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BANCARISATION SANS FRONTIÈRE : QUAND LE DROIT SE MET AU

SERVICE DE L’INNOVATION

Laurent Lhériau

Épargne sans frontière | « Techniques Financières et Développement »

2015/4 n° 121 | pages 79 à 90


ISSN 1250-4165
DOI 10.3917/tfd.121.0079
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-techniques-financieres-et-
developpement-2015-4-page-79.htm
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Financement
Systèmes financiers
des PMEet bancaires
BANCARISATION SANS FRONTIÈRE : QUAND LE
DROIT SE MET AU SERVICE DE L’INNOVATION

Laurent Lhériau, Docteur en Droit

L’innovation financière conduit, sur le temps long, les régulateurs à ajuster


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leurs dispositifs législatifs et de supervision. En matière d’inclusion financière,
deux tendances structurelles sont à l’œuvre : la globalisation des institutions
financières dans le cadre de groupes implantés dans plusieurs pays et la mon-
tée en puissance de la téléphonie mobile comme outil de bancarisation, avec
un leadership des opérateurs télécom.
Le droit s’adapte progressivement aux nouveaux acteurs et comportements
lorsqu’ils sont jugés vertueux. On voit ainsi en France une légalisation enca-
drée des produits de bibancarisation offerts aux migrants des premières et deu-
xièmes générations, par des établissements de crédit des pays d’origine. Dans
l’UEMOA, le droit encadrant la monnaie électronique et ses acteurs, vieux de
neuf ans, a été profondément rénové en 2015.
Ces processus sont toutefois partiels et les évolutions devront continuer dans
les années à venir pour sécuriser les évolutions du secteur.

Introduction : vers la bancarisation globale ?


L’évolution, sur trente années, des problématiques d’inclusion financière et de
réglementation fait apparaitre trois périodes d’innovation financière suivies de réac-
tion des superviseurs. Ces périodes ne sont pas intervenues en même temps dans
les diverses régions du monde et ne sont pas toujours successives, mais peuvent être
résumées comme suit.
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La révolution du microcrédit moderne est intervenue, dans les années 1980 voire
dès la fin des années 19701. Bien que bénéficiant le plus souvent d’un accord gou-
vernemental pour exercer, elle était le plus souvent hors réglementation et hors
supervision. On était à la génération « 0.0 » réglementaire.
Une première réglementation « 1.0 » des mutualistes – pas forcément axée sur la
solvabilité, ni supervisée par un superviseur indépendant selon les 29 critères de
Bâle pour un contrôle bancaire efficace... mais établissant certaines règles de gou-
vernance mutualiste, de transparence financière et de supervision.
Le plus souvent avec un décalage de quelques années, est apparue une génération
« 2.0 » des réglementations prudentielles pour les sociétés anonymes de microfi-
nance habilitées à collecter l’épargne du public, assez proche des standards de Bâle I.
Une génération de normes « 3.0 » a émergé à partir des années 2000, avec des com-
pléments dans deux axes : d’une part, la protection des clients et, plus largement,
le comportement sur le marché, soit des thématiques non prudentielles (LBC-FT2,
concurrence, ...) ; d’autre part, des compléments à la réglementation prudentielle,
essentiellement sur les modes opératoires et les nouveaux outils monétiques, pour
rendre possible la banque à distance et la banque mobile, les apports législatifs prin-
cipaux se sont articulés autour du concept alors innovant de monnaie électronique,
et d’agents de détail non salarié.
Parallèlement, l’on a vu apparaitre un certain décloisonnement des interventions des
acteurs, ce qui a accru l’inclusion des institutions de microfinance (IMF) dans le pay-
sage financier global : par des liens capitalistiques entre les secteurs bancaires et micro-
finance, et depuis peu avec les opérateurs de télécommunication mobile (OTM) ; par
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un élargissement de la gamme des produits et une diversification des clientèles.
La terminologie utilisée pour décrire les phénomènes financiers à l’œuvre évolue
de plus en plus vers la finance inclusive et la bancarisation de masse. De plus en
plus internationale et technologique, elle est le point de convergence de la « banque
classique » et de la microfinance. Ces tendances structurelles du paysage financier
et du marché peuvent être résumées en quatre idées-forces3 :
• Globalisation des acteurs, à savoir des prestataires de services financiers et des opé-
rateurs télécoms (OTM), mais aussi de la supervision avec le renforcement des
dynamiques entre superviseurs (échanges d’information, supervisions coordon-
nées), et des financeurs.
• Globalisation partielle de la clientèle dans le cadre de processus de bibancarisation ;
certes, cette clientèle est numériquement peu importante (en pourcentage de la
population), mais ses flux irriguent l’économie (les flux des transferts d’argent des
migrants sont supérieurs à l’aide publique au développement/APD) et représen-
tent parfois 30 à 40 % de la liquidité d’institutions financières de détail dans les
pays récipiendaires des transferts.

