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Parti Socialiste

Rassemblement
24 janvier 1981

François Mitterrand
Chers camarades, nous voici donc ensemble de nouveau rassemblés, comme
chaque fois que ce fut nécessaire. Je vous salue, amis et camarades, venus de
toute la France, la France proche et lointaine.
Qu’avons-nous à nous dire, et à la France ?
Ce matin, le Congrès Socialiste extraordinaire a désigné son candidat. Cet après-
midi, il a adopté un manifeste, le manifeste du Parti Socialiste qui conduira notre
démarche au-delà de l’élection Présidentielle pour les batailles à venir, et
pendant la campagne afin de répondre; aux questions justifiées des Français.
Cette désignation, dont j’ai reçu l’honneur en votre nom, à vous Socialistes...
(Applaudissements)… cette désignation m’a conduit, comme il était décidé
depuis le premier jour, appliquant les règlements et les décisions du Parti
Socialiste, à quitter le poste que je devais à votre confiance depuis le Congrès
d’Epinay et c’est à partir d’aujourd’hui, avec votre Comité directeur Lionel
Jospin qui assumera la première responsabilité du Parti. (Applaudissements.)
Je lui souhaite bonne chance. La tâche est rude, je peux le dire, mais elle est en
même temps exaltante : porter l’espoir et le combat des Socialistes, c’est la
justification d’une vie. (Applaudissements.)
Cela ne s’est pas fait tout seul. Si nous en sommes là, c’est parce que, à travers
le temps, des générations et des générations d’hommes et de femmes, ont voulu
non seulement témoigner mais combattre. Ils avaient vu ce qu’étaient la misère,
la peine, l’angoisse des travailleurs, ils avaient vu ce qu’était l’injustice, le règne
des puissants et leur domination. Alors, ils avaient commencé la route depuis
longtemps, longtemps déjà, jusqu’aux années que nous avons connues. Voilà
pourquoi à cet instant, à vous qui êtes ici je dis : oubliez un moment le candidat
qui se trouve devant vous et pensez à l’œuvre commune que nous avons
conduite ensemble.
A Epinay, toute une équipe, autour de Pierre Mauroy (Applaudissements) avec
Gaston Defferre, Jean-Pierre Chevènement, Louis Mermaz, Gérard Jaquet,
Charles Hernu, combien d’autres, et ceux que nous avons perdu en chemin... je
pense à Marie-Thérèse Eyquem, à Georges Dayan ou à Boulloche, et avant
Epinay autour d’Alain Savary, dont je disais ce matin que lui, et ceux qui
l’entouraient avaient mené l’histoire jusqu’au seuil du combat d’aujourd’hui.
(Applaudissements)
Et au-delà, parmi vous, franchissant vos rangs dans cette allée centrale où il était
difficile d’avancer, j’apercevais, ici et là, des camarades vétérans dont je disais
aussi ce matin, au Congrès extraordinaire, quelle gratitude nous leur devons. Je
citais Augustin Laurent (Applaudissements), mais c’était un symbole, le
symbole d’une longue tâche assumée pour permettre aux militants d’aujourd’hui
et, au-delà, pour permettre à la jeunesse de France de comprendre le Socialisme.
Et nous sommes ici rassemblés, dépassant les légitimes différences.
D’autres que moi pourraient se trouver ici à cet instant et connaître ce sentiment
de joie et de force, aussi de gravité, à la veille d’un grand combat.
Oui, ce ne fut pas aisé sans doute de renoncer pour des hommes qui en
possédaient le mérite. Je pense à la campagne que celui-ci ou celui-là aurait
menée, si je suis assuré avec vous de conduire celle-ci comme il faut ; je pense,
et je salue en particulier, au geste de Michel Rocard. (vifs applaudissements)
Chers camarades, en entrant dans cette salle, vous avez aperçu un bandeau, avec
de larges lettres, qui disait : "l’autre politique".
Je vais tenter maintenant d’en parler car, après tout, si nous avons trois mois
devant nous, autant commencer maintenant. Non pas qu’il faille confondre
nécessité et précipitation ; l’histoire se fait aussi elle-même, mais n’oublions pas
de lui donner le coup de pouce nécessaire, et je voudrais profiter de cette soirée
pour développer un certain nombre de thèmes dans lesquels, je l’espère, vous
vous retrouverez aisément.
