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Laurent Lhériau
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1 Avec notamment quelques « pères fondateurs », dont le Professeur Muhammad Yunus, qui ont posé le postulat de la primauté du crédit sur
l’épargne dans une logique (micro)entrepreneuriale.
2 Lutte contre le Blanchiment de Capitaux et le Financement du Terrorisme.
3 On note aussi un impact croissant de la « désintermédiation bancaire » via le « peer-to-peer lending » appliqué au micro financement de
projets et de TPE.
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• Numérisation de la relation aux clients, y compris en banque de détail... la micro-
finance n’étant plus qu’un compartiment de cette banque de détail de masse,
caractérisée essentiellement par la spécificité de la gestion de son crédit à des non
salariés. Ceci se voit non seulement dans les pays développés, où les réseaux ban-
caires traditionnels allègent leur empreinte physique au sol au profit de relations
à distance4, mais aussi dans les pays en développement avec la banque mobile et
plus largement les schémas de banque à distance.
• Diversification des canaux de distribution entre acteurs et parfois pour un même
acteur, avec le maintien de réseaux d’agences « classiques » restructurés, le déve-
loppement des points de service « commerçant » agréés, le traitement à distance
et les services de paiement et de transfert « entre pairs ».
Plus que jamais, la « finance décentralisée5 » porte bien son nom... mais elle n’a plus
le monopole de cette décentralisation. Ainsi, la tendance structurelle du secteur
devrait entrainer dans la décennie à venir plusieurs phénomènes. Il y aura d’abord
un basculement de la banque de détail et de la microfinance vers l’ère du numérique
en réseaux ; ceci offrira un rôle accru voire central aux multinationales de la
téléphonie mobile et à leurs filiales bancaires, même si l’apport des technologies ne
concernera pas tous les produits6.Ensuite, un probable déplacement des volumes
d’épargne s’effectuera vers les institutions offrant un service d’épargne connecté7
et de qualité, au détriment de celles se limitant à des réseaux d’agences tradition-
nelles ; les « perdants » verront le passif de leur bilan sérieusement fragilisé et à
terme un effritement de leur clientèle. Et en conséquence, une recomposition se
produira sous la contrainte du paysage financier, banques de détail et IMF (mutua-
listes et non mutualistes) inclus8. Au-delà des prises de participations, partenariats
© Épargne sans frontière | Téléchargé le 02/07/2022 sur www.cairn.info (IP: 102.129.68.195)
4 Par des services de banque à distance additionnels (remplaçant en partie les rencontres physiques en agence de clients existants) ou
transformationnelle (par la création de filiales bancaires 100 % à distance, privilégiant les relations par internet, carte bancaire et téléphonie
mobile et centres de traitement pour les quelques documents restant sur support papier).
5 Selon une terminologie couramment utilisée dans les pays de l’Union Monétaire Ouest Africaine, à savoir les « systèmes financiers
décentralisés ».
6 En particulier, la relation au client devrait rester centrale dans le microcrédit, même si des systèmes de credit scoring sont expérimentés par
certaines IMF, en utilisant l’historique des remboursements.
7 La connexion peut se comprendre de trois manières (cumulatives) : connexion du compte de dépôt à la téléphonie mobile ; connexion aux
systèmes de paiement internationaux, pour les transferts d’argent (notamment pour les travailleurs migrants) ; connexion à d’autres institutions
financières pour l’offre de paquets bancaires (épargne, crédit, virements, garanties, ...) dans le cadre de la bibancarisation.
8 Voir notamment LHERIAU L. (2015), « Impact de la banque mobile en finance inclusive et systèmes de régulation : Quelles perspectives sur
les 10 années à venir ? », Revue Passerelles n°02, octobre 2015, http://www.ada-microfinance.org/fr/mediatheque?media=110
9 Des sanctions disciplinaires ont été prononcées par les superviseurs français à l’encontre de banques suisses, et des poursuites pour
blanchiment de fraude fiscal et démarchage illicite ont été engagées : voir http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/03/27/fraude-fiscale-
apres-la-maison-mere-nouvelle-mise-en-examen-pour-ubs-france_4603070_3234.html
10 Voir le rapport Réduire les coûts des transferts d’argent des migrants et optimiser leur impact sur le développement : Outils
et produits financiers pour le Maghreb et la Zone franc, décembre 2011, sur http://www.afd.fr/webdav/shared/Conference/
ESF_BAD_DGT_AFD_2011_Transferts_argent_migrants_rapport_fr.pdf
11 Loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale,
qui modifie les articles 318-1 à 318-5 du COMOFI.
