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Culture & Musées

Muséologie et recherches sur la culture 

32 | 2018
L’art du diorama (1700-2000)
The Art of the Diorama (1700-2000)

Noémie Étienne et Nadia Radwan (dir.)

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/culturemusees/2197
DOI : 10.4000/culturemusees.2197
ISSN : 2111-4528

Éditeur :
Avignon Université, UGA Éditions/Université Grenoble Alpes

Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2018
ISSN : 1766-2923

Ce document vous est offert par Universidad de Chile - Facultad de derecho

Référence électronique
Noémie Étienne et Nadia Radwan (dir.), Culture & Musées, 32 | 2018, « L’art du diorama (1700-2000) »
[En ligne], mis en ligne le 16 janvier 2019, consulté le 17 avril 2022. URL : https://
journals.openedition.org/culturemusees/2197 ; DOI : https://doi.org/10.4000/culturemusees.2197

Culture & Musées


INTRODUCTION DE LA PUBLICATION
Il y a vingt ans, Publics & Musées consacrait un numéro aux dioramas. Ce dispositif, qui
s’est entre temps réactualisé sous diverses formes, notamment dans l’art
contemporain, fait l’objet d’une nouvelle livraison, qui problématise leur puissance
narrative, ainsi que la tentation hyperréaliste et l’instauration d’un rapport spécifique
à la réalité et aux savoirs qui les caractérisent. Il s’agit de remettre le diorama au centre
d’une étude des institutions muséales, de la production à la réception, avec un accent
mis sur la matérialité de ces dispositifs et certaines de leur formes-limites.
Twenty years ago, Publics & Musées dedicated an issue to dioramas. This device, which
has since been updated in various forms, particularly in contemporary art, is the
subject of a new contribution. This reappraisal problematizes characteristic aspects of
the dioramas, such as their narrative power, their hyperrealistic lure, as well as their
specific relationship to reality and knowledge. The aim is to refocus the diorama on a
study of museum institutions, from production to reception, with an emphasis on their
materiality and some of their extreme forms.
Hace veinte años, la revista Publics & Musées, dedicaba un número a los dioramas. Este
dispositivo, que mientras tanto se ha ido actualizando en varias formas,
particularmente en el arte contemporáneo, es el tema de una nueva entrega, que
problematiza su poder narrativo, así como la tentación hiperrealista y el
establecimiento de una relación específica con la realidad y el conocimiento que le
caracteriza. Se trata de situar al diorama en el centro de un estudio de las instituciones
museísticas, desde la producción hasta la recepción, haciendo énfasis en la materialidad
de estos dispositivos y algunas de sus formas límite.
L’art du diorama
(1700-2000)
sous la direction de Noémie ÉTIENNE & Nadia RADWAN
CULTURE & MUSÉES
Revue internationale
Muséologie et recherches sur la culture

Direction de la rédaction Comité scientifique international


Éric Triquet, Avignon Université, José Azevedo, Université de Porto
directeur de publication (Portugal)
Isabelle Brianso, Avignon Université, Howard S. Becker, San Francisco (États-
directrice-adjointe de publication Unis)
Marie-Christine Bordeaux, Université André Desvallées, conservateur général
Grenoble Alpes, directice de rédaction honoraire du patrimoine
Vera Dodebei, Université de Rio (Brésil)
Comité de rédaction et de lecture John Durant, directeur du Musée
Florence Andreacola, Université Grenoble Massachusetts Institute of Technology
Alpes (États-Unis)
Serge Chaumier, Université d’Artois Emmanuel Ethis, Avignon Université
(France)
Jacqueline Eidelman, conservateur
général du patrimoine, ministère de la Jean-Louis Fabiani, Université de
Culture et de la Communication Princeton (États-Unis) 
Frédéric Gimello-Mesplomb, Avignon André Gob, Université de Liège
Université (Belgique)
Catherine Guillou, Direction des publics Holger Höge, Université d’Oldenbourg
du Centre Pompidou (Allemagne)
Daniel Jacobi, Avignon Université Yves Jeanneret, Université Paris-
Sorbonne (France)
Emmanuelle Lallement, Direction
générale des patrimoines – Département Raymond Montpetit, Université du
de la politique des publics, ministère de la Québec à Montréal (Canada)
Culture et de la Communication Anne-Catherine Robert-Hauglustaine,
Joëlle Le Marec, Université Sorbonne Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,
Paris 4 Musée de l’air et de l’espace (France)
Jean-Marc Leveratto, Université de Xavier Roigé, Université de Barcelone
Lorraine (Espagne)
François Mairesse, Université Sorbonne Bernard Schiele, Université du Québec à
Nouvelle-Paris 3 Montréal (Canada)
Anik Meunier, Université du Québec à Philippe Verhaegen, Université de
Montréal  Louvain-la-Neuve (Belgique)
Marie-Sylvie Poli, Avignon Université Françoise Wasserman, Conservateur
général honoraire du patrimoine
Dominique Poulot, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne (France)
Vincent Poussou, Direction des publics et
du numérique de la Réunion des musées
nationaux-Grand Palais
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Olivier Thévenin, Université Sorbonne
Nouvelle-Paris 3
Yves Winkin, Musée des arts et métiers
Revue indexée
Francis (INIST-CNRS)
Arts & Humanities Citation Index –
ISI Web of Knowledge (Thomson Reuters),
Current Contents / Arts & Humanities –
ISI Web of Knowledge (Thomson Reuters).

Secrétariat de la rédaction
Secrétariat Culture & Musées,
Centre Norbert Elias (UMR 8562)
Équipe Culture & Communication,
84029 Avignon Cedex.
Courriel : culture-et-musees@univ-avignon.fr

Conception graphique : Maryline Le Roy


ISSN : 2111-4528 
Dépôt légal : 30 décembre 2018
© Association Publics et Musées /
Avignon Université

Culture & Musées est publiée avec le


soutien de la Direction générale des
patrimoines – Département de la poli-
tique des publics du ministère de la
Culture et de la Communication, de la
Région Provence-Alpes-Côte d’Azur et
du CNRS-InSHS (Institut des sciences
humaines et sociales).
Sommaire
7 • Éditorial, 175 • Une politique du diorama :
Marie-Christine Bordeaux L’exemple du musée national de la
et Éric Triquet Marine (1943-1971),
Thomas Deshayes
182 • La Grande Semaine de Sem et
DOSSIER
Roubille : Le diorama par le prisme de
11 • Introduction, la satire, Marianne Le Morvan
Noémie Étienne & Nadia Radwan
190 • La patrimonialisation selon
25 • Les dioramas de l’Australian War l’immatériel ou la mémoire agissante,
Memorial (Canberra). Réécrire le récit circulations des savoirs en contexte
national à l’heure du centenaire de la partenarial de production
Première Guerre mondiale, audiovisuelle, Nolwenn Pianezza
Gaëlle Crenn
194 • Comment la scénographie
53 • Microcosme et immersion : Les d’exposition peut aider à sensibiliser
teatrini de Gaetano Giulio Zumbo, les publics sur des problématiques
Liliane Ehrhart contemporaines dans un musée de
société ? Le cas du Mucem,
81 • Dioramas aquatiques :Théophile
Kim Cappart
Gautier visite l’aquarium du Jardin
d’acclimatation, Guillaume Le Gall
EXPÉRIENCES
107 • Évocation et abstraction : Une
& POINTS DE VUE
approche alternative au réalisme des
dioramas, Éric Triquet 198 • Entretien avec Laurent Le Bon,
par Noémie Étienne & Nadia Radwan
131 • Dioramas ethnographiques et
unités écologiques : La mise en scène 203 • Entretien avec Sammy Baloji,
de la vie quotidienne au musée par Yaëlle Biro & Sandrine Colard
d’Ethnographie du Trocadéro et au
209 • Une belle banalité : entretien
musée national des Arts et Traditions
avec Dan Graham, par Dore Bowen
populaires, Jean-Roch Bouiller &
Marie-Charlotte Calafat
VISITES D’EXPOSITION
218 • Dioramas,
TRAVAUX Véronique Peselmann
& NOTES DE RECHERCHE
161 • Retour à l’ordre ? Injonctions et
contournements dans les dioramas du
Musée polaire de Leningrad (1933-
1937), Sam Omans & Xenia Vytuleva
168 • De la nature à la culture :
Quelques exemples de dioramas
naturalistes au Muséum d’histoire
naturelle de Paris, Jacques Cuisin

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Éditorial

Il y a plus de vingt ans paraissait dans la revue Publics et


Musées – dont Culture & Musées a pris la suite en 2003 – un
numéro consacré aux dioramas, sous la direction de
Bernard Schiele. Ce numéro fit date, car il permit de
construire des approches théoriques autour d’une forme
muséographique dont on pouvait penser que, inscrite dans
une tradition ancienne, elle n’aurait guère d’avenir dans le
cadre de la nouvelle muséologie. Les musées et le champ
de l’art contemporain en ont décidé autrement, et aussi,
pourrait-on dire, les publics eux-mêmes, toujours attirés par
la fascination qu’exercent ces microcosmes, fussent-ils à
l’échelle 1:1 – ce qui n’est qu’un apparent paradoxe –, ainsi
que l’hyperréalisme qui généralement les caractérise.
En 1996, les auteurs réunis par Bernard Schiele attiraient
déjà l’attention sur le caractère éminemment populaire de
ce qui apparait aujourd’hui comme une « forme élémen-
taire » de la muséographie et peut-être même de la culture.
En 2017, l’exposition Dioramas au Palais de Tokyo fait évé-
nement en montrant la persistance de cette forme et ses
transformations au fil des siècles, dans tous les champs
artistiques et culturels. Peu de dispositifs, en effet, inter-
rogent à ce point la relation nature et culture, du point de
vue de la production et de la réception. La présente livrai-
son présente un large panel de recherches universitaires, de
réflexions d’acteurs et de grands entretiens avec des artistes

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et commissaires d’exposition. Elle retrace de nouvelles
généalogies du dispositif dioramique et interroge ses nou-
veaux développements.

Éric Triquet, directeur de publication


Marie-Christine Bordeaux, directrice de rédaction

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DOSSIER

L’art du diorama
(1700 - 2000)
sous la direction
de Noémie ÉTIENNE & Nadia RADWAN
Introduction
Noémie Étienne & Nadia Radwan
Université de Berne

Les dioramas sont des dispositifs d’exposition multidimen-


sionnels et multimédias à la frontière de différentes disci-
plines et catégories d’institutions muséales. Ils concernent
autant les conservateurs de musée que les anthropologues,
les sémiologues, les géographes, les chercheurs en histoire
naturelle, les préhistoriens, les historiens, etc. Véritables
« objets-frontières », ils se caractérisent par un assemblage
d’éléments (sculpture, peinture, objets, vitre) visant à
reconstruire des habitats. De plus, ils sont à la fois trans-
culturels et trans-historiques : si l’on accepte la définition
large du diorama retenue ici, incluant d’autres créations
apparentées relevant de l’histoire religieuse ou du théâtre,
on peut en observer sur tous les continents et à toutes les
époques.
este día
Ces dispositifs connaissent aujourd’hui une importante reva-
lorisation, mais sont aussi paradoxalement menacés de dis-
parition. En décembre 2018, le musée royal de l’Afrique, à
Tervuren, en Belgique, ouvre à nouveau ses portes après
cinq ans de rénovation. Les installations de ce musée
avaient été conçues au XIXe siècle et témoignaient de l’idéo-
logie coloniale dont elles étaient les produits, comme le
rappelle l’artiste Sammy Baloji, interviewé dans ce numéro
par Yaëlle Biro et Sandrine Colard. En 2013, le musée a été

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vidé de ses collections : les groupes sculptés ont été ras-
semblés dans la salle d’introduction et isolés de la nouvelle
muséographie. Le démantèlement, la destruction ou simple-
ment la transformation de tels dispositifs posent la question
de leur postérité et de leur conservation. Cette question est
d’autant plus urgente aujourd’hui qu’elle interroge les insti-
tutions muséales sur leur avenir. Comment considérer les
dioramas ? Doivent-ils être préservés et sous quelle forme ?
Sont-ils des artefacts, des témoins, des ruines ? Si oui, de
quoi gardent-ils la trace exactement ? Ce numéro est consa-
cré à l’histoire et aux propriétés des dioramas afin de mieux
cerner leur valeur passée, présente et future. Malgré la
variété de leurs styles, de leurs fonctions, des contextes de
leur production, ou de leurs dimensions, nous montrons
que ces dispositifs ont tous en commun une dimension nar-
rative et historique : ils diffusent des savoirs et transmettent
des récits dans l’espace public.
Il y a vingt ans, les auteurs d’un numéro de la revue
Publics et Musées, sous la direction de Bernard Schiele
(1996), interrogeaient la singularité de ce dispositif et souli-
gnaient les propriétés formelles du diorama entendu ici
comme un média, au sens de Jean Davallon, c’est-à-dire
comme un « dispositif social », un espace d’interaction et de
production de discours reliant plusieurs acteurs (Davallon,
1992 : 102-103). Ces auteurs montraient que le diorama a
une portée déclarative et affirmative. Raymond Montpetit
soulignait la dynamique de démocratisation dans laquelle
s’inscrivent les dioramas, produisant des savoirs « exo-
gènes », situés en dehors du monde savant et académique
(Montpetit, 1996 : 87-89). De plus, l’expérience vécue et la
perception du visiteur peuvent générer des savoirs dans le
cadre de l’exposition. En effet, anciens ou contemporains,
mimétiques ou abstraits, les dioramas sont des lieux de
médiation. Ils transmettent des connaissances et sont des
espaces dans lesquels le savoir se sédimente. Montpetit
caractérisait encore le diorama par son rapport « analo-
gique » au réel (ibid. : 57-60). En effet, nombre de disposi-
tifs construisent des espaces – souvent à taille réelle – ten-
dant à reproduire à l’identique des lieux ou des scènes
ayant véritablement existé. Dans cette perspective, le diora-

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ma appartient au domaine de l’énonciation et instaure une
réalité qui peut ne jamais avoir existé. Pour reprendre les
termes de Jean Baudrillard : « La simulation […] est la géné-
ration par les modèles d’un réel sans origine ni réalité :
hyperréel » (Baudrillard, 1981 : 19).
La puissance narrative et l’hyperréalisme des dioramas ont
été souvent commentés. À partir des années 1980 en effet,
les études de genre et les études postcoloniales ont favorisé
l’expression d’un regard critique sur ces installations, que
celles-ci mettent en scène des mannequins à forme
humaine ou des animaux naturalisés. Un texte, devenu
canonique, a été publié dans la revue Social Text en 1984
par la zoologue féministe Donna Haraway : dans cet article,
l’auteure propose d’envisager les dioramas animaliers
comme des machines à produire du sens. Au Musée améri-
cain d’histoire naturelle de New York, les dioramas
construits par le taxidermiste et sculpteur Carl Akeley dans
les années 1930 transmettent l’idéologie patriarcale et eugé-
niste des personnalités qui dirigent et financent à l’époque
cette institution. Selon Haraway, ils sont des outils de pro-
pagande. Deux ans plus tard, dans un essai rédigé au sujet
de différents dioramas nord-américains, Umberto Eco
affirme que la vraisemblance est une propriété essentielle
du diorama (Eco, 1986) : selon lui, ce mode d’exposition
est paradigmatique de la société nord-américaine, décrite
comme une culture de l’illusion et du simulacre. Dans son
récit de voyage, le diorama incarne alors l’Amérique : une
société populaire tournée vers l’imitation et le divertisse-
ment.
L’instauration d’un rapport spécifique à la réalité est liée à
l’histoire même du diorama. Le mot, inventé par Louis
Daguerre en 1822, est inspiré du grec et signifie étymologi-
quement « voir à travers », suggérant ainsi l’idée d’une trans-
parence du dispositif et d’une vision directe de la réalité.
De plus, cette histoire ne commence pas avec l’invention
du terme et l’inauguration du lieu qui s’y rapporte – un
théâtre à Paris présentant des scènes illusionnistes qui
semblent se transformer. En effet, des dispositifs apparentés
sont fabriqués dans les siècles qui précèdent. Durant la
Contre-Réforme, notamment, des installations connues sous

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le nom de Sacri Monti sont fabriquées en Italie du Nord.
Ces espaces présentent, dans une série de chapelles dissé-
minées dans un jardin, des scènes du Nouveau et de l’An-
cien Testament. Le pèlerin peut les parcourir et méditer
devant des scènes reconstituées de manière réaliste,
incluant des peintures et des sculptures, mais aussi des
objets ou des restes humains tels, par exemple, des che-
veux collés sur des mannequins en terre cuite peints. Le
diorama est ici inséré dans un parcours bien éloigné des
grands centres religieux, en particulier Rome et Jérusalem :
le visiteur va néanmoins revivre la montée du Christ au
Calvaire ou sa résurrection. Le diorama porte ainsi une
charge pédagogique et donne lieu à des expériences de
contemplation et de méditation.
La cire est l’un des matériaux caractéristiques dans la pro-
duction des proto-dioramas : cet élément est connu pour sa
capacité illusionniste, qui en fait aussi un produit privilégié
dans une longue tradition de portraits hyperréalistes depuis
la Renaissance (Schlosser, 1997). Au XVIIIe siècle, les instal-
lations fabriquées par Marie Tussaud, à Paris, mêlaient per-
sonnages en cire et objets authentiques, racontant notam-
ment les dernières actualités de la Révolution française. Les
cires colorées sont aussi employées en histoire de la méde-
cine pour fabriquer des simulacres de corps qui seront
ensuite utilisés par les chirurgiens et les étudiants. Au
musée de la Specola, à Florence, étudié dans ce volume par
Liliane Ehrhart, des dioramas de petite taille évoquent les
désastres de la peste et ont été vus depuis le XVIIIe siècle
dans des contextes didactiques ou récréatifs : comme le
montre l’auteure, ils ont été saisis au prisme non seulement
du matériau qui les construit, mais aussi des constructions
physiques (cadre, vitrine) qui les donnent à voir.
Dès la fin du XIXe siècle, la portée réaliste des dioramas a
été renégociée par les concepteurs des expositions. Au
Muséum d’histoire naturelle de Paris, étudié ici par Jacques
Cuisin, les arrière-plans mettant en scène des animaux natu-
ralisés ne sont pas toujours mimétiques, et certains choix
opérés simplifient notablement le cadre environnemental.
Dans son texte, Éric Triquet discute pour sa part le degré
de mimesis ou d’abstraction des dioramas du Muséum

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d’histoire naturelle de Grenoble. Il montre que le recours à
une certaine forme de suggestion, utilisée dans la galerie de
« La montagne vivante », n’est pas une rupture directe avec
le réel, mais bien une autre manière d’intégrer celui-ci au
musée. L’usage de décors simplifiés permet de reformuler
le rapport entre le diorama et la scène représentée, sans
annuler le lien entre ces deux parties.
Cette tension entre imitation et évocation concerne directe-
ment le monde de la caricature et de la satire, étudié par
Marianne Le Morvan. Le diorama des caricaturistes Sem et
Roubille se rapproche beaucoup d’un panorama, c’est-à-
dire d’une grande peinture circulaire ne comprenant pas
d’objets tridimensionnels. L’usage volontaire du terme « dio-
rama » par ses auteurs vient néanmoins souligner la multi-
plicité des éléments qu’il comprend. Cette œuvre est com-
posée notamment de silhouettes exagérant les traits phy-
siques des figures mises en scène. Ici, le réel n’est pas
représenté analogiquement : il est évoqué par l’outrance
des images qui renvoient, par l’usage de formes simplifiées
et exagérées, à des personnalités existantes et identifiées
par l’auteure, ainsi qu’aux habitudes sociales et mondaines
de l’Europe du XIXe siècle.
Selon Guillaume Le Gall, le diorama a aussi déterminé la
réception d’un certain nombre d’autres objets visuels, qu’ils
soient scientifiques ou récréatifs : c’est le cas de l’aquarium,
dont les qualités plastiques (transparence, luminosité chan-
geante, esthétique de la vision et de la disparition) ont été
mises en relation avec celles du diorama par des auteurs
comme Théophile Gautier. Le diorama devient un para-
digme esthétique, une référence mobilisée pour qualifier
des espaces où la vie est perceptible à travers un écran, des
tableaux animés au sein desquelles les formes mêmes de la
nature s’observent et se confondent.
Toutes les interrogations développées dans ce numéro sur
les matériaux, les styles et les formes du diorama s’ins-
crivent dans le prolongement du tournant matériel des
années 2000. Dans cette perspective, les auteur.e.s de ce
volume n’abordent pas seulement le diorama comme image
ou comme représentation, mais aussi comme processus et
comme construction. Un colloque international organisé à

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l’Université de Berne, en Suisse, en décembre 2016, avait
rappelé l’intérêt pour ces installations des spécialistes des
arts visuels et de l’histoire matérielle1. Il s’agissait de com-
prendre ce que l’histoire de l’art ou la muséologie pou-
vaient apporter à l’étude des dioramas, mais aussi de saisir
comment ces dispositifs venaient questionner en retour ces
disciplines. Que fait le diorama à l’histoire de l’art ? Quelle
est sa place dans ce domaine ?
Les artistes se sont de longue date intéressés à ces disposi-
tifs, comme le montrent notamment les œuvres des plasti-
ciennes Tatiana Trouvé et Dominique Gonzalez-Foerster,
évoquées dans ce numéro. L’exposition Dioramas, tenue au
Palais de Tokyo et à la Schirn Kunsthalle de Francfort en
2017 (présentée ici par Veronica Peselmann), a souligné la
persistance du dispositif dioramique dans l’art contempo-
rain : cet héritage est à la fois formel (usage ou représenta-
tion de la vitre, éclairages, mise en scène) et conceptuel
(questionnement de la vision du spectateur, de l’idée de
simulation ou de la portée politique des installations). Dans
un entretien mené pour ce numéro l’un des commissaires
de cette exposition, Laurent Le Bon, rappelle l’existence
d’une véritable esthétique du diorama qui se développe
aujourd’hui, regroupant des artistes aussi divers que
Thomas Hirschhorn ou Marc Dion.
Le plasticien et théoricien new-yorkais Dan Graham, en
conversation avec Dore Bowen, affirme que l’art contempo-
rain nord-américain n’est pas seulement la suite logique des
avant-gardes européennes, mais aussi l’enfant des arts
populaires du XIXe siècle. Selon lui, les filiations classiques
tracées entre peinture européenne et art nord-américain
doivent être reconsidérées au profit de généalogies incluant
les arts populaires et les dispositifs muséaux. Le diorama
pris comme objet d’étude complique les récits fondateurs
reliant les avant-gardes mais délaissant des productions
hybrides, plus modestes dans leurs ambitions. En outre, les
1. « Seeing Through: The Materiality of Dioramas » (1-2 décembre 2016, Université
de Berne). Certaines communications de ce colloque sont publiées dans ce numé-
ro. Voir aussi le livre de Noémie Étienne, à paraître : Les Autres et les ancêtres. Des
dioramas de Franz Boas et d’Arthur Parker à New York, 1900, Dijon, Presses du Réel
(français), Los Angeles, The Getty Research Institute (anglais).

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dioramas sont des œuvres collectives. Leur fabrication réu-
nit des peintres, sculpteurs, taxidermistes, éclairagistes,
menuisiers, etc. Les spécialités des acteurs impliqués
peuvent aussi se recouper, se redéfinir et se confondre
(Étienne, 2017). La polyvalence et la multiplicité des auteurs
sont des caractéristiques essentielles de ces structures. Cet
aspect collaboratif estompe les hiérarchies fixées par une
histoire canonique et eurocentrée, et vient proposer une
narration alternative ou inclusive qui met en avant le travail
commun d’acteurs et de corps de métiers divers, qu’ils
soient scientifiques ou artisans, identifiés ou non.
C’est le cas, par exemple, du Musée agricole du Caire, dans
lequel les dioramas, créés au début des années trente et
représentant des pratiques artisanales ainsi que des scènes
de la vie paysanne, viennent d’être récemment restaurés
(Radwan, 2015). En dehors de l’Occident, les dioramas sont
en effet valorisés comme faisant partie intégrante des
cultures muséales locales. Dans ce musée fondé par le roi
Fouad I er sur le modèle du musée de l’Agriculture de
Budapest, les dioramas sont le résultat d’une collaboration
entre des artisans et de jeunes artistes égyptiens sortis de
l’École des beaux-arts du Caire. Ils ont été conçus pour réé-
crire l’histoire de la nation égyptienne après son indépen-
dance et véhiculer un discours identitaire centré sur la pay-
sannerie et l’artisanat. Mais leur fabrication a été réalisée en
étroite collaboration avec des muséologues européens,
notamment hongrois. Ainsi, la construction même de ces
dispositifs a participé au développement des échanges
transculturels et des transferts de savoirs entre les artisans et
les artistes égyptiens et européens, complexifiant les dis-
cours nationalistes des institutions pour lesquelles ils ont
été réalisés.
Les dioramas sont utilisés par différents organes de pouvoir
et dans des contextes très divers. Comme le montre l’article
de Thomas Deshayes sur le musée de la Marine, à Paris, les
dioramas sont, par exemple, omniprésents dans les institu-
tions qui retracent l’histoire militaire. Ils apparaissent ici
sous forme de maquettes destinées à reconstituer de
manière didactique les différents conflits. En raison de leurs
dimensions réduites, leur fonction est avant tout pédago-

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gique. Les dioramas de l’Australian War Memorial, à
Canberra, étudiés par Gaëlle Crenn, sont en revanche fabri-
qués à l’échelle réelle. Du fait de leurs grandes proportions,
ils fonctionnent comme des lieux devant lesquels se
recueillir et revivre les scènes de l’histoire australienne. Ils
ont ainsi une dimension mémorielle et émotionnelle per-
mettant d’évoquer les guerres passées tout en préservant
leur souvenir. De plus, à Paris comme à Canberra, ces
mises en scène transmettent les positions idéologiques de
leurs concepteurs.
Les dioramas sont parfois aussi inclus dans les espaces
mêmes où l’action commémorée s’est déroulée. Le musée
en plein air dédié aux combattants de Mleeta, au Liban,
occupe une ancienne base militaire du Hezbollah. Le
musée des Prisonniers de la résistance sioniste, à Saint-
Jean-d’Acre, en Israël, est situé dans une ancienne prison.
Ces dioramas réactivent les lieux et invitent les visiteurs à
ressentir la violence de l’action passée ou présente. Qu’ils
soient extérieurs ou intérieurs, leurs stratégies d’illusion et
leurs dispositifs immersifs (Belaën, 2005) incitent le visiteur
à un travail de mémoire à travers l’activation physique de
son corps. À Mleeta, le public chemine à travers la forêt,
s’arrête dans d’anciens bunkers, au pied des miradors, doit
se courber pour passer à travers des check-points surmon-
tés de fils barbelés. Ici et là apparaissent des mannequins
habillés en treillis et dissimulés dans la végétation, comme
prêts à bondir. Ces installations brouillent le rapport au
temps et à l’espace : de plus, en cas de nouveau conflit, les
lieux accueillant ces musées pourraient se reconvertir et
retrouver leur fonction première, carcérale ou militaire.
Le diorama contient souvent des fragments qui participent à
sa légitimation et à celle du récit qu’il transmet (Étienne,
2014). Cette inclusion d’objets collectés, démontés et ras-
semblés dans un réel simulé (Kirschenblatt-Gimblett,1998)
est même l’une des raisons d’être des dioramas anthropolo-
giques créés à partir des années 1850 pour mettre en scène
les collections. C’est parce qu’ils exhibent de « vrais » objets
que ces installations sont introduites au sein des musées.
En cela, ils fonctionnent comme une archive, voire comme
un reliquaire. Les installations du musée national des Arts et

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Traditions populaires, inauguré à Paris en 1937 sous la
direction de Georges-Henri Rivière, et dont la création est
rappelée ici dans l’article de Jean-Roch Bouiller et Marie-
Charlotte Calafat, devaient conserver les restes d’une culture
matérielle en voie de disparition. Ils ont par la suite été
démantelés car ils ne correspondaient plus aux attentes
muséologiques des conservateurs.
Lorsqu’il est produit dans les marges, le diorama peut aussi
aller à contre-courant des discours dominants et proposer
une alternative dans le monde de la politique, de la littéra-
ture ou des beaux-arts. Dans un article publié en 2017 dans
Culture & Musées, il a été montré que les dioramas ser-
vaient aussi la construction d’histoires alternatives – en l’oc-
currence militantes – dans l’espace public (Étienne, 2016).
Dans ce numéro, Sam Omans et Xenia Vytuleva étudient les
dioramas du Musée polaire de Leningrad, installé en 1930
dans une ancienne église pour promouvoir les avancées
des études exploratoires et scientifiques menées dans le
Nord de l’URSS. Les auteurs analysent ces dioramas comme
des médias s’opposant aux tendances du réalisme socialiste
et à la propagande étatique.
Si, dans certains contextes, le manque de moyens peut
expliquer la persistance du diorama, on constate que dans
des pays qui disposent d’importantes ressources pour la
construction de nouvelles institutions muséales, comme les
pays du Golfe, cette forme d’installation perdure. Au musée
de Dubaï (situé dans le fort Al-Fahidi), comme dans le
récent musée national d’Oman, on peut voir des dioramas
récemment élaborés, et les mises en scène animées de
mannequins continuent d’être au centre de la scénographie.
Ils demeurent le biais choisi pour présenter des vêtements
et des objets en lien avec la vie bédouine, ainsi que l’héri-
tage intangible lié à la vie dans le désert, comme la fau-
connerie. Comment expliquer le succès du diorama a un
niveau aussi global ? Comment interpréter ce goût pour la
matérialité des dioramas, pour cette réalité physique dans
notre ère digitale ?
Le présent numéro de Culture & Musées propose des pistes
pour répondre à ces questions et comprendre l’histoire des
dioramas. Ces éléments permettront peut-être de considérer

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 19


le futur de ces dispositifs, à un moment où ils sont parfois
jugés obsolètes et problématiques. Prises ensemble, les
études rassemblées montrent que le diorama fabrique l’his-
toire. Sans recourir au langage parlé, il construit et transmet
des savoirs, que ceux-ci soient médicaux, animaliers, artisa-
naux, militaires, etc. Le récit manufacturé a souvent une
portée historique et politique. De plus, le diorama instaure
un réel : il représente une scène qui se déroule sous les
yeux des visiteurs. Suivant la description du régime hétéro-
topique par Michel Foucault, il « a le pouvoir de juxtaposer
en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplace-
ments, qui sont en eux-mêmes incompatibles » (Foucault,
1967 : 758). D’autres endroits et d’autres époques sont ainsi
affirmés dans l’univers contemporain. La représentation est
ici, littéralement, une remise dans le présent. Celle-ci se
double d’une mise en exposition, puisque des objets (des
fragments, des reliques, des spécimens) sont redonnés à
voir dans l’espace public. Le diorama fait ainsi coulisser
l’espace et le temps, jouant sur des lieux et des temporalités
gigognes.

20 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Bibliographie
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22 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Auteures

Noémie Étienne, Université de Berne


Historienne d’art, Noémie Etienne est professeure assistante à l’Université
de Berne. Dans son travail, elle étudie la matérialité et la dimension poli-
tique de l’art dans différents contextes historiques et géographiques.
Spécialiste de l’histoire de la restauration et des dioramas, ses recherches
portent actuellement sur la culture visuelle dans un contexte global à
l’époque moderne (1600-1800). Son prochain livre, intitulé Les autres et
les ancêtres. Les dioramas de Franz Boas et d’Arthur Parker à New York,
1900, va paraître aux Presses du réel (2019) et aux Presses du Getty
(version anglaise, 2020). Son premier ouvrage, La Restauration des
Peintures à Paris, 1750-1815, a été publié en 2012 aux Presses
Universitaires de Rennes. Il a été traduit en anglais et diffusé aux Presses
du Getty en 2017 sous le titre The Restoration of Paintings in Paris,
1750-1815. Practice, Discourse, Materiality. Noémie Etienne est aussi
cofondatrice et éditrice de la revue en ligne www.journal18.org.
Courriel : noemie.etienne@ikg.unibe.ch

Nadia Radwan, Université de Berne


Nadia Radwan est professeure assistante à l’Université de Berne, où elle
enseigne l’histoire de l’art mondiale. Spécialisée dans l’art moderne et
contemporain du Moyen-Orient, ses recherches portent sur les interac-
tions transculturelles entre le monde Arabe et l’Europe aux XIXe et XXe
siècles. Elle s’intéresse aussi à la photographie orientaliste en Suisse, aux
modernités non-occidentales à travers les « manifestes globaux » et tra-
vaille actuellement sur les généalogies historiques et politiques de l’abs-
traction dans la peinture moderne arabe. Dans son livre intitulé Les
modernes d’Égypte : une renaissance des beaux-arts et des arts appliqués
(Peter Lang, 2017), qui réévalue l’importance des arts appliqués dans la
formation des avant-gardes égyptiennes, elle s’est intéressée aux diora-
mas du Musée agricole du Caire.
Courriel : nadia.radwan@ikg.unibe.ch

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 23


Les dioramas de l’Australian
War Memorial (Canberra).
Réécrire le récit national à l’heure
du centenaire de la Première
Guerre mondiale
Gaëlle Crenn
Université de Lorraine, Crem

L’Australian War Memorial (AWM) de Canberra présente


dans sa galerie de la Première Guerre mondiale, rouverte
après une profonde rénovation en 2014, une dizaine de
dioramas mettant en scène des champs de bataille dans les-
quels les forces impériales australiennes furent engagées au
cours du conflit. Si certains ont été pour l’occasion ressortis
des réserves, l’essentiel d’entre eux étaient déjà présents
depuis l’ouverture du Mémorial en 1941. Selon un guide
souvenir du Mémorial, « leur succès ne s’est pas démenti
malgré les avancées des techniques muséographiques. Les
visiteurs sont attirés vers eux comme par magie, et les sou-
venirs que l’on en garde durent souvent la vie entière »
(AWM, 2011 : 16). Courants dans les musées de sciences
naturelles et de société, les dioramas sont également fré-
quents dans les musées et les mémoriaux consacrés aux
guerres. Quelles sont alors, dans un tel contexte, les fonc-
tions qu’on souhaite leur voir remplir ? Comment com-

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 25


prendre cette « magie » exercée par les dioramas sur leurs
visiteurs ? Pour l’AWM, quelle place ces dispositifs tiennent-
ils dans la galerie de la Première Guerre au cours de son
évolution ?
Un diorama « désigne un élément d’exposition comportant
des objets tridimensionnels présentés dans un cadre réa-
liste, avec ou sans fresque représentant un paysage, à l’ar-
rière-plan » (Bitgood, 1996 : 38). Leur caractère immersif et
réaliste exerce un attrait sur les visiteurs. En effet, comme
l’explique Bernard Schiele :
« […] chacune de ces reconstitutions, qui vont de la repré-
sentation de la bataille aux espaces d’un musée de plein
air, ont en commun, à des degrés divers, de chercher à
brouiller les repères perceptifs du visiteur de manière à ce
que celui-ci éprouve, ne serait-ce qu’un instant, l’impres-
sion d’un temps ou d’un ailleurs autre qui l’arrache à son
environnement spatio-temporel immédiat » (Schiele,
1996  : 10).

De plus,
« parce que le réalisme recherché se confond avec vérité,
[…] le diorama est immédiatement investi d’un sens.
Spontanément, il est assimilé au réel évoqué : impression
d’autant plus prégnante que le principe explicatif réside
tout entier dans l’idée d’analogie et que celle-ci irrésistible-
ment force la “re-connaissance” » (ibid.).

Pour Raymond Montpetit, ces dispositifs muséologiques


illusionnistes, fondés sur un principe de reconstitution,
marquent même la véritable origine de l’exposition, en
rompant avec « l’emprise de la collection » comme principe
d’ordonnancement de ce que les musées présentent aux
yeux des visiteurs (Montpetit, 1996 : 60).
L’objectif de cet article est d’observer les évolutions de la
place des dioramas dans la galerie de la Première Guerre
mondiale de l’AWM lors de ses aménagements successifs,
afin d’en éclairer le potentiel muséographique dans le trai-
tement des guerres au musée. Pour cela, nous déployons
une démarche sur deux niveaux, « examin[ant] non seule-
ment les éléments narratifs qui stabilisent les significations,
mais aussi les éléments matériels qui les (re)composent1 »
1. Toutes les citations en anglais sont traduites par l’auteure.

26 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


(Waterton & Dittmer, 2014 : 124). Nous relevons ainsi en
premier lieu la place des dioramas dans le parcours général
de l’exposition et la manière dont ils y sont disposés. Nous
détaillons en second lieu les principes de composition qui
sous-tendent leur aménagement, attribuent une place au
visiteur-spectateur et prescrivent des effets souhaités pour
leur réception. À l’aide de ces descriptions (Crenn, 2002 ;
Noordegraaf, 2012), nous mettons en lumière la façon dont
les dioramas sont révélateurs des enjeux mémoriels de la
société australienne à l’heure du centenaire et, à travers les
évolutions de leurs usages, peuvent contribuer à réarticuler
les liens des visiteurs à leur histoire2.

Les usages des dioramas


dans les musées de guerre

Les dioramas partagent avec leurs aînés, les panoramas, les


paradoxes d’espaces clos qui se donnent pour illimités
(Comment, 1993). Comme le panorama,
« [l]e diorama joue sur la perception du réel. Il est concret.
Épris d’authenticité, il incorpore dans son dispositif de
mise en scène des artefacts, des objets ou des spécimens
originaux. Soucieux de réalisme, il reconstitue dans le
menu détail des habitats, des milieux, des lieux et des
situations, immédiatement riches de sens, dont les élé-
ments caractéristiques sont associés spontanément à ceux
de leur référent par le visiteur » (Schiele, 1996 : 10).

S’ils « exercent une fascination sur le public en raison de


leur caractère illusionniste, offrant […] l’exemple intrigant
du plaisir inné que l’homme éprouve face à l’imitation »
(Wonders, 1990 : 90), la question des effets qu’ils pro-
duisent sur les visiteurs, tout comme celle de la place qu’ils
doivent tenir dans l’exposition, restent discutées. Tout
d’abord, ces dispositifs de muséologie analogique
(Montpetit, 1996) sont-ils utilisés pour plonger immédiate-
2. L’analyse s’appuie, pour la scénographie avant rénovation, sur une visite (effec-
tuée le 15  juillet 2011) ainsi que sur un entretien mené auprès d’un guide. Pour
la scénographie après 2014, nous nous appuyons sur les comptes rendus de visite
publiés dans la presse et des revues académiques (notamment : Spittel, 2015 ;
Walton, 2015).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 27


ment les visiteurs dans un univers ou pour leur expliquer,
grâce à un dispositif évocateur, les relations existant entre
les objets ? En d’autres termes, sont-ils des dispositifs de
monstration en tant que tels, ou des adjuvants d’illustration,
une « image qui accompagne un autre moyen de communi-
cation dans lequel elle s’insère […] pour illustrer et rendre
plus clair le propos et s’assurer de rejoindre les spectateurs
sous un mode accessible » (ibid. : 56) ?
Par ailleurs, les dioramas ont une capacité double qui
découle de leurs principes d’aménagement : par leur carac-
tère réaliste, ils rendent immédiatement perceptibles aux
visiteurs la scène originale – réelle ou fictive – à laquelle le
diorama fait référence, tout en mettant à jour dans le même
temps les relations qui unissent entre eux les éléments dis-
posés. Aussi, le diorama a-t-il une faculté d’évocation et
d’immersion puissante, mais par ailleurs, une qualité heuris-
tique singulière : il permet de décrire, analyser et faire com-
prendre les liens d’interrelation entre les éléments qui le
composent. Aussi, leur exactitude descriptive (ils donnent
une représentation claire et précise d’une scène), jointe à
leur pouvoir explicatif (ils permettent de saisir les interrela-
tions entre les éléments disposés), en fait-elle un moyen
didactique et propédeutique. Le diorama muséal est mobili-
sé dans « une visée éducative de transmission du savoir
objectif » (Boucher, 2015 : 15). Dans les musées et mémo-
riaux d’histoire des guerres, les dioramas peuvent ainsi
chercher à induire chez les visiteurs tant une immersion
favorisant l’identification et l’empathie avec les sujets repré-
sentés, que la compréhension des situations exposées ; ils
servent alors à l’enseignement polémologique stratégique et
tactique.
En observant la place et l’opérativité attribuées aux diora-
mas de la galerie de la Première Guerre mondiale, avant et
après la rénovation de 2014, nous mettrons en valeur la
façon dont ces dispositifs muséographiques participent à la
construction du récit de l’histoire nationale australienne à
l’heure de la célébration du centenaire. Plus largement, ce
regard permettra de ressaisir les potentialités narratives des
dioramas et la façon dont ils sont mobilisés aujourd’hui
dans les musées pour déconstruire et réarticuler des récits
sur le passé.
28 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018
Vivre et revivre la guerre, construire la nation

Le Mémorial et sa collection de dioramas sont dus à l’initia-


tive de l’historien australien Charles E. W. Bean, correspon-
dant de guerre officiel, qui dès 1917 « réussit à faire collec-
ter et conserver les reliques, les archives et les œuvres d’art
en Australie, plutôt qu’en Angleterre, [et] persuada le gou-
vernement qu’ils feraient partie d’un futur mémorial natio-
nal » (AWM, 2011 : 2). Celui-ci aurait la mission de rappeler
l’engagement des combattants australiens, comme le rap-
pelle la formule du fondateur qui sert de devise au
Mémorial : « Here is their spirit, in the heart of the land they
loved; and here we guard the record which they themselves
made3. » Les dioramas de la Première Guerre mondiale
furent construits au cours des années 1920, principalement
à Melbourne. Certains furent exposés en 1922 dans le bâti-
ment de l’Australian War Museum, à Melbourne, puis en
1925 au pavillon australien de l’Exposition du British
Empire, à Londres, avant de trouver finalement place au
Mémorial à son ouverture en 1941 (Back & Webster, 2008 :
8).
De l’ouverture en 1941 jusqu’à la rénovation entamée en
2013, les dioramas de la Première Guerre mondiale sont
situés au cœur du parcours muséal.
« Les intentions de Bean étaient d’en faire plus que de
simples modèles réduits des champs de bataille. Il les
concevait comme des œuvres d’art, comme un dispositif
émotionnel permettant de donner une idée aux gens en
Australie de la dévastation et du danger de la bataille, et
du sacrifice et des souffrances des personnes auxquelles le
Mémorial est dédié » (AWM, 2011 : 16).

Le parcours suit la chronologie des engagements des forces


australiennes. Après le diorama « Lone Pine », à Gallipoli,
on rencontre ainsi successivement, dans la vaste salle prin-
cipale consacrée au front ouest, « Pozières, 1916 », « Somme,
Winter 1916-1917 », « Bullecourt, 1917 », « Ypres, 1917 »,
3. « Ici repose leur esprit, au cœur du pays qu’ils aimaient. Et ici nous conservons
les traces qu’eux-mêmes créèrent. »

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 29


« Dernancourt, 1918 » et « Mont Saint-Quentin, 1918 »4. Sous
la direction de William Wallace Anderson, ils sont réalisés
principalement par Louis McCubbin, un peintre de camou-
flage, avec Will Longstaff et Georges Benson. En décembre
1918 est engagé le sculpteur Charles Web Gilbert. Dès 1919,
Anderson, McCubbin et Gilbert passeront quatorze mois à
réaliser des croquis sur les champs de bataille. Ces grands
dioramas se présentent aux visiteurs comme de larges
fenêtres panoramiques. Leur taille varie de trois à quatre
mètres de hauteur, de cinq à huit mètres de largeur et de
deux à cinq mètres de profondeur. En plus de cette série
principale, on trouve des séries de dioramas de taille plus
réduite, qui mettent en scène les coulisses logistiques de la
guerre (telle la série « Évacuation des blessés, 1917 »).
La première section du parcours est consacrée à la bataille
de Gallipoli, marquée par la défaite des forces armées aus-
tralo-néozélandaises (Australian and Neo-Zelander Army
Corps : Anzac) le 25 avril 1915, date aujourd’hui célébrée
par l’Anzac Day5. Le visiteur rencontre dès le début du par-
cours le dramatique diorama « Lone Pine » (figure 1).
Créé par Anderson et McCubbin, le diorama est exposé
depuis une rénovation partielle des salles intervenue en
1984. Il met en scène une attaque de diversion, le 6 août
1915, où les troupes tinrent position pendant quatre jours,
au prix de deux mille morts. Cet assaut relança l’offensive
de l’Anzac. La composition est dramatiquement centrée sur
un soldat, faisant face au spectateur, fauché par un tir lors
d’un assaut. À l’avant-plan, le visiteur découvre d’autres sol-
dats en train de reconquérir les tranchées des positions aus-
tralo-néerlandaises. La scène, poignante, rappelle le final du
film Gallipoli de Peter Weir (1991), qui contribua récem-
ment à renforcer le récit national. Dans le récit populaire
australien, c’est en effet l’indifférence des Anglais à l’égard
4. Certains théâtres du Moyen-Orient (Palestine, Sinaï, etc.) où sont intervenues les
forces australiennes sont également représentés dans le parcours.
5. Le premier objet rencontré encore aujourd’hui dans le parcours est un bateau
utilisé lors du débarquement, surmonté de l’inscription « Gallipoli, 25 avril 1915 ».
Les commémorations de l’Anzac Day connaissent depuis une quinzaine d’année un
regain, tant en Australie que pour les commémorations organisées sur les champs
de bataille du Nord de la France. Voir, par exemple, Winter (C), 2012.

30 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Figure 1. Wallace Anderson, Louis McCubbin, Lone Pine,
détail, diorama (personnages : cire, peinture à l’huile ;
fond : peinture polymère synthétique avec huile et
feuille d’or sur bois ; décor : peinture sur plâtre, sur
armature de bois et fil métallique ; bûches originales :
pin), 380 x 880 x 510 cm, créé à Melbourne (1924-1927).
Australian War Memorial, ART41017 © AWM.

des vies australiennes qui forgea l’esprit indépendant de la


nouvelle nation, et ancra l’idée de son courage et des
valeurs de solidarité, éprouvées pourtant dans la défaite
(Dittmer & Waterton, 2017). Ce diorama, « littéralement [un]
moment figé dans le temps » (Gower, 2008 : 5), nous
plonge d’emblée dans un temps et un lieu fondateur du
récit national australien.
En centrant la composition sur un soldat au sacrifice
héroïque, « Bean montrait que sa conviction était de viser
les émotions du spectateur » (Back & Webster, 2008 : 6).
Comme dans certains dioramas du musée Grévin, avec la
représentation d’une scène tragique à caractère « sensation-
nel », le diorama « représente et spectacularise la réalité »
(Schwartz, 1999 : 131). Dans le même temps, l’exactitude
des détails et l’ouverture du diorama vers le spectateur per-
mettent à celui-ci de comprendre en détail l’organisation du
terrain et les manœuvres en cours, en donnant une vision
exacte du déroulement de la bataille. Le diorama est aussi

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 31


un instrument de compréhension. « Les dioramas se révé-
lèrent [ainsi] des moyens visuels, historiques et émouvants,
de commémoration dans le musée » (Back & Webster,
2008 : 6).
Le diorama « Lone Pine » se distingue des suivants par la
présence, à l’avant-plan du diorama, d’authentiques
poteaux en pin de soutènement des tranchées, recueillis sur
le champ de bataille (figure 2) Dans ce cas, « avec la pré-
sence d’objets “originaux”, objets documentés comme ayant
appartenu à la situation représentée, […] la mimesis se
double de la métonymie » (Montpetit, 1996 : 59).
L’installation de ce faux terrain présentant des objets origi-
naux accentue le pouvoir évocateur de la scène, en
« [livrant] aussi, sous le mode de la présence, quelque chose
de [son] référent, qui est bien donné là, matériellement »
(ibid. : 58).

Figure 2. Wallace Anderson, Louis McCubbin, Lone


Pine, détail, poteaux de pin à l’avant-plan, diorama
(personnages : cire, peinture à l’huile ; fond : peinture
polymère synthétique avec huile et feuille d’or sur bois ;
décor : peinture sur plâtre, sur armature de bois et fil
métallique ; troncs originaux : pin), 380 x 880 x 510 cm,
créé à Melbourne (1924-1927). Australian War Memorial,
ART41017 © AWM.

32 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Le diorama, qui concentre par là une grande force drama-
tique, reste cependant présenté au cœur d’un ensemble
composite, formé d’objets issus du champ de bataille, de
maquettes de la zone, de mannequins en uniformes, de
panneaux explicatifs et d’un grand tableau illustrant les
falaises de Gallipoli. Si le diorama donne une vision épique
et tragique, il reste considéré comme un moyen d’illustra-
tion. Cette disposition d’ensemble répond à un objectif ini-
tial des concepteurs : pour établir une perspective histo-
rique sur l’expérience des soldats australiens, « les dioramas
étaient conçus pour compléter, d’une façon engageante, les
éléments plus détaillés dans les galeries, incluant des
maquettes, uniformes et artefacts » (Back & Webster, 2008 :
6). Accompagné de divers moyens scénographiques qui
l’environnent, le diorama « Lone Pine » sert ainsi avant tout
à ancrer dès le début du parcours dans l’esprit du visiteur
un moment épique où se forgea le récit national.
Dans la suite du parcours, les visiteurs vont successivement
découvrir, disposés dans la vaste galerie principale, les dio-
ramas du front occidental. Un panneau introductif mêle,
d’un côté, hauts faits et mention de l’excellence et de la
bravoure des combattants, de l’autre, décompte des pertes
et remise en cause des stratégies inefficaces. L’ambivalence
du discours, entre valorisation et condamnation, est révéla-
trice du « sens de la guerre spécifiquement australien » que
le Mémorial entretient, « à la fois comme lieu de fierté
nationale et comme fléau dont les comptes doivent être
faits » (Dittmer & Waterton, 2017 : 49).
Les dioramas mettent en scène des épisodes historiques
précis, fondés sur les témoignages de vétérans qui y sont
représentés. Les concepteurs reconnaissent que les témoi-
gnages sont parfois contradictoires ou imprécis, et qu’ils
font alors des choix qui favorisent « l’atmosphère de mys-
tère et de tension » (Bean, cité in Back & Webster, 2008 :
33) ayant le plus fort effet sur les spectateurs.
Comme les panoramas, les dioramas suggèrent le mouve-
ment par un artifice de composition qui permet de « ména-
ger une tension et de condenser la durée dans un geste,
dans une situation » (Comment, 1993 : 72). Ils sélectionnent

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 33


l’instant prégnant, ou fécond, le fruchtbare Augenblick
(moment fructueux) théorisé par Lessing, « porteur à la fois
de ce qui l’a précédé et de ce qui lui fera suite » (ibid.).
Ainsi « Ypres » saisit l’assaut des grenadiers et des soldats
armés de fusils Lewis au moment de l’attaque d’un abri
allemand, tandis que ceux armés de baïonnettes l’enserrent
par les flancs. D’autres scènes montrent des paysages
immobiles, mais dans lesquels une tension reste percep-
tible : « Mont Saint-Quentin, 1918 » (figure 3) saisit les sol-
dats au repos, juste avant la reprise de la contre-attaque ;
« Pozières, 1916 » montre, de dos, quatre soldats survivants,
couchés dans la boue, armés d’une mitrailleuse, entourés
des corps de leurs six camarades décédés, fixant la butte
dévastée par où l’ennemi va surgir.

Figure 3. Louis McCubbin, Charles Web Gilbert, Mont Saint-


Quentin, détail, diorama (personnages : métal peint ; fond :
peinture polymère synthétique sur bois ; décor : plâtre
sur bois, fil métallique, et peinture), 340 x 850 x 530 cm,
créé à Melbourne (1920-1923). Australian War Memorial,
ART41018 © AWM.

Bean espérait que ces « maquettes-images » montreraient les


détails de façon si précise que les spectateurs ressentiraient
ce qui s’était réellement passé : « Telle équipe luttant pour
éviter au cheval tirant leur arme de s’enliser, les spectateurs
pourraient presque entendre la boue collant aux sabots du
cheval » (Back & Webster, 2008 : 8).

34 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Le diorama « Somme, Winter 1916-1917 » (figure 4) montre
« les conditions épouvantables et l’atmosphère générale
d’épuisement et de dépression qui imprègne la vie dans un
tel environnement » (ibid.  : 74), et ce, d’autant plus pour
des Australiens : pour ces combattants « habitués à un cli-
mat essentiellement tempéré, chaud ou subtropical, les
rigueurs de l’hiver de la Somme sont un tourment supplé-
mentaire » (AWM, 2011 : 14).

Figure 4. Wallace Anderson, Louis McCubbin, Somme,


Winter 1916-1917, diorama (personnages : couleur sur
composite ; fond : peinture polymère synthétique sur résine
polyester renforcée de fibre de verre ; décor : peinture,
plâtre sur bois et fil métallique, avec tissus, bois et métal),
400 x 730 x 215 cm, créé à Melbourne et Canberra (1923-
1926). Australian War Memorial, ART41020 © AWM.

