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Droit des instruments de paiement et de crédit

N. Gharbi

Chapitre 2 – Le cheque émis sans provision et les


incidents de payement
Les incidents de paiement en matière de cheque sont nombreux .En cas de
perte ou de vol, le tireur peut s’opposer au paiement du cheque (section2).
Mais l’insécurité tient avant tout à l’émission de cheque sans provision
(section1).

Section 1- L’émission de cheque sans provision


La provision n’est pas une condition de validité du chèque .Le défaut de
provision n’entraine pas la nullité du titre mais entraine des conséquences sur
le plan civil et pénal. L’art.411 cc sanctionne celui qui a émis un cheque sans
provision préalable et disponible ou avec une provision inferieure au montant
du cheque.

§1 – La notion de provision
Le cheque est par nature un instrument de paiement payable à vue, le porteur
peut le présenter tout de suite après l’avoir reçu, au payement .De ce fait, la
provision du cheque doit exister à la date de création du titre. L’article 348 cc
stipule dans ce sens que «  le cheque ne peut être tiré que sur un banquier
ayant au moment de la création du titre des fonds à la disposition du tireur»..Il
s’agit d’une différence essentielle avec la lettre de change pour laquelle la
provision peut simplement exister le jour de l’échéance.

La provision correspond à la créance de somme d’argent, détenue par le tireur


à l’encontre du tiré .Cette créance peut avoir diverses origines mais devra
dans tous les cas, revêtir certains caractères pour valoir provision.

par.1 – L’origine de la provision :

L’art.348 cc évoque : l’existence de fonds chez le banquier à la disposition du


tireur au moment de la création du titre et conformément à une convention
expresse ou tacite d’après laquelle le tireur a le droit de disposer de ces fonds
par cheque.
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Les fonds visés à l’article 348 peuvent être mis à la disposition du tireur, soit en
vertu d’un contrat de dépôt, soit en vertu d’une convention de crédit.

1 –La provision constituée par un dépôt de fonds : le seul dépôt de fonds ne


confère pas nécessairement au déposant le droit d’émettre des chèques. Les
fonds peuvent être déposés dans un compte bloqué qui exclut toute possibilité
pour le déposant d’en disposer par chèques .Par ailleurs, la délivrance des
formules de chèques au déposant n’est pas obligatoire pour le banquier qui
peut assurer un service de caisse réduit.

2- La provision constituée par une ouverture de crédit :

L’ouverture de crédit est un contrat par lequel le banquier met à la disposition


de son client des fonds qui peuvent être utilisées par ce dernier d’une manière
continue (art.705cc).La convention d’ouverture de crédit peut prévoir
différentes modalités de mise à disposition des fonds, telles que l’escompte, la
convention de découvert, etc. L’ouverture de crédit doit se différer d’autres
opérations de crédit à court terme, telles que les facilités de caisse. Mais ces
deux opérations créent des obligations similaires à la charge du banquier en
matière de cheque.

a – La convention de découvert : c’est une autorisation, accordée par le


banquier à son client, lui permettant d’effectuer des payements alors que son
compte n’est pas suffisamment créditeur (art.705 cc).
Une circulaire de la banque centrale du 6 janvier 1978 exige un écrit pour informer les bénéficiaires
de l’ouverture de crédit par découvert. Cette circulaire réglemente minutieusement le contenu de
l’écrit qui doit préciser toutes les conditions d’utilisation du crédit, notamment son montant, sa
durée si elle n’est pas illimitée, et les conditions de son renouvellement.

La révocation de la convention de découvert doit être notifiée par lettre


recommandée et respecter un préavis de huit jours et toute stipulation
contraire est réputée non écrite (art. 705 cc) .Le banquier serait responsable
envers le client victime de la rupture s’il rompt le crédit accordé (notamment à
durée indéterminée) avant d’informer son client dans les délais prévus par
l’art.705.

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L’écrit joue un rôle important dans la preuve du crédit et dans la justification
de la rupture du crédit alloué par la banque.

La révocation ne peut porter atteinte aux droits du bénéficiaire du cheque qui a


été émis avant celle-ci, même si le cheque est présenté postérieurement à la
révocation de l’ouverture de crédit.

b –Les facilités de caisse : La provision peut résulter de facilités de caisse


lorsque le banquier a toléré des chèques excédant la provision disponible et
les a payés.