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une convention de coopération entre l’ACPR et le superviseur national ; néces-
site une convention (de partenariat voire de bibancarisation) entre l’établissement
demandeur et un établissement agréé en France12 ; limite l’offre de services à des
services bancaires de base et leur exécution intégrale dans le PED et non en France ;
et doit respecter le droit français et européen de la consommation et de la LBC-FT.
Il faut retenir de ces dispositions que seuls les établissements de crédit peuvent
être habilités, ce qui exclut toutes les IMF ne relevant pas de cette catégorie ni
de la loi bancaire13. La nécessité d’une convention de coopération va bloquer les
initiatives d’établissements de crédit dont le superviseur n’est pas coopératif14. En
pratique, ces dispositions sont parfaitement formatées pour les grandes banques
marocaines déjà le plus souvent actionnaires de banques françaises, le bénéfice de
ces dispositions pourrait aussi aller à leurs filiales dans d’autres pays (Tunisie, pays
d’Afrique sub-saharienne), dans la mesure où le superviseur marocain exerce une
supervision consolidée sur ces groupes bancaires. L’enjeu est très important aussi
pour les banques des Zones franc CFA ; on note que la mise en place progressive
des fonds de garantie des dépôts des épargnants des établissements de crédit dans
la CEMAC (FOGADAC) et plus récemment dans l’UEMOA concourt à la recon-
naissance d’une « supervision équivalente »15. L’enjeu en matière de LBC-FT est au
moins aussi important que l’enjeu prudentiel ; le blanchiment de capitaux est par
essence mouvant et emprunte aussi les circuits habituels des transferts d’argent des
migrants.
12 Cet établissement en France doit être (i) un établissement de crédit ou une société de financement agréé en France ou (ii) un établissement
de crédit agréé dans l’Espace Economique Européen ou (iii) une succursale d’un établissement de crédit non agréé dans l’EEE mais dont le pays a
signé avec la France une convention prévoyant un échange d'informations en matière fiscale.
13 Notamment les Systèmes Financiers Décentralisés (SFD) dans l’UEMOA ou les Etablissements de Microfinance (EMF) dans la CEMAC. En revanche,
les coopératives financières et les IMF (commerciales) sont des catégories d’établissement de crédit en RDC, de même que les IMF à Madagascar.
14 La liste et les conventions de coopération figurent sur le site Internet de l’ACPR (https://acpr.banque-france.fr/international/la-cooperation-
au-niveau-international/les-accords-de-cooperation.html ) ; parmi les pays avec convention figurent le Maroc (Bank-Al-Maghrib), l’Algérie (BCA),
l’UEMOA (BCEAO et CB-UMOA), la CEMAC (BEAC et COBAC), les Comores, la Guinée ; parmi les pays sans convention figurent l’Algérie et la Tunisie.
15 La notion de supervision équivalente est large et rend possible certaines interprétations ; on peut distinguer entre (i) les objectifs prudentiels
(à savoir le respect des 29 principes de base du Comité de Bâle pour une supervision bancaire efficace, et le respect des normes de Bâle II (à
défaut, de Bâle I qui demeurent adaptées pour des banques de détail sans grosse exposition sur les marchés financiers)) et (ii) le droit des
pratiques de marché, en particulier les normes LBC-FT et la mise en place de fonds de garantie des dépôts en cas de faillite.
16 Il s’agit désormais de l’Instruction BCEAO n°008-05-2015 du 21 mai 2015 régissant les conditions et modalités d’exercice des activités des
émetteurs de monnaie électronique dans les Etats membres de l’UMOA, abrogeant et remplaçant l’instruction BCEAO n°01/2006/SP du 31 juillet
2006 relative à l’émission de monnaie électronique et aux établissements de monnaie électronique.
