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Directeur de la publication : Bernard Jouanneau.

Avril 2006 - No 48

E D I TO R I A L

LE COÛT DU RESPECT DES DROITS


DE L’HOMME
L a mission d’enquête parlementaire sur
l’affaire d’Outreau a suscité à la fois l’in-
térêt de l’opinion et des médias et la réproba-
Quoiqu’en disent les membres du sérail
soutenus par le Premier président, l’indépen-
dance des Magistrats n’est pas en cause et la
Derrière la mission d’enquête se profilent
de nombreux projets de réforme. On en a déjà
connu beaucoup dont certains n’ont pas pu
tion de la Magistrature. séparation des pouvoirs n’est pas menacée. entrer en application du fait de l’alternance et
Elle m’en continue pas moins ses auditions Leur image en souffre certainement et sans de l’insuffisance des moyens budgétaires.
diffusées sur la chaîne parlementaire. Après le doute en ressentiront-ils les effets dans leurs Quelles que doivent être les réformes pro-
juge Burgaud, on a entendu les magistrats de relations avec les justiciables et avec les avo- posées (suppression du Juge d’instruction,
la Cour, la Présidente de la Cour d’Assisses, cats. restriction de la détention, instauration d’un
l’Avocat Général et le Procureur Général, les Le problème n’est pas celui des magistrats, système accusatoire, suppression du secret de
avocats et c’est en ce moment le tour des jour- mais celui du Service Public de la justice l’instruction, renforcement des droits de la
nalistes. Chacun est invité à se confesser et les qu’ils rendent en notre nom pour résoudre les défense ou allégement des charges de travail
membres de la Commission, plus assidus que conflits entre les citoyens et la société ainsi des juges), il en est une dont on ne peut pas
dans l’hémicycle, paraissent bien déterminés à qu’entre les citoyens eux-mêmes. Le seul faire l’économie, c’est celle du coût de fonc-
mener à bien et dans la transparence leurs enjeu du travail de la Commission et des tionnement de la justice pénale.
investigations qui devraient prendre fin pour le réformes envisagées qui devront être débattues Tant qu’on n’aura pas pris conscience du
début du mois de juin. par le Parlement est l’amélioration du service coût que représente la disponibilité réelle des
On ne sait rien par contre d’éventuelles public de la Justice. juges et des avocats pour la recherche com-
poursuites disciplinaires devant le Conseil La publicité des débats judiciaires a tou- mune de la vérité, pour la protection des vic-
supérieur de la magistrature. Tout au plus que jours été considérée comme une garantie pour times et l’attention due aux personnes
le Juge d’instruction qui a fait l’objet d’une le justiciable. Les juges doivent donc accepter impliquées mises en examen, on n’aura pas
promotion est soutenu par sa hiérarchie. Dans d’être placés sous le regard des citoyens et de réellement amélioré le système.
le même temps on lit ça et là les protestations leurs élus et pas seulement sous celui de l’au- La fonction primordiale du Parlement et sa
des syndicats et du corps lui-même qui ne se torité hiérarchique ou celui de leurs instances raison d’être historique reste celle du vote du
reconnaissent pas dans le frêle et non repenti disciplinaires. budget. Celui de la Justice ne peut rester ce
personnage du juge d’instruction apparu à Avant même qu’il soit question de soumet- qu’il est sauf à se résigner à conserver un sys-
l’écran pendant toute une après-midi de févri- tre les juges à un quelconque régime de tème au rabais qui donne tantôt l’image d’une
er. responsabilité, ils doivent faire en sorte que justice lente, tantôt d’une justice expéditive,
leurs décisions soient comprises, si ce n’est en tout cas indigne du pays des Droits de
admises. Il est donc normal qu’en présence l’Homme.
NOS PROCHAINES REUNIONS d’un dysfonctionnement qui amène le Prési- Il est temps de réaliser que la défense et la
Les lundis 3 avril, 15 mai, 12 juin dent de la République à s’excuser auprès des protection de ceux-ci ont un prix et que le
à 19 heures 30 victimes, les juges qui ont participé à la com- paiement de ce prix incombe aux citoyens qui
à la “Grenouille bleue” mission de ce désastre judiciaire soient invités doivent assumer et imposer leur choix aux
48, rue Balard, Paris 15°. à s’expliquer publiquement. Ce faisant ils Pouvoirs Publics. La meilleure façon de le
n’encourent aucune sanction ni aucune con- faire serait encore de manifester…le moment
Après lecture, ne jetez pas ce journal, damnation...tout au plus la reconnaissance de venu.
donnez-le à vos amis ! leur humanité. Bernard Jouanneau.