Les facilités de caisse naissent souvent, de la seule initiative du banquier sans


l’existence d’une convention ou même d’une demande antérieure du client.
C’est une déclaration unilatérale de volonté de la part de la banque qui vient
d’une manière spontanée secourir le client bénéficiaire. Contrairement à la
convention de découvert qui est un contrat fondé sur l’échange de
consentements et des discussions préalables, la facilité de caisse est un élan de
solidarité du banquier qui paye les chèques émis par son client, des lettres de
change tirées sur son client…
(Remarque : la circulaire en date du 6 janvier 1978, de la banque centrale de Tunisie enjoint aux
banques de constater par écrit même les facilités de caisse consenties dans le cadre d’un compte
courant).

Selon la cour de cassation (arrêt n° 69003 du 8 mai 2012) la facilité de caisse


est simplement occasionnelle, cependant, les facilités de caisse répétées
peuvent être considérées comme une ouverture de crédit tacite .elles ne
peuvent alors être révoquées par le banquier d’une manière intempestive 
=unilatérale, sans préavis tel que le prévoit l’art.706 cc).

En d’autres termes, la répétition, fait naitre à la charge du banquier une


obligation de maintien des facilités même en l’absence d’un accord exprès.
Cette habitude prouve l’existence d’un accord tacite entre les parties en
cause. En revanche, la facilité de caisse consentie de manière exceptionnelle
constitue une simple tolérance qui ne crée, au profit du client, aucun droit à
son renouvellement.

Ainsi, le banquier qui aurait consenti des facilités de caisse de manière


habituelle et répétée, ne peut refuser le paiement des cheque émis sur lui par
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son client qu’après un préavis de rupture. La révocation n’opère en outre que
pour l’avenir, et ne peut donc remettre en cause les droits acquis par le
bénéficiaire d’un cheque émis avant la notification de la rupture des facilités de
caisse.

Le législateur a prévu une responsabilité pénale particulière à la charge du


banquier qui selon l’art.411 cc  peut être condamné à payer une amende dont
le montant est équivalent à 40% du montant du cheque ou du reliquat de la
provision sans qu’elle puisse excéder 3000d s’il refuse le payement d’un
cheque émis par le tireur ayant compté sur :

-un crédit qui lui a été ouvert par cet établissement bancaire qui ne l’a
pas révoqué d’une manière légale.

-ou des facilités de caisse que cet établissement bancaire a pris


l’habitude de lui consentir pour des montants dont la moyenne est au moins
égale au montant du cheque …et sans qu’il ne rapporte la preuve de la
notification du tireur de la révocation des dites facilités ».

Par.2- Les caractères de la provision

La provision doit être préalable, disponible et elle doit être égale au montant
du cheque.

1- le caractère préalable de la provision : la provision doit exister au jour


de la création du cheque c'est-à-dire avant la remise au bénéficiaire (art.348
cc). Le tireur du cheque perd à compter de la création du cheque tout droit
sur la provision (art.411 al.2 cc art.363 cc).

2- la provision doit être disponible 

Si le compte est bloqué jusqu'à un terme déterminé cela rend la provision


indisponible.

3-La provision doit être suffisante

Suffisante : c’est-à-dire d’un montant au moins égal à celui des cheque émis.

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§2- Effets de l’émission sans provision :

Par 1 -Sanctions de l’émission sans provision


Les incidents de payements liés à l’absence de provisions sont nombreux .Ils
donnent lieux à diverses sanctions.

I- Procédures préalables :

*Selon l’art.410 ter cc, l’établissement de crédit (le tiré) qui refuse le paiement
d’un cheque ,en tout ou en partie, pour défaut ,insuffisance ou indisponibilité
de la provision doit immédiatement porter au verso du cheque la date de
présentation ,payer au porteur ce qui reste de la provision .Le banquier doit ,
le jour même, inviter le tireur, par tout moyen laissant trace écrite, à
approvisionner son compte ou à rendre la provision disponible dans un délai
ne dépassant pas 3 jours ouvrables dans les banques à compter de la date du
refus de paiement.

Le tireur peut pendant cette période reconstituer la provision sans frais sans
pénalité et sans que l’incident ne soit porté à la connaissance de la banque
centrale.