17 Instruction BCEAO n° 011-12-2010/RB relative au classement, aux opérations et à la forme juridique des établissements financiers à caractère
bancaire, en date du 13 décembre 2010 et entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Voir notamment les développements à ce sujet dans le TFD n°102,
Chronique de réglementation financière (mars 2011).
18 A hauteur d’au moins 75 %, le reste constituant le matelas de trésorerie nécessaire à la liquidité immédiate du système, notamment pour
alimenter le réseau de distributeurs et sous-distributeurs.
19 Un investissement de 10 milliards FCFA (15,25 millions d’euros) ne constitue pas un obstacle pour les multinationales de la téléphonie mobile,
qui sont habituées à payer des sommes bien plus importantes rien qu’en frais administratifs (licences 3G ou 4G) : Investir un capital de 15 ou 20
millions d’euros que l’on peut ensuite rentabiliser est un non-sujet dès lors que le modèle d’affaires le justifie. On rappelle qu’un des principaux
opérateurs de téléphonie mobile, Orange, a annoncé la création en 2016 d’une banque. Voir notamment http://www.lefigaro.fr/secteur/high-
tech/2015/10/18/32001-20151018ARTFIG00080-orange-s-attaque-au-lucratif-marche-des-banques.php
20 Le Règlement N°09/2010/CM/UEMOA relatif aux relations financières extérieures des Etats membres de l’UEMOA réserve « les opérations de
change, mouvements de capitaux (émission de transferts et/ou réception de fonds) et règlements de toute nature entre un Etat membre de l'UEMOA
et l'étranger » à la BCEAO, l'Administration ou l'Office des Postes, aux intermédiaires agréés (qui sont des établissements de crédit agréés) ou aux
agréés de change manuel : en aucun cas aux EME.
21 Selon l’instruction 008-05-2015, article 17, « (...) Le distributeur ne peut, en aucun cas, être contraint à limiter ses activités à un seul établissement
émetteur de monnaie électronique. Le réseau de distribution peut être organisé autour de distributeurs principaux et de sous-distributeurs. »
22 Cette responsabilité financière des mandants permet d’éviter la mise en place de systèmes, lourds, de cautions (tels que mis en place pour les
intermédiaires en opération de banque manipulant des fonds) ou d’assurance. En revanche, cela impacte la gestion des risques opérationnels de l’émetteur.
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Champ d’application. Les dispositions très utiles en matière de distribution, de dis-
tributeur et de sous-distributeur ne couvrent toutefois que les services de monnaie
électronique, et non pas tous les services de paiement. Partant, une banque offrant
des services de banque à distance adossés à un compte de dépôt ne pourrait a priori
en bénéficier et verrait son réseau contraint par la réglementation des intermédiaires
en opérations de banque, inadaptée à la situation.
23 A savoir une volonté d’afficher une mission sociale de la microfinance en opposition d’un objectif supposé purement lucratif de la banque – non
seulement des sociétés anonymes, mais aussi des établissements de crédit qui peuvent être coopératifs.
24 Aussi appelées « caisses centrales bancaires », à l’image de la Banque des Institutions Mutualistes d’Afrique de l’Ouest (BIMAO) au Sénégal, ou
du projet de FINAO dans l’UEMOA. Sur le projet FINAO, voir http://www.jeuneafrique.com/229307/economie/le-reseau-aux-35nmillions-de-clients/
25 Voir http://afrique.lepoint.fr/bresil-les-migrations-africaines-y-explosent-22-06-2015-1938972_2254.php
26 Sur les Dispositions françaises applicables à la commercialisation de parts ou actions d’OPCVM coordonnés de droit étranger sur le territoire
de la République française, voir http://www.amf-france.org/Publications/Guides/Professionnels.html?docId=workspace%3A%2F%2FSpacesStore%
2Fe81bb29c-9774-4e90-9ad7-c92b5ebcba15
27 Notons que les attentats de janvier 2015 en France ont été financés en partie par le biais d’un crédit à la consommation souscrit en France.