1 Avec notamment quelques « pères fondateurs », dont le Professeur Muhammad Yunus, qui ont posé le postulat de la primauté du crédit sur
l’épargne dans une logique (micro)entrepreneuriale.
2 Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme.
3 On note aussi un impact croissant de la « désintermédiation bancaire » via le « peer-to-peer lending » appliqué au micro financement de
projets et de TPE.

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Financement des PME
• Numérisation de la relation aux clients, y compris en banque de détail... la micro-
finance n’étant plus qu’un compartiment de cette banque de détail de masse,
caractérisée essentiellement par la spécificité de la gestion de son crédit à des non
salariés. Ceci se voit non seulement dans les pays développés, où les réseaux ban-
caires traditionnels allègent leur empreinte physique au sol au profit de relations
à distance4, mais aussi dans les pays en développement avec la banque mobile et
plus largement les schémas de banque à distance.
• Diversification des canaux de distribution entre acteurs et parfois pour un même
acteur, avec le maintien de réseaux d’agences « classiques » restructurés, le déve-
loppement des points de service « commerçant » agréés, le traitement à distance
et les services de paiement et de transfert « entre pairs ».
Plus que jamais, la « finance décentralisée5 » porte bien son nom... mais elle n’a plus
le monopole de cette décentralisation. Ainsi, la tendance structurelle du secteur
devrait entrainer dans la décennie à venir plusieurs phénomènes. Il y aura d’abord
un basculement de la banque de détail et de la microfinance vers l’ère du numérique
en réseaux ; ceci offrira un rôle accru voire central aux multinationales de la
téléphonie mobile et à leurs filiales bancaires, même si l’apport des technologies ne
concernera pas tous les produits6.Ensuite, un probable déplacement des volumes
d’épargne s’effectuera vers les institutions offrant un service d’épargne connecté7
et de qualité, au détriment de celles se limitant à des réseaux d’agences tradition-
nelles ; les « perdants » verront le passif de leur bilan sérieusement fragilisé et à
terme un effritement de leur clientèle. Et en conséquence, une recomposition se
produira sous la contrainte du paysage financier, banques de détail et IMF (mutua-
listes et non mutualistes) inclus8. Au-delà des prises de participations, partenariats
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et fusions, il est probable que des institutions au mode opératoire devenu obsolète
disparaitront, ce qui pourra conduire à des crises locales si de l’épargne publique
est en jeu.
Cet article, qui intègre et discute les dernières avancées législatives et réglementaires
en France et dans l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), se veut en grande
partie prospectif. Il aborde l’impact des réformes en cours (pour les relativiser en
partie), et le chemin restant à parcourir à la fois pour les acteurs existants, les acteurs
entrants et les autorités de régulation pour arriver à cette bancarisation sans fron-
tière qui se met en place, souvent dans la douleur (avec des faillites bancaires et
d’IMF)... et l’enthousiasme.

4 Par des services de banque à distance additionnels (remplaçant en partie les rencontres physiques en agence de clients existants) ou
transformationnelle (par la création de filiales bancaires 100 % à distance, privilégiant les relations par internet, carte bancaire et téléphonie
mobile et centres de traitement pour les quelques documents restant sur support papier).
5 Selon une terminologie couramment utilisée dans les pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine, à savoir les « systèmes financiers
décentralisés ».
6 En particulier, la relation au client devrait rester centrale dans le microcrédit, même si des systèmes de credit scoring sont expérimentés par
certaines IMF, en utilisant l’historique des remboursements.
7 La connexion peut se comprendre de trois manières (cumulatives) : connexion du compte de dépôt à la téléphonie mobile ; connexion aux
systèmes de paiement internationaux, pour les transferts d’argent (notamment pour les travailleurs migrants) ; connexion à d’autres institutions
financières pour l’offre de paquets bancaires (épargne, crédit, virements, garanties, ...) dans le cadre de la bibancarisation.
8 Voir notamment LHERIAU L. (2015), « Impact de la banque mobile en finance inclusive et systèmes de régulation : Quelles perspectives sur
les 10 années à venir ? », Revue Passerelles n°02, octobre 2015, http://www.ada-microfinance.org/fr/mediatheque?media=110

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Ajustement du droit français de la bibancarisation
Contexte juridico-commercial
L’évolution du droit français constitue un ajustement à des pratiques constatées en
France depuis des années, de la part d’institutions bancaires et de microfinance de
pays en développement (PED). Afin de mieux contrôler l’amont du corridor des
transferts, voire procéder à une véritable bibancarisation de populations qualifiées
de « migrants » de première ou de deuxième génération, de nombreuses institutions
financières ont développé des stratégies d’implantation en Europe. Ceci peut aller :
d’une simple « mission commerciale » envoyée par une IMF d’un PED dans un ou
plusieurs pays européens, pour réaliser des opérations de prospection commerciale
en vue du « fléchage » de l’argent des communautés résidant à l’étranger ; à la créa-
tion de filiales bancaires en Europe, bénéficiaires du « passeport européen » (régime
de l’agrément unique) ; entre les deux, toute une gamme de possibilités est consta-
tée, notamment des partenariats avec des banques européennes, y compris pour des
opérations de bibancarisation.
Ces opérations de prospection, de démarchage voire de vente de produits bancaires
du pays d’origine en Europe tutoient allègrement les normes bancaires en matière
de démarchage bancaire et financier et de territorialité du droit bancaire ; elles
peuvent à l’occasion constituer diverses infractions, y compris des violations du
monopole bancaire (comme a pu l’être le démarchage de certaines banques suisses
auprès de clientèles ciblées en France)9. Une étude sur la valorisation des transferts
d’argent a recommandé une modification du droit positif afin de favoriser la vente
de produits non spéculatifs et la bibancarisation, dans le cadre de schémas sécu-
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risés et mutuellement profitables10. Cela fut fait par une modification du Code
Monétaire et Financier votée en 201411.