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NOS SEANCES-DEBATS • NOS SEANCES-DEBATS • NOS SEANCES-DEBATS

LA TRÊVE créés pour mettre à l’écart une certaine les profondeurs des hautes maisons,
Film de Francesco Rosi catégorie de la population et l’empêcher l'échappée de leurs terrasses, et l’abri de
Séance du 27 janvier 2006. de parler et d’agir. Ces camps ne sont pas leurs porches protégés par la complicité
Thème : La Shoah. fait pour tuer, même si on y meurt sou- apparente de la population, répond la ter-
vent. Les camps d’extermination créés reur planifiée de l’armée française utili-
En cette journée commémorative de la par les Nazis sont faits eux, pour tuer: sant à dessein les mêmes méthodes :
libération des camps, La Trêve, le film de environ six millions de morts dont un mil- attentats à la bombe, massacres d’ inno-
Francesco Rosi tiré du magnifique livre lion d’enfants. cents femmes et enfants, meurtres et tor-
de Primo Levi, fut une parfaite introduc- Sur le rôle passif des Alliés à l’égard ture
tion au débat qu’anima le professeur des camps d’extermination, le professeur Le film avait pour but de dénoncer
André Kaspi, éminent historien et spécia- Kaspi cite Marc Bloch pour qui le péché l'enchaînement atroce et inéluctable de la
liste de l’histoire de la Shoah. majeur de l’historien est l’anachronisme : violence.
A l’exception de certains passages où il ne faut pas juger les faits d’hier avec les Mais son inutilité ?
la moindre évocation “sentimentale” connaissances d’aujourd’hui. A l’époque, A entendre les sarcasmes et les rires de
entraînait quelques rires, la qualité la priorité absolue des Alliés était d’em- la salle lorsque les couteaux s’enfon-
d’écoute des classes de terminales élec- ployer toutes les forces combattantes pour çaient dans le dos des gendarmes français
trotechnique et médico-sociale, montrait terminer la guerre au plus vite ce qui, ou que les bombes éclataient dans les
bien la réussite de ce film qui fait revivre parallèlement, permettrait la libération cafés où dansaient heureux des fils et
les péripéties du retour des déportés de la des camps. filles de colons ignorants de la mort qui
Deuxième guerre mondiale, transbahutés Quant au rôle des Italiens dans l’arres- les happerait dans la seconde suivante, il
à travers l’Europe de l’Est pendant des tation des Juifs, il faut savoir qu’avant la y avait une violence juste et utile puis-
mois, avant de réussir à regagner leur guerre, en Italie, il y avait relativement qu’elle était celle de combattants pour
pays natal. peu de Juifs et que la population n’était une “juste cause” : le film le laissait à
Le débat qui suivit le film fut de gran- pas antisémite, pas plus que Mussolini et penser
de qualité, comme le montrent le nombre son parti fasciste, tout au moins lors de sa Nos élèves avaient-ils en tête le
et l’intérêt des questions posées : diffé- fondation en 1922. Aussi, tant que le Sud- Hamas légitimé par les récentes élections
rence entre un camp de concentration et Est de la France est sous occupation ita- ou peut-être même les violences dans les
un camp d’extermination. Combien de lienne, les réfugiés juifs peuvent y bénéfi- banlieues? Pour ma part je le craignais et
temps et par qui furent construits les cier d’une certaine sécurité qui disparaîtra me demandais si ce choix de film avait
camps? Où allait-on chercher et comment dès que les Allemands auront remplacé été opportun
rassemblait-on les déportés? Parler tou- les Italiens, en 1943, après la capitulation Le débat commença par une réflexion
jours des Juifs n’est-ce pas oublier les italienne. d’un enseignant qui dans la crainte qui
Tziganes? Ce débat dynamique a permis de clari- était la mienne laissait mal augurer de la
Un professeur voudrait connaître le fier bon nombre de zones d’ombre sur suite : le film à son avis traitait de la
rôle des Italiens dans la déportation. cette si douloureuse période de la Shoah. liberté et de la souffrance. La souffrance
Des membres de Mémoire 2000 s’in- Le professeur Kaspi a su la replacer dans pour la liberté? Le martyr pour la liberté?
terrogent sur les raisons pour lesquelles le contexte historique du XXème siècle et Mais le dérapage n’eut pas lieu. La
les Alliés ne sont pas intervenus pour nous donner un éclairage instructif sur les question suivante en mettant en cause la
mettre fin aux camps. différents racismes, thème qui semble non intervention de l’ONU dans cette
A toutes ces questions le professeur particulièrement tenir au cœur des classes guerre revint à l’essentiel : le droit en lieu
Kaspi répond très clairement en se met- qui viennent s’instruire aux films et et place de la violence, comme seul
tant à la portée de son auditoire. Il le fait débats organisés par Mémoire 2000. recours contre la violence
avec tact et sans condescendance, en s’en On y revint à plusieurs reprises : on
tenant strictement aux faits historiques. Hélène Eisenmann. sentait comme une incompréhension,
Il explique, notamment, de manière malgré les explications tenant à la situa-
très détaillée, la politique raciale dévelop- tion particulière de l’Algérie département
pée par les Nazis : prééminence de la race LA BATAILLE D’ALGER français à cette époque .
aryenne descendant des peuplades du Film de Gillo Pontecorvo On y revint encore par le biais du droit
nord de l’Europe avec leurs traits phy- Séance du 26 février 2006. d’ingérence des nations pour défendre les
siques particuliers (grands, blonds, aux Thème : La Guerre d’Algérie. populations opprimées
yeux bleus), puis les Latins, moins presti- Combien c’était encourageant d’en-
gieux et, tout en bas de l’échelle, ceux de Mémoire 2000 proposait un film d’une tendre la jeunesse fonder tant d’espéran-
race inférieure, les Juifs et les Tziganes. écriture rigoureuse, dont le noir et blanc ce dans les institutions internationales
Si les Noirs n’ont pas été en cause, c’est accentuait le caractère dramatique des Le débat sur l’inutilité de la violence
qu’à cette époque ils étaient peu nom- événements au cours du sujet : La bataille se poursuivit encore un moment sur le
breux en Europe. Ont été aussi considérés d’Alger. trottoir, malgré le froid… et la faim.
comme inférieurs, les homosexuels et les A la violence terroriste des Fellaghas
handicapés mentaux. se glissant, anonymes et invisibles dans Georgette Serero.
Les camps de concentration ont été l’étroitesse des ruelles de la kasbah dans

2 Mémoire 2000. No 48 - Avril 2006


NOS SEANCES-DEBATS • NOS SEANCES-DEBATS • NOS SEANCES-DEBATS

E
LES PETITS SOLDATS ser de Taylor, le dictateur devenu véri- EST - OUEST

LE
Document de François Margolin table despote, comme le deviennent très Film de Régis Wargnier

NU
Séance du 9 mars 2006. vite, dans la région, les hommes arrivés Séance du 28 Mars 2006.

