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Jean-Marc BELLENGER

LE 'UD
VECTEUR D'UN LANGAGE
POLYSÉMIQUE

Mémoire de Master
Université Lille III
2012
REMERCIEMENTS

Ce travail est dédié à

Monsieur Desjacques,

Pour ses précieux conseils, sa disponibilité sans failles et son suivi de chaque instant, qui
m’ont évité les erreurs de débutant qui me menaçaient,

Monsieur Mandolini,

Pour son enthousiasme toujours renouvelé, son sens aigu des relations humaines, son
humilité, sa générosité et son soutien,

Monsieur François Nicolas,

Pour ses encouragements et sa disponibilité désintéressés, et ses conférences ô combien


fructueuses,

Monsieur Fatih Ben salah,

Pour avoir partagé son savoir avec générosité et patience depuis déjà longtemps, et j’espère
pour longtemps encore,

Tous les maîtres en musique arabe, que j’ai pu rencontrer et consulter, et qui m’ont aidé à
comprendre et à vaincre les difficultés toujours nouvelles,

Tous les musiciens formidables avec lesquels j’ai joué et créé depuis mes premiers pas, tous
les enseignants et les élèves, qui m’ont tous apporté quelque chose d’important,

Toute l’équipe enseignante que j’ai eu la chance de côtoyer à Lille 3 cette année.

Anne,

Pour sa patience, son soutien, son aide, ses conseils toujours efficaces, sa présence vitale et
incomparable
TABLE
Table 1
Introduction 3

Première partie: Des outils 7

1. AL 'UD 9
- Citations 9
- Origines 10
- Description/organologie 11
- Acoustique 15

2. LE MAILLAGE DU 'UD SELON AL-FARABI 21


- Avant-propos 21
- Les schémas 23
- Remarques 26

3. LE CLAVIER ACTUEL 29
- Les cordes graves 29
- Les doigtés 30
- Remarques 36

4. PROPOSITIONS 37
- Parenthèse: guitare 37
- Retour au 'ud 38
- Réserves techniques 40

5. ECHELLES 43
- Introduction 43
- Les genres 44
- Genres dans la quarte juste 46
- Genres hors de la quarte juste 48
- Combinaisons de genres 49
- Conclusion provisoire 53

6. MAQAM ET TAKSIM 55
- Maqām 55
- Taksīm 57
- Remarques 58

7. PASSAGES 59
- À partir des pentatoniques 59
- Un exemple de voyage long 67
- Remarques 69

1
8. UNE MODALITÉ HEXATONIQUE 71
- Origine 71
- Nomenclatures 72
- Remarques musicales 73
- Commentaires 76

Deuxième partie: Une réalisation 77

1. POÉSIE 79
- Un détail déterminant 79
- Les poèmes 80
- Faire entrer la langue arabe.. 82
- Lectrices 83
- Réalisation 84

2. PARENTHÈSE INDIENNE 85
- Introduction 85
- Le sitar 86
- Les raagas 86
- Le choix des raagas 88

3. BOURDON INTELLIGENT 89

4. PAYSAGES TRAVERSÉS 91
a. Introduction 91
b. Partition spatialisée 93
c. Premier mouvement: Déserts 94
a. Minute 1 94
b. Minute 2 96
c. Minute 3 98
d. Minute 4 100
e. Minute 5 102
f. Minute 6 104
g. Minute 7 106

- Deuxième mouvement: Dehli express 108


a. Minute 1 108
b. Minute 2 110
c. Minute 3 112
d. Minute 4 114

- Troisième mouvement: Retour 116


a. Minute 1 116
b. Minute 2 118
c. Minute 3 120
d. Minute 4 122

Appendices 124
Conclusion 127
Bibliographie 129

2
INTRODUCTION

Cet ouvrage de recherche, dont l'idée a commencé à se profiler il y a longtemps dans ma


trajectoire de musicien enseignant, a pris du temps à trouver sa forme définitive, pour
différentes raisons qu'il convient d'évoquer ici.

Lorsque j'ai décidé lors d'un voyage au Caire d'acquérir un Luth, c'était le geste banal d'un
musicien, guitariste de longue date qui se penche naturellement sur les cousins de son
instrument dans les contrées où ses pas l'amènent, et qui ajoute ce faisant un élément dans la
tentative de collection qui est peu ou prou un des fantasmes de nombreux instrumentistes, en
tous cas parmi ceux que j'ai pu rencontrer.

Comme cet instrument était destiné à être joué, j'ai évité de me le procurer chez un marchand
de produits variés, colorés, chamarrés allant de la lampe merveilleuse au sachet de safran, du
tapis tissé à la main au papyrus authentique, du narguilé chinois au bijou nubien. Je suis allé
sur la chariā Mohammed āli, ai visité dix marchands d'instruments, suis retourné deux fois
chez trois d'entre eux parmi lesquels j'ai fait un choix. J'ai demandé quelques conseils, ai
ajouté à mon achat des plectres, une housse et surtout un manuel qui a été le premier de la
chaîne d'ouvrages divers qui me sont passés dans les mains consacrés aux différents aspects
de la musique arabe11.

A partir de ce moment, j'ai à chacun de mes voyages, fait grandir ma collection d'instruments
à cordes, mais surtout je me suis mis en recherche de maîtres instrumentistes dans toutes les
grandes villes arabes où j'ai pu me rendre, et notamment à Tunis où j'ai eu la chance de
rencontrer M.Fahti Ben Sahla, qui en plus d'être un oudiste de grand talent, est aussi un
musicologue averti, curieux, généreux dans son enseignement, et qui par bonheur est devenu
mon ami.

Luthiste, mais aussi violoniste, enseignant et conseiller pédagogique à Tunis, connaisseur de


la tradition musicale d'occident, il s'est montré très accueillant et empressé d'initier un
musicien français à sa culture musicale et à son savoir-faire instrumental.

Un rapport de confiance s'est instauré, de musicien à musicien, sans aucune arrière–pensée


ethnologique. Je n'étais pas dans un processus de recherche au moment de notre première
prise de contact, par le biais du conservatoire du Bardo, à Tunis, pour lequel il était prestataire
de cours privés. Aussi les premières leçons se sont déroulées selon des codes que j'avais déjà
connus lors de mon apprentissage en tant que guitariste, à ceci près que nous avons travaillé
tout de suite à l'aide de musique écrite, alors que mes tous premiers cours de guitare rock à
l'adolescence se faisaient selon un processus imitatif, tel qu'un esprit occidental se plait à en
imaginer le scénario dans les civilisations "lointaines" (pour ne pas dire primitives). De quoi
1
Abdel-hamid MASHA'AL, The method of lute, Almaktabalmasry, Cairo 2006
remettre à leur place certaines idées préconçues... Bref, un professeur et un élève, en triangle
avec un pupitre dans une salle de conservatoire, rien de bien exotique.

Dans un premier temps, je n'avais pas d'autres objectifs que celui de progresser en temps
qu'instrumentiste. Dans le cadre de l'improvisation (qui a toujours été une de mes approches
privilégiées sur la guitare), je découvrais sur le oud une liberté que je n'avais jamais connue
auparavant, principalement liée à l'absence de frettes, permettant évidemment une exploration
sonore infinie dans le choix des hauteurs. Par ailleurs, la pratique du Oud, tant dans
l'apprentissage attentif des pièces du répertoire, que dans les premières tentatives de taksīm2
avait l'avantage certain de me transporter par l'imagination sous les cieux des pays arabes, en
attendant d'avoir le plaisir d'y retourner en personne.

Assez rapidement, j'ai mis en place un répertoire de concert que j'ai pu jouer en public
plusieurs fois. Ce répertoire s'est constitué d'une façon naturelle, presque de lui-même,
comme une suite de pièces courtes issues du manuel de M. Mashaal, qui servaient de refrains,
entre lesquels s'intercalaient des plages libres, qui faisaient intervenir tous les éléments de
langage d'improvisation que j'apprenais de la modalité arabe, mais aussi tout ce que j'avais pu
enregistrer précédemment en tant que guitariste, notamment le langage pentatonique, blues, la
modalité dérivée des gammes majeures et mineures, les arpèges, l'atonalité, etc... Mon
approche du oud englobait sans aucun calcul préalable, les deux racines musicales qui
m'avaient construit en tant que musicien, le vocabulaire (et le mode de pensée musicale) du
maqam3, et toute la formation précédente qui était la mienne, en partant du blues, immense
cadeau offert au guitariste débutant, jusqu'à la connaissance du répertoire occidental au sens
large nécessaire à ma formation et à mon métier d'enseignant.

J'ai donc dû mener une réflexion théorique et technique sur les moyens d'adapter sur mon
nouvel instrument le travail systématique d'intervalles, gammes, arpèges, motifs, dans toutes
les tonalités tel que je l'avais abordé précédemment à la guitare par le biais d'un certain
nombre de méthodes dont il sera question dans ces pages. Cette question de la transposition
dans les douze tons est inhérente à toutes les publications pédagogiques occidentales, dans
tous les domaines instrumentaux et vocaux, aussi bien dans le monde classique que jazz/rock.
On a en mémoire aussi bien les publications pour le piano ("le" Hanon, "le" Cortot) balayant
tout le spectre chromatique avec une scrupuleuse équité, que les méthodes de jazz "pour tous
les instruments" qui fournissent quatre ou cinq trajectoires possibles dans le travail des
gammes et arpèges (par demi-tons, par tons, par tierces, par quartes) pour couvrir sans rien
oublier les douze tonalités.

Cette approche est complètement étrangère aux traditions culturelles des musiques arabes.
Elle est étrangère aussi à toutes les publications pédagogiques consacrées au 'ud. C'est donc à
partir d'un cursus personnel, que j'ai souhaité appliquer la rationalité des méthodes
instrumentales articulées sur l'héritage de la tonalité et du tempérament égal, qui ont structuré
mon parcours instrumental, à l'instrument représentatif d'une pensée musicale qui s'est
construite sur d'autres choix (à partir de racines pourtant communes).

Parallèlement à ce travail, et à celui de l'apprentissage du répertoire classique, avec tout le


travail sur les formes, les modes de jeu, les ornementations, le son, j'ai imaginé un système
modal faisant intervenir, pour effectuer le parcours d'une octave, exclusivement des secondes

2
Improvisation pour instrument seul dans le cadre d'un ou plusieurs maqām(āt). Ces deux termes, taksīm et
maqām sont développés dans le chapitre correspondant.
3
En tant que modeste apprenti.

4
mineures et des secondes augmentées. Cette réflexion prend place dans une démarche somme
toute logique, puisqu'elle m'a été suggérée par l'étude, dans la nomenclature de la modalité
arabe, des genres1 chromatiques, c'est-à-dire articulés sur la division de la quarte en demi-tons
et ton et demi.

Lorsque la possibilité m'a été donnée de profiter d'une année de reprise d'études dans le cadre
universitaire, j'avais déjà des pistes de réflexions avancées et je savais que je souhaitais
orienter mon travail sur la musique arabe. Mais autour de quelle problématique mon travail
allait-il s'avérer le plus fécond?

J'étais bien sur fasciné par l'univers du maqam, de la modalité, des systèmes mélodiques, mais
ce domaine a déjà été exploité de façon brillante par une suite de chercheurs remarquables, le
dernier en date, édité en 2010, de Amine Beyhom2 vient se positionner comme la nouvelle
référence après les travaux éminents de Farmer, Erlanger, Guettat, Shiloah pour ne citer que
quelques maillons de la généalogie des chercheurs investis dans la musicologie arabe, dont
Beyhom évoque la maturité.

Les questions de tradition, de transgression, de rationalité m'interpellaient, mais elles étaient


trop en dehors des champs de la technique et de la composition sur lesquels j'ai déjà accompli
du chemin. Il en sera néanmoins question, inévitablement, au long de l'ouvrage.

L'historique des rencontres entre cultures musicales occidentales et orientales semblait aussi
un terrain fertile, mais un peu trop orienté sur la musicologie et l'observation.

La solution est venue de facteurs logistiques et humains concordants, liés à établissement de


recherche qui a bien voulu m'accueillir, à savoir l'université des sciences humaines Lille 3. Je
savais que cette "maison" était orientée sur les arts contemporains, pas exactement donc dans
l'orientation plus ethnomusicologique qui aurait pu naturellement sembler plus proche de ma
recherche. Néanmoins, M. Desjacques, qui est un ethnomusicologue éminent enseignant à
Lille 3, s'est montré très encourageant à mon égard, et c'est de lui qu'est venue la solution qui
allait sous-tendre mon travail: la composition d'une oeuvre instrumentale concertante pour
‘ud, instruments à cordes et dispositifs acousmatiques, et son développement au studio de
l'université, sous les conseils et la bienveillance de M. Ricardo Mandolini, compositeur et
enseignant à Lille 3.

L'ouvrage va donc s'articuler sur deux grandes parties:

1. DES OUTILS

Cette section comportera un certain nombre de généralités sur le 'ud, l'instrument qui est au
centre du projet, dont une des particularités est d'être l'outil privilégié de toute la recherche
scientifique sur le système mélodique arabe. Depuis les précurseurs qu'ont été Al-Kindī, puis
Al-Fārābī et Ibn Sīnā aux premiers temps de la constitution de l'empire, jusqu'aux savants et
praticiens du 20e siècle qui se sont réunis lors des grands congrès consacrés à la musique
arabe3, personne n'a jamais pensé à remettre en question le rôle tout à fait central du 'ud,
même si le qanun et le nay, par exemple sont aussi des porteurs de ce paysage sonore.

1
Au sens pythagoricien, puis post-pythagoricien de la théorie musicale arabe.
2
BEYHOM Amine, 2010, Théories de l'échelle et pratiques mélodiques chez les arabes, Geuthner, Paris
3
Alors qu'une prise de conscience d'un début de globalisation culturelle semblait impliquer la mise en commun
des savoirs et un besoin de rationalisation, ou tout du moins d'inventaire des situations locales.
Suivront ensuite plusieurs chapitres à caractère technique sur les questions de doigtés,
d'échelles, de modalité, dans une approche mettant en regard une observation de la tradition et
des pratiques existantes, et des remarques personnelles issues d'un cheminement de praticien
qui s'est confronté à d'autres modèles de techniques, de pédagogie et de pensée musicale avant
d'aborder l'univers du 'ud.

Cette expression m'incite à m'arrêter sur toutes les ambiguïtés que soulève inévitablement le
choix d'une appellation entre musique arabe, musique de l'islam, musique orientale, aucune
n'étant satisfaisante, car chacune excluant une dimension qui ne devrait pas l'être.
-L'appellation musique arabe exclut les sphères perses et turques entre autres, ce qui n'a pas
de sens.
-L'appellation musique de l'islam exclut les praticiens et théoriciens d'origines chrétienne et
juive, ce qui n'est pas davantage fidèle à la réalité.
-Quant à l'appellation musique orientale, en dehors de son utilisation galvaudée, elle exclut si
on s'en tient à sa dimension géographique les pays du Maghreb, qui sont à l'occident de leur
continent.

Le 'ud nous offre donc une vertu supplémentaire, qui est celle de représenter en son territoire
d'expression toute la sphère géographique issue de l'empire arabe dans son plus grand
périmètre7.

2. UNE RÉALISATION

Cette seconde partie va se consacrer à la démarche qui a été la mienne dans la réalisation du
travail de studio entrepris pour donner une application concrète de l'idée de polysémie du 'ud.
Sous l'appellation générale de "Paysages traversés", cette pièce en trois mouvements est une
aventure sonore mettant en contact des matériaux issus de mondes géographiques et culturels
éloignés, mais auxquels mon expérience de musicien et chercheur m'ont permis de m'initier
par différents voies, comme praticien et comme musicologue.

C'est une pièce concertante, dont le 'ud tient évidemment le rôle principal, aux cotés d'autres
instruments avec qui il n'est pas traditionnellement associé8, aux cotés aussi de dispositifs de
traitements de sons auxquels il était naturel et incontournable de donner une place à Lille 3 en
20129. Il faut mentionner enfin un élément sonore qui prend une place primordiale dans ce
projet, et qui est la langue arabe parlée, dans ses dimensions symboliques, esthétiques et
musicales10.

L'objectif qui est le mien s'impose de lui-même pour conclure cette brève introduction: Il est
d'avoir convaincu à l'issue de cette lecture, et surtout de cette écoute, que le 'ud, qui nous offre
de tels bonheurs sonores en son territoire naturel, est apte et légitime à nous en proposer aussi
en dehors11.

7
En 750, à la fin de la période Omeyyade. Il faut retrancher de cet ensemble l'Espagne, qui n'est plus un pays
porteur de cet héritage musical.
8
Notamment l'harmonica diatonique, le sitar indien et la zitherschulter.
9
Toute création étant, je pense, le fruit d'un contexte.
10
Je remercie ici M. François Nicolas, qui m'a encouragé et en quelque sorte montré la voie par son cycle de
conférences et ses écrits récents sur l'intégration de la "musique des langues parlées" dans la composition
contemporaine.
11
Sachant que je suis loin d'être le premier à proposer une telle expérience de "transculturalité", et que des
réponse (positives) à cette question ont déjà été fournies depuis longtemps.

6
PREMIÈRE

PARTIE

DES OUTILS

7
Mosquée Sainte Sophie, Istambul

8
CHAPITRE I

AL 'UD

CITATIONS

"Le plus important est le "oud", ou "luth", ou "barbet"."


EL MAHDI Salah, La musique arabe, Alphonse Leduc, Paris, 1972 (p. 55)

"Le luth, prince des instruments et symbole de la musique arabe savante ancienne et
moderne."
JARGY Simon, La musique arabe, P.U.F. Paris, 1971 (p. 117)

"C'est l'instrument favori de la musique savante arabe; il sert de base à l'explication de la


théorie musicale... "
TOUMA Habib Hassan, La musique arabe, Buchet/Chastel, Paris, 1996 (p. 91)

"Il reste le roi des instruments au Mashreq comme en al Andalous."


POCHÉ Christian, La musique arabo-andalouse, Actes Sud, Paris, 2001 (p. 102)

"C'est incontestablement l'instrument le plus important du répertoire classique."


GUETTAT Mahmoud, La musique classique du Maghreb, Sindbad, Paris 1980 (p.234)

"Ainsi, le 'ûd, envisagé comme le roi des instruments, est en tête du débat."
SHILOAH Amnon, La musique dans le monde de l'islam, Fayard, Paris, 2002 (p. 155)

"Cet instrument a façonné par son doigté le chant des arabes, à tel point que leurs gammes et
leurs modes mélodiques en ont gardé une empreinte indélébile."
SNOUSSI Manoubi, Initiation à la musique tunisienne, vol. 1, centre des musiques arabes et méditerranéennes, Tunis, 2004 (p. 75)

"Nous allons commencer par donner une description sommaire et succincte du luth, car de
tous les instruments à cordes, il est le plus en faveur."
AL-FÂRÂBÎ (vers 870-950), Kitâbu l-Mûsîqî al-kabîr, trad. ERLANGER, Geuthner, Paris, 1930 (p. 166)

"It is considered the king, sultan or emir of musical instruments, "the most perfect of those
invented by the philosophers" (Ikhwân al-Safâ: [letters] (1957), i, 202) "
[New Grove, vol. 26, p. 25]

"The lute (...), has been the most important musical instrument of islamic peoples, from the
atlantic shores to the persian lands... "
[Encyclopoedia of islam, Farmer&Chabrier, 2008] cité par BEYHOM Amine, ibid.

"C'est le luth qui fut le porteur du développement extensif et intensif de l'échelle. Il devint au
moyen âge, l'instrument décisif des arabes pour la fixation des intervalles au même titre que la
cithare chez les grecs, le monocorde en occident et la flûte de bambou en Chine. "
WEBER Max, Sociologie de la musique, Métailié, Paris, 1998 (p.70)

9
Cette profusion de citations en forme de clin d'oeil nous place directement face à un
monument. En imposant unanimement le luth au coeur des pratiques individuelles,
collectives, compositionnelles, des théories, des spéculations philosophiques, de la culture
musicale du monde arabe, ces auteurs de divers horizons mettent une certaine pression sur qui
veut s'aventurer dans son domaine. Son aura, son statut, son prestige sont considérables, et il
reste l'instrument traditionnel12 le plus souvent choisi par les élèves des lieux de transmission
musicale dans le monde arabe.

ORIGINES

La question des origines de l'instrument a été, comme beaucoup d'autres domaines de la


musicologie arabe, un champ d'investigation sur lequel se sont penchées toutes les générations
de chercheurs, depuis Al-Kindi (vers 802-866), jusqu'à Amine Beyhom en 2010 13. Je me
permettrai de citer la conclusion de celui-ci sur cette question, suffisamment explicite pour
justifier la plus grande retenue en la matière.

"Nous pouvons conclure de tout cela que, en définitive, Kindī était dans son droit: aucune raison de dénier la
paternité aux Grecs, aux Persans ou aux Babyloniens puisqu'ils ne constituent qu'une des pièces du puzzle de la
reconstitution de l'origine du 'ûd arabe, et il aurait été plus juste, par conséquent pour nos chercheurs en histoire
des instruments ainsi que pour nos "experts" en origine du 'ud, de laisser comme Picken la question de la
paternité du luth à manche court pendante, en attendant un complément de sources, littéraires ou
iconographiques"

Néanmoins, on peut évoquer quelques hypothèses généralement rencontrées dans l'histoire de


son évolution:

- Il pourrait être issu d'évolutions successives de la lyre. C'est par le mot 'ud que la lyre
(kinnor) est traduite dans les versions en arabe de la bible. Cette relation entre lyre et 'ud se
retrouve en extrême orient, en ce qui concerne la Pipa, issue de l'évolution du zheng et du zhu,
ce qui pourrait suggérer une origine commune.

- Une version mythologique de la genèse du 'ud, rencontrée en Perse et en irāq, fait état d'une
invention de l'instrument par Lamek, descendant de Caïn. Ayant perdu son fils et en ayant été
fort meurtri, il décida de suspendre son cadavre à la branche d'un arbre, et le squelette
desséché lui aurait suggéré la forme du 'ud, qu'il façonna et joua en pleurant "..et le 'ud parla."
(sonna, natāqā)14

- Son irruption dans la civilisation islamique semble trouver son origine à partir de la Perse,
dont le Barbāt 15 remonte à 800 av. JC. L'instrument se répand dans l'empire Omeyyade (661-
750) puis dans tout le moyen-Orient.16

- On attribue à Zalzāl ( -791) l'instrument moderne, avec le manche court et la taille de la


caisse que l'on connait17.
12
Sachant qu'il existe une tendance préoccupante chez de nombreux élèves à choisir des instruments
"mondialisés" (comme la guitare ou les synthés), le qanūn étant par exemple en voie de marginalisation.
13
Le travail de ce dernier, particulièrement rigoureux, sur ce domaine comme sur tous les autres, est consultable
entre les pages 282 et 307 de l'ouvrage mentionné ci-dessus.
14
Issu des chroniques de ibn salama, IXéme, cité par Beyhom
15
Origine terminologique incertaine.
16
Ibn khaldūn fait référence aux "chanteurs (qui) quittèrent les persans et les byzantins pour venir au Hijāz et
devinrent les clients des arabes". Ou n'est-ce pas plutôt les arabes qui devinrent leurs clients?
17
Farmer, cité par Beyhom: "during the second half of the 8th century, one of the court musicians, Zalzāl,
introduced a new type of 'ud (lute), which was soon generally adopted in the place of the 'ud al-farisī, or persian

10
- On attribue à Ziryab ( -852) son importation en Al-andalūs18. Il est avéré que ce musicien
éminent a dû s'exiler et quitter la cour de Bagdad suite à un différent avec son maître Ishâq al-
Mawçili, qui commençait à être incommodé par cet élève trop doué. Son séjour à al-
Qayrawān (Kairouan) au service des Aghlabides, puis son départ pour Cordoue à l'invitation
des émirs Umayyades ainsi que la traitement somptueux qui lui fût réservé ne fait pas
davantage débat.19 Je reste sceptique, par contre sur l'adjonction d'une cinquième corde entre
les 2 et 3 (Al-mathlāt et Al-mathnā). Je pencherais plutôt pour l'adjonction physique de la 5
(Al-hādd) mentionnée comme corde virtuelle dès les premiers écrits de Kindi20, et qui devait
fortement tenter les praticiens21. Est-il vraiment certain qu'elle ait attendu l'exil de Ziryab pour
apparaître?

- La conformation définitive, avec l'arrière en lames de bois ajustées pourrait être à l'origine
du nom qui s'est imposé (Al 'ûd signifiant le bois, le bâton..), en sachant toutefois que les deux
appellations ont cohabité durant une longue période22. Il semble qu'il faille mentionner
également une confusion fréquente dans la descendance du barbāt, entre le luth à manche
court, dont il est question ici et le luth à manche long, nécessairement fretté, dont sont issus le
tunbūr, le baglama turc23 et le bouzouki grec.

- Le luth européen et la mandoline napolitaine sont bien sur des rejetons du 'ûd. L'évolution
polyphonique des sciences et pratiques musicales de cette région du monde a nécessité là
aussi l'adjonction de ligatures physiques organisées chromatiquement (frettes).

- La question du nombre de cordes, qui dépasse le cadre d'un simple choix technique, est
développée plus loin dans la section "maillage du 'ud"".

DESCRIPTION / ORGANOLOGIE

Salah el Mahdi (en 1972) parle encore du "Barbet" comme dénomination possible du 'ud, qui
"accompagne le chanteur et [est] l'instrument préféré des compositeurs". Il établit clairement
une distinction entre "l'oriental" ('ud sharqī) et le "Oud tunisien" ('ud tunsī), "utilisé en
Tunisie et dans le département (sic) de Constantine en Algérie"24.
Guettat (en 1980) introduit son propos sur "les luths" en faisant le même type d'introduction
assortie cette fois d'une position polémique sur le pas que prend clairement le 'ud sharqī dans

lute that had been in common use. This perfect lute was called the 'ud a-sh-shabbûṭ, which Land thinks to have
been the instrument in which the neck and fingerboard gradually broadened out to the body".
18
Suite de l'article précédent: "It was still mounted with four strings [kindi], although in al-andalous, a musician
named Ziryab added a fifth. (He) introduced some novel improvements to the lute. Whilst his instrument was
"equal in size and made of the same wood" as the lute in general use, it was heavier by nearly one-third". À ce
point Beyhom note (justement) qu'il est contradictoire de dire qu'un 'ud plus lourd d'un tiers soit un progrès
technique. C'est bien plus léger d'un tiers qu'il fallait comprendre, comme Farmer le corrigera ultérieurement.
Mais c'est pour une question de qualité de son et pas de maniabilité (un bon 'ud pèse un kilo).
19
Guettat mentionne à la page 106 de l'ouvrage cité ci-dessus: "Ziryâb et sa famille reçurent une pension
annuelle de cinq mille six cent quarante dinars, sans compter trois cent mudd de céréales et la propriété d'un
domaine évalué à quarante mille dinars". La source n'est pas citée..
20
Beyhom, déja cité (p.130-140)
21
Al-Farabi (d. 950) a clairement franchi le pas. Voir le chapitre qui lui est réservé.
22
Ibn 'abd Rabbihi , un auteur andalou du Xème siècle affirme que "Le 'ud est le barbat", alors que Ibn Khaldun
(XIVème) évoque le 'ud comme étant le plectre, l'instrument étant le barbat. (New Grove, London 2000)
23
Il existe une ambiguité sur le nom de cet instrument qui, en Grèce est une sorte de Bouzouki soprano fretté
chromatiquement et en Turquie un luth à long manche avec un frettage modulable permettant l'usage de micro-
intervalles inférieurs au quart de ton.
24
EL MAHDI, cf. ci-dessus (P.55)

11
les pratiques courantes. "C'est ce coté riche et raffiné ainsi que la facilité de jeu 25 qui ont
amené les maghrébins à adopter le 'ud sharqī au détriment du 'ud 'arbī bien que ce choix ne
sera pas sans dénaturer le répertoire traditionnel".26

Jargy, Touma, et Beyhom, pour leur part n'évoquent pas cette question du 'ud 'arbī, qui est
une version locale de l'instrument qui nous intéresse, ce qui fait qu'il reste un sujet limité aux
auteurs originaires (ou spécialisés sur la culture) du Maghreb.

Les dimensions et les rapports entre les différentes parties de l'instrument se trouvent déjà
mentionnées dans l'encyclopédie des Frères de la pureté (Ikhwān As-safā')27 au Xème siècle.
Les voici selon le new Grove de 2000:
• La longueur de la caisse doit faire une fois et demie la largeur.
• La profondeur doit faire la moitié de la largeur
• Le manche doit faire le quart de la longueur. Si le manche mesure 20 cm, ce qui est le
cas actuellement, la longueur totale doit être d'environ 80 cm.

Le fond est constitué de 15 à 21 lames, qui peuvent être d'une seule essence, séparées alors
par de très fines bandes de séparation d'une teinte contrastante, ou de deux ou trois essences
différentes positionnées en alternance. Ces bandes, qu'on appelle Alwâh ou Dulû sont
contraintes et collées sur un gabarit (qui a la même forme que l'arrière du 'ud). L'ensemble
ainsi constitué s'appelle qasā ou zahr.

Figure 1: Vue de l'arrière de l'instrument, permettant de voir la jonction des lames (Alwâh) constituant le
fond (zahr)

25
Je ne m'engage pas personnellement sur cette question qu'on retrouve curieusement chez M. SNOUSSI (p.75
de l'ouvrage cité en réf.), avec entre autres caractéristiques du 'ud: "...la possibilité de produire sans peine les
plus subtiles différences de ton, sans besoin d'un grand entraînement".
26
Deux remarques personnelles pour faire suite à ce constat:
-Les musiciens du Maghreb se constituent un répertoire personnel qui comprend beaucoup de pièces
orientales dans lesquels les modes à quart de ton tiennent une place importante. Or, les 'ud 'arbi, frettés, ne
permettent pas de pouvoir accéder à ce répertoire, ce qui explique que presque tous les oudistes apprennent
et jouent le 'ud sharqî. Par ailleurs, les musiciens n'ont pas nécessairement des moyens leur permettant
d'acquérir plusieurs instruments, comme beaucoup le font en Europe
-J'ai eu l'occasion d'assister à des séances de répétition de musique "andalouse" (de nubā) au Maroc, et les
oudistes n'avaient aucun problème pour jouer ce répertoire avec des 'ud sharqî.
27
Que Beyhom présente "comme un groupe de "libres penseurs", qui cultivèrent science et philosophie dans le
but de former une communauté éthique et culturelle."