Innovations permises par la nouvelle législation


Les nouvelles dispositions permettent l’offre « d'opérations de banque à des personnes
physiques résidant en France par des établissements de crédit ayant leur siège social dans
un état figurant sur la liste des états bénéficiaires de l'aide publique au développement »
non membre de l'espace économique européen.
L’offre de ces services par l’établissement étranger nécessite une autorisation préa-
lable de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ; implique que
l’établissement soit « soumis dans l'Etat de son siège à des conditions de supervision
équivalentes à celles qui existent en France » - on peut supposer que l’ACPR n’exige-
rait pas une pleine application des normes de Bâle III par le pays d’origine, ce qui
serait bloquant, bien peu de pays appliquant déjà les normes de Bâle II ; nécessite

9 Des sanctions disciplinaires ont été prononcées par les superviseurs français à l’encontre de banques suisses, et des poursuites pour
blanchiment de fraude fiscal et démarchage illicite ont été engagées : voir http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/27/fraude-fiscale-
apres-la-maison-mere-nouvelle-mise-en-examen-pour-ubs-france_4603070_3234.html
10 Voir le rapport Réduire les coûts des transferts d’argent des migrants et optimiser leur impact sur le développement : Outils
et produits financiers pour le Maghreb et la Zone franc, décembre 2011, sur http://www.afd.fr/webdav/shared/Conference/
ESF_BAD_DGT_AFD_2011_Transferts_argent_migrants_rapport_fr.pdf
11 Loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale,
qui modifie les articles 318-1 à 318-5 du COMOFI.

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Financement des PME
une convention de coopération entre l’ACPR et le superviseur national ; néces-
site une convention (de partenariat voire de bibancarisation) entre l’établissement
demandeur et un établissement agréé en France12 ; limite l’offre de services à des
services bancaires de base et leur exécution intégrale dans le PED et non en France ;
et doit respecter le droit français et européen de la consommation et de la LBC-FT.
Il faut retenir de ces dispositions que seuls les établissements de crédit peuvent
être habilités, ce qui exclut toutes les IMF ne relevant pas de cette catégorie ni
de la loi bancaire13. La nécessité d’une convention de coopération va bloquer les
initiatives d’établissements de crédit dont le superviseur n’est pas coopératif14. En
pratique, ces dispositions sont parfaitement formatées pour les grandes banques
marocaines déjà le plus souvent actionnaires de banques françaises, le bénéfice de
ces dispositions pourrait aussi aller à leurs filiales dans d’autres pays (Tunisie, pays
d’Afrique sub-saharienne), dans la mesure où le superviseur marocain exerce une
supervision consolidée sur ces groupes bancaires. L’enjeu est très important aussi
pour les banques des Zones franc CFA ; on note que la mise en place progressive
des fonds de garantie des dépôts des épargnants des établissements de crédit dans
la CEMAC (FOGADAC) et plus récemment dans l’UEMOA concourt à la recon-
naissance d’une « supervision équivalente »15. L’enjeu en matière de LBC-FT est au
moins aussi important que l’enjeu prudentiel ; le blanchiment de capitaux est par
essence mouvant et emprunte aussi les circuits habituels des transferts d’argent des
migrants.

Évolution du droit UMOA : services de paiement et rénovation de la monnaie


électronique (Instruction BCEAO 008-05-2015)
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Le droit régissant la monnaie électronique et ses émetteurs a été profondément
remanié par la BCEAO en mai 201516. Le nouveau texte intervient à la suite de
différentes réformes, notamment la création en 2011 de la catégorie des établisse-
ments financiers de paiement17. Pour autant, le régulateur a choisi la rénovation
de la monnaie électronique et non pas son remplacement par des concepts plus
modernes.

