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Climatologie

La Météorologie - n° 46 - août 2004 25

La canicule d’août 2003


en France et en Europe

Résumé Pierre Bessemoulin(1), Nicole Bourdette(2), Philippe Courtier(3)


et Jacques Manach(4)
Une grande partie de l’Europe de (1) Météo-France - Direction de la climatologie
42, avenue Gaspard-Coriolis - 31057 Toulouse Cedex 01
l’Ouest incluant la France a connu pen-
pierre.bessemoulin@meteo.fr
dant la première quinzaine d’août 2003 (2) Météo-France - Direction de la climatologie - Toulouse
une canicule exceptionnelle, à la fois : (3) Météo-France - Directeur général adjoint - Paris
• par sa durée, près de deux semaines (4) Météo-France - Direction de la prévision - Toulouse
entre 1er et le 15 août ;
• par son intensité, les records absolus
de température maximale ont été bat-
tus au cours des douze premiers jours
d’août 2003 sur plus de 70 stations du
réseau français ; Certains pays, comme la Grande-
• par son extension géographique. La Quelques définitions Bretagne, considèrent qu’il y a canicule
majeure partie de la France, de la L’origine du mot canicule provient du si la moyenne journalière dépasse de
péninsule Ibérique et de l’Italie ont latin « canicula », petite chienne, nom plus de 4 °C la normale mensuelle du
été touchées, mais aussi une portion donné à l’étoile Sirius de la constella- lieu. L’Institut royal de météorologie
importante de l’Allemagne et des tion du Grand Chien. Dans l’Antiquité, des Pays-Bas la définit comme une
pays bordant la mer Adriatique. La on avait remarqué que les fortes cha- période d’au moins cinq jours consé-
Suisse, l’Autriche, la Belgique, les leurs estivales commençaient générale- cutifs pendant lesquels la température
Pays-Bas ont également connu une ment lorsque le Soleil et Sirius se minimale atteint 25 °C et la température
chaleur record. levaient et se couchaient ensemble. maximale 30 °C. En France, la défini-
Mais ce sont surtout les conséquences tion utilisée jusqu’ici, à savoir une
catastrophiques en termes de pertes Parmi les autres mots caractérisant une période d’au moins deux jours consé-
de vies humaines qui auront marqué période de chaleur intense, figure celui cutifs au cours desquels les températu-
les esprits : près de 15 000 décès addi- de vague de chaleur. L’Organisation res ont atteint ou dépassé la valeur de
tionnels en France au mois d’août. météorologique mondiale (OMM) la 35 °C, apparaît très réductrice, en parti-
définit comme « un réchauffement culier parce qu’elle ne prend pas en
important de l’air, ou une invasion d’air compte un seuil de température mini-
Abstract très chaud sur un vaste territoire, géné-
ralement de quelques jours à quelques
male. Une adaptation de la définition
néerlandaise, en remontant le seuil haut
semaines », sans pour autant y associer de 30 °C et surtout en l’adaptant aux
The August 2003 heat wave de seuil spécifique, en raison de la particularités régionales, serait sans
in France and Europe grande diversité des climats locaux. doute beaucoup plus appropriée.
During the first half of August 2003 a
Figure 1 - Série temporelle de la température moyenne quotidienne à Paris (en noir), comparée aux déciles supé-
large part of Western Europe, inclu- rieur (en rouge) et inférieur (en bleu).
ding France, was affected by a heat
wave which was exceptional for seve-
ral reasons:
• its length, nearly two weeks from
August 1 to 15;
• its intensity, absolute records of tem-
perature were broken at more than
70 stations of the French network;
• its geographical extent – most of
France, the Iberian peninsula, Italy
were concerned, as well as much of
Germany, and countries bordering the
Adriatic sea. Switzerland, Austria,
Belgium, the Netherlands also expe-
rienced record temperatures.
However, the most noticeable catas-
trophic consequence was the heavy
losses of life: nearly 15,000 excess
deaths for August in France alone.
26 La Météorologie - n° 46 - août 2004

Des notions également souvent utilisées


sont celles de jour de chaleur, qui s’ap-
plique lorsque la température maximale
du jour atteint ou dépasse 25 °C, de
jour de forte chaleur lorsque la tempé-
rature maximale du jour atteint ou
dépasse 30 °C, et de jour de très forte
chaleur lorsque la température maxi-
male du jour atteint ou dépasse 35 °C.
Comme le fait remarquer Besancenot
(2002), « une vague de chaleur se défi-
nit moins météorologiquement que
médicalement : ce serait un paroxysme
thermique positif de basse fréquence
entraînant une surmortalité ».