*Si le tireur ne régularise pas son compte dans ce délai, la banque établit un
certificat de non paiement dans le jour ouvrable qui suit le 1er délai .Cet incident de
paiement doit être obligatoirement signalé à la banque centrale de Tunisie par
la banque tiré qui établi le certificat de non paiement afin qu’il soit enregistré.
Une copie du certificat doit être conservée au profit du ministère public, une
autre, doit être adressée au porteur avec l’original du cheque.

Ensuite, le banquier remet un avis de non paiement comportant la


transcription du certificat de non paiement à un huissier de justice, qui doit le
notifier au tireur, cet avis contient :

- l’injonction de procéder à une régularisation dans le délai de 4 jours


ouvrables à compter de la date de notification de l’avis au tireur -si son domicile
est en Tunisie et dans les dix jours à compter de l’expédition de l’avis si le domicile se

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trouve hors du territoire tunisien -faute de quoi il ferait l’objet de poursuites
judiciaires .

-cet avis contient aussi l’injonction de restituer les formules de chèques


et de s’abstenir d’utiliser les formules de chèques (autres que celles qui sont
utilisées pour un retrait direct ou pour un retrait à provision certifiée. cette
interdiction est provisoire) ainsi que l’obligation de les restituer (art.410 ter.).

Si la banque n’établit pas un certificat de non paiement du cheque ou qu’elle


n’adresse pas l’avis au tireur, le porteur du cheque peut dresser un protêt pour
défaut de paiement au domicile de l’établissement bancaire. L’huissier notaire
se change d’adresser un avis au tireur pour provisionner son compte.

Ainsi, le tireur peut régulariser sa situation, en payant :

- le montant du cheque

-et les frais de notification.

*Malgré l’expiration de ce dernier délai, le tireur qui ne procède pas à la


régularisation de sa situation, conserve encore, selon l’article 412 cc, une
possibilité de régulariser sa situation durant les trois mois qui suivent le délai
d’expiration de la régularisation, à condition de payer :

-le montant du cheque ou du reliquat de la provision

- une amende au profit de l’état égale à dix pour cent du montant total
du cheque ou du reliquat de la provision.

-et un intérêt au bénéficiaire, égal à un taux de dix pour cent pour


chaque jour de retard à compter de l’établissement du certificat de non
paiement.

-le montant de dépenses avancées par l’établissement bancaire.

*Cependant, à défaut de régularisation dans les délais cités ci-dessus,


l’établissement bancaire tiré doit adresser au ministère public auprès du
tribunal de 1ere instance du lieu de son siège, un dossier comportant un
exemplaire du certificat de non paiement, et de la notification de payer
adressée au tireur.

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Conformément à l’art.412 quater cc, une régularisation tardive est possible,
même au cours des poursuites, mais avant qu’un jugement définitif ne soit
rendu, avec payement :

-du même taux d’intérêt (10%)

-et d’une amende égale à 20% du montant total du cheque ou du


reliquat de la provision

-et la restitution des dépens.

NB :
-L’incident de paiement résultant de l’émission d’un chèque sans provision
peut être régularisé .La régularisation consiste à régler le montant du cheque
impayé ou à constituer une provision suffisante pour permettre le paiement.
Cependant, la dite régularisation peut être conditionnée par le payement par
le tireur, de l’intérêt prévu au profit du bénéficiaire et d’une amende dont la
valeur varie en fonction du moment où la régularisation a eu lieu, en plus de la
restitution des dépenses occasionnées par la procédure

-Avant d’engager les poursuites, le tireur doit être mis en mesure de


régulariser sa situation, conformément à la loi et dans les délais qu’elle prévoit
sinon la poursuite engagée contre lui serait nulle et cette nullité pourrait
même être soulevée d’office par la cour de cassation. En effet, la dénonciation
par le banquier des incidents de paiement n’est pas systématique, elle est
précédée par une obligation d’information du tireur.

II – Les différentes sanctions

A – Sanctions pénales : selon l’art.411 cc « est puni d’un emprisonnement


pour une durée de cinq ans et d’une amende égale à 40% du montant du
cheque ou du reliquat de la provision à condition qu’elle ne soit pas inferieure à
20% du montant du cheque ou du reliquat de la provision : celui qui a …émis un
cheque sans provision préalable et disponible ou dont la provision est
inferieure au montant du cheque ».