12 Cet établissement en France doit être (i) un établissement de crédit ou une société de financement agréé en France ou (ii) un établissement
de crédit agréé dans l’Espace Economique Européen ou (iii) une succursale d’un établissement de crédit non agréé dans l’EEE mais dont le pays a
signé avec la France une convention prévoyant un échange d'informations en matière fiscale.
13 Notamment les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) dans l’UEMOA ou les Etablissements de Microfinance (EMF) dans la CEMAC. En revanche,
les coopératives financières et les IMF (commerciales) sont des catégories d’établissement de crédit en RDC, de même que les IMF à Madagascar.
14 La liste et les conventions de coopération figurent sur le site Internet de l’ACPR (https://acpr.banque-france.fr/international/la-cooperation-
au-niveau-international/les-accords-de-cooperation.html ) ; parmi les pays avec convention figurent le Maroc (Bank-Al-Maghrib), l’Algérie (BCA),
l’UEMOA (BCEAO et CB-UMOA), la CEMAC (BEAC et COBAC), les Comores, la Guinée ; parmi les pays sans convention figurent l’Algérie et la Tunisie.
15 La notion de supervision équivalente est large et rend possible certaines interprétations ; on peut distinguer entre (i) les objectifs prudentiels
(à savoir le respect des 29 principes de base du Comité de Bâle pour une supervision bancaire efficace, et le respect des normes de Bâle II (à
défaut, de Bâle I qui demeurent adaptées pour des banques de détail sans grosse exposition sur les marchés financiers)) et (ii) le droit des
pratiques de marché, en particulier les normes LBC-FT et la mise en place de fonds de garantie des dépôts en cas de faillite.
16 Il s’agit désormais de l’Instruction BCEAO n°008-05-2015 du 21 mai 2015 régissant les conditions et modalités d’exercice des activités des
émetteurs de monnaie électronique dans les Etats membres de l’UMOA, abrogeant et remplaçant l’instruction BCEAO n°01/2006/SP du 31 juillet
2006 relative à l’émission de monnaie électronique et aux établissements de monnaie électronique.
17 Instruction BCEAO n° 011-12-2010/RB relative au classement, aux opérations et à la forme juridique des établissements financiers à caractère
bancaire, en date du 13 décembre 2010 et entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Voir notamment les développements à ce sujet dans le TFD n°102,
Chronique de réglementation financière (mars 2011).

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Le concept de monnaie électronique, version 2015
Le droit de l’UMOA reprend et consolide le concept de monnaie électronique,
compris comme étant « une valeur monétaire représentant une créance sur l’établisse-
ment émetteur qui est :
• Stockée sous une forme électronique, y compris magnétique,
• Emise sans délai contre la remise de fonds d’un montant qui n’est pas inférieur à la
valeur monétaire émise,
• Et acceptée comme moyen de paiement par des personnes physiques ou morales autres
que l’établissement émetteur » (ce qui la distingue des cartes de fidélité et autres
cartes privatives des entreprises de distribution).
La définition donnée dans l’UMOA est classique, mais sans doute désuète.
Rappelons la genèse de la définition légale de la monnaie électronique : à la fin du
20e siècle, sont nés des outils monétiques stockant des valeurs, non liés à un compte
en banque : il ne s’agissait alors pas de monnaie fiduciaire (car non émise par la
banque centrale) ni de monnaie scripturale (faute de compte). Les outils répondant
à ces caractéristiques sont aujourd’hui devenus totalement marginaux, l’ensemble
des opérations étant enregistrées et stockées sur des serveurs. Les « porte-monnaie
électronique » sont aujourd’hui dans les faits des comptes de monnaie scripturale.
La véritable différence tient à l’usage qui en est fait, en ce qu’on refuse à certains
émetteurs l’utilisation des fonds pour leur propre compte en opérations de crédit
ou de placement ; le compte de monnaie électronique ainsi défini, est censé (i) être
moins risqué dans son usage et (ii) ne pas faire concurrence aux comptes de dépôts,
du fait des restrictions d’usage ; en particulier, toute rémunération est interdite sur
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le solde de la monnaie en compte. De telles limites semblent toutefois désuètes, en
particulier depuis le développement de l’usage des comptes de paiement, compris
comme étant des comptes à finalité de paiement.
Peuvent être émetteurs de monnaie électronique, (i) les banques, (ii) les établis-
sements financiers de paiement, (iii) les établissements de monnaie électronique
(EME), (iv) les systèmes financiers décentralisés (SFD) dès lors qu’ils ont reçu un
agrément spécial pour le faire. L’UEMOA compte moins d’une demi-douzaine
d’EME agréés et un seul SFD ayant reçu l’autorisation complémentaire pour
émettre.
Plafonds des fonds stockés sur le compte. Le dispositif est assorti de plafonds liés
aux comptes et aux opérations : sauf dérogation, les fonds stockés sont plafonnés à
2 millions FCFA (3 050 euros) par client identifié auprès d’un établissement émet-
teur, quel que soit le nombre de compte ; le montant de rechargement mensuel ne
saurait excéder 10 millions FCFA (15 245 euros) ; les plafonds ne concernent pas
les distributeurs et accepteurs du système.
Ces plafonds ont essentiellement une finalité LBC-FT : ils partent du principe
que les clients, bien qu’identifiés, ne sont pas véritablement profilés et qu’un pla-
fond assez bas permet d’éviter des opérations de blanchiment de grande ampleur.
L’instruction 008-05-2015 maintient toutefois la possibilité, déjà offerte en 2006,
de comptes pour des personnes non identifiées (le plus souvent car ne disposant
84
Financement des PME
pas d’un titre d’identité officiel) pour des montant mensuels ne pouvant excéder
200 000 FCFA (305 euros).
Perspectives. On ne peut que rester dubitatif devant la persévérance de certains
régulateurs – et pas seulement la BCEAO – à continuer de promouvoir un concept
technologiquement dépassé, voire porteur de risques en matière d’intégrité finan-
cière, comme l’est la monnaie électronique. Pourquoi maintenir ce concept alors
qu’il s’agit (ou peut toujours s’agir) de monnaie scripturale, inscrite dans un « livre
de comptes » tenu sur un serveur central, et que les rares expériences réelles sont
marginales et au demeurant problématiques en termes d’identification du porteur
et de traçabilité des flux ?
Ce type de monnaie et les restrictions inhérentes aux comptes de monnaie électro-
nique le rendent moins performant pour les clients. La montée en puissance des
OTM, devenant ou pouvant devenir propriétaires de banques commerciales dans
les années à venir, devrait accentuer le désavantage compétitif de ce concept, qui ne
tient plus sa force qu’au régime particulier de distribution.
La réglementation des distributeurs et sous-distributeurs de monnaie électronique
fait donc aujourd’hui la force de ce concept, et son avantage compétitif par rapport
à celui, très lourd à mettre en œuvre et non-compétitif, d’intermédiaire en opéra-
tions de banque.

