 1 et 2

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      
cantus firmus In Nomine


Soprano 2


12

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    
                
 

Ex. 4.15 – Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell) :


distribution du cantus firmus et antienne Gloria tibi Trinitas

 
62 C poco più mosso q = c. 64

                        
mp

         
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      
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       

 
mp
            
  
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 
     

Ex. 4.16 ­– Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell): m.62–67

meno mosso q = c. 52 molto meno mosso q = c. 44


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lunga

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IV.12 VI.7 V.12

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III.12

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III.12

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pp

Ex. 4.17 ­– Gavin Bryars, In Nomine (After Purcell): m.110 à la fin.


108

Alessandro Solbiati, A Nameless Pod

Alessandro Solbiati (1951– ) ne prend pas le même parti de retenue dans A Nameless Pod
(1994) pour quatre violes44. En effet, il propose au contraire de faire sonner les violes dans toute
l’étendue de leurs possibilités, quitte à lutter contre l’instrument.
Dans la première section (m. 1­–15), notée Calmo, Solbiati explore les possibilités d’abs-
traction des violes en mêlant les deux violes soprano dans des lignes enchevêtrées et suraiguës,
« a cold and far background ». Celles-ci accompagnent une ligne mélodique de la basse, qui
doit être jouée « doucement avec importance » précise la partition (Exemple 4.18).
Mais dans la deuxième section (m. 16–26), « Plus lente mais profondément troublée »,
les violes montrent un tout autre visage, une manière de furie menant à des nuances fortissimo
obtenues à la fois par de larges balayages des six cordes et par des arpèges accentués en doubles
ou triples cordes, tenuto fortissimo. Tout ce passage porte une grande tension, justement par le
fait qu’il nécessite de dépasser les limites apparentes de l’instrument (Exemple 4.19).
Dans la suite de la pièce, on retrouve plus de calme et de retenue « violistiques », par-
ticulièrement dans le Choral (m. 33–47) en harmoniques. Toutefois, dans cette section très
aérienne, des nuances mouvantes, changeant parfois brusquement, viennent rappeler l’agitation
rencontrée dans la section précédente.
Enfin, la dernière section (m. 48 à la fin) présente un jeu de pseudo-imitations qui semble
vouloir évoquer, comme un hommage ultime, les contrepoints savants du répertoire ancien.
Hommage tout relatif, tant le jeu sul ponticello et tremolo force le son et rend l’allusion presque
irrévérencieuse. La pièce se termine dans une nuance fortissimo et pianississimo subito, pour
laisser finalement sonner un dernier pizzicato.

Dans ces trois pièces destinées à l’ensemble Fretwork, on a pu observer trois attitudes
assez différentes dans l’approche de la musique pour consort. Dans le cas de Benjamin, il
s’agissait essentiellement d’exploiter au mieux les caractéristiques inhérentes aux instruments
pour servir un projet compositionnel précis, le jeu sur le temps et sa dilatation/rétraction par
l’écriture et par le timbre. Chez Bryars, l’essentiel semblait être d’écrire une musique actuelle
mais la plus proche possible de la tradition du consort de viole anglais. Enfin, chez Solbiati,
on sent une certaine envie de faire sonner et résonner, de tester en quelque sorte les limites de
l’instrument.

44.  Deux sopranos, ténor, et basse de viole.


109

Ex. 4.18 – Alessandro Solbiati, A Nameless Pod: m. 1–3


110

Ex. 4.19 – Alessandro Solbiati, A Nameless Pod: m. 16–24


111

4.6 Musique d’ensemble avec viole(s)

Si la musique pour ensemble de violes de gambe n’a connu qu’un développement récent,
en grande partie grâce à l’ensemble Fretwork, la viole a été intégrée depuis longtemps à des
ensembles plus hétérogènes. Madrigal II de Henri Pousseur (1929 – ) a été composé en 1961 et
constitue l’un des premiers exemples de musique d’ensemble écrite après-guerre, incluant une
viole de gambe. Elle convoque une flûte, un violon, une viole de gambe et un clavecin.
Selon le propre aveu du compositeur, cette pièce ne prend que très peu en compte les
possibilités techniques particulières de l’instrument, pouvant même être interprétée par un vio-
loncelle et un piano45: quelques notes en harmoniques, en pizz., quelques doubles-cordes et
un accord arpégé de cinq sons viennent toutefois rappeler que l’on a affaire à un instrument à
six cordes. Mais le plus important dans cette partition, c’est le fait même que l’instrument his-
torique s’efface devant un langage musical sans concession. La viole est alors traitée comme
instrument moderne, en ce sens que Pousseur ne se sent pas obligé de faire référence à un
passé glorieux de la viole, et ce bien qu’il précise « pour quatre instruments anciens », tout en
respectant néanmoins une instrumentation qui permet au timbre de l’instrument de s’épanouir
naturellement. Il s’agit de la première porte ouverte à une utilisation contemporaine sans com-
plexe de la viole.

Dans un même esprit, lorsque Maurice Ohana (1913–1992) est appelé à composer sa Nuit
de Pouchkine (1990), le fait même qu’il ne s’attarde pas sur les subtilités et gestes particuliers
de la viole devient une force pour extraire l’instrument du carcan archaïsant dans lequel il est
trop souvent enfermé. La partition peut ainsi être jouée par une viole ou un violoncelle indif-
féremment. Nulle trace ici de « compromission » avec la musique du passé, même s’il s’agit
d’une œuvre très accessible à l’écoute.
C’est dans une œuvre chorale d’une toute autre esthétique que Philippe Hersant évo-
que furtivement la partition d’Ohana, compositeur dont il revendique par ailleurs l’influence
(Exemple 4.20). Son Psaume 130 (Aus tiefer Not), composé en 1994 pour choeur, viole de
gambe et orgue positif, propose une réinterprétation du De Profundis, si cher aux compositeurs
baroques, car permettant d’exprimer les passions humaines les plus torturées. Mais ici la viole
ne joue qu’un rôle mineur d’accompagnement des exclamations chorales « baroquisantes »,
sans qu’elle ne soit l’objet d’une recherche autre que la plus immédiate émotion par les moyens
les plus conventionnels.

Il nous faudra chercher chez d’autres compositeurs et dans d’autres répertoires, les in-
novations dans le jeu sur la viole de gambe. Nous verrons particulièrement que Thierry Pécou
offre un visage singulier et innovant de la viole de gambe.

45.  Communication personnelle du compositeur.


112

(b)

  
q = 72

Soprano 1             (...)

é - - - - - - -

Soprano 2

           (...)

é - - - - - -

       
Alto    (...)

 
é - - - -


          

Tenor (...)

é - - - -
        
Basse 1     (...)


é - - -
      
Basse 2
     (...)

é -
  
pizz.
    
                
 arco
 
 
(a) Viole de gambe 
f f


q = 72
   
 
  
         
   

      
Orgue
       

Ex. 4.20 – Une réminiscence « moderne » :


(a) Maurice Ohana, Nuit de Pouchkine ; (b) Philppe Hersant, Psaume 130
113

François Rossé, OEM

Mais avant cela, il nous paraît intéressant d’examiner OEM (1988), une pièce pour en-
semble de François Rossé (1954– ) qui fait des propositions assez originales pour la viole. Cette
œuvre est d’ailleurs en elle-même originale par l’instrumentarium employé : voix de soprano,
cor anglais, saxophone (basse, soprano), basse de viole, guitare jazz, clavecin, accordéon et
dispositif électro-acoustique. Le compositeur trouve là un terrain propice à une recherche sur
certaines techniques de jeu qui rappellent parfois les sons électroniques.
De grands glissandi en trémolos constituent une figure récurrente parcourant toute la piè-
ce (Exemple 4.21). Dans l’important solo de viole des sections 10 à 12, ces figures se resserrent
progressivement pour donner lieu à des lignes mélismatiques de plus en plus longues faisant la
part belle aux notes « ornementales » (Exemples 4.22 et 4.23). Dans le reste de la partition, la
viole se fond dans les autres parties, souvent en dialogue avec la guitare, usant d’harmoniques,
de sforzandi et autres notes jouées sul ponticello.
Cette pièce de Rossé propose ainsi un large éventail de modes de jeu, que nous avons déjà
pour la plupart rencontrés précédemment mais qui demeurent curieusement assez rares dans la
musique soliste.

   
 
 sul G 

 
p 

Ex. 4.21 – François Rossé, OEM: section 4

 
  
** echo ** ** echo **

  
 
(...)

Ex. 4.22 – François Rossé, OEM: section 10


(début du solo de viole)

   

 

                       

   
 

Ex. 4.23 – François Rossé, OEM: section 12


(fin du solo de viole)
114

Thierry Pécou, Tombeau de Marc-Antoine Charpentier

Thierry Pécou (1965– ) a régulièrement intégré, depuis quelques années, la viole de gam-
be à des œuvres souvent importantes. Dès son Tombeau de Marc-Antoine Charpentier (1995),
Pécou fait montre d’un véritable et profond intérêt pour l’instrument à la fois dans sa tradition
— surtout dans une œuvre commémorative comme celle-ci — et dans une actualisation de sa
pratique qui se manifeste en plusieurs points de la partition.
Destiné à trois chœurs, voix solistes, orgue baroque et basse viole, ce Tombeau ne consti-
tue jamais un pastiche, cela bien qu’il se revête de sonorités très « baroques » et qu’il fasse
directement référence à la musique de Charpentier par les titres des sections et la structuration
de la partition alternant grands choeurs, petits choeurs et parties solistes. La viole de gambe
non plus ne trahit aucune nostalgie ou retour en arrière, bien qu’elle soit traitée ici de manière
encore assez conventionnelle. Pécou exploite essentiellement ses qualités d’instrument d’ac-
compagnement : douceur, faculté particulière à poser une atmosphère. Cela ne l’empêche pas
de mettre en valeur aussi ses qualités vocales, lui permettant de dialoguer à égalité avec les voix
solistes (Exemple 4.24).

Ex. 4.24 – Tierry Pécou, Tombeau de Marc-Antoine Charpentier:


II. « Prière de l’ombre »
115

D’autres passages démontrent déjà dans cette première œuvre avec viole, une volonté
du compositeur d’aller plus loin dans l’expérimentation. Le Chorus Angelorum de la troisième
partie dans lequel la viole accompagne de glissandi en harmoniques les glissandi du chœur est
particulièrement frappant. Ces effets donnent au passage une force d’évocation très efficace
(Exemple 4.25).

* silence obligé

improviser bruissements et * 
Orgue
 glissés, traînées de suraigus...

   

q = 50

  
pp misterioso, immatériel
 
 glissando       
(mm) o (mm) a

Choeur B
glissando     
(mm) ri (mm)

 glissando        
(mm) o (mm) ia


(mm) Glo
pp misterioso, immatériel 
 glissando     

(mm) in

glissando     
Choeur C
  
(mm)

   
glissando 
(mm)

 
  
Basse de Viole   
première corde

Ex. 4.25 – Thierry Pécou, Le Tombeau de Marc-Antoine Charpentier:


« Chorus Angelorum »

Si Thierry Pécou aborde ici la viole d’une manière déjà libérée du poids de la tradition,
cela est encore plus perceptible dans les pièces composées par la suite. Ainsi, dans la musique
du spectacle Une rose… a circle of kisses (1999), le compositeur sort l’instrument de toutes ses
références historiques pour faire exécuter une Valse cajun à la viole de gambe ténor. Mais c’est
surtout à partir de la composition de La ville des Césars (1998–2000) qu’il déploie un arsenal
de techniques de jeu, de gestes et d’effets nouveaux pour la viole.
116

Thierry Pécou, La ville des Césars

Cette œuvre imposante dans sa version définitive — une heure trente de musique —
s’adresse à un chœur, accompagné d’une basse de viole et de percussions. Ici, Pécou déploie
des techniques de jeu assez audacieuses, en tout cas au regard de ce que nous avons déjà pu
observer dans la littérature actuelle de l’instrument.
Son éventail comprend bien sûr certains modes de jeu que nous avons déjà pu rencontrer
dans d’autres pièces et chez d’autres compositeurs. Ainsi, Pécou fait une utilisation intensive
des pizzicati allant jusqu’à rendre la viole quasi guitarra (Exemple 4.26). Dans la première
partie, il installe un arrière-plan rythmique par un balancement entre notes jouées arco et notes
jouées pizzicato (Exemple 4.27) Cette alternance se poursuit sur une dizaine de mesures puis
se voit ajouter un balancement entre quatrième et cinquième cordes auquel se surajoute enfin
l’alternance entre notes en harmoniques et notes normales.


   
310 pizz quasi guitarra
  
 etc...
  
     
f
 
Ex. 4.26 – Thierry Pécou, La ville des Césars:
1ere partie, m. 31–32

        
131 Libre installer peu à peu la pulsation

       
etc...

               
               (sim)
        
V IV V

     
quasi f

142
  
        etc...

              
  (sim)
V IV V
 
 

Ex. 4.27 – Thierry Pécou, La ville des Césars:


1ere partie, m. 131–143

Ces notes harmoniques sont elles aussi largement utilisées dans le courant de la partition,
donnant parfois lieu à des effets étonnants. Ainsi, les harmoniques en glissando des mesu-
res 150 et suivantes sont-elles en décalage rythmique avec la main droite, ce qui produit, en
plus de l’immatérialité des sons harmoniques, des contours incertains (Exemple 4.28). Dans la
deuxième partie de l’œuvre, le compositeur demande de percuter la corde avec une baguette
de bois tout en jouant des glissandi en harmoniques, ce qui là encore produit un effet tout à fait
intéressant (Exemple 4.29).
117

150
main gauche etc...
   5:3

5:3

5:3

5:3

                   
main droite
 
   
               

Ex. 4.28 – Thierry Pécou, La ville des Césars:


1ere partie, m.150–151


Percuter la corde avec une baguette de bois

   
(glissando harmonique sur toute la longueur de la corde)

   
    

Ex. 4.29 – Thierry Pécou, La ville des Césars:


2e partie, m. 1–3

à la main droite, les jetés sont remarquables et sont pratiqués de manière récurrente
(Exemple 4.30). Le vibrato d’archet est présent lui aussi (Exemple 4.31), mais le geste le plus
surprenant est certainement ce « lent mouvement circulaire de l’archet sur la corde, sur six à
huit centimètres de longueur, entre la touche et le chevalet » représenté par une ligne spiralée
(Exemple 4.32). Il ne s’agit ici pas seulement de jouer sur l’emplacement de l’archet sur la cor-
de, mais de fondre le son dans un geste cyclique, assurant ainsi la continuité du déplacement.

     etc...
 
  
jeté
  
         
357
             
         
Ex. 4.30 – Thierry Pécou, La ville des Césars:
1ere partie, m. 357–360

  
4

                    
2

  

III-II sffz
tremblé d'archet

Ex. 4.31 – Thierry Pécou, La ville des Césars:


2e partie, m. 96–98
118

 

       
      
sul ponticello norm.

Ex. 4.32 – Thierry Pécou, La ville des Césars:


2e partie, m. 54–58

Ces techniques de jeu sont exploitées tout au long de la partition qui devient par moments
un vrai morceau de bravoure pour la viole et fait dialoguer à jeu égal l’instrument avec les voix,
comme dans le duo avec voix de ténor qui reprend un certain nombre d’éléments que nous
avons remarqués plus haut (Exemple 4.33).

237

 
    
                                      
 
            
        
 
      

              
      
    
                      
[mm] [a] [o] [mm] [o] [mm] [a] [o] [mm]

        
                          
arco jeu normal ricochets III II III II

            
pp

    



  
etc...
           
   
p
     
[o] Les res - sus - ci - tés, le vieil hom- me et la jeu - ne beau - té


                       
etc...

        

Ex. 4.33 – Thierry Pécou, La ville des Césars:


1ere partie, m. 237–246

Nous avons dressé là un panorama de la musique d’aujourd’hui pour viole de gambe, qui
dévoile un instrument capable d’épouser toutes les formes que l’inspiration des compositeurs
peut bien vouloir lui donner. Mais cela nécessite un vrai investissement que ceux-ci ne fournis-
sent pas toujours, soit qu’ils n’y soient pas sensibles, soit par choix esthétique. Mais, ces quel-
ques exemples prouvent, nous semble-t-il, combien l’instrument peut encore s’affirmer comme
instrument d’aujourd’hui, au-delà du goût actuel du public pour les musique anciennes.
Chapitre 5
L’esthétique des instruments anciens

Dans les chapitres précédents, nous avons pu examiner un certain nombre des composi-
tions répertoriées et nous faire une idée générale de ce qu’est aujourd’hui la musique écrite pour
les cordes baroques. Certains traits caractéristiques sont apparus régulièrement, qu’ils soient
d’ordre compositionnel ou d’ordre technique. Mais avant d’en faire un inventaire et d’en tirer
des enseignements sur l’esthétique de la musique d’aujourd’hui sur instruments anciens, il nous
faut d’abord examiner les structures même du mouvement d’interprétation duquel sont issus les
interprètes auxquels s’adressent ces œuvres.

5.1  Aspects historiques du jeu sur instruments anciens

Si le mouvement d’interprétation sur instruments anciens semble au premier abord être un


phénomène assez récent — c’est-à-dire essentiellement un mouvement né dans l’après-guerre
­­— il puise pourtant ses racines bien plus loin dans le temps1. Il ne faudrait en effet pas croire
que l’histoire du renouveau baroque des cinquante dernières années suffirait à comprendre en
profondeur le phénomène qui est le résultat d’un long processus. En réalité on peut distinguer
trois directions menant au monde de la musique ancienne que l’on connaît aujourd’hui. La pre-
mière c’est la reconquête du répertoire qui s’étend sur la plus longue période, du 18e siècle au
20e. La seconde, c’est la redécouverte des instruments oubliés, dès le début du 19e siècle. Enfin
la dernière et la plus décisive, c’est la recherche sur les pratiques d’interprétation, recherche qui
a façonné l’interprétation de ces musiques sur des principes se réclamant de l’historicité2.

1.  Pour cet aperçu historique nous nous sommes essentiellement appuyé sur l’ouvrage de Harry Haskell :
The Early Music Revival : A History, Dover, Mineola, 1996. Pour une synthèse assez complète on peut aussi
consulter Planchart (Alejandro), « L’interprétation des musiques anciennes » dans Musiques : une Encyclopédie
pour le XXIe siècle, tome 2, Arles, Actes Sud, 2004, p. 1071–1090.
2.  Il ne faut pas voir là d’ordre chronologique, la redécouverte des instruments et du répertoire étant pa-
rallèles. La recherche sur l’interprétations n’apparaît que plus tardivement, comme conséquence de ces dévelop-
pements.
120

La redécouverte du répertoire

La fondation à Londres, en 1726, de l’Academy of Ancient Music3 est probablement l’un


de ces signes que dans l’Europe des Lumières, quelque chose est en train de changer dans la
manière d’appréhender la musique du passé. Si l’Angleterre4, et aussi l’Italie, avaient conservé
vivace dans leurs cathédrales l’art polyphonique de la Renaissance, les œuvres conservaient
la plupart du temps une notoriété bien éphémère. Le compositeurs anciens étaient ainsi vé-
nérés plus par principe et comme modèles pour les jeunes compositeurs que par une connais-
sance directe de leurs œuvres. Mais à partir du 18e siècle, justement, la perception change et
c’est à l’éclosion du canon musical occidental que l’on assiste, c’est-à-dire à l’avènement de la
conscience vive d’une tradition musicale représentée par les grands maîtres du passé5. On peut
ainsi penser aux séances de lecture des maîtres anciens du baron van Swieten, qui ont permis
au jeune Mozart de découvrir les œuvres de Johann Sebastian Bach ou de Hændel par exemple.
C’est ainsi que, dans les salons, la musique ancienne, c’est-à-dire essentiellement des 16e et 17e
siècles, devient sujet de curiosité et d’érudition pour les amateurs éclairés.

Mais pour le public, c’est bien sûr la résurrection de la Passion selon Saint-Matthieu par
Mendelssohn qui ouvre véritablement la voie à un intérêt des mélomanes pour les compositions
anciennes6. Lors de cette première, le 11 mars 1829, on n’entendit bien sûr ni le son voilé de
la viole de gambe ni le timbre cuivré des hautbois de chasse. A leur place ce furent clarinettes
et violoncelles, et Mendelssohn dirigeant du piano un choeur de cent-cinquante-huit chanteurs.
Dans cet évènement les instruments, l’expression, l’articulation, les coupes et arrangements de
la partition n’avaient rien d’historique. Pourtant, il s’agissait bel et bien d’un concert historique
— un siècle exactement séparait la création de la Passion de sa résurrection7 — en ce sens que
le public découvrait là un pan de la musique, allemande de surcroît, qui lui était totalement in-
connu. Ce concert inaugurait une nouvelle ère, qui allait trouver son apogée au 20e siècle : celle
des concerts de musique ancienne.
Il y avait bien sûr déjà eu auparavant des concerts mettant à l’honneur des compositeurs
décédés : les concerts de l’Academy of Ancient Music évoqués plus haut, l’exécution d’œuvres

3.  D’abord sous le nom d’Academy of Vocal Music.


4.  Day (Thomas), « A Renaissance Revival in Eighteenth-Century England », The Musical Quarterly, vol.
57, n° 4, 1971, p. 575–592.
5.  Sur l’émergence d’un canon musical dès le 18e siècle, on consultera Weber (William), « The Eighteenth-
Century Origins of the Musical Canon », Journal of the Royal Musical Association, vol. 114, n° 1, 1989, p. 6–17.
Ces sont surtout les maîtres « classiques » — Haydn, Mozart et Beethoven — qui seront les figures de proue de
ce Panthéon de la musique, plus tard qualifiée elle aussi de classique. Sur le construction de la notion de « génies
de la musique », surtout appliquée à Beethoven, voir par exemple De Nora (Tia), Beethoven et la construction du
génie, Paris, Fayard, 1995.
6.  Sur cette première et son impact sur la réputation de Bach voir Geck (Martin), The birth of the Bach
myth: Mendelssohn’s rediscovery of the St. Matthew Passion, Stuttgart, Carus Verlag, 1998.
7.  Du moins était-ce ce que l’on croyait alors. Il apparaît aujourd’hui que la première exécution aurait eu
lieu déjà en avril 1727.
121

de Hændel après la mort de celui-ci, mais aussi la reprise régulière, en France, d’ouvrages de
Lully et Campra jusqu’à la fin des années 17708. Les concerts historiques de Fétis et Choron
avaient quant à eux été inaugurés dès 1825, et avaient initié une longue tradition dans toute
l’Europe.
Mais ce que signifie ce formidable engouement du public de Leipzig en 1829, et de Berlin
en 1841, pour une œuvre créée plus d’un siècle auparavant, c’est l’établissement d’une musique
sérieuse, d’une « grande musique », représentée essentiellement — et pour une part de plus en
plus importante — par les grandes figures du passé.
Dans le même temps se développe dans toute l’Europe un mouvement de restauration
du répertoire ancien de musique sacrée. Qu’il s’agisse des nombreuses sociétés chorales qui
fleurissent partout en Europe ou de la restauration du chant grégorien, la musique vocale an-
cienne devient de plus en plus présente dans la vie musicale tant dans les concerts que dans les
églises ou dans la pratique amateur9. Cette pratique se manifeste dans la création de la Schola
Cantorum, par exemple, qui fonde son enseignement sur le chant grégorien et la polyphonie de
la Renaissance.
Cette renaissance du répertoire ancien devait bien sûr aussi conduire à l’édition de ces
chefs-d’œuvre du passé difficilement accessibles. Les éditions monumentales se succèdent ain-
si, souvent non sans arrières-pensées nationalistes : au même titre que la préservation du patri-
moine architectural par exemple, la mise en valeur des grands compositeurs et de leurs œuvres
participe de l’exaltation du sentiment national10.
En Allemagne, c’est d’abord Bach qui est mis à l’honneur avec la publication de ses
œuvres par la Bach-Gesellschaft11, sur une période s’étendant de 1851 à 1900. Les difficultés
d’édition, liées aux spécificités du fonds à exploiter, sont autant d’occasions de progrès dans
la science éditoriale. Ces progrès seront mis à profit dans les autres éditions monumentales qui
suivront : Hændel (1858), Palestrina (1862), Beethoven (1862), Mozart (1877), Purcell (1878)
etc.12 À ces éditions monumentales s’ajoutent bientôt les éditions destinées aux amateurs et la
création de collections spécialisées dans les répertoires anciens allant puiser en-dehors de la
musique des compositeurs canoniques. En Allemagne, ce sont surtout les « Collegium Musi-
cum », orchestres mêlant amateurs et professionnels, qui jouent ces compositeurs marginaux et
totalement nouveaux.
L’avènement du disque va encore amplifier ce phénomène de défrichage du répertoire an-
cien, le succès commercial encourageant à enregistrer de plus en plus de musique « nouvelle »
et donc à faire entendre ceux que l’on a pu appeler les « petits maîtres » du passé. C’est surtout

8.  Weber (William), « La musique ancienne in the Waning of the Ancien Regime », The Journal of Mo-
dern History, vol. 56, n° 1, 1984, p. 59.
9.  Haskell (Harry), op. cit. p. 23.
10.  Sur ces éditions monumentales, on consultera Berke (Dietrich), « éditions intégrales et monumenta-
les » dans Musiques : une Encyclopédie pour le XXIe siècle, tome 2, Arles, Actes Sud, 2004, p. 962–987.
11.  La Bach-Gesellschaft avait été créée à l’occasion du centième anniversaire de la mort du Cantor.
12.  Berke (Dietrich), op. cit. p. 967.
122

au travers d’anthologies historiques et plus tard au sein de collections spécialisées que cette
musique est mise à l’honneur13.

La redécouverte des instruments

Il est difficile d’évaluer dans quel sens les influences se sont opérées : a-t-on recherché
les instruments qui étaient demandés par les œuvres ou les instruments ont-ils été le prétexte à
la redécouverte du répertoire ?
Dans le cas de la viole de gambe, il est difficile de trancher, tant le répertoire de l’ins-
trument lui est spécifique et strictement délimité. La relative permanence de la viole de gambe
dans certains milieux d’amateurs au 19e siècle est probablement due d’abord à l’attrait de l’ins-
trument. Mais celui-ci, puisqu’il n’est plus guère en vogue et que l’on ne compose plus de
musique nouvelle pour lui, est naturellement associé à son répertoire ancien. Il y a donc un lien
indissoluble entre l’instrument et son répertoire.
Alors que la viole de gambe avait été abandonnée sous une forme stabilisée depuis le
début du dix-huitième siècle, sa renaissance s’est accompagnée d’adaptations de l’instrument
aux goûts de l’époque. C’est ainsi qu’à l’instar du violon et du violoncelle, son manche a été
rectifié pour permettre une plus grande tension des cordes. Mais surtout, l’archet était toujours
un archet de violoncelle et la touche était le plus souvent privée de ses frettes. Les grands inter-
prètes allemands et premiers pédagogues du début du 20e siècle, Christian Döbereiner14 et Paul
Grümmer, usaient eux-mêmes d’instruments hybrides15.
Non moins hybrides furent les clavecins élaborés au cours du 20e siècle, alors même que
Louis Diémer par exemple, le pionnier français de la renaissance de l’instrument, jouait à la
fin du siècle précédent, sur un clavecin de Taskin, daté de 1769. Le clavecin Pleyel de Wanda
Landowska n’a que peu à voir avec ceux de Taskin : pédales, jeux supplémentaires, calibre des
cordes et cadre métallique, tout est fait pour que le clavecin épouse la sensibilité du temps.
Seul Arnold Dolmetsch tente à la même époque de restaurer les instruments un tant soit peu « à
l’ancienne ». Ce n’est toutefois qu’après la seconde guerre mondiale que la facture historique
des clavecins fera l’objet d’un certain intérêt, notamment dans l’atelier que fondent à Boston,
Franck Hubbard et William Dowd.
On comprend bien qu’avant la seconde guerre mondiale, le temps n’est pas encore à la
facture historique, pourtant un certain nombre de voix s’élèvent déjà au début du siècle et mi-
litent pour la restauration des orgues baroques, et pour la construction de copies de celles-ci.
Parmi ces voix, celle d’Albert Schweitzer est probablement la plus connue.

13.  La plus ancienne, L’Oiseau-Lyre, éditeur graphique et discographique, fut rapidement suivie par Ar-
chiv Produktion, collection commencée en 1948 par Deutsche Grammophon.
14.  Fondateur de la Deutsche Vereinigung für alte Musik, à Munich, il eut en charge des cours de viole à
la Staatlische Akademie für Tonkunst de la même ville dès 1922.
15.  Haskell (Harry), op. cit. p. 55.
123

Mais ce qui va véritablement fonder toute la restauration de l’état « original » des instru-
ments et de leurs modes de jeu, c’est le développement de ce que l’on appelle les études sur les
pratiques d’interprétation (performance practice studies).

L’essor des performance practice studies

Dès lors que ces musiques si lointaines étaient éditées et jouées, un certain nombre de
questions devaient inévitablement se poser aux musicologues et interprètes. Sur la notation, la
tâche était d’autant plus ardue que le répertoire était plus ancien. Mais cela restait le domaine
des éditeurs qui avaient charge essentiellement de rendre lisible la musique selon les normes et
habitudes des interprètes.
Mais même une fois la question de la notation apparemment résolue, les problèmes pour
l’interprète restaient entiers, tant la notation semblait incapable de délivrer toutes les informa-
tions nécessaires à une bonne interprétation. Si un certain nombre de musicologues, surtout
ceux qui étaient en charge de l’édition des partitions anciennes, avaient déjà tenté d’apporter
des réponses à des questions telles que celles de l’instrumentation, de la basse continue ou bien
encore du tempo, Dolmetsch se proposait lui de faire rentrer ces problématiques dans le jeu de
l’interprète16.
En 1915, il publie son maître-ouvrage qui demeurera une référence et un modèle jusqu’à
nos jours : The Interpretation of the Music of the Seventeenth and Eighteenth Centuries17. Dans
ce traité moderne de musique ancienne, Dolmetsch se propose de répondre aux questions po-
sées par le caractère lacunaire des partitions de l’époque baroque. Mais surtout il entend faire
pénétrer le lecteur dans l’esprit de la musique de ce temps, lui faire sentir aussi les sentiments
des maîtres anciens sur leur musique. Pour cela, il cite abondamment les traités anciens18.
Cette méthode et le plan même de l’ouvrage seront largement repris dans un certain nom-
bre d’autre publications, encore jusqu’à nos jours. Ces « modes d’emploi » de la musique an-
cienne se multiplient en effet durant le 20e siècle avec le risque de devenir des manuels scolaires
instituant des lois immuables. Ce que Dolmetsch avait pressenti, lui qui insistait déjà, en 1915,
sur le caractère essentiel de l’expression dans toute approche de la musique ancienne19.
Ce rappel n’était pas inutile, tant le climat était déjà à l’exaltation de certaines qualités
telles que l’objectivité et le respect strict de la partition. En un sens, les recherches sur les
conditions originales d’exécution étaient une manière de se prémunir contre l’assèchement de
l’interprétation de ces partitions finalement assez énigmatiques. C’est ainsi que Marc Pincherle,

16.  À la suite de la première étude systématique de l’ornementation due à Edward Dannreuther : Dann-
reuther (Edward), Musical ornamentation, Londres, 1893.
17.  Dolmetsch (Arnold), The Interpretation of the Music of the Seventeenth and Eighteenth Centuries,
Londres, Novello & Co, 1915 (rééd. University of Washington Press, 1969).
18.  Dolmetsch (Arnold), op. cit. p. xiii.
19.  Le titre du premier chapitre de The Interpretation… est justement « Expression » ; Dolmetsch (Ar-
nold), op. cit. p. 1–26 sq.
124

encore en 1958, devait se plaindre du manque de vie dans les interprétations de musique an-
cienne :

Mais cette musique ancienne nous est rarement restituée avec un tant soit
peu de vie. Une sorte de respect frigide paralyse la plupart des interprètes qui
sont emmurés dans des pseudo-traditions que les conservatoires transmettent
à tout un chacun avec les meilleures intentions, et qui ne sont fondées sur rien.
C’est ce que je vais tenter de montrer, afin de rendre aux interprètes la liberté
dont jouissaient leurs prédécesseurs dans le répertoire des siècles passés, qui
était pour eux […] une musique moderne et non une musique frigorifiée.20

Dans cet article, Pincherle voulait démontrer que la vraie fidélité à l’œuvre baroque, c’est
la liberté affirmée de l’interprète, ce qu’il avait illustré par force citations de traités anciens.
Mais cette liberté ne semblait pouvoir s‘acquérir que par un connaissance accrue du style et des
conditions originales d’exécution.
Certains musicologues, non contents de partager leurs découvertes par le biais des publi-
cations universitaires, se sont risqués à donner une illustration plus pratique de leurs recherches,
tels que Robert Donington et Thurston Dart, tous deux auteurs d’études demeurées des réfé-
rences dans le domaine des performane practice studies21. Plus récemment, les enregistrements
d’œuvres vocales de Bach réalisés par Joshua Rifkin entendaient défendre certaines de ses
thèses ayant suscité de nombreuses controverses.
Mais si Arnold Dolmetsch et les musicologues de son temps tels Arnold Schering ou
Eugène Borrel avaient apporté une contribution théorique importante22, il faudra attendre
l’après-guerre pour voir des musiciens d’exception s’intéresser à ces questions et démontrer de
manière pratique, la valeur de ces recherches.
Ce sont en effet des musiciens tels qu’Alfred Deller, Gustav Leonhardt et Nikolaus Har-
noncourt qui vont désormais porter ces recherches à la connaissance du public. L’essor écono-
mique de ces interprétations historiquement informées va largement contribuer à encourager les
recherches dans ce domaine.
Les collaborations entre interprètes et musicologues deviennent de plus en plus courantes,
les interprètes s’improvisant même parfois musicologues, pour restituer des partitions oubliées

20.  Pincherle (Marc), « On the Rights of the Interpreter in the Performance of 17th- and 18th-Century
Music », The Musical Quarterly, vol. 44, n° 2, 1958, p. 145 :
But this “ancient” music is rarely restored to us with a semblance of life. A sort of frigid
respect paralyzes most interpreters, Who are immured in pseudo-traditions, which conserva-
tories transmit to each other with the best of intentions, and which are founded on nothing.
That is what I should like to attempt to show, in order to give back to Our performers the
freedom their predecessors enjoyed in relation to the repertory of past centuries, which was
to them […] modern and not refrigerated music.
21.  Dart (Thurston), The Interpretation of Music, Londres, Hutchinson & Co., 1954 (rééd. New-York,
Harper & Row, 1963) ; Donington (Robert), The Interpretation of Early Music, Londres, Faber & Faber, 1963.
22.  Schering (Arnold), Aufführungspraxis alter Musik, Leipzig, 1931 ; Borrel (Eugène), L’interprétation
de la musique française de Lully à la Révolution, Paris, Félix Alcan, 1934 (rééd. Paris, éditions d’aujourd’hui,
1975).
125

ou préciser des points d’interprétation posant problème. Le lancement en 1973 de la revue Early
Music illustre bien cette attitude assez nouvelle des musiciens qui puisent dans la musicologie
une partie de leur inspiration. Destinée à un public très large allant des amateurs curieux aux
chercheurs universitaires et laissant la parole aux musicologues autant qu’aux interprètes, les
débats y ont toujours tenu une place importante. Parmi ceux-ci, la question centrale de l’authen-
ticité historique n’a été curieusement abordée frontalement qu’assez tardivement, en 1984.23

6.2  La quête de l’authenticité24

L’irruption de la toute neuve musicologie dans l’interprétation musicale devait forcé-


ment conduire à certains excès de positivisme et de rationalité scientifique dans un domaine,
l’interprétation musicale, qui est traditionnellement reconnu comme moyen d’expression indi-
viduelle. Pourtant, les problèmes que pouvait poser une approche de la musique « historique-
ment informée », comme il est convenu de l’appeler aujourd’hui, avaient été en quelque sorte
désamorcés dès les années 1950, sous la plume de Nikolaus Harnoncourt  en des termes un peu
différents de ceux de Marc Pincherle évoqués plus haut :

Aux exécutions musicologiques que l’on connaît, souvent irréprochables


historiquement, mais qui manquent de vie, il faut préférer une restitution en-
tièrement erronées historiquement, mais musicalement vivante. Les connais-
sances musicologiques ne doivent évidemment pas être une fin en soi, mais
uniquement nous donner les moyens de parvenir à la meilleure restitution, car
finalement, celle-ci n’est authentique que lorsque l’œuvre prend l’expression
la plus belle et la plus claire ; et cela se produit lorsque les connaissances
et la conscience des responsabilités s’unissent à la plus profonde sensibilité
musicale.25

Ce que veut énoncer Harnoncourt ici, ce n’est non pas la caducité de la notion d’authen-
ticité historique, mais plutôt un ordre de priorité à établir entre d’une part, une nécessaire re-
cherche de fidélité à l’œuvre, selon des modalités particulières, et d’autre part l’expression
artistique qui est seule capable de donner une substance musicale à ce qui ne serait sinon qu’un
jeu mécanique.

