Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
RESUME
Les contrecoups des crises cycliques de l’économie mondiale (hausse des cours mondiaux des produits
agricoles stratégiques, faible productivité de l’agriculture…) subis par l’Algérie pour
l’approvisionnement de ses populations et de son industrie de transformation agro – alimentaire ne
sont que les effets d’une offre nationale faible en produits agricoles. C’est dans ce contexte, qu’évolue,
particulièrement, l’élevage bovin dont la production de lait est loin de satisfaire les besoins
grandissants de la population.
Le problème de la dépendance alimentaire et ses effets pervers sur les marchés fragilisent l’économie
nationale ; d’où il résulte qu’une réflexion sur une politique de développement durable dans le secteur
de l’élevage s’impose aux pouvoirs publics.
Ainsi, une politique de l ‘élevage ne peut se faire, durablement, sans une concertation entre les
principaux acteurs (éleveur, transformateur, Etat comme régulateur) pour une meilleure coordination
de leurs décisions par rapport aux objectifs de l’économie et à ceux d’une valorisation des facteurs de
production.
Dans une perspective de développement durable de l’élevage, nous nous proposons d’examiner,
comme exemple, la filière bovin lait en tenant compte de ses dimensions économiques, sociales et
environnementales (écologique) liées à son développement.
INTRODUCTION
Evaluer une politique d’élevage renvoie souvent aux concepts d’efficacité et d’efficience qui sont
définis comme suit :
Efficacité : c’est la performance en termes d’objectifs fixés : il s’agit d’évaluer une action de
développement réalisée par rapport à une action prévue.
Efficience : elle permet de mettre en relation le résultat obtenu et les moyens mobilisés
Colloque international « Développement durable des productions animales : enjeux, évaluation et
perspectives », Alger, 20-21 Avril 2008
1
Loi n° 01-03 du 12 décembre 2001 relative à l’aménagement et au développement durable du territoire.
Loi n° 03-10 du 19 juillet 2003 relative à la protection de l’environnement dans le cadre du développement
durable.
Colloque international « Développement durable des productions animales : enjeux, évaluation et
perspectives », Alger, 20-21 Avril 2008
Les élevages en Algérie sont conditionnés par un ensemble de conditions du milieu physique et
humain qui, d’emblée, semblent contraignantes pour leur développement à savoir : une aridité du
climat, une superficie agricole utile qui a tendance à se rétrécir par rapport à la population (0,27
ha/hab.) et le phénomène de morcellement des terres qui prend des proportions inquiétantes
notamment dans le Tell.
Cela s’est traduit par des pratiques de production extensives dans la conduite des élevages
caractérisées par un faible développement de la sole fourragère et l’utilisation d’un potentiel
génétique local peu performant. Cependant, certains élevages font exception telle la filière avicole qui
dans sa quasi totalité est tributaire du marché mondial (souches hybrides et aliments importés) et le
bovin à haut potentiel génétique (pies rouge et noire, Montbéliarde…) importé pour la production
laitière.
Cette situation a accentué le phénomène de dépendance alimentaire en produits animaux avec un
recours massif aux importations. La filière lait est largement extravertie. L’industrie de transformation
laitière tourne quasiment avec du lait en poudre importé.
Les statistiques, par exemple, sur l’évolution des importations de lait et produits laitiers en Algérie
montrent que durant la période 2000 – 2006 que l’indice (base 100 en 2000) des quantités importées a
augmenté de 33 points en l’espace de six années. Egalement le cours de la tonne de lait sur le marché
mondial connaît de fortes hausses. Cela n’a fait qu’augmenter la facture pour la production de lait qui
est estimée en moyenne annuellement à 511 millions d’USD durant la période considérée. Pour la
même période (2000-2005), l’effort d’investissement réalisé pour la production de lait local (y compris
les fourrages) représente 36% des montants alloués aux productions animales par le FNRDA qui sont
de l’ordre de 16 milliards de DA (Ferrah, 2006). Toutes ces aides accordées par les pouvoirs publics
semblent insuffisantes pour une production de lait cru local. On estime que le taux de couverture en
lait par la production nationale est de 40% ce qui ne représente que 44 l/ hab. /an pour une
consommation totale de 110 l/hab./an.