Les Etablissements de Monnaie Electronique


L’instruction 008-05-2015 maintient finalement la catégorie des EME, alors qu’il
était un temps envisagé de les faire absorber par les établissements financiers de
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paiement. La principale raison tient au maintien d’un capital social minimum très
bas (300 millions FCFA soit environ 457 000 euros), soit le dixième du capital
minimum prévu pour les établissements financiers à compter du 1er juillet 2017.
Les EME peuvent adopter une diversité de forme juridique : SA, SARL, « Mutuelle
et Coopérative », GIE. Un ratio de solvabilité égal à 3 % de la monnaie émise est
désormais prévu. Les fonds représentatifs de la monnaie électronique doivent être
domiciliés dans une banque ou d’un SFD18 et ne peuvent pas être utilisés pour
les besoins de l’exploitation de l’émetteur ; toutefois, la BCEAO n’a pas prévu de
régime de protection juridique (notamment d’insaisissabilité) comparable au dis-
positif prévu par le droit français.
Outre les outils interbancaires, ce dispositif permet la création de petites initiatives par
des acteurs ne disposant pas de l’assise financière pour créer un établissement financier
de paiement et plus encore une banque. Pour les OTM, il peut constituer une étape
intermédiaire avant la création de banques sous-régionales19. Il peut aussi servir à des

18 A hauteur d’au moins 75 %, le reste constituant le matelas de trésorerie nécessaire à la liquidité immédiate du système, notamment pour
alimenter le réseau de distributeurs et sous-distributeurs.
19 Un investissement de 10 milliards FCFA (15,25 millions d’euros) ne constitue pas un obstacle pour les multinationales de la téléphonie mobile,
qui sont habituées à payer des sommes bien plus importantes rien qu’en frais administratifs (licences 3G ou 4G) : Investir un capital de 15 ou 20
millions d’euros que l’on peut ensuite rentabiliser est un non-sujet dès lors que le modèle d’affaires le justifie. On rappelle qu’un des principaux
opérateurs de téléphonie mobile, Orange, a annoncé la création en 2016 d’une banque. Voir notamment http://www.lefigaro.fr/secteur/high-
tech/2015/10/18/32001-20151018ARTFIG00080-orange-s-attaque-au-lucratif-marche-des-banques.php

85 TFD 121 - Décembre 2015


SFD souhaitant créer une plateforme de monnaie électronique mutualisée, entre pairs.
Il n’en demeure pas moins une sorte de sous-établissement financier de paiement,
affublé de deux défauts significatifs, liés à sa non-qualité d’établissement de crédit :
il n’est pas habilité à « franchir les frontières extérieures » en réalisant des opérations
de paiement hors UEMOA20 ; il n’est pas membre du fonds de garantie des dépôts
des établissements de crédit et des SFD de l’UMOA : en cas de faillite de l’EME, les
déposants ne sont pas couverts par un système de garantie interbancaire.

