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www.esf-scienceshumaines.fr
ISBN : 978-2-7101-4273-7
SYLVAIN GRANDSERRE
NOTE DE L’ÉDITEUR
Sylvain Grandserre est l’auteur du livre coup de poing Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !.
Passionné par son métier d’enseignant, il y dénonce les disfonctionnements, incohérences et
gestions ministérielles hasardeuses qui, depuis plusieurs années, génèrent toujours plus de
mal-être dans le corps enseignant.
Face aux événements liés au Covid-19, il a souhaité prolonger sa réflexion et son coup de
gueule avec ce livre numérique gratuit.
Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! est disponible à la vente dans toutes les librairies et sur
notre site, en version papier et numérique.
École, silence. On tourne... pas rond ! De jour en jour, on coule et croule : sous les injonctions
ministérielles, la dérive paperassière, le dirigisme bureaucratique... Dépossédés de leur métier,
infantilisés comme jamais, culpabilisés par l'infaisabilité de ce qui leur est demandé, beaucoup
d'enseignants se sont tus. Mais qui peut encore croire que ça va aller mieux quand tant
d'enfants et d'enseignants vont si mal ? Comment faire avancer un système qui change de cap
à chaque nouveau ministre ? À l'heure où quelques professeurs osent encore témoigner sous
couvert d'anonymat, il fallait une voix forte pour dire le mal qui est fait à l'École. Il fallait aussi
l'expérience professionnelle et militante solide d'un enseignant pour qui le pire serait de ne
rien dire. Alternant analyses percutantes et anecdotes croustillantes, Sylvain Grandserre livre
Depuis, tout en cherchant à virer le virus, la vie sociale et économique reprend peu à peu ses
droits. Mais, après avoir jeté tant de masques, gants, lingettes et blouses, faut-il envoyer au
recyclage un ouvrage écrit juste avant l’épidémie ? Après tout, en quoi, un constat du système
scolaire, même mordant et décapant, serait-il encore pertinent après une pandémie mondiale ?
La réponse est pourtant simple.
Tout ce qui allait bien s’est arrêté, tout ce qui allait mal a
continué.
On m’objectera que si la critique est aisée, l’art est difficile. Et, effectivement, je ne voudrais
pas ressembler ici à l’un de ces nouveaux snipers médiatiques qui depuis le bunker de son
studio dézingue à tout-va tout ce qui ne va pas. Inscrit par mon métier dans la complexité de
la réalité, je sais ce qu’est d’être exposé aux jugements hâtifs, aux idées toute faites et à la
vindicte populaire. Chez les rois du « y a qu’à » on trouve beaucoup de vrais et « faut qu’on ».
Je mesure la chance que nous avons d’avoir des dirigeants qui ne se retrouvent pas en
réanimation pour avoir pris le virus à la légère comme Boris Johnson, qui ne prônent pas
Mais inutile d’ériger dans l’urgence un tribunal populaire, la Cour de Justice de la République –
seule juridiction habilitée à juger les actes commis par les membres du gouvernement dans
l’exercice de leurs fonctions – a déjà été saisie. Mon projet ici est de démontrer que toute la
gestion de cette phase de suspension d’école liée au confinement, s’est faite avec la même
approche détestable qui prévaut toute l’année. Du début à la fin de ce cycle, les enseignants
auront été mis à l’écart, oubliés, ignorés, méprisés, considérés comme de simples exécutants
avant d’être soudainement appelés à trouver des solutions une fois la situation devenue
totalement inextricable. Ce gouvernement prétend « libérer les énergies » mais épuise les
nôtres par une gestion des ressources inhumaines qui mène au dégoût, à la déprime et parfois
même au suicide.
Durant toute cette période, je me suis astreint à l’écriture des faits, persuadé qu’il serait
important de garder la trace des événements de ne pas perdre le fil de leur déroulement. Plus
que jamais, on verra comment école et société sont indissociables, entremêlées, et font
finalement route commune. Voilà pourquoi vous retrouverez ici nombre d’éléments dont la
présence pourrait surprendre s’agissant d’éducation mais qu’il m’a semblé indispensable
d’articuler avec ma vie d’instit pour donner à ce récit tout son contexte, toute sa cohérence et
sa cohésion. Confiné chez moi, loin des collègues, de mes élèves et de leurs parents, tour à tour
effrayé, agacé, amusé, énervé ou surpris, j’ai continué d’écrire tout ce qu’un instit ne devrait
pas avoir à dire ! Alors, bonne lecture et rassurez-vous : tout ce qui suit est vrai ! Ce qui est
plutôt inquiétant…
« ANNE, MA SŒUR ANNE, NE VOIS-TU
RIEN VENIR ? »
Vendredi 24 janvier, parlant du coronavirus, la ministre de la Santé déclare à la sortie du Conseil
des ministres : « Le risque d’importation depuis Wuhan est pratiquement nul » et « le risque de
propagation est très faible. » Elle précise, à la manière du « p’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non »
normand, que « cela peut évidemment évoluer dans les prochains jours ». Agnès Buzyn aurait
même pu dire « dans les prochaines heures » ! Car c’est le temps qui s’écoulera avant que son
propre ministère annonce officiellement la présence de trois premiers cas de coronavirus en
France, soit les premiers au sein de l’Union européenne. Le même jour, les chercheurs de
l’INSERM publient « un modèle pour estimer le risque d’importation de l’épidémie en Europe ».
Pour eux, cette menace s’étendrait de 5 % à 13 %, un niveau plutôt faible de diffusion dans le
pays. Un peu comme l’était, en 1940, le risque que des panzers franchissent les Ardennes.
Visiblement, nous n’avions pas encore compris que « nous sommes en guerre » comme le
déclarera le Président de la République 52 jours plus tard.
Pour l’heure, un raz-de-marée viral emportant dans la tombe des centaines de milliers
d’individus à travers le monde n’est pas du tout envisagé. C’est donc sous la menace d’une
simple vaguelette que la ministre de la Santé – contrairement à d’autres membres du
gouvernement candidats aux élections municipales comme Édouard Philippe ou Gérald
Darmanin – démissionne le dimanche 16 février pour remplacer au pied levé Benjamin
Griveaux, touché et coulé par une vidéo intime. Cela suscite essentiellement ironie et moquerie
surtout qu’Agnès Buzyn affirmait deux jours plus tôt : « Je ne pourrai pas être candidate aux
municipales : j’avais déjà un agenda très chargé [...] et s’est rajouté un surcroît de travail avec
la crise du coronavirus qui aujourd’hui m’occupe énormément1. » Cette épidémie l’occupe mais
ne la préoccupe pas suffisamment pour renoncer à l’investiture du parti présidentiel dans la
capitale. Mais soyons tolérants, pareille faiblesse est bien humaine et l’hôtel de ville une
attirante destination.
Samedi 15 février, dès notre premier jour des congés d’hiver en zone B, un touriste chinois de
80 ans meurt à Paris après avoir été hospitalisé fin janvier. « Il s’agit là du premier décès par le
coronavirus en dehors de l’Asie » précise Agnès Buzyn, pour son dernier jour complet comme
ministre de la santé avant de céder sa place à Olivier Véran. Mais pas de panique : le mardi
24 février, on se félicite, après quelques cas déclarés, que plus personne ne semble atteint :
« Ce soir, il n’y a plus aucun malade hospitalisé en France […] il n’y a ce soir pas de circulation
du virus sur le territoire national », indique le tout nouveau ministre de la Santé, lors d’une
conférence de presse rassurante 4 . Pourtant, dans la nuit, c’est un enseignant de Crépy-en-
Valois dans l’Oise, qui décède à son tour à 61 ans. Faut-il s’en inquiéter ?