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Dans le but d’alléger le contentieux en cette matière le délit d’émission de
cheque sans provision a été supprimé pour les chèques d’un montant égal ou
inferieur à 20d, puisque ces chèques seront de toute façon payés par les
banques qu’il y ait ou non provision déposées chez elle.

B – L’interdiction bancaire :

Le condamné subit obligatoirement l’interdiction d’utiliser les formules de


chèques, et ce durant une période de deux ans au moins et de cinq ans au plus
à compter de la purgation de la peine.

Celui qui émet un cheque avant l’expiration du délai d’interdiction d’usage de


cheque est punie d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 500d.

Par ailleurs tout établissement bancaire doit payer jusqu'à concurrence de


5000 d, en cas de cheque tiré sur lui au moyen de formules remises au tireur
après l’interdiction d’utiliser des formules de cheque (art.412 bis).

Par.2– les recours du tiré :

En cas de payement d’un cheque émis sans provision par le tireur, le tiré
dispose d’un recours contre le tireur en vertu de l’art.374 cc qui stipule

« Par ce payement, l’établissement bancaire se substitue légalement


au bénéficiaire, dans toutes les actions et droits à l’encontre du tireur
du cheque dans les limites de ce qu’il a payé .il peut récupérer le
montant qu’il a avancé par le retrait direct du cheque ».

L’art.374 cc impose au banquier de payer le cheque établi sur une formule


délivrée par lui, alors que la provision serait absente ou insuffisante ou
indisponible, lorsque le montant du cheque est inferieur ou égal à 20d.Ces
chèques ne peuvent ainsi jamais être considérés comme émis sans provision.
Le banquier qui a payé est subrogé dans les droits du porteur à concurrence de a somme qu’il a payé.
Pour recouvrer le montant de sa créance, il peut soit prélever d’office la somme correspondante sur
le compte de son client, soit mettre ce dernier en demeure de la lui payer.

Par.3 –Les recours du porteur


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Pour exercer ses recours cambiaire :

- le porteur doit présenter le cheque au paiement dans les délais de


présentation (art.372 cc « Le cheque émis et payable en Tunisie doit être
présenté au paiement dans le délai de 8 jours .Ce délai est porté à soixante
jours si le cheque est émis hors du territoire Tunisien » .

-Il doit aussi faire constater le défaut de paiement.

Section 2 – L’opposition au paiement du cheque :


L’opposition est l’interdiction faite au tiré par le tireur de payer le cheque qui
lui sera présenté au paiement jusqu'à ce que cette opposition soit levée.
L’opposition est exceptionnelle (§1) .Elle remet en cause deux principes
majeurs du droit du cheque :- le transfert de la provision dés l’émission

-et le caractère irrévocable du mandat de payer


donné au tiré (§2).

§1 – Les conditions de l’opposition :

Ces conditions concernent :

- les causes d’opposition au paiement d’un cheque

-la forme de l’opposition

Par 1- Les cas d’opposition légitime :

L’art.374 cc énumère les cas dans lesquels le tireur est autorisé à former
opposition au paiement d’un cheque :

-la perte du cheque

-le vol

-la faillite du porteur.

Cette énumération est limitative. Il appartient au tireur de prouver le juste


motif de son opposition.

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L’art. 411 cc sanctionne de 5 ans de prison et d’une amende allant jusqu'à 40%
du montant du cheque, celui qui, en dehors des cas prévus à l’art.374 fait
défense au tiré de payer.

Par.2 – La forme de l’opposition :

L’opposition doit être formulée par écrit, quelque soit le support de cet écrit
art 374 cc. La forme d’opposition la plus courante est celle de la lettre
recommandée avec accusé de réception.

§2 – Les effets de l’opposition :

Par .1- Le blocage de la provision : 

Dés la réception de l’opposition, le banquier tiré doit bloquer la provision


correspondant au montant du cheque pour lequel l’opposition a été faite. Ce
blocage prend effet, pour tous les guichets de la banque au moment même où
l’opposition est reçue et dure jusqu'à la main levée de celle-ci.

Par.2-la mainlevée de l’opposition :

L’action en mainlevée d’une opposition illégale appartient au seul porteur. Le


prononcé de la mainlevée est de la compétence du juge. Si l’opposition est
formée en dehors des cas prévus par la loi le juge doit prononcer la mainlevée
(=le juge annule l’opposition).

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