Vous êtes sur la page 1sur 3

Dossier 

: La peine de mort et l’affaire Patrick Henry

Cette année, en 2021, ont été fêtés les 40 ans de l’abolition de la peine de mort de la peine
de mort, alors proclamée en 1981. Pour l’occasion, Robert Badinter, ancien ministre de la Justice et
Garde des Sceaux, est revenu sur des décennies de lutte que lui-même a mené pour abolir cette
sentence suprême. Il dit d’ailleurs à juste titre : « Là où il y a démocratie, il n’y a pas de place pour
la peine de mort, car le droit à la vie est le premier des droits humains. ». En effet elle est une
atteinte importante aux droits de l’Homme. Pourtant, la France n’est que le 37ème pays à avoir
aboli la peine de mort : une donnée surprenante et tardive puisqu’elle reste une précurseur et un
symbole porteur de liberté de l’instauration des droits de l’Homme au sein de la communauté
internationale, avec la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 notamment. Aussi
voit-on ce débat revenir dans notre société avec la volonté de présidence de certains candidats et la
question de la sécurité.
Revenons donc sur deux siècles de combats contre la peine de mort, depuis la Révolution française
jusqu’à 1981, en passant surtout par un procès, celui de Patrick Henry, mais qui fût au-delà de la
punition pour le crime que ce-dernier avait commis, celui de la peine de mort, mené par Robert
Badinter, alors avocat.

Dans un premier temps, il nous faut rappeler les faits, qui sont plutôt complexes. Le 30
janvier 1976, Philippe Bertrand, jeune garçon de 7 ans, est enlevé à la sortie de son école, à Troyes,
par Patrick Henry, alors âgé de 22 ans, et important à préciser, ami de la famille Bertrand. Celui-ci
avait d’ailleurs déjà un casier judiciaire, avec des vols et un homicide involontaire. Juste après
l’enlèvement, Henry appellera la mère de l’enfant pour réclamer une rançon d’1 million de francs
contre sa libération. Ainsi, le jour du dépôt de la rançon, à savoir le 10 février de la même année,
prévu par le criminel, la police intervient et se lance une course poursuite, qui se conclut par la fuite
de Patrick Henry. Cependant, les forces de l’ordre ne savent toujours pas à ce moment qui est
derrière cet enlèvement. Les policiers parviennent néanmoins à relever la plaque de la voiture, qui
est celle de Patrick Henry. Il est alors placé en garde-à-vue mais libéré ensuite par manque de
preuves. Il participera alors activement aux recherches et se mobilisera avec la famille en
condamnant le coupable et en déclarant : «  le véritable criminel mérite la peine de mort pour s’en
être pris à un enfant. ».
Toujours suspecté, le propriétaire d’un hôtel contactera la police en affirmant que Patrick Henry etst
locataire d’une chambre, mais enregistré sous un autre nom. Il est alors une nouvelle fois arrêté par
la police le 17 février 1976, qui découvre de surcroît le cadavre du jeune Philippe, recherché depuis
plusieurs semaines. Patrick Henry avouera plus tard son crime.
Le procès s’ouvre ainsi près d’un an plus tard, le 18 janvier 1977, avec Badinter et Bocquillon en
tant qu’avocats de Patrick Henry. Pour Maître Badinter, il ne peut remporter ce procès en faisant
celui de Patrick Henry, qui est pour ainsi dire perdu d’avance, d’une part car la période pendant
laquelle a lieu ce crime est une période qui connaît un grand nombre d’enlèvements d’enfants, donc
une période de tensions, et d’autre part parce que l’opinion publique, grandement favorable à
l’exécution de Patrick Henry, a un poids non-négligeable et certainement déterminant sur ce procès,
à tel point que même le ministre de l’Intérieur de l ‘époque, Michel Poniatowski déclarera : «  Si
j’étais juré, je me prononcerais pour la peine de mort. ». Robert Badinter souligne encore
aujourd’hui  sa tristesse et son indignation quant à l’opinion publique et son insensibilité à la mort
d’un être humain : « J’ai peine à évoquer ce qu’était l’attachement séculaire des Français à la
peine de mort. À chaque grand crime, les abords du palais étaient remplis d’une foule qui criait “à
mort à mort ! ».
Ainsi, Robert Badinter va choisir de faire le plaidoyer du caractère inhumain et anti-démocratique
de la peine de mort. C’est en effet le 20 janvier 1977, lorsque l’avocat général réclame la peine de
mort, qu’il va réaffirmer sa position et défendre de tout coeur les droits fondamentaux des Hommes,
dont le plus important est celui de vie. Il décrira pendant plus d’une heure et demie l’horreur, la
violence et la barbarie des exécutions, qui se font à l’époque à la guillotine en France. Il essaiera de
convaincre les jurés en leur faisant réaliser qu’eux seuls ont le pouvoir de vie ou de mort sur un
homme en déclarant cette phrase touchante : « Vous demeurerez seul avec votre décision. On
abolira la peine de mort, et vous resterez seul avec votre verdict, pour toujours. Et vos enfants
sauront que vous avez un jour condamné à mort un jeune homme. Et vous verrez leur regard ! ».
En outre insiste-t-il sur le fait que la condamnation à mort des coupables ne décourage en rien les
criminels et ne fait en rien baisser le taux de criminalité, donc elle est selon lui complètement
inutile.
Le verdict du jury sera prononcé quelques heures plus tard et déclarera Patrick Henry coupable de
l’enlèvement d’un enfant, de séquestration et de meurtre, en le condamnant à la réclusion criminelle
à perpétuité, une décision surprenante, et qui mécontente la plupart de la population, mais qui reste
le symbole fort de la lutte contre la peine de mort.
Le procès de Patrick Henry a donc marqué l’histoire du droit et de la justice. Après cette affaire et
un combat politique acharné, la peine de mort sera abolie en France le 9 octobre 1981, après un
discours poignant devant l’Assemblée Nationale de Robert Badinter, alors ministre de la Justice
sous Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française de 1974 à 1981. Récemment,
en 2017, Patrick Henry est mort, après avoir, 3 mois auparavant, été libéré de prison à cause de sa
maladie, emportant avec lui le sentiment d’injustice passé de certaines personnes.