2003 en France : Figure 3 - Évolution des moyennes estivales (du 1er juin au 31 août) des températures quotidiennes maximales
(haut), moyennes (centre) et minimales (bas) en France depuis 1950.

de la sécheresse
à la canicule La figure 1 présente l’évolution de la tem- pour les prévisions à moyen terme s’est
pérature quotidienne moyenne à Paris : il montrée particulièrement performante
Les précipitations d’octobre 2002 à jan- est particulièrement remarquable qu’elle (Gazzini et al., 2004).
vier 2003 ont permis un remplissage cor- dépasse le décile supérieur pendant douze
rect des nappes et des réserves en eau, jours consécutifs, du 4 au 15 août. La figure 2 illustre le fait que des tempé-
mais un temps faiblement perturbé dès ratures excédentaires ont été observées
février et des températures nettement au- La canicule a bien été prévue par dès le mois de mars. C’est le mois de juin,
dessus de la normale saisonnière en mars Météo-France, qui, outre les prévisions avec un écart de +4,7 °C par rapport à la
et avril ont favorisé la croissance de la habituelles, a communiqué vers le grand normale 1971-2000, qui enregistre l’ex-
végétation, entraînant une demande en public par l’intermédiaire de commu- cédent le plus important, suivi d’août
eau accrue, notamment dans les réser- niqués météorologiques de presse, (+4,4 °C) et juillet (+1,8 °C). L’été 2003
voirs superficiels. La sécheresse des sols compte tenu de l’ampleur de l’événement est le plus chaud jamais observé depuis le
s’est installée dès mars, réduisant ainsi prévu : le 1er août (mise en place de la début de la mise en place d’un réseau
très fortement l’évaporation, ce qui a eu canicule), le 7 août (poursuite pour d’observation en France. Il est bien plus
pour résultante une augmentation de la encore une semaine) et le 13 août (fin de chaud (de 1,7 à 2,7 °C) que les trois pré-
température près du sol ; cela constitue un l’épisode). En particulier, dans celui du cédents étés les plus chauds (1976, 1983
des volets de la rétroaction positive de 7 août, l’attention sur le risque sanitaire et 1994 pour la température maximale,
l’humidité des sols. De juin à août, la si- est explicite, en raison de la durée et de 1994 pour la température moyenne).
tuation s’est aggravée avec les fortes cha- l’amplitude prévues. Ces communiqués Mais, surtout, il est plus chaud pour les
leurs et l’absence de pluies. Sécheresse et de presse ont très largement été repris par températures minimales de 3,5 °C que la
canicule se sont alors conjuguées, et, dès tous les médias : télévision, presse écrite moyenne 1950-1980 et de 1,7 °C que
la mi-juillet, des incendies ont ravagé le et parlée. La prévision d’ensemble à 1994, le deuxième été le plus chaud
sud-est de la France. moyenne échéance du Centre européen (figure 3). Pour le trimestre estival juin-
juillet-août, un calcul de durée de
retour(1) fournit les valeurs suivantes pour
Figure 2 - Température moyenne mensuelle en France pour l’année 2003 (en rouge) calculée à partir des stations les températures :
représentatives des 22 régions économiques et comparée aux normales mensuelles (en jaune). – moyenne des températures minimales
et moyennes journalières : de l’ordre de
190 ans ;
Normale mensuelle – moyenne des températures maximales
TM mensuelle journalières : de l’ordre de 140 ans.

En ce qui concerne les cumuls de préci-


pitations de février à août, on note un
déficit de 20 à 50 % sur la grande majo-
rité du territoire ; seuls le Languedoc-
Roussillon et localement le piémont
pyrénéen sont excédentaires. La séche-
resse des sols s’achève en septembre.

(1) La durée du retour est l'inverse de la fréquence


estimée de l'événement. Elle représente le délai
moyen entre deux occurrences de cet événement.
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a b

c Figure 4 - Champs de température analysés à 850 hPa,


a, le 1er août 2003,
b, le 7 août 2003,
c, 13 août 2003.