AN
Thème : Les enfants soldats. au pouvoir, même s’ils ont été élus démo- Thème : Le stalinisme.
cratiquement dans un grand espoir de
Qu’est-ce qu’un enfant ? Pour nous occi- changement de régime. En raison de la journée de manifestation
dentaux nantis selon les images d’Epinal Les questions des élèves ont fusé très et de grève annoncée pour le 28 mars
que nous véhiculons, c’est un “petit être” vite. Elles s’adressaient à notre débattrice, contre le CPE, nous avons du annuler la
qu’il faut chérir et protéger. Lorsque l’on Madame Lequeu, membre de l’associa- séance prévue, faute de participants…
voit le documentaire de François Margo- tion France Terre d’Asile. La première Le débat qui agite l’opinion autour du
lin, on peut douter de cette conception. vient d’une élève du lycée Jacques CPE ne relève pas a priori de notre
Le film débute presque comme une Monod : — comment les enfants se pro- domaine d’intervention, sauf à considérer
partie de gendarmes et voleurs, les curent-ils les armes ? selon le point de vue favorable ou hostile
“enfants” (certains ont entre 10 et 16 ans) —C’est très facile, il y en a de toutes pro- que l’on adopte sur ledit contrat, qu’il ins-
racontent leur parcours tout naturelle- venances, le Libéria est un pays riche qui taure dans un cas une discrimination pro-
ment. Ils ont leurs armes et savent s’en possède des mines de diamants qui ser- hibée sur une discrimination positive fon-
servir. Ce sont vraisemblablement des vent de monnaie d’échange. Les Etats dée sur l’âge des “bénéficiaires” ou des
armes modernes et efficaces et ils expli- jouent aux dominos avec les pays “victimes du CPE”.
quent tranquillement qu’ils ont déjà tué. d’Afrique et les arment selon les besoins. Il revient aux pouvoirs politiques et au
Les adultes qui les entourent, à peine Tous les pays d’Afrique utilisent les Conseil Constitutionnel de se prononcer
plus âgés qu’eux, les considèrent comme enfants. sur ce point. Quoiqu’il advienne, on peut
de vrais soldats. La plupart sont déjà gra- Une autre élève originaire de Côte regretter que l’on s’avise si tard d’ouvrir
dés et racontent facilement leurs combats. d’Ivoire s’insurge devant cette affirma- un débat qui aurait pu, en tout état de
Leurs motivations semblent diverses: tion et dit qu’il n’y a pas de trafic d’en- cause, avoir lieu plus tôt.
beaucoup expliquent qu’ils veulent com- fants dans son pays. Pour elle il ne faut Les élèves auxquels nous nous adres-
battre pour la libération de leur pays le pas croire les journalistes !... sons, sont aussi libres de manifester à la
Libéria, très voisin de la Côte d’Ivoire, Par contre, un jeune Libérien, fraîche- fois leurs opinions et leurs préoccupa-
alors dirigé par Taylor. D’autres avouent ment arrivé en France clandestinement tions.
que c’est pour l’argent mais nombreux apporte le témoignage de ce qu’il a vécu Bernard Jouanneau.
sont ceux qui ont été pris malgré eux à dans son pays : il n’a pas de souvenir de
leurs familles où règne la misère. sa mère, son père est mort de la malaria et
Au fur et à mesure de l’entretien, les lui a fui seul son pays, ses camarades ont Un paradoxe inquiétant
adultes (entre 20 et 38 ans) commencent à préféré rester. Il est pris en charge par
expliquer la situation politique, l’emprise France Terre d’Asile. Le rapport que la Commission Natio-
des chefs despotiques, les différentes fac- D’autres questions : nale Consultative des Droits de l’Hom-
tions et la misère en toile de fond. On voit — Combien y-a-t-il d’enfants réhabilités me a remis au gouvernement le 21
mars, Journée Internationale contre le
apparaître une violence et un instinct tri- au Libéria ? Très peu. La réhabilitation est racisme, n’est pas sans surprendre.
bal que nous n’imaginions plus, nous très difficile, les souvenirs reviennent à la En effet selon ce rapport, l’année
peuples civilisés. surface. Au début les enfants semblent 2005 a enregistré un recul de l’en-
Certains jeunes expliquent le dépeçage rire, puis l’angoisse se fait jour et désem- semble des violences et menaces à
et le cannibalisme et ça devient insoute- parés, beaucoup d’enfants retournent à la caractère raciste et antisémite (- 38%
par rapport à 2004).
nable : tout naturellement on mange le rue. Mais dans le même temps le CNCDH
cœur de ses ennemis pour se donner du — Comment la France accueille t-elle ces s’alarme sur le fait qu’en 2005 on a
courage... enfants ? Il faut faire une demande d’asi- assisté à la montée des sentiments
Puis l’ambiance change : quelques le, avoir un officier de protection, il y a xénophobes et à la levée d’un tabous,
mois plus tard, les enfants sont pris en six mois d’attente et les formalités sont mises à jour par un sondage où 63%
des personnes interrogées, sur un
charge par diverses associations carita- longues et difficiles : il n’y a pas beau- échantillon représentatif de 1011 per-
tives qui essayent de redonner à ces coup d’avenir. sonnes, estiment que certains com-
jeunes le goût de la vie et des préoccupa- — Que peut-on faire pour les aider ? Tout portements peuvent justifier des réac-
tions de leur âge : chansons, jeux, sports, dépend de l’engagement de chacun, peut- tions racistes.
et parties de football dont ils gardent mal- être les accueillir dans sa propre famille si Il ressort de ce rapport, que nous
vous invitons à consulter sur Internet,
gré tout le souvenir et l’envie. Mais leur les parents sont d’accord... que la banalisation du racisme sur
sera-t-il possible d’oublier leurs démons Ce document a eu peu d’audience en fond de malaise économique et social
et ce qui aura été leur univers pendant si France, il est passé sur Arte. Mais ces pro- va de pair avec des préjugés xéno-
longtemps ? blèmes sont peut-être trop lointains pour phobes où les étrangers et immigrés
sont souvent sinon dénoncés, du
Dans ces pays d’infinie pauvreté, les nous. Qui pense au Libéria ?
moins stigmatisés de façon flagrante.
guerres ne finissent pas ; au Libéria en
Tout cela n’est pas bien rassurant...
particulier, pendant 14 ans et les deux Denise Becker.
principaux partis essayent de se débarras-
Mémoire 2000. No 48 - Avril 2006 3
LIBRE OPINION
A l’occasion de la manifestation organisée après l’épouvantable assassinat du jeune Ilan Halimi, des divergences sont
apparues au sein de l’association. Fallait-il ou non participer à cette manifestation? Voici les arguments d’un tenant
du non et ceux d’un partisan du oui. A chacun de se forger sa propre opinion…

Un long dimanche de solitude Manifester pour Ilan ?