La distribution de monnaie électronique


Distributeur et sous-distributeur. Le principe et la force principale des services de
banque à distance résident dans la densité et l’ampleur géographique des réseaux
de distribution des services. A ce titre la nouvelle réglementation comporte deux
avancées majeures par rapport à 2006 : d’une part, l’acceptation du principe de
distribution pyramidale, selon le modèle utilisé couramment en téléphonie mobile
(grossiste / détaillant pour les unités de temps d’appel) avec des distributeurs et des
sous-distributeurs ; et d’autre part, la définition large du périmètre d’activité de
ces distributeurs, « en vue de la commercialisation des services liés, notamment : - à
la souscription des contrats d’utilisation avec la clientèle ; - au chargement des unités
de monnaie électronique ; - aux opérations de retrait d’espèces et de remboursement des
unités de monnaie électronique ; - aux opérations de paiement. »
Le détaillant est ainsi responsable des formalités de mise en relation initiale (identi-
fication du client, de collecte des pièces justificatives), puis de passation des opéra-
tions de dépôt et de retrait.
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Les distributeurs, lorsqu’ils ne sont pas des SFD, doivent simplement être immatricu-
lés au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier. Leur liste ainsi que les contrat-
type sont communiqués à la BCEAO : aucune autorisation administrative préalable
du superviseur financier n’est nécessaire pour devenir (sous)distributeur. Les distribu-
teurs principaux doivent toutefois disposer d’une assise financière suffisamment solide
pour assumer leur rôle en matière d’alimentation des liquidités des sous-distributeurs.
On note que les distributeurs sont des mandataires et non des salariés de l’émet-
teur ; la BCEAO – comme dans d’autres domaines – interdit la mise en place de
clauses d’exclusivités dans la relation émetteur / distributeurs21.
Droit des pratiques de marché. Le droit de la monnaie électronique a fait l’objet de
modernisations considérables, en matière notamment d’affichage des prix, de mise
en place de mécanismes de recours effectif pour les clients, de responsabilité civile
de l’émetteur en cas de difficulté entre un client et un détaillant22.

20 Le Règlement N°09/2010/CM/UEMOA relatif aux relations financières extérieures des Etats membres de l’UEMOA réserve « les opérations de
change, mouvements de capitaux (émission de transferts et/ou réception de fonds) et règlements de toute nature entre un Etat membre de l'UEMOA
et l'étranger » à la BCEAO, l'Administration ou l'Office des Postes, aux intermédiaires agréés (qui sont des établissements de crédit agréés) ou aux
agréés de change manuel : en aucun cas aux EME.
21 Selon l’instruction 008-05-2015, article 17, « (...) Le distributeur ne peut, en aucun cas, être contraint à limiter ses activités à un seul établissement
émetteur de monnaie électronique. Le réseau de distribution peut être organisé autour de distributeurs principaux et de sous-distributeurs. »
22 Cette responsabilité financière des mandants permet d’éviter la mise en place de systèmes, lourds, de cautions (tels que mis en place pour les
intermédiaires en opération de banque manipulant des fonds) ou d’assurance. En revanche, cela impacte la gestion des risques opérationnels de l’émetteur.

86
Financement des PME
Champ d’application. Les dispositions très utiles en matière de distribution, de dis-
tributeur et de sous-distributeur ne couvrent toutefois que les services de monnaie
électronique, et non pas tous les services de paiement. Partant, une banque offrant
des services de banque à distance adossés à un compte de dépôt ne pourrait a priori
en bénéficier et verrait son réseau contraint par la réglementation des intermédiaires
en opérations de banque, inadaptée à la situation.

Perspectives de développements commerciaux et ajustements réglementaires


additionnels Europe-Afrique
L’innovation financière incessante dans le monde et son utilisation croissante en
finance inclusive offrent encore un champ de travail important d’adaptation et
d’accompagnement pour les régulateurs et superviseurs, tant en matière bancaire
(sur un chantier qui semble le plus engagé) que sur d’autres produits non bancaires.

En bancarisation sans frontière


Prudentiel
Un des enjeux fondamentaux pour bénéficier de cette mondialisation de l’inclusion
financière est d’être reconnu comme un établissement de crédit sous supervision
prudentielle équivalente : ce qui suppose (i) légalement, la qualité d’établissement de
crédit et (ii) l’inclusion dans le dispositif de supervision coordonnée et consolidée.
Force est de reconnaitre que dans de très nombreux pays en développement, ce n’est
pas le cas. Les IMF bénéficient de lois spécifiques, et sont non seulement hors « loi
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bancaire » mais ne sont même pas des catégories d’établissements de crédit (sauf
exception comme à Madagascar ou en République démocratique du Congo). Cette
spécificité légale, souvent voulue pour de pures raisons d’affichage idéologique23,
peut conduire localement à une forme d’isolement des IMF du reste du secteur
financier, amoindrissant et renchérissant ses sources de financement (en particulier,
les IMF non agréées dans le cadre de la loi bancaire n’ont en général pas accès aux
refinancements directs des banques centrales, ce qui (i) leur impose de passer par
des banques, à des conditions souvent moins flexibles et plus coûteuses et (ii) affai-
blit leur dispositif de gestion des liquidités, leur imposant de facto de conserver plus
de trésorerie disponible). On voit désormais que cet isolement législatif devient un
frein aux alliances internationales.
Les IMF mutualistes devront, à défaut de s’inscrire directement dans la loi ban-
caire, créer des outils financiers bancaires24 qui, parce qu’ils bénéficient du « bon
agrément » pourront bénéficier des facilités offertes en France et dans d’autres pays
d’Europe et de la Zone franc CFA.