Les travaux de recherche et les études menés sur les insuffisances de production de systèmes
d’élevage laitiers par rapport aux potentialités existantes ont révélé une série de problèmes d’ordre
structurels et de gouvernance de différentes natures qui ont tendance à diminuer, le gain de
production attendu. Nous pouvons citer les principales contraintes :
a) Les fourrages. Les statistiques du MADR2 montrent que la superficie cultivée en fourrage a
nettement régressée. Elle est passée de plus de 0,5 million d’hectares en 1990, à moins de 300
2
Ministère de l’agriculture et du développement rural
Colloque international « Développement durable des productions animales : enjeux, évaluation et
perspectives », Alger, 20-21 Avril 2008
000 hectares en 2003. Les explications avancées sont liées, indubitablement à la libéralisation des
assolements et à l’atomisation des exploitations agricoles 3, particulièrement dans les périmètres
irrigués. D’ailleurs une étude que nous avons réalisée, dans le cadre d’un projet franco –
maghrébin4 dans le périmètre irrigué de la Mitidja Ouest a montré que 73% des exploitations
collectives (EAC) sont ″éclatées″ ou divisées en plusieurs mini exploitations (chaque exploitant
cultive le lopin de terre qui lui revient après un partage informelle de l’exploitation agricole). A la
faiblesse de la disponibilité, il faut ajouter la faiblesse de la qualité du fourrage qui constitue une
contrainte de taille pour l’élevage bovin laitier. La majeure partie du fourrage (70%) est composée
par des espèces céréalières (orge, avoine…). La luzerne, le trèfle d’Alexandrie et le sorgho
n’occupent que très peu de surfaces.
b) L’eau d’irrigation. Le développement de l’élevage nécessite des volumes d’eau importants. Dans
le cas de nos périmètres irrigués en grande hydraulique se pose le problème de la sécurité de
l’approvisionnement en eau des activités agricoles qui en consomment beaucoup. L’arbitrage des
quotas d’eau à allouer à la consommation domestique, à l’agriculture et à l’industrie ainsi qu’une
distribution aléatoire (fuites dans le réseau, piratage des eaux…) n’incite pas les agriculteurs à
développer la sole fourragère.
c) La technicité des éleveurs. La maîtrise insuffisante de la conduite technique des élevages s’est
traduite par un faible niveau de rendement. Ce constat s’explique par une désorganisation de la
profession agricole dont l’origine remonte au démantèlement des domaines agricoles socialistes
(DAS) qui s’est faite sans qu’il y ait, pour le moins, une répartition équitable des compétences
dans les collectifs d’attributaires d’où une déperdition du caractère professionnel de l’activité
agricole. Il faut noter, également, que le niveau d’encadrement technique insuffisant dans les
exploitations ne peut s’appuyer que sur la vulgarisation agricole mais actuellement les actions de
vulgarisation ne semblent pas toujours répondre aux attentes des producteurs.
d) La politique économique. En matière de production de lait cru local, il semble que les incitations,
dans le cadre du FNRDA5, sous forme de primes, à l’éleveur sont insuffisantes. Il s’agit de la
prime d’incitation à la production locale de lait livré à la transformation, à raison de 7 DA/litre, la
prime à la collecte et livraison de lait cru, à raison de 4 DA/litre et une prime de 2 DA/l pour le
transformateur. A cela, il faudrait ajouter Ies subventions pour l’investissement à la ferme pour les
éleveurs qui disposent de plus de 6 vaches. A la lumière des dernières augmentations des prix des
céréales sur le marché mondial, ces primes sont à revoir à la hausse. D’ailleurs, dans une étude
récente (Ferrah, 2006), on a estimé que les coûts de production du litre de lait de vache ont
rapidement progressé. En 2000, le coût était en moyenne de 22,4 Da/ l pour passer en 2004 à 27,1
Da soit une augmentation de 21 % en l’espace de quatre années ce qui démontre la sensibilité des
coûts par rapport au niveau de productivité et aux coûts des intrants.
e) Le mouvement associatif. Le désengagement de l’Etat de la gestion de la sphère de production
agricole a laissé un vide organisationnel. L’Etat a voulu le combler en créant un cadre juridique
pour le développement du mouvement associatif6. Pour ce faire, les pouvoirs publics créent en
1991 les chambres d’agriculture7 dont la mission première est d’asseoir l’action collective en
incitant les producteurs agricoles à s’organiser en associations de filières professionnelles.
L’impact réduit des organisations de la profession agricole sur le monde agricole n’a pas
convaincu les agriculteurs, qui restent en marge du mouvement associatif et n’arrivent pas à
assimiler clairement le rôle effectif et concret du mouvement associatif. En effet, à l’échelle
nationale, seulement 2 % des agriculteurs sont adhérents aux associations agricoles (Djebbara et
al, 2006) ce qui dénote que la professionnalisation de cette filière est contrariée par les stratégies
individuelles développées par les acteurs et se traduit par le manque d’organisation de la filière lait
entre les différents acteurs (producteurs, collecteurs, transformateurs).