Non pas les thèmes exacts de la campagne, qui s’appuieront sur ceux qu’a
définis le manifeste : la paix, l’emploi, la liberté, la France. (Applaudissements)
Prenant un peu d’aise, dès ce soir, et sans en abuser, je vais tenter de développer
devant vous, ce que j’ai quelques hésitations à appeler, vous comprendrez
pourquoi, les dix Commandements.
Je ne suis ni Dieu, ni Moïse, même si je partage avec eux le refus du Veau d’or.
Ce sont Dix Commandements de circonstance, sans doute, car vous apercevrez
très vite qu’il en est qui disparaîtront avec notre victoire.
Le premier qui me vient à l’esprit sera celui-là : il faut sauver la République !
Chers camarades, il faut sauver la République. Oh ! Nous ne sommes pas en
dictature, combien de fois l’ai-je répété, mais nous ne sommes plus tout à fait en
République.
Vous vous direz : "Mais, qu’est-ce qui lui arrive ? On ne le connaissait pas
jusqu’ici pour un thuriféraire de la 5ème ! Il lui est même arrivé assez souvent
de voter contre ! " Mais ce n’est pas une affaire de numéro, chers camarades !
Réfléchissons : la démocratie est en péril.
Parmi les mots d’ordre qui vont circuler, il faudra saisir les Français de quelques
idées simples. Oui, je voudrais que la campagne pour l’élection Présidentielle
serve à faire prendre conscience d’idées simples et d’idées fortes.
Disons que nous vivons sous une sorte de monarchie qui ne serait même plus
constitutionnelle ! Un Président tout-puissant qui tient tout dans ses mains et
qui, semble t-il, aime ça.
Le gouvernement de la France, dont la constitution de 1958 nous dit qu’il existe
… qu’il existe si bien qu’il devrait normalement « conduire les affaires du pays
», qu’est-ce qu’il est devenu, le savez-vous chers camarades ? Quel est le
Premier ministre ? Quels sont ses ministres ? … Soyons justes… Le Premier
ministre on le voit, mais à quoi sert-il ? J’en dirai un mot tout à l’heure… Mais
le gouvernement de la France aujourd’hui disparu, effacé derrière le pouvoir du
Président de la République, ce n’est pas pour cela, chers camarades que je suis
candidat !
Le Parlement, Assemblée nationale, Sénat... voici que tombent une à une les
dernières défenses de ce qu’on appelait naguère le pouvoir législatif. La loi,
désormais peut ne plus être votée ; cependant réputée, adoptée, imposée aux
français, la loi désormais peut ne plus être discutée et cependant considérée
comme adoptée, imposée aux français.
Et la majorité parlementaire, unie au moins pour manquer à la loi, la majorité
parlementaire soumise, docile, fuyante, si peu sûre d’elle-même et cependant
tellement insolente, a tout accepté détruisant ce qui faisait l’équilibre des
pouvoirs.
Où en est le pouvoir judiciaire, dites-moi ? Déjà, dans les textes, qu’est-ce que
l’indépendance de la magistrature quand le chef de l’Etat nomme les membres
du Conseil qui nomme les magistrats, Oh ! Il reste le refuge de la conscience, et
je ne doute pas de la conscience du plus grand nombre, mais je n’aime pas les
lois qui font, qu’il suffit qu’il en existe un seul qui n’ait pas de conscience pour
que, le cas échéant, il soit l’exécutant des ordres, des volontés du Président de la
République.
Non, chers camarades, je ne suis pas non plus candidat pour cela !
Les pouvoirs du Président de la République, non pas tels que les lois nous les
ont définis, mais tels qu’il les pratique, sont redoublés par les excès du pouvoir
de l’information… Certes, il nous reste une garantie, l’indépendance d’une large
part de la presse écrite et l’honnêteté des journalistes ou en presse écrite, de
l’audiovisuel, quand ils peuvent échapper (et je sais que souvent ils échappent) à
l’arbitraire des hommes choisis par le chef de l’Etat pour informer et déformer,
pour orienter la réflexion et les consciences selon ses décrets souverains… Mais,
non, je ne suis pas candidat pour cela !