du sud de la torrides, mais des températures noctur-


Méditerranée nes record sont observées, dépassant les
(figure 4). Des 25 °C comme les 11 et 12 août à Paris.
conditions anti- Ces deux jours sont véritablement
cycloniques exceptionnels dans le sens où, aux
s’installent éga- conditions thermiques très adverses,
lement en sur- s’est ajoutée une dégradation de l’envi-
face, rejetant ronnement. À la pollution par l’ozone,
d’éventuelles prédominante sur l’ensemble de la
perturbations au période, est venu se superposer ces deux
nord des îles jours un pic en dioxyde d’azote associé
Britanniques et à des vents très faibles. La dorsale ne
maintenant un commence à s’affaiblir que le
Le contexte air sec et stable sur le pays. De ce fait,
toute convection est inhibée. Les pre-
13 août. Le 14, la baisse du champ de
pression est quasi généralisée sur
synoptique miers records de température maximale l’Europe de l’Ouest, et, le 15, le flux se
tombent dans le Sud-Ouest dès le 3 et le réoriente au sud-ouest sur les côtes
Fin juillet-début août, une puissante 4 août, tandis que la dorsale d’altitude se atlantiques.
dorsale d’altitude se développe de renforce sur l’Europe de l’Ouest. La
Gibraltar aux Pays-Bas, puis se ren- puissante dorsale d’altitude surplombant
force sur la France. Elle va ramener un marais barométrique reste bloquée
pendant plus de dix jours de l’air très les jours suivants. Pendant toute cette
chaud et très sec en provenance période, non seulement les journées sont La canicule
sur la France
Cette canicule a été exceptionnelle par sa
durée (près de deux semaines) et son
intensité. Les records absolus de tempéra-
ture maximale ont été battus au cours des
douze premiers jours d’août 2003 sur
plus de 70 stations météorologiques (d’un
ensemble de 180 stations, notre échan-
tillon représentatif des villes françaises).

Figure 5 - Chronologie des températures


minimales (Tn) et maximales (Tx) quotidiennes,
moyennées sur la France à partir des stations
représentatives des 22 régions économiques,
entre le 1er juin et le 31 août 2003.
Les courbes en jaune et bleu clair représentent
les normales mensuelles.
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Dès le 4 août, des tempéra-