Voir http://www.lavoixdunord.fr/france-monde/amedy-coulibaly-avait-contracte-un-pret-de-6000-qui-ia0b0n2599793 ; la France a aussi réduit le
montant plafond des sommes pouvant être payées en liquide à 1 000 euros en septembre 2015, dans le but «de faire reculer le cash et l'anonymat
dans l'économie française. (...) de pouvoir tracer les opérations suspectes très en amont. Il faut resserrer les mailles du filet ». Voir http://www.
economie.gouv.fr/publication-du-decret-abaissant-le-plafond-de-paiement-en-especes-a-partir-du-1er-septembre-2015
28 Voir l’étude « Réduire les coûts des transferts d’argent des migrants et optimiser leur impact sur le développement : Outils et produits financiers
pour le Maghreb et la Zone franc », § 212 et § 305.
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santé pour des bénéficiaires familiaux dans le pays d’origine est aussi une autre
demande récurrente. Ainsi, quelques produits d’assurance basiques pourraient être
vendus via les canaux bancaires selon les mécanismes classiques de la bancassurance.
Ceci supposerait que la supervision du secteur des assurances dans les pays en déve-
loppement et les pays à revenu intermédiaire (PRI) évolue aussi favorablement que
la supervision bancaire29, en particulier s’agissant de la mise en place d’une super-
vision indépendante30.
Un défi nettement plus complexe, y compris en termes de choix éthiques, est celui
de la vente transfrontalière de produits boursiers, cotés et « grands publics » (fonds
communs de placements) voire dédiés aux investisseurs spécialisés (fonds AIFM).
Le problème de vente de produits boursiers ou de doubles cotations est à la fois
technique, juridique et financier, dès lors qu’il relève d’espaces de supervision dif-
férents. Si l’on peut sans hésitation valider le principe que tout produit vendu en
Europe doit respecter les règles de présentation, donc de droit de la consomma-
tion, européen (même s’il est vendu par Internet), la question prudentielle n’est
aujourd’hui pas réglée. Si les droits convergent – le Maroc a quasiment mis sa légis-
lation boursière au niveau européen, rendant possible la reconnaissance de l’équi-
valence de place – demeurent trois obstacles principaux : la qualité effective de la
supervision, notamment s’agissant de la lutte contre les manipulations de cours et
le manque de transparence financière sur les produits cotés ; le manque de volume
et donc de liquidité de la place ; et enfin, la nécessaire libéralisation des changes,
de manière bilatérale, ce qui suppose de franchir un cap important en matière de
politique économique.
A ce stade, le dossier de la globalisation boursière semble donc avancer plus lente-
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29 Soulignons qu’en France, elle a été fusionnée avec la supervision bancaire au sein de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).
Voir https://acpr.banque-france.fr/controle-prudentiel/le-controle-des-assurances.html.
30 Dans les 14 pays de la CIMA, le marché demeure national (pas d’agrément unique) et la supervision n’est pas encore indépendante des Etats, en
violation du principe n° 2 de l’AICA-IAIS (même si des discussions existent pour confier aux superviseurs bancaires la supervision des assurances
aux CB-UMOA et la COBAC). Sur les 26 principes de base de l’assurance édictés par l’AICA (novembre 2015), voir http://iaisweb.org/index.cfm?ev
ent=showNewsDetails&nodeID=58069&moduleContentid=38953
31 Notamment par l’ouverture de compartiments en devises à la bourse de Casablanca, dans le cadre d’une stratégie visant à faire de Casablanca
un « hub » boursier pour l’Afrique sub-saharienne. Plus stratégiquement, cela impliquerait la mise en place de connexions, dans un premier temps
entre l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux et le CREPMF de l’UEMOA en vue d’une reconnaissance d’équivalence de place entre eux.
32 Voir notamment le leader mondial KIVA http://www.kiva.org/, mais aussi en France BabyLoan http://www.babyloan.org/fr/.
33 Voir https://www.bitpesa.co/ et https://en.wikipedia.org/wiki/BitPesa ; plus largement, sur l’utilisation du BitCoin, voir http://www.bbc.
com/news/business-31735976
34 Initialement de Kenya, d’où le nom (Bit en référence à BitCoin, et Pesa, en référence à M-Pesa), et étendu désormais à la Tanzanie, à l’Ouganda
et au Nigeria.
35 Voir http://www.ibtimes.co.uk/bitcoin-versus-m-pesa-digital-payments-rumble-jungle-1531208
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