Mers chers camarades, si le premier des thèmes, le premier des
commandements, c’est de dire : Vive la République ! Le deuxième, ce sera :
Halte à la revanche des privilèges des maîtres de l’argent, halte à la revanche de
la Droite et du grand capital…
Halte à la destruction des conquêtes ouvrières,
Halte au démantèlement du secteur public,
Halte à la répression qui frappe ceux qui jugent bon de défendre la classe
ouvrière !
Le troisième thème, il est tout simple, vous l’avez déjà deviné, je crois qu’il vaut
pourtant la peine de le dire :
Giscard - Barre, c’est pareil ! J’ai l’air de faire une découverte, mais c’est qu’il
n’est pas facile à découvrir... ce Président si voyant et si fuyant pourtant, dès lors
qu’il s’agit d’assumer une responsabilité. Voyez cette haute taille, derrière un
Premier Ministre courageux, il faut l’avouer, dans la mesure où il assume non
seulement ses fautes, mais surtout celles du Président… et qui porte l’essentiel
de l’impopularité qui lui revient sans doute largement, mais plus encore à celui
qui gouverne.
Giscard - Barre, c’est pareil ! N’acceptons pas au long de cette campagne ces
distinctions subtiles, ne prenons pas pour de la dignité ces airs distants comme si
la matière de la vie quotidienne, les conditions de travail, la disparition de
l’emploi, le chômage qui frappe plus d’un million et demi d’hommes et de
femmes en France, comme si la hausse des prix qui bat tous ses records, comme
si la chute brutale du commerce extérieur, comme si tout cela et le reste
n’étaient pas d’abord, et avant tout, de la responsabilité du Président de la
République.
Et j’ai envie de lui dire ce soir : pourquoi tant de pouvoirs dans vos mains si
c’est pour en faire un usage pareil ?
Le 4ème thème, le 4ème commandement sera celui-ci : la France bat en retraite,
et il faut que les Socialistes assument désormais cette tâche essentielle d’arrêter
le recul de la France.
La France bat en retrait, lorsque le Président qu’elle a élu oublie le mot qu’il faut
dire quand l’Armée soviétique pénètre en Afghanistan. La France bat en retraite
lorsqu’il oublie de défendre le droit, lorsqu’il oublie de remarquer que 50
hommes et femmes otages ont pu rester tant et tant de semaines et de mois hors
de la protection du Droit international.
La France bat en retraite lorsque pas un mot n’est dit pour faire comprendre aux
peuples d’Amérique Centrale ou d’Amérique Latine que le message universel, le
nôtre, s’appelle liberté, s’appelle indépendance, s’appelle droit des hommes…
(applaudissements)... refus de la torture, de la barbarie, de la mort.
(Applaudissements)
La France bat en retraite lorsqu’elle vend des armes à ceux bien entendu qui ne
les veulent que pour détruire ou pour asseoir leur pouvoir sur la force, non
seulement pour convaincre un ennemi virtuel, mais aussi pour écraser le peuple,
leur propre peuple ; et les millions de travailleurs qui, dans le monde entier,
crient aujourd’hui liberté, peuvent craindre que si nul, sur la terre, n’ose dire que
le droit est le droit, alors tout est perdu.
Voilà 4 thèmes ou bien commandements qui paraîtront bien négatifs. En effet, je
porte critique et même condamnation, de ce régime même si les Socialistes, avec
moi, proposent en riposte leurs propres solutions.
Mais, il est un discours que je ne veux pas tenir et que je ne tiendrai pas tout le
long de cette campagne Présidentielle, pas plus que je ne le tiendrai au
lendemain, c’est celui qui consiste, condamnant la politique du chef de l’Etat, à
condamner la France ! Quoi ? Qui êtes-vous ici ? Des Socialistes, je le sais bien,
mais chacun dans sa famille, dans son métier, dans sa vie quotidienne, qui est-il
? … Je m’émerveille à parcourir les routes, à m’arrêter dans les maisons, à
connaître et à aimer les gens, je m’émerveille des chances de la France : cette
capacité de travail, ce goût des choses bien faites, chez l’ouvrier pourtant attaché
si souvent à sa chaîne ; l’agriculteur dans son champ qui connaît les saisons et
qui mesure le poids des réalités ; l’artisan amoureux de l’objet ; l’entrepreneur
qui crée ; l’inventeur ; l’instituteur qui se penche sur l’esprit de l’enfant ; le
prêtre qui, pour ce à quoi il croit, s’il respecte autrui, tente aussi d’apporter le
message de réponses qui ne sont pas de l’ordre de la politique.