La scène suggère une image englobante à 360°, le specta-


teur se tenant au centre du paysage (Back & Webster,
2008 : 7). Les spectateurs embrassent la totalité de la scène
miniature en légère contreplongée, ce qui suscite un senti-
ment de maîtrise visuelle de la scène. L’action principale se
concentre généralement au centre et à l’avant-plan du dio-
rama, avec des éléments topologiques ou bâtis montrés en
coupe pour laisser passer le regard. Les dioramas per-
mettent aux spectateurs de regarder à travers et à l’intérieur

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 35


d’une scène devant eux. Ensuite, par une vue rapprochée,
les détails et les perspectives surprenantes du diorama
accroissent la capacité du spectateur à imaginer l’expé-
rience vécue par les soldats. On retrouve des aménage-
ments similaires par exemple à l’Imperial War Museum de
Londres, avec un diorama miniature représentant en coupe
« les 40 yards [37 m] des tranchées britanniques à 7 h 35 du
matin le 1er juillet 1916, premier jour de la bataille [de la
Somme] ».
S’inspirant du rapport entre spectateur et scène caractéris-
tique des panoramas, les dioramas en possèdent également
l’arrangement des différents plans, depuis les détails du
premier plan, jusqu’à la perspective vers les lointains
(Comment, 1993). Ils possèdent surtout, comme eux, une
dimension fortement théâtrale. Par théâtralité, « Diderot
dénonçait dans un certain théâtre une construction artifi-
cielle dénuée de toute existence propre en dehors de la
présence du public » (Fried, 1990 : ii). La scène se déroule
alors « devant et pour le spectateur », les comédiens
s’adressent depuis la scène à leur public, au lieu de les
ignorer, de jouer comme s’ils se trouvaient « au bout du
monde ». Les compositions théâtrales assurent une visibilité
maximale aux spectateurs, rien ne sera soustrait à leurs
regards. Comme le panorama, le diorama « procure à des
individus le sentiment euphorique que le monde s’organise
autour et à partir de lui, un monde dont il est en même
temps séparé et protégé par la distance du regard »
(Comment, 1993 : 9). Le visiteur peut activer la scène et lui
apporter du dynamisme en se déplaçant, soit latéralement
devant la fenêtre, soit en promenant son regard entre les
différents éléments qui le composent. Rien ne peut échap-
per au regard du spectateur, invité à dévorer visuellement
la scène représentée.
En combinant puissance dramatique et déploiement théâ-
tral, la composition générale des dioramas répond aux
objectifs que les premiers artistes officiels de la guerre,
Charles Bean et Will Dyson, s’étaient donnés ; ils « espé-
raient que les dioramas du Mémorial évoqueraient les expé-
riences des Australiens qui avaient combattu à la guerre,
[…] montreraient […] les conditions rencontrées par les

36 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


troupes australiennes dans leur lutte contre les éléments et
l’ennemi, mais aussi interpréteraient des batailles significa-
tives particulières en détail » (Back & Webster, 2008 : 7-8).
Les dioramas créent par leur aménagement « l’illusion d’une
scène réelle vue par une fenêtre » (Wonders, 1990). La
découverte de cette succession de fenêtres ouvrant sur des
champs de bataille situés aux antipodes, recréés avec un
extrême « degré de concrétude topologique » (Albert E. Parr,
cité in Montpetit, 1996 : 69) laisse une impression profonde
sur les visiteurs. Le pouvoir immersif et évocateur de
chaque diorama est paradoxalement renforcé par le fait que
chacun d’eux forme une entité close sur elle-même, et
qu’ils sont juxtaposés sans que l’on puisse immédiatement
les situer géographiquement les uns par rapport aux autres.
En effet, dans la galerie, les moyens complémentaires per-
mettant de mettre en relation les éléments sont beaucoup
moins présents. C’est de fait le guide qui doit apporter ces
compléments dans son commentaire. Il redonne, par
exemple, une échelle globale en précisant que « le front
ouest dans son ensemble n’excède pas la taille de Canberra
et ses banlieues6 ».
Ces dioramas, avec leurs titres évoquant des lieux de
batailles particulièrement coûteuses en vies humaines, se
présentent ainsi comme autant d’enclaves hors-sol de l’Eu-
rope. Il est notable que les figurines qui représentent des
soldats morts les montrent toujours intacts. La terre que les
dioramas rendent perceptible sous nos yeux est celle que
les soldats ont foulée et qui, pour nombre d’entre eux, les a
engloutis : c’est aussi leur tombe. Ainsi, les dioramas sont
des lieux qui permettent de rendre perceptibles l’expé-
rience et les souffrances des soldats, ceux qui revinrent et
ceux qui restèrent, et de s’en souvenir. Dans l’immédiat
après-guerre, puis à l’ouverture du Mémorial, les dioramas
sont pour les vétérans survivants un lieu de transmission de
leur expérience auprès de leur famille et de leurs conci-
toyens. Pour certains, le réalisme peut se révéler insoute-
nable, provoquant des paniques, comme le rappellent les
archives du musée. Pour les familles de soldats morts ou
6. Propos du guide relevé lors de la visite guidée le 15 juillet 2011.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 37


disparus, les dioramas permettent de visualiser les lieux de
décès qui resteront pour beaucoup d’entre eux trop loin-
tains pour être visités. Évocateur du sacrifice accompli, ils
donnent tout son sens à la promesse du Mémorial : « a
place to remember » – un lieu dont se souvenir, mais aussi
un lieu pour se souvenir, c’est-à-dire un lieu qui honore la
mémoire des soldats et un substitut visible des champs de
bataille qui sont leurs cimetières, et où l’on peut se recueil-
lir.
Les dioramas juxtaposés au sein de la galerie de la Première
Guerre mondiale combinent ainsi, par le réalisme et le
caractère immersif de leur composition, des fonctions d’ex-
plication et de compréhension, d’émotion et de deuil. S’y
conjoignent les fonctions muséales et mémorielles. Ce sont
des monuments qui rappellent la mémoire et aident à faire
le deuil. Or, l’injonction à « garder en mémoire et oublier
ces lueurs tremblotantes comme “nos morts”, nous dit
Benedict Anderson, apparaît comme une stratégie caracté-
ristique de la construction tardive de généalogie nationale »
(Anderson, 1996 : 206, 201). Les dioramas de l’AWM sont
ainsi après-guerre des vecteurs de la construction d’une
communauté nationale, en rendant visible, pourrait-on dire
en suivant Anderson, une topologie imaginée. À travers le
pèlerinage effectué au musée, où l’on peut retrouver ou
revivre l’expérience du soldat et où l’on peut accomplir son
deuil, les dioramas contribuent à renforcer un sentiment
national naissant.

Retrouver et comprendre la guerre

Lors de l’inauguration du nouveau parcours en 2014, le


ministre de l’Éducation, Brendon Nelson, réaffirme que le
Mémorial est une institution qui représente « qui nous
étions et qui nous sommes. Face à des horizons nouveaux
et incertains, c’est aussi un rappel des vérités par lesquelles
nous vivions, comment nous sommes en relation les uns
aux autres en tant qu’Australiens et comment nous voyons
notre place dans le monde » (cité in Spittel, 2015). Si le par-

38 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


cours garde une structure chronologique, la place des dio-
ramas y est largement remaniée. Tout d’abord, les visiteurs
bénéficient d’une introduction, ils ne sont plus « plongés
[dans Gallipoli] sans qu’on sache comment on se trouve là »
(Spittel, 2015). Le parcours est structuré par années, au
cours desquelles diverses thématiques sont développées.
Centré principalement sur l’expérience des soldats de l’in-
fanterie, le parcours introduit, quoique encore timidement,
des perspectives et des voix plus variées (infirmières, civils
de l’arrière, Aborigènes7). Le récit n’est plus centré sur la
succession des batailles, mais élargit l’histoire à des théma-
tiques culturelles et sociales. La diversité des motivations et
des engagements au sein des forces armées australiennes y
est reconnue ; quelques mythes nationaux sont à l’occasion
corrigés (telle l’idée que la défaite à Gallipoli est entière-
ment due aux erreurs d’un commandement anglais
négligent) (ibid.).
La scénographie générale suggère des tranchées qui
scandent le parcours chronologique. Au sein de celui-ci, les
dioramas ont été relogés, encadrés de façon plus neutre par
une bordure de moquette bleue, dans les vitrines murales.
Lors de l’exposition de Melbourne en 1922, chaque diorama
était présenté dans un cadre métallique surmonté d’une
sculpture de soldat et bordé dans son avant-plan d’un
rideau masquant la structure de soutènement et d’une ran-
gée d’arbres en faux terrain8. Tant la masse tridimension-
nelle de l’ensemble que l’organisation de plans étagés de
perspectives pour les spectateurs ressortaient nettement.
Dans la nouvelle galerie, les artefacts authentiques ont dis-
paru des avant-plans, et les faux terrains sont supprimés, ce
qui tend à réduire l’impression d’un espace physique parta-
gé entre le spectateur et l’espace interne du diorama.
Les dioramas sont plutôt perçus comme des tableaux en
deux dimensions (Le Gall, 2015 : 21) : de « trouées » aspi-
rant le spectateur dans leur espace interne et invitant à s’y
7. Un des dioramas du front moyen-oriental est d’ailleurs exhumé des archives en
vertu du nombre de soldat aborigènes qui faisaient partie des régiments représen-
tés : https://www.awm.gov.au/about/our-work/projects/first-world-war-galleries
[consulté le 12 décembre 2018].
8. Comme le montrent les photographies dans Back & Webster, 2008.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 39


projeter et s’y promener, ils tendent à devenir de simples
« fenêtres ». Par rapport aux autres objets exposés (artefacts,
militaria, uniformes, documents, etc.), les dioramas
changent de fonction pour devenir un élément secondaire
d’illustration, un élément parmi d’autres qui concourt à faire
comprendre le contexte de la guerre et qui, notamment,
aide à fixer l’image des lieux. Il se produit donc dans la
structure de l’exposition une inversion de la hiérarchie : du
diorama occupant la place principale, concentrant les
regards et les affects, entouré d’éléments de contextualisa-
tion aidant à en préciser le sens, on passe aujourd’hui au
diorama comme élément secondaire de contextualisation,
mis au service de l’objectif principal de compréhension glo-
bale du conflit. Le dispositif analogique n’est plus celui par
lequel les visiteurs sont principalement mis en contact avec
l’exposé, mais ils constituent des « îlots imagés » (Montpetit,
1996 : 92) qui s’inscrivent dans la trame du parcours.
Plus profondément, la transformation de la place des diora-
mas de la Première Guerre révèle le changement fonda-
mental de logique qu’a opéré le Mémorial. Suivant l’analyse
de Montpetit, on peut en effet voir que l’usage des diora-
mas passe, dans l’ordre de la mimesis, d’une logique analo-
gique, où le diorama provoque une immersion, un trans-
port dans un autre lieu, à une logique d’illustration, où il
aide, avec d’autres éléments, à construire des images.
L’aménagement scénographique initial, organisé par une
logique exogène (où l’exposé fait référence à un réel
connu), relève d’une exposition situationnelle, dans
laquelle le diorama joue le rôle central d’installation d’une
« image » du réel, d’une « scène de vie » (ibid. : 91) :
« L’analogie fonctionne alors pour que tous les territoires
entrent au musée. L’analogie intervient pour faire vivre le
musée comme si on n’y était pas, comme si on était ail-
leurs, en un lieu et un temps autres, où ces choses aussi
étaient ailleurs et seraient à quelqu’un, où ces œuvres,
maintenant conservées, étaient le fruit mal assuré des
explorations d’un individu créateur » (ibid. : 93).

La reconnaissance peut aussi s’opérer par référence à un


réel imaginé. Y pénètrent, par exemple, par intertextualité,
des fictions historiques, tel le film Gallipoli de Peter Weir.

40 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Dans la galerie rénovée, la muséographie narrative relève
d’une logique endogène ou interprétative, une logique
« autosuffisante [qui] génère elle-même les stratégies com-
municationnelles qu’elle implante » (ibid. : 87). Dans ce cas,
les dioramas aident simplement à illustrer le propos narratif.
Le nouveau parcours diffère aussi par l’introduction des
représentations des violences de la guerre. Apparaissent
dans une vitrine les représentations de blessés, de soldats
défigurés, de prothèses. Révélateurs de la dureté de la
guerre et de ses conséquences, les traumatismes physiques
et psychologiques sont mentionnés. En 1984, une interven-
tion partielle sur le parcours de l’exposition avait conduit à
y introduire, à l’entrée des galeries du front ouest, un diora-
ma ouvert, à taille réelle : « Homme dans la boue », créé par
Peter Corlett (figure 5).

Figure 5. Peter Corlett, Homme dans la boue, diorama


(personnage : fibre de verre avec uniforme de tissu, métal
et casque ; fond : photographie sépia sur carton ; décor :
fibre de verre avec bois, fil métallique et objets de métal),
316 x 166 x 100 cm, créé à Melbourne (1989). Australian
War Memorial, ART41003 © AWM.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 41


Sur environ deux mètres de large, devant un fond photo-
graphique de paysage dévasté, il mettait en scène un jeune
soldat, assis, le visage entre les mains, ses bandes molle-
tières et son casque salis de boue. Le cadavre d’un cheval,
des débris méconnaissables, des tranchées inondées parse-
maient l’arrière-plan. La posture du jeune soldat, inspirée
d’une photographie 9, exprimait l’extrême fatigue et le
découragement total. En découvrant face à eux ce soldat
assis, les visiteurs étaient saisis par l’expression de ses souf-
frances et de sa douleur. Aux côtés des visions héroïsantes
que présentait alors la galerie de la Première Guerre mon-
diale, à la fois dans la mise en scène des soldats dans les
dioramas et dans son discours général, ce diorama
moderne introduisait une représentation différente : celle
du soldat victime, qui n’est pas un guerrier-né, traumatisé
par son expérience du combat. Bien que le diorama ait été
très apprécié du public, « Homme dans la boue » ne fait
plus aujourd’hui partie du parcours rénové. Au diorama
hyperréaliste ont été substituées des silhouettes de soldats
grandeur nature, en métal stylisé. Ces silhouettes donnent
une vision moins passive et moins accablée des soldats
(Spittel, 2015).
Il semblerait ainsi que le Mémorial ait préféré ici renoncer
aux potentialités d’identification et d’empathie que recèlent
les dioramas afin de limiter une vision trop victimaire. Faut-
il en conclure pour autant à la disparition de la volonté de
faire ressentir aux visiteurs l’expérience du soldat ? Bien au
contraire, car dans le même temps, le Mémorial est interve-
nu sur certains dioramas pour renforcer leur caractère spec-
taculaire par l’adjonction d’effets lumineux animés. Malgré
les problèmes de conservation que posaient les dioramas,
notamment l’affadissement des couleurs des fonds de ciel
peints, les dioramas n’avaient pas jusqu’alors été équipés
d’éclairages complémentaires. Aujourd’hui, le diorama du
« Mont Saint-Quentin » est animé par « un arrière-plan fil-
mique montrant des fumées émanant d’un trou d’obus »
(ibid.). Les fonds animés spéciaux réalisés par l’artiste Arlo
9. La photographie d’origine montrait des soldats atteints de blessures aux yeux. Le
sculpteur a repris la position pour lui donner un sens plus symbolique : www.awm.
gov.au/collection/ART41003 [consulté le 12 décembre 2018].

42 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Mountford reflètent également les différentes conditions
lumineuses au cours de la journée (Walton, 2015 : 2). Les
effets visent à apporter au diorama une dimension fonda-
mentalement absente : le mouvement. Ils cherchent ainsi à
rendre la scène plus captivante, plus impressionnante, plus
émouvante. Ces effets spéciaux ont été pensés pour redon-
ner aux dioramas une puissance spectaculaire, ils viennent
combler une faiblesse expressive qui s’est accentuée avec le
temps. Comparés aux scénographies multimédias
modernes, ils sembleraient plus aptes à susciter les émo-
tions des visiteurs par leur seul aménagement reposant sur
l’immobilité du « moment fructueux », sur la suspension de
l’action à son acmé en un « instant gelé ». D’ailleurs, c’est à
présent par les commentaires (dans l’iPad disponible à côté
du diorama de « Lone Pine ») qu’est rappelé le caractère
immédiatement bouleversant que le diorama possédait dans
les années 1930, notamment auprès des vétérans (Spittel,
2015).
Un nouvel environnement sonore diffusant des sons de
bataille, de canons, tente également d’intensifier l’effet des
dioramas. Ces aménagements sonores et lumineux peuvent
plutôt être considérés comme des auxiliaires devenus
nécessaires afin que le plein potentiel expressif des diora-
mas s’exprime, et que ceux-ci atteignent l’objectif de faire
ressentir et comprendre l’expérience que les soldats eurent
de la guerre. Ils serviraient ainsi, comme l’ont analysé
Stéphane Audouin-Rouzeau et Annette Becker, à « retrouver
la guerre ». La Première Guerre a fait l’objet, après un réel
consentement durant les années du conflit, d’un profond
rejet dans les années 1930 : « le socle des représentations
auquel s’est adossé l’immense consentement collectif
[…] de 14-18 s’est volatilisé ». D’où la nécessité de dépasser
cette rupture cognitive pour faire saisir aux contemporains
« le sentiment d’obligation, d’évidence du sacrifice,
aujourd’hui impossible à admettre » (Audouin-Rouzeau
& Becker, 2000 : 18). Les dioramas permettent de rendre
sensible l’expérience des soldats, perçue dans ses dimen-
sions avant tout humaines. Ils illustrent l’expérience d’indi-
vidus qui ont consenti, mais qui sont aussi devenus vic-
times d’un conflit brutal et dont le sens les dépasse. Des

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 43


individus qui, avant tout, ressentirent tous les mêmes souf-
frances physiques et morales.
Le Mémorial de Verdun a mis en œuvre des approches
similaires en associant dans son parcours des représenta-
tions de soldats au combat de façon immersive, sur un
large écran brisé montrant des extraits de films de bataille,
et des environnements sonores, qui rendent plus percep-
tibles les souffrances physiques et morales éprouvées.
Ainsi, dans la section intitulée « La blessure », qui évoque
les soins infirmiers sur le front, un commentaire sonore
superpose le récit d’un témoin et les cris de douleur des
blessés. Si les visions directes de souffrance les plus vio-
lentes (photographies de soldats blessés, amputés, défigu-
rés) sont reléguées à l’écart (dans les parties basses des
cloisons, ou par des surimpressions d’images en filigranes),
le commentaire sonore, avec ses cris incessants, est très
éprouvant à l’écoute. L’enjeu du réinvestissement des dis-
positifs analogiques est de recréer un lien entre les publics
contemporains et l’expérience des soldats, afin de trans-
mettre un sens de la mémoire du conflit. Alors que les der-
niers témoins directs ont disparu, celui-ci est aujourd’hui
plus centré sur la brutalité et les souffrances encourues.
Réactiver la puissance spectaculaire et expressive des diora-
mas est ainsi un moyen d’actualiser leur potentiel émotif,
en vue de retrouver la guerre et de comprendre « les effets
durables du conflit sur la nation » (AWM, 2014). Ce faisant,
les dispositifs analogiques perpétuent un « rite moderne
d’initiation à la vie politique et civique » (Gueissaz, 2002).
Comparé au Mémorial de Verdun cependant, les bruitages
du Mémorial de Canberra sont très assourdis, ce qui donne
finalement de l’expérience des combattants une vision
euphémisée, qui reste plus supportable. La vision du
conflit, au final, ne convoque pas la notion de danger, elle
n’est pas vraiment menaçante (Spittel, 2015). Comme le
remarque Jay Winter, les musées de guerre « ont été conçus
d’abord comme des tributs aux hommes et femmes qui
endurèrent la guerre : […] ils tendent à aseptiser la guerre »
(Winter, 2012 : 153). Tout en replaçant l’expérience de
guerre dans un contexte interprétatif plus large, le parcours
ménage toutefois le patriotisme que le Mémorial cherche à

44 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


inculquer aux visiteurs. Ceux-ci peuvent alors terminer dans
un relatif apaisement leur visite dans les dernières salles et
le hall d’honneur, qui conclut sobrement : « Chaque nation
a son histoire. Celle-ci est la nôtre. » Avec cette clôture
finale, le parcours reste cohérent avec l’engagement com-
mémoratif et l’orientation patriotique de l’AWM, « ce qui est
peut-être inévitable vu les sentiments intenses qu’éprouvent
les Australiens à l’égard de la Première Guerre mondiale, à
laquelle Ken Inglis (1985) fit référence, après Rousseau,
comme étant une « religion civile » (Walton, 2015 : 4).

Conclusion

Le Mémorial de Canberra, à l’instar d’autres musées de


guerre et mémoriaux, est une institution hybride (Williams,
2007). C’est tout ensemble « un autel, un musée d’envergure
internationale et une archive exhaustive » (AWM, 2013 :
s. p., cité in Dittmer & Waterton, 2017 : 49). Il joue en parti-
culier un rôle « en tant qu’archive des technologies pensées
pour inspirer une identification empathique avec les
hommes et les combattants » (Dittmer & Waterton, 2017 :
50). Parmi celles-ci, les dioramas « mêlent en eux l’art et
l’histoire […] pour créer des archives visuelles exactes et
émouvantes des événements de la guerre » (Back
& Webster, 2008 : 6). Dans l’histoire du Mémorial, la place
des dioramas dans le parcours et les choix de leur aména-
gement rendent compte des évolutions du rôle de ces dis-
positifs dans la construction de la mémoire nationale austra-
lienne. Le diorama est utilisé dans un premier temps
comme un dispositif analogique central : il organise l’expé-
rience dans laquelle les visiteurs sont plongés dans les
champs de bataille situés aux antipodes de l’Australie. Les
techniques d’aménagement favorisent l’immersion dans la
scène et l’identification aux acteurs de la scène. Les diora-
mas évoquent immédiatement pour leurs spectateurs des
scènes connues, et ils contribuent à en fixer et en renforcer
l’image. Aujourd’hui, alors que les témoins ont disparu, ils
sont rendus plus spectaculaires afin de revivifier, voire d’ac-
centuer leur pouvoir évocateur des conditions de l’expé-

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 45


rience des soldats, sans toutefois rendre celle-ci par trop
menaçante. Utilisés avant tout comme tableaux paysagers,
les dioramas deviennent des vues qui installent le réalisme
géographique et situent dans leurs contextes des lieux qui,
par ailleurs, sont devenus plus accessibles. On peut penser
qu’avec le développement du tourisme mémoriel vers les
champs de bataille européens, le diorama, plus qu’un subs-
titut, est aujourd’hui plutôt l’avant-goût de la découverte
des territoires du front occidental.
Les dioramas jouent aujourd’hui moins le rôle d’évocations
réalistes pour plonger les visiteurs dans des lieux connus
ou imaginés, et sont plutôt exploités pour leurs capacités
narratives et explicatives afin de raconter et faire com-
prendre des scènes particulières dans le contexte de la
guerre. L’adjonction d’effets sonores ou lumineux, et de
contenus complémentaires dans les audioguides, sont alors
des moyens pour renforcer au besoin cet effort pédago-
gique et renforcer la puissance narrative de ces dispositifs.
À cet égard, on peut mettre en regard la présence persis-
tante des dioramas dans les galeries de la Première Guerre
mondiale de l’AWM avec les mobilisations contemporaines
dont ils sont l’objet dans d’autres champs, en particulier
dans le champ de l’art contemporain et de l’ethnologie.
Comme l’a illustré notamment la récente exposition
Dioramas au Palais de Tokyo (Paris, 14 juin - 10 septembre
2017), le diorama est aujourd’hui réinvesti dans les musées,
par exemple comme moyen de représentation de soi de la
part de communautés qui se réapproprient les récits que
l’on fait sur elles (Dohm et al., 2017 ; Étienne, 2016, 2017),
ou, dans une visée plus critique, déconstruit en tant qu’ins-
trument de prosélytisme racial et de domination (Boucher,
2015). Ce renouveau témoigne de la richesse et de la plasti-
cité de ces dispositifs analogiques complexes pour
construire des narrations. Comme le conclut justement Jane
Insley, « ils sont des dispositifs immensément puissants de
communication avec les publics, et leurs propres histoires
ajoutent de la profondeur à notre compréhension de la
façon dont les musées fonctionnent » (Insley, 2008 : 27).
Pour Jay Winter,

46 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


« tous les musées de guerre échouent à représenter la
“guerre”, parce qu’elle a eu lieu alors et qu’à présent il n’y
a plus de consensus sur ce qui faisait la guerre telle
qu’elle était effectivement […]. En ce sens, les musées de
guerre sont comme des chambres de nuages en physique
des particules : […] ils ne décrivent jamais la guerre ; ils
nous disent seulement ses empreintes sur la carte de nos
vies » (Winter, 2012 : 152).

À l’AWM, la nouvelle disposition dans le parcours et les


transformations internes de l’aménagement des dioramas
ont permis véritablement leur réinvention. Du fait de leur
plasticité, les dioramas ont pu perdurer dans les exposi-
tions, et ils dessinent encore aujourd’hui de telles
« empreintes » convaincantes redonnant sens aux épreuves
d’un passé évanoui. Cent ans après le conflit, ce sont tou-
jours des dispositifs centraux dans la construction du récit
national australien.

Manuscrit reçu le 9 février 2018


Version révisée reçue le 25 juillet 2018
Article accepté pour publication le 5 septembre 2018

Bibliographie
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Australian War Memorial. 2011. A Place to Remember. AWM Souvenir pub-
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Back (Laura) & Webster (Laura). 2008. Moments in Time: Dioramas at the
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CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 47
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CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 49


Auteure

Gaëlle Crenn, Université de Lorraine, Crem


Titulaire d’un Ph. D. en Communication de l’Université du Québec à
Montréal, Gaëlle Crenn est maîtresse de conférences en sciences de l’in-
formation et de la communication, et membre du Crem (Centre de
Recherche sur les Médiations – EA 3476) à l’Université de Lorraine. En
2018, elle a été enseignante-chercheure invitée durant un semestre pour
la chaire de « Médiation culturelle transnationale » à l’Université de la
Sarre. Elle consacre ses recherches aux transformations de l’institution
muséale contemporaine. Elle a récemment participé à un projet portant
sur le recours au crowdfunding dans la sphère muséale (ANR COLLAB).
Ses recherches explorent en particulier le potentiel des dispositifs scéno-
graphiques et de médiation dans la formation des représentations, en
particulier dans le domaine des représentations de l’autre (dans les
musées d’ethnographie d’Europe et du Pacifique) et des représentations
des violences de guerre.
Courriel : gaelle.crenn@gmail.com

50 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Résumés

Les dioramas de l’Australian War Memorial (Canberra). Réécrire


le récit national à l’heure du centenaire de la Première Guerre
mondiale
L’Australian War Memorial (AWM) de Canberra présente dans sa galerie
de la Première Guerre mondiale, rouverte après une profonde rénovation
en 2014, une dizaine de dioramas mettant en scène des champs de
bataille dans lesquels les Forces impériales australiennes furent engagées
au cours du conflit. Selon un guide souvenir du Mémorial, « les visiteurs
sont attirés vers eux comme par magie, et les souvenirs que l’on en
garde durent souvent la vie entière ». Comment comprendre cette
« magie » exercée par les dioramas sur leurs visiteurs ? Quelles sont dans
un tel contexte les fonctions qu’on souhaite leur voir remplir ? En obser-
vant la place et l’opérativité attribuées aux dioramas de la galerie de la
Première guerre mondiale, avant et après la rénovation de 2014, nous
mettons en valeur la façon dont ces dispositifs muséographiques sont
révélateurs des enjeux mémoriels de la société australienne à l’heure du
centenaire, et contribuent jusqu’aujourd’hui à réarticuler les liens des
visiteurs à leur histoire.
Mots-clés
Diorama, analogique, immersion, nation, mémorial

The dioramas of the Australian War Memorial (Canberra).


Rewrite the national narrative at the time of the centenary of
the First World War.
The Australian War Memorial (AWM) in Canberra reopened its First
World War Gallery after a major renovation in 2014. It presents a dozen
of dioramas featuring battlefields in which the Australian Imperial Forces
were engaged during the conflict. According to a souvenir guide, “visi-
tors are magically drawn to them, and the memories that are left over are
often lifelong”. How to understand this “magic” exerted by the dioramas
on their visitors? In such a context, what functions are they expected to
fulfill? By observing the place and the agentivity of the dioramas, before
and after the 2014 renovation, we highlight how these museological dis-
plays reveal the memory issues of Australian society at the time of the
Centennial, and how, until nowadays, they re-articulate the links
between visitors and their history.
Keywords
Diorama, analogic, immersion, nation, memorial

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 51


Los dioramas del Australian War Memorial (Canberra).
Reescribir la narrativa nacional en el momento del centenario
de la Primera Guerra Mundial.
El Australian War Memorial (AWM) de Canberra presenta en su galería de
la Primera Guerra Mundial, reabierta tras una importante renovación en
2014, una docena de dioramas con campos de batalla en los que las
Fuerzas Imperiales de Australia se enfrentaron durante el conflicto.
Según una guía conmemorativa del memorial, «los visitantes se sienten
atraídos por ellos como por arte de magia, y los recuerdos que quedan
son a menudo de por vida». ¿Cómo entender esta «magia» ejercida por los
dioramas sobre sus visitantes? En este contexto, ¿qué funciones se desean
que cumplan? Al observar el lugar y la operatividad atribuida a los diora-
mas de la galería de la Primera Guerra Mundial, antes y después de la
renovación de 2014, destacamos la forma en que estos dispositivos
museográficos revelan los problemas de memoria de la sociedad austra-
liana al momento del Centenario, y contribuyen hasta hoy a re-articular
los vínculos de los visitantes con su historia.
Palabras clave
Diorama, analógico, inmersión, nación, memorial

52 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Microcosme et immersion :
Les teatrini
de Gaetano Giulio Zumbo
Liliane Ehrhart
Université de Princeton

Cinq œuvres réalisées par l’abbé Gaetano Giulio Zumbo


(ou Zummo1) (1656-1701) sont aujourd’hui exposées à la
Specola, le Musée d’histoire naturelle et de zoologie de
Florence2 : La Peste (Le Peste), Le Triomphe du temps (Il

1  Nom que Zummo change en Zumbo pour sa « sonorité plus noble » (Lemire,
1990 : 36).
2  Si la présence d’œuvres baroques macabres dans un musée à caractère scienti-
fique peut apparaître déconcertante au premier abord, celle-ci est en fait mise en
relation avec la collection de plus de 1 400 modèles anatomiques réalisés entre 1771
et 1893. L’institution fait clairement le choix d’établir un lien matériel et stylistique
entre les œuvres de Zumbo et les modèles anatomiques réalisés pour la majeure
partie sous la direction de Felice Fontana (1730-1805). Le guide papier du musée
confirme que la cire et le travail minutieux de Zumbo à représenter les détails
anatomiques des corps et le processus biologique de décomposition des chairs
justifient ce choix muséographique « très spécial » (Barbagli & Pratesi, 2009 : 76).
Le texte introductif précise par ailleurs que les œuvres de Zumbo représentent une
facette unique de l’art de la céroplastie et distingue clairement le travail de Zumbo
au XVIIe siècle de celui des céroplasticiens-anatomistes aux XVIIIe et XIXe siècles.
Cette distinction exemplifie la séparation entre le céroplasticien, vu comme un arti-
san, et l’anatomiste ou le physicien, dont la formation est scientifique (cf. Maerker,
2011). Les naturalistes et chirurgiens qui travaillaient depuis 1771 à la réalisation de
modèles anatomiques en cire ne considéraient d’ailleurs pas les œuvres de Zumbo
comme des représentations scientifiques.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 53


Trionfo del tempo3) et Le Sépulcre (Il Sepulcro), trois œuvres
baroques complètes réalisées en ronde-bosse et présentées
dans des cabinets ; La Syphilis (désignée sous le nom Il
Morbo gallico), vestige d’une quatrième mise en scène en
ronde-bosse dont il ne reste que neuf fragments4 ; enfin,
une tête en cire modelée sur un véritable crâne humain.
Posés sur des tables basses, les trois cabinets sont réalisés à
partir de bois marqueté et de panneaux de verre. À dis-
tance, leur élégance ne laisse rien présager du thème des
scènes qu’ils contiennent. En effet, ceux-ci renferment des
mises en scène macabres et sanglantes qui illustrent la fini-
tude de l’homme et ne manquent pas d’interpeller le visi-
teur lorsqu’il s’en approche.
Modelés dans la cire et réalisés avec minutie, des êtres
humains de différents âges en proie à la mort, des sque-
lettes et cadavres qui laissent voir viscères et chairs à un
stade plus ou moins avancé de décomposition s’entassent
dans un charnier (La Peste), une grotte (Le Triomphe du
temps) et un tombeau (Le Sépulcre). La pigmentation des
figures, basée sur des couleurs symboliques plutôt que
naturalistes, permet d’identifier les différents stades plus ou
moins avancés de la putréfaction des corps, du blanc ivoire
au noir en passant par le vert. De taille réduite, ces scènes
peuvent être embrassées par le visiteur en un regard. Mais
pour appréhender leur complexité, le visiteur doit se pen-
cher, s’abaisser et se rapprocher de la vitre qui le sépare de
la représentation. Il découvre alors des détails qui accen-
tuent les dimensions sinistre et pathétique de la scène : les
corps des hommes, des femmes, des enfants et des vieil-
lards déjà morts sont violacés au niveau des blessures ; les
chairs putréfiées et les viscères qui leur sortent du corps
sont arrachés et mangés par de minuscules animaux
– lézards, vers et rats.
Cette brève description révèle le rôle majeur de la forme

3. Aussi appelé La Corruption des corps (La Vanità della gloria umana).
4. Les fragments de La Syphilis sont découverts dans les collections privées de la
famille Corsini après l’inondation de Florence de 1966. Faute de photographies, la
scène, très abîmée, n’a pas pu être entièrement reconstituée.

54 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


même des trois teatrini dans l’expérience du visiteur. Le
luxe des cabinets en bois et la manière dont ceux-ci enca-
drent chaque mise en scène contrastent avec le sujet de la
scène. Alors que le thème des scènes macabres interrompt
momentanément le mouvement vers l’avant du spectateur,
la taille réduite l’invite à se rapprocher des scènes. Ces élé-
ments participent à la création d’une expérience singulière
qui se déroule en plusieurs temps. Or ils ont été occultés
dans un grand nombre de recherches menées sur ces
œuvres, au profit d’analyses centrées sur la figuration en
cire et l’intertextualité des œuvres, et d’essais sur l’évolution
de leur réception5. Si ces études sont fondamentales et par-
ticipent incontestablement à une meilleure compréhension
de ces trois œuvres pour le moins difficiles à saisir, les
cadres et systèmes mis en place par l’intermédiaire des
cabinets, mais aussi la taille réduite du dispositif et des
scènes macabres doivent également être étudiés pour
mieux comprendre leurs usages et leurs effets. En effet, ces
éléments, deux « phénomènes de frontière » – pour
reprendre l’expression de Victor I. Stoichita, qui analyse,
dans son étude sur l’image-simulacre, le phénomène de
frontière qu’est « celui de l’image perçue comme existante »
(Stoichita, 2008 : 9) –, sont importants pour l’expérience du
spectateur, sa manière de percevoir ces œuvres, de se tenir
physiquement devant elles et d’y entrer par le regard et par
l’imagination. Dans « La matérialité politique des dioramas »,
Noémie Étienne (in Dohm et al., 2017 : 186-188) remarque
qu’il est nécessaire d’approcher les dioramas et autres dis-
positifs s’y apparentant comme des objets matériels, dans le
sillage du Material Turn6, et non comme des objets de
recherche strictement optiques (Haraway, 1984-1985) ou
cinématographiques (Griffiths, 2002).
5. Preuves en sont, par exemple, les photographies illustrant les différentes études
consacrées à ces œuvres, qui focalisent généralement sur la mise en scène en cire
sans proposer une vue d’ensemble du dispositif (vitres, cabinet de bois) (avec l’ex-
ception récente de l’article de Valérie Kobi, « Staging life: natural history tableaux
in eighteenth-century Europe » (2017), qui reprend une photo de l’article de Rupert
Thomson, « Fugitive pieces » (2013).
6. Initié dans les années 1970, le Material Turn, ou « tournant matériel », en histoire
de l’art, repense la matérialité des objets, œuvres ou ensembles étudiés en revoyant
les hiérarchies établies entre les arts (sculpture, peinture, etc.) et dépassant diffé-
rents clivages (art/artisanat, objet/idée, etc.).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 55


Cet article propose d’étudier le dispositif d’exposition et les
stratégies d’immersion spécifiques à ces trois œuvres, en
analysant dans un premier temps la manière dont les mises
en scène dépendent des cabinets pour fonctionner en tant
que teatrini ou dioramas et en commentant dans un deu-
xième temps le rôle de leur taille réduite dans l’expérience
du spectateur. Pour finir, nous reviendrons sur la forme et
la matérialité de ces scènes macabres en cire et sur leur
interprétation, à la lumière de ces deux facteurs.
Les mises en scène de Zumbo sont ici désignées par le
terme italien de teatrini (« petits théâtres »), dérivé du sur-
nom « théâtres de la mort » (teatri della morte) que leur a
donné l’historien d’art Paolo Giansiracusa dans l’étude qu’il
consacre à ces œuvres (Giansiracusa, 1991 : 13)7. Le terme
italien teatrino permet d’insister sur leur taille réduite et de
réunir ces trois œuvres, seules à être présentées dans des
cabinets en bois de ce type, en les distinguant des autres
créations de Zumbo. Il permet, en outre, de souligner la
forme et la performativité des œuvres, et de rappeler leur
appartenance à une tradition italienne – plus particulière-
ment florentine. Selon les articles, les teatrini sont désignés
comme des « théâtres miniatures » (Deckers, 2017 : 91),
« théâtres », « tableaux », « dioramas » ou encore « proto-dio-
ramas » (Mandula in Dohm et al., 2017). Ces deux derniers
termes sont des dénominations récentes qui invitent à une
lecture renouvelée de ces œuvres. Formellement, le mode
opérationnel de ce dispositif performatif s’apparente à celui
du diorama, « machine à voir » (ibid. : 35), dont la syntaxe
est souvent comparée à celles du théâtre et du cinéma. Par
définition, les dioramas mettent en place des stratégies
complexes d’expérience et d’immersion qui prennent en
compte le visiteur, le niveau de luminosité de la scène, qui
réfléchissent les conditions d’appréhension de la représen-
tation et, à travers elle, un certain rapport au monde. Ces
dispositifs ont généralement pour but « de rendre tangible
un monde souvent éloigné dans le temps et dans l’espace »
(Dohm et al., 2017 : 16). À partir d’éléments en trois dimen-
7. Le terme teatrini est privilégié par de nombreux chercheurs et professionnels
italiens travaillant sur Zumbo. Il apparaît, par exemple, dans l’article « Mirabili orrori.
Cere inedite di Gaetano Zumbo dopo il restauro » (Cordua et al., 2009).

56 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


sions, ils théâtralisent un microcosme reconstitué ou imagi-
naire, sans cacher leurs limites ni leur cadre puisque ceux-
ci déterminent l’orientation physique et visuelle du visiteur.

Les cabinets

Avant d’analyser le dispositif d’exposition, il convient de


revenir brièvement sur la carrière de Gaetano Giulio
Zumbo8 pour, d’une part, comprendre le contexte de créa-
tion spécifique à ces œuvres et leur inscription dans une
tradition italienne, et, d’autre part, saisir les raisons pour
lesquelles seules ces trois œuvres sont exposées dans ce
type de cabinet.
Instruit à Syracuse, où il devient abbé, Zumbo se forme à la
céroplastie (l’art de travailler la cire) dans la tradition et la
culture religieuse caractéristiques de l’Italie du Sud. En
Sicile et dans la région de Campanie, de nombreux ecclé-
siastiques (abbés, nonnes et moines) s’adonnent à cet art9.
Ils réalisent des objets de dévotion illustrant des moments
clés de la vie du Christ, de la Nativité à la Crucifixion, mais
aussi des scènes macabres qui mettent à rude épreuve la foi
du croyant, dans une tradition baroque et macabre ancrée
dans la théologie jésuite de la Contre-Réforme. Zumbo crée
plusieurs mises en scène en cire macabres, dont les plus
connues sont celles qu’il réalise pour la famille Médicis,
riches banquiers et grands-ducs de Toscane, lors de son
séjour à Florence de 1691 à 1695 à la suite de l’invitation de
Cosme III. Si la date de réalisation de La Peste fait débat
(Cosme III l’a-t-il achetée ou bien commanditée à
Zumbo ?), le grand-duc de Toscane aurait commandité La
Syphilis pour l’offrir à la famille Corsini. Des registres
indiquent que Ferdinand III a quant à lui financé Le
Triomphe du temps et Le Sépulcre. À la suite d’échanges
avec des anatomistes à Bologne, l’abbé Zumbo développe
8. Sa vie a été retracée par différents historiens de l’art, cf., entre autres, Paolo
Giansiracusa (1988), Francois Cagnetta (1977), Ronald Lightbown (1964) et Michel
Lemire (1990).
9. Sur la céroplastie sicilienne et la tradition des crèches, voir Emanuele Insinna,
Cera, ceroplasti e cirari (2014).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 57


un intérêt grandissant pour les représentations anatomiques
scientifiques et décide de quitter Florence. Il se rend à
Gênes où il collabore quelque temps avec le chirurgien
Guillaume Desnoues, puis part pour Marseille. En 1701, il
s’installe à Paris où Louis XIV lui octroie le privilège de tra-
vailler la cire à la manufacture anatomique du Cabinet du
roi. Il n’a cependant pas le temps d’y travailler puisqu’il
meurt la même année d’un abcès du foie (Lightbown,
1964b : 564). S’il continue de créer des scènes religieuses
en cire10, Zumbo n’exécute pas d’autres mises en scène
macabres de la même envergure ni avec autant de figures
que celles réalisées lors de son séjour florentin11. La Peste,
La Syphilis, Le Triomphe du temps et Le Sépulcre sont donc
caractéristiques d’une période, d’une doctrine macabre par-
ticulièrement appréciée par Cosme III, et d’un lieu
– Florence.
Réservé à un usage privé et religieux, ce type de mise en
scène était généralement conservé dans un studiolo, c’est-à-
dire un petit cabinet de travail ou de méditation
(Wolkenhauer, 2001 : 78). Cela explique que La Syphilis n’a
pas été retrouvée dans un cabinet de bois similaire à ceux
des trois autres mises en scène, mais qu’elle a été décou-
verte dans une armoire des appartements de la famille
Corsini après l’inondation catastrophique de Florence de
1966. Puisque les trois mises en scène des grands-ducs
étaient exposées dans les collections de curiosités de la
Galerie des Offices et non dans les appartements privés, les
cabinets de bois ont vraisemblablement été élaborés pour
ce cadre muséal spécifique. À cette époque, la collection de
la Galerie des Offices avait pour dessein d’asseoir le posi-
tionnement religieux et le pouvoir politique de la famille
Médicis auprès des Florentins et des voyageurs étrangers.
Les cabinets de bois, sophistiqués et somptueux, accentuent
10. Pour n’en citer que deux, L’Adoration des bergers (Victoria and Albert Museum)
et une crucifixion.
11. À la mort de Zumbo, une scène érotique miniature, Venus et Adonis (Venere
e Adone), est mentionnée dans l’inventaire de ses effets personnels, ce qui rend
compte de la gamme des œuvres qu’il a modelées au cours de sa carrière. Une
Étude de la décomposition humaine (collection privée), aussi exposée dans un
cabinet travaillé, donne à voir les détails de la putréfaction d’un buste d’homme
mangé par les vers, un rat sur son épaule (Artpassion, 2015 : s. p.).

58 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


nettement le caractère unique de ces trois œuvres auprès
des visiteurs (figure 1).

Figure 1. Gaetano Giulio Zumbo, les cabinets en bois du


Sépulcre et du Triomphe du temps exposés parmi la collection
de modèles anatomiques (bois, verre, et cire colorée), Musée
d’histoire naturelle de l’Université de Florence, section zoologie,
la Specola. Photo de l’auteure, 2018.

On sait encore peu de choses de ces cabinets en bois et on


ignore si Zumbo a participé à leur élaboration. Si l’on ne
peut affirmer avec certitude que les cabinets datent de la
création des mises en scène en cire12, on peut incontesta-
blement affirmer qu’ils ont été réalisés sur mesure
(Lightbown, 1964a : 490). De plus, l’individu qui les a ima-
ginés ou commandités a réfléchi à la manière dont chaque
mise en scène de Zumbo doit être appréhendée. Bien que
les cabinets semblent au premier abord similaires, ils pro-
posent trois expériences visuelles et « entrées » sensorielles
différentes, qui varient pour chaque mise en scène. Par
exemple, La Peste (95 x 76,5 x 52 cm) laisse voir la mise en
scène à travers une vitre plus petite que Le Triomphe du
temps ( 9 5   x   7 5 , 9   x   5 0 , 8   c m ) o u Le Sépulcr e
12. En 1879, les vitrines sont décrites comme ayant été créées spécifiquement pour
ces œuvres tout en en étant séparées – « un apposite e separate vetrine » – (« Proces-
so verbale di consegna di gruppi in cera di Gaetano Zumbo », 1879).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 59


(100 x 76,2 x 51,8 cm). La Peste est seulement ouverte sur
sa partie frontale, tandis que Le Triomphe du temps et sur-
tout Le Sépulcre sont plus ouverts sur l’extérieur (figures 2
et 3).

Figure 2. Gaetano Giulio Zumbo, Le Sépulcre (bois, verre, cire


colorée et peinture), Musée d’histoire naturelle de l’Université
de Florence, section zoologie, la Specola.
Photo de l’auteure, 2018.

Figure 3. Gaetano Giulio Zumbo, Cabinets de La Peste et du


Triomphe du temps (bois, verre, cire colorée et peinture),
Musée d’histoire naturelle de l’Université de Florence, section
zoologie, la Specola. Photo de l’auteure, 2018.

60 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Ainsi, un rectangle en verre de petite taille (24,5 x 16,4 cm)
a été ajouté sur le dessus du caisson du Triomphe du temps
de façon à ce que la grotte modelée en cire laisse passer la
lumière naturelle, un détail très naturaliste en soi.
Contrairement aux deux autres teatrini, Le Sépulcre est la
mise en scène la plus exposée à la lumière et au regard.
Elle a de larges vitres qui s’étendent sur trois côtés, multi-
pliant ainsi les points de vue possibles. Il convient de noter
que des miroirs sont placés sur les pendants transversaux
de La Peste, et que le haut de la mise en scène est peint,
peut-être pour introduire une profondeur de champ ou
pour contenir le regard avec plus d’efficacité.
Les structures ainsi créées instituent un système optique qui
laisse entrer le regard, mais le contraint également. Les
vitres définissent une frontière entre l’espace de l’œuvre et
celui du spectateur, la transparence du verre permet de voir
ce qui se joue dans chaque cabinet, au contraire des pan-
neaux de bois qui isolent la scène et limitent son exposi-
tion. Les cadres ainsi élaborés appellent un positionnement
physique spécifique du spectateur, ils orientent le regard et
encouragent une projection dans la scène représentée par
le biais du regard et de l’imagination.
Face à ces artefacts, de nombreux écrivains et voyageurs
étrangers ont exprimé leur dégoût et illustré (du moins rhé-
toriquement) la propension des teatrini à les ébranler.
Parmi eux, le marquis de Sade écrit avoir temporairement
cru que les mises en scène qu’il découvrait se jouaient
devant ses yeux. La description qu’il fait de deux d’entre
elles dans Voyage d’Italie (1775) est souvent citée, car elle
met en avant leur effet direct sur le spectateur. Sade décrit
ainsi combien ces créations brouillent efficacement les
pistes entre l’espace où se tient le spectateur et l’espace de
l’œuvre. D’ailleurs, Sade est l’un des rares auteurs à men-
tionner leur cadre de présentation, qu’il désigne sous le
terme d’« armoire », et à signaler la mise en œuvre d’un sys-
tème sensoriel spécifique, qui mobilise tous les sens et non
pas seulement le regard :
« Dans une de ces armoires on voit un sépulcre rempli
d’une infinité de cadavres, dans chacun desquels on peut
observer les différentes gradations de la dissolution,

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 61


depuis le cadavre du jour jusqu’à celui que les vers ont
totalement dévoré. Cette idée bizarre est l’ouvrage d’un
Sicilien nommé Zummo. Tout est exécuté en cire et colo-
rié au naturel. L’impression est si forte que les sens
paraissent s’avertir mutuellement. On porte naturellement
la main au nez, sans s’en apercevoir, en considérant cet
horrible détail qu’il est difficile d’examiner sans être rap-
pelé aux sinistres idées de la destruction. Près de cette
armoire en est une dans le même genre, représentant un
sépulcre de pestiférés, où les mêmes gradations de disso-
lution s’observent à peu près. On remarque surtout un
malheureux, nu, apportant un cadavre qu’il jette avec les
autres et qui, suffoqué lui-même par l’odeur et le spec-
tacle, tombe à la renverse et meurt. Ce groupe est d’une
vérité effrayante » (Sade, 1967 : 152-53).

Si Sade reconnaît leur naturalisme, il ne mentionne pas une


autre dimension qui rend leur effectivité tangible, soit leur
taille réduite, qui a posé problème à d’autres voyageurs et
visiteurs. Selon certains, le choix de la taille réduite limite
les effets sinistres des teatrini (figure 4).

Figure 4. Gaetano Giulio Zumbo, La Peste (bois, verre, cire


colorée et peinture, 93,5 x 76,3 x 49 cm), Musée d’histoire
naturelle de l’Université de Florence, section zoologie, la
Specola. Photo de l’auteure, 2018.

62 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Taille réduite et effet de présence réelle

Deux autres voyageurs français, les frères Goncourt, sont


interpellés par les teatrini lors de leur séjour à Florence et
s’interrogent sur leur force et leur effet étant donné leur
petite taille. Dans L’Italie d’hier : notes de voyages, 1855-
1856, ils remettent en question le pouvoir des teatrini à
ébranler le spectateur, considérant que la taille réduite des
figures et des scènes atténue tout effet d’horreur puisqu’ils
rappellent des jouets13 : « Les trois pestes de Florence, de
Rome, de Milan, modelées en cire. Un modelage admirable,
mais dont la petitesse de l’exécution ôte l’horreur de ces
horreurs, et leur donne un peu le caractère d’un joujou »
(Goncourt, 1894 : 140).
Dans un essai sur les figures de cire en littérature, Mario
Praz, critique et collectionneur d’œuvres en cire, s’interroge
sur la taille des figures de cire en général en prenant soin
de bien différencier chaque type de figure de cire :
« Jusqu’à quel point – nous demandons-nous – un rapetisse-
ment ajoute-t-il de la grâce à un objet, et à quel moment
précis devient-il ennuyeux et finit-il par insinuer un soup-
çon de futilité ? Jusqu’à quel point un agrandissement rend-
il un objet plus solennel et imposant, et quelles limites
peut-on imposer au colossal ? » (Praz, 1989 : 122). Tout
d’abord, Praz différencie le « caractère ambigu, trompeur »
des figures de cire grandeur nature des figures de taille
réduite, qui admettent « ce minimum de représentation sym-
bolique qui donne à la figure de cire le droit de cité dans le
champ de l’art » (ibid. : 121). Il cite d’ailleurs les frères
Goncourt et leur interprétation des œuvres de Zumbo
comme inspiration pour ses premières interrogations.
Poursuivant sa réflexion sur la taille des représentations, il
identifie deux dimensions propres à la miniature, d’une part
une dimension enfantine, d’autre part une dimension artis-
tique :

13. Noémie Étienne remarque que les dioramas sont généralement grandeur nature
ou de taille nature et ressemblent à des jouets : « Les modèles miniatures s’appa-
rentent à des jouets, utilisés pour présenter une scène, recréer un site disparu ou
communiquer des informations sur un contexte » (Étienne, 2018 : 222). Par ailleurs,
elle remarque qu’au XIXe  siècle, « les enfants comptent parmi les publics visés en
priorité par les dioramas » (ibid.).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 63


« Il existe plusieurs catégories d’objets représentés en pro-
portions très réduites qui, jusqu’à un certain point,
semblent dotés d’un charme qui peut-être remonte à
l’amour enfantin des jouets. Des souverains adultes se sont
amusés avec des armées de soldats en miniature, sous
prétexte d’étudier la stratégie ; Clésinger a reproduit en
objets de quelques centimètres toutes les armes des sol-
dats de Napoléon ; Weigert, le peintre et miniaturiste vien-
nois du début du XIXe siècle, a réussi à enfermer toute une
revue militaire dans un espace guère plus grand qu’une
enveloppe […]. Nul ne niera la valeur artistique des per-
sonnages des crèches de Giuseppe Sammartino » (ibid. :
122).