3
1 023 799 exploitations (données du Recensement Général de l’Agriculture (RGA) de 2001)
4
Projet systèmes irrigués modernes au Maghreb (SIRMA)
5
. Fonds National de Régulation du Développement Agricole
6
Loi n°90-31 du 4 décembre 1990 relative aux associations.
7
Décret exécutif n° 91 – 31 de 1991
Colloque international « Développement durable des productions animales : enjeux, évaluation et
perspectives », Alger, 20-21 Avril 2008
Il semble, à travers les différentes analyses sur le développement de la filière lait, que les problèmes
présentés ci -dessus sont les principaux obstacles qui ont tendance à bloquer le développement intégré
de cette filière.
On ne peut aujourd’hui parler de politiques possibles sans apporter les observations et/ou les analyses
nécessaires sur les politiques passées en matière d’élevage.
Le modèle intensif de production agricole planifié préconisé dans les années 70 visait à moyen et long
terme l’objectif d’autosuffisance alimentaire du moins la réduction de la dépendance alimentaire sur
les produits stratégiques de première nécessité tels que le lait et les céréales. Ce fut un échec patent. La
vision technique relativement cohérente de projets de développement intégrés ou de projets de
substitution d’importation à développer dans des zones de fortes potentialités, notamment dans les
grands périmètres nouveaux et/ou hérités de la colonisation, était la garantie de l’Etat pour répondre
aux besoins alimentaires des populations.
L’étude de la production agricole et de l’élevage bovin laitier dans le périmètre irrigué du Haut Cheliff
(37 010 ha), comme exemple de cette politique, l’illustre bien. En effet, les orientations de
développement de cet espace agricole ont été raisonnées sur la base d’un système de production
agricole intégré développant des échanges forts entre les productions végétales et animales. Ainsi, les
schémas de développement retenus ont préconisé l’accroissement des superficies fourragères et la
valorisation des sous produits tel que les pailles et la pulpe de la betterave à sucre pour assurer
l’alimentation d’un cheptel bovin laitier à haut potentiel de productivité. En retour, le fumier produit
par le cheptel bovin contribuera à améliorer la fertilité des sols.
La mise en œuvre de ce projet de développement a montré que la production laitière a doublé sur une
période de six années. Elle est passée de 2,5 millions de litres en 1971 à plus de 5 millions de litres en
1976 (Djebbara, 1986). Pour la même période étudiée (1971-1976), l’effectif bovin du secteur étatique
(domaines autogérés) a triplé. Il est passé de 1000 à 3000 vaches. En revanche, durant cette période il
a été constaté une baisse drastique du rendement en lait par vache avec une moyenne économique
annuelle par vache de 2000 litres largement en deçà par rapport aux prévisions du projet qui étaient de
2 800 litres pour atteindre un seuil 3200 litres au bout de la quinzième année.
Cette croissance de la production de lait était liée beaucoup plus à l’accroissement de l’effectif bovin
qu’à sa productivité ce qui a eu comme conséquence une augmentation des coûts fixes de production.
Le prix de vente interne du lait, en comparaison avec celui du marché mondial, devenait prohibitif
pour les transformateurs. Ainsi, l’industrie laitière publique (ONALAIT) confrontée à une distorsion
des prix du litre de lait entre le prix au producteur qui est passé rapidement de 0,8 Da le litre en 1969 à
3 Da en 1981 et le prix à l’importation pour la même période de 0,5 Da/l à 0,80 Da/l (Djebbara, 1986)
s’est complètement détournée de la collecte du lait de vache, pour des exigences de rentabilité
économique, au profit de l’importation de lait en poudre.
Le déséquilibre observé entre la surface fourragère et la charge animale dans le périmètre a posé le
problème de coordination des différents acteurs pour le développement de la filière lait.
Les stratégies individuelles divergentes développées par les différents acteurs en raison d’une politique
des prix de biens agricoles inadaptée au contexte du niveau de productivité local et du niveau des prix
sur le marché mondial ont eu comme conséquence la régression de la filière lait. On voit bien que du
point de vue de la durabilité la filière lait dans ses volets économique et social a été négative.
Devant cette situation d’échec du développement de la filière lait quel serait l’alternative qui pourrait
garantir sa durabilité? En termes de politiques possibles pour le développement agricole, l’exemplarité
de la politique agricole commune (PAC) européenne montre l’efficacité en matière de satisfaction des
besoins alimentaires des populations. C’est un système de régulation et de subvention mis en place par
la communauté européenne pour augmenter les rendements agricoles tout en maintenant les revenus
des exploitants.