A l’annonce de la manifestation orga-
nisée par le CRIF pour ce dimanche
26 février, ma réaction immédiate pour
culpabilité de cette “bande de barbares”
alors qu’ils ne sont pas même encore
tous mis en examen et qu’ils n’ont, de
P ourquoi je n’ai pas hésité une seconde
à aller à la manifestation du dimanche
26 février, après le terrible assassinat
l’association a été positive: “nous toutes façons, pas été jugés. A croire d’Ilan Halimi? C’est une question à
devions y aller”. J’ai donc répondu en ce que les exemples répétés des errements laquelle, comme membre d’une associa-
sens et, dans l’heure suivante, je me suis de l’opinion des médias et des poli- tion antiraciste, je n’imaginais pas avoir
ravisé. Pourquoi? Toute réprobation tiques ne peuvent servir de leçon: de un jour à répondre. Mais il semble que la
publique de l’antisémitisme nous Carpentras à Saint Omer en passant par participation à cette manifestation ait posé
concerne et appelle notre participation. l’agression du RER. On a assisté au des problèmes de conscience à certains à
Les informations dont nous dispo- même emballement dont on n’a pas fini Mémoire 2000 et à notre Président en par-
sions alors, émanant de la juge d’ins- de mesurer les dégâts. ticulier.
truction, du Ministre de l’intérieur et des Dira t-on qu’en l’occurrence la situa- Je respecte (presque) tous les points de
policiers chargés de l’enquête allaient tion est différente? Rien ne permet de vue et la liberté de chacun. Mais je dois
toutes dans le même sens le gang des l’assurer avant que l’enquête ait débuté. avouer qu’en cette circonstance, j’ai été
Barbares avait choisi et exécuté leur Les aveux recueillis par la police qui choqué devant les réticences à manifester
victime parce qu’elle était juive et parce semblent justifier les mises en examen évoquées ici et là. Choqué parce que ce
que les juifs ont la réputation d’avoir de prononcées, ne sont pas accessibles et crime atroce à lui seul méritait un mouve-
l’argent. l’on connaît la fragilité de ceux-ci au ment d’indignation massif et général. On
Le cliché que nous avons d’ailleurs cours de la garde à vue. Aurait-on cette l’a lu, dit et répété: avec ce crime un degré
dénoncé sans succès dans l’affaire qui fois quelque certitude qui permette a été franchi et la “simple” violence ordi-
nous a opposé à Europe I et Philippe d’éloigner le doute, qu’il est de toute naire à laquelle, hélas, nous nous accoutu-
Bouvard (défendu par le fils de Théo manière prématuré de retenir comme mons dans notre pays, a laissé place à une
Klein ancien Président du CRIF) porte établie la circonstance aggravante avan- véritable sauvagerie. Et face à cette barba-
sans conteste la trace de l’antisémitisme cée, que la défense ne manquera pas de rie, les états d’âme, me semble-t-il, ne
qu’il véhicule et s’il devait s’avérer que discuter. sont pas de mise. Un jeune Français a été
tel était bien le mobile du crime odieux A-t-on réfléchi que ce qui paraît “massacré” par d’autres jeunes Français.
dont a été victime Ilan Halimi, on aujourd’hui à nos yeux comme une “cir- Des Français qui ont perdu, en même
retrouverait Mémoire 2000 au rang des constance aggravante” pourra être pré- temps que leurs repères moraux, les freins
parties civiles. senté par les accusés le moment venu indispensables contre le passage à l’acte.
Fallait-il pour autant manifester sur la comme une mauvaise “excuse” inven- Crime qui n’est pas sans rappeler la jeune
voie publique à l’appel des associations tée à l’instigation des enquêteurs? Soane brûlée vive dans une cave pour
de lutte contre le racisme et l’antisémi- (excuse qui donnerait au crime crapu- s’être opposée aux nouvelles valeurs
tisme auxquelles se sont joints les partis leux accompli une coloration politique machistes qui s’installent insidieusement
politiques, les syndicats et les autorités sur fond de crise des banlieues au nom dans notre société. Des freins ont sauté et
de l’Etat? des difficultés d’insertion des jeunes oui, on se doit de se mobiliser sans hésiter
Franchement, je ne le crois pas et je désœuvrés eux-mêmes victimes de dis- et avec la plus grande vigueur, comme
veux m’en expliquer: une fois pour crimination) . citoyen, pour dénoncer ces dérives.
toutes qu’il soit clair que Mémoire 2000 On n’a probablement pas encore Les arguments selon lesquels il faut
ne doit pas manquer une occasion de atteint le comble de l’horreur ni en tout “respecter la présomption d’innocence” et
dénoncer toute résurgence de l’antisémi- cas certainement pas pris la mesure de ne pas “faire pression sur la justice” me
tisme. Il n’y a pas de formes mineures la complexité du crime. paraissent en l’occurrence, spécieux. Il y a
de l’antisémitisme qui puisse trouver Quoiqu’il en soit, le respect de la toujours des instructions en cours et c’est
grâce à nos yeux, fut-ce au nom de l’hu- présomption d’innocence s’imposait. Il interdire définitivement l’expression du
mour …juif ou non. semble que les 30 000 personnes assem- peuple de crainte que celle-ci n’influe sur
La question est ailleurs. Elle tient au blées de la République à la Nation n’en la nécessaire sérénité de la justice. La jus-
respect que les citoyens, et pas seule- ont pas perçu l’impétueuse nécessité. tice est suffisamment sereine et forte dans
ment les procureurs et les juges, doivent Il n’est pas question d’avoir raison notre République pour qu’elle ne se fasse
avoir pour la “présomption d’innocen- contre tout le monde. Ceux et celles qui pas dans la rue.
ce” et aux risques de pression sur le juge ont manifesté avaient de toutes Cette manifestation n’était pas organi-
d’instruction de l’opinion des médias et manières le droit de le faire et leurs rai- sée pour crier vengeance, hurler avec les
des politiques unanimement rassemblés sons personnelles respectables. J’aurais loups ou peser d’une quelconque manière
pour une heure et demi un dimanche aimé être parmi eux cet après-midi là, sur la justice, mais pour Ilan et contre la
après-midi sur les grands boulevards à mais je me suis interdit de céder à la barbarie. Pour pointer du doigt les dérives
Paris. tentation en attendant que la justice qui ne cessent de s’aggraver dans notre
On ne peut pas protester contre les fasse son œuvre en toute indépendance, pays et qu’il faudra bien un jour, stopper.
dangers d’une telle pression après le sans céder à la pression indéniable que Je perçois que dans l’esprit de beau-
désastre d’Outreau et recommencer dès constituera cette manifestation. coup, c’est l’appel du CRIF à manifester
que l’occasion s’en présente. pour cette victime, juive, choisie délibéré-
On ne peut pas tenir pour acquis la Bernard Jouanneau.

4 Mémoire 2000. No 48 - Avril 2006


LIBRE OPINION Comment guérir du fanatisme
Amos Oz, traduit de l’anglais par Sylvie Cohen
(ARCADES, Gallimard, 2006)