23.  Sous la forme d’un dossier donnant la parole aux musicologue Daniel Leech-Wilkinson, Nicholas
Temperley et Robert Winter, et au critique Richard Taruskin : « The limits of Authenticity : a Discussion », Early
Music, vol. 12, n° 1, 1984, p. 3–25 ; l’année précedente, Laurence Dreyfus s’était déjà interrogé sur les fondements
et les attendus idéologiques du mouvement historiciste : Dreyfus (Laurence), « Early Music Defended against Its
Devotees : A Theory of Historical Performance in the Twentieth Century », The Musical Quarterly, vol. 69, n° 3,
1983, p. 297–322. Richard Taruskin avait quant à lui développé une partie de ses critiques dès 1982 dans Tarus-
kin (Richard), « On Letting the Music Speak for Itself : Some reflections on Musicology and Performance », The
Journal of Musicology, vol. 1, n° 3, 1982, p. 51–66.
24.  Pour une synthèse de la question, voir Nattiez (Jean-Jacques), « Interprétation et authenticité » dans
Musiques : une Encyclopédie pour le XXIe siècle, tome 2, Arles, Actes Sud / Cité de la Musique, 2004, p. 1127–
1148.
25.  Harnoncourt (Nikolaus), Le Discours musical : Pour une nouvelle conception de la musique, Paris,
Gallimard, 1984, p. 17.
126

Ce jeu mécanique était la conséquence d’une certaine manière de comprendre l’authenti-


cité, manière héritée d’une conception de l’œuvre qui déformait quelque peu les pièces de musi-
que baroque pour les faire entrer dans une conception de la fin du 19e siècle : la fidélité au texte
comme lien ultime à la pensée du compositeur. Ce qui avait pu être viable pour le répertoire
« romantique », avec des chefs tels que Gustav Mahler, Arturo Toscanini26 ou bien Ferrucio
Busoni, ne l’était tout simplement pas avec le répertoire baroque. Cette idée, qui transposait à
l’interprétation vivante les normes de l’édition scientifique, avait mené aux exécutions sèches
justement dénoncées par certains musiciens.
La question de l’authenticité au texte est restée néanmoins une préoccupation majeure,
les musiciens recherchant la partition la plus proche de ce que le compositeur a effectivement
écrit, par l’étude et même l’usage des manuscrits ou des fac-simile des éditions anciennes. Les
interprètes veulent alors y trouver, outre un texte authentique, un lien à la pensée intime du
compositeur.

Au-delà de la recherche de l’objectivité, en réaction aux excès de certains interprètes, c’est


aussi une définition extrêmement restrictive du rôle des exécutants qui a mené à la sécheresse
de certaines interprétations, autant dans l’entre-deux guerres que chez certains baroqueux27. Les
interprètes étant considérés comme de simples transmetteurs, leur présence dans la chaîne de
communication entre le compositeur et son auditoire, est alors juste tolérée et l’expression de
leur personnalité, réprimée.
Plus généralement l’idée que les interprètes doivent se mettre au service du compositeur
et chercher par tous les moyens à coller au plus près de ses intentions est à la source même des
conceptions historicistes. On a beaucoup discuté la possibilité même de connaître ces inten-
tions28. Mais même lorsqu’elles ne sont pas connues précisément, la musicologie peut apporter
des réponses plausibles, justement par l’étude des pratiques interprétatives anciennes. Mary
Cyr, dans son «manuel» d’interprétation de la musique baroque l’exprime ainsi :

Appliquée à l’interprétation musicale, l’authenticité peut être envisagée


comme une tentative d’exécution dans le contexte de la fidélité historique,
soit en adhérant au plus près aux intentions du compositeur (si elles sont
connues), ou en considérant les conventions et les circonstances historiques
d’exécution associées au compositeur.29

26.  Il se vantait de ne jouer que ce qui est écrit ; Leibowitz (René), Le compositeur et son double, Paris,
Gallimard, 1986, p. 74.
27.  Sur cette question, on évoque souvent Stravinski et ses récriminations à l’encontre des interprètes, mais
il faut remettre dans leur contexte ses sentances pouvant paraître définitives. L’exécutant et l’interprète sont pour
lui deux aspects nécessaires et complémentaires malgré la défiance qu’il affiche envers ses interprètes ; Stravinski
(Igor), Poétique musicale, Paris, éditions Le bon plaisir, 1952, p. 84 sq.
28.  Richard Taruskin, notamment, réfute toute possibilité de connaître les intentions des compositeurs
niant même toute connaissance historique objective des interprétations du passé ; voir Taruskin (Richard), « The
Modern Sound of Early Music » dans Text and Act, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 164–172.
29.  « When applied to musical performance, authenticity may regarded as an attempt to perform within a
context of historical faithfulness, either by adhering closely to the composer’s wishes (if they are known), or by
considering the conventions and historical circumstances of performances associated with the composer.»; Cyr
127

Les conventions d’interprétations historiques sont considérées ainsi comme étant impli-
citement intégrées aux intentions du compositeur. Dès lors, ce sont les instruments que celui-ci
a connus, les effectifs auxquels il était confronté, les types de voix, l’ornementation, le style de
jeu et la technique instrumentale qu’utilisaient ses musiciens qui sont seuls authentiques. Il est
donc indispensable de développer une connaissance précise de tous les paramètres originaux
de l’exécution pour coller au plus près à l’image sonore de l’œuvre qu’a pu imaginer le com-
positeur.
Le choix des instruments anciens ne saurait pourtant n’être qu’un paramètre parmi
d’autres dans cette quête d’authenticité. C’est au contraire un paramètre essentiel qui influence
directement la plupart des autres éléments du jeu. L’instrument ancien impliquant une manière
particulière, par sa forme ou son matériau, il apprend en quelque sorte à l’instrumentiste com-
ment il doit jouer. L’exploration du style se fait ainsi en partant des outils. Pierre Séchet, par
exemple, explique comment sa flûte baroque lui fait comprendre de quelle manière appliquer
les préceptes de Quantz :

« Dans un adagio, s’il y a une ronde ou une blanche, il faut entonner


mollement le son, et presque seulement le haleter. Ensuite on commence à
souffler, mais piano, et à faire croître la force du son jusqu’à la moitié de la
note. On fait en même temps un flattement avec le doigt, puis on diminue le
son, jusqu’à la fin de la note. »
Il y a dans ce paragraphe quelques mots qu’un instrumentiste moderne
comprendra, parce que cela a un correspondant exact sur son instrument, et
que d’ailleurs c’est un moyen d’expression dont il ne se prive pas : on lui de-
mande de faire un crescendo progressif, par exemple jusqu’au mezzoforte, et
ensuite, arrivé au milieu de la note, de diminuer par un decrescendo. Mais (si
je reprends la phrase au début), je ne peux pas entonner la note « mollement »
sur mon instrument moderne, ça ne « sort » pas. Sur une flûte d’aujourd’hui,
on doit « attaquer » la note. Nous avons un instrument qui a été mis au point
précisément pour pouvoir attaquer avec netteté tous les tons de la gamme
également. Et voilà qu’en suivant les indications du plus grand flûtiste du 18e
siècle, je lui fais faire le contraire ! C’est ce qu’on appelle « attaquer les notes
en-dessous ». C’est un défaut condamné par tous les professeurs.30

On comprend bien là que non seulement les instruments anciens sont les plus aptes à sui-
vre les préceptes techniques des traités anciens, mais aussi qu’il y a une sorte d’inauthenticité
dans l’usage des instruments modernes, qui peut mener aux fautes de goût les plus graves. Mais
surtout, c’est l’œuvre elle-même qui pourrait être altérée par l’usage d’un instrument moderne,
en ôtant des éléments essentiels à sa signification. Pierre Séchet en donne encore un exemple,
toujours à la flûte :

(Mary), Performing Baroque music, Portland, Amadeus Press, 1992, p.22.


30.  Beaussant (Philippe), Vous avez dit baroque ?, Arles, Actes Sud, 1988 (rééd. coll. Babel, 1994), p.
65–66.
128

Dans une flûte ancienne, qui n’a pas de clef, ou qui n’en a qu’une, on
utilise ce qu’on appelle les doigtés fourchus pour faire certaines notes alté-
rées, par exemple le si bémol et aussi le fa. Évidemment ces notes-là sont plus
difficiles à jouer que les autres, et surtout elles sont plus difficiles à intoner.
Elles sont, disons, plus faibles, plus impalpables. […] J’ouvre la Passion se-
lon Saint-Jean. J’arrive au n° 13, air pour soprano, avec accompagnement
de flûte, « Ich folge dich », dont le texte transcrit l’image d’une âme légè-
re, naïve et faible, qui suit son Seigneur comme d’un petit pas d’enfant. Or,
qu’est-ce que je vois ? Que cet air est écrit en si bémol majeur, et que Bach
ne cesse, du début à la fin de la ligne de flûtes, de mettre en valeur mes notes
« faibles », « frêles », fa, si bémol, si bémol, fa. Est-ce que vous croyez que
c’est un hasard ? […] Bach utilise les faiblesses de l’instrument pour exprimer
la faiblesse. […] Et si je prend ma flûte moderne, je suis sûr que je vais perdre
une intention de Bach, un effet voulu par Bach…31

On pourrait bien sûr multiplier les exemples, évoquer ainsi les effectifs vocaux dans les
œuvres de Bach, ou bien les spécificités des vents anciens dans le répertoire classique. Il appa-
raît donc qu’il y aurait une adéquation des instruments anciens à la fois au style et à l’écriture
de la musique ancienne. Ainsi, les instruments sont liés directement à la pensée et aux intentions
du compositeur, par l’image sonore de l’œuvre qu’ils forgent et par l’influence qu’ils exercent
sur l’écriture :

Il y a un lien étroit entre la musique et ses instruments. Le compositeur,


plus ou moins consciemment, prend en compte leurs sonorités, l’attaque et
l’extinction de leurs sons, leurs articulations naturelles et l’étendue de leurs
ressources techniques.32

6.3  Le baroque, le moderne et le postmoderne

À la lumière de ces éléments théoriques, on peut néanmoins s’interroger sur la validité de


cette approche en terme d’historicité. Il est intéressant de se pencher avec un œil critique sur les
solutions apportées par le mouvement baroqueux à des questions qui ne sont pas toujours aussi
simples qu’il y paraît au premier abord.
Comme le fait remarquer Jean-Jacques Nattiez, il semblerait que les musiciens baroques,
et Harnoncourt le premier, aient été beaucoup moins naïfs que l’ont pu croire leurs détracteurs33.
Surtout, l’argument d’authenticité a été essentiellement porté et développé par les maisons de
disques qui voyaient là un efficace argument de vente. Il y a donc des critiques à apporter à des
conceptions parfois simplistes et qui laisseraient croire que ce qui est offert au public est effec-

31.  Beaussant (Philippe), op.cit., p. 70–71.


32.  Donongton (Robert), The Interpretation of Early Music, Londres, Faber & Faber, 1963, p. 435.
33.  Nattiez (Jean-Jacques) « Interprétation et authenticité », op. cit., p. 1130.
129

tivement la musique telle que l’a conçue et l’aurait interprétée son auteur, ou tout au moins un
contemporain de sa création.

Tout d’abord, il faut bien accepter l’idée que l’on ne peut certainement pas parvenir
à une reconstitution totalement fidèle des conditions originales d’exécution. Les paramètres
sont nombreux et difficilement réalisables dans les conditions actuelles : la taille des salles de
concert par exemple, les contraintes économiques qui pèsent sur les productions mais aussi tout
simplement les circonstances de l’écoute du public, qu’il s’agisse du concert ou de l’enregis-
trement, qui permet toutes sortes de pratiques de la part des auditeurs. Tout cela est tout à fait
étranger aux conditions originales et peut même constituer une distorsion grave au point de
compromettre tout le projet authenticiste de l’interprétation.
De plus, ces conditions n’étant bien souvent même pas toutes connues avec certitude,
un choix doit être opéré pour décider de l’importance des paramètres, pouvant même conduire
certains musiciens à renoncer purement et simplement à certains répertoires par manque d’in-
formations. C’est ainsi que Christopher Hogwood a renoncé à interpréter la musique médiévale
par manque de données garantissant une authenticité suffisante34.

Au-delà de la difficulté à retrouver et à reproduire les conditions historiques d’exécution,


il y a plusieurs dangers qui guettent les tenants de l’authenticité. Le premier c’est qu’à l’inter-
prétation de l’œuvre se substitue une interprétation des sources, des données musicologiques,
des traités35. Cela ce n’est pas à proprement parler de l’interprétation musicale, et occulte l’œu-
vre au lieu de la révéler.
Le second danger, c’est qu’à force de rechercher un style historique on oublie là encore
la musique et que les interprétations, au lieu de s’enrichir des recherches, deviennent systé-
matiques, fades et finalement inintéressantes. Pourtant, on a vu l’importance accordée déjà
par Dolmetsch à l’expression et la conscience aiguë de ce risque de Harnoncourt par exemple.
Sigiswald Kuijken craignait lui aussi, déjà au début des années 1980, qu’à la recherche et à
l’exigence succède un académisme fait de compromis et de confort paresseux36. Mais force
est de constater que l’interprète, dans ces conditions, peut facilement oublier sa responsabilité
d’artiste du fait de son obsession à ne pas trahir sa responsabilité d’historien.
Enfin, et cela est un danger autant qu’une chance, le risque est grand que dans les inters-
tices laissés béants par les inconnues de l’équation se glissent des préférences personnelles et
une part non négligeable d’un goût tout contemporain, compromettant encore le projet d’une
interprétation véritablement historique.

34.  Temperley (Nicholas), « The Movement Puts a Stronger Premium on Novelty than on Accuracy, and
Fosters Misrepresentation », Early Music, vol. 12, n° 1, p. 19.
35.  Rosen (Charles), « Le choc de l’ancien », InHarmoniques, n° 7, 1991, p. 106.
36.  Beaussant (Philippe), op. cit. p. 189 sq.
130

Les traités, si souvent invoqués par les interprètes, évoquent déjà à l’époque baroque leurs
propres limites, en consacrant une autre exigence d’authenticité : le bon goût. Voici ce qu’en
disait par exemple, parmi d’autres, Saint-Lambert , en 1702:

On ne comprendra jamais bien comment il faut exprimer tous ces agré-


ments; parce qu’il n’est pas possible de le bien expliquer par écrit, à cause que
la manière de les exprimer change selon les pièces où on les emploie. [...] Le
bon goût est le seul arbitre.37

Ce bon goût, c’est nous-même aujourd’hui qui en jugeons, si bien que sa construction ne
saurait qu’être contemporaine. Cela d’autant plus que le style, qui est pour partie lié au goût, ne
saurait mieux s’expliquer par les traités.
De là il n’y a qu’un pas, que Richard Taruskin franchit sans hésiter, à affirmer qu’il ne
subsiste finalement que peu d’éléments historiques dans le jeu des tenants de l’authenticité
historique. Il l’affirme d’ailleurs de manière définitive  : « Qu’est-ce que la Musique Ancienne
a à voir avec l’histoire ? En théorie, tout. Dans les faits, très peu »38. Et la liste serait longue des
éléments semblant appartenir plus au 20e siècle qu’aux périodes anciennes.

Le plus évident, parce qu’il est le plus lié à la technologie, c’est le « son baroque ». Ce
son, qu’il est impossible de connaître vraiment historiquement, n’a pas toujours été le même de-
puis les années 1950. Mais il est indéniable que c’est avec l’avènement du micro-sillon et de la
hifi que s’est construit le son des ensembles d’instruments anciens. Cette manière très incisive,
l’attaque tranchante, l’idéal du son blanc, sans vibrato, pour mieux dessiner les lignes, mieux
découper les silhouettes mélodiques : tout cela n’est probablement pas tant historique, mais au
contraire très moderne. Il est curieux de noter en un sens la parenté entre les sons sinusoïdaux
des débuts de la musique électronique et l’idéal de pureté des premiers baroqueux. Et dans le
même temps, probablement y a-t-il aussi une réaction à l’univers électronique, par l’usage de
ces instruments « écologiques », faits de matières naturelles — le bois, l’ivoire, le boyau —
voulant garantir par là même une autre authenticité.
Paradoxalement — mais le baroque n’est-il pas aussi le règne du paradoxe — c’est la
technique, celle de l’enregistrement, qui a assuré à l’historicisme son développement commer-
cial et artistique. Un ensemble comme Il Giardino Amonico a bâti son succès essentiellement
sur le son très travaillé, à la fois aux instruments et au studio, qu’il a su trouver au travers de
recherches approfondies.
Il faut remarquer aussi que cet ensemble n’a jamais hésité à utiliser, dans le jeu sur les ins-
truments anciens, un certain nombre de techniques semblant réservées à la musique contempo-

37.  Saint-Lambert (Michel de), Les principes du clavecin contenant une explication exacte de tout ce qui
concerne la tablature & le clavier, Paris, 1702, p. 57.
38.  « What does Early Music have to do with history ? In theory, everything. In fact, very Little. » ; Tarus-
kin (Richard), « The Modern Sound of Early Music » dans Text and Act, Oxford, Oxford University Press, 1995,
p. 164.
131

raine : sul ponticello, notes très percussives, coups d’archets bruiteux etc.39 Si le cas de Giardino
Armonico est quelque peu extrême, ces recherches sur le son ont néanmoins toujours conduit à
produire sur les instruments une image sonore très travaillée, comme cela a pu être le cas aussi
chez Harnoncourt et son Concentus Musicus. Harnoncourt va d’ailleurs jusqu’à proclamer que
le beau peut être laid, c’est-à-dire que pour les besoins du discours musical, qu’il s’agisse de
musica representativa ou d’un madrigal, il peut être parfois préférable de chercher l’expression
par le bruit ou une altération du son, plutôt que par le beau son40. Le son devient alors un pa-
ramètre essentiel de l’interprétation et donc aussi de la conception que l’on se fait des œuvres
baroques, qui est une conception très moderne. Le renouveau des instruments anciens semble
ainsi accompagner l’émancipation du timbre dans la création musicale du 20e siècle.
De la même manière, et cela contribue en partie à la qualité du son, le style de l’interpré-
tation — c’est-à-dire l’articulation, la manière de conduire les phrases, cette façon d’organiser
le discours en cellules relativement courtes — n’a pas été seulement une découverte, mais avant
tout la recherche éperdue d’une nouvelle manière, d’un renouvellement d’une expression qui
ne correspondait plus aux aspirations de jeunes musiciens qui avaient soif de liberté dans une
nouvelle rigueur.

À l’époque même où se joue cette table rase baroque, les années 1950–60, une autre table
rase cherche à se faire une place, celle de Darmstadt. Certaines positions bouléziennes, comme
par exemple la recherche de la liberté par la discipline41, trouvent un écho dans la nécessaire re-
fonte de l’interprétation des musique anciennes par l’acception de règles strictes édictées par le
recherche musicologique. Et de la même manière que l’avant-garde sérielle a pu après quelques
années desserrer le carcan de ses règles, le mouvement baroqueux s’est émancipé peu à peu de
son strict historicisme.
Il ne faut bien sûr pas confondre parallèle et identité : les moyens et la finalité des deux
mouvements sont bien sûr différents, mais il y a probablement une communauté d’esprit. Cette
relation entre avant-garde et instruments anciens est d’ailleurs revendiquée par certains musi-
ciens. Nombre des baroqueux de la première heure, ont été très actifs dans la création contem-
poraine : les frères Kuijken avec Musiques Nouvelles, Frans Brüggen dans la promotion de la
musique nouvelle pour flûte à bec, David Simpson avec L’Itinéraire ou bien encore William
Christie et Chiara Banchini. Le fait que les interprètes puissent à la fois trouver un intérêt dans
les deux domaines, s’explique probablement surtout par le besoin d’un renouvellement et d’une
échappatoire aux rigueurs d’un académisme mortifère porté par les conservatoires à la fois dans
l’enseignement de la pratique instrumentale et dans celui de la composition.

39.  Sur le son de Giardino Armonico, voir Antonini (Giovanni) et Delalande (François), « Vivaldi, le son
et la modernité », dans Delalande (François), Le son de musiques : entre technologie et esthétique, Paris, INA/
Buchet-Chastel, 2001, p. 116–133.
40.  Harnoncourt (Nikolaus), Le dialogue musical, Paris, Gallimard, 1985, p. 38 sq. C’est d’ailleurs une
opinion largement répendue à l’époque baroque, pariculièrement en rapport avec les dissonances expressives.
41.  Boulez (Pierre), Penser la musique aujourd’hui, Paris Gonthier, 1963 (rééd. Paris, Gallimard, 1987),
p. 9.
132

Cette revendication du caractère avant-gardiste de la musique sur instruments anciens est


portée d’une manière assez curieuse par Roger Norrington :

Du point de vue du nouveau millénaire, l’histoire de la musique du


vingtième siècle semblera peut-être avoir été autant concernée par la redécou-
verte du passé que par la musique de son temps. Et ce n’est pas une mauvaise
chose. En un sens, ce siècle a eu trois avant-gardes. La première, bien sûr,
c’était les grandes œuvres nouvelles écrites en son sein. La seconde, c’était
l’énorme fonds de musique médiévale et baroque sauvé d’une quasi-extinc-
tion et rendue à un public enchanté. La troisième avant-garde s’est développée
suite à la nécessité d’une réflexion sérieuse quant à la manière de laquelle ces
musique inconnues devraient être interprétées. Cela a conduit naturellement à
une réévaluation des musiques des dix-huitième et dix-neuvième siècles, que
nous pensions déjà « connaître ».42

Si l’identification entre jeu sur instruments anciens et avant-garde pourrait passer au pre-
mier abord pour une adhésion à une pensée moderniste, il faut pourtant prendre garde à bien
peser la signification de ces lignes et plus généralement, de l’interprétation historiquement in-
formée, comme on l’appelle maintenant.
Il semble que Roger Norrington fasse ici l’amalgame entre « révolution » et avant-garde,
entre nouveauté et modernité. On ne comprend en effet pas très bien en quoi le redécouverte
et la mise en valeur du répertoire ancien constitueraient une « avant-garde ». Qu’il s’agisse
d’une révolution, en ce sens que pour la première fois dans l’histoire de la musique nous avons
virtuellement accès à dix siècles de musique, cela est indéniable. Mais ce qu’annonce cette re-
découverte, si elle n’en est pas même déjà un symptôme, c’est un certain relativisme qui nous
fait apprécier aujourd’hui de la même manière et avec les mêmes critères à la fois toutes les
musiques occidentales et — le plus souvent avec une grande ignorance — celles d’autre cultu-
res. La nouveauté du répertoire est évidente, mais le public, « enchanté », se voit proposer en
quelque sorte une avant-garde de seconde main qui semble pouvoir se substituer à celle, moins
accessible, de la musique contemporaine.
Cette manière de qualifier ce retour à l’ancien d’avant-garde n’est en fait qu’une manière
de relativiser l’importance de l’autre avant-garde, celle de la musique contemporaine. Même
si, comme on a pu l’apercevoir un peu, la troisième avant-garde, dans ses méthodes et certains
de ses buts, s’apparente partiellement à la modernité, « la présence , immédiate, permanente et
active, du passé intégral […] constitue un aspect de ce qu’il faut bien appeler (puisque le terme

42.  « From the vantage point of the new Millenium, the history of twentieth-century music will perhaps
seem to have been as much about the rediscovery of the past as about music of its present. And that’s not a bad
thing. In a sense, this century has had three avant-gardes. The first, of course, was the great new works written in
it. The second was a huge store of Medieval and Baroque music recovered from near-extinction and brought to a
delighted public. The third avant-garde grew out of the necessary serious thought about how such unknown music
should be performed. It led naturally to a reappraisal of the music of the eighteenth end nineteenth centuries, which
we thought we already ‘knew’. » ; Norrington (Roger), Preface de Brown (Clive), Classical and Romantic Per-
formance Practice 1800-1900, Oxford, Oxford University Press, 1999, p. vi.
133

est entré irrémédiablement dans l’usage) le postmodernisme »43.


En vérité, lorsque Norrington admet l’existence de trois avant-gardes, il ne fait pas que
mettre sur un même plan l’historicisme et la création contemporaine, mais il les met en compé-
tition, car si le public est enchanté de ce retour à des musiques à la nouveauté toute relative et
confortable, c’est au détriment de la vraie nouveauté et de l’innovation.

Il y a donc un discours à la fois moderniste, dans le sens d’« actuel », et extrêmement pas-


séiste. L’actualité de la musique ancienne, on l’a vu, est dans son refus de l’académisme, dans
sa manière nouvelle d’envisager l’interprétation, dans ses sonorités réellement modernes. Mais
dans le même temps elle est l’expression aussi d’une certaine tiédeur, trait qui s’est accentué
avec le temps et le succès grandissant de l’entreprise. L’aventure n’est plus au rendez-vous,
la contestation du système a cédé la place à l’exploitation par le système. Sigiswald Kuijken
l’avait déjà pressenti dans les années 1980 :

Où est l’idée initiale là-dedans ? Cette espèce d’urgence intérieure qui


faisait qu’on voulait découvrir, re-trouver, re-mettre au jour les techniques
anciennes, parce qu’elles avaient un pouvoir de nettoyage. Tu comprends :
nettoyer… Où est le besoin de pureté, du son, mais pas seulement du son.
Où est cet élan qui voulait se libérer de la routine fastidieuse, du mécanisme
stérile. On voulait rétablir l’unité entre ce qu’on faisait et la façon dont on
projetait de le faire… […] Il faut croire que l’homme a toujours tendance
à compromettre son but au lieu d’aller jusqu’au bout. […] C’est moi qui ait
l’impression d’être le jeune et de me trouver en face d’un mouvement qui
montre des signes de vieillesse. On se ré-installe. On va se faire récupérer par
le système.44

Ce système, c’est celui des concerts institutionnalisés, des maisons de disques et des sub-
ventions. Et par ce biais, c’est un certain état d’esprit général à notre époque qui est à l’œuvre
dans le monde de la musique ancienne, ce qu’on a pu appeler postmodernisme.
La définition du postmodernisme est considérée par tous les auteurs comme étant difficile
à préciser. Des contours se laissent deviner, des tendances se dessinent, mais le consensus est
difficile à établir sur la nature même du phénomène. Plusieurs approches sont possibles45.
La première consiste d’abord à définir ce qu’on entend par moderne dans postmoderne.
Selon que moderne s’applique aux mouvements artisitiques nés à la fin du 19e siècle ou à l’ère
nouvelle de la culture européenne qui s’ouvre à la Renaissance. Dans l’un et l’autre cas la pério-
de concernée ne sera pas la même : les cinquante dernières années dans le premier cas, plusieurs

43.  Sabbe (Herman), « Les bifurcations de l’historisme », dans La musique et l’Occident. Démocratie et
capitalisme (post-) industriel : incidences sur l’investissement esthétique et économique en musique, Sprimont,
Mardaga, 1997, p. 44.
44.  Beaussant (Philippe), Vous avez dit baroque ?, op. cit. p. 192–193.
45.  Pour une illustration de cette « confusion » voir « Qu’est-ce que le postmodernisme musical ? » dans
Circuit, n° 1, 1990 p. 9–26.
134

siècles dans le second. Mais surtout, la postmodernité peut être entendue comme une «hyper-
modernité», c’est-à-dire même comme naissance de la modernité46, ou au contraire comme un
retour à une tradition rassurante et à un relativisme consensuel et englobant un grand nombre .
C’est plutôt dans ce dernier sens que nous explorerons les liens entre le postmodernisme et les
instruments anciens.
Appliqué à la musique, le terme semble aujourd’hui plus facile à appréhender pour autant
qu’on en fasse un usage assez général. Il est possible ainsi d’en dégager des lignes dominantes
comme la communicabilité et le « retour » de l’auditeur, l’hétérogène, le collage et la citation.

La recherche d’une communication renouvelée avec l’auditeur n’est pas patente dans
le mouvement baroque. Cela parce qu’au départ la préoccupation n’est pas dans la recherche
d’un public, mais plutôt dans l’affirmation d’une certaine rigueur, de l’application d’une éthi-
que nouvelle de l’interprétation. Mais ce que vise cette éthique, c’est à réhabiliter les œuvres
pour leur garantir aussi la meilleure réception possible. Le souci rhétorique de Harnoncourt
par exemple, s’il est historiquement fondé, sert aussi au rétablissement d’un dialogue entre le
public et les œuvres du passé, une compréhension immédiate rendue possible par ce retour à
l’expression dans la musique baroque, expression qui avait pu faire défaut dans les interpréta-
tions objectives des années 1930.
L’importance du son, favorisée par l’apparition de moyens de reproduction dits « haute-
fidélité », est aussi une prise en compte nouvelle d’un paramètre immédiatement perceptible,
qui n’est pas lié directement à l’œuvre, en tout cas pas dans la plupart du répertoire ancien, mais
qui constitue une marque de fabrique immédiatement reconnaissable et une source de plaisir
musical immédiat.

Cette préoccupation de l’accessibilité pour le public semble être au cœur de beaucoup des
œuvres nouvelles destinées aux cordes baroques, ce qui est un trait général à toute la création.
C’est même souvent une certaine simplicité qui est privilégiée, qu’elle soit pour les interprètes
ou pour les auditeurs. La pièce de Gavin Bryars, In Nomine, en est un criant exemple : que ce
soit techniquement ou rythmiquement, c’est la simplicité qui est recherchée pour une efficacité
immédiate auprès des auditeurs. Harmoniquement et mélodiquement organisée de manière très
hiérarchisée, cette pièce peut être facilement écoutée de manière fragmentaire, sans pour autant
en perdre le fil, ce qui, comme le note Béatrice Ramaut-Chevassus, est un comble pour une mu-
sique « esthésico-centrique »47. Les pièces répétitives de Belinda Reynolds entrent dans cette
même logique d’une économie de moyens dans l’écriture mais aussi dans l’exigence technique
auprès des interprètes et dans l’attention demandée à l’auditeur.
Cette manière d’envisager le rapport au public est aussi souvent la conséquence du rejet
d’un certain sérieux dans la composition. Il y a chez la plupart des compositeurs rencontrés une

46.  Lyotard (Jean-François), Le postmodernisme expliqué aux enfants, Paris, Galilée, 1988, p. 24.
47.  Ramaut-Chevassus (Béatrice), Musique et postmodernité, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 1998, p.
90.
135

certaine légèreté qui est revendiquée. Peu d’œuvres sont finalement vraiment prises au sérieux
par leurs auteurs. On s’en convaincra en considérant certains commentaires tels que ceux des
membres de Common Sense ou bien de Matthew Hindson, qui se demande pourquoi on n’écrit
pas plus de musique joyeuse, ayant tant de raisons de se réjouir. On sent bien qu’il y a d’une
certaine manière un défaussement de ces compositeurs de leur responsabilité d’artistes, et peu
nombreux sont ceux qui ont une conscience aiguë du rôle et de la responsabilité qui peuvent, ou
peut-être doivent, être les leurs48. La fonction de compositeur n’est plus assumée que dans une
posture d’artisan, et plus du tout dans sa dimension d’artiste. C’est en quelque sorte aussi un
retour au passé, ou en tout cas un désenchantement très actuel.

L’hétérogénéité propre à l’esprit postmoderne se manifeste de plusieurs manières dans le


mouvement baroqueux. Tout d’abord, et c’est le plus évident, le fait même de jouer de la mu-
sique d’un autre temps est en soi une tentative de faire coller un objet étranger et anachronique
à notre époque. Mais surtout, au-delà de l’hétérogénéité originelle de ce collage, pour assurer
l’adhésion à notre temps et à notre sensibilité, il est nécessaire d’augmenter encore le caractère
hétérogène par la greffe sur l’élément historique d’éléments contemporains. Dans l’interpréta-
tion musicale, ce peut être une sonorité moderne par exemple, mais aussi les conditions et le
lieu d’exécution, voire la haute technologie des studios d’enregistrement. La mise en scène des
opéras baroques en est un exemple particulièrement frappant. Depuis quelques années, la mode
est à l’actualisation dans la mise en scène et aux instruments historiques dans la fosse : on a
vu par exemple les opéras de Haendel mis en scène par Peter Sellars et interprétés par les Arts
Florissants de William Christie. Cette shizophrénie semble à la fois être l’aveu, ou la revendi-
cation, de la modernité des instruments anciens, et dans le même temps semble tenter par tous
les moyens de faire rentrer l’œuvre baroque dans le moule de notre époque.
Il y a finalement une grande ambiguïté qui est accentuée par le contraste toujours marqué
entre le caractère forcément contemporain de toute production musicale d’aujourd’hui et l’an-
tiquité affichée des instruments qu’on utilise.

Curieusement, les compositions nouvelles pour instruments anciens tentent rarement de


combler le fossé originel, consubstantiel à toute utilisation de ces instruments. Au contraire, au
lieu de « moderniser l’instrument ancien » les compositeurs tentent souvent de les rattacher à
leur tradition historique, à leur répertoire, à leur histoire. Il y a là comme une crainte de brus-
quer l’instrument et son interprète, peut-être aussi l’auditeur. Il faudrait assurer à l’un, un cer-
tain confort de jeu, et à l’autre, un confort d’écoute. C’est ainsi que pour garantir à tous qu’ils
seront en terrain connu, les citations et allusions abondent, approchant parfois dangereusement
la ligne jaune du pastiche ou du mauvais goût comme chez Elias Gistelinck (Méditation pour le

48.  Il y a bien sûr des exceptions dont la plus notable est Klaus Huber qui a toujours écrit une musique
exigeante et engagée.
136

Carême) ou bien encore dans les œuvres que John Tavener a destinées à l’Academy of Ancient
Music.

En définitive, il semble que dans les cas extrêmes toute l’entreprise soit placée sous le
signe du pastiche et du néo : de faux interprètes du passé jouant une fausse musique baroque.
En un sens, c’est une chance inespérée pour les interprètes baroques de rencontrer enfin le com-
positeur dont ils jouent l’œuvre, mais un faux compositeur baroque lui aussi. Il y a donc une
manière de pousser tellement loin le jeu historique que la situation atteint une absurdité telle
que plus personne n’est authentique, et que la musique elle-même ne signifie plus rien, n’étant
plus que simulacre, voire même simulacre de simulacre.
Bien sûr, la plupart des œuvres n’atteint pas ce degré de confusion historique. Mais le
danger est toujours présent que l’instrument ancien ne soit qu’un alibi commode pour excuser
un rapport à l’histoire qui, au lieu de libérer l’invention, est au contraire un frein à toute éman-
cipation. Il est tout à fait essentiel de remarquer que ces œuvres sont la plupart du temps des
œuvres mineures dans les catalogues des compositeurs, qu’elles ne sont jamais à l’origine d’une
mutation du style ou des techniques des compositeurs. Au contraire, elles sont souvent sympto-
matiques d’un « relâchement » stylistique. George Benjamin, par exemple, écrit Upon Silence
(1990) juste après Antara, qui marque un tournant dans sa production musicale, par la limitation
des moyens qu’il utilise et aussi par l’extrême lisibilité pour l’auditeur qui en découle.
Lorsque Pascal Dusapin aborde la composition de Medeamaterial, il se doute que l’épi-
thète « postmoderne » risque de lui être accolée, mais se défend :

Il y a quelquefois dans la partition un jeu que les mauvais esprits quali-


fieront certainement de « postmoderne » avec la rhétorique du XVIIe siècle,
par exemple tout un passage où je me suis « amusé » avec une technique
rythmique caractéristique de la musique baroque.49

En prétendant s’être amusé, Dusapin décrédibilise en quelque sorte sa position de créateur,


et le sérieux de son œuvre, ce qui est une posture toute postmoderne. Cette manière de dédra-
matiser la création musicale, que nous avons déjà évoquée précédemment, n’est pas étrangère
au fait que les pièces destinées aux cordes baroques sont rarement importantes dans l’évolution
artistique de leurs auteurs. Les baroqueux, après avoir proposé à leur auditoire la redécouverte
des petits maîtres du passé, se voient le plus souvent confinés, pour leur plus grand confort, dans
les petites œuvres du présent.