Station Nouveau record en 2003 Ancien record
tures supérieures à 35 °C ont
Ambérieu (01) 40,3 °C le 13-08 40,2 °C le 27-07-1983 été observées dans les deux
Saint-Girons (09) 38,6 °C le 04-08 38,2 °C en juillet 1983 tiers de ces 180 stations
Carcassonne (11) 41,9 °C le 13-08 41,8 °C le 12-08-2003 météorologiques, réparties
41,8 °C le 12-08 41,0 °C le 06-08-2003 sur l’ensemble des régions
41,0 °C le 06-08 40,2 °C le 06-07-1982
françaises. Des températu-
res supérieures à 40 °C ont
Millau (12) 38,0 °C le 12-08 37,5 °C le 16-08-1987 été relevées dans 15 %
Caen (14) 38,9 °C le 05-08 36,6 °C le 01-07-1952 de ces mêmes stations, y
Brive (19) 40,7 °C le 12-08 40,5 °C le 04-08-2003 compris en Bretagne, ce qui
40,5 °C le 04-08 39,6 °C le 12-07-2003 n’était encore jamais arrivé
depuis le début des mesures
Châtillon-sur-Seine (21) 40,7 °C le 07-08 40,2 °C le 06-08-2003 de température.
Dijon (21) 39,0 °C le 07-08 38,5 °C le 05-08-2003
38,5 °C le 05-08 38,1 °C en 1983 La chronologie des tempé-
Guéret (23) 38,5 °C le 07-08 38,4 °C le 04-08-2003 ratures minimales et maxi-
males, moyennées sur la
Bergerac (24) 41,1 °C le 04-08 38,4 °C le 04-08-1990
France, est présentée figure
Évreux (27) 36,8 °C le 05-08 36,7 °C le 03-08-1990 5. On y remarque la montée
Nîmes (30) 41,6 °C le 09-08 41,6 °C le 09-08-1923 progressive des températu-
Mont Aigoual (30) 28,7 °C le 11-08 28,2 °C le 01-08-1947 res maximales entre le 1er et
le 5 août, d’une valeur pro-
Toulouse-Blagnac (31) 40,7 °C le 04-08 40,2 °C le 01-08-1947 che des normales (24,8 °C)
40,2 °C le 08-07-1982 jusqu’à une valeur de 37 °C,
Bordeaux-Mérignac (33) 40,7 °C le 04-08 38,8 °C en 1998 ces températures se mainte-
Dinard (35) 39,4 °C le 05-08 35,4 °C le 01-07-1952 nant entre 36 °C et 37 °C
jusqu’au 13 août.
Chatte (38) 40,2 °C le 05-08 39,8 °C en juillet 1983
Grenoble-Saint-Geoirs (38) 39,5 °C le 13-08 38,9 °C le 12-08-2003 Le nombre de jours où les
38,9 °C le 12-08 38,7 °C le 05-08-2003 températures 35 °C et 40 °C
38,7 °C le 05-08 38,3 °C le 26-07-1983 ont été dépassées est particu-
Gourdon (46) 41,8 °C le 04-08 40,7 °C le 19-07-1998 lièrement remarquable (fig-
40,7 °C le 22-06-2003 ure 6), comme à Auxerre où
les 40 °C ont été dépassés
Reims (51) 39,3 °C le 12-08 38,6 °C le 07-08-2003 huit jours d’affilée. À noter
38,6 °C le 07-08 38,3 °C le 28-06-1947 que le record absolu de tem-
Nancy-Essey (54) 39,3 °C le 08-08 38,4 °C le 05-08-2003 pérature en France a été
Nancy-Ochey (54) 38,4 °C le 12-08 37,8 °C le 08-08-2003 enregistré à Saint-Christol-
37,8 °C le 08/08 36,8 °C le 11-08-1998 lès-Alès (poste climato-
logique) et à Conqueyrac
Nevers (58) 39,2 °C le 11-08 38,9 °C le 07-08-2003
(station automatique), dans
38,9 °C le 07-08 38,8 °C le 05-08-2003 le Gard, avec 44,1 °C, battant
38,8 °C le 05-08 38,7 °C le 23-07-1947 le vieux record de Toulouse-
Creil (60) 39,1 °C le 12-08 38,1 °C les 06 et 10-08-2003 Francazal du 8 août 1923
Biarritz (64) 40,6 °C le 04-08 39,8 °C le 05-07-1982 (égalé plusieurs fois, dont les
deux dernières avant cet épi-
Bâle-Mulhouse (68) 39,1 °C le 13-08 38,8 °C le 31-07-1983
sode à Vallon-Pont-d’Arc
Lyon-Bron (69) 40,5 °C le 13-08 39,8 °C le 22-07-1983 dans l’Ardèche, les 6 juillet
Mâcon (71) 39,8 °C le 13-08 39,2 °C le 29-07-1947 1982 et le 30 juillet 1983).
Mont-Saint-Vincent (71) 36,4 °C le 05-08 36,3 °C le 31-07-1983
Le nombre de jours où la
Le Mans (72) 40,5 °C le 06-08 40,4 °C le 28-07-1947 température a dépassé les
Toussus-le-Noble (78) 39,1 °C le 11-08 38,6 °C le 06-08-2003 35 °C et les 40 °C est
38,6 °C le 06-08 37,1 °C le 21-07-1995 aussi exceptionnel par l’éten-
Trappes (78) 39,1 °C le 06-08 37,6 °C le 28-07-1947 due géographique concernée
comme on peut le voir sur
Niort (79) 40,1 °C le 05-08 39,1 °C le 04-08-2003
la figure 6 et sur le tableau 1.
Albi (81) 40,9 °C le 05-08 40,8 °C le 30-07-1983
Burlats (81) 42,5 °C le 04-08 41,6 °C le 30-07-1983
Lacaune (81) 36,7 °C le 06-08 36,5 °C le 22-07-2003
Orange (84) 42,6 °C le 12-08 40,7 °C le 26-07-1983
Carpentras (84) 41,9 °C le 12-09 41,6 °C en 1983
Tableau 1 - Quelques records absolus
Fontenay-le-Comte (85) 41,9 °C le 09-08 41,2 °C le 04-08-2003 de température quotidienne
41,2 °C le 04-08 37,6 °C le 20-07-1995 maximale battus
en France en août 2003.
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a b

Figure 6 - Nombre de jours avec : a,température maximale (Tx) supérieure à 35 °C et b, température maximale (Tx) supérieure à 40 °C sur la période 1er au 18 août 2003
(pour les stations d’altitude inférieure à 500 mètres).

Illustration sur Paris tures minimales, maximales que – dans le domaine de la pollution, car
moyennes. Le seul record qui n’a pas aux pics d’ozone observés, particulière-
À Paris, où Météo-France dispose d’une été battu est celui du maximum absolu, ment forts et permanents pendant tout
série chronologique depuis 1873, on peut mais on a observé dans la région des l’épisode, est alors venu s’ajouter un pic
illustrer les propos précédents en étu- valeurs plus élevées, en particulier à de dioxyde d’azote ;
diant les séquences de jours consécutifs Saint-Maur (Val-de-Marne). – en diminuant la ventilation et en
où la température maximale a dépassé accentuant donc encore le risque de
les 35 °C. On note de telles séquences : Il faut insister particulièrement sur les 11 non-dispersion des polluants et de non-
en 1998 – quatre jours du 8 au 11 août – et 12 août qui sont deux jours tout à fait refroidissement du corps humain.
et en 1911 – cinq jours du 8 au 12 août. exceptionnels intervenant à un moment
Sur cette séquence de 1911, les valeurs où les conséquences cumulatives de la L’humidité relative, qui est reconnue
moyennes sont les suivantes : tempéra- canicule sont déjà très sensibles dans de comme un facteur aggravant de la cani-
ture minimale : 19,2 °C ; température multiples domaines. Le vent qui est cule, n’est pas ici un élément détermi-
maximale : 36,2 °C ; température devenu très faible en fin de période les nant, car l’humidité est restée
moyenne : 27,7 °C. 11 et 12 a eu également un double rôle : généralement faible.