Manifester pour Ilan ? (Suite) L’essence du fanatisme. leaders politiques ou religieux, la fascina-
Le fanatisme est plus ancien que l’is- tion des stars... Amos Oz: Le fanatique ne
ment parce que juive, qui a suscité les réti- lam, plus vieux que le christianisme, que le sait compter que jusqu’à un, le chiffre
cences. Mais à qui d’autre revient en pre- judaïsme, que les notions d’Etat, de gou- deux le dépasse.
mier ce rôle? Qui le fera sinon la Licra, vernement, de système politique, idéolo-
SOS Racisme ou l’UEJF? Qui le fera gique ou religieux. Le fanatisme est une Le conflit Israël-Palestine.
sinon la communauté juive nécessaire- constante de la nature humaine, un gène S’agit-il d’un conflit entre deux préten-
ment sensible à tout acte antisémite? Et déficient si l’on veut. Le livre d’Amos Oz, tions aussi légitime l’une que l’autre, à un
voilà que point la suspicion de judéocen- paru une première fois en 2003, puis tra- même petit pays? Ou d’une controverse
trisme et de paranoïa. On s’interroge : est- duit en français en 2006 — pourquoi si théologique? Culturelle? Ou d’un diffé-
ce vraiment un acte antisémite? Et si oui, tard?— est à lire de toute urgence, vous le rend territorial? Où sont les bons, où sont
faut-il quand même manifester? trouverez sur les tables d’exposition de les méchants? Ce n’est pas une lutte entre
Ce crime, en plus d’être crapuleux, a été toutes les bonnes librairies. Il s’agit des le bien et le mal, mais une “tragédie au
commis sur un juif parce que choisi transcriptions de trois conférences pronon- sens ancien” les deux parties se compren-
comme tel comme la majorité des cibles cées en anglais à Tübingen (Allemagne), nent, dès lors, il existe une solution à trou-
du gang des barbares. en janvier 2002. Amos Oz croit de toutes ver entre deux victimes. Chacun voit en
On a beaucoup glosé: Est-ce que dire ses forces au compromis, tout en recon- l’autre l’image d’un même oppresseur,
que les juifs sont riches, que les juifs paie- naissant qu’il n’existe pas de compromis l’Europe, avec, des deux côtés, l’ignoran-
ront parce qu’ils sont solidaires et autres heureux. Mais comment faire autrement, ce épaisse des antécédents et des trauma-
préjugés du même tabac, n’est pas du tout, puisque le contraire du compromis n’est ni tismes et, en perspective, une seule solu-
un peu, beaucoup, antijuif? Est-il à 100%, l’intégrité, ni l’idéalisme? Le contraire du tion: un douloureux compromis, aussi
50% ou 25% seulement antisémite? Y-a- compromis, c’est le fanatisme. La mort. douloureux que peut l’être un divorce.
t’il circonstance aggravante? Je dois Il s’agit de l’un des plus vieux Citant le poète Robert Frays – “Une bonne
avouer que ces comptabilités ne m’intéres- dilemmes du monde. Dès qu’une école ou barrière fait de bons voisins” – Oz lance
sent guère. Tous les poncifs qui reviennent un appel, à l’occasion des “Accords de
une faculté créera un département de
sans cesse sont pour moi de la haine du Genève” en faveur d’une solution
fanatisme comparé, écrit Amos oz, je pos-
juif pure et simple, sans ambiguïté. Ou détaillée, prudente, qui ne contourne
tule immédiatement pour un poste de pro-
alors il me faut réapprendre ce qu’est l’an- aucune des questions fondamentales sous
fesseur(...)Il est grand temps que chaque
tisémitisme. le titre Aidez-nous à divorcer ! :Abandon
école, chaque université dispense au
Si Ilan est mort c’est parce qu’il était du rêve du grand Israël, contre abandon du
moins deux heures par semaine de cours
juif, ciblé d’abord parce que juif, torturé et
de cette discipline, parce que le fanatisme rêve d’une grande Palestine. Ce sera une
brûlé parce que juif. Et il est le premier! Le
sévit partout. Autour de nous, apparem- route douloureuse, pavée de rêves brisés et
premier juif assassiné en France pour son
ment paisible et civilisé, parfois en nous, d’illusions perdues, de cris de guerre vidés
appartenance, depuis la Libération !
dans la conformité ambiante, le besoin de sens et d’espoirs brisés des deux côtés.
Alors vous savez, ces spéculations, ces
“d’être à sa place” et de faire en sorte que Une cruelle extraction du gène du fanatis-
querelles byzantines… C’est donc sans
tout le monde le soit, mais aussi dans le me s’avérera indispensable.
état d’âme que j’ai défilé pour protester
contre la barbarie, le racisme et l’antiju- culte de la personnalité, l’idéalisation de Colette Gutman.
daïsme qui s’installe dans mon pays.
Ce qui est nouveau, — et qui m’est
apparu clairement lors de cette marche, crois, ne sait lire, et qui nous meur-
grave, triste, digne et sans mots-d’ordres,
Tout était dit…
trissent l’omoplate, en nous disant:
et où, avec près de 80 000 personnes, je ne Le Nouvel Observateur a eu la bonne chiens de chrétiens. Ne pouvant avilir
suis me pas senti seul— c’est quelque idée de publier, à l’occasion de l’af- l’esprit, on se venge en le maltraitant,
chose dans les regards, les attitudes de ces faire des caricatures du prophète […] Sans la liberté de blâmer, il n’est
gens sous le choc, quelque chose comme Mahomet, ce très beau et très fameux point d’éloge flatteur; et[…] il n’y a
la peur qui revient, qui ressoude et ras- texte de Beaumarchais, extrait du que les petits hommes qui redoutent
semble, ce vieil atavisme qui ressurgit, cet “Mariage de Figaro” (1784). les petits écrits.[…] On me dit que,
antique effroi qu’on croyait ou espérait Nous ne résistons pas au plaisir de pendant ma retraite économique, il
disparu… vous en faire prendre connaissance. s’est établi dans Madrid un système
Depuis le début de ce siècle nous assis- de liberté sur la vente des productions
tons, impuissants, à des actes antijuifs de …“Auteur espagnol, je crois pouvoir qui s’étend même à celles de la pres-
toute nature et souvent violents. On a tenté y fronder Mahomet sans scrupule: à se; et que, pourvu que je ne parle en
de les faire passer pour des actions délin-
l’instant un envoyé…de je ne sais où mes écrits ni de l’autorité, ni du culte,
quantes ou de la révolte sociale ou je ne
se plaint que j’offense dans mes vers, ni de la politique, ni de la morale, ni
sais quoi encore. Mais aujourd’hui pour la
la Sublime Porte, la Perse, une partie des gens en place, ni des corps en cré-
première fois, on a tué. Faut-il attendre
de la presqu’ïle de l’Inde, toute dit, ni de l’opéra, ni des autres spec-
qu’il y ait d’autres morts pour s’indigner et
l’Egypte, les royaumes de Barca, de tacles, ni de personne qui tienne à
manifester?
Tripoli, d’Alger et du Maroc: et voilà quelque chose, je puis tout imprimer
Moi, je n’ai pas envie d’attendre.
ma comédie flambée, pour plaire aux librement, sous l’inspection de deux
Maurice Benzaquen. princes mahométans, dont pas un, je ou trois censeurs…”

