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Hommage à Robert Badinter

Périgueux, mercredi 14 février 2024

Discours de madame la Maire de Périgueux


Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Sous-préfet,

Madame la Vice-présidente du Conseil départemental,

Mesdames et messieurs les élus,

Mesdames et messieurs,

C’est avec une infinie tristesse et une profonde affection que nous avons appris, vendredi
dernier, la disparition de Robert Badinter.

Un Grand Homme, professeur de droit, avocat éloquent, militant des droits de l’Homme et de la
justice, garde des Sceaux et ministre de la Justice, président du Conseil constitutionnel, dont le
nom reste indissociable du long combat contre la peine de mort.

Sa disparition nous a tous touché, laissant ressurgir, du plus profond de nous-même les souvenirs
d’un infatigable combattant des Droits de l’Homme, devenu, pour toute une génération, une
Lumière française.

C’est pourquoi j’ai souhaité que nous nous réunissions, aujourd’hui, en cet espace symbolique,
pour lui rendre l’hommage qu’il mérite.

Avant toute chose, je voudrais avoir une pensée pour sa femme, Élisabeth, et toute sa famille. En
ce jour d’hommage national, nous sommes toutes et tous en deuil, car nous avons perdu une
figure majeure, un géant de la République.

Infatigable défenseur de la vie, des droits, de la dignité humaine, Robert Badinter a été et restera
un emblème de la Justice et des Droits de l’Homme.

Son combat pour l’abolition de la peine de mort en France a marqué un tournant décisif dans
notre société. Sa détermination sans faille et sa conviction profonde en la valeur de chaque vie
ont permis de mettre fin à cette pratique barbare. Rares sont les voix qui, dans notre Histoire,
ont tant symbolisé le progrès de l’humanité.

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Dans notre mémoire résonnent les voix de Victor Hugo, de Jaurès.

Robert Badinter était de ceux-là.

Un pilier, un phare, une boussole pour notre démocratie.

Robert Badinter avait vécu dans sa chair les conséquences de la folie nazie. Né en 1928, issu
d’une famille juive de Bessarabie, il n’a que 11 ans au début de la guerre et en a à peine 15
lorsque son père, Simon, est raflé à Lyon par le chef de la gestapo, puis déporté à Sobibor. Sans
retour.

Passé au travers des griffes de Klaus Barbie, avec sa mère et son frère, il passe deux années
caché, protégé par les habitants d’un village près de Chambéry.

À la fin de la guerre, il vit son premier procès.

Celui qui permet à sa famille de récupérer les biens dont elle a été injustement spolié.

Cette histoire est constitutive de son attachement à la justice, à la vie et à la transmission.

Car, pour Robert Badinter, « la justice, quand il s’agit des crimes contre l’humanité, c’est d’abord
la mémoire ».

Inscrit au barreau de Paris en 1951, il est en premier lieu un spécialiste de droit civil, mais c'est
aux assises qu'il obtient succès et reconnaissance.

Dès le début des années 70, il défend un certain nombre d’accusés risquant la peine capitale.

Ce sont des affaires privées, des faits divers.

Mais l’engagement de Robert Badinter contre la peine capitale en fait un symbole. Il devient
l’avocat honni, l’avocat des assassins.

Et pourtant, en défendant ceux que d’autres ne voulaient pas défendre, Robert Badinter porte
une vision, sa conception de la justice : une justice qui ne porte pas le visage de la vengeance.
Une justice qui n’ôte pas la vie.

Lui-même inspiré de Camus et de Condorcet, il avait fait du refus de la terreur, de la défense de


l’humanisme et du rationalisme, une éthique de la pensée.

Il refusait « le meurtre par logique » et avait comme conviction profonde que les institutions
étaient là pour changer la société, l’organiser mais avant tout la protéger.

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Et que si les lois transforment la société, elles doivent avant tout permettre aux Hommes qui la
composent de devenir meilleurs.

En ouverture de son livre L’Abolition, qui retrace son long combat pour la cause de l’abolition
universelle, Robert Badinter cite le philosophe italien Cesare Beccaria : « Si je prouve que cette
peine n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai fait triompher la cause de l’humanité ».

Aussi, le 17 septembre 1981, devenu ministre de la Justice du Président François Mitterrand,


après avoir pourfendu pendant tant d’année la peine capitale dans les prétoires, il pût prononcer
ces paroles qui lui tenaient tant à cœur, que nous venons d’entendre : « Demain, grâce à vous, la
justice française ne sera plus une justice qui tue ».

Dans ce discours, devenu célèbre, Robert Badinter défend le combat de sa vie. Le combat pour
la vie.

L'engagement de Robert Badinter ne se limite pas au combat contre la peine de mort.

Ministre de la Justice, il œuvre sans relâche pour moderniser le système judiciaire, renforcer
l'indépendance de la justice et garantir l'égalité devant la loi.

Son action permet de consolider les Droits de l'Homme en France et de faire avancer les valeurs
de liberté et de justice.

Pendant les six années de son ministère, il met en œuvre de nombreuses réformes et de
nombreuses commissions chargées notamment d'abroger la loi Sécurité et Liberté de 1980, de
réformer le Code pénal et le Code de procédure pénale.