Le critique italien distingue ainsi les objets manipulés, ceux


qu’on prend plaisir à toucher et avec lesquels on aime
jouer, de ceux qui relèvent du domaine artistique et se
prêtent plutôt à la contemplation.
Ses conclusions convergent avec celles de l’anthropologue
Claude Lévi-Strauss. À partir du Portrait d’Élisabeth d’Au-
triche (1571), par François Clouet, celui-ci se demande si le
modèle réduit ne serait pas « le type même de l’œuvre
d’art » (Lévi-Strauss, 2008 : 583, cité in Severi, 2017 : 212)
puisqu’il se présente ostensiblement comme une création
de l’homme. Selon Lévi-Strauss, l’une des particularités de
l’œuvre de taille réduite est d’apparaître « moins redou-
table ; du fait d’être qualitativement diminuée, elle nous
semble qualitativement simplifiée » (Lévi-Strauss, 2008 :
585). Dès lors, l’œuvre se présente dans une dimension
anti-héroïque, une dimension qui, transposée aux mises en
scène macabres de Zumbo, aurait pour ambition d’inviter le
spectateur à méditer plutôt que d’être terrifié ou médusé. Le
format réduit est celui favorisé pour représenter scènes de
vanité et memento mori car il favorise la dévotion et permet
une contemplation individuelle et privée (Deckers, 2017 :
79-82).
Devant ces scènes, Sade écrit ne pouvoir s’empêcher
d’« être rappelé aux sinistres idées de la destruction ». Son
sentiment naît de la capacité de l’œuvre à devenir une
image effective, c’est-à-dire de sa propension à donner l’im-
pression au spectateur d’être dans le même lieu que la
scène alors que celle-ci se déroule devant ses yeux. Olivier

64 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Asselin s’intéresse à la manière dont des récits de fiction se
déploient et prennent place dans un espace physique
donné. Il a développé le concept d’« effet de “présence
réelle” » (Asselin, 2013-2014 : s. p.) pour mieux comprendre
la manière dont fonctionnent des dispositifs comme les scé-
nographies des musées de cire 14. L’« effet de “présence
réelle” » est un procédé qui donne à voir un spectacle en
trois dimensions aux visiteurs alors même que ces derniers
savent pertinemment qu’il s’agit d’une représentation, voire
d’un leurre, et non de la réalité. Si l’immersion physique du
spectateur est limitée dans le cas d’œuvres qui placent le
spectateur non pas « dans », mais « devant » la scène, diffé-
rentes stratégies permettent de faciliter une immersion ima-
ginaire, tout aussi puissante qu’une immersion réelle. L’une
de ces stratégies, « trop souvent négligée dans les études de
l’immersion », précise Asselin, invite le spectateur à se rap-
procher de l’image, ce qui a pour conséquence de « donner
moins de place à l’espace réel et plus de place à l’espace
virtuel et [de] permettre au spectateur de s’imaginer un
moment au centre du monde représenté » (ibid.). Zumbo
s’est appliqué à travailler et multiplier les détails minuscules
de ses mises en scène. Chaque teatrino en est saturé. Outre
les animaux et les représentations anatomiques précises, de
nombreux objets – casque, livre, amphore – sont éparpillés
aux différents recoins des scènes, sollicitant et encoura-
geant encore plus le spectateur à prendre le temps de
regarder l’œuvre dans toute sa complexité. Par ailleurs, l’ar-
rière-plan peint (et non modelé dans la cire) recèle d’autres
détails, qui contextualisent la scène représentée et invite
l’œil du spectateur à entrer dans la profondeur du champ et
ne pas rester en surface. Pour revenir à l’exemple du teatri-
no La Peste, la ville est plongée dans le noir, un homme
brûlant un tas d’effets contaminés, deux hommes portant
un cadavre, etc. Le spectateur doit s’approcher de la vitre
pour observer cette scène peinte, ce qui renforce son
impression d’entrer dans l’œuvre malgré la petite taille de
la représentation. Asselin décrit ce paradoxe du petit for-
mat, qui joue sur l’effet de proximité et redéfinit le rapport
14. Asselin a travaillé sur l’exemple du Musée historique canadien, aussi connu en
tant que musée de Cire de Montréal, créé en 1935.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 65


entre l’espace réel et l’espace de l’art ou de la fiction, sans
que le cadre ne se fasse toutefois oublier :
« Et c’est ainsi que la miniature, le paysage de petit format,
le kinétoscope et les autres dispositifs de proximité qui
supposent un visionnement individuel, ont pu, malgré leur
petit format, faciliter l’immersion imaginaire du spectateur
dans l’image. […] il s’agit, chaque fois, de rapprocher les
limites de l’image des limites du champ visuel, pour don-
ner moins de place à l’espace réel et plus de place à l’es-
pace virtuel et permettre au spectateur de s’imaginer un
moment au centre du monde représenté. Et il est particu-
lièrement révélateur que la plupart de ces dispositifs
immersifs, qu’ils soient monumentaux ou miniatures,
soient fondés sur des opérations de séparation et d’occul-
tation de l’espace réel occupé par le spectateur : l’image
est entourée d’un cadre, la visionneuse comporte des œil-
lères, la salle est jetée dans la pénombre, etc. Mais, quelles
que soient l’extension et la courbure de l’image, quelle
que soit sa distance, quel que soit son cadre, le spectateur
reste bien ancré dans son propre espace » (ibid.).

Ainsi – contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime


abord –, la forme même des teatrini est élaborée de telle
sorte que le spectateur est bien placé pour se projeter men-
talement et métaphysiquement dans les mises en scène et
peut laisser libre cours à son imagination. Après avoir tra-
vaillé sur le cadre et la taille des teatrini, qui articulent l’ap-
préhension des installations, je propose, pour finir, de dis-
cuter de la matérialité des mises en scène de Zumbo et du
traitement des scènes de dissolution, deux dimensions des
œuvres qui compliquent leur réception.

Réceptions instables

L’une des caractéristiques du diorama est de générer et dif-


fuser à la fois une connaissance et une conception spéci-
fique du monde (Étienne, 2017 : 58). Le dispositif tridimen-
sionnel conditionne une certaine atmosphère qui favorise
l’apprentissage et la participation dynamique du spectateur.
Les institutions muséales ou encore les artistes sont encou-
ragés à travailler en amont sur les usages et effets souhaités

66 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


de chaque installation (Étienne, 2018 : 222). Le contexte
d’expérience mais aussi le bagage culturel du spectateur
jouent de fait un rôle majeur dans l’interprétation de ces
œuvres et dans leur action sur le spectateur. Pour revenir
aux impressions des frères Goncourt, il est possible que
leur exposition aux figures de cire en France et la manière
dont celles-ci s’inscrivent dans une histoire différente des
figures de cire italienne aient influencé leur impression des
teatrini.
Au XXe siècle, en France, les figures de cire ont trouvé une
place toute particulière en tant qu’objets de divertissement,
ce qui peut expliquer que les frères Goncourt ne peuvent
considérer les teatrini comme des œuvres à part entière15 :
la poupée de cire est un jouet répandu ; le musée Grévin
illustre l’actualité et l’histoire de France à partir de scènes
reconstituées ; le cabinet de figures de cire de Curtius a
pour but de divertir le public en exposant répliques de cri-
minels ou membres de la famille royale. En outre, des
expositions itinérantes de figures de cire anatomiques gran-
deur nature font endosser un rôle hygiéniste et spectacu-
laire à ces représentations. Elles ont pour mission d’édu-
quer, mais aussi d’effrayer les visiteurs, en leur donnant à
voir les symptômes de différentes maladies vénériennes. En
Italie, le rapport aux figures de cire est autre, il est plus
généralement associé à une culture religieuse et votive, peu
au champ du divertissement. Puis, à partir de la fin du
XVII e  siècle et plus particulièrement aux XVIII e et
XIXe siècles, la cire devient un matériau privilégié pour
représenter et comprendre les secrets de l’anatomie
humaine, de la botanique et de la zoologie dans toute leur
complexité picturale16.
15. Mario Praz (1989), qui identifie les teatrini de Zumbo comme des œuvres d’art,
considère que l’exclusion des créations en cire de l’histoire des beaux-arts vient de
l’interprétation qu’en ont fait certains auteurs aux XVIIIe et XIXe siècles, rétrospec-
tivement. De nombreux écrivains et voyageurs ont construit une image biaisée des
figures de cire en décrivant leur réaction amusée ou horrifiée à la vue de certaines
figures, par exemple les mannequins grandeur nature de type Madame Tussauds.
Ces témoignages spontanés ont effacé la dimension artistique des figures de cire, les
reléguant toutes au rang des arts mineurs et des arts du spectacle.
16. « Matériau de toutes les ressemblances » (Didi-Huberman, 2013 : 216), la cire
s’inscrit dans différents champs parce qu’elle rend possible un très grand natura-
lisme.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 67


Les teatrini ont trouvé leur place dans différentes institu-
tions florentines car, s’ils appartiennent bien à leur époque,
ils n’appartiennent pas clairement à une tradition, se trou-
vant plutôt au croisement des arts, des traditions populaires
et savantes, spirituelles et artistiques, artisanales et scienti-
fiques. Ils relèvent des crèches dans leur forme et des
memento mori dans leur rapport au monde, ils invitent à
méditer la mort et la fragilité humaine à un niveau symbo-
lique autant que concret (Lightbown, 1964a ; Wolkenhauer,
2001). La théâtralisation du memento mori se construit
métaphoriquement à partir de références artistiques et litté-
raires17, d’une vision allégorique du monde18 et d’une ima-
gerie réaliste basée sur une observation anatomique19.
Du fait de cette pluridimensionnalité et de l’évolution de la
réception des créations en cire en général (et par consé-
quent d’un regard rétrospectif sur ces œuvres), l’institution-
nalisation des créations de Zumbo, et notamment des trois
teatrini, a posé problème. Leur taille le leur permettant, les
17. Les œuvres recèlent des références religieuses : ainsi, un verset des Révélations
est inscrit sur un livre dans un coin du teatrino Le Triomphe du temps, et les détails
macabres s’inspirent de L’Uomo al punto (1667), un texte du père jésuite Danielo
Bartoli, ou encore des sermons du père Segneri qui était très proche de Cosme III
(Lightbown, 1964a : 490). Les emprunts et références à l’art religieux sont également
nombreux, pour n’en citer que quelques-uns : La Peste d’Ashdov (1630-1631) de
Nicolas Poussin, Le Massacre des Innocents (1611) de Guido Reni, les œuvres de
Domenico Gargiulo (1609-1675), de Luca Giordano (1634-1705) et de Mattia Preti
(1613-1699), les stucs de Palerme réalisés par Giacomo Serpotta (1656-1732), et plus
littéralement, la sculpture de la Mélancolie ou de l’Art se lamentant sur le tombeau
de Michel-Ange à Santa Croce.
18. Plusieurs historiens d’art ont identifié les emprunts artistiques et siciliens de
Zumbo, référencés dans cet article, mais d’autres réfutent certaines des références
siciliennes mentionnées, argumentant que certaines d’entre elles relèvent de topoï
qui existent depuis l’Antiquité.
19. Les représentations sont naturalistes et scientifiques. Zumbo a réalisé une re-
présentation anatomique précise des corps, basée sur une observation directe de
cadavres. Valentina Conticelli a récemment établi un lien entre les figures de Zumbo
et les recherches du médecin Francesco Redi (1626-1697) qui travaille tout comme
le céroplasticien pour Cosme III et réalise différentes expériences au cours des-
quelles il observe la décomposition de la viande et le développement de vers et
de mouches (Conticelli, 2014 ; Puccetti, 1988 : 20, cité in Deckers, 2017 : 86). À
ces assemblages se superpose par ailleurs une approche stylisée de l’homme, par
la couleur. Le céroplasticien fait appel à une gamme chromatique riche pour repré-
senter la plus ou moins grande expression de la vie et du vivant dans les chairs.
Chiara Utro écrit d’ailleurs une thèse sur les différences et contrastes chromatiques
dans l’œuvre de Zumbo, intitulée Gaetano Giulio Zumbo (1656-1701) et l’art de la
cire colorée, sous la direction d’Alain Mérot (Centre André Chastel).

68 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


teatrini sont devenus mobiles et ont déménagé à de nom-
breuses reprises dans diverses institutions florentines20.
Objets de récupération patrimoniale, ils ont en fait été plu-
tôt rejetés que récupérés. Suivant la vague d’éveil scienti-
fique qui traverse l’Europe au XVIIIe siècle, Léopold II de
Toscane (1797-1870) revoit le rôle des institutions et décide
d’adopter la catégorisation proposée par Johann Joachim
Winckelmann (1717-1768), qui érige au rang des beaux-arts
des sujets et des matières nobles, comme la peinture et les
marbres, et rejette d’autres matériaux, dont la cire. Les tea-
trini quittent la Galerie des Offices pour le Musée impérial
et royal de physique et d’histoire naturelle, inauguré en
1775 (et rebaptisée la Specola cinq ans plus tard, suite à
l’installation d’un observatoire astronomique). À l’époque,
les teatrini sont installés dans une salle à part et présentés
en tant que naturalia, c’est-à-dire des « matériaux de la
nature » travaillés par la main de l’homme (aux côtés d’arte-
facts créés en corail, minéraux, etc.). Ainsi, ces créations ne
sont plus considérées comme des œuvres d’art, mais
comme des artefacts anthropologiques, mettant en avant la
tradition artisanale toscane et les possibilités de la cire en
tant que matériau organique plastique. Mais ne s’accordant
pas avec l’imposante collection de plus de 1 400 modèles
anatomiques en cire réalisés à Florence entre 1771 et 1893,
les teatrini sont déplacés au R. Museo nazionale (Museo
nazionale del Bargello), espace consacré à la sculpture et
aux arts décoratifs21. Cependant, en 1879, une demande est
faite pour que ceux-ci, plutôt interprétés en tant qu’objets
de curiosité qu’en tant qu’œuvres d’art, déménagent dans la
galerie d’anatomie (« Processo verbale di consegna di grup-
pi in cera di Gaetano Zumbo », 1879)22. À la création de l’Is-
20. Cf. l’article d’Anja Wolkenhauer, « “Grausenhaft wahr ist diese wächserne
Geschichte.” Die Wachsfiguren von Don Gaetano Zumbo zwischen Kunst und me-
dizinischer Anatomie » (2001), qui a retracé en détail les relocalisations successives
des œuvres de Zumbo et les nouvelles interprétations et lectures inhérentes à de
nombreux déménagements.
21. Où est aujourd’hui exposé l’écorché en cire de Cigoli.
22. Je tiens à remercier : les commissaires d’exposition de la Specola, Claudia Corti,
du Museo Galileo, Giorgio Strano, et du Museo Bargello, Ilaria Ciseri, pour leurs
réponses à mes questions ; les archivistes de la Galerie des Offices pour leur aide ;
Saulo Bambi et l’Université de Florence pour l’autorisation à prendre des photos de
la collection et les publier dans le présent article.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 69


tituto di Storia della scienza, en 1930 (aujourd’hui le Museo
Galileo), institution qui a pour mission de préserver et de
mettre en avant certaines des collections scientifiques de la
famille Médicis et des grands-ducs de Lorraine, les œuvres
de Zumbo sont exposées à côté des cires obstétriques com-
missionnées par le chirurgien Giuseppe Galletti. Suite aux
inondations de Florence en 1966, les teatrini, très endom-
magés, sont restaurés par Guglielmo Galli et réintègrent
finalement la Specola (figure 5)23.

Figure 5. Les œuvres de Gaetano Giulio Zumbo exposées


parmi la collection de modèles anatomiques, Musée d’histoire
naturelle de l’Université de Florence, section zoologie, la
Specola. Photo de l’auteure, 2018.

Le philosophe et historien de l’art Georges Didi-Huberman


a questionné la « mise en quarantaine » des créations de
Zumbo à la Specola, alors que les œuvres anatomiques de
Leonard de Vinci sont exposées à la Galerie des Offices
(Didi-Huberman, 2013 : 220). Tandis que les œuvres de
Vinci sont reconnues par les spécialistes et les touristes

23. Le choix d’exposer les œuvres de Zumbo au Musée d’histoire naturelle et de


zoologie a orienté leur récente interprétation, les agençant dans une histoire de la
céroplastie anatomique, tout en reconnaissant leurs dimensions religieuses et artis-
tiques. Voir, par exemple, la sous-partie « Zumbo’s art: The anatomy of corruption »
dans Marino, 2016.

70 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


comme des chefs-d’œuvre artistiques, celles de Zumbo,
assignées à un musée d’histoire naturelle, ne le sont pas
nécessairement. Selon Didi-Huberman, la plasticité du
matériau et sa capacité à bouleverser les frontières établies
entre les disciplines compromettent la place des œuvres
réalisées en cire en histoire de l’art. À un autre niveau, la
« multiplicité déconcertante de [ses] propriétés physiques »
(ibid.  : 217) peut confondre le spectateur sur la nature
même de la représentation qu’il a devant ses yeux et l’invi-
ter à réfléchir, concrètement et symboliquement, à sa condi-
tion humaine24. Mais de quel ordre serait cette réflexion ?
L’historien d’art Joris van Gastel propose de voir les teatrini
comme des dispositifs de déstabilisation des certitudes de
l’homme, notamment quant à sa finitude. En se fondant sur
les recherches de Hans Belting, qui lient pouvoir des
images et appréhension de la mort, et celles d’Ernest
Becker, van Gastel rappelle que l’homme redouble d’efforts
quotidiens pour occulter la pensée de sa propre fin (van
Gastel, 2014 : 236). D’un point de vue métaphysique, cela
lui permet de se construire une identité propre et d’affirmer
son individualité, de se distinguer dès lors des autres. En
admettant sa condition de mortel, il accepterait ce caractère
commun qu’il cherche tant à occulter. En présentant des
scènes spectaculaires d’hécatombe lors d’une épidémie de
peste, un charnier, un sépulcre, des scènes aux corps mou-
rants et pourrissants multiples, les teatrini de Zumbo
mettent à mal l’intégrité du corps humain. Van Gastel fait
remarquer que pour illustrer l’impuissance humaine et la
finitude de l’homme, les mises en scène ne représentent
pas des corps, mais des cadavres (figure 6).
Les cadavres représentent son rejet de la mort et sa dimen-
sion abjecte25, qu’il tend à oublier. Établissant un lien entre
les figurations de cadavres et le matériau utilisé pour les
représenter, la cire, van Gastel montre que les teatrini de
Zumbo font perdre aux spectateurs l’« illusion de contrôle »
24. Didi-Huberman remarque que « la cire en ferait toujours trop : la ressemblance
produite serait si radicale, si peu médiatisée, que le “réel” de l’image y viendrait tout
offusquer, et repousser le “symbole” (la valeur de signification, la teneur iconolo-
gique) à l’arrière-plan » (Didi-Huberman, 2013 : 220).
25. Voir Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur. Essais sur l’abjection, 1980.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 71


Figure 6. Gaetano Giulio Zumbo, Détail du Sépulcre (bois,
verre, cire colorée et peinture), Musée d’histoire naturelle de
l’Université de Florence, section zoologie, la Specola. Photo de
l’auteure, 2018.

qu’ils ont mise au point pour ne pas se confronter avec leur


propre mort et leur corps vieillissant (ibid.). Matériau
inquiétant, matériau qui atteint un naturalisme tel qu’il
accentue le processus de dégradation des corps, la cire
rend la mort plus tangible pour le spectateur. Le traitement
précis du corps humain participe d’une expérience visuelle
marquante et réaliste de la mort. D’ailleurs, Zumbo choisit
ce matériau non pour immortaliser un corps ou lui donner
une impression de vie éternelle qui défierait la condition
humaine (comme peut le faire la statuaire, voire l’offrande
votive26), mais pour accentuer la mortalité des hommes. Les
figures de Zumbo déstabilisent ainsi les convictions et
leurres sur la nature humaine du spectateur, dans la tradi-
tion des memento mori27. Ce dernier, déstabilisé à la fois

26. Van Gastel propose de comparer les charniers des mises en scène de Zumbo
avec un lieu saint important à Florence, la Santissima Annunziata, où étaient dépo-
sées des offrandes votives en cire de toutes tailles. Dans le premier cas, la cire est
surtout utilisée dans sa dimension naturaliste, pour confronter l’homme à la peur
de sa propre existence et de sa mortalité, alors que dans le second cas, elle est vue
comme magique, les offrandes permettant aux croyants de se rapprocher de Dieu,
portant en elles les prières des fidèles et jouant ainsi un rôle de transmission vers le
divin (Aby Warburg, 1902, cité in van Gastel, 2014 : 243).
27. Si les teatrini s’inscrivent dans la tradition du memento mori, leurs effets ne s’y

72 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


par le sujet et par le matériau, est dès lors forcé de recon-
naître sa finitude et de confronter sa foi à de tels spectacles.

Conclusion

Catherine Grall et Marielle Macé observent, à propos des


œuvres de fiction :
« Les romans, les films et plus généralement les œuvres
d’imagination ne se contentent pas de réfléchir notre
monde, ils y entrent avec force, et nous proposent de le
comprendre et de le sentir autrement. Ce que la fiction
mime, rejoue ou met en scène, ce qu’elle transforme en
l’enrichissant, c’est en effet notre rapport au monde, dans
la variété des visages que ce rapport peut présenter :
cognitifs, existentiels, politiques, affectifs ou encore
moraux… Comment voyons-nous le monde à travers les
fictions, comment le redécouvrons-nous avec elles ou
après elles ?
Pour répondre à ces interrogations, il faut tourner le
regard vers la question de l’effectivité de la fiction, c’est-à-
dire vers la façon dont les œuvres se réinscrivent dans un
monde dont elles se sont, en s’instituant, à la fois inspirées
et émancipées » (Macé & Grall, 2010 : 7).

« L’effectivité de la fiction » générée par les teatrini bénéfi-


cie structurellement d’un double ancrage : dans un premier
temps, l’encadrement des scènes par un cabinet adapté et
le choix de la taille réduite s’assemblent pour encadrer l’ex-
périence du visiteur, le plaçant à la fois dans le monde et
dans l’espace de l’œuvre. Dans un deuxième temps, les
effets des scènes macabres en cire invitent le spectateur à
redéfinir son rapport au monde. Attentif, le spectateur est
invité à prendre place dans l’espace de la mise en scène
imaginée par Zumbo, et à en faire l’expérience.
Il ne s’agit ainsi plus seulement de créer des liens iconogra-
phiques formels, faire abstraction de la matérialité d’une

limitent pas. Regina Deckers observe que ce type de petites installations, de plus en
plus présentes dans les collections privées, « peut incarner le symptôme d’un intérêt
artistique et scientifique grandissant pour le sujet, au-delà des effets cathartiques du
memento mori » (Deckers, 2017 : 91). Il est également possible d’associer les cinq
œuvres de Zumbo exposées à la Specola et d’y voir des variations d’un dispositif
invitant à réfléchir la mort (Wolkenhauer, 2001 ; Deckers, 2017 : 87).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 73


œuvre pour comprendre comment celle-ci devient image,
ou encore chercher l’expérience première de l’œuvre, mais
d’approcher ces œuvres créatives à partir de leurs ancrages
multiples et des complexités matérielles et théoriques
qu’elles comportent.

Manuscrit reçu le 2 février 2018


Version révisée reçue le 13 août 2018
Article accepté pour publication le 5 septembre 2018

Bibliographie
Asselin (Olivier). 2013-2014. « Au-delà de l’immersion, la présence réelle. Le
musée de cire à l’ère du cinéma ». Nouvelles vues, revue sur les pratiques
et les théories du cinéma au Québec, 15, hiver, en ligne : http://www.nou-
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76 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Auteure

Liliane Ehrhart, Université de Princeton


Liliane Ehrhart est doctorante au Département de français et d’italien de
l’Université de Princeton. Elle travaille sur les représentations de l’humain
en cire et leur médialité. Dans le cadre de sa thèse, elle s’intéresse plus
spécifiquement aux réinterprétations des figures de cire, de la fin du
XIX e siècle à nos jours, dans les œuvres d’Edgar Degas, Nathalie
Sarraute, Hervé Guibert et Marc Quinn. Elle a récemment écrit « Nocturne
au musée Grévin : réinventer la visite du musée de cire. “L’enlèvement
de Louis XVII au musée Grévin” d’Hervé Guibert », publié dans la revue
Sociétés & Représentations.
Courriel : ehrhart@princeton.edu

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 77


Résumés

Microcosme et immersion : Les teatrini de Gaetano Giulio


Zumbo
Les impressions des visiteurs devant trois mises en scène baroques de
Gaetano Giulio Zumbo, La Peste, Le Triomphe du temps et Le Sépulcre,
aujourd’hui exposées à la Specola, sont généralement prêtées à leur sujet
– des scènes de dissolution – ou au matériau utilisé pour les réaliser – la
cire, une matière souvent décrite comme inquiétante. Si ces deux élé-
ments jouent effectivement un rôle majeur dans la réception de l’œuvre,
d’autres agents qui constituent les œuvres, à savoir les cabinets qui pré-
sentent chaque scène et la taille réduite des représentations, participent
tout autant aux effets générés. Or, ceux-ci sont souvent négligés par les
études de ces œuvres singulières. Prenant pour prémisses le fait que les
dispositifs baroques tiennent du diorama, cet article étudie leurs straté-
gies d’immersion en se focalisant sur les cabinets et la taille réduite, deux
phénomènes de frontière importants puisqu’ils conditionnent la manière
dont le spectateur va appréhender ces œuvres.
Mots-clés
Cire, Gaetano Giulio Zumbo, peste, Florence, la Specola

Microcosm and immersion: Gaetano Giulio Zumbo’s Teatrini


The disconcerted reactions of the visitors before three baroque works by
Gaetano Giulio Zumbo, The Plague, The Triumph of Time, and The
Sepulcher, today exhibited at La Specola, are generally ascribed to their
topic – scenes of dissolution – or to the material used in their creation
– that is to say wax, often described as a disquieting material. While
these two elements indeed play a major role in the reception of these
Florentine creations, other agents constitutive of the work, namely the
cases in which each scene is displayed and the reduced size of the com-
positions, participate just as much in the expected effect. Yet, these
aspects of the work are often absent from the studies of these singular
pieces. Basing my study on the postulate that these baroque devices
relate to the diorama given their structure and their effect, this article stu-
dies the immersive strategies of these pieces, and proposes to focus on
both the cases and the reduced size, two phenomena of border, which
appear to greatly affect the way the spectator views these works.
Keywords
Wax, Gaetano Giulio Zumbo, plague, Florence, La Specola

78 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Microcosmos e inmersión: Los teatrini de Gaetano Giulio
Zumbo
Las impresiones desconcertantes de los visitantes ante tres obras barrocas
de Gaetano Giulio Zumbo, La Peste, El Triunfo de los Tiempos y El
Sepulcro, actualmente expuestas en La Specola, son generalmente asi-
gnadas al sujeto – escenas de desolación – o al material utilizado para
realizarlas – la cera, un material frecuentemente descrito como inquie-
tante. Mientras que estos dos elementos desempeñan una función signifi-
cativa en la comprensión de estas obras florentinas, otros agentes que
constituyen parte de las obras, es decir, los gabinetes, los cuales presen-
tan cada una de las escenas y el tamaño reducido de las obras, contri-
buyen al efecto creado por la obra. Estos, por el momento, se alejan del
objeto de estudio. Tomando como premisa el hecho de que estos apara-
tos barrocos sostienen el diorama por su estructura y sus efectos, este
artículo estudia sus estrategias de inmersión centrándose en los gabinetes
y de su tamaño reducido, dos fenómenos fronterizos importantes, ya que
condicionan la forma en que el espectador percibe estos trabajos.
Patabras clave
Cera, Gaetano Giulio Zumbo, plaga, Florencia, La Specola

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 79


Dioramas aquatiques : Théophile
Gautier visite l’aquarium
du Jardin d’acclimatation
Guillaume Le Gall
Sorbonne Université, Centre André Chastel

L’aquarium est à son origine, autour des années 1840, un


objet de science qui permet l’observation des animaux et
des plantes aquatiques. C’est à ce titre un dispositif expéri-
mental d’exposition. Mais c’est aussi sous sa forme
publique, notamment lors des expositions universelles, un
spectacle qui doit redoubler d’ingéniosité pour satisfaire le
regard des spectateurs, déjà sollicité et excité par une multi-
tude d’attractions visuelles, tout autant que pour lui offrir
un moment de contemplation. Quand en 1861 le premier
grand aquarium public est inauguré en France au Jardin
d’acclimatation, un parallèle saute aux yeux de Théophile
Gautier (1811-1872), qui retrouve à l’aquarium des sensa-
tions éprouvées devant les dioramas daguerriens. Le
modèle du diorama semble s’imposer au critique, probable-
ment démuni face à l’absence de discours établis sur le
récent dispositif. Cependant, au-delà du vide théorique
concernant ce nouveau spectacle, de grandes similitudes
existent entre les deux techniques. Le dispositif architectural
et lumineux de l’aquarium repose sur un principe d’organi-
sation du bâti et de l’espace identique au premier spectacle

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 81


dioramique parisien. La transparence de l’eau et du verre
ainsi que la diaphanéité de l’écran qui produit une
« lumière liquide » (Verne, 2015 : 164) rappellent indéniable-
ment le dispositif daguerrien. Enfin, la perception du spec-
tateur permet de souligner à quel point, à l’aquarium, la
mise en scène de l’espace d’exposition est redevable au
diorama : plongé dans l’obscurité, saisi par le contraste
lumineux du dispositif, captivé par des « couleurs mys-
tiques, inexplicables » (Bredekamp, 2008 : 111), le visiteur
vit une expérience similaire à celle du diorama de
Daguerre.
Comme au diorama, l’image luminescente de l’aquarium est
une image-piège qui le transporte vers un ailleurs. Au
terme de cette comparaison, le modèle du diorama daguer-
rien peut aussi s’étendre à toutes les autres formes de dio-
rama puisque, comme le rappelle Bernard Schiele :
« [C]hacune de ces reconstitutions, qui vont de la représen-
tation de la bataille aux espaces d’un musée de plein air,
ont en commun, à des degrés divers, de chercher à brouil-
ler les repères perceptifs du visiteur de manière à ce que
celui-ci éprouve, ne serait-ce qu’un instant, l’impression
d’un temps ou d’un ailleurs autre qui l’arrache à son envi-
ronnement spatio-temporel immédiat » (Schiele, 1996 : 10).

Partant de là, au même titre que le diorama est une recons-


titution, l’aquarium est une recréation de la nature aqua-
tique et constitue un artefact qui, pour reprendre les
réflexions de Siegfried Zielinski, médiatise notre capacité à
voir (Zielinski, 2006). Ainsi, considérons l’aquarium comme
un média dont il s’agit de faire l’archéologie1. S’engager
dans cette perspective permet de découvrir non seulement
un dispositif symptomatique des fantasmes de la seconde
moitié du XIXe siècle, mais aussi un lieu de production
d’images dues à un dispositif dont la réception et la com-
préhension se sont pour un temps établies à travers le
prisme théorique et technique du diorama daguerrien.
L’élaboration de cette archéologie a pour finalité de faire de
1. Dans un article publié en 1992, Jean Davallon posait la question : « Le musée est-il
vraiment un média ? » L’article ouvrait des perspectives originales sur l’approche de
l’institution patrimoniale. De notre côté, l’aquarium n’étant pas un musée à propre-
ment parler, nous évoquons l’idée de l’aquarium comme objet technique et comme
dispositif à partir de la discipline de l’archéologie des médias.

82 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


l’aquarium un objet qui ouvre de nouvelles perspectives à
la fois dans le champ dynamique des études sur le diorama
comme forme ouverte, et sur les modes artistiques d’ex-
pression et d’exposition d’aujourd’hui.

L’aquarium, objet technique et média

Dans Expositions. Littérature et architecture au XIXe siècle


(1989), Philippe Hamon présente l’aquarium comme un
objet incontournable de la culture visuelle du XIXe siècle.
L’aquarium y est identifié au détour d’une réflexion sur le
modèle initié par le Crystal Palace et les « bâtiments les plus
fréquemment mis en scène : serres, prismes, panoptiques,
vitrines, passages, marquises et verrières diverses » (Hamon,
1989 : 72). Revenant sur l’épisode de la vision sous-marine
depuis le Nautilus du capitaine Nemo, Hamon note que « le
texte de Verne anticipe […] sur les aquariums, maréoramas
et dioramas de l’Exposition universelle de 1900 à Paris »
(ibid. : 75). L’auteur de Vingt mille lieues sous les mers fait
en effet du Nautilus un poste d’observation qui émerveille
les trois prisonniers, « comme si ce pur cristal eût été la
vitre d’un aquarium » (Verne, 1990 : 164). Mais, en réalité,
comme l’exposition du musée de la Marine à Paris en 2005
l’a bien montré, le texte de Verne n’anticipe pas tant l’aqua-
rium de 1900 qu’il ne s’inspire de celui de 1867 (Demarcq
et al., 2005). Ainsi, l’aquarium, consigné par Hamon dans la
longue liste des machines emblématiques du siècle, consti-
tue un objet d’étude qu’il est nécessaire de déplacer dans le
champ de l’histoire de l’art afin de mettre au jour ses com-
posantes matérielles et de comprendre quel rôle il a pu
jouer dans la formation d’un regard et d’une culture visuelle
au XIXe siècle.
Dans son texte « Se voir face à face, clairement, à travers un
verre », le scientifique et historien Stephen Jay Gould s’est à
son tour emparé de l’aquarium comme objet historique
ayant modifié la représentation des organismes marins
(Gould, 2001). Il s’appuie pour cela sur les deux essais qui
ont initié l’élaboration d’une histoire de cette invention :
l’article « The Victorian aquarium in ecological and social

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 83


perspective » de Philip Rehbock publié en 1980, et l’ou-
vrage The Heyday of Natural History: 1820-1870 de Lynn
Barber publié en 1989. Ces deux essais marquent une pre-
mière étape dans la constitution d’un savoir historique.
Gould postule que l’aquarium marque une rupture épisté-
mologique dans l’histoire de la représentation du monde
marin.
Une première approche des spécificités techniques des
aquariums a été développée par Emmanuel Chemineau
dans une thèse en 2005. Publiée sous la forme d’un essai
intitulé Fortunes de « La Nature », 1873-1914, la thèse
aborde les aquariums parmi les manifestations scientifiques
que le journal La Nature s’approprie selon les modalités de
la vulgarisation. Si Chemineau revient sur l’invention en
tant que telle, en s’appuyant essentiellement sur l’article de
Gould, il aborde l’aquarium à travers le traitement qu’en fait
le journal La Nature, c’est-à-dire comme objet à la fois
populaire et divertissant. Chemineau soulève en outre une
question essentielle à travers la formulation du « concept
d’aquarium » comme « machine de vision » (Chemineau,
2012 : 142). Dans la même veine, suivant à son tour l’article
principiel de Gould, Camille Lorenzi a mené un travail de
recherche en histoire culturelle publié en 2009 sous la
forme d’un article intitulé « L’engouement de l’aquarium en
France (1855-1870) ». Cette recherche se concentre encore
une fois sur les aquariums domestiques et le phénomène
de l’« aquarium mania » qui a touché la société anglaise puis
française à partir des années 1840 (Lorenzi, 2009).
Il faut attendre le travail de deux chercheuses outre-Rhin,
qui s’inscrivent dans la perspective des rapports entre l’art
et la science, pour que l’aquarium fasse l’objet d’une étude
plus approfondie. Citée par Horst Bredekemp dans son
ouvrage Les Coraux de Darwin, l’étude d’Ursula Harter,
Aquaria in Kunst, Literatur & Wissenschaft, envisage l’aqua-
rium comme modèle artistique, et littéraire, et scientifique.
L’ensemble de la recherche dessine les liens entre l’« esthé-
tique narcissique » (Harter, 2014 : 111) de l’aquarium et l’art
de la fin du siècle jusqu’aux avant-gardes, d’Arnold Böcklin
à Paul Klee, pour ne citer que ces deux noms. L’année sui-
vante, Natascha Adamowsky publie The Mysterious Science

84 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


of the Sea (1775-1943). L’ouvrage ne prend pas l’aquarium
comme objet central puisque l’enjeu de l’étude est la ques-
tion du merveilleux généré par le rapport de l’homme à
l’océan, aux récits qui s’y rapportent et à ses représenta-
tions. Néanmoins, le dispositif qui nous intéresse fait l’objet
d’une attention particulière en ce sens qu’Adamowsky le
considère comme une des manifestations scientifiques qui
relèvent « des processus de médiatisation, c’est-à-dire de
diverses transformations qui se produisent par des moyens
artificiels » (Adamowsky, 2015 : 2). L’approche ici pose défi-
nitivement l’aquarium comme un « média ». C’est, selon
nous, une entrée nécessaire pour construire un discours sur
les images générées par ce dispositif. Mais c’est en prêtant
une attention particulière à la matérialité de l’aquarium2, à
sa réception par la critique et à sa généalogie dans la
sphère des dispositifs spectaculaires du XIXe siècle que cet
objet peut trouver toute sa place dans une étude qui croise
l’histoire de l’art et l’archéologie des média. En ce sens,
notre étude de l’aquarium comme dispositif spécifique
s’inscrit résolument dans la continuité des recherches
autour de la théorie des médias et du nouveau matérialisme
(Parikka, 2017 : 130-167).

Un nouveau dispositif au Jardin d’acclimatation

Le premier aquarium public apparaît en Angleterre, dans le


jardin zoologique du Regent’s Park, à Londres. Il fut inau-
guré le 21 mai 1853 par David W. Mitchell, secrétaire de la
Société zoologique 3 . Sa conception est due à Philip
H. Gosse qui non seulement imagina son principe général
et sa disposition, mais le peupla de sa collection d’orga-
nismes marins. On n’attribua pas à cette nouvelle attraction
le terme d’« aquarium », mais celui de « Fish House », son
nom officiel, de « vivarium », ou d’« aquavivarium », ou
encore de « petit musée marin » (Harter, 2014 : 18). Lieu ori-

2. Une première pierre a été posée par Pietro Redondi dans l’ouvrage Les Exposi-
tions universelles en France. Techniques. Publics. Patrimoines (Carré et al., 2013).
3. Pour les détails de l’aquarium de Londres, voir Ursula Harter, Aquaria in Kunst,
Literatur & Wissenschaft (2014), notamment p. 16-33.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 85


ginel de tous les aquariums qui se développeront à sa suite,
en Europe et aux États-Unis – la même année, un aquarium
public est construit dans le jardin zoologique de Dublin,
puis dès 1856 à New York –, le Fish House connaît un suc-
cès immédiat et conséquent au point que, comme l’a
découvert Ursula Harter, il figure sur le dessin de George
Cruikshank (1792-1878), Passing Events; or The Tail of the
Comet of 1853, qui regroupe les événements marquants en
Angleterre lors du passage de la comète Kinkerfues.
Moins de dix ans après le Fish House, la Société du Jardin
d’acclimatation du bois de Boulogne, à Paris, fait appel à
Alford Llyod, un entrepreneur anglais qui avait déjà
construit en 1855 un « Aquarium Warehouse » situé à
Portland Road, pour imaginer le plus grand aquarium
jamais édifié4. Ami et proche collaborateur de Gosse, Llyod
a largement contribué à diffuser l’aquarium. Au Jardin d’ac-
climatation, il va imaginer un dispositif beaucoup plus
grand que ce qui avait existé en Angleterre (figures 1 et 2).
Le projet prend forme rapidement, et le bâtiment est inau-
guré le 3 octobre 1861. Le bâtiment dessiné par l’architecte
Davioud est construit en briques ; il s’étend sur 40 mètres
de long environ, dix de large, et est pourvu de quatorze
bacs « avec devant de fortes glaces qui permettent d’exami-
ner l’intérieur » (Llyod, 1862 : 108). D’emblée, l’ambition est
de proposer un spectacle qui puisse « satisfaire les regards
des spectateurs » (ibid. : 112). Les bacs ne seront plus dis-
posés sur des tables, comme au Fish House ou à l’Aqua-
rium Warehouse, mais alignés comme les tableaux d’une
galerie de peinture.
Au contraire de sa version originelle, l’aquarium public et
spectaculaire nécessite une architecture spécifique destinée
à contenir un monde étranger, le monde sous-marin. Cette
architecture est toujours accompagnée d’une mise en scène,
tant à l’intérieur de l’aquarium que dans l’espace dévolu au

4. Llyod lui-même est fier d’annoncer : « L’aquarium du bois de Boulogne est le


plus grand, le plus beau et le plus complet de tous ceux qui jusqu’à présent ont été
construits en aucun endroit, et un examen attentif de ses habitants fournira en un
jour une plus grande somme de connaissances en histoire naturelle (c’est-à-dire de
celles de ses branches qu’on peut étudier dans un aquarium) que l’on n’en pourrait
acquérir dans le même laps de temps par aucune étude » (Llyod, 1862 : 107).

86 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Figure 1. Prévost, Sans titre [extérieur de l’aquarium, Jardin
d’acclimatation, bois de Boulogne], vers 1861. Pastel rehaussé
de gouache, musée Carnavalet. © musée Carnavalet.

Figure 2. Prévost, Sans titre [intérieur de l’aquarium, Jardin


d’acclimatation, bois de Boulogne], vers 1861. Pastel rehaussé
de gouache, musée Carnavalet. © musée Carnavalet.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 87


spectateur qui est projeté dans un univers fantasmatique
propre à l’évocation d’un lieu échappant habituellement au
regard de l’homme. À ce titre, on peut considérer l’aqua-
rium comme une machine optique, parfois complexe, qui
permet au regard de traverser l’élément liquide, lui-même
traversé par une lumière. Enfin, le spectateur voit se former
des images singulières, que des poètes comme Rodenbach
utiliseront, à la fin du XIXe siècle, comme des métaphores
de la pensée.

Voir les profondeurs sous-marines

Le 9 décembre 1861, Théophile Gautier publie dans Le


Moniteur universel un compte rendu de sa visite à l’aqua-
rium du Jardin zoologique d’acclimatation. L’article est l’oc-
casion pour lui de porter une réflexion sur la création à
Paris du premier grand aquarium public, et plus particuliè-
rement sur les éléments constitutifs de son dispositif ainsi
que sur la nature spécifique de l’image qui en résulte.
Théophile Gautier saisit d’emblée tous les enjeux théo-
riques et pratiques que pose ce dispositif. Au préalable, et à
la suite du livre La Mer que Michelet avait publié en 1861, il
s’interroge sur le nouveau rapport que l’homme entretient
avec l’océan, avec « la vie mystérieuse qui fourmille sous
les eaux » et qui semble « devoir rester impénétrable pour
l’homme » (Gautier, 1996 : 295). Reprenant le postulat d’une
« barrière fatale » (Michelet, 1983 : 43) entre le monde ter-
restre et le monde aquatique, il insiste sur l’angoisse de suf-
focation que l’idée des profondeurs rappelle immanquable-
ment. Il désigne ainsi « ce monde profond dont l’atmos-
phère est un liquide d’une âcre amertume » que « nos pou-
mons ne sauraient respirer » et qui est « à tout jamais fermé
à l’homme » (Gautier, 1996 : 295).
Le ressort narratif du texte va s’appuyer sur la frustration
d’une pulsion scopique face à l’océan, qui ne sera satisfaite
que par les vitres de l’aquarium. Après avoir rappelé l’im-
possibilité d’accéder aux mystères des grands fonds
sous-marins, Théophile Gautier promène son lecteur au
bord des fleuves et de la mer, l’invitant à épier « à travers la

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transparence imparfaite des ondes le passage des hôtes
fugitifs qui les peuplent » (ibid.). Mais là encore, la vie de
ces fonds n’est vue « que sous une masse de liquide inter-
posé plus ou moins grande, sans qu’il soit loisible d’appré-
cier exactement leur forme et surtout leur couleur » (ibid.).
Finalement, qu’il s’agisse du rivage ou qu’il s’agisse du
cœur de l’océan, les animaux marins « apparaissent et dis-
paraissent comme des ombres, se replongeant au moindre
bruit, à la moindre inquiétude, dans les profondeurs du
gouffre » (ibid.). La jouissance de ce monde habituellement
soustrait au regard sera donc apportée par l’aquarium qui
en « trahit les mystères ; grâce à lui, on pourra étudier la vie
intime de ces peuples humides ; on connaîtra les mœurs,
leurs habitudes, leurs sympathies et leurs antipa-
thies » (ibid.). En cela, l’aquarium est une révolution dans
l’histoire du regard. Non seulement il permet à l’œil de voir
une partie de la nature qui lui était inaccessible autrement,
mais il permet de vivre une expérience de médiation iné-
dite : voir le « monde tel que le voient les néréides, les
sirènes, les ondines, les nixes et les poissons » (ibid.). Voir
par transparence sera le gage de la visibilité d’un milieu
recréé dans une architecture « aux murailles de verre inca-
pables de garder un secret » (ibid.).

Transparences

L’aquarium est une machine optique au fort pouvoir de


révélation dont le principe repose sur la transparence :
« [Celle du] cristal des eaux et des parois transparentes [où
l’] on voit s’ébattre, nager avec grâce, s’élever et redes-
cendre à travers le milieu du liquide, des animaux marins
que bien peu de personnes avaient observés vivants ;
[…] c’est ainsi que l’on découvre des formes et des aspects
que l’imagination aurait été impuissante à concevoir »
(Figuier, 1864 : 288-289).

Ces tableaux de la nature sont intrinsèquement liés au prin-


cipe de la transparence, puisqu’ils sont vus « à travers des
murs de cristal » (Mangin, 1864 : 191). L’aquarium, dira
Charles-Auguste Millet, est alors une « maison de verre qui

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 89


dévoile dans tous ses secrets, la vie de ses habitants, et qui
permet à l’observateur de voir, à toute heure du jour et de
la nuit, ces êtres de forme, de couleur et d’habitudes si
diverses accomplir sous ses yeux tous les actes de leur exis-
tence » (Millet, 1865 : 4).
Les métaphores qui désignent l’habitacle de l’aquarium
– « murailles de verre » (Gautier, 1996 : 296), « prisons trans-
parentes » (Mangin, 1864 : 191), « maison de verre » (Millet,
1865 : 4) – disent la construction de l’imaginaire de la
vision générée par la transparence. L’idée même de trans-
parence renvoie à la modernité, d’abord industrielle, avant
d’être artistique. Les expositions universelles, qui ont célé-
bré la transparence architecturale servant la monstration
claire et lumineuse des objets manufacturés, mais aussi des
choses de la nature, ont vu ces « petits océans en minia-
ture » (Mangin, 1864 : 191) tenir une place non négligeable
parmi les inventions emblématiques du temps. Dans ses
recensions annuelles de vulgarisation scientifique, Louis
Figuier désignait à ce titre l’aquarium comme « une création
de notre siècle, un produit de la science contemporaine »
(Figuier, 1864 : 280). Mais la transparence désigne aussi le
fantasme d’assister à une image directe, sans filtre, de la
nature.
Voir par transparence et « satisfaire les regards des specta-
teurs » (Llyod, 1862 : 112) sont les deux principes qui
dictent le projet d’Alford Llyod, concepteur de l’aquarium
du Jardin d’acclimatation. Pour cela, l’aquarium doit d’un
côté recréer l’équilibre du milieu aquatique, de l’autre,
exposer une image de la nature devant les yeux des specta-
teurs. Tout est conçu pour que les animaux soient « placés
dans des conditions qui leur permettent d’y vivre dans un
milieu salubre, et de montrer au spectateur leurs formes,
leurs couleurs et leurs habitudes » (ibid. : 107). Les grandes
glaces laissent apparaître de « nouveaux traits caractéris-
tiques pour les couleurs et pour les formes, quand on les
voit latéralement, ce qui est impossible dans la nature, où
bien des choses, par conséquent, échappent au spectateur »
(ibid.  : 111). Contrairement à la vue depuis une embarca-
tion ou depuis le rivage, la vue frontale permet de décou-
vrir des configurations originales sur les habitants des fonds

90 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


sous-marins. Pour Louis Figuier, l’aquarium les fait « poser
devant nous » (Figuier, 1864 : 288). Cette configuration
optique non seulement constitue un révélateur, mais délivre
une « puissante synthèse des métamorphoses » des formes
vues à travers les vitres de l’aquarium (Lavison, 1863 : 15).
L’aquarium ouvre de nouveaux espaces de représentation
et participe au nouvel ordre de visibilité qui s’installe au
XIXe siècle (Adamowsky, 2015 : 8). De plus, l’opposition
entre nature animée et nature inerte va contribuer à la for-
mation du concept de musée vivant associé à l’aquarium5.
L’aquarium est bien un musée au sens où c’est un lieu de
conservation des espèces organisées selon le classement
des sciences naturelles ; il peut aussi, par certains aspects,
renvoyer au musée de peinture. Le dispositif des bacs suc-
cessifs renvoie en effet à l’alignement des tableaux accro-
chés dans les musées. Mais le rapprochement avec les
beaux-arts emprunte des voies plus complexes qu’une
simple analogie entre l’image des vitrines aquatiques et les
tableaux peints, notamment parce que le mouvement de
ces tableaux aquatiques relève d’une filiation plus essen-
tielle, celle du diorama.

« Comme au diorama »

Quand, quelques mois après son ouverture, Théophile


Gautier découvre l’aquarium du Jardin zoologique d’accli-
matation, il en décrit très précisément le principe, détaillant
à la fois la structure du dispositif, le contenu de l’exposi-
tion, la nature de la nouvelle image qui apparaît sur les
parois transparentes ainsi que les effets sur le corps du
spectateur appelé à prendre une part active au spectacle.
Ce 9 décembre 1861, c’est, au premier abord, un dispositif

5. Il convient ici de mentionner l’étude très stimulante sur le regard au XIXe siècle


de Pascal Griener, Pour une histoire du regard. L’expérience du musée au XIXe siècle
(2017), pour qui « l’ère de la production industrielle transforme jusqu’au regard por-
té sur l’artefact culturel ». En effet, l’aquarium participe largement au développement
des attractions qui, en retour, vont modifier en profondeur le regard au musée.
S’appuyant sur l’étude du concept nouveau du show en Angleterre, Pascal Griener
analyse les « attractions » et leurs incidences sur l’organisation du musée et le regard
du spectateur.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 91


théâtral qui s’impose aux yeux du critique déçu par les
salles parisiennes qui « vivent sur leurs succès anciens ou
nouveaux » (Gautier, 1996 : 295). Au contraire de l’épuise-
ment des formes théâtrales exprimé par Théophile Gautier,
l’aquarium apparaît comme « un spectacle merveilleux, un
drame ichtyologique en quatorze tableaux ! » (ibid.). Les
quatorze bacs sont autant de scènes étonnantes et inédites
qui exposent au regard « la vie mystérieuse qui fourmille
sous les eaux » (ibid.). Mais avant d’énumérer dans le détail
« la vie immense, profonde, inépuisable, multiple, d’une
étrangeté de formes, d’une bizarrerie d’habitudes qui
étonnent l’imagination la plus hardie » (ibid. : 295-296),
Théophile Gautier se trouve frappé par une association pré-
cise et fertile. Très vite, il évoque son sentiment d’être à
l’aquarium « comme au diorama » (ibid. : 297).
Deux années après le compte rendu de Théophile Gautier,
Mortimer d’Ocagne établit la même association. Dans un
article pour le journal Le Monde illustré, l’auteur décrit pré-
cisément l’atmosphère spécifique due aux rayons lumineux
qui traversent l’eau des bassins dans la longue galerie du
Jardin d’acclimatation, avant d’être frappé par « la nouveau-
té et l’étrangeté du spectacle » : « ce qu’on y voit provoque
un sentiment de surprise et de ravissement. C’est un diora-
ma dont les tableaux sont vivants » (Ocagne, 1863 : 190).
Outre le vocabulaire employé qui rappelle très largement
les descriptions des spectacles dioramiques6 – « la surprise »,
« le ravissement » –, d’Ocagne attribue à l’aquarium les qua-
lités d’un tableau, comme si la vitre constituait un plan pic-
tural, et l’écran une surface sur laquelle viennent se former
des images. Et parce que ces tableaux « sont vivants », que
ces images sont en mouvement, il les rapproche de la tech-
nique de Daguerre à qui on reconnaissait en effet le mérite
d’avoir animé la peinture.
Enfin, l’année suivante, dans son livre Les Mystères de
l’océan, Arthur Mangin évoque une forme très proche du
diorama pour qualifier le nouveau spectacle qu’il a sous les
yeux, prenant également pour exemple l’aquarium du
6. Je me permets de renvoyer ici à mon ouvrage sur le diorama de Daguerre, La
Peinture mécanique. Le Diorama de Daguerre (Le Gall, 2013), et notamment le
chapitre « Natures du diorama ».

92 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Jardin d’acclimatation. L’attraction lumineuse que produit
l’image de l’aquarium sur le spectateur permet, dit-il, au
« regard [de n’être] point distrait par les objets environ-
nants ». L’effet produit par ce dispositif l’amène à considérer
que « l’attention se concentre tout entière sur le polyorama
vivant qu’on a devant soi » (Mangin, 1864 : 190). S’il n’em-
ploie pas précisément le terme de diorama, il se réfère à sa
forme miniaturisée, qui présente les mêmes particularités
que l’invention de Daguerre, c’est-à-dire qu’une image
s’anime grâce à la vision par transparence de deux images
superposées. La métaphore employée par Mangin pour
qualifier l’aquarium semble avoir connu une certaine for-
tune critique puisqu’on retrouve l’occurrence du terme
« polyorama », ainsi que des phrases tirées de son livre, mot
pour mot, dans le texte de Millet en 1866 à propos du
grand aquarium de Paris inauguré en 1865 sur les grands
boulevards.

Persistance du modèle daguerrien

Si certains auteurs sollicitent le modèle du diorama pour


comprendre et restituer la production des images issues de
l’aquarium, dont l’échelle, sous sa forme publique et spec-
taculaire à partir des années 1860, s’est considérablement
amplifiée, c’est en partie parce que, quand s’ouvre la gale-
rie des bacs du jardin d’acclimatation, l’invention de
Daguerre est encore très prégnante dans la culture visuelle
de l’époque. Baudelaire, dans son célèbre Salon de 1859
– texte connu pour sa diatribe contre le goût du public
pour l’exactitude photographique –, fait encore appel au
diorama et à « quelques décors de théâtre » pour mieux cri-
tiquer ces paysagistes qui n’ont que « des talents sages ou
petits, avec une très grande paresse d’imagination »
(Baudelaire, 1986 : 344). Devant les carences d’imagination
et de sentiments chez les paysagistes de son temps, le
poète « désire être ramené vers les dioramas dont la magie
brutale et énorme sait [lui] imposer une utile illusion »
(ibid. : 344-345). Né l’année même où le diorama s’invente,
le poète avait peut-être en mémoire le diorama de Bouton,

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 93


l’associé de Daguerre, revenu de Londres, où il avait fait
fructifier le procédé, pour ouvrir en 1844 un nouveau spec-
tacle dioramique7. Ou bien avait-il à l’esprit le diorama
Paris à travers les âges d’Hoffbauer ouvert en 1855 au Carré
Marigny sur les Champs-Élysées ?
En 1861, quand Théophile Gautier associe pour la première
fois l’aquarium au diorama, l’invention de Daguerre est déjà
ancienne. Elle remonte en effet à l’année 1821. Dès son
ouverture, le spectacle avait connu un immense succès
populaire, jusqu’à ce qu’un incendie détruise en 1839 l’édi-
fice parisien et fasse tomber en désuétude le spectacle qui
continue d’exister, malgré tout, sous des formes plus margi-
nales et moins spectaculaires. Mais, quand Bouton ouvre
son nouveau spectacle en 1844, il suscite un nouvel intérêt
auprès du public, y compris auprès de la critique artistique,
littéraire et théâtrale.
C’est à ce moment que Gérard de Nerval assiste au renou-
veau du diorama à travers une mise en scène du Déluge.
Devant ce « spectacle dramatique avec ses surprises, ses
émotions et toutes ses phases d’intérêt » (Nerval, 1844 : 47),
l’écrivain s’enthousiasme. Selon lui, le diorama est d’un
« grand attrait dramatique » (ibid. : 46) et la représentation
du Déluge, un « mystère à grand spectacle, joué par les élé-
ments » (ibid.). Il y dépeint les différentes phases :
« Peu à peu l’horizon se couvre, les nuages s’assombrissent
et se revêtent d’un reflet rouge, la mer luit dans le fond
des derniers feux du soleil qui pâlit, les murs ruissellent,
les places et les rues s’emplissent d’une eau qui bouil-
lonne fouettée par l’orage, les enceintes inondées
répandent l’eau du haut de leurs murs comme des vases
trop pleins, la population se réfugie sur les toits, sur les
tours et sur les montagnes, enfin tout disparaît dans
l’épaisseur des nuées et des sombres colonnes d’eau qui
les traversent à grand bruit » (ibid. : 47).