Il est toutefois important de relativiser ces observations et de remarquer aussi que même
si la majorité des pièces sont extrêmement marquées par un rapport au passé particulièrement
étouffant, d’autres entretiennent des rapports beaucoup plus créatifs avec la tradition des ins-
truments. Il y a de vraies réussites même dans cette dialectique entre le neuf et l’ancien, pourvu

49.  Cité par Ramaut-Chevassus (Béatrice), Musique et postmodernité, op. cit. p. 73.
137

que la référence ne soit pas le prétexte à un appauvrissement mais qu’elle soit au contraire un
stimulant pour aller au-delà du pastiche et de la citation, pour rechercher vraiment ce que peut
nous dire l’instrument aujourd’hui.
Pour que des œuvres importantes puissent éclore dans ce contexte, il faut surtout que les
interprètes s’ouvrent davantage à la création contemporaine, qu’ils sortent du carcan de leur
spécialisation et suscitent ainsi des compositions nouvelles qui se servent des instruments pour
renouveler réellement le discours musical. Comment y parvenir ? C’est ce que nous allons ten-
ter de déterminer maintenant.
Chapitre 6
La viole d’amour, instrument moderne

Après avoir pointé les forces et les faiblesses des instruments baroques, leur logique et
leurs contradictions, on est en droit de se demander quelles évolutions sont encore possibles
pour ces objets aux définitions finalement assez floues et qui semblent être écrasés par le poids
de l’histoire et de certaines options esthétiques et techniques de leurs praticiens. Il est pourtant
un instrument baroque — baroque parce qu’il fut inventé dans ces temps que l’on qualifie ainsi
mais aussi par sa morphologie même  — qui ne semble pas connaître de freins à son émancipa-
tion de l’histoire et à l’exploration de territoires nouveaux. Cet instrument c’est la viole d’amour,
qui semble, plus que tout autre instrument baroque, être véritablement de notre temps.

6.1  Histoire et permanence de la viole d’amour

Les instruments à cordes sympathiques semblent être apparus en Europe au début du 17e
siècle. Les premières mentions de l’usage de cordes sympathiques sur des violes apparaissent
en effet en Allemagne, chez Prætorius1, et en Angleterre, dans le Sylva Sylvarum de Bacon2.
Plus tard, c’est la lyra viol qui est pareillement augmentée de cordes résonnantes3. Mais la pre-
mière référence imprimée citant ce nom même de viola d’amore, c’est à John Evelyn qu’on la
doit, dans son Journal daté du 20 novembre 16794. Celui-ci y affirme n’avoir jamais entendu
instrument plus doux ou plus surprenant. Mais il ne fait pas mention de cordes sympathiques,
« sa » viole d’amour n’ayant que cinq cordes, filées. Après lui, ni Rousseau5 dans son traité de

1.  Prætorius (Michael), Syntagma Musicum II : De Organographia, Wolfenbüttel, 1619.


2.  Bacon (Francis), Sylva Sylvarum, Londres, 1627.
3.  Playford (John), Musick’s Recreation on the Viol, Lyra Way, Londres, 1661.
4.  Evelyn (John), Diary and Correspondence, vol. 2, Londres, George Bell and Sons, 1886, p. 145.
5.  Rousseau (Jean), Traité de la viole, Paris, 1687, p. 21–22.
139

viole, reprenant Kircher, ni Brossard6 dans son dictionnaire ne lui attribuent plus de cinq cordes
de laiton, touchées directement avec l’archet.

Il apparaît que deux types de violes d’amour ont coexisté : un modèle tendu d’un rang de
cordes en laiton jouées avec l’archet  et le modèle que l’on connaît le mieux aujourd’hui, à deux
rangs de cordes, l’un joué avec l’archet et l’autre mis en résonnance par sympathie. D’après
Harry Danks7, la viole d’amour à cinq cordes, c’est-à-dire sans cordes sympathiques, est typi-
que du nord de l’Allemagne. C’est probablement l’instrument qu’a connu Bach8. Dans le sud
de l‘Allemagne, c’est la viole « sympathique » qui domine, à peu près à la même époque, avec
généralement douze cordes en tout.
Les critères organologiques décrivant la viole d’amour semblent donc indépendants de
cette capacité à la résonance par sympathie. Les principales caractéristiques peuvent être défi-
nies ainsi :
• la forme de l’instrument : une petite viole de la taille d’un violon alto, sans frettes
•  son mode de jeu : elle se joue da braccio
•  son cordage : de cinq à sept cordes en laiton ou en boyau filé.

Néanmoins, l’histoire aura retenu la forme la plus excentrique de l’instrument, qui est
aussi la plus typique au dix-huitième siècle, avec ses deux rangs de six ou sept cordes.

Avec ses douze ou quatorze cordes, la viole d’amour demande bien sûr une attention par-
ticulière pour son accord. Les cordes sympathiques sont les plus simples à accorder puisqu’elles
sont usuellement tendues à l’octave des cordes touchées. Les modes d’accord des cordes tou-
chées sont multiples selon les auteurs, mais semblent se fixer vers un standard, en tous les cas
théorique, d’un accordage dans la tonalité de ré, majeur ou mineur selon le contexte9. Mais ceci
n’est que convention et n’est que théorie, celle que l’on trouve dans les traités d’orchestration,
car l’essence même de la viole d’amour, c’est la scordatura.
L’usage le plus courant veut ainsi que la viole soit accordée selon la tonalité du morceau,
et non comme les autres instruments, selon un schéma fixe. Cela donne lieu le plus souvent à
une notation en tablature. Ces notations peuvent être assez complexes, comme c’est la cas par

6.  Brossard (Sébastien de), Dictionnaire de musique, contenant une explication des termes grecs, latins,
italiens & françois les plus usitez dans la musique, Paris, Christophe Ballard, 1703, article « viola ».
7.  Danks (Harry), The Viola d’Amore, 2e ed., Halesowen, Stephen Bonner, 1979, p. 4.
8.  Sur ce sujet voir Köpp (Kaï), « Die Viola d’amore ohne Resonanzsaiten und ihre Verwendung in Bach
Werken », Bach-JahrBuch, 2000, vol. 86, p. 139–165 et Schrammeck (Winfried), « Die Viola d’amore zur Zeit
Johann Sebastian Bachs », Bach-Studien, 1986, vol. 9, p. 56—66.
9.  A vrai dire il n’y a pas d’avis unanime des théoriciens, et cette convention de l’accord en ré semble
tardive ; ainsi Johann Friedrich Majer, dans son Neu eroffneter Musik-Saal (Nüremberg, 1741), présente-t-il pas
moins de dix-sept modes d’accord différents (cité dans Greilsamer (Lucien), « La facture des instruments à ar-
chet », Encyclopédie de la Musique et Dictionnaire du Conservatoire : Technique de la musique, vol. 3, Paris,
Delagrave, 1925, p. 1749). Sur ce sujet et sur la scordatura en général, voir Lesser (Elisabeth), « Zur Scordatura
der Streichinstrumente, mit besonderer Berucksichtigung der Viola d’amore », Acta Musicologica, vol. 4, fasc. 3,
1932, p. 123—127.
140

exemple dans les Lessons d’Ariosti. Le compositeur utilisant une accordatura différente pour
chaque Leçon, il élabore un système de notation original pour permettre, après un certain ap-
prentissage, de les jouer toutes sans se soucier des différences d’accord10. D’une manière plus
générale, les pièces pour viole d’amour sont le plus couramment écrites en tablature, souvent
en prenant comme référence les cordes supérieures du violon. Plus rarement, elles sont écrites
en notes réelles, surtout lorsqu’elles sont destinées aux violes à cinq cordes, sans cordes sym-
pathiques11.
Cette propension naturelle de la viole d’amour à la scordatura est d’une grande impor-
tance, comme nous allons le voir plus loin, pour le développement de son répertoire au ving-
tième siècle.

Le répertoire de la viole d’amour, comme le fait remarquer Danks, est composé pour une
part importante de pièces écrites au 18e siècle11. Mais au moment où il écrit, en 1976, le corpus
de 283 œuvres qu’il a rassemblé comporte déjà un tiers de pièces écrites après 1880. Cela mon-
tre à quel point l’éclipse de la viole d’amour est temporaire mais aussi que s’il existe bien un
répertoire non négligeable pour la viole d’amour, celui-ci reste néanmoins modeste et, au 18e
siècle, circonscrit à des zones géographiques bien précises : Allemagne, Autriche, Bohème et
Italie principalement.
C’est surtout durant le 18e siècle que la viole connaît son apogée. La liste des composi-
teurs ayant alors écrit pour l’instrument est longue mais contient essentiellement des musiciens
originaires des pays germaniques12. Parmi ceux-ci on retiendra bien sûr le nom de Carl Stamitz,
célèbre compositeur et interprète de la viole d’amour, mais aussi ceux de Johann Sebastian
Bach, Antonio Vivaldi, Christoph Graupner, Johann David Heinichen et autres Franz Anton
Hoffmeister et Pietro Locatelli13. L’instrument est alors au sommet de son succès, mais ce suc-
cès va rapidement diminuer. L’instrument, avec sa sonorité frêle et séraphique ne convient tout
simplement pas au changement de sensibilité qui se fait jour au début du 19e siècle.
Pourtant, malgré son caractère démodé, la viole d’amour garde tout au long du siècle les
faveurs de quelques interprètes et inspire donc aussi certains compositeurs14. Le plus connu de
ces interprètes, et peut-être celui qui a permis cette relative permanence de l’instrument, est
sans aucun doute Chrétien Urhan (1790–1845)15. Violoniste, altiste, organiste, compositeur :
Urhan est un musicien curieux et passionné. Après avoir été violoniste à la Chapelle Royale

10.  Sur ces pièces d’Ariosti et leur notation, voir Boyden (David D.), « Ariosti’s Lessons for viola d’amo-
re », The Musical Quarterly, 1946, vol. 32, n°4, p. 545–563 ; mais aussi Danks (Harry), op. cit. p.103 sq.
11.  Comme c’est le cas pour l’arioso et l’air de la Passion selon Saint Jean de Bach.
12.  Danks (Harry), op. cit. p. 4.
13.  Pour un recensement exhaustif du répertoire historique de la viole, voir l’indispensable Jappe (Michael
et Dorothea), Viola d’amore-Bibliographie : Das Repertoire für die historische Viola d’amore von ca.1680 bis
nach 1800, Winterthur, Amadeus Verlag, 1997.
14.  Sur la permancence de la viole d’amour dans la vie musicale depuis le 18e siècle, voir Vasseur (Jean-
Philippe), « 1800–1990 : viole d’amour, tradition ininterrompue », Amour et Sympathie, Limoges, éditions de l’
Ensemble Baroque de Limoges, p. 173–218.
15.  Sur Chrétien Urhan, voir Garnault (Paul), « Chrétien Urhan 1780–1845 », Revue de Musicologie, t.
11, n° 34, 1930, p. 98–111.
141

de 1807 à 1815, il rejoint l’orchestre de l’Opéra en 1816, orchestre dont il deviendra violon
solo en 183616. C’est à l’Opéra, justement, que se joue alors la renaissance de la viole d’amour.
Tout d’abord dans Le Paradis de Mahomet de Rodolphe Kreutzer, en 1822 à l’Opéra Comique,
puis deux ans plus tard dans le ballet Zémire et Azor, de Jean Madeleine Marie Schneitzhoeffer
(1785–1862). Mais surtout, l’histoire retiendra l’émerveillement de Berlioz à l’écoute de la Ro-
mance de Raoul, au premier acte des Huguenots de Meyerbeer (1836), accompagnée à la viole
d’amour par Urhan17.
Cette découverte et l’intérêt qu’elle a suscité chez Berlioz le conduisent à consacrer trois
pages de son Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes18 à l’instrument. Il
en vantait déjà les mérites dans la rubrique qu’il consacrait aux instruments dans la Revue et
Gazette Musicale de Paris en 1841–4219:

La viole d’amour est un instrument d’une sonorité faible et douce, essen-


tiellement originale. Elle a quelque chose de séraphique, qui tient à la fois de
l’alto et des sons harmoniques du violon. Sans M. Urhan, le seul artiste qui en
joue à Paris, elle nous serait inconnue. M. Meyerbeer l’a placée avec le plus
rare bonheur dans le récitatif qui précède la Romance de Raoul, au premier
acte des Huguenots. Mais c’est là un effet de solo ; quel ne serait pas un an-
dante d’un caractère extatique, celui d’une masse de violes d’amour chantant
à plusieurs parties ou accompagnant le chant des violoncelles de leurs har-
monies soutenues!!! Voilà encore un instrument qu’on laisse se perdre! C’est
pitoyable! Le Conservatoire conserve bien mal.20

On n’a jamais encore entendu pareil chœur de violes d’amour, mais le résultat fut là : la
viole d’amour, par la seule vertu de sa présence dans le grand traité d’orchestration qui fait tou-
jours autorité, fut tirée de l’ombre dans laquelle elle était restée depuis quelques décennies.

Dès lors, l’instrument se trouve évoqué dans la plupart des traités d’orchestration mais
surtout, outre sa présence dans les ensembles de musique ancienne qui naissent au cours du 19e
siècle21, il va être employé dans la musique nouvelle avec un intérêt renouvelé.

16.  Catholique fervent, il joue dos à la scène pour ne rien voir de la mise en scène d’ouvrages voués à
l’anathème de la part de l’église ; Garnault (Paul), op. cit. p. 100.
17.  La légende forgée par Berlioz et reprise après lui, voudrait que ce soit Meyerbeer qui ait placé la
viole d’amour dans cette seconde Romance. Il semble en fait, au vu de la tonalité (si bémol), que ce soit à l’alto
que Urhan ait accompagné cet air, qui était prévu initialement pour un violoncelle. Urhan n’aurait joué à la viole
d’amour que le prélude de la romance, en ré. Rien ne prouve que ce soit Meyerbeer qui ait voulu cette instrumen-
tation, d’autant plus qu’elle n’a pas été retenue par la tradition ; sur ce sujet, voir Garnault (Paul), op. cit. p. 101
et, plus complet, Garnault (Paul), « Les violes », Encyclopédie de la Musique et Dictionnaire du Conservatoire :
Technique de la musique, vol. 3, Paris, Delagrave, 1925, p. 1785 sq.
18.  Berlioz (Hector), Grand traité d’instrumentation et d’orchestration modernes, Paris, 1843 ; édition
augmentée en 1855 des instruments nouveaux tels le saxophone et le saxhorn.
19.  Rubriques rééditées dans Berlioz (Hector), De l’instrumentation, Paris, Castor Astral, 1994.
20.  Berlioz (Hector), De l’instrumentation, p. 41.
21.  La viole d’amour est présente dans les concerts historiques de Fétis (1831-32) ainsi que dans ceux de
la Société d’instruments anciens de Diémer, puis de celle de Casdesus.
142

Si l’on continue à l’employer à l’opéra, avec Gustave Charpentier et Jules Massenet par
exemple, la viole d’amour se voit aussi consacrer un répertoire de soliste. Charles Martin Loef-
fler (1861–1935), compose en 1897 une pièce pour deux violes d’amour concertantes et or-
chestre, Mort de Tintagiles. Cette œuvre veut exprimer la plus profonde affliction, et pour le
compositeur, il n’y a que les violes d’amour qui puissent communiquer ces sentiments aussi
désespérés22. Loeffler a ainsi composé une dizaine d’œuvres avec viole d’amour23.
Au début du 20e siècle, ce sont quelques grandes figures de la composition qui s’intéres-
sent de près à l’instrument. Ainsi, Leoš Janáček intègre la viole d’amour à deux de ses opéras
et à quelques pièces de musique de chambre. Cet intérêt du compositeur pour l’instrument fait
suite à la rencontre avec un professeur de violon de sa ville de Brno qui y a donné des concerts
avec sa viole d’amour. Il faut bien sûr évoquer aussi Paul Hindemith qui pratique lui-même
l’instrument, mais qui finalement lui a destiné peu d’œuvres : sa Kammermusik n°6 (1927)
et la Kleine Sonata pour viole d’amour et piano (1922) sont ses deux seules contributions au
répertoire de l’instrument.
La viole d’amour retrouve ainsi son statut d’instrument vivant et inspire à nouveau les
compositeurs, lui permettant de voir évoluer sa technique en même temps que le langage musi-
cal qu’elle soutient. Par son exotisme et son actualité, elle échappe à son historicité et peut alors
servir la création sans aucune mention ou allusion à son origine baroque.

6.2  Les compositeurs d’aujourd’hui et la viole d’amour

Depuis 1950, les compositions pour la viole d’amour se sont multipliées, si bien qu’elle
fait désormais partie intégrante de l’instrumentarium moderne. Nous allons voir que cela a per-
mis une extension des techniques de jeu et des moyens d’expression de l’instrument .

Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore

Dans cette pièce écrite en 2000, Georg Friedrich Haas (1953– ) déploie toutes les possibi-
lités de la viole d’amour à sa disposition pour faire sonner et résonner l’instrument.
Pour assurer une résonance maximale, Haas demande une accordatura reprenant une
partie de la série des harmoniques de mi. Pour faciliter le jeu, la partition est notée en tablature
pour une viole accordée en ré majeur (exemple 6.1).
Cet accord de la viole, avec ses sixièmes de tons, permet une meilleure résonance de
toutes les cordes, touchées et sympathiques. Ainsi dans des passages en harmoniques, les cor-
des se mettent-elles en résonance pour envelopper le son d’un halo tout à fait saisissant. Dans
le passage de la ligne 11, Haas fait ainsi augmenter progressivement la résonance des cordes

22.  Vasseur (Jean-Philippe), op. cit. 91. Il faut noter que le compositeur a révisé sa partition en 1900 sup-
primant une viole et réduisant la part de l’autre.
23.  Vasseur (Jean-Philippe), op. cit. 91–92.
143

Ex. 6.1 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : accordatura réelle et de la tablature

sympathiques en amplifiant les arpèges d’harmoniques (exemple 6.2), ce que l’on perçoit très
bien sur le sonagramme du même passage (figure 6.1). De la même manière, il amplifie les réso-
nances aussi en jouant sur les unisons sur deux et même sur trois cordes (ligne 25 et suivantes ;
exemple 6.3).
Pour faire sonner les cordes sympathiques, Haas use aussi d’un moyen très simple : jouer
celles–ci en pizz. C’est ainsi qu’aux lignes 45 et 68–69, il demande des arpèges de pizz de la
main gauche sur les cordes sympathiques, pendant que l’archet joue des doubles–cordes, avec
glissandos d’archet (exemples 6.4 et 6.5). Plus loin, c’est l’inverse qui se passe : les cordes
sympathiques sont jouées con arco (ligne 70), pendant que s’égrènent des pizz sur les cordes
supérieures (exemple 6.6).
La pièce est ainsi une continuelle opposition entre des passages très résonants, qui peu-
vent être mis en valeur avec une amplification électrique des corde sympathiques24, et des pas-
sages au contraire très « mats ». Ce son très concret est obtenu par des accords qui ne produisent
aucune résonance ou par une écriture très mélodique et microtonale ne laissant résonner que
quelques notes isolées. Les accords glissando joués en pizz et arpégés des lignes 31 et suivantes,
par exemple, sont extrêmement peu résonants, du fait justement que les glissandos étouffent les
résonances passagères (exemple 6.7).

24.  Il faut préciser que dans l’interprétation qui est donnée par le dédicataire de l’œuvre, Garth Knox, la
viole est équipée d’un micro pick-up commandé par une pédale, qui permet à l’interprète d’amplifier ou non les
cordes sympathiques. Ce procédé est utilisé dans l’enregistrement de la pièce sur le disque Spectral Viola, Edition
Zeitklang, ez-10012 (2002).
144

Ex. 6.2 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 11

Fig. 6.1 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 11

Ex. 6.3 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 25
145

Cette pièce de Haas fait en quelque sorte écho au Prologue (1976) pour alto et résonateurs
de Gérard Grisey. En un sens, on peut considérer que c’est l’instrument dont Grisey aurait eu
besoin, portant en lui-même ses propres résonateurs et il y a probablement encore beaucoup de
pistes à explorer avec la viole d’amour dans le domaine de la musique spectrale.

Ex. 6.4 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : ligne 45

Ex. 6.5 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : lignes 68–69
146

Ex. 6.6 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : lignes 70–71

Ex. 6.7 – Georg Friedrich Haas, Solo für Viola d’amore : lignes 31–32
147

Klaus Huber, …Plainte…

Dans …Plainte… (1990), pour viole d’amour seule, Klaus Huber (1924– ) fait un usage
assez différent de l’instrument. Écrite à la mémoire de Luigi Nono, cette pièce se place plus
dans une perspective symbolique de l’instrument — reprenant peut-être le caractère tragique
pointé par Loeffler — que dans une volonté de développer des caractéristiques et des techniques
de jeu spécifiques à l’instrument.
L’accordatura est bien sûr choisie avec soin, en tiers de ton comme souvent dans les
œuvres de Klaus Huber (exemple 6.8). La notation en tablature diffère quelque peu de celle de
Haas. Ici, le compositeur choisit de représenter chaque corde par une portée, en prenant comme
accord fictif, une succession de quintes (exemple 6.9).

Ex. 6.8 – Klaus Huber, …Plainte… : accordatura réelle et fictive

Ex. 6.9 – Klaus Huber, …Plainte… : m. 1–3


148

La pièce est construite en trois parties, deux parties très lentes encadrant une partie no-
tée poco più mosso et aux contours plus animés. Dans la première section, Huber profite des
résonances des harmoniques et des pizz en cordes à vide, mais aussi du jeu col legno battuta.
Dans la deuxième section ce sont les trémolos qui prédominent, accompagnés de déplacements
constants de l’archet entre la touche et le chevalet. Le halo enveloppant les longues notes de la
dernière section achève la pièce dans une atmosphère mystérieuse et mélancolique (exemple
6.10).
Ici, Klaus Huber a surtout réussi à créer une musique d’atmosphères, aidé en cela du
timbre particulier de la viole d’amour. On retrouve, encore amplifiées ces atmosphères parfois
oppressantes dans la version pour viole d’amour et treize instruments, Plainte – Die umgep-
flügte Zeit I.
Il faut enfin remarquer que la viole d’amour apparaît souvent dans les œuvres de Klaus
Huber. Elle tient un rôle important sur la scène de son opéra Schwarzerde (2001), et dans nom-
bre de ses pièces tant vocales qu’instrumentales. Elle y est toujours accordée en tiers de ton,
c’est en partie cette possibilité de lui appliquer une scordatura, sans plonger l’interprète dans la
confusion et sans maltraiter l’instrument, qui fait tout son intérêt aux yeux du compositeur.

Ex. 6.10 – Klaus Huber, …Plainte… : 3e section

Ces deux pièces très différentes partagent néanmoins un trait qui caractérise bien la plu-
part des musiques écrites aujourd’hui pour la viole d’amour : une extrême liberté dans le trai-
tement de l’instrument. Nulle trace ici de citation ou de révérence au passé, les références sont
d’aujourd’hui (Grisey, Nono…). Tous les compositeurs peuvent puiser à cette source, et ils
sont nombreux à s’être laissés tenter par l’expérience : d’Alain Bancquart avec Vous devenez
une île heureuse (1997) et Solitude du Minautore (1995), à Salvatore Sciarrino, Romanza per
viola d’amore e orchestra (1973), en passant par Philippe Schoeller, avec Omaggio, Omaggio
II (1999), toutes les esthétiques et les écoles sont représentées.
149

La viole se déploie ainsi selon les besoins de la création et excite l’imagination des com-
positeurs, parce qu’elle est un objet accessible et ouvert à toutes les expérimentations. C’est
ainsi que les pièces mêlant viole d’amour et électronique abondent (Gerald Eckhert, Kumiko
Omura, Athanasia Tzanou, Diego Dall’Osto…), que les techniques de jeu s’inventent et se re-
nouvellent à chaque œuvre et qu’est permise la plus grande virtuosité, que ce soit celle de l’in-
terprète ou celle du compositeur. Mais la viole d’amour ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui
si elle n’était portée par quelques interprètes enthousiastes et talentueux.

6.3  La viole d’amour et ses interprètes

Si les figures de Paul Hindemith et Henri Casadesus ont été essentielles au début du 20e
siècle, les développements actuels de la viole d’amour sont pour une plus grande part encore le
fait de quelques musiciens qui conjuguent intérêt pour l’instrument et intérêt pour la musique
d’aujourd’hui.
Montagu Cleeve avait été le premier, dans l’immédiat après-guerre, à montrer la voie
vers une expérimentation sans borne sur la viole d’amour. Il a écrit tout d’abord lui-même de la
musique pour l’instrument puis a commandé des pièces à des compositeurs tels que Cyril Scott
(1879–1970), York Bower (1884–1961) ou bien encore Franck Merrick (1886–1981). Mais sur-
tout il entreprend de moderniser l’instrument, en créant une nouvelle viole d’amour, plus sonore
et possédant six cordes touchées et douze cordes sympathiques, accordées chromatiquement25.
Pour pouvoir faire sonner les six cordes en même temps il utilise l’archet Vega de Telmanyi26.
Cette manière d’envisager l’instrument le plus librement possible, au risque même de le muti-
ler, a probablement beaucoup influencé les développements ultérieurs.
à la même époque, Vienne est un centre important pour la viole d’amour. Karl Stumpf,
auteur d’une Neue Schule fur Viola d’Amore […]27 et interprète virtuose, enseigne l’instrument
à une dizaine d’élèves à la Kunstakademie de Vienne28 et écrit lui-même de la musique pour
l’instrument. Certains compositeurs viennois sont  intéressés : Armin Kaufmann (1902–1980),
Robert Schollum (1913–1987) et Alfred Uhl (1909 –1992) par exemple.

Aldo Bennici est lui aussi une figure importante à plus d’un titre. Violoniste et altiste, il a
été soliste de l’ensemble I Musici et invité comme soliste par de nombreux orchestres italiens et
étrangers. Mais surtout il est le créateur de nombreuses oeuvres pour alto et pour viole d’amour.
Parmi les compositeurs qu’il a joués, on compte par exemple Bruno Maderna (Viola o Viola
d’amore, 1971), Salvatore Sciarrino (Romanza per viola d’amore e orchestra, 1973) et surtout

25.  Pour une description détaillée de l’instrument, voir Cleeve (Montagu), « A New Viola d’Amore », The
Musical Times, vol. 103, n° 1430, avril 1962, p. 233–234.
26.  Sur l’archet Vega, voir Telmanyi (Emil), « Some Problems in Bach’s Unaccompanied Violin Music »,
The Musical Times, vol. 96, n° 1343, janvier 1955, p. 14–18.
27.  Stumpf (Karl), Neue Schule fur Viola d’Amore : mit Beispielen moderner technischer Moglichkeiten
den zeitgenossischen Komponisten zum Gebrauch, Vienne, Österreischicher Bundesverlag, 1957.
28.  D’après Danks (Harry), « The viola d’amore », Music & Letters, vol. 38, n° 1, 1957, p. 20.
150

Luciano Berio. Il a en effet notamment crée Voci (1984), pour alto et orchestre et Naturale
(1986) pour alto, percussion et bande. C’est probablement le premier joueur de viole d’amour
a avoir été autant impliqué dans l’avant-garde musicale. Mais il a trouvé deux successeurs
brillants qui sont aujourd’hui les musiciens les plus actifs dans la promotion de la musique
nouvelle pour viole d’amour : Garth Knox et Pierre-Henry Xuereb.

Garth Knox a découvert assez tardivement la viole d’amour. Altiste, il a fait ses études
au Royal College of Music à Londres, où il joue avec l’English Chamber Orchestra, avant
de devenir membre, en 1984, de l’Ensemble Intercontemporain. Il développe en même temps
une grande variété stylistique, abordant la musique baroque sur instrument ancien autant que
la musique folklorique roumaine. En 1990, il rejoint le Quatuor Arditti avec lequel il crée des
œuvres des compositeurs les plus importants tels que Ligeti, Cage, Stockhausen, Xenakis ou
bien encore Kurtág. Il quitte le quatuor en 1997 pour se consacrer à une carrière de soliste, à
l’improvisation et au répertoire, baroque et moderne, de la viole d’amour. Il s’attache à déve-
lopper ce répertoire par la collaboration avec des compositeurs et par l’écriture. Il a créé des
pièces de Georg Friedrich Haas, Aaron Cassidy, Alejandro Castaños, Kumiko Omura ou bien
encore Olga Neuwirth. Il joue une viole d’amour à laquelle il peut adjoindre des micros pick-up
pour amplifier le son des cordes sympathiques.
Pierre-Henry Xuereb suit à peu près le même parcours. Après son prix au CNSM de Paris
et des études à la Juilliard School et à Boston, il devient membre de l’Ensemble Intercontem-
porain pendant deux ans puis se consacre à une carrière de soliste. Il se produit régulièrement
avec l’ensemble Alternance, que ce soit à l’alto ou à la viole d’amour. À la viole d’amour son
répertoire s’étend des Préludes de Henri Casadesus à …Plainte… de Klaus Huber. Il est, avec
Jean-Luc Menet, le dédicataire de deux œuvres de musique de chambre avec viole d’amour
d’Alessandro Solbiati : Ces miroirs jumeaux (1999) et Pour J.L.M (2001).

Ces deux curriculum vitæ parlent d’eux-même : comment le répertoire de viole d’amour
ne pourrait-il pas s’étendre avec des interprètes aussi passionnés par la musique d’aujourd’hui
et aussi compétents pour la jouer ?

6.4  Un modèle d’intégration ?

Nous avons constaté que le répertoire de la viole d’amour était plus que jamais un réper-
toire vivant. Nous avons déjà pressenti les causes de ce succès : le détachement de l’instrument
de son passé et de toute connotation archaïque, et le grand intérêt qui lui est porté par des inter-
prètes extrêmement compétents.

Le détachement de l’instrument de son histoire et de sa tradition n’allait pas de soi. Bien


qu’il se soit trouvé quelques interprètes au 19e siècle pour garantir sa survie, il n’était pas acquis
151

pour autant que la viole d’amour n’allait pas rejoindre, avec les autres instruments oubliés tels
que la viole de gambe, le groupe des instruments historiques. Malgré les quelques essais de
compositions, ou d’arrangement, au cours du siècle, la viole d’amour apparaissait essentielle-
ment dans les concerts historiques, de Fétis d’abord, puis des différentes sociétés d’instruments
anciens.
Ce qui a sauvé la viole d’amour de sa pétrification en instrument historique tient en réalité
à son exotisme, parce que celui-ci a conduit d’abord à la rareté de son répertoire historique. Il
était encore difficile au début du 20e siècle de trouver suffisamment de musique historique pour
que celle-ci puisse prendre une place trop importante. C’est cette relative rareté qui a poussé
Henri Casadesus ou Paul Hindemith à écrire pour l’instrument. Mais cet exotisme a aussi eu
pour corollaire une grande potentialité dans les moyens d’expression à développer. L’origina-
lité de la viole appelle d’une certaine manière l’originalité de l’approche musicale, et appelle
à l’exploration de voies nouvelles. En somme, on peut dire que l’exotique s’est substitué à
l’archaïque.

Quant aux interprètes, l’instrument a su trouver ceux qui pouvaient le mieux servir son
développement. Si Urhan participe aux concerts de Fétis, c’est pourtant bien dans son domaine,
l’Opéra, c’est-à-dire la cœur de la création musicale, qu’il projette l’instrument. Il ne se spé-
cialise pas dans l’antique, mais se présente en tant qu’altiste de l’Opéra, avec un instrument
nouveau qui peut servir la musique nouvelle. Et ce sera le cas de toutes les figures importantes
qui ont porté l’instrument : aucune ne s’est présentée comme spécialiste du répertoire histori-
que de la viole d’amour. Ce sont toujours des musiciens « généralistes », le plus souvent des
altistes, intéressés par la musique de leur temps, qui ont porté l’instrument vers les nouveaux
territoires de la création contemporaine. Il n’y a de vie possible de l’instrument que parce qu’il
y a une reconnaissance mutuelle entre interprètes et compositeurs, les interprètes ayant autorité
et légitimité dans le monde de la musique contemporaine et étant ainsi à même de répondre aux
attentes des compositeurs.

Il semble que l’on ait trouvé là un modèle d’intégration réussie d’un instrument ancien
dans le répertoire contemporain. Mais si un certain nombre de conditions de ce succès pour-
raient être appliquées à d’autres instruments, il ne faut pas perdre de vue les spécificités propres
à la viole d’amour qui ne sauraient être transposées si facilement. C’est ce que nous examine-
rons pour les instruments qui nous intéressent, violons baroques et viole de gambe, dans les
pages qui suivent.
Chapitre 7
Quelle musique pour les cordes baroques ?
Limites et perspectives

Nous avons pu, au travers des chapitres précédents, nous faire une idée suffisamment pré-
cise du répertoire pour cordes anciennes et de ses développements récents pour nous interroger
à la fois sur la pertinence de leur utilisation dans un contexte contemporain et pour imaginer ce
que pourrait être leur développement dans l’avenir. Nous allons voir que les enjeux ne sont pas
les mêmes selon que l’on considère la famille des violons baroques ou la viole de gambe.

7.1  Les limites de la notion d’instrument baroque

Dès le premier chapitre, nous avions attiré l’attention sur le flou entourant la définition
même d’instrument baroque. Avec l’exemple de la flûte, nous avions pu relativiser la pertinence
de cette appellation. Du point de vue organologique, il y avait quelque difficulté à rassembler
sous une même dénomination des instruments finalement assez disparates. Nous avions conclu
à l’impossibilité de définir précisément ce que pouvait être une flûte baroque, les évolutions sur
la longue période du baroque musical étant trop importantes et trop hétérogènes géographique-
ment. Mais qu’en est-il exactement de la famille des violons baroques ?
Nous avions tenté là aussi de définir précisément ce que pourrait être le violon baroque.
Des difficultés étaient rapidement apparues : taille, profil de la caisse, hauteur des éclisses, lar-
geur du manche, longueur de la touche… Aucun standard n’avait pu être trouvé. Les archets ne
semblant pas offrir une plus grande unité dans leur construction, nous avions été obligé de nous
en tenir à une définition moins historique mais plus pragmatique, celle communément admise
par les praticiens eux-mêmes.
Cette définition, que nous avions empruntée à Sigiswald Kuijken, avait une caractéris-
tique essentielle : elle ne définissait pas le violon baroque en soi, mais toujours par rapport à
l’instrument moderne. Cela pose problème même s’il semble que ce soit la seule manière de
définir l’instrument.
153

Les différents ajouts, transformations et mutations opérés sur les instruments, se sont
toujours faits dans des buts précis : par exemple augmenter l’ampleur du son ou bien gagner en
précision dans les attaques de l’archet ou encore étendre les possibilités de l’instrument vers
l’aigu. Ces buts correspondaient toujours à des besoins qui évoluaient en même temps que la
sensibilité et le goût musical. Dans le cas qui nous occupe ici, Kuijken procède probablement
de la même manière. La caution historique ne parvient pas à cacher que derrière sa définition,
s’expriment une sensibilité et une esthétique particulières.
Plus précisément, on peut penser que Kuijken exprime un credo artistique lorsqu’il décrit
son instrument baroque comme ayant moins de son, étant moins tendu et conçu pour une inter-
prétation oratoire. Il y a là trois points essentiels de son style, tel qu’on peut le percevoir dans
ses interprétations, tout au moins dans celles de l’époque de ce texte. Il y a bien sûr des faits
objectifs et historiques dans cette définition, mais ce qui frappe c’est la logique de mutilation
sur laquelle est construite l’identité du violon baroque.
Dans la manière d’appréhender la technique de l’instrument, il y a là aussi une certaine
propension à plaquer des conceptions artistiques sur le matériau historique. Ainsi, le fait même
de choisir le traité de Geminiani, et d’interpréter de manière radicale ses instructions sur le
démanché, sont historiquement plausibles mais sont aussi une lecture militante. Kuijken, en
choisissant de bannir complètement le contact entre le menton et la table, historiquement avéré
dans nombre de traités, s’inscrit à nouveau dans une définition de la technique par le manque,
par l’interdit.

Ce violon baroque nous pose ainsi problème car sa définition semble être plus le reflet de
la personnalité de ses interprètes que d’une réalité intangible. Dès lors, il suffit que la mentalité
des interprètes change, pour qu’aussitôt le violon baroque ne soit plus le même. Et c’est ce qui
s’est passé dans les dernières années : le jeu s’est affirmé, le son s’est développé, le rapport à
l’instrument a changé. Le violon baroque n’est plus l’instrument défini par Kuijken il y a trente
ans, et changera probablement encore dans les années à venir. Dès lors comment écrire pour
un instrument qui ne semble se définir qu’à partir de ses modes de jeu ? Il y a là une limitation
difficilement acceptable des marges de manœuvre du compositeur.
Privé de ses techniques de jeu particulières, le violon baroque semble surtout pouvoir être
trop facilement substitué par son homologue moderne. En effet, il n’est pas sûr que joués de la
même manière, les timbres des deux instruments soient si différents. Quant aux articulations de
l’archet, elles peuvent être rendues presque aussi bien sur l’archet moderne, simplement avec
moins de naturel et de facilité.