Et puis tous ceux qui, à des degrés divers, participent à la vie de la France… Je
m’émerveille lorsque je vois dans l’Université du 3ème âge que je visitais l’autre
jour, ceux et celles qu’on appelle les personnes âgées, chercher encore, pour peu
qu’on leur donne les moyens, à apprendre et à savoir davantage, en tirant de la
vie tout ce qu’elle peut donner, tant que l’esprit de l’homme veille.
Oui, je m’émerveille de cette capacité de la jeunesse de grandir en croyant dans
ses actes et non pas seulement en acceptant le visage qu’on lui présente comme
le sien ou bien le sort qu’on lui destine dans la société injuste et impuissante
d’aujourd’hui.
Oui, je m’émerveille de ses conversations et de ses espérances, simplement
parce que celle-ci ou celui-là a rencontré sur sa route une raison de croire, et je
voudrais, chers camarades, que la raison première, aujourd’hui, de croire qu’on
peut maîtriser sa vie c’est d’aller vers le Socialisme.
Alors, après avoir dit : il faut sauver la République, halte à l’arrogance des
puissants, Giscard / Barre, c’est pareil, la France bat en retraite, je vous dirai,
souhaitant vous lancer un message qui vous fasse partir ce soir sur d’autres
routes, pour de nouvelles conquêtes, avec la foi et la fierté au cœur, assurés
d’être porteurs d’espoir : Dites, dites aux Français ces choses simples pour que
la France prenne conscience !
D’abord, oui, d’abord, d’abord l’emploi. D’abord, que ceux qui ont cessé de
disposer de l’instrument qui leur permettait d’être assez libres...- si peu libres -...
assez libres pour donner à la famille son sens, puissent sortir de la misère et
sortir de l’angoisse. Je pense à ceux qui craignent et qui redoutent la déchirure
grandissante ; voyez maintenant Rhône-Poulenc… que ne dit-on de
l’automobile, après la Sidérurgie ? … Partout, partout, je ne puis citer dans vos
départements, l’effacement de la création et la peine des hommes broyés dans la
contradiction d’une société, face à une révolution industrielle que nous ne
maîtriserons que si l’on change de politique.
Oui, l’autre politique... d’abord l’emploi, ensuite 6ème commandement : tout
commence à l’école.
(Applaudissements)
Dès la petite enfance, la petite fille et le petit garçon, fille et fils d’ouvrier, de
paysan, ou de la bourgeoisie de nos bourgs ou de nos banlieues ont été trop
longtemps mis hors d’état d’assumer l’intelligence, le caractère, la sensibilité,
les dons qu’ils possédaient… Oui, sans l’école, la République hésite, oui, sans
l’école il n’est pas de civilisation qui dure. Oui, sans l’école il n’est pas de
chances pour la France.
Et, si tout commence à l’école, 7ème commandement : tout passe par la
recherche, par la recherche et le savoir ; tout passe par la connaissance. Qui
sommes-nous si jetés, portés par les forces obscures, nous sommes incapables de
donner un sens à la vie. Qui sommes-nous si nous ne le savons pas ?
D’abord, l’emploi. C’est la tâche immédiate. Ceux qui vont gouverner et le chef
de l’Etat que vous appellerez devront savoir d’abord : l’emploi, c’est le salut !
Au secours, les travailleurs crient au secours ! Au secours ! (Applaudissements)
Mais ils ne sont pas suppliants et ils savent aussi qu’il suffit qu’ils se
rassemblent pour apporter d’eux-mêmes la réponse : d’abord l’emploi… tout
commence à l’école, tout passe par la recherche. A présent tournons nos regards.
Dans la masse des victimes des injustices choisissons celle qui nous permettra
de rendre grâce au temps qui vient.
Crions Justice pour la femme, justice pour les femmes, cessons de vivre dans
cette société qui établit, selon des lois de même nature que ses lois économiques,
la distinction fondamentale entre celui qui commande et celle qui obéit, celui
qu’on paie un peu mieux et celle qu’on paie un peu moins, celui qu’on forme,
quand on le forme, pour assumer ses tâches et celle qu’on oublie pour qu’elle
remplisse le tout venant des sans fonction et des sans qualité.