En 2003, on a une séquence de neuf


jours consécutifs du 4 au 12 août avec Figure 7 - Nombre de jours du trimestre juin-juillet-août 2003 où la température maximale journalière a dépassé le décile
supérieur de température maximale journalière calculé sur la période 1961-1990. (Source : projet European Climate
les valeurs moyennes suivantes : tempé- Assessment, www.knmi.nl/samenw/eca/ index.html). Le décile supérieur est la valeur-seuil qui n’a été dépassée que
rature minimale : 23,4 °C ; température dans 10 % des cas dans les relevés des archives climatiques.
maximale : 38,1 °C ; température
moyenne : 30,8 °C. De plus, les 11 et
12 août, le record absolu de température
minimale est battu : il s’élève à 25,5 °C
et dépasse de très loin le record précé-
dent qui s’élevait à 24 °C en juillet
1976.

Depuis 1873, les cinq jours les plus


chauds en température moyenne se
situent dans cette période, suivis du
28 juillet 1947 (mais qui a connu une
température maximale plus élevée :
40,4 °C), puis par deux autres jours de
cette période d’août 2003.

En conclusion, cette période de canicule


dépasse de très loin tout ce qui a été
connu depuis 1873 par son intensité et
sa longueur, tant au niveau des tempéra-
30 La Météorologie - n° 46 - août 2004

Figure 8 - Évolution des températures, a


a, minimales et b, maximales quotidiennes
dans différentes villes européennes
du 1er au 15 août 2003.

La canicule
en Europe
La canicule de la première quinzaine
d’août a touché, mais dans une moindre
mesure en termes de pertes de vies
humaines, les pays voisins. La figure 7
illustre les régions d’Europe où la vague
de chaleur a été la plus prononcée par
rapport à leur propre climatologie.

Sous une autre forme, les figures 8a et


8b montrent des températures minimales b
et maximales quotidiennes à Paris,
Orange, Lisbonne, Bruxelles, Madrid et
Londres. Du 7 au 14 août 2003, à Paris-
Montsouris, les températures minimales
sont restées de façon quasi continue au-
dessus des 23 °C. Parmi les stations com-
parées ici, seule celle de Lisbonne
enregistre des valeurs de températures
minimales de cet ordre, mais avec cepen-
dant une baisse du 9 au 11. En ce qui
concerne les températures maximales, du
4 au 12, Paris-Montsouris et Orange res-
tent largement au-dessus des 36 °C. Il en
est de même pour Madrid, mais avec des
températures moins élevées.

Les températures relevées en Allemagne


et en Suisse ont toutefois été réellement
exceptionnelles, comme le traduit la
figure 7, puisque le Deutsche Wetter-
dienst a estimé la durée de retour de la L’Espagne et l’Italie ont aussi été concer- rieur à celui du nord de la France (26 °C
température de l’été 2003 en Allemagne à nées par l’épisode caniculaire, mais seule pour la Belgique, à comparer à 41 °C
1 000 ans (E. Dittmann, communication l’Andalousie a connu une canicule plus pour l’Andalousie).
personnelle) et Météo-Suisse à plusieurs sévère que la France, tempérée par le fait
millions d’années en Suisse (Schär et al., que la population de cette région possède Le nombre de jours où des températures
2004). un seuil bio-critique de température supé- de 35 °C et 40 °C ont été dépassées dans
tous ces pays est présenté figures 9 et 10.

L’impact sanitaire
Il existe, dans la mémoire collective
récente, des vagues de chaleur ayant
engendré une forte mortalité. À l’étran-
ger, les canicules qui ont suscité les plus
forts impacts médiatiques sont celles
ayant touché Chicago (739 décès sup-
plémentaires en juillet 1995 lors d’une
vague de chaleur de quatre jours, suite à
des températures ayant atteint 40,0 °C le

Figure 9 - Nombre de jours du 1er au 18 août 2003


avec température maximale supérieure à 35 °C.
La Météorologie - n° 46 - août 2004 31

Figure 10 - Nombre de jours du 1er au 18 août 2003


avec température maximale supérieure à 40 °C.

talité observés lors de l’été 2003, les


causes directement liées à la chaleur
(coups de chaud, déshydratations,
hyperthermies) ont représenté, selon
l’Inserm, 29 % des décès, les maladies
cardio-vasculaires 21 % et les maladies
de l’appareil respiratoire 8 %. Les chif-
fres pour l’Europe sont synthétisés sur
le tableau 2.