Deux jours après, pendant nos congés, nous recevons, sur la messagerie électronique de l’école,
un nouveau courriel en lien avec l’épidémie. À quatre jours de la reprise, il s’agit cette fois
d’annuler tous les voyages scolaires vers les zones à risque (Chine, Singapour, Corée du Sud,
provinces italiennes de Lombardie et Vénétie) et d’identifier les personnes – personnels ou
élèves – qui pourraient en revenir. Il leur est désormais interdit d’aller en cours pendant les 14
jours qui suivent leur retour. Début du premier casse-tête pour les directeurs d’école en quête
de ces informations à recueillir auprès des parents avant la reprise.
Arrive le lendemain (28/02) un message du Rectorat qui apporte une précision bien plus
surprenante : « En cas de sollicitation des médias, je vous remercie de bien vouloir
systématiquement renvoyer les demandes vers la cellule communication du rectorat ou vers le
cabinet de madame la Rectrice et de n’accepter aucun reportage sur le traitement de la crise
sanitaire du Coronavirus dans vos établissements. » Habituellement, les autorités ne sont pas
3
Libération, « Le gouvernement face à une épidémie de plaintes au pénal », 29 mars 2020.
4
Le Parisien, 24 février 2020.
contre un peu de médiatisation de nos efforts d’adaptation sanitaire et sécuritaire comme lors
de l’exercice annuel de simulation de catastrophe prévu par le Plan particulier de mise en
sûreté. Serions-nous soudain moins sûrs de nos procédures ? Qu’a-t-on à cacher aux médias
que fréquente tant notre ministre ? Après l’affaire Lubrizol (incendie d’une usine de produits
chimiques classée Seveso le 26/09/2019 à Rouen), y aurait-il un nouveau souci de
transparence ?
À propos de transparence, dès le lendemain, samedi 29 février, le Conseil des ministres est
rassemblé de manière exceptionnelle pour faire face au Covid-19. Et que va-t-il en sortir ?
Quelles mesures vont donc être prises contre un mal qui va faire près de 25 000 morts dans les
deux mois qui suivent ? Vite, on attend des mesures phares pour nous éclairer.
Bref, lundi 2 mars, au moment de reprendre la classe, côté contamination, on retient surtout
qu’on a tous chopé… le 49-3 ! Car l’actualité dans bien des établissements à ce moment, c’est
encore la lutte contre le projet de retraite à points qui risque d’en laisser pas mal à poil,
notamment chez les profs, ces fameux « grands perdants » pour reprendre le terme utilisé à
notre égard dans les médias. Même si ce coup de force du gouvernement est un coup dans le
dos, l’heure est à la reprise du travail. Attentifs aux recommandations qui circulent, nous
convenons dans mon école de ne plus nous faire la bise entre adultes. Dans ma classe de 29
CM1/CM2, c’est l’heure des retrouvailles après deux semaines de congé. Pas besoin d’aspirine
pour obtenir une joyeuse effervescence. Visiblement, chacun sait désormais prononcer
correctement le nouveau mot à la mode : co-ro-na-vi-rus. D’ailleurs, le début de matinée est
consacré à l’avancée de l’épidémie et au rappel des gestes barrières. Ces enfants, âgés de 9 à
5
Dans une lettre lue sur France Inter le 30 mars 2020.
6
Libération, 15 avril 2020.
Or, juste après « coronavirus », nous apprenons d’autres mots comme « clusters », ces zones
de forte concentration de cas de Covid-19. Le jour de la rentrée, un collègue revenant de
Bretagne, consulte, pendant la récréation, la mise à jour de la liste officielle et découvre qu’y
figure désormais son lieu de séjour des dernières vacances. S’en inquiétant auprès de
l’inspection, on lui enjoint de rentrer chez lui, un remplaçant venant prendre le relais l’après-
midi. Mais, visiblement, la mécanique a des couacs, car, le lendemain, faute de moyens
humains, les élèves, avec lesquels il a été en contact toute la matinée, seront répartis dans les
autres classes du regroupement ! Le virus aurait adoré. Heureusement, mon collègue n’était
pas souffrant mais la lutte contre l’épidémie s’annonçait déjà délicate puisque son épouse, elle-
même enseignante, ne recevra pas les mêmes consignes de la part de son propre inspecteur !
En effet, les propos tenus à 20 heures par Emmanuel Macron vont totalement contredire Jean-
Michel Blanquer. Le ministre trouvait que pareille fermeture serait contre-productive ? Pas
dans notre culture ? Paralysante ? Et même qu’elle n’avait jamais été étudiée ? Le désaveu
présidentiel est cinglant : « Dès lundi et jusqu’à nouvel ordre, les crèches, les écoles, les collèges,
les lycées et les universités seront fermés pour une raison simple : nos enfants et nos plus jeunes,
selon les scientifiques toujours, sont celles et ceux qui propagent, semble-t-il, le plus rapidement
le virus, même si, pour les enfants, ils n’ont parfois pas de symptômes et, heureusement, ne
semblent pas aujourd’hui souffrir de formes aiguës de la maladie. C’est à la fois pour les
protéger et pour réduire la dissémination du virus à travers notre territoire. » Visiblement,
aucun de ces éléments sanitaires et scientifiques n’avait atteint la direction du ministère de
l’Éducation. On verra aussi comment tous ces arguments, exposés avec la plus grande gravité,
s’envoleront par la suite lors de l’annonce du 13 avril. En politique, les discours, comme les
promesses, n’engagent que ceux qui y croient.
Le lundi 16 mars, c’est parti pour les enseignants. Nous entamons, mi-inquiets, mi-curieux,
notre premier jour de tentative de « continuité pédagogique ». Assis face à mon ordinateur, je
démarre une terrible partie de ping-pong face à 29 élèves ! Seul mon CAP dactylo, obtenu du
temps de mes errances scolaires, me permet de tenir la cadence. J’essaie d’avoir des nouvelles
de chacun, de transmettre collectivement quelques idées de travail ou d’activités mais avec
l’immense difficulté d’ignorer trop souvent la situation exacte des élèves. Où sont-ils ? Avec qui
pour les aider ? De quel matériel dispose-t-il ? Et comment différencier entre tant de profils
différents dont des reconnaissances de handicap ? Avec le recul, je me dis que l’urgence, bien
au contraire, aurait dû être de s’accorder une semaine de battement pour réfléchir à la
conception de cette forme totalement inédite de travail. Pendant le week-end, cherchant à y
voir clair, j’ai sollicité les enseignants de ma circonscription et du groupe Freinet du
département pour effectuer une mise en commun des ressources numériques que chacun
utilise déjà. Dans notre métier, nous sommes passés, avec Internet, d’une pénurie de
ressources à une abondance assez ingérable. L’ensemble, très riche, est mis en ligne par
l’infatigable Philippe Meirieu sur son site. Mais cette inauguration du travail à distance, une
première dans notre histoire éducative, est aussitôt balayée par un autre événement. Ce soir-
7
Enquête de Médiapart « Les preuves d’un mensonge d’État », 2 avril 2020.
là, le Président de la République prend à nouveau la parole. Il adresse ses félicitations aux
électeurs : « Je veux aussi saluer chaleureusement les Françaises et les Français qui, malgré le
contexte, se sont rendus aux urnes. » Il n’oublie pas les élus : « Je veux aussi ce soir adresser
mes félicitations républicaines aux candidats élus au premier tour. » Mais il sermonne aussitôt
ceux qui ont eu l’outrecuidance d’aller se promener. Car le Président – qui était encore au
théâtre quelques jours plus tôt parce que « la vie continue » et qu’il « n’y a aucune raison […]
de modifier nos habitudes de sortie » – a vu « du monde se rassembler dans les parcs, des
marchés bondés, des restaurants, des bars qui n’ont pas respecté la consigne de fermeture ». Il
précise que « personne n’est invulnérable, y compris les plus jeunes ». Remarque intéressante
quand on sait que quatre semaines plus tard, ces « plus jeunes » seront désignés pour
reprendre en premier, bien avant les collégiens et surtout les lycéens.