Justice pour les femmes qui ont en charge d’abord l’enfant, et qui doivent à la
fois vivre, travailler, gérer, et qui sont aussi celles qui transmettent. Que sera la
France de demain si, désespérées, les femmes oublient qu’elles sont porteuses
d’espérance ?
Je dirai qu’il est un neuvième commandement, aussi simple que les autres.
Camarade, la nature, c’est toi, la nature, c’est moi ; bref, on peut le deviner, la
nature c’est nous. Qu’est-ce que c’est que cette distinction, comme si la nature et
l’homme appartenaient à deux mondes ? Pour la première fois depuis que
l’homme est l’homme, il est en mesure de détruire complètement ce qui
l’entoure, et de ce pouvoir, que fait-il ? Il détruit.
Est-il coupable ? Oui, sans doute. Mais tout commence à l’école, tout passe par
le savoir, et quel est l’homme qui peut vivre indifférent aux lois de la société
dans laquelle il vit ? Et la société capitaliste avide de profits, oublieuse de ses
propres lois, détruit, détruit toujours plus vite? Qu’importe la rivière, qu’importe
l’oxygène, la forêt ? Qu’importe la santé de l’homme, pourvu que cela rapporte
? De belles usines qui polluent, de belles usines qui dépolluent, quelle est la
différence, si la holding permet de disposer du même conseil d’administration ?
La nature, c’est toi, la nature, c’est moi, la nature c’est nous. La détruire, c’est
nous détruire. Le neuvième commandement des Socialistes a toujours été
ressenti comme une vocation première ; les Socialistes qui combattaient la
silicose des mineurs étaient écologistes sans le savoir ! Combien d’écologistes
aujourd’hui sont Socialistes sans le savoir ? Mieux vaut être ce que l’on est en le
sachant. Voilà pourquoi je répéterai une fois encore que ce sont les Socialistes
qui doivent, en avant-garde, faire prendre conscience aux Français que la nature,
l’équilibre naturel, c’est la vie.
Enfin, dernier commandement : après avoir fait le tour des choses, et compris
que rien ne remplacera, quelque idée que l’on porte en soi, le sens de sa propre
responsabilité et qu’il faut à partir de là bâtir une société qui libère l’intelligence
et l’énergie, briser les structures trop anciennes, qui ont enserré et qui enserrent
encore la puissance de la nation ; l’Etat, fidèle réplique de la société dominante,
l’Etat réfugié dans son dirigisme, sous le contrôle des maîtres ou des adeptes de
l’économie libérale si peu libérale, l’Etat doit maintenant avoir une armature
suffisamment diversifiée pour que partout où l’homme vit et travaille, il
devienne responsable, dans sa commune, ses associations, son département, sa
région, pour que se créent dans toute la France des pôles de richesse,
d’invention, de création.
Oui, camarades, il faut sauver la République. Arrière à la revanche des
privilèges ! Giscard, Barre, c’est pareil. La France bat en retraite, il faut arrêter
cette retraite. D’abord l’emploi. Tout commence par l’école, tout passe par la
recherche. Justice pour les femmes ! La nature c’est nous. Et l’Etat ne doit
partout être fait que de citoyens responsables.
Je terminerai en vous disant : Socialistes, aimons la France ! (Applaudissements)
Aimons la France, oui, cela parait parfois désuet. Aimons la France, aimons-la
telle qu’elle est, souvent dans ses misères, aimons-la comme elle pourrait-être, si
se produit enfin la grande rencontre si longtemps attendue du Socialisme et de la
France.
Je voudrais ici pousser un cri qui signifie, bien au-delà des frontières du
Socialisme s’il en est, que nous nous sentons au-delà des luttes de classes, qui
nous sont imposées par la classe dure, impitoyable qui gouverne. Nous portons
en nous l’idée qui n’est pas un rêve, d’une société sans classes ! Oui, aimons la
France que nous allons construire. Aimons-la, sur la surface de la planète,
capable par de nouveaux chemins de reconquérir sa grandeur. Aimons la France
dans son identité, et sachons la défendre.
Un pays qui assume sa grandeur, ce ne sont pas seulement des armes, et pourtant
il en faut, c’est aussi et surtout une culture, une langue, le sens de son histoire et
de sa continuité, le sens de ses chances, et de son avenir.
Voilà définies, chers camarades, quelques lignes de force.
