Kenneth Branagh, réalisateur et interprète de "Hamlet"

I@MŒ§ii Son but: débarrasser le héros de Shakespeare de l'image de

psychopathe qui lui colle à la peau , le rendre "le plus humain possible".

"De nos jours, Hamlet

dirigerait l'ONU"
'étai t devenu obsessio nn el. Kenneth Un Hamlet humain. « Il n'est pas plus mélan-

C Branagh ne vivait que pour cette ver-

sion intégrale de Ham let, sans cesse
repoussée. 11 y a deux ans, en guise de
répétition , il tourne 1' histoire d' un comédien qui
lente de monter la pièce (A u beau milieu de l'hi-
ver). Et puis, soudain, son rêve se réalise. Branagh
tourne enfin la pièce de sa vie, avec une distri-
bution brillante. Dont Derek Jacobi clans le rôle
de Claudius. Un hommage : « Derek Jacobi est le
prem ier Ham let que j'ai vu sur scène. Et je n' a i
jama is oublié son lyri sme et sa finesse.»
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colique et renfermé qu ' Ophélie n' est fragi le. Il s
s' aiment, et je le montre. Elle, elle connaît sa pre-
mière passion charnelle. Lui , parce qu ' il vient de
perdre un être cher, ressent le beso in d ' une rela-
tion phys ique intense pour conjurer la mort et
affirmer le pouvoir de la vie.
Je ne voulais pas montrer la Cour com me un
ramassis de maniaco-dépressifs . Avant le meur-
tre, ces gens vivaient heureux. De quoi souffre
Hamlet, au départ ? D ' imaginer sa mère dans
les bras d ' un autre hom me que son père, ce
Kenneth Branagh. .,..... qui a rri ve à bea ucoup de fils. Et qu 'e lle ai t
" Shakespeare tend attend u si peu de temps pour e remarie r. " Un
des pièges que l'on met mois, murmure-t-il , rie n qu ' un mois!"' C'est ça
du temps à résoudre. " qui lui paraît insupportable .. .
Après la révélation du meurtre, Ham let devient
une bombe à retardement. Si vous suivez le texte,
vo us remarque rez que les a utres protagonistes
parlent de lui comme d'un homme popul aire. Un
leade r politique. S ' il vivait de nos jours, je le ver-
rais bie n secrétaire général des Nations uni es .
Ou spéc ialisé da ns 1' humanitaire.
Ce qui est formidable avec cette pièce, c'est
qu ' e ll e n ' es t jamais abîmée par les idées des
mette urs en scène, même les mi e nnes ! Shakes-
peare résiste à tout. J'ai v u des Hamle t inces -
tueux ou gays, et d'au tres vivant sur la Lune, dans
un c irque o u dans un asile psychiatrique . M oi,
je le vo ul a is le plus humai n poss ible . Pé tri de
contradictions- héroïque et lâc he, cruel et drô le-
qu ' il me paraissait illusoire de vouloir expliquer. »

Claudius assassin. « Claudius n' est pas le gros

brutal aviné que 1' on montre parfois. Derek Jacobi
1' interprète avec un channe incomparable. Moi, il
me semble qu ' il a tué son frère par pure pass ion:
il adore Gertrude, sa belle-sœur, il ne pe ut respi-
rer sans e lle. Et pui s, tandis que 1'action progres-
se, il se déprend de Ge rtrude et s ' é pre nd du pou-
voir. Dès que cette pass ion-là l'emporte, Claudius
n 'est plus q u' un surv ivant en attente de sa mort. »

Le fantôme de papa. « Si j ' ai bie n compri s,

vous n 'aimez pas du tout mon fa ntô me ! C'est
une co nve ntion du th éâtre é li sabéthain . Alors ,
comme nt représenter cett e convention ? Zeffi-
relli a fait du fa ntôme un homme comme un au-
tre ; dans la vers ion de Nicol Williamson, c ' était
une lumiè re, et, chez La urence Olivier. la vision
flou e d ' un e armure. Moi . j'a i misé s ur l' effro i,
au risque de sombrer dans le kitsch. Je ne c herche
pas d ' exc uses : je maintie ns que ma so lutio n était
bonne. Avec un pe u plus de tem ps e t d ' argent ,
j'aurais sans do ute mieux ré uss i.
Mais , vo us savez, Shakespeare te nd des pièges
que 1'on met du temps à résoudre. Ainsi , j'aime-
rais, dans quelques années, to urn er Ma cbeth . Ça
fait lo ngtemps que je rumine le projet. Comment
filmer des sorc ières à la fin du xx·
siècle sans
fa ire so urire? Pui sq ue l 'act io n se dé ro ul e en
Ecosse, fa ut-il ou non garder les kilts? Ça a l' air
idiot. N ' e mpêche qu e ça bouillonne dans ma tê-
te comme dans le c haudron des sorcières ! »

Les décors jouent. « C ' est la visite de la gale-

rie des Glaces de Versailles qui rn 'a donné 1' idée
des m iroirs de la gra nde sa lle de mon pal ais. Ils
suggèrent la vanité de ceux q ui y vivent et le ur
paranoïa : chac un s ' y sent é pié . Parfois, ils sont
se ul s , se re to urn e nt brusquement, e t c ' es t leur
refl et qui les o bserve. Les yeux du monde sont
sur ces gens. Il s so nt co nstamment e n représen-
tati o n. Voi là pourquoi j'a i c hoisi de transposer
la pi èce a u XIX• s ièc le. De grandes fami ll es
régnaient alors s ur 1' Europe . Des lie ns secre ts
se tissaient, dissimulés so us le luxe flamboyant
des décors. » .,.....

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(/) ...,.... Question de rythme. « Dans Frankensrein,
Q) j' avais utilisé la Steadyca m (1 ). Dans Au beau
c milieu de l' hi ve 1~ les pl ans étaient fixes, et c 'est
c le montage qui donnait une impression de rapi-
ca dité. Ici, la caméra bouge beaucoup, mais sans
(.) excès : je voulais un film épique mais grave. Le
but, c 'était de fa ire participer le public : ça reste
mon so uci constant. Sans miser forcément sur la
rapidité. Le danger de ce genre de fi lms, c'est
de se laisser dévorer par la reconstitution. De se
borner à une illu stration pesante et sage. J' ai
essayé d'év iter le musée. »
La scène la plus difficile. « Le duel fin al. On
a tourné avec Robin Williams en décembre; avec
Derek Jacobi en février ; avec Rufus Sewell en
mars ; avec Richard Attenborough en avril ! Pen-
dant des mois, j'ai eu en tête le moindre geste
des acteurs, chaque angle de prise de vues . Et il
me fallait préserver le rythme. Pas év ident... »
La version courte. « Les pressions étaient for-
tes . Des expl oitants américains ont dit : "On veut
projeter Ham/er., mai s pas s' il fait quatre heures."
J' avais beau leur parler d'Autal1f en emporte le vent
ou du Docteur Ji vago, rien à fa ire. D' autres ex-
ploitants se sont énervés : "Qui va décider si notre
petite ville est suffisamment intelligente ou non
pour mérite"r la version de quatre heures?" J' avais
seize millions de dollars, il rn 'en manquait enco-
re deux pour boucler le budget. Je les ai obtenus
en acceptant de monter une version courte. Tout
en espérant et priant qu 'elle ne vo ie j amais le
jour. » • Propos recueillis par Pierre Murat
(1) Système adapté à la ca méra qui préserve la fl uidité des mou-
vements quels que soient les dé placements de l'opérateur.