Depuis son entrée en vigueur en juillet 1962 les objectifs assignés à la PAC (Politique Agricole
Commune) par le traité de Rome visaient à accroître la productivité pour garantir les
approvisionnements, à stabiliser les marchés, ainsi qu’à assurer un niveau de vie équitable à la
population agricole et des prix convenables pour le consommateur. Cependant, elle a connu de
nombreuses réorientations. L'objectif principal vise aujourd'hui à garantir une agriculture européenne
Colloque international « Développement durable des productions animales : enjeux, évaluation et
perspectives », Alger, 20-21 Avril 2008
compétitive, respectueuse de l'environnement (depuis le 1er janvier 2005 a été introduit un critère
d’éco - conditionnalité des aides PAC) et soucieuse des attentes du consommateur.
En Algérie, la politique agricole a été raisonnée dans la même conception générale que la PAC sauf
qu’elle ne concerne qu’elle même. Elle n’a pas été raisonnée, pour des considérations politiques
intrinsèques aux pays du Maghreb, dans un ensemble plus grand qui serait, logiquement, l’espace
maghrébin, ce qui aurait donné, probablement, une meilleure orientation de production en termes
d’avantages comparatifs.
Au début des années 2000, pour dynamiser le secteur agricole, les pouvoirs publics en Algérie ont axé
leur politique de développement agricole (PNDA)8 sur les aides directes aux agriculteurs pour ensuite
l’élargir à la société rurale (PNDAR)9.
La nouvelle approche de développement rural va expérimenter une méthode fondée sur le principe de
l’intégration des actions et de la participation des acteurs locaux dans les dynamiques de projet
(Bessaoud, 2006). Cela ne peut que renforcer la cohésion sociale et par conséquent permettre de mieux
identifier les projets de développement intégrés.
En ce sens, les politiques de développement sectoriels devraient viser à une forte intégration de la
filière lait. En fin de compte, cela revient à réfléchir à une chaîne d’approvisionnement définie comme
un ensemble de relations coordonnées entre fournisseurs, industriels, distributeurs et commerçants
assurant la transformation d’une matière première en des biens de consommation finale (Le Gal et al.,
2007). Cette approche en terme de chaîne d’approvisionnement a été testée dans un périmètre irrigué
de 100 000 ha (Tadla) au Maroc. L’intérêt de cette démarche est d’inspirer une meilleure coordination
sectorielle aux décideurs qui concerne le périmètre irrigué fournisseur d’eau, les agriculteurs
producteurs de matières premières agricoles et les entreprises de transformation et distribution.
Au plan opérationnel, l’analyse des modes de coordination entre différentes fonctions (de l’eau brute
livrée à la transformation du lait brut en lait conditionné et dérivés) et acteurs permet d’identifier les
actions à même d’améliorer les performances de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
CONCLUSION
Une politique d’élevage durable en Algérie dépend de la connaissance approfondie des systèmes
d’élevage en repérant les maillons faibles de sa durabilité (économique, sociale et environnementale)
et de trouver des compromis en terme d’aides publiques aux différents acteurs de la ″chaîne
d’approvisionnement du lait″ pour améliorer son efficacité productive.
Adams W.M, 2006. Le futur de la Durabilité. Repenser l'environnement et le développement au vingt et unième
siècle. Union mondiale pour la nature (IUCN)
Bessaoud O., 2006. La stratégie de développement rural en Algérie. Options Méditerranéennes, Sér. A / n°71,
Djebbara M., 1986. Calcul économique et mise en valeur en irrigué en Algérie. Cas du Haut Chéliff. Magister
en Sciences Agronomiques, INA, 1986. 194 p.
Djebbara M., Chabaca M- N., Hartani T., Mouhouche B., Ouzri B ., 2006. Rôle de l’action collective dans le
développement de la profession agricole dans la wilaya de Blida (Algérie). Actes du séminaire Wademed,
Cahors, France, Cirad, Montpellier, France
Ferrah A., 2006. Aides publiques et développement de l’élevage en Algérie. Contribution à une analyse
d’impact (200 -2005). Cabinet GREEDAL.COM
Le Gal P-Y., Kuper M., Moulin C–H., Puillet L., Sraïri M-T., 2007. Dispositifs de coordination entre
industriel, éleveurs et périmètre irrigué dans un bassin de collecte laitier au Maroc. Cahiers Agricultures vol. 16,
n° 4, 2007
Rapport FAO, 2006. Livestock long shadow. Environmental issues and options. FAO/LEAD, 390 p.
http://www.virtualcentre.org/en/library/key_pub/longshad/A0701E00.pdf
8
Plan National de développement agricole
9
Plan National de développement agricole et rural