7. Ce sera le début d’un renouveau avec, notamment, en 1855, l’ouverture du dio-


rama Paris à travers les âges réalisé par Hoffbauer. Ce diorama était installé sur les
Champs-Élysées. C’est en réalité une technique mixte, entre diorama et panorama.
Enfin, d’autres formes seront élaborées, comme le diorama photographique. Nous
y reviendrons plus loin dans notre développement.

94 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Le plaisir que le spectacle suscite chez Nerval est, semble-t-
il, rattaché au principe technique de la succession des
tableaux. C’est par ailleurs le mode narratif qu’il avait
employé l’année précédente pour élaborer son roman
Voyage en Orient (Frölich, 1976 : 228-244). De même,
Théophile Gautier s’était attaché à saluer cette renaissance
du diorama, une première fois en 1844, puis en 1847. Pour
le premier spectacle, il publie dans La Presse un article sur
Le Déluge le 24 septembre (Gautier, 1844 : s. p.). L’élément
aquatique est au centre du tableau, par son thème – le
déluge –, par les effets liquides et plastiques de l’évolution
de l’eau au sein même du tableau. Nerval note de son côté
que « c’est à l’eau qu’appartient le rôle principal, c’est ce
terrible élément de l’humide […] qui menace d’anéantir la
création jeune encore et de confisquer les races vivantes, à
l’exception et au profit des seuls poissons » (Nerval, 1844 :
46). Par ailleurs, tout porte à croire que Théophile Gautier
et Nerval, liés par une grande et longue amitié, ont assisté
ensemble à la représentation. D’une part, les dates de
publication sont proches, d’autre part, tous deux évoquent
une panne au troisième tableau8. Nerval évoque « un acci-
dent [qui l’]a privé du troisième aspect qui représente le
tableau calme du déluge et l’arche flottant sur les eaux »
(ibid. : 47), quand Théophile Gautier mentionne « un acci-
dent arrivé aux machines [qui l’]a empêché de voir le
tableau d’inondation complète » (Gautier, 1844 : s. p.). Les
deux amis ont pu aussi deviser sur l’épineuse question de
la représentation de l’eau dans la peinture en qualifiant et
en distinguant les qualités et les spécificités propres au dio-
rama. À lire sa description de l’aquarium à l’aune de son
article sur le diorama, on comprend alors comment
Théophile Gautier a pu associer, à dix-sept ans d’intervalle,
la liquidité de l’aquarium à celle du diorama représentant le
Déluge. Dans les deux cas, l’eau est l’image du mouvement.

8. Dans tous les comptes rendus des spectacles du diorama que nous avons pu
consulter, jamais un tel incident n’est relevé. Il semble qu’un tel incident soit alors
rare, ce qui nous permet de penser que Nerval et Gautier assistent ensemble au
même spectacle.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 95


Nature morte vs « nature animée »

Le 19 septembre 1844, un article anonyme du journal litté-


raire et artistique L’Indépendant, comparant le nouveau
diorama avec l’installation primitive de Daguerre, souligne
« des changements non moins merveilleux, des modifica-
tions de la lumière non moins étonnantes [qui] se
remarquent dans les tableaux nouvellement exposés »
(D. S.-G., 1844 : s. p.). L’article rappelle que « la spécialité
du Diorama consiste dans l’art de modifier à volonté le jeu
de la lumière, d’en varier les effets ; tantôt d’opérer sur
quelques points des combinaisons nouvelles qui changent
une partie du tableau ; tantôt d’agir sur le tableau tout
entier et de lui faire subir une complète transformation ».
Au diorama, c’est l’élément lumineux qui modifie le tableau
et initie une transformation, c’est-à-dire un mouvement.
La ligne de démarcation que la critique trace entre peinture
et diorama est claire :
« Le Diorama, qui ajoute à la peinture la mobilité et l’ani-
mation, qui s’attache à poursuivre les réalités dans leurs
transformations successives, a fait faire certainement aux
arts un grand pas de plus ; il est entré plus avant dans
l’imitation de la nature, il rivalise avec elle » (ibid.).

L’auteur reprend ici un des grands leitmotivs développés


par la critique autour du premier diorama, en invoquant
l’image de Pygmalion pour expliquer que le diorama donne
« le mouvement et la vie » au tableau. Daguerre lui-même
avait posé ce principe dès la première Notice de 1821 en
avançant l’idée que le diorama allait « rendre sensible aux
amateurs, la différence qu’il y a entre la nature morte et la
nature animée » (Daguerre, 1821a : s. p.). Concrètement, le
diorama intègre, matériellement, la lumière dans la toile,
subit ses variations et ses mouvements, contrairement à la
peinture qui, elle, l’imite. Opposer la fixité de la peinture
au mouvement du diorama ouvre une brèche dans le dis-
cours de la critique artistique et libère une perspective qui
dessine un point de fuite vers une redéfinition et un élargis-
sement de la mimesis.
La distinction entre nature morte et « nature animée » qui
fonde la réception critique du diorama fait par ailleurs

96 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


directement écho, dans le contexte du nouvel intérêt pour
les fonds sous-marins, à l’opposition entre d’un côté les
musées d’histoire naturelle qui consignent dans leurs
vitrines des spécimens inanimés, et, de l’autre, les aqua-
riums qui, parce qu’ils sont l’exposition des êtres animés,
sont considérés comme des « musées vivants » (Lavison,
1863 : 3). Le diorama apparaît alors comme un point de
convergence extrêmement fécond, un objet support de
développement de modèles théoriques, approprié pour
situer l’invention de l’aquarium dans le champ des images
adressées à un public de plus en plus large, de plus en plus
avide des dispositifs optiques spectaculaires. Sur le plan
formel, tout concourt à une forme de continuité entre le
diorama et l’aquarium, voire à une assimilation du premier
par le second. Et la comparaison des deux techniques dans
la presse artistique ou généraliste aura été une manière
pour les critiques de mieux comprendre, en les isolant par
l’énonciation, les éléments constitutifs de l’aquarium. À
l’aquarium, un dispositif canalise la lumière extérieure, par
le haut, pour qu’elle traverse et éclaire l’intérieur des bacs
afin d’exposer ses habitants aux yeux du public ; quant au
diorama, le même principe lumineux permet de faire
remonter à la surface de la toile des motifs peints au verso.
Ce même principe d’éclairage capte le regard du spectateur,
alors qu’au diorama la mise en scène plonge les spectateurs
dans le noir avant d’éclairer violemment les tableaux et de
produire un effet de stupéfaction. À l’aquarium, la lumière
traversante fait du verre une surface lumineuse assimilable
à un tableau sur lequel viennent se dessiner des formes ani-
males ; au diorama, la toile devient une surface lumines-
cente sur laquelle des motifs apparaissent et disparaissent.
Le regard du spectateur traverse à la fois la transparence de
la glace et l’épaisseur du liquide, alors que l’étymologie du
terme diorama signifie « voir à travers »9 (Donnet, 1821 :

9. « Le diorama, inventé par Daguerre, ne ressemble que par ses effets aux appareils
précédents : comme construction, il en diffère essentiellement. Comme son
étymologie l’indique, ses tableaux sont vus à travers et sont, par conséquent, peints
des deux côtés de la toile transparente. Comme le polyorama, il y a sur cette toile
une succession de deux effets bien différents ; mais cette succession n’est plus pro-
duite par un appareil de fantasmagorie ; elle est uniquement due à la transparence
de la toile et à une double disposition d’éclairage. »

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 97


318-319). À l’aquarium, les êtres vivants, parce qu’ils sont
par nature en mouvement, produisent des images animées ;
au diorama, les jeux lumineux qui s’impriment sur la toile
animent les motifs et permettent le mécanisme de la mise
en mouvement de la peinture. Enfin, à l’aquarium, le spec-
tateur est bercé par l’illusion d’être au milieu de l’océan ;
tandis qu’au diorama, le projet liminaire imaginé par
Daguerre et Bouton repose sur le principe d’être projeté
dans l’espace pictural en offrant « une illusion complète à
travers les images animées par les divers mouvements de la
nature » (Daguerre, 1821b : s. p.).

Visions fantasmagoriques

Il semble que Théophile Gautier retrouve à l’aquarium des


sensations physiques qu’il avait connues quelques années
plus tôt au diorama. C’est à partir d’une perception physio-
logique éprouvée qu’il se remémore le souvenir d’un dispo-
sitif antérieur. Comme au diorama où la puissance du dis-
positif lumineux fait que « le regard se tourne de lui-même
vers une suite de tableaux éclairés » (Donnet, 1821 : 319), à
l’aquarium, Théophile Gautier est comme saisi d’une pul-
sion scopique qui l’entraîne à scruter l’image luminescente.
Par sa nature, l’image produite à travers la vitre de l’aqua-
rium attire son œil comme un papillon de nuit est irrémé-
diablement porté vers une source lumineuse qui se détache
de l’obscurité. Son corps est comme absorbé et transporté
devant un monde qui « ne s’est jamais offert à l’œil
humain » (Gautier, 1996 : 297).
Si Théophile Gautier restitue des impressions qui procèdent
des sensations physiques, il réussit dans le même temps à
isoler le principe dioramique de l’aquarium selon une ana-
lyse détaillée qui dit une bonne connaissance des spec-
tacles optiques et fantasmagoriques. Les bacs de l’aquarium
lui rappellent les tableaux du diorama, notamment « pour
l’inattendu et la surprise de l’effet » (ibid.). Théophile
Gautier décrit précisément le dispositif de l’aquarium, nou-
veau aux yeux du public parisien, afin d’en saisir son fonc-
tionnement :

98 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


« Un lit de sable couvre le fond de chaque vivier ; des
pierres, des fragments de roche que tapissent en partie
des plantes aquatiques composent, réfléchis par la surface
plane de l’eau comme par une glace, des paysages et des
cavernes de l’étrangeté la plus chimériquement pitto-
resque » (ibid.).

La description de Théophile Gautier mentionne ainsi les


caractéristiques architecturales et techniques. Les bacs de
l’aquarium sont semblables à des cadres qui donnent accès
à des paysages merveilleux éclairés par « la lumière ména-
gée par des écrans [et qui] tombe de haut […] et produit
des mirages extraordinaires » (ibid.). Ces mirages sont obte-
nus par l’épaisseur de l’eau qui vient se substituer, en
quelque sorte, au souvenir de la toile du diorama, en
« forme l’atmosphère […], en dégrade les plans, en azure les
lointains » (ibid.). C’est enfin la force de l’illusion qui va
définitivement installer, chez Théophile Gautier, le diorama
comme modèle théorique pour la réception de l’aquarium :
« Au bout de quelques minutes, l’illusion est complète. Le
sentiment de la proportion se perd. On croit voir les val-
lées et les montagnes d’un pays inconnu ou plutôt d’une
planète nouvelle. Les pierres deviennent des pics
énormes, la moindre anfractuosité de galet une grotte pro-
fonde ; les cailloux du dernier plan se grossissent en sier-
ras. Les filets de la vallisneria, les touffes de l’anacharis
représentent des forêts noyées. Quant aux poissons, péné-
trés de lumière, ils sont d’une translucidité féerique. Ils
montent et descendent, se déplacent par de légers mouve-
ments de queue ou de nageoires et comme s’ils flottaient
dans l’air le plus limpide ; s’ils s’approchent de l’invisible
barrière que leur oppose la glace, on dirait qu’ils vont sor-
tir du cadre et s’élancer hors de leur élément » (ibid.  :
298).

Il ne fait pas de doute que Théophile Gautier emprunte ici


aux descriptions des spectacles du diorama de nombreuses
occurrences. Le spectacle daguerrien lui aurait ainsi donné
des éléments de vocabulaire et une base théorique pour
mieux qualifier l’aquarium. Lui-même, on l’a vu, avait déjà
livré deux comptes rendus de spectacles dioramiques, l’un
en 1844, l’autre en 1847. Mais le modèle du diorama se
construit chez lui antérieurement à ses écrits critiques. C’est
avec son roman Fortunio, publié dans un premier temps

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 99


sous la forme d’un feuilleton dans Le Figaro en 1837, avec
comme titre L’Eldorado, que Théophile Gautier se réfère
initialement au diorama pour enrichir sa conception de l’art.

Conclusion

En convoquant le modèle du diorama dans son roman,


Théophile Gautier pose dès 1837 un jalon important dans la
réception critique de ce spectacle pictural. C’est l’avis d’Eli-
zabeth Berkebile McManus pour qui « il n’est pas sans
importance que les peintures du diorama de Fortunio
soient situées à Eldorado, un espace architectural semblable
au bâtiment du diorama en ce sens qu’il est structuré pour
rendre confuse la capacité du spectateur de distinguer entre
l’extérieur et l’intérieur, la réalité et la représentation »
(Berkebile McManus, 2016 : 229).
Il est remarquable de voir à quel point chez Théophile
Gautier la description de l’illusion au diorama se prolongera
et se confondra avec celle de l’aquarium. Et c’est chez lui
aussi la marque d’un intérêt pour les visions fantastiques et
les fantasmagories telles qu’on les trouve dans sa propre lit-
térature, notamment avec ses Contes fantastiques, ou chez
un auteur comme E. T. A. Hoffmann dont Théophile
Gautier était un grand admirateur. Il faut d’ailleurs rappeler
que, familier des formes fantasmagoriques, il avait écrit un
article sur les Contes de l’auteur allemand. Il cite dans son
texte un article de Jean-Paul Richter qui rappelle que les
ouvrages d’Hoffmann « produisaient l’effet d’une chambre
noire et que l’on voyait s’y agiter un microcosme vivant et
complet » (Hamrick, 2001 : 134).
Dans son ouvrage La Fantasmagorie, Max Milner rappelle
que Théophile Gautier, avant de se tourner vers la littéra-
ture et la critique, avait commencé une carrière de peintre.
En cela, il est « un artiste et un visuel […] chez qui la “pul-
sion scopique” était particulièrement développée » (Milner,
1982 : 124). Et le miroir joue chez lui un rôle essentiel,
« non seulement comme agent réfléchissant, mais comme
inducteur de rêverie, en créant, dans l’espace perceptif, une

100 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


lacune, qui donne d’abord l’impression d’un vide, peu à
peu comblé par les élaborations fantasmatiques » (ibid.). Il
devient dans les Contes fantastiques une surface sur
laquelle le regard se perd comme Onuphrius qui y guette
son reflet : « cela faisait un espace vide dans la muraille,
une fenêtre ouverte sur le néant, d’où l’esprit pouvait se
plonger dans les mondes imaginaires » (Gautier, 1986 : 50).
Le vide des miroirs chez Théophile Gautier finit par laisser
la place à l’imaginaire et aux visions hallucinatoires. Dans
son roman Spirite, publié en feuilleton en 1865, le person-
nage Guy de Malivert fixe le vide du miroir jusqu’à « démê-
ler dans cette ombre comme une vague blancheur laiteuse,
comme une sorte de lueur lointaine et tremblotante qui
semblait se rapprocher » (Gautier, 1866 : p. 63-64). Ainsi,
d’un objet de curiosité scientifique qui s’est rapidement
transformé en spectacle optique, l’aquarium devient à la fin
du XIXe  siècle une puissante métaphore des images men-
tales. Les visions du miroir développées par Théophile
Gautier annoncent étonnamment celles que l’on retrouvera
quelque trente années plus tard chez des poètes comme
Georges Rodenbach. Dans Les Vies encloses (1896), le poète
belge finit pas associer les « reflets noirs qui viennent et
s’en vont » à la mémoire, et croit voir sur l’« écran docile
s’imageant » de l’aquarium passer « la pensée en apparences
brèves » (Rodenbach, 1925 : 10).

Manuscrit reçu le 14 septembre 2017


Version révisée reçue le 23 juillet 2018
Article accepté pour publication le 24 septembre 2018

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CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 103


Auteur

Guillaume Le Gall, Sorbonne Université, Centre André Chastel


Guillaume Le Gall est maître de conférences en histoire de l’art contem-
porain à Sorbonne Université et chercheur en délégation au CNRS auprès
de l’UMR Centre André Chastel. Il a été commissaire d’expositions sur la
photographie contemporaine (Fabricca dell’immagine, Villa Médicis,
2004 ; Learning Photography, FRAC Haute-Normandie, 2012), et co-com-
missaire des expositions sur Eugène Atget (Eugène Atget, une rétrospec-
tive, Bibliothèque nationale de France, 2007), la photographie surréaliste
(La Subversion des images, Centre Pompidou, 2009). Il a publié La
Peinture mécanique (2013) aux éditions Mare & Martin, et dirigé deux
Carnets du BAL (2014 et 2015). Ses recherches portent actuellement sur
les dioramas et les aquariums du XIXe siècle, vus comme dispositifs d’ex-
position et d’immersion du spectateur.
Courriel : guillaume.erwan.legall@gmail.com

104 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Résumés

Dioramas aquatiques : Théophile Gautier visite l’aquarium du


Jardin d’acclimatation
La première critique d’un aquarium public en France associe d’emblée le
nouveau dispositif à la technique du diorama daguerrien. En décembre
1861, Théophile Gautier visite l’aquarium du Jardin zoologique d’accli-
matation, quelques mois après son ouverture. Il évoque sa visite dans le
journal Le Moniteur universel et décrit très précisément le spectacle,
détaillant à la fois la structure du dispositif et la nature de la nouvelle
image qui se présente à ses yeux. Une image-souvenir se forme devant
lui. Dans son analyse et dans la narration de son expérience, Gautier dit
être à l’aquarium « comme au diorama ». Si certains auteurs sollicitent le
modèle du diorama pour comprendre et restituer la production des
images issues du nouveau dispositif formé par l’aquarium, c’est en partie
parce que, quand s’ouvre l’aquarium du jardin d’acclimatation, le spec-
tacle de Daguerre est encore très prégnant dans la culture visuelle de
l’époque. Sur la base de la conjonction des deux techniques de monstra-
tion, l’article porte sur l’idée que l’aquarium marque une étape dans l’his-
toire de la permanence du diorama daguerrien parmi les formes specta-
culaires d’exposition.
Mots-clés
Aquarium, diorama, spectacle, Jardin d’acclimatation, dispositif

Aquatic dioramas: Théophile Gautier visits the aquarium at the


Jardin d’acclimatation
The first criticism of a public aquarium in France immediately combines
the new device with the technique of the diorama daguerrien. In
December 1861, Théophile Gautier visited the aquarium of the zoologi-
cal garden of acclimatization, a few months after its opening. He talks
about his visit to the journal Le Moniteur universel and describes the
show very precisely, detailing both the structure of the device and the
nature of the new image that presents itself to him. An image-souvenir is
formed in front of him. In his analysis and in the narration of his expe-
rience, Gautier says he is at the aquarium “as at the diorama”. If some
authors solicit the model of the diorama to understand and restore the
production of images from the new device formed by the aquarium, it is
partly because, when the aquarium of the garden of acclimatization
opens, the spectacle of Daguerre is still very important in the visual
culture of the time. Based on the conjunction of the two monstration
techniques, the article focuses on the idea that the aquarium marks a

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 105


milestone in the history of the permanence of the Daguerrian diorama
among the spectacular forms of exhibition.
Keywords
Aquarium, diorama, show, Jardin d’acclimatation, display

Dioramas acuaticos: Theophile Gautier visita el acuario del


Jardín de aclimatación
La primera crítica de un acuario público en Francia relaciona inmediata-
mente el nuevo dispositivo con la técnica del diorama de Daguerre. En
diciembre de 1861, Théophile Gautier visita el acuario del jardín zoológi-
co de aclimatación, pocos meses después de su apertura. Relata su visita
en la revista Le Moniteur Universel y describe el espectáculo con mucha
precisión, detallando tanto la estructura del dispositivo como la naturale-
za de la nueva imagen que se le presenta. Una imagen de memorias se
forma frente a él. En su análisis y en la narración de su experiencia,
Gautier dice que está en el acuario “como en el diorama”. Si algunos
autores buscan en el modelo del diorama para entender y reintegrar la
producción de imágenes del nuevo dispositivo formado por el acuario,
es en parte porque al momento de la apertura del acuario del Jardín de
Aclimatación, el espectáculo de Daguerre sigue estando muy presente en
la cultura visual de la época. Basado en la combinación de dos técnicas
de exhibición, el artículo se centra en la idea de que el acuario marca un
hito en la historia de la permanencia del diorama de Daguerre, entre
todas las otras formas espectaculares de exposición.
Patabras clave
Acuario, diorama, espectáculo, jardín de aclimatación, dispositivo

106 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Évocation et abstraction :
Une approche alternative
au réalisme des dioramas
Éric Triquet
Avignon Université, Centre Norbert Elias

Du XVIIIe  siècle, qui voit la naissance des premiers musées


de sciences centrés sur les collections, au XXe siècle, qui
voit l’entrée dans l’ère de la communication, les muséums
d’histoire naturelle ont connu une évolution que l’on peut
qualifier de radicale. La première phase de rupture est le
passage de la notion d’objet à mettre en valeur pour lui-
même à la notion d’« expôt », d’objet « signifiant » à celui
« d’objet illustrant » (Maréchal et al., 2000). Une telle évolu-
tion a été possible, selon André Desvallées (1987), dès lors
que l’on a accepté l’idée que l’objet de musée n’est pas une
fin en soi, mais « le moyen de dire quelque chose ». Après
une première période caractérisée par des présentations
quasi exhaustives d’objets ordonnés selon les principes de
la classification scientifique, voici donc une seconde étape
marquée par l’avènement de l’exposition. Des objets sont
sélectionnés, associés à d’autres et organisés au regard d’un
thème scientifique, d’une idée ou d’une histoire. Ils
deviennent « objets prétextes », « objets manipulés » au ser-
vice d’un discours – celui des concepteurs de l’exposition
(Hainard & Kaehr, 1984). La mise en scène expographique

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 107


est alors le moyen utilisé par les muséographes pour que
ces rassemblements d’objets au sein d’un même espace
soient supports de sens. Il s’agit là de la seconde phase de
rupture.
C’est dans ce contexte que les dioramas apparaissent et se
développent dans les muséums, dès la seconde moitié du
XIXe siècle en Amérique du Nord (Tunnicliffe & Scheersoi,
2015), un peu plus tardivement en France (Pequignot,
2002). Très vite, le terme « diorama » est utilisé pour quali-
fier tous les procédés muséographiques qui tendent à
reconstituer, de façon tridimensionnelle, un environnement
naturel. Des animaux naturalisés y sont présentés et mis en
situation pour figurer une scène de vie au milieu de décor
en fac-similé. Les spécimens ne sont plus présentés selon
les critères de la classification systématique1, mais replacés
dans des décors réalistes et esthétiques rappelant leur
milieu naturel. Le diorama, nous dit Bernard Schiele, « joue
sur la perception du réel. Il est concret », « épris d’authenti-
cité », « soucieux de réalisme » (Schiele, 1996 : 10). L’enjeu
est de provoquer un effet de transparence, une illusion de
réalité au musée (Wonders, 1993). Grâce au progrès de la
taxidermie, l’animal lui-même semble vivant. Il est présenté
non plus figé mais dans des attitudes et postures de vie
caractéristiques, en interaction avec d’autres animaux et
avec son milieu. Les dioramas permettent ainsi de recontex-
tualiser dans un espace muséal des spécimens qui, sans
cela, seraient appréhendés indépendamment les uns des
autres (Davallon et al., 1992), sans ancrage dans le milieu
écologique. Si l’on suit la caractérisation établie par
Raymond Montpetit (2007), nous sommes en présence
d’une muséographie analogique, fondée sur un principe de
similitude. Ces installations, nous dit-il, fonctionnent sur le
mode de l’image, « en renvoyant à leur situation de réfé-
rence et affirmant que le vrai est (ou a été) tel hors du
musée » (ibid. : 58). Ils sont assimilés à des fenêtres sur le
monde (Quinn, 2006).

1. Pour des raisons muséographiques, mais aussi d’esthétisme et de lisibilité, seu-


lement un petit nombre de spécimens est sélectionné. Cela fait dire à Michel Van-
Praët (1989) que la dissociation entre les collections du musée et l’exposition de-
vient radicale.

108 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Pour parer aux limites induites par cette exigence de réa-
lisme, et aussi pour donner plus de place au désir de créati-
vité des conservateurs, certains d’entre eux vont peu à peu
renoncer à l’ambition de représenter fidèlement la nature.
Ils misent sur une évocation abstraite de la nature. Leurs
présentations s’efforcent de faire « allusion » à une portion
de la nature, et non « illusion » (Péquignot, 2002 : 40). Les
décors sont épurés, débarrassés des éléments « réalistes »,
lesquels sont remplacés par des objets symboliques, des
jeux de lumière et de couleurs qui visent à créer des
ambiances naturelles.
Le Muséum de Grenoble apparaît comme emblématique de
cette orientation2. Il nous offre l’opportunité de confronter
cette approche muséographique fondée sur l’abstraction et
le symbolisme à celle développée par les dioramas réa-
listes. L’étude présentée est ainsi centrée sur les éléments
de mise en scène, supports des effets d’évocation recher-
chés par le concepteur et son équipe3. Plusieurs questions
ont guidé notre réflexion. Ces présentations fondées sur
l’abstraction se positionnent-elles en rupture ou pro-
posent-elles seulement un accès différent au réel ? Si oui,
quelle forme de rapport au réel introduisent-elles ? Dans
quelle mesure déterminent-elles de nouvelles modalités de
réception du côté du visiteur ? Enfin, comment redéfi-
nissent-elles la stratégie de communication du musée et
l’engagement des concepteurs ?

Le cas du Muséum de Grenoble  : le choix de


l’abstraction

Le Muséum d’histoire naturelle de Grenoble figure en


France parmi les premiers muséums de province à procéder
à la rénovation complète de ses espaces d’exposition (1986-

2. Laquelle s’est également exprimée au tout début des années 1990 à la grande
galerie de l’Évolution du Muséum national d’histoire naturelle de Paris.

3. Nous ne prenons donc pas en considération les textes et commentaires audio


des bornes placées à proximité des présentations, mais nous avons conscience
qu’ils facilitent grandement le travail d’inférence auquel nous allons nous intéress-
er, comme le montrent plusieurs de nos travaux (Triquet, 2001, 2007).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 109


1989). Si la galerie principale et ses boiseries classées ont
été conservées, les vastes armoires vitrées dans lesquelles
s’accumulaient les spécimens ont été remplacées par des
vitrines présentant des scènes de vie animalière dans un
style très épuré. Armand Fayard, conservateur en charge de
sa rénovation, concède a posteriori qu’il s’est inscrit « en
rupture » avec l’approche classique des dioramas, dans une
perspective de « changement radical », courant le risque que
cette dernière soit perçue comme une « provocation »
(Fayard, 1997 : 12). Il explique sa position en ces termes :
« Outre le fait que je ne suis pas favorable, à notre
époque, à donner l’impression que l’on puisse reproduire
la nature en vitrine, alors qu’elle est encore présente dans
toute sa complexité à l’extérieur, le réalisme des dioramas
ne m’a jamais paru propice (mais cela demanderait à être
évalué auprès du public) au déclenchement du question-
nement d’un visiteur. Pourquoi d’ailleurs le visiteur serait
enclin à se poser des questions là où il n’y a aucun mys-
tère ! » (ibid. : 15).

Dans une interview publiée dans La Lettre de l’OCIM lors de


l’ouverture du musée sous sa forme rénovée, il livre
d’autres éléments d’explication. La reconstitution de l’envi-
ronnement naturel dans une vitrine ne peut être selon lui
que partielle et rarement significative du véritable biotope
des espèces. Et d’ajouter « qu’il faut éviter de donner l’im-
pression au visiteur qu’il peut très bien se contenter de voir
la nature dans un musée », justifiant du même coup l’ab-
sence de diorama au Muséum de Grenoble (id., 1990 : 7).
À la fois épurée et symbolique, la nouvelle muséographie
mise en place par Armand Fayard se distingue radicalement
de celle mise en œuvre dans les dioramas anglo-saxons
(Péquignot, 2002 : 40). À propos de la vitrine « Drame en
sous-bois », qui met en scène plusieurs relations proies/pré-
dateurs, Armand Fayard précise encore un peu plus son
approche muséographique :
« Tout dans cette composition est le reflet de l’esprit dans
lequel j’ai développé la réalisation de la vie des espèces
animales en milieu forestier montagnard, supprimant tout
élément naturel. Il n’y a ni branche, ni roche, ni feuille, ni
mousse… rien qui pourrait matérialiser, rendre concret et
perceptible directement l’environnement de l’animal. C’est

110 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


cette absence de repères concrets, connus, c’est l’épura-
tion et l’abstraction qui inquiètent le visiteur adulte »
(Fayard 1997 : 13).

L’exigence de réalisme cède la place à l’évocation de la


nature au moyen d’un ensemble de marques appelées à
fonctionner comme des indices, au sens de Martinet4. Le
registre de l’iconographie est à l’inverse peu développé :
aucun dessin figuratif en arrière-plan ici pour représenter le
milieu de vie, seulement des formes à peine ébauchées et
des taches de couleurs. La structuration de l’espace répond,
enfin, à une organisation très précise, elle est également
support de sens. Examinons à cet égard le fonctionnement
sémiotique de la galerie principale intitulée « Montagne
vivante », avant de nous intéresser aux vitrines qui la com-
posent.

La galerie principale : l’évocation d’un parcours en milieu


montagnard
Cette galerie dédiée à la vie animale en montagne présente
des spécimens d’animaux caractéristiques des Alpes, dans
des environnements scéniques évoquant leur milieu de vie.
Armand Fayard présente par ces mots l’esprit dans lequel il
a travaillé pour cet espace.
« Le visiteur est invité à un voyage au cœur des Alpes,
dans une atmosphère vivante où les jeux de lumière et de
couleurs rythment l’espace de microclimats chromatiques.
Un voyage pour le beau, le rêve et pourquoi pas un peu
d’interrogation » (id., 1994 : 27).

La succession de vitrines qui structure de part en part l’es-


pace de la galerie principale du musée organise un par-
cours depuis les étages inférieurs de la montagne (aile
droite de la galerie en allant vers le fond) vers les hauts
sommets (aile gauche). C’est la notion d’étagement de la
vie en montagne qui constitue le fil directeur. Mais aucun
parcours imposé ici, ni même de balise pour indiquer le
chemin à suivre, seulement des taches de couleurs, des

4. Au sens où nous l’entendons, l’indice correspond à « ce qui est là, perceptible,
manifeste, à la disposition » du visiteur à qui il appartient de « l’identifier pour ce
qu’il est, de lui attribuer le sens souhaité » (Martinet, 1975 : 59).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 111


rayons de lumière plus ou moins diffus, des artefacts styli-
sés, disposés çà et là dans les vitrines par le concepteur5.
Du côté droit de la galerie, c’est le vert qui domine, pour
évoquer la strate arborée encore très présente dans les
basses altitudes. Le contraste est fort avec les couleurs
minérales (gris ou blanc) retenues au niveau de l’aile oppo-
sée, qui renvoient au substrat rocheux ou à la neige des
hauts sommets. La lumière apparaît plus douce et plus
tamisée du côté droit, comme filtrée par le couvert végétal,
plus intense et plus vive dans les vitrines de gauche. Les
artefacts du décor se distinguent quant à eux par leur
forme : douce et arrondie dans les vitrines des premiers
étages de la montagne ; anguleuse et abrupte du côté
opposé pour évoquer les pentes escarpées des hauts som-
mets. La différenciation fine des milieux de chaque étage
fait appel aux mêmes systèmes de marques, mais de façon
plus nuancée : taches vertes de teintes différentes pour dis-
tinguer la forêt de feuillus de la forêt de conifères, taches
bleues pour laisser deviner un coin de ciel et évoquer un
milieu ouvert comme la clairière. Enfin, de la même façon,
la dimension saisonnière est prise en charge par le registre
de la couleur : fond vert ou orangé pour évoquer le prin-
temps ou l’automne, sol blanc pour l’hiver, gris ou marron
pour l’automne ou le printemps.
On voit ici s’exprimer le dispositif « technique » de guidage
– tel que le qualifie Davallon (1996) – développé au
moment de la conception de l’exposition. Celui-ci s’appuie
sur un agencement apte à orienter le visiteur à la fois spa-
tialement et conceptuellement. Il passe par une organisa-
tion formelle précise, pensée en amont. Cette dernière
opère à l’échelle de l’espace global et au niveau de chaque
vitrine, où elle contribue à développer des points de vue
spécifiques.

5. Libre au visiteur de partir par la gauche et de descendre les étages ou de zigzaguer


d’un côté à l’autre.

112 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Les vitrines : l’expression de points de vue sur la vie
animale en montagne
Nous retenons pour cette étude seulement deux vitrines du
musée : une caractéristique de l’étage montagnard, l’autre
de l’étage alpin. Leur analyse permet de comprendre com-
ment le concepteur inscrit sémiotiquement ces vitrines dans
le parcours global et comment il développe simultanément
une focale sur un aspect de la vie animale.

Figure 1. Salle « Montagne vivante », diorama « Les sangliers »


© Muséum d’histoire naturelle de Grenoble

Cette vitrine, localisée à droite de l’allée centrale, fait suite à


celle des chevreuils. Plusieurs marques sont disposées pour
exprimer le fait que l’on s’enfonce un peu plus profondé-
ment dans la forêt : le vert du feuillage est ici continu (indi-
quant que l’on a quitté la clairière) et la lumière apparaît
plus diffuse. Mais d’autres marques tendent à signifier que
l’on demeure dans une zone encore facilement accessible à
l’homme : rehaussement rectiligne au premier plan symbo-
lisant les bordures d’un chemin, souche d’arbre indifféren-
ciée comme trace de l’activité des forestiers.
La vitrine met en scène une femelle et trois marcassins
(regroupés à proximité de la laie). Tous les quatre fouillent
le sol avec leur groin, à la recherche de nourriture. Un écu-
reuil est présent, comme dans la vitrine précédente, il
constitue le fil directeur de l’évocation de la forêt. Le fond

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 113


de la vitrine, uniformément vert, entend signifier que la
scène se situe au printemps ou en été (période de végéta-
tion). Deux autres marqueurs viennent renforcer cette
volonté. En premier lieu, la taille des jeunes marcassins, qui
naissent à la belle saison. En second lieu, l’absence du
mâle, qui ne rejoint le groupe des femelles que le temps de
la reproduction, donc plus tôt dans l’année (en décembre).
Par la combinaison de ces différents éléments, le concep-
teur s’efforce de traduire l’idée que le sanglier est étroite-
ment lié au milieu forestier (donc aux premiers étages de la
montagne), et de rendre compte de son organisation
sociale.
La décision de ne pas présenter de mâle dans cette vitrine
s’inscrit dans une stratégie délibérée. Elle vise à introduire
une focale sur un aspect de cette organisation et susciter un
questionnement à son sujet : l’absence du mâle renvoie-t-
elle à une absence temporaire ? Si oui, où est-il parti ? Ou
bien renvoie-t-elle à une absence plus durable et program-
mée ? Si c’est le cas, est-ce là un trait caractéristique de l’es-
pèce ? Faut-il en déduire que les mâles ne participent pas à
l’éducation des jeunes ? Et enfin, quelle fonction sociale
remplit cette séparation (saisonnière) des sexes chez ces
animaux ?

Figure 2. Salle « Montagne vivante »,


diorama « Le lagopède alpin et la marmotte »
© Muséum d’histoire naturelle de Grenoble

114 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


La vitrine retenue est exemplaire de l’approche muséogra-
phique retenue. Elle présente trois espèces animales (la
marmotte alpine, le lièvre variable et le lagopède alpin)
dans leur milieu de prédilection, la prairie des étages subal-
pin et alpin. La scénographie est marquée par une rupture
de teinte au sol – passage de tâches brunâtres sur la partie
gauche à un revêtement uniformément blanc à droite – et
par une répartition des animaux de part et d’autre de cette
limite. Que cherchent à mettre en avant cet agencement
particulier et ces jeux de couleurs de la mise en scène ? La
partie gauche renvoie au printemps : on y voit des mar-
mottes d’âges différents et deux lagopèdes en livrée
gris-marron typique de cette saison. La partie droite, carac-
térisée par un sol blanc, évoque l’hiver : on retrouve deux
lagopèdes, cette fois avec un plumage blanc, accompagnés
d’un lièvre variable également blanc, mais plus aucune
marmotte – pour signifier qu’elles sont en hibernation dans
leurs terriers. L’absence de marmottes du côté droit, de
même que la couleur blanche des lagopèdes et du lièvre
variable, sont à mettre en rapport avec des adaptations de
ces animaux à la vie en haute altitude.
L’approche développée au Muséum de Grenoble au début
des années 1990 se situe donc bien en rupture avec l’ap-
proche analogique et réaliste des dioramas. Il s’agit là de
proposer non pas une copie d’un réel présent hors du
musée, mais une transposition de ce réel. Du côté de la
réception du visiteur, le problème apparaît donc inverse de
celui posé par les dioramas : non pas que tout soit transpa-
rent, mais au contraire trop opaque, empêchant de décryp-
ter le sens proposé par la mise en scène. Il y a donc une
prise de risque au niveau de l’instance de conception qu’il
faut pouvoir assumer. On ne peut donc être surpris de voir
réapparaître des éléments réalistes dans les vitrines du
Muséum après le départ d’Armand Fayard.
Notre recherche permet de réaliser combien le travail de
« lecture » sémiotique de chaque vitrine – en lien avec la
lecture scientifique – va être déterminant au moment de la
visite. Le visiteur aura en charge non seulement le repérage
des différentes marques placées à son intention par le
concepteur, mais il devra aussi les confronter entre elles,

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 115


puis formuler des hypothèses de sens, à la manière d’un
enquêteur. Ce travail engage plusieurs opérations que nous
proposons de définir ainsi : une inférence qui porte sur les
marques formelles de la mise en scène ; une compréhen-
sion ou une interprétation visant la construction de signifi-
cations de second niveau ; et, enfin, une opération d’une
autre nature, par laquelle le visiteur engage ses affects et sa
sensibilité propres, que nous nommerons « impression ».
Nous nous proposons dans la partie qui suit de caractériser
cette lecture à partir de ces différentes opérations.

La lecture de présentations abstraites :


entre cognition et expérience sensible

S’intéresser à la « lecture » de toute présentation muséogra-


phique exige de s’intéresser au matériau par lequel l’expo-
sition est en mesure de signifier, donc de produire des
effets de sens (Davallon, 1989). Or, face à des présentations
abstraites et symboliques, le principe de reconnaissance « à
partir d’une situation réelle », comme l’invoque Montpetit
(1996) pour les dioramas, apparaît délicat à mettre en
œuvre. Par ailleurs, il n’existe aucun code partagé entre
concepteurs et visiteurs sur le sens à attribuer aux différents
effets de mise en scène. Le sens ne saurait donc être livré
tel quel, il demeure à décrypter.

Décrypter les marques de la mise en scène :


décodage vs inférence
Pour comprendre comment néanmoins de telles présenta-
tions peuvent signifier, donc produire des effets de sens,
Davallon (1996), se référant au théoricien et philosophe du
langage Paul Grice, propose de raisonner avec un modèle
de communication basé sur le principe d’inférence. Mais
pour que les différentes marques placées à l’intention du
visiteur soient perçues, encore faut-il que « l’intention infor-
mative du concepteur soit suffisamment manifeste », nous
dit encore Davallon, ce qui l’amène à caractériser la com-
munication dans l’exposition comme une « communication
ostensive inférentielle » (ibid.  : 402). Dans le cas des pré-

116 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


sentations abstraites, ce travail d’inférence doit conduire le
visiteur à rendre explicite du sens qui est seulement évo-
qué, suggéré, comme nous l’avons vu au travers de
l’exemple grenoblois. Plus que pour les dioramas, une coo-
pération cognitive du visiteur est nécessaire. Pour s’en
convaincre, étudions une des vitrines présentées dans la
galerie « Montagne vivante », consacrée aux oiseaux diurnes
du milieu forestier.

Figure 3. Salle « Montagne vivante », diorama « les oiseaux


diurnes » © Muséum d’histoire naturelle de Grenoble

Tous les oiseaux sont positionnés sur des pieux rectangu-


laires de hauteurs différentes et répartis dans tout l’espace
de la vitrine. Lorsque le visiteur presse le bouton de la
borne placée à proximité, les chants des premiers oiseaux
se font entendre, rejoints par d’autres pour atteindre le
moment où tous les chants se mêlent alors que la lumière
se fait de plus en plus dense ; jusqu’au retour progressif au
calme, au fur et à mesure que la lumière décline. Que doit
comprendre le visiteur de cette mise en scène ? Il lui faut
pour commencer assimiler cet ensemble de pieux à une
portion de forêt, et les variations de lumière aux variations
du jour, de l’aube au crépuscule. Il pourra alors en déduire
que certains oiseaux sont matinaux, d’autres plutôt du soir,
mais que tous s’associent au final pour créer une « sympho-
nie », selon les mots d’Armand Fayard 6. Le visiteur doit

6. Nous reprenons l’expression utilisée lors d’un entretien qu’il nous a accordé en
juin 2018.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 117


donc rester en éveil et ouvert à une pluralité de significa-
tions. Cette distribution des pieux dans l’espace de la
vitrine porte-t-elle du sens ? Et si oui lequel ? Il lui faut pour
cela inférer que certains oiseaux vivent en lisière de la forêt
(les plus près de la glace), d’autres plus profondément
(ceux situés au fond de la vitrine). Et que penser des diffé-
rences relatives de hauteur de chacun des pieux ?
L’inférence est ici plus complexe. Il faut déduire que non
seulement les oiseaux ne chantent pas tous au même
moment, mais que, en outre ils occupent ce que le natura-
liste nomme un « poste de chant », c’est-à-dire une hauteur
préférentielle au niveau de laquelle il se positionne pour
chanter.
Le travail de lecture proposé au visiteur débute ainsi par
une série d’inférences locales, développées sur chaque élé-
ment, puis sur la vitrine dans son ensemble. Elles
convoquent des connaissances locales et des compétences
« instrumentales » liées à l’inférence. Cependant, ces infé-
rences doivent pouvoir s’inscrire dans l’ensemble du par-
cours, chacune n’ayant de sens que comparée à d’autres
réalisées dans des vitrines proches ou plus lointaines. Cela
est manifeste dans le cas des deux vitrines étudiées précé-
demment. En effet, la caractérisation du milieu et la défini-
tion de la saison ne sont ici possibles, comme nous l’avons
vu, qu’au travers de nombreuses confrontations et mises en
perspective.
Nous nous sommes intéressés jusqu’alors aux opérations
qui participent à la construction d’un sens premier, imma-
nent. Elles opèrent sur des signes et correspondent à une
saisie et un traitement d’informations en quelque sorte de
surface. Mais si l’on considère que le but de toute lecture
est la compréhension et l’interprétation, il nous faut à pré-
sent aborder une lecture de second niveau.

Construire des sens seconds : comprendre, interpréter


Les études sur la compréhension de textes littéraires ont
permis de dégager les caractéristiques principales de ces
deux opérations. La plupart d’entre elles, nous semble-t-il,
sont transférables à la lecture de l’exposition. En lecture lit-

118 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


téraire, la compréhension se définit comme un décryptage
au niveau littéral. Il s’agit de retrouver un sens que l’on
postule littéral (Jouve, 2001). On admet alors qu’il existe
une cohérence intrinsèque au texte. Il en va de même de
l’exposition organisée autour d’un topic, ou thème fédéra-
teur. Comprendre renvoie dès lors à une question simple :
« Que me dit l’exposition ? » Répondre à cette question
implique de mettre au jour la logique interne par laquelle
chaque objet, chaque élément de la mise en scène trouve
sa place et prend du sens. C’est au filtre de ce topic que le
visiteur peut apprécier la validité de ses inférences. Il thé-
matise – pourrait-on dire – sa lecture de l’exposition dans
un souci d’objectivité.
Dans le cas étudié à Grenoble, c’est le thème de l’étage-
ment du milieu montagnard qui est apparu structurant. Il
est tout à la fois le point de focalisation qui donne sens à
l’ensemble des inférences et le produit des multiples infé-
rences réalisées par le visiteur. Une fois ce topic appréhen-
dé, il permet au visiteur de se repérer spatialement dans la
galerie, en lien avec le monde de référence, celui de l’es-
pace montagnard.
Mais l’exposition est marquée, selon Raymond Montpetit,
par une « suggestion de sens, par une énonciation plus ou
moins claire et entendue, qui enrobe les choses exposées
dans une discursivité interprétative » (Montpetit, 1997 : 9).
Avec l’interprétation, il s’agit alors d’aller à la recherche
d’un sens qui résiste, d’une « illisibilité résiduelle ». Si l’on
transpose cette définition, proposée par Yves Reuter (1992)
pour le texte littéraire, à l’exposition, l’interprétation répon-
drait à de nouvelles questions : non plus « que me dit l’ex-
position ? » mais plutôt « au-delà de ce qu’elle me dit, que
cherche-t-elle à me dire (qu’elle ne me dit pas explicite-
ment) ? » Que cherche « réellement » à me dire le concep-
teur par cette façon de disposer les objets, par ces choix
formels de mises en scène, etc., dont je n’ai pas encore vu
la portée ? Ce qui sous-entend qu’elle dit aussi « autre
chose », « en plus », différent du sens construit par la com-
préhension.
À Grenoble, c’est le thème de l’adaptation aux contraintes
du milieu montagnard (dont celles liées aux variations sai-

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 119


sonnières) qui est traité en arrière-plan tout au long du par-
cours, et de façon plus marquée au niveau des vitrines
situées à gauche. Il s’exprime en cohérence avec le thème
de l’étagement des milieux de montagne, lequel, on l’a dit,
détermine la structuration de l’espace global de la galerie.
Pour accéder à ce niveau de signification le visiteur ne doit
pas considérer chaque animal présenté pour lui-même,
mais comme un marqueur de cet étagement7 ; et il doit acti-
ver le filtre conceptuel de l’adaptation. Si ce n’est pas le
cas, il peut tout aussi bien interpréter la différence de cou-
leurs des lagopèdes comme une marque de dimorphisme
sexuel, que l’attribuer à des espèces distinctes. Il ne pourra
pas non plus relier l’absence de la marmotte côté gauche à
l’idée d’hibernation, qui correspond cette fois à une adapta-
tion physiologique et comportementale de cet animal de
haute altitude.
Mais le sens premier est parfois si fortement ancré dans la
culture du visiteur qu’il lui interdit toute autre façon de le
considérer. Aussi, comme le note Davallon, « la relation que
le visiteur établit avec l’objet va plus le conduire vers le
monde auquel appartient l’objet que vers le monde imagi-
naire ou conceptuel du concepteur » (Davallon, 1999 : 30).
De fait, Jacques Maigret, ancien conservateur en chef au
Muséum d’histoire naturelle de Paris, se demande si ce
principe de l’allusion – également convoqué lors de la réali-
sation de la grande galerie de l’Évolution – n’est pas trop
complexe et s’il n’est pas nécessaire pour le visiteur de dis-
poser d’un « mode d’emploi » (Maigret & Raulin-Cerceau,
2000). C’est là selon nous la principale limite présentée par
cette approche sur laquelle nous reviendrons en conclu-
sion.

Investir un imaginaire, une sensibilité propre :


l’impression
Exposer, nous rappelle Raymond Montpetit, c’est « réunir
des objets et les insérer dans une certaine mise en scène

7. Des études menées au Muséum national d’histoire naturelle dans la grande gale-
rie de l’Évolution ont montré que l’éléphant de « La caravane de la savane africaine »
de la grande nef est perçu par de nombreux visiteurs comme un éléphant d’Afrique
et non comme un élément du discours sur la biodiversité, pour lequel il est utilisé
dans l’exposition (Maréchal et al., 2000).

120 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


avec le projet que l’ensemble constitue un processus signifi-
catif donnant à penser aux visiteurs, mais aussi à rêver, à
partir de ce qu’ils perçoivent autour d’eux » (Montpetit,
2003 : 30). Dès lors, la réception dans l’exposition devient
pour le visiteur, dès son entrée, un lieu propice à l’investis-
sement de sa sensibilité, de son imaginaire.
L’exposition, dans le cas du Muséum de Grenoble, est un
lieu pensé – selon les vœux du conservateur – comme pro-
pice à l’expression des émotions. Nous avons rapporté en
introduction à la première partie ces propos d’Armand
Fayard, concepteur de ces dioramas : « Un voyage pour le
beau, le rêve ». Nul besoin d’une étude approfondie pour
repérer la recherche d’esthétique8 qui a guidé son travail de
conception, auquel il a ajouté tout à la fois une tension dra-
matique et une touche de poésie, pour mieux laisser s’ex-
primer la sensibilité et l’imaginaire du visiteur. Ces choix
déterminent ainsi une nouvelle modalité de réception.
De façon complémentaire à la compréhension et à l’inter-
prétation, Yves Reuter (1992) distingue pour la lecture litté-
raire une composante qu’il propose d’appeler, faute de
mieux, « impression ». Or le sens est fondamentalement
effet de sens pour le visiteur qui ressent des émotions et
réagit. L’impression pourrait ainsi désigner ces effets pro-
duits sur le lecteur – que ceux-ci soient recherchés ou
non – et envisagés sur le plan psychoaffectif, donc en lien
avec les affects de chaque visiteur, ses goûts, ses senti-
ments, ses appréhensions. Un espace de liberté est ici
ouvert au visiteur. S’il s’en saisit, il pourra s’abstraire provi-
soirement du guidage mis en place par l’instance de
conception, et proposer d’autres recontextualisations,
d’autres d’associations qui n’appartiennent qu’à lui.
La forêt, telle qu’elle est mise en scène au Muséum de
Grenoble, peut tout aussi bien être perçue comme protec-

8. Mais ce jeu sur l’émotion peut être également perçu comme une source de
difficulté. Pour Jacques Maigret et Florence Raulin-Cerceau (2000), il est probable
que le choc émotionnel provoqué par la mise en scène particulièrement esthétique
de la nef de la grande galerie de l’Évolution au Muséum de Paris empêche de per-
cevoir aisément la répartition des spécimens selon leur provenance géographique.
Mais les premières études réalisées à l’ouverture du lieu ont montré que ce n’est
qu’à partir du moment où il se trouvait débouté dans sa quête de sens que le visi-
teur semblait se focaliser sur la beauté et l’esthétique du lieu.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 121


trice ou pleine de dangers, familière ou étrange. Et de la
même façon pour les hauts sommets, espaces méconnus,
révélés au visiteur par quelques traits insolites de ses occu-
pants – parade nuptiale volée aux mâles tétras-lyres, bou-
quetins surpris en équilibre sur des éperons rocheux –, et
qui peuvent nourrir bien des imaginaires. De façon évi-
dente, l’impression, telle que définie, est à considérer
comme une composante essentielle de la réception du visi-
teur dans la mesure où nulle lecture d’exposition ne peut y
échapper. Mais il ne saurait être question de considérer
cette modalité comme dissociée des trois autres. Elle est
appelée, selon nous, à accompagner dès le départ le travail
d’inférence, mais encore la compréhension et l’interpréta-
tion.