Emmanuel Macron annonce alors la mise en œuvre du confinement général dès le lendemain
midi (mardi 17 mars) pour quinze jours au moins. Après l’annonce de fermeture de tous les
commerces « non essentiels », voilà deux fois en deux jours que le pouvoir ne laisse même pas
24 heures aux Français pour s’organiser. Les motifs de sortie et de déplacement se voient
extrêmement réduits. Des sanctions sont promises aux contrevenants. Certains seront
d’ailleurs sanctionnés, ici en voulant enterrer un proche, là juste en essayant d’aller faire un
geste de la main à un parent âgé isolé derrière sa vitre d’Ehpad. « Nous sommes en guerre »
répétera six fois le Président qui n’a jamais fait son service militaire. Christophe Castaner, le
ministre de l’Intérieur, annonce le déploiement des forces de l’ordre en adoptant le même ton
et les mêmes allures martiales que s’il s’agissait de terrorisme. Ne jamais oublier que si l’État
doit nous protéger, il faut aussi savoir se protéger de l’État…
Bref, désormais, il faut sortir travailler et « en même temps », rester chez soi. Début de mille
imbroglios quand ici est autorisé ce qui là-bas est sanctionné. Des magasins restent légalement
ouverts, mais s’y rendre n’est pas toujours considéré comme un achat légitime par la nouvelle
police de la diététique. Nombre de personnes contrôlées racontent le règne de l’arbitraire qui
semble si peu déranger le pouvoir. Chacun aura eu le sentiment d’une distribution de PV bien
plus large que celle des masques. En Haute-Savoie, pour surveiller le bon respect des règles de
confinement, le préfet a même recours au contrôle par hélicoptère en montagne8 ! L’ambiance
ainsi instaurée est des plus délétères. Même le syndicat Alternative Police s’en inquiète et
alerte sur France Info : « La délation représente jusqu’à 70 % des appels dans certaines grandes
agglomérations9. » Le syndicaliste affirme qu’après 16 heures, les dénonciations représentent
même 90 % des appels à la police de Bordeaux. On veut combattre un virus, on se retrouve à
chasser les corbeaux !
Dans le même temps, les professeurs poursuivent la bataille et tentent comme ils peuvent de
sauver ce qui peut l’être. Les discours ministériels assurés en novlangue nous abreuvent de
« continuité pédagogique » et autre « classe à la maison ». Le ministère met immédiatement
la pression sur les enseignants en prétendant que tout est prêt et essaie de faire croire que les
8
France Bleu, 28 mars 2020.
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France Info, 14 avril 2020.
apprentissages vont se poursuivre comme s’il y avait toujours cours. De la maternelle au lycée,
chacun se lance dans un enseignement à distance le plus souvent nouveau mais loin d’être
évident, même quand les élèves sont des étudiants majeurs, comme l’attestent des professeurs
à l’université.
Le 25 mars, voilà déjà douze jours que les professeurs font au mieux depuis chez eux, souvent
en gardant leurs propres enfants, travaillant avec leur matériel personnel, leurs forfaits et
connexions, supportant la contrainte inhabituelle de devoir téléphoner aux parents en utilisant
leur propre ligne. Ceux qui les accusent d’immobilisme et de conservatisme se font soudain
bien silencieux. On voit que le café du commerce est fermé ! De son côté, la porte-parole du
gouvernement, Sibeth Ndiaye, relaie l’encouragement du ministre de l’Agriculture à aller aider
aux champs quand on se retrouve sans activités du fait de la crise. Elle croit alors bon de
préciser : « Nous n’entendons pas demander à un enseignant qui aujourd’hui ne travaille pas,
compte tenu de la fermeture des écoles, de traverser la France entière pour aller récolter des
fraises gariguette. » Boulette pour celle qui avait déjà expliqué le 20 mars que le masque n’était
Pour en revenir au confinement de quinze jours, s’il commence le 17 mars, voilà qui nous
amène forcément à la fin du mois. Pourtant, très rapidement, dès le dimanche 22 mars, Jean-
Michel Blanquer donne une première date de reprise possible des cours : le lundi 4 mai10. C’est
alors le « scénario privilégié » pour reprendre sa formule. Donc, cinq jours seulement après le
début du confinement, le ministre fait déjà état de son estimation.
Côté classe, je reçois un vrai coup sur la tête le 30 mars. On découvre par mail qu’aucune sortie
scolaire ne sera autorisée jusqu’à fin mai. On comprend déjà clairement qu’il en sera ainsi
jusqu’à l’été, comme ce sera malheureusement confirmé le 16 avril. Passent alors à la trappe
nombre de nos projets : sortie au cinéma, visite à la ferme, accueil des correspondants, grands
concerts de fin d’année avec des chorales de collégiens et d’adultes, rencontre au centre
départemental pour adultes handicapés, fête de la musique, accueil au collège, olympiades,
spectacle en anglais, sortie en train à Dieppe… Tout ce que j’avais patiemment mis sur pied
tombe à l’eau, c’est ballot. Des heures à tout caler, à tout mettre au point, à réserver, à échanger,
des dizaines et des dizaines de mails et d’appels, sans parler de tous les documents nécessaires
à remplir. Nous commençons alors à comprendre que s’il doit y avoir un retour prochain en
classe, ça ne sera pas pour la retrouver telle que nous l’avions laissée. Il s’agira d’autre chose,
mais nous n’imaginons pas quoi. Tous ces projets qui unissent et réunissent les élèves, qui les
motivent et mobilisent, sont désormais barrés d’une croix rouge. Tout un symbole raccord avec
l’actualité médicale. Dans ce contexte, on ne croit plus guère à un « déconfinement » le 15 avril.
10
Le Parisien, 22 mars 2020.
Mais le Président Macron donne le coup de grâce en précisant que : « Le Gouvernement, dans
la concertation, aura à aménager des règles particulières : organiser différemment le temps et
l’espace, bien protéger nos enseignants et nos enfants, avec le matériel nécessaire. » Traduit en
langage clair, pour les ministères, et tout particulièrement pour celui de l’Éducation nationale,
c’est « débrouillez-vous ! ». Et encore, je suis poli. Décidément, le Président de la République
semble avoir prolongé la mise en quarantaine de son ministre de l’Éducation ! En effet, dans le
cadre des décisions de fermeture puis de réouverture de tous les établissements scolaires
français, Jean-Michel Blanquer à l’air de découvrir les revirements de l’Élysée en même temps
que parents, élus locaux, enseignants et élèves. Voilà qui pose la question de savoir ce que
pèsent réellement les enjeux éducatifs dans les décisions économiques et sanitaires prises en
12
Article du 26 mai 2017.
haut lieu. Comme le dit Francette Popineau, la secrétaire générale du SNUipp-FSU : « On ne
comprend plus rien : on a un discours de prudence sur tout, sauf sur l’école. » Visiblement, avec
ce ministre, nous n’avons pas un très bon avocat pour défendre notre cause.