Le cas de la viole de gambe se présente différemment. La viole de gambe est d’abord un


objet irremplaçable : il n’y a pas de viole ancienne et de viole moderne, il n’y a que la viole
de gambe. C’est-à-dire que quelque soit le mode de jeu qu’on lui applique, elle reste le même
instrument
154

7.2  Instrument, détournement, dépassement

La question qui se pose finalement est de savoir dans quelle mesure l’instrument dicte au
compositeur des limites ou au contraire s’il permet un renouvellement du discours et un dépas-
sement de ses possibilités techniques. Dans le cas du violon baroque, la réponse est clairement
la première : il limite plus qu’il n’inspire tout simplement parce qu’il se définit justement par la
limitation. Du point de vue de la technique, le fait d’utiliser la technique de démanché de Ge-
miniani est un frein au développement d’une virtuosité nouvelle. Même si elle induit un rapport
à l’instrument extrêmement intéressant, cette manière de démancher n’est pas tenable dès lors
que la virtuosité demandée s’échappe de ce qui est communément admis à l’époque baroque.
Cela oblige le compositeur à borner sa demande technique dans des limites finalement assez
étroites. L’exemple, que nous évoquions précédemment, de ce passage de Lichtzwang (dans le
numéro X) simplifié par Gualtiero Dazzi sur demande des interprètes, est assez éloquent. Le
violoncelle baroque, quant à lui, est peut-être moins concerné par ces limitations techniques.
De même, la technique d’archet qui privilégie le souci du détail, la clarté de l’accen-
tuation, est un élément essentiel de la nature du violon baroque, et du violoncelle baroque. Et
demander autre chose est en quelque sorte trahir l’instrument parce que le violon baroque est
essentiellement un mode de jeu.
En un sens, Mauricio Kagel avait déjà pressenti cette fermeture de certains instruments
anciens à l’innovation. Dans sa Musik für Renaissance-Instrumente (1964–65), il avait immé-
diatement évité l’écueil de la trahison en se plaçant dans une logique de détournement. Certes
Kagel cherche à rendre le son des instruments anciens, à rendre une image sonore de la Renais-
sance. Mais cela, seulement par la vertu de la matière sonore intrinsèque aux instruments, et non
par le respect des techniques de jeu. Au contraire, il malmène en quelque sorte l’interprète en
l’obligeant à se battre avec son instrument, qu’il croyait connaître, pour en sortir des sonorités
qu’il n’avait pas même soupçonnées. L’invitation à l’expérimentation est d’ailleurs explicite :
Kagel préconise une ornementation de timbres, pendant moderne de l’ornementation libre de
l’époque baroque. Il s’agit d’un véritable manifeste pour le dépassement des instruments an-
ciens par la remise en question radicale du rapport à l’instrument, au-delà des techniques his-
toriques.
Mais il n’est pas sûr qu’à ce jeu-là les violons baroques puissent sortir indemnes. Par
contre, toujours dans une logique de détournement, plutôt que de susciter des pièces nouvelles,
il serait peut-être plus intéressant d’aborder certaines pièces du vingtième siècle avec les ins-
truments baroques. Non pas pour faire de l’historicisme dans de la musique vieille seulement
de quelques années, mais bien pour renouveler la lecture qui en est faite. C’est ce que Gualtiero
Dazzi a fait pour sa pièce pour violoncelle seul, Un pas dans la neige…, destinée d’abord au
violoncelle moderne, puis proposée, telle quelle et sans modification, à une lecture sur violon-
celle baroque. On pourrait très bien imaginer certaines pièces présentant des traits propices
à l’articulation de l’archet baroque par exemple, jouées sur instrument ancien en conservant
155

autant que faire se peut le rapport particulier à l’instrument. C’est ce que fait du reste Garth
Knox à la viole d’amour, chosissant selon les pièces l’archet baroque ou moderne. Par exemple,
que pourrait être le Moto Perpetuo (1988) pour violon et piano de Colin Matthews (1946– )
joué au violon baroque et au clavecin ? La « transcription » pourrait être assez fructueuse dans
cette partition écrite en stilo meccanico (exemple 7.1). Dans un autre registre, la Sonate (1951)
pour violon seul de Bernd Aloïs Zimmermann (1918–1970), pourrait être éclairée d’une maniè-
re intéressante par le violon baroque surtout dans la Toccata, avec ses doubles-cordes, et dans la
partie finale grazioso (Exemples 7.2 et 7.3). Mais il est certain que les limitations imposées aux
compositeurs pointées plus haut s’appliqueraient aussi dans le choix de ces pièces.

Ex. 7.1 – Colin Matthews, Moto perpetuo : m. 28–35

Ex. 7.2 – Bernd Alois Zimmermann, Sonate pour violon solo : Toccata, m. 1–7
156

Ex. 7.3 – Bernd Alois Zimmermann, Sonate pour violon seul : Toccata m. 44–51

Si le violon baroque ne peut pas voir ses frontières techniques dépassées, il n’en va pas
de même bien sûr, pour la viole de gambe. Celle-ci ne présente aucune difficulté à voir ses tech-
niques renouvelées et étendues en ce sens qu’elle n’est pas tributaire de sa technique de jeu. Et
comme le pointait déjà l’Abbé Sibire en 1806, l’instrument contient en lui-même des ressources
insoupçonnées :

En fabriquant des violons, en dressant des touches, en étendant des cor-


des, les luthiers n’avaient-ils pas donné la racine des sons et les sons mêmes ?
Si tous les fruits étaient là, et n’attendaient que des mains pour les cueillir,
se peut-il que, pendant des siècles entiers, les musiciens insoucians se soient
contentés d’en détacher quelques-uns, quand dès le principe on les avait mis à
même d’une moisson abondante ? Ainsi la musique dormait quand la lutherie
veillait pour elle, et semait des perles sous ses pas.1.

7.3  Quelle musique pour quels interprètes ?

L’un des principaux freins au développement du répertoire de musique nouvelle pour les
cordes baroques tient aux interprètes eux-mêmes. Nous avons vu que si le mouvement baro-
queux a pu être lié, à ses débuts, avec l’avant-garde musicale, aucun des interprètes baroques
ayant alors joué de la musique nouvelle ne s’est attaché à développer ce répertoire pour les
instruments anciens. Les frères Kuijken par exemple n’ont jamais entrepris, depuis les deux
pièces de Pousseur et Bartholomée commandées par Alarius en 1961, de créer des pièces pour
viole de gambe ou violon baroque. De même, William Christie n’a-t-il plus jamais abordé le ré-
pertoire contemporain depuis la création des Arts Florissants, la pièce de Betsy Jolas pour leur
vingtième anniversaire mise à part. Cela tient pour beaucoup aux structures socio-économiques
à l’œuvre dans la musique ancienne.

1  Sibire (Antoine), Le Chélonomie ou le parfait luthier, Paris, 1806, p. 29 sq.


157

Tout d’abord il faut remarquer que les ensembles de musique baroque fonctionnent selon
une logique de tournées. Cela signifie que ces groupes font tourner au maximum entre quatre et
six programmes chaque année. En France, les ensemble de musique ancienne étant en moyenne
subventionnés directement à hauteur de 30% et ne bénéficiant que rarement de mécénat, il leur
est nécessaire de rentabiliser au maximum les différentes productions2.. La prise de risque fi-
nancière est trop importante, les publics de la musique contemporaine et de la musique baroque
n’étant en partie pas les mêmes. Les festivals employant ces ensembles sont le plus souvent
spécialisés et amènent donc plutôt un public d’habitués et de mélomanes passionnés, voire
d’interprètes amateurs. C’est comme toujours la sécurité économique qui prime sur la prise
de risque artistique. Il n’y a donc guère que des projets ponctuels et largement subventionnés
qui puissent prendre place dans une saison . Ou alors, les ensembles minimisent les risques en
commandant des œuvres qui soient « faciles » à entendre pour l’auditoire et/ou de compositeurs
très populaires. L’exemple de John Tavener en est une illustration .
Ensuite, la juridiction3. des ensembles baroques s’étend déjà jusqu’aux premiers romanti-
ques, ou éventuellement même jusqu’à Brahms, mais certainement pas à la musique contempo-
raine. Ou, en tout cas, une telle extension du domaine d’action semble demander une spécialisa-
tion, comme American Baroque, ou de grands efforts pour conquérir cette nouvelle juridiction.
L’ensemble Fretwork, qui est d’abord spécialisé dans la musique de consort anglaise du 16e
siècle, n’a réussi à s’imposer comme défenseur de la musique nouvelle que par une politique de
commande régulière, qui a permis d’une part aux interprètes de se familiariser avec ce réper-
toire et d’autre part, aux compositeurs de travailler en confiance avec des musiciens désormais
reconnus dans le domaine de la création.
Enfin, il n’est tout simplement pas dit que les interprètes soient nombreux, surtout parmi
les violonistes et violoncellistes, à vouloir s’investir dans la musique nouvelle. Ces instruments
anciens ont souvent été choisis par le passé comme des échappatoires à un système, d’enseigne-
ment et de production musicale, jugé sclérosé et trop académique. Or, ce sont ces systèmes-là
justement qui pourraient mener ces instrumentistes vers un niveau d’excellence et des carrières
compatibles avec l’exercice de la musique d’aujourd’hui. Mais la spécialisation est souvent
définitive et sans retour.
On observe toutefois qu’avec le développement de l’enseignement des instruments an-
ciens, le violon baroque tend à devenir un élément parmi d’autres de l’enseignement généraliste
du violon. Cela amène des instrumentistes modernes à mener de front l’étude et le jeu sur les
deux instruments, ce qui modifie fondamentalement le profil des musiciens baroques. Peut-être
y a -t-il un développement possible avec cette nouvelle génération d’interprètes. Mais la dif-
férenciation risque d’être encore plus problématique et l’intérêt de l’instrument ancien risque

2  Ce chiffre provient de François (Pierre), Le monde de la musique ancienne : Sociologie économique


d’une idée esthétique, Paris, Economica, 2005, p. 68.
3  «Juridiction» est à entendre comme domaine dans lequel un groupe professionnel est jugé compétent et
habilité à intervenir. Ici il s’agit essentiellement de l’étendue du répertoire ; François (Pierre), op. cit. p. 27.
158

de diminuer encore. De ce point de vue, la viole de gambe ne connaît pas tout à fait les mêmes
problèmes, n’étant pas l’objet d’une spécialisation.

7.4  Le bel avenir de la viole de gambe

Si le violon baroque semble voué à rester confiné, par sa nature même, à des compositions
reprenant des gestes et des manières empruntés à la musique ancienne, la viole de gambe pour-
rait quant à elle connaître les mêmes succès que la viole d’amour.
En effet un certain nombre de conditions sont réunies pour faire de la viole de gambe un
authentique instrument d’aujourd’hui. Tout d’abord, l’intérêt des interprètes pour la musique
d’aujourd’hui est peut-être plus facile à capter chez des musiciens ayant choisi leur instrument
d’abord pour lui-même, et non seulement pour son répertoire ancien. Ceux-ci sont peut-être
plus à même d’entamer des recherches pour étendre les possibilités de l’instrument.
D’autre part, il serait tout à fait envisageable d’encourager l’étude de la musique contem-
poraine chez les violistes, comme cela se fait dans les classes de clavecin ou de flûte à bec.
Sortir la viole de gambe du seul répertoire historique est aussi une affaire d’éducation et de
formation des instrumentistes.
Mais surtout certaines richesses de l’instrument n’ont pas encore été exploitées. Pour s’en
convaincre, il suffit de feuilleter les partitions du 20e siècle pour cordes, et particulièrement
pour violoncelle, et de se demander quelles techniques la viole pourrait exploiter de manière
nouvelle. Examinons quelques exemples de ces techniques4..

Vibrato

Nous avons vu plus haut que la technique ancienne connaissait deux sortes de vibrato à la
viole : le vibrato à un doigt, tel qu’on le connaît sur les instruments à cordes aujourd’hui, et le
vibrato à deux doigts, qui s’apparente plus au flattement des instruments à vent. Curieusement,
cet effet est assez peu exploité dans les pièces de violes que nous avons examinées. Pourtant,
il existe dans la littérature de cordes un grand nombre de nuances de vibratos qu’il serait inté-
ressant d’explorer à la viole . Pour préciser la vitesse et l’étendue de l’oscillation, un certain
nombre de notations existent déjà, comme par exemple dans Couleurs du temps (1968), de
Costin Miereanu (1943– ) (exemple 7.4). Bien sûr l’étendue du vibrato avec un seul doigt est
limitée au demi-ton dans les frettes, mais hors frettes on peut imaginer des intervalles plus ou
moins grands.

4  Nous reprenons ici des exemples présentés par Wiederker (Jacques), Le violoncelle contemporain, Ste
Geneviève des Bois, L’oiseau d’Or, 1993. Pour un aperçu très complet des techniques du 20e siècle aux cordes en
général, voir Penesco (Anne), Les instruments à archet dans les musiques du XXe siècle, Paris, Honoré Champion,
1992.
159

Ex. 7.4 – Notations des différents vibratos dans


Couleurs du temps de Costin Miereanu

Scordatura et microtonalité

La scordatura est relativement peu utilisée aux cordes modernes, mais est bien sûr pra-
ticable sur la viole de gambe, cela d’autant plus que la lecture des tablatures fait partie des
compétences habituelles des violistes. Surtout, il pourrait être intéressant d’appliquer un accord
en tiers ou huitièmes de tons et de déplacer les frettes de manière à obtenir des échelles par-
ticulières et jouer ainsi sur des résonances et des sonorités inoïes. Alain Bancquart (1934– ),
par exemple, propose de telles scordature microtonales, sans frettes bien sûr, dans Solitude du
Minotaure (1995), pour deux violes d’amour et trois pianos (exemple 7.5) ainsi que dans sa
Symphonie de chambre (1980) avec flûte et violoncelle soli.

  
cordes sympathiques

Viole d'amour 1

  
    
    


 




  
    
 

Viole d'amour 2

Ex. 7.5 – Accord des violes d’amour dans Solitude du Minautore d’Alain Bancquart

Dans Nomos Alpha pour violoncelle seul (1965), Iannis Xenakis (1922–2001) fait un
usage intéressant de l’instrument. Outre le fait qu’il demande que la quatrième corde soit en
boyau, les micro-intervalles sont largement exploités donnant même lieu à des battements dont
la fréquence est contrôlée par l’interprète (exemple 7.6). Ces battements seraient certainement
très intéressants à exploiter sur la viole.

Ex. 7.6 – Iannis Xenakis, Nomos Alpha : m. 20–22


160

Technique d’archet

La technique d’archet de la viole, même si elle a été déjà été explorée avec bonheur par
Thierry Pécou, est certainement encore exensible. Par exemple, si les modes de jeu tels que
sul ponticello, sul tasto et col legno ont été rencontrés dans le répertoire, les mélanges n’ont
toutefois pas encore été suffisamment explorés : col legno tratto et arco ordinario simultanés,
alternance rapides de col legno battuto et col legno tratto, col legno sul ponticello.
Le jeu en pizz pourrait être encore développé, avec par exemple des pizz entre le sillet et
le premier doigt, ou bien encore l’exploitation de la relative souplesse des cordes dans des pizz
plus ou moins violents. Le jeu quasi guitarra associé à des modes d’accords particuliers pour-
rait s’avérer fructueux par le jeu sur les résonnances qu’il permettrait.
Bien d’autres combinaisons sont probablement encore à trouver, notamment grâce à la
dynamique de l’archet de la viole et aux réactions particulières des cordes en boyau.

Nous avons parcouru une partie du répertoire pour ces cordes baroques et il en reste en-
core une grande part à découvrir, et bien plus encore à écrire. Le bilan que l’on peut tirer de cet
aperçu est à la fois prometteur et décevant.
Prometteur, parce que nous avons pu mesurer que ce domaine de la création musicale
était extrêmement dynamique. Des états-Unis à la Suède, en passant par le Royaume-Uni, la
France ou la Suisse, de plus en plus de compositeurs écrivent pour ces instruments, et de plus en
plus d’interprètes « baroques » s’y intéressent. Nous avons pu mesurer la valeur de la viole de
gambe comme instrument pour aujourd’hui et pour demain. Il y a encore du chemin à parcourir,
mais il est possible qu’à l’avenir l’instrument s’intègre à part entière dans l’instrumentarium
contemporain. Malgré une littérature déjà relativement abondante, surtout en ensemble, il est
certainement encore possible de découvrir des ressources insoupçonnées.
Nous avons aussi pu évaluer l’intérêt des autres instruments à cordes. Bien que les limites
de ces instruments soient contraignantes, il est apparu qu’un certain nombre de pièces propo-
saient néanmoins des techniques de jeu et des couleurs tout à fait intéressants, qui permettent
de proposer des œuvres intéressantes et originales.
Décevant, ce répertoire l’est par ce qu’il peut révéler du désenchantement dans lequel
évolue une grande partie des acteurs de cette renaissance des instruments anciens : l’esprit
d’aventure ne semble plus animer comme à ses débuts ce « mouvement » qui, après cinquante
ans de succès phonographiques, pense souvent ne plus avoir rien à apprendre. De la même
manière nombre des compositeurs qui sont sollicités par ces musiciens n’osent ou ne veulent
surtout pas bousculer ces habitudes, ces manies parfois, que l’on accomplit sans plus même y
réfléchir. Cela est dommage et prive souvent les œuvres d’une vraie substance.
La déception n’est certainement que transitoire. Nous voulons croire que l’innovation et
l’audace sauront, comme certaines pièces nous l’ont montré, apprivoiser ces objets nouveaux
que sont les violes de gambe et, dans une moindre mesure les violons baroques. Mais pour cela
161

il est plus que jamais nécessaire, pour les interprètes et les compositeurs, de retrouver les instru-
ments anciens avec un œil neuf, en oubliant ce qu’ils croient en connaître, pour les redécouvrir
vraiment et exploiter les richesses qui ne se laissaient jusque là pas même deviner, sous le vernis
poussiéreux de leur antiquité et de l’historicisme.

« Il semble qu’au milieu d’un temps chargé de plus en plus de mémoire, oublier devienne
l’urgence absolue »5.. Plus qu’une urgence, c’est, semble-t-il, la seule voie possible pour offrir
un répertoire véritablement nouveau à ces instruments.

5  Boulez (Pierre), «La Vestale et le voleur de feu» , InHarmoniques, n° 4, 1988, p. 8.


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Proceedings of the International conference « Authority control : definizione e esperienze inter-
nazionali », Florence 10-12 février 2003, disponible à <http://wotan.liu.edu/dois/data/Papers/
autautcon16.html>.

« Changes needed to accomodate RISM data-music incipit», MARC Discussion Paper n°


2004-DP01 (2004), disponible à <http://www.loc.gov/marc/marbi/2004/2004-dp01.html>.

Ouvrages et articles divers

Artaud (Antonin), Le théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964.

Evelyn (John), Diary and Correspondence, vol. 2, Londres, George Bell and Sons, 1886

Klein (Christian), Heiner Müller ou l’idiot de la république : le dialogisme à la scène,


Berne, Peter Lang, 1992.

Müller (Heiner), Guerre sans bataille. Vie sous deux dictatures, Paris, L’Arche, 1996,
p. 270.
Discographie

A Solo (musique ancienne pour viole seule), Paolo Pandolfo (viole de gambe), CD –
Glossa GCD 920403 (enr. et éd. 1998).

Sit Fast (musique pour consort de violes de Beamish, Bainbridge, Bryars, Costello, Dun,
Ferrabosco, Guy, Isaac, Ockeghem, Ruders, Scukthorpe, Tye), Michael Chance (haute-contre),
Paul Agnew (ténor), Fretwork, CD – Virgin Classics 7243 5 45217 2 0 (enr. et éd. 1997).

Spectral Viola (œuvres pour alto solo de Grisey, Haas, Murail, Radulescu, Scelsi), Garth
Knox (alto), CD – Edition Zitklang ez- 10012 (enr. et éd. 2002).

The Viola da Gamba Yesterday and Today (œuvres pour violes de Cristoph Schafftrath,
Johann Schenck et David Leob), August Wenzinger et Hnnelore Müller (violes de gambe), LP
– Gasparo GS-210 (éd. 1980).

The Shock of the Old (œuvres de Becker, Halle, Harsh, Hui, Mellits, Woolf, Yarnell), En-
semble American Baroque (dir. George Thomson), Andreas Fullington (soprano), CD – Santa
Fe New Music 000513 (enr 1999, éd. 2001).

Travel Notes (musique nouvelle pour viole de gambe), Paolo Pandolfo (viole de gambe),
Andrea Pandolfo (tropette), Laura Polimeno (voix), Álvaro Garrido (percussion), CD – Glossa
GCD P30407 (enr. et éd. 2004).

Bach (Johann Sebastian), Sonates pour violon et clavecin, Sigiswald Kuijken (violon),
Gustav Leonhardt (clavecin), CD – Deutsche Harmonia Mundi GD 77170 (éd. 1990, enr.
1970).

Dusapin (Pascal), Medeamaterial (sur un texte de Heiner Müller), Orchestre de la Chapel-


le Royale – Collegium Vocale de Ghent (dir. Philippe Herreweghe), Hilde Heiland (soprano),
CD – Harmonia Mundi HMT 7905215 (enr. 1992, éd. 1993)
Ohana (Maurice), Œuvres vocales (Swan Song – Nuit de Pouchkine – Tombeau de Louise
Labé – Lux Noctis – Dies Solis), Ensemble Musicatreize (dir. Roland Hayrabedian), Marc Pon-
tus (haute-contre), Sylvie Mocquet (viole de gambe), CD – Calliope CAL 9876 (enr. et éd.
1991).
Catalogue des œuvres:
Classement par effectifs

On trouvera ici un catalogue des œuvres répertoriées selon les méthodes de recherche
décrites plus haut. Nous avons choisi d’ordonner tout d’abord le catalogue selon la typologie
que nous reprenons dans les chapitres 4 et 5, à savoir:

• œuvres pour violon baroque soliste (seul ou accompagné)


• œuvres pour violoncelle baroque soliste (seul ou accompagné)
• œuvres pour viole de gambe soliste (seule ou accompagnée)
• œuvres pour ensembles de violes de gambe, consort
• œuvres pour petits ensembles
• œuvres pour orchestre baroque
• œuvres pour orchestre avec cordes baroques
• œuvres vocales avec cordes baroques

A l’intérieur de ces rubriques, les œuvres sont ordonnées selon les noms de leurs auteurs.
Les notices des œuvres ne sont pas toutes complètes, mais nous avons préféré donner un maxi-
mum d’informations là où c’était possible, quitte à sacrifier l’homogénéité générale.

Nous avons pris le parti de citer, lorsque c’était possible, les notes de programme ou les
textes de présentation des compositeurs. Surtout, il nous a paru important de les citer en inté-
gralité même lorsqu’ils étaient très longs car il s’agit d’éléments de compréhension très pré-
cieux et très utiles. Que nous soit donc pardonnée la longueur de certaines fiches. Sauf mention
contraire, les traductions de ces textes sont de nous-même.
175

Chaque fiche se présente sous la forme suivante:

n° de la fiche

Compositeur
(dates )
Pays

Titre
Sous-titre
Année
Instrumentation
Durée

Auteur du livret

Créateur(s) – Lieu, Date de création


Commanditaire
Dédicataire

Editeur et référence de la partition


Editeur et référence de l’enregistrement

Note de programme
176

2.1  Violon baroque soliste (seul ou accompagné)

001

Jean-Jacques Dünki
(1948– )
Suisse

Jumelles
1998
pour violon baroque et orgue

Édition Musicale Suisse 1043


__________________________________________________________________________________

002

Daniel Glaus
(1957– )
Suisse

«Il y a une autre espèce de cadence…»


(Giuseppe Tartini)
1984
pour violon baroque ou moderne ou pour les deux instruments combinés
6’

Muller-Schade M-50023-164-6
__________________________________________________________________________________

003

Barry Guy
(1947– )
Royaume-Uni

Celebration
for unaccompanied violin
1994
pour violon baroque
5’

Maya Homburger – 1994


Écrit pour Maya Homburger comme ode d’anniversaire pour son père le Dr. Eric Homburger et Rose-
marie A. Meier

Novello NOV 120833


ECM New Series 1643
177

Note du compositeur :

Celebration a été écrit pour la violoniste baroque Maya Homburger comme ode
d’anniversaire pour son père le Dr. Eric Homburger et Rosemarie A. Meier.
L’œuvre a été écrite pendant la composition de la pièce pour violon baroque
et bande, Ceremony. Certaines articulations sont communes aux deux pièces — en
particulier l’idée de suspensions contrastant avec des figurations rapides.
La musique de Celebration est comme une cadence étendue avec tout ce que
cela implique de rubato et d’expression individuelle ouverte à l’interprète.
__________________________________________________________________________________

004

Barry Guy
(1947– )
Royaume-Uni

Ceremony
for baroque violin and tape
1994–95
pour violon baroque et bande
17’

Maya Homburger – Cambridge, 1er octobre 1995


Commande de Maya Homburger

Novello (manuscrit)
ECM New Series 1643

Note du disque:

Ceremony, composé pour violon baroque et bande sept pistes : Homburger joue
contre et au-dessus de couches constituées des sons de son propre violon. Guy: « Je
connaissais assez bien le son du violon baroque, ayant travaillé avec The Academy of
Ancient Music pendant plusieurs années, mais n’avais jamais encore composé pour
l’instrument. » Durant la composition, Guy « a accumulé des masses de matériau »,
dont certains ont été intégrés à d’autres pièces, parmi lesquelles l’intense « distilla-
tion » pour violon solo intitulée Celebration.
__________________________________________________________________________________

005

Barry Guy
(1947– )
Royaume-Uni

Bubblets
for baroque violin and harpsichord
1998
pour violon baroque et clavecin
9’

Maya Homburger (vln), Peter Waldner (clav) – Hochpillberg, 20 septembre 1998


178

Commande du Festival Klangspuren, Schwaz (Autriche)


Écrit pour Maya Homburger et Malcolm Proud

Novello 120862

Note du compositeur:

Trois pièces pour violon baroque et clavecin qui pétillent et passent dans l’es-
pace. Miniatures compactes, intenses et expressives. Le titre provient de Finnegans
Wake, de l’écrivain irlandais James Joyce.
__________________________________________________________________________________

006

Barry Guy
(1947– )
Royaume-Uni

Dakryon
1999
pour violon baroque, contrebasse et bande
19’

Maya Homburger (vln), Barry Guy (cb) – 1999.

Manuscrit
Maya Recordings MCD0501
__________________________________________________________________________________

007

Barry Guy
(1947– )
Royaume-Uni

Inachis
2002
pour violon baroque et contrebasse
17’

Maya Homburger (vln), Barry Guy (cb) – David Oistrakh Festival, Pärnu (Estonie), 15 juillet 2003.

Manuscrit
Maya Recordings MCD0501
__________________________________________________________________________________
179

008

Matthew Hindson
(1968– )
Australie

Baroquerie
Sonata for baroque violin and harpsichord
2002
pour violon baroque et clavecin
16’

Andrew Manze (vln), Richard Egarr (clav) – Melbourne (Australie), 22 août 2002
Commande de Musica Viva Australia

Faber 0571568181

Note du compositeur :

Une observation qui doit être faite à propos de la musique de la période baro-
que, particulièrement celle de style italien, est que la plupart du temps elle a quelque
chose à voir avec une « virtuosité heureuse ». Des œuvres telles que les concertos de
Vivaldi ou les mouvements rapides des oratorios de Hændel en sont de bons exem-
ples. Au contraire, l’exubérance joyeuse dans la musique contemporaine peut être
désapprouvée dans certains cercles, une attitude que je trouve un peu incompréhen-
sible. Après tout, il me semble que nous avons beaucoup de raisons d’être heureux.
Dans Baroquerie, j’ai fait référence à une sélection de caractéristiques musi-
cales de la période baroque, incluant la notion de « virtuosité heureuse », et j’ai
donc tenté d’absorber ces caractéristiques dans mon propre style musical. Les trois
mouvements ont chacun leur caractère propre. Le premier est conçu approximati-
vement comme un Récitatif et Air. Le second fait alterner solos improvisés pour
les deux instruments et une mélodie au-dessus d’une basse obstinée s’étendant gra-
duellement. Le troisième mouvement utilise des techniques musicales spécifiques à
l’époque baroque, telles que des cycles de quintes et une interprétation libre de la
forme à ritournelle.
Une autre inspiration initiale pour cette pièce a été le musique rock (Ba-Rock-
ery). Des traces de cette inspiration première peuvent apparaître dans certaines fi-
gurations rythmiques du second mouvement (figurations du clavecin de type guitare
« soft rock ») et la nature virtuose et débordante du dernier mouvement (rock vol-
canique).
__________________________________________________________________________________

009

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Angel of Light
1991–1992
pour violon et clavecin
15’

Sirkka-Liisa Kaakinen (vln), Menno van Delft (clav) – Amsterdam, 6 juin 1992
180

Commande de Sirkka-Liisa Kaakinen et Menno van Delft


Dédiée à Sirkka-Liisa Kaakinen et Menno van Delft

Vanderbeek & Imrie


__________________________________________________________________________________
181

2.2  Violoncelle baroque soliste (seul ou accompagné)

010

Gualtiero Dazzi
(1960– )
France

Un pas dans la neige suffit à ébranler la montagne...


1990
pour violoncelle ou violoncelle baroque
7’

Beverly Brown – Mexico,4 novembre 1990


Dédié à la mémoire de Luigi Nono
Schirmer (Chester-Novello) CH65175 - Cahiers du Tourdion 055

Note du compositeur :

Peu de temps après avoir composé cette pièce, j’apprenais la mort de Luigi
Nono. Je voudrais la lui dédier comme un adieu, avec la gratitude de l’avoir rencon-
tré (même si ce fut seulement pour un temps trop court) et d’avoir eu le privilège de
capturer son message d’ouverture et son constant auto-questionnement, qui a défini-
tivement changé mon attitude face à la composition musicale.

Encore une fois, grand merci.


__________________________________________________________________________________

011

Philippe Fénelon
(1952– )
France

Élégie et Fantaisie
(Extraites de Dix-huit Madrigaux)
1996
pour violoncelle
4’30 et 3’50

Elena Andreyev – Festival d’Automne - Paris, 18 novembre 1996


Dédié à Aurora Bernardez

Amphion A621
Grave GRCD 10
__________________________________________________________________________________
182

012

Olli Virtaperko
(1973– )
Finlande

Passacaglia per cello e cembalo


1999
pour violoncelle baroque et clavecin
6’30

Lauri Pulakka (vcl bar), Jonte Knif (clav) - UNM Festival, Porvoo (Finlande), 19 août 2000.

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
183

2.3  Viole de gambe soliste (seule ou accompagnée)

013

Murray Adaskin
(1906–2002)
Canada

Two pieces
for viola da gamba
1972
pour viole de gambe
10’

Peggie Sampson – 1974 ?


Commande du Canada Council
pour Peggie Sampson

Manuscrit
Music Gallery Records
__________________________________________________________________________________

014

Jean-Yves Bosseur
(1947– )
France

Byrdy
1986/87
pour viole de gambe
6’

Cahiers du Tourdion 060

Note du compositeur :

Byrdy fait partie d’un cycle de partitions que j’ai écrites en 1986/87 pour instru-
ments anciens (basse de viole, clavecin, consort de violes, broken consort). À l’ori-
gine il s’agissait d’un ensemble de séquences pour la Tragédie du Vengeur, de Cyril
Tourneur, dans une mise en scène de Philippe van Kessel (Atelier rue Sainte-Anne,
Bruxelles). Par la suite, je les ai retravaillées afin qu’elles puissent donner lieu à dif-
férents types de combinaison. A travers Byrdy, je souhaiterais communiquer quelque
chose de cette passion que je nourris depuis de nombreuses années pour la musique
élisabéthaine en général et pour l’œuvre de William Byrd en particulier. Le solo de
viole est ainsi traversé de nombreuses allusions stylistiques à cette époque particu-
lièrement inventive de l’histoire de la musique, mais envisagée à distance de quatre
184

siècles qui nous en séparent. Comme bien d’autres compositeurs, j’aime à réagir à
des matériaux musicaux préexistants, même des plus éloignés dans le temps. La mu-
sique élisabéthaine me semble d’autant plus stimulante qu’elle apparaît antérieure
à la stabilisation du langage tonal et réfléchit donc de manière privilégiée certaines
préoccupations harmoniques et formelles de notre époque.
__________________________________________________________________________________

015

Arthur Clay
(1959– )
États-Unis, résidant en Suisse

Seven Teas for Seven Strings


1992
Pour viole de gambe et bande
8’

Manuscrit

Note de programme :

Ces Seven Tea Songs sont inspirées par un petit magasin de thé de Bâle, Suisse,
connu sous le nom de société des thés Manger. Il n’y a pas à y voir une stérile com-
mande d’entreprise, et quand on pose une question sur les produits ils en connaissent
plus que le prix et comme réponse, on reçoit un peu d’émerveillement de l’huma-
nité. Pots à thé, curiosités orientales, et étagères sont négligés et poussiéreux. On
doit attendre un long moment jusqu’à ce que le propriétaire, Herrr Fritz Manger, un
robuste septuagénaire, demande, à un tempo inhabituel dans notre monde moderne
et rapide, ce que l’on désire. Une longue attente peut être agréable, et de toute façon
la plupart des thés ne sont jamais là, épuisés ou en attente à la douane sur la moitié
basse du Rhin, mais certains, inconnus, doivent être achetés et en fin de compte tous
les thés de la liste deviennent familiers. Tous les thés, disponibles ou indisponibles,
l’émerveillement, et peut-être les pots à thé poussiéreux et tout le reste peuvent être
entendus dans la musique. La bande est un simple enregistrement d’une bouilloire
sifflante soufflant sa vapeur, que j’ai mise en route et arrêtée sur une durée de sept
minutes.
__________________________________________________________________________________

016

Arthur Clay
(1959– )
États-Unis, résidant en Suisse

Songs of Love
1991
pour viole de gambe
15’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
185

017

Ferenc Farkas
(1905–2000 )
Hongrie

All’Antica
1962
pour viole de gambe et clavecin (ou violoncelle et piano) — originellement pour baryton et clavecin
8’

Dédié à Jànos Liebner

Editio Musica Budapest Z.4439


__________________________________________________________________________________

018

Aidan Fisher
(1959– )
Royaume-Uni

In Nomine
1989
pour viole de gambe ou violoncelle
9’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

019

Philppe Hersant
(1948– )
France

Le chemin de Jérusalem
2003
pour viole de gambe
9’

Christine Plubeau – Conques, 22 juillet 2004


Commande de Christine Plubeau
Dédié à Christine Plubeau

Durand 15617
Virgin Classics 7243 5 45836 2
186

Note du compositeur :

Le « chemin de Jérusalem » est le nom qu’on donnait aux labyrinthes qui or-
naient le pavement de certaines cathédrales, comme celui – aujourd’hui disparu – de
la cathédrale de Reims. Les fidèles devaient le parcourir à genoux, en souvenir du
chemin de croix du Christ montant au Golgotha. Peut-être aussi en souvenir des
croisades en Terre sainte.
Cette pièce est un labyrinthe circulaire, dont on ne sort pas : elle finit comme
elle a commencé… On y trouve une brève citation du Labyrinthe de Marin Marais et
du choral de Jean-Sébastien Bach, Durch Adams Fall.
Le chemin de Jérusalem a été écrit à la demande de Christine Plubeau et lui est
dédié.
__________________________________________________________________________________

020

Andrew Keeling
(1955– )
Royaume-Uni

One Flesh
Pellingman’s Sarabande
1999
pour viole de gambe soprano et luth
8’

Susanna Pell (vdg), Jacob Heringman (luth) – Majorque, octobre 2000


Dédié à Susanna Pell et Jacob Heringman, comme cadeau de mariage

Manuscrit
Riverrun Records RVRVD55
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021

Francis Knights
(?– )
Royaume-Uni

Sonata for viola da gamba


1995
pour viole de gambe
12’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
187

022

Rudolf Komorous
(1931– )
Canada

Untitled 6
for viola da gamba and harpsichord
1976
pour viole de gambe et clavecin

Commande de Peggie Sampson

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

023

Jean-Christophe Marchand
(1958– )
France

Voz oscura
pour viole de gambe et bande magnétique

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

024

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

The Sea will be born again


1996
pour basse de viole seule

Richard Boothby – Prokopi (Grèce), 31 août 1996

Vandarbeek & Imrie


__________________________________________________________________________________
188

025

David Sydney Morgan


(1932– )
Australie

Sonata
for viola da gamba and harpsichord
1998
pour viole de gambe et clavecin
18’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

026

Paolo Pandolfo
(?– )
Italie

A Solo
Tombeau
1996 ?
pour viole de gambe seule
5’

Manuscrit
Glossa GCD 920403

Note du compositeur :

A Solo est une pièce brève pour viole seule. Conçue comme un tombeau, elle
le devint de fait à la fin de cet enregistrement, lorsque je n’ai pu être présent pour
adresser l’ultime salut à Angela. J’aimerais ainsi suggérer une vie « actuelle»  de la
viole, considérée dans notre panorama musical comme un instrument pour « musi-
que ancienne » mais non encore suffisamment apte à exprimer notre vie d’hommes
de ce millénaire finissant.
__________________________________________________________________________________

027

étienne Rolin
(1952– )
France

Défense de la lenteur
1999
pour viole de gambe
10’