12
La table appelée wajh (face) est faite d'un bois léger, souvent (actuellement) en épicéa ou en
cèdre. Moins de panneaux juxtaposés la constituent (2 étant le minimum), et meilleure (et plus
chère) est la table. Elle est percée le plus souvent à l'heure actuelle de trois ouïes ovales avec
une décoration beaucoup plus sobre qu'elle l'était auparavant, mais les éléments ornementaux
sont en constante évolution, et un retour des incrustations de marqueterie de bois coloré ou de
nacre est très possible, ainsi qu'une évolution dans la disposition des ouïes.

Figure 2: Vue des trois ouïes (uyūn) percées sur une table (wahj) en cèdre faite de deux panneaux
juxtaposés.

Figure 3: Le chevalet (musht)sur lequel viennent se nouer les cordes. On distingue les six doubles et la
septième unique. On voit aussi une partie de la plaque de protection (raqm).

13
Le chevalet, qui se nomme musht (peigne) se place sur la table à dix centimètres environ du
bord inférieur de celle-ci. Les cordes viennent s'y attacher par un noeud avant d'être tendues
par leurs clés respectives. Enfin la table reçoit une plaque de protection contre les coups de
plectre, qui s'appelle raqm.

Figure 4: la partie du manche (sâ'id) la plus proche du sillet (atabā), faisant apparaître la plaque d'ébène
et les treize cordes.

Figure 5: vue du cordier (zaïala), permettant de voir les treize clés (meftār) en ébène également

14
Le manche est appelé sâ'id (bras) ou 'unq (cou). Sa partie visible mesure environ 20cm, et il
pénètre dans la caisse jusqu'au niveau de l'ouïe principale. Sa largeur fait environ 6 cm au
point de jonction avec la caisse et 5 cm au niveau du sillet ('anf ou atabâ). Il est recouvert
d'une fine lame de bois dur (ébène ou palissandre) qui doit résister à l'usure produite par les
cordes pressées par les doigts de la main gauche.
Le cordier, ou cheviller appelé zaïala est incliné vers l'arrière et forme avec le manche un
angle d'environ 120 degrés (très variable). Sa longueur est aussi variable puisqu'elle peut
porter entre 9 et 13 clés, et qu'elle peut être plus ou moins ornementée à son extrémité. Une
large rainure traverse tout le cordier, et les clés de tension des cordes traversent les parois de
celle-ci par des trous se faisant face.
Sources:
The New Grove Dictionary of Music and Musician, Macmillan, London, 2000
Initiation à la musique tunisienne, Manoubi Snoussi, Tunis, 2004
Observation de mes instruments personnels

Représentation d'un 'ud sharqî


avec les noms des différentes parties
en arabe adapté du livre de Mutlu Torun
"Ud Metodu" (Gelenekle Geleceke)]
http://www.oud.eclipse.co.uk/oudparts.html /
ACOUSTIQUE

Avant de clore ce chapitre, nous souhaitons joindre, sous forme de captations de logiciel
informatique, des visualisations d'enveloppes et d'analyses fréquentielles.

Deux types de tableaux sont présentés:


-Le premier témoigne des comparaisons du 'ud et des deux principaux instruments à cordes
qui interviennent dans la pièce "Paysages traversés", le sitar et la zitherschulter. Les trois ont
été sollicités pour générer un sol grave.
-Le second tableau fait état de la représentation de trois Sol différents (grave, médium et aigu)
émis par le même 'ud, celui qui est présenté dans les photos précédentes.

15
'UD, SITAR ET SCHULTERZITHER

Sol grave: Enveloppe

Figure 6:Sol bass ‘ud, vue principale, logiciel wavepad sound editor

Figure 2 : sol bass sitar indien, vue principale, logiciel wavepad sound editor

Figure 3 : Sol bass schulterzither, vue principale, logiciel wavepad sound editor

'ud: attaque rapide, décroissance et rémanence dynamiques, extinction lente


sitar: attaque rapide, décroissance régulière, extinction rapide
schulterzither: attaque rapide, décroissance retardée, extinction lente

16
'UD, SITAR ET SCHULTERZITHER
Sol grave: analyse de fréquence

Figure 1: Sol grave, 'ud, temporal frequency analysis, logiciel wavepad sound editor

Figure 2: sol grave, sitar indien, temporal frequency analysis, logiciel wavepad sound editor

Figure 3: Sol grave, shulterzither, temporal frequency analysis, logiciel wavepad sound editor

Autre vue des mêmes sources sonores.


Si on se réfère à E. Leipp28,
• le premier spectre (fondamental intense et peu d'harmoniques) indique un son
"moelleux et velouté",
• le deuxième (harmoniques intenses, mais limités en hauteur) indique un son "chaud et
rond "
• le troisième (harmoniques nombreux, faible intensité) indique un son "maigre"

28
E. LEIPP, acoustique et musique , Masson, Paris 1984 (p.151)

17
'UD, Sol aigu, Sol medium, Sol grave
Enveloppe

Figure 7: Sol aigu ‘ud, vue principale, logiciel wavepad sound editor

Figure 8: Sol medium ‘ud, vue principale, logiciel wavepad sound editor

Figure 9: Sol bass ‘ud, vue principale, logiciel wavepad sound editor

Les trois hauteurs laissent apparaître la courbe dynamique liée au phénomène des double-
cordes. La note aiguë est plus homogène, moins chargée en sons partiels.

18
'UD, Sol aigu, Sol medium, Sol grave
Analyse de fréquence

Figure 1: Sol aigu 'ud, temporal frequency analysis, logiciel wavepad sound editor

Figure 2: Sol medium, 'ud, temporal frequency analysis, logiciel wavepad sound editor

Figure 3: Sol grave, 'ud, temporal frequency analysis, logiciel wavepad sound editor

Les trois courbes présentent des caractéristiques proches, mais avec des nuances en fonction
des registres. Toujours selon les schémas de lecture de E. Leipp, on est successivement
"riche" en haut, "chaud et rond" au milieu" et "moelleux et velouté" en bas.

19
Le Caire

20
CHAPITRE II

LE MAILLAGE DU ‘UD
SELON AL-FARABI
AVANT-PROPOS

Avant de rentrer pleinement dans les question du maillage du manche du ‘ud et de l’origine
des doigtés de la main gauche, je souhaiterais à la fois évoquer un ouvrage paru en 2010 et
rendre hommage à son auteur pour le travail remarquable qu’il a accompli, en facilitant le
travail des chercheurs investis dans l’univers de cet instrument29.

Il s’agit véritablement d’un état des lieux de la recherche musicologique consacrée à la


musique arabe, d’autant plus précieux qu’il a été fait en reprenant les versions d’origine en
langue arabe des traités. Toutes les théories sur le maillage du oud, l’installation des ligatures,
les contradictions sur leur existence réelle ou virtuelle, la question de la cinquième corde et de
son existence physique ou virtuelle ont été examinées, aussi bien dans le cadre des traités des
théoriciens des IXe et Xe siècles (notamment Al-Kindī, Al-Fārābī et Ibn Sinā)30 que dans celui
des ouvrages musicologiques du XXe siècle (Erlanger, Farmer, Wright, Shiloah, etc..).

Rappelons que notre propos n’est pas de nous inscrire en concurrence dans une démarche
d’historien aussi considérable, mais bien dans une approche de praticien soucieux de
comprendre les techniques digitales actuelles et ce qu’elles doivent à la tradition, avant
d’exposer les choix qui ont été les nôtres, non sans en donner les raisons techniques.

L’auteur fait ressortir un certain nombre de contradictions sur les questions citées plus haut,
qui ont pu parfois résulter de traductions approximatives, en montrant même comme certaines
restent encore sans réponse en attente de nouvelles données disponibles.

Il faut mentionner qu’à l’intérieur même de l’ouvrage d’Al-Fārābī, Kitabū l-Mūsīqī l-Kabīr
qui va nous servir de référence principale lors de l’explication qui suit, un certain nombre de
contradictions apparaissent concernant par exemple la question de la cinquième corde, qui est
à considérer comme virtuelle dans certains passages, et réelle dans d’autres, ce qui montre que
la question était un sujet de questionnement à l’époque. On peut se risquer audacieusement à
considérer qu’elle l’est encore en Egypte où les instruments sont prévus pour recevoir cinq
doubles-cordes31 (La, Ré, Sol, Do, Fa), mais ou le jeu le plus aigu (Le fa, donc) est absent la
plupart du temps.

29
Amine Beyhom, Théories de l’échelle et pratiques mélodiques chez les arabes Vol. 1, tome 1, Geuthner, Paris
2010
30
En ce qui concerne le premier tome
31
A partir du La, les cordes de basse étant à considérer à part, et nous y reviendrons au chapitre suivant.

21
Nous allons donc établir un maillage du ‘ud, pas à pas en suivant les indications données dans
le discours 2 de l’introduction consacrée au 'ud32, et qui mentionne clairement une
configuration à cinq cordes, la partie "Livre deuxième ou Livre des instruments" fait référence
à un instrument à quatre cordes dans un premier temps, pour évoquer ensuite l’adjonction
d’une cinquième.
"D’où l’on voit que le luth rend non seulement les degrés d’un seul groupe (une seule échelle d’octave),
mais encore leur réplique à l’octave aiguë. Si cependant nous voulons faire entendre l’octave aiguë de la note de
l’index de la troisième corde, nous ne trouverons pas sa place sur les ligatures du luth. Le second cycle de
dynamis, soit le groupe renfermant la réplique à l’octave des notes du premier groupe est donc incomplet33. Pour
le compléter, il nous faut doter l’instrument d’une cinquième corde, et nous trouvons le dernière note de cette
seconde octave à la touche de l’annulaire de cette dernière corde.".

Voici maintenant comment Al-Fārābī, commence son cours sur les ligatures et le maillage du
manche du ‘ud 34 :
"Les ligatures les plus usuelles sont au nombre de quatre; elles sont établies sur le manche de façon à ce
que les doigts puissent les atteindre le plus facilement possible, d'une façon moyenne et sans démancher. La
première est celle de l'index, la deuxième du médius, la troisième de l'annulaire et la quatrième de l'auriculaire...
La première note engendrée par chacune des cordes est donc rendue par la corde entière; elle est dite de la corde
libre. La seconde est appelée de l'index; la ligature qui limite la section de corde qui l'engendre se place au
neuvième de la distance entre le point de réunion des cordes et le cordier35. La troisième note est celle du médius;
nous ne parlerons pas ici de la touche qui limite la section de corde qui la produit, nous y reviendrons quand
nous traiterons de cette note36. La quatrième est celle de l'annulaire; la touche qui limite la section qui la fournit,
se fixe au neuvième de la distance entre la touche de l'index et le cordier37. La cinquième note est celle de
l'auriculaire; sa ligature s'établit au quart de la distance entre le point de réunion des cordes et leur autre
extrémité attachée au cordier38.
Nous voyons que les notes fournies par l'une des cordes du luth jouée à vide, puis par sa touche de l'auriculaire,
sont à un intervalle de quarte; celles engendrées par la corde libre et par la touche de l'index sont à intervalle de
ton; et celle rendues par la corde libre et par la touche de l'annulaire, à un diton. Les notes produites par une
corde arrêtée au niveau de la touche de l'annulaire, puis au niveau de celle de l'auriculaire, se trouvent donc
séparées par l'intervalle appelé reste (ou limma)39. Les touches les plus usuelles du luth délimitent donc les
intervalles du genre fort diatonique40.
Les cordes du luth sont tendues, d'après l'usage commun, de manière à ce que la deuxième produise, lorsqu'elle
est jouée à vide, une note identique à celle rendue par la première arrêtée au niveau de la touche de l'auriculaire;
la troisième corde, libre, doit produire une note identique à celle de la touche de l'auriculaire de la seconde; et la
quatrième, libre, rend une note semblable à celle de la touche de l'auriculaire de la troisième.
Toute corde libre produit donc une note qui se trouve à un intervalle de quarte de celle rendue par la note placée
au-dessous d'elle. L'échelle du luth ainsi accordé a deux fois l'étendue de la double quarte; il manque à cette
échelle deux intervalles de ton pour avoir l'étendue du groupe parfait41."

32
Rodolphe d'Erlanger, La musique arabe, (tome 1)[Al-Fārābī Kitabū l-Mūsīqī l-Kabīr] Geuthner, Paris (Page
45)
33
Le terme "Dynamis" signifie note que l'on peut trouver à deux hauteurs différentes. Cette recherche de
complétude a été la mienne lorsqu'il s'est agi de faire réaliser un 'ud sur mesure me permettant de faire face à
toutes les situations et ne présentant pas de limite de registre. Ma préoccupation en l'occurrence n'était pas
exactement cette question de compléter l'ensemble des dynamis, mais celle d'un praticien de culture occidentale
soucieux de pouvoir travailler dans n'importe quelle des douze tonalités. Cette question est développée
davantage ailleurs, notamment dans la section consacrée à la question des transpositions.
34
La musique arabe, P 166
35
A un ton donc, du sillet.
36
Fârâbî renvoie cette ligature plus loin car c'est sur elle que se jouent à cette époque la question des tierces
(perse et zalzalienne) qui doit être développée longuement.
37
Cordier signifie bien sur chevalet.
38
Soit la quarte.
39
Intervalle qui "reste" quand on retire le diton de la quarte. Déjà mentionné ainsi chez Pythagore, inférieur d'un
comma au demi-ton
40
Ton-ton-demi
41
Groupe parfait : chaque note entendue à deux octaves différentes. Ce manque est résolu par la cinquième
corde.

22
Il est symptomatique de constater que les ligatures (virtuelles, rappelons-le) portent le nom
physique d'un doigt et impliquent une norme, à laquelle une entorse ne peut être que
passagère42. C'est à partir de cette donnée qu'il est montré dans le chapitre qui suit pourquoi
les doigtés et le système de positions actuels sont encore influencés par le poids de cette
tradition.

LES SCHÉMAS

Voici la succession de schémas du ‘ud, dont l’objectif est de faire comprendre comment on
est arrivé au maillage actuel, à partir de celui proposé en figure 73, par A. Beyhom et titré
"Maillage intermédiaire de la touche du ‘ud dans le Kitāb l-Mūsīqī al-Kabīr de Fārābī".
Quelques remarques seront à prendre en compte dans la succession des schémas :

• La note la plus grave est un La1, la plus aiguë étant donc un Sib3.
• Sabbābā, binsīr et khinsir signifient index, annulaire et auriculaire.
• La distance sillet-sabbābā et la distance sabbābā-binsīr sont des tons (8/9 de la corde
complète, puis 8/9 de la distance sabbābā-chevalet )
• La distance binsīr-khinsir est un limma (243/256 de la corde complète, un peu moins
qu’un demi-ton), ou écart entre une quarte et un double-ton.
• La première ligature est à 8/9 de la longueur de la corde complète, la deuxième à
64/81 et la troisième à ¾ (quarte juste)

Le nom des cordes43.


- Bamm est le nom de la corde la plus grave
- Mathlāt est le nom de la deuxième
- Mathnā est le nom de la troisième
- Zīr est le nom de la quatrième
- Hādd est le nom de la cinquième

1. Maillage du ‘ud, trois premières ligatures

Ré Do# Si La

Sol Fa# Mi Ré

Do Si La Sol

Fa Mi Ré Do

Sib La Sol Fa

khinsir binsīr sabbābā Sillet


Figure 10 : Maillage intermédiaire de la touche du ‘ud dans le Kitāb l-Mūsīqī al-Kabīr de Fārābī (d’après
Amine Beyhom, p.202)

42
Les ligatures les plus proches du sillet, appelées mujannabāt (voisines de l'index) que l'on verra plus loin dans
cet exposé, portent toujours ce nom dans le langage des musiciens.
43
Il est à noter que les schémas suivants, d'après l'ouvrage de Beyhom, indiquent la suite LA-RE-SOL-DO-FA,
qui est celle généralement constatée actuellement. La nomenclature proposée par Erlanger ou par le Grove's
dictionnary fait apparaître la suite SOL-DO-FA-SIb-MIb. Les notes à l'époque de Fārābī étaient figurées à l'écrit
pas des lettres.

23
Rappelons de nouveau le point très important qui va conditionner toute la tradition digitale de
la transmission du ‘ud jusqu’à aujourd’hui, à savoir la position par défaut de l’index à distance
d’un ton du sillet. Des notes vont arriver ensuite qui vont nécessiter le déplacement de l’index
vers le sillet (à droite sur le schéma), mais toujours d’une façon provisoire, en attendant qu’il
récupère sa place naturelle, sur la ligature qui porte son nom.

Par ailleurs, le fait de vouloir faire entendre la quarte par l’auriculaire sur la même corde,
plutôt que sur la corde suivante à vide nous semble significative. Elle témoigne probablement
d’un système de pensée hérité du monocorde, sur lequel les théoriciens grecs ont déterminé
tous les calculs d’intervalles liés aux longueurs de cordes: les rapports d’octave (1/2), de quinte
(1/3), de quarte (1/4), de ton (8/9), de diton, de limma44. Puis, toute la théorie des genres, le
système tétracordal, structurés sur les divisions de la quarte juste, et fondamentaux dans le
système musical arabe, reposent aussi sur une seule corde. Il est ainsi logique de penser chaque
corde comme un vecteur possible du développement d’un genre donné, les cordes contiguës
étant des supports possibles d’autres genres, ou du même transposé plus haut ou plus bas.

Ainsi, le système de pensée d’Al-Fārābī, faisant référence d’abord à la double quarte, puis à
l’octave complète (double quarte plus un ton), puis à la double octave afin d’obtenir un
système "parfait", en installant des ligatures manquantes au système ainsi construit, est le
témoignage d’un système très homogène, très moderne et achevé, comme il le formule lui-
même plusieurs fois. Citons deux passages significatifs de cette posture très assurée, peut-être
symptomatique de ce qu'on appelle l'âge d'or, le premier concerne le répertoire de mélodies,
qui ont acquis leur maturité dans le relais naturel de génération en génération, de maîtres à
élèves,

"Ces encouragements firent naître une émulation et firent surgir un grand nombre d'artistes de talent. L'un
allongea ce qui était trop court chez l'autre, raccourcit ce qui était trop long, de façon qu'à la longue les mélodies
devinrent parfaites ou à peu près"45

Le second passage fait allusion aux techniques de lutherie:

"Les artistes successifs choisirent parmi les corps naturels ou artificiels ceux qui donnaient ces notes avec le plus
de perfection. Ils améliorèrent ainsi les divers instruments; ceux-ci avaient-ils un défaut, petit à petit ils le firent
disparaître; le luth et les autres instruments se trouvèrent de la sorte achevés"46.

2. Les wasatiyyat (medius)

Le médius est le dépositaire originel de toute une partie de la théorie musicale propre à la
musique arabe, qui concerne les degrés hors de la gamme chromatique tempérée, qu’on appelle
quarts de ton, ou tierces neutre, ou micro-intervalles matérialisés à l’écrit par les ½ bémols et
les ½ dièses. On verra que finalement, ce n’est en pratique plus ce doigt qui prend en charge
ces degrés. Mais ne brûlons pas les étapes.

• La première position de médius est placée en revenant vers le sillet à partir du khinsir
à une distance de 9/8 de longueur de corde (1 ton, donc). Al-Fārābī l’appelle "voisine du
médius" et nous dit qu’ « on se sert quelquefois de cette note, mais le plus souvent on la
néglige ».

44
Distance entre quarte juste et double ton, légèrement inférieure au demi ton, ce que savent très bien les savants
arabes et qui participe à l’accumulation des ligatures que l’on va voir ensuite.
45
La musique arabe, Page 20
46
Idem

24
• Le deuxième médius, appelé "médius perse" par Al-Fārābī est situé entre sabbābā et
binsīr, à un ton et demi du sillet, 68/81 de la longueur totale de la corde. C’est la note
"juste" du système à 12 sons.

• Enfin le troisième médius, dit "wusta zalzalienne47" est situé d’après Al-Fārābī à mi-
chemin entre le médius perse et le binsīr. Beyhom le situe à 22/27 de la longueur de la
corde, à un ton ¼ du sabbābā (presque au milieu de la distance sabbābā - khinsir).

3 2 1

Ré Do# Do½# Do Si La1


½½
Sol Fa# Fa½# Fa Mi Ré

Do Si Si½b La# La2 Sol

Fa Mi Mi½b Ré# Ré Do

Sib La3 La½b Sol# Sol Fa

khinṣir binṣīr [wasatiyyāt] sabbābā Sillet

Figure 11 : Maillage après adjonction des trois ligatures du medius

Les trois ligatures de médius sont ajoutées au premier schéma. Les deux très rapprochées sont
celles du médius perse (2) et "voisine du médius" (1). La ligature de la wusṭa zalzalienne (3)
entre sabbābā et khinsir est porteuse des degrés affectés de demi altérations.

3. Les mujannabāt (voisines de l’index)

Ces nouvelles ligatures résultent d’une préoccupation simple et rationnelle des théoriciens,
laquelle est aussi en cause dans la question de la cinquième corde, à savoir la possibilité de
pouvoir répéter à l’octave supérieure tous les degrés disponibles dans le registre grave48. On
voit facilement sur la figure précédente quels sont les degrés introuvables à l’aigu (entre La2 à
La3), alors qu’ils existent dans le grave (entre La1 à La2), et (dans un second temps dans la
démonstration de Fārābī49) les degrés introuvables au grave, qui existent à l’aigu. En d’autres
termes, toutes les ligatures que l’on va placer entre le sillet et le sabbaba sont des
correspondances de celles qui existent à ce stade, des "jumelles" en quelque sorte des
wasatiyyat que l’on vient d’ajouter, ou de degré du binsir "orphelins".

47
Beyhom (p.112) : Zalzāl (D.791) "Reconnu par Ishāq al-Mawsili comme étant le meilleur oudiste de l’époque,
il aurait été notamment l’introducteur de la fameuse tierce neutre (de rapport 22/27) sur la touche du ‘ud
(également appelée wussa de Zalzāl)".
48
La question des dynamis, évoquée plus haut
49
Farabi (p.48) : "Nous trouverons la réplique à l’octave aiguë de la note de l’annulaire [de la deuxième corde]
sur la cinquième en un point situé au-dessus (au grave) de la touche de l’index et la réplique de la note du médius
en un pont situé un peu au-dessus de celui-là". Puis plus loin : "Cependant, les notes que nous avons établies
dans le second cycle n’ont pas toutes leur réplique à l’octave grave dans le premier… Si nous tenons à établir ces
répliques, nous trouvons celles des notes du médius des cinquième, quatrième et troisième cordes respectivement
sur la troisième, deuxième et première en un point situé un peu au-dessus (au grave) de la touche de l’index."

25
4 3 2 1

Ré Do# Do½# Do Si Si½b La# La1


½½
Sol Fa# Fa½# Fa Mi Mi½b Ré# Ré

Do Si Si½b La# La2 La½b Sol# Sol

Fa Mi Mi½b Ré# Ré Ré½b Do# Do

Sib La3 La½b Sol# Sol Sol½b Fa# Fa

khinsir binsīr [Wasatiyyat] sabbaba [mujannabat] Sillet

Figure 12 : Maillage après adjonction des ligatures mujannabāt (voisines de l’index)

• La première mujannāb (1), la plus à droite, est mentionnée par Beyhom à un limma du
sillet, soit à 243/256 de longueur de la corde.

• La deuxième (2), très proche, est à mi-chemin de la distance entre sillet et sabbābā,
soit le demi-ton "juste" du système à douze sons (occidental tempéré). Elle est à 17/18
de la corde complète.

• La troisième (3) est à mi-distance entre le sillet et la wusta "persane" (juste du système
tempéré). Elle est à 149/162. c'est celle qui correspond à la wusṭa zalzalienne.

• La quatrième (4) est à mi-distance entre le sillet et la wusta "zalzalienne", à 49/54. Les
notes qu'elle porte sont légèrement plus graves que celles de la ligature sabbābā, mais
moins grave que le quart de ton50. L'altération est parfois écrite comme un bémol
inversé.

REMARQUES

Ce maillage achevé ainsi que le cours sur les genres51 soulèvent un certain nombre de
questions intéressantes sur le système mélodique et la nomenclature modale à l’époque de
Fārābī. Ces questions risquent malheureusement de rester sans réponses dans la mesure où on
ne peut pas vraiment savoir quelle est la proximité exacte entre le travail des théoriciens et la
réalité des pratiques de leur temps, surtout en tenant compte de l’espace culturel et
géographique considérable qu’est "le territoire du ‘ud". En d’autres termes, qui furent les
précurseurs ? Les théoriciens, en ouvrant la voie aux praticiens, ou les musiciens, suivis
ensuite par les théoriciens ? Et peut-on être certain que Fārābī, même si on est tenté de penser
qu'il ait été lui-même praticien, soit le garant d'une modernité universelle, depuis l'andalusīa
jusqu'à l'hindustan?

50
L'instrument turc saz, à manche long et à ligatures réelles comprend cette note dans son frettage.
51
Al-Fārābī, Kitāb l-Mūsīqī al-Kabīr, p. 55-60

26
1. Peut-on penser que l’éventail des toniques en usage se limite à l’ensemble des cordes à
vide, même si ce n’est pas absolument formulé ainsi ?
2. Les échelles à deuxième degré bas (commençant donc par un intervalle de demi-ton)
soit toutes les dérivées de kurdī et toutes les dérivées de hijāz ne font pas partie du
système théorique. Est-ce une réalité concrète au Xe siècle ?
3. Le mode rāst est déjà présent, aux cotés des genres diatoniques, chromatiques,
enharmoniques, dont certains sont totalement absents à l’heure actuelle (si toutefois ils
ont existé autrement qu’en objet de spéculation pure) comme la division de la quarte
en trois intervalles égaux. Qu’en est-il des dérivés de rāst, à savoir bayātī, sīka, et
leurs familles ?
4. Aucun des genres répertoriés ne fait apparaître le seconde augmentée (ton et demi)
enchâssée entre deux secondes mineures (demi-ton), cette progression tétracordale très
emblématique du système mélodique arabe, aux cotés de la tierce zalzalienne. Faut-il
en déduire que la première soit apparue plus tardivement que la seconde (alors que
l’appellation hijāz semble porteuse d’une connotation "originelle" pré-islamique52)?

C'est chez Safi ad-Dīn (d.1294) qu'on va trouver la nomenclature modale, qui nous rapproche
vraiment de ce que l'on connaît actuellement, en tous cas par le système conceptuel 53. Amnon
Shiloah, dans une note de son ouvrage La musique dans le monde de l'Islam, à propos des
douze structures modales principales, nous dit que "ce dernier (safi ad-Din), probablement, ne
faisait que reprendre une nomenclature connue par la pratique de son temps"54. Ceci nous
donne un point de vue éminent sur la question posée précédemment de l'antériorité entre
théoriciens et praticiens.

Figure 13: Vue du chevalet d'un 'ud à 13 cordes de 2008

Les cinq cordes évoquées dans tout le chapitre sont les cinq groupes les plus à droite. Les deux à gauche sont les
basses additionnelles (une simple et une double) dont il sera question dans le chapitre suivant.

52
Ce maqām (mode arabe) porte le nom d'une région, celle du nord ouest de la péninsule arabique (face à
l'égypte), où de trouvent les villes de Médine et La Mecque et où on situe culturellement la période pré-islamique
de la jahilyyah
53
Lequel est développé dans cet ouvrage dans le chapitre intitulé Maqamat.
54
Page 250

27
Music shop, Istambul

28
CHAPITRE III

LE CLAVIER ACTUEL DU 'UD

LA QUESTION DES CORDES GRAVES

Il convient en préambule au système digital actuel d’évoquer la question des cordes de basse,
qui sont placées au grave de tout la nomenclature décrite au chapitre précédent, qu’elle soit à
quatre ou à cinq cordes. Ces cordes sont au nombre de une ou deux (suivant les régions), et
elles sont rarement sollicitées dans le discours mélodique principal. Leur usage est de
ponctuer le flux mélodique en doublant certaines notes importantes (les valeurs longues le
plus souvent) à l’octave inférieure. Différentes configurations existent quant à leur accord, et
il est même d’usage d’en changer la hauteur en fonction du mode (maqām) dans lequel la
pièce (ou la suite de pièces) va rouler. Citons Abdelhak Ouardi, oudiste marocain et auteur
d'une méthode en français dans la section titrée "les octaves":

"Le jeu en octaves est très important à l'oud, mais elles sont assez rarement signalées sur les partitions. Vous
devez les identifier à l'oreille et les intégrer au morceau. Le principe est simple. On peut remplacer une note par
son octave (le plus souvent l'octave inférieure) ou jouer consécutivement une note et son octave. Ainsi, si la
partition indique un Sol 2e ligne, vous pouvez le remplacer par l'octave inférieure ou jouer consécutivement les
deux notes en commençant par l'une ou l'autre. Dans ce dernier cas, si le Sol 2e ligne est une noire sur la
partition, les deux Sols consécutifs deviennent deux croches afin de respecter le phrasé55"

Sans répertorier toutes les solutions d'accordage de ces basses qui se rencontrent dans
l’univers du ‘ud, je voudrais juste mentionner l’option la plus rationnelle que j’ai pu constater
très récemment (en 2012) chez un praticien marocain de Marrakech, M. Anouār :

• La corde la plus grave (simple et non double, comme il est d’usage) est accordée en Do.
• La suivante, double, est accordée en Fa
• On arrive ensuite au groupe principal qui commence avec un La comme dans le chapitre
précédent.

Mi Ré# Ré Do# Do

Lab Sol Fa# Fa

La
Figure 14 : Configuration des deux basses DO-FA telle qu'adoptée par M. Anouār, à Marrakech. (2012)56

55
Abdou Ouardi, La méthode de oud, éd. JJ Rébillard, Ivry-sur-seine, France, 2009 (p. 64)
56
Cette option parait être celle retenue par khalid Bassa, éminent pédagogue tunisien actuel, dans le sixième
volume de sa méthode, comme on va le voir plus loin.

29
On constate ici une solution permettant d’atteindre assez aisément toutes les notes de l’échelle
chromatique (les notes à demi altération n’étant pas doublées à la basse), sans avoir à changer
la hauteur des deux cordes de basse. A partir de la corde de La, on rejoint le groupe principal.
On peut se demander pourquoi ne pas accorder ces deux basses dans la continuité du cycle de
quartes (c’est-à-dire en Si et Mi), ce qui offrirait également l'ensemble des doublures de
l'échelle chromatique. La réponse est que les toniques Si et Mi sont pratiquement inexistantes,
dans l’univers modal, alors que Do et Fa sont fréquentes, et que les doublures à la basse sont
préférables sur cordes à vide que sur la première ligature. Quant aux doublures Ré et Sol
souvent rencontrées aussi, elles sont assez aisées à atteindre sur la deuxième ligature.