Mémoire 2000. No 48 - Avril 2006 5


Le temps du dialogue
L es tempêtes soulevées par l’affaire des
caricatures du prophète musulman Maho-
met semblent s’être calmées, mais les ques-
L’ensemble provoqua l’ire de leurs homo-
logues et est certainement le principal déclen-
cheur des émeutes, par ailleurs savamment
politique et culturel à droite, et devient de plus
en plus restrictif en matière d’immigration. Il
y a eu de nombreux dérapages verbaux, en
tions de fond demeurent, et ce pour longtemps. orchestrées par certains régimes. Actuelle- particulier offensants pour les Musulmans,
Jusqu’ici, selon le site danois sur les ment, quelques-uns de ces imams font l’objet certains plus extrêmes qu’en Norvège. A peu
médias eJour, les caricatures parues en sep- d’une enquête au Danemark pour “activité près en même temps que la publication par Jyl-
tembre 2005 dans le quotidien danois Jylland- nuisible à la patrie”. lansposten des fameuses caricatures, une page
sposten, ont été reprises par 143 journaux dans Le suite est connue. Menaces, drapeaux et web du Parti du peuple danois décrivit les
56 pays. Les dessins qui déchaînèrent les pas- ambassades brûlés, boycott commercial, Musulmans comme tumeurs cancéreuses. Les
sions partout dans le monde musulman, sur- attaque de soldats norvégiens, manifestations Imams partis en croisade contre les caricatures
tout au mois de février, ont été publiés par des violentes suivies de nombreux morts dans les n’ont sûrement pas manqué d’en informer
journaux chrétiens, juifs et musulmans. rangs des Musulmans en colère. Mise à jour, à leurs homologues. A la lumière de ce climat,
D’autres médias les ont mis sur le net. cette triste occasion, d’un fossé qui semble on peut se demander s’il n’aurait pas été plus
Curieusement, ce ne fut pas la publication pour l’instant infranchissable entre le monde avisé, pour le Premier ministre, d’adopter une
dans Jyllandsposten, suivie de celle d’un jour- occidental, chrétien, et les pays musulmans. position moins tranchée. Peut-être aurait-il dû
nal égyptien, mais celle du petit magazine Opposition frontale entre la liberté d’expres- suivre la ligne de ses collègues norvégiens.
chrétien norvégien Magazinet (tirage très voi- sion et le respect de la croyance, en l’occur- L’affaire est loin d’être terminée, même si
sin de ce journal) en janvier, qui mit le feu aux rence musulmane. les esprits se sont un peu calmés. Elle a soule-
poudres. Mais entre-temps il s’était passé Comment a-t-on pu, à cause de 12 dessins vé une multitude de questions qu’il faut conti-
beaucoup de choses. Sans en faire la chronolo- supposés humoristiques, souvent d’assez mau- nuer à débattre même si le Danemark mainte-
gie, il faut revenir sur certains faits. vais goût, en arriver là ? Ils ne sont, évidem- nant juge la situation suffisamment calme pour
Le Premier ministre danois (libéral), ment pas les seuls en cause. Et le sentiment oser rouvrir son ambassade à Djakarta. Que les
Anders Fogh Rasmussen, est encore très criti- d’humiliation ressenti par beaucoup de Musul- entreprises danoises aient perdu des millions
qué pour avoir refusé de recevoir une déléga- mans, habitants des pays, peu, pour ne pas dire de couronnes est moins grave que la question
tion de représentants religieux et diploma- plus, démocratiques et souvent pauvres n’est de principe qui est posée, et les divisions reli-
tiques des pays musulmans tout au début de pas né d’hier. Là, nous touchons le fond du gieuses, politiques et culturelles du monde que
l’affaire, qui aurait pu désamorcer les tensions. problème. la crise a révélées. Ce n’est pas un compromis
Il s’en défend encore en disant qu’il ne pouvait Mais alors, pourquoi fustiger à ce point le local qui peut résoudre de tels problèmes. Ni
accepter une rencontre où on allait lui deman- Danemark et la Norvège, justement très démo- sans doute l’appel virulent et courageux de 12
der d’entreprendre des démarches juridiques cratiques et très tolérants ? Le sont-ils vrai- intellectuels souvent poursuivis par les Musul-
contre Jyllandsposten. Au Danemark, comme ment ? La Norvège, sans doute encore, oui. mans contre un certain islamisme.
en Norvège, la liberté d’expression est totale. Dans toute cette affaire, elle n’a pas joué le Les Norvégiens, connus pour leurs efforts
Cependant, c’est après ce rendez-vous premier rôle, et les autorités, misant dès le incessants en faveur de la paix, prônent avant
manqué qu’un groupe d’Imams danois averti- début sur le dialogue, ont mieux calmé les tout le dialogue. Il est plus important que
rent les pays musulmans. Or, ils n’avaient pas esprits. Magazinet, qui ne tolère pas la carica- jamais. A travers les frontières et les religions,
seulement dans leurs cartons les 12 caricatures ture de Jésus, a sans doute cherché la provoca- tout en préservant les libertés avec lesquelles
incriminées, mais d’autres, vraies ou fausses, tion, mais a finalement négocié une issue avec on ne saurait transiger.
(il y avait notamment une image d’un partici- ses Musulmans en Norvège. Vibeke Knoop.
pant français à un concours humoristique sur Il n’en va pas de même au Danemark. Ce Correspondante à Paris du journal norvégien
le cri du cochon, avec un masque de cochon). pays connaît depuis plusieurs années un virage Aftenposten.

Etrangers : criminels Cette exposition conçue par l’association grés, l’édition d’un guide en plusieurs langues
ou citoyens? Regarde Ailleurs à la demande du Conseil de la parlées dans le quartier et, au niveau de la Ville,
citoyenneté des habitants non communautaires la mise en place d’un programme d’interprètes

A près un été où le Ministre de l’intérieur a


fait évacuer devant les caméras les
immeubles en péril, occupés par des clandestins,
(CCHNC) de l’arrondissement, proposait douze
portraits de douze membres passés et présents
du CCHNC. Six hommes, six femmes et aucun
disponibles dans les petites et moyennes entre-
prises pour permettre aux femmes enceintes et
aux mères de mieux communiquer avec le per-
après un automne où le simple fait d’être accusé criminel réel ou imaginaire parmi eux. Tout sim- sonnel médical et social.
d’avoir participé à des troubles suffisait à plement des citoyens de leur quatier, du 20° de La mission essentielle du CCHNC est de
l’étranger en situation irrégulière pour se faire Paris, de la France. C’est une citoyenneté qui se promouvoir le droit de vote des étrangers non
expulser, après un hiver où les Ministres de l’in- distingue de la nationalité. communautaires aux élections locales. On peut
térieur et de la justice ont pondu une circulaire Chacun aborde la citoyenneté à sa façon, s’interroger sur la justesse ou la priorité à donner
commune qui rappelle un “guide du parfait mais pour tous elle passe par un engagement à cette demande, mais le mérite de cette exposi-
rafleur”, et avant un printemps qui promet dans le CCHNC, organe consultatif créé en tion est de rappeler dans ces jours où l’on tente
l’adoption de la loi sur l’immigration la plus 2001 pour représenter les étrangers hors-UE qui de faire rimer étranger avec criminel, qu’un
réactionnaire depuis l’Occupation, on aura pu ne peuvent pas voter dans les scrutins locaux. poète plus inspiré lui, le ferait rimer avec
reprendre son souffle, ou sa raison, en visitant Cette organisation agit sur le terrain. Elle a au citoyen…
l’exposition “Parisiens d’ailleurs, citoyens d’ici” niveau du 20°mis sur pieds un programme de
à la Mairie du 20°à Paris. réhabilitation des foyers des travailleurs immi- Marc Naimark.