23 A savoir une volonté d’afficher une mission sociale de la microfinance en opposition d’un objectif supposé purement lucratif de la banque – non
seulement des sociétés anonymes, mais aussi des établissements de crédit qui peuvent être coopératifs.
24 Aussi appelées « caisses centrales bancaires », à l’image de la Banque des Institutions Mutualistes d’Afrique de l’Ouest (BIMAO) au Sénégal, ou
du projet de FINAO dans l’UEMOA. Sur le projet FINAO, voir http://www.jeuneafrique.com/229307/economie/le-reseau-aux-35nmillions-de-clients/

87 TFD 121 - Décembre 2015


Le deuxième enjeu prudentiel fondamental consiste en l’extension de ce droit de
la bibancarisation, d’abord en Europe à l’image de la France (certains marchés,
comme l’Espagne, l’Italie, la Hollande et l’Allemagne sont stratégiques pour la
bibancarisation), mais aussi en Sud-Sud (par exemple, entre les deux Zones franc
CFA, mais aussi probablement, à moyen terme, entre l’Afrique et le Brésil, un pays
qui (re)devient de plus en plus une terre d’émigration africaine25), sans oublier les
corridors spécifiquement asiatiques (Japon / Philippines, etc.) et américains (Etats-
Unis et Canada vers Amérique Latine). Un enjeu qui relève à la fois d’un choix de
politique économique et de dispositifs techniques de supervision à implémenter
préalablement, et enfin de progrès en matière de droit non prudentiel.
Droit des pratiques de marché
La vente de produits bancaires, comme le droit du travail, demeure soumis au droit
du pays de réalisation de l’opération ; un produit bancaire marocain ou sénéga-
lais vendu en France demeurera soumis au droit de la consommation français, en
termes notamment de transparence des conditions et de standards publicitaires.
Ce point ne pose pas de difficulté de principe même si dans les faits, l’on constate
du démarchage international par Internet de produits tant bancaires que boursiers
ce qui rend plus difficile la supervision et peut amener les superviseurs à réaffirmer
certaines règles26.
L’efficacité en la matière réside là encore dans la coopération entre superviseurs,
ce qui devient un standard international et une quasi-obligation en matière de
LBC-FT par le biais de coopérations entre unités de renseignement financier pour
des investigations et des signalements, mais aussi, de plus en plus, par des échanges
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systématiques d’informations et de listes sur les comptes bancaires ouverts au nom
de non-résidents. La systématisation de cette coopération dans le secteur de la
finance inclusive constituera sans doute un des outils de lutte contre l’évasion fis-
cale de masse et les microcircuits d’argent sale ; il se pourrait bien que la montée
exponentielle des enjeux sécuritaires liés à la démocratisation du financement du
terrorisme27 accélère un mouvement engagé depuis quelques années.

Assurances, services financiers non bancaires et finance non régulée


Ce qui vaut pour les services bancaires de base vaut aussi pour les assurances à la
personne. Un produit typique offert à certains migrants de la première génération
est l’assurance rapatriement de corps, réclamé par certains acteurs institutionnels
du Maghreb pour le vendre en Europe28. La souscription de contrats d’assurance-

25 Voir http://afrique.lepoint.fr/bresil-les-migrations-africaines-y-explosent-22-06-2015-1938972_2254.php
26 Sur les Dispositions françaises applicables à la commercialisation de parts ou actions d’OPCVM coordonnés de droit étranger sur le territoire
de la République française, voir http://www.amf-france.org/Publications/Guides/Professionnels.html?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%
2Fe81bb29c-9774-4e90-9ad7-c92b5ebcba15
27 Notons que les attentats de janvier 2015 en France ont été financés en partie par le biais d’un crédit à la consommation souscrit en France.
Voir http://www.lavoixdunord.fr/france-monde/amedy-coulibaly-avait-contracte-un-pret-de-6000-qui-ia0b0n2599793 ; la France a aussi réduit le
montant plafond des sommes pouvant être payées en liquide à 1 000 euros en septembre 2015, dans le but «de faire reculer le cash et l'anonymat
dans l'économie française. (...) de pouvoir tracer les opérations suspectes très en amont. Il faut resserrer les mailles du filet ». Voir http://www.
economie.gouv.fr/publication-du-decret-abaissant-le-plafond-de-paiement-en-especes-a-partir-du-1er-septembre-2015
28 Voir l’étude « Réduire les coûts des transferts d’argent des migrants et optimiser leur impact sur le développement : Outils et produits financiers
pour le Maghreb et la Zone franc », § 212 et § 305.