Un autre phénomène est à mentionner ici en préambule, qui est l'absence finalement fréquente
de la corde de Hādd (la 5e du maillage de Farabi). Le fait de rencontrer le plus souvent des
instruments équipés pour recevoir 11 cordes (5 doubles et une simple) pourrait donner à
penser qu'on a élargi encore les possibilités du 'ud à 5 cordes de Fārābī. Ce n'est pas tout à fait
le cas. Les cordes graves, en position 1 et 2 ne font pas partie du corpus des cordes
mélodiques57. Il reste donc quatre cordes dans de nombreux cas (dans le Maghreb en général),
et la corde la plus aiguë est donc un Do. Ce qui nous ramène à la solution incomplète dont
parle Fārābī avant l'adjonction de la corde de Fa. S'y ajoutent cependant les deux basses, qui
permettent de doubler toutes les notes du clavier principal et de réaliser le second cycle de
dynamis58 sans démancher... à l'octave grave. Dans l'aigu, on est contraint de démancher à
partir du Fa (cinquième ligne en clé de sol), alors que cette note, ainsi que les suivantes
jusqu'au La se rencontrent assez couramment. Ainsi dans les oeuvres présentées dans la
méthode de Khalid Bassa (évoqué précédemment dans une note et dans les exemples ci-
dessous), les (nombreux) passages musicaux dont le registre dépasse le mi aigu (4e interligne
de la portée) sont préconisés en troisième ou en quatrième position. Quand à l'émergence
accidentelle d'un Do aigu (deux lignes supplémentaires au-dessus de la portée), elle impose
l'emploi de la 5e position, complètement au-dessus de la table d'harmonie avec les difficultés
d'exécution que l'on imagine facilement.
A quoi doit-on cette "fidélité" au système à quatre cordes principales, et à cette résistance à
franchir le pas vers un confort dont nous exposons les contours ci-dessous59? On a pu sentir
concrètement ce phénomène lorsque nous avons commandé un instrument "sur mesure" chez
un luthier tunisien, M. Haddād. Il a accepté de préparer l'instrument en configuration 5+2,
avec cinq jeux mélodiques donc, mais non sans essayer de me convaincre que je pouvais
atteindre les notes aiguës sans avoir besoin de la corde de Fa.

LA QUESTION DES DOIGTÉS

57
Pour clarifier davantage les propos ci-dessus, on peut utiliser cette écriture en addition, plus parlante que la
mention 'ud à cinq cordes, ou 'ud à six cordes, qui n'est pas assez précise.
'ud 4+2 = 4 cordes mélodiques + 2 basses (Maghreb, Liban) = 6 cordes
'ud 5+1 = 5 cordes mélodiques + 1 basse (Egypte) = 6 cordes
'ud 4+1 = 4 cordes mélodiques + 1 basse (Egypte) = 5 cordes
'ud 5+0 = 5 cordes mélodiques (Farabi) = 5 cordes
'ud 5+2 = 5 cordes mélodiques + 2 basses = 7 cordes
58
Rappelons que les dynamis dans l’ouvrage de Fārābī représente l’ensemble des degrés dont on peut disposer à
deux octaves différentes
59
On se gardera de risquer des hypothèses hasardeuses liées aux spéculations numérologiques sur le nombre
quatre évoquées chez Kindī à propos du "'ud classique à quatre cordes".(Shiloah, p.135)

30
Nous proposons ci-après quatre extraits issus du sixième tome de l'excellente méthode de
'ud60 de Khalid Bassa, qui vont nous servir à la fois d'illustration à ce qui vient d'être dit et
d'introduction à la suite.

Figure 15: Fragment mélodique d'une pièce (3e couplet d'un samaï en mode sika 'iraq) faisant apparaître
l'utilisation en alternance des positions 1 et 3, indiquées par les indications 3P et 1P. (p.34)

Figure 16: Schéma de la première position dans la méthode de 'ud de Khalid Bassa (vol.6). On distingue le
sabbaba à un ton du sillet comme chez Farabi, le corpus des cordes à vide (à droite) faisant apparaitre les
deux basses Do (corde simple) et Fa (corde double) puis les cordes mélodiques à partir du La qui ne sont
que quatre et s'arrêtent au Do 3e interligne. (P.11)

Figure 17: Schéma de la 3e position qu'il faut adopter en alternance avec la 1ère pour jouer le fragment ci-
dessus sur un ‘ud 4+2 (p.13)

60
BASSA Khalid: le oudiste/une compilation des meilleures pièces musicales, (Benboudhina, tunis, 2009)

31
Figure 18: Schéma de la 5e position qu'il faut adopter pour atteindre le Do aigu. Il est rappelé que les
frettes (ou ligatures) sont virtuelles61. (p.15)

Le système de doigtés sur le ‘ud actuellement repose donc comme on vient de le voir sur un
système de "positions". La première position est l’héritière directe de la tradition millénaire
qui assigne à l’index la position qui est la sienne (sabbābā) sur tous les schémas du chapitre
précédent. Elle est préconisée dans toutes les pièces (ou les passages) en Do et Fa, avec
tétracorde inférieur à tierce majeure et La, Ré et Sol avec tétracorde inférieur à tierce mineure
(ce qui sous-entend plusieurs maqāmāt et un volume patrimonial conséquent)62. Elle est
enseignée en premier par les maîtres que j'ai pu côtoyer et dans les premiers exercices des
méthodes écrites que j'ai pu avoir en mains, que leur provenance soit occidentale (Maghreb et
France) ou orientale (Emirats, Liban, Egypte). Pour être parfaitement honnête, il existe une
méthode égyptienne, The method of lute, du maître Abdel-Hamid Mashaal, qui préconise
l'apprentissage du 'ud avec l'organisation digitale que nous nous proposons de développer plus
loin, et qui est héritée (pour notre propre cursus) de l'apprentissage des gammes à la guitare de
la méthode américaine de la Berkeley school.

La figure suivante donne l’illustration de la première position pour la gamme de Do majeur.

Do Si La1

Fa Mi1 Ré

Si2 La2 Sol

Mi2 Ré2 Do

Annulaire médius index sillet

Figure 19 : Doigté actuel de la gamme de Do majeur dans la majorité des méthodes actuelles, illustrant la
première position.

61
Cela n'est peut-être pas de nature à effrayer un violoniste, mais un guitariste certainement.
62
Les maqāmāt sont développés dans le chapitre qui leur est consacré.

32
On attaque la gamme de Do par le médius, à l’emplacement historique du wusta perse.
Les cordes à vide sont utilisées dès que c’est possible. L’auriculaire jouant les synonymes des
cordes à vide n’est plus en vigueur, sauf pour l’exécution de certains traits rapides pour
lesquels il y a intérêt à "travailler" sur une seule corde.
Les notes Mi1, La2 et Ré2, sont exécutés avec l’index sur la touche "historique" du sabbābā, et
Si2 et Mi2 sont joués sur la ligature du binsīr.

Figure 20: gamme en Do (méthode de débutant marocaine) illustrant la première position. (p.18).63
Les chiffres sous les notes indiquent les doigts de la main gauche préconisés pour l’exécution (1 pour l’index, 2
pour le médius, etc..)

Figure 21: Deux exercices de débutant (méthode libanaise) mettant en jeu les tétracordes nahawand en sol
et en ré, illustrant la première position.64
Un passage en la mineur naturel va généralement être doigté de même. En cas d’occurrence
d’un sol # (3e corde fig. 6), soit le joueur va démancher pour le jouer avec l’index, puis jouer
le La au médius et le si à l’auriculaire, soit il va jouer le Sol# à l’index, puis glisser ce doigt
pour qu’il puisse aussi jouer le La. Ce glissement est souvent utilisé, notamment dans le cadre
d’une sensibilisation d’une note par celle qui en est à distance de ¼ de ton inférieur.

A partir du moment où on va quitter cette configuration, on va rentrer dans ce qui est appelé
demi-position. C’est le cas par exemple, pour les échelles (nombreuses) ayant pour tonique
Do et dont la tierce n’est pas majeure, comme on va le voir ci-dessous.

Do Sib

Fa Mib Ré

Si Sib Lab Sol

Mib Ré Do

Auriculaire Annulaire médius index sillet


Figure 22 : doigté actuel pour l’échelle Do nahāwand (=mineur naturel) illustrant la demi-position.

63
EL HELOU, rachid: La nouvelle méthode pour jouer le 'ud, (Dar ennachar el haditha, Casablanca, 1983)
64
BACHIR, Jamil: Apprendre le 'ud sans maître (Al maktaba al hadissa, Beyrout, 2007)

33
Ceci s’appelle demi-position. On voit que l’ensemble de la main s’est décalé vers la droite sur
le schéma (à gauche en réalité sur l’instrument). L’index joue sur la ligature historique du
mujannāb (voisine), le médius sur celle du sabbāba, l’annulaire sur celle du wustā, et
l’auriculaire sur celle du binsīr pour le cas (fréquent) où la composition emprunte le Si
bécarre passagèrement.

Figure 23: gamme et shéma du 'ud dans la méthode égyptienne de Mashaal65

Si nous établissons maintenant le diagramme de Do rāst, on va constater un système digital


dans lequel on va changer de position au sein d’un même mode. Rappelons-en d’abord
l’échelle :

Do Si½b La
démanché
Fa Mi½b Ré

Si½b La Sol

Mi½b Ré Do

Annulaire Annulaire index index sillet

Figure 24 : Un des doigtés rencontrés pour l’échelle de rāst, illustrant le démanché au sein de l’échelle.66

65
MASHAAL Abd el hamid, Méthode scientifique et répertoire des maqāmāt (al maktaba al masry, Cairo 2006)

34
Les ligatures porteuses de degrés affectés de ½ bémol sont matérialisées en pointillés. On
constate le démanché entre les deux positions, la "demi-position" pour la partie grave de
l'échelle, avec le Do et le Fa pris en charge par l'annulaire et les degrés demi altérés par
l'index, puis la "première position" à partir du Sol, pour le tétracorde aigu, l'index reprenant sa
position par défaut. Cette option n'est pas systématiquement préconisée, on rencontre
couramment celle qui suit:

Do Si½b La

Fa Mi½b Ré

Si½b La Sol

Mi½b Ré Do

Auriculaire Annulaire Medius Index Sillet

Figure 25: Autre doigté pour l'échelle de rāst, sans démanché.

Le médius et l’annulaire sont ici dans une verticalité rigoureuse. L’index et l’auriculaire
prennent en charge les ligatures de demi altérations. L’un et l’autre sont requis pour agir sur
les ligatures voisines en cas de besoin, à droite pour l’index et à gauche pour l’auriculaire.
L'exercice suivant de la méthode de Abdou Ouardi illustre bien l'existence des deux options
(et par extension l'absence d'une configuration digitale unique faisant "autorité" dans le
domaine de la technique instrumentale)

Figure 26: Illustration de deux manières de "doigter" l'échelle rāst dans une même méthode. (p.59)

Les deux lignes illustrent deux doigtés pour parcourir la même échelle, celle de rāst, comme
l’indiquent les deux demi-bémols à la clé (Le si devient bémol lors de la descente, comme il
est souvent d’usage). La première technique applique la verticalité stricte du majeur et de
l’annulaire, telle que représenté figure 25. La seconde impose de démancher selon la
représentation de la figure 24. Ouardi explique qu’il est préférable de commencer par la
première technique, plus simple, puis il dit :

66
Les figures 19, 22, 24 et 25 ne font pas figurer la corde de Fa, car elles sont tirées de méthodes de 'ud dans
lesquelles cette corde est absente. Nous la maintenons néanmoins incluses dans le schéma, car elle va ré
intervenir dans le chapitre suivant.

35
"Après beaucoup de travail et de pratique, vous pourrez appliquer la deuxième technique avec une grande
souplesse d’exécution sur tous les exercices et morceaux qui sont basés sur les gammes arabes de manière
générale. "

On n’apprend pas pour quelle raison il convient "après beaucoup de travail et de pratique", de
changer et d’abandonner le premier doigté qui ne présente aucun inconvénient, ni physique, ni
musical.

REMARQUES

On touche du doigt ici la question de la rationalité, dont il avait été question dans l’avant-
propos de cet essai. Dans la situation de "changement de périmètre culturel" qui est la nôtre,
on aborde un univers musical, mais aussi social, humain différent de celui dont on est issu.
Les certitudes dont on est imprégné peuvent nous faire porter des jugements hâtifs sur des
pratiques, des méthodes, des systèmes qui pourraient, pensons-nous, être plus efficaces,
mieux exploités, transmis. Dans ce cas, il convient de garder en mémoire pourquoi on a fait
un tel choix, pourquoi on en est venu à consacrer du temps et de l’énergie pour réaliser en
quelque sorte cette "migration culturelle" : dans tous les cas, pour le domaine sonore, c’est
une envie de participer à un monde musical qui nous a conquis, et dans lequel on veut
s’inscrire concrètement, sans renier pour autant sa culture d’origine. Et cet univers est le
résultat d’un vaste ensemble de paramètres, techniques, culturels et humains, avec des talents,
des génies, des humbles, des limites, des imperfections, qui à travers les époques ont généré
un paysage sonore qui est d’une certaine façon, "à prendre ou à laisser" dans son intégralité.

C’est la raison pour laquelle il nous semble que tout jugement de valeur sur des pratiques
paraissant étonnantes ou "dénuées de bon sens" doit être proscrit. Cela n’empêche pas, bien
sur de mener une réflexion propre sur son cheminement d’instrumentiste, à la recherche de
solutions pour optimiser efforts et temps d’apprentissage. C’est ce à quoi sera consacré la
partie suivante, dans lesquels nous exposerons les options digitales et instrumentales que nous
avons retenues, qui sont le résultat d’un cheminement personnel, et qui à ce titre n’engagent
que nous.

Gizeh, Egypte

36
CHAPITRE IV

PROPOSITIONS

PARENTHESE: GUITARE

En introduction à cette partie, nous souhaitons maintenant évoquer la technique de gammes à


la guitare telle que préconisée par les publications de la célèbre école de musique américaine
Berkeley school,. Elle non plus n'est pas un standard universel adoptée par tous les guitaristes
de Jazz et de Rock, et elle cohabite avec d'autres systèmes qui ont fait leurs preuves, sur
lesquels nous ne nous étendrons pas ici.

Il s'agit aussi d'un système basé sur des positions, dans lequel les deux doigts centraux
(médius et annulaire) agissent d'une façon parfaitement "verticale" et ce, en dépit de la
complexité due à l'intervalle de tierce structurel à la guitare entre les cordes 2 et 367.

La Sol Fa# Mi

Ré Do# Si La

Sol Fa# Mi Ré

Si La Sol

Mi Ré Do# Si

La Sol Fa# Mi
Auriculaire Annulaire Médius Index sillet

Figure 27: Berkeley school. Gamme de Ré majeur à la guitare en 2e position, sans cordes à vide. Elles sont
indiquées au sillet à titre de rappel. Les toniques sont en gras. Cette configuration ne nécessite pas
d'extension. Chaque doigt prend en charge une seule frette.

La rationalité de ce système est poussée à l'extrême de telle manière que chacune des douze
gammes chromatiques peut être exécutée à partir de chacune des positions du manche. On va
le voir dans l'exemple suivant qui est très proche puisqu'on va cette fois présenter la gamme
de Ré majeur en troisième position, immédiatement voisine.

67
Il faut attirer l'attention du lecteur sur le fait que s'agissant de la guitare, nous considérons comme il est d'usage
que la première corde est la plus aiguë et qu'on les compte de l'aigu au grave, ce qui est donc à l’inverse de tous
les diagrammes précédents concernant le ‘ud.

37
La Sol Mi

Ré Do# Si La

Sol Fa# Mi Ré

Do# Si La Sol

Fa# Mi Ré Si

Si La Sol Mi
Auriculaire Auriculaire Annulaire Médius Index Index
Extension Extension

Figure 28: Berkeley school. Gamme de Ré majeur en 3e position, sans cordes à vide.

Cette configuration nécessite plusieurs extensions, ce qui est visible au premier coup d'oeil
puisqu'elle s'étend sur 6 frettes. La rigueur du système repose sur le fait que dans toutes les
positions et dans toutes les tonalités, les deux doigts centraux restent dans une verticalité
immuable, les extensions étant prises en charge exclusivement par les doigts 1 et 4.

RETOUR AU 'UD

Comment ce système adapté à la guitare, hors des cordes à vide, peut-il trouver une résonance
dans notre discussion sur les doigtés? Peut-on s'inspirer de cette verticalité des deux doigts
centraux pour faire face à tous les types d'échelles, arabes d'abord (incluant de fait les
majeures et mineures), mais aussi pentatoniques, blues ainsi que les arpèges, gammes par
tons, hexatoniques, et cet ensemble autant que possible dans toutes les tonalités, ce qui est
sous-entendu dans la dimension polysémique que l'on s'est donnée comme postulat?

D'abord, il est entendu que la version à cinq cordes mélodiques est incontournable, dans la
perspective de pouvoir parcourir une gamme, quels que soient les degrés qui la constituent,
dans toutes les tonalités. Dans une version à quatre cordes, dont le Do est la dernière corde à
vide, il est très compliqué de pouvoir accéder au registre aigu à partir du Fa, on l'a déjà vu au
chapitre précédent. C'est la raison pour laquelle nous avons opté pour un 'ud de type 5+2 de
façon à disposer d'un jeu mélodique complet et d'un jeu de basse à deux cordes. Cela permet
de disposer de trois octaves dans de bonnes conditions en Do, et d'avoir au moins deux
octaves dans tous les tons, y compris en Lab.

Ensuite, il convient d'examiner les conséquences pratiques du choix consistant à s'imposer


une ligature fixe pour le médius et l'annulaire, et à donner tout le champ des extensions
nécessaires, y compris pour les degrés à demi altérations, à l'index et à l'auriculaire. Les
ligatures fixes des deux doigts centraux qu'on se propose d'adopter sont bien sur à distance
respectives d'un ton et d'un ton et demi à partir du sillet, soit les sabbābā et wasatiyyāt
persanes historiques.

Reprenons notre première gamme basique de Do, en lui appliquant ce postulat. Cette fois
nous étendons le registre jusqu'à la corde de Fa, en considérant qu'elle est bien réelle (et
revendiquée).

38
Do Si La

Fa Mi Ré

Si La Sol

Mi Ré Do

La Sol Fa
Auriculaire Annulaire Médius Index sillet

Figure 29: Echelle de Do majeur, sur un 'ud à cinq cordes principales


Remarques

Les deux basses ne figurent pas pour alléger la figure.


On considère qu'on est en première position selon l'acception admise pour la technique de
guitare, c'est à dire lorsque les doigts occupent chacun une ligature chromatique sans
extension et que l'index (absent ici) est sur la première ligature. Par exemple, ce que les
méthodes de 'ud considèrent comme première position, est ici la deuxième (l'index y occupant
la deuxième ligature chromatique).

En ce qui concerne les échelles mineures (nahāwand), il est inutile d'en répéter les schémas
ici puisque les figures 22 et 25 du chapitre précédent présentent des doigtés qui s'inscrivent
dans ce système.

Il est exclu ici de réaliser un schéma pour toutes les échelles dans toutes les tonalités. Cela
prendrait une place trop importante dans ce cadre, qui n'est pas une méthode instrumentale. Il
faut savoir simplement que cette systématisation permet de faire face à toutes les situations
dans toutes les tonalités, à l'exception de modes à degrés demi altérés, pour lesquels la
transposition pose un certain nombre de réserves qui sont évoquées plus loin dans ce même
chapitre.

A titre d'exemple, établissons le schéma de l'échelle correspondant au mode nāwā 'athār, qui
est bien représentative du système mélodique arabe puis qu'elle contient deux secondes
augmentées, et qu'on rencontre à priori sur la tonique de Do.

Do Si

Fa# Mib Ré

Si Lab Sol

Mib Ré Do

Lab Sol Fa#


Auriculaire Annulaire Médius Index sillet

Figure 30: Echelle du mode nāwā 'athār sur sa tonique "naturelle". Première position de type "guitare".
'ud à cinq cordes principales.

39
La même échelle maintenant, sur une tonique de Do# (pratiquement inexistante dans le
patrimoine de musique arabe), pour vérifier le fonctionnement de cette position "universelle"
dans le cadre d'une transposition audacieuse.

Do# Si# La

Mi Ré#

La Sol# Fad#

Mi Ré# Do# Si#

La Sol# Fad#
Auriculaire Annulaire Médius Index sillet

Figure 31: Echelle du mode nāwā 'aṭhār sur tonique Do#.

Le but est de montrer sa capacité à être transposée, en maintenant la première position


précédente. (Fad# signifie Fa double dièse. Fa demi-dièse serait écrit Fa½#)

Enfin, la même échelle cette fois en Ré, qui est une tonique fréquemment rencontrée, mais pas
pour ce mode

Do# Sib La

Fa Mi Ré

Sib La Sol#

Mi Ré Do#

La Sol# Fa
Auriculaire Annulaire Médius Index sillet

Figure 32: Echelle du mode nāwā 'aṭhār sur tonique Ré.

RESERVES TECHNIQUES

Nous avons émis des réserves plus haut, en ce qui concerne les modes incluant des degrés
semi altérés, à savoir les familles de rāst, bayātī, sīkā, ‘arak, ainsi que celle de sābā.
Montrons ici pourquoi avant de refermer ce chapitre en testant la transposition de l'échelle de
rāst sur des toniques autres que celles de la ligature de l'annulaire (Do, Fa, Sib). Il est
toutefois intéressant de noter que le fait de disposer de deux octaves complètes dans toutes les
tonalités grâce aux cinq cordes principales provoque une capacité à jouer convenablement ces
échelles dans presque toutes les tonalités, au moins dans le cadre d'une des deux octaves,
comme nous allons le voir ci-dessous.

40
Do½# Si La

Fa# Mi Ré

Si La Sol½#

Mi Do½#

Sol½# Fa#
La
Auriculaire Annulaire Médius Index sillet

Figure 33: Echelle du mode rāst transposée en La.


Si le Do½# est faisable sur la 1ère corde avec l'auriculaire, sa version haute sur la 4e corde avec
une ligature à un quart de ton du sillet n'est pas très fiable. Le Sol½# sur la troisième corde
présente bien sur le même problème, et sa version aiguë sur la corde hadd oblige à décaler le
médius, ce qui est en contradiction avec le postulat de départ (verticalité du médius et de
l'annulaire). La transposition en Sib est envisageable dans l'aigu, moins convaincante dans le
grave, celles de Si et de Do# présentent des problèmes du même ordre que celle en La
schématisée ci-dessus.

Nous avons montré dans cette partie comment une expérience de guitariste et un souhait
d'utiliser le 'ud dans un contexte culturel familier (rock, jazz) nous a conduit à vouloir tester
toutes les possibilités de transposition d'échelles arabes et non arabes disponibles.

Pour ce faire, nous avons arrêté un choix digital dicté par nos expériences précédentes sur la
guitare, qui a parfois été en contradiction avec les pratiques des professeurs consultés et les
méthodes de 'ud dont on a pu disposer68. Par chance, M. Ben sālah, qui a été notre principal
maître et qui est une personne d'une grande subtilité en plus d'être un formidable musicien n'a
pas cherché à nous en dissuader. Par ailleurs il nous a paru très vite incontournable, toujours
dans notre quête d'un instrument polyvalent, d'adopter la version à 5 cordes mélodiques, bien
avant de savoir que le maître Al-Fārābī la conseillait clairement au 10e siècle.

Alexandrie: grande bibliothèque

68
Je rappelle que celle de M. Abdel-Hamid Mashaal préconise exactement les même choix que les nôtres, et
esquisse par ailleurs un travail de transposition de plusieurs modes.

41
Alexandrie: grande bibliothèque

42
CHAPITRE V

ECHELLES

INTRODUCTION

Cette section devait à l'origine s'appeler maqamāt69, mais le mot s'avère trop porteur de
significations plurielles (sur lesquelles nous reviendrons70) par rapport à la réalité de ce qui
va suivre. Il n'est pas question ici de chercher à établir un état des lieux de la modalité arabe
(et de celles qui en découlent). Cela représenterait un ouvrage en soi, qui nécessiterait une
enquête de terrain dans chaque région concernée, avec le risque qu'un certain nombre de
données aient déjà changé dans la première région visitée avant que l'on ait achevé le tour
complet.

Il convient de savoir que les appellations sont très diverses d'une région à l'autre, que des
échelles avec la même armure peuvent prendre des noms différents en fonction de
caractéristiques invisibles à priori (mais audibles, oui). Il faut savoir aussi que les notes
portent un nom, et que ce nom n'est pas le même dans la registre grave et dans le registre
aigu71, que certains modes ont par extension emprunté le nom des notes qui en étaient la
tonique. Un mode ne porte pas le même nom selon qu'il est posé sur une tonique ou sur une
autre, même si la succession d'intervalles est la même dans les deux cas. Jean During, à
propos de cette diversité des termes (et des pratiques) donne cette explication dans la partie de
son ouvrage où il évoque le rapport intime entre le Hāl iranien72 et les intervalles:

"Le détermination des intervalles est en effet la condition même qui permet de jouer ensemble et juste. Ils sont
donc les bases de la langue commune qui conditionne toute tradition musicale. Les ambitions des anciens
théoriciens arabes et persans le montrent bien: ils visaient à accorder toute la communauté islamique sur les
mêmes échelles. Par la suite, avec l'éclatement de l'empire, chaque communauté s'est démarquée par des
intervalles et des modes propres73"

La question de l'absence de standardisation a déjà été évoquée, elle soulève des débats
contradictoires depuis presque un siècle, et il a déjà été dit qu'elle était consubstantielle à
l'esthétique propre de la musique qui nous intéresse, et qu'à ce titre elle devait d'une certaine
manière être préservée. Aussi, les options de présentations et de classement qui suivent ne
sont qu'une approche personnelle consécutive à un cursus musical et pédagogique particulier,
et elles n'ont aucune prétention à bouleverser ou à résoudre quoi que ce soit.

69
Pluriel de maqām. Dans le volume V de La musique arabe, paru en 1949, Erlanger énumère ainsi les cinq
éléments constituants du maqām
1. l'ambitus ou l'étendue de l'échelle modale
2. les genres constitutifs de l'échelle (ajnās)
3. le point de départ (mabda)
4. les points d'arrêt momentanés, secondaires ou passagers (al-marākrīz)
5. le point de repos final (al-qarār)
Shiloah fait justement remarquer l'absence de la dimension mélodique (Shiloah, p.255)
70
Notamment dans le chapitre consacré au taksīm
71
Shiloah reproduit l'échelle complète de deux octaves et quarante-huit hauteurs (qui toutes portent un nom
propre) selon le traité Rannat al-awtār (la résonance des cordes) de Attārzāde (1764-1828). (p.252)
72
Terme qui recouvre tout à la fois l'authenticité, la "justesse" et l'inspiration dans le champ de l'improvisation.
73
Jean During, Quelque chose se passe, Verdier 1994 (p.147)

43
Il est plutôt question ici de jeux de construction. Quelles sont les possibilités de mises en
ordre de degrés dans le parcours d'une quarte (ou d'une quinte si nécessaire), par des
empilements de seconde (incluant évidemment les ¾ de tons)74 ? Puis quelles sont les
combinaisons possibles des tétracordes ainsi construits, pour réaliser des systèmes complets
(gammes)75 ? Certaines sont connues, d'autres sont inédites (parfois parce que la pratique ne
les a pas retenues). Ce ne sont en tous cas que des outils, dont chacun peut user en fonction de
sa propre sensibilité.

Nous allons d'abord définir les notions de tétracordes et de genres. Ces derniers qui nous
viennent des théories pythagoriciennes, sont de ce fait à l'origine des systèmes mélodiques
orientaux et européens. Puis nous verrons comment les échelles sont issues de ces tétracordes,
et comment cette filiation peut aider à en simplifier l'appréhension, et même la construction.

LES GENRES

"C'est pourquoi nous appellerons l'intervalle de deuxième consonance intervalle à cinq dynamis, et l'intervalle de
troisième consonance intervalle à quatre dynamis. Les anciens (les grecs) les qualifiaient de quinte et de quarte...
Les anciens nommaient genre la quarte partagée en trois intervalles. Le nombre des intervalles dans le genre est
de trois, ni plus, ni moins76."

Nous ouvrons cette partie consacrée aux genres en laissant la parole à Fārābī, qui reproduit la
parole de Pythagore, tout en préparant le système mélodique arabe pour les mille ans à venir.
Cette division de la quarte en trois intervalles (et sa constitution en quatre degrés, soit le
tétracorde) nous permet de comprendre simplement et de faire face à la presque totalité du
système mélodique arabe. Les exceptions que nous verrons aussitôt après, comprennent les
pentacordes (les genres qui ont besoin de cinq degrés pour affirmer leur caractère), les
tétracordes à quarte augmentée, et les tricordes. En dehors de ces cas, toutes les échelles
peuvent être considérées comme une addition de deux quartes, plus un intervalle de ton,
comme le dit encore Fārābī:
"Comme en ajoutant la quarte à la quinte, nous obtenons l'intervalle du tout (l'octave), la double quarte,
augmentée de cet excès (le ton), reproduit l'intervalle du tout, donc les deux quartes ensemble renferment les sept
notes fondamentales, et en y ajoutant l'excès de la quinte sur la quarte, nous trouvons que le nouveau degré ainsi
obtenu est la réplique du premier degré de l'échelle77".

Il faut ajouter à cela que Fārābī considère qu'un tout (une échelle de la distance d'une octave)
est plus parfait si les deux genres qui le constituent sont identiques. Veut-il parler de deux
tétracordes de suite, suivis d'un ton de "clôture" ou de deux tétracordes séparés par un ton
disjonctif? Si on se fie à la citation ci-dessus, ou encore à la conception d'un 'ud comme
ensemble de (mono) cordes, chacune étant à même d'être le vecteur potentiel d'un genre à
partir d'une corde "à vide", c'est plutôt la première version qu'il faut privilégier. Si on se base
sur une acception plus récente et universelle de l'échelle tétracordale, c'est bien la seconde
définition qu'il nous faut retenir. Enfin, si une curiosité naturelle nous pousse à chercher
toutes les voies disponibles pour parcourir la distance d'octave, rien ne s'oppose à tester les
deux formules.