6 Mémoire 2000. No 48 - Avril 2006


DE LA VIOLENCE A LA BARBARIE

L es actes de violences des jeunes se succè-


dent à une telle cadence dans notre socié-
té que, sitôt que l’on veut essayer de com-
d’une banale actualité. Kubrick a été, hélas, un
visionnaire.
On parle d’une “culture” de la violence
Comme la nature a horreur du vide et que
l’être humain a besoin de modèles, se sont
engouffrés dans la brèche laissée béante, des
prendre le sens de l’un, un autre se produit qui dans certains endroits de banlieue et on l’im- modèles véhiculés par la télévision et ses
nous laisse pantois. pute commodément au malaise et à l’injustice miroirs aux alouettes promettant fortune et
J’avais prévu de revenir sur l’agression au sociales réellement subis par ces milieux. Par célébrité rapides, sans effort, la violence éle-
couteau d’une jeune enseignante par l’un de un tour de passe-passe habile, on a converti vée au rang de l’art, et pire encore, des
ses élèves en décembre 2005. Là-dessus sur- une violence inadmissible en une honorable croyances et pratiques de religions dévoyées et
vient l’enlèvement et la mort horrible du jeune révolte sociale. Comment s’étonner alors qu’il mortifères qui, au lieu d’ouvrir l’individu à
Ilan Halimi. y ait escalade ? l’autre, l’enferme dans un système d’ignoran-
Avec cette mort et les tortures infligées au Pour des barbares, au sens propre du terme, ce, d’intolérance, de machisme et pour finir de
jeune homme on ne peut plus parler de “vio- c’est à dire, selon la définition du dictionnaire, racisme et d’antisémitisme.
lence”. Un degré a là été franchi et l’on touche des personne “non civilisées”, l’alibi judicieu- Depuis des années, des signaux nous sont
désormais à la barbarie pure et simple. Com- sement procuré, de la revendication sociale donnés de cette évolution désastreuse d’une
ment des jeunes ont-ils pu infliger tant de souf- autorise tout et n’importe quoi, même le pire ! certaine frange de la société française, sans
france à un autre jeune comme eux? Quand je parle de “non-civilisés”, je ne que nous les ayons pris assez au sérieux. Sou-
Il faut une dose de haine incroyable pour parle pas de “sauvages” mais de personnes venons-nous des multiples agressions dont ont
faire subir pendant trois semaines des sévices auxquelles il manque un minimum d’éduca- été victimes des jeunes filles pour des motifs
horribles à un être humain. Pensez, TROIS tion nécessaire et suffisant pour devenir des “religieux” ou “culturels”, et les nombreuses
semaines, c’est très long. Ca pourrait laisser le êtres sociaux. La socialisation n’est pas une autres exactions à l’encontre d’enseignants, de
temps de réfléchir à ses actes, laisser place à valeur innée, c’est une valeur acquise, notam- Juifs, et de bien d’autres…
l’écœurement... Il faut croire que non et qu’au- ment grâce à l’éducation scolaire qui donne La violence est désormais le langage de
jourd’hui, chez certains, toute trace d’humani- des moyens d’accès à la réflexion, à l’altérité ceux qui ne savent plus ni parler... ni penser.
té a disparu. et à la vraie culture structurante. Mais, on le Et c’est entre les mains de ces gens-là que
Cet événement odieux fait penser au film sait maintenant depuis de très nombreuses le pauvre Ilan est tombé.
Orange mécanique, sorti il y a bien longtemps années, l’école et les valeurs qu’elle est censée Nous assistons impavides à l’émergence
et qui passait, à l’époque, tant la violence évo- transmettre est mise en échec avec la compli- d’un fascisme qu’il sera , je le crains, difficile
quée était insupportable, pour un film de cité, sans doute involontaire, mais bien réelle d’endiguer.
science-fiction. Aujourd’hui tout ceci est de tous les gouvernements. Lison Benzaquen.

UNE VISITE A AUSCHWITZ

Depuis longtemps, j’entendais mon père witz Birkenau et ce qu’il est maintenant. Par une ancienne déportée et un historien, on
parler de visites à Auschwitz et, à 14 ans, je exemple, on s’attend à un paysage sombre, n’aurait pas pu trouver mieux.
commençais à développer une curiosité pour lugubre, boueux... Mais c’est tout autre A propos des déportés, nous avions déjà
ces lieux historiques. Il y a quelques mois, chose. En descendant du car, nous sommes fait la connaissance de l’un d’entre eux à
j’apprends que Mémoire 2000 organise un tombés face à un endroit si beau qu’il était l’initiative de notre lycée et la ressemblance
de ces voyages et qu’il y a des places sur le encore plus dur d’imaginer les mitraillettes, la plus frappante est ce sentiment d’invulné-
vol pour Cracovie. J’ai donc immédiatement les hurlements, les cadavres ensanglantés rabilité qu’ils ont l’air d’avoir tous. On a
demandé d’en être et, proposé à deux de mes jonchant le sol, les bruits incessants. Les l’impression que la souffrance qu’ils ont
amies de se joindre à nous. Nous avons donc arbres, la neige, le soleil...L’homme ne endurée a été telle que maintenant, plus rien
pris l’avion un dimanche matin à 6 heures, retrouve jamais ce à quoi il s’attend. ne pourra jamais les atteindre. Sarah qui
vers une destination qui m’était encore Aujourd’hui le facteur émotionnel est nous a guidés lors du voyage était stupéfian-
inconnue et que j’ai découvert difficilement beaucoup plus fort. Avec le recul on arrive te ; à près de 75 ans, elle était pleine de vie
mais avec beaucoup d’intérêt et d’émotion. mieux à réaliser parce que, paradoxalement, et respirait la gaîté. C’est toujours une chose
Margaux Jouanneau. le fait d’être sur les lieux de la Shoah où tout formidable que de rencontrer un déporté de
était concret, rendait l’Histoire encore plus la seconde guerre mondiale.