Dans le domaine de la loi, avant 1981, il est inscrit dans l’article 3 du code pénal de 1791,
qui classe la peine de mort parmi les peines autorisées afflictives et infamantes : « Tout condamné
[à mort] aura la tête tranchée ». Cet article restera en vigueur de le code pénal français jusqu’à son
abolition en 1981 : le 18 septembre 1981, le projet de loi émis par Robert Badinter est adopté par
l’Assemblée Nationale puis voté par le Sénat plus tard. Ainsi, la loi entre en vigueur le 9 octobre
1981 et abolit la peine de mort.
Plus tard, le 19 février 2007, le Parlement est réuni en congrès pour voter l’historique
constitutionnalisation de la loi sur l’abolition de la peine de mort. Ainsi, le 24 février 2007, l’article
66-1 de la Constitution qui stipule que « Nul ne peut être condamné à la peine de mort » est
publié. Cette loi constitutionnelle marque un tournant dans l’Histoire de France et rend sont
rétablissement pratiquement impossible, un symbole fort quant aux valeurs de la République
française. Mais l’idée d’abolir la peine de mort n’émerge pas pour la première fois au cours des
années 1980.

L’Histoire de la peine de mort est une histoire très complexe et millénaire. En effet, la peine
de mort existe depuis les débuts de la civilisation humaine et consiste officiellement en une punition
absolue d’un criminel, et plus généralement d’une personne bafouant la loi du régime en place. Elle
a longtemps été ressentie comme une réparation indispensable et une garantie de sécurité pour les
sociétés. Mais comme dit en introduction, il faut attendre le XVIIIème siècle pour voir apparaître
une remise en cause de la légitimité de la peine capitale, d’abord au sein des philosophes des
Lumières, puis avec la DDHC, qui s’inspire d’ailleurs de leurs idées.
En effet, déjà en 1791, l’efficacité et la nécessité de la peine de mort étaient remises en question à
l’Assemblée Constituante chargée de faire et de voter les lois. Malgré qu’elle ait été maintenue, les
conditions et les cas passibles d’exécutions sont réduits et restreints, ce qui témoigne déjà d’une
évolution. Et cette façon d’évoluer va persister au fil des régimes : de la Révolution française à la
3ème République, de nombreuses voix vont se lever à l’encontre de la peine de mort, telles que
Victor Hugo ou même Lamartine, pourtant opposés politiques, et le champ d’application de cette
peine va se rétrécir petit à petit.
En 1908, on voit même un projet de loi pour l’abolition de la peine de mort naître dans un
mouvement et un élan abolitionniste, mais très vite avorté à cause de l’influence des anti-
abolitionnistes et d’un crime affreux.
En outre, dans la période d’après-guerre de la 2nde Guerre Mondiale, la peine de mort est mise en
procès devant l’opinion publique par les auteurs reconnus Arthur Koestler et Albert Camus, ce qui
sera l’un des pilier de l’abolition définitive de la peine de mort au Royaume-Uni en 1969.
Le dernier condamné à mort en France est ainsi Hamida Djandoubi, un immigrant tunisien
condamné à mort en 1977 pour homicide et guillotiné dans la cour de la prison des Baumettes le 10
septembre 1977.
Cela montre que ces deux siècles de combat ont été sans cesse accompagnés de mouvements contre
la peine de mort, en France notamment mais également à l’international, et que celle-ci n’a pas
arrêté depuis d’évoluer dans le sens de sa disparition.
Aujourd’hui pourtant, on compte encore officiellement 55 pays qui pratiquent encore la peine de
mort, notamment au Moyen-Orient (Irak, Iran, Arabie Saoudite), en Afrique (Egypte), mais aussi la
Chine et certains états des Etats-Unis ; la plupart de ces pays sont des régimes autoritaires. Le
combat n’est donc pas encore terminé et beaucoup d’acteurs (pays, associations, ONG telles que
Amnesty International avec laquelle Robert Badinter collabore aujourd’hui, etc) luttent pour
l’abolition universelle de le peine de mort ; d’autant plus que les récents attentats en France et en
Europe ont fait émerger la question de la sécurité chez les politiciens mais aussi chez les citoyens et
malheureusement, selon certains sondages, plus de la moitié des français serait favorable au
rétablissement de cette sentence, ayant pourtant été si difficile à supprimer. Enfin, une abolition
universelle de la peine de mort serait une révolution dans la quête d’un monde plus libre et surtout
dans un monde plus juste, en prônant l’État de droit et mettant en avant l’importance de la
Démocratie, surtout dans des pays avec un régime autoritaire.

Vous aimerez peut-être aussi