74
On notera que Fārābī ne fait pas autre chose dans son discours sur les genres (La musique arabe, p. 56). Il y
imagine des configurations d'une atonalité radicale, comme la subdivision de la quarte en trois intervalles égaux.
75
On ne fait que s'inscrire dans ce que Max Weber, (Sociologie de la musique, Métaillé, Paris 1998, p.60)
appelle la formation d'échelles selon le principe des distances, reçue et gardée des "anciens" (les grecs) par les
arabes.
76
Al-Fārābī, Kītābu l-Mūsīqī al-Kabīr, introduction, discours deux (Erlanger, La musique arabe, vol. 1, p.53-54)
77
Même ouvrage, p. 53

44
Un autre détail savoureux mérite d'être évoqué dans les explications d'Al-Fārābī sur la
constitution des genres, sur la nécessité d'éviter les deux tierces dans le même parcours
tétracordal (même s'il ne le formule pas dans ces termes, la tierce n'apparaissant jamais dans
son discours78). Citons-le:

"Parmi ces notes d'un usage fréquent, celles de l'annulaire et du médius sur une même corde ne sauraient servir
ensemble dans une même mélodie comme notes fondamentales79. Il en va de même de leurs répliques à l'octave
aiguë et grave. Au contraire les notes fournies par les cordes frappées à vide et celles produites par la touche de
l'auriculaire sur chacune d'elles80, ainsi que leurs octaves, se combinent avec toutes les notes dans la composition
des modes. La note de l'index sur une corde se rencontrera avec celle du médius ou de l'annulaire81. Les notes de
l'annulaire et du médius82 d'une même corde ne sont donc pas homogènes."

Ces préambules étant acquis, il convient dans un premier temps d'établir une liste des
tétracordes existants ou possibles. Le classement retenu est celui des intervalles.

Les intervalles rencontrés sont de quatre types;

• Les secondes majeures, appelées aussi ton 4


• Les secondes mineures, appelées aussi ½ton 2
• Les secondes intermédiaires, appelées aussi ¾ton 3
• Les secondes augmentées, appelées aussi ton et demi (ou tierce mineure) 6
• Les secondes semi augmentées, un ton plus un quart (rares) 5

Les chiffres face à chaque intervalle signifient le nombre de quarts de ton (plus petite unité)
qui les constituent. L'intervalle 1, le quart de ton se rencontre parfois dans le discours musical,
souvent dans un contexte de sensibilisation inférieure d'une note, mais jamais en tant
qu'intervalle de constitution de genre.

L'ensemble des trois intervalles dans la quarte juste doit égaler le nombre dix.

Comme on le voit, ce classement exclut les intervalles inférieurs au quart de ton, même si on
sait qu'ils existent en pratique, comme on l'a vu dans la section sur le maillage du 'ud . Par
exemple, le ton et demi entre deux demi-tons (tétracorde hijāz) n'est pas constitué exactement
des mêmes degrés selon qu'il est exécuté sur un 'ud ou un violon, ou qu'il l'est sur un piano. Il
n'est pas question ici de prôner l'exécution parfaitement stricte de chacun de ces cinq
intervalles, chaque musicien garde évidemment son propre héritage culturel.

Il n'est pas question non plus ici de la tierce majeure comme intervalle de constitution du
tétracorde. Même s'il n'est pas en théorie interdit d'envisager une tierce majeure aux cotés de
deux quarts de tons à l'intérieur d'une quarte, cela ne se rencontre pas en pratique83.

Note concernant les exemples: comme on va le voir, les exemples utilisent des toniques diverses. Il a été retenu
pour les genres répertoriés la tonique (ou une des toniques) généralement admises dans les nomenclatures
existantes. Dans ce cas, rappelons que la tonique a été choisie historiquement en fonction du confort de jeu sur le
manche du 'ud. Dans le cas de modes non répertoriés, la tonique (parfois inattendue) a été choisie avec la même

78
Elle n'existe que sous forme de diton. On sait qu'elle a aussi été considérée tardivement comme consonance
dans la nomenclature occidentale.
79
Il faut comprendre ici: notes faisant partie de l'échelle de base de la pièce.
80
Autrement dit la tonique et la quarte de chaque genre développé.
81
La second degré avec le troisième bas ou haut (=tierce majeure ou mineure)
82
Le médius étant le vecteur de la tierce mineure ou de la tierce zalzalienne sur le manche du 'ud à partir de la
corde libre, et l'annulaire celui de la tierce majeure (Ces termes étant je le répète, anachroniques).
83
Le genre enharmonique pythagoricien (tierce majeure + 2 quarts de ton) n'a pas été retenu par la "postérité".

45
préoccupation de confort. Rappelons aussi que, le 'ud étant configuré en quartes d'une corde à l'autre, il en
résulte qu'un genre aisé à jouer sur une tonique (exemple Fa) le sera aussi sur la tonique placée une quarte plus
haut (Sib) ou une quinte plus bas (Do)

GENRES DANS LA QUARTE JUSTE

Genres commençant par une seconde majeure

Historiquement les premiers en usage, issus directement des genres forts de la théorie
grecque, ils comprennent le majeur, le mineur (ou nahāwand) et le rāst.

Nom Nom
occidental arabe Suite d'intervalles Exemple en Do

Majeur ajam 4 4 2 Do Ré Mi Fa

Mineur nahāwand84 4 2 4 Do Ré Mib Fa

Rāst 4 3 3 Do Ré Mi½b Fa

Genres commençant par une seconde mineure

Arrivés (dans le discours des traités en tous cas) après les premiers, puisque articulés sur une
des ligatures munnajāb (voisine de l'index)85, apparue après les trois premières. On y trouve
des genres emblématiques du champ de la musique pour 'ud, comme le hijāz.

Nom Nom
occidental arabe Suite d'intervalles Exemple en Ré

phrygien Kurd 2 4 4 Ré Mib Fa Sol

hijāz 2 6 2 Ré Mib Fa# Sol

Non répertorié 2 2 6 Ré Mib Mi Sol

Non répertorié (pas valable) 2 3 5 Ré Mib Fa½b Sol

Hijāz tunsī proche de 2 5 3 Ré Mib Fa½# Sol


hijāz

Ces genres non répertoriés nécessitent des éclaircissements:

- Le troisième sur la liste (2 2 6) existe dans le système de modalité hexatonique


développé dans cet ouvrage comme tétracorde inférieur des modes 2b, 3b et 4b. Il
sonne comme le début d'un mode pentatonique (le 4) avec un chromatisme de
passage.

84
Ajam et nahāwand sont loin d'être les seules appellations pour ces genres. On peut considérer par contre que
tout le monde les comprend.
85
Voir la partie maillage de Fārābī.

46
- Le quatrième appelle la citation d'un passage de Manoubi Snoussi (collaborateur
tunisien d'Erlanger) dans son ouvrage Initiation à la musique tunisienne, au chapitre
"le système mélodique arabe"86:

"Les combinaisons possibles de trois de ces cinq intervalles n'ont cependant pas toujours l'homogénéité
mélodique requise, elles ne sont donc pas toutes admises sans restrictions. Des règles expérimentales ont été
établies, par une sorte d'accord tacite, pour régir le choix de ces combinaisons. On peut les formuler comme suit:

1. Une succession mélodique ne doit jamais débuter, au grave, par un demi-ton (2) suivi d'une seconde
intermédiaire (3).87
2. L'intervalle de ¾ et celui de seconde augmentée ne doivent jamais se faire suite au début d'une succession
mélodique; le troisième intervalle, nécessaire pour parfaire le parcours de quarte, étant dans ce cas le quart de
ton, trop petit pour séparer valablement deux sons dans une succession mélodique88.
3. Ne jamais faire débuter une succession mélodique par l'intervalle de 4/4 de ton, ou ton entier, suivi d'un
intervalle de 6/4 de ton, ou inversement; le parcours de quarte étant dans ce cas, entièrement occupé par ces
deux intervalles...89"

- Quant au cinquième, qui est jouable et acceptable à l'oreille, il est assez proche en
fait du genre hijāz. Celui-ci, notamment dans ses versions sur tonique "corde à vide"
peut être décliné de différentes façons: ainsi, la version en position 2 du tableau, est
celle des instruments à degrés fixes. Sur les instruments sans frettes, comme le 'ud ou
le violon, le deuxième et le troisième degré (ici Mib et Fa#) vont avoir une tendance
à se rapprocher. Le tétracorde placé en cinquième sur le tableau en est une version
"écrite". On en verra deux autres dans le tableau suivant.

Genres commençant par une seconde ¾ de ton

Le genre principal en est bayātī, considéré comme dérivé de rāst, par déplacement de la
tonique de ce dernier (Do) sur son deuxième degré (Ré).

Nom arabe Suite d'intervalles Exemple en Ré


Bayātī 3 3 4 Ré Mi½b Fa Sol

Hijāz tunsī (2) 3 4 3 Ré Mi½b Fa½# Sol

Hijāz tunsī 90(3) 3 5 2 Ré Mi½b Fa# Sol

Non répertorié 3 2 5 Ré Mi½b Fa½b Sol


(pas valable)

86
Amine Beyhom évoque aussi ces questions dans un article intitulé "Une systématique contemporaine en
théories des musiques orientales : les genres systèmes". (lien en note de bas de page dans la partie conclusion)
87
C'est le cas du quatrième tétracorde dans le tableau.
88
On objectera que cette succession ne "fonctionne" pas davantage dans une structure de pentacorde. La
véritable objection (nous semble-t-il) est qu'un intervalle de ¾ de ton (ou de 5/4) génère une instabilité acoustique
qui "demande" à être neutralisée par un retour immédiat sur un degré chromatique. En d'autres termes, un
intervalle de 3 (ou 5) est quasiment toujours suivi d'un autre 3, le faire suivre par un intervalle de demi-ton (type
2) ou de ton (type 4) revenant à faire perdurer l'instabilité, ce que la pratique (le fameux accord tacite) n'a pas
retenu, sauf dans quelques cas particuliers comme celui du hijāz tunsī (V. tableau suivant).
89
On entre ici dans le domaine du pentatonisme qui est évoqué par ailleurs (notamment dans la section
"passages") et qui nous intéresse, mais qui n'entre pas dans le domaine de la construction tétracordale.
90
Salah el Mahdi présente le Hijāz ainsi (p.36): 60/100 de ton, 40/100 de ton, 1 demi-ton, soit la version la plus
proche de (3). El Mahdi ayant été un des participants actifs des congrès internationaux de musique tenus au Caire
au 20e siècle, il est possible que cette option de constitution du tétracorde Hijāz en soit issue.

47
Les deux et trois sont à considérer comme des déclinaisons de hijāz évoquées juste au-dessus.
Quant au quatrième, il est difficile à admettre, toujours pour la raison invoquée dans la note
88. Les tableaux suivants ne mentionnent plus ce type d'option.

Genres commençant par une seconde augmentée

Il n'existe que sous la forme [6 2 2] donc un tableau n'est pas utile. Il n'appartient pas à
une nomenclature connue. Il est présent dans la modalité hexatonique comme tétracorde
inférieur des modes 8A, 9A et 10A91 , et sonne lui aussi comme un début de mode
pentatonique (le 5)92 avec un chromatisme de passage. [Ré Fa Fa# Sol]

Genres commençant par une seconde de type 5 (5/4 de ton)

[5 2 3] n'étant pas une option fiable, comme on l'a déjà dit, il reste [5 3 2], non répertorié
mais théoriquement possible, par exemple en Sol [Sol La½# Si Do]. Proche du genre
majeur.

GENRES HORS DE LA QUARTE JUSTE

A ce stade, une partie importante de ce qui existe théoriquement comme unités de


construction modale (heptatonique) été vu. Il faut pour être complet mentionner quelques cas
particuliers, et néanmoins incontournables avant d'aborder les combinaisons de plusieurs
genres.

Tricordes93

Issu, comme bayātī, d'un déplacement de tonique à partir du mode rāst, ce genre est posé sur
une note affectée d'un quart de ton (Mi½b). Sa constitution est donc [Mi½b Fa Sol]. Ses
capacités de transposition sont évidemment réduites. On l'appelle sīkā par extension, ce terme
signifiant chez Attārzāde94 Mi½b première ligne. Son caractère est fort, il génère des
maqāmāt très présents dans le répertoire courant.

Pentacordes

Ils sont inclus dans une quinte juste, car l'intervalle de quarte est insuffisant pour affirmer leur
caractère. Le total des quatre intervalles doit égaler le nombre quatorze. Deux genres
importants (et forcément plus tardifs que les genres tétracordaux) dans le système mélodique
arabe en font partie (sābā et nakrīz). Les genres non répertoriés mentionnés sont uniquement
ceux qui mettent deux intervalles de type 3 à la suite. On pourrait lister plusieurs pentacordes
avec uniquement des combinaisons d'intervalles 4 et 6 (tons et tierces mineures), qui seraient
en fait des extraits d'échelles pentatoniques.

91
Voir chapitre 8
92
Voir chapitre 7
93
Certains auteurs, comme Salah el Mahdi classent ʾajam parmi les tricordes (Sib Do Ré)
94
Théoricien syrien (1764-1828) ayant établi une nomenclature de 24 degrés inclus dans un système de deux
octaves (Shiloah, p.252)

48
Nom Suite d'intervalles Exemple

nakrīz 4 2 6 2 Do Ré Mib Fa# Sol


sābā 3 3 2 6 Ré Mi½b Fa Solb La
sābākurd 2 4 2 6 Mi Fa Sol Lab Si
Rakb(tunsī) 3 3 3 5 Ré Mi½b Fa Sol½b La
non répertorié 3 3 6 2 Ré Mi½b Fa Sol# La
Non répertorié 2 6 3 3 Mib Mi Sol La½b Sib
" 6 2 3 3 Mib Fa# Sol La½b Sib
" 2 3 3 6 Do# Ré Mi½b Fa Sol#
" 6 3 3 2 Mi Sol La½b Sib Si

Tétracordes de quarte augmentée

L'addition des intervalles doit totaliser le nombre douze. Le seul répertorié est le triton. On les
trouve parfois comme second tétracorde après un demi-ton disjonctif.

Nom Suite d'intervalles Exemple

Triton 4 4 4 Fa Sol La Si
Non répertorié 6 2 4 Lab Si Do Ré
" 6 4 2 Lab Si Do# Ré
" 3 3 6 Sol La½b Sib Do#
" 6 3 3 Mi Sol La½b Sib
" 5 3 4 Do# Mi½b Fa Sol
" 3 5 4 Ré Mi½b Fa# Sol#
" 4 3 5 Fa Sol La½b Si
" 4 5 3 Sib Do Ré½# Mi

COMBINAISONS DE GENRES

A partir de ce travail préalable, on va déterminer un certain nombre d'échelles mettant en jeu


la combinaison de plusieurs genres. Nous commencerons par celles qui sont déjà répertoriées,
en mentionnant leur double appellation quand elles appartiennent à plusieurs langages. Un
certain nombre appartiennent également aux systèmes turcs et perses avec des appellations
différentes: nous nous en tiendrons à la terminologie arabe. Les appellations a consonance
grecque correspondent aux échelles médiévales couramment utilisées dans le Jazz, aussi bien
dans les ouvrages théoriques que chez les praticiens.

49
Combinaisons de tétracordes identiques95

Tétracordes Interv. Echelle obtenue Nom Nom


empilés Disjonc. Toniques diverses occidental arabe
Majeur / Majeur 4 Do Ré Mi Fa Majeur ʾajam96
Sol La Si Do
Mineur / Mineur 4 Ré Mi Fa Sol Dorien97
La Si Do Ré
Rāst / Rāst 4 Do Ré Mi½b Fa Rāst98
Sol La Si½b Do
Kurd / Kurd 4 Mi Fa Sol La Phrygien kurdī99
Si Do Ré Mi
Hijāz / hijāz 4 Do Réb Mi Fa hijāz kār100
Sol Lab Si Do
Bayātī /Bayātī 4 Ré Mi½b Fa Sol Hussaynī
La Si½ Do Ré
Triton / Triton 0 Do Ré Mi Fa# Gamme
Fa# Sol# La# Do par tons101
102
2 2 6 / 2 2 6 4 Ré Mib Mi Sol
La Sib Si Ré
6 2 2 / 6 2 2 4 Ré Fa Fa# Sol
La Do Do# Ré

Combinaisons de tétracordes différents

95
Considérées par Fārābī, rappelons-le comme les plus valables.
96
L'appellation ajam dans la nomenclature d'Attārzāde signifie la note Sib (et l'appellation irāq Si½b). Elle est
étendue à l'échelle à deux tétracordes majeurs, aux cotés d'autres appellations variées. Ajam signifie aussi en
arabe, les persans (Salah el Mahdi, La musique arabe, p.35). Il est répertorié chez ce même auteur (et d'autres
comme un tricorde ton+ton à partir du Sib. Hassan Touma, La musique arabe, p.47 mentionne "environ 6
modes" issus du genre ʾajam
97
Les appellations de modes jazz issus des déplacements de tonique à partir de la gamme majeure (ionien,
dorien, phrygien, lydien, myxolydien, aeolien, locrien) sont proposés avec la tonique qui permet de les entendre
sans altération.
98
Rāst signifie la note Do, puis par deux extensions un genre, puis une échelle. C'est un des modes les plus
emblématiques du système mélodique arabe. D'autres maqāmāt organisés sur la même échelle existent comme
dhīl en Tunisie. Hassan Touma, La musique arabe, p.41, note pour sa part "une vingtaine de modes" issus du
genre Rāst, leurs échelles étant constituées de quatre tétracordes constituant un système de deux octaves.
99
"Environ 5 modes font partie du genre kurdī", selon Hassan Touma.
100
Il existe une échelle hijāz kār kurdī dans laquelle le Mi est bémol
101
N'ont pas été mises en tableau les possibilités innombrables qui peuvent survenir de combinaisons des
tétracordes de quarte augmentée répertoriés plus haut, ni les combinaisons entre celles-ci et tous les genres de
quarte juste obtenus avec un intervalle disjonctif d'un demi-ton.
102
Ces combinaisons sans appellations qui existent dans le système de modalité hexatonique évoqué plus loin (et
qu'on peut entendre dans leur réalité musicale dans le troisième mouvement de notre travail de composition),
sont des déclinaisons des genres chromatiques grecs (un ton et demi + un demi-ton + un demi-ton), aux cotés de
hijāz. Leur caractère musical (coloré de pentatonisme) est par contre très différent de ce dernier. Leur
combinaison avec d'autres genres est évidemment possible, mais elle n'a pas non plus été mise en tableau, pour
éviter un volume trop important. Une des vertus de cette "pensée tétracordale" est la possibilité offerte au
musicien curieux de construire lui-même des échelles.

50
Tétracordes Interv. Echelle obtenue Nom Nom
empilés Disjonc. occidental arabe
Majeur / Mineur 4 Sol La Si Do Mixolydien
Ré Mi Fa Sol
Majeur / Kurd 4 Mi Fa# Sol La
Si Do Ré Mi
Majeur / Rāst 4 Fa Sol La Sib Jahārkā103
Do Ré Mi½b Fa
Mineur / Kurd 4 La Si Do Ré Mineur nat. Nahawand104
Mi Fa Sol La aeolien
Mineur / Hijāz 4 Mi Fa# Sol La Mineur
Si Do Ré# Mi Harmonique
Mineur / Bayātī 4 Ré Mi Fa Sol Nawā?
La Si½b Do Ré
Rāst / Hijāz 4 Do Ré Mi½b Fa Rāst suznāk
Sol Lab Si Do
Rāst / Majeur 4 (en haut Do Ré Mi½b Fa Mayā
de l'échelle) Fa Sol La Sib Do
Hijāz tunsī / Rāst 4 (en bas Do Ré Mi½b Fa# Sol Rāst ad-dīl105
de l'échelle) Sol La Si½ Do
Hijāz / kurd 4 Re Mib Fa# Sol Hijāz106
La Sib Do Ré
Hijāz / Mineur 4 La Sib Do# Ré Zinjerān
Mi Fa# Sol La
Hijāz tunsī / Bayātī 4 Ré Mi½b Fa# Sol Raml
La Si½b Do Ré
Kurd / Triton 2 Si Do Ré Mi
Fa Sol La Si Locrien
Kurd / 6 2 4 2 Do Réb Mib Fa tarzanwīn
Solb La Sib Do
Triton / Majeur 2 Fa Sol La Si
Do Ré Mi Fa Lydien
Bayātī / 6 2 4 2 Ré Mi½b Fa Sol Bayātī
Lab Si Do Ré ṣyurī107

103
Répertorié par Hassan Touma parmi les dérivés de ajam
104
"Une dizaine de modes" font partie du genre Nahawand, selon Hassan Touma (p.44)
105
Nomenclature tunisienne, connu en Algérie (selon El Mahdi) sous le nom de Mūwāl.
106
Sept déclinaisons de Hijāz selon Hassan Touma (p.45)
107
"une vingtaine de modes" parmi les dérivés de Bayātī selon Hassan Touma (p.42)

51
Combinaisons de pentacordes et tétracordes

L'intervalle disjonctif disparaît ici l'appellation occidentale n'a plus lieu d'être non plus.

Genres Exemples Nom


Nakrīz108 / Hijāz Do Ré Mib Fa# Sol Nawā aṯhār
Sol Lab Si Do
Sābā / Kurd Ré Mi½b Fa Solb La Sābā
La Sib Do Ré

Le genre Nakrīz est suffisamment fort peut être surmonté à l'aigu (sans ton disjonctif) de tous
les genres à quarte juste (majeur, mineur, kurd, Bayātī, Rāst,etc..) sans que son caractère soit
perdu.

Le genre Sābā109 est un peu moins polyvalent. On peut lui superposer une grande partie des
genres à quarte juste, mais mineur et surtout majeur ne nous semblent pas convaincants.

Combinaisons de tricordes et autres genres

Rappelons la particularité de ces genres dont la tonique est une note affectée d'une demi
altération (en l'occurrence Mi½b et Si½b). Ces deux notes s'appellent respectivement sīkāh et
ʾirāq et certaines échelles ont pris leur nom par extension. Ce sont des échelles sans intervalle
disjonctif qui nécessitent trois genres pour être complétés.

Genres empilés Exemples Nom de l'échelle


Sīkāh / rāst / rāst Mi½b Fa Sol Sīkāh110
Sol La Si½b Do
Do Ré Mi½b Fa
Sīkāh / hijāz / rāst Mi½b Fa Sol Huzām
Sol Lab Si Do
Do Ré Mi½b Fa
Sīkāh / hijāz / rāst Si½b Do Ré Rāḥat al-arwāḥ
Ré Mib Fa# Sol
Sol La Si½b Do
Sīkāh / Bayātī / rāst Si½b Do Ré ʾirāq šarqī
Ré Mi½b Fa Sol
Sol La Si½b Do
Sīkāh / Sābā / hijāz Si½b Do Ré Bustani kār
Ré Mi½b Fa Solb
Fa Solb La Sib Do

108
Cinq modes dérivent de Nakrīz, selon Hassan Touma (p.46)
109
El Mahdi l'analyse comme la succession d'un tricorde bayātī en Ré, suivi d'un tétracorde Hijāz en Fa, et d'un
autre Hijāz en Do
110
"Une dizaine de modes" selon Hassan touma.

52
Ce dernier tableau nous a fait entrer un peu malgré nous dans le domaine du maqām
proprement dit, puisqu'on sort de la stricte superposition de genres pour entrer dans des
tuilages et dans des systèmes qui dépassent l'octave. Nous y revenons dans le chapitre suivant.

CONCLUSION PROVISOIRE

Pour conclure ce gros chapitre, sans clôturer un chantier (heureusement) ouvert, quelques
axes de réflexion nous semblent pertinents:

- La question des appellations de maqām (et de sa diversité) ne parait pas primordiale dans la
pratique musicale. Si on décide de jouer telle pièce nouvelle, en l'abordant par le biais d'une
partition, le fait d'avoir ou pas déjà rencontré le nom de l'échelle annoncé en début de
morceau n'a pas d'incidence concrète sur la façon de le jouer. Le genre annoncé (lungā,
semāʾī, muwašaḥ, barwal pour la musique orientale ou un mouvement de nubā pour la
musique andalouse) est plus déterminant puisqu'il détermine un tempo, un climat, une pensée
musicale qui influencent le jeu.

- La connaissance préalable du maqām prend de l'importance dès lors qu'il s'agit d'improviser,
dans le cadre du taksīm où les codes déterminants, les facteurs d'identification sont garants
d'une authenticité culturelle dans un espace d'expression personnelle.

- Dans une démarche à caractère exploratoire, on constate que les possibilités sont immenses,
de créer soi-même des échelles par le biais de combinaisons de genres. On a fait ici qu'en
répertorier une partie pour ne pas surcharger ce chapitre déjà copieux et dont la véritable
substance doit se révéler "instrument en mains". En s'imposant ces limites, on a omis des
tableaux contenant potentiellement un certain nombre d'échelles non répertoriées, sur
lesquelles d'ailleurs d'autres musiciens sont peut-être déjà "tombés". Faut-il pour autant
vouloir leur inventer une étiquette avec un nom tout neuf ? Nous pensons que ce n'est pas
nécessaire, à partir du moment où on a compris ce phénomène d'assemblages de genres. Par
parenthèse, nous avons procédé de la sorte dans nos activités d'enseignement, avec des
guitaristes assez avancés, mais qui souhaitaient clarifier un certain nombre de notions liées au
jeu mélodique. En excluant bien sur les genres à quart de ton, indisponibles à la guitare, le
travail s'est articulé d'abord sur les trois intervalles de seconde, puis sur l'ensemble des
tétracordes, puis des pentacordes, qui ont été copieusement travaillés dans tous les tons et sur
tout le manche111. Le travail de mémorisation s'est trouvé ainsi beaucoup plus léger et moins
ingrat que celui des gammes à sept degrés enseignés traditionnellement, et les étudiants ont
parfaitement intégré d'une part que toutes les gammes et tous les modes connus étaient des
combinaisons de genres, et d'autre part que la constitution de modes inédits par la
juxtaposition de genres inhabituellement couplés était aisée.

111
Il faut reconnaître ici que l'absence de degrés à demi altération rétrécit considérablement le champ des genres.

53
Chapelle byzantine,Istambul

54
CHAPITRE VI

MAQÂM et TAKSÎM

Parmi les musiques instrumentales mettant en jeu le 'ud dans son univers naturel, il en est une
le taksīm sur laquelle il est nécessaire de s'arrêter, dans la mesure où certaines des parties de
'ud présentes dans la pièce instrumentale "Paysages traversés" couplée à cet essai, s'inscrivent
dans cette approche musicale. Les deux mots accouplés en titre de ce chapitre le sont à
dessein, pour souligner une certaine ambiguïté existant dans la terminologie, pour nommer les
contours de ce que nous allons essayer de définir.

MAQÂM

Habib Hassan Touma, dans son ouvrage La musique arabe propose un chapitre intitulé "le
phénomène du maqām" qu'il introduit ainsi:
"Le maqām est une forme musicale d'improvisation vocale ou instrumentale basée sur diverses séries de notes,
dont le processus est unique dans l'art arabe classique d'aujourd'hui."

Sans vouloir rentrer dans une querelle terminologique stérile, d'autant que l'article de Hassan
Touma, sur lequel on va revenir, est aussi clair que précis, les définitions du maqām
généralement rencontrées ne font pas référence à une forme musicale. Dans les cas les plus
discutables, ce terme fait référence à une échelle de notes, ce qui est trop restrictif, même si
l'échelle est une des composantes, la plus visible "sur le papier" de la constitution du maqām.
La notion d'échelle est suffisamment développée dans le chapitre qui lui est consacré pour ne
pas revenir sur cette question ici. A l'opposé de ce raccourci, on va s'intéresser à la conception
qu'en donne le musicien et musicologue Nidaa Abou Mrad112. Son approche du maqām
comporte une dimension véritablement spirituelle et philosophique sur laquelle il nous semble
fécond de se pencher, avant de revenir ensuite à des dimensions plus techniques. Voici
l'extrait d'un entretien issu du site internet www//turath.org dans lequel il propose une
définition saisissante
"Le maqām est un être musical vivant qui présente un corps et une âme sonores. Le corps sonore s’identifie à
l’échelle mélodique modale qui est généralement présentée par la théorie comme étant le maqām, or elle n’est
que l’aspect anatomique statique du mode maqām. L’âme du maqâm ne peut être saisie que dans la dynamique
de l’acte musical. Il existe un vécu commun à différentes séquences traditionnelles évoluant dans le même
maqām. Ce vécu ne se confond pas avec la structure intervallique (échelle, gamme). Il procède du sentiment
modal, d’une vitalité à travers laquelle on perçoit la personnalité de cet être mystérieux. La mémoire du maqām
se confond avec le patrimoine relié à ce maqâm."

Ainsi selon lui, le maqām est une matière vivante préexistante à l'intervention concrète du
musicien, qu'il appelle "musiquant", ce qui sous-entend un statut que n'est pas celui d'un
interprète, puisqu'il n'est pas ici question d'exécuter une partition déjà écrite. Ce n'est pas non

112
Il est par ailleurs docteur en médecine, et on pourrait être tenté de hasarder une filiation dans sa trajectoire
impressionnante avec celle des grands théoriciens de l'âge d'or abbasside, comme Ibn Sinā qui à l'intérieur de
leur vaste science universelle faisaient cohabiter musique et médecine.

55
plus de la composition au sens classique du terme, puisqu'il n'est pas question ici d'arrêter une
oeuvre destinée à être interprétée. Il s'agit d'une sorte de troisième voie qui ne peut que
susciter la comparaison avec l'improvisation en jazz, et dans cette perspective, la grille du
"standard" est comparable au maqām comme il est entendu ici. En d'autres termes, le geste
consistant en une nouvelle exploration par exemple, de la grille de "Body and soul" est
absolument comparable à celui d'une nouvelle immersion dans un taksīm en maqām bayātī.
Dans les deux cas, une page blanche est remplir, avec des codes d'action spécifiques liés à une
tradition, qui font que l'acte d'égrener des notes justes dans la tonalité (ou dans l'échelle) ne
suffit pas. Dans les deux cas, le territoire (la grille ou le maqām) a été exploité, enrichi, habité
par des générations de prédécesseurs, de "musiquants" qui ont en quelque sorte construit
progressivement et collectivement un édifice culturel toujours plus riche, imposant au nouvel
explorateur à la fois humilité et audace.

Sur le plan des caractéristiques concrètes qui définissent un maqām, rappelons les éléments
proposés par Erlanger "selon l'enseignement des maîtres modernes" déjà évoqués dans la
partie "échelles" de cet essai.
1. L'ambitus complet de l'échelle
2. Les différents genres (tétracordes, pentacordes, tricordes) qui la constituent
3. Le point de départ (al-mabda)
4. Les points d'arrêts momentanés, secondaires ou passagers (al-marākiz)
5. Le point de repos final (al-qarār)113
La remarque sur l'absence des facteurs mélodiques dans cette énumération (contenant entre
autres les structures cadentielles ou les différences entre l'échelle ascendante et l'échelle
descendante114), a été faite par Shiloah115.