Conclusion

Qu’il s’agisse de dioramas ou de présentations plus abs-


traites qui empruntent au diorama certaines de ses proprié-
tés, la mise en scène muséographique crée simultanément
un espace de perception et un espace de sens selon un
équilibre qui varie selon le type de muséographie de réfé-
rence. Mais dans tous les cas, c’est une réalité reconstruite
qui est donnée à voir au visiteur, à laquelle ce dernier
accède à partir de ses expériences du monde, sa sensibilité
propre, son imaginaire, mais aussi en fonction de son rap-
port au monde et de ses représentations.
En se présentant comme simple reconstitution de la réalité,
le diorama a l’ambition d’instituer un rapport de transpa-
rence (Montpetit, 1996). Mais cette idée de transparence
demande à être discutée. Michel Van-Praët (1996) rappelle
que les dioramas naturalistes sont avant tout des scènes à
finalité écologique qui proposent, sous une forme attrac-
tive, les conclusions (écologiques, éthiques, etc.) des
concepteurs de l’exposition. Or celles-ci ne sauraient être
directement accessibles pour l’ensemble des visiteurs. Des
connaissances sont exigées. Elles ne relèvent ni de la per-
ception immédiate des choses, ni de la pensée commune
– l’une et l’autre pouvant ici fonctionner comme des obsta-

122 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


cles, au sens de Bachelard –, mais bien de savoirs scienti-
fiques. Considérons ensuite que l’ambition de pouvoir
représenter fidèlement le réel relève d’une forme d’illusion,
tant le réel est complexe et multiforme. C’est en fait une
image nécessairement figée (Étienne, 2017), partielle et
réductrice de la nature qui est proposée aux visiteurs. Elle
met en avant une uniformité certes rassurante, mais bien
peu conforme à la diversité du monde naturel. Pour toutes
ces raisons, les dioramas ne peuvent être pensés comme de
simples copies de la nature, mais plutôt comme des
faux-semblants. Le recours à la réalité virtuelle ou augmen-
tée, sorte de « digital diorama », fait un pas de plus dans
cette direction en offrant au visiteur une expérience immer-
sive dans ce réel reconstruit, présent ou passé. Mais comme
dans les dioramas, ces présentations imposent une forme,
une image de la nature qui laisse peu d’espace aux visiteurs
pour la construction d’autres points de vue.
Avec l’approche abstraite, la représentation du monde
apparaît plus ouverte et multiforme. Un autre rapport au
réel, moins direct, moins immédiat, est installé. Le sens
demeure à construire via un travail de lecture exigeant qui
requiert, comme nous l’avons vu avec l’exemple grenoblois,
non seulement des savoirs mais aussi des compétences de
lecture bien spécifiques. Une forme particulière de littéracie
est ici en jeu ; nous avons proposé de la nommer « littéracie
muséale9 » (Poli & Triquet, 2004). Nous l’avons définie
comme un ensemble de compétences permettant d’accéder
aux multiples niveaux de sens d’une exposition, à partir de
l’ensemble des registres sémiotiques mobilisés pour sa
conception. Elle renvoie à une lecture experte10 du visiteur,

9. La littéracie est en fait une notion d’emprunt à laquelle nous avons proposé
d’adjoindre l’adjectif « muséale ». La littéracie regroupe au départ un ensemble de
pratiques liées à l’écrit mais qui ne se réduisent aucunement à lui. Un élargissement
à d’autres champs de compétences (informatique, médias) a pu être proposé dans
les définitions récentes. Dans cette perspective, les pratiques de lecture-écriture
ne peuvent plus se limiter à des notions comme celles de grammaire, lexique,
sémantique, mais doivent prendre en compte des systèmes sémiotiques plus larges.
Cette extension décisive de la notion nous a ouvert la possibilité d’envisager cette
nouvelle forme de littéracie, la « littéracie muséale ».
10. D’autres études ont montré que des visiteurs peuvent même témoigner de la
compétence à mémoriser des grammaires de production d’exposition et des dis-
cours de commissaires, pour ensuite les insérer dans un processus de compré-

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 123


appelée à être mobilisée de façon ciblée et différenciée
selon les dispositifs muséographiques.
Dès lors, une autre dimension demande à être appréhen-
dée. Elle concerne les phénomènes d’intercompréhension
sémantique qui s’opèrent chez le visiteur entre le registre
langagier écrit et les autres registres expographiques. Marie-
Sylvie Poli (2002) a pu noter que les visiteurs n’attribuaient
pas les mêmes effets cognitifs et sémantiques au médium
pluri-sémiotique que constitue l’exposition et au médium
langagier que composent les écrits informatifs. Ce constat
est particulièrement intéressant puisqu’il questionne une
dimension essentielle de l’expertise du visiteur : la compé-
tence qui permet de lire de concert, en les associant, le
non-verbal et le verbal dans l’exposition. Les recherches
que nous avons menées en contexte scolaire (Triquet, 2001,
2007) nous ont permis d’examiner de plus près le dévelop-
pement de cette compétence. En proposant cette notion,
notre souhait n’était pas d’imposer une nouvelle notion
– une de plus ! – mais bien de mettre en avant ses proprié-
tés heuristiques pour penser la réception au musée. Il nous
semble alors que dans le contexte actuel de bouleverse-
ment des pratiques de médiation muséale, en lien notam-
ment avec le développement du numérique, les concep-
teurs d’expositions naturalistes gagneront à envisager cette
littéracie en amont de toute production, sous peine de cou-
rir le risque d’égarer, de déstabiliser, voire de détourner les
visiteurs en manque de repères et de références partagées.

Manuscrit reçu le 7 janvier 2018


Version révisée reçue le 13 juillet 2018
Article accepté pour publication le 3 septembre 2018

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es », p. 217-230 in La Science en scène / sous la direction Michèle
Brédimas, James Bradburne et Jean-Pierre Roucan. Paris : Presses universi-
taires de l’École normale supérieure et Palais de la Découverte.
Wonders (Karen). 1993. Habitat Dioramas: Illusion of Wilderness in
Museums on Natural History. Uppsala : Almqwist et Wiksell International.

126 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Auteur

Éric Triquet, Avignon Université, Centre Norbert Elias


Éric Triquet est professeur de sciences de l’information et de la commu-
nication à l’Avignon Université, et membre du Centre Norbert-Elias
(UMR 8562). Il est actuellement directeur de la fédération de recherche
Agorantic, Culture, Patrimoines, Sociétés numériques (FR-CNRS 3621), et
directeur de publication de la revue Culture & Musées. Après une thèse
de doctorat soutenue en 1993 (sous la direction de Jean Davallon) sur la
transposition médiatique, il rédige en 2005 une habilitation à diriger des
recherches formalisant le concept de littéracie muséale. Ses premières
recherches portent sur la relation entre école et musée, et plus précisé-
ment sur les dimensions éducatives du musée. Dans le prolongement de
son habilitation à diriger des recherches, il s’intéresse aux fonctions du
récit dans différents contextes de médiation. Il a notamment dirigé le
dossier du n° 18 de Culture & Musées, « Le récit dans la médiation des
sciences et techniques ». Il a mené plusieurs projets de recherche sur
cette problématique en prenant comme objet d’étude le musée, les
albums de littérature jeunesse, les docu-fictions et les séries télévisées de
police scientifique. De façon complémentaire, il a abordé plus récem-
ment le traitement médiatique de controverses scientifiques à partir d’une
perspective socio-sémiotique (expositions, presse écrite spécialisée et
généraliste). Ses dernières publications sur ce sujet, en collaboration avec
Grégoire Molinatti, sont : – 2018. « La controverse à propos du statut
phylogénétique de Toumaï : médiatisations et réputations ».
Communication & Langages, 198 ; – « L’encadrement des recherches sur
les cellules souches embryonnaires humaines en France : une thématique
de choix pour développer une éducation aux médias », in La « Vie » et le
« Vivant » : de nouveaux défis à relever dans l’éducation / sous la direc-
tion de Michèle Dell’Angelo-Sauvage, Marie-Claude Bernard, Sandrine de
Montgolfier et Catherine Simard. Paris : EDP sciences.
Courriel : eric.triquet@univ-avignon.fr

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 127


Résumé

Évocation et abstraction : Une approche alternative au réal-


isme des dioramas
Les dioramas sont habituellement associés à une muséographie analo-
gique, fondée sur un principe de similitude. Si ces dispositifs visent à ins-
tituer un rapport de transparence avec le réel, d’autres présentations
naturalistes vont faire le choix d’une mise en scène abstraite et symbo-
lique. C’est le cas de la galerie « Montagne vivante » du Muséum d’his-
toire naturelle de Grenoble. À partir de cet exemple, notre article se pro-
pose de mettre au jour le fonctionnement sémiotique d’une telle
approche muséographique. Il tente de répondre aux trois questions sui-
vantes : cette approche se positionne-t-elle en rupture par rapport aux
dioramas ou propose-t-elle seulement un accès différent au réel ? Si oui,
quelle forme de rapport au réel introduit-elle ? Et dans quelle mesure
détermine-t-elle de nouvelles modalités de réception du côté du visiteur ?
Ce dernier point nous conduit à envisager en conclusion une forme par-
ticulière de littéracie, la « littéracie muséale ».
Mots-clés
Diorama, scénographie, sémiotique d’exposition, lecture d’exposition, lit-
téracie muséale, expertise du visiteur

Evocation and abstraction: an alternative approach to the real-


ism of dioramas
Dioramas are usually associated with an analog museography, based on
a principle of similarity. If these devices aim to establish a relationship of
transparency with reality, other presentations choose to propose abstract
and symbolic approach. This is the case of the “Living Mountain” gallery
of the Natural History Museum of Grenoble. In support of this example,
our publication wishes to reveal the semiotic functioning of this museo-
graphy. We answer three main questions: does this approach break with
the approach of dioramas or does it propose only a different access to
reality? So yes which form of relationship to reality does it introduce?
And how does it determine new ways of visitor perception? In conclu-
sion, we propose a particular form of literacy, “museum literacy”.
Keywords
Diorama, scenography, semiotic exhibition, exhibition reading, museum
literacy, visitor expertise

128 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Evocación y abstracción: Un enfoque alternativo al realismo de
los dioramas
Los dioramas suelen asociarse a una museografía analógica, basada en
un principio de similitud. Si estos dispositivos aspiran a establecer una
relación de transparencia con lo real, otras presentaciones naturalistas
hacen la elección de una puesta en escena abstracta y simbólica. Este es
el caso de la galería “Montaña viva” del Museo de Historia Natural de
Grenoble. A partir de este ejemplo, nuestro artículo propone revelar el
funcionamiento semiótico de tal enfoque museográfico. Intenta respon-
der las siguientes tres preguntas: ¿este enfoque rompe con los dioramas
u ofrece solo un acceso diferente a la realidad? Si es así, ¿qué forma de
relación con la realidad introduce? ¿Y hasta qué punto determina nuevas
modalidades de recepción del lado del visitante? Este último punto nos
lleva a considerar en conclusión, una forma particular de literacia: la
“literacia museística”.
Patabras clave
Diorama, escenografía, semiótica de la exposición, lectura de la exposi-
ción, lectoescritura museística, experticia del visitante

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 129


Dioramas ethnographiques
et unités écologiques :
La mise en scène de la vie
quotidienne au musée
d’Ethnographie du Trocadéro
et au musée national des Arts
et Traditions populaires
Jean-Roch Bouiller & Marie-Charlotte Calafat
Mucem

Les dioramas sont à la mode. Restaurés par les institutions,


réhabilités par les muséologues, étudiés par les chercheurs,
parodiés ou sublimés par les artistes contemporains,
comme dans la récente exposition Dioramas au Palais de
Tokyo (Le Bon et al., 2016), ils semblent sortis de la torpeur
où les avait plongés une supposée désuétude. Reflets du
monde réel, ils apparaissent aujourd’hui comme le
paroxysme de ce qui fait l’essence du musée : un miroir du
monde, des sociétés, du rapport de l’homme à son environ-
nement immédiat.
À une époque où certains musées ont le vent en poupe
tandis que d’autres sont menacés de disparition, où le
média exposition connaît des développements et des expé-
rimentations sans précédent, où les études sur les musées

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 131


n’ont jamais été aussi nombreuses et où le tournant numé-
rique annonce de nouveaux bouleversements, l’histoire des
dioramas peut être perçue comme un sismographe des
métamorphoses de l’institution muséale. C’est tout particu-
lièrement perceptible si l’on observe leur évolution au sein
des musées nationaux français consacrés à l’ethnographie
de la France durant le premier siècle de leur histoire, entre
1878 et 1978 : d’abord au musée d’Ethnographie du
Trocadéro (MET), à Paris, de 1878 à 1937 ; puis au musée
national des Arts et Traditions populaires (MNATP), en
chantier entre 1937 et 1972, inauguré en deux temps en
1972 et 1975. Le corpus étudié recouvre donc les dix diora-
mas du MET et les six unités écologiques de la galerie
culturelle du MNATP, à travers les photographies et les élé-
ments matériels conservés1. Les limites de l’exercice sont
liées au fait qu’on ne peut s’appuyer que sur ces rares
traces. Les archives et la littérature spécialisée dans le
domaine muséographique (journaux, catalogues, bulle-
tins…) offrent, à travers une lecture historique, des élé-
ments de compréhension des intentions ainsi que des
conditions de production et de réception de ces dispositifs
scénographiques.
Observer les mutations des différents dioramas réalisés
dans ce contexte permet tout d’abord de mieux cerner leur
genèse et leurs sources d’inspiration. Cet exercice met éga-
lement en évidence la cristallisation de trois ingrédients,
apparemment contradictoires, dont le musée est pourtant le
fruit : le contenu scientifique qui constitue son fonds,
l’idéologie politique qui le sous-tend et le dispositif scéno-
graphique qui en offre une grille de lecture concrète et
spectaculaire. On peut légitimement se demander comment
la coexistence de ces trois composantes évolue sur une

1. Les dix dioramas du MET présentent des mannequins de Pontgibaud (Puy-de-


Dôme), d’Attigny (Ardennes), d’Auvergne, de Camargue, de Bourgogne, de Bre-
tagne, des Landes, de Nice, de Provence et de Savoie. Les six unités écologiques
du MNATP présentent : un intérieur de basse Bretagne ; la salle commune de la
maison des Deuffic, à Goulien (Finistère) ; la forge d’Abraham Isnel, de Saint-Véran
(Queyras, Hautes-Alpes) ; l’atelier d’un tourneur, Désiré Louvel (Maine) ; un buron
d’Aubrac ; le cabinet du voyant Belline (Paris). Un septième dispositif présente un
bateau de pêche de Berck mais qui, par sa nature même, n’a pas été déplacé tel
quel de son milieu naturel. Cette évocation, qui joue sur la reconstitution, s’appa-
rente plus à un diorama qu’à une unité écologique.

132 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


durée d’un siècle, dans des contextes historiques différents.
La subtile négociation entre des notions telles que réalité,
vrai, faux, authentique et vraisemblable se trouve au cœur
de cette cohabitation. On peut, enfin, soumettre à l’analyse
comparative les différentes formes de dioramas auxquelles
les deux musées ont donné lieu, en cherchant à faire émer-
ger ce qu’elles ont de fondamentalement semblable et diffé-
rent. De ces constatations pourront émerger des considéra-
tions sur les limites et les atouts de la forme dioramique au
sein du musée.

Genèse et sources d’inspiration

Les Expositions universelles ont influencé la muséographie


de la fin du XIXe  siècle : c’est dans cette continuité que le
diorama est arrivé dans les musées ethnographiques fran-
çais, à partir des premières expérimentations d’Artur
Hazelius, du Nordiska Museet, en Suède, présentées et dif-
fusées lors de l’Exposition universelle de 1878 à Paris
(DeGroff, 2012 : 113-114 ; Dias, 1991 : 175-203 ; Séréna-
Allier, 2016 : s. p.).
Le fait de mêler informations d’ordre scientifique, intentions
pédagogiques et mise en scène spectaculaire n’est toutefois
pas radicalement nouveau en 1878. Depuis près d’un siècle,
et l’invention du panorama par Robert Barker en 1787, dif-
férents entrepreneurs privés, intellectuels, architectes et
artistes se sont demandé comment lier l’utile à l’agréable en
faisant de ce lieu de spectacle qu’est le panorama un
espace qui soit aussi dédié à l’enseignement populaire
(Besse, 2003 ; Thomine-Berrada, 2015 : 30-35). La conver-
gence et la familiarité entre panorama et diorama ne sont
jamais aussi grandes que lorsque, comme dans le panorama
Bourbaki, inauguré en 1881 et aujourd’hui exposé à
Lucerne, des objets réels viennent animer le faux terrain en
avant de la peinture monumentale circulaire, confortant l’il-
lusion d’un spectacle (Finck & Ganz, 2000). Ce jeu d’illu-
sion pourrait être considéré comme l’héritage de l’art
baroque italien, qui mêle également peinture en trompe-
l’œil, sculpture et architecture (Blanc, 2015 : 106-113). La

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 133


première question que posent conjointement panoramas et
dioramas touche donc à la limite entre le vrai et le faux,
l’objet authentique et le décor créé autour de lui. Dans le
cas du panorama, l’objet réel est un accessoire de la repré-
sentation générale ; dans le diorama, c’est l’inverse : le
décor est utile à la mise en scène de l’objet.
La présence de mannequins dans les premiers dioramas du
MET (figure 1) autorise un autre parallélisme avec les
musées de personnages en cire, inaugurés dès la fin du
XVIIIe siècle par Madame Tussaud, d’abord en France puis
en Angleterre, après la Révolution. Le musée permanent de
Madame Tussaud est ouvert à Londres en 1835, bien avant
la vague de créations de musées de cire en Europe, des
années 1880-1890 (Sandberg, 2002 : 18-26).
Géographiquement et chronologiquement le plus proche
du MET, le musée Grévin est inauguré à Paris en 1882, avec
un certain nombre de scènes historiques reconstituées, un
soin attentif porté à la qualité des décors et le même sensa-
tionnalisme de la vraisemblance mise en œuvre avec soin
(Schwartz, 1995, 2017 : 50-52 ; Martinez, 2017).

Figure 1. Section française du Musée d’Ethnographie du


Trocadéro, Scène d’intérieur : mannequins en costume
de Bretagne, Paris, 1884-1928, photographie anonyme,
ph.1962.205.3 © Mucem

134 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Pour cette première période allant de 1878 à 1928, les
Expositions universelles, les panoramas et les musées de
cire partagent un certain nombre d’enjeux (politiques,
esthétiques, pédagogiques, éducatifs…) avec les dioramas
de la salle de France, inaugurés en 1884 au sein du musée
d’Ethnographie du Trocadéro. Ils ont pu leur servir de
source d’inspiration plus ou moins directe ou de prolonge-
ment. L’invention du cinéma dans les dernières années du
XIXe siècle et l’obsolescence progressive des panoramas qui
en découle sont contemporaines du sentiment de désué-
tude que suscitent peu à peu les premiers dioramas du
MET. La décision de les supprimer est liée au rejet plus
général de la muséographie de la salle de France de 1884.
sa nomination à la direction du MET en 1928, Paul Rivet
ferme la salle de France et nomme l’année suivante
Georges-Henri Rivière comme adjoint : autant de signaux
qui témoignent d’une volonté de rupture franche. Les
années 1920 et 1930 sont en effet marquées en France par
un contexte général de rénovation des musées et de la
muséographie : on passe d’un goût marqué par l’accumula-
tion d’objets réunis dans un dispositif touffu à une esthé-
tique épurée, dont l’ordonnancement est dicté par les
connaissances scientifiques les plus actualisées. Le Bulletin
des musées de France se fait l’écho de cette mutation avec
des doubles pages à but démonstratif, confrontant l’état de
la muséographie avant et après rénovation (Anonyme,
1934 : 24-30). Porté par ce mouvement général, le MET
accomplit lui aussi sa mue.
Dans le journal Comœdia du 19 juin 1932, un article sur
l’exposition des bronzes et ivoires du Bénin démontre que
Rivière a su rapidement créer des liens entre le MET et les
artistes de son temps, faisant entrer le musée du Trocadéro
de plain-pied dans la modernité. Intitulé « De M. de Monzie
à M. Matisse, tout Paris a défilé au Trocadéro », ce texte
indique comment il a su transformer en profondeur le MET
« qui était, il y a peu d’années encore, un tombeau »
(Anonyme, 1932 : 3). Il est donc essentiel de comprendre
en quoi la muséographie de Rivière apparaît alors si inno-
vante, si moderne, et en opposition avec la majorité des
pratiques de l’époque.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 135


Inspirée par ses voyages, la perspective de Rivière se dis-
tingue d’autres visions du musée plus marquées par une
approche propre aux beaux-arts. Dans les années 1930, les
débats dans le monde des musées sont vifs, et les prises de
positions contradictoires se succèdent. Un article intitulé
« Musées pour le peuple », du 28 octobre 1936, en témoigne
de manière aiguë tout en révélant les prémices de ce qui va
devenir l’unité écologique :
« Deux thèses s’affrontaient, […] Rivière, les yeux remplis
de ce qu’un récent voyage en Russie lui avait “révélé”
disait-il, exposa la première. C’est la présentation en
quelque sorte matérialiste des collections dont se compose
le musée, présentation qui cherche à mettre l’accent spé-
cialement sur les “conditions” de la production des
œuvres, c’est la mise en valeur des vieux facteurs histo-
riques déterminants de Taine, le milieu, la race et le
moment. Pour “expliquer” les tableaux des Le Nain par
exemple, on les environnera de documents se rapportant
à la vie paysanne au XVIIe siècle. Pour “expliquer” [l’]Art
romantique, on le fera précéder de documents sur les
Guerres du Premier Empire, illustrant un passage célèbre
de la Confession d’un enfant du siècle. Ainsi, concluait le
conférencier, le musée paraîtra plus “dynamique”, plus
“vivant”. Il sera également plus accessible au public
moyen.
L’autre thèse, que nous pourrions appeler “le point de vue
de la sensibilité”, fut défendue brillamment par les conser-
vateurs du Louvre » (Lemoine, 1936 : 5).

Dans les années 1940 et 1950, le discours de Rivière se pré-


cise pour définir des environnements muséographiques
comme des « tranches de réalités » (Bouiller & Calafat,
2017a : 210-214). Ils apparaissent en contrepoint d’autres
propositions muséographiques plus systématiques : « Des
méthodes d’exposition s’expérimentent et s’élaborent, qui
vont de l’exposition systématique par techniques de fabrica-
tion, fonctions techniques, économiques, sociales, idéolo-
giques, styles et motifs artistiques, époques, complexes
culturels, etc., jusqu’à la présentation de tranches de réali-
tés » (Rivière, 1946 : 26). L’enjeu est d’apporter dans l’en-
ceinte du musée, par le truchement de ces dernières, des
exemples caractéristiques d’un lieu, d’un moment et d’un
milieu social, puis de les accompagner par la documenta-
tion nécessaire. Il est précisé en note de bas de page qu’il

136 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


s’agit de « l’équivalent des restitutions établies par Vergnet-
Ruiz et l’architecte M. Bitterlin avec la plus grande rigueur
scientifique, à l’aide des anciens inventaires, dans les appar-
tements royaux et impériaux de Compiègne » (ibid. : 26)2.
Dans le Bulletin des musées de France, Jean Vergnet-Ruiz
est l’auteur d’un article sur le château de Compiègne,
sous-titré : « Essai d’une doctrine de restitution des apparte-
ments historiques ». En 1946, ce travail est encore unique
en son genre :
« La conservation du musée national de Compiègne vient
d’entreprendre un important travail scientifique ; il consti-
tue le premier essai en France de restitution historique
totale du cadre de la vie des anciens souverains dans les
parties ouvertes au public d’une demeure de la Couronne,
en fonction d’un décor mural subsistant pour chaque salle,
des événements historiques qui s’y déroulèrent ou des
possibilités mobilières » (Vergnet-Ruiz, 1946 : 15).

Il précise qu’il s’agit d’« une restitution historique totale des


grands appartements en instaurant une discipline scienti-
fique rigoureuse qui ne paraît jamais avoir été systémati-
quement appliquée en France ni à l’étranger ». Dans l’ar-
ticle, Vergnet-Ruiz précise la méthodologie adoptée : « n’ex-
poser dans une salle déterminée que les objets, meubles,
tentures, etc., ayant figuré ensemble à une date donnée
dans cette salle, à l’exclusion d’aucun autre objet, quel
qu’en puisse être l’intérêt ou la beauté, même s’il a figuré
dans cette même salle à une autre date » (ibid.). Cette pro-
position muséographique possède une visée aussi immer-
sive que les unités écologiques. Elle propose aux visiteurs
une approche pédagogique et concrète, leur offrant
presque l’illusion de se déplacer dans le temps, du fait de
son souci scientifique à contextualiser et à historiciser.
Vergnet-Ruiz insiste ainsi sur la valeur exemplaire de cette
proposition :
« L’intérêt historique et très souvent la beauté des restitu-
tions, où le rapport des formes, des matières et des cou-
leurs apparaît comme une précieuse leçon de goût des
anciens (certains ensembles étonnent, d’autres sont d’une

2. Il est à noter que Georges-Henri Rivière a participé à la conception des salles


de synthèse historique, qui précèdent la visite des appartements, sur l’histoire du
château de Compiègne. Il a contribué à la mise en place des méthodes historiques
et muséographiques employées pour la restitution des appartements.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 137


qualité presque émouvante), doivent forcément emporter
les hésitations et lever les obstacles » (ibid.).

Les éléments de comparaison avec les unités écologiques


sont nombreux : volonté de renouvellement muséogra-
phique, démarche scientifique rigoureuse strictement reven-
diquée, exemplarité pédagogique définie comme un but à
atteindre, dimension spectaculaire et séduisante parfaite-
ment assumée. Pour Rivière, les unités écologiques,
ensembles concrets, réels, tirés de la vraie vie, répondent à
ces quatre objectifs. Elles possèdent bien sûr une valeur
éducative, mais sont également défendues comme étant des
éléments attrayants du futur musée3.
La démarche de collecte qui débouche sur la création des
unités écologiques se met en place petit à petit après la
Deuxième Guerre mondiale (Bouiller & Calafat, 2017a :
212). La première, celle du tourneur sur bois, est acquise en
1965. Outre le modèle historique de Compiègne, la métho-
dologie s’apparente délibérément à celle de l’archéologue.
Afin de donner un caractère scientifique à la collecte,
Rivière insiste sur la phase de prélèvement des objets
authentiques, au sein d’un milieu, dans leur écologie :
« À l’exemple de l’archéologue, nous fouillons un terrain :
un terrain social, qui a lui aussi ses gisements et sa stra-
tigraphie, dont l’exploitation savante exige prélèvements
de contexte, analyses, patientes notations. Éclairant les
apports de la découverte, toute une documentation est à
produire par le chercheur et ses techniciens : journal
d’opération, inventaires, fiches, relevés, photos et films de
l’inanimé, dont nous partageons les méthodes avec l’ar-
chéologue, photos, films, phonogrammes du vif, propres à
l’ethnologue4. »

3. « Du moins, à présent, sommes-nous assurés de posséder dans peu d’années,


au voisinage immédiat du Jardin d’acclimatation, un édifice à la mesure de notre
programme national. Notre politique d’acquisition s’en trouvera encouragée, voire
développée. Car il nous est désormais possible, sans risquer de les enfouir dans
un sous-sol inaccessible faute de place pour les exposer, de recréer ces ensembles
concrets – intérieurs de demeures paysannes, ateliers d’artisans préindustriels – qui
nous faisaient défaut jusqu’ici et dont la présence donnera toute leur valeur éduca-
tive, et avec elle plus d’attraits, à nos futures galeries » (Georges-Henri Rivière, 1955,
notes tapuscrites, « Avant-propos », in Catalogue nouvelles acquisitions. Exposition
« Chefs-d’œuvre de l’art populaire en France » [AN 690AP159]).
4. Georges-Henri Rivière, 7 nov. 1961, « Politique d’accroissement des collections du
musée des Arts et Traditions populaires » (AN 690AP).

138 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Ce recours appuyé au vocabulaire scientifique de l’archéo-
logie, les profils de chercheurs et de techniciens mis en
avant, l’arsenal d’outils documentaires, traduisent un certain
rapport à la réalité qui ne laisse guère de place à l’approxi-
matif ou à l’improvisation. Inspirée des travaux d’André
Leroi-Gourhan sur le site de Pincevent, l’unité écologique
témoigne de la volonté de Georges-Henri Rivière d’explici-
ter les objets dans leurs relations avec les hommes et leur
milieu naturel. Son objectif est de donner à voir les objets
dans leur contexte, ce qui nécessite un exercice préalable
rigoureux in situ, proche de la fouille en archéologie. En
1973, Georges-Henri Rivière en arrive ainsi à cette défini-
tion :
« Les choses réelles intégrées, ce sont les objets ayant par-
ticipé d’un même milieu, acquises dans leur intégrité ou
regroupées par le musée, qu’on peut dire “unités écolo-
giques”. Interprétés de même, décodés par le visiteur, ils
témoignent de l’environnement humain, avec plus d’inten-
sité que ne le font les choses réelles isolées » (Rivière,
1973 : s. p.).

Pour Compiègne comme pour l’archéologue, c’est la réalité


historique, les documents d’archives, les objets authen-
tiques collectés et les faits du terrain qui dictent sa conduite
au chercheur, devenu muséographe. C’est donc sur cette
notion même de réalité, telle qu’elle est modélisée par les
différents types de dioramas, qu’il faut se concentrer.

L’authentique et le vraisemblable

La réception des dioramas de la salle de France du MET,


ouverte en 1884, offre un témoignage qui va dans le sens
de la puissance du jeu de vraisemblance, très à la mode
dans cette décennie 1880 (Papet, 2018) :
« Dans une grande salle bien éclairée, quelques femmes
bretonnes et frisonnes, et un intérieur breton de grandeur
naturelle, frappant de vérité. Tout y est, pots, lits en forme
d’armoires de bois ouvragé, et le vieux grand-père, tou-
jours gelé, assis dans l’âtre même du foyer. Ce décor, très
bien réglé, a le don d’attirer la foule » (Lami, 1886 : 727).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 139


On comprend entre les lignes que le caractère scientifique
de la proposition muséographique n’est pas particulière-
ment mis en avant. Ce qui est remarquable, c’est avant tout
l’aspect pittoresque d’un patrimoine qui est alors déjà consi-
déré comme un héritage en perdition (DeGroff, 2012 : 126-
129).
Le goût pour la reconstitution de la réalité est accentué par
la présence de mannequins en costumes qui animent et
rendent attrayantes les scènes. Les personnages sont repré-
sentés non seulement par leur costume, mais aussi par leur
« type » physique, selon les travaux d’anthropologie phy-
sique alors en plein développement (figure 2). Les têtes des
mannequins sont bien moulées « sur nature », comme nous
l’apprennent les devis des entreprises commanditées5. Le
souci du détail et du sensationnel est poussé très loin grâce
au choix de ces entreprises, qui appartiennent pour cer-
taines au monde du spectacle vivant (comme, par exemple,
le perruquier Dieudonné, par ailleurs fournisseur de la
Comédie-Française), davantage qu’à celui de la sculpture
polychrome, pourtant en plein développement dans cette
décennie. On perçoit ici, sous-jacente, la tension habituelle
autour des questions de muséologie, oscillant entre scienti-
ficité et spectaculaire, l’éducation du citoyen demeurant la
finalité de cet équilibre à trouver entre l’un et l’autre.
Si les outils et subterfuges du monde du spectacle vivant
sont exploités par les muséographes, ils demeurent claire-
ment, dans l’esprit de leurs utilisateurs, comme des outils
au service de la science et de la diffusion de cette dernière.
Les archives conservées sur le projet de musée sont éclai-
rantes à ce sujet, et pour comprendre la vocation que le
MET s’assigne dès sa création. Le docteur Ernest Hamy
s’adresse ainsi au ministre de l’Instruction publique :
« Les services qu’est appelé à rendre le musée spécial dont
la création est sollicitée à Paris depuis près d’un siècle
sont de divers ordres. En effet, les collections ethnogra-
phiques ne sont point seulement utiles à la connaissance

5. Entreprise Hébert, « mouleur éditeur » (fabricant de mannequins) ; entreprise


Wagner (fournisseur des yeux) ; entreprise Dieudonné, perruquier de théâtre (four-
nisseur des perruques des mannequins) (Archives nationales, dossier comptabilité,
AN F/17/3847/1).

140 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Figure 2. Tête de mannequin de la section française du
Musée d’Ethnographie du Trocadéro, Paris, vers 1884,
Mucem, 2018.41.2 © Mucem

de l’anthropologie […] elles contribuent en outre dans une


large mesure aux progrès des autres sciences naturelles et
sont appelées à fournir des renseignements parfois fort
précieux aux économistes, aux commerçants, aux indus-
triels, aux artistes6. »

Comme pour certains panoramas à vocation pédagogique,


le but affiché d’une éducation citoyenne et populaire
demeure la finalité ultime du projet muséographique. Il est
intéressant de souligner que le musée est revendiqué
comme n’étant « point seulement » un outil scientifique. Ce
fait peut expliquer les compromis voire les compromissions
des muséographes avec les divers outils du monde du
spectacle. Tout se passe comme si les accommodements
avec la réalité (comme la création de mannequins illusion-
nistes) étaient acceptables pour autant que les subterfuges
cherchent au maximum à faire oublier qu’ils en sont (par
exemple en s’appuyant sur la méthodologie de l’anthropo-
logie physique pour mouler sur nature les visages des man-
nequins), et pour autant que leur but demeure de rendre

6. Ernest Hamy, s. d., « Rapport sur le Musée ethnographique présenté à Monsieur


le ministre de l’Instruction publique au nom de la commission spéciale »
(AN F/17/3846).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 141


accessible une connaissance. La transmission du savoir à un
large auditoire prend la priorité sur l’accumulation ou la
préservation du savoir lui-même.
Les Expositions universelles de Paris de 1855, 1867, 1878 et
1900 manifestent également cette volonté de mise en valeur
spectaculaire. Comme on l’a vu, elles peuvent être considé-
rées comme la principale source d’inspiration des dioramas
du MET grâce aux véritables préparatifs et aux expérimen-
tations concrètes auxquels elles donnent lieu (voir note 1).
Mais elles peuvent apparaître aussi comme des prolonge-
ments de ce qui est proposé dans la salle de France,
comme en témoignent par exemple les échanges de corres-
pondance entre les ministères à l’occasion de l’Exposition
de 1900.
Cette année-là, Jules Sain, délégué du ministère de l’Agri-
culture, rédige le Musée rétrospectif du groupe VII
– Agriculture – à l’Exposition universelle internationale de
1900 à Paris. La muséologie proposée ici semble corres-
pondre à une immersion dans les provinces françaises,
dans une vision homogénéisante du monde rural. Il s’agit
en effet d’englober toute la paysannerie et ses différents
domaines : « Les objets se rapportent à l’agriculture géné-
rale, à la viticulture et à l’œnologie, aux cultures diverses, à
l’élevage, à la laiterie et à la fromagerie, aux industries agri-
coles, etc. » En outre, Jules Sain décline tout un champ lexi-
cal autour de la curiosité et de l’attractivité :
« Les objets […] étaient exposés dans de pittoresques bâti-
ments de ferme, reconstitués d’après d’anciens types
curieux de diverses régions de France, appropriés à
chaque genre et artistement entourés de feuillage et de
verdure. Cette sorte de petit village était animé par des
groupes de mannequins vêtus des costumes des provinces
françaises et représentant les diverses scènes de la vie des
champs dans l’emploi usuel de l’outillage ancien » (Sain,
1903 : 5).

Il ajoute :
« C’était ici, sous un vieux hangar à la charpente vermou-
lue reposant sur de rustiques piliers de pierre, un gamin
d’une douzaine d’années venant quérir au milieu d’une
quantité de charrues, de herses, etc., de toutes les contrées

142 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


de France, un semoir à brouette d’un singulier modèle,
pendant qu’un paysan grimpé sur une échelle décrochait
du plancher où ils étaient pendus en grand nombre et fort
variés les outils dont il avait besoin » (ibid.).

Ce caractère vivant est ce qui manque aux dioramas du


MET, mais on saisit ici le glissement entre les mannequins
évoqués et les acteurs réels employés temporairement pour
l’Exposition universelle. On perçoit également les liens qui
existent entre dioramas et exhibitions d’êtres humains
vivants telles qu’elles ont pu se développer aux XIXe et
XXe siècles (Snoep et al., 2011 ; Bouiller & Calafat, 2017b :
41 ; Étienne, 2017 : 186-193). La portée politique des pro-
pos tenus, des discours et des projets développés à l’occa-
sion de ces Expositions universelles apparaît ainsi de
manière assez évidente et peut aussi valoir pour les diora-
mas. La réalité ainsi représentée revêt une dimension figée
et fantasmatique, elle-même en contradiction avec le
monde réel. Si le diorama cherche à fixer le réel, ce dernier
est au contraire toujours en mouvement. S’il en donne une
image fantasmée (propre, claire et nette, sans nuance pos-
sible, sans trace de mélange, ne souffrant pas l’exception
qui confirme la règle, allant jusqu’à chercher des acteurs
qui jouent leur propre rôle dans les décors reconstitués des
Expositions universelles), cette dernière ne permet jamais,
en définitive, de rendre compte de la complexité et de
l’étendue de la réalité. Cette disruption avec le monde réel
explique d’ailleurs sans doute en partie la propension du
diorama à apparaître plus ou moins rapidement suranné.
Lorsqu’en 1936 Rivière défend son projet d’un musée fran-
çais des Arts et Traditions populaires lors d’un cours de
muséologie à l’École du Louvre, il l’associe à la question
des musées de plein air et insiste à nouveau lui aussi sur
une approche globale de la réalité. Les exemples des
musées au Danemark, en Suède et en Norvège alimentent
sa réflexion. Le cas de Skansen, créé par Artur Hazelius, est
cité pour « nous faire étudier par les yeux la vie et la civili-
sation des temps anciens. Les objets ne sont pas […] isolés,
comme dans une collection scientifique, mais ils sont grou-
pés de manière à former un tableau général. Nous voyons
la chambre entière avec son mobilier et tout son contenu »
(Rivière, 1936 : 63).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 143


Dans ces propos, la notion de « tableau général » semble
être assez proche de certaines propositions d’acquisitions
du MET, assez rares pour être soulignées. Le premier
exemple dans les dossiers d’œuvres du MET date de 1907,
lorsque Mme Landrin lance une enquête sur l’assistance
publique : elle parle déjà de « tableaux ». Tels et tels objets
sont à collecter car ils pourront prendre place dans un dis-
cours qui passera par une succession de tableaux7. Le
modèle de l’enquête est nouveau en 1907 et très idéolo-
gique. Ce n’est pas l’intérêt pour le contexte qui est mani-
festé ici, mais pour le discours que l’objet peut permettre
de véhiculer, par exemple ici le quatrième et dernier
tableau : « Les enfants abandonnés recueillis par la
République élevés à ses frais, sont enrôlés pour la défense
de la Patrie. » Si Rivière innove en matière de muséographie
par rapport au MET, ce n’est pas tant sur ce point de l’idéo-
logie du contexte que sur la méthode destinée à produire
les nouvelles offres muséographiques. Cette méthode fait
une large place à des savoir-faire spécifiques exogènes au
monde des musées (architectes, décorateurs…) et à une
approche scientifique pluridisciplinaire (géographes,
archéologues…).
Quand en 1939, l’ethnologie est à l’honneur au pavillon
français de l’Exposition universelle de New York, Rivière
s’associe à l’architecte Guy Pison (figure 3). Afin de recons-
tituer des intérieurs français typiques (arlésien ou breton,
par exemple), la combinaison de l’ethnologue-conservateur
et de l’architecte semble nouvelle et promise à un avenir
que la muséologie actuelle n’a pas désavoué. Cette exposi-
tion de 1939 fait d’ailleurs également la part belle à l’archi-
tecture vernaculaire, avant même les chantiers intellectuels
de l’« Enquête sur l’architecture rurale » (EAR), menés en
France dans les années 1940. Les maquettes sont un
modèle de présentation presque indispensable pour donner
à voir en trois dimensions ce patrimoine bâti dans une
exposition. Les savoir-faire d’architecte d’intérieur ou de
scénographe, très tôt compris comme nécessaires par
Rivière, sont ainsi parmi les premiers à être mobilisés.

7. « On a pensé qu’il y avait lieu de présenter aux regards des visiteurs quelques
tableaux ou scènes », dossier d’œuvre 1907.3 (Mucem, Marseille).

144 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Figure 3. Pavillon français, section du tourisme : le Musée
paysan. Intérieur de la Basse-Bretagne présenté avec le
concours du Musée des Arts décoratifs de Nantes lors de
l’Exposition internationale et universelle de New-York en 1939,
photographie de John Towse, ph.1941.18.14 © Mucem

Quant au métier de peintre-décorateur, indispensable pour


la mise en œuvre concrète des unités écologiques, il
semble qu’il soit encore pleinement d’actualité dans ces
années 1930, comme en témoigne cette incise d’Arsène
Alexandre, soulignant l’entremêlement des vertus décora-
tives et pédagogiques, documentaires et enchanteresses,
des grandes peintures réalisées dans l’esprit de reconstitu-
tion :
« Si nous commençons par les travaux auxquels on n’ac-
corde pas, peut-être à tort, un rang dans la hiérarchie des
arts égal à la fascination qu’ils exercent sur le public, c’est-
à-dire pour les nommer, les dioramas, il en est de vrai-
ment séduisants. On y est, diront les bonnes gens. Ce n’est
pas un mince mérite que de faire d’aussi admirables repor-
tages » (Alexandre, 1931 : 231).

À la différence des dioramas de la salle de France au MET,


les unités écologiques de la galerie culturelle du MNATP ne
sont pas des modélisations ou des projections de l’image
que l’on peut se faire de tel ou tel lieu, telle ou telle entité
culturelle. Elles sont au contraire définies dans leur

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 145


hyper-réalité propre et concrète (Cuisenier, 1987 ;
Desvallées, 1992, 2009 ; Rolland-Villemot, 2016 ; Tamarozzi,
2017). La documentation qui les accompagne (carte géogra-
phique, relevés, photographies, entretiens…) témoigne de
cet ancrage dans le réel le plus identifié et le moins fantas-
matique possible. Ce sont des « spécimens issus de la
nature et des objets issus de l’homme8 ».
Dans les faits, le principe de reconstitutions intégrales
demeure un leurre. Ces objets réels prélevés dans la vraie
vie deviennent et demeurent des objets appartenant au lan-
gage du musée, avec toutes les problématiques pratiques
qu’ils posent : accumulation d’un grand nombre d’items,
conservation de matériaux fragiles, précautions à prendre
pour leur installation… L’unité écologique reste également
un médium spécifique dans l’exposition, avec toutes les
contraintes de cette dernière : nécessité de ménager une
grande baie dans un mur pour permettre aux visiteurs
d’embrasser l’intégralité d’une pièce, nécessité de reconsti-
tuer certains éléments architecturaux non transportables,
impossibilité de conserver les matières périssables (pain,
fromage… qui vont devoir être reconstitués en matériaux
pérennes).
De nouveau se pose la question de la limite entre le vrai, le
décor reconstitué, le faux vraisemblable ajouté au réel (par
exemple un fer peint imitant le fer rougeoyant dans la forge
du forgeron). La rigueur scientifique ne permet pas d’être
absolument fidèle au principe d’une réalité exactement
déplacée dans le musée. Le simple phénomène du déplace-
ment est lui-même antinaturel et s’ajoute aux hasards de
l’enquête, à l’arbitraire du choix du spécimen prélevé, au
caractère figé dans le temps (figure 4).
La force de l’unité écologique ne réside donc sans doute
pas dans les « progrès » que sa méthode de création lui a
permis de réaliser par rapport aux premiers dioramas du
MET. En revanche, elle pousse très loin la réflexion sur le
développement d’une méthodologie rigoureusement scien-
tifique qui prend en compte l’influence de l’observateur sur

8. Georges-Henri Rivière, 1970, notes tapuscrites, « Muséologie générale contempo-


raine – Fonctions du musée : éducation et exposition » (AN 690AP).

146 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Figure 4. Intérieur de la salle principale d’une ferme
photographié, enquête en Basse-Bretagne du MnATP, 21 juillet
1939, Chez les Kintrek à Surzur, photographie de Jeannine
Auboyer, ph.1940.2.94 © Mucem

Figure 5. Unité écologique de la salle commune de la maison


de Catherine et Guillaume Deuffic vers 1939, Goulien, Finistère,
vue de la galerie culturelle du MNATP, 2005, photographie de
Danièle Adam, php.2005.3.280 © Mucem

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 147


le terrain observé ; sur les techniques modernes de prélève-
ment « objectif » d’un fragment d’hyper-réalité ; sur les tech-
niques modernes de restitution de cette réalité au sein du
musée (jeu d’éclairage, spectacle son et lumière…) ; sur
l’expérimentation de la pluridisciplinarité pour aborder des
sujets aussi complexes (figure 5). Le fait même que le
déplacement de la réalité puisse apparaître comme un
leurre n’est peut-être pas dénué d’intérêt. C’est exactement
dans les mêmes années que beaucoup d’artistes contempo-
rains développent une réflexion approfondie sur les liens
entre l’art et la rue, sur le glissement ténu entre le réel et
l’artefact, sur l’art comme expérience vécue, et l’œuvre
comme truchement d’un certain rapport à la réalité.

Les ateliers d’artistes :


une nouvelle forme de dioramas ?

Après avoir évoqué la genèse des unités écologiques entre


1937 et 1975, et tenté de comprendre leurs liens avec
l’émergence simultanée de la notion d’installation dans le
champ de l’art contemporain (Bouiller & Calafat, 2017b :
36-55), nous proposons de les voir avant tout comme un
phénomène éminemment de leur temps. Le jeu d’ambiguïté
qu’elles entretiennent avec la réalité, le rôle d’attraction
spectaculaire qu’elles assument parfaitement, autorisent à
chercher leurs reflets conceptuels et matériels dans quatre
exemples de dioramas des mêmes années, mais apparte-
nant au champ des musées et galeries d’art contemporain.
En 1957, à sa mort, Constantin Brancusi lègue à l’État fran-
çais la totalité de son atelier avec tout son contenu, sous
réserve que le musée national d’Art moderne s’engage à le
reconstituer tel quel. Une première restitution partielle est
réalisée au sein de ce dernier au Palais de Tokyo en 1962.
Une reconstitution intégrale est ensuite présentée entre
1977 et 1990 à proximité du Centre Pompidou, avant que
Renzo Piano ne conçoive une architecture spécifique pour
lui en 1997, incluant des espaces de circulation spécifiques
pour les visiteurs (Tabart, 1997). Durant quarante ans, les
vicissitudes liées à la complexité de la conservation et de la

148 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


présentation au public de cet atelier « dans son jus »
témoignent de la difficulté pour une institution muséale
d’accompagner la transformation d’un ensemble complexe,
depuis son statut d’objet réel à celui d’objet muséifié. Mais
cette expérience fondatrice est peut-être une de celles qui
ont contribué à faire basculer les problématiques de l’unité
écologique du champ des musées d’ethnographie à ceux
des musées d’art, soulignant l’importance du in situ, de
l’idée d’œuvre d’art totale ou du dialogue entre les œuvres
pour les artistes (Rodriguez, 2002 : 132-138).
C’est en 1975, l’année même de l’inauguration des unités
écologiques au MNATP, que le musée national d’Art
moderne de Paris inscrit sur ses inventaires le Magasin de
Ben, sous le n° AM 1975-185, deux ans avant sa présenta-
tion au public dans le tout nouveau Centre Pompidou. Il
s’agit bien là aussi de prélever un morceau de réalité dans
son entièreté, de la figer, de la déplacer vers le musée et de
la restituer au public en donnant l’illusion d’une fidélité
parfaite à l’original. Les mêmes outils méthodologiques que
ceux de l’unité écologique sont utilisés : relevés, photos,
inventaire précis, entretiens avec le créateur-utilisateur. La
seule différence – de taille – réside dans le fait que ce der-
nier est un artiste de renommée internationale et que sa
boutique, quoique réellement utilisée comme boutique
pendant des années, prend immédiatement le statut
d’œuvre d’art plutôt que de témoin d’une pratique commer-
ciale ordinaire, dont elle n’est en effet pas représentative. Il
reste toutefois saisissant de constater que la même année,
deux dispositifs conceptuels et matériels similaires, donnant
lieu à des processus de prélèvement dans la réalité très
proches, entrent dans les collections des musées nationaux
et que la seule chose qui les distingue concerne l’interpré-
tation qu’on propose de la nature et du statut du fragment
de réalité prélevé et présenté. Il en est même des problé-
matiques de conservation, restauration et remontage qui se
posent dans les années 2010 aux musées responsables de
ces œuvres et qui présentent un certain nombre de conver-
gences théoriques et pratiques9.

9. Voir le séminaire sur le Magasin de Ben organisé par le musée national d’Art
moderne et le Labex CAP, sous la direction de Yaël Kreplack le 12 sept. 2017.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 149


Autre exemple frappant et chronologiquement proche, l’ex-
position d’ouverture Paris / New York qui est inaugurée en
même temps que le Centre Pompidou, à Paris, en 1977, se
présente comme un parcours à travers des œuvres, certes,
mais dans une muséographie originale. Comme au MNATP,
l’architecture du musée est résolument moderne, mais
Pontus-Hultén, le commissaire, n’en profite pas pour écrire
l’exposition sous le signe du pur white cube. Les œuvres
accrochées sur les cimaises sont ponctuées par des alcôves
à l’ambiance non muséale, reconstituant le cabinet d’un col-
lectionneur ou une célèbre galerie new-yorkaise. Alors
même que tout un pan du champ artistique continue de
revendiquer l’autonomie maximale de l’œuvre d’art et sa
présentation dans un contexte le plus neutre possible, l’idée
que l’œuvre puisse aussi s’apprécier dans son environne-
ment « naturel », avec une certaine ambiance, en corrélation
avec d’autres œuvres voire d’autres objets, fait une percée
spectaculaire avec cette exposition (Pontus-Hultén, 1977).
Enfin, c’est en 1979 que l’artiste belge Guillaume Bijl réalise
sa première installation selon un principe de tautologie
avec la réalité. Il s’agit du déplacement d’une salle d’au-
to-école entière dans la galerie Ruimte Z, à Anvers, inaugu-
rée le 20 avril 1979 et accompagnée d’un manifeste deman-
dant l’abolition des centres d’art contemporain. L’artiste les
juge en effet inutiles d’un point de vue économique et sug-
gère leur transformation en espaces commerciaux. Le phé-
nomène du déplacement de la réalité vers la sphère
muséale est cette fois poussé à son comble. Comme la carte
à l’échelle 1/1 de Jorge Luis Borgès10, la réalité envahit ainsi
potentiellement l’entièreté du champ artistique, et l’on ne
peut guère aller plus avant dans l’illusion de la translation
parfaite d’un fragment de réalité ; dans le jeu d’ambiguïté
entre le réel, le faux et le vraisemblable ; dans la cristallisa-
tion du politique, du pédagogique et du scénographique.

10. Borges (Jorge Luis). 1967. L’Aleph [El Aleph, 1949] (trad. de Roger Caillois et
René L.-F. Durand). Paris : Gallimard.

150 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Conclusion
Pour conclure, un siècle après l’ouverture du musée d’Eth-
nographie du Trocadéro, le concept et la forme matérielle
du diorama se retrouvent bien ancrés dans le champ de la
création artistique, en dépit ou grâce à leurs liens avec la
réalité. Pour admettre ce grand écart, il faut regarder l’his-
toire des dioramas des musées nationaux français consacrés
à l’ethnographie de la France comme un continuum sur le
temps long.
Il faut aussi accepter de les mettre en perspective historique
par rapport à leurs sources d’inspiration et à l’esprit de leur
temps, depuis leur création au MET ; leur abandon en
1928 ; la construction, en réaction, de l’unité écologique par
Rivière après 1937 ; sa concrétisation dans la galerie cultu-
relle du MNATP en 1975, jusqu’à leurs ricochets dans l’art
contemporain à la fin des années 1970.
Le fait de considérer les dioramas du MET et les unités éco-
logiques du MNATP comme le fruit de trois ingrédients
hétéroclites (contenu scientifique, idéologie politique, dis-
positif scénographique) permet de reconsidérer ces compo-
santes non comme opposées mais comme intrinsèquement
liées et complémentaires dans l’écriture muséographique.
En adoptant ce point de vue, on comprend mieux les liens
non revendiqués entre les dioramas du MET et les unités
écologiques du MNATP, relevant pourtant d’époques, de
logiques et d’intentions différentes. Leur raison d’être et
leur forme sont pourtant bien les mêmes : il s’agit dans les
deux cas d’un assemblage d’objets authentiques prélevés
dans le monde réel, mis en scène dans un espace muséal
fermé, offert à la vision des visiteurs, avec pour ambition de
rendre compte d’un condensé de réalité.
Ce rapport à la réalité fait du diorama un instrument indis-
sociable d’un certain positivisme. Il semble illustrer une
forme de mirage, utopique et généreux : ses auteurs pos-
sèdent tous, à un moment, l’illusion d’être en mesure de
percevoir la réalité de manière objective et de faire partager
cette vision au plus grand nombre. Ils manifestent une foi
dans la capacité de la réalité à se laisser capturer, résumer
et réduire à une forme matérielle. Mais cette connaissance

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 151


n’est pas pour eux quelque chose de pur, d’enfermé, d’in-
tangible et de réservé. Avec le diorama, ils traduisent aussi
la conviction que le savoir s’élabore, se construit et surtout
n’existe pas en soi s’il n’est pas disséminé largement. Les
dioramas apparaissent ainsi comme des outils de transmis-
sion grâce auxquels les muséographes partagent avec le
public une représentation de la réalité que quelques cher-
cheurs ont forgée d’abord pour eux, entre eux, mais avec la
ferme volonté de s’en ouvrir à tous.
Paradoxalement, c’est grâce à sa dimension créatrice, artis-
tique, que le diorama peut aujourd’hui le mieux échapper
au sentiment de désuétude dans lequel il a été plongé. Sans
vouloir opposer de manière factice l’objectivité scientifique
à la subjectivité artistique, il nous semble que les dioramas
du MET et surtout les unités écologiques du MNATP
peuvent être reconsidérés comme des « installations » qui en
disent autant sur l’état d’esprit de leurs créateurs, sur la
modélisation de la réalité active à leur époque, sur le désir
de partage des connaissances, que sur la réalité qu’ils
entendent subsumer.

Manuscrit reçu le 18 janvier 2018


Version révisée reçue le 31 août 2018
Article accepté pour publication le 21 septembre 2018

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S’approprier le monde / sous la direction de Laurence Madeline et Jean-
Roch Bouiller. Paris : Flammarion.
Vergnet-Ruiz (Jean). 1946. « Château de Compiègne : essai d’une doctrine
de restitution des appartements historiques ». Bulletin des musées de
France, 11e année, 9, novembre, p. 15-23.

Sources et documents
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Trocadéro ». Comœdia, 19 juin, p. 3.
Anonyme. 1934. [Dossier photographique]. Bulletin des musées de
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Alexandre (Arsène). 1931. « La peinture et la sculpture ». La Renaissance, 7,
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Lami (Eugène Oscar). 1886. Dictionnaire encyclopédique et biographique
de l’industrie et des arts industriels (t. II). Paris : Librairie des dic-
tionnaires.
Lemoine (Jean-Gabriel). 1936. « Musées pour le peuple ». L’Écho de Paris,
28 oct., p. 5.