Question de tempérament 114


__________________________________________________________________________________
189

028

étienne Rolin
(1952– )
France

Les Hybrides
1982
pour viole de gambe et clavecin
__________________________________________________________________________________

029

étienne Rolin
(1952– )
France

Omaggio à Dowland
2001
pour viole de gambe
6’

Question de tempérament 282


__________________________________________________________________________________

030

François Rossé
(1945– )
France

Kritz
1999
pour basse de viole
20’

Sylvie Mocquet – Faucogney, 21 juillet 2000


Commande du Festival Musique et Mémoire

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
190

031

Benjamin Thorn
(1961– )
Australie

Croutons VII
for viola da gamba player
1997
pour viole de gambe
7’30

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

032

Andrew Wilson-Dickson
(1946– )
Royaume-Uni

Sonata for bass viol and harpsichord, n°1


1971
pour basse de viole et clavecin

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

033

Andrew Wilson-Dickson
(1946– )
Royaume-Uni

Sonata for bass viol and harpsichord, n°2


1971 (révisée en 1974)
pour basse de viole et clavecin

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
191

2.4  Ensembles de violes de gambe, consort

034

Simon Bainbridge
(1952– )
Royaume-Uni

Kinneret Pulses
1992
pour consort de violes : desssus, 2 ténors, 2 basses
11’

Fretwork – New York City, 1992


Commande de l’ensemble Fretwork

Novello

Note du compositeur :

C’est le serein et radieux Galilée qui a fourni le point de départ de ma nouvelle


pièce pour Fretwork, destinée à un consort de violes (dessus, 2 ténors, 2 basses).
Kinneret Pulses est construite sur une succession de différents tempi qui interagis-
sent au travers d’un processus de modulation métrique, conduisant à une texture
harmonique polyrythmique en constant décalage.
C’est la texture qui crée l’arrière-plan d’un réseau d’« inventions polyphoni-
ques » évoluant lentement, brodant sur une plaintive et récurrente aria – comme la
mélodie de la basse solo.
Tout au long de la pièce, ces deux éléments, harmonie et mélodie, sont entrela-
cés dans un paysage sonore varié, aux perspectives constamment changeantes, qui
est encore rehaussé par la voix solitaire d’un battement répété de la bémol qui fournit
un point focal et un pivot à la structure de l’œuvre.
__________________________________________________________________________________

035

Simon Bainbridge
(1952– )
Royaume-Uni

Henry’s Mobile
1995
pour consort de violes : desssus, 2 ténors, basse
4’

Fretwork – Londres, 2 mai 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Novello NOV950568
Virgin Classics 7243 5 45217 2 0
192

Note du compositeur :

Cette pièce brève pour consort de violes est un hommage affectueux au génie
de Henry Purcell. J’ai emprunté un tout petit fragment à l’une de ses Fantaisies, et
l’ai utilisé comme base de tous les rythmes et hauteurs de la pièce. Si j’en donne des
aperçus et y fais des allusions, je ne révèle jamais (du moins je l’espère) ma source
originale.
__________________________________________________________________________________

036

Joyce Barrell
(1917–1989)
Royaume-Uni

Two dreams
Op. 54
pour 3 violes : alto, ténor, basse
5’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

037

Conrad Beck
(1901–1989)
Suisse

Dialogue
pour deux violes de gambe
__________________________________________________________________________________

038

Gavin Bryars
(1943– )
Royaume-Uni

In nomine (After Purcell)


1995
pour consort de violes : 2 dessus, 2 ténors, 2 basses
10’

Fretwork – Londres, 2 mai 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell
Dédié à l’ensemble Fretwork

Schott
Virgin Classics 7243 5 45217 2 0
193

Note du compositeur :

Ecrire une pièce basée sur le In Nomine à six violes de Purcell m’attira pour
plusieurs raisons. La première résidait dans mon intérêt pour l’écriture pour cordes,
et en particulier pour des familles d’instruments à cordes : le mélange homogène
d’un ensemble de six violes, avec trois paires d’instruments, produit une sonorité que
j’apprécie depuis assez longtemps déjà. La seconde raison est l’intérêt que je porte à
des musiques qui font allusion à d’autres musiques ou à d’autres valeurs musicales.
Le In Nomine de Purcell vit le jour vers la fin d’une période de presque deux siècles
pendant lesquels bon nombre de compositeurs anglais avaient composé des pièces
sur la section «In nomine Domini» de la messe Gloria tibi Trinitas de Taverner. J’ai
donc travaillé sur l’original de Taverner ainsi que sur la pièce de Purcell. Pour moi,
un ensemble de violes possède certaines caractéristiques très curieuses — par exem-
ple, la manière dont les différents instruments sont accordés met à la disposition du
compositeur l’ensemble des harmoniques naturelles, étant donné qu’il y a une corde
pour chacune des cordes sauf le si. En outre, la dynamique très restreinte du consort
de violes implique une retenue qui me séduit tout particulièrement (le fortissimo ne
relève pas vraiment du caractère de la viole).
__________________________________________________________________________________

039

David Cleary
(1954– )
États-Unis

Fractured Memory
1989
pour deux violes de gambe
13’

Commande de Kathy Benforado

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

040

Tansy Davies
(1973– )
Royaume-Uni

Make black white


after Dowland
2004
pour consort de violes (dessus, 2 ténors, 2 basses)
5’

Concordia Viol Consort – Cheltenham, 17 juillet 2004

Edité par le BMIC


__________________________________________________________________________________
194

041

Duncan Druce
(? – )
Royaume–Uni

The Garden of Cyrus


2002
pour consort de violes : soprano, 2 ténors et 2 basses de viole

Fretwork – Reading, 9 mars 2002


Commandde de Fretwork

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

042

Antony Elton
(1935– )
Royaume-Uni

Madrigals for viols


1977
pour consort de violes
10’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

043

Elena Firsova
(1950– )
Russie

Phantom
1993
pour consort de violes : 2 sopranos, ténor et basse de viole
4’

Fretwork – Londres, 7 mars 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Boosey & Hawkes

Note de programme :

Phantom pour 4 violes a été achevée à la fin du mois de janvier 1993, jus-
te après que j’aie reçu la commande du South Bank Centre pour Fretwork. Avant
cela, je n’avais aucune expérience dans l’écriture pour les instruments anciens et ne
connaissais pratiquement rien à ceux-ci. Je les ai même considérés avec une certaine
195

suspicion et c’était donc un défi pour moi que d’écrire cette composition. Je n’ai
jamais non plus bien connu la musique de Purcell, parce que sa musique n’était que
très rarement jouée en Russie, je ne me souvenais que de quelques fragments de
Didon et Ænée que j’avais écouté en cours d’histoire de la musique au Conserva-
toire de Moscou. Cependant, les membres de Fretwork furent si sympathiques qu’ils
m’envoyèrent un enregistrement de leur interprétation des Fantaisies et In Nomine
que j’ai écouté avec grand intérêt et grand plaisir. Cela m’a donné quelques connais-
sances de la musique de Purcell et quelques idées sur ce qu’il était possible d’écrire
pour cet ensemble.
Pour ma composition, j’ai utilisé une très courte citation extraite de la Fantaisie
6 (Z. 737). C’est simplement une petite cadence qui apparaît comme un fantôme de
Purcell ou comme une image de son temps et pénètre progressivement dans mon
propre matériau musical.
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044

Michael Zev Gordon


(1963– )
Royaume-Uni

There always
after Semper Dowland semper dolens
2003
pour consort de violes : soprano, 2 ténors, 2 basses
5’

Concordia Viol Consort – Lichfield Festival, 6 juillet 2003


Commande du Lichfield Festival

Édité par le BMIC


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045

Orlando Gough
(1953– )
Royaume-Uni

Birds on Fire
2001
pour consort de violes : 2 sopranos, 2 ténors et 2 basses de viole
20’

Fretwork – Hastings, 2 novembre 2001


Commande de l’ensemble Fretwork

Bossey & Hawkes


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196

046

Barry Guy
(1947– )
Royaume-Uni

Buzz
1995
pour consort de violes (2 dessus, 2 ténors, basse)
6’

Fretwork – Londres, 7 mars 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell
Dédié à l’ensemble Fretwork

Novello NOV 360051


Virgin Classics 7243 5 45217 2 0

Note de programme :

« No pastiche », écrivais-je au début du manuscrit. Pourtant Buzz est un reflet


de la Fantaisie sur une note de Purcell. L’exécution et l’étude de la musique de
Purcell m’ont suggéré une approche particulière : ainsi, par exemple, il y a la ré-
exposition constante d’un complexe de notes s’élargissant progressivement, un lent
choral récurrent et des figurations rapides aux instruments graves, culminant en un
éventail complexe d’harmoniques. Ces trois éléments se rencontrent selon des scé-
narios changeants – parfois au premier plan, parfois partiellement cachés, souvent
de manière égale.
Bien que le titre provienne d’une instruction dans la pièce demandant aux musi-
ciens de faire vibrer la corde d’une manière particulière, Buzz suggère aussi un sens
d’excitation, d’urgence et d’énergie.
Le « buzz » provient d’une articulation du bassiste jazz Charles Mingus qui
consiste, en la tirant vers le bord de la touche, à pincer la corde de manière à produire
un bourdonnement très spécial. Un précédent dans l’usage de sonorités inhabituelles
avait déjà été vu chez H.I.F. Biber, au 17e siècle, qui demandait un son similaire, en
faisant placer un parchemin entre les cordes et frapper les cordes à la manière d’un
roulement de tambour.
Buzz est spécifiquement écrit pour un consort de violes plutôt que pour un
ensemble de « cordes ». Les harmoniques utilisées sont appropriées à la formation
choisie et les accords de 32 sons avant le « buzz » sont seulement possibles avec le
consort choisi de deux sopranos, deux ténors et une basse de viole.
Avec ce qui précède à l’esprit, l’activité des changements de matériaux opposée
à une articulation archaïque plus lente suggère peut-être la transmission du message
musical de Purcell aux temps présents.
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197

047

éric Fischer
(?– )
France

L’outre-cercle comme nous-même


2004
pour consort de violes : deux dessus, ténor et trois basses de viole

Festival international de viole de gambe d’Asfeld, 20 juin 2004


Commande du Festival international de viole de gambe d’Asfeld pour un hommage à Wieland Kuijken

Manuscrit

Note de programme :

Un titre est un signe important donné à l’auditeur. Cependant, à l’instar de l’art


pictural l’émotion de l’abstrait me parle plus que la face explicative du figuratif et
quelle image, en effet, évoquerait l’au-delà de tout point, toute chose, tout tremble-
ment, tout cercle? Et comment nommer le mouvement de son passage? Quoiqu’il
en soit, le déroulement de «l’outre-cercle» est un rituel vers un incantatoire festif et
virtuose. Le titre véhicule également des implications plus philosophiques qui res-
tent des moteurs intimes à toutes créations. Souvenons-nous simplement d’avoir un
peu bouleversé le silence.
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048

Otto Joachim
(1910– )
Canada

Music for four viols


1962
pour consort de violes : 2 soprano, alto, basse
3’

Manuscrit
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049

Andrew Keeling
(1955– )
Royaume-Uni

Afterwords
1999
pour consort de violes : soprano, 2 ténors et 2 basses de viole
10’
198

Fretwork – Londres, 2000


Commande de l’ensemble Fretwork
Dédié à l’ensemble Fretwork

Fretwork Editions FC02

Note de programme :

Afterwords est, dans son essence, une chanson sans paroles : une re-composi-
tion pour cinq violes d’une mise en musique pour chœur (sop, alt, ten, basse) d’un
poème de Sylvia Plath, « The Moon and the Yew Tree ». Dans le poème, la lune et un
if solitaire se trouvent dans le cadre d’un cimetière, la nuit : métaphores qui semblent
souligner l’intérêt du poète pour un « autre » métaphysique. La pièce est en quatre
sections, correspondant aux quatre strophes du poème, et un triton descendant du
début (ré) à la fin de la pièce (sol dièse) reflète l’effondrement du poème dans les
ténèbres et le silence.
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050

Andrew Keeling
(1955– )
Royaume–Uni

Gefunden
2003
pour consort de violes : soprano, 2 ténors et basse de viole
17’

Commande du Yukimi Kambe Viol Consort

PRB Productions CC048


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051

Rudolf Kelterborn
(1931– )
Suisse

Seismogramme
1992
pour consort de violes : soprano, ténor, basse à six cordes et basse à sept cordes
12’

Yukimi Kambe Viol Consort – 1992

Bärenreiter BA 7272
__________________________________________________________________________________
199

052

Thierry Lalo
(?– )
France

Rue de Miromesnil
2004
pour consort de violes : deux dessus, deux ténors, deux basses de viole et violone

Festival international de viole de gambe d’Asfeld, 20 juin 2004


Commande du Festival international de viole de gambe d’Asfeld pour un hommage à Wieland Kuijken

Manuscrit

Note de programme :

S’il est parfois délicat ou complexe d’écrire de la musique, je trouve qu’il est
encore beaucoup plus périlleux de s’aventurer à écrire un commentaire de sa propre
musique. En effet, si on aime la musique, c’est parce que c’est peut-être l’un des
seuls espaces de notre vie où l’intellect n’est pas forcément convoqué, parce que le
son et le rythme sont rois. A eux deux, les sensations qu’ils provoquent réveillent
ou décuplent l’énergie vitale de ceux qui la jouent et de ceux qui l’écoutent, et ce
phénomène se suffit à lui-même. Je ne connais pas Wieland Kuijken mais je dois dire
que j’ai fait le plein d’émotions il y a quelques années en écoutant sa musique «rue
de Miromesnil» à Paris - en particulier certains enregistrements de Haydn avec ses
deux frères. Un prêté pour un rendu donc, si on veut. Mais le jazz m’a aussi beau-
coup nourri, et même si les cloisonnements sont toujours réducteurs, je crois pouvoir
dire que j’appartiens aujourd’hui à cette famille de musiciens. Toutefois, le jazz est
le royaume de la percussion et je n’ai pas voulu faire un « morceau de jazz » avec
cet ensemble de violes de gambe. J’ai plutôt essayé de les amener en douceur dans
mon univers harmonique et rythmique tout en essayant de préserver leur sensualité
naturelle si particulière. A la manière d’une improvisation instrumentale, « Rue de
Miromesnil » raconte une petite histoire, dans laquelle on retrouve un personnage
(ce court fragment mélodique) qui change régulièrement d’apparence et d’humeur.
Et comme il a horreur de s’ennuyer, il se met parfois à danser doucement. Mes re-
merciements à Anne-Marie Lasla pour ses conseils techniques ».
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053

Jacques Lenot
(1945– )
France

Livre de violes n°1


1990
pour consort de violes :
17’
200

Ensemble Orlando Gibbons – Paris, 26 juillet 1990

Salabert EAS 18942


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054

Larry Lipkis
(?– )
États-Unis

Tombeau
pour deux basses de viole
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055

Benedict Mason
(1953– )
Royaume-Uni

Room Purcell
1995
pour consort de violes

Fretwork – Londres, 7 mars 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Manuscrit

Note de programme :

À la fois installation et représentation, cette pièce est, bien sûr, une abstraction
de Purcell, mais a aussi un peu à voir avec Scelsi ou Cage ou même La Monte Young.
Il n’y a rien de drôle dans cette pièce : tout cela est fait avec une intention de sérieux.
À la fin de la pièce les interprètes sortent et la scène est immédiatement préparée
pour la pièce suivante : pas d’applaudissement/remerciement/salut du compositeur
etc.
__________________________________________________________________________________

056

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Corale per Eunice


2001
pour consort de violes (2 sop, tén, basse)
2’30

Manuscrit
201

057

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Farewell
1993
pour consort de violes
17’

The Rose Consort of Viols – York Festival, 11 juin 1996

Manuscrit
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058

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

In Nomine
1996
pour consort de violes
7’

Fretwork – Prokopi (Grèce), 31 août 1996


Dédié à Fretwork, pour le dixième anniversaire de l’ensemble

Manuscrit

Note du compositeur :

In Nomine a été écrit en février 1996 comme cadeau d’anniversaire pour


Fretwork à l’occasion de leur dixième anniversaire. Il n’y a qu’une relation oblique
avec l’In nomine anglais en ce que celui-ci n’est pas construit sur le chant de ce nom
tel que réalisé par John Taverner dans sa Missa Gloria Tibi Trinitas. À la place, j’ai
pris un chant russe avec les mêmes paroles (en slavon : Blagosloven grady vo imya
Gospodne. Osana v vyshnikh) de la liturgie orthodoxe de Saint-Jean Chrysotome.
Plus spécifiquement, la pièce est en rapport avec ces paroles telles qu’elles sont
chantées le dimanche des Rameaux, quand l’entrée du Christ sur une ânesse symbo-
lise le passage des ténèbres à la lumière, et initie les évènements menant à la Passion
et à la Résurrection. […]
__________________________________________________________________________________
202

059

étienne Rolin
(1952– )
France

Baroque Relays
1999
pour 3 basses de viole
6’

Questions de Tempéraments 122


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060

étienne Rolin
(1952– )
France

Ein Wanderer
Fantaisie
2004
pour consort de violes :deux dessus, deux ténors, deux basse et violone

Festival international de viole de gambe d’Asfeld, 20 juin 2004


Commande du Festival international de viole de gambe d’Asfeld pour un hommage à Wieland Kuijken

Manuscrit

Note de programme :

Cette partition est conçue comme une rencontre polymodale imaginaire entre
les genres Renaissance, Baroque et Contemporain. En effet, malgré une assise en
mode de la qui conclut avec un couronnement tonal en ré majeur, l’énergie de l’œu-
vre vient de la juxtaposition de plusieurs figures rythmiques et mesures changeantes.
Les respirations viennent des changements de registre et de densité de l’écriture
(d’une à sept parties réelles). Une oreille attentive ne manquera pas de relever quel-
ques références à Purcell, à Monteverdi et aux répétitifs américains. Célébration
de la volupté de la famille de la viole, l’œuvre a été écrite en hommage au virtuose
Wieland Kujken à l’occasion du Festival International de viole de gambe d’Asfeld.
__________________________________________________________________________________
203

061

Etienne Rolin
(1952– )
France

Gamba Game
Jeu pour deux violes de gambe
1998
pour deux violes de gambe

Commande des Cahiers du Tourdion

Les Cahiers du Tourdion 9669

Note du compositeur :

Écrit à la demande des Cahiers du Tourdion, ce jeu pour violes a pour but
d’agrandir le répertoire contemporain (encore mince) pour l’instrument. Quelque
peu éclipsée par le violoncelle, la viole de gambe n’a que très peu sollicité des œu-
vres nouvelles depuis trois siècles.
A la différence de la flûte à bec ou du clavecin, la viole est à l’écart des pièces
concertantes du 20e siècle. Des recherches pertinentes entre interprètes et composi-
teurs se font attendre !
Ma pratique de la musique ancienne m’a convaincu que la viole pourrait être
considérée à la lumière d’une esthétique actuelle. À l’écoute des pièces maîtresses de
Couperin, Forqueray et de Marais on constatera la sensualité des dissonances ainsi
qu’un timbre expressif proche de la voix. L’œuvre Gamba Game relève d’une écri-
ture qui, venant d’une autre époque, effleure délicatement un objet rare et noble.
__________________________________________________________________________________

062

étienne Rolin
(1952– )
France

Moving Monuments
2001
pour consort de violes
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063

Christian Rosset
(1955– )
France

Enlightenment
Six parcours pour trois violes à sept cordes
1991
pour 3 basses de violes à sept cordes
Durée variable
204

Matthieu Lusson – Paris, 12 mai 1991


Écrit pour Matthieu Lusson et dédié à André Boucourechliev

Les Cahiers du Tourdion 9657


Kimé Records

Note du compositeur :

Présentation (notes) : C’est une rencontre qui provoque un double questionne-


ment
-  le compositeur interroge l’instrument son accord, ses doigtés (ne rien écrire
qui ne soit la conséquence d’un geste), ses possibilités sur le plan du timbre, de la
résonance…
-  le ou les viuoliste(s) abandonne(nt) des réflexes afin de pénétrer dans cet uni-
vers interrogatif, mobile, sans réponse univoque ; change(nt) ses (leurs) habitudes.
Dans Enlightenment, il n’y a aucune allusion directe au passé glorieux de la
basse de viole, mais de nombreuses affinités.
C’est une musique d’humeurs (Cf. Hume : Musicall Humors, 1605).
C’est (aussi) une musique initiatique :
Les violistes portent en général un regard distant sur la musique d’aujourd’hui.
Mais certains déplorent la rareté du répertoire contemporain pour leur instrument
et demandent aux compositeurs de combler ce vide. Le fossé entre les siècles et les
techniques ne favorise pas à-priori cette rencontre entre instrument ancien et langage
actuel. Les difficultés d’exécution d’une pièce très écrite (notamment sur le plan du
rythme) peuvent décourager les meilleures volontés. Il fallait donc donner à cette
rencontre un cadre accueillant en imaginant un mode de notation qui n’abandonne
pas l’exigence d’un résultat complexe tout en étant relativement facile d’accès. No-
tation non mesurée et parcours labyrinthique se sont imposés comme une solution
viable, pouvant donner aux interprètes un grand sentiment de liberté.
C’est une œuvre ouverte au sens « classique » : où le hasard, sollicité, n’en est
pas moins contrôlé ; où la multiplicité des possibilités doit toujours aller dans le sens
de l’identité de l’œuvre – qui est comme un territoire ou un visage : toujours chan-
geant sans pour autant devenir autre…
A l’initiation du compositeur, sa familiarisation progressive envers l’instrument
correspond l’initiation de l’interprète, sa familiarisation progressive envers la nota-
tion et ses conséquences sur les plans du geste, de la tension, de la concentration…
Enlightenment peut être traduit par : éclaircissement, mais aussi par : illumi-
nation. Age of Enlightenment c’est le siècle des lumières. Cette partition est née de
d’une vision justement, de l’impression de pénétrer un univers qui n’est pas tout-à-
fait le nôtre mais pas encore du domaine du rêve – ce que nous percevons juste avant
de sombrer, derniers instants de veille à la frontière du sommeil :

(récit)

À l’origine, il y a la nuit ; l’éclairage est naturel, comme en rase campagne


(mais on peut imaginer une grande ville en panne d’électricité).
Grande mobilité du noir : ponctuellement, des traits – un orage s’annonce,
éclairs au loin…
Points lumineux se projetant sur une surface en mouvement ; traits de pointe
sèche rayant une matière noire – à la fois précis comme un dessin au scalpel et in-
saisissables.
Au commencement on ne voit presque rien ; mais, peu à peu, des contours, des
volumes, des figures apparaissent. Le lieu s’affirme dans la nuit ; un monde appa-
raît, austère – accueillant ; un monde aux contours nets où on circule librement ; un
205

monde pourtant hanté, inquiet où la raison vacille parfois.


Dans la nuit, soudain, on voit (presque) comme en plein jour : éclaircissement
progressif – ou illumination (car cette perception arrachée à la nuit n’est pas conve-
nue) ; l’œil rajeuni décape les ténèbres, le regard s’ouvre à l’invisible, l’ouïe de plus
en plus sensible commande des gestes neufs, tendus, sans affect…
… cheminement du désir – vers le pur (?) plaisir.
Récit qui n’est guère qu’une simple indication ; qui écoute, qui joue, peut former
à son tour ses propres énigmes : images, couleurs, mouvements, traces, mémoires…

Comment parcourir Enlightenment ?

Chaque page se suffit à elle-même ; chaque page est un territoire autonome.


Le processus d’écriture est clairement perceptible du premier coup d’œil. Cha-
que page a sept lignes divisée en (dans l’ordre : 13, 11, 9, 7, 5, 3) « cellules ».
D’où un mouvement progressif, d’une page à l’autre, vers une organisation
moins éclatée où la combinatoire est plus faible : c’est (entre autre) cela l’éclaircis-
sement.
On peut jouer les six pages l’une après l’autre avec un silence entre – ce qui fait
une assez longue exécution (25’ environ).
On peut n’en jouer que quelques unes (voire une seule). Dans ce cas, il convient
de toujours respecter la progression de 13 à 3/7 (par exemple on peut jouer 7/7 après
13/7 mais pas le contraire.
La création de la pièce a eu lieu dans les studios de Radio France avec un seul
violiste (Matthieu Lusson) jouant en re-recording trois parties de viole (enregistre-
ment multipiste et mixage stéréophonique jouant sur l’espace sonore).
Il est toujours possible de procéder ainsi pour des enregistrements (disque, dif-
fusion sur les ondes…).
Mais l’édition de cette partition doit avant tout permettre des exécutions vi-
vantes, en concert et donc s’adresse à un trio d’interprètes (l’idée d’avoir un seul
musicien sur scène jouant une partie pendant que deux autres ont été préenregistrées
peut sembler bâtarde et manquer d’intérêt aussi bien visuel que sonore ; par contre
on peut écouter l’enregistrement de studio en tant qu’exemple de lecture à la fois très
libre et respectant le caractère de l’œuvre).
Les trois violistes ont sur leur pupitre, au même moment, la même page (on
superpose des parcours d’un même page, mais jamais de pages différentes).
Le but du jeu est de créer un dialogue entre des instrumentistes parcourant un
territoire de manière différente selon des règles simples – dont voici les modalités :
Sans qu’il y ait de hiérarchie entre les interprètes, il est nécessaire qu’il y ait
un ordre d’entrée et de sortie pour chaque parcours. Un premier violiste joue la pre-
mière « cellule » en haut à gauche ; un second répond (éventuellement avant même
la fin de l’exécution de cette « cellule ») en jouant soit cette même « cellule » (en
écho) soit une des premières cellules environnantes (deuxième de la première ligne,
première et deuxième de la deuxième ligne) ; le troisième fait de même à partir d’un
rectangle de possibilité plus vaste (trois premières « cellules » de la première à la
troisième ligne).
Chaque parcours d’une page commence par cette première « cellule » et s’achè-
ve par la dernière (en bas à droite). Le premier des trois violistes qui atteint cette
« cellule » au terme de son parcours fait signe aux deux autres. Les cinq premières
pages se terminant par un son tenu (ou un trille), il est aisé pour les deux autres vio-
listes de cesser leur jeu à l’intérieur de cette tenue (qui peut être assez longue). En ce
qui concerne le dernier parcours (3/7), la dernière « cellule » doit être jouée « à nu »
par le premier violiste. Il doit s’arranger pour obtenir le silence des deux autres au
moment où il l’aborde.
206

Entre ces deux « cellules » qui délimitent le champ temporel du parcours, cha-
que violiste se meut à sa guise, allant d’une cellule à l’autre selon toutes les direc-
tions : de gauche à droite (et inversement), de haut en bas (et inversement) ; un par-
cours oblique est même possible à condition de marquer un temps plus long entre les
« cellules » ; on peut imaginer enfin un parcours linéaire, c’est-à-dire la possibilité
de passer d’une fin de ligne au début de la suivante (et inversement).
Il ne s’agit pas de rechercher un ordre idéal, comme prédéterminé par le com-
positeur (réglementer de manière autoritaire la liberté offert par le processus com-
binatoire n’a aucun sens), mais d’établir un jeu relationnel entre les musiciens – in-
terrogatif : « je te propose tel accord, telle suite de notes, qu’est-ce que tu réponds
musicalement à partir du matériau que tu possède sur cette page à l’endroit où tu
es ? » Et cette réponse suppose d’aller dans tel ou tel sens du parcours pour choisir ce
qui va sonner le mieux et relancer le questionnement.
Jouer ensemble, créer les conditions d’un dialogue, savoir s’écouter, s’effacer
sans perdre son propre fil, c’est avant tout ne pas jouer tout le temps en même temps
; il est donc nécessaire d’introduire des silences, de diversifier les densités.
Une des techniques pour éviter un trop grande opacité est de lire mentalement
la partition et de ne jouer que les notes qui semblent devoir sonner.
Note sur l’aspect graphique de la partition : il y a contradiction entre les proprié-
tés visuelles et musicales. L’idée d’un quadrillage régulier de la page selon plusieurs
longueurs de « cellules » est avant tout graphique. C’est un système de contrainte
obligeant le compositeur à inventer de la diversité dans un système régulier. Mais les
blancs entre les « cellules » sont tous identiques ; la réalisation musicale n’a pas à
en tenir compte. Il n’y a pas d’équivalence de proportion entre le sonore et le visuel.
De même qu’un signe graphique de petite taille (par ex. : une note surmontée d’un
point d’orgue) peut être plus long en durée qu’un signe graphique plus envahissant
(par ex. : une série de petites notes barrées), les silences ne sont jamais proportion-
nels à l’espace blanc qui sépare les note et les portées. Aussi (si on excepte les ‘ qui
sont des respirations brèves), les temps de silence traduiront avant Tou le feeling des
violistes, leurs sensation du moment, leur conscience de la nécessité d’aérer le jeu,
de laisser vivre les sons.
Feeling: comme pour le jazz ou les musiques de tradition orale ; à associer à
suspens(e), irrégularité, retenue, sensualité…
Décalage/mémoire: étant donné que les trois violistes jouent la même page, il y
a de grandes chances qu’une même « cellule » puisse être interprétée plusieurs fois à
des moments différents (une lecture non-linéaire incite à ne pas jouer la totalité des
« cellules ». Un partage prédéterminé de la partition entre les 3 violistes est contraire
à l’esprit de l’œuvre). Dans ce cas, il est préférable que la répétition d’une « cellule »
sonne de manière légèrement différente ; il s’agit de jouer avec la mémoire (recon-
naissance et décalages), de manière très souple et ambiguë.
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064

Poul Ruders
(1949– )
Danemark

Second Set of Changes


1994
pour consort de violes
5’
207

Fretwork – Londres, 7 mars 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Edition Wilhelm Hansen, Copenhagen.


Virgin Classics 7243 5 45217 2 0

Note du compositeur :

Bien entendu, il existe un First Set, et les deux œuvres traitent, en le variant, le
même thème, à savoir la vieille mélodie populaire danoise Le Pouvoir de la Harpe.
C’est une mélodie charmante, mais dont les rythmes originaux sont quelque peu
rigides, aussi les ai-je assouplis… Ayant choisi une mélodie ancienne pour la confier
à un ensemble d’instruments anciens, il n’est pas étonnant que le résultat possède un
parfum de musique ancienne. En plus de la technique de variation que j’ai tant ex-
ploitée, j’ai donné au morceau un côté léger et dansant presque minimaliste, rendant
ainsi hommage à l’époque de Purcell et à la mienne.
(trad. Francis Marchal)
__________________________________________________________________________________

065

Peter Sculthorpe
(1929– )
Royaume-Uni

Djilile
1994
pour consort de violes
5’40

Fretwork – Londres, 2 mai 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Faber Music
Virgin Classics 7243 5 45217 2 0

Note de programme :

Quand j’ai entendu pour la première fois la lamentation de Didon et énée de


Purcell, j’ai écrit plusieurs pièces s’en inspirant et pour le tricentenaire de la mort
de Purcell, j’avais pensé baser cette pièce sur l’une d’entre elles. Mais ensuite, j’ai
estimé qu’une telle occasion demandait que j’écrive la meilleure musique possible.
Djilile est basé sur une adaptation d’une mélodie aborigène du nord de l’Australie.
Le titre pourrait se traduire par « canard siffleur dans un affluent à sec ».
(trad. Francis Marchal)
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208

066

Alessandro Solbiati
(1956– )
Italie

A nameless pod
per quattro viole antiche
1994
pour consort de violes : 2 dessus, tenor et basse
4’30

Fretwork – Londres, 7 mars 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell
Dédié à Michelle Rollot

Suvini Zerboni ESZ.10811

Note de programme :

Créer pour moi-même le son et l’esprit d’un instrument ancien (avant les pos-
sibilités techniques) a été une expérience extrêmement fascinante pour moi comme
compositeur. J’avais devant moi non seulement un instrument, mais un ensemble
instrumental très précis, et en composant je ne m’attachai pas seulement au son de
l’ensemble mais aussi à celui de la musique de Henry Purcell.
Il y a eu deux conséquences : la première et plus évidente, sinon la plus impor-
tante, est que le point de départ de la pièce est une petite séquence de Purcell. Au
début, le quatuor (comme quatre voix abstraites) élabore une sorte de contrepoint
autour de cette séquence. La seconde est que l’atmosphère générale de la pièce est
plus tranquille qu’elle n’aurait été si j’avais fait appel à un quatuor à cordes moderne.
En fait, influencé par la formidable résonnance du son des violes, j’ai simplement
essayé de le faire flotter en l’air, avec tension mais sans anxiété.
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067

Renaud Vergnet
(?– )
France

Quatre Variations sur « Von der Fortuna werd’ich getrieben »


2004
pour consort de violes : deux dessus, ténor et basse de viole

Festival international de viole de gambe d’Asfeld, 20 juin 2004


Commande du Festival international de viole de gambe d’Asfeld pour un hommage à Wieland Kuijken

Manuscrit

Note de programme :

L’œuvre, écrite à 4 voix dans un style contrapuntique, est une série de quatre
variations sur la chanson ancienne « Fortuna », thème déjà utilisé par un des plus
209

fameux compositeurs de l’époque pré-baroque : Jan Pietersoon Sweelinck. La pre-


mière variation est une exposition harmonisée du thème. La deuxième variation l’en-
richit d’un contrepoint linéaire dans lequel les voix intermédiaires semblent vouloir
s’écarter du carcan polyphonique, mais sont sans cesse ramenées dans leur rôle. La
troisième variation est un jeu rapide des voix dans le style des improvisations de la
Renaissance. Ne pouvant sortir du groupe, les voix usent de syncopes, d’imitations
et de contretemps. Enfin la quatrième variation, après avoir introduit en superposi-
tion le thème célèbre des « lacrimæ », entre dans une sorte de résignation, à travers
une « pâte » sonore transformée par les chromatismes.
__________________________________________________________________________________

068

John Webb
(1969– )
Royaume-Uni

Masque
1995
pour consort de violes : soprano, 2 ténors et basse de viole
5’

Commande du Concordia Viol Consort


__________________________________________________________________________________

069

Carter Williams
(?– )
États-Unis

Whistling window 1b
2002
pour 2 violes de gambe

Manuscrit
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070

John Woolrich
(1954– )
Royaume-Uni

Fantazia
1994
pour consort de violes : soprano, 2 ténors, basse
5’

Fretwork – Londres, 7 mars 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Faber Music 0571556108


210

Note de programme :

J’ai trouvé les titres des trois courts mouvements de cette pièce dans l’index des
incipit, titres et sous-titre du catalogue Zimmermann des œuvres de Purcell.
Toute la musique est dérivée d’une poignée de notes du début des Fantaisies de
Purcelln en ré mineur. L’original de Purcell est progressivement révélé dans la pre-
mière section, Begin the Song, et est à nouveau ensevelie dans la seconde, Beneath a
dark and melancholy, et la troisième, A good night.
__________________________________________________________________________________

071

John Woolrich
(1954– )
Royaume-Uni

Three Fantasias for six viols from the Book of Disquiet


2001
pour consort de violes : 2 sopranos, 2 ténors, 2 basses
3’

Fretwork – Hastings, 2 novembre 2001


Commande de Nicholas Daniel

Faber Music 0571566898

Note de programme :

Quand l’écrivain Fernando Pessoa est mort à Lisbonne en 1935, il a laissé une
grande malle pleine de poèmes, horoscopes, histoires inachevées, essais, pièces, tra-
ductions, lettres et journaux, dactylographiés, manuscrits ou griffonnés en portugais,
anglais et français. Il écrivait à l’arrière des lettres, sur les prospectus, enveloppes et
autres bouts de papier. Il décrivait son Livre de l’intranquillité comme «fragments,
fragments, fragments».
Dans l’esprit de Pessoa, j’ai fait une collection de petites pièces : trois pour
consort de violes (Three Fantasias from the Book of Disquiet), trois pour voix d’alto
et violes (Three Songs) et trois pour hautbois avec violes (Three Arias). Les Songs
sont des mises en musique de textes de Pessoa et les Fantaisies et Arias ont des titres
inspirés du Livre de l’intranquillité. Les interprètes peuvent faire leur sélection et
choisir l’ordre.
__________________________________________________________________________________
211

2.5  Œuvres pour petits ensembles

072

Serge Arcuri
(1954– )
Canada

Les mécaniques célestes


2000
pour flûte baroque, violon (baroque?), viole de gambe et clavecin
4’10

Ensemble Arion – Montréal, 20 septembre 2000

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

073

Mark Argent
(1964– )
Royaume-Uni

Quintet
pour 3 flûtes à bec ténor, viole de gambe et clavecin
8’

Note de programme :