La preuve est apportée dès le lendemain de l’annonce surprise du Président, quand le ministre
de l’Éducation nationale, qui semble avoir peu ou mal dormi, est invité aux « 4 vérités » sur
France 2 (14/04). Dès le départ, s’agissant de la réouverture le 11 mai, le ministre insiste sur la
notion de progressivité puisqu’il est « évident que tout ne va pas se passer du jour au
lendemain ». S’ensuit tout un tas de formules pour tenter de se donner le temps que
l’impréparation n’a pas accordé au ministre : « Nous avons à définir », « nous avons deux
semaines devant nous », cela « permettra, à partir du 11 mai, de voir par quelles étapes nous
passons ». Les critères retenus ? « Tous les points sont légitimes et à prendre en considération ».
« La façon de faire va s’élaborer au cours des deux prochaines semaines. » Sur le calendrier ?
« On va entrer en dialogue avec les familles. » « On pourra commencer à envisager comment
ça se passe ». « On va élaborer toute une méthodologie. » L’organisation ? « Personne ne peut
imaginer qu’en mai-juin ce sera exactement comme avant, pas du tout. Ce sera autre chose. »
Le port du masque ? « C’est fort possible mais ça, ça fait partie des choses qu’on va définir au
cours des deux prochaines semaines. » L’obligation de ces masques ? « D’ici deux semaines, on
va décider ». « C’est typiquement ce qui va se définir au cours des deux prochaines semaines. »
Les programmes qui ne seront pas bouclés ? « J’ai confiance dans le professionnalisme des
professeurs », le ministre invoquant même le travail « par cycle » sur trois années, tellement
contraire à ses attendus annuels. Les grands groupes ? « Il est hors de question d’avoir des
classes bondées dans la situation actuelle » (parce que le reste de l’année c’est bien d’avoir des
classes surchargées ?). S’agissant du respect des gestes barrières chez les plus petits, le ministre,
à bout d’arguments, invoque même le « civisme » des élèves ! Ne pas bien se laver les mains
deviendrait une incivilité ? Il y en a, comme ça, pendant un quart d’heure comme avec un
candidat qui jouerait au « ni oui, ni non » en trouvant le temps long. Et nous avec.
13
Le Figaro, 14 avril 2020.
faux de dire ça. Je ne peux pas vous laisser dire ça. C’est trop facile de dire ça Madame
Martichoux ! Non, non. Quand vous dites qu’il n’y a pas de réponse, c’est très faux. Vous essayez
d’installer l’idée que… Je trouve que ce n’est pas très honnête de répliquer cela. [...] vous ne
pouvez pas, comme ça, injurier le travail des gens, ce n’est pas possible. »
Cette impréparation suscite la plus grande méfiance, voire la réticence, des représentants
syndicaux mais aussi des acteurs locaux qui sentent bien qu’on va leur demander l’infaisable.
Dès mercredi 15 avril, l’Association des maires de France (AMF) demandait « un plan de
déconfinement précis » et faisait part de ses exigences : « Concernant les écoles primaires, dont
la gestion est de la responsabilité des communes, il convient d’établir un calendrier et des
modalités de mise en œuvre suffisamment détaillées pour garantir la sécurité de tous les élèves
et personnels. » Mais plusieurs jours après, rien ne permet de comprendre ce qui va pouvoir
être fait de la décision du Président ou des déclarations creuses que répète à l’envi le ministre
de l’Éducation dans les médias.
Face au vent de panique, celui-ci – jusqu’alors incapable de fournir la moindre réponse dans
les interviews ou au Sénat – finit par lâcher quelques indications en audition à l’Assemblée
(21/04) : pas plus de 15 élèves et reprise en trois vagues successives par tranches d’âge les 11,
18 et 25 mai. On ne comprend pas bien si ça sera obligatoire, et visiblement lui non plus ! Les
syndicats sont furieux et parlent de forcing car tout cela se prépare sans dialogue ou
concertation contrairement à ce qui avait été promis. On est loin de l’unité nationale ! Une fois
encore, chacun est mis devant le fait accompli… Même le Premier ministre qui n’apprécie guère
de ne pas avoir eu la primeur des trouvailles de son brillant ministre pour les annoncer lui-
même en exclusivité dans sa présentation du plan de déconfinement. Finalement, Emmanuel
Macron, à l’origine de ce pataquès inextricable, tranche et indique que le retour en classe se
fera sur la base du volontariat : « Ce sont les parents au final qui décideront » et devront donc
assumer la responsabilité d’un éventuel retour à l’école (23/04) mais sans même connaître les
conditions d’accueil.
14
Le 23 avril 2020.
LE RIDICULE NE TUE PAS, LUI
Alors, se multiplient des avis pour expliquer comment faire reprendre le chemin de l’école en
respectant distances sociales, gestes barrières et autres mesures d’hygiène dignes d’un hôpital.
Mais le coup de grâce est porté par le Conseil scientifique dans un avis du 16 avril, transmis aux
autorités le 20, mais seulement accessible depuis le 25 avril au soir. On y trouve – page 16 - la
15
Le 28 avril 2020.
C’est dans ce grand bazar, où bien des principes sont bradés, qu’il nous faut reprendre l’école
à distance le lundi 27 avril. Le vendredi d’avant, j’ai recontacté mes parents d’élèves par
courriel pour avoir de leurs nouvelles, mais aussi connaître leur ressenti et leurs intentions en
cas de réouverture le 11 mai. Nul ne sait où on va et, en trois jours, je n’obtiens qu’un tiers de
réponses. Quand les autres courriels arrivent enfin, c’est pour former une immense majorité
de parents en attente, partagés entre nécessité d’aller en classe et craintes de l’épidémie.
Pratiquement aucune famille n’est confiante à l’image d’un sondage Opinionway qui
comptabilisait 3 % de personnes pensant que les écoles seraient tout à fait prêtes. Ce jour-là,
j’entends sur France Info, Christophe Bouillon, président de l’association des petites villes de
France, affirmer que « les maires étaient très impatients de connaître le plan
de déconfinement », car « le temps presse » et qu’« il reste six jours ouvrables » pour qu’ils
organisent la rentrée. Pour ceux qui l’auraient oublié : « On n’ouvre pas une école en un
claquement de doigts. » Ni d’un coup de baguette magique !
L’administration lance sa propre enquête et arrive dans mon école le 27 avril, un questionnaire
d’intention parentale à retourner dès le lendemain, le 28 avril ! Un comble puisque les familles
doivent répondre à l’aveuglette alors que le plan de déconfinement va enfin être dévoilé le 28
dans l’après-midi. Souvenez-vous de la petite phrase de Jean-Michel Blanquer sur France 2 le
14 avril : « On va entrer en dialogue avec les familles. » Eh bien c’est cela pour la technocratie
« dialoguer avec les familles » ! C’est juste leur envoyer par mail un document à retourner sous
24 heures sans avoir le moindre élément pour y répondre !