154 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Rivière (George-Henri). 1936. « Les musées de folklore à l’étranger et le
futur “musée français des Arts et Traditions populaires » (conférence pro-
noncée le 28 mars 1936 au cours de muséologie de l’École du Louvre).
Revue du folklore français et de folklore colonial, mai-juin, p. 58-71.
Rivière (Georges-Henri). 1946. « Musée des Arts et Traditions populaires
– Collections d’objets et de documents d’ethnographie française ».
Bulletin des musées de France, 11e année, n° 5, juillet, p. 26-44.
Rivière (Georges-Henri). 1973. « Le musée : instrument pour la prise de
conscience des problèmes de l’environnement – rôle du musée d’art et du
musée de sciences humaines et sociales ». Muséum international, 25(1-2),
p. 26-44.
Sain (Jules). 1903. Musée rétrospectif du groupe VII – Agriculture – à l’Ex-
position universelle internationale de 1900 à Paris (rapport). Saint-
Cloud : Belin frères.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 155


Auteurs

Jean-Roch Bouiller, Mucem


Jean-Roch Bouiller est docteur en histoire de l’art contemporain et
conservateur en chef, responsable du secteur art contemporain au
Mucem, depuis 2011. Il a été commissaire de plusieurs expositions à la
Galerie d’art du Conseil général des Bouches-du-Rhône à Aix-en-
Provence et à Sèvres – Cité de la céramique. Au Mucem, il a été commis-
saire ou commissaire associé des expositions « Au bazar du genre », « La
galerie de la Méditerranée », « Des artistes dans la Cité », « Food », «
Stefanos Tsivopoulos - History zero », « J’aime les panoramas », « Albanie,
1207 km est », « Graff en Méditerranée », « Document bilingue », « Or ». En
plus des catalogues de ces expositions, il a publié de nombreux articles
sur l’art contemporain, sur les écrits d’André Lhote, sujet de sa thèse de
doctorat, et, avec Françoise Levaillant et Dario Gamboni un livre sur Les
bibliothèques d’artistes, XXe-XXIe siècles.
Courriel : jean-roch.bouiller@mucem.org

Marie-Charlotte Calafat, Mucem


Marie-Charlotte Calafat est adjointe du département des collections et des
ressources documentaires du Mucem, responsable du pôle documentaire
et du secteur Histoire du Musée. Au Mucem, elle a été commissaire ou
commissaire associée des expositions « Document bilingue », « Roman-
Photo » et « Georges Henri Rivière. Voir, c’est comprendre ». Elle est
membre du comité de rédaction de la revue Techniques & Culture.
Courriel : marie-charlotte.calafat@mucem.org

156 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Résumés

Dioramas ethnographiques et unités écologiques : La mise en


scène de la vie quotidienne au musée d’Ethnographie du
Trocadéro et au musée national des Arts et Traditions
populaires
Cet article a pour objet l’étude et la mise en perspective historique des
dioramas et unités écologiques réalisés dans les deux musées nationaux
français consacrés à l’ethnographie de la France, entre 1878 et 1978 : le
musée d’Ethnographie du Trocadéro (MET) puis le musée national des
Arts et Traditions populaires (MNATP), à Paris. Il essaye tout d’abord de
saisir l’esprit du temps qui les a inspirés et dont ils sont les témoins :
influence des Expositions universelles, des panoramas, des musées de
mannequins de cire, des recherches archéologiques, des recherches his-
toriques conduisant aux period rooms, etc. Il cherche ensuite à com-
prendre les liens ambigus que ces dispositifs scénographiques entre-
tiennent avec la réalité, sa représentation et l’illusion de sa restitution
fidèle. Il souligne enfin les points de convergences de ces éléments iden-
titaires, propres aux dioramas et aux unités écologiques, avec le dévelop-
pement de l’installation dans le champ de l’art contemporain, dans la
deuxième moitié du XXe siècle.
Mots-clés
Dioramas, unités écologiques, ethnographie, muséographie,
scénographie

Ethnographic dioramas and ecological units: Staging daily life


at the Trocadero Museum of ethnography and the National
Museum of popular arts and traditions
This article studies in historical perspective dioramas and ecological units
produced in two French national museums devoted to French ethnogra-
phy between 1878 and 1978: the Musée d’ethnographie du Trocadéro
(MET) and the Musée national des arts et traditions populaires (MNATP)
in Paris. First of all, we try to understand which elements of context
could inspire them: Universal Exhibitions, panoramas, wax model
museums, archaeological research, historical research and period rooms,
etc. We also are interested in ambiguous links between these scenogra-
phic devices and reality, representation of reality and illusion of its faith-
ful reproduction. Finally, it highlights the points of convergence between
dioramas and ecological units with the development of installation in the
field of contemporary art in the second half of the 20th century.
Keywords
Dioramas, ecological units, ethnography, museography, scenography

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 157


Dioramas etnográficos y unidades ecológicas: La puesta en
escena de la vida cotidiana en el Museo Etnográfico del
Trocadero y en el Museo Nacional de Artes y Tradiciones
Populares
Este artículo tiene como objetivo estudiar y poner en perspectiva históri-
ca los dioramas y unidades ecológicas realizadas en los dos museos
nacionales franceses dedicados a la etnografía de Francia, entre 1878 y
1978: el Museo Etnográfico del Trocadero (MET) y el Museo Nacional de
Artes y Tradiciones Populares (MNATP) en París. En primer lugar, trata
de captar el espíritu de la época que los inspiró y de los cuales son testi-
gos: la influencia de las Exposiciones universales, de los panoramas, de
los museos de figuras de cera, de investigaciones arqueológicas e investi-
gaciones históricas que conducen a los period room (salas de época),
etc. Luego busca comprender los vínculos ambiguos que estos disposi-
tivos escenográficos mantienen con la realidad, su representación y la
ilusión de su reproducción fiel. Finalmente, subraya los puntos de
convergencia de estos elementos identitarios, específicos de los dioramas
y unidades ecológicas, con el desarrollo de la instalación en el campo
del arte contemporáneo, en la segunda mitad del siglo XX.
Palabras claves
Dioramas, unidades ecológicas, etnografía, museografía, escenografía

158 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


TRAVAUX & NOTES DE RECHERCHE
EXPÉRIENCES & POINTS DE VUE
VISITES D’EXPOSITION
N OT E D E R E C H E R C H E

Retour à l’ordre ?
Injonctions et
contournements dans les
dioramas du Musée polaire
de Leningrad (1933-1937)

Sam Omans
New-York University, Institute of
Fine Arts,

Xenia Vytuleva
ETH Zurich

Dans l’ex-URSS, la scénographie était Parmi ces derniers, on trouve le Musée


considérée comme une pratique artistique. polaire de Leningrad, conçu en 1930
S ’ i n s c r i va n t d a n s l a t ra d i t i o n d e s comme le fer de lance de l’Institut pour les
Expositions internationales du XIXe  siècle études du Nord de l’URSS, une région très
–  poursuivie par les avant-gardes des peu peuplée située au nord du cercle
années 1920  –, les scénographes de arctique (Andreev et  al., 2012  : 4-10). Le
l’entre-deux-guerres se sont inspirés des Musée se voit confier la tâche d’éduquer et
concepts esthétiques et théoriques des d’informer les populations urbaines au
courants de l’art contemporain. Le sujet de cette région. Initialement,
tournant réaliste dans l’art européen l’institution était dirigée par Nikolai
trouve son apogée en Russie avec Pinyegin, un peintre académique, et en
l ’ i n t ro d u c t i o n d ’ u n e m é t h o d o l o g i e 1933, de nouvelles galeries sont projetées,
officielle de l’État en 1934. En avec l’installation de dioramas pour mettre
conséquence, le réalisme socialiste qui en scène cette histoire.
avait marqué la littérature s’étend à
l’ensemble des domaines de la production Le concept d’immersion développé par
culturelle. Les artistes aspirent alors à Florence Belaën montre l’essor des
représenter l’URSS comme une puissance techniques scénographiques dans les
industrielle de premier rang. Pour ce faire, musées destinés à «  attirer le “visiteur
ils font appel aux architectes pour émotionnel” [et]  où les promesses de
collaborer aux nouveaux projets de s e n s a t i o n s fo r te s e t d ’ex p é r i e n ce s
monuments ainsi que de musées de mémorables ont remplacé celles d’une
sciences et d’histoire, comme autant acculturation au monde des sciences et
d’institutions participant à la construction des techniques  » (Belaën, 2005  : 91).
de l’État. Repérant ces techniques dans les musées

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 161


de sciences et de technologies depuis les C’est donc dans ce contexte historique que
années 1980, Belaën identifie leur origine les artistes du Musée polaire ont travaillé,
dans les possibilités d’immersion et nous examinons, dans nos recherches,
qu’offrent les dioramas. À travers des l’usage des dioramas dans le cadre du
stratégies d’illusion –  techniques de discours esthétique contemporain. En
perspective et fabrication multimédia  –, nous basant sur des dossiers d’archives,
les dioramas absorbent les visiteurs dans nous explorons cette question à travers
une scène. Le Musée polaire, un musée l’analyse d’une sélection de quelques
soviétique caractéristique mais en même dioramas parmi les vingt-deux installations
temps unique, représente un cas d’école créées pour le musée entre 1934 et 1937.
pour apprécier la pratique d’exposition Afin d’appréhender la signification de ces
immersive des dioramas de la deuxième dioramas, il est impératif d’examiner, en
moitié des années 1930 en Russie. Il premier lieu, l’architecture du musée. Celle-
permet d’enquêter sur la manière dont ces ci a été conçue par l’architecte Alekandr
pratiques ont participé à la critique et au Surkov, qui avait également travaillé pour
discours esthétique dans l’art le musée d’État de l’Ermitage. En tant que
contemporain. membre de l’administration muséale
étatique, il était certainement familier avec
Le but explicite du Musée polaire était la littérature sur le réalisme relayée par les
d’exprimer l’importance industrielle et revues d’art russes. Le gouvernement
territoriale du Nord dans le programme offrait à l’Institut un bâtiment historique,
politique de l’URSS (Andreev et  al., 2012  : situé au centre de Leningrad, que Surkov
14-22), et les visiteurs pouvaient se allait devoir transformer pour accueillir le
familiariser avec ces sujets dans les nouveau Musée polaire. Il s’agit de l’église
galeries. L’accent sur la perception s’est monumentale Saint-Nicolas qui avait été
développé en parallèle des théories néo- saisie par l’État et le gouvernement local
kantiennes sur l’esthétique, popularisées en 1932 lors d’une campagne d’activité
par les traductions russes d’auteurs anticléricale (Andreev et  al., 2012  : 6). La
allemands, tel Theodor Lipps, qui ont transformation de ce lieu de culte en
ouvert la voie à de nouvelles tendances Musée polaire souligne l’intention d’élever
dans la pensée esthétique dans les années le statut de l’éducation scientifique à celui
1910 et 1920 1 . Cette insistance sur la auparavant réservé à la religion. Déjà au
sensation a préparé un terreau fertile pour début des années 1920, pendant la guerre
la propagande politique. Selon Maxim civile, les bolchéviques avaient lancé des
Gorky, auteur et théoricien occupant une expéditions ayant comme double mission
place centrale dans la théorie littéraire la recherche scientifique et l’impératif
réaliste socialiste, la littérature devait être politique de sécuriser les frontières des
construite sur des «  mots-images  » territoires contestés de l’URSS. Dans les
compris aussi clairement qu’une image années 1930, le gouvernement soviétique
visuelle, et les livres devaient avoir un était, à juste titre, fier de sa réussite. Alors
message facilement compréhensible que sur le plan économique l’URSS était en
(Gorky, 1960  : 27, 5). En dehors de la retard par rapport à l’Europe et aux États
littérature, cet objectif est devenu d’Amérique du Nord, dans les années 1930
caractéristique d’autres médias, tels que la elle émerge comme un leader international
peinture, l’architecture et la musique. au niveau de l’exploration arctique.

Surkov et sa brigade de peintres, de


charpentiers et de taxidermistes, loin
1. Cette tradition intellectuelle inclut des pro- d’ignorer l’ancienne fonction du musée,
to-psychologues, historiens de l’art et esthéticiens
germanophones du dernier quart du XIXe siècle à ont, au contraire, sensiblement fait usage
la première décennie du XXe siècle. Elle regroupe, d e l ’ i co n o g ra p h i e d e l ’ é g l i s e p o u r
entre autres : Konrad Fiedler, Friedrich von Hause-
gger, Adolf von Hildebrand, August Schmarsow, a cce n t u e r l a s i g n i f i c at i o n d e l e u r s
Robert Vischer, Heinrich Wölfflin, Wilhelm Wundt. expositions. Belaën constate que, depuis

162 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


les années 1980, les conservateurs ont galeries axiales. Les larges dioramas qui
intégré des réactions émotionnelles dans dominent ces pièces sont animés par des
les musées des sciences en reprenant «  à animaux grandeur nature naturalisés dans
leur compte l’offre des établissements un paysage polaire et s’ouvrent comme
“voisins”, à savoir, les parcs à thème d’une des «  fenêtre[s] sur la nature  » (Quinn,
part et les musées d’art d’autre part  » 2006). Un diorama intitulé «  Bazar
(Belaën, 2005  : 91). L’établissement choisi d’oiseaux  » est caractéristique de ces
pour le Musée polaire est une église conceptions (figure  1). Le scénographe
orthodoxe russe avec sa liturgie et ses M.  G.  Platyanov a créé des saynètes
pratiques cultuelles. Saint-Nicolas, qui fut naturalistes devant une toile de fond
construite en 1820-1838 par Avraam dramatique et spectaculaire avec des
Melnikov, est une église de plan en croix, la
oiseaux empaillés qui jouent dans un
typologie la plus répandue en Russie.
paysage de littoral façonné en plâtre.
Cette disposition est inséparable des
Ensemble, ces éléments donnent
activités liturgiques et du sens des
l’impression d’un espace très vaste. Ces
conventions théologiques associées aux
dispositifs illusionnistes contournent les
espaces du bâtiment. Les pratiquants sont
contraintes matérielles et physiques des
des chrétiens orthodoxes, qui représentent
dimensions de la galerie, qui
historiquement un pourcentage important
correspondent aux murs en maçonnerie de
de la population russe. L’église de
l’église.
Melnikov culmine avec son dôme
central et monumental devenu le
lieu dominant les expositions du
musée. À l’intérieur, les peintres
ont badigeonné de blanc la
représentation traditionnelle du
Christ en gloire et remplacé les
quatre évangélistes qui
l’entourent conventionnellement
par quatre goélettes glorieuses
d u d é b u t d e s ex p é d i t i o n s
polaires. Sous le dôme, un
modèle réduit à l’échelle
1 / 1   5 0 0   0 0 0 d e l a Te r r e
au-dessus du 60 e   parallèle
Figure 1. Construction du diorama dans l’ancienne
représente le pôle Nord. église Saint-Nicolas, c.  1935, la maquette du
Dessinée par le célèbre globe de Yuli Shokalsky est visible au premier
cartographe Yuli Shokalsky, cette plan. ©  Musée d’État russe de l’Arctique et de
maquette en plâtre semble être l’Antarctique.
un miroir de l’intérieur concave
du dôme qui la surplombe.
Comme l’expliquait un poète du
La conception originale de Melnikov
VI e   siècle  : «  Voici  ! […]  le dôme, il
ressemble au paradis le plus haut. […] son s’inspirait de la villa Capra d’Andrea
plafond s’étend comme le ciel […] comme Palladio (Villa Rotonda) en adaptant les
les étoiles qui brillent dans le firmament  » quatre portiques de la villa aux narthex ou
(Wilkinson, 2002 : 194). portails de l’église. Des photographies de
la construction datant de 1933 montrent
L’ é vo c a t i o n co s m i q u e d u d ô m e
surmontant le globe accueille les visiteurs comment l’équipe de Surkov encadre un
dès qu’ils entrent dans le musée et les narthex afin de créer la profondeur pour
prépare aux dioramas plus terrestres qui l’un des plus larges dioramas naturels du
se situent dans la perspective ouverte des musée (figure 2).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 163


doute pourquoi les dioramas
sont devenus une pratique
d ’e x p o s i t i o n e x t r ê m e m e n t
populaire en URSS à partir de la
deuxième moitié des années
1 93 0. À ce m o m e n t - l à , l e s
dioramas du Musée polaire
n’exposaient pas nécessairement
les éléments thématiques et
stylistiques du réalisme socialiste
reconnus par la peinture. Ces
éléments comprenaient des
paysages pastoraux et
présentaient des scènes de
Figure  2.  : M.  G.  Platyanov représente le guano
travailleurs, qui évoquaient,
des oiseaux avec de la peinture blanche pour la
création et l’installation de «  Bazar d’oiseaux  », co m m e C h r i s t i n a K i a e r l ’a
1936, dimensions inconnues. ©  Musée d’État exprimé, «  les représentations
russe de l’Arctique et de l’Antarctique. immédiatement pittoresques du
collectivisme sans peine sous le
stalinisme  » (Kiaer, 2005  : 324).
L’illusion de l’espace propre au diorama Contrairement aux représentations du
remplit la profondeur du narthex. D’autres paysage pastoral et du travail rural
dioramas, plus petits, ont été dessinés en collectif, nombre de dioramas du musée
tenant compte de diverses contraintes. expriment, comme thème central, la lutte
Différents coins et recoins liturgiques contre la nature.
conçus pour contenir des proskynetárion,
À titre d’exemple, « La tente rouge » (1936)
ou servir de socle aux icônes religieuses
décrit le sauvetage héroïque de l’équipage
peintes, sont peuplés d’animaux arctiques
condamné du dirigeable Italia d’Umberto
plus petits, tels que des lièvres ou des
Nobile, qui s’écrasa près du 81e  parallèle
renards. L’enveloppe de la maçonnerie de
alors qu’il tentait une traversée polaire au
l’église offre un espace à l’intérieur duquel
printemps de 1928. L’épave du vaisseau,
Surkov et ses collègues recherchaient avec ses hélices gelées dans la glace, est
l’illusion de la profondeur, mais aussi un représentée dans un monochrome de gris,
cadre pour que les visiteurs puissent qui contraste avec le rouge vif de la tente
interpréter ces dioramas par rapport à leur où les survivants se sont mis à l’abri en
connaissance de la signification de attendant d’être secourus. La couleur
l’architecture ecclésiastique. Ces grandes rouge du texte, choisie par ses
illusions sont alternées avec des petits concepteurs italiens pour sa visibilité lors
dioramas situés dans des niches sombres, des opérations de recherches et de
destinées, à l’origine, à la vénération privée secours, évoque également le drapeau
et ne pouvant accueillir qu’un visiteur à la soviétique et présage, à l’horizon, le brise-
fois. Ces installations offrent ainsi aux glace qui viendra finalement secourir
visiteurs de multiples invitations à l’équipage.
l’immersion.
Le moment représenté est inattendu par
Les «  mots-images  » que Maxim Gorky rapport au récit réaliste socialiste habituel,
définit comme étant le vecteur de la car plutôt que de représenter le sauvetage,
description du réalisme socialiste étaient le diorama montre un moment
imaginés pour fournir aux lecteurs une d’anticipation en suspens. Au lieu de
image lisible et convaincante du message l’héroïsme, c’est la fragilité de l’homme
politique. Le statut du diorama en tant que contre le danger sublime du paysage
tactique apparemment efficace et rentable polaire qui donne à cette scène sa force
pour immerger les visiteurs explique sans narrative. La nature est personnifiée par le

164 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


craquement des couches de glace. Ces amples recherches. Il est probable que
fragments brisés apparaissent comme une dans un musée sponsorisé par l’État, les
citation de Caspar David Friedrich dans artistes de dioramas aient senti la pression
Die gescheiterte Hoffnung (Le Naufrage d’une critique gouvernementale influencée
de l’espoir) (1823-1824), thème traité par le par le réalisme socialiste, mais on ne sait
peintre comme une allégorie de l’échec pas comment de telles critiques étaient
irrévocable : le navire écrasé sous la glace. reçues par les artistes ou quels étaient les
Bien que nous n’ayons pas de preuve moyens qui les auraient imposées. Au
tangible que les créateurs de ce genre de Musée polaire, les scénographes utilisaient
dioramas avaient l’intention de subvertir les dioramas comme un médium, et il est
les thèmes de la révolution et de probable qu’ils ont eux-mêmes contribué à
l’héroïsme propres à l’art officiel de cette en inventer les conventions.
période, ils défient, par leur complexité, les
Par ailleurs, des innovations mécaniques
stéréotypes habituels des représentations
entrent dans la fabrication du récit dans
du réalisme socialiste. Des recherches
différents dioramas. L’un d’eux, plus tardif,
récentes sur la peinture des années 1930
«   Le d é ve l o p p e m e n t d e l ’A rc t i q u e
en Russie ont souligné que la pratique de
soviétique  » (1983), utilise une plateforme
l’art réaliste pendant cette période était en
électrique pivotant mécaniquement
fait plus diffuse que certaines études
(figure 3).
précédentes ne l’avaient laissé supposer.
Pour l’historienne Susan Reid, les peintres En pressant sur le bouton, il y a trente
soviétiques de ces années étaient « loin de secondes de délai avant que le mécanisme
représenter le corps uniformisé imaginé et se mette en branle et qu’une plateforme
souhaité par la mythologie soviétique ou fasse tourner la perspective de la scène.
l’intimidation sous-entendue par les Représentant une vision antérieure à
discours occidentaux au sujet du fait l’arrivée des humains en Arctique, la
d’“imposer” le réalisme socialiste  » (Reid, perspective est transportée vers une scène
2001  : 161, cité in Kiaer, 2005  : 324). Les postérieure à leur venue. La mise en scène
dioramas ont peut-être échappé à la de ces quatre dioramas exige un réglage
censure et à la critique appliquées aux particulièrement solide pour maintenir les
beaux-arts et à la littérature. La relation moteurs et le système de poulies. Une fois
entre les scénographes et les critiques activé le bouton pour faire avancer la
d’art est un sujet qui mériterait de plus scène, le diorama raconte son histoire sans

Figure 3. : « Le développement de l’Arctique soviétique ». Artistes : N. N. Bystrov


et N. L. Belonogov. 1983, fenêtre d’observation : 69 x 76 cm. © Musée d’État
russe de l’Arctique et de l’Antarctique.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 165


exiger du spectateur qu’il change de dioramas, par l’absence de traces des
position ou de point de vue. Pour explorateurs soviétiques sur le paysage
Johnathan Crary, un élément distinctif du couvert de neige, qui n’est pas altéré par
diorama de Louis Daguerre de 1820, l e s s t r a t é g i e s d e d é ve l o p p e m e n t
précédant les peintures de panorama, est soviétiques.
qu’il «  est basé sur l’incorporation d’un
Cependant, l’histoire du Grand Nord
observateur immobile dans un appareil
soviétique ne se résume pas à cette
mécanique  » (Crary, 1990  : 112-113),
immensité intacte  : pendant la période de
signifiant, dans la conception de Daguerre,
la construction du musée, ce territoire a
que le visiteur observait le diorama depuis
gagné de l’importance en raison de
une plateforme de visionnage rotative. Le
l’extraction industrielle des ressources
dispositif mécanique dans «  Le naturelles, dirigée par le gouvernement
développement de l’Arctique soviétique  » centralisé. Les années 1934 à 1937, à
permet au spectateur de progresser dans l’apogée de la terreur du régime de Staline,
les quatre scènes en appuyant sur un voyaient un réseau de goulags, camps de
bouton. Selon le conservateur actuel du travail forcé pour prisonniers, se propager
musée, ce dispositif était considéré par le à t rave r s l ’a r r i è re - p ays , s o u te n a n t
personnel comme une modernisation du l’industrie grâce à un flot grandissant de
format du diorama 2 . Donnant à son prisonniers condamnés aux travaux forcés.
concepteur anonyme la possibilité de Igarka, un camp fondé en 1932, est
créer une histoire, chaque acte séquentiel caractéristique de ce type de camps du
montre de minuscules figures humaines Nord soviétique. Pendant des travaux de
dans un vaste paysage de neige et de maintenance au musée, un diorama
glace. Contrairement aux créatures a u t re f o i s p e rd u a é t é r é c e m m e n t
naturalisées grandeur nature, les acteurs découvert. Intitulé «  Igarka  » (1936), il
s o n t p re s q u e i n v i s i b l e s d a n s c e s montre les structures en bois de cette
dioramas  : ce sont des câbles, des colonie de travail, célèbre pour ses moulins
antennes, des ballons géodésiques et des en bois, une activité qui était le sujet initial
petites boîtes blanches qui enregistrent la de ce diorama. Plus tard, après la mort de
pression atmosphérique et les vagues Staline en 1953, comme la société
électromagnétiques. Les humains qui soviétique mettait progressivement fin à
apparaissent sont minuscules et ont l’ampleur du système des goulags, ce
habituellement le dos tourné, surplombant diorama a été recouvert de plâtre et
l’horizon. La cohérence des paysages retrouvé intact, ce qui témoigne de l’enjeu
couverts de neige rappelle la phrase de du sujet représenté. La vue paisible du
Gaston Bachelard  : «  le cosmos hivernal crépuscule qu’il représente était peut-être
est le cosmos unifié  » (Bachelard, 1957  : aussi considérée comme «  anti-
67). Selon l’ancien directeur du musée, pittoresque  », selon le terme consacré par
érudit et explorateur du Grand Nord, Vittoria Di Palma pour décrire un paysage
Victor Boyarsky, ces reconstructions qui dessine la peur et le mépris (Di Palma,
n’incarnent pas uniquement différents 2014). Ce chapitre du Nord a été occulté
degrés d’authenticité, mais créent aussi de l’histoire tant par le personnel du
d’autres réalités : « Vous devez méditer sur m u s é e q u e p a r l e g o u ve r n e m e n t .
le fait que vous êtes face à un moment où Contrairement à l’histoire célébrée du Nord
le concept du temps est absent.  » s ov i é t i q u e, l ’ h é r i t a g e d e ce s i te a
apparemment été censuré. La raison pour
Boyarsky compare sa propre expérience
laquelle il n’a pas été détruit demeure une
du pôle Nord avec les normes visuelles du
question ouverte.
médium dioramique du Musée polaire 3.
L’arrêt du temps est traduit, dans les Les dioramas du Musée polaire explorés
dans cette recherche fournissent donc une
2. Entretien avec Victor Boyarsky, janvier 2017. étude de cas unique dans le cadre d’un
3. Ibid. sujet riche et inexploré, celui de la pratique

166 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


muséographique soviétique des années Exhibition, 1935-1951 ». The Russian Review, (60)2,
1930. Plutôt que de proposer une avril, p. 153-184.

interprétation définitive de ces dioramas, Wilkinson (John). 2002. From Synagogue to


Church: The Traditional Design  : Its Beginning, its
nous espérons ouvrir des pistes de
Definition, its End. Hoboken : Routledge.
réflexion pour des recherches futures.
Nous avons montré qu’un ensemble de
dispositifs techniques, de l’architecture
liturgique jusqu’aux techniques du Auteurs
multimédia, a apporté une dimension Sam Omans est doctorant et membre de la
novatrice aux dioramas du Musée polaire. Robert Lehman Foundation à l’Institute of Fine
Arts, New York University, où il travaille sur sa
Alors que les dioramas reflètent la thèse intitulée El Lissitzky: Architecture as Spatial
préoccupation de l’art littéraire soviétique Form, 1909-1941, sous la direction de Jean-Louis
de leur époque –  c’est-à-dire la clarté du Cohen. Avant son doctorat, il a été formé comme
architecte à la Cooper Union for the
message et la promesse de l’immersion  –,
Advancement of Science and Art.
ils révèlent aussi des systèmes narratifs et
Courriel : samuel.omans@fulbrightmail.org
des citations stylistiques inattendues.
Désormais, les dioramas conservent leur
ambiguïté et, en tant qu’exemples de la Xenia Vytuleva est historienne de l’architecture et
curatrice. Ses recherches se concentrent sur les
diversité artistique produite en URSS
n o u ve a u x m o d e s d e co n s e r vat i o n e t d e
pendant ces années de tensions, ils gouvernance du design et de la production de
i n v i t e n t à m e n e r d e s re c h e rc h e s savoir, ainsi que sur les interrelations entre
supplémentaires. l’architecture, l’art et la politique. Avant de
rejoindre l’équipe de Philosophie II à l’ETH Zurich,
Vytuleva a enseigné à la Graduate School of
Architecture Planning and Preservation de
Columbia University, à New York. Elle a aussi été
Bibliographie membre affiliée du Centre de l’histoire du savoir à
l’ETH, Zurich, et a dirigé de nombreuses
Andreev (A.  O.), Boiarskii (V.  I.) & Dukal’skaia
expositions parmi lesquelles  : Music on Bones au
(M.  V.). 2012. Poliarnyi Muzei: Stranitsy Istroii
MAXXI Museum à Rome  ; Experimental
Rossiiskogo Gosudarstvennogo Muzeia Arktiki i
Preservation à la Biennale de Venise en 2014  ; et
An tarktiki . Sain t- P étersbourg  : Rossiiskii
Diary of the Cold Universe by Walter Benjamin à la
Gosudarstvennyi Muzei Arktiki i Antarktiki.
Slought Foundation, Philadelphie. Elle a été
Bachelard (Gaston). 1957. La Poétique de l’espace. primée par la Graham Foundation pour son projet
Paris : Presses universitaires de France. «  Secret Spaces of the Cold War  ». Elle travaille
Belaën (Florence). 2005. «  L’immersion dans les actuellement sur les projets «  Secret Cities  »,
musées de science  : médiation ou séduction  ?  ». «  Aesthetics of Uncertainty in Contemporary
Culture &  Musées, 5, «  Du musée au parc Artistic Practices » et « North Trans-National ».
d’attractions  : ambivalence des formes de Courriel : xenia.vytuleva@phil.gess.ethz.ch
l’exposition  » (sous la direction de Serge
Chaumier), p. 91-110.
Crary (Jonathan). 1990. Techniques of the
Observer: On Vision and Modernity in the
19th Century. Cambridge : MIT Press.
Di Palma (Vittoria). 2014. Wasteland: A History.
New Haven : Yale University Press.
Gorky (Maxim). 1960. «  O sotialisticheskom
realizme  », Maxim Gorky, Sobranie sochinenii v
tridtstati tomakh. Moscou.
Kiaer (Christina). 2005. «  Was socialist realism
forced labour? The case of Aleksandr Deineka in
the 1930s ». Oxford Art Journal, 28(3), p. 323-345.
Quinn (Stephen Christopher). 2006. Windows on
Nature. The Great Habitat Dioramas of the
American Museum of Natural History. New York  :
Abrams.
Reid (Susan). 2001. «  Socialist realist in the
Stalinist terror: The Industry of Socialism Art

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 167


N OT E D E R E C H E R C H E

De la nature à la culture :
Quelques exemples
de dioramas naturalistes
au Muséum d’histoire
naturelle de Paris

Jacques Cuisin
Muséum national d’histoire
naturelle

Le développement des sciences dites des nécessités de réorganisation des


naturelles durant la seconde moitié du réserves. Elles nous ont aussi permis de
XIXe  siècle s’est accompagné d’avancées m i e u x c o n n a î t re l ’ h i s t o i re d e c e s
techniques en matière de préservation des installations et leurs modes de
organismes naturels, en particulier par le fonctionnement.
biais de la taxidermie. Tout d’abord
destinée à préserver des spécimens
individualisés pour les décrire et les
Une vision de la nature
comparer avec d’autres, la technique de la
au plus juste
taxidermie, dès le début du siècle (voir Un premier corpus de dioramas peut être
The Royal Tiger, par W.  Bullock, en 1813- défini par les productions élaborées au
1814), a été développée par la MNHN, principalement dans la période
reconstitution de scènes naturalistes, 1880  - fin des années 1890. Cette période
celles-ci à visée nettement plus naturaliste courte correspond en fait à l’ouverture de
ou écologique, voire esthétique, que la galerie de Zoologie dans le cadre de
systématique  : le diorama, par son mode l’Exposition universelle de 1889. À cette
de représentation tridimensionnel, aide à époque, le MNHN est proche du centenaire
comprendre dans quel biotope un animal de son existence  : depuis 1793,
vit (Wonders, 1993 : 17 ; Morris, 2015 : 33). l’établissement, héritier des cabinets
La récente restauration de plusieurs royaux, collecte, classe, transmet, échange
dioramas dans les ateliers de taxidermie des spécimens dans tous les champs du
du Muséum national d’histoire naturelle s avo i r n a t u ra l i s te , e t p e r f e c t i o n n e
( M N H N ) d e Pa r i s , r é a l i s é e p a r l e s également la technique de la taxidermie
taxidermistes du musée durant ces dix (Didier &  Boudarel, 1948  : 10-12). Ces
dernières années, a permis de révéler ensembles sont tous réalisés sur le même
certains détails d’élaboration de ces principe  : ils concernent des félins de
productions. Ces interventions ont été grande taille, en action de chasse, dans un
dictées par des demandes d’emprunt ou décor très minimaliste, le tout disposé sur

168 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


u n s o c l e d o n t l ’o b s e r va t e u r p e u t (Collectif, MNHN, 1890-1894). Les animaux
entièrement faire le tour. L’ensemble n’est sont donc géographiquement cohérents
ni clos ni ceint de vitres, et s’apparente entre eux. Mais les panthères sont
vraiment à la catégorie stylistique des disposées sur un tronc de chêne d’une
«   g ro u p e s s i m p l e s   » , o u g ro u p e s espèce européenne, alors que la scène est
biologiques (Wonders, 1993 : 20). Ce type censée se dérouler en Asie du Sud-Est.
de décor et de scenarii réduits à l’extrême L’illusion est toutefois parfaite pour qui
oblige le spectateur à reconstruire et n’identifie pas le végétal ou se laisse
compléter le décor mentalement. happer par le grand réalisme anatomique
des félins et l’ampleur de la scène.
Malgré sa sobriété, ce type de réalisation
peut être considéré comme un diorama Le diorama «  Tigres et paon  » est plus
naturaliste, dans la mesure où le réalisme simple encore. Il s’agit d’un ensemble de
de la séquence restituée de la vie des deux tigres, dont l’un a capturé un paon
animaux – le plus souvent la capture d’une mâle qu’il tient dans sa gueule ouverte, la
proie  – est poussé. Le décor réduit traîne du paon descendant jusqu’au sol. Il a
(quelques pierres, quelques branchages, été réalisé spécialement pour cette vitrine,
parfois simplement du plâtre peint) ne fait avec des peaux inventoriées en deux
qu’évoquer le biotope, sans souci de temps (Collectif, MNHN, 1885-1896). Il n’y a
l’exactitude et de la cohérence entre d’autre décor que du plâtre agencé
animal et végétal. Ainsi, la réalisation titrée vivement sur une carcasse grillagée, puis
«  Panthères et cerf-cochon  » présente-t- badigeonné de couleurs ternes et sombres
elle deux panthères d’Asie et un petit cerf gris-verdâtre, sans aucun souci
vivant dans la même zone géographique d’exactitude ou de reproduction d’un sol
en particulier (figure  1). Le
second tigre ayant été naturalisé
dans une attitude faisant
clairement comprendre qu’il
disputait sa proie au premier, le
regard du visiteur était invité à
se concentrer sur l’action entre
les deux félins, considérés avant
tout comme des sujets d’étude
scientifique (Loucif, 2017  : 83).
Alors que nombre d’autres
muséums et collections
contemporains avaient fait le
choix de véritables dioramas, le
Muséum de Paris a résolument
c h o i s i d e d o n n e r l a p l a ce
première aux animaux, dans un
Figure  1. La vitrine des tigres. Le second tigre décor suggestif plutôt que
a été placé à droite de celui visible, en une réaliste (ibid.).
attitude très aplatie  : on devine une petite
frange de son flanc droit dans l’ombre (milieu
de la vitrine, base du décor), que prolonge Une mise en scène
un fragment de sa queue visible au niveau de partisane ?
l’antérieur gauche de l’individu du premier plan.
Le support évoque à peine le sol, en aucun cas On retrouve dans ce procédé de
un biotope. Taxidermie sur support bois et plâtre, traitement du décor (ou, plus
3  x  1,40  m environ. Galerie de Zoologie, vitrine exactement, du support) la
des félins, photographie par Pierre Petit (1892).
m ê m e a p p ro c h e q u e d a n s
Fonds Petit, Direction des bibliothèques et de la
l’utilisation de perchoirs
documentation, MNHN. © MNHN.
standardisés pour les oiseaux

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 169


naturalisés. La monotonie du standard Lors de la définition de la scénographie de
(forme et couleur claire) dirige le regard la grande galerie de l’Évolution, ce diorama
sur ce qui doit être vu : le spécimen et rien avait été jugé en mauvais état global. Il
d’autre. Même chose dans l’emploi de s’en est suivi une restauration très
couleurs ternes sur le socle-support des interventionniste, qui a souhaité gommer
tigres (la même couleur d’ailleurs que sur toute trace picturale de violence  : des
tous les dioramas de cette période au repeints ont été apposés à l’endroit des
MNHN) : effacer le décor-support au profit blessures de l’antilope, effaçant toutes
de l’animal et de la séquence de vie représentations sanglantes. Il ne reste de
montrée. l’œuvre d’origine que la capture en elle-
même  : pour un peu, on trouverait même
Ce diorama a été définitivement démonté
que l’antilope oryx, qui a pourtant le cou
lors du chantier de la grande galerie de
tordu sous le poids et les crocs de la
l’Évolution, entre 1988 et 1994, car il ne
lionne, a un regard apaisé et doux  ! Le
correspondait plus à l’image que le MNHN
support a lui aussi été neutralisé : le décor
souhaitait montrer de la nature, en même
de plâtre peint a laissé place à des
temps que les vitrines monumentales
paillettes de bois collées, les formes du
étaient jugées trop grandes et anciennes.
socle ont été simplifiées, ce qui rend
Le décor de plâtre a été entièrement
absolument impossible tout rappel d’une
détruit. Seule subsiste aujourd’hui la
situation naturelle et qui amoindrit par
carcasse de bois du support. Les tigres
conséquent la contextualisation de la
ont été séparés, le paon simplement
scène dans un biotope particulier  : il n’y a
enlevé : il ne tenait à la gueule du tigre que
plus aucune illusion, plus aucun moyen de
par un fil de coton tressé. Se pose alors la
se raconter une histoire, plus moyen de
question : le paon a-t-il été rajouté lui aussi
voir au travers de la réalité naturalisée. Il ne
sur une toute première version du
reste qu’une scène entre deux animaux. La
montage  ? La documentation écrite fait
violence de la nature, certes visible au
défaut sur ce point, mais l’observation
premier regard, disparaît rapidement pour
précise et l’ensemble des pratiques de
n’être presque plus qu’une sculpture, tant
l’époque au MNHN peuvent y faire
les modelés des muscles du lion,
songer  : l’examen des catalogues des
particulièrement marqués et saillants,
montages du laboratoire «  Mammifères et
participent eux aussi à la dramaturgie de la
oiseaux » est une source importante à cet
scène.
égard.

Un troisième exemple est celui


de la capture d’un oryx algazelle
par une lionne. Une fois de plus,
le diorama représente une scène
de violence, comme si la nature
n’était que rapport de force, que
seul l’homme (européen) aurait
su dompter par son intelligence
et sa technique (Haraway, 1984  :
52-57). Cette saynète présente le
même type de décor sobre,
presque absent, à une différence
notable près  : le socle-support
mesure environ 70  cm de haut,
ce qui place la scène à peu près
au niveau des yeux de Figure  2. Lion attaquant un oryx algazelle.
l ’ o b s e r v a t e u r, e t n o n e n Taxidermie sur support bois et plâtre, par
L.  Quantin et J.  Terrier, 1895  ; modifié en 1990-
contrebas  : l’effet dramatique en
1992. 3 x 1,50 m. © J. Cuisin, 2005.
est augmenté d’autant.

170 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Quelle a pu être l’influence de Frémiet, compris ce que les promoteurs actuels de
alors professeur de dessin animalier au la tendance Next-Generation Collections
MNHN, sur Louis Quantin et Jules Terrier, (NGCs) tentent de nous faire valoir
taxidermistes expérimentés  ? Cette (Loucif, 2017  : 83  ; Browne, 1896  : 380-
question reste ouverte, mais il est certain 420  ; Hornaday, 1891  : 238  ; Schindel
que l’apprentissage des taxidermistes, très &  Cook, 2018). Un spécimen toujours
corporatiste à cette époque (comme cela conservé dans les collections du MNHN
l’est encore parfois de nos jours), peut peut-être expliquer cette constante
s’appuyait souvent sur des sources esthétique. Il s’agit de la naturalisation du
stylistiques peu variées. premier gorille rapporté en France, en 1852
par le Dr  Franquet, chirurgien de marine,
En définitive, ce groupe n’a pas été intégré arrivé à Lorient en décembre 1851. La
au parcours permanent de la grande naturalisation fut réalisée au Muséum par
galerie de l’Évolution, car jugé trop Poortmann, et présentée au public en 1855
évocateur de la représentation d’une (Rousseau &  Dévéria, 1855  : pl.  XIII).
nature violente, typique du XIXe  siècle. La L’animal était le premier arrivé entier en
grande galerie voulait au contraire France, il s’agissait donc d’une nouveauté
présenter l’image la plus neutre possible extraordinaire. Pour sa naturalisation et sa
d e l a n a t u re , c o m m e s i l ’ h o m m e mise en scène, Portmann l’a sobrement
reconnaissait implicitement que la violence appuyé à un tronc de fort diamètre,
dont il avait fait preuve dans la conquête donnant à l’ensemble une verticalité
de la biodiversité avait ou était en train puissante. Comme de très nombreux
d’accélérer sa disparition. primates naturalisés depuis l’ère Buffon,
Cependant, ce groupe a été exposé celui-ci n’échappe pas à la règle stylistique
récemment à plusieurs reprises (Le d’un appui sur un élément végétal, lui
Douanier Rousseau - Jungles à Paris, Paris, donnant ainsi un troisième point d’ancrage
au sol, en plus de ses deux pieds.
Grand Palais, 2006 ; Dioramas, Paris, Palais
d e To kyo, 2 0 1 7 ) . P o u rq u o i u n te l Ce simple élément végétal, aussi fort soit-il
engouement aujourd’hui  ? Sans doute dans le cas de ce gorille, permet de se
devenu désuet dans le monde naturaliste, figurer un habitat forestier, mais pas
le diorama connaît, de même que la davantage. Le tronc utilisé n’est d’ailleurs
taxidermie en général, un renouveau par le pas celui d’un arbre provenant d’Afrique,
biais de l’art contemporain depuis une mais celui d’une espèce européenne, peut-
quinzaine d’années environ. En ce sens, on être même issue du Jardin des plantes de
pourrait presque dire que la taxidermie, en l’époque. Il n’y a donc dans cette
perte d’image car trop connotée, a été naturalisation de gorille qu’une mise en
sauvée par ce changement de regard  : il avant du spécimen spectaculaire par ses
ne s’agit plus de science, mais de style. dimensions, et primordial par la nouveauté
L’honnête homme n’est plus le chasseur, qu’il représentait. Les préparateurs du
mais l’esthète. Muséum de Paris semblent avoir suivi cette
grande sobriété stylistique dans les années
On peut se poser la question du pourquoi
qui ont suivi, malgré l’émergence de
du choix délibéré de la part des autorités
naturalisations plus spectaculaires que
du Muséum d’une telle sobriété esthétique
scientifiques dès 1851 (Wonders, 1993 : 34),
dans le traitement des dioramas du MNHN
selon un mouvement qui se poursuivra et
de la fin du XIXe  siècle, alors que nombre
atteindra son apogée dans les années 1930
de musées européens et étasuniens
aux États-Unis.
avaient déjà développé une technique
beaucoup plus complète, et que les Une raison technique peut sans doute
manuels de taxidermie traitant du sujet expliquer cette sobriété. Il est assez
insistaient sur la nécessité d’être le plus curieux de constater que la technique de
précis possible dans la reconstitution naturalisation des mammifères au MNHN
fidèle des biotopes, qui avaient déjà reste plutôt homogène au fil du temps. Il y

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 171


a certes bien des variations du entier et non seulement sur socle), et il
mannequinage et de l’armature métallique porte bien des éléments de l’époque de
des naturalisations (Péquignot, 2002  : son invention et de ses développements.
174), mais le traitement de la peau reste Mais, tout comme la taxidermie, il n’est
très marqué par l’utilisation constante de qu’une mystification, une illusion du vivant
l’alun de potasse, au détriment d’autres et du réel  : qu’est-ce qui nous dit que la
traitements qui assurent un tannage nature et que l’animal sont réellement
complet et irréversible. Autrement dit, il comme ils sont figurés ? La mise en scène
semble que les préparateurs parisiens spectaculaire impose une vision, une idée ;
aient préféré (ou, pour le dire autrement, en ce sens, elle oriente le visiteur vers un
se soient contentés de) ce traitement qui discours plus vaste, sur la nature en
offrait plusieurs avantages  : facilité de général, et aussi sur la place de l’homme
mise en œuvre, coût relativement faible, dans la nature. En l’occurrence, le diorama
travail de la peau entière sans perte de s’inscrit parfaitement dans la société
poils, processus de réalisation rapide occidentale de la seconde moitié du
–   p u i s q u ’e n q u e l q u e s s e m a i n e s , l a XIXe  siècle et dans son ordonnancement
naturalisation était achevée. Une méthode univoque.
rapide, donc, à comparer avec les délais
Le « voir à travers » la vitre ou la boîte, qui
nécessaires pour des naturalisations avec
séparent mise en scène et visiteurs,
mannequin de papier mâché ou moulées
idéalement conçues selon ce qui n’était
sur sculptures (Morris, 2010  : 62-81), qui
pas encore dénommé «  écologie  » (terme
donnaient certes de bons résultats
élaboré par le biologiste allemand Ernst
immédiats, mais pas toujours pérennes
Haeckel en 1866) à l’époque de l’apogée
lorsque ce processus, qui relevait du
de ces réalisations, avait pour but éminent
mégissage plus que du tannage, n’était
de montrer aux visiteurs la nature dans ses
pas bien maîtrisé. moindres détails. Mais le discours d’origine,
naturaliste et résolument pédagogique,
À travers les vitres : le diorama révèle aussi, au travers des thèmes traités
comme objet de culture et de la stylistique, des conceptions
différentes de la nature selon les époques
Au croisement des professions et donc et les lieux, car il s’incarne sous la forme
des techniques, dont certaines mises au d’une mise en scène, d’un théâtre qui, par
point spécialement pour des effets visuels, définition, n’est pas neutre. En ce sens,
le diorama naturaliste intègre bien tout comme les spécimens naturalisés, le
évidemment la taxidermie, qui est souvent diorama est un objet culturel, que l’on peut
un sujet majeur ou unique, mais parfois regarder comme essentiellement artistique
aussi un prétexte ou une marge. Il croise tant il fait appel au dessin, à la sculpture et
aussi la décoration et la fresque d’intérieur, à des savoirs spécifiques autour de la
la fabrication de végétaux artificiels et matière organique, qu’il faut maîtriser  ;
bien d’autres techniques encore. Ainsi, le pour autant, il est d’abord imaginé et
diorama n’est-il qu’illusion et trompe-l’œil conçu comme un objet muséographique.
ou bien réelle intention de faire au plus
Enfin, nous pouvons également interroger
juste dans la reproduction de la nature  ?
le diorama sur ce qu’il dit de l’homme : si le
Est-il l’expression du beau et du vrai, dans
diorama veut d’abord présenter la nature,
une nouvelle métaphysique dont la
ne signifie-t-il pas aussi l’affirmation de la
n o u ve l l e B i b l e a u ra i t p o u r A n c i e n
toute-puissance humaine, qui devient
Testament l’Histoire naturelle buffonienne
capable de recréer et de concentrer le
et pour Nouveau Testament L’Origine des
monde dans une boîte  ? Nous pouvons
espèces darwinienne ?
encore nous questionner sur la
Le diorama contient en effet beaucoup de c o n c o m i t a n c e e n t re l e s a va n c é e s
choses, dont des espèces nouvelles, des technologiques et scénaristiques les plus
concepts nouveaux (montrer la nature en remarquables du diorama naturaliste et le

172 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


phénomène des Expositions universelles, Hornaday (William). 1891-1939. Taxidermy and
entre XIXe et XXe   siècles. Le diorama Zoological Collecting. New York  : Charles
Scribner’s Sons.
aurait-il une fonction colonialiste, lui aussi
Dohm (Katarina), Garnier (Claire), Le Bon
(Étienne, 2017 : 186 ; 2018 : 222-223) ? Car
(Laurent) & Ostende (Florence) (sous la direction
il est profondément inséré dans le de). 2017. Dioramas (catalogue d’exposition, Palais
XIX e   siècle, même s’il cherche à se de Tokyo, 14  juin  - 10  septembre 2017). Paris  :
renouveler au siècle suivant, envers et Palais de Tokyo et Flammarion.

contre la photographie, au moins dans un Loucif (Safia). 2017. Les Nouvelles Galeries de
Zoologie du Muséum d’histoire naturelle en 1889
premier temps.
(mémoire de master 1 de recherche en histoire de
Enfin, cette idée du microcosme, déjà l’art, Paris IV - Sorbonne). Paris, 2 vol.

p r é s e n te c h ez l e s n a t u ra l i s te s d u Morris (Pat). 2010. A History of Taxidermy –  Art,


Science, and Bad Taste. Londres : MPM.
XVII e  siècle, ne se poursuit-elle pas au
Morris (Pat). 2015. «  A window on the world
t rave r s d u d i o ra m a n a t u ra l i ste, e t
–  wildlife dioramas  », p.  33-38 in Natural History
aujourd’hui encore dans les scénarisations Dioramas. History, Construction and Educational
(même dépouillées à l’extrême) des Role / sous la direction de Sue Dale Tunnicliffe et
musées de science de la nature  ? Annette Scheersoi. Dordrechts, Heidelberg, New
York et Londres : Springer.
Évolution de la nature, de la manière de
l’exprimer, de la pensée humaine à l’égard Péquignot (Amandine). 2002. Histoire de la
taxidermie en France (1729-1928)  : étude des
de ce qui reste de son environnement
facteurs de ses évolutions techniques et
naturel, le diorama n’est-il plus qu’une conceptuelles, et ses relations à la mise en
boîte de conserve prête à consommer ou exposition du spécimen naturalisé (thèse de
bien un objet esthétisant, fleurant (plus ou doctorat de 3e  cycle). Paris  : Muséum national
d’histoire naturelle.
moins) bon le passé  ? Quelle est encore
Quinn (Stephen Christopher). 2006. Windows on
l’actualité du diorama, à l’heure des
Nature. The Great Habitat Dioramas of the
images de plus en plus abondantes, sur American Museum of Natural History. New York  :
toutes sortes de supports  ? Le diorama Abrams & AMNH.
semble bien loin du MNHN, qui vient Rousseau (Louis) & Dévéria (Achille). 1855.
d’inaugurer un cabinet de réalité virtuelle. Photographie zoologique ou représentation des
Il reste néanmoins dans nos imaginaires du animaux rares des collections du Muséum
d’histoire naturelle. Paris : Masson (3e livraison).
XXI e   siècle, au-delà de la prouesse
Schindel (David E.) & Cook (Joseph A.). 2018.
technique, comme l’idée d’un «  paradis
«  The next generation of natural history
perdu  » mais reconstitué, donc collections  ». PLoS Biol, 16(7), en ligne  : https://
reconstituable et, par là même, accessible. doi.org/10.1371/journal.pbio.2006125 [consulté le
19 déc. 2018].
Turner (Alexis). 2013. Taxidermie. Paris : Gallimard.
Tunnicliffe (Sue Dale) & Scheersoi (Annette) (sous
Bibliographie la direction de). 2015. Natural History Dioramas.
Didier (Robert) & Boudarel (Alphonse). 1948. L’Art History, Construction and Educational Role.
de la taxidermie au XX e   siècle. Paris  : Paul Dordrechts, Heidelberg, New York et Londres  :
Lechevalier. Springer.
Étienne (Noémie). 2017. «  La matérialité politique Wonders (Karen). 1993. Habitat Dioramas: Illusion
des dioramas », p. 186-193 in Dioramas (catalogue of Wilderness in Museums on Natural History.
d ’ex p o s i t i o n , Pa l a i s d e To kyo, 1 4   j u i n   - Uppsala : Almqwist et Wiksell International.
10  septembre 2017)  / sous la direction de
Katarina Dohm, Claire Garnier, Laurent Le Bon et
Florence Ostende. Paris  : Palais de Tokyo et Sources et documents
Flammarion. Browne (Montagu). 1896. Artistic and Scientific
Étienne (Noémie). 2018. «  Dioramas à hauteur Taxidermy and Modeling. Londres  : Adam &
d’enfant  », p.  222-223 in Le Magasin des petits Charles Black.
explorateurs / sous la direction de Julien Bondaz. Collectif, Muséum national d’histoire naturelle.
Arles et Paris  : Actes Sud et musée du Quai 1885-1896. Catalogue des mammifères et des
Branly -Jacques Chirac. oiseaux, vol. 7.
Haraway (Donna). 1984. «  Teddy bear patriarchy: Collectif, Muséum national d’histoire naturelle.
Taxidermy in the Garden of Eden, New York City, 1 8 9 0 -1 8 9 4 . C a t a l o g u e d e s m o n t a g e s d e
1908-1936  ». Social Text, 11, hiver 1984-1985, mammifères, vol. Carnassiers et insectivores.
p. 20-64.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 173


Auteur
Jacques Cuisin, ingénieur de recherches, travaille
au Muséum national d’histoire naturelle de Paris
depuis 1990, et a passé plusieurs années à gérer
les collections de mammifères et d’oiseaux, puis
les ateliers de préparation et de restauration. Il est
aujourd’hui délégué à la conservation pour
l’ensemble des collections du MNHN. Ses centres
d’intérêt se portent autant sur la conservation
technique des Naturalia, que sur leurs modes de
représentation scientifiques ou artistiques. Il a
encadré et encadre encore des étudiants dans le
domaine de la conservation-restauration, en
France et en Suisse. Ses travaux actuels sont
orientés sur la conservation des collections en
fluide, mais aussi sur la représentation de l’animal
par la taxidermie. Ses domaines de
recherche sont : collections naturalistes, primates,
matériaux organiques, conservation des Naturalia.