Ce quintette mélange le monde des instruments anciens et celui de la musique


moderne. Il est destiné à une combinaison baroque raisonnablement conventionnelle
– trois flûtes à bec, viole de gambe et clavecin – mais le langage tonal est beaucoup
plus moderne, utilisant des textures dépouillées et une gamme par tons tout au long
de la partition. émotionnellement, le quintette nous conduit dans un voyage d’un
lieu sombre et paisible vers un second mouvement agité, pour revenir enfin vers l’at-
mosphère du début en passant par un passage écrit à la manière d’une danse. La plu-
part du matériau musical du quintette est issu de la série d’accords jouée par la viole
de gambe au tout début de la pièce. Les quatre mouvements sont joués en continu, et
ces accords, avec le matériau qui en est issu, lient les idées musicales entre elles.
__________________________________________________________________________________

074
212

John Gordon Armstrong


(1952– )
Canada

In Three
1992 (révisé en 1996)
pour violon baroque, viole de gambe et clavecin
17’

Trio Fantasia: Sophie Rivard (vln bar.), Mary Cyr (vdg), Sandra Mangsen (clav) – Université de
Guelph (Canada), 17 février

Manuscrit

Note du compositeur:

In Three a été écrit pour le trio Fantasia [...] durant l’automne et l’hiver 1991-
1992. C’était la seconde pièce du compositeur destinée à Sandra Mangsen, la pre-
mière étant Crochets pour clavecin solo. In Three développe certaines de mes préoc-
cupations habituelles, la plus frappante étant la combinaison de longs mouvements
avec de courts interludes. « Prelude » est un mouvement lent et évocateur qui fait
contraster les longues lignes des instruments à cordes avec les gestes nerveux plus
caractéristiques du clavecin. « Diabolus in Musica » est une danse perverse qui al-
terne les mesures à 3/4 et à 2/4, d’une manière en apparence imprévisible. Le dernier
mouvement est un fugato, la seule allusion du compositeur au dix-huitième siècle.
Les deux interludes sont respectivement pour clavecin seul et cordes. Ce sont les
parties les plus abstraites et expressionnistes de cette partition.
__________________________________________________________________________________

075

Sven-Erik Bäck
(1919–1994 )
Suède

Nocturne
Marionettpantomim
1953
pour 3 flûtes à bec, percussions, luth, violon et viole de gambe
15’

édité par AB Nordiska Musikforlaget


__________________________________________________________________________________
213

076

Joyce Barrell
(1917–1989 )
Royaume-Uni

Dialogues
1962
pour flüte et viole de gambe
8’

édité par Anglian


__________________________________________________________________________________

077

Joyce Barrell
(1917–1989 )
Royaume-Uni

Trio
1963
pour flûte, harpe et viole de gambe
13’

Écrit pour le Kammer Trio, Köln

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

078

Pierre Bartholomée
(1937– )
Belgique

Le Tombeau de Marin Marais


1961
Pour violon, 2 violes de gambe et clarinette
11’

Ensemble Alarius
Commande de l’ensemble Alarius

Partition perdue
LP Wergo 60 039
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214

079

Dan Becker
(?– )
États-Unis

Tamper Resistant
1996
pour flûte baroque, hautbois baroque, violon baroque, viole de gambe et clavecin
9’

American Baroque – San Francisco, avril 1996


Commande d’American Baroque

Heshemusic
Santa Fe New Music SFNM CD000513

Note de programme :

Une reprise. La musique de Telemann est traitée comme un simple mastic : tor-
due, étirée et mise en forme comme une image minimaliste d’elle-même.
__________________________________________________________________________________

080

Michelle Boudreau
(1956– )
Canada

Enneaenne
1983
pour flûte à bec, percussions et viole de gambe
9’

Manuscrit
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081

Jean-Yves Bosseur
(1947– )
France

Folia
1995–1999
Pour 2 violons, alto et violoncelle baroques
13’

Stradivaria – Notre Dame de Monts, 11 avril 2000

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
215

082

Peter Dickinson
(1934– )
Royaume-Uni

Translations
1971
pour flûte à bec, viole de gambe et clavecin
15’

David Munrow (fl), Oliver Brookes (vdg) et Christopher Hogwood (clav) – Londres, 20 février 1971
Commande de David Munrow, Oliver Brookes et Christopher Hogwood

Chester Novello

Note de programme :

Cette œuvre, en un mouvement, a été commandée par David Munrow, Oliver


Brookes et Christopher Hogwood et a été créée lors d’un concert à la Purcell Room
le 20 février 1971. Son point de départ était une série d’accords jouables sur la flûte
à bec alto avec un accord supplémentaire joué sur une soprano. L’éventail expressif
de l’instrument est ainsi étendu et les techniques modernes de sul pont., col legno
etc. sont appliquées à la viole. J’ai collaboré avec les instrumentistes pour explorer
ces possibilités et j’ai trouvé cela extrêmement enrichissant.
Comme dans Transformations, une pièce orchestrale donnée l’année dernière
au festival de Cheltenham, Translations est composée de cinq sections principales.
La première et la dernière section sont lentes et emploient les moindres aspects fa-
miliers des flûtes à bec et des violes, comme une sorte de cadre pour toute l’œuvre.
La seconde section est une Aria pour flûte à bec et viole de gambe (une mélodie
simple à la manière d’une Gymnopédie de Satie) qui est en conflit avec une cadence
de viole et progressivement laisse la place aux cadences. Un chant funèbre isoryth-
mique forme le centre de l’œuvre mais s’interrompt pour faire place à une sorte de
fugue jazz qui se transforme graduellement en l’Aria dans une forme simple, bien
qu’interrompue par le clavecin. La flûte à bec et la viole jouent une tranquille coda
qui rappelle les sons distordus du début de la pièce.
__________________________________________________________________________________

083

Lars Ekström
(1956– )
Suède

Cristalli temporanei
1999
pour traverso, théorbe et viole de gambe

Ensemble Déjà-Vu – Stockholm New Music, 19 mars 1999


Commande de l’ensemble Déjà-Vu

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
084
216

Mats éden
(?– )
Suède

L’aimable accord
Trio
1987
pour traverso, violon et luth baroque
10’

Manuscrit
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085

Jennifer Fowler
(1939– )
Australie – Royaume-Uni

Lament
2002
pour hautbois baroque et basse de viole
8’

Manuscrit
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086

éric Gaudibert
(1936– )
Suisse

Fantaisie concertante
1999
pour pianoforte et quatuor à cordes baroque
16’

Édition Musicale Suisse 1460

Note de programme :

Cette œuvre d’un seul tenant est un hommage à Carl Philipp Emanuel Bach.
Elle comporte des citations tirées de Fantaisies et d’un Rondo de ce compositeur. La
partie du pianoforte est d’un style libre, concertant ou très rythmique et d’un niveau
assez élevé. Le quatuor a une écriture dans l’ensemble traditionnelle. Le pianoforte
utilisé pour la création de l’oeuvre était une copie d’un instrument de 1815.
__________________________________________________________________________________
217

087

Georg Friedrich Haas


(1953– )
Autriche

… für Violine, Viola da Gamba, Theorbe und Cembalo


1988
pour violon, viole de gambe, théorbe et clavecin
__________________________________________________________________________________

088

John Halle
(?– )
États-Unis

Spook
1999
pour flûte baroque, hautbois baroque, violon baroque, viole de gambe, violoncelle baroque et clavecin
8’20

Commande d’American Baroque

Manuscrit
Santa Fe New Music SFNM CD000513
__________________________________________________________________________________

089

Bengt Hambreus
(1928–2000 )
Suède

Notturno da vecchi strumenti


1963
pour flûte à bec soprano, cromorne, trombone alto, viole d’amour, basse de viole, claviorganum, 2
cloches et tambourin
8’

Créé à Stockholm (Musikhistoriska museet) le 17 novembre 1963

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

090
218

Ed Harsh
(?– )
États-Unis

Authentically classic
pour soprano, flûte baroque, hautbois baroque, violon baroque, viole de gambe, violoncelle baroque et
clavecin
12’

Sur un texte du compositeur

Commande d’American Baroque

Santa Fe New Music SFNM CD000513

Note du compositeur :

Si l’un de nos Héros-Compositeurs géniaux ressuscitait à notre époque, diversi-


fierait-il sa production créatrice en se confrontant, pour son portefeuille de propriété
intellectuelle, aux marchés émergents à risque élevé mais à potentiel de croissance
explosive ? Ou serait-il juste consterné ?

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091

Melissa Hui
(1966– )
Canada

Shall we go ?
1996
pour flûte baroque, hautbois d’amour, violon baroque, viole de gambe et clavecin
6’

American baroque – San Francisco, 8 avril 1996


Commande d’American Baroque

Manuscrit
Santa Fe New Music SFNM CD000513

Note de programme :

« Shall we go ? » est une citation extraite d’une pièce de Samuel Beckett, En
attendant Godot. J’ai toujours aimé le rythme, les circularités, et le sens de la tempo-
ralité des œuvres de Beckett. Ce titre semble approprié.
__________________________________________________________________________________
092
219

Betsy Jolas
(1926– )
France

Sonate à trois
1956
pour flûte à bec (alto et ténor), viole de gambe et clavecin
10’

Le Rondeau de Paris – Paris, 1960

Combre
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093

Rudolf Jungwirth
(1955– )
Autriche

Es kommt ein Schiff geladen


1978
pour deux flûtes à bec (sop, alt) et viole de gambe
__________________________________________________________________________________

094

Mauricio Kagel
(1931– )
Argentine

Musik für Renaissance-Instrumente


in memoriam Claudio Monteverdi
1965–66
pour 23 instrumentistes : 4 cromornes (sop, alt, ten, basse) jouant les flûtes à bec (soprnino, sop, alt,
ten, basse, contrebasse), 3 saqueboutes (alt, ten, basse), 4 bombardes (sop, alt, ten, basse) jouant les
dulcianes (ten, basse), cornet à bouqin (jouant le clarino), orgue positif (et régale), 2 viole da braccio,
4 violes de gambe, luth, théorbe et 2 percussionnsites
26’

Créé à Cologne en 1967

Universal Edition UE13555


Deutsche Grammophon DG 137 006

Note de programme :

Cette œuvre ne contient ni prédiction, directions vers le futur, ni un confortable


retour vers le passé : l’usage d’instruments de la Renaissance n’a ici aucunement
de but programmmatique. Le seul fait décisif est que ces instruments correspon-
dent à ma conception sonore mieux que tout autre instrument à corde ou à vent
d’aujourd’hui ne le ferait.
220

L’aliénation systématique du son des instruments conventionnels, qui va de soi


dans le matériau et les méthodes de la plupart de la musique moderne, me semble
justifier un essai, pour une fois, de renverser l’opinion normalement acceptée au su-
jet de la composition de la couleur sonore. La qualité individuelle de sobriété qui est
naturelle à ces instruments de la Renaissance m’a facilité la tâche pour les présenter
chacun, sans altération, dans leur caractère sonore propre. Lorsque j’étais étudiant
en musicologie, en Argentine, j’ai commencé à esquisser une telle pièce, mais j’ai
abandonné le projet à cette époque, parce qu’une des conditions essentielles à la réa-
lisation de cette idée – la formation d’un véritable ensemble orchestral d’instruments
anciens – ne pouvait pas être remplie. Avec la renaissance de la Renaissance que
nous sommes en train de vivre un tel ensemble est devenu possible, parce que des
copies de la plupart des instruments ont récemment été réalisées, et que nombre de
musiciens sont devenus experts pour les jouer.

Seule la formation de familles complètes d’instruments typiques, joués par


vingt-trois musiciens, pouvait produire une image sonore juste de la période en ques-
tion (tous les instruments requis pour ma composition étaient représentés dans le
« Theatrum Instrumentorum » du Syntagma Musicum de Michael Prætorius (1619).
Durant ces dernières années je suis devenu si familier avec chacun de ces instruments
que j’ai pu penser à nouveau à leur fonction sonore, et j’ai été capable de développer
les techniques au-delà des limites conventionnelles. Même un instrument comme la
flûte à bec, qui est fortement associé à la musique domestique ou à l’école (des prati-
ques d’une toute autre sorte), a prouvé être extrêmement flexible, et plus adapté à un
usage dans la musique contemporaine que, par exemple, la flûte traversière.

Chaque partie instrumentale de cette œuvre a été composée comme une ligne de
solo. Toutefois, les voix ont été rassemblée en une seule partition, écrite en notation
plus ou moins normale. D’autres versions de la pièce sont possibles, en utilisant un
nombre quelconque d’instruments compris entre deux et vingt-deux, dans n’importe
quelle combinaison d’instruments de la partition originale. Ces versions réduites
s’intitulent Chamber Music for Renaissance Instruments. Le concept d’orchestre ad
hoc composé des instruments disponibles – en accord avec les pratiques d’interpré-
tation de la Renaissance – est ici pris littéralement, cela à un degré de variation tel
que le compositeur ne peut pas même le prévoir. Cette œuvre (1965/66) a été écrite
in memoriam Claudio Monteverdi. Pour autant, elle ne contient aucun collage de
musique ancienne.

__________________________________________________________________________________

095
221

Rudolf Komorous
(1931– )
Canada

Preludes for 13 early instruments


1974
pour 4 flûtes à bec (soprano, alto, ténor, basse), 3 cromornes (soprano, alto, ténor), 3 violes de gambe,
percussions, psaltérion, orgue et clavecin
14’

Commande de l’Early Music Workshop de l’Unversité de Victoria

Édité par E.C. Kerby, Toronto


__________________________________________________________________________________

096

Marc Mellits
(1966– )
États-Unis

Nine miniatures
1996
pour flûte baroque, hautbois baroque, violon baroque, violoncelle baroque, viole de gambe et clavecin
20’

Commande d’American Baroque

Manuscrit
Santa Fe New Music SFNM CD000513
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097

Ernst Pfiffner
(1922– )
Suisse

Die Parabel vom barmherzigen Samariter


1982
pour 3 flûtes à bec, trompette baroque, basson baroque, viole d’amour, viole de gambe et clavecin
14’

Manuscrit
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098
222

Simeon Pironkoff
(1965– )
Bulgarie, résidant en Autriche

Trios für Baßblockflöte, Baßgambe und Cembalo


1993
pour flûte à bec basse, basse de viole et clavecin
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099

Henri Pousseur
(1929– )
France

Madrigal 2
pour quatre instruments anciens
1961
pour flûte ou violon, violon ou second violon (ces instruments « baroques » de préférence, mais non
obligatoirement), viole de gambe et clavecin
3’

Ensemble Alarius: John Mac Guire (fl), Janine Rubinlicht (vl), Wieland Kuijken (vdg), Robert Kohnen
(clav)
Commande de l’ensemble Alarius
Dédié à Alfred Schlee pour son 60e anniversaire

Universal Edition UE 13803


LP Thorophon Capella MTH224
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100

Claire Renard
(1944– )
France

Brèves d’été
Contrepoint de musique et de lumière
1994
pour viole de gambe, luth et théorbe), harpe et bande ; composition plastique et lumineuse de Adal-
berto Mecarelli
55’

Sylvia Abramowicz (vdg), Claire Antonini (luth) et Virginie Simoneau (hrp) – Paris, 17 mai 1994

Manuscrit

Note du compositeur :

Exploration de l’attente, de l’infime, Brèves d’Été est une suite en forme de


méditation sur le silence, la façon dont la conscience se transforme à l’écoute de
l’imperceptible et de la lenteur du temps.
Basée sur un seul accord qui se déploie dans l’espace, la pièce est composée de
223

trois mouvements :
1. Exposition
2. Métamorphose
3. Final, épure de la mémoire

La première partie est composée de sept fragments instrumentaux joués aux


luth, théorbe, harpe et viole de gambe. Elle met en œuvre le passage incessant du flou
au précis et explore à chaque fois un état particulier de la matière (1. Evaporation 2.
Instabilité 3. Immobilité 4. Elasticité 5. Résistance 6. Fluidité 7. Suspension). Ces
fragments, enregistrés sur bande, sont ensuite – et sans transition – réexposés dans la
deuxième partie, brouillés, mêlés et spatialisés. Ils constituent la trame sur laquelle
s’appuient en temps réel, d’autres évènements instrumentaux improvisés, la bande
jouant ici le rôle d’une mémoire fictive.
Enfin, la troisième partie, bref final instrumental, immédiatement enchaîné à la
partie précédente, déroule en un instant le trait épuré de l’ensemble de la pièce.

Note de programme :

J’ai pensé qu’avec certains instruments anciens je pourrais atteindre un certain


univers sonore, qui me permettrait de travailler sur l’imperceptible, l’infime, sur le
son qui émerge tout à coup du silence. J’avais besoin d’instruments qui puissent
donner par des frémissements, des sons très discrets, le sentiment d’attente.
Il m’importait de mélanger des sources instrumentales traditionnelles, avec des
moyens technologiques, d’aujourd’hui. Il y aura pour cela dans Brèves d’Été, une
viole de gambe, instrument baroque, mais aussi une bande magnétique.
Le son est l’ombre du mouvement vivant, il est ce qui reste dans l’air de la trace
de ce vivant. La lumière et l’ombre sont ce qui permet de voir que la matière existe.
Je ne pourrais pas faire ces Brèves d’Été sans qu’il y ait à l’intérieur une expérience
de la lumière. L’idée de départ, que j’ai proposée à Adalberto Mecarelli, incluait un
travail abstrait sur des relation entre des formes lumineuses et des formes sonores en-
traînant un jeu sur l’espace. Il s’agit d’explorer, à partir de fragments ces deux entités
distinctes et, par une combinatoire, d’assister à la complémentarité de celles-ci. La
tension naît de la co-existence de ces formes sonores et lumineuses dans le temps.
Dans ce champs, la bande-son et la bande-image ne se croisent jamais, mais
existent dans la tension entre les formes et le temps de la lumière.
Une des notions sur lesquelles je veux travailler par rapport à la musique, c’est
le passage entre le flou et le précis. Et créer ainsi ce décalage par rapport à l’image.
Brèves d’Été, est une suite de fragments qui vont être donnés, exposés, brouillés et
qui vont réapparaître d’une façon extrêmement dépouillée à la fin. Il y aura tout un
parcours de stratification et puis, comme un éclair à la fin. C’est important qu’on ait
toujours cette mémoire de ce qui s’est passé avant. Aujourd’hui, c’est la nouveauté
qui est la plus importante, mais la nouveauté n’a pas de sens, s’il n’y a pas eu de
passé. La musique doit travailler sur la mémoire.

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101
224

Belinda Reynolds
(1967– )
États-Unis

Circa
1996
pour flûte baroque, violon baroque, viole de gambe et clavecin
8’

American Baroque – San Francisco, avril 1996


Commande d’American Baoque

Heshemusic
Santa Fe New Music SFNM CD000513

Note de programme :

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’ai choisi « Circa » comme titre de


cette pièce. Premièrement, le terme circa signifie littéralement « autour ». Dans les
cercles de la musique ancienne, le terme est souvent utilisé quand les dates exactes
des compositions ne sont pas connues. Dans ma pièce, j’utilise ce titre en référence
à la manière de laquelle le commencement tisse sa structure harmonique et motivi-
que dans l’ensemble de la pièce. Cela agit comme un « nuage musical » nébuleux,
duquel dérivent les structures harmoniques et mélodique des sections suivantes. Le
titre fait aussi allusion à la manière de laquelle le commencement affecte la structure
générale de la pièce, en revenant sous une forme altérée pour terminer la pièce. Ma
reconnaissance va spécialement à American Baroque pour leur apport inestimable
dans la création de cette pièce.
__________________________________________________________________________________

102

Belinda Reynolds
(1967– )
États-Unis

Solace
1999
pour flûte baroque, hautbois baroque, viole de gambe et clavecin

American Baroque – Février 2000

Heshemusic
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103

Christian Schneider
225

(1971– )
Suisse

Étude ancienne
en forme de pommier
1998
pour chalumeau, viole de gambe et clavecin

Herzog-Karl-Verlag
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104

Peter Streiff
(1944– )
Suisse

Le mot immergé
2000
pour 2 violes de gambe et théorbe
13’

Manuscrit
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105

Randall Woolf
(?– )
États-Unis

Artificial Light
1996
pour sampler, flûte baroque, hautbois baroque, violon baroque et viole de gambe
13’

Commande d’American Baroque

Manuscrit
Santa Fe New Music SFNM CD000513

Note de programme :

En écrivant « Artificial Light », je voulais combiner mon intérêt tout nouveau pour la
musique électronique avec cette opportunité inhabituelle d’écrire de la musique nouvelle
pour ces instruments anciens. J’ai créé des échantillons numériques en prenant des extraits
des disques d’American Baroque consacrés à Telemann et Hændel, et leur ai fait subir de
multiples modifications de haute technologie, dignes de la science-fiction. Pour différentes
raisons j’ai aussi été amené à extraire une mélodie de mes esquisses et à la « programmer »
pour une petite boîte à musique hollandaise qui utilise des cartes perforées et qui permet
ainsi de lui écrire de la musique. J’ai aussi fait un échantillon de cette mélodie. À ce point,
ma pièce est devenue une méditation sur les technologies anciennes et nouvelles, tissées
ensemble d’une manière rêveuse et hallucinée, créant une fusion et une confusion du temps
et de l’espace.
226

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106

Carolyn Yarnell
(1961– )
États-Unis

More Spirit than Matter


1996
pour flûte baroque, hautbois baroque, violon baroque, viole de gambe, violoncelle baroque et clavecin
9’

Commande d’American Baroque

Manuscrit
Santa Fe New Music SFNM CD000513

Note de programme :

Un ensemble de trois pièces qui reflètent la musique ancienne d’un point de vue
contemporain.
J’ai tenté de me rappeler comment cette pièce en est venue à s’appeler « More
Spirit than Matter… »
Rétrospectivement, le titre signifie finalement plus que ce que j’avais imaginé
auparavant. Cinq mois après la première en 1996, John Stephen Loacz, à qui la pièce
est dédiée, avait été subitement enlevé à ce monde matériel. Depuis sa mort, j’ai écrit
d’autres pièces qui lui sont dédiées, mais celle-ci restera toujours spéciale, parce
qu’elle a été écrite alors que nous étions heureux ensemble, amoureux.
__________________________________________________________________________________
227

2.6  Œuvres pour orchestre baroque

107

David Bedford
(1937– )
Royaume-Uni

Like a Strand of Scarlett


1999
pour orchestre de chambre baroque
17’

The Academy of Ancient Music (dir. Paul Goodwin)


Commande de The Academy of Ancient Music

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

108

Emily Doolittle
(1972– )
Canada

Falling Style
2000
pour orchestre à cordes baroque
5’30

Tafelmusik Baroque Orchestra– Scotia Festival of Music (2000?)


Nova Scotia Arts Council

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

109

Emily Doolittle
(1972– )
Canada

Green Notes
2001
pour orchestre baroque
7’30

Tafelmusik Baroque Orchestra– Scotia Festival of Music (2001?)


Commande du CBC

Manuscrit
228

110

Jonathan Dove
(1959– )
Royaume-Uni

The Middleham Jewel


2003
pour orchestre baroque : 2 htb, bsn, clav, the, cordes
17’

The Orchestra of the Age of Enlightenment – Londres, 25 Février 2003


Commande du National Arts Collection Fund pour célébrer son centième anniversaire

Peters EP 7687
__________________________________________________________________________________

111

Hanns Werner Henze


(1926– )
Allemagne

Kleine Elegien
für alte Instrumente
1966 (rév. 1984-85)
pour 6 flûtes à bec (2 sop, 2 alt, tén, basse), cornet à bouquin, 2 trombones (alt, tén), percussions
(timbales, 2 cymbales suspendues, tambour sur cadre), Zither (ou mandoline), luth (ou guitare), harpe,
orgue, violons, altos et violoncelles.
17’

Taverner Players (dir. Andrew Parrott) – Cologne, 13 décembre 1986

Schott

Note du compositeur :

En 1966, j’ai écrit la partition pour le premier film de Volker Schloendorf, Der
Junge Törless. J’avais dans l’esprit de suggérer aux auditeurs que le son des instru-
ments anciens que j’avais choisi pourrait agir comme métaphore pour les âmes im-
matures, presque infantiles, juveniles et en danger des protagonistes de la nouvelle
de Musil. Plus tard, j’ai arrangé en partie cette musique pour sextuor à cordes et j’en
ai aussi réalisé une version pour orchestre à cordes. L’année dernière j’ai trouvé les
parties séparés de la musique du film, mais pas le conducteur. Afin de rendre cette
musique adaptée aux instruments de la Renaissance, j’ai écrit une nouvelle partition :
j’y ai mis les parties existantes, mais je me suis alors senti poussé à ajouter de nou-
velles lignes et à les intégrer à l’ancien contexte.
__________________________________________________________________________________
229

112

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Lumière sans déclin


1992
pour orchestre à cordes baroque
11’

Les Voix Baroques – Montréal, 23 août 2002


Écrit pour le festival Jusqu’aux Oreilles

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

113

Renzo Rota
1950– )
Suisse

Le morte stagioni
2003
pour orchestre à cordes baroque (vl., 1, vl., 2. vla., vcl., cb.)
12’

Commande de l’ensemble I Barocchhisti (dir. Diego Fasolis), Lugano

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

114

John Woolrich
(1954– )
Royaume-Uni

The Theatre represents a Garden


1991
pour orchestre baroque (2 fl, 2 htb, 2 clar, 2 bas, 2 trp, cordes)
15’

The Orchestra of the Age of Enlightenment – Londres,24 août 1991


Commande de The Orchestra of the Age of Enlightenment pour le Mozart Now Festival

Faber Music 0-571-55758-9


__________________________________________________________________________________
230

115

John Woolrich
(1954– )
Royaume-Uni

Arcangelo
2002
pour orchestre de chambre : 3 hautbois, basson, cordes et clavecin
15’

The Academy of Ancient Music – Londres, 1er mars 2003


Commande de The Academy of Ancient Music pour la commémoration du 350e anniversaire de la
naissance d’Arcangelo Corelli

Faber Music
__________________________________________________________________________________
231

2.8  Œuvres pour orchestre avec cordes baroques

116

Arthur Cohn
(1910–1998)
États-Unis

Quintuple Concerto for Five Ancient Instruments and Orchestra


pour pardessus de viole, viole d’amour, viole de gambe, basse de viole, clavecin et orchestre
52’

EMI Music Inc. (Schirmer)


__________________________________________________________________________________

117

Thierry Pécou
(1965– )
France

Les Filles du feu


1998
pour clarinette soliste, basse de viole et orchestre de chambre (fl, htb, clar, cor, trp, trb, 3 vl, 2 vla, 2
vcl, cb)
18’

Ensemble 2E2M (dir. Paul Mefano), Etienne Lamaison (clar), Sylvia Lenzi (vdg) – Madrid, 20 mai
1998

Ricordi
__________________________________________________________________________________
232

2.8  Œuvres vocales avec cordes baroques

118

Sally Beamish
(1956– )
Royaume-Uni

in dreaming
1994
pour ténor et consort de violes :
Durée

Texte extrait de La Tempête de William Shakespeare

Martyn Hill (ten), Fretwork – Birmingham, 1er janvier 1995


Commande de la BBC pour une série d’émissions à l’occasion du tricentenaire de la mort de Henry
Purcell et du quatre-vingt-dixième anniversaire de la naissance de Michael Tippett

Manuscrit
Virgin Classics 7243 5 45217 2 0

Note de programme :

[…] Le texte, extrait de La Tempête de Shakespeare, n’a jamais été mis en mu-
sique par [Purcell et Tippett], mais entretient des liens avec eux. En effet, les notes
jouées par les violes au début sont toutes équidistantes de la « note unique » (the one
note) de Purcell (le do central). La partie vocale commence aussi avec un intervalle
équidistant, mais une neuvième, qui va du fa au-dessous du do au sol au-dessus ;
il s’agit d’une citation du Triple Concerto de Tippett, mais cet intervalle est aussi
préfiguré dans les entrées de la basse et du soprano dans la Fantzia Upon One Note.
Jusqu’à la fin, des fragments de Purcell apparaissent aux parties de violes.

__________________________________________________________________________________

119

John Beckwith
(1927– )
Canada

Les premiers hivernements


1986
pour soprano, ténor, percussions, luth, 2 flûtes à bec et viole de gambe
12’

Textes choisis de Samuel de Champlain, géographe et colonisateur du Canada (1570–1635) et de Marc


Lescarbot (1570–1741) auteur d’une Histoire de la Nouvelle-France (1609).
233

Toronto Consort – Toronto, décembre 1986


Commande du Toronto Consort
Dédié à Helmut Kallmann

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

120

George Benjamin
(1961– )
Royaume-Uni

Upon Silence
1990
pour mezzo-soprano et cinq violes: dessus (devenant basse), 2 ténors, 2 basses
10’

sur un poème de Walter Butler Yeats (1865–1939), Long-legged Fly

Fretwork – Londres, 30 octobre 1990


Commande de l’ensemble Fretwork
Dédié à la mémoire de Michael Vyner, directeur artistique du London Sinfonietta de 1972 à 1989

Faber Music
Nimbus Records NI5505

Note du compositeur:

Ce poème tardif de Yeats dresse le portrait de trois figures capitales de l’histoi-


re, absorbée par une contemplation silencieuse : Jules César planifiant une campagne
militaire cruciale, Hélène de Troie adolescente à Sparte et Michelange peignant la
Chapelle Sixtine.
Les strophes sont construites de manière syllabique, tandis que chaque refrain
successif porte des mélismes de plus en plus longs tandis que, comme l’araignée
d’eau à la surface de l’eau, la voix plane au-dessus des violes maintenant turbulentes,
alors plus encore flots de sons.
J’ai traité les violes comme une nouvelle famille d’instruments à cordes – trois
tailles, toutes avec six cordes et des frettes, capables d’un éventail de techniques et
de sonorités jusqu’ici inexplorés. Parmi ceux-ci je mentionnerais la presque com-
plète absence de vibrato, la technique d’archet originale, le potentiels de nombre
d’harmoniques naturels, trémolos hyper-rapides et pizzicati résonnants.[…]
__________________________________________________________________________________

121

Thomas Benjamin
(?– )
États-Unis

Cinquains
1980
pour soprano, violon, viole de gambe et clavecin
10’
234

Texte d’Adelaïde Crapsey

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

122

Thomas Benjamin
(?– )
États-Unis

Love (?) song


1980
pour soprano, 2 violes (ten, basse), flûte à bec alto, cromorne, clavecin et percussions
10’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

123

Lennox Berkeley
(1903–1989)
Royaume-Uni

Una and the Lion


Cantata Concertante
1979
pour soprano, flûte à bec soprano, viole de gambe et clavecin
8’

Texte extrait de The Faerie Queene de Edmund Spenser

Écrit pour Carl Dolmetsch

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

124

Harrison Birtwistle
(1934– )
Royaume-Uni

Three Poems of Paul Celan


pour soprano et consort de violes
12’

Textes de Paul Celan

Manuscrit
__________________________________________________________________________________
235

125

Patrick Blanc
(?– )
France

Dialogo con Orfeo


1985 (rév. 1995)
pour soprano, flûte à bec, violon, viole de gambe, luth et clavecin
15’

Texte extrait des Dialoghi con Leucò de Cesare Pavese

Ensemble Accroche-note, Françoise Kubler (sop) – Strasbourg, 13 mai 1985

Les Cahiers du Tourdion 9659


__________________________________________________________________________________

126

Charles Boone
(1939– )
États-Unis

Winter’s End
1981
pour soprano, contre-ténor (ou alto), viole de gambe (ou violoncelle) et clavecin
__________________________________________________________________________________

127

Jean-Yves Bosseur
(1947– )
France

Messe
1994–1995
Pour 5 voix, chœur mixte et groupe instrumental : orgue, flûte, clarinette, alto, viole de gambe et
contrebasse
55’

Ensemble Clément Janequin, Chœur Universitaire de Valence (dir. Daniel Paglardini) – Valence, juin
1995

Enregistrement Mandala MAN 4921

Note du compositeur :

C’est à la demande de Daniel Pagliardini et du chœur universitaire de Valence


que j’ai entrepris, en 1994, la composition d’une Messe. Nous souhaitions qu’à l’ef-
fectif choral viennent s’ajouter un groupe instrumental, ainsi que plusieurs chanteurs
solistes. Désirant que cette messe puisse s’inscrire dans le cadre d’un office reli-
gieux, j’ai sollicité le concours de Jean-Yves Hameline, qui m’a guidé dans le choix
des différentes sections et l’organisation de l’ouvrage; il m’apparaissait en effet im-
236

portant de ne pas envisager les Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus et Agnus Dei comme
des moments séparés mais d’élaborer une construction d’ensemble qui permette de
tisser des liens entre eux et de refléter quelque chose de cette dimension rituelle glo-
bale qui émane de la messe traditionnelle et de la temporalité qui lui est inhérente.
D’une section à une autre de la messe, je me suis efforcé d’orienter différem-
ment l’attitude des chanteurs vis-à-vis de la partition; on distinguera tout d’abord
deux types principaux de séquences vocales, les unes destinées à un groupe de cinq
voix masculines (du haute-contre à la basse), les autres à un ensemble choral d’une
cinquantaine de participants, les deux se rassemblant à l’occasion du Gloria et de
l’Epilogue; j’ai ainsi pu jouer sur plusieurs degrés de densité sonore, depuis les phra-
ses solistes chantées par le contre-ténor pour le Psaume 18, jusqu’aux effets d’en-
semble du Kyrie et de l’Agnus Dei; pour certaines sections, par exemple le Gloria, la
notation soumise aux interprètes reste volontairement flexible, avec le recours à des
réseaux de hauteurs ou fragments mélodiques sans durée définie, afin que les lignes
vocales soient comme individualisées par chaque chanteur, l’impression d’une foule
de personnages vocaux se substituant dès lors à celle d’une masse sonore unifiée.
Dans le Credo, il pourrait s’agir d’une solution intermédiaire, les cinq parties chora-
les étant dirigées, chacune selon un tempo légèrement différent, par un participant.
En ce qui concerne le groupe instrumental, j’ai imaginé dès le départ un mé-
lange d’instruments anciens (viole, orgue) et modernes (flûte, alto, contrebasse) qui
interviennent tantôt entre les sections chantées, comme un prolongement où le texte
religieux s’efface momentanément pour laisser le discours musical émerger de ma-
nière relativement autonome (ou bien sous-tendre les actions des officiants, si la
messe est associée au temps de la liturgie), tantôt à l’intérieur de celles-ci, à la ma-
nière de «commentaires».
Les textes sacrés entremêlant volontiers plusieurs couleurs linguistiques, la
coexistence du latin et du français m’a paru souhaitable, notamment pour le Psaume
62 et le Notre Père.
Lorsque l’on s’engage dans un genre historiquement aussi riche et chargé de
références, frayer sa propre voie demeure toujours une manière de défi; abandon-
nant assez vite l’idée d’une confrontation délibérée de diverses données stylistiques
liées aux rapports complexes que l’histoire de la musique entretient avec celle de
la messe, j’ai préféré laisser résonner dans ma mémoire quelques uns de ses chants
fondateurs; ainsi se sont peu à peu imposées à moi des tendances harmoniques et mé-
lodiques inclinant vers la modalité, la tonalité ou le chromatisme. Représentant une
sorte de creuset privilégié d’influences, au fil des âges et des cultures, la messe me
paraissait favoriser tout particulièrement des passages entre des mondes musicaux,
que l’on pourrait juger d’emblée hétérogènes, ce qui s’est traduit par un entrecroi-
sement d’allusions aux modes grégoriens, aux harmonies de la Renaissance, à des
pratiques polyphoniques traditionnelles, comme celle de la Corse... Il ne s’agissait
bien sûr nullement de prétendre à une quelconque synthèse entre plusieurs états du
langage musical, mais plutôt de vivre l’écriture de la messe comme une tension
essentielle entre les contraintes de la liturgie et la nécessité de les interpréter d’une
façon ouverte et personnelle, qui témoigne d’une longue imprégnation tout à la fois
spirituelle et culturelle.
__________________________________________________________________________________

128
237

Christopher R. Brown
(1943– )
Royaume-Uni

The Harper of Chao


1975
pour 2 hautes-contre, clavecin (ou piano) et viole de gambe (ou violoncelle)
16’

Manuscrit
__________________________________________________________________________________

129

Patrick Burgan
(1960– )
France

Tristis
2001
pour soprano, haute-contre (ou ténor léger), ténor, basse, quatuor à cordes, théorbe et orgue positif
6’30

Texte du deuxième répons du premier nocturne des matines du Jeudi Saint, d’après Marc XIV, 34 et
Matt. XXVI, 38

Le Concert Spirituel (dir. Hervé Niquet) – épinal, 27 mars 2002


Commande de Musique Nouvelle en Liberté

Jobert
__________________________________________________________________________________

130

Patrick Burgan
(1960– )
France

Vita Nova
2002
pour contre-ténor, 2 violons, alto, viole de gambe et clavecin
27’

Texte de Dante Alighieri

Commande de la Fondation Marcelle et Robert de Lacour pour la musique et la danse

Jobert
__________________________________________________________________________________