Mais nous sommes en campagne Présidentielle, et quelle que soit la vigueur de
l’idée et la foi qui habite nos esprits, il faut connaître nos moyens.
Qu’avons nous dans les mains ? Qu’allons nous en faire ? De quoi sommes-nous
capables ?
Il faut que je commence ce soir, il est bien temps, de mesurer nos forces et de
compter nos troupes.
S’il s’agit de l’engagement, de l’ardeur, de la fidélité des Socialistes de France
et d’Outremer, alors je suis tranquille. Votre présence ce soir en est le
témoignage. (applaudissements)
Vous n’êtes que l’avant-garde de tous ceux qui, loin d’ici, sont de cœur avec
nous, qui dès demain parcourront leurs journaux, écouteront leur radio,
regarderont leur télévision et chercheront dans notre rassemblement de
nouvelles raisons d’espérer.
Nos moyens ? Mes moyens ? C’est d’abord vous. Sans vous, je ne suis rien, sans
vous, rien à faire ! C’est pourquoi le Parti Socialiste tout entier est celui qui va
mener la campagne du candidat du Parti Socialiste.
Vous serez vigilants. Mais j’attends de vous que vous ayez l’esprit ouvert,
capables de comprendre et de faire comprendre ce que nous sommes, capables
tout simplement, pardonnez-moi, d’aimer, de faire aimer ce que veulent les
Socialistes.
Point de sectarisme, nous sommes ce que nous sommes et nous en sommes fiers.
Mais nous ne sommes pas, à nous seuls, toute la France, pas plus que nous ne
sommes toute la Gauche, pas plus que nous ne sommes toute la classe ouvrière.
Si nous savons parler aux autres, si chacun d’entre vous, là où il est, au bureau, à
l’usine, dans la rue, sur le stade, à l’atelier, le soir, sur la place publique, partout
où l’on vit et partout où l’on parle, partout où l’on cause, porte la conviction de
la pensée notre message, le répand avec la générosité du cœur ; "Voilà notre
espoir, venez avec nous", s’il en est ainsi, nous allons entraîner un formidable
rassemblement populaire, l’union de toutes les forces en réserves, qui hésitaient
et qui craignaient. Allez, venez, nous sommes prêts, ce n’est pas nous qui allons
établir les frontières, qui allons briser les élans, qui allons substituer le calcul à
l’espoir ! Ce n’est même pas nous qui allons préférer un Parti, le nôtre, qui n’est
qu’un Parti, à l’avènement des autres temps qui seront ceux du Socialisme. Nous
ne sommes qu’un moyen, un instrument, nous sommes les acteurs de l’Histoire.
Je vous le répète, chers camarades : la victoire, c’est à vous-même en même
temps qu’à moi de la gagner !
Les autres moyens ? Eh bien, d’abord, c’est l’idée exprimée par notre
programme de 1972, par les projets Socialistes et par le manifeste que vous
apprendrez à connaître et à répandre dans les prochains jours, c’est la puissance
de la vérité, c’est la certitude d’être les serviteurs d’un mouvement qui inspire
cette immense masse et peut la délivrer.
Les moyens ? C’est l’organisation et c’est la discipline, c’est votre capacité à
savoir ce que vous faites de jour en jour et à franchir les stades quelquefois
difficiles qui conduisent de la belle indiscipline à l’organisation. Ne vous
installez pas dans ce rôle, durablement, pas plus qu’il ne faut ou bien vous
finiriez pas ressembler à qui ? … Je serais fâché d’offrir une image pareille. Je
n’aime pas plus que vous les oukases des partis qui prétendent incarner la classe
sociale qu’ils représentent ou bien même leur pays ou la vérité absolue.
Il faut respecter l’organisation nécessaire. Devant nous sont des forces
puissantes. N’obéissez, ne cédez à rien de ce qui pourrait apparaître au cours des
semaines prochaines comme la facilité, les euphories, les optimismes dangereux.