174 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


N OT E D E R E C H E R C H E

Une politique du diorama :


L’exemple du musée
national de la Marine
(1943-1971)

Thomas Deshayes
Musée national de la Marine

Le musée national de la Marine est l’un des durant cette période obéit à un
plus anciens musées maritimes du monde. p ro g ra m m e p r é c i s , d o n t l e s a xe s
Héritier de la collection formée par fondamentaux sont présentés dans un
l’inspecteur des constructions navales article de 1946. À partir du constat de
Duhamel du Monceau (1700-1782) et l’image archaïque du musée en général,
léguée en 1748 au roi Louis  XV, il s’installe «  nécropole obscure et poussiéreuse où
à partir de 1939 dans l’aile «  Passy  » du s’entasse, sans art ni logique, un bric-à-
palais de Chaillot, après un siècle passé au brac invraisemblable confié à quelques
sein du palais du Louvre (Ninderlinder, plumitifs revêches ou passifs  » (Vichot,
2017). La rénovation complète dans 1946 : 3), Vichot réaffirme l’importance de
laquelle le musée est engagé (2017-2021) celui-ci comme lieu de médiation. Pour lui,
permet de porter un nouveau regard sur l’avènement des nouveaux médias, comme
des collections riches et très diverses. le cinéma ou la télévision, loin de rendre
Parmi celles-ci se trouvent environ obsolète le musée, renforce son utilité par
80  dioramas inscrits à l’inventaire une appropriation directe et visuelle des
règlementaire1. Au cœur de cet ensemble, objets. Il pose un objectif clair  : «  Nous
on distingue un groupe cohérent, réalisé devons réaliser des musées vivants où
sur commande durant la période de l’intérêt soit toujours renouvelé, l’attention
directorat (1943-1971) du capitaine de toujours sollicitée et où nous instruirons le
vaisseau2 Jacques Vichot. profane sans même qu’il s’en doute  »
(ibid.  : 4). Vichot fait du diorama le bras
Vichot développe à la tête du musée de la armé de cette politique au service des
Marine une véritable politique en faveur publics, présentée brièvement dans ce
des dioramas. La réalisation de ces objets texte.

1.  Il faut noter que dans le classement alphanumé-


rique des collections propre au musée, une caté-
gorie a été spécialement créée pour les dioramas :
Le diorama comme outil
la 53 OA (pour œuvres d’art). pédagogique
2. Dans la marine, le grade officiel est capitaine Le commandant Vichot conduit
de vaisseau, l’appellation «  commandant  ». Par
la suite, nous utiliserons l’appellation «  comman- l’installation du musée au Trocadéro en
dant » concernant Jacques Vachot. p l e i n cœ u r d e l a S e co n d e G u e r re

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 175


mondiale, alors que les œuvres des présentation. Dès 1847, le musée fait
musées nationaux avaient été transférées réaliser par ses propres ateliers un diorama
dans des dépôts en région. Il engage le de l’obélisque de Louxor (n°  inv. 13  PA  32
musée dans une dynamique qu’il veut et 42) (figure  1). Mesurant alors plus de
moderne, influencée par les huit mètres, il occupait une salle dédiée du
développements de la muséologie 3 . Il musée au Louvre et servira au
souhaite faire du musée une clé d’entrée commandant pour développer sa politique
pour la compréhension du «  destin pédagogique. Les années 1930-1940 voient
maritime  » de la France. Dans cette également la reconnaissance des
optique, il crée une «  centrale fabricants et des collectionneurs de
documentaire  » associée à un laboratoire figurines historiques. Leurs rôles, ainsi que
photographique (Serna, 2000  : 35). Il l e s ex p o s i t i o n s q u i y s o n t l i é e s ,
repense également l’accrochage pour mériteraient d’être étudiés plus
rendre le musée plus accessible au public attentivement. On notera ainsi la présence
et l’éloigner de son image de simple de Georges Fouillé (1909-1994), peintre
conservatoire de modèles. officiel de la marine, avec lequel le musée
va collaborer pour l’exposition Petits
Dans son article de 1946, toutefois, il soldats, grandes victoires organisée fin
n’utilise jamais le terme de «  diorama  » 1944  - début 1945 par la Société des
mais parle d’«  ensemble pédagogique  ». collectionneurs de figurines historiques.
En 1964, M.  Tardy, professeur au lycée de
Rochefort, présentant un projet
sur les marais salants de Ré
(n°  inv. 53  OA  33), précise au
directeur que « le visiteur pourra
comprendre au premier coup
d’œil l’ensemble du processus
comme vous le désirez4  ». C’est
bien la possibilité de saisir
directement un processus ou une
s c è n e h i sto r i q u e d a n s s o n
ensemble qui motive le goût du
diorama chez Vichot. Ce
dispositif permet, en effet, de
résoudre un des problèmes
majeurs dans les musées Figure  1. Atelier du musée naval, diorama de
historiques – a fortiori militaires – l’abattage de l’obélisque, 1847, MnM  13  PA  32.
et que les autres arts visuels © Musée national de la Marine / A. Fux.
n’avaient résolu que
partiellement  : la représentation
complète d’un épisode à multiples actions Le rôle pédagogique assigné aux
(Delaplanche & Sanson, 2009 : 4). dioramas, même s’il n’exclut aucunement
chez Vichot le goût de la délectation, voire
Les collections du musée comprennent
du simple amusement, va de pair avec un
déjà, à l’arrivée de Vichot, plusieurs
souci d’exactitude historique. Ainsi, pour
exemples de dioramas, ses prédécesseurs
chaque réalisation, le commandant et les
ayant eu également recours à ce mode de
artistes s’appuient sur la documentation
3. Jacques Vichot a lu, sinon suivi, les cours pré- historique de la centrale documentaire.
curseurs de muséographie de René Bazin à l’École L’étude des dossiers d’œuvres de la
du Louvre.
documentation des collections a permis de
4. Musée national de la Marine, documentation retrouver une partie des sources utilisées.
des collections, dossier d’œuvre 53  OA  33, lettre
autographe de P.  Tardy au capitaine de vaisseau Elles témoignent d’un souci du détail très
Vichot, 27 décembre 1964. poussé. Le cas du diorama représentant

176 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Figure 2. Georges Fouillé, schéma d’implantation des personnages sur le modèle de
la Bombarde et fiche technico-historique du personnage 7, « Second maître timonier,
plage avant  », 1957, musée national de la Marine, documentation des collections,
dossier d’œuvre 53 OA 18. © Musée national de la Marine.

l’appareillage de la Bombarde, contre- p e r m e t d e ce r n e r q u e l q u e s l i g n e s


torpilleur de 300 tonnes (n° inv. 53 OA 18), directrices. L’exaltation du rôle de la
est emblématique. Son dossier d’œuvre marine dans l’histoire nationale occupe
comporte ainsi un ensemble de une large place. Il faut rappeler que durant
photographies d’époque sur les contre- cette période, le musée est rattaché au
torpilleurs, un article sur le «  Caponnage ministère de la Marine6, et que Vichot est
de l’ancre sur un contre-torpilleur 1900  » lui-même un officier de marine. L’un des
ainsi qu’une note de conseils historiques tout premiers dioramas qu’il fait réaliser
de son auteur, le capitaine de vaisseau représente ainsi les fusiliers marins au
Guiot. On trouve également plusieurs combat du Bourget en 1870
plans d’implantation, levés à la main, des (n° inv. 53 OA 2). Le choix de cet épisode
personnages sur la maquette du navire, les contribue à mettre en valeur le rôle
différents numéros renvoyant à des petites méconnu de la marine nationale dans la
fiches individuelles sur chaque défense de Paris lors du conflit franco-
personnage avec le détail de leur tenue et allemand de 1870. Le choix du sujet du
de leur attitude (figure 2). diorama n’élude pas non plus le contexte
politique et l’actualité la plus récente  : la
Le soin apporté à la précision
réalisation du diorama représentant les
documentaire des réalisations répond au
opérations dans la plaine des Joncs, en
souhait exprimé par Vichot de faire
Cochinchine, en 1950 (n°  inv.  53  OA  21),
pénétrer le public au cœur d’un moment
historique précis. En effet, la collection de intervient seulement dix ans après.
dioramas constituée entre 1943 et 1971 Par ailleurs, la réalisation d’un diorama
comprend, de manière quasi exclusive, des représentant l’empereur Napoléon  III et
représentations de moments historiques l’impératrice Eugénie à bord du canot
identifiés. La manière dont ces épisodes impérial à Brest le 9  août 1858
ont été sélectionnés est difficile à (n°  inv.  53  OA  44) s’explique en grande
appréhender, mais l’existence dans les partie par la présence dans les collections
archives du musée d’un «  projet de du musée du véritable canot impérial
programme de dioramas muraux avec (n° inv. 7 SO 2) et contribue à renforcer la
figurines5  », classés par ordre de priorité,
6. Décret du 2  août 1947. Le musée sera érigé en
5. Archives du musée national de la Marine, série établissement public à caractère administratif,
A/1 : « Histoire du musée », s. d. L’auteur remercie sous la tutelle du ministère chargé de la Défense
Marie-Pierre Demarcq, responsable de la mission nationale, actuel ministère des Armées, par décret
archives, pour avoir porté à son attention ce do- du 3 décembre 1971.
cument.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 177


compréhension de celui-ci. De la même fera donc compléter et transformer des
manière, de nombreux dioramas modèles, parfois historiques. En 1950, il fait
participent à la médiation et à la mise en scier en deux la grande maquette de
valeur des musées des ports placés sous l’obélisque de Louxor et lui ajoute un
la tutelle du musée à Paris7. La création du ensemble de personnages en plomb : cette
diorama sur les marais salants de l’île de «  grande machine encombrante est
Ré, ainsi qu’un pendant sur ceux du devenue, scindée en deux parties et
Croisic (n°  inv.  53  OA  34), s’explique en peuplée de personnages, un pôle
grande partie par la présence dans ces d’attraction pour les visiteurs » (Anonyme,
deux cités d’un musée de la Marine. 1952 : 41). De manière pratique et en raison
du peu de moyens, le musée va à
l’économie  : les personnages en plomb ne
La fabrique du diorama sont pas réalisés individuellement mais
moulés puis retravaillés par chauffage pour
La construction d’un appareil intellectuel
leur donner les attitudes nécessaires à
p o u r l ’ u s a g e d e s d i o ra m a s p a r l e
l’expression de la vie si importante pour
commandant Vichot ne doit pas faire
Vichot.
oublier leur matérialité et leur processus
de fabrication. La fabrique de dioramas au Celui-ci s’éloigne ensuite progressivement
musée national de la Marine se déploie en de ce principe d’animation pour faire
deux temps distincts. La première période, réaliser, sur commande à des artistes
la plus brève, est celle de «  l’animation  ». extérieurs, des dioramas bien plus
Dès 1946, Vichot souhaite rendre plus complexes. Un des premiers artistes avec
vivantes des maquettes de la collection. Il lequel Vichot établit des liens pérennes de
travail est Georges Fouillé (1909-1994). Ce
7. Au moment du directorat de Vichot, on comp- dernier, après une brève carrière dans la
tera jusqu’à une douzaine de musées des ports.
Aujourd’hui, quatre existent encore  : Brest, Port- marine nationale arrêtée pour cause
Louis, Rochefort et Toulon. d’ennuis de santé, devient peintre officiel

Année de

Description réalisation /
d’inventaire
acquisition
53 OA 3 Chasse à la baleine 1953
53 OA 9 Le docteur Bombard à bord de L’Hérétique en mer 1954
53 OA 10 Jacques-Yves Le Toumelin à bord du Kurun en mer 1954
53 OA 11 Le poste de lavage sur la plage avant du croiseur- 1954
cuirassé Victor Hugo, 1910
53 OA 15 Cérémonie des couleurs sur la plage arrière du 1955
croiseur-cuirassé Victor Hugo, 1910
53 OA 16 Mise à l’eau de la baleinière de sauvetage à bord du 1955
croiseur-cuirassé Victor Hugo, 1910
53 OA 17 Exercice de signaux sur la passerelle du croiseur- 1956
cuirassé Victor Hugo, 1910
53 OA 18 Appareillage de la Bombarde, contre-torpilleur de 1957
300 t
53 OA 19 Prise de la citadelle de Son-Tay en 1883 1954
(achat en 1959)

Tableau 1. Liste des dioramas réalisés par Georges Fouillé


et acquis par le musée national de la Marine.

178 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Année de

Description réalisation /
d’inventaire
acquisition
53 OA 20 Fouilles sous-marines sur l’épave du Protecteur 1964
53 OA 21 Opération dans la plaine des Joncs, Cochinchine, 1960
1950 (achat en 1961)
53 OA 24 Débarquement d’un détachement du régiment 1962
Royal Roussillon au fort Conti, lac Ontario, 1757
53 OA 26 Arrivée de Suffren à l’isle de France après sa ?
glorieuse campagne des Indes, 1783 (achat en 1963)
53 OA 32 Débarquement d’un capitaine corsaire à la tour 1964
Solidor à Saint-Servan
53 OA 33 Les marais salants (île de Ré) 1965
53 OA 34 Les marais salants (Le Croisic) 1965
53 OA 40 Une aiguade dans le Pacifique 1966
53 OA 41 Débarquement de Napoléon à Golfe-Juan, 1er mars 1966
1815
53 OA 48 Une aiguade aux Antilles 1967
T 2/7 et T Chantier de construction d’un vaisseau de 1967
2/8 118 canons
T 2/10 et T La Flore en carénage 1968
2/11
T 2/15 et T La Flore en guindage 1969
2/16

Tableau 2. Liste des dioramas réalisés par Eugène Lelièpvre


et acquis par le musée national de la Marine.

de la marine en février 1947. Grand Fouillé, Lelièpvre et Métayer se


spécialiste de modélisme et excellent connaissaient particulièrement bien pour
dessinateur, il combine ces deux talents avoir créé, dans l’entre-deux-guerres, un
dans la construction des dioramas. En g ro u p e a u s e i n d e l a S o c i é t é d e s
effet, «  pour Georges Fouillé, la peinture collectionneurs de figurines historiques,
ne permet pas de pénétrer suffisamment amené à réfléchir sur les techniques et les
difficultés de fabrication de ces petits
dans le sujet, et son talent a besoin, pour
personnages. Lelièpvre, passionné depuis
s’exprimer totalement, de le faire en trois
son enfance par les dioramas, qu’il réalisait
dimensions » (Kessler, 1994 : 25).
alors dans des boîtes à chaussures
De 1948 à 1959, Fouillé livre au musée neuf (Lelièpvre-Botton, 2007  : 70), apporte au
dioramas (tableau 1). musée une technique de fabrication
personnelle. Il réalise ses personnages en
À partir de 1960, un de ses amis, peintre fil de cuivre recouvert de bandelettes de
également, Eugène Lelièpvre (1908-2013), papier séchées puis peintes. Cette
s o u ve n t a cco m p a g n é d e Fe r n a n d e technique rend les personnages très
Métayer, une fabricante de figurine légers, faciles à animer et surtout
renommée, prend le relais pour une incassables, à la différence du plomb, ce
collaboration de quinze années avec la qui rend le transport de ces pièces
direction du musée (tableau 2). beaucoup plus aisé. Les dioramas réalisés

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 179


par Lelièpvre pour le musée représentent musée est conservée – ou effacée – au sein
l’aboutissement du projet pédagogique de même de l’institution. En 1975, quatre ans
Vichot. Loin de la simple maquette après la fin du mandat de Vichot, le musée
animée, ils se présentent sous la forme de poursuit pourtant sa politique d’animation
grandes boîtes ouvertes sur un côté, en rajoutant sur un modèle historique
disposant d’un système d’éclairage et –  L’Océan (n°  inv.  17  MG  1)  – un ensemble
mettant en scène les petits personnages d’une centaine de petits personnages
sur un fond peint réaliste. réalisés au 1/16 par un certain
M. Charpentier. Mais dès 1979, ces figurines
sont retirées, marquant clairement un
Bilan critique d’une politique changement de pratiques. De même, la
d’exposition prati qu e de com m a ndes régulières
C e t t e c o l l e c t i o n d e d i o ra m a s e s t instaurée par Vichot prend fin à son
largement utilisée par Vichot. Ils sont départ. À partir de 1971, seuls quelques
exposés dans le musée et à plusieurs dioramas intégreront les collections, bien
reprises dans des expositions temporaires. souvent sous la forme de don. Enfin, dans
On notera ainsi l’organisation d’une les années 1980-1990, la plupart des
exposition au sein de la station de métro dioramas encore présents sont placés en
Opéra en 1954 (Anonyme, 1954  : 56). Le réserve10.
musée fit alors le choix audacieux de
Aujourd’hui, activement engagé dans une
présenter au sein des vitrines qui lui
refonte globale de son parcours, le musée
avaient été proposées de véritables objets
s’interroge sur le rôle futur des dioramas,
de collections, et notamment deux
et sur leur histoire au sein du musée. À un
dioramas nouvellement réalisés par
moment où le musée, et les musées en
Fo u ill é   : l e D r   A l a i n Bo mbard su r
général, se veut plus didactique mais aussi
L’Hérétique (n°  inv.  53  OA  9), et Jacques-
plus ludique, la place future de ce type de
Yv e s L e To u m e l i n s u r l e K u r u n
dispositif est peut-être à reconsidérer ?
(n°  inv.  53  OA  10). Cette exposition
marque bien le rapport de proximité avec
le public qui sous-tend la politique de
Vichot. Il est très difficile cependant
d’évaluer le résultat de cette politique,
notamment en suivant la grille définie8 par Bibliographie
Stephen Bitgood (Bitgood, 1996), en Bitgood (Stephen). 1996. «  Les méthodes
raison de l’absence d’études d’impact. d’évaluation de l’efficacité des dioramas : compte
rendu critique  ». Publics et  Musées, 9 («  Les
L’attraction du public pour ce genre de
dioramas » / sous la direction de Bernard Schiele),
dispositif est très difficile à lire au musée9, p. 37-53.
témoignant de l’une des difficultés dans Delaplanche (Jérôme) & Sanson (Axel). 2009.
l’étude des dioramas  : comment identifier Peindre la guerre. Paris : Nicolas Chaudun.
les sources qui permettraient de cerner Étienne (Noémie). 2018. «  Dioramas à hauteur
pleinement leur réception. d’enfant  », p.  222-223 in Le Magasin des petits
explorateurs / sous la direction de Julien Bondaz.
La quasi-disparition des dioramas des Arles et Paris  : Actes Sud et musée du Quai
salles du musée de nos jours questionne la Branly -Jacques Chirac.

manière dont l’histoire muséographique du Kessler (Jean). 1994. «  Georges Fouillé, 1909-
1994 ». L’Art et la Mer, 49-50, 4e trim., p. 23-26.
Lelièpvre-Botton (Sylvie). 2007. Eugène Lelièpvre.
8. Dans son article de 1996, Stephen Bitgood pro-
Une vie de peinture. Paris : Philophil.
pose une grille permettant d’évaluer l’efficacité du
diorama. Il définit trois plans : comportements, co- Louvier (Patrick) (sous la direction de). 2013,
gnition et affect permettant d’étudier la réception Neptune au musée  : puissance, identités et
par le public de ce type de dispositif.

9. Nous n’avons retrouvé aucun article traitant de 10. Certains avaient déjà été envoyés dans les mu-
la question au musée, les études de publics et en- sées des ports dès les années 1960-1970, mais l’ob-
quêtes de satisfaction étant plutôt récentes dans jectif était alors de renforcer le discours de musée
l’histoire de l’institution. locaux nouvellement créés.

180 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


conflits dans les musées maritimes et navals.
Rennes : Presses universitaires de Rennes.
Niederlinder (Alain). 2017. «  Le musée de la
Marine au Louvre  : une histoire mouvementée
(1827-1939) ». Neptunia, 287, p. 4-17 (1re partie), et
Neptunia, 288, p. 4-13 (2e partie).
Serna (Virgine). 2000. «  L’élaboration des
collections documentaires au musée national de
la Marine ». Neptunia, 220, 4e trimestre, p. 33-42.

Sources et documents
Vichot (Jacques). 1946. «  L’inertie des mots et le
dynamisme des soldats de plomb  ». Neptunia, 2,
2e sem., p. 3-7.
Anonyme. 1952. «  Chronique du musée  ».
Neptunia, 26, 2e trim., p. 40-41.
Anonyme. 1954. «  Chronique du musée  ».
Neptunia, 36, 4e trim., p. 56.

Auteur
Thomas Deshayes est chargé de la
documentation des collections au sein du Service
de la conservation du musée national de la
Marine. Après sa formation à l’École du Louvre, il
a intégré en 2015 la Direction de la mémoire, du
patrimoine et des archives du ministère des
Armées. Ses travaux de recherche portent
principalement sur l’histoire des collectionneurs
et des collections en France (2016. «  Léopold
Double, 1812-1881, “l’amoureux de Marie-
Antoinette”  ». Versalia. Revue de la Société des
amis de Versailles, 9, p. 133-143).

Courriel : t.deshayes@musee-marine.fr

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 181


N OT E D E R E C H E R C H E

La Grande Semaine
de Sem et Roubille :
Le diorama par le prisme
de la satire

Marianne Le Morvan

Figure 1. Ensemble des planches de Sem au bois (détail), avec ajout des identifications
réalisées par François San Millan, annotées et complétées par Marianne Le Morvan.
© University of Minnesota.

En 1907, le caricaturiste Sem collabore attelages, automobiles, phaétons, cars,


avec son homologue Auguste Roubille cabriolets et fiacres, des plus notoires
pour concevoir un album illustré en personnalités parisiennes  !… Visages
couleurs sous la forme d’un leporello célèbres, attrapés d’un vif et spirituel
(livre-frise en rouleau) intitulé Sem au bois, crayon  !… Ressemblances merveilleuses
de neuf mètres de long, qui croque la –  et malicieuses  ! Enfin, tout l’art subtil et
haute société se rendant à Boulogne pour amusant que l’on connaît à Sem et à
assister aux courses hippiques1 (figure  1)  : Roubille » (Le Figaro, 1907 : 1).
«  Long défilé, en des véhicules divers,
L’année suivante est marquée par les
1. Sem s’appelait en réalité Georges Goursat, né festivités de l’Exposition franco-
le 23  novembre 1863 à Périgueux et mort à Pa-
ris le 24  novembre 1934. Il était illustrateur, cari- britannique, Sem crée alors plusieurs rangs
caturiste, affichiste mais également chroniqueur, de silhouettes miniatures positionnées
notamment durant la Première Guerre mondiale.
Souvent vu comme un artiste mondain, ses écrits
devant un décor peint arboré (figure  2)
et ses recherches sur le jazz, le sport, la mode, qu’il présente à la Fine Art Gallery, dans la
revêtent des approches plus profondes sur les
capitale anglaise2.
différents aspects de la modernité de la société.
Auguste Roubille naît le 15  décembre 1872 dans
le XVIIIe  arrondissement de Paris, où il décède le 2. Le Catalogue of an Exhibition of Caricatures in
6  décembre 1955. Il était caricaturiste, affichiste, Water-Colour and Wood of Racing, Yachting and
peintre et décorateur. L’objet se présente au choix Social Personages by “Sem” de la Fine Art Society
en rouleau ou en six bandes d’un mètre cinquante publié à l’époque permet d’identifier en grande
que l’on peut assembler. partie les figurines. Identification du diorama bri-

182 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


personnalités les plus en vue de l’époque.
Sem a ses habitudes en Angleterre, où il se
chausse et s’habille toute sa vie durant.
Comme en France, il y est familier de l’élite,
qu’il fréquente notamment dans les
réunions sportives. Le succès du diorama
est immédiat, au point que l’ensemble est
acheté dès le vernissage par lord Lonsdale
qui l’offre au roi Edouard VII pour sa fête3.

F o r t d e c e t t e r é u s s i t e f u l g u ra n t e
i natte n due, Sem récidive. On peut
supposer que l’ampleur de la tâche l’a
incité à s’associer de nouveau à Roubille
pour réaliser une version française. Ce
nouveau diorama, de neuf mètres de long,
baptisé La Grande Semaine, est présenté
du 21 novembre 1909 au 8 janvier 1910 aux
Figure  2. Figurine de lord Coventry galeries Brunner, à Paris 4 . L’invitation
de la version anglaise (à gauche) permettait, par un astucieux découpage
et de la version française (à droite)
du papier, de faire se détacher de l’Arc de
du diorama par Sem. ©  Succession
Sem. Triomphe un soleil couchant inondant de
lumière le Tout-Paris de retour de
Ce premier diorama incarne le Tout- l’hippodrome de Longchamp (Bulletin de
Londres, qui s’empresse de venir découvrir la Société archéologique  : 135). L’affluence
comment sont restituées les fut telle lors du vernissage que les
caractéristiques physiques permettant barrières cédèrent à deux reprises, et que
d’identifier au premier coup d’œil les des gardiens de la paix durent veiller sur la
foule (Le Figaro, 1909, 22 nov. : 1). Dix-sept
tannique telle que présentée dans le catalogue
de la Fine Art Society de Londres de 1908 : le roi 3. Lord Lonsdale l’offre au roi Edouard VII pour sa
George V, le prince Christian, lord Alington, Mr Al- fête. Le diorama britannique entra, après le décès
lison, major Beatty, comte Berteyx, général Braba- du roi, dans la collection des courses d’Ascot, puis
zon, lord Buchan, lord Carnarvon, The Right. Hon. fut légué au National Horseracing Museum de
sir Ernest Cassel, Mr.  T.  Chaine, The Right. Hon. Newmarket, en Angleterre. Les recherches néces-
Henry Chaplin, lord Coventry, Mr. Arthur Coventry, saires pour cet article, qui permirent la découverte
marquis de Soveral, The Late Duke of Devonshire du catalogue publié à l’époque, ont été transmises
(deux fois  : avec un manteau et un chapeau à l’institution qui possède désormais l’ensemble et
marron  ; dans un manteau gris et avec un haut qui, ainsi, complète enfin la notice correspondante.
chapeau), lord Durham, lord Farquhar, The Hon.
Evelyn Fitzgerald, Mr.  Peter Gilpin, The Late Hon. 4. La date initiale prévue était celle du 19  no-
Ronald Greville, sir Charles Hartopp, W.  A.  Higgs vembre, mais l’ampleur de l’installation a retardé
(jockey), Mr. G. Hodman, lord Howard de Walden, l’ouverture. Il fut d’abord envisagé qu’il soit ensuite
Mr. S. Joel, Mr. A. Keyser, The Hon. F. Lambton, The présenté à Monte-Carlo, mais après la célèbre
Hon. G. Lambton, lord Lonsdale (deux fois : de côté crue de janvier 1910, l’exposition a finalement été
et de face), lord Lurgan, H.  O.  Madden (jockey), prolongée aux galeries Brunner, 11, rue Royal (Pa-
Mr.  Marsh, Mr.  P.  Nelke, The Late Mr.  Hugh Owen, ris VIIIe), à partir du 9  mai 1910, puis de nouveau
Mr.  J.  Porter, Mr.  Seymour Portman-Dalton, The à Londres, où Sem ne manquera pas d’ajouter en
Hon. Neil Primrose, Mr.  W.  B.  Purefoy, lord Rose- figurine le roi George V. (cf. « Paris en route pour
bery, lord Rothschild, baron James de Rotschild, Longchamp. A diorama by Sem and Roubille  ».
Mr. Leopold de Rotschild, a former runner with the The Fine Art Society, 425, mai-juin 1911). Une iden-
Old Berkeley, well known at Ascot, Mr. Arthur Sas- tification partielle du diorama français est pré-
son, lord Savile, prince Victor Duleep Singh, Tod sentée dans le catalogue de la Fine Art Society
Sloan, Mr.  Stirling Stuart, The Hon. Henry Stonor, de Londres de 1911  : le roi George  V, le président
lord Villiers, sir Edgar Vincent, col. W. Hall Walker, Armand Fallières, Réjane (comédienne), Polaire
lord Westbury, The Duke of Westminster, capitaine (comédienne), M.  Lépine (le chef de la police),
Mark Weyland, général sir Albert Williams, lLord Rostand et Bernstein (auteurs dramatiques), Sem
de Grey, Mr.  Bradshaw, lord Crawford, Mr.  De Sa- (caricaturiste), Forain (caricaturiste), Helleu (ca-
lie, capitaine Foster, sir D. Leach, Admiral The Hon. ricaturiste), Boldini (peintre), Santos-Dumont,
Victor Montagu, lord Ormonde, lord Wandsworth, prince de Chimay, Maurice Ephrussi, baron James
Sem. de Rotschild, Boni de Castellane.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 183


mille francs 5 furent nécessaires à la «  Le panorama a donné naissance à une
production de l’installation, mais dès foule de spectacles analogues  : diorama,
mi-décembre, l’investissement était déjà diaphariorama, stéréorama, myriorama,
rentabilisé par le prix des entrées, fixé à georama, néorama, pléorama,  etc.  » (Le
3  francs en semaine et 2  francs le Rappel, 1881 : 3)6.
dimanche, puis revu à la hausse pour un
La mise en scène de Sem et Roubille7 n’a
tarif unique afin, dit-on, de réduire le
pas de volonté illusionniste, contrairement
nombre de visiteurs, mais dont on peut
aux dioramas de Louis Daguerre (Le Gall,
penser qu’il permit d’engranger encore
2013) et Charles-Marie Bouton, telle qu’ils
plus de bénéfices (L’Intransigeant 1909  :
l’établirent un siècle plus tôt en utilisant
2 ; Le Figaro, 1909, 12 déc. : 4).
des jeux de lumière pour induire une
impression de profondeur (Désile, 2016  :
Du panorama au diorama, le 170-173)8 et de suggestion temporelle. Elle
choix du vocabulaire n’est pas non plus animée mécaniquement
comme le peintre marin Louis Gamain
En qualifiant leur installation de
l’avait proposé dans les tableaux mouvants
«  diorama  », Sem et Roubille font déjà
de son Navalorama9 présenté en 1838. Des
preuve d’une certaine facétie. Cette
terminologie utilisée pour désigner une
6. « Il est très intéressant de connaître l’origine et
mise en situation d’un sujet dans son l’histoire du panorama. L’invention en est due à un
contexte était jusqu’alors caractéristique peintre d’Édimbourg qui prit à Londres un brevet
des musées d’histoire naturelle, et exposa en 1799, dans Leicester Square, le pre-
mier panorama représentant la ville de Londres.
notamment pour montrer un animal dans C’est le hasard qui fit trouver cette invention à l’au-
une reconstitution de son habitat. Il place teur Robert Barker. Étant en prison pour dettes, il
remarqua l’effet singulier que produisait l’éclairage
en l’espèce la « faune » de la haute société
de sa cellule sur une lettre qu’il tenait à la main. Au
dans le décor de la huppée rue Royale (de sortir de la prison, il tâcha de reproduire sur une
nos jours devenue l’avenue Foch du grande toile l’effet de la lumière et réussit parfaite-
ment. La réussite qu’il obtint à Londres l’encoura-
XVIe arrondissement de Paris). Ce type de gea à représenter sur la toile la vue de la ville et du
réalisation était très en vogue au cours du port de Porsmouth, puis des batailles navales, etc.
XIXe  siècle. On trouve trace, par exemple, Vers la même époque, c’est-à-dire en 1799, le cé-
lèbre mécanicien Robert Fulton, arrivé depuis peu
du Carporama réalisé par Robillard de temps de Pennsylvanie à Paris, conçut l’idée
d’Argentelle, exposé en 1829 au Muséum des mêmes effets obtenus par la lumière et fit
construire une rotonde au boulevard Montmartre,
d’histoire naturelle de Paris, qui présentait sur l’emplacement où furent établis les passages
une collection de végétaux artificiels qui des Panoramas. Le monument avait 14 mètres de
lui valurent les hommages posthumes de diamètre. Ce fut le premier panorama exécuté à
Paris et offert aux Parisiens. Ce spectacle obtint un
l’Académie des sciences. Cent douze succès sans égal » (Le Rappel, 1881 : 3).
moulages en cire peints des principaux
7. François San Millan, qui a réalisé des recherches
fruits tropicaux furent exécutés à l’île de sur le sujet pour concevoir le site Internet de l’As-
France (La Réunion) de 1802 à 1825, puis sociation Sem, a identifié des représentations de
caricatures découpées comparables en Espagne
rapportés en métropole en 1826, avant
au début du XXe siècle. Il est notamment le co-au-
d’être offerts par les héritiers de l’artiste teur avec Jacqueline Molher d’un article consacré
au Muséum en 1887 (Chevalier, 1930 : 486). aux dioramas de scène : « Dioramas ». À lire éga-
lement, Patrice Thompson, «  Essai d’analyse des
L’enjeu de la réalisation était double conditions du spectacle dans le Panorama et le
puisqu’il valorisait le patrimoine des Diorama » (1982).
colonies tout en présentant un intérêt 8. Pascale Alexandre-Bergues revient sur les dif-
scientifique. Ce modèle pédagogique eut férentes typologies expérimentées en matière de
diorama, dans un passage qu’elle consacre entiè-
un grand retentissement, tout comme ses
rement à La Grande Semaine de Sem et Roubille
déclinaisons. En 1881, un article du Rappel dans Les Archives de la mise en scène : spectacles
se faisait l’écho de cet engouement en populaires et culture médiatique, 1870-1950, sous
la direction de Pascale Alexandre-Bergues et Ma-
donnant une explication sur son origine  : tin Laliberté, Lille, Presses universitaires du Septen-
trion, 2016, p. 170-173.

5. Conversion INSEE des anciens francs 1909 en 9. Le Navalorama était une composition de 800 m2
euros 2017 : 65 582 ¤. reconstituant une mer agitée à l’aide d’éléments

184 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


oramas scientifiques furent développés, piétons, animaux (chiens, loup du prince
co m m e l e G é o ra m a d e D e l a n g l a rd de Troubeskoy, biche apprivoisée de
fabriqué en 1823 et composé d’une sphère M me   Charron), voitures à cheval et
de plus de 32 mètres, ou celui de Sanis, en automobiles animaient la foule, restituant
1843, reproduisant en microscopique la une certaine effervescence. L’expressivité
France en respectant les reliefs des caractères, des détails en relief et les
géologiques ainsi que les fleuves, ou positions induisaient du mouvement aux
e n c o re l ’ u r a n o r a m a –   a n c ê t re d u personnages bien qu’ils soient statiques.
planétarium  – visant à faire comprendre Cinq cents voitures et mille figures13 de 25
les mouvements astronomiques. à 28  cm cohabitaient, au point que
l’ampleur de l’installation retarda le
Pour Sem, en particulier, l’exercice du
vernissage (Le Journal, 1909 : 1).
diorama s’inscrit dans le prolongement de
la publication de deux de ses albums, Le On parvient à distinguer les éléments
Turf et Les Acacias, qu’il meut en trois moins précis de Roubille, qui s’est chargé
dimensions en réalisant des plans de l’exécution des voitures, chevaux et de
successifs constitués par des figurines la figuration, des figurines réalisées par
peintes sur contreplaqué10, avec mise en Sem, dont les corps sont peints
relief de certains éléments des vêtements directement sur le bois et les têtes collées
et ajout de quelques ornements aux puis coloriées (figure  3). Les détails sont
silhouettes (plume véritable qui couronne soignés dans les attelages, chacun est
le chapeau d’une femme, tulle qui gonfle différent des autres (figure 4).
les jupons, canne en bois d’un dandy,
pochette en soie sur un veston, etc.) pour
dynamiser l’ensemble11. On retrouve ici un
sujet qui a déjà été exploré dans les
journaux par les deux artistes (Le Figaro,
1907 : 3), mais son changement en volume
ajoute indéniablement une dimension
ludique supplémentaire à leur exercice
habituel.

Le décor plat élaboré par Roubille (La


Petite Gironde, 1909 : 2) servait seulement
de fond  : il a malheureusement de nos
jours disparu 12 . Jusqu’à six rangs de

mobiles, d’abord présenté au Havre en 1830, puis


aux Champs-Élysées en 1838. Cette initiative se
rapproche davantage du panorama, comme l’ana-
logie de son nom l’indique, qui correspond à une
installation monumentale impliquant que le spec-
tateur se déplace pour découvrir l’ampleur de la
composition. Figure 3. Figurine d’une femme pour
10. On relèvera qu’elles ne sont peintes que sur la figuration du diorama anglais,
une face et ont été numérotées au dos, sans doute de dos et de face. ©  Collection de
pour faciliter la réinstallation lors de l’itinérance de l’Association de la Régie théâtrale. On
la version française à Londres. On note également
que les visages des silhouettes sont en grande relève la mise en relief obtenue par la
majorité les mêmes que ceux publiés dans ces superposition de différentes pièces
deux albums précédents, ce qui facilite les iden- pour composer les silhouettes.
tifications.

11. Les figurines londoniennes sont plus grandes éléments secondaires pour ce type d’œuvres, le
que les parisiennes, sans doute parce que l’ins- décor était possiblement alors jugé moins impor-
tallation étant plus petite, cela permettait d’occu- tant à cette époque.
per davantage l’espace. Les premières étaient sur
socles alors que les secondes étaient sur rails. 13 . Il est possible que ce chiffre publié (L’Écho de
Paris, 19  nov. 1909, p.  1  ; Le Journal, 29  nov. 1909,
12. Cette hiérarchie interroge la conservation des p. 2.) soit un peu exagéré.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 185


De l’orgueil d’être reconnu : la
validation d’un statut social par
la caricature
L’appropriation du diorama par Sem et
Roubille emprunte l’application littérale de
la définition de la caricature, telle
qu’évoquée par Champfleury : « Quelques-
uns trouvent la caricature violente, injuste,
taquine, hardie, turbulente, passionnée,
menaçante, cruelle, impitoyable. Elle
représente la foule  » (Champfleury, s.  d.  :
vii). Signe d’un changement de la société,
le «  grand monde  » ne désigne plus
désormais la seule noblesse qui décline
durant la fin du XIXe  siècle, mais s’étend à
la bourgeoisie et à des personnalités
célèbres qui s’instillent progressivement à
partir de cette époque dans le gotha
Figure  4. Figuration du diorama (Mention-Rigau, 1994). Après 1830, le
français par Roubille. critère d’accès au monde n’est plus la
© Succession Sem. naissance mais la notoriété (Martin-Fugier,
1990).
Les artistes, qui ne manquent pas
On trouve ainsi parmi le panel des
d’autodérision, n’oublièrent pas de se
représentés de La Grande Semaine, outre
représenter : Sem dans une automobile et
les rois, princes, barons et ducs, des
Roubille en promeneur. Ainsi se profile une
comédiennes, des auteurs dramatiques,
forme de «  ségrégation  » (Désile, 2016  :
des politiques, des hommes d’affaires, des
170-173) entre figures notoires identifiables
personnalités de la presse, des artistes et
à leurs traits, caractéristiques et attitudes
même le chef de la police. Le mondain
–  sans distinction de rang par rapport à
désigne désormais celui qui adopte «  un
leur place dans la hiérarchie sociale –, et la
mode de vie et une sociabilité
figuration d’anonymes qui, à l’inverse,
aristocratique  » (Bravard, 2013  : 17),
incarnent des archétypes (gardien de la
répondant à des codes qui régissent une
paix, religieuses, marchands de
obligation de paraître, et dont le goût pour
ballons, etc.).
la course hippique est l’un des plus
Il serait possible de reconstituer en grande emblématiques. Les cérémonies du Grand
partie ce diorama français puisqu’un Prix, qui marquent la fin de la saison
nombre important de figurines ont été parisienne débouchant sur le départ de la
conservées14. Une telle installation serait haute société cosmopolite vers les villes
une pièce magistrale pour clore une d’eau où passer confortablement l’été,
première grande exposition en France sur représentent l’épicentre où l’on doit se
le caricaturiste Sem, d’autant qu’il n’existe montrer et un temps fort de la vie
pas encore de monographie exhaustive en parisienne (ibid.  : 140). Le dispositif joue
langue française sur le sujet. ainsi astucieusement à mettre en abyme
les personnalités qui se mettent eux-
14. Elles appartiennent désormais à l’Associa- mêmes en scène au sein de la société de
tion de la Régie théâtrale (ART) (conservées à la
BHVP) qui, par déduction, émet l’hypothèse que l’époque, par un procédé théâtral.
Roubille lui-même en aurait fait don à Mlle Ducoin,
l’ancienne agente générale de l’ART. La famille de Aussi, si le diorama correspond à la
Sem conserve une partie importante de l’autre vocation de donner «  l’illusion de la
moitié. Cette répartition semble logique  : chacun
des caricaturistes a donc conservé ses propres réalité  » (Hoffbauer, 1885), c’est par ce
productions. rapport mimétique à une évolution

186 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


sociologique dont ils se font les passeurs donnés aux différents groupes réunis par
espiègles, et par le talent de portraitiste de voitures16. En 1910, les deux caricaturistes
Sem qui restitue avec beaucoup de exploiteront l’idée pour créer une affiche
ressemblance les personnalités qui suscita l’intrigue, en dessinant une
convoquées, qu’il entre pleinement dans la foule élégante mais sans visage, dans le
définition de l’exercice. même cadre des milieux hippiques. La
publicité créée pour le tailleur High Life
Cette forme hybride, appliquant l’art de la
Tailor précisait seulement le prix des
caricature au modèle du diorama, apporte
costumes, suggérant que l’on est d’abord
u n co m p ro m i s i d é a l e n t re l ’ u s a g e
identifiable par son allure17.
h u m o r i st i q u e d e s m a r i o n n e t te s o u
s i l h o u e t te s d e t h é â t re d ’o m b re Les personnages de La Grande Semaine
généralement utilisées comme support à rappellent le monde des marionnettes. Là
la satire, et une rencontre avec leur propre encore, le décalage malicieux entre une
univers graphique. La curiosité pour certaine vacuité des mœurs dépeintes et
l’identification des personnalités en vogue le registre enfantin n’était sans doute pas
prend différentes formes au fil du dû au hasard. La mise en scène de la
XIXe siècle jusqu’à ce début du XXe. Patrick photographie retenue pour promouvoir
Désile revient en détail sur les différentes l’événement le rappelle également,
typologies expérimentées en matière de montrant les caricaturistes se mettant en
diorama, et fait le lien entre des initiatives scène comme ordonnateurs de l’univers
comme celle du musée Grévin qui ouvre à qu’ils ont créé (figure 5).
cette époque, des publications
comme Le Trombinoscope 15 et
les albums de célébrités très
populaires, déclinés sous forme
de cartes postales, mosaïques
photographiques, photos
publicitaires,  etc. La mode des
silhouettes de profil et des
masques mortuaires qui faisaient
florès plus tôt est également à
ra p p ro c h e r d e ce p r é co ce
engouement pour les peoples.
Dans cette époque où la presse
e s t l e p r i n c i p a l m oye n d e
communication, les journaux
Figure  5. Photographie de l’installation du
satiriques ont un impact colossal.
diorama par Sem et Roubille. ©  Photographie
Être représenté devient dès lors
Branger.
le symbole de la consécration de
s a n o t o r i é t é . At t i re r l ’ i n t é r ê t d e s La satire est cruelle parce que
caricaturistes et être reconnu par les ressemblante, et le talent de Sem réside
lecteurs devient le summum de la précisément dans un équilibre alliant style
célébrité. Or l’enjeu est bel est bien de identifiable et choix des cibles. Il était
tenter de deviner qui est qui dans le reconnu comme le principal caricaturiste
cortège de La Grande Semaine, sans des plus aisés, qui constituaient aussi bien
tricher, en s’en remettant au livret édité
p o u r a cco m p a g n e r l ’ex p o s i t i o n e t 16. Le catalogue de la Fine Art Society et une ver-
apportant des indices à partir des noms sion annotée permettent une identification par-
tielle des personnalités.

15. Le journal satirique qui paraît à partir de 1871 en 17. Ce sont là citées les seules collaborations
prenant pour cible de chaque opus un «  homme identifiées entre Sem et Roubille. En l’absence de
du jour » narquoisement caricaturé en mots et en sources, les conditions de ces travaux communs ne
images. seront pas extrapolées.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 187


souvent sa clientèle, flattés par tant proposition tout en conservant leur
d’égard qu’ils achetaient les originaux de vocabulaire plastique. Cet exercice
leur propre portrait. On notera d’ailleurs singulier fut l’expression de leur talent et
que les figurines des dioramas étaient du sens du commerce de Sem qui, en
également à vendre à la pièce. Sem est publicitaire redoutable et fin promoteur
fréquentable parce qu’il parvient à allier la autofinançant la publication de ses albums,
férocité aimable et l’élégance. Bien sut plus encore galvaniser l’attention d’un
qu’épinglées, les personnalités illustrées auditoire, mêlant à la fois curieux et
restent sophistiquées, ce qui n’a ainsi rien privilégiés. Leur apport à cette forme
d’infamant. Le président de la République hybride entre panorama, miniature, théâtre
Fallières, cible favorite des dessinateurs de de silhouettes et mise en scène
la période, visitera d’ailleurs le diorama faussement enfantine, ouvrit le domaine à
avec son fils, tout comme le maharajah de ce qui fut ensuite appelé le «  diorama en
Kapurthala et le roi Manuel du Portugal, relief  », très répandu au début du
très amusés de se voir ainsi représentés XX e   siècle, repris par Caran d’Ache,
(«  Visite présidentielle  », 1909  : 1  ; Le notamment, dans ses «  chasses  » et son
Figaro, 1910 : 3.). diorama baptisé Le Grand Prix de Paris qui
se rapprochait fortement, par la forme et
Le titre retenu pour ce diorama est
par la thématique, à La Grande Semaine de
intrigant. Il évoque la semaine hippique qui
Sem et Roubille. Point d’orgue dans leur
débute par le Grand Steeple-Chase à
c a r r i è re, l e u r s d i f f é re n t s d i o ra m a s
Auteuil et se termine par le prix de
catalysèrent l’appétit d’une époque pour
Longchamp. Sous la Troisième République,
les personnages publics, en ne trahissant
l’allée des Acacias qui débute porte Maillot
nullement un art de la satire, et les
pour mener à la pelouse de l’hippodrome
rendirent eux aussi célèbres18.
de Longchamp est par excellence le lieu
de promenade mondaine. Mais ce titre fait
aussi référence à la Grande Semaine des
chrétiens orthodoxes, également appelée Bibliographie
la Semaine sainte, qui s’ouvre par le Bravard (Alice). 2013. Le Grand Monde parisien,
dimanche des Rameaux, avant Pâques. 1900-1939. La persistance du modèle
Les cérémonies ont lieu en grande pompe, aristocratique. Rennes  : Presses universitaires de
Rennes.
et les fidèles lors d’une procession sont
Désile (Patrick). 2016. «  La Grande Semaine de
bénis par un prêtre. L’idée d’une analogie
Sem et Roubille, un condensé de la culture
avec la relation ambivalente que l’artiste visuelle du XIXe  siècle  », p.  161-174 in Les Archives
entretient avec ses victimes consentantes de la mise en scène  : spectacles populaires et
ne manque pas d’ironie. cultures médiatiques, sous la direction de Pascale
Alexandre-Bergues et Martin Laliberté. Lille  :
La dualité de courtisanerie et de moquerie Presses universitaires du Septentrion.
est résumée dans la « causerie » du comte Keraudren-Aymonin (Monique) & Aymonin
Robert de Montesquiou qui clôtura (Gérard G.). 1984. «  Une œuvre scientifique et
artistique unique  : le Carporama de
l’exposition. Il commenta ce «  film L.  M.  A.  de  Robillard d’Argentelle  », Bulletin de la
immobile  » en évoquant le rôle de la Société botanique de France. Lettres botaniques,
caricature  : «  dont on se plaint quand elle 131(4-5), p.  243-246, en ligne  : https://www.
nous égratigne, dont on se plaint encore tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/01811797.1984.10
824636 [consulté le 21 déc. 2018].
davantage quand elle nous oublie  »
Le Gall (Guillaume). 2013. La Peinture mécanique,
(Dolfus, 1910  : 2). Tel un montreur de
ménagerie, l’orateur fit les présentations
de chaque silhouette en présence de la 18. Remerciements chaleureux aux archives de la
Régie théâtrale, aux archives de la Fine Art Society
foule dense des principaux protagonistes et du Palace House de Newmarket, à Martin et
écoutant les commentaires humoristiques Françoise Beauchamps, ainsi qu’à toute la famille
du caricaturiste Sem, et à Claire Mead pour la lo-
à propos de chacun.
gistique britannique. Je me dois aussi d’exprimer
ma reconnaissance à François San Millan dont les
En s’emparant d’un modèle en vogue, Sem recherches préalables exhaustives et la relecture
e t Ro u b i l l e s u re n t re n o u ve l e r l e u r ont été très utiles.

188 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


le diorama de Daguerre. Paris  : Mare & Martin Hoffbauer (Fedor). 1885. Carré Marigny, aux
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«  Visite présidentielle  ». 1909. L’Aurore, Auteure
18 décembre, p. 1. Marianne Le Morvan est docteure en histoire de
Bulletin de la Société archéologique, historique et l’art (thèse soutenue en co-direction histoire à
artistique le Vieux Papier : pour l’étude de la vie et Nanterre le 15  décembre 2017), fondatrice et
des mœurs d’autrefois. 1946. Vol. 18. directrice des Archives Berthe Weill, commissaire
d’exposition (Grey Art Gallery, le musée de
Catalogue of an Exhibition of Caricatures in l ’ U n i ve r s i t é d e N e w Yo r k ) , c h e r c h e u s e
Water-Colour and Wood of Racing, Yachting And indépendante et biographe de la galeriste
Social Personages by “Sem”. 1908. Londres  : The d’avant-garde Berthe Weill (Berthe Weill, 1865-
Fine Art Society. 1951. La petite galeriste des grands artistes,
Champfleury (Jules). s. d. Histoire de la caricature Orléans, L’Écarlate, 2011). Elle a collaboré avec
moderne. Paris : E. Dentu. Arte pour un documentaire en réalité virtuelle sur
Chevalier (Auguste) (sous la direction de). 1930. une œuvre de Manet, produit par Iko. Ses
Revue de botanique appliquée et d’agriculture recherches portent sur les artistes exposés à la
coloniale. Paris  : Laboratoire d’agronomie galerie B. Weill, le marché de l’art moderne et ses
coloniale. collectionneurs. Elle est l’initiatrice du prix Berthe
Weill pour la recherche. Son prochain ouvrage est
De Montesquiou (Robert). 1910. «  La Grande une biographie d’Auguste Bauchy, directeur du
Semaine  ». Fantasio, repris et augmenté dans  : Café des Variétés, collectionneur précoce et
2012. «  Le film immobile  », p.  55 in Têtes important de Gauguin, Van Gogh et Picasso.
d’expression. Paris : Émile-Paul.
Courriel : mariannelemorvan@gmail.com
Dimanche illustré. 1909. 5 décembre. www.bertheweill.fr
Dolfus (Paul). 1910. «  Une conférence de www.mariannelemorvan.com
M.  de  Montesquiou sur la “Grande Semaine” de
Sem et Roubille ». Gil Blas, 8 janvier.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 189


COMPTE RENDU DE THÈSE

La patrimonialisation selon
l’immatériel ou la mémoire
agissante, circulations
des savoirs en contexte
partenarial de production
audiovisuelle

Nolwenn Pianezza

Thèse de doctorat en sciences de


l’information et de la communication, en
co-tutelle entre l’Université d’Avignon et
des pays de Vaucluse et l’Unirio (Brésil),
soutenue le 18 décembre 2017.

Cette recherche doctorale explore les Ils enregistrent les témoignages collectés
enjeux et modalités de la e t l e s m e t te n t e n fo r m e d a n s u n
patrimonialisation à l’heure du patrimoine documentaire audiovisuel consacré au PCI
culturel immatériel (PCI). En réponse à la de ce territoire. C’est enfin sur la base de
Convention de l’Unesco pour la tels témoignages que chercheurs et
sauvegarde du PCI, de nombreux projets citoyens réunis décident des pratiques
culturels d’inventaire du patrimoine sont méritant de devenir patrimoine et de
entrepris par les chercheurs et se
recevoir un statut d’exception, en tant que
m a t é r i a l i s e n t s o u s fo r m e d e f i l m s
bien culturel à préserver, promouvoir et
documentaires. Il s’agit alors de produire
transmettre aux générations futures1.
de la connaissance sur des patrimoines
méconnus –  rites, chants ou même Pour aborder ces documents audiovisuels,
paysages. Or l’Unesco préconise une nous les appréhendons comme une
coproduction de ces documentaires entre
les chercheurs et la société civile, avec 1. Ce statut patrimonial peut prendre différentes
formes selon les inventaires  : il peut s’agir d’une
ceux qui vivent, portent et pratiquent ces
reconnaissance formelle, par exemple d’un titre ad-
patrimoines. C’est donc dans cette ministratif accordé par les institutions, celui de PCI
p e r s p e c t i ve q u e l e s s c i e n t i f i q u e s d’un pays donné ou de l’Unesco ; il peut également
s’agir d’une reconnaissance plus informelle, telle la
interrogent les habitants du territoire qu’ils production d’un film sur la pratique culturelle en
auscultent, recueillent leur parole sur leurs question : dans ce cas, le choix de lui consacrer un
documentaire, puis de témoigner ainsi publique-
pratiques culturelles, et leur font dire la ment de sa valeur, constitue déjà en soi une forme
signification, la valeur qu’ils leur accordent. de statut d’exception.