Il reste alors une dernière chance à ce gouvernement de sauver les oripeaux et l’apparence
d’une prétendue école de la confiance. Mardi 28 avril, à 15 heures, le Premier ministre monte
donc à la tribune de l’Assemblée nationale pour présenter son plan de déconfinement. Il a été
validé la veille par le Président et présenté le matin même en Conseil des ministres. S’agissant
de l’école, les médias se font de plus en plus l’écho de l’impossibilité de respecter les mesures
édictées d’ici le 11 mai, surtout avec un si faible délai. Mais dans son allocution, Édouard
Philippe aggrave encore la situation ! Il n’est plus question de tranches d’âge et de rentrée en
deux vagues les 11 et 18 mai pour reprendre en maternelle et en élémentaire. Non, à l’écouter,
ce sont bien désormais 6 700 000 élèves du premier degré qui sont invités à revenir en une
fois mais toujours « progressivement » ! Dans le même temps pourtant, on en reste au seuil
de 15 élèves maximum par groupe, quels que soient le niveau de classe et la taille des locaux.
Comme l’avait déjà indiqué Jean-Michel Blanquer la semaine précédente, les élèves devront
se répartir entre travail en classe, travail à distance, élèves en étude et activités périscolaires.
Autant de propositions qui donnent l’impression que le pouvoir sort peu de Paris et met plus
rarement encore les pieds à l’école ! D’où sortent ces salles d’étude et ces activités
périscolaires que plusieurs années de réforme des rythmes scolaires n’avaient pas réussi à faire
apparaître en bien des endroits ? En vérité, le ministère compte sur la méfiance de nombreuses
familles pour ne pas saturer les écoles. On notera aussi le port du masque pour les professeurs
dans les moments où ils ne peuvent pas respecter la bonne distanciation. Enfin, on retiendra
cette souplesse soudainement accordée aux acteurs de terrain. Car désormais, Édouard
Philippe sait que « les directeurs d’école, les parents d’élèves, les collectivités locales trouveront
ensemble, avec pragmatisme, les meilleures solutions ». Pour résoudre les problèmes que le
pouvoir a lui-même créés, il leur fait confiance. L’inverse est-il vrai ? J’en doute. Bref, tout ça
me fait penser à l’histoire d’un gars qui emboutit sa voiture puis dit à sa femme : « Chérie,
puisque tu voulais conduire, tu peux porter la voiture au garage ? ».
Sérieusement, que pense le ministre de toute cette gigantesque pagaille ? D’une école qui ne
sait même plus à qui se fier ni qui croire ? Bien des professeurs – tous ceux au primaire, et une
partie au secondaire – enseignent pourtant les sciences…
Je dénonce toute cette politique précipitée et dangereuse dans une nouvelle tribune : « École
le 11 mai : une date de dingue ! » et explique à quel point l’école, c’est exactement l’opposé de
la distanciation16. Ce mercredi-là, se tient justement – à distance – la réunion des directeurs de
ma circonscription. Il s’agit pour l’IEN (inspecteur de l’Éducation nationale) de donner les
consignes d’application voulues par le ministère et ses conseillers. Démarre alors, un peu
partout, le concours Lépine de l’idée la plus saugrenue
Bref, seize jours après l’annonce présidentielle d’une réouverture, on ne voit toujours pas
comment faire, mais, au moins, sait-on qu’on ne pourra compter que sur nous-mêmes pour
gérer l’impossible. On perçoit bien le mécanisme d’application des décisions totalement
vertical et pyramidal. Intervention du Président le 13 avril, indications du ministre de
l’Éducation le 21, allocution du Premier ministre le 28, interview de Jean-Michel Blanquer sur
TF1 au 20-heures puis le lendemain matin sur BFM-TV, instructions aux directeurs le 29… Pour
gendarmer, le gouvernement a sa tactique ! L’instruction venue d’en haut rebondit de palier en
Le même matin, Jean-Michel Blanquer est l’invité de Jean-Jacques Bourdin sur BFM-TV pour
passer l’interview la plus tranquille de son existence. En 20 minutes, pas une seule question
sur les contradictions et l’infaisabilité des consignes. Le « meilleur intervieweur 2010 » se
contente de demander au ministre de bien vouloir répéter pendant vingt minutes, point par
point, niveau par niveau, semaine par semaine, ce qu’il a prévu. Comme la veille sur TF1,
aucune allusion n’est faite sur la recommandation du Conseil scientifique de reprendre en
septembre ! Pire, c’est même le ministre, trop content qu’on le cajole à ce point, qui finit par
parler lui-même du s’appuyer sur le Conseil scientifique pour justifier les recommandations sur
le port du masque ! Quel culot ! On est au summum de la novlangue avec la répétition
d’éléments de langage : « souplesse », « dialogue », « personnalisation », « pragmatisme »,
« bienveillance », « bon sens », « feuille de route pour chaque élève de France », « vacances
apprenantes », « modules de soutien ». Sa volonté, exprimée la semaine précédente devant
l’Assemblée, de ne faire reprendre que certains niveaux ? Bah, c’était juste « indicatif ». Comme
c’est creux, ça résonne bien. Mais les silences du ministre sont aussi parlants que ses mots. À
nouveau, pas une seule fois, il n’essaiera de convaincre les parents de remettre leurs enfants
en classe. Au contraire, il présente le travail à la maison comme un des quatre espaces possibles
avec la classe, la salle d’étude et le périscolaire. Si on le suit et qu’on divise par quatre les huit
semaines avant l’été, on ne s’étonnera pas, comme je l’ai observé, que soit proposé finalement
aux élèves deux semaines de travail en classe ! Tout ça pour ça : huit jours d’école, 48 heures
entrecoupées par les intempestives et répétitives séances individuelles de lavage des mains !
Il n’aura pas un seul mot en deux interviews pour persuader quiconque de revenir, et pour
cause : nous serions sacrément embêtés pour tous les accueillir ! Comment ferait-on pour ne
pas dépasser 15 élèves avec ma classe rurale de 29 enfants ? Merci de votre aide Monsieur le
ministre… même si vous avez insinué qu’à la campagne ça sera facile car beaucoup de classes
fonctionnent déjà habituellement à moins de 15 élèves ! On peut avoir la liste ? Vous
indiquerez plus tard18 que cela concerne seulement 60 000 élèves sur 6 700 000, soit moins de
1 % ! Vous faites le même coup, en évoquant les classes de CP et de CE1 en REP et REP+ (réseau
d’éducation prioritaire) qui « vont pouvoir rouvrir très vite, car les classes sont de 12 élèves ».
On a l’impression qu’on parle de millions d’élèves quand il s’agit de 300 000 enfants qui ne
représentent qu’un peu plus de 4 % des écoliers. Bref, en cumulant petites classes de campagne
17
France Info, 29 avril 2020.
18
Le Figaro, 1er mai 2020.
et demi-classes de banlieue, on a réglé le problème des effectifs de 5 % du total. Il reste à
trouver des solutions pour les 95 % qui restent. Mais là vous comptez sur « l’intelligence
locale » !