A uschwitz-Birkenau. Un nom que


nous entendons souvent en classe ou
même à la maison...Mais après l’avoir vu, ça
irréelle. Sur le moment, on était incapables
de concevoir que ce qui nous avait été décrit
et raconté à la télévision ou dans les films
Pour terminer, il est essentiel d’ajouter
que le recul est nécessaire pour pouvoir bien
apprécier et juger cette expérience que nous
ne sonne plus tout à fait pareil à nos oreilles avait eu lieu ici, à l’endroit où nous nous avons vécue non sans difficultés. Sur le
de jeunes filles. Des images réelles nous tenions. On tente d’imaginer ce que ça a pu coup, cette dimension nous dépassait totale-
reviennent dès qu’on aborde ce sujet. être, comment ils (sur)vivaient : en vain. ment, mais avec un bon mois de recul, on
Avant, il n’y avait que des dates, des Ce voyage a été pour nous une sorte de commence à réaliser ce que l’on a décou-
témoignages, des photos ou des films. Beau- concrétisation de notre apprentissage. Nous vert, on prend enfin conscience de la chan-
coup de choses très intéressantes et tou- abordions le même sujet qu’auparavant mais ce qu’on a eu de pouvoir visiter ces lieux et
chantes mais ce n’était rien que du fictif. On d’un point de vue complètement différent. Il d’avoir vu enfin ce dont on nous avait tant
avait le droit de s’imaginer des choses. y avait ici le côté anecdotique qu’on ne parlé.
D’ailleurs, il y a de légères différences entre retrouve que dans les témoignages, pas dans Margaux Jouanneau,Stéphanie Aflalo,
ce que l’on s’imagine être le camp d’Ausch- les livres d’histoire. Et puis, être guidés par Cécile Janvier.

Mémoire 2000. No 48 - Avril 2006 7


A LIRE… le camps d'Auschwitz. C'est dans une bro-
LE COIN DES AMIS
cante que Pascal et Emmanuelle ont
PAS UN MOT, PAS UNE LIGNE découvert une vieille partition qui recelait Début février, notre ami
Didier Epelbaum quelques lettres jaunies d'une violoncel- Luc-Marie Jouanneau
Editions Stock. nous a quitté.
liste et d'un pianiste témoignant de leur
Il était le neveu de notre Président. Il
malheureuse expérience au camp et de était jeune, beau, séduisant, distingué,
Pas un mot, pas une ligne, disait Sartre en leur "sauvetage" grâce à la musique. raffiné à l’extrême, joyeux, dynamique et,
1946 à propos des médias concernant la Emus par cette trouvaille Pascal lui- depuis très longtemps engagé dans de
Shoah. même pianiste, et Emmanuelle violoncel- nombreuses activités associatives.
Didier Epelbaum a enquêté. A nous aussi Les plus anciens de Mémoire 2000 qui
liste ont à cœur de faire connaître l'histoi-
l’ont connu avant même la création de
de le faire grâce à lui. re d'Anita Lasker et Simon Laks. Et c'est l’association à laquelle il a participé, se
Jean Pia qui en assure la mise en scène. souviendront du jeune homme lumineux
Le résultat est un magnifique spec- sous le charme duquel nous sommes
MEURTRE EN DIRECT tacle, inédit, émouvant, et d'une qualité tous tombés.
Batya Gour Il avait alors une trentaine d’années à
musicale exceptionnelle.
peine et déjà un long passé de militant.
Editions Gallimard ( Série noire). Pascal Amoyel n'est pas un inconnu Il était pressé, fougueux, enthousiaste
Traduit de l’hébreu par Emmanuel Moses. pour Mémoire 2000. C'est lui qui, en 1993 comme le sont souvent les personnes
alors tout jeune étudiant en musique, qui sentent que le temps leur est compté.
Batya Gour, journaliste israélienne est décédée offrait un très beau concert à l'association. Malgré sa maladie invalidante, dont il
en mai 2005. Elle a écrit des romans d’en- ne faisait pas mystère, je n’ai, pas une
Depuis il a collectionné prix nationaux et
fois, entendu Luc-Marie se plaindre ou
quêtes. C’est la dernière. internationaux et est considéré comme s’apitoyer sur son sort. Au contraire. Il
Passionnant et révélateur de la société "une personnalité du piano français"; ce s’est toujours montré généreux, ouvert
israélienne. qu'il est sans conteste. C'est un magni- aux autres et au monde, sans souci de
Daniel Rachline. fique artiste et sa compagne, Emmanuelle s’économiser.
Digne et élégant, Luc-Marie l’aura été
Bertrand, époustouflante de talent.
jusqu’au bout.
A VOIR… Le spectacle "Block 15" est actuelle- Nos pensées vont à Bernard, à sa
ment en tournée dans toute la France, famille et à tous ceux auxquels il va
LE BLOCK 15 mais il va repasser par Paris, surtout ne le beaucoup manquer.
“La musique en résistance” ratez pas. Courez-y! L.B.
D’après l’histoire vraie d’Anita Lasker- Lison Benzaquen.
Wallfisch et de Simon Laks. Adresse : La Citadelle, rue des fusillés
25000 Besançon.
La mémoire pour rester vive peut VOYAGER… Photographies, textes, documents ori-
emprunter diverses voies : l'écriture, la ginaux tirés de la Seconde guerre mon-
photo, le film, le témoignage etc... Mais Il faut voyager dit-on. C’est ce que je diale. Le nazisme depuis son origine, la
l'usage de la musique en cette occurren- viens de faire. guerre, Vichy, la Résistance française
ce, c'est plus rare et très beau. Je suis allé à Besançon. Vous connais- nationale, européenne, la Libération…
C'est pourtant ce canal que Pascal sez ? Non, c’est dommage car c’est une Et puis une large place réservée à la
Amoyel et Emmanuelle Bertrand deux superbe ville au cœur de la Franche déportation et à la Shoah.
jeunes et très talentueux musiciens ont Comté. Ville où sont nés Victor Hugo et De 1941 à 1945 cent résistants appar-
adopté pour faire revivre le destin de les frères Lumière. Ville où l’on trouve tenant à des groupes Franc-Comtois
deux autres musiciens perdus dans la aussi à l’intérieur de la citadelle construi- furent fusillés à la Citadelle.
tourmente de la guerre et déportés au te par Vauban, le musée de la Résistance Cela vaut le (long) détour.
block 15, block réservé à la musique dans et de la Déportation. Daniel Rachline.

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Réalisation : Pierre Gailhanou, Lison Benzaquen.


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