Le très faible décalage temporel entre


augmentation de température et morta-
lité est frappant sur la figure 11, parti-
culièrement vers la fin de la vague de
chaleur où les températures nocturnes et
minimales ne sont pas descendues en
dessous de 25 °C.
13 juillet 1995) et Athènes (4 093 (ce chiffre représente la normale des
décès supplémentaires enregistrés lors températures maximales pour juillet !), Et dans un passé plus lointain ?
de la troisième décade de juillet 1987, avec de l’air humide et des températu- Emmanuel Le Roy-Ladurie, célèbre
avec des températures ayant atteint res maximales comprises entre 35 et historien, rappelle que les sécheresses
43,6 °C). 41 °C. Le thermomètre n’est pas des- et les canicules ont marqué notre his-
cendu au-dessous de 20 °C pendant toire, comme cette série d’étés cani-
Paradoxalement, elles sont de bien vingt jours. La surmortalité sur juin et culaires de 1331 à 1334, ou de 1383 à
moins grande amplitude que celles juillet 1983 sur l’ensemble de la 1385. Lors de l’été 1636 qualifié d’été
ayant affecté la France il n’y a pas si France s’est élevée à 4 700 cas. du Cid, les témoins rapportent « un
longtemps. En effet, notre pays a connu effroyable harassement de chaleur »
deux épisodes de canicule avant 2003, En 2003, l’augmentation des décès par pendant plusieurs semaines à Paris. La
qui ont eu également des conséquences rapport à la moyenne a atteint 60 % en mortalité devient alors facilement
sanitaires dramatiques : France entre le 1er et le 20 août selon catastrophique en raison de la dysente-
– en juin-juillet 1976, une vingtaine de l’Inserm, soit 14 802 décès supplémen- rie résultant de l’infestation des cours
départements ont vu leur mortalité s’é- taires, chiffre corrigé ultérieurement à d’eau et des puits presque à sec :
lever de plus de 10 % ; 15 000. La mortalité a été très pronon- 500 000 morts lors de l’été 1636 ou de
– la canicule mémorable de juillet cée dans la région Centre où elle a dou- l’été 1705, 700 000 lors des canicules
1983 dans le sud-est de la France a fait blé dans les départements suivants : estivales de 1718-1719. Enfin, on rap-
300 morts dans la seule région de Aube, Cher, Creuse, Deux-Sèvres, pelle souvent que l’enchaînement de
Marseille, imputables directement ou Indre, Indre-et-Loire, Loiret, Loir-et- pluies abondantes à l’automne 1787, de
indirectement à la chaleur. Lors de la Cher, Sarthe, Vienne, et en Île-de- grêle au printemps 1788, d’un été 1788
dernière semaine de juillet 1983, les France (Paris et les cinq départements caniculaire et de la rigueur de l’hiver
températures minimales à Marseille périphériques) où elle a plus que dou- 1788-1789 déboucha sur l’éclosion du
n’ont pas baissé au-dessous de 28 °C blé (+130 %). Parmi les cas de surmor- contexte révolutionnaire de 1789.

Tableau 2 - Synthèse des effets sanitaires de la vague de chaleur d'août 2003 en Europe de l’Ouest.
Pays Décès additionnels Température maximale la plus haute relevée
France 15 000 44,1 °C à Saint-Christol-lès-Alès le 12-08-2003, contre 44,0 °C à
Toulouse-Francazal le 08-08-1923.
Allemagne Plus de 2 000 40,2 °C à Karlsruhe le 09-08 et à Karlsruhe et Freiburg i. Br. le 13-08
(égalant le record de Gaermersdorf le 27-07-1983)(1)
Royaume-Uni 2 045 38,5 °C à Faversham (Kent) le 10-08 et 37,9 °C à l’aéroport de Heathrow
(ancien record : 37,1 °C à Cheltenham le 03-08-1990)
Italie 4 175 Le record de 46,2 °C (25-06-1982) n’a pas été battu. Le record pour les stations
actuellement existantes reste 45,4 °C (02-07-1998)
Espagne 141 46,2 °C à Cordoue le 01-08-2003, à comparer avec les 46,6 °C au même endroit
le 23-07-1995 et avec les 47,0 °C à Séville le 06-09-1946 (donnée plus discutable)
Portugal 1 316 (mais sans doute 47,3 °C à Amareleja le 1er août (ancien record : 46,5 °C
plus de 2 000) le 24-07-1995 au même endroit)
Belgique 150 38,6 °C à Aubange le 08-08 (ancien record : 38,4 °C à Ronquières le 06-07-1957)
Pays-Bas 1 000 à 1 400 37,8 °C à Arcen le 07-08, le record reste de 38,6 °C à Warnveld le 24-08-1944
Suisse Pas d’estimation 41,5 °C à Grono le 11-08-2003 (ancien record : 39,0 °C à Bâle)
(1) La température moyenne du trimestre estival juin-juillet-août 2003 a été estimée par le Deutsche Wetterdienst à 19,6 °C et sa durée de retour à 1 000 ans.
32 La Météorologie - n° 46 - août 2004