190 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


mémoire sociale, soit un récit documenté, campagnes d’inventaire font l’objet du
structuré et enregistré, produit par un terrain. La première, institutionnelle,
groupe social (Davallon, 2015). Or cette concerne un inventaire national du
mémoire semble occuper une place patrimoine guarani, réalisé dans deux États
d é c i s i ve a u c œ u r d e s p r o c e s s u s du Sud-Est brésilien (Rio de Janeiro et
contemporains de patrimonialisation Espírito Santo), dans six villages de forêt.
(ibid.), puisque le témoignage collecté y La seconde relève d’une démarche
est mobilisé à trois niveaux. En premier informelle d’inventaire portée par un parc
lieu, il permet de sélectionner les objets naturel régional français. L’originalité de la
dignes du statut patrimonial. Il décrit recherche consiste à observer à chaque
ensuite leur valeur patrimoniale, en vue de fois le processus de patrimonialisation
constituer un savoir sur l’objet et de dans le temps de sa production, durant
justifier de l’intérêt de le protéger. Il l’inventaire audiovisuel. Elle aborde la
légitime, enfin, le processus patrimonial en c o n s t r u c t i o n d o c u m e n t a i re p a r l a
attestant de l’attachement profond du production des savoirs, pressentie comme
groupe social au patrimoine en question. le nœud crucial où se joue la participation
La thèse visait ainsi à identifier le rôle du groupe social, puisque c’est là que ses
spécifique de la mémoire sociale et à membres, dits chercheurs indigènes, sont
repérer comment ses usages pour certains chargés d’enquêter sur leur
contemporains, de type collecte patrimoine, de recueillir les témoignages
audiovisuelle de témoignages, filmés des porteurs de mémoire ou
transforment de tels processus et donnent d’élaborer le documentaire.
à voir une nouvelle manière de fabriquer,
de co-construire le patrimoine avec le Pour questionner cet objet, la thèse
groupe social. interroge la circulation des savoirs
(Jeanneret, 2008) lors du processus
La thèse s’appuie initialement sur ce documentaire. Celle-ci permet d’analyser
contexte d’une attention croissante au les transformations techniques,
patrimoine immatériel dont elle reformule épistémologiques et symboliques
la portée en lui donnant statut de survenues, en deux axes  : la transmission
paradigme. Loin de constituer une et la fixation des savoirs –  c’est-à-dire la
«  nouvelle catégorie de patrimoine  », manière dont l’enregistrement audiovisuel
éphémère, ancrée dans l’oralité ou la transporte, contraint, réduit ou modifie
performance, et distincte d’un patrimoine
leur forme et leur sens. Elle regarde
bâti, l’immatériel pointe plutôt une
comment les savoirs sont conçus, discutés
a p p ro c h e n a i s s a n t e , «   u n e f a ç o n
et mis à distance, la manière dont ils
spécifique de produire du patrimoine  »
transitent, s’échangent et se distribuent
(ibid.  : 29). Celle-ci se caractérise par une
e n t re l e s a c te u r s e t l e s s u p p o r t s
large participation du groupe social et un
médiatiques (filmiques) à la faveur de
regard ajusté sur le patrimoine, dont on
l’inventaire. Pour repérer comment se
entend signifier et maintenir la nature
transforment le regard et le
vivante et évolutive, rattachée aux
positionnement du groupe social envers
hommes qui le pratiquent. À la lumière de
son patrimoine, la recherche décrypte son
ce paradigme, c’est ainsi un «  nouveau
geste documentaire (les tâches qu’il
régime de patrimonialité » (Turgeon, 2013 :
accomplit) et la méthodologie partenariale
390) que la thèse décrypte en observant
(son niveau d’implication)  : cela nous
la manière dont il inspire les opérations
permet d’analyser comment il investit le
documentaires sur le terrain.
processus patrimonial et, par exemple,
Notre recherche s’intéresse à l’inventaire comment évolue son désir de s’engager
p a t r i m o n i a l , é t a p e p re m i è re d e l a pour le protéger. Nous interrogeons, enfin,
patrimonialisation, ici mise en œuvre en le « devenir médiatique » du patrimoine, ce
partenariat entre experts culturels ou qu’il en advient (Tardy, 2014), en observant
scientifiques et un groupe social. Deux le traitement documentaire des savoirs,

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 191


soit la manière dont l’objet est décrit ou sans l’y réduire, et d’ouvrir son sens au
abordé. Il s’agit alors de repérer à quel redéploiement et à la mutabilité. Cette
point, d’après les enquêtés, ce patrimoine p ro p o s i t i o n d ’ u n e f i x a t i o n s o u p l e
vivant se fige par sa fixation sur un caractérise ainsi le régime de
support d’enregistrement. Notre recherche patrimonialisation associé au paradigme
développe pour cela une méthodologie de l’immatériel. Elle nous conduit à
sémio-ethnographique, associant réinterroger la question de la fixation, non
l’observation, l’analyse de documents et plus tant comme figement ou «  fixisme  »
principalement l’entretien avec les acteurs, (Maguet, 2011), mais comme une pratique
sociaux et scientifiques, des inventaires. sociale redynamisante vis-à-vis des formes
culturelles documentées, lorsqu’elle
Les résultats mettent en évidence le
favorise leur évolutivité par l’implication et
parcours de sociabilité, de réflexivité et
le regard critique du groupe.
d’appropriation de l’acteur social au fil de
son geste documentaire. Sa participation Enfin, nous mettons en évidence les
lui permet de développer une réflexion processus de transmission culturelle qui
critique et créative sur le patrimoine, sur le o n t l i e u d a n s l e te m p s d u t rava i l
mode d’une conversation facilitée avec ses documentaire. Nous démontrons la place
pairs. Cette expérience singulière tend singulière de la mémoire sociale dans ce
alors à modeler l’engagement et à régime de patrimonialisation, puisque son
refonder la relation socio-symbolique du élaboration collective facilite la circulation
groupe à son patrimoine. des savoirs, lorsque l’exercice rapproche
les participants, les jeunes enquêteurs et
Nous répondons ensuite à l’une des
les anciens qu’ils interrogent, par exemple.
controverses du processus patrimonial,
En ce sens, elle accomplit une œuvre
r é p u t é re s p o n s a b l e d ’ u n f i g e m e n t
médiatrice au sein du groupe.
irrémédiable d’un patrimoine évolutif et
vivant. Nous relevons une stratégie Nous resituons, enfin, la temporalité des
documentaire des acteurs de l’inventaire, transformations liées à la
visant à contourner cette difficulté  : ils patrimonialisation, puisqu’elles peuvent
s’efforcent de fixer sans figer les savoirs. Ils avoir lieu lors de l’inventaire et de la
évitent de présenter dans les films un construction documentaire, soit lors du
ensemble stabilisé de savoirs sur le processus patrimonial même, et non à sa
p a t r i m o i n e ra co n t é , q u i r i s q u e ra i t suite. Le statut des dispositifs
d’enfermer ou réduire sa compréhension à patrimoniaux contemporains, en particulier
ces éléments, amenés à circuler avec les celui des médiations documentaires, est
films. Quelques procédés stylistiques alors repensé  : initialement conçue pour
retiennent par exemple notre attention. encadrer une production de savoir, la
Ainsi, l’objet de patrimoine n’est jamais patrimonialisation se détache d’une seule
décrit précisément  ; en revanche, il est logique de connaissance, pour porter un
traité de manière indirecte : commenté par enjeu d’ordre relationnel et une valeur
un témoin, il est avant tout interrogé et médiatrice, lorsqu’elle agit sur le lien social
envisagé dans ses mutations passées et à qui encadre les pratiques et favorise leur
venir, plus qu’il n’est défini, établi, transmission. Enfin, la thèse requalifie le
formalisé. Finalement, il est plutôt abordé processus de production des savoirs lui-
à distance, contourné et approché par ce m ê m e , p u i s q u ’e l l e p a r t i c i p e à l e u r
détour. Cependant, à n’en dire que peu de circulation, grâce à l’implication du groupe
choses et à privilégier les social partenaire, au titre de chercheur
questionnements à son endroit, les indigène. Beaucoup plus qu’un exercice
témoins filmés invitent tout un chacun à y théorique, ce travail favorise alors la vitalité
répondre et à formuler pour soi ce qu’est des pratiques documentées. Ceci nous
et représente ce patrimoine. La «  fixation permet, enfin, de repenser l’idée de la
souple » des savoirs se veut alors le moyen patrimonialisation qui, dans un tel régime,
de produire une trace sur le patrimoine ne signifie pas mise à l’écart de l’objet de

192 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


patrimoine, mais sa réintégration dans le
monde social, ni tant stabilisation des
savoirs que leur circulation continue ici et
maintenant. Se dessine donc ici toute la
singularité d’un régime de
patrimonialisation qui, à l’heure de
l’immatériel, s’orchestre à partir de la
fabrique continue et partagée d’une
mémoire sociale, reconnue agissante pour
les effets qu’elle y produit.
Résumé par l’auteure
Courriel : nolwenn.pianezza@gmail.com

Bibliographie
Bortolotto (Chiara). 2011. Le Patrimoine culturel
immatériel. Enjeux d’une nouvelle catégorie.
Paris  : Éditions de la Maison des sciences de
l’homme (Ethnologie de la France).
Ciarcia (Gaetano). 2010. « De qui l’immatériel est-
il le patrimoine  ?  ». Civilisations. Revue
internationale d’anthropologie et de sciences
humaines, 59(1), 28 juin, p. 177-184.
Davallon (Jean). 2015. «  Mémoire et patrimoine  :
pour une approche des régimes de
patrimonialisation  » in Mémoire et nouveaux
patrimoines / sous la direction de Cécile Tardy et
Vera Dodebei. Marseille  : OpenEdition Press, en
ligne  : http://books.openedition.org/oep/444
[consulté le 21 décembre 2018].
Jeanneret (Yves). 2008. Penser la trivialité, vol.  1,
La Vie triviale des êtres culturels. Paris  : Hermès
Lavoisier.
Tardy (Cécile) (sous la direction de). 2014. Les
Médiations documentaires des patrimoines. Paris :
L’Harmattan.
Turgeon (Laurier). 2010. «  Introduction. Du
matériel à l’immatériel. Nouveaux défis, nouveaux
enjeux  », Ethnologie française, 40(3), juin 2010,
p. 389-399.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 193


RÉSUMÉ DE MÉMOIRE

Comment la scénographie
d’exposition peut aider
à sensibiliser les publics
sur des problématiques
contemporaines dans
un musée de société ?
Le cas du Mucem

Kim Cappart

Mémoire de master en architecture


d’intérieur, spécialisation scénographie,
École supérieure des arts Saint-Luc
Bruxelles, soutenu le 25 janvier 2018

L’objectif général de ce mémoire est de expositions temporaires thématiques


comprendre comment les musées de favorise l’expression de sujets sensibles et
société peuvent devenir acteurs de permet l’expérimentation de mises en
changements au sein de la société en ce scène inédites. Entendons par sujet
début de XXI e   siècle. Aujourd’hui, la sensible toute réalité qui altère ou qui
construction de messages est devenue risque d’altérer la prospérité de la société
l’essence même des missions des musées et/ou la santé de l’environnement.
de société. Les nouveaux enjeux d’ordre
Av e c c e m é m o i r e , j e c h e r c h e à
sociopolitique des expositions et la remise
comprendre le rôle, la place et l’apport de
en question de la place de la collection
la scénographie dans les expositions qui
(Drouguet, 2015  : 106) ont engendré une
tendent à transmettre des messages, des
évolution marquante des pratiques
valeurs, des suggestions de réponses et de
muséales. D’abord, de nouvelles
solutions aux problématiques sociétales
thématiques d’exposition émergent avec
imminentes. Entendons par message le fait
l’apparition des écomusées. Des acteurs
d’activer ou d’accentuer une prise de
engagés de la nouvelle muséologie, tels
conscience du rôle que chacun tient ou
que Georges-Henri Rivière et Jacques
pourrait tenir dans la construction d’un
Hainard, initient un changement de
monde meilleur, en corrélation avec la
stratégie pour donner la priorité à la
problématique sensible exposée.
présentation d’une idée sur la présentation
de l’objet. Ensuite, l’apparition des

194 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Le cas du Mucem : d’être originales dans la manière de
focus sur son exposition présenter un sujet. En effet, faisant écho
temporaire Vies d’ordures au rapport issu de la mission «  Musées du
XXIe  siècle  » (Eidelman, 2017), le sondage
Dans ce contexte, il est intéressant intitulé «  Des valeurs au musée  »2 indique
d’observer comment le Mucem concrétise que lorsque les visiteurs sont déçus par
ses multiples ambitions. Il veut notamment une exposition, la cause est
soutenir une politique éducative en majoritairement le manque d’originalité
concevant des expositions engagées qui (42 %) et la façon dont est abordé le sujet
interrogent le visiteur et lui insufflent une (38  %). Une des conséquences observées
prise de conscience (voire un changement
dans les musées est un changement
d’état d’esprit) par rapport à des sujets
notable de la nature des objets exposés et
sensibles. Face à ce défi de taille, se
de ce à quoi on les confronte.
nourrir des dynamiques présentes dans la
société actuelle en prise avec des acteurs L’exposition Vies d’ordures témoigne de
multiples (associations, chercheurs, cela en dévoilant la démarche d’enquête et
politiques, journalistes, publics, etc.) fait d e co l l e c te, q u i e st u n e p o l i t i q u e
partie de la démarche préparatoire à ses d’acquisition du patrimoine contemporain
expositions (Crivello, 2014 : 201). (matériel et immatériel) particulière au
Mucem. En effet, la mise en relation des
D’emblée, le Mucem illustre qu’il «  peut
objets issus des anciennes collections du
exister un décalage entre ce qu’un musée
M N AT P a v e c d e s t é m o i g n a g e s
projette ou annonce et ce qu’il met en
contemporains est un moyen de répondre
place réellement  » (Drouguet, 2015  : 119).
à l’obligation de contemporanéité des
L’institution souffre en effet d’un problème
musées (Amselle, 2016  : 11). Dans ce
d’identité lié au déficit de notoriété par
processus, la muséification d’objets banals
rapport à son contenu 1. D’une part, la
(comme des sacs en plastique, des jouets,
galerie de la Méditerranée n’aide pas les
des tee-shirts) ou de nature scientifique
publics à cerner ses intentions ni à
(comme une photographie prise par
comprendre le rôle des riches collections
l’Agence spatiale européenne ou encore
ethnographiques dont il a hérité du
des échantillons de micro-plastiques
MNATP (musée national des Arts et
prélevés par l’Institut français de recherche
Traditions populaires). D’autre part, les
p o u r l ’ex p l o i t a t i o n d e s m e r s) e s t
thématiques des grandes expositions
importante. Ainsi, la recontextualisation
temporaires sont extrêmement variées. En
d’objets anciens ou contemporains, banals
l ’o cc u r re n ce , s u r c i n q ex p o s i t i o n s
ou scientifiques, permet de réactualiser
te m p o ra i re s a n a l ys é e s , s e u l e Vi e s
leur sens et leur rôle au sein d’un musée.
d’ordures est un cas tout à fait en phase
Dans Vies d’ordures, il est intéressant
avec notre objectif vu la thématique
d’observer que les visiteurs peuvent
traitée, qui correspond à notre définition
connecter presque tout ce qu’ils voient
d’un sujet sensible. C’est donc sur cet
avec une situation connue et ainsi
exe m p l e q u e n o u s n o u s s o m m e s
approcher la problématique selon des
concentrée.
points de repère personnels.

Vies d’ordures illustre également le fait que


Un contenu proche du public
l’intégration de témoignages de citoyens
Il est utile de rappeler ici que les publics dans les contenus des expositions est
s o n t à l a re c h e rc h e d e n o u ve l l e s devenue indispensable pour présenter une
expériences et attendent des expositions p ro b l é m a t i q u e c o n t e m p o ra i n e . L e
témoignage offre une dimension de vécu
1. C’est ce qu’indique Julien Zimboulas, respon- authentique auquel le public s’identifie et
sable adjoint du département des publics, en
charge de toutes les études de publics, enquêtes
et statistiques, lors d’un entretien effectué le 7 dé- 2. Mené par moi-même dans le cadre de ce travail
cembre 2016 au Mucem. (échantillon : 302 personnes).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 195


s’attache. Par exemple, la présentation du pu être une occasion de démontrer les
parcours d’un jeune récupérateur de apports de l’interprétation d’artistes
déchets à Istanbul par le biais de son outil engagés dans une cause commune.
de travail réel (sa charrette, remplie de
En somme, la direction artistique de
déchets ramassés) et de divers documents
l ’ex p o s i t i o n ( p o r t é e p a r l ’ a g e n c e
issus de l’enquête-collecte (photographies,
d ’a rc h i te c te s s c é n o g ra p h e s E n co re
plan de la trajectoire effectuée, description
Heureux, associée au collectif ETC,
de la tâche…) permet aux visiteurs de se
spécialisé dans la récupération, et aux
confronter à un point de vue touchant et
philosophes du collectif Urbain Trop
très différent de celui développé par leur
Urbain), ayant pu prendre part au projet
propre expérience relative aux déchets de
très tôt dans son élaboration, a pu assurer
la rue.
une réelle cohérence du parcours et du
contenu. Mais, même si la scénographie de
L’empreinte scénographique : Vies d’ordures a pu traduire efficacement
un design de l’exposition l’ambition du Mucem d’aborder un sujet
au-delà du fonctionnel ? actuel sensible, est-ce suffisant pour
toucher la conscience et la sensibilité du
Nous nommons ici «  empreinte
visiteur  ? Car malgré tous les éléments
scénographique » l’ensemble des éléments
forts de l’exposition, la scénographie de
de la scénographie pouvant participer
Vies d’ordures reste selon nous trop peu
entièrement à l’accentuation du discours
éloquente au regard de l’impact qu’une
que les objets doivent incarner. Il s’agit de
telle problématique pourrait ou devrait
suggérer une ambiance, une atmosphère
avoir sur les citoyens.
qui aide à donner du sens à la
recontextualisation, au-delà du
fonctionnel. Le scénographe-auteur ou
comment transcender un réel
Les panneaux de MDF 3 marqués de engagement ?
pictogrammes gravés (tels que des
poubelles, des flammes, des symboles de Actuellement, la scénographie semble
recyclage et de toxicité) font partie de rester au service d’un projet
l’empreinte scénographique de Vies muséographique en partie prédéfini. En
d’ordures. En revanche, la frontière entre le effet, bien que la scénographie soit un
geste scénographique et l’art élément primordial pour la réussite d’une
c o n t e m p o ra i n y e s t q u e l q u e p e u exposition, le scénographe n’en est pas
indistincte. Par exemple, l’œuvre Sixty de l’initiateur. Les scénographies en véritable
Nils Völker à l’entrée de l’exposition est symbiose avec l’entièreté du contenu, telle
une paroi de sacs poubelle qui pourrait une œuvre d’art totale, sont rares. À ce
visuellement être une composante du stade, la scénographie reste un médium
design des cimaises. À l’inverse, les trois intermédiaire, qui participe à la
microarchitectures au centre de la construction du discours, sans être le
dernière salle pourraient être considérées principal auteur du message à transmettre.
comme une installation d’artiste alors
Devenir un véritable lieu de discussion
q u ’e l l e s o n t é t é c o n ç u e s p a r l e s
capable de faire émerger le regard critique
scénographes. Contrairement à d’autres
du visiteur en vue d’accepter l’idée de sa
expositions du Mucem comme Café-in,
capacité à transformer le monde (Rasse,
Vies d’ordures comporte peu d’œuvres
1999  : 175) est, pour un musée de société,
d’art contemporain présentées comme
une vocation qui comprend des risques.
des objets précieux. Bien qu’il n’y ait pas
Ceux-ci peuvent être liés à la prise de
l i e u d e p a r l e r d ’ u n m a n q u e d ’a r t
position politique et sociale ou à des
contemporain, l’exposition aurait pourtant
dilemmes concernant la mise en valeur des
collections d’un musée. De plus, puisque la
3.  Medium Density Fiberboard  : il s’agit de pan-
neaux fabriqués à partir de fibres de bois et d’un délectation reste un critère prioritaire pour
liant synthétique. la majorité des visiteurs dans l’appréciation

196 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


de leur visite, il semble évident que le
musée ne peut pas devenir du jour au
lendemain un acteur trop séditieux, même
s’il expose un sujet qui fait débat.

En vue d’ouvrir une voie parallèle à ces


conclusions, mon hypothèse est la
suivante  : pour atteindre un plus grand
e n g a g e m e n t e t t ra n s ce n d e r ce t te
intention avec efficacité, le scénographe
pourrait devenir l’auteur et le responsable
principal de l’impact d’une exposition, sur
tous les plans. Il agirait en tant qu’auteur,
au lieu d’être un acteur parmi d’autres, afin
d’accentuer la proximité (voire établir un
rapport direct) entre lui, le sujet exposé,
son médium et les visiteurs. Nous
décrivons ici une position hybride du
scénographe, située entre la fonction du
commissaire, celle de l’artiste et celle du
témoin qu’il est lui-même. De cette façon,
l ’œ u v re - ex p o s i t i o n co n ç u e p a r u n
scénographe-auteur pourrait devenir, pour
les musées, une sorte de délégation de
responsabilité d’un discours engagé. Par le
format de l’exposition temporaire, tout
musée pourrait alors devenir
temporairement un musée de société.

Résumé par l’auteure


Courriel : kim.cappart@gmail.com

Bibliographie
Amselle (Jean-Loup). 2013. «  Temporalités et
espaces du musée » p. 9-17 in Exposer, s’exposer :
de quoi le musée est-il contemporain  ?  / sous la
direction de Denis Chevallier et Aude Fanlo.
Marseille : Mucem.
Crivello (Maryline). 2014. « L’invention d’un musée
d’un nouveau genre  ? Le Mucem  - musée des
Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée  ».
Société & Représentations, 37, p. 195-201.
Drouguet (Noémie). 2015. Le Musée de société,
de l’exposition folklore aux enjeux contemporains.
Paris : Armand Colin.
Eidelman (Jacqueline). 2017. Rapport de la
mission «  Musées du 21e  siècle  ». Paris  : ministère
de la Culture et de la Communication.
Rasse (Paul). 1999. Les Musées à la lumière de
l’espace public. Paris : L’Harmattan.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 197


EXPÉRIENCES ET POINTS DE VUE

Entretien
avec Laurent Le Bon

Réalisé par Noémie Étienne à


Paris, musée Picasso, juin 2018.

Transcrit et édité par Nadia Radwan.


Questions élaborées en collaboration avec
Nadia Radwan.

Noémie Étienne  : Pouvez-vous nous jardins  ? Monuments vivants, donc, par


expliquer la genèse de l’exposition définition, indéplaçables  : Jardins posait la
Dioramas au Palais de Tokyo ? question de la représentation. L’exposition
a été bien reçue. Les visiteurs ont été
Laurent Le Bon  : L’exposition Dioramas
surpris puisque c’était un immense cabinet
est partie d’une passion pour les marges
de curiosités plutôt historique, certains
de l’histoire de l’art. Depuis une trentaine étaient un peu étonnés de constater
d’années que j’exerce ce métier, j’aime bien l’absence de vrais jardins. De la même
mêler une voie classique à des recherches manière, le diorama, qui joue justement sur
sur les «  à-côtés  » des grands courants. le déplacement puisque l’on tente de
Notamment, je m’intéresse à la nanologie, reconstituer quelque chose qui est ailleurs,
c’est-à-dire à l’histoire des nains de jardin. situé dans un espace-temps différent mais
Avec Dioramas, nous avons essayé, avec que l’on fige dans le musée, est, en termes
Claire Garnier et Florence Ostende, de matériels et logistiques, très difficilement
proposer un projet qui pose une question déplaçable ( je parle du diorama à
essentielle de monstration. Le hasard a fait échelle  1). Et donc, cela m’intéressait de
qu’en 2017, j’ai pu assurer le commissariat partir du constat d’une exposition qui
de deux expositions avec le même n’était peut-être pas impossible mais en
constat  : ce sont des expositions que je tout cas difficile à réaliser, pour réfléchir,
qualifierais d’«  impossibles  » car elles au fond, sur ce qu’est une exposition et ce
p o r t e n t s u r d e s s u j e t s q u i n ’o n t qu’est un musée, sans bien sûr apporter
habituellement pas leur place dans le une réponse définitive, mais pour ouvrir un
musée, du moins sous forme d’exposition. champ des possibles.
Il y a eu Jardins au Grand Palais 1 .
Et là, évidemment, le lieu qui accepte
Comment faire une exposition sur les
d’accueillir un tel projet le détermine dans
1. Jardins, Grand Palais, Galeries nationales, 15 mars bien des aspects. Il en est de même de
2017 - 24 juillet 2017. Jardins comme de Dioramas, ce sont des

198 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


projets qui ont mis de nombreuses années y a u n e g é n é a l o g i e u n p e u t ro p
à vo i r l e j o u r, ave c b e a u co u p d e intellectuelle – ou plutôt intellectualisée –
rebondissements. C’est souvent le cas de la modernité américaine, de l’art
pour des expositions thématiques. Le jour conceptuel, mais, à ses dires, ses sources
où Jean de Loisy a donné son accord, j’ai se rapportent à la culture populaire. Il
trouvé très intéressant d’exposer les propose donc de réécrire l’histoire de l’art
dioramas au Palais de Tokyo, parce que en affirmant que ce qui est en marge est,
dans ce lieu dédié à la création au fond, au centre : les dioramas seraient
contemporaine, on pouvait évidemment aussi marginalisés par un processus
amener un regard neuf sur ce sujet et d’écriture de l’histoire, mais en réalité pas
montrer que cette forme, historiquement forcément marginaux. Est-ce que cela fait
datée, y avait toute sa place. C’est ce aussi partie de votre projet, de réécrire
paradoxe qui m’a intéressé. Là aussi, il a une histoire de l’art avec d’autres objets ?
fallu se confronter aux réalités spatiales.
LLB : Ce n’est sans doute pas un hasard si
D’un côté, nous disposions d’un immense
j’ai été codirecteur d’un ouvrage dont le
espace, et donc de la possibilité de
titre était  : Une autre histoire de l’art3. Il
déployer de nombreuses œuvres, mais de
nous faut toujours le regard des artistes
l’autre, nous étions confrontés à des
pour mettre des mots sur ce qu’on ne sait
conditions climatiques complexes  : seule
pas forcément bien exprimer. Dan Graham
une partie de l’exposition a pu être
est un des manques de l’exposition : il avait
c li m at i s é e. Le s prê ts d’i n sti tuti o n s
toute sa place dans un projet sur les
muséales ont donc été concentrés sur le dioramas. Lors de la préparation de
début du parcours. D’où notre choix Dioramas, ce qui nous a frappés est que
chronologique, qui peut être critiqué. On des artistes aussi contrastés qu’Anselm
aurait pu choisir une autre perspective, Kiefer ou Robert Gober ont été vraiment
plus thématique. On aurait pu restreindre marqués par le diorama, et aussi par cette
le champ. Mais puisque l’exposition a eu la culture très différente du mainstream. Je
chance d’avoir une itinérance à la Schirn m’inscris tout à fait dans le choix de Dan
Kunsthalle de Francfort, le propos était Graham. Finalement, il a peut-être fallu du
plus ramassé. Mais à la fin de l’exposition temps, mais ce qu’on pensait être en
de la Schirn, il n’y avait pas l’aspect de marge, comme par exemple les Gender
retour à la réalité, à la lumière naturelle, qui Studies, se retrouve aujourd’hui au centre.
nous tenait à cœur. Nous l’avions au Palais
de Tokyo avec The Truman Show (1998), et
cette idée d’une grande projection où le NÉ  : Ce que j’ai aimé dans l’exposition,
personnage perce le décor avec son c’est le fait de réécrire des généalogies,
b a te a u , e t d o n c a u s s i l e m u r d e et pas seulement de voir comment les
l’exposition, posant ainsi la question de artistes contemporains réactualisent un
savoir si, au fond, on n’est pas dans un dispositif  : de se placer aussi du côté de
grand diorama permanent dans notre l’histoire, de la filiation.
société du spectacle  : quand le décor se LLB  : Dans cette perspective, je me suis
fissure, qu’est-ce qu’il reste ? beaucoup battu pour la présence du
cinéma. C’est un peu anecdotique par
NÉ  : Au début, vous parliez des marges. rapport aux dioramas, même si, bien sûr, il
Dans le numéro de la revue que nous y a tout un rapport entre le diorama et le
proposons, nous avons un entretien avec monde du cinéma. On a mis ce rapport en
Dan Graham qui dit qu’il ne s’est pas avant en montrant une partie de la
c o l l e c t i o n d e We r n e r N e k e s q u i ,
forcément inspiré de Picasso, mais que
malheureusement, est décédé quelque
ses sources seraient la peinture de la
Hudson River2 et les dioramas. Pour lui, il
3. Le Fur (Yves), De Loisy (Jean) & Le Bon
(Laurent). 2013. Une autre histoire de l’art. Chefs-
2. L’Hudson River School est un mouvement artis- d’œuvre (re)découverts au XXe  siècle. Paris  : Édi-
tique né aux États-Unis au XIXe siècle. tions de La Martinière.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 199


temps avant l’exposition. C’était une LLB : C’est lié à la difficulté de trouver des
manière aussi de lui rendre hommage. Le dioramas anthropologiques. C’est un reflet
diorama est un précipité de techniques et statistique.
de médias divers. On pourrait écrire des
thèses sur le rapport au diorama dans
NÉ  : Peut-être aujourd’hui, mais pas
l’œuvre de Pierre Huyghe, Philippe
n é c e s s a i re m e n t à l ’ é p o q u e d e l a
Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster
conception de l’exposition…
(figure 1).
LBB  : Dans les dioramas
disponibles aujourd’hui, qui déjà
disparaissent –  car même si
certains musées, comme le
American Museum of Natural
History à New York, font très
a t t e n t i o n e t p re n n e n t d e s
mesures de conservation,
l’exposition était aussi le constat
d’un «  massacre à la
tronçonneuse  » du diorama.
J’avais été très triste de voir le
musée de Tervuren, dans lequel
o n a d é t r u i t b e a u co u p d e
dioramas. Je pense que
Figure  1. Dominique Gonzalez-Foerster et
Joianne Bittle, Mangrovama, techniques mixtes l’exposition aurait mérité d’avoir
et livres, Centre Pompidou-Metz, 2017. plus de dioramas humains, mais
Photo : Nicholas Knight. il y a toute la première section
dans laquelle on remet cette
question en perspective avec des proto-
dioramas. La fin du parcours avec l’œuvre
Et dans l’exposition, il y a un lien de Kent Monkman est aussi essentielle à ce
p ar t ic u l i e r ave c P i e rre H u yghe. J e titre.
m’intéresse beaucoup au musée national
des Arts et Traditions populaires. On se
souvient de son film, The Host and the NÉ : Est-ce aussi la direction indiquée par
Cloud (2009-2010), qui se tient dans ce la pièce de Sammy Baloji Hunting and
musée qui n’a plus de visiteurs au moment Collecting, dans laquelle l’artiste s’inspire
où il le tourne. Georges-Henri Rivière avait du texte canonique de Donna Haraway,
lui-même inventé une forme de Teddy Bear Patriarchy ?
muséographie, comme un fantôme du
LLB  : Tout à fait. Ce texte fondateur fut
diorama puisque celui-ci est
très inspirant pour notre projet. On en a
décontextualisé. Je trouve fascinant qu’un
d’ailleurs publié une traduction dans le
artiste comme Pierre Huyghe, visionnaire
catalogue qui est le premier ouvrage en
comme Dan Graham, choisisse ce lieu
français sur l’histoire du diorama.
après sa fermeture pour filmer.

NÉ : En effet, dans l’exposition à Paris, il y


NÉ : Le Musée d’histoire naturelle de New
avait beaucoup de dioramas animaliers,
York présentait aussi des dioramas
et vous avez beaucoup mis l’accent sur la
anthropologiques montrant des humains.
taxidermie.
Or il me semble qu’il y avait peu de
dioramas de cette nature dans LLB  : Le métier même de commissaire,
l’exposition du Palais de Tokyo. Y a-t-il c’est de choisir. Dans cette exposition, il y
une raison pour cela ? avait une dizaine de chapitres, et chacun

200 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


d’entre eux était comme une petite
exposition en soi. Certains surfaient peut-
être sur l’air du temps, comme la
taxidermie qui est très à la mode, mais il
n’y avait pas de volonté délibérée de
traiter un sujet en vogue. On a essayé de
montrer toute la diversité et la complexité
du sujet.

NÉ  : Pour continuer sur la comparaison


avec l’exposition Jardins, est-ce que vous
avez trouvé des défis curatoriaux
similaires ? Et est-ce que vous avez réussi
à les résoudre de la même manière  ?
Parce qu’exposer les jardins semble
encore plus compliqué que les dioramas…

LLB  : L’exposition Dioramas a été moins


vue que Jardins (100  000 visiteurs pour
l’une et 300 000 pour l’autre). Mais le défi
curatorial était du même ordre. Un Figure  3. Tatiana Trouvé, Sans Titre
moment que j’ai trouvé magique, c’est (détail), Bronze patiné, métal, verre,
l’œuvre de Tatiana Trouvé (Sans titre, sable, aluminium, plexiglas, miroir,
2017) qui s’est totalement investie dans peinture, 600 x 603 x 684 cm, 2017.
Photo : Aurélien Mole.
cette commande pour le Palais de Tokyo
(figures 2 et 3). de Kent Monkman  : d’un côté une terre
Il y avait cette transition, où on voyait «   i n d i e n n e   » , d e l ’a u t re u n e te r re
d’abord la pièce comme un diorama, et, « européenne », qui venaient se rassembler
quand on basculait de l’autre côté, on dans l’espace puisque la vitre du diorama
voyait que c’était bien plus complexe. Elle était brisée. Le temps d’un été, je pense
avait choisi un sable très particulier, qui qu’on a attiré l’attention sur un mot,
venait se répandre pas très loin de la terre « diorama », que les gens trouvent un peu
mystérieux.

NÉ : Les retours de mes proches


sur l’exposition étaient très
enthousiastes  : comment
expliquez-vous l’intérêt qu’il y a
encore pour ces dispositifs ?

LLB  : Je crois qu’il y a une


fascination pour ce dispositif.
C’est aussi un retour dans le
monde de l’enfance. Le temps
d’un parcours, on peut avoir la
sensation de dominer le monde,
Figure  2. Tatiana Trouvé, Sans Titre (vue de mais aussi d’être comme Alice au
l’exposition Dioramas au Palais de Tokyo), Bronze
pays des merveilles.
patiné, métal, verre, sable, aluminium, plexiglas,
miroir, peinture, 600 x 603 x 684 cm, 2017.
Photo : Aurélien Mole.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 201


Conservateur général du patrimoine, Laurent Le
Bon a été en charge de la commande publique à
la Délégation aux arts plastiques du ministère de
la Culture et de la Communication, puis, de 2000
à 2010, conservateur au musée national d’Art
moderne - Centre Pompidou. Il a été commissaire
d’une cinquantaine d’expositions et l’auteur des
ouvrages afférents, notamment Dada au Centre
Pompidou, Jeff Koons Versailles au château de
Versailles et, en 2017, Jardins aux Galeries
nationales du Grand Palais, Dioramas au Palais de
Tokyo, et Le Massacre des innocents. Poussin,
Picasso, Bacon au Domaine de Chantilly. De 2008
à 2014, il a dirigé le Centre Pompidou - Metz, où il
a assuré le commissariat des expositions Chefs-
d’œuvre  ? et 1917. Il est, depuis juin 2014,
président du musée national Picasso-Paris.

202 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


EXPÉRIENCES ET POINTS DE VUE

Entretien
avec Sammy Baloji

Réalisé par Yaëlle Biro,


Metropolitan Museum of Art
de New York, et Sandrine
Colard, professeure assistante
à Rutgers University

Le premier contact de Baloji avec le royal d’Afrique centrale de Tervuren, Dirk


diorama ne remonte pas à sa jeunesse Thys van den Audenaerde, à propos du
congolaise mais à sa résidence au musée diorama de buffle1. Il y explique que ce
royal de l’Afrique centrale de Tervuren diorama a été préparé pour l’Exposition
(Belgique), en 2008. Anciennement musée universelle de 1958 à Bruxelles, et que les
du Congo belge, l’institution, imprégnée poils des pattes des buffles ont été
par son histoire coloniale, ouvrait alors, réalisés avec des cheveux coupés dans un
pour la première fois, ses collections à des salon de coiffure situé à proximité du
artistes. Interpellé par leur théâtralité et la musée. Que pensez-vous de cette
volonté de mise en scène du diorama, insertion de l’humain dans l’animal dans
Baloji créera huit années plus tard son le contexte des dioramas de Tervuren,
installation Hunting and Collecting. sachant que c’est un thème important
Présentée en 2017 dans l’exposition dans votre œuvre Hunting and Collecting
Dioramas au Palais de Tokyo, l’installation (figure 1) ?
explore la chasse des grands singes et ses
Sammy Baloji  : Cette anecdote est
modes de représentation dans le dispositif.
incroyable  ! Pour moi, ce que cela
En s’inspirant de l’album photographique
représente, c’est l’idée de maîtrise, de
de chasse aux gorilles d’Henri Pauwels
contrôle, et de faire acte de possession. En
–  commandité par le musée de Tervuren
amont des dioramas, les animaux abattus
dans les années 1910 – ainsi que des cartes
sont généralement accompagnés de
géographiques des expéditions au Congo
photographies que l’on peut trouver dans
du célèbre taxidermiste américain Carl
des archives. On y voit des animaux tués
Akeley, Baloji mène une réflexion sur le
par des chasseurs sportifs lors
dispositif du diorama et ses implications
d’expéditions en Afrique. Il y a cet acte de
sociales et politiques dans le contexte
chasse sur le terrain, et le pouvoir que
colonial. confère le fait d’abattre un lion, un léopard,
dans ce territoire sauvage. C’est un acte de
Sandrine Collard  : Pour commencer, domination, qu’il s’agisse du territoire, des
j’aimerais mentionner une anecdote
1. En ligne  : https://www.youtube.com/
intéressante. J’ai trouvé une vidéo d’une watch?v=uNxs7QBgPhM [consulté le 20  dé-
interview de l’ancien directeur du musée cembre 2018].

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 203


sujets animaliers, voire humains. Par la De nouvelles lectures de l’objet ont été
suite, on ramène un trophée et on veut faites à partir de ces ajouts avant que l’on
conserver cet acte de triomphe dans la se rende compte que ces éléments n’en
durée. On l’immortalise, quelque part. faisaient à l’origine pas partie.
Dans le diorama, il y a l’idée de reproduire
Je trouve intéressant que l’écriture de
cette scène en 3D, qui va produire une
l’histoire et même des analyses
espèce d’arrêt du temps. C’est une volonté
scientifiques puissent se faire tout en étant
de recomposer ce temps de pouvoir sur
hors de la réalité. Mais je me pose toujours
ces espaces, sur ces espaces-temps. Il y a
la question  : pourquoi ne pas travailler
aussi le fait que l’humain peut arriver à
directement avec la communauté locale  ?
reproduire une réalité qu’il pense avoir
Je pense que les objets dans le musée,
dominée dans son esprit.
comme les dioramas, ont été tellement
En même temps, cette anecdote me fait séparés de leur réalité qu’on est plutôt
penser à une présentation donnée par dans des suppositions et des histoires
Julien Volper, conservateur au musée de culturelles.
Tervuren, sur le  masque le plus connu du
Yaëlle Biro  : Au cœur même du concept
musée, le masque à cornes Luba. Il
du diorama ethnographique se trouve une
présentait la vie de l’objet dans le musée,
forme d’authenticité imaginée, de tension
et la manière dont des éléments étrangers
entre le vrai et le faux, l’authentique et le
lui avaient été ajoutés progressivement.
construit. Le but de ces dioramas était de
produire quelque chose qui montrait au
visiteur une réalité absolue et immuable
a l o r s m ê m e q u ’ i l s ’a g i ss a i t d ’ u n e
construction.

SB : C’est ce qui m’a le plus intéressé dans


les dioramas : vouloir faire croire que c’est
la réalité tout en sachant qu’il s’agit
d’éléments composites. Car comment
reproduire l’authentique  ? Comment créer
une authenticité  ? Il y a un désir de
contrôle, une volonté de pouvoir maîtriser
et de pouvoir faire voir. Derrière ce cube,
cette chose qu’on compose, se trouve
l’idée de domination sur la nature, ses
animaux, le paysage. Ce qui reste vrai au
final, c’est la peau, le trophée lui-même.
Figure  1. Sammy Baloji, Hunting
& Collecting, 2015 (détail de
l’installation). Sammy Baloji et Axis YB  : Dans les musées ethnographiques,
Gallery, New York et New Jersey. les dioramas figent les choses et les
L’installation comprend  : The p e u p l e s d a n s l e p a ss é , d a n s u n e
Album, 20  photographies d’archives temporalité suspendue. Je vois quelque
numériques (40  x  55 cm chacune)  ; chose de similaire entre la collecte
structure en métal, 400  x  550  cm d’objets dans les musées
(site-spécifique)  ; livre d’artiste
ethnographiques et la fabrication des
de 32  pages Hunting &  Collecting
dioramas pour ces musées –  ce sont
(37,5  x  31  cm)  ; liste des ONG
œuvrant au Nord et Sud-Kivu (site d’ailleurs des activités qui se développent
spécifique, dimensions variables)  ; au même moment. Dans les deux cas on
photographies d’archives (American trouve un même processus qui consiste à
Museum of Natural History, figer les choses dans le temps et dans
New York). l’espace.

204 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


SB : Effectivement, il y a le fait de figer le réponse au succès des dioramas de Carl
temps. Mais quand tu veux figer le temps, Akeley au Museum of Natural History de
tu prétends pouvoir le contrôler. Tu New York. Le musée de Tervuren réagissait
démontres que tu as un pouvoir sur le ainsi au succès des dioramas du musée de
temps et que tu peux le faire durer autant New York en se disant qu’il était dû aux
que tu veux. C’est ça effectivement qui se animaux venant du territoire congolais qui
déroule dans le diorama, surtout lorsqu’il était à l’époque un territoire belge : c’était
est utilisé comme outil scientifique. Mais à Tervuren et donc aux Belges d’en jouir
après, il y a l’activation qui se fait par le plutôt qu’aux autres. Ils envoient ce
chercheur ou le guide auprès du public. capitaine dans l’est du Congo pour
Par le discours, il est activé et non pas documenter tout cela et rapporter des
figé. Cet individu fait évoluer ce temps-là, photographies qui serviront à la
et ce temps évolue en fonction de son construction du diorama de Tervuren. La
agenda. Tout comme le masque à cornes manière même dont l’album est agencé et
Luba de Tervuren dont on a parlé tout à structuré est révélatrice. La question du
l’heure et dont le sens a changé une fois rang et d’une forme de hiérarchie est sous-
entré dans le musée, les dioramas ont jacente  : les photos représentent les
évolué dans leur forme de représentation gorilles et autres animaux abattus, mais le
et dans leur interprétation. Après, c’est capitaine se met aussi à chaque fois en
aussi ce que je mets en place en scène de manière centrale, ou bien il fait
reproduisant et en retranchant, ou en
redonnant un corps dans une œuvre
comme Hunting and Collecting (H&C).

SC  : Justement, H&C c’est l’œuvre dans


laquelle vous faites référence de manière
la plus directe au diorama. Il y est donc
question du dispositif du diorama comme
exercice de contrôle sur la nature. C’est
d’abord la chasse, puis la mise en scène,
le traitement de l’animal, poser l’animal
de la manière dont on veut pour le
soumettre à un regard historiquement
européen et colonial. Mais la structure
m ê m e d u d i o ra m a d a n s H & C e s t
complètement désossée, évidée. On la
traverse librement, et cette circulation
s’oppose au regard à travers la vitrine,
distancié, du diorama classique.

YB  : Par ailleurs, alors que les sujets


humains ou animaux sont au centre des
dioramas ethnographiques, dans H&C
c’est justement l’absence de corps qui est
mise en scène à l’intérieur de cette
Figure 2. Salle des Gorilles, Tervuren,
structure. L’activation de l’installation se
Sammy Baloji, Hunting & Collecting,
fait alors par les corps des visiteurs. 2015 (détail de l’installation).
Photographie d’archives avec
SB : Dans H&C, je suis parti de l’album du
l’aimable autorisation du Royal
capitaine Henri Pauwels que j’avais trouvé
Museum for Central Africa, Tervuren,
chez une collectionneuse d’archives sur le de l’artiste et de Axis Gallery, New
Congo. Cet album était à l’origine une York & New Jersey.
commande du musée de Tervuren en

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 205


poser des Noirs dans des positions de manque d’accès, et aux bénéfices que
serviteurs. D’un autre côté, tout semble certains en tirent, loin des populations
aplani  : l’animal abattu, l’humain, le locales.
paysage. Tout est uniformément sujet de
curiosité et de contrôle.
SC  : D’autres artistes contemporains qui
Cette histoire est par ailleurs fortement travaillent sur les dioramas, comme
liée à l’idée de maîtrise des espaces Dominique Gonzalez-Foerster ou Thomas
naturels du Congo. En effet, après leur Hirschhorn, par exemple, utilisent la
succès à New York, Akeley et sa femme, vitrine dans leurs dispositifs. Ils
Delia, se mettent à défendre l’idée de la reproduisent la vitre, la frontière qu’il y a
création de parcs naturels au Congo pour
entre le sujet et le spectateur, alors que
la défense des animaux. Delia Akeley va
vous faites de la structure un passage, un
contacter le roi de Belgique, Léopold, et
lieu qu’on peut traverser. J’ai l’impression
c’est sur son initiative que le parc des
que, chez vous, il est beaucoup plus
Virunga, notamment, sera créé. Mais l’idée
question du rapport entre celui qui est
de la création des parcs nationaux pour la
regardé et celui qui regarde. Comme s’il y
sauvegarde des animaux est en fait une
avait un retournement du regardé sur le
autre forme de classification du territoire
regardant, une forme de revanche.
dont les autochtones sont exclus. La
chasse est rendue possible sur ces SB : Par le fait de rentrer dans ce diorama,
territoires en échange d’un prix à payer, une inversion du jeu du regard s’opère. Il y
sachant que les autochtones n’y auront a activation, pas spécialement revanche. Il
plus accès  ; les populations locales vont s’agit de voir jusqu’où on a le contrôle.
être déplacées, etc. On est dans l’exclusion Prenons, par exemple, le cas de la
des populations locales, dans la gestion
p h o t o g ra p h i e a n t h ro p o l o g i q u e o u
des animaux et de l’ensemble des
ethnographique, dont on réalise
ressources naturelles.
aujourd’hui la subjectivité. Pour moi, c’est
la même chose avec cette cage-là dans
YB  : Concrètement, dans votre l’installation. Même celui qui contrôle à un
installation, l’absence/présence des corps moment est mis face à sa grille de lecture.
et le passage des corps dans l’espace C’est très différent d’être à l’intérieur et à
sont liés à cette idée d’inclusion et l’extérieur. Il y a un moment où on contrôle,
d’exclusion des populations et un moment de perte, de remise en
autochtones ? question.

SB  : C’est cela. Quand le corps


rentre à l’intérieur de l’espace, il
active ce système de pouvoir, de
gestion, de représentation. Par
ailleurs, la forme de la cage qui
crée cet espace dans
l’installation est basée sur celle
produite pour le diorama des
gorilles à Tervuren, qui est elle-
même très similaire à la
représentation graphique des
cristaux et des minéraux. En
recréant cet espace, j’ai ainsi
voulu faire référence au contrôle
Figure 3. Vue de l’installation Hunting & Collecting
de ce dont regorge ce territoire
dans l’exposition Dioramas, Palais de Tokyo, Paris,
de l’est du Congo, ces ressources été 2017. Photographie de Yaëlle Biro.
minières, à l’accès et surtout au

206 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


SC  : En fait, l’installation de H&C est un mêmes toute l’histoire, des origines jusqu’à
peu un assemblage, comme vous le maintenant. L’intégration des images
faisiez avec les collages d’archive permet de parler de la genèse. Je
photographiques. Qu’est-ce que ce relie le passé et le présent qui entrent ainsi
transfert du travail sur le diorama vous a en dialogue. Ce qui m’intéresse est
apporté par rapport à la photographie  ? d’interroger quels sont les legs de ce
Comment voyez-vous l’installation par rapport de force et de pouvoir entre le
ra p p o r t à l a p ra t i q u e d u co l l a g e Congo et la Belgique.
photographique ?

SB  : En photographie, on entre dans un YB : Ces dioramas seraient alors une autre
univers au travers du cadre et du cadrage, forme de legs de ces rapports de
on garde à l’esprit qu’on rentre dans pouvoir ?
l’image. Mais un diorama, c’est une
expérience sensorielle au-delà du regard. SB  : Et du coup, ils deviennent des outils
Et pour le visiteur, ayant toutes les d’écriture. Il s’agit d’un vocabulaire
informations données dans l’installation, il commun, et de la manière dont on peut
y a un côté participatif qui est intéressant. utiliser ces vocabulaires ou ces éléments
Il y a ce fait collectif d’activation. Après, ce pour construire un discours. Finalement,
n’est pas démocratique non plus parce tous ces espaces, toutes ces villes
que le dispositif est là. coloniales sont des fictions, des
projections utopiques construites pour
Mais ce que je propose reste de la répondre à l’administration et aux besoins
photographie. Ce sont des collages, même de l’extraction de matières premières. Là
si c’est en 3D. Quand j’ai commencé à où cela devient encore plus intéressant,
travailler avec des collages, ce qui c’est avec l’imposition par les Belges du
m’intéressait était la non-objectivité de la swahili comme langue dans les mines du
photographie, notamment celle de la Katanga, vers les années 1920. Ce swahili
colonisation qui a créé un univers, une de l’usine est appelé ya kazi, qui veut dire
pensée, une image de l’autre. Ce que je le «  swahili du travail  ». Il consiste en
fais continue à être un détournement du ve r b e s d ’a c t i o n s a n s co n s t r u c t i o n
processus, une proposition d’une autre grammaticale, c’est donc une langue
approche qui sera forcément du point de fonctionnelle. Et pour moi, cela renvoie au
vue du Congolais, le point de vue de
diorama  : d’une part tu as l’animal qui est
quelqu’un originaire de cette région-là et
le résultat d’une chasse, et d’autre part tu
qui possède cet héritage.
as sa mise en exergue dans ces cages où
tout est composé. Les cages sont un
YB : Pensez-vous au diorama comme une discours dont l’animal est le verbe actif.
forme d’archive, que vous pouvez utiliser Aujourd’hui, en tant qu’artiste, je peux
comme vous le feriez des archives continuer à développer ce langage.
photographiques ? Finalement, cela devient un vocabulaire
que nous avons tous en commun  ; la
SB  : De manière plus générale, je ne question est de savoir comment il prend
travaille pas tant sur l’archive pour son
sens et comment nous l’utilisons.
statut d’archive que sur cette idée
d’héritage, et ses conséquences. Quelles
sont les traces qui restent, finalement  ? SC : Il y a un grand nombre de dioramas à
Par exemple, la série Mémoire aborde Tervuren, qui selon toute vraisemblance
cette question. Au départ, ce dont je parle, vont être replacés après la réouverture du
c’est de l’industrie minière pendant la musée. Quel est votre regard sur la
période coloniale. Ensuite, je photographie persistance de ce dispositif  ? Sur le fait
en 2003-2004 les paysages miniers, et ces que cette trace de rapport de pouvoir
nouvelles images contiennent en elles- continue à être exposée ?

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 207


SB  : Le pouvoir que le musée prétend Prenant l’archive comme point de départ, ses
avoir sur la réalité m’a toujours interpellé. œuvres explorent l’histoire contemporaine, le
passé colonial du Congo et, plus particulièrement,
Car pour moi, le point d’activation, de la région minière du Katanga dont il est
finalement, c’est le Congo, pas le musée. originaire. Son travail, qui est toujours le fruit de
Chercher à parler du dispositif dans le recherches approfondies, mêle documents
d’archives et images contemporaines, faisant état
musée c’est perdre un peu le point de
d’histoires individuelles et collectives portant les
départ, le point d’émanation du discours traces d’un passé colonial et de ses ramifications
qui, à mon avis, est le Congo et le contexte contemporaines. Faisant usage de la
colonial. Les gens produisent du sens, ils photographie comme medium principal, la série
Mémoire (2006), qui l’a mis sur le devant de la
projettent un discours dans tel objet, et
s c è n e i n t e r n a t i o n a l e , p re n d p o u r s u j e t
dans le fonctionnement de l’objet dans la Lubumbashi. Il superpose des photographies
société. On a toujours cette possibilité de anciennes de travailleurs de la mine et ses propres
créer du sens, de donner du sens, et cela images prises dans ces structures désormais
abandonnées, créant ainsi des évocations hantées
se fait en communauté ou en société. De
par le passé. Plus récemment, ses installations
même, je pense que l’activation du multimédias, créées dans le cadre de la Biennale
discours ne se fait pas de l’intérieur du de Venise de 2015 ou de Documenta  14,
musée, mais entre le musée et les corps continuent d’explorer le passé colonial et minier
du Congo en s’attelant à des sujets tels que
extérieurs qui entrent en dialogue. Par
l’extraction du cuivre ou le contrôle des corps
co r p s ex t é r i e u r s , j e ve u x d i re l e s africains.
Congolais, la population, les chercheurs,
les artistes. Ce sont eux qui vont activer un
discours qui est un va-et-vient entre la
réalité et l’installation.

YB : Il y a une similarité entre la manière


dont vous avez décrit H&C tout à l’heure
et votre description du musée. Est-ce que
vous diriez que H&C pourrait être une
métaphore du musée ?

SB  : Tout à fait. Le dispositif du diorama


n’existe que dans le musée. C’est dans le
m u s é e q u ’ i l va p re n d re s o n s e n s
scientifique. Encore une fois, on retrouve
ce rapport de force dont nous avons
beaucoup parlé. Finalement, quel est le
vocabulaire que nous avons en héritage
–  qu’il s’agisse d’héritage scientifique,
colonial, ou autre  ? Le diorama est un
reflet de la place du musée comme
détenteur de savoir et d’héritage.

Courriel :
yaelle.biro@metmuseum.org
sandrine.colard@rutgers.edu

Sammy Baloji est né en 1978 à Lubumbashi, au


Zaïre (actuelle République démocratique du
Congo). Il vit et travaille à Bruxelles et
Lubumbashi. Après des études en sciences et
communications de l’information à l’Université de
Lubumbashi, il commence la photographie.

208 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


EXPÉRIENCES ET POINTS DE VUE

Une belle banalité :


entretien
avec Dan Graham

Réalisé par Dore Bowen,


Université de Californie

Aucun artiste n’a exploré le diorama à vient de se passer –  un effet qu’il appelle
travers le langage de l’art contemporain « passé proche », se référant au théoricien
avec la même rigueur expérimentale que de l’école de Francfort, Walter Benjamin2.
D a n G r a h a m a u x É t a t s - U n i s 1. S e s Au moyen de grandes toiles semi-opaques,
performances et ses installations peintes recto verso et associées à des
incorporent des matériaux qui relèvent du faisceaux lumineux directionnels et des
domaine des dioramas, notamment le gélatines teintées, le diorama inventé à
verre et les miroirs, dans le but d’exploiter