88
Financement des PME
santé pour des bénéficiaires familiaux dans le pays d’origine est aussi une autre
demande récurrente. Ainsi, quelques produits d’assurance basiques pourraient être
vendus via les canaux bancaires selon les mécanismes classiques de la bancassurance.
Ceci supposerait que la supervision du secteur des assurances dans les pays en déve-
loppement et les pays à revenu intermédiaire (PRI) évolue aussi favorablement que
la supervision bancaire29, en particulier s’agissant de la mise en place d’une super-
vision indépendante30.
Un défi nettement plus complexe, y compris en termes de choix éthiques, est celui
de la vente transfrontalière de produits boursiers, cotés et « grands publics » (fonds
communs de placements) voire dédiés aux investisseurs spécialisés (fonds AIFM).
Le problème de vente de produits boursiers ou de doubles cotations est à la fois
technique, juridique et financier, dès lors qu’il relève d’espaces de supervision dif-
férents. Si l’on peut sans hésitation valider le principe que tout produit vendu en
Europe doit respecter les règles de présentation, donc de droit de la consomma-
tion, européen (même s’il est vendu par Internet), la question prudentielle n’est
aujourd’hui pas réglée. Si les droits convergent – le Maroc a quasiment mis sa légis-
lation boursière au niveau européen, rendant possible la reconnaissance de l’équi-
valence de place – demeurent trois obstacles principaux : la qualité effective de la
supervision, notamment s’agissant de la lutte contre les manipulations de cours et
le manque de transparence financière sur les produits cotés ; le manque de volume
et donc de liquidité de la place ; et enfin, la nécessaire libéralisation des changes,
de manière bilatérale, ce qui suppose de franchir un cap important en matière de
politique économique.
A ce stade, le dossier de la globalisation boursière semble donc avancer plus lente-
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ment entre l’Europe et les PED-PRI. Sans doute – et c’est aussi porteur d’opportunités
– les chantiers pourraient avancer plus rapidement entre pays du Sud, notamment
entre le Maroc et l’Afrique sub-saharienne31.
L’offre de services alternatifs ne s’arrête pas aux produits de capitaux alternatifs mais
régulés. La désintermédiation bancaire et le shadow banking commencent à investir
la finance inclusive, notamment par le biais du « crédit entre pairs »32 et des trans-
ferts de fonds dédiés aux migrants.
Une première initiative – Bit-Pesa33 - a vu le jour pour réaliser des transferts de
fonds entre le Royaume-Uni et quatre pays d’Afrique anglophone34 en utilisant le
Bitcoin, de manière tout-à-fait officielle. Jusqu’à présent, le régulateur britannique

29 Soulignons qu’en France, elle a été fusionnée avec la supervision bancaire au sein de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).
Voir https://acpr.banque-france.fr/controle-prudentiel/le-controle-des-assurances.html.
30 Dans les 14 pays de la CIMA, le marché demeure national (pas d’agrément unique) et la supervision n’est pas encore indépendante des Etats, en
violation du principe n° 2 de l’AICA-IAIS (même si des discussions existent pour confier aux superviseurs bancaires la supervision des assurances
aux CB-UMOA et la COBAC). Sur les 26 principes de base de l’assurance édictés par l’AICA (novembre 2015), voir http://iaisweb.org/index.cfm?ev
ent=showNewsDetails&nodeID=58069&moduleContentid=38953
31 Notamment par l’ouverture de compartiments en devises à la bourse de Casablanca, dans le cadre d’une stratégie visant à faire de Casablanca
un « hub » boursier pour l’Afrique sub-saharienne. Plus stratégiquement, cela impliquerait la mise en place de connexions, dans un premier temps
entre l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux et le CREPMF de l’UEMOA en vue d’une reconnaissance d’équivalence de place entre eux.
32 Voir notamment le leader mondial KIVA http://www.kiva.org/, mais aussi en France BabyLoan http://www.babyloan.org/fr/.
33 Voir https://www.bitpesa.co/ et https://en.wikipedia.org/wiki/BitPesa ; plus largement, sur l’utilisation du BitCoin, voir http://www.bbc.
com/news/business-31735976
34 Initialement de Kenya, d’où le nom (Bit en référence à BitCoin, et Pesa, en référence à M-Pesa), et étendu désormais à la Tanzanie, à l’Ouganda
et au Nigeria.

89 TFD 121 - Décembre 2015


n’a pas trouvé l’angle d’attaque pour le bloquer et il est trop tôt pour préjuger de
son interfaçage avec les systèmes de paiement au Kenya, notamment avec le pre-
mier système de paiement de masse qu’est M-PESA35. Les questions LBC-FT sont
toutefois au centre des enjeux.
Le développement de ces produits est aussi une manière de contourner les régle-
mentations bancaires et de change, voire d’opérer très largement en marge du droit
des pratiques de marché. Ces produits financiers plus qu’alternatifs, émanation
récente du déplacement du centre de gravité de la finance mondiale vers le shadow
banking au fur et à mesure du renforcement des normes prudentielles (Bâle III,
confinement banque de détail / banque de marchés, ...), vont-ils à l’avenir repré-
senter une fraction significative des outils de bancarisation de masse ? L’avenir n’est
pas écrit, mais il représente, par les risques d’instabilité prudentiel et non prudentiel
qu’il engendre, un défi de taille pour les régulateurs et superviseurs dans les décen-
nies à venir, y compris dans le secteur de la finance inclusive.
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35 Voir http://www.ibtimes.co.uk/bitcoin-versus-m-pesa-digital-payments-rumble-jungle-1531208

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