Figure 11 :
• courbe rouge : température quotidienne moyenne
en 2003 à Paris,
•courbe bleue : température quotidienne moyenne
en 2002 à Paris,
• histogramme rouge : nombre quotidien de décès
à Paris en 2003,
• histogramme bleu : nombre moyen quotidien
de décès à Paris sur la période 1999-2002.
(Source : Météo-France et Institut de veille sanitaire).

Rennes : du 4 au 5 août, puis du 8 au


11 août ;
Strasbourg : du 3 au 10 août ;
Abbeville : du 10 au 11 août.

L’épisode 2003 est manifestement le


plus étendu, et de ce point de vue com-
parable à celui de 1947, dont on rap-
pelle ici quelques caractéristiques.
Ajaccio : du 25 au 29 juillet ;
Extension Besançon : du 26 au 27 juillet ; L’année 1947 est célèbre pour les ama-
géographique Clermont-Ferrand : du 30 au 31 juillet ;
Lyon : du 25 au 27 juillet, puis du 30
teurs de vins, car on a souvent parlé
d’année du siècle ! La sécheresse a
des trois canicules au 31 juillet ; démarré début avril et s’est étendue :
les plus récentes Marignane : du 25 au 27 juillet, puis du
29 au 31 juillet ;
– jusqu’à fin octobre, dans la moitié
nord et le Centre ;
en France Montpellier : du 29 au 31 juillet. – jusqu’à mi-août dans les régions méri-
dionales (aucune pluie n’est tombée à
Les trois listes ci-dessous correspondant • 2003 : du 3 au 13 août, sur l’ensem- Toulon, par exemple, entre le 4 mai et le
aux années 1976, 1983 et 2003 indiquent ble de la France, à l’exception de l’ex- 8 août).
les journées au cours desquelles les tem- trême Nord, du Languedoc-Roussillon
pératures ont atteint ou dépassé la valeur et de la Corse. À la sécheresse, sont venues s’ajouter
de 35 °C sur au moins deux journées Besançon, Bordeaux, Châteauroux, dès la fin mai des chaleurs remarquables
consécutives, cela pour les 22 stations Clermont-Ferrand, Dijon, Lyon, Ma- qui se sont prolongées jusqu’à la mi-
météorologiques représentatives des 22 rignane, Nancy, Orléans, Poitiers, septembre et qui ont atteint une intensité
régions économiques françaises. Toulouse : du 3 au 13 août ; exceptionnelle du 29 mai au 3 juin,
Beauvais : du 5 au 7 août ; du 24 au 29 juin, du 21 juillet au 4 août,
Si l’on caractérise par « épisode de très Caen : du 3 au 4 août, puis du 9 au et du 10 au 19 septembre. Les tempéra-
forte chaleur » les périodes sur lesquel- 11 août ; tures moyennes mensuelles d’avril à
les ces conditions météorologiques sont Nantes : du 4 au 5 août, puis du 7 au 10 ; octobre ont été très supérieures à la nor-
remplies sur une zone étendue, donc sur Paris : du 4 au 12 août ; male, la dépassant de 2 °C en mai ainsi
plusieurs régions économiques, nous Reims : du 5 au 12 août ; qu'en juillet, et de 3 °C et plus en août
pouvons identifier les épisodes suivants
pour les trois canicules historiques les
plus récentes dans les villes représenta-
tives de ces régions :
• 1976 : du 25 juin au 5 juillet, d’abord
sur le Sud-Ouest et l’Ouest, puis sur
l’Île de France et la Champagne.
Bordeaux : les 24 et 25 juin ;
Rennes : du 25 au 26 juin, et du 28 au
30 juin ;
Nantes : du 25 au 30 juin ;
Reims : du 30 juin au 5 juillet ;
Paris et Beauvais : du 2 au 3 juillet.

• 1983 : du 25 juillet au 31 juillet, sur


le Sud-Est avec extension sur l’Est du
Massif central et la Franche-Comté.