131
238

Régis Campo
(1968– )
France

Orfeo
Farce musicale
2000
pour quatre chanteurs (SATB), clavecin et viole de gambe ad libitum
25’

Livret du compositeur d’après Alessandro Striggio

Emmanuelle Halimi (sop), Robert Expert (ct), Carl Ghazarossian (tén), Jacques Bona (basse), Laurent
Stewart (clav), Marianne Muller (vdg) – Paris, 11 janvier 2001
Commande de la Péniche-Opéra

Lemoine 27337
__________________________________________________________________________________

132

Régis Campo
(1968– )
France

L’apothéose de Couperin
2001
pour soprano, clavecin et basse de viole

Livret de Dominique Fernandez

Isabelle Poulenard (sop), Olivier Beaumont (clavecin), Christine Plubeau (vdg) – Champs-sur-Marne,
7 juillet 2001

Lemoine 27689
__________________________________________________________________________________

133

Elvis Costello
(1954– )
Royaume-Uni

Put away forbidden playthings


1994
pour contre-ténor et consort de violes
4’30

Texte du compositeur

Michael Chance (ct), Fretwork – Londres, 7 mars 1995


239

Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Manuscrit
Virgin Classics 7243 5 45217 2 0

Note de programme :

Étant un nouveau converti à la forme notée, je reçois encore la plus grande


partie de mon éducation musicale par l’intermédiaire du disque. Quand on m’a de-
mandé d’écrire cette pièce, mes deux passions d’alors étaient Dowland et Purcell.
S’il existe une mélancolie sublime dans la musique pour viole de Dowland, on peut,
à mon sens, en entendre le dernier écho, sous une forme extrêmement développée,
dans certaines des sections lentes des Fantazias de Purcell. Put away forbidden play-
things est construit en deux sections : une introduction instrumentale qui réapparaît
à la fin de la seconde partie, laquelle est un air pour contre-ténor. Le texte est une
plainte sur l’impossibilité d’exploiter aujourd’hui les ressources du langage musical
de l’époque de Purcell.
__________________________________________________________________________________

134

Edward Cowie
(1943– )
Royaume-Uni

Four Frames in a Row


1999–2000
pour soprano, flüte baroque, violon [baroque], violoncelle [baroque], théorbe et
23’

Créé sous la direction de Stephen Preston


__________________________________________________________________________________

135

Gualtiero Dazzi
(1960– )
France

Lichtzwang
1996
pour soprano, ténor, 2 violons, violoncelle, contrebasse, clavecin et orgue positif
25’

Textes de Paul Celan

Le Parlement de Musique (dir. Martin Gester) – Festival Musica - Strasbourg, 28 septembre 1996
Commande du Parlement de Musique
Dédié au Parlement de Musique et à Martin Gester

Chester Music

Note du compositeur :
240

Il s’agit d’une œuvre pour voix et instruments employant les mêmes interprètes
que les Lamentations de Jérémie de Alessandro Scarlatti, et interprétable dans le
même concert.
Dix lieder sur des poèmes de Paul Celan, poète de langue allemande dont le
langage, dense et sombre, dévoile à chaque poème un sentiment d’extrême urgence
de vie.
Dans la lumière crue, inextinguible de l’Histoire, et aux prises avec une gran-
dissante difficulté à vivre, le poète tente par un constant exercice de lucidité, par un
relevé des restes de la mémoire, de résister, de tenir.
Ces poèmes sont extraits de Lichzwang, le premier recueil posthume (Celan
s’est donné la mort, dans la Seine en avril 1970), et on été écrits en 1967.
Le thème de la destruction, commun aux deux textes (thème biblique de la des-
truction de Jerusalem chez Jérémie, et le souvenir de l’Holocauste chez Celan), nous
les rapproche, en cette fin de millénaire où la logique du profit prime sur la survie de
l’environnement, et même de l’homme.
Les dix lieder se glissent entre les numéros des Lamentations, de telle façon que
l’on passe continuellement de la musique de Scarlatti à celle de Dazzi.
Le parcours du concert (dont la durée est d’environ une heure sans entracte)
nous révèle que les textes et a texture musicale de cette dernière entretiennent un lien
organique avec la musique des Lamentations de Jérémie, sans pour autant qu’il y ait
de retour au passé ou citation de style.
Les deux œuvres, au travers des affects qu’elles véhiculent, se regardent com-
me étant le miroir l’une de l’autre. Mais un regard distancié :
L’œuvre baroque reste, même dans son déchirement, liée aux splendides pro-
portions que lui impose son appartenance ; tout en employant les mêmes moyens
vocaux et instrumentaux, l’œuvre contemporaine reste imprégnée par la conscience
des horreurs de ce temps et ne peut que bégayer son cri de refus contre la barbarie.
Lichtzwang est dédiée à la mémoire des victime du génocide de Srebrenica.
__________________________________________________________________________________

136

Jonathan Dove
(1959– )
Royaume-Uni

Köthener-Messe
2002
pour soprano, alto, ténor et basse solistes, chœur mixte, 2 flûtes à bec alto, clavecin et cordes (mini-
mum 2.2.1.1.1)
17’

Akademie für Alte Musik Berlin – Köthen,1er septembre 2002


Commande des Köthener Bach Festtage

Peters EP 7658
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137
241

Andrew Downes
(1950– )
Royaume-Uni

Lost Love
1977
pour soprano, flûte à bec ténor (ou flûte traversière), viole de gambe (ou violoncelle), clavecin (ou
piano)
15’

Textes de Thomas Hardy

Musica Antiqua Soloists – Birmingham, mars 1978

Manuscrit
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138

Tan Dun
(1957– )
Chine (résidant aux USA)

A Sinking Love
1995
pour contre-ténor et consort de violes
6’

Texte en chinois de Li Po

Michael Chance (ct), Fretwork – Londres, 2 mai 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Schirmer
Virgin Classics 7243 5 45217 2 0

Note de programme :

Le matériau mélodique de A Sinking Love provient des six premières notes de


la Fantazia n° 8 de Purcell. La ligne vocale, bien que dérivée des intervalles de cette
phrase, est basée sur les propriétés mélodiques du texte chinois (en chinois, la signi-
fication d’un mot découle directement de l’intonation). Comme très souvent dans ses
œuvres, Tan Dun réfléchit ici sur le « contrepoint culturel » entre l’Est et l’Ouest et,
par la fusion des deux cultures, il aspire à la création d’un langage musical nouveau
qui ne soit strictement ni de l’Est ni de l’Ouest.
__________________________________________________________________________________

139
242

Pascal Dusapin
(1955– )
France

Medeamaterial
1991
pour solistes (soprano colorature, 2 sopranos, alto et haute-contre), voix enregistrées, chœur mixte (7
sop, 6 alt, 6 tén, 7 basses), orgue positif, clavecin et orchestre à cordes (6 vl I, 5 vl II, 4 vla, 4vcl et 2
cb)
60’

Texte extrait de Medeamaterial de Heiner Müller

La Chapelle Royale - Collegium Vocale de Gand (dir. Philippe Herreweghe) – Bruxelles, 13 mars 1992
Commande du Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles

Salabert 19133
Harmonia Mundi HCM 905215
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140

Thierry Escaich
(1965– )
France

Terra Dolorosa
2002
pour voix, cordes et continuo
9’40

Le Concert Spirituel – Paris, 27 mars 2002


Commande de Musique Nouvelle en Liberté

Manuscrit
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141

Philippe Fénelon
(1952– )
France

Dix-huit madrigaux
1996
pour 2 sopranos, haute-contre, 2 ténors, basse, trio à cordes et théorbe
75’

D’après les Duineser Elegien de rainer Maria Rilke

Ensemble Les Jeunes Solistes (dir. Rachid Safir), André Pons-Valdès (vl), Gille Deliège (vla), Elena
Andreyev (vcl), Caroline Delume (théorbe) – Festval d’Automne – Paris, 18 novembre 1996
243

Amphion A 621
Grave GRCD 10

Textes extraits de Fénelon (Philippe), Arrière-pensées : entretiens avec Laurent Feneyrou, Paris, Mu-
sica Falsa, 1997 :

Lorsqu’un ami m’a suggéré d’écrire une œuvre à partir des élégies de Rilke,
j’ai longuement hésité. Je n’avais pas lu ce texte depuis longtemps et lorsque je m’y
suis replongé, j’ai mesuré le travail compliqué que cela sous-entendait. Ce texte mo-
numental, l’un des plus importants du 20e siècle, œuvre emblématique de la poésie
allemande, est très dense, parfois difficile à déchiffrer, rempli de significations qu’il
faut décrypter.[…]
Je savais que Jean-Yves Masson, avec qui je travaillais depuis plusieurs années
sur Salammbô, était en train de terminer une nouvelle traduction de ces poèmes.
[…]
J’en ai donc parlé avec Masson, qui m’a donné à lire sa traduction ainsi que ses
notes préparatoires à la présentation qu’il a ajoutée dans l’édition définitive. Je dois
dire que ces pages m’ont beaucoup aidé et, d’ailleurs, il y a peu de traducteurs qui
aient aussi bien expliqué que lui les recoins de ces textes. […]
Dans un second temps, Masson m’a aidé à faire le choix des fragments que j’al-
lais utiliser afin de construire un parcours lisible pour l’auditeur. C’est ainsi qu’ont
été mis en lumière les principaux thèmes des élégies : les jeunes morts, les arbres,
l’enfant, les oiseaux, le héros, les étoiles et, bien entendu, l’Ange.[…]
[Le] geste de la Plainte se fait en deux moments, à la fin de l’œuvre, dans le
dix-septième madrigal, avec un hommage à un troubadour qui a vécu au XIIIe siècle,
et dans le dix-huitième, avec un dépouillement de plus en plus grand suggéré par un
vers de la dixième élégie : Wir waren ein grosses Geschlecht (Nous étions une grande
lignée).[…]
C’est à partir de la ligne mélodique [d’un Cansó de Raimon de Miraval] que
j’ai travaillé à cette idée de Plainte ancienne en opposition totale avec les mots de
Rilke qui écrit, au début de la dixième élégie, qu’il entonnera un chant d’allégresse
et de gloire lorsqu’il sortira de la vision furieuse — celle de l’Ange. La réalisation
évidente, banale, aurait été de faire correspondre aux mots de Rilke une musique
brillante, éclatante et fortissimo. J’ai choisi d’écrire là un moment musical d’un ex-
trême recueillement avec une nuance pianissimo d’un bout à l’autre du madrigal,
à peine interrompue par un mezzo piano qui dure une mesure. Une seule phrase, à
peine développée, presque monodique avec de nombreuses doublures aux voix —
[…] il n’y en a que six —, et des unissons se défont ou se rejoignent par des proxi-
mités qui, dans cette nuance, ne choquent pas du tout l’oreille. Ainsi les dissonances
deviennent consonances. C’est le moment peut-être le plus intense de toute l’œuvre
et, dans la forme que prend l’ensemble, il signifie, je crois, beaucoup d’émotion.
Dans la version intégrale des Dix-huit Madrigaux, la structure trouve ici son point
culminant.
Le second geste de la Plainte a lieu immédiatement après. […] J’ai hésité long-
temps — les esquisses de ce dernier madrigal sont là pour le montrer ! —, avant
d’arriver à la conclusion que, à cet endroit-là, la musique devait se défaire, et que ce
qui devait être entendu devait être une sorte de poussière musicale, quelque chose
d’à peine prononcé, ou d’à peine chanté. […] Je ne pouvais pas terminer par une
musique joyeuse.[…]

À l’origine de ce projet, il y avait la volonté d’essayer d’associer, sans rupture


trop radicale, des voix plutôt habituées à chanter le répertoire baroque à des sonorité
244

d’instruments anciens qui seraient traités sous un angle éventuellement contempo-


rain. Enfin, c’était l’idée de départ, mais, peu à peu, il est apparu clairement que
l’ensemble vocal et les quatre instruments devraient être mis sur le même plan, et
que la préoccupation fondamentale serait de trouver un type d’expression commun.
En cela, il fallait encore plus l’association baroque-contemporain et jouer à fond
ce retour aux sources pour mieux approfondir les éléments utilisés. À l’opposé de
toutes mes autres œuvres, c’est sur le vide que cela a agi, sur la distance qui s’est
établie entre la forme précisément choisie du madrigal et le moyen par lequel il
fallait rendre le sens d’un texte qui ne serait jamais laissé en retrait. Toute l’œuvre
procède d’une très grande clarté de lecture, et, à l’audition, cette rigueur d’écriture
donne une direction encore plus nette au but recherché. Les timbres des voix, les mé-
langes et l’élaboration des enchaînements se mêlent dans la plus grande variété, tout
en montrant que l’on pourrait varier encore plus, à l’infini, avec si peu de moyens.
Je n’ai pas utilisé toutes les combinaisons possibles pour conserver une écoute libre
de la musique, dans le sens où le matériau n’est pas étouffé par des répétitions qui
deviendraient fastidieuses.

Après avoir lu les pièces pour théorbe de Kapsberger, j’ai commencé à écrire
avec des grilles selon un code proche de celui que l’on aurait pu utiliser à son époque.
C’était plus par jeu intellectuel que par nécessité. Finalement, cela allait contre la
simplicité à laquelle je prétendais et je suis donc revenu à une écriture moderne pour
faciliter la lecture. Le trio à cordes est défini comme baroque essentiellement par son
timbre spécifique. Les cordes des instruments sont en boyau ; il n’y a donc pas cette
dureté et cette acidité de son que donnent parfois des instruments modernes.
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142

Christopher Fox
(1955– )
Royaume-Uni

Missa est
1983
pour contre-ténor, ténor, 4 violes, rebec, flûte à bec, orgue et clochettes
26’

Landini Consort – York Early Music Festival, 14 juillet 1983


Commande du Landini Consort

Manuscrit
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143
245

Peter Racine Fricker


(1920–1990)
Royaume-Uni

Elegy : The Tomb of Saint-Eulalia


1955
Pour haute-contre, viole de gambe et clavecin
9’

Livret extrait de l’ Hymnus in Honorem Passionis Eulaliae Beatissimae Martyris

Alfred Deller (ct), Desmond Dupré (vdg), Malcolm (clav) – Londres, 21 septembre 1955
Écrit pour Alfred Deller

Schott
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144

Peter Racine Fricker


(1920–1990)
Royaume-Uni

In Commendation of Music
1980
pour soprano, flûte à bec, viole de gambe et clavecin
10’

Texte de William Strode

Stour Festival – Boughton Aluph, 25 juin 1980


À la mémoire d’Alfred Deller

Manuscrit
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145

Gérard Garcin
(1947– )
France

La ultima puerta ou le dernier combat de Clorinde


Opéra
1987
pour soprano, mezzo soprano, contre-ténor, baryton, quintette à cordes, clavecin, luth jouant chitar-
rone, clarinette jouant clarinette basse, percussion, bande
90’

Textes de Isabel Garcia-Velez, Torquato Tasso, Pierre Barrat (adaptation)


246

Sylvie Louche (sop), Esperanza Abad (mezz), Jean Nirouet (ct), Hervé Lamy (tén), Laurent Bajou
(bar), Jésus Villa-Rojo (clar), Llorenç Barber (perc), Matthias Spaeter (chitarrone, luth), Ensemble
Stradivaria (dir. Mirella Giardelli) – Colmar, 15 octobre 1987
Commande de l’Atelier Lyrique du Rhin

Manuscrit
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146

Frans Geysen
(1936– )
Belgique

De lange tijd
1975
pour 3 flûtes à bec ténor, 3 violes de gambe (dessus, alto, ténor) et 3 vièles (dessus, alto, ténor)
7’

Écrit pour le Huelgas Ensemble (dir. Paul van Nevel)

Manuscrit
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147

Bruno Gillet
(1936– )
France

Cantata breve
1980
pour voix de haute-contre, flûte à bec (ténor et basse), dessus de viole, luth
7’45

Texte extrait de Luc VIII, 36–50

Créé par Alain Zaepffel (haute-contre)


Dédié à Alain Zaepffel

Les Cahiers du Tourdion 9661


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148
247

Elias Gistelinck
(1935–2005)
Belgique

Méditation pour le Carême


2001
pour soprano, 2 violons baroques, alto baroque et violoncelle baroque (ou ensemble à cordes)
7’

Texte extrait d’Isaïe XXXVIII, 14–17

Le Concert Spirituel (dir. Hervé Niquet) – épinal, 27 mars 2002


Commande de Musique Nouvelle en Liberté
Dédié à Hervé Niquet et éric Willaert

Manuscrit
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149

Alexander Goehr
(1932– )
Allemagne, résidant au Royaume-Uni

3 Sonnets & 2 Fantasias


2000
pour contre-ténor et consort de violes : soprano, 2 ténors et basse de viole
15’

Sur des sonnets de William Shakespeare

Michael Chance (ct), Fretwork – Cheltenham, 1er juillet 2000


Commande du Cheltenham Festival

Schott
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150

Klaus Huber
(1924– )
Suisse

…Ausgespannt…
1972
pour baryton, cinq groupes instrumentaux (vla, vdg,guit, harp, cb, perc – 3 clar, 3 vl – 3 fl, 3 vla – 3
cors, 3 vcl, – htb, bsn, tr,timb), récitant, bande et orgue
20’

Texte du compositeur d’après Saint Jean de la Croix, Job, Joachim de Fiore, Quirinius Kuhlmann,
Teilhard de Chardin
248

Berne, 1972

Schott
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151

Wynn Hunt
(1910–1988)
Royaume-Uni

Two Songs
I : As a Perfume – II : Song
1978
pour voix haute et violes

Manuscrit
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152

Betsy Jolas
(1926– )
France

Motet III
Hunc igitur terrorem
1999
pour 2 sopranos, 2 ténors, baryton, chœur mixte (SATB), piccolo, flûte, 2 hautbois, 2 bassons, 2 trom-
pettes (in C - in Es), trombone ténor, timbales, orgue, théorbe, 8 violons, 5 altos, 4 violoncelles, viole
de gambe, 2 contrebasses
34’

Texte d’après le De rerum natura de Lucrèce

Les Arts Florissants (dir. William Christie) – Luxembourg, 1999


Commande de Radio France pour le vingtième anniversaire des Arts Florissants

Billaudot GB6723 O

Note de programme :

Tout est parti de l’idée magnifique, et certes audacieuse, de William Christie, de me


demander de célébrer avec ses musiciens, mais en toute liberté, les vingt ans des Arts Flo-
rissants. Radio France, également séduite par l’idée, s’est associée à ce projet. Je rêvais déjà
d’instruments anciens, diapasons et tempéraments étranges et songeais bientôt à un grand
motet sur texte latin pour solistes, chœur et orchestre, lorsqu’à ce projet la date de création
retenue vint suggérer des prolongements inattendus.

Décembre 1999 ! C’était l’hiver, c’était Noël. C’était aussi, et surtout, la fin prochaine,
non seulement de l’année, mais de tout un millénaire, celle d’un grand pan de notre mon-
de...

Saisie de vertige, je cherchai alors le texte «cosmogonique» sur lequel m’appuyer.


249

Après bien des hésitations, mon choix se porta sur le célèbre De rerum natura du grand poète
latin Lucrèce, pour moi une découverte fulgurante, dont je tirai modestement un livret en
trois parties et un titre «à l’ancienne» à partir de l’exorde trois fois répété :

Hunc igitur terrorem animi tenebra que necesses... (livre I 146-148)


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153

Andrew Keeling
(1955– )
Royaume-Uni

With how Sad steps, O moon


2000
pour mezzo, flûte Renaissance, basse de viole et luth
6’

Texte de Sir Philip Sidney

Virelai - Radlovica Festival (Slovénie), août 2000


Dédié à l’ensemble Virelai

Manuscrit
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154

Jacques Lenot
(1945– )
France

Stabat Mater
1983
pour 2 hautes contre, ténor, baryton, basse, viole de gambe alto, 2 basses de viole, saqueboute et orgue
positif
45’

Salabert EAS 18020


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155

Thomas K.J. Mejer


(1961– )
Suisse

Barockengel im Schuss
2001
pour contre-ténor, violon et viole de gambe
8’

Édition Musicale Suisse 3440


250

156

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Hymn to Christ the Saviour


1991
pour soprano, 2 ténors et basse
17’

Texte de Saint-Clément d’Alexandrie

Red Byrd et The Rose Consort of Viols – Londres, 7 février 1993

Manuscrit
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157

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Revelation
1995
pour narrateur, chœur d’hommes, 2 violes, 2 saqueboutes, orgue de chambre
60’

Texte extrait de l’Apocalypse et des matines orthodoxes du Jugement Dernier

Taverner Consort (dir. Andrew Parrott)– Londres, 23 novembre 1995


Dédié à Yannis Ifantis

Note de programme :

Le mot grec « apokálypsis » signifie « révélation », et c’est parce que le mot


« apocalypse » en anglais d’auourd’hui tend à seulement suggérer des images de
destruction que j’ai préféré appeler cette œuvre Revelation. Les Apocalypses, à la
fois pour les chrétiens et les pré-chrétiens, étaient des œuvres écrites par des vision-
naires, portant un message prophétique ou moral dans un langage symbolique très
riche. Bien que la nature même d’une Apocalypse demande un changement soudain,
catastrophique, en vue de modifier une situation existante dans laquelle le mal est
prédominant (et là un parallèle peut être fait avec la catharsis de la tragédie de la
Grèce antique), un tel changement est le précurseur d’un nouveau et glorieux âge, et
le message final est consolant et plein d’espoir.
C’est cet aspect positif, et même joyeux, de l’Apocalypse que je me suis efforcé
de mettre en avant : le christianisme Orthodoxe dit que nous ne pouvons pas savoir
ce qui arrivera après la mort, et de la même manière nous ne pouvons pas savoir ce
qui se passera à la fin des temps. L’Apocalypse de Saint-Jean est une expérience
mystique, très personnelle et chargée d’un symbolisme de son temps, et n’a donc
pas été acceptée facilement dans le canon biblique ; il serait imprudent de prendre
chaque mot littéralement. Ce qui résonne au travers de l’Apocalypse, pourtant, c’est
le message d’espoir : « Sûrement, je viens bientôt. Viens quand même, Seigneur Jé-
251

sus ». J’ai insisté sur sur ce message en préfaçant la partition avec un poème du poète
grec Yannis Ifantis, à qui est dédiée cette œuvre :

Dans la plupart des hommes tu te vois


toi-même « comme dans une vitre profondément. » Presque toujours
devant toi, une étroite fenêtre, fêlée ou trouble, se tient
ou passe. Et je pense que la présence de Dieu
ou, comme ils disent, le Jour du Jugement, pourrait n’être
rien de plus
qu’un clair, grand miroir où tu pourrais te voir toi-même
de la tête aux pieds, et te réjouir
dans l’essence de ta présence avec la clarté du crystal.

Ce clair et grand miroir, peut-on supposer, montre le négatif aussi bien que le
positif – donc aussi les prières de pitié que j’ai incorporées dans le texte, extraites
des Matines du Dimanche du Jugement Dernier, célébré dans l’église Orthodoxe
deux semaines avant le début du Carême. Structurellement, Revelation est divisé
en quatre parties. La première, « Proclamation de l’ Apocalypse », utilise le texte
du début du livre de l’Apocalypse décrivant en termes symboliques la majesté du
Seigneur, l’Alpha et l’Oméga. La seconde partie, qui commence avec le texte des
Matines du Dimanche du Jugement Dernier, est appelée « La Bataille – Guerre dans
les Cieux », une bataille qui est décrite par le narrateur, utilisant l’imagerie gran-
diose de Saint Jean, et par le groupe instrumental (plus précisément ,l’orgue). «La
Victoire », troisième partie, est de la même manière transmise par le narrateur et les
instruments, qui s’engagent dans une série de dialogues utilisant le matériau musical
de la deuxième partie, culminant dans une section hétérophonique qui ne rassemble
tout les instruments qu’à la fin. La quatrième partie, « épilogue », rappelle la mu-
sique du début de l’oeuvre, l’Alpha et l’Oméga, en suivant la structure du livre de
l’Apocalypse, et finit avec les magnifiques paroles finales de Saint Jean, en anglais
et en grec :
« L’Esprit et l’Epouse disent : « Viens ! » Que celui qui entend dise : « Viens
! » Et que l’homme assoiffé s ‘approche, que celui qui veut reçoive l’eau de vie,
gratuitement. Celui qui atteste ces choses dit : Oui, je Vien bientôt. Amen ! Viens,
Seigneur Jésus ! »
Le livre de l’Apocalypse me semble éternellement contemporain, et éternelle-
ment plein d’espoir.
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158

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

John in the Desert


1996
pour contre-ténor, chœur mixte (SATB), consort de violes
10’

Sur un poème de Yannis Ifantis


252

Michael Chance, chœur et ensemble sous la direction d’Ivan Moody – Prokopi (Grèce), 31 août

Manuscrit
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159

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

O Taphos
1996
pour contre-ténor et consort de violes
20’

Texte de Kostas Palamas (en grec)

Commande de Fretwork

Manuscrit
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160

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

Music for Diálogo das Compensadas


2003
pour contralto et consort de violes (sop, 2 basses, violone)
25’

Texte extrait de Marc XI, 15 (en grec)

Grupo Diálogo (dir. Ivan Moody) – Lisbonne, 26 février 2003 (enr.)


Commande de la compagnie de théâtre Fatias de Cá pour la pièce Diálogo das Compensadas de João
Aguiar

Manuscrit
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161
253

Ivan Moody
(1964– )
Royaume-Uni

The Dormition of the Virgin


2003
pour soprano, ténor et basse, chœur, 2 cornetti (ou trompettes) et cordes
45’

Textes extraits des Transitus Mariæ, des matines de la Dormition et d’autres sources liturgiques

Micaela Haslam (sop), Robert Johnston (tén), Steohen Charlesworth (basse), BBC Singers, St James
Baroque (dor. Stephen Layton) – Londres, 21 mai 2004
Commande de la BBC pour les BBC Singers

Manuscrit
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162

Thea Musgrave
(1928– )
Royaume-Uni

Wild Winter
Lamentations for voices and viols
1993
pour 4 voix solistes (sop, alt, ten, basse) et consort de violes : 2 sopranos, ténor et 2 basses
19’

Assemblage de textes de Owen, Lorca, Crane, Hugo, Pouchkine, Pétrarque, Trakl

Red Byrd, Fretwork – Lichfield Festival, 16 Juillet 1993


Commande du Lichfield Festival

Novello
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163

Thea Musgrave
(1928– )
Royaume-Uni

Journey into Light


2004
pour soprano et orchestre baroque : 2 hautbois (et cors anglais), basson, 2 cors naturels et cordes
15’

Textes de William Dunbar et anonyme du 16e siècle


254

Carolyn Sampson (sop), The Academy of Ancient Music (dir. Paul Goodwin) – Southampton, 25 mai
2006
Commande de The Academy of Ancient Music à l’occasion du 250e anniversaire de la naissance de
Wolfgang Amadeus Mozart.

Novello
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164

Jesper Nordin
(1971– )
Suède

Ash-Wednesday IV
1996–99
pour soprano, flûte-à-bec, clavecin, luth et violoncelle baroque
10’

Susanne Rydén (sop), étudiants du Collegium Musicum au Royal College of Music de Stockholm –
Stockholm, 1999

Manuscrit
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165

Michael Nyman
(1944– )
Royaume-Uni

Self-laudatory hymn of Inanna and her omnipotence


1992
pour contre-ténor et consort de violes
18’

Texte extrait de l’anthologie éditée par James B. Pritchard Ancient Near Eastern Texts Relating to the
Old Testament

James Bowman (ct), Fretwork – Londres, 6 novembre 1992


Commande du Spitalfields Festival

Chester 60680
Argo (Decca) 440282-2.

Note de programme :

Occasionnellement, et le plus agréablement, un texte découvert par chance —


comme celui de Self laudatory hymn of Inanna and her omnipotence — devient non
seulement la base d’une œuvre vocale mais ouvre aussi une aire d’activité intellec-
tuelle qui m’était auparavant inconnue. Ainsi la critique dans un journal de The man
255

who mistook his wife for a Hat, de Oliver Sacks, mena tout d’abord à un opéra puis
à un intérêt pour la neurologie et les champs scientifiques (à la mode) en rapport ,
tels que l’ouvrage de Stephen Jay Gould, La malmesure de l’Homme, qui constitue
le point de départ de mon opéra Vital Statistics. De la même façon, une référence
d’un ami à Paul Celan a conduit à mes Six Celan Songs et à une étude approfondie
et continue de sa poésie.
Le texte de Self-laudatory hymn fut mis au jour alors que je regardais dans
les étagères d’un arménien de ma connaissance, à Paris en février 1992. Ouvrant,
sans raison apparente, une épaisse anthologie intitulée Ancient Near Eastern Texts
Relating to the Old Testament, je trouvai la traduction de Samuel Noah Kramer de
ce texte. J’ai été immédiatement pris par ce ton sans honte d’une rare auto-satisfac-
tion (très bien adaptée, pensai-je, à la voix de James Bowman) et par sa structure
répétitive (très bien adaptée à ma musique — bien que dans la section finale de mon
œuvre, la liste triomphante des temples sous le contrôle d’Inanna soit exprimée au
travers de la diversité des cadences plutôt que de l’uniformité).
Une conversation bienvenue avec un autre ami m’apprit que Inanna n’était pas
une obscure déesse connue seulement de moi-même et de quelques experts en ci-
vilisation sumérienne mais qu’elle était une figure centrale de cette civilisation et
(aujourd’hui) une figure hautement estimée des féministes. Selon Kramer : « Les
divinités féminines étaient vénérées et adorées tout au long de l’histoire de Sumer…
mais la déesse qui a surpassé, éclipsé et survécu à toutes les autres était une divinité
connue des sumériens sous le nom d’Inanna, Reine du Ciel, et par les sémites vivant
à Sumer, sous le nom d’Ishtar. Inanna a joué un plus grand rôle dans les mythes,
récits épiques et hymnes que n’importe quelle autre divinité, autant masculine que
féminine.
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166

Maurice Ohana
(1913–1992)
France

Nuit de Pouchkine
1990
pour haute-contre, 12 voix mixtes et viole de gambe
7’20

Texte de Alexandre Pouchkine

Musicatreize (dir. Roland Hayrabedian), Marc Pontus (ct), Sylvie Mocquet (vdg) – Leningrad, novem-
bre 1990
Dédié « à mes amis de Musicatreize »

Billaudot
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167
256

Brice Pauset
(1965– )
France

Vanités
2000
pour haute-contre, clavecin, théorbe, 2 violons, alto, violoncelle, violone
25’

Textes de divers auteurs (Montaigne, d’Holbach, Meslier …)

Il Seminario Musicale (dir. Gérard Lesne) – Festival « Voix Nouvelles » - Abbaye de Royaumont,
30 septembre 2000

Lemoine

Note de programme :

Le titre du recueil fait explicitement allusion à la forme picturale, très en vogue


dans les Flandres baroques de la première moitié du XVIIe siècle.

Le recueil rassemble pour l’instant (septembre 2000) treize pièces de durées


variables, plutôt orientées vers la miniature : la plus longue n’excède pas quatre mi-
nutes, quant à la plus courte, ses dix secondes la confinent à l’aphorisme. Le cycle
complet, une fois achevé, comptera vingt-cinq pièces et adjoindra à l’ensemble de
ce soir quatre clavecins répartis autour du public, ainsi qu’une soprano en écho du
haute-contre, elle-même également placée en dehors de la scène.

Les vanités baroques flamandes installent un rapport subtil entre l’objet perçu
(un verre renversé, un fruit gâté, un ouvrage de géométrie...) et ses sous-entendus
symboliques ou métaphoriques. Ce type de rapport est au centre de mon recueil : un
geste musical écrit aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, est souvent le symptôme
d’une évocation rhétorique jadis codifiée. A l’heure où l’ensemble du passé est in-
tensivement consommé, la concomitance d’une musique nouvellement composée
et d’arrières-plans historiques lointains ou non implique que l’écriture prenne en
charge d’une manière ou d’une autre cette connivence particulière. En outre, l’usage
d’instruments anciens, assez nettement situés historiquement, aiguille l’écriture et
l’écoute à travers un réseau de références plus ténu que ne le permettraient leurs
équivalents modernes.

De même que certaines formes musicales récurrentes émaillent le cycle entier,


certains auteurs apparaîtront périodiquement : des réflexions lues chez Montaigne
soutiendront les échos de chorals hiératiques. Ailleurs, tant du point de vue du texte
que du point de vue musical, «des cas particuliers» traiteront de sujets s’écartant très
légèrement de la sphère propre aux vanités : le couple mélancolie-géométrie notam-
ment, qui a nourri une vaste littérature spéculative ainsi qu’une riche iconographie,
et évoqué par le pseudo-Aristote des Problèmes, Alain de Lisle, ou le décadent Pro-
257

perce. Ailleurs encore, c’est vers les utopies que le modèle des vanités dirigeront
leurs sous-entendus : celles en particulier des philosophes matérialistes français du
XVIIIe siècle (d’Holbach et Meslier) dont le projet (des hommes - et des femmes -
sans préjugés) nous fait aujourd’hui tant défaut.

La forme aphoristique évoque immanquablement la polémique critique dont elle


constitue encore la munition. En l’occurrence, mon cycle de Vanités représente éga-
lement une sorte d’état des lieux de mes positions critiques sur le terrain de la théorie
esthétique. Il me semble d’ailleurs qu’en la matière, les points de vue réactionnaires
disponibles en ce moment constituent une collection presque infinie : de la croyance
obscurantiste tenace prônant à tout prix la «lisibilité» du texte chanté - voire du texte
musical tout court - (que penser alors des Ballades de Ciconia, de la Messe en si, ou
du Pierrot lunaire ?), à l’usage de formes du passé imitées servilement sans recours
aucun à une quelconque médiation critique (pseudo-Dufay ou crypto-Gesualdo em-
ballé sous vide), en passant par d’obscurs critères de rentabilité dictant à la notation
de la musique une «efficacité» par ailleurs illusoire, efficacité qui obscurcit autant les
intentions réelles du compositeur, qu’elle met en lumière le déficit de connaissance
théorique et historique des sectateurs. Notons en passant que les héritiers de l’avant-
garde ne sont nullement à l’abri de telles postures réactionnaires.

Pour en finir, de même que dans les vanités de Willem Kalf, où un rayon de lu-
mière fait se détacher la préciosité des objets du noir le plus profond, les nuances les
plus restreintes de cette pièce - quelquefois à l’orée du silence - seront les conditions
critiques de l’écoute des détails les plus ciselés.

J’espère faire écouter une musique qui soit en perspective critique avec elle-
même, dans laquelle les figures mises en tension pourraient autant être considérées
comme le vocabulaire propre à cette œuvre, que comme les émergences conscientes
du lexique légué par l’histoire.
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168

Thierry Pécou
(1965– )
France

Le Tombeau de Marc-Antoine Charpentier


1995
pour 3 chœurs à voix égales, voix mixtes, orgue baroque, positif, et basse de viole

Texte de Pierre Essartier

Les Pages de la Chapelle, Maîtrise de Radio-France, Petits chanteurs de Versailles, Elisabeth Matiffa
(vdg), Frédéric Désenclos (positif), Olivier Latry (orgue) – Chapelle Royale de Versailles, 19 novembre
1995
Commande du Conseil général des Yvelines, à l’occasion de l’inauguration de l’orgue de la Chapelle
Royale de Versailles

Ricordi

Note de Pierre Essartier :


258

Ce tombeau sonore est élaboré spécialement à la manière des monuments funéraires


baroques, qu’ils fussent occasionnels ou « in æternum » comme les tombeaux des grands
hommes après la Contre-Réforme.

Longtemps avant d’entreprendre ce projet, j’avais été impressionné par les tombes mo-
numentales dont l’Italie regorge, rendant hommage à ces princes, ses papes ou ses artistes ;
Que dire de ces déploiements d’ailes et de voiles de marbre polychromes, de ces bronzez do-
rés des statues, squelettes et autres figures de Thanatos plus terrifiants que remplis d’espoirs
! Et si un limonaire-deus-ex-machina animait ces marionnettes pétrifiées ?…

Aussi, j’ai imaginé le déploiement d’un tombeau musical pour MA Charpentier dans la
Chapelle Royale du Château de Versailles où l’orgue serait la couronne lumineuse du monu-
ment, le chœur du parterre à l’image d’une dalle mortuaire qui se soulève pour faire entendre
la Voix de l’Ombre de Marc-Antoine ou celle de sa grande créature lyrique Médée.

Sur les tribunes latérales dialoguent en vis-à-vis les allégories sonores d’œuvres de
Charpentier (Arts florissants, Lettres hébraïques) déplorant sa mort sur Terre, et espérant le
retrouver Au-delà dans l’harmonie des sphères ; ceci après avoir découvert le concert des An-
ges et avoir souffert mille morts sous les quolibets des sorciers de Médée – à cette occasion,
les anges se feront une joie de devenir démons…

Le livret de la fable allégorique suit le canevas de l’humoristique mais néanmoins sin-


cère épitaphe sur sa propre mort que Charpentier nous a léguée. A notre tour de rendre à ce
grand musicien français sa lumière originelle, lumière que l’implacable Lully faisait vaciller
de son tyrannique flambeau.