Pourtant, nous n’étions pas au bout de nos surprises. Jeudi 30 avril, le protocole officiel de
réouverture des écoles maternelles et élémentaires sort dans la presse et sur Internet (Le
Monde, Le Café pédagogique). Ce document est largement inspiré des recommandations du
Conseil scientifique opposé à la reprise en mai, mais favorable à une réouverture en septembre,
comme en Italie. Du coup, des centaines de milliers d’enseignants se retrouvent dans la
position délicate de devoir choisir entre « choix politique » et indications médicales. Pour moi
qui enseigne les sciences, le choix est vite fait entre obéissance aveugle et conscience
professionnelle lucide.
En tant que maître d’école, après étude attentive des 63 pages de ce protocole, j’affirme
qu’aucune école sur le territoire ne sera en mesure de l’appliquer. Ceux, enseignants ou élus,
qui prétendent en être capables mentent ou bien se trompent. Car nul ne peut présager de
l’attitude des élèves de 3 à 11 ans revenant à l’école dans de telles conditions.
Si la technocratie n’était pas si prétentieuse, si notre hiérarchie n’était pas si aveugle et sourde,
on aurait au moins pu s’appuyer sur le retour d’expérience des enseignants qui se sont portés
volontaires pour l’accueil des enfants du personnel soignant. Il était facile de les interroger, de
s’inquiéter de ce qui fonctionnait ou pas. Mais dans le cerveau malade de notre structure, il
n’est pas possible de penser que quelque chose d’utile puisse venir de la base. Décidément,
c’est maladif, il faut que ça tombe d’en haut, jamais que ça remonte du terrain ! Ce sentiment
de supériorité écrase tout. Aucune écoute de ces « premiers de corvée » qui se sont dévoués
non sans risques. Dans le compte rendu du CHSCT du 22 avril, le SNUipp 31 (Haute-Garonne)
indique par exemple que « 32 cas de Covid-19 ont été recensés chez des enseignants volontaires
du dispositif d’accueil » (1er et 2d degrés). Près de Montargis, une école accueillant les enfants
du personnel soignant a même dû fermer après suspicion de Covid-19. Les cinq enseignantes
tombées malades n’avaient pas de masques. Le 20 mars, Jean-Michel Blanquer, citant les
autorités sanitaires, maintenait sur BFM-TV que le masque n’est pas utile. Il sera annoncé
comme devenant obligatoire cinq semaines plus tard, sans doute le temps d’en obtenir enfin !
Et dire qu’au départ, le jour de carence était maintenu assurant aux premiers malades une
double peine ! Il n’a été suspendu que le 21 mars…
Les collègues volontaires que j’ai pu interroger sont formels : même avec quelques rares élèves,
les règles sanitaires même allégées sont soit inapplicables, soit intenables sur la durée.
À lui seul, cet exemple illustre la teneur de l’ensemble du document. Toutes les
recommandations sont aussi déconnectées du lieu et du public auxquels elles s’appliquent. Je
ne résiste pas au plaisir de donner d’autres exemples tant un tel condensé d’absurdité est rare.
Il est demandé un sens de circulation dans l’école, mais aussi au sein de chaque classe. Il est
interdit de se croiser dans un couloir, de se prêter quoi que ce soit, de jouer à la balle, de faire
un jeu de société. Chacun ses affaires et ses jouets. Un livre emprunté en bibliothèque doit
ensuite être laissé cinq jours au repos ! Il faut retirer des chaises, des tables, tout plein de
matériel, tous les jeux où les enfants pourraient être à plusieurs. Si les règles sanitaires ne
peuvent pas être respectées en récréation, il faudra rester en classe. Dans ce cas, la journée
d’un enfant sera première partie de la matinée en classe, puis récréation en classe, deuxième
partie de la matinée en classe. Vient l’heure du repas en classe, puis pause en classe, ensuite,
première partie de l’après-midi en classe, récréation en classe et dernière partie de la journée
en classe. Tout ça, sans bouger, en restant assis loin des autres, avec pour seule occasion de se
dégourdir les jambes les séances répétées de lavage des mains. Côté ménage et hygiène, on
risque de manquer de bras car il faudra nettoyer et désinfecter plusieurs fois par jour, dans les
espaces utilisés, les zones fréquemment touchées. Il en sera ainsi pour les sanitaires (toilettes,
lavabos, robinets, chasses d’eau, loquets, interrupteurs, douches), tous les points de contact
(poignées de porte et de fenêtre, interrupteurs, rampes d’escalier, télécommandes, claviers,
Manque juste le choix de la position des hommes pour uriner (assis ou debout ?) et, tout de
même, un léger oubli, allez, rien qu’un tout petit détail… la question des élèves en situation de
handicap ! Quinze ans après la loi sur le handicap, ça va faire rire jaune. Comme il n’y a pas de
solution, j’imagine qu’on va encore nous dire qu’on nous fait confiance ! On parle tout de
même de plus de 340 000 élèves en France. C’est à ce genre de détails qu’on voit qu’on est loin
des élections. Rappelons que le 3 mai 2017, lors du débat du second tour des élections
présidentielles qui l’a opposé à Marine Le Pen, le futur Président avait choisi comme thème
pour sa carte blanche, la question du handicap. De toute façon, vu ce qui les attend, les enfants
sont certainement mieux chez eux.
Partant du principe que les premiers concernés sont les parents, je leur transmets les éléments
du protocole puisqu’il leur reviendra de choisir si leur enfant reviendra à l’école ou pas. Les
informer me semble une évidence, c’est même une obligation du fonctionnaire ! De plus,
partant du principe qu’ils me font généralement confiance, ce serait leur mentir et les trahir
que de leur faire croire que les 63 pages du protocole seront appliquées. C’est nous qui allons
mettre concrètement en œuvre ces mesures théoriques. Nous sommes finalement les seuls
vrais professionnels du dispositif. Voilà qui nous engage. Reste à oser le dire tout haut !
Peut-être l’issue viendra-t-elle des élus locaux, sollicités très tardivement dans le processus de
réouverture alors que celle-ci va engager leur responsabilité, notamment vis-à-vis de leurs
personnels (cantine, car, garderie, ménage, activités périscolaires). Ainsi, le maire de
Courcelles-lès-Gisors dans l’Oise décide rapidement de maintenir son école fermée jusqu’au
31 août19. Martine Aubry à Lille comme Yvon Robert à Rouen ou Johanna Rolland à Nantes,
font part de leurs plus grandes réserves. Azzedine Taïbi, le maire de Stains (93) dresse un
constat clair : « Il n’est pas du tout question d’ouvrir l’ensemble des écoles de la ville dans deux
semaines. Il y a trop d’incertitude. Je ne peux pas mettre les enfants, les enseignants et le
personnel municipal en danger. » À Montpellier, le maire Philippe Saurel20, également docteur
en chirurgie dentaire, trouve ce projet du 11 mai « dangereux » et « pas raisonnable », surtout
pour le peu de jours de classe à effectuer. À en croire RTL, L’Obs, France 3 ou encore le Midi
Libre, ils sont ainsi nombreux ces élus locaux qui n’apprécient guère l’ordre injustifié venu d’en
haut. Tout près de mon école, un élu local, vice-président en charge de la jeunesse et de
l’éducation, refuse la réouverture des écoles de sa commune car elle serait motivée par un
« argument économique ». Et de poser la question qui fâche : « Comment un gouvernement
peut-il s’appuyer sur l’avis du Conseil scientifique pour maintenir le premier tour des élections
municipales le 15 mars 2020 et ne pas le faire pour la réouverture des écoles ? » Avant de
conclure : « Je fais plus confiance aux scientifiques qu’aux politiques. Et je suis un homme
politique 21 . » La mairie de Paris annonce qu’elle ouvrira ses classes mais à un « public
prioritaire » (élèves décrocheurs et selon la profession des parents). Le président du Conseil
départemental du Bas-Rhin demande à sa population de ne pas renvoyer les enfants en classe
avant le 25 mai.