L'ouvrage pédagogique tunisien en langue arabe à destination des étudiants préparant le


diplôme de musique arabe intitulé "Répertoire des nagmāt tunisiens (at-tūnsīāt) et des
maqāmāt orientaux (aš- šarqīāt)" nous donne dans sa nomenclature les indications suivantes:
1. Le nom du mode
2. La tonique
3. Le nom et la constitution de chaque genre116
4. L'armure dans le sens ascendant et dans le sens descendant
5. Un certain nombre de facteurs d'identification liés aux trajets mélodiques,
changements de tétracordes, modifications d'altération, etc..
Enfin, avant de proposer plusieurs pièces musicales du patrimoine à l'intérieur du mode, il
donne un exemple de taksīm117 systématiquement analysé, par phrases, cadences, points
d'orgue, changements de note polaire, etc..

Le maqām peut donc être considéré comme un moule à l'intérieur duquel se développent les
oeuvres proprement dites des patrimoines, aussi bien en Orient qu'au Maghreb. Les formes
composées comme la nubā s'articulent presque entièrement sur un maqām118. On parle ainsi
de la nubā al-bayātī ou de la nubā al-hijāz. Autre forme composite, le maqām al-iraqī est un
programme de concert qui s'organise sur plusieurs maqāmāt. Pour ce qui concerne les formes

113
Cité par Shiloah, La musique dans le monde de l'islam, p.255
114
Notion qu'on retrouve dans les caractéristiques des raagas indiens, et dans la gamme mineure occidentale.
115
Voir chapitre précédent
116
Dont le nombre est variable, de deux à cinq ou six, si on comptabilise les genres descendants.
117
Qu'il faut considérer avec d'infinies précautions dans son contexte, à savoir un ouvrage à vocation
pédagogique. Le taksīm est par définition une forme non écrite, comme l'est un solo de jazz, qu'on trouve
néanmoins parfois transcrits, également dans un but pédagogique.
118
Font exception des pièces appelées tušyā, qui annoncent le maqām de la nubā suivante.

56
simples écrites, que les oudistes intègrent à leur répertoire, comme par exemple les samāi ou
les bašrāf d'origine turque, elles obéissent à la fois aux règles formelles concernant le rythme,
le nombre de couplets, le nombre de mesures, et aux règles liées au maqām dans lequel elles
sont composées.
TAKSÎM
Et qu'en est-il alors du taksīm?
Le taksīm est une improvisation instrumentale non mesurée, qu'on peut considérer comme
l'expression la plus représentative du maqām et la plus personnelle pour l'instrumentiste ou le
vocaliste. Ses dimensions ne sont pas soumises à des règles universelles. Cela peut-être un
court moment "suspendu" à l'intérieur d'une forme longue, ou en introduction à une chanson
"composée". Et cela peut durer jusqu'à huit ou douze minutes dans un contexte de concert de
virtuose119.

Le plus souvent interprété en solo, le taksīm peut aussi être accompagné par des phrases de
percussions ou par un dispositif de bourdon. On peut parler d’une composition musicale
impromptu, dans laquelle le soliste utilise le maqām annoncé, avec un certain nombre de
règles qui y sont inhérentes, par exemple les emprunts passagers à des échelles voisines de
celle par laquelle s’ouvre le taksīm.

Shiloah parle de sections qui vont s'allongeant, entrecoupées de silences plus ou moins longs.
Les phrases se concluent sur des cadences caractéristiques, indicatrices de la fin d'une section.
La note polaire peut parfois changer, c'est à dire qu'un nouveau degré du tétracorde, ou le
premier du tétracorde suivant peut assumer momentanément le rôle de note principale, de
tonique provisoire.
"Le développement de la structure modale du maqām nécessite donc un glissement vers l'un ou plusieurs autres
maqām secondaires, puis un retour au maqām de départ. Ce procédé peut être répété une multitude de fois durant
l'exécution d'un taksīm, à la condition expresse de ne pas trop s'appuyer sur les maqām secondaires afin de ne
pas obscurcir le principal."120

Hassan Touma apporte lui aussi des éclairages sur ce qu'il appelle pour sa part le maqām.
C'est à dire qu'il nomme par extension ce que nous essayons de déterminer comme le taksīm
par le mot maqām, ce qui ne contribue pas à la compréhension du profane121.
"Une importante caractéristique de l'exécution du maqām122... est sa division interne, reconnaissable aux silences
relativement longs qui délimitent un passage mélodique123. Le passage mélodique constitue le fondement du
maqām, mais un maqām complet se compose de plusieurs passages mélodiques qui déterminent sa structure
formelle grâce aux éléments qu'il renferme..... Il n'existe pas de règles précises déterminant l'enchaînement des
différentes notes mises en relief ou le nombre de passages mélodiques apparaissant dans un maqām.. Aussi
abandonne-t-on ce point à la fantaisie du musicien."

119
Souvent des oudistes comme Nasseer Shamma ou Simon Shaheen, mais on pourrait en citer beaucoup, la
capacité à émouvoir un auditoire dans le cadre d'un taksīm étant aussi indispensable à la consécration qu'une
grande virtuosité technique.
120
Shiloah, La musique dans le monde de l'islam p.271
121
On rencontre le même phénomène sur les jaquettes des enregistrements des solistes comme Munīr Bašīr.
Certaines pièces sont nommées taksīm et d'autres sont titrées par exemple maqām rāst, sans que l'on sache
exactement pourquoi on utilise les deux termes pour des réalités qui semblent être les mêmes.
122
Comprendre taksīm, donc.
123
Abou Mrad, dans le même article, à propos du silence: "L’ascèse sonore est guidée par un maître: le silence,
qui est pour le son à la fois modèle normatif et fondement ontologique, tout en étant, au point de départ, un cadre
initiatique pour la concentration. Aussi le silence est-il vécu en tant que son insonore plutôt qu’absence de son.
Le son silencieux est fondement de toutes les virtualités sonores. Le Silence est la perfection absolue du sonore."

57
La fonction des silences est aussi liée à la représentation scénique. Sur les enregistrements en
concert, on peut parfois entendre le public qui vient ponctuer les phrases du discours par des
exclamations d'approbation ou des applaudissements qui témoignent de leur appréciation de
la musique qui leur est offerte.

Dans la pièce musicale jointe "Paysages traversés", on utilisera l'appellation taksīm pour faire
référence à différentes interventions du 'ud improvisées. Précisons que nous n'avons en aucun
cas la prétention de nous placer dans la lignée des instrumentistes dépositaires d'une tradition
du maqām, et possédant la capacité de prendre en charge aisément une improvisation de type
taksīm dans les principaux maqāmāt. Nous nous sommes permis d'utiliser cette appellation
pour faire référence à la dimension d'improvisation non mesurée, et à celle de l'installation
d'un climat, d'un "contenu affectif", comme le dit Hassan Touma, en partant du postulat qu'il
était possible de développer un "profil musical" du type du taksīm, en "travaillant" d'autres
modes que ceux qui y sont traditionnellement affiliés.

Si on part du principe que l'identité sonore du taksīm est le résultat d'un triangle constitué du
timbre instrumental (du 'ud, mais aussi par exemple du nay), du maqām et de l'approche
rythmique spécifique du discours par phrases non mesurées et entrecoupées de silences, on
peut penser que cette identité peut résister au changement d'une des composantes du triangle
(à savoir le remplacement d'un maqām par une échelle hors du champ habituel, par exemple
une gamme blues, ou un ragaa indien ou une gamme par tons). On espère que cette tentative
saura en apporter une illustration convaincante.

REMARQUES

Encore une fois, l'objectif de toutes ces expériences n'a rien à voir avec un quelconque pillage,
ou manque de respect. Il s'agit au contraire d'un hommage à un système de pensée musicale,
qui a germé, évolué, grandi depuis des siècles parallèlement à d'autres systèmes, comme la
tonalité européenne. Les deux partagent d'ailleurs la même matrice, mais leurs évolutions ont
été différentes, et ces systèmes ont acquis une solidité interne, qui font qu'ils n'ont plus besoin
de se forger une carapace de protection, à même d'en protéger la gestation. Quand Max weber
dit que le système européen s'est éloigné de la conception musicale par genres et du principe
des distances, parce qu'ils étaient incompatibles avec le "projet polyphonique", on comprend
cela très bien. Cela étant, ce système tonal a eu tout le temps de se constituer et d'acquérir une
maturité, puis même d'être remis en question "de l'intérieur", et de renaître indéfiniment, de
telle sorte qu'il n'a rien à craindre pour son intégrité, en accueillant "en son jardin" des trésors
qui se sont eux aussi constitués dans un certain espace sociogéographique, sur d'autres choix
de prolongement de l'héritage grec.

On a pu entendre depuis des décennies qu'à l'inverse, le patrimoine musical arabe était mis en
péril par les influences répétées de la musique occidentale, résultant d'abord d'une période
d'occupation physique, puis d'un envahissement culturel. Il ne faut pas nier l'influence parfois
discutable qu'a pu avoir la production commerciale occidentale. Mais la musique en général,
et entre autres celle qui s'articule sur le système millénaire du maqām et des formes
traditionnelles et vivantes, et sur les orchestres et les instruments dépositaires du "vrai son"
reste bien présente, et revivifiée en permanence aussi bien par des nouvelles générations de
praticiens, que par des publics qui en gardent un appétit réel, loin de tout snobisme ou de toute
revendication identitaire.

58
CHAPITRE VII

PASSAGES

À PARTIR DES PENTATONIQUES

Les échelles pentatoniques se prêtent particulièrement bien aux expérimentations. Elles se


présentent comme des charpentes solides qui peuvent facilement être enrichies, puisqu’elles
présentent structurellement des intervalles de tierce mineure pouvant aisément être occupées
par des degrés au choix.
Nous utilisons pour aborder le langage pentatonique, l’organisation proposée par Ramon
Ricker dans son ouvrage Pentatonic scales for Jazz improvisations124. L’écriture est aussi
allégée que possible, d’où l’utilisation de valeurs rondes indiquant les hauteurs, la dimension
rythmique étant absente du propos.
L’échelle pentatonique (utilisée en Jazz) comporte cinq degrés et se présente comme une
succession de trois secondes majeures et de deux tierces mineures.
Si on considère comme base de travail cette échelle (M2 – M2 – m3 – M2 – m3), soit en
Do125,

on peut en déduire quatre dérivées, l’ensemble formant cinq modes126.

Mode 1 Mode 2 Mode 3 Mode 4 Mode 5

L’auteur déduit de ces cinq modes dans les douze tons de la gamme chromatique l’existence
de soixante échelles.127

En guise de préalable, on verra comment le passage se fait couramment entre le mode 5 (qui
est prioritairement le mode du Blues et des clichés Rock basique, celui que les guitaristes
appellent "Penta"). Utilisons Do comme tonique :

124
Ramon Ricker, Pentatonic scales for Jazz improvisations, studio publications recordings, Indiana, 1975
125
Il est demandé au lecteur d’avoir l’indulgence de ne tenir aucun compte de l’armure placée après la clé qui est
une mention inévitable dans notre outil, mais sans objet dans notre propos.
126
Selon l’auteur, cette nomenclature existe déjà dans l’article « Note on the modal system of gaelic tunes » de
Annie G. Gilchrist, dans le journal of the folk song society, 1911. Le mode n° 1 y est le 4 de notre schéma.
127
On pourrait y ajouter cinq autres modes à caractère atonal dans lesquels les deux tierces sont consécutives, ce
qui est exclu de son propos et sur les quelles nous ne nous attarderons pas davantage ici, notre question étant
celle des passages entre des échelles familières, voisines structurellement, éloignées culturellement.

59
Mode pentatonique 5

Mode blues

Dans la portée supérieure, celle de l’échelle source, les pauses n’indiquent que les intervalles
qui vont être divisés par un degré supplémentaire dans l’échelle de destination, elles n’ont pas
leur valeur temporelle usuelle128.

Notre recherche personnelle, après ce préambule va consister à affecter un degré intermédiaire


à l’intérieur des tierces mineures de ces cinq modes. Et c’est bien sur le degré central, demi
dièse ou demi bémol qui nous allons privilégier à chaque fois129. Cette démarche va nous
permettre de générer cinq échelles, issues des cinq modes pentatoniques, dont les deux degrés
à demi altération vont entraîner un passage dans l’univers sonore arabe.

Pratiquement, plusieurs techniques sont possibles à partir des schémas présentés ici. Il est
possible d’introduire d’abord un des degrés additionnels, puis l’autre plus tard, en étant
repassé ou pas par le stade pentatonique. On peut aussi avoir réalisé le basculement dans le
registre grave, et être resté dans le mode pentatonique originel dans l’aigu (ou l’inverse, en
fonction des facilités offertes par l’instrument et de ses limites propres).

A PARTIR DU MODE 1

En haut l’échelle source, en bas l’échelle d’arrivée

Constitution intervallique du mode pentatonique source


• 2 secondes
• 1 tierce
• 1 seconde
• 1 tierce

Formule de passage :
Introduction d’un degré intermédiaire au milieu des deux tierces mineure, ici Fa ½# en
quatrième degré et Si ½b en septième degré. Le fa peut osciller entre ½# et #, ce qui donne un
tétracorde lydien en bas et un rāst en haut, ce qui est inédit. Les deux options sont aisées dans
le registre grave en Do et le maintien du mode pentatonique dans l’aigu est lui aussi facile.

128
Même remarque qu’en note 2, les logiciels d’écriture musicale n’ont pas toujours les fonctions souhaitées,
même si on ne peut que remercier les éditeurs de celui-ci de le proposer en libre accès (Musescore).
129
L'insertion d'un degré de l'échelle à douze sons ne ferait que nous ramener à une échelle heptatonique connue.

60
D’une façon générale, cette formule est plus confortable pour les toniques situées sur les
premières et troisièmes ligatures de base.130

Tableau récapitulatif

Modes Source Destination


Heptatonique à deux degrés ¼ de
Genre Pentatonique 1 ton (non répertorié). "Faux" lydien
en bas, rāst en haut.131
Intervalles 4 4 6 4 6132 4 4 3 3 4 3 3
Degrés entrants IV et VII
Toniques à Pas de restrictions Sib Do Mib Fa Lab
privilégier (Localisées en ligatures 1 et 3)

Manche du ‘ud, avec exemple en Do


DO SI½b LA

FA½# MI RE

SI½b LA SOL

MI RE DO

FA½#
LA SOL

La tonique Do est en caractère gras sur ses deux emplacements.


Les degrés de l’échelle pentatonique source sont en caractères noirs
Les degrés ajoutés sont en caractères verts pour les positions aisées, en rouge pour les
positions difficiles (mais néanmoins réalisables). On comprend l’intérêt de maintenir l’échelle
pentatonique dans le registre aigu tout en exploitant l’échelle heptatonique dans le grave.

Autre exemple, en Mib


RE½b DO SIb

FA MIb

SIb LA½b SOL

MIb RE½b DO

LA½b SOL FA

130
On sous-entend par ligatures de base celles qui correspondent à une progression chromatique par demi-tons,
les frettes d’une guitare. par exemple.
131
On sous-entend tétracorde (ou genre ou ajna) grave en disant en bas, et tétracorde aigu en disant en haut.
132
Le chiffrage des intervalles en nombre de quarts de ton des chapitres précédents est maintenu.

61
Les remarques précédentes sont applicables, sauf pour les registres graves et aigus. La
situation s’inverse ici. C’est dans le registre grave qu’il va être plus opportun de maintenir le
pentatonisme, alors que le registre aigu se prête mieux à la transition.

A PARTIR DU MODE 2

Constitution intervallique
• 1 seconde
• 1 tierce
• 1 seconde
• 1 tierce
• 1 seconde

Formule de passage

Introduction de degrés intermédiaires au milieu des deux tierces de l’échelle source, qui
deviennent troisième et sixième de l’échelle de destination . Le tétracorde grave est un rāst et
l’aigu est un bayātī., l’ensemble est répertorié sous l’appellation Yakah133 par le site
http://www.oud.eclipse.co.uk. Les toniques cordes à vide et ligatures 3 sont à privilégier.

Tableau récapitulatif

Modes Source Destination

Echelle Yakah
Genre Pentatonique 2 (rāst en bas, bayātī en haut)
Intervalles 4 6 4 6 4 4 3 3 4 3 3 4

Degrés entrants III et VI

Toniques à Pas de restrictions La Do Ré Fa Sol


privilégier (Localisées en ligatures 0 et 3)

133
Cette échelle nous est inconnue en tant qu’échelle de départ d’une pièce, indiquée dans le titre. On la trouve
accidentellement dans des pièces en rāst dans lesquelles le Si devient bémol et le la demi bémol durant une phase
de "modulation".

62
Manche du ‘ud, avec exemple en Do

DO SIb

FA MI½b RE

SIb LA½b SOL

MI½b RE DO

LA½b SOL FA

Autre exemple en Ré

DO SI½b LA

FA½# MI RE

SI½b LA SOL

MI RE DO

LA SOL FA½#

A PARTIR DU MODE 3

Constitution intervalliqe
• 1 tierce
• 1 seconde
• 1 tierce
• 2 secondes

Formule de passage
Introduction de degrés intermédiaires au milieu des deux tierces, qui deviennent deuxième et
cinquième degrés dans l’échelle de destination. Le tétracorde grave est du genre bayātī, l’aigu
se rapproche de sikāh1. L’échelle complète est inédite, elle est utilisable avec les toniques
corde à vide et les toniques de ligature 2.

1
Sikah est en fait un tricorde issu de rāst. Ses notes sont généralement Mi½b, Fa et Sol. En faire un tétracorde en
ajoutant le la amènerait la constitution une quarte semi-augmentée, ce qui est le cas ici.
Tableau récapitulatif

Modes Source Destination

Echelle inédite
Genre Pentatonique 3 Bayātī en bas, "faux" sikāh en haut
Intervalles 6 4 6 4 4 3 3 4 3 3 4 4

Degrés entrants II et V
Toniques à Pas de restrictions La Si Ré Mi Sol
privilégier (Localisées en ligatures 0 et 2)

Manche du ‘ud, exemple en La

DO SI½b LA

FA MI½b RE

SI½b LA SOL

MI½b RE DO

LA SOL FA

Autre exemple en Si

Do½# SI LA

FA½# MI RE

SI LA SOL

MI RE Do½#

LA SOL FA½#

A PARTIR DU MODE 4

64
Constitution intervallique

• 1 seconde
• 1 tierce
• 2 secondes
• 1 tierce

Formule de passage

Introduction de degrés intermédiaires au milieu des deux tierces, qui deviennent troisième et
septième degrés dans l’échelle de destination. Le tétracorde grave est du genre rāst, l’aigu est
aussi du genre rāst. L’ensemble est tout simplement l’échelle rāst, sur lequel il n’est pas
nécessaire de s’étendre.

Tableau récapitulatif

Modes Source Destination

Genre Pentatonique 4 rāst


Intervalles 4 6 4 4 6 4 3 3 4 4 3 3

Degrés entrants III et VII

Toniques à Pas de restrictions La Do Ré Fa


privilégier (Localisées en ligatures 0 et 3)

Manche du ‘ud, avec exemple en Do

DO SI½b LA

FA MI½b RE

SI½b LA SOL

MI½b RE DO

LA SOL FA

Autre exemple en Ré

Do½# SI LA

FA½# MI RE

SI LA SOL

MI RE Do½#

LA SOL FA½#

65
A PARTIR DU MODE 5

Constitution intervallique

• 1 tierce
• 2 secondes
• 1 tierce
• 1 seconde

Formule de passage

Introduction de degrés intermédiaires au milieu des deux tierces, qui deviennent deuxième et
sixième degrés dans l’échelle de destination. Le tétracorde grave est du genre bayātī, l’aigu
est aussi du genre bayātī. L’ensemble est mentionné par le site http://www.oud.eclipse.co.uk
comme Husayni Ashiran.

Tableau récapitulatif

Modes Source Destination

Genre Pentatonique 5 Husayni Ashiran


Intervalles 6 4 4 6 4 3 3 4 4 3 3 4

Degrés entrants II et VI
Toniques à Pas de restrictions La Ré Sol Do Fa
privilégier (Localisées en ligatures 0 et 3)

Manche du ‘ud, exemple en La

DO SI½b LA

FA½# MI RE

SI½b LA SOL

MI RE DO

LA SOL FA½#

66
Autre exemple en Do
RE½b DO SIb

FA MIb

SIb LA½b SOL

MIb RE½b DO

LA½b SOL FA

UN EXEMPLE DE "VOYAGE LONG"

Après cette proposition systématique de glissements d'échelles à partir des cinq pentatoniques,
dont certains sont exploités sous une forme ou sous une autre quotidiennement dans la
musique arabe135, nous faisons une proposition de voyage modal progressif en cinq étapes, qui
nous conduit sur une tonique principale de Sol, d'une échelle de rāst vers une échelle Blues136.
Cette progression a été pensée pour servir d'articulation au taksīm qui suit l'introduction du
premier mouvement de "Paysages traversés". Voici son déroulement pas à pas.

Chacune des échelles traversées durant ce passage est présentée sous la configuration de trois
genres, ce qui la rapproche partiellement d'un maqām. On repère ainsi mieux où se situent les
changements d'une échelle à l'autre, et sur quelles toniques secondaires on peut se poser pour
rompre l'omniprésence du sol comme finalis137.

L'échelle de départ est donc rāst, qui traditionnellement posée sur un Do138 contient les degrés
suivants:

Do Ré Mi½b Fa Sol La Si½b Do

Son positionnement sur Sol incite à organiser ainsi le découpage: le tétracorde de sol vient en
premier, suivi de celui de do sans ton disjonctif. Puis le premier revient à l'octave supérieure
pour constituer un système d'une octave plus une quarte:

Figure 34: échelle Do rāst basse sol


Le premier passage va consister à se diriger vers une échelle de Sol rāst dans laquelle le Mi½b
va laisser sa place à un Fa½#, ce qui fait que les trois genres une fois de plus sont de type rāst,
mais le central est cette fois posé sur un Ré. En d'autres termes, un degré à demie altération

135
Par exemple dans les traditions musicales berbères ou nubiennes, qui usent abondamment du pentatonisme,
en alternance avec les modes à demi altération.
136
Non pas blues pentatonique, ce qui serait la répétition de ce qui vient d'être vu, mais Blues à 7 degrés dans
l'acception jazz du terme.
137
Comme note tonique d’une période donnée du taksīm.
138
Rappelons que rāst désigne d'abord une note (Do sous la portée), puis par extension un genre (tétracorde à
tierce neutre), puis par seconde extension une échelle (deux tétra rāst avec ton disjonctif).

67
reste en place, tandis que l'autre glisse du sixième vers le septième degré. Ce qui va générer
l'échelle suivante:

Sol La Si½b Do Ré Mi Fa½# Sol

L'absence de ton disjonctif se fait cette fois entre les tétracordes deux et trois, le système
complet contient une octave plus une quarte:

Figure 35: échelle Sol rāst

La nouvelle étape proposée met en jeu, toujours sur une basse de Sol, une échelle de La sāba
avec son caractère très fort dû à une degré à demi altération, suivi de près d'une seconde
augmentée. Les degrés de cette échelle sont les suivants:

La Si½b Do Réb Mi Fa Sol La

Les deux tétracordes graves et aigus ne changent toujours pas139. C'est le tétracorde central, ici
Do hijāz kār qui est porteur de tous les changements de couleur. Le ton disjonctif est entre les
tétras deux et trois et le système complet est le suivant:

Figure 36: échelle La sāba basse Sol


Pour aborder la suite de notre parcours, le système de l'exploration par genres va s'avérer une
fois de plus fructueux. Le tétracorde central va rester identique à lui-même, hijāz kār, avec sa
forte identité, alors que dans le tétracorde grave, Si½b est remplacé par Sib, en même temps
qu'est évacué La. Donc, la coloration blues est installée au grave. A l'aigu on retire le ton
disjonctif, on rend le si bémol comme en bas et on obtient un tétracorde à couleur
pentatonique. Voici le système complet:

Figure 37: échelle hybride Blues/ hijāz kār/ Pentatonique

Le trajet final vers l'échelle Blues se fait de la manière suivante:

• Le Mi bécarre est évacué et le tétra hijāz kār à connotation arabe disparait.


• Le Réb devient Do#, note de passage vers Ré
• La Fa# apparaît, créant le passage chromatique de la gamme entre septième et octave
• Le tétracorde central devient un genre chromatique "à deux tierces", typique de la
gamme blues.

139
Une solution alternative consisterait à transformer le tétracorde aigu en remplaçant SI1/2b par Sib, pour
préparer davantage le basculement.

68
Figure 38: échelle Sol blues

Le cheminement inverse est évidemment réalisable, par la disparition en premier des


chromatismes blues (Fa# et Do#), l'abaissement du ré, puis le retour du Mi, puis du Si½b, du
Fa½#, et la transformation du Mi en Mi½b.

Il serait trop long ici de vouloir répertorier toutes les possibilités de passage existantes entre
les univers mélodiques. Tout le chapitre consacré aux échelles qui développe la question de
l'identité tétracordale et des constructions combinatoires contient en puissance de nombreuses
options de passage, comme par exemple entre un mode myxolydien et un mode jiharkā, qui
ne sont qu'à une demi-altération d'écart.

REMARQUES

Ces travaux n'ont pas de prétention non plus à être des outils qui vont nous transporter
miraculeusement d'un monde à l'autre par le biais d'un changement d'échelles. Le facteur lié
au parcours modal est loin d'être le seul élément déterminant dans l'ensemble des sensations
qui font qu'on est "emmené" en tant qu'auditeur dans un univers sonore. Le timbre
instrumental, le genre musical, la façon d'articuler le discours140, le placement rythmique par
rapport à la pulsation, et bien d'autres facteurs indicibles sont des marqueurs d'un contexte
musical donné. Auxquels on pourrait presque ajouter les sons environnants, la qualité des
silences, et pourquoi pas la lumière, les parfums, le vent. C'est la conjonction de tous ces
éléments qui font que face à une prestation musicale dont on se trouve témoin (comme
spectateur officiel ou d'une façon inattendue), on se dit: "c'est ça". C'est direct, hors de toute
analyse, de toute rationalité..

Les propositions présentées ici sont des outils rappelons-le, qui ne peuvent apporter que ce qui
est de leur ressort. C'est-à-dire quelques éléments supplémentaires dans l'arsenal disponible de
l'improvisation, pour ceux qui sont à la recherche de facteurs d'élargissement. Les traditions
musicales millénaires qui sont bien vivantes aux quatre coins de notre planète ne vont pas s'en
trouver bouleversées.

Festival d'Hammamet: Tarab Halibi

140
Sans parler bien évidemment de toute la dimension linguistique et des spécificités d'intonation dans le
domaine vocal.

69
70
CHAPITRE VIII

UNE MODALITE HEXATONIQUE


ORIGINE

A l’origine de cette nomenclature modale inédite, se trouvent les genres chromatiques de type
Hijaz. Cette dénomination d'origine géographique, comme un certain nombre de modes
arabes, fait référence à la région nord-ouest de la péninsule arabique, à laquelle appartiennent
les villes de La Mecque et de Médine, et qui est donc le berceau de la civilisation islamique.
Ce mode est de ce fait éminemment représentatif de la culture musicale arabe, autant que peut
l’être le genre râst, puissamment dépositaire lui aussi de cette identité. Le premier tétracorde
du mode hijaz est constitué de la série d’intervalles seconde mineure, seconde augmentée, et
seconde mineure (2, 6, 2141). On le trouve occasionnellement comme tétracorde supérieure de
la gamme mineure harmonique.

Cette succession de trois secondes excluant la seconde majeure (cette dernière est à priori
plutôt majoritaire dans le répertoire des échelles en usage), m’a suggéré l’idée d’étendre par
simple curiosité ce système exclusif dans le parcours d’une octave, dans une démarche
spéculative à l’inverse de celle de la gamme par ton. Là où cette dernière n’utilise que des
secondes majeures, la démarche modale proposée ici les exclut absolument et n’accepte que
les secondes mineures et les secondes augmentées (qui peuvent être aussi des tierces
mineures, sans importance puisque le système est atonal et que le choix des altérations n’a pas
ici de connotation).

Il en résulte un certain nombre de remarques qui sont les suivantes:

1. En partant du postulat d’équilibrer les deux matériaux de base (2 et 6), on constate que
l’octave est parcourue par l’emploi de trois de l’un et de l’autre sorte. Il en résulte
donc un certain nombre d’échelles distinctes à six degrés, de genre hexatonique
(comme l’est d'ailleurs la gamme par tons).

2. -En passant en revue toutes les combinaisons possibles de construction utilisant trois
secondes mineures et trois secondes augmentées entre une note et son octave, on
arrive à un total de vingt combinaisons.

3. -En considérant que dix de ces modes sont les miroirs des dix autres, de par leur
cheminement intervallique, de telle sorte par exemple que:

6 6 6 2 2 2 (mode 1 A)
est le miroir de
2 2 2 6 6 6 (mode 1 B),

il est possible de construire une nomenclature assez simple, avec les échelles des 20 modes en
utilisant arbitrairement la tonique Ré, et en sachant que la transposition dans les douze tons ne
présente pas de restrictions particulières.

141
Maintien de la valeur des intervalles par quarts de tons.

71
NOMENCLATURE

LES VINGT MODES/TABLEAU D'INTERVALLES

6 6 6 2 2 2 1A

6 6 2 6 2 2 2A

6 6 2 2 6 2 3A

6 6 2 2 2 6 4A

6 2 6 6 2 2 5A

6 2 6 2 6 2 6A

6 2 6 2 2 6 7A

6 2 2 6 6 2 8A

6 2 2 6 2 6 9A

6 2 2 2 6 6 10A

2 2 2 6 6 6 1B

2 2 6 2 6 6 2B

2 2 6 6 2 6 3B

2 2 6 6 6 2 4B

2 6 2 2 6 6 5B

2 6 2 6 2 6 6B

2 6 2 6 6 2 7B

2 6 6 2 2 6 8B

2 6 6 2 6 2 9B

2 6 6 6 2 2 10B

72
LES VINGT MODES / TONIQUE RÉ

Les 20 modes sont présentés non plus sous formes de successions d’intervalles, mais sous
formes d’échelles en utilisant arbitrairement la tonique RE : les 20 parcours de Ré à Ré. Le
choix des altérations (dièse ou bémol) ne répond pas à une logique particulière. Le contexte
est atonal.

MODES 1A à 10A MODES 1B à 10B

REMARQUES MUSICALES

La construction en deux tétracordes ou genres, qui s'impose dans un contexte d'échelles à sept
degrés, avec en général un ton disjonctif, est ici possible, sans ton disjonctif et avec une note
commune aux deux genres. On peut ainsi répertorier huit tétracordes différents, qui ne
peuvent bien sur pas être combinés sans conditions, le principe des trois secondes de chaque
sorte imposant ses limites associatives.

73
On peut dresser un inventaire de ces tétracordes, en examinant leur caractère propre et en
énumérant leurs possibilités combinatoires, ce qui peut faciliter le choix du mode selon
l'univers sonore que l'on veut développer. A nouveau la tonique Ré nous sert de modèle, un
tétracorde sous forme de notes étant plus audible qu'une suite d'intervalles.