On ne gagne que les batailles que l’on sait difficiles, sinon, elles sont perdues. Il
y a aussi l’argent, mais avant l’argent, même si l’argent n’est pas tout à fait
extérieur à l’affaire, il y a l’expression, il y a le journal... (Applaudissements), il
y a la parole. Il y a aussi ce réseau de femmes et d’hommes qui aiment la
démocratie, qui aiment le Socialisme et qui aiment ce que nous sommes, nous
Parti Socialiste, et même s’ils ne nous aiment pas, qui aiment la liberté. Il y a les
journalistes qui ne sont pas des nôtres, mais qui nous offrirons, comme aux
autres, comme au Pouvoir, comme aux puissants, tout autant ; ils nous offriront
leurs voix et leur passage pour qu’il nous soit permis d’atteindre l’opinion
publique. Leur tâche est très difficile.
Les moyens c’est enfin de l’argent. Eh bien, je vais vous faire une confidence,
elle n’est pas feinte, de l’argent, nous n’en avons pas.
J’ai lu quelque part que le Président de la République aurait déjà amassé le
"magot", et qu’il serait de 14 milliards de centimes ! Tout de même... Des gens
sages m’ont dit que ce journal exagère, ce n’est que 10 milliards. Moi, je pense
(encore un petit effort, je vous en prie mon bon monsieur; ici et là il y a les
multinationales, leurs relais, tout le grand capital, qui s’inquiète) que de 10 à 14
milliards, le chemin sera court ; mais pour nous, rien de pareil. Nous n’avons
rien ! Et quand je dis rien, ce n’est rien.
Enfin, soyons stricts dans nos comptes ! Nous commençons cette campagne
avec 3 millions de francs, ou pour prendre un point de comparaison juste par
rapport à ce que j’ai dit des moyens du pouvoir, 300 millions de centimes.
Face aux dix milliards... aux 15 milliards du patronat, et bien entendu, le
patronat, par rapport à 1974 et à 1978, il faut bien qu’il tienne compte de
l’inflation et de la hausse des prix, face donc aux milliards du patronat et du
Grand Capital, nous, nous n’avons rien. Si ! 300 millions de centimes. Je ne
ferai pas la quête. On fera avec ce qu’on aura, et chaque semaine, à partir du
début de la campagne active, je rendrai public le point exact de nos dépenses, le
point exact de nos recettes... J’offrirai à qui voudra, y compris à nos adversaires,
le droit de contrôler. J’attend, bien entendu, la même bonne manière !
Les moyens... je m’aperçois que je n’ai pas cité, avant de quitter cette tribune, le
moyen principal. Ne l’avez-vous pas aperçu, ressenti, éprouvé au cours de ces
batailles de ces dernières années, au cours de ces dernières semaines, Souchon à
Aurillac, Suchot à Bergerac… (applaudissements) Carmendia (?) à Bordeaux
selon Ramssat (?) dans l’Ain, Deschauds-Deaume dans l’Eure ?… Vous avez vu
par vous-même ce qui se passait candidats Socialistes. Par-delà votre action, vos
mérites, les Socialistes rassemblés autour de vous ! Puis quelque chose qui vous
faisait songer aux grandes heures de naguère ; vous avez vu réapparaître les
camarades disparus, que l’on pouvait croire perdus ou que l’on pouvait croire
séparés par les hauts murs de la rivalité, ou bien par la froide volonté des froides
stratégies… Vous vous êtes retrouvés, mais ce n’était pas encore suffisant...
Votre seule unité a suffi pour qu’aussitôt arrivent de tous les coins de l’horizon
ceux qui découvraient qu’il était bon d’être ensemble avec la Gauche, afin
qu’au-delà de la Gauche même se fasse le rassemblement populaire pour une
grande ambition nationale.
Vous avez senti que quelque chose changeait, avec un autre chemin que nous
désignons de la main... l’autre politique, celle des Socialistes.
Les Socialistes ont tenu bon, fidèles à eux-mêmes et fidèles au message, fidèles
à la confiance populaire... Ils ont tenu dix ans ! Dix ans de ténacité, de présence,
dix ans de foi, dix ans de fraternité pour le peuple français, dix ans de solidarité
profonde avec le peuple des travailleurs, dix ans... et s’il le fallait, cela durerait
plus longtemps... Nous ne sommes pas à la merci des circonstances.
Mais voici que le rassemblement populaire pour une grande ambition nationale
commence à être compris suffisamment par les Français pour que les signes se
multiplient. Quand je vous dis, camarades, unissez-vous, faites comprendre,
faites aimer l’entreprise de l’histoire dont nous sommes les interprètes ! Quand
je dis vive la République et vive le Socialisme, nous sommes entendus, il y a
comme un mouvement dans les esprits, l’espérance prend corps et nous pouvons
gagner. Et si nous le voulons, alors nous le devons ! A quelques conditions.