Le débat pourrait même partir sur le terrain juridique puisque « des parlementaires veulent
encadrer l’engagement de la responsabilité juridique des élus pour les protéger en cas de
plaintes pour une infection au Covid-19 », indique Libération (01/05). François Baroin,
Président de l’Association des maires de France, a averti :
19
Courrier Picard, 25 avril 2020.
20
France Bleu, 20 avril 2020 et BFM-TV, 25 avril 2020.
21
Le Réveil, 29 avril 2020.
Du côté des fédérations de parents d’élèves, on n’est pas en reste. La PEEP, par la voix de son
président Gérard Pommier, appelle à la vigilance : « C’est la vie de nos enfants qui est en jeu23. »
Quant à la FCPE, très active sur ce dossier, son président ne mâche pas ses mots pour dénoncer
du « pipeau » et, pour qui, devoir choisir entre la scolarisation et la santé des enfants est un
« chantage insupportable24 ». Voilà donc une opposition sur le terrain qui, en se répandant,
pourrait mettre fin à tout ce cirque dans lequel les enseignants doivent veiller à ne pas être
pris pour des c… lowns. Car, eux aussi, on aimerait davantage les entendre. Ils sont le garant
moral pour les familles, l’individu en chair et en os qui incarne l’institution.
Jean-Michel Blanquer sent bien monter la grogne. Comme cette annonce de réouverture est
une arnaque et qu’il n’a, concrètement, aucune idée de comment appliquer la doctrine, il
l’assure : « On a prévu beaucoup de souplesse locale. » Ah, Orwell ! Il glisse au Figaro25 son
estimation : « Je pense que la majorité des écoles rouvrira [le 11 mai] partout sur le territoire
ainsi que la majorité des collèges en zone verte [le 18 mai] ». Visiblement, ce ministre si pressé,
au point d’être brutal, découvre les vertus d’une progressivité qui soudain l’arrange bien.
22
France Info, 03 mai 2020.
23
Le Parisien, 1er mai 2020.
24
La République du Centre, 15 avril 2020.
25
Paru le 1er mai 2020.
ON FAIT QUOI MAINTENANT ?
On parle parfois du canard qui continue de courir alors qu’on lui a coupé la tête. On peut, au
contraire, observer ici, après la pénible expérience du confinement, ce qu’est un volatile qui
continue de cancaner et caqueter alors que le corps déplumé ne suit plus. On dit que « le
poisson pourrit par la tête ». C’est un sentiment très partagé désormais que la hiérarchie se
ridiculise à vouloir appliquer coûte que coûte, sans concertation, ni prise en compte de la
réalité, ni justification ou débat, la décision d’un seul homme. Infantilisation grotesque,
anachronique, même quand l’ordre émane du Président de la République. Comme le dit le
Président de la FCPE : « Quand j’entends ce que j’entends, j’ai en tête l’image de l’armée
napoléonienne à qui on a fixé un objectif, le 11 mai, et à qui on dit d’avancer coûte que coûte,
quelles que soient les pertes. » On a justement la confirmation que notre santé n’est pas le
souci de notre employeur et ne l’a jamais été. Comme le rappelle dans une tribune Cyril
Verlingue, président de l’association Urgence Amiante Écoles : « Pour le ministère de
l’Éducation nationale, la santé n’a jamais été une priorité26. »
J’espère que personne n’oubliera que l’apparition de ce virus n’était ni une surprise ni un
hasard ! C’était une telle évidence pour les virologues que plusieurs écrivains s’en étaient
emparés pour leurs thrillers ! Aucune fatalité, juste un choix de société fait d’urbanisme, de
destruction de la nature, d’hyper-concentration des humains et des élevages. À cette violence
destructrice s’ajoute une autre brutalité qui touche à nos libertés fondamentales. Car après les
attentats de 2015, nous voici à nouveau dans un contexte spécial d’urgence sanitaire qui
restreint considérablement nos droits. Or, on sait que le pouvoir a bien du mal à ranger les lois
spéciales qu’il sort pour l’occasion. La loi sur l’état d’urgence a permis par la suite d’interdire
des manifestations des opposants à la loi Travail27. « À Toulouse, Montpellier ou Paris, la police
débarque pour des banderoles anti-Macron » nous alerte Libération28. On a vu le ministre de
l’Intérieur un peu trop heureux d’atteindre le million de PV dressés pour non-respect du
confinement. Il faudra donc bien apprendre à nos élèves à aimer la Liberté pour qu’ils ne soient
pas prêts à la brader contre le mirage d’une société entièrement sécurisée avec ses drones, ses
géolocalisations et sa reconnaissance faciale.
26
Libération, 24 avril 2020.
27
Le Monde, 16 mai 2016.
28
Paru le 1er mai 2020.
S’il doit y avoir « un avant et un après » coronavirus, dans
l’éducation et ailleurs, ce sera en inventant une suite qui ne soit
pas la continuité de telles politiques.
L’humain d’abord, voilà qui devrait guider nos choix. Or, si les maîtres et maîtresses d’école sont
si méfiants face à l’annonce de la réouverture des écoles c’est parce qu’ils savent que l’État-
employeur met leur santé dans l’angle mort des politiques conduites. Rien n’est fait face au
nombre considérable d’établissements contenant de l’amiante. Quand tout le personnel d’une
école passe en visite médicale, seuls les enseignants n’y ont pas droit ! Alors comment faire
confiance à nos supérieurs face au coronavirus ?
De la même façon, le ministère se contrefiche de l’absence totale d’adhésion à ses projets. Seuls
5 % des professeurs des écoles approuvent globalement les choix faits. Un sur vingt ! Quelle
sale note ! Qu’en pensent notre hiérarchie, nos conseillers pédagogiques, nos inspecteurs, nos
directeurs académiques et autres recteurs ? Ça ne dérange vraiment personne dans l’appareil
de savoir que nul n’adhère à ce qui est demandé ? Donc tout doit passer en force comme pour
le 49-3 ? Qui va enfin dénoncer cette mascarade de management, ce simulacre de gestion des
ressources humaines ?
29
Le Café pédagogique, 17 avril 2020.
30
Blog Médiapart, 2 avril 2020.
31
Le Café pédagogique, 27 janvier 2020.
une grève du zèle si notre employeur ne respecte pas les règles sur le remplacement, les heures
de travail, le choix des animations, les décharges de direction ou l’absence de RASED, par
exemple. Nous savons tous combien il serait confortable de pouvoir faire bouger les choses
sans avoir à se mouiller ! Mais on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. Tout l’enjeu est
là désormais. Ne plus être des moutons qui aboient mais des louves protectrices et vigilantes
pour tous les loupiots qui nous sont confiés. Car demain, d’autres menaces viendront rôder
autour de nos écoles.
7
Je n’aurais jamais dû avoir à écrire ce livre !