TETRACORDES inférieurs des MODES 1A à 10A

1. Le tétracorde [RE FA LAb SI] du mode 1A correspond à une suite de tierces


mineures. Son caractère atonal est clair. Il ne peut être jumelé qu'avec le tétracorde bas
de 1B.

2. Le tétracorde [RE FA LAb LA] des modes 2A, 3A, 4A s'entend comme le pentacorde
[Ré Fa Sol Lab La] amputé de son degré 3. Il possède donc une identité Blues. On
peut aussi l'entendre comme un pentacorde nakrīz amputé de son second degré (ici,
mi)

3. Le tétracorde [RE FA FA# LA] des modes 5A, 6A, 7A est une sorte d'arpège
ascendant qui fait intervenir les deux tierces, mineures et majeures. Il peut ainsi avoir
un caractère Blues avec une tierce "incertaine" (celle des bendings à la guitare), ou être
considéré comme dérivé du pentacorde arabe sāba amputé de sa seconde Mi½b.

4. Le tétracorde [RE FA FA# SOL] des modes 8A, 9A, 10A est un genre chromatique
dans lequel les deux demi-tons sont placés cote à cote après une tierce mineure. Il peut
être entendu comme un tétracorde blues supérieur avec les deux septièmes, sa position
basse lui donne un caractère inattendu.

TETRACORDES inférieurs des MODES 1B à 10B

5 Le tétracorde [RE MIb MI FA] du mode 1B est une succession chromatique qui
n'appelle pas de commentaire. Il ne peut être jumelé qu'avec le tétracorde bas de 1A.

6 Le tétracorde [RE MIb MI SOL] des modes 2B, 3B, 4B est de genre chromatique avec
les deux demi-tons regroupés en bas. Il possède une identité pentatonique, le rapprochant
à l'oreille de la suite [RE MI SOL].

7 Le tétracorde [RE MIb FA# SOL] des modes 5B, 6B, 7B n'est autre que le genre hijaz,
à la source de tout le système. Il n'appelle pas d'autre commentaire ici.

8 Le tétracorde [RE MIb FA# LA] des modes 8B, 9B, 10B peut être perçu de deux
façons: soit comme un pentacorde hijaz amputé de son degré 4 (en ré, le sol), soit
comme un arpège de Ré majeur, avec une "sensibilisation supérieure" de la tonique.

74
CARACTERES DES MODES

MODE DEGRE TETRACORDE I TETRACORDE 2 MUSICALITE


CENTRAL (caractère) (caractère) (subjective)
142

1A VI Majeure Atonal (empil. de Atonal **


3ces mineures) (chromatisme)
2A V Blues(sens. de 5te) Blues **
Nakrîz (les deux 7ème)
3A V Blues(sens. de 5te) Hijaz ***
Nakrîz
4A V Blues(sens. de 5te) Pentatonique ****
Nakrîz
5A V Blues (deux 3ces) Blues ***
Sabâ (ss la 2nde) (les deux 7ème)
6A V Blues (deux 3ces) Hijaz ****
Sabâ (ss la 2nde)
7A V Blues (deux 3ces) Blues ***
Sabâ (ss la 2nde) (les deux 7ème)
8A IV Blues Hijâz **
(les deux 7ème)
9A IV Blues Blues **
(les deux 7ème) (les deux 7ème)
10A IV Blues Hijâz ***
(les deux 7ème) Arpège majeur

1B III mineure Atonal Atonal **


(chromatisme) (empil. de 3ces min)
2B IV Pentatonique Hijâz ***
Arpège majeur
3B IV Pentatonique Blues (deux 3ces) ****
Sabâ (ss la 2nde)
4B IV Pentatonique Blues(sens. de 5te) ****
Nakrîz
5B IV Hijâz Hijâz ***
Arpège majeur
6B IV Hijâz Blues (deux 3ces) ***
Sabâ (ss la 2nde)
7B IV Hijâz Blues(sens. de 5te) **
Nakrîz
8B V Hijâz Pentatonique ***
Arpège majeur
9B V Hijâz Hijâz **
Arpège majeur
10B V Hijâz Blues **
Arpège majeur (les deux 7ème)

142
Intervalle entre tonique et degré central

75
COMMENTAIRES

Les tétracordes reposent, à l'exclusion des cas particuliers 1A et 1B, sur l'empilement d'une
quarte et d'une quinte (ou l'inverse), sans ton disjonctif, la note haute du premier tétracorde
étant aussi la note basse du second.

Certains tétracordes peuvent avoir deux significations musicales, comme il est mentionné
dans le tableau. C'est dans ce cas la construction mélodique choisie qui va faire émerger
davantage l'un ou l'autre sens, ou qui va les mettre en avant l'un après l'autre.

La dernière colonne évaluant l'intérêt musical des modes est comme indiqué basée sur la
subjectivité. Il convient de dire qu'il n'y a pas d'unité sonore qui rapproche ces échelles. Leur
construction est basée sur un système générique, et les produits de ce système sont très divers.
Il semble plus productif dans un souci d'originalité de privilégier les modes qui juxtaposent
deux tétracordes à connotations culturelles éloignées, que les modes qui ne se différencient
d'un mode déjà connu que par l'effacement d'un degré. Mais d'autres critères moins "pensés"
peuvent entrer en ligne de compte. Une sensibilité personnelle me rend attiré par le
tétracorde/arpège 3, qui fait intervenir les deux tierces, en les privant du coup de leur forte
connotation tonale habituelle. Le tétracorde 6 ne comporte pas de tierce, et son caractère
"pentatonique enrichi" me touche aussi.

Les trois improvisations du mouvement Retour de la pièce Paysages traversés sont


construites sur un de ces modes.

Festival de Hammamet: Orchestre accompagnant Lotfi Bouchnak

76
SECONDE

PARTIE

UNE RÉALISATION

77
Jordanie

78
CHAPITRE I

POESIE

UN DÉTAIL DÉTERMINANT

Cette partie de l'ouvrage est primordiale à plusieurs titres:

- D'abord c'est par l'enregistrement de deux poèmes (qu'on va présenter ici) que le travail de
création musicale s'est ouvert. Même si il s'agit d'une musique à dominante instrumentale, on
peut considérer que ce "message" vocal a ensuite donné la direction à suivre pour tout le reste.
Ces paroles et ces voix ont servi de guide, ont été des bornes directionnelles qui ont sous-
tendu le sens, qui ont creusé le sillon dans lequel les idées musicales se sont installées les unes
après les autres.

- Lors de la première partie de l'année universitaire, un travail personnel de fin de séminaire


avait été rédigé sur la poésie arabe, notamment dans la période cruciale allant de la jāhilīā
(période préislamique) jusqu'au siècle suivant l'émergence de l'islām. On avait pu alors
mesurer combien cette forme d'expression avait été déterminante dans la constitution d'une
conscience collective dans le monde islamique émergent, et par conséquent, à quel point il
aurait été incomplet de rédiger un ouvrage centré sur la musique arabe, même à caractère
technique, sans donner une place à la dimension littéraire.

- Enfin, cette initiative m'a permis de prendre un contact très fructueux avec une personnalité
éminente de la musique et de la philosophie, enseignant à l'école normale supérieure,
compositeur associé à l'Ircam, M. François Nicolas. Il était en cours de préparation d'une série
de conférences sur les relations possibles entre musique et langues, et il avait rendu
accessibles en ligne un certain nombre de travaux personnels, en préparation ou en comptes-
rendus des séminaires qu'il animait sur cette question143. J'ai pu ainsi être conforté sur la
pertinence de ma démarche (entre autres par des encouragements personnels), et profiter de
l'éclairage philosophique dont il nourrissait ce projet.

Ce chapitre va se présenter en trois parties différentes:

En premier lieu seront présentés les poèmes qui ont été lus, enregistrés au studio de Lille 3, et
intégrés à la pièce "paysages traversés". Ensuite, nous rapporterons et utiliserons les propos de
M. Nicolas évoqués précédemment, et enfin sera évoqué le déroulement du processus qui a
conduit de l'idée jusqu'à sa réalisation, humainement et techniquement.

143
Par exemple l'article "Faire entrer la langue arabe dans la musique contemporaine" compte rendu de la
réunion du mardi 22 juin 2010 http://www.entretemps.asso.fr

79
LES POÈMES

Ils sont issus du répertoire de musique andalouse. Ce sont des textes en langue dialectale144.
Ils sont couplés respectivement avec une pièce de genre btāyḥī et une pièce de genre
barwel145, les deux étant des composantes d'une nūbā en nāġmā aḏ-ḏīl146. L'adaptation
française s'est faite grâce à l'aide précieuse de M. Fathi Ben salah, à Tunis.

Premier poème

btāyhī dhīl

Le monde des fleurs nous dit que la vie est belle


Asseyons-nous avec nos amis et mettons-nous à l'aise
Ecoutons le chant des oiseaux,
Mélodies claires et universelles

Quelqu'un nous sert du vin dans des coupes


"Donne du vin à ma belle"
Malgré leur jalousie, leur rancoeur
Soignons-nous par le vin

144
L'arabe dialectal est celui qui est coloré de particularismes locaux, en ayant pris des libertés progressivement
avec l'arabe littéraire. Ces déviances peuvent être des déformations de vocables, simplifications de règles
grammaticales, ou encore emprunts à d'autres langues. Les poésies présentées ici ne font pas partie du "grand
répertoire" des poètes abbassides comme Abū nawās, mais de la "filière" andalouse populaire.
145
Deux mouvements de nūbā, les deux à quatre temps
146
nāġmā est l'équivalent tunisien de maqām. Et ḏīl comporte la même tonique et la même armure que rāst (Mi
et Si demi bémols)

80
Second poème

LE NECTAR DE L'AMOUR

Quelqu'un est ivre d'amour


Le vin de l'amour m'a donné cette ivresse
Mais je suis resté sans équilibre
Elle m'avait pourtant appris comment aimer
Depuis que je l'ai vue, je suis emprisonné

Son visage est comme des feux éclatants


Aucun amour ne peut le faire oublier
Il est le premier et l'ultime
Il est ma souffrance

Les deux poèmes sont dédiés à l'amour, en utilisant un langage métaphorique lié au vin et à
l'ivresse qui en découle. Le premier est plus joyeux et provocateur, il évoque d'une façon
réjouissante la question des censeurs qui ne nous empêcheront pas de profiter de la vie. Le
second se place dans la tradition poétique universelle de l'amour sans retour, qui est un plaisir
masochiste: L'amour donne l'inspiration, il exalte les sens, il brûle le coeur, mais il n'apporte
pas la satisfaction de la réalisation.
On pourrait attendre de ces poèmes qu'ils soient lus par la voix masculine du poète triste
s'épanchant sur le papier confident. Les entendre par des voix féminines juvéniles, qui sont
peut-être celles des muses inaccessibles génère une sorte de raccourci entre le contenu
littéraire du texte et son objet. Texte, son et image semblent venir ensemble à nos sens.

81
FAIRE ENTRER LA LANGUE ARABE DANS LA MUSIQUE CONTEMPORAINE ?

« Ce n’est pas parce qu’on l’avoue qu’un secret cesse d’être un secret » (Jacques Lacan)

"On avancera en ce point la fiction musicienne suivante : faisons comme si la langue arabe détenait un « secret »
dont la musique pourrait tirer puissance en l’avouant. Soit, somme toute, la reprise (variée) d’une vieille idée
musicienne : que la musique accueille au cœur même de son discours un discours littéraire et elle pourra capter à
son profit le secret de la langue ainsi mobilisée en l’avouant, "l’aveu" prenant alors la forme d’une puissance
auratique proprement musicale, en tout point homologue à cette sémantique dont la musique se sait dépourvue.
Une telle œuvre musicale composite conçue comme aveu musical d’un secret poétique ne s’attachera nullement
à déconstruire ou dévoiler le secret avoué (il s’agit en l’occurrence de secrets intrinsèquement constitués et non
pas extrinsèquement dissimulés : le secret relève du séparé plutôt que du caché) mais bien plutôt à l’intensifier
en le faisant résonner dualement (de manières tant musicale que langagière).
Somme toute, mettre en œuvre une fécondation réciproque entre musique contemporaine et langue arabe
impliquera de traiter squelette et souffle de la langue arabe, parataxe, ambivalence et exception singularisante
comme constitutifs de plis secrets intérieurs à cette langue que la musique s’attachera à faire jouer (sans les
"repasser" et sans "lisser" la langue) et ce faisant à "nommer" selon ses procédures sui generis."147

Voici ce qu'écrivait M. François Nicolas, philosophe, professeur et musicien en préparation


d'un vaste travail consacré aux relations possibles entre création musicale contemporaine et
langues, avec certainement une motivation particulière pour l'arabe, puisqu'il s'avère que M.
Nicolas suit des cours de cette langue à la Grande Mosquée de Paris. J'ai donc eu la chance de
suivre deux des conférences qui ont été consacrées à ce projet, au moment même où j'étais
dans les prémices de mon travail compositionnel, dans lequel il était décidé dès l'origine que
la langue arabe, sous forme de poésie déclamée, tiendrait une place importante148. Dans cette
perspective, les textes de présentation et par la suite, les exposés oraux notamment sur la
cantillation des textes coraniques (Tajwīd) d'une personnalité aussi cultivée et disposant d'un
tel éventail de références furent d'un grand intérêt.

Son idée de fécondation de l'acte musical par la langue arabe reposait sur une démonstration
en quatre axes, dont la pertinence et la précision rendent difficile toute tentative de résumé,
mais qu'on tentera néanmoins de synthétiser en quelques mots:

1. Le premier fait référence à la structure même de la langue, sa constitution sur la base


de "squelettes consonantiques" à partir desquelles le mot prend son sens propre par le
jeu des voyelles qui viennent en quelque habiller la racine. Selon l'auteur, ceci est à
même de stimuler la réflexion du musicien sur le rapport entre la partition et son
exécution (en tant que métaphores de la racine et du "sens final").

2. Ensuite, c'est la façon d'agencer syntaxiquement le discours qui est mise en avant. La
mise en ordre des idées et leur coordination ne se fait pas nécessairement par le
truchement d'outils de langage (encore que le "et" existe), mais par des "césures non
dissimulées". Là encore, quelles résonances cela peut-il avoir sur notre travail de mise
en ordre de notre discours musical? "Que veut dire nouer sans lier, faire tenir
ensemble et assembler sans coller ou agréger ?149"

147
François Nicolas: Hypothèses de travail pour les rencontres musique contemporaine & langue arabe,
communication Internet en préparation des rencontres "musiques contemporaines et langue arabe" (13-15 avril
2011, Paris 19e)
148
Dans cette phase de la rédaction où j'évoque une personnalité rencontrée réellement et récemment, je suis
contraint ici d'adopter la première personne du singulier pour ne pas brouiller le discours.
149
Idem note 1.

82
3. La troisième singularité à même de féconder notre réflexion de musiciens tient à la
façon dont un mot et son contraire se trouvent en langue arabe dans une grande
proximité, par une racine unique, et donc "qu’implique le fait qu’un discours musical
passe par la pointe d’une ambiguïté précise plutôt que floue, par le chas d’une
ambivalence soigneusement délimitée et non pas paresseusement nuageuse ?"150

4. Et enfin, la dernière idée forte du lien entre langue arabe et pensée musicale repose
dans la logique de l'exception, contenue par exemple dès les premiers mots du qurān
fondateur: "nul dieu sauf Dieu". Cette assertion ouvre une réflexion sur l'idée de la
singularité dans la pensée et dans l'oeuvre: "le mode, propre à la langue arabe, de
présentation d’une idée commune exhausserait la concrétude de la singularité qui se
trouve à l’œuvre dans toute idée véritable ".

Grâce à cet éclairage, les perspectives d'interactivité ne se limitent donc pas à l'intégration,
pourtant déjà prometteuse en soi, de la pâte sonore de la poésie arabe déclamée au sein de
l'oeuvre en gestation, mais plusieurs paramètres liés à l'articulation du discours, donc à la
forme peuvent être nourris par une réflexion sur certaines spécificités de la langue arabe.

LECTRICES151

Une des raisons de cette décision d'intégrer de la poésie arabe au sein de la création "Paysages
traversés" est la conséquence indirecte d'un autre projet, celui de la préparation d'un concert
intitulé "Soirée au palais". Dans le cadre de cette soirée étaient prévues, en plus du concert
proprement dit, une prestation de danse orientale, ainsi que des lectures de poèmes en langue
arabe.

Ces lectures trouvent un sens dans le répertoire de concert lui-même: certaines pièces sont
issues du répertoire de Malūf tunisien. Ce sont donc des oeuvres vocales, souvent de forme
ABA. Le groupe les a incluses au répertoire dans une version instrumentale, en raison de leur
intérêt mélodique. La déclamation des textes concernés par une lectrice compétente m'apparût
donc comme une possibilité pertinente de rendre leur sens textuel à ses pièces.

Il fallait par contre préparer judicieusement la façon dont l'articulation textes/musiques allait
s'organiser: l'option consistant à chercher les bonnes solutions en conditions de répétitions
complètes risquait de s'avérer difficile et fastidieuse, et peu compatible avec l'absence totale
de repères existants pour moi dans une telle recherche. Il fallait donc commencer par un
travail préalable de manipulation en studio, pendant lequel pourraient être testées toutes les
possibilités de coïncidences entre texte et musique en toute tranquillité. Les options retenues
seraient ensuite soumises aux musiciens et à la lectrice préalablement à toute espèce de
répétition engageant tous les partenaires.

Les premières recherches de "prestataires en lecture" ont eu lieu en cours de langue arabe, au
département de langues de Lille 3. Après des recherches infructueuses au sein du cours que je
suivais moi-même auprès de M. Dahmani, je décidai de m'adresser à une classe entière de
licence, avec l'accord de l'enseignante chargée du cours de grammaire. Je fis donc une
demande collective en début de cours, en présentant mon recueil de chants Malūf, et en
expliquant précisément en quoi consistait la séance de studio que je sollicitais. Je recueillis
tout de suite l'adhésion de Nesmā, qui vint consulter le recueil et prendre connaissance des

150
Idem.
151
Le rapport de ce travail de terrain à contenu très pratique est rédigé à la première personne

83
textes à lire, puis suite à ma demande d'une seconde étudiante afin obtenir un autre timbre de
voix, et pour mettre Nesmā d'être plus à l'aise lors de la séance à venir, j'obtins également
l'acceptation de Aishā. Je confiais aux deux étudiantes une version papier des deux poèmes
afin qu'elles puissent s'entraîner dans l'exercice de leur lecture.

RÉALISATION

Rendez-vous fût pris pour le jeudi suivant, lors du créneau horaire qui m'était réservé pour
l'utilisation du studio. Nesmā et Aishā étaient bien présentes au rendez-vous. J'avais pris soin
au préalable de procéder à l'installation complète du studio configuré pour cette tâche
particulière, à savoir les branchements, allumages, ouverture du logiciel Protools, et
installation du micro Shure spécialement dédié à la prise de son de voix.

Ainsi lorsque les deux étudiantes arrivèrent, je leur expliquai rapidement le fonctionnement
du matériel, la position et la distance optimale qu'il convenait d'adopter par rapport au micro.
Je pris le parti de rester dans la même pièce en suggérant une absence de bruits parasites,
plutôt que d'adopter une situation "derrière la vitre" intimidante et peu adaptée à la situation.
De plus, elles allaient se tenir mutuellement le polycopié du texte, ce qui a contribué à la
désacralisation de la séance, au bénéfice d'une décontraction féconde.

Le premier poème fût abordé, qui fût lu par l'une et par l'autre, et enregistré aussitôt. Aishā
avait un petit moins d'aisance et avait quelques hésitations, qu'elle a su régler après quelques
conseils de sa collègue. Néanmoins, la différence de timbres m'a semblée intéressante. Je
suggérai après plusieurs prises de l'une et l'autre, de procéder à une lecture en relais. Le
résultat fût de générer un débit légèrement différent, le délai de latence entre les vers se
trouvant un peu rallongé par le jeu de l'alternance. Je proposai ensuite de procéder à la lecture
d'un second poème, afin d'avoir un volume de "musique" un peu plus copieux et davantage de
choix dans les travaux ultérieurs de réalisation. Nesmā enregistra quatre prises de ce second
texte, qui était un peu plus long que le premier. J'étais déjà en possession de dix pistes de
voix, et je fis une dernière demande avant de prendre congé des deux lectrices, consistant à
faire une version à deux, mais cette fois simultanément, du premier poème. Nous avons bien
sur émaillé le travail d'enregistrement de plusieurs écoutes intermédiaires, qui ont permis aux
deux lectrices de s'auto corriger, et de procéder à des réajustements de distance au micro, ou
de débit de parole.

Ainsi s'acheva cette séance d'enregistrement qui s'avérait être la toute première source sonore
enregistrée du projet musical mixte "Paysages traversés".

Alexandrie: grande bibliothèque

84
CHAPITRE II

PARENTHÈSE INDIENNE
INTRODUCTION

Mes connaissances en musique indienne se sont constituées ainsi :

-Lors d’un voyage dans le Rajastan, j’ai souhaité acquérir un instrument de musique,
et mon choix s’est orienté sur le sitar, qui est l’instrument le plus populaire et le plus
représentatif de la culture musicale de cette région.

-Ayant trouvé l’instrument qui me convenait parmi les nombreux magasins spécialisés
du quartier de Darya Ganj, à Dehli, j’ai demandé au vendeur s’il pouvait m’indiquer les
références d’un professeur capable de me consacrer deux heures pour une initiation rapide
avant mon départ d’Inde. Ce qui fut fait, et je pus bénéficier d’un premier cours dans le
magasin même, et d’un second chez mon professeur, au nord de la ville. J’ai pu ainsi obtenir
de précieux conseils sur l’accordage de l’instrument, sa position de jeu, qui n’est pas une
chose aisée, ainsi qu’une batterie d’exercices pour débuter l’apprentissage de cet instrument
dans des bonnes conditions aussi bien en ce qui concerne le travail de la main gauche sur un
manche interminable, que celui de la main droite qui doit équipée d’un plectre en métal à
installer sur l’index, le mizrab.

-J’ai aussi acquis deux méthodes d’apprentissage, écrites en anglais et structurées à


peu près de la même manière, à savoir une introduction à la notion de raaga, une explication
sur les rythmes et le jeu des tablas, des exercices et une série de pièces d’application. Des
détails sur le système de transmission musicale par ces méthodes, sont mentionnés plus loin.

Lorsque le projet de composition originale à plusieurs mouvements dans le cadre du mémoire


a commencé à se préciser, il m’a semblé évident qu’une section à caractère indien devait y
trouver une place. Le sitar pouvait jouer pleinement le rôle de "bourdon intelligent 152" que je
recherchais en établissement un tapis sonore vivant apte à recevoir les improvisations du ‘ud.

Par ailleurs, il ne me déplaisait pas de faire se rencontrer deux instruments emblématiques,


celui de la civilisation musulmane et celui de la culture hindi, et de jeter ainsi un pont musical
entre deux mondes cohabitant sur la terre indienne, mais communiquant assez peu... Qu'on se
rassure, cette digression géopolitique s'arrêtera là.

Avant de rentrer directement dans le processus suivant lequel a été organisé le mouvement
"Dehli-express", il convient d'ouvrir une brève parenthèse sur l'instrument et son accord, et
sur quelques aspects du système mélodique indien. Mes sources proviennent donc de deux
ouvrages acquis à Dehli, édités à l'intention des publics hindis (mais rédigés heureusement en
anglais) et du site internet de David et Chandra Courtney.

1. Learn how to play sitar, by Aharti agarwal / D.P.B Publications, Dehli


2. raga improvisation, book and DVD / GM College of fine and performing arts, Dehli
3. http://www.chandrakantha.com

152
Voir chapitre suivant

85
Il est à noter que certaines appellations ou certains détails changent d'une source à l'autre, et
qu'il n'existe pas une "théorie des raagas" indiscutable du type de ce que l'on peut connaître
en musique occidentale. Il n'est pas question ici de prendre partie dans une querelle d'école,
mais de présenter brièvement un aperçu de quelques caractéristiques utiles pour comprendre
la démarche qui a été la mienne dans la construction de la pièce.

LE SITAR

L'intérêt du sitar est de pouvoir proposer un "bourdon intelligent153", entre autres grâce à son
système de résonance par le jeu des cordes sympathiques, qui ne sont pas frappées, mais
mises en vibration par le jeu de cordes principal.
L'accord du jeu principal fait déjà apparaître des propositions différentes. Celui que j'ai choisi
est le suivant dans l'ordre qui conduit de la corde la plus éloigné du joueur jusqu'à la plus
proche (l'écriture sur portée est donnée pour la commodité de la lecture, elle n'est pas utilisée
en pratique):

Madhayan medium (M) FA


Sadaj medium (S) DO
Pancham grave (P) SOL
Sadaj grave (S) DO
Pancham extrême grave (P) SOL
Sadaj aigu (S) DO
Sadaj extrême aigu (S) DO

La tonique du mode (thaata) est donc toujours Do. La première corde est la plus utilisée, c'est
sur elle que les thèmes sont joués, en alternance avec les autres cordes sur lesquelles s'égrène
la quinte DO SOL.

Les cordes sympathiques sont accordées diatoniquement sur une octave et demie. Le
changement d'échelle occasionne les ajustements correspondants dans l'accordage des cordes
sympathiques (la transformation du si en si bémol, par exemple).

LES RAAGAS

La musique indienne repose sur une gamme à sept degrés. Le Raaga est identifié par trois
caractéristiques.

1. Le Thaata,

C'est l'échelle intégrale dans laquelle les notes vont être puisées. Dans l'ouvrage "how to
play sitar", de Bharti Agarwal, 10 thaatas sont répertoriés, tous avec Do comme tonique,
sol comme quinte juste154.

153
Concept explicité juste après ce chapitre

86
Nom du Thaata Notes altérées Mode correspondant

BILAWAL aucune IONIEN (Majeur)


KALYAN Fa # LYDIEN
KHAMBAJ Si b MYXOLYDIEN
BHAIRAVA Ré b La b HIJAZ KAR
KAFEE Mi b Si b DORIEN
ASAWARI Mi b La b Si b AEOLIEN (mineur nat.)
BHAIRAVEE Ré b Mi b La b Si b PHRYGIEN (Kurd)
MARVA Ré b Fa # /
POORVI Re b Fa # La b /
TODI Ré b Mi b Fa# La b /

2. Les échelles ascendantes et descendantes

Au sein du Thaata choisi, certaines notes peuvent être prohibées, soit dans le mouvement
ascendant, soit dans le mouvement descendant, soit dans les deux. Neuf combinaisons sont
ainsi possibles, qui sont répertoriées dans le tableau ci-dessous.

Le terme Sampoorana signifie l'utilisation complète du thaata, soit sept notes


Le terme shadava signifie l'utilisation de six notes (Echelle hexatonique)
Le terme Audava signifie l'utilisation de cinq notes (Echelle pentatonique)

Echelle ascendante Echelle descendante Type de Raaga


Heptatonique (7) Heptatonique (7) Sampoorana / Sampoorana

Heptatonique (7) Hexatonique (6) Sampoorana / shadava

Heptatonique (7) Pentatonique (5) Sampoorana / Audava

Hexatonique (6) Heptatonique (7) Shadava / Sampoorana

Hexatonique (6) Hexatonique (6) Shadava / shadava

Hexatonique (6) Pentatonique (5) Shadava / Audava

Pentatonique (5) Heptatonique (7) Audava / Sampoorana

Pentatonique (5) Hexatonique (6) Audava / shadava

Pentatonique (5) Pentatonique (5) Audava / Audava

154
On a écrit sur une troisième colonne les échelles identiques dans les autres nomenclatures, quand elles
existent, ce qui n'est donc pas le cas pour les trois derniers thaatas

87
Les notes prohibées dans le cas d'échelles à six ou cinq notes sont appelées Vivadi swara.
L'utilisation de ces notes corrompt le raaga. La modulation, ou même l'emprunt passager
d'une note hors de l'échelle ne se pratique donc pas.

3. Les notes privilégiées

La troisième caractéristique du Raaga concerne la hiérarchie au sein de l'échelle mélodique,


ce qui détermine du même coup les tournures mélodiques et les mouvements cadentiels.

- La note qui revient le plus souvent dans la Raaga s'appelle Vadee swara
- La seconde en importance s'appelle Sambadee swara

Les premiers raagas proposés dans l'ouvrage de Bharti agarwal s'organisent en deux parties
appelées Base et Stanza (refrain et couplets), sur une structure rythmique de Teental (rythme à
4 temps en périodes de 16 pulsations). C'est dans ce répertoire que j'ai emprunté mes
structures mélodiques

LE CHOIX DES RAAGAS

Je souhaitais structurer mon mouvement en trois parties, séparées par un refrain très
contrastant, issu de recherche préalables en musique acousmatique sur Protools. Je devais
donc choisir trois Raagas:

-Le premier à intervenir serait le Yaman. La couleur lydienne du Fa# semblait intéressante
pour trancher immédiatement avec la modalité arabes et le climat blues qui régnaient dans le
premier mouvement155. Les deux notes principales en sont le Mi et le Si.

-Le deuxième couplet improvisé se ferait sur le Raaga Bairava, qui tout au contraire est le
correspondant du mode hijāz kar, avec ses deux secondes augmentées entre les degré 2 et 3 et
entre les degrés 6 et 7. Les deux notes favorites sont le Réb et le Do.

-Enfin le troisième Raaga serait le Khambaj dont le caractère myxolydien renforcé par les
positions hiérarchiques du Mi et du Si b pourrait me permettre d'avoir une approche un peu
plus rock en approchant de la fin de la section. L'option consistant à jouer ces Raagas comme
ils étaient écrits n'était pas souhaitable, car le flux mélodique trop intense n'aurait pas permis
d'en faire un support d'improvisation. Je m'orientais donc sur une interprétation très lente, très
étalée des thèmes, en diluant ainsi leur qualité mélodique. Mais le fait de respecter néanmoins
l'ordre des notes me permettait d'affirmer clairement un mode propre à structurer
l'improvisation à venir.

Après avoir enregistré ces trois Raagas complets dans la version décrite ci-dessus, je constatai
que la durée dépassait largement ce qui j'avais prévu pour ce mouvement, et que les plages
d'improvisation sur un même mode allaient s'avérer beaucoup trop longues. Je décidai donc
pour chacune des trois parties de choisir après une écoute attentive pour chacune d'elles soit
la partie Stanza soit la partie Base, ce qui allait diviser chaque couplet par deux, et m'amener
ainsi à une durée raisonnable, entre 4 et 5 minutes.