Fou ou faible celui qui vous dirait : c’est une entreprise facile ou bien : la
victoire serait-elle acquise, commence le bonheur.
Oui, telle est notre démarche et sa finalité. M’adressant à vous, et délaissant tout
autre forme de discours, je vous dois le langage qui marquera pour notre peuple,
à l’intérieur du pays, et pour la France à l’extérieur, la rudesse et la difficulté de
la tâche. Ils ont tout gâché... Il faut tout reprendre.
J’attends de vous courage, résolution et fermeté. Que rien ne laisse croire que
nous ignorons le monde et ses malheurs, les risques pour la paix, le recul de la
démocratie, les rigueur de la révolution des sciences et des techniques.
Je ne dirai pas un mot pendant toute cette campagne qui pourrait signifier que la
vertu des phrases et du langage pourrait se substituer à la force des choses.
Mais je dirai aussi le long de cette campagne, que la force des choses, elle, obéit
en fin de compte aux forces de l’esprit.
Oui, je crois de toutes mes forces qu’entre la naissance et la mort, il est un temps
donné pour inventer, pour créer mais il est aussi un temps pour respirer, il est un
temps pour découvrir, les merveilles de la vie si vite retirées, et ce que
j’applique à moi-même, individu, ce que j’applique à vous-mêmes, foule, je
l’applique aussi au peuple dont nous sommes la vie, les forces de la vie !...
toujours choisir les forces de la vie, et débattre librement, hors de notre Parti ou
bien dans les moments où l’on se retrouve un peu plus loin de nos luttes,
débattre de son sens.
Certains croient ; celui qui croit au ciel, celui qui n’y croit pas... Ce que je veux,
c’est que l’un et l’autre croient d’abord à la vie et au sens de la vie.
Oui, la bataille des Socialistes c’est une bataille pour la vie, contre les forces de
destruction, les forces d’oppression, les forces de la mort, mort de l’âme, mort
du corps. Leur bataille c’est le refus de toutes les tortures subtiles ou brutales,
c’est l’amour de la liberté, seul reposoir et seul tremplin, seule chance pour
l’homme qui veut vivre !
Il faut que notre campagne, face aux difficultés, en appelle au courage, mais
aussi à l’espérance : c’est la voie que j’ai choisie. Le Socialisme, c’est cela.
Fallait-il prendre un chemin différent ? Au moment même où je puis me
retourner au-dedans de moi-même, je me sens fort et fier d’être celui qu’on a élu
pour mener, avec seulement quelques mètres d’avance, pas davantage sur vous
tous, avec vous, et vous tous autour, la bataille pour la vie.
Vous êtes, amis et camarades Socialistes, des militants. Militants, cela veut dire
des soldats. C’est le même mot, mais vous n’êtes pas les soldats de la guerre,
vous devez être les soldats de l’harmonie. Voilà pourquoi dans cette campagne
rude et qui s’annonce rude, assuré de recevoir les coups et tous les coups, ceux
que je porterai ne viseront pas les hommes mais leurs actes.
Que d’actes minuscules et qui pèsent si lourd, et que d’actes majeurs qui portent
condamnation !
L’autre politique, c’est la nôtre. Eh bien, nous allons combattre la leur ! Et nous
le dirons haut, et nous appellerons celles et ceux qui se sentent prêts à se
rassembler dans le puissant courant populaire que les Socialistes, aujourd’hui,
sont capables de conduire.
Quand le moment viendra, alors nous nous retrouverons et, croyez-moi, nous
aurons encore grandi. Soyez sûrs de votre force. Allez vers la victoire.
Connaissez les obstacles. Ne méprisez personne. Gardez à ce combat la dignité
et la sérénité. Sachez que rien ne vaut, lorsque l’on prétend incarner un pays
dans ses valeurs et dans ses forces, rien ne vaut le respect d’autrui.
Mais n’hésitez jamais à dire la vérité que vous sentez, et la vérité, c’est qu’il est
une politique que le pays et que le peuple ne peuvent plus supporter. La vérité,
c’est qu’il en faut une autre, l’autre, c’est la nôtre.
Amis et camarades, courage et à bientôt !

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