À l'hôpital d'Arras, la température est montée


jusqu'à 36 degrés dans certaines chambres.
Faute de moyens de climatisation, une mère rafraîchit
son fils avec une serviette mouillée.
(© AFP, Philippe Hugen)
La Météorologie - n° 46 - août 2004 33

Figure 12 - Nombre de jours du trimestre


juin-juillet-août 1947 où la température
maximale journalière a dépassé
le décile supérieur de température maximale
journalière, exprimé en pourcentage.
(Source : projet European Climate Assessment,
www.knmi.nl/samenw/eca/index.html).

et septembre. La figure 12 illustre l’ex-


tension en Europe des hautes valeurs de
température en 1947.

Quelques températures record à l’é-


poque :
40,1 °C le 28-07 à Chartres et le 01-08
à Toulouse,
40,2 °C le 28-07 à Châteauroux,
40,3 °C le 28-07 à Orléans,
40,4 °C le 28-07 au Mans et à Paris,
40,8 °C le 27-07 à Poitiers,
41,0 °C le 01-08 à Agen,
41,4 °C le 28-07 à Tours, Celle-ci a été formalisée en janvier 2004 – d’évaluer les dispositifs mis en place
42,0 °C le 27-07 à Bergerac. par la signature d’un accord-cadre préci- et de faire des recommandations pour
sant le partenariat entre les organismes. leur amélioration.
Ce partenariat dont la mise en œuvre a
déjà commencé repose sur un partage L’objectif de ces actions concertées est
des actions suivantes : la mise en place d’un dispositif d’alerte
Caractéristiques • Météo-France : et d’information du public, mais aussi
générales d’un plan – met en œuvre les indicateurs biomé-
téorologiques validés par l’INVS ;
une mobilisation des services de l’État
compétents dans ce domaine. Le sys-
de surveillance – assure une information du grand tème est devenu opérationnel le 1er juin
public, notamment sous la forme de l’ex- 2004.
et d’alerte canicule tension de la carte de vigilance météoro-
pour l’avenir logique maintenant bien connue du
public. Cette carte, diffusée deux fois par
Pour cela, l’INVS a entrepris depuis
février, dans le cadre du partenariat avec
La fiabilité des prévisions météorolo- jour par les services de Météo-France, a Météo-France, une étude pour définir
giques dépend du phénomène à prévoir. été conçue en collaboration avec les ser- un indicateur biométéorologique et des
Dans le cas des vagues de chaleur (ou de vices de la Sécurité civile ; seuils associés permettant la mise en
froid), il s’agit de phénomènes de grande – diffuse des messages spécifiques à œuvre de l’alerte canicule ; les seuils
ampleur géographique dont la prévision l’INVS ainsi qu’aux partenaires du secteur sont définis pour chacune des grandes
à trois jours d’échéance (voire davan- sanitaire et social désignés par l’INVS. régions climatiques françaises et sont
tage) est relativement fiable. Dans ces • L’INVS se charge, par ailleurs : utilisés par Météo-France pour l’exten-
conditions, il s’agit de mettre à profit ce – d’évaluer les risques correspondant aux sion de la vigilance météorologique
délai dans le but d’assurer une communi- situations météorologiques prévues sur la dans des conditions définies notamment
cation la plus pertinente possible. C’est base des indicateurs biométéorologiques ; au sein du Comité national de suivi de la
pourquoi Météo-France a engagé dès le – d’alerter les autorités sanitaires sur ces procédure de vigilance météorologique
mois d’août 2003 une réflexion avec risques et, le cas échéant, d’informer la qui regroupe, en particulier, les services
l’Institut de veille sanitaire (INVS). population sur ces mêmes risques ; de la Sécurité civile.

Bibliographie
Assemblée nationale, 2004 : Enquête et information sur les conséquences de la canicule (www.assemblee-nat.fr/12/dossiers/canicule.asp#rapport-enquete).
Besancenot J.-P., 2002 : Vagues de chaleur et mortalité dans les grandes agglomérations urbaines. Environnement, Risques & Santé, 4, 229-240.
Gazzini F., L. Ferranti, F. Lalaurette et F. Vitari, 2004 : The exceptional warm anomalies of Summer 2003. ECMWF Newsletter, 99, 2-8.
INVS, 2003 : Impact sanitaire de la vague de chaleur en France survenue en août 2003. Rapport de l’Institut de veille sanitaire, 29 août 2003.
Leroy-Ladurie E., 1967 : Histoire du climat depuis l’an mil. Flammarion, 376 p.
Schär C., P. L. Vidale, D. Lüthl, C. Frei, C. Häberli, M. A. Liniger et C. Appenzeller, 2004 : The role of increasing temperature variability in European summer heat-
waves, Nature. 6972, 332-336.
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