155
Dans la grammaire musicale arabe, cette note s'y rencontre sur une tonique de Do, mais toujours comme
borne supérieure d'une seconde augmentée avec le Mib, dans le genre pentacordal de Nakrez par exemple, ce qui
annule la couleur lydienne du tétracorde Do Ré Mi Fa#. Quant au domaine du blues, la couleur lydienne ne s'y
rencontre pas vraiment.

88
BOURDON INTELLIGENT

Lors de ma communication orale sur les musiques mixtes, j'ai eu la chance de pouvoir
travailler sur un univers qui était assez proche de mon terrain d'investigations. Il s'agit du
projet musical de Kamilya Joubran et Werner Hassler.

Elle est une oudiste-qanuniste d'origine palestinienne, et elle a fait partie d'un groupe de
musique arabe non conventionnel durant de nombreuses années en Israel, avant de venir en
Europe dans le cadre d'invitations diverses à des résidences, et notamment en Suisse, où elle a
fait connaissance de Werner Hasler.

Il est trompettiste de formation occidentale, compositeur, partie prenante de plusieurs projets


musicaux en Suisse, il manipule aisément l'électronique musicale156, aussi bien dans les
travaux de studio qu'en concert.

Ils se sont associés lors d'une rencontre à Berne, pour former un duo qui combine adroitement
musique arabe et musique européenne électronique. Ils ont déjà deux albums à leur actif et
plusieurs tournées, aussi bien en Europe devant des publics rompus aux expériences de fusion,
qu'au moyen orient, où les auditoires sont plus réservés sur l'opportunité des mélanges
musicaux.

Ayant eu sous les yeux un compte-rendu d'enquête de terrain sur les avis des professionnels
de la musique des deux cultures à l'écoute d'un titre en particulier intitulé Wanabni (nous
bâtirons), j'ai pu prendre connaissance des remarques positives ou pas qui étaient émises par
les participants, et l'une d'elles m'avait interpellé. Elle concernait la question du Drone, c'est à
dire le bourdon électronique, qui entre assez vite dans la pièce pour ne plus repartir, et auquel
une des personnes interrogées reprochait un profil statique.

On sait, et on n'y reviendra pas ici, que les expériences d'harmonisation de musique de facture
originellement modale sont rarement concluantes. Donc il est cohérent, dans un souci de
vouloir créer une musique neuve, mais avec de fortes racines modales et une orientation
électronique, de faire intervenir un système de bourdon pour soutenir les passages
d'improvisation instrumentales ou vocales comme c'est le cas pour Kamilya Jubran, qui est
une vocaliste très expressive et souvent inspirée.

Eviter le drone linéaire, continu et plat n'est pas une chose facile. Les orchestres de musique
classique arabe font cela formidablement, et le soutien du chanteur ou de l'instrumentiste en
phase d'improvisation non mesurée, par un tapis extrêmement vivant, tissé par l'ensemble des
instrumentistes, archets, flûtistes, oudistes, est un modèle d'improvisation collective. Dans un
autre registre, les bassistes de musique noire américaine à caractère modal comme le funk, ont
eux aussi développé depuis des décennies, des techniques opératives souvent convaincantes
pour soutenir les phases d'improvisation au coté des batteurs lors de périodes harmoniques
statiques.

156
Sans en être un passionné, un "geek", ainsi qu'il me l'a dit lui-même.

89
Donc, un des défis que je souhaitais relever dans mon travail de composition était celui de
soutenir les improvisation à venir du oud, mais d'une façon acceptable pour moi, c'est-à-dire
autrement que par la mise en place d'un drone, même fourni par un son de qualité. Il me fallait
un soutien efficace, mais vivant, intéressant à l'oreille tout en gardant son rôle de soutien, ce
que j'appellerais un "bourdon intelligent".

Deux instruments se sont imposés à moi pour tenir ce rôle dans les deux premiers
mouvements, à savoir l'harmonica et le sitar. Leur intérêt était pour moi de trois ordres:

1. Ils étaient à même, par leur timbre et leur caractère, de pouvoir jouer ce rôle de soutien
modal, de tapis vivant, de bourdon intelligent.

2. J'en avais une maîtrise suffisante pour pouvoir en tirer ce dont j'avais besoin

3. Ils me permettaient de susciter deux rencontres culturelles peut-être pas inédites, mais
rares, en l'occurence "arabo-américaine" pour l'un et "arabo-indienne" pour l'autre, le
'ud étant suffisamment évocateur pour connoter immédiatement le monde arabe, mais
l'harmonica diatonique l'est tout autant pour susciter l'ouest américain, et le sitar l'Inde
du Nord.

Dans le cadre du troisième mouvement, c'est une idée qui s'est d'abord imposée, à savoir la
sensation de volées de cloches. J'ai préféré la réaliser d'une façon stylisée, plutôt que par le
biais d'enregistrements ou de samples de vraies cloches. C'est l'instrument rare (unique en
fait), dont on a des représentations en appendice, appelé zitherschulter qui a joué ce rôle. Dans
la deuxième improvisation, toujours en guise de bourdon, il a été joint une basse en midi, à
caractère funk.

Essaouira: musicien de rue

90
CHAPITRE III

PAYSAGES TRAVERSÉS

Sahel, Tunisie

INTRODUCTION

En préambule à la section du travail qui s'ouvre maintenant, il convient de présenter


brièvement la musique que l'on va entendre. Il s'agit d'une pièce concertante de 14.35,
structurée en trois mouvements enchaînés, mais qui peuvent être entendus séparément. Le lien
entre ces différentes parties, en dehors de l'omniprésence de l'instrument soliste, le 'ud, est la
déclamation de deux poèmes arabes du répertoire de la musique andalouse (la nubā), par deux
étudiantes lectrices. Ces poèmes sont présentés intégralement au début du premier
mouvement, puis ils reviennent par extraits, avec des traitements sonores variés, pour
accompagner ou annoncer les différents mouvements, dont les titres et les caractéristiques
sont les suivants:

1. DESERTS, le mouvement le plus long (6.30) est articulé sur l'ambiguïté entre deux
déserts, celui de la péninsule arabique, matérialisé musicalement par le 'ud, dans un
registre de taksīm sur des maqāmāt orientaux, et celui de l'ouest américain, évoque par
la présence très forte de l'harmonica, dans un registre très statique évoquant le vent, la
poussière et le blues.
La forme de la pièce n'est pas assimilable à un schéma conventionnel, on n'y perçoit
ni répétition, ni variations, ni retour. Les parties s'enchaînent, mettant à tour de rôle au
premier plan différentes sources sonores. Les voix pour commencer, puis le 'ud,
l'harmonica, le 'ud à nouveau, mais comme générateur inattendu de sons inouïs. Le
climat d'improvisation via le maqām laisse place à des phases thématiques sur des
modes occidentaux dans lesquels le 'ud joue "à la guitare".

91
2. DEHLI EXPRESS, le deuxième mouvement, est organisé en rondo, les refrains étant
assurées par le retour d'une ambiance sonore frénétique évocatrice de la ville agitée.
Les couplets qui se veulent des parenthèses dans ce climat survolté, sont constitués par
des dialogues entre 'ud et sitar indien, sur des échelles de ragaa répertoriées
(traditionnelles ne signifierait pas grand chose ici). L'objectif acoustique étant de faire
cohabiter harmonieusement deux instruments assez proches par leur enveloppe sonore,
mais dépositaires dans leur âme de deux cultures bien affirmées. Les parties de refrain
sont issues de traitements numériques de sons de sitar et de 'ud, via les processeurs
d'effet du logiciel de composition Protools.

3. RETOURS, enfin est comme son nom le suggère, une évocation musicale du "retour
au village", en l'occurrence l'Europe, avec ses clochers, ses expériences musicales
spéculatives et polytonales avec la mise en évidence d'une modalité générique à six
intervalles, et ... le son du 'ud et celui de la lecture déclamée (et harmonisée) du qurān.
La forme est aussi une sorte de rondo, dont les couplets sont des phases
d'improvisation au 'ud, soutenues par un instrument "unique au monde", la
zithershulter, créée sur mesure par un luthier bavarois, et trouvée sur un marché aux
puces belge. Les refrains sont des phrases déclamées du qurān, par une voix
féminine, étonnante, accompagnées par des volées de cloche ou des accords de
cordes, créant une polytonalité inattendue.

La pièce a été créée au studio électro acoustique de Lille 3, à l'aide d'un système Protools
avec une spatialisation sur huit écoutes de type Yamaha NS10 et un "caisson de basse". Ces
conditions particulières d'écoute et de mixage ont influencé en plusieurs occasions la façon de
travailler les sons, et même de faire évoluer la direction de la musique. Quant il a été
nécessaire de penser à un système de transcription sur papier, et en sachant qu'une écriture
"classique" entièrement en solfège n'était pas adaptée à la situation, c'est encore l'idée de
spatialisation qui a prévalu. Il a été décidé de présenter la musique sur des tableaux de huit
lignes (pour huit sorties) représentant chacun une durée de une minute. L'écriture s'est donc
faite sur quinze tableaux. Pour chacun d'entre eux, une page de légende a été établie pour
amener des informations additionnelles, comme des extraits de partition ou des détails
techniques sur la génération des sons ou les processus de composition.

L'inconvénient rencontré est la présentation en format paysage des tableaux de défilement, en


regard des pages de légende, présentées en format portrait, ce qui contraindra ceux qui
voudront bien se prêter à une écoute assortie d'une lecture à une gymnastique, pour laquelle
nous présentons nos excuses par avance. De même que nous devons avertir d'un détail de
présentation concernant les chiffres indicateurs de mesure en début de portée. Dans la majeure
partie des cas (dans les nombreuses sections non mesurées en fait), on aurait souhaité ne pas
en mettre du tout. Malheureusement, le logiciel utilisé157 ne permettait pas cette omission, ce
qui nous a obligés, dans la préparation des partitions vierges, à recourir à des chiffres
totalement fantaisistes158. Nous remercions par avance nos lecteurs de n'en tenir aucun
compte.

157
MuseScore, mis à disposition gratuitement, ce dont nous sommes tout à fait reconnaissant.
158
Il aurait fallu, pour s'en débarrasser, transiter par un logiciel d'images, et perdre en qualité de définition, une
option que nous n'avons pas retenue.

92
PAYSAGES

TRAVERSÉS

Partition spatialisée

93
0.00 0.10 0.20 0.30 0.40 0.50 1.00
Piste
1 Bruits: coups répétés
Origine: 'ud + quadraverb alesis
Sons industriels unearthly sinpad
Origine: roland JV 1010 en midi
2 Bruits: coups répétés
Origine: 'ud + quadraverb alesis
Sons industriels unearthly sinpad
Origine: roland JV 1010 en midi
3 Son science fiction cyberspace
Origine: roland JV 1010 en midi

4 Sons de voix synthétiques feedback voice


Origine: roland JV 1010 en midi
94

5 Aisha Aisha Aisha Aisha Aisha (3)

Unearthly
JV 1010
6 Cyberspace
Roland JV 1010

7 Sons de souffle continu allant s'épaississant: Night shade


Origine: roland JV 1010 en midi
Cyberspace
Roland JV 1010
8
DESERTS / MINUTE 1

L'ouverture de la pièce met en jeu d'emblée la rencontre de deux univers: celui de la poésie
dialectale andalouse, défendue par la voix encore fragile d'une jeune adulte, Aisha, étudiante
en licence d'Arabe, et une architecture de sons synthétiques, éloignés de tout timbre familier,
cherchant à évoquer un désert glacial et inconnu.

MIDI
Il était clair, dès l'origine, que la pièce s'ouvrirait par une phase de lecture de poèmes.
L'enregistrement des deux lectrices a d'ailleurs été le premier geste dans la construction
sonore. Assez vite cependant, il a semblé nécessaire d'apporter des éléments additionnels. Le
climat de mystère recherché se fera via le système midi, avec le clavier maître Yamaha et
l’expander1 Roland JV 1010. Après des explications par le technicien sur les branchements, il
est procédé aux opérations suivantes :

• Passage en revue assez rapide de tous les sons susceptibles de convenir. Quatre sont
sélectionnés dans deux banques différentes, uniquement des sons de pads2, avec des
particularismes intéressants aussi bien sur le plan de leur courbe sonore, que sur celui
des effets affectés. Ces sons sont indiqués dans la partition temporelle avec les noms
suivants, qui sont ceux de l'expander.
- unearthly, son à caractère industriel
- cyberspace, son à caractère "science fiction"
- feedback voice, sons de voix synthétique
- Night shade, son de souffle continu
• Improvisation rapide de trente secondes de musique, pour quatre pistes superposées,
en laissant faire la chance et l’oreille.
• Création d’une cinquième partie, plus tonale, faite d’un contrepoint à deux voix, à
caractère plus conventionnel (écrite sur la page suivante).
- Sinpad, son proche de l'ensemble à cordes.
• Conversion des pistes midi en audio et répartition spatiale.

TRAVAIL SUR LES VOIX

Les opérations d'optimisation sur les pistes de voix ont été les suivantes:

• Etablir des séparations entre les vers pour donner un débit plus musical, entre lesquels
les autres plans sonores peuvent s'intercaler. Les césures créées artificiellement sont
visibles sur la partition. La piste "Aisha" est divisée en cinq blocs successifs
• Travailler le volume attentivement ("suivre" la piste et équilibrer toutes les syllabes)
• Travailler l’équalisation de façon à ce que les voix sonnent plus claires et brillantes
• Chercher des effets destinés à donner un peu plus d’ampleur au son des voix. Des
reverbs et délais divers seront sélectionnés.

1
Un expander est une banque de sons synthétiques, à piloter à partir d'un clavier maître, via le système midi. Un
synthétiseur regroupe les fonctions de clavier et de banque interne de sons. L'expander, c'est la banque sans le
clavier.
2
Un pad, en langage spécifique de sons de synthétiseurs, signifie un son large, avec une attaque et une chute très
progressives et une texture tantôt homogène, tantôt complexe. Il en existe une infinité de variations, allant de
l'imitation de l'orchestre à cordes ou du choeur, à des sons beaucoup plus difficile à qualifier, générant des
climats de mystère. C'est ce qui a été recherché ici.

95
1.00 1.10 1.20 1.30 1.40 1.50 2.00
Piste
1 Sinpad
JV 1010 en midi
'ud taksim piste micro

2 Doublure Sinpad
JV 1010 en midi
'ud taksim piste line
quadraverb GT
3 Bruits Bruits
GRM Reason

4 'ud 'ud
GRM Freeze

'ud Sons
96

lumineus

6 Nesmā Nesmā Nesmā Nesmā Nesmā

7 'ud 'ud
GRM shuffling

8
DESERT / MINUTE 2

La deuxième partie de l'introduction fait entendre Nesmā, dans une proposition du second
poème. Les remarques sur la gestion du débit de la page précédente sont à reprendre en
compte. L'habillage sonore est différent et le contexte est plus familier, aussi bien sur le plan
du timbre sinpad que sur celui de l'écriture en contrepoint à deux voix. Des sons de 'ud
d'anciennes sessions, travaillés avec les effets GRM du logiciel Protools, contribuent à
maintenir un climat de mystère. Le premier taksīm permet à la pièce d'entrer pleinement dans
son univers.

SONS PROTOOLS

Il existe dans la première partie de la pièce durant la lecture du second poème, et surtout dans
le premier taksīm, de sons de 'ud qui amènent une dimension inconnue tout en désacralisant la
forte connotation liée à ce type de climat. En d'autres termes, le profil "désertique" du 'ud seul
est dénaturé par l'adjonction de sons artificiels, mais qui en même temps renforcent son profil
inconnu et lointain.
Ces sons viennent aussi de prises de 'ud, desquelles on a prélevé de courts motifs qui ont été
traités avec trois dispositifs. Le 'ud y est totalement méconnaissable:

• Le GRM Shuffling et le GRM Freeze pour les sons "fous",


• Le GRM Reason pour les sons "lumineux",

SINPAD

L'accompagnement du poème 2, par le cinquième son midi, est un contrepoint à deux voix en
sixtes, présenté ici

PRISES DE SONS 'UD

La succession des opérations de prise de son micro du 'ud est la suivante. D'autres précisions
sont amenées plus loin sur les gestion complète du son des pistes d'instruments à cordes.

• Recherche du bon réglage de gain de la carte son


• Recherche de la bonne distance au micro
• Recherche du bon placement du micro par rapport à la table de l’instrument. Le choix
s'est arrêté sur la petite ouïe inférieure, ce qui permet de profiter de la réverbération
naturel générée par la forme concave, spécifique de l'instrument.

97
2.00 2.10 2.20 2.30 2.40 2.50 3.00
Piste
1 'ud taksim piste micro (suite)

2 'ud taksim piste line (suite)


Quadraverb GT

3 Bruits
claqués

HARMONICA

4 'ud
lumineux
HARMONICA
98

5 Duo lectrices

7 'ud 'ud Bruits


freeze lumineux Claquements

8 'ud 'ud
clacs lumineux
DESERTS / MINUTE 3
Cette section se consacre principalement au taksīm du 'ud, avec la succession de deux échelles
caractéristiques, positionnées toutefois sur une tonique qui n'est pas la leur selon la tradition.
Les voix reviennent sous forme d'"un duo à caractère un peu moqueur, placé ici pour
souligner le passage entre les deux échelles. L'harmonica commence à apparaître, mais il
s'avance "masqué". Le souffle seul se présente, comme un vent tournoyant, contribution au
paysage désertique, qui se veut constamment à la fois suggéré, mais aussi évité.

LES ECHELLES DU TAKSÎM

Do rāst sur Sol

Le si et le mi demi bémol, caractéristiques du rāst, se présentent en tant que tierce et sixte,


puisqu'ils sont positionnés sur la tonique de Sol.

La sāba sur Sol

Le tétracorde grave reste le même, la seconde augmentée entre les degrés 4 et 5,


caractéristique de sāba, est reportée entre 5 et 6, et la septième est affectée d'une demi
altération.

QUADRAVERB GT (ALESIS)

La partie de 'ud, comme on peut le constater, est distribuée entre deux pistes indépendantes,
une étant réalisé avec le micro statique, l'autre vient de la sortie "line" du multi effet 1 Alesis,
modèle Quadraverb GT. Ce processeur assez ancien, naturellement destiné aux guitares
électriques, a été testé un peu par hasard dans les recherches de son en studio, et il s'est vite
imposé dans de nombreuses situations, aussi bien dans la genèse de sons inouïs, que dans
l'amélioration des parties plus "classiques", comme c'est le cas ici. On revient plus loin sur ces
différents types d'utilisation.

La Quadraverb est à l'origine un multi effet destiné à une utilisation en studio, avec une
spécialisation sur les réverbérations, les variateurs de pitch et les délais. Il en a été réalisé une
version à destination des guitariste (le modèle GT, donc), avec adjonction d'autres effets à leur
intention, notamment un étage préampli assez complet, avec une batterie de compresseurs,
overdrives, distorsions, simulateurs d'ampli.

1
La définition du multi effet est proposée sur une page qui suit.

99
3.00 3.10 3.20 3.30 3.40 3.50 4.00
Piste
1 'ud taksim piste micro (fin)

Bruits Br Br
cordes .
2 'ud taksim piste line (fin)
Quadraverb GT
Thème 'ud piste line

3 Bruits 'ud Br Br
claqués .
HARMONICA (suite)

4 Strato bottleneck 2
100

HARMONICA (suite) Br Br.

5 Thème 'ud piste mike

6 Bruits
lumineux

7 Bruits 'ud Bruits


claqués claqués
Strato bottleneck 1

Bruits 'ud
claqués
DESERT / MINUTE 4
On assiste à une intensification des évènements, avec au 'ud la dissolution du taksīm, laissant
place à un thème à forte couleur "guitaristique". Il est d'ailleurs ponctué par des interventions
de bottleneck1 exécutées sur la guitare Stratocaster. L'harmonica se dévoile clairement, et
justifie en quelque sorte ses interventions précédentes. L'ambiguïté est recherchée entre deux
déserts, celui d'Arabie caractérisé par le jeu du 'ud en taksīm d'un coté et celui de l'Ouest
américain suggéré par l'harmonica Blues et la guitare slide de l'autre. Les bruits inouïs,
claquements, grincements contribuent au climat scénarisé de l'ensemble: les commentaires sur
leur genèse viennent à la page suivante.

HARMONICA

L'harmonica Blues est un instrument à caractère diatonique, apte à jouer dans une seule
tonalité et il convenait de choisir laquelle, qui allait s'imposer sur une grande partie du
mouvement
Le choix final s'est porté sur le modèle en Sol, qui présentait l'avantage d'offrir la tonique la
plus grave parmi les douze disponibles. Le modèle en Fa, par exemple, qui par ailleurs sonnait
bien avait sa note tonique non pas un ton en dessous du modèle en sol, mais une septième plus
haut.
Dès les premiers essais devant le micro statique, j'ai tout de suite entendu le parti que je
pouvais tirer aussi du son du souffle seul sans émission de note. Avec une bonne prise de son,
et un mouvement de vibrato de la main droite identique à celui que l'on développe dans le vrai
travail thématique, cela pouvait générer un son de vent très évocateur.
Ensuite, une fois l'instrument "démasqué" par la première note, le travail sur les intensités, les
doubles notes, la qualité de l'arpège grave des trois premières positions dans les deux sens
m'ont semblé convaincants.

THEME DU 'UD ET PONCTUATIONS BOTTLENECK

Thème oud

Guitare strato

1
Le bottleneck est un cylindre de verre ou d'acier (à l'origine un goulot de bouteille) que l'on fait glisser sur les
cordes pour obtenir un effet très prisé par les guitaristes de blues, dès l'origine. Une des conséquences de ce
mode de jeu est la liberté offerte par rapport à la rigueur des degrés fixes, qui disparaît complètement puisque le
bottleneck se place où le musicien le décide, autorisant ainsi tous les degrés "irrationnels" voulus.

101
4.00 4.10 4.20 4.30 4.40 4.50 5.00
Piste
1 Bruits Bruits

2 Bruits

Bruits

3 HARMONICA (suite)

4 HARMONICA (suite)

Strato 2 Bruits
102

Fin
5

6 Bruits Bruits

7 Strato 1 Harmonica II
fin
Bruits Bruits

8 Harmonica II
DESERTS / MINUTE 5
Cette section met au premier plan ce qui n'était à l'origine que des plans sonores accessoires, à
caractère décoratif, à savoir tout un éventail de bruits obtenus "en direct" sur le 'ud. Dans le
domaine de la métaphore du désert, on peut assimiler ces bruits à des apparitions subites de
petits animaux imaginaires qui apparaissent subitement ici et là. Le deuxième élément sonore
est l'harmonica, qui reste très "présent" grâce à la prise de son, même si son identité
thématique est ténue. Un second harmonica en Ré vient relayer le premier, et induire une sorte
de modulation sur laquelle un nouveau thème de 'ud non mesuré, mais à caractère tonal va se
positionner.

BRUITS

L'apparition du 'ud en tant que générateur de sons inouïs appelés bruits s'est faite d'une façon
fortuite. Par contre, le profil polysémique du 'ud, qui constitue le postulat de départ de cet
essai s'en est trouvé considérablement enrichi. Là où je pensais que l'instrument allait
seulement proposer un répertoire modal inattendu, ce qui était à l'origine du projet, j'ai eu
entre les mains, par le biais du multi effets1 Quadraverb poussé à l'exagération, un bouquet de
sons auxquels je ne m'attendais pas.

L'instrument était branché sur le multi effet Quadraverb Alesis et j'étais à la recherche d'un
son "raisonnable" pour doubler les prises micro. Je faisais donc défiler des configurations qui
avaient été programmés il y a fort longtemps pour la guitare. Arrivant sur une d'entre elles, je
jouais quelques notes pour en apprécier le grain et je constatais qu'il était impossible de
l'exploiter pour une utilisation "classique", tant les effets inclus dans la configuration étaient
poussés à l'extrême. Par contre, je constatais une réactivité inattendue aux sollicitations non
conformes, comme le fait de frotter les cordes graves sur leur longueur, façon guitare hard
rock ou de donner de petits coups sur la table. Même une simple caresse sur la partie bombée
de l'instrument prenant une dimension impressionnante. La combinaison de deux types de
distorsion, d'un délai court, d'une réverbération de type room, couplée à un fort dosage de
compresseur / limiteur faisait du 'ud une véritable machine à sons extrêmement réactive

Il a donc été décidé d'enregistrer deux pistes de ce type, durant lesquelles on a procédé à de
nombreux essais de frottements, grattements, coups, raclements. Ils ont ensuite été gardés en
réserve pour constituer une banque de bruits, puis injectés dans le premier mouvement,
d'abord par petites touches. Ensuite, compte tenu du résultat très intéressant qui se profilait,
une section a été consacrée à un dialogue entre le son très étiré et large de l'harmonica et les
irruptions de bruits dans une spatialisation travaillée, qui les assimile a des petits éléments
sonores incontrôlables qui émergent à leur guise d'une source sonore à l'autre.

Par la suite, d'autres insertions de ces sons inouïs se produisent dans les deux autres
mouvements, d'une façon plus économe, à titre de rappels, donc d'éléments additionnels de
cohésion.

1
Le multi-effets est un processeur de réglages et de déformations de sons, généralement utilisé par les guitariste
et les bassistes, qui contient en une seule unité les effets les plus généralement utilisés: tous les effets de "premier
rang" destinés à optimiser la dynamique du son (équaliseur, compresseur, limiteur, distorsions, etc..) et tous les
effets de second rang destinés à colorer le son (délai, reverb, et pitch).

103
5.00 5.10 5.20 5.30 5.40 5.50 6.00
Piste
1 Br. coda 'ud appel line
(fin) Quadraverb GT
Bruits Bruits

2 coda 'ud réponse line


Quadraverb GT

3 HARMONICA (suite) ff de l'harmonica

'ud gammes tonales micro

4 HARMONICA (suite) ff de l'harmonica


104

'ud gammes tonales line


Quadraverb GT
5 Bruits coda 'ud appel micro

6 Nesmā

7 Harmonica 2 (fin) coda 'ud réponse micro

Bruits Bruits
craquements
8 Harmonica 2 (fin)

Bruits
craquement
DESERTS / MINUTE 6

Cette partie nous rapproche de la fin de ce premier mouvement, avec une sorte de double coda
à caractère mélancolique. Sur fond d'harmonicas et de bruits (voir page précédente), le 'ud
présente d'abord une succession de motifs descendants sur une alternance harmonique à
couleur tonale, entre Sol et Ré, sur les deux harmonicas. Le dernier motif descendant à
l'extrême grave sur un ralenti laisse croire à une fin, mais celle-ci est différée par un dernier
"cri" de l'harmonica en Ré répété trois fois, sur lequel s'articule des arpèges de 'ud répétés en
imitation, avant une dernière expiration en Sol, sur laquelle la voix de Nesmā nous ramène à
plus de légèreté, en annoncant l'imminence du mouvement suivant.

MOTIFS DESCENDANTS A COULEUR TONALE

CODA 'UD ET HARMONICA

Le son du 'ud principal est affecté d'un effet de type amplificateur Leslie. Son "double" ne l'est
pas.

105
6.00 6.10 6.20 6.30 6.40 6.50 7.00
Piste
1 coda 'ud appel line
Quadraverb GT (fin)
Bruits

2 coda 'ud réponse line


Quadraverb GT (fin)
Bruits

3 HARMONICA (fin)

4 HARMONICA (fin)

Bruits
106

5 coda 'ud appel micro


(fin)

6 Nesmā

7 coda 'ud réponse micro


(fin)

8 Bruits
DESERTS / MINUTE 71

Il s'agit en fait de la fin de la coda, et tout y a été dit à la page précédente. Le motif de 'ud est
répété en écho (joué deux fois) avec des sons différents et chaque piste est doublée comme on
l'a dit précédemment. Ce qui nous incite à présenter la suite de la parenthèse ouverte plus tôt
sur les questions de prise de son.

PRISES DE SON INSTRUMENTS

Toutes les prises de son des instruments acoustiques à caisse de résonance (Sitar, 'ud,
Schulterzither2) se sont opérées de cette manière:

1. Une prise micro avec un micro statique T-Bone, réglé en position unidirectionnelle,
placé à environ 10 cm de l'instrument, en présentant face au micro la partie de la
caisse la plus probante après quelques essais. Le sitar par exemple n'a pas d'ouïe, la
partie bombée de sa caisse n'est pas une construction en bois, mais une courge séchée,
et il convenait de faire plusieurs tentatives pour savoir où la prise de son serait la plus
intéressante. L'option retenue a été micro face à la table, mais proche de l'arrière.

2. Une prise par le biais d'une cellule fixée sur la table d'harmonie, avec là aussi des
recherches quant au meilleur placement. Le son capté par la cellule était ensuite
envoyé vers le multi effets Alesis Quadraverb pour subir différents traitements du son.
La sortie de la Quadraverb était en suite envoyée vers la carte son du studio.

Ainsi chaque prise était faite sur deux pistes simultanément, une recevant le sons transmis par
le micro en direct et l'autre celui de la sortie du multi effet avec les traitements qui avaient été
préparés pour chacune des parties.

Ce système cumule beaucoup d'avantages:


-D'abord la possibilité de pouvoir obtenir le son de l'instrument en deux pistes indépendantes,
soit pour travailler le panoramique en stéréo, ou la répartition sur les huit enceintes en cas
d'écoute spatialisée.
-Ensuite le fait d'avoir deux types de son différents sur les deux pistes pourtant évidemment
synchronisées, permet toutes les combinaisons d'équilibre des volumes entre les deux pistes,
la piste micro pure pouvant être placée soit en principale avec la piste traitée au second plan,
soit au contraire en rappel discret de la piste avec effets plus en avant.
-La possibilité m'était offerte, de créer un "délai naturel" en aménageant un léger décalage
entre les deux pistes, et une infinité de possibilités se présentaient, entre le délai assez large
afin de générer un véritable effet d'écho, ou l'écart minime, qui n'offre plus alors un effet
d'écho, mais une très légère amplification du son.
-Enfin, la prise micro représente une sorte de sécurité. Au cas où aurait été enregistrée une
piste convaincante sur le plan du jeu, mais que l'effet choisi ait paru ensuite décevant,
l'ensemble n'était pas perdu, irrécupérable puisque affecté d'un traitement sonore défectueux.
Il me restait dans ce cas la piste micro, absolument vierge de tout traitement électronique
irréversible.

1
Cette minute est incomplète, le premier mouvement durant 6.20 environ. Le deuxième s'y enchaîne sans
rupture, mais il nous a semblé plus clair de commencer le deuxième mouvement par un nouveau départ "à zéro",
aussi bien sur le plan de la partition spatialisée que sur celui de sa légende
2
Voir mouvement 3

107
0.00 0.10 0.20 0.30 0.40 0.50 1.00
Piste
1 Sitar Sitar fou
sympathique (freeze)
Sitar SITAR LINE 1er Ragaa
Reverse 1
2 Guitare fado
freeze
Sitar
reason
3 Sitar Oud line 1er ragaa
reason

4 Sitar Sitar fou


Reverse 3
Sitar SITAR MIKE 1er Ragaa
108

sympathique
5

6 Sitar Oud mike 1er ragaa


Reverse 2
Sitar fou

7 Sitar Sitar fou


Reverse 4

8 Sitar GRM
freeze
DEHLI EXPRESS / MINUTE 1

Cette section s'ouvre sans transition avec la précédente puisque le premier accord de sitar, qui
déclenche la nouvelle "escale"1, se place pendant les pauses de la déclamation du poème final.
Le son caractéristique du sitar suffit à mettre en place aussitôt des couleurs de l'Inde, aussi
sûrement que le 'ud impose celles du monde arabe. La rencontre de ces deux univers culturels
par leurs instruments emblématiques se présente comme un défi à relever: les dispositifs
sonores rencontrés précédemment sont encore présents, supposés renforcer la cohésion de
l'ensemble.

SONS D'INTRODUCTION

Les sons entendus dans cette première section, qui introduit ce qu'on pourrait appeler les trois
"couplets" de cette forme rondo viennent de ces sources:
• Le jeu des cordes sympathiques du sitar, qui ne sont normalement pas jouées
directement, mais mises en vibration par les cordes pincipales. Ici, elles sont
actionnées par le doigt, produisant ce son cristallin limité dans l'aigu.
• Des éléments venus de sessions antérieures, de brouillons, dans les quels le sitar est
traité par des dispositifs du logiciel Protools (reason, reverse, freeze). Les blocs
appelés "sitar fou" viennent du freeze.
• Le bourdon de basse vient d'une ancienne piste de guitare de fado, passée au freeze, et
qui n'a pas été retenue dans sa version d'origine.

Certains d'entre eux reviennent dans les parties transitoires entre les trois parties. Ils sont
facilement identifiables. Ces sons cherchent à mettre en place un climat de frénésie urbaine,
loin donc des langueurs du désert, et loin aussi du ragaa contemplatif qui constitue la matière
sonore du premier couplet

RAGAA YAMAN

L'échelle de ce ragaa prend appui sur le Do, comme toutes la plupart des échelles de la
nomenclature modale indienne. Le Fa est dièse, ce qui la rend analogue à l'échelle médiévale
lydienne. Dans le ragaa, les notes principales sont Mi (vadee) et si (samvadee).

Echelle Yaman

Stanza (2ème thème) du ragaa ayant servi pour exécuter (librement) la partie de sitar

1
Terme emprunté à Jacques Ibert, compositeur de l'oeuvre "conceptuelle" qui porte ce nom.

109
1.00 1.10 1.20 1.30 1.40 1.50 2.00
Piste
1 SITAR LINE 1er ragaa (fin) SITAR LINE 2e ragaa

Sitar fou

2 Guitare fado
freeze
flûte nay
midi
3 Oud line 1er ragaa (fin) Oud line 2e ragaa

4 SITAR MIKE 1er ragaa (fin) SITAR MIKE 2e ragaa

Sitar fou
110

5 Pad grave

6 Oud mike 1er ragaa (fin) Oud mike 2e ragaa

Sitar
fou
7 Fado Shaker
freeze
Shaker spacial flûte nay
midi
8 Shaker spaciel Shaker

Pad grave
DEHLI EXPRESS / MINUTE 2

Ce tableau présente la fin du premier couplet (premier ragaa) et le début du deuxième. Entre
les deux se place un bref retour de la scène urbaine frénétique. Le deuxième ragaa est traité
de façon différente. Là où le premier ne mettait que le sitar et le oud face à face dans un
dialogue assez dépouillé, le bhairava est traité avec l'addition d'une flûte réverbérée destinée à
renforcer les notes principales du ragaa, et d'un pad synthétique dans le grave qui dramatise le
climat.

OUD

Les parties improvisées du 'ud, qui reste au premier plan, se construisent conformément à
l'échelle des ragaas de référence. Les modes de jeu proposés se démarquent du jeu de taksīm
tel que vu dans le début de la section précédente. Dans le ragaa yaman, le registre choisi est
fort orienté vers l'aigu, et les glissandi abondants tendent vers une recherche de l'homogenéité
avec le sitar. Dans le ragaa Bhairava, le jeu se constitue en double cordes et valeurs longues
descendant vers les abimes du grave, à la rencontre du synthétiseur, en opposition avec la
flûte aérienne.

SHAKER

Les parties de shaker (percussions de type maracas à secouer) sont faites au micro, en jouant
sur les distances par rapport à celui-ci. L'enregistrement se faisant, les deux instruments sont
actionnés dans un mouvement continuel de rapprochement et d'éloignement, ce qui donne
déjà un effet de spatialisation, qui n'est que renforcé par la répartition sur les différentes
sorties.

FLUTE ET NAPPES

Partie de flûte midi, en mode Bhairava (avec la bémol)

Pad grave au synthétiseur, affirmant simplement les deux notes principales de Bhairava 1

1
L'échelle et le ragaa sont indiqués page suivante

111
2.00 2.10 2.20 2.30 2.40 2.50 3.00
Piste
1 SITAR LINE 2ème ragaa (fin)

2 Flute nay (fin)


midi
guitare fado
freeze
3 Oud line 2ème ragaa (fin)

4 SITAR MIKE 2ème ragaa (fin)


112

5 Pad grave (fin)

chaise en
bois
6 Oud mike 2ème ragaa (fin)

chaise en
bois
7 Shaker Shaker guitare fado
freeze
flûte nay (fin) Sh.
midi
8 Shaker Shaker Shaker

Pad grave (fin)


DEHLI EXPRESS / MINUTE 3

Cette section est celle du développement du ragaa Bhairava. Des trois qui constituent la
majeure partie de la pièce, ce ragaa est le plus proche de la modalité arabe, puis que ses deux
tétracordes sont des hijāz séparés par un ton disjonctif sur une tonique de Do. Nous avons vu
comment la flûte et le pad renforcent les deux notes privilégiées (Do et Réb). Il reste à noter le
ragaa qui sert de base au sitar pour établir son tapis sonore.

BHAIRAVA

L'échelle, identique à celle du mode hijāz kar

la stanza, sur laquelle le sitar effectue librement son parcours de soutien à l'improvisation

CHAISE

Dans le registre des objets détournés de leur usage premier, la chaise en bois du studio de
Lille 3 n'était pas prévue pour être enregistrée. Sauf si était posé dessus un 'ud branché sur une
Quadraverb réglée sur un son "extrême", et que le fait de pousser légèrement la chaise sur le
sol ait provoqué un grincement. Celui-ci, transmis au multi effet via le 'ud comme capteur sert
de matériau de base à un motif rythmique syncopé intégré au troisième couplet. La séquence
de guitare fado travaillée au freeze s'y joint pour annoncer le troisième et dernier ragaa.

113
3.00 3.10 3.20 3.30 3.40 3.50 4.00 4.10
Piste
1 SITAR LINE 3ème ragaa

Bruits oud
quadraverb
2 guitare fado Duo poème
freeze Vocoder
Bruits Bruits oud
Oud q quadraverb
3 Oud line 3me ragaa

4 SITAR MIKE 3me ragaa (fin) SITAR LINE 3ème ragaa


114

5 Pad Bass Duo poème


(fin) Midi
chaise en Aïsha
bois solo
6 Oud mike 3me ragaa Aïsha
solo
chaise en
bois
7 Shaker Bruits oud
quadraverb
Guitare fado
freeze
8 Shaker Bruits Bruits oud
Oud
quadra quadra
Pad
(fin)
DEHLI EXPRESS / MINUTE 4

Ce tableau dure en fait une minute dix, afin d'absorber la totalité du mouvement sans imposer
la nécéssité d'un nouveau tableau de quelques secondes. Le troisième ragaa, qui en est
l'élément principal, est en mode Khambaj. L'échelle est identique au mode myxolydien, ce qui
incite à donner une couleur un peu plus rock au son du 'ud, plus imprégné encore de
distorsion que le couplet précédent qui en comportait déjà. L'ajout d'une ligne de guitare basse
et celle d'un motif rythmique (la chaise évoquée précédemment) contribuent également à cette
tendance fusionnelle (et ancienne), qui rapproche parfois rock et musique indienne.

KHAMBAJ

Echelle Khambaj, correspondante au myxolydien, le mode emblématique du rock

Stanza du ragaa, adaptée librement pour le sitar

BASSE

Motif arpégé de basse, destiné à renforcer le profil plus rock de ce dernier ragaa.

CODA

Quelques détails à noter dans la fin de la pièce:


-Le sitar perd sa piste micro, et ne garde que sa piste line (sortie de Quadraverb) ce qui lui
donne ce timbre particulier.
-Les bruits générés par le 'ud (décrits dans le détail dans la premier mouvement)
réapparaissent comme un élément contributeur à la préparation de la fin.
-Les voix en duo se répondent en délai, l'une des deux pistes est soumise à un effet de type
vocoder, porteur aussi d'une fin annoncée, laquelle survient vraiment après un retour de voix
seule, fragile, sans effets de Aisha.

115
0.00 0.10 0.20 0.30 0.40 0.50 1.00
Piste
1 Cloches line
So Si Sol Si

2 Cloches line
Ré Si Ré Fa#

3 Oud 7 cordes
bounce

4 Cloches mike
So Si Sol Si
116

5 Cloches mike
Fa# La Mi La

6 Oud 7 cordes
bounce

7 Cloches mike
Ré Si Ré Fa#

8
RETOUR / MINUTE 1

Ce dernier mouvement s'ouvre par un ostinato de zitherschulter, en imitation d'une sonnerie


de cloches. La partition schématisée ci-dessous permet de comprendre le processus
d'enregistrement de ces accords. A partir d'un tempo unique, garanti par l'usage du métronome
(au casque), les accords sont égrénés selon des rythmes différents, ce qui génère des décalages
progressifs et dynamiques, se produisant d'une façon toujours différente, comme le font les
cloches avec leur poids (et leur inertie) respectifs. C'est davantage le rythme des cloches, que
leur timbre, qui fait l'objet d'une tentative d'imitation.
Les sept cordes sont celles du 'ud, jouées à vide l'une après l'autre selon des fréquences
différentes. C'est le reste d'une première tentative de réaliser cette "impression" de cloches,
moins convaincante, mais dont il a été conservé néanmoins un extrait. On devine des gestes
de désaccordage progressif / retour "à la normale" d'une des deux cordes doublées.

CLOCHES

7 CORDES (les cordes à vide du 'ud)

Fa

Do

Sol

La

Sol

117
1.00 1.10 1.20 1.30 1.40 1.50 2.00
Piste
1 Cloches Ré Sol Sib Ré Cloches
Attack off Attack off
Pads voix
Midi
2 Cloches Cloche Cloch
Att off Att off Att off
Pads voix
Midi
3 Oud 7 cordes Oud line premier solo
Bounce (fin)
Cloches mike Att off Cl. mk
Sol Sol Ré Sol Att off
4 Cloches line Att off Cl. line Cl line
Sol Sol Ré Sol Att off Att off
Cl Cl att off
118

att of Sib Sol Mib Sib


5 Cloches mike
Ré Sol Sib Ré

6 Oud 7 cordes Oud mike premier solo


Bounce (fin)

7 Cl.at off
Si Fa#
Ré Si

8 Lecture Qurān (1) Lecture Qurān (2)


Source youtube
Lecture Qurān (1) Lecture Qurān (2)
Source youtube
RETOUR / MINUTE 2

Cette section du troisième mouvement est constituée des évènements suivants:


-L'insertion d'un extrait de lecture du qurān par une voix féminine nouvelle, avec une forte
dimension spirituelle.
-Les cloches laissent la place, puis reviennent, créant une polytonalité et un paysage sonore à
caractère oecuménique inattendu.
-Le 'ud fait entendre son premier solo dans un mode hexatonique caractéristique (à 2 tierces).

LECTURE DU QURÂN (Voix et clé d'alto)

CLOCHES (2)

La partition suivante est davantage le reflet d'un système de fonctionnement (avec les accords
réels) que la transcription fidèle des accords entendus. En effet, dès que le 'ud commence son
improvisation, les "cloches" sont clairsemées, une grande partie est retirée du champ sonore1,
et leur enveloppe est bouleversée par l'effacement des attaques

ÉCHELLE DU PREMIER SOLO DE 'UD

Enregistré à l'aide d'un métronome (au casque) ce qui lui donne un caractère rythmique
affirmé, basé sur l'échelle hexatonique 6A, qui fait alterner secondes augmentées et secondes
mineures à tour de rôle.

1
Par le biais du système d'automatisation des volumes sur Protools.

119
2.00 2.10 2.20 2.30 2.40 2.50 3.00
Piste
1 Cl.attof Cl.attof Cl.attof Cl. att. off
La mi La mi La mi La mi Fa# La
Fa# La Fa# La Fa# La
Pads voix Bass funk
Midi Midi
2 Pads voix Bass funk
Midi Midi
Cloches att off Cl. att off Cl. att off Cloches Cl. att off
Do Fa
Do Fa Fa La Fa La Do Fa Fa La Do Fa Fa La Do Fa Fa La
3 Oud line deuxième solo

Cl.Attoff Cloches
La Mi
La Fa# La Mi La Fa#
4 Cloches line Att off Cl. Att off
Sib Sol Mib Sib
Sib Sol Mib Sib
Cl.Attoff Bruits
120

La Mi oud
La Fa# quadra
5

6 Oud mike deuxième solo

7 Cl.at off Cl.at off Cl.at off Cl.at off


Do Fa Fa Do Fa Fa Do Fa Fa La Do Fa Fa La
La La

8 Lecture Qurān (2) (fin)


Source youtube
Lecture Qurān (2) (fin)
Source youtube
RETOUR / MINUTE 3

Les évènements sonores constitutifs de cette section sont les suivants

QURÂN 2 harmonisé et modulatoire

CLOCHES (3) (dont il ne reste que quelques traces)

ÉCHELLE DU SOLO 2 (mode hexatonique 4A, à caractère blues)

BASSE 2ème solo (Echelle, et motif)

Echelle Riff

121
3.00 3.10 3.20 3.30 3.40 3.50 4.00
Piste
1 Duo voix final

Pads voix (II)


midi
2 Pads voix (II)
midi
Duo voix final delay

3 Bruits oud
quadraverb
Oud line solo 3

4 Oud line solo 3

Bruits oud
122

quadraverb
5

Oud line solo 3

6 Oud line solo 3

8 Lecture Qurān (3) (fin)


Source youtube
Lecture Qurān (3) (fin)
Source youtube
RETOUR / MINUTE 4
Cette ultime section de la pièce voit le retour, après le deuxième solo hexatonique, d'une
troisième phase lecture du qurān, harmonisée comme la précédente. Les bruits générés par le
'ud reviennent une fois encore annoncer une fin de section. Un troisième solo est entendu sur
un mode hexatonique de tonique Ré, avec un son particulier, qui trouve sa source dans
l'absence de piste micro. Cet artifice a déjà été rencontré à la fin du deuxième mouvement sur
le piste de sitar. Les deux lectrices reviennent une dernière fois pour clore l'ensemble, dans
une formule de délai rapproché, accompagnées par un dernier motif rapide de 'ud, qui meurt
brusquement.

QURÂN 3 harmonisé

SOLO 3

En mode 7B, avec un premier tétracorde de genre chromatique (deux secondes mineures puis
une augmentée) suivi d'un pentacorde à deux tierces, sans ton disjonctif.

123
APPPENDICES

LA ZITHERSCHULTER

Cet instrument quelque peu inquiétant, avec lequel ont été jouées toutes les parties de
"cloches" dans le troisième mouvement de paysages traversés a été trouvé par hasard dans un
marché aux puces en Belgique. Comme on le voit, il comporte 5 jeux de 4 cordes qu’on peut
préparer comme on le souhaite avec une clé carrée. La tête du dragon n’est pas uniquement
décorative : elle permet de positionner l’instrument sur l’épaule, d’où son nom.

Il a alimenté des spéculations diverses sur sa provenance supposée de périodes reculées et son
influence diabolique potentielle. On a fini par en trouver la provenance en ayant tout
simplement la curiosité de chercher sur internet si le facteur mentionné par un étiquetage en
fond de caisse existait toujours. Nous avons reçu presque aussitôt un mail, qui eu le double
effet de briser le mystère et de nous en apprendre plus sur sa provenance.

Nous joignons ici le contenu du mail expédié par M. Martin Güst, luthier bavarois qui a conçu
cet instrument unique en 1995

Hello Jean-Marc

This instrument is called Schulterzither or Harfenzither (meaning shoulder zither and harp
zither). It's custom made for some dude who made medieval music combined with rock music
and always had interesting ideas for instruments. I made it 1995 and got DM 1500 for it.

Lots of fun with it!


Best regards
Martin

Donc déjà l'instrument d'un musicien chercheur expérimentateur!

124
LES EFFETS
Les effets utilisés le plus souvent, sur le processeur Quadraverb sans rentrer dans le détail de
chaque prise et de chaque réglage, ont été les suivants:

Sur l'étage préampli


-La compression soit d'une façon mesurée surtout pour le sitar, afin d'avoir un son plus
uniforme, soit d'une façon forcée comme ça a été le cas pour le oud dans la deuxième partie
du premier mouvement, pour obtenir des effets percussifs inouïs.
-L'overdrive ou la distorsion, ou une combinaison des deux pour obtenir un son un peu plus
rugueux dan certains passages, notamment vers la fin des mouvements. Ces effets n'ont pas
été utilisés sur le sitar, ni sur la Schulterzither
-Le réducteur de bruits de fond (noisegate) lorsque cela s'avérait utile, surtout dans le cas
d'utilisation des distorsions.
-L'équalisation, pour rectifier des fréquences trop fortes suite à l'utilisation du compresseur ou
de la distorsion.

Sur l'étage déformations


-La réverb ou le delay, rarement les deux ensembles
-Les différents systèmes de "shift", chorus, flanger ou phasing, surtout sur le sitar afin
d'adoucir les attaques.

C'est parfois en cherchant d'une façon empirique que j'ai trouvé dans des banques d'effets déjà
anciennes, des combinaisons d'effets qui amenaient un résultat tout à fait inattendu, bien loin
de ce que je cherchais, mais que j'adoptais pour leur couleur appropriée à ce moment. A titre
d'exemple, voici la préparation qui a été faite pour obtenir toutes la série de bruits issus du 'ud
dans le premier mouvement de "Paysages traversés"
Configuration EQ+PITCH+DELAY+REVERB

MIX PREAMP
Direct: 0 Compression: 3

Master: 75 Drive: 5

Preamp: POST EQ Distortion:1

EQ out: 99 Preamp: Bright

Pitch: 28/ Bass boost: Off

Delay: 12 Cabinet simulator: Off

Reverb: Noise gate: 4

Modulation: Off Preamp out: 69

125
126
CONCLUSION

Au moment de conclure cet essai, on se doit de l'examiner sous l'angle de la réalisation des
objectifs qu'il s'était fixé, et de ce qu'il signifie dans le paysage déjà vaste et copieusement
parcouru de la musique vivante, écrite (ou pas) pour le 'ud et par le 'ud.

Les écrits qui se sont multipliés depuis un siècle, aussi bien de la part de musicologues
passionnés que de praticiens et théoriciens, ont fait état avec toute la rigueur possible, d'un
domaine musical extrêmement riche et diversifié, couvrant des aires géographiques
considérables, et dont ils se sont efforcés de proposer des synthèses cherchant à coller à "la
réalité du terrain". C'est une tâche légitime et noble que de rendre justice à une tradition
musicale forte et expressive, en rendant ses enjeux architecturaux accessibles à tous, par le
biais d'analyses théoriques usant de matériaux connus et ayant déjà fait la preuve de leur
efficacité dans de nombreux domaines (solfège, algèbre, analyses, enquêtes, etc..). Les
théoriciens abbassides étaient déjà, à la suite de ceux qu'ils appelaient "les anciens" (les
grecs), dans la quête de cette justification scientifique, et dans la démonstration de faits
mathématiques par le truchement de la pratique musicale.

Le but de cet essai n'était pas, rappelons-le, de s'inscrire dans une recherche musicologique à
laquelle tant de chercheurs de haut niveau ont contribué brillamment, avec des moyens
d'investigations qui n'étaient pas les nôtres, à commencer par une pratique aisée de la langue
arabe. Il s'agissait d'un travail spécifique de recherche et de construction d'éléments
facilitateurs de rencontres systémiques entre des univers mélodiques à la fois lointains et
proches, en tous cas prêts à se rapprocher.

S'y est jointe une autre investigation personnelle, sur un système modal générique, pour
effectuer un parcours d'octave en six degrés, en se limitant aux intervalles de seconde mineure
et de seconde augmentée. On pourra objecter que cette recherche théorique se trouve être en
dehors du champ déjà particulier évoqué ci-dessus, et qu'elle n'est pas un facteur "clarifiant".
Elle n'est pourtant pas sans rapports. Cette recherche modale apparemment ex-nihilo est
entièrement consécutive à notre découverte, et de l'instrument 'ud, et de l'univers modal arabe,
dont les constitutions tétracordales mettant au contact secondes augmentées et secondes
mineures (hijāz, par exemple) jouent un rôle prépondérant.

L'objet musical "paysages traversés" a tenté d'être la concrétisation d'un certain nombre des
spéculations mises en avant dans la première partie de l'ouvrage. Elle n'en est heureusement
pas un catalogue exhaustif: cela aurait été aussi inaccessible qu'anti-musical. Elle est le reflet
d'une capacité, dans un instant donné, à faire émerger une musique originale à partir d'un
postulat inédit, à savoir donner le premier rôle au 'ud dans un contexte assez lointain de son
territoire premier (sans être non plus dans un registre jazz), avec un certain nombre d'outils
existants ou construits pour l'occasion. Elle témoigne aussi plus prosaïquement d'expériences
(et de découvertes) en liaisons avec la pratique de divers instruments, avec des technologies
de studio contemporaines, et d'un processus créatif fait d'expériences, de tâtonnements et
d'intuitions.

127
Cette démarche n'est d’ailleurs pas unique. Plusieurs musiciens de culture arabe, notamment
des oudistes comme Anouar Brahem ou Rabih abou Khalil s'inscrivent depuis déjà plusieurs
années dans une démarche transculturelle, qui fonctionne en mettant en regard d'une façon
féconde des univers sonores et des musiciens d'horizons différents. Ce n'est pas vraiment une
surprise que des projets musicaux soient convaincants quand ils réunissent des personnes
compétentes, curieuses et "joueuses", comme le sont la plupart des bons musiciens.

Que conclure sur la signification et les conséquences d'une telle démarche. Que signifie
aujourd'hui en 2012, dans un monde où les questions d'identité culturelle sont au centre de
débats passionnés et légitimes, un travail expérimental sur l'effacement partiel des barrières
entre des systèmes de pensée musicale différents, avec des traditions historiques fortes. A qui
et à quoi cela sert-il, à quelle cause y a-t-il une contribution?

Nous n'avons pas de réponse toute faite pour l'instant, cette démarche étant trop récente pour
en apprécier la pertinence. Il convient encore une fois d’en relativiser la dimension culturelle.
Nous avons pris soin d’apporter des remarques en conclusion de plusieurs chapitres sur le
recul qu’il fallait garder par rapport au poids somme toute modéré des échelles dans
l’ensemble de ce qui constitue une identité sonore. Ce n’est pas parce qu’un samaï ou une
nubā vont être composés sur un mode ajam (dont l’échelle est la même que celle du mode
majeur) qu’ils vont sonner moins "arabe" que ceux composés sur un mode bayati, s’ils sont
joués par le même orchestre ou le même soliste, représentants d’un univers bien caractérisé.
Les modes de jeu, les timbres et leurs mélanges, l’"interprétation" de la partition, la façon de
jouer ensemble, et d’autres facteurs encore qui dépassent le strict champ musical, influencent
tout autant le ressenti de l’auditeur quant à l’"altérité" de ce qu’il entend, que l’échelle
structurante de la pièce.

En conséquence, ces expériences d’exploitation d’outils de construction musicale hors de leur


périmètre premier ne sont pas de nature (et n’ont pas vocation) à effacer les différences entre
des domaines culturels affectés d’une longue histoire et d’une forte identité. Elles ont un
intérêt d’abord dans le cadre de l’improvisation, qui par définition est un acte musical qui
implique dépassements et transgressions, et qui se nourrit de l’inédit et de l’inouï.

Par ailleurs, on a compris au travers de ces investigations que les différents systèmes
musicaux qui se sont constitués sur l’héritage grec avaient eu besoin à certains moments de
leur histoire, de se constituer une protection vis-à-vis des autres, parce qu’ils n’étaient pas
entièrement solidifiés. Cette époque est révolue depuis longtemps, les éléments constituants
sont bien arrêtés, et le temps est davantage à la recherche de renouvellement (en tous cas pour
l’univers occidental) qu’au besoin d’affirmer des techniques en cours d’élaboration.

Aussi l’autre vertu que nous entrevoyons dans notre démarche concerne le domaine de la
transmission. Dans une période récente, les établissements d’enseignement de la musique ont
dû revoir profondément leurs contenus et leurs approches pédagogiques, afin de les rendre
davantage en phase avec les réalités musicales de la fin du siècle. Ces bouleversements n’ont
pas affecté seulement les structures françaises.

Dans le cadre d'un séminaire consacré aux questions de la transmission, j'avais eu le plaisir de
m'entretenir avec M. Khoubaa, directeur du conservatoire national de Tunis. Il me faisait part
des difficultés qu'il rencontrait actuellement dans le cadre de la formation musicale des plus
jeunes élèves, qui se montraient plutôt rétifs à l'enseignement théorique du maqām, la plupart
d'entre eux s'identifiant dans leur appétit musical, à des modèles occidentalisés, véhiculés par
les media internationaux: guitares, synthétiseurs, musique informatisée.

128
Cette constatation vient de surcroît s'inscrire dans une histoire mouvementée, en ce qui
concerne le domaine de la transmission musicale en Tunisie au XXe siècle. Plusieurs périodes
se sont en effet succédées dans les choix pédagogiques, sous l'influence de facteurs
géopolitiques variés, qui ont vu se succéder les options "tout occidental", "tout oriental", ou
encore mixtes avec des dominantes diverses.

Je m'étais alors fait une réflexion, que je lui avais d'ailleurs soumise spontanément: pourquoi
l'apprentissage de la musique des plus jeunes doit-il forcément être sous-tendu par une
"dominante" dans une société biculturelle revendiquée comme l'est la société tunisienne?
Pourquoi ne pas démarrer les bases de la formation musicale par un cursus universel qui
contiendrait les bases structurelles (systèmes mélodiques, rythmiques, éducation de l'oreille)
des domaines culturels arabes et occidentaux? La spécialisation viendrait au moment au
moment du choix de l'élève vers un instrument de la sphère occidentale ou arabe.

Pour donner une suite à cet essai dont nous espérons qu’il aura su intéresser ses lecteurs, nous
avons pour prochain objectif de poursuivre nos travaux de recherche sur les questions de
transmission, et notamment en Tunisie où l'histoire récente159 a joué un rôle important dans le
domaine de l’enseignement musical, et où se jouent peut-être plus qu'ailleurs les enjeux liés
aux influences et aux traditions, et la possible pertinence d'une voie nouvelle qui impliquerait
non pas le choix, mais le Tout.

159
Des 20e et 21e siècle

129
Bibliographie

Ouvrages musicologiques

1. Erlanger Rodolphe d', La musique arabe (tome 1), [Al-Fārābī Kitabū l-Mūsīqī l-Kabīr]
Geuthner, Paris (1930, réédition 2001)

2. Beyhom Amine, Théories de l’échelle et pratiques mélodiques chez les arabes Vol. 1,
tome 1, Geuthner, Paris 2010

3. Shiloah Amnon, La musique dans le monde de l'islam, (version française), Fayard,


1995

4. Poché, Christian, La musique arabo-andalouse, cité de la musique/actes sud 1995

5. Jargy, Simon, La musique arabe, Que sais-je, PUF, 1971

6. El mahdi, Salah, La musique arabe, Alphonse Leduc, Paris, 1972

7. Hassan Touma, Habib, La musique arabe, Buchet/Chastel, Paris, 1977,1996

8. During, Jean, Quelque chose se passe, Verdier, Lagrasse, 1994

9. Snoussi, Manoubi, Initiation à la musique tunisienne, Centre des musiques arabes et


méditerranéennes, Tunis, 2003

10. Weber, Max, Sociologie de la musique, Métailié, Paris, 1998

11. Leipp, E. Acoustique et musique, Masson, Paris, 1971, 1984

Ouvrages techniques

1. Bassa, Khaled, Le oudiste, compilation des meilleures pièces musicales, tome 6,


Benboudinha, Tunis, 2009

2. Mashaal, Abdel hamid, Méthode scientifique du 'ud, des maqams et mélodies,


Almaktabarmasry, Le Caire, 2006

3. El helou, Rachid, La nouvelle méthode pour jouer le 'ud, 1er tome, Dar Ennachar el
haditha, Casablanca 1983

130
1. Bachir, Jamil / Tahar el abbas, Habib, Apprendre le 'ud sans maître Al maktaba al
hadissa, Beyrouth 2007

2. El amar, Halif, Répertoire des naġamāt tunisiens et maqāmāt orientaux, Tunis, 2002

3. Agarwal, Bharti, Learn how to play sitar, D.P.B. Publications, Dehli, (2007)

4. G.M College, Sitar raga improvisation, Guitarmonk, Dehli, (2009)

5. Cocker, Casale, Campbell and Greene, Patterns for jazz, studio publications
recordings, Miami, 1970

6. Ricker, Ramon, Pentatonics scales for jazz improvisations, Studio publications


recordings, Indiana, 1975

7. Fragnière, Jean-Pierre, Comment réussir un mémoire, Dunod, Paris 2001

Plusieurs sites Internet ont été consultés et ont donné lieu à des citations à l'intérieur du texte,
notamment des communications de Ms. François Nicolas, Nidaa Abou Mrad, et Amine
Beyhom, ainsi que le site de David et Chandra Courtney.

NOTES

Toutes les photographies proviennent de collections personnelles.

Nous déplorons l'imperfection de la translittération arabe. Le logiciel de traitement de texte n'a pas pris en
compte un certain nombre de polices (toutes celles affectées de signes diacritiques sous le corps de la lettre) pour
lesquelles nous avions fait le fastidieux travail d'insertion, et que nous avons dû éliminer juste avant la
finalisation physique de l'ouvrage.

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JUIN 2012

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