1. Refalo Alain, En conscience je refuse d’obéir, Éditions des îlots de résistance, 2010.
2. Cazals Bastien, Je suis prof et je désobéis, Indigène Éditions, 2009.
9
pratique de classe, plusieurs dizaines de livres lus à ce sujet,
des centaines d’échanges, des milliers d’articles compulsés
et un engagement public ou médiatique parfois remarqué.
Bien sûr, cherchant à vous convaincre, j’aurais pu récolter, à
m’en épuiser et vous assommer, nombre de données, statis-
tiques et éléments probants. L’Éducation recèle de chiffres,
courbes et pourcentages en tous genres. Mais à cette tentative
de démonstration critique et dissection clinique, j’ai préféré
fournir mon témoignage vivant et mes analyses directes qui,
je l’espère du moins, devraient avoir la force de la sincérité et
la précision de l’authenticité.
En cela, j’espère prolonger l’élan donné par trois ouvrages
récents qui m’ont semblé à la fois complémentaires et incon-
tournables. Il y a d’abord eu le livre de mon ami et profes-
seur d’université Laurent Lescouarch, Construire des situations
pour apprendre3, dont la lecture m’a conforté dans mes idées
et réconforté dans mes choix pédagogiques, tout en me pous-
sant à aller encore plus loin dans l’inventivité et l’organisa-
tion de ma classe. Puis ce fut La Riposte4 de Philippe Meirieu
qui faisait suite à Pédagogie : le devoir de résister5, puissant
rappel à nos obligations morales ! C’était comme un gong
qui ramène à la réalité du combat le boxeur avachi dans son
coin sur un tabouret. Enfin, en cette rentrée 2019, est venu le
temps d’un autre livre de mon propre correspondant scolaire,
Cédric Forcadel, dont le Dessine-moi une école où il fait bon
vivre6 nous fait partager avec humour et conviction son quo-
tidien et ses observations sur l’école.
Qu’avais-je à ajouter après avoir lu ces trois-là ? Rien, me
disais-je, à moins d’assombrir terriblement les perspectives
3. Lescouarch Laurent, Construire des situations pour apprendre. Vers une pédagogie de l’étayage,
ESF Sciences humaines, 2018.
4. Meirieu Philippe, La Riposte, Éditions Autrement, 2018.
5. Meirieu Philippe, Pédagogie : le devoir de résister, ESF Sciences humaines, 2017.
6. Forcadel Cédric, Dessine-moi une école où il fait bon vivre, Vuibert, 2019.
10
qu’ils nous offraient. Car, depuis quelque temps déjà, sem-
blaient se succéder dans mon travail anecdotes et péripéties
d’où étaient rarement absentes absurdités et aberrations. Je
trouvais de plus en plus grotesques et ubuesques les injonc-
tions officielles, les revirements successifs, les obsessions pape-
rassières. Mais je sentais tout de même que mes sarcasmes
passagers cachaient mal de plus profondes inquiétudes.
13
Exemplarité : un exemple ?
La loi pour l’école de la confiance du 28 juillet 2019, dont
le texte initial avait été jugé « inégal », « précipité » et « peu
abouti » par le Sénat, fait référence, dans son premier article,
à l’exemplarité des enseignants pour conforter leur autorité
dans la classe, mais aussi contribuer au lien de confiance qui
doit unir l’enfant, sa famille et le service public d’éducation.
Vue de loin, cette référence à l’exemplarité semble plutôt vague
et quelconque. Mais, à y regarder de plus près, elle apparaît
claire et menaçante. Où s’arrête l’exemplarité ? Qui décide ?
Au nom de quoi ? Avec quelles sanctions ? L’exemplarité se
limite-t-elle à l’obéissance ?
Je repense souvent à cette anecdote vécue et rapportée
par Jorge Semprún lors de son retour de déportation de
Buchenwald. Il arriva au centre de rapatriement de Longuyon
pour y subir tests médicaux et formalités administratives. La
jeune fonctionnaire affectée au remplissage des fiches d’in-
formation doit alors lui fournir une partie de sa prime de
rapatriement, soit mille francs, et des cigarettes, huit paquets
de Gauloises. Soudain, elle se rétracte et reprend tout en
constatant que Semprún a beau avoir été résistant, il n’est
pas Français, mais Espagnol. Ce n’est pas prévu par la circu-
laire qu’elle applique à la lettre. Face aux protestations d’un
camarade de Semprún, un responsable du centre intervient
et, après réflexion, l’invite à conserver les cigarettes puisque,
dit-il, « l’esprit de cette circulaire vous y autorise ». Je laisse cha-
cun juger l’attitude des différents personnages de cette affaire,
mais elle illustre parfaitement la difficulté de croire que tout
est dit une fois qu’on a parlé d’exemplarité. Est-elle dans la
méticulosité de la secrétaire ou bien le pragmatisme du chef
de service ? Dans le calme admirable de la victime ou dans
l’obstination courageuse du camarade ?
Licence eden-1931-UWB9oYaA6R2BZf9K-L7m8w2gxC7zAo29a accordée le
05 mai 2020 à Raphael Laiginhas
15
Bien entendu, il est important d’être exemplaire, surtout
dans mon métier, mais aussi pour toute autre responsabilité
publique. Nous l’avons d’ailleurs vu avec ce gouvernement
dont plusieurs ministres, en très peu de temps, ont déjà dû
démissionner faute d’avoir été jugés – à tort ou à raison – suf-
fisamment exemplaires : François de Rugy, François Bayrou,
Françoise Nyssen, Laura Flessel, Marielle de Sarnez,
Sylvie Goulard ou encore Richard Ferrand. Ce dernier nous
prouve, en étant devenu, depuis, président de l’Assemblée
nationale, combien la notion est relative et adaptable aux cir-
constances. Étaient-ils suffisamment exemplaires tous ceux
qui ont également dû démissionner, parfois peu de temps après
leur entrée en fonction : Stéphane Travert, Gérard Collomb,
Jacques Mézard, Delphine Gény-Stephann ? Ce manque-
ment à l’exemplarité a même touché un proche du pré-
sident de la République, comme on a pu le voir avec le cas
d’Alexandre Benalla, affaire d’État plutôt qu’affaire d’été. Et
puis, je n’oublie pas que dans notre pays, à ce jour, c’est Jacques
Servier qui a reçu la Légion d’honneur, pas Irène Frachon…
Mais gardons le meilleur pour la fin avec la démission rocam-
bolesque de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire aux
retraites, qui a dû quitter le gouvernement le 16 décembre
2019 après s’être mis en infraction en omettant de déclarer à
la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique au
moins dix mandats, dont certains octroyant une rémunéra-
tion incompatible avec ses fonctions publiques. Qu’on songe
que, pour présider un think tank inconnu consacré à l’éduca-
tion, il percevait chaque mois 5 300 € ! Soit l’équivalent du
salaire mensuel de trois professeurs des écoles trentenaires !
Sans doute le traitement mérité pour avoir l’audace de réflé-
chir à l’évolution du système scolaire avec le MEDEF (dont
le slogan, il y a peu, était « Si l’école faisait son travail, j’aurais
du travail »), Danone et autres membres de business schools !
Mais pour lui aussi, par ici la sortie.
16
Bref, le plus gros problème de l’exemplarité…
c’est de trouver des exemples !
17
Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! est disponible à la vente dans toutes les librairies et sur
notre site, en version papier et numérique.