Robert Badinter multiplie les mesures : suppression de la Cour de sûreté de l'État et des
tribunaux permanents pour les forces armées, élargissement du droit d'action en justice des
victimes ou des associations, mise en œuvre d'un droit au recours individuel devant la Cour
européenne des droits de l'homme...

Fervent défenseur de l’égalité, il est également l’artisan de la loi du 4 août 1982 qui abroge le
« délit d’homosexualité ».

C’était pour lui une nécessité, un devoir moral que de faire disparaître cette loi, promulguée sous
Vichy et reprise à la Libération.

Parce qu’il lui était insupportable qu’une partie de la population vive dans le secret, la peur et la
honte.

Ici, encore, il s’agit d’un progrès porté par Robert Badinter.

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Il est un humaniste convaincu et son engagement se porte également auprès des détenus. Il
supprime les quartiers de haute sécurité, donne droit aux parloirs libres et au téléphone pour les
prisonniers.

Pour Robert Badinter, les détenus sont avant tout des Hommes et leurs conditions de détention
auront des effets sur leurs chances de réinsertion.

Pour Robert Badinter, « il faut réserver à l'humain la chance de devenir meilleur ».

C’est ainsi qu’il expérimente une nouvelle forme de détention, en Dordogne, à Mauzac, dans un
nouveau modèle de prison qui doit permettre à ces hommes de penser l’après.

En février 1986, le président François Mitterrand nomme Robert Badinter au Conseil


constitutionnel. Durant les neuf années de sa présidence, il mène à son terme la transformation
du Conseil constitutionnel en une véritable juridiction constitutionnelle.

Le « Conseil Badinter » affirme sa légitimité comme instance générale de contrôle de la


constitutionnalité des lois et élargit considérablement sa compétence.

Au Conseil constitutionnel comme à la Chancellerie, Robert Badinter est d'abord un militant du


droit et des juristes.

Élu sénateur des Hauts-de-Seine en 1995, réélu en 2004, il continue son combat à travers un
travail législatif important à la Commission des lois du Sénat et lors de ses interventions en
séance.

Robert Badinter fut un homme public et politique reconnu.

Mais il fut aussi un homme de lettres, qui porte ses combats dans des ouvrages majeurs, comme
L’Exécution en 1973 ou encore L’Abolition en 2000.

Deux livres indispensables, durs et sensibles à la fois, qui retracent ce long chemin vers
l’abolition. Des histoires de haine, de sang, de mort et d’amour, qui bouleversent en racontant ce
que l’on nomme la Justice des Hommes.

Il est également l’auteur d’un portrait émouvant de sa grand-mère maternelle, Idiss, sous la
forme d’une chronique familiale autant qu’un hommage à la terre d’asile que fut la France avant
l’Occupation.

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Robert Badinter a aussi publié plusieurs biographies, de nombreux essais politiques, mais
également une pièce de théâtre ou un livret d’opéra d’après une nouvelle de Victor Hugo, son
poète favori.

Périgueux a mêlé son destin à celui de Robert Badinter, lorsque Michel Moyrand, qui est avec
nous aujourd’hui et dont je salue l’initiative, a proposé de nommer cette place en son nom.

La première Esplanade Robert-Badinter de France a été inaugurée en sa présence le 25


septembre 2009.

Ce jour-là, Robert Badinter a ainsi laissé le témoignage de sa reconnaissance dans le Livre d’or
de la Ville : « En souvenir de cette mémorable journée, où j’ai eu le bonheur et l’honneur de
devenir un Périgourdin à perpétuelle demeure, grâce à cette belle esplanade ».

C’est ici un lieu symbolique, au cœur de la ville, un lieu de vie, de rencontres, un lieu qui s’anime
au gré de la vie municipale.

C’était aussi, pour la majorité municipale de l’époque dont je faisais partie, une manière de
montrer notre attachement aux combats portés par Robert Badinter et au respect des valeurs
fondatrices de la République : la Liberté, l’Égalité et la Fraternité au cœur de la cité.

Avec la disparition de Robert Badinter, c’est un héritier des Lumières qui s’éteint.

Une figure intellectuelle et politique incontestable. Un homme profondément ancré à gauche


qui, tout au long de sa vie, a mené la France sur la voie de l’humanisme, de la liberté et de la
lutte contre toutes les injustices.

Jusqu’à son dernier souffle, il fut un défenseur des valeurs républicaines et laïques, mais aussi un
rempart contre toutes les discriminations et les formes de populismes qui menacent la France et
le monde.

Son décès nous bouleverse tous car nous avons, aujourd’hui plus qu’hier, besoin de grandes
figures qui montrent la voie dans ce « grand moment de doute » que traverse notre République.

Puisse l’exemple de sa vie et de ses combats, nous montrer le chemin de la justice.

Il avait « la nuque raide », face aux assauts de la haine.

Il était un Homme de principe et de haute estime.

Robert Badinter n’est plus, mais sa voix résonne encore en chacune et chacun d’entre nous.

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Elle nous rappelle l’importance du combat à mener face aux atteintes des libertés individuelles
ou collectives encore à l’œuvre aujourd’hui.

Robert Badinter nous a quittés, mais il nous laisse son héritage.

Je nous invite à faire perdurer ses combats.

Qu’ils inspirent encore des générations entières,

- pour faire de la France, un pays plus juste, plus équitable,

- pour faire de la France, un modèle de liberté,

- pour faire de la France, un rayonnement universel.

Je vous remercie.

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