Alors, « Tacete Socii »

MA Charpentier… In Aeternum
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169

Thierry Pécou
(1965– )
France

La ville des Césars


Opéra polyphonique de chambre
2000
pour 7 chanteurs, voix indigène, basse de viole, violoncelle et percussions
90’

Livret sur un poème épique de Pablo Neruda

Les Jeunes Solistes (dir. Rachid Safir) – Lieu, Date de création


Première partie : commande de la Fondation Royaumont ; deuxième et troisième parties : commande
d’état
Dédié à Rachid Safir et à l’ensemble Les Jeunes Solistes

Éditions Musicales Européennes

Note de programme :
259

Relevant une évidente proximité entre les philosophies indigènes et la pensée


de Neruda, il m’est venu l’idée d’associer au poème l’univers musical des commu-
nautés indiennes de diverses régions andines. Le souffle épique, voire tragique qui
émane d’une lecture traditionnelle du poème s’efface souvent, dans mon œuvre, au
profit d’une atmosphère festive propre aux grandes manifestations rituelles encore
vivantes aujourd’hui dans la Cordillère, ou au contraire se fond au décor intime des
tâches ritualisées de la vie quotidienne.
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170

Thierry Pécou
(1965– )
France

Mouez ar Mor
2000
pour narrateur, clarinette et viole de gambe solistes, petit chœur de femmes et orchestre
48’

Sur un texte de Olivier McCannon

Ensemble Zellig, Orchestre de Bretagne – Rencontres Musicales de Pont L’Abbé, juillet 2000

Éditions Musicales Européennes


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171

Thierry Pécou
(1965– )
France

Le lointain et étrange voyage


pour chœur mixte et basse de viole
10’

Texte de Luis de Camões

Éditions Musicales Européennes


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172
260

François Rossé
(1945– )
France

OEM
1987
pour soprano, cor anglais, saxophone (basse, soprano), basse de viole, guitare jazz, clavecin, accor-
déon, dispositif électroacoustique
22’

Ensemble 2E2M (dir. Paul Mefano), élisabeth Matiffa (vdg) – Paris, 1988
Commande d’état

Manuscrit

Note de programme :

Trois flash sur « Oem »

anche double (cor anglais), anche simple (saxophone), anche libre aéré méca-
niquement (accordéon) ; corde frottée (basse de viole), corde pincée (guitare), corde
pincée mécaniquement (clavecin) et la voix ?
… instrument à vent sur cordes vocales… fonctionnement dans une certaine
mesure assez proche de l’accordéon…

sonorités globalement très « anchées » dans un petit attroupement instrumental


légèrement insolent ?
… un vœu baroque ?

il y a en musique, semble-t-il un filament dont le style (dans sa notation fon-


damentalement discontinue et fixatrice) n’est sans doute qu’un bref avatar d’un
épanouissement sans cesse bourgeonnant et insaisissable (sauf dans le silence de
l’écoute)…

… l’œuvre déshabillée vous souhaite une bonne rencontre…


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173

François Rossé
(1945– )
France

Our
1995
pour voix de soprano, 2 violons baroques, basse de viole, clavecin, positif
12’

Dédié à Martin Gester

Manuscrit
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174
261

Norbert Rosseau
(1907–1975)
Belgique

Leis van de Herder


1973
pour contre-ténor, flûte à bec et 3 violes de gambes (dessus, alto, basse)
5’30

Texte de Gery Helderenberg

Dédié au Huelgas Ensemble (dir. Paul van Nevel)

Manuscrit
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175

Dmitri Smirnov
(1948– )
Russie

The Lamb
1995
pour contre-ténor et consort de violes
6’

Texte de William Blake

Michael Chance (ct), Fretwork – Londres, 2 mai 1995


Commande du South Bank Centre de Londres, à l’occasion des célébrations pour le tricentenaire de la
mort de Henry Purcell

Boosey & Hawkes


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176

John Tavener
(1944– )
Royaume-Uni

Eternity’s Sunrise
1998
pour soprano et orchestre baroque : fl, htb, clochettes,
11’

Textes de William Blake

Commande de The Academy of Ancient Music pour les 25 ans de l’ensemble

Chester CH61462
262

Harmonia Mundi USA 907231

Note du disque :

« J’ai été fait à l’image de Dieu, mais je ne l’ai pas préservée ; le Seigneur vit
dans ma chair, afin de sauver l’image et de rendre la chair immortelle. »

Saint Grégoire de Nazianze

Les premières idées de Eternity Sunrise (Les limbes de l’éternité) me sont ve-
nues en janvier 1997, peu après le décès de mon père. J’ai repris ces mêmes idées en
septembre de la même année, à la suite de la commande que l’Academy of Ancient
Music m’a faite peu après la mort de Diana, princesse de Galles. Il n’existe pas d’ac-
cident ni de coïncidence, et j’ai donc dédié ma pièce à la mémoire de la princesse.
L’idée d’une soprano solo (représentant la terre) au niveau inférieur, de clo-
chettes représentant les anges) à un niveau intermédiaire et de l’ensemble baroque
(représentant le ciel) au niveau supérieur convenait exactement au texte de Blake,
que j’avais décidé de mettre en musique. Quand on regarde les choses comme elles
sont vraiment, la terre est un miroir du Monde éternel, quand on regarde bien, il est
possible de vivre en ce monde dans les limbes de l’éternité. Dieu n’existe pas dans
le monde, mais dans le même temps Il s’y reflète, lui donnant sa forme et sa struc-
ture. La musique devrait être jouée avec une joie tranquille, semblable à une journée
ensoleillée et calme, pleine de douceur, rayonnante.
__________________________________________________________________________________

177

John Tavener
(1944– )
Royaume-Uni

Nipson
1998
pour contre-ténor et consort de violes : 2 soprano, 2 ténors, basse de viole
20’

Michael Chance (ct), Fretwork – Norwich Cathedral, 20 octobre 1999


Commande de la BBC

Chester CH61645
Harmonia Mundi USA 907285

Note de programme :

Nipson est écrit pour consort de violes et contre-ténor. La musique est com-
posée de six sections, la première et la dernière portant les mots d’un palindrome
Byzantin gravé sur une fontaine publique de Constantinople :

NIPSON ANOMEEMATA MEE MONAN OPSIN

Nipson est aussi une icône de gloire et de repentance. Le concept de silence


intérieur est présent tout du long, tandis que le compositeur contemple ses péchés,
qu’ils soient volontaires ou involontaire, manifestes ou cachés. « Aie pitié de moi,
263

mon Dieu, aie pitié de moi…»


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178

John Tavener
(1944– )
Royaume-Uni

Total Eclipse
1998
pour contre-ténor et ténor solistes, chœur mixte, saxophone et orchestre
40’

Textes extraits des évangiles et compilés par Mère Thekla

John Harle (sax), Christopher Robson (ct), James Gilchrist (ten), Choir of New College (Oxford), The
Academy of Ancient Music – Londres, 20 juin 2000
Commande de Keating Chambers

Chester CH61748
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179

John Tavener
(1944– )
Royaume-Uni

Apokatastasis
1999
pour contre-ténor, bols tibétains et consort de violes
3’

Auteur du livret

Michael Chance (ct), Fretwork – Londre, 4 octobre 2000


Composé pour Michael Chance et l’ensemble Fretwork

Chester CH61767
Harmonia Mundi USA 907285

Note de programme :

Toute âme est conduite par un soif d’absolu… le rétablissement de toute cho-
se… les âmes après la mort passent par de nombreuses éternités… mariage d’agape
et d’eros… l’état d’existence universelle… un abysse de joie et d’extase.
Le mot grec Apokatastasis signifie « un état spirituel d’extase ». La musique
doit être interprétée avec une extase et une joie irrépressibles. J’ai écrit Apokatasta-
sis pour Fretwork et Michael Chance.
__________________________________________________________________________________

180
264

John Tavener
(1944– )
Royaume-Uni

The Hidden Face


1996 (2e version: 2000)
première version : pour contre-ténor, hautbois et cordes ; deuxième version : pour contre-ténor, haut-
bois et consort de violes
15’

Michael Chance (ct), Nicholas Daniel (htb), Fretwork – Londres, 2000

Chester 61250 pour la version pour cordes


Harmonia Mundi USA 907285 (version avec violes)

Note de programme :

The Hidden Face est une prière pour contre-ténor solo, hautbois, et un groupe
lointain de violons et altos avec sourdines. On a essayé d’y introduire toute une
tradition sans rien de personnel ou d’idiosyncrasique, comme une icône peinte, bien
que ce soit un rude défi pour un compositeur travaillant à la fin du 20e siècle. Il était
une fois une musique qui n’était pas intéressante à la manière dont est intéressante
presque toute la musique occidentale depuis le début du Moyen-Âge. Pour être inté-
ressante, dans le sens occidental moderne, elle ne doit pas seulement être créée, mais
rendue même encore plus intéressante par « le tyran obscène, l’ego ».
La prière, dans l’Est orthodoxe, vient du cœur. L’esprit doit la mettre dans le
cœur. Nous prions secrètement, un secret même pour nous-même, puisque seule la
Présence Divine sait ce qui est dans nos cœurs, et cela suggère une musique d’une
même humilité, enveloppée de silence intérieur et de tranquillité dont on n’a pas
idée.
Le Paradis était fait de paix, et Adam pouvait ainsi entendre la Voix Divine.
Cela est presque impossible aujourd’hui. Nous avons à nous débarrasser de tout dé-
chet appris, intellectuel, sophistiqué, et aussi de la connaissance préconçue de Dieu
que l’homme moderne a si désastreusement collectée, et à écouter avec un cœur
devenu si doux que le Visage n’est plus caché.
Mais nous n’en sommes encore qu’au début, le titre reste donc The Hidden
Face.
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Catalogue des œuvres:
Classement par compositeur

N.B.: Les numéros renvoient aux fiche du classement par effectifs.

013 Adaskin, Murray Two Pieces vdg solo


072 Arcuri, Serge Les mécaniques célestes ensemble
072 Argent, Mark Quintet ensemble
074 Armstrong, John Gordon In Three ensemble
075 Bäck, Sven-Erik Nocturne ensemble
034 Bainbridge, Simon Kinneret Pulses consort
035 Bainbridge, Simon Henry’s Mobile consort
036 Barrell, Joyce Dialogues ensemble
077 Barrell, Joyce Trio ensemble
076 Barrell, Joyce Two dreams consort
078 Bartholomée, Pierre Le Tombeau de Marin Marais ensemble
118 Beamish, Sally In dreaming vocal
037 Beck, Conrad Dialogue consort
079 Becker, Dan Tamper Resistant ensemble
119 Beckwith, John Les premiers hivernements vocal
107 Bedford, David Like a Strand of Scarlett orch. bar.
120 Benjamin, George Upon Silence vocal
121 Benjamin, Thomas Love (?) Song vocal
122 Benjamin, Thomas Cinquains vocal
123 Berkeley, Lennox Una and the Lion vocal
124 Birtwistle, Harrison Three Poems of Paul Celan vocal
125 Blanc, Patrick Dialogo con Orfeo vocal
126 Boone, Charles Winter’s end vocal
081 Bosseur, Jean-Yves Byrdy vdg solo
014 Bosseur, Jean-Yves Messe vocal
127 Bosseur, Jean-Yves Folia ensemble
080 Boudreau, Michelle Enneaenne ensemble
128 Brown, Christopher R. The Harper of Chao vocal
038 Bryars, Gavin In Nomine (After Purcell) consort
266

130 Burgan, Patrick Tristis vocal


129 Burgan, Patrick Vita Nova vocal
132 Campo, Régis L’apothéose de Couperin vocal
131 Campo, Régis Orfeo vocal
016 Clay, Arthur Songs of Love vdg solo
015 Clay, Arthur Seven Teas for Seven Strings vdg solo
039 Cleary, David Fractured Memory consort
116 Cohn, Arthur Quintuple Concerto for Five An- orchestre
cient Instruments and Orchestra
133 Costello, Elvis Put away forbidden playthings vocal
134 Cowie, Edward Four Frames in a Row vocal
040 Davies, Tansy Make black white consort
135 Dazzi, Gualtiero Un pas dans la neige suffit à vcl solo
ébranler la montagne...
010 Dazzi, Gualtiero Lichtzwang vocal
082 Dickinson, Peter Translations ensemble
109 Doolittle, Emily Falling Style orch. bar.
108 Doolittle, Emily Green Notes orch. bar.
136 Dove, Jonathan Köthener-Messe vocal
110 Dove, Jonathan The Middleham Jewel orch. bar.
137 Downes, Andrew Lost Love vocal
041 Druce, Duncan The Garden of Cyrus consort
138 Dun, Tan A Sinking Love vocal
001 Dünki, Jean-Jacques Jumelles vl solo
139 Dusapin, Pascal Medeamaterial vocal
084 Éden, Mats L’aimable accord ensemble
083 Ekström, Lars Cristalli temporanei ensemble
042 Elton, Antony Madrigals for viols consort
140 Escaich, Thierry Terra Dolorosa vocal
017 Farkas, Ferenc All’Antica vdg solo
141 Fénelon, Philippe Élégie et Fantaisie vcl solo
011 Fénelon, Philippe Dix-huit madrigaux vocal
043 Firsova, Elena Phantom consort
018 Fischer, Aidan In Nomine vdg solo
047 Fischer, Eric L’outre-cercle comme nous-même consort
085 Fowler, Jennifer Lament ensemble
142 Fox, Christopher Missa est vocal
144 Fricker, Peter Racine Elegy: The Tomb of Saint-Eulalia vocal
143 Fricker, Peter Racine In Commendation of Music vocal
145 Garcin, Gérard La ultima puerta ou le dernier vocal
combat de Clorinde
086 Gaudibert, Eric Fantaisie concertante ensemble
267

146 Geysen, Frans De lange tijd vocal


147 Gillet, Bruno Cantata breve vocal
148 Gistelinck, Elias Méditation pour le Carême vocal
002 Glaus, Daniel «Il y a une autre espèce de ca- vl solo
dence…»
149 Goehr, Alexander 3 Sonnets & 2 Fantaisies vocal
045 Gordon, Michael Zev There Always consort
044 Gough, Orlando Birds on Fire consort
003 Guy, Barry Ceremony vl solo
007 Guy, Barry Celebration vl solo
004 Guy, Barry Buzz consort
005 Guy, Barry Bubblets vl solo
006 Guy, Barry Dacryon vl solo
046 Guy, Barry Inachis vl solo
087 Haas, Georg Friedrich ... für Violine, Viola da Gamba, ensemble
Theorbe und Cembalo
088 Halle, John Spook ensemble
089 Hambreus, Bengt Notturno da vecchi strumenti ensemble
090 Harsh, Ed Authentically Classic ensemble
111 Henze, Hans Werner Kleine Elegien orch. bar.
019 Hersant, Philippe Le chemin de Jérusalem vdg solo
008 Hindson, Matthew Baroquerie vl solo
150 Huber, Klaus ...Ausgespannt... vocal
091 Hui, Melissa Shall we go ? ensemble
151 Hunt, Wynn Two Songs vocal
048 Joachim, Otto Music for four viols consort
092 Jolas, Betsy Sonate à trois ensemble
152 Jolas, Betsy Motet III vocal
093 Jungwirth, Rudolf Es kommt ein Schiff geladen ensemble
094 Kagel, Mauricio Musik für Renaissance-Instrumente ensemble
050 Keeling, Andrew One Flesh vdg solo
049 Keeling, Andrew Afterwords consort
153 Keeling, Andrew With how Sad steps, O Moon vocal
020 Keeling, Andrew Gefunden consort
051 Kelterborn, Rudolf Seismogramme consort
021 Knights, Francis Sonata for viola da gamba vdg solo
095 Komorous, Rudolf Prelude for 13 early instruments ensemble
022 Komorous, Rudolf Untitled 6 vdg solo
052 Lalo, Thierry Rue de Miromesnil consort
053 Lenot, Jacques Stabat Mater vocal
154 Lenot, Jacques Livre de viole n° 1 consort
054 Lipkis, Larry Tombeau consort
268

023 Marchand, Jean-Christophe Voz Oscura vdg solo


055 Mason, Benedict Room Purcell consort
155 Mejer, Thomas K.J. Barockengel im Schuss vocal
096 Mellits, Mark Nine miniatures ensemble
009 Moody, Ivan Hymn to Christ the Saviour vocal
158 Moody, Ivan Angel of Light vl solo
159 Moody, Ivan Lumière sans déclin orch. bar.
057 Moody, Ivan Farewell consort
024 Moody, Ivan Revelation vocal
156 Moody, Ivan In Nomine consort
160 Moody, Ivan The Sea will be born again vocal
058 Moody, Ivan O Taphos vocal
056 Moody, Ivan John in the Desert vocal
161 Moody, Ivan Corale per Eunice consort
112 Moody, Ivan The Dormition of the Virgin vocal
157 Moody, Ivan Music for Diálogo das Compensa- vocal
das
025 Morgan, David Sydney Sonata for viola da gamba and vdg solo
harpsichord
162 Musgrave, Thea Wild Winter vocal
163 Musgrave, Thea Journey into Light vocal
164 Nordin, Jesper Ash-Wednesday IV vocal
165 Nyman, Michael Self-laudatory hymn of Inannna vocal
and her omnipotence
166 Ohana, Maurice Nuit de Pouchkine vocal
026 Pandolfo, Paolo A Solo vdg solo
167 Pauset, Brice Vanités vocal
170 Pécou, Thierry Le Tombeau de Marc-Antoine vocal
Charpentier
169 Pécou, Thierry Les Fille du Feu orchestre
168 Pécou, Thierry Mouez ar Mor vocal
171 Pécou, Thierry La ville des Césars vocal
117 Pécou, Thierry Le lointain et étrange voyage vocal
097 Pfiffner, Ernst Die Parabel vom barmherzigen ensemble
Samariter
098 Pironkoff, Simeon Trios für Baßblockflöte, Baßgambe ensemble
und Cembalo
099 Pousseur, Henri Madrigal 2 ensemble
100 Renard, Claire Brèves d’été ensemble
101 Reynolds, Belinda Circa ensemble
102 Reynolds, Belinda Solace ensemble
027 Rolin, Etienne Les Hybrides vdg solo
059 Rolin, Etienne Gamba Game consort
269

062 Rolin, Etienne Défense de la lenteur vdg solo


029 Rolin, Etienne Baroque Relays consort
060 Rolin, Etienne Omaggio à Dowland vdg solo
061 Rolin, Etienne Moving Monuments consort
028 Rolin, Etienne Ein Wanderer consort
172 Rossé, François OEM vocal
030 Rossé, François Our vocal
173 Rossé, François Kritz vdg solo
174 Rosseau, Norbert Leis van de Herder vocal
063 Rosset, Christian Enlightenment consort
113 Rota, Renzo Le morte stagioni orch. bar.
064 Ruders, Poul Second Set of Changes consort
103 Schneider, Christian Étude ancienne ensemble
065 Sculthorpe, Peter Djilile consort
175 Smirnov, Dmitri The Lamb vocal
066 Solbiati, Alessandro A nameless pod consort
104 Streiff, Peter Le mot immergé vocal
178 Tavener, John Nipson vocal
179 Tavener, John Eternity’s Sunrise vocal
180 Tavener, John Total Eclipse vocal
177 Tavener, John Apokatastasis vocal
176 Tavener, John The Hidden Face vocal
031 Thorn, Benjamin Crouton VII vdg solo
067 Vergnet, Renaud Quatre variations sur « Von der consort
Fortuna werd’ich getrieben »
012 Virtaperko, Olli Passacaglia per cello e cembalo vcl solo
068 Webb, John Masque consort
069 Williams, Carter Whistling Window 1b consort
033 Wilson-Dickson, Andrew Sonata for bass viol and harpsi- vdg solo
chord n°1
032 Wilson-Dickson, Andrew Sonata for bass viol and harpsi- vdg solo
chord n°2
105 Woolf, Randall Artificial Light ensemble
114 Woolrich, John The Theatre Represents a Garden ensemble
115 Woolrich, John Fantazia consort
070 Woolrich, John Three Fantasias for six viols from consort
the Book of Disquiet
071 Woolrich, John Arcangelo ensemble
106 Yarnell, Carolyn More Spirit than Matter ensemble
Index Biondi, Fabio 36
Birtwistle, Harrison (1934- ) 124
Blanc, Patrick ( - )
A Dialogo con Orfeo (1997) 46
Abel, Carl Friedrich (1723-1787) 88 Borrel, Eugène 51
Academy of Ancient Music, The 33, 136 Bosseur, Jean-Yves (1947- ) 64
Adaskin, Murray (1906-2002) Byrdy (1987) 51
Two pieces for viola da gamba (1972) 38, 91–93 Folia (2000) 103
Akademie für Alte Musik Berlin 34 Boulez, Pierre (1925- ) 131, 161
Alarius 43, 156 Bower, York (1884-1961) 149
Alternance 150 Boyden, David D. 126
Amati, Nicolo (1596-1630) 33
Ambrosius 33 C
American Baroque 40, 36, 38, 157 Cage, John (1912-1992) 150
Ariosti, Attilio (1666-1729) Campo, Régis (1968- )
6 Lessons (Londres, 1724) 140 Orfeo, Farce musicale (2000) 40
Arts Florissants, Les 156 Campra, André (1660-1744) 121
Carmignola, Giuliano 44
B Casadesus, Henri (1879-1947) 149, 151
Bach, Johann Sebastian (1685-1750) 48, 88, 120, 121, 139, Préludes (1931) 150
140 Casals, Pablo (1876-1973) 51
Passion selon Saint-Jean BWV 245 128, 140 Cassidy, Aaron (1976- ) 150
Passion selon Saint-Matthieu BWV 244 96, 12 Castaños, Alejandro (1978- ) 150
Sonates et Partitas pour violon seul BWV 1001-1006 52, Castello, Dario (1ère moitié du 17e siècle) 52
120 Celan, Paul (1920-1970) 40, 135
Sonates pour viole de gambe BWV 1027-1029 94 Chapelle Royale, La 36, 64
Suites pour violoncelle seul BWV 1007-1012 52, 62 Charpentier, Gustave (1860-1956) 142
Bach-Gesellschaft 121 Charpentier, Marc-Antoine (1643-1704) 40
Bacon, Francis (1561-1626) Méditations pour le Carême H. 380-389 65
Sylva Sylvarum (Londres, 1627) 138 Choron, Alexandre Etienne (1771-1834) 121
Banchieri, Antonio Christie, William 131, 156
Conclusioni del suono dell’organo 34 Cleeve, Montagu 149
Banchini, Chiara 20 Coin, Christophe (1958- ) 36
Bancquart, Alain (1937- ) Collegium Vocale Gent 72
Solitude du Minautore (1995) 148, 159 Common Sense 36
Symphonie de chambre (1980) 159 Concentus Musicus 131
Vous devenez une île heureuse (1997) 148 Concert Spirituel, Le 36
Bartholomée, Pierre (1937- ) 40, 156 Concordia 39
Tombeau de Marin Marais (1961) 89 Corelli, Arcangelo (1653-1713) 50
Bartók, Béla (1881-1945) Corneau, Alain
Sonate pour violon seul 91 Tous les matins du monde (1991) 91
Beck, Conrad (1901-1989) 36
Dialogue 40 D
Sonate pour viole de gambe et orgue (1940) 37 Dall’Osto, Diego (1961- ) 149
Becker, Dan (?- ) Danks, Harry 139, 140
Tamper resistant (1996) 31, 33 Dannreuther, Edward 90
Beckwith, John (1927- ) 36 Danoville (?-?)
Bedford, David (1937- ) L’art de toucher le dessus et basse de viole (Paris, 1687)
Like a Strand of Scarlett (1999) 32 60–62
Bedford, Frances 101 Dart, Thurston 34
Beethoven, Ludwig van (1770-1827) 101 Dazzi, Gualtiero (1960- )
Benjamin, George (1960- ) 40 Lichtzwang (1996) 89, 154
Antara (1987) 30 Un pas dans la neige suffit à ébranler la montagne… (1990)
Sudden Time (1990-1993) 52 124, 154
Upon Silence (1990) 33 Deller, Alfred 90
Bennici, Aldo 149–150 Delsart, Jules (1844-1900) 38
Berger, Jonathan (1954- ) 37 Demachy, Sieur (seconde moitié du 17e siècle)
Berio, Luciano (1925-2003) 39, 92 Pièces de violle [...] (Paris, 1685) 89
Naturale (1986) 150 Dessy, Jean-Paul 90
Sequenzas 57 Dickinson, Emily (1830-1886) 122
Voci (1984) 150 Diémer, Louis-Joseph (1843-1919) 122
Berkeley, Lennox (1903-1989) 37 Döbereiner, Christian 38
Berlioz, Hector (1803-1869) 32, 131, 101 Dolmetsch, Arnold (1858-1940) 30
Biber, Heinrich Ignaz Franz von (1644-1704) 30, 106–107
The Interpretation of the Music of the Seventeenth and In Nomine (2001) 98
Eighteenth Centuries (Londres, 1915) 124 Le Chemin de Jérusalem (2003) 40, 57–59
Donington, Robert 31–32 Pavane (1987) 98
Dove, Jonathan (1959- ) Psaume 130 (Aus tiefer Not) (1994) 111
Figures in the Garden (1991) 122 Stabat Mater (2002) 30
Trio (1998) 98
E Hindemith, Paul (1895-1963) 149, 151
Eckhert, Gerald (1960- ) 149 Kammermusik n° 6 (1927) 142
English Chamber Orchestra 150 Kleine Sonata (1922) 142
Ensemble Intercontemporain 150 Hindson, Matthew (1968- ) 39, 135
Escaich, Thierry (1965- ) Baroquerie (2002) 40
Terra Dolorosa (2002) 40 Hoffmeister, Franz Anton (1754-1812) 140
Evelyn, John (1620-1706) 138 Hogwood, Christopher 129
Holbach, Paul Henri Tiry baron d’ (1723-1789) 33
F Homburger, Maya 30
Hubbard, Franck 122
Falconieri, Andrea (ca. 1585-1656) 52 Huber, Klaus (1924- ) 29
Farkas, Ferenc (1905-2000) ...ausgespannt... (1972) 34
All’antica (1962) 31 ...Plainte... (1990) 147–148, 150
Fénelon, Philippe (1952- ) Plainte – Die umgepflügte Zeit I (1990) 148
Dix-huit madrigaux (1996) 61–63, 98 Schwarzerde (2001) 148
Elégie 61
Fantaisie 62 I
Ferrari, Gaudenzio (ca. 1475-1546)
Concert des Anges (Saronno, 1534) 43 Il Giardino Amonico 130
Fétis, François-Joseph (1784-1871) 46, 47, 88, 121, 141, 151 I Musici 149
Foccroulle, Bernard 72 J
Fretwork 101, 111, 157
Jahnn, Hanns Henny (1894-1959) 72
G Jambe-de-Fer, Philibert (ca. 1520-ca. 1566)
Garcin, Gérard (1947- ) Epitome Musical (1556) 43
La ultima puerta ou le dernier combat de Clorinde (1987) Janáček, Leoš (1854-1928) 142
37, 38 Joachim, Joseph (1831-1907) 51
Geminiani, Francesco (1687-1762) 50 Jolas, Betsy (1926- ) 31–32, 156
L’art de jouer le violon (Paris, 1752) 49, 50, 153 Motet III: Hunc igitur terrorem (1999) 40
Gester, Martin 36 K
Geysen, Frans (1936- )
De lange tijd (1975) 30 Kagel, Mauricio (1931- )
Gistelinck, Elias (1935- ) 36, 33, 64 Musik für Renaissance-Instrumente (1964–65) 154
Méditation pour le Carême (2000) 30, 37, 65–66, 135 Kaufmann, Armin (1902-1980) 89
Graupner, Christoph (1683-1760) 140 Keltenborn, Rudolf (1931- ) 139
Grisey, Gérard (1946-1998) 148 Kircher, Athanasius (1601-1680) 44
Prologue (1976) 145 Klotz, Mathias (1653-1743) 44
Grümmer, Paul (1879-1965) 89 Klotz, Sebastian (1696-1775) 143
Guy, Barry (1947- ) 40 Knox, Garth 34
Bubblets (1998) 52–53 Kohnen, Robert 17
Celebration (1994) 55 Komorous, Rudolf (1931- )
Untitled 6 (1976) 34
H Kuijken, Barthold 156
Haas, Georg Friedrich (1953- ) 150 Kuijken, Sigiswald 150, 152, 153, 156
Solo für Viola d’amore (2000) 142–144 Kuijken, Wieland 156
Hændel, Georg Friederich (1685-1759) 57 L
Harnoncourt, Nikolaus (1929- ) 17
Haskell, Harry 16 L’Abbé-le-fils, Joseph Barnabé Saint-Sevin dit (1727-1803)
Hassler, Hans Leo (1564-1612) 66 57
Haussmann, Robert (1852-1909) 51 Principes de violon (Paris, 1772) 45
Heinichen, Johann David (1683-1729) 140 Landowska, Wanda (1879-1959) 122
Henze, Hans Werner (1926- ) Lanfranco, Giovanni
Kleine Elegien (1984-85) 33 Scintilla de Musica (Brescia, 1533) 43
Herreweghe, Philippe 72 Le Blanc, Hubert (v. 1695-v. 1760) 40
Hersant, Philippe (1948- ) 39, 98, 52 Leedy, Douglas (1938- )
Concerto n° 1 pour violoncelle et orchestre de chambre Symphoniae Sacrae (1976) 32
(1989) 98
Lenot, Jacques (1945- ) Solo (1997) 97
Stabat Mater (1983) 40 Parlement de Musique, Le 36
Lenzi, Sylvia 37 Pauset, Brice (1965- ) 30
Leonhardt, Gustav 124 Kontra-Sonate pour pianoforte (2000) 32
Ligeti, György (1923-2006) 89, 150 M (1996) 32
L’Itinéraire 131 Six Préludes pour clavecin (1999) 32
Locatelli, Pietro (1695-1764) 140 Vanités (2000) 32
Loeffler, Charles Martin (1861-1935) Payne, Edward J. 88
Mort de Tintagiles (1897) 142 Pécou, Thierry (1965- ) 30, 160
La ville des Césars (1998–2000) 115–118
M Le Tombeau de Marc-Antoine Charpentier (1995) 37, 34
Maderna, Bruno (1920-1973) Une rose… a circle of kisses (1999) 115
Viola o Viola d’amore (1971) 149 Penin, Jean-Claude 42
Mahler, Gustav (1860-1911) 92 Pincherle, Marc 123, 125
Manitoba University Consort 52 Playford, John (1623-1686)
Manze, Andrew 15 Introduction to the Skill of Music (Londres, 1664) 45
Marais, Marin (1656-1728) Plubeau, Christine 30, 111
Labyrinthe (4e livre, 1717) 98 Podger, Rachel 34
Sonnerie de Sainte-Geneviève-du-Mont (1723) 37 Pouchkine, Alexandre (1899-1837) 31
Massenet, Jules (1842-1912) 142 Pousseur, Henri (1929- ) 39, 156
Matiffa, Elisabeth 120 Madrigal pour quatre instruments anciens (1961) 36
Matthews, Colin (1946- ) Prætorius, Michael (1571-1621)
Moto Perpetuo (1986- ) 155 Syntagma Musicum (Wolfenbüttel, 1619) 36, 138
Mendelssohn Bartholdy, Felix Jakob Ludwig (1809-1847) Q
150
Menet, Jean-Luc 149 Quantz, Johann Joachim (1697-1773) 127
Merrick, Franck (1886-1981) 40 Quatuor Arditti 150
Mersenne, Marin (1588-1648) 37
Meslier, Jean (1664-1729) 40 R
Meyerbeer, Giacomo (1791-1864) Ramaut-Chevassus, Béatrice 134
Les Huguenots (1836) 30 Rameau, Jean-Philippe (1683-1764)
Miereanu, Costin (1943- ) Pièces de clavecin en concert (1741) 40
Couleurs du temps (1968) 158 Reynolds, Belinda (1967- ) 134
Mocquet, Sylvie 39 Circa (1996) 32–33
Montaigne, Michel de (1533-1592) 49 Rifkin, Joshua 124
Monteverdi, Claudio (1567-1643) 39 Rilke, Rainer Maria (1875-1926) 36
Moody, Ivan (1964- ) 40, 131 Rolin, Etienne (1952- ) 30
Revelation (1995) 37 Gamba Game (1998) 99–101
Mozart, Leopold (1719-1787) 37 Rose Consort of Viols 29
Mozart, Wolfgang Amadeus (1756-1791) 31 Rossé, François (1945- ) 36
Exsultate Jubilate K. 165 34 OEM (1988) 30
Müller, Heiner (1929-1996) 44 Our (1995) 39
N Rosset, Christian (1955- ) 45
Enlightenment (1991) 91, 90, 91
Nattiez, Jean-Jacques 128
Neruda, Pablo (1904-1973) 40 S
Nesbitt, David 91 Sachs, Curt 45
Neuwirth, Olga (1968- ) 150 Sainte-Colombe, Jean de (av. 1658-ca. 1701) 45
Niquet, Hervé 33 Saint-Lambert, Monsieur de
Nono, Luigi (1924-1990) 147, 148 Les principes du clavecin (1702) 130
Norrington, Roger 132 Saint-Saëns, Camille (1835-1921) 37
O Sampson, Peggy 68
Scarlatti, Alessandro (1660-1725) 12
Ohana, Maurice (1913-1992) 30, 39 Lamentations du Prophète Jérémie (1706) 57
Nuit de Pouchkine (1990) 30, 111, 112 Schering, Arnold 124
Omura, Kumiko (1970- ) 149, 150 Schmelzer, Johann Heinrich (ca. 1620-1680) 39
Orchestra of the Age of Enlightenment, The 38 Schneitzhoeffer, Jean Madeleine Marie (1785-1862)
Zémire et Azor (1824) 141
P Schoeller, Philippe (1957- )
Palestrina, Giovanni Pierluigi (1525-1594) 121 Omaggio, Omaggio II (1999) 148
Palisca, Claude V. 15 Schoenberg, Arnold (1874-1951) 127
Pandolfo, Paolo ( - ) 33 Schollum, Robert (1913-1987) 149
Schweitzer, Albert (1875-1965) 135
Sciarrino, Salvatore (1947- ) Yukimi Kambe Viol Consort 36
Romanza per viola d’amore e orchestra (1973) 148, 149
Scott, Cyril (1879-1970) 149 Z
Séchet, Pierre 89 Zappa, Franck (1940-1993) 36
Sellars, Peter 30 Zellig 33, 37
Sibire, Antoine (1757-1827) 156 Zimmermann, Bernd Aloïs (1918-1970)
Simpson, David 40 Sonate pour violon seul (1951) 155
Société des Instruments Anciens 40, 141
Société des Instruments Anciens Casadesus 44
Solbiati, Alessandro (1956- ) 44
A nameless Pod (1994) 32
Ces miroirs jumeaux (1999) 150
Pour J.L.M (2001) 150
Spenser, Samuel (1552-1599) 37
Spohr, Louis (1784-1859) 43
Stainer, Jacob (ca. 1617-1683) 126
Stamitz, Carl (1745-1801) 140
Stravinski, Igor Feodorovitch (1882-1971) 149

T
Taffanel, Paul (1844-1908) 89
Taffelmusik Baroque Orchestra 38
Taruskin, Richard 126, 130
Taskin, Pascal (1723-1793) 122
Tavener, John (1944- ) 30, 38, 136, 157
Eternity’s Sunrise (2000) 37
Total Eclipse (1999) 37
Taverner, John (ca. 1490-1545) 98
Taverner Players 38
Telmanyi, Emil 149
Tolbecque, Auguste (1830-1919) 89
Toscanini, Arturo (1867-1957) 126
Tourte, François (ca. 1747-av. 1835) 48
Tzanou, Athanasia (1970- ) 149

U
Uhl, Alfred (1909-1992) 149
Urhan, Chrétien (1790-1845) 140–141, 151

V
van Nevel, Paul 34
Viotti, Giovanni Battista (1755-1824) 47
Virtaperko, Olli (1973- ) 30
Vivaldi, Antonio (1678-1741) 57, 140

W
Walther, Johann Jakob (ca. 1650-1717) 57
Wenzinger, August (1905-1996) 17, 89, 91
Whelden, Roy (1950- ) 33, 36
Winternitz, Emmanuel 42
Woolrich, John (1954- ) 30
Arcangelo (2003) 37
Wordsworth, William (1908-1988) 91
Nocturne pour viole de gambe et clavier (1948) 91

X
Xenakis, Iannis (1922-2001) 150
Nomos Alpha (1965) 159
Xuereb, Pierre-Henry 150

Y
Yeats, William Butler (1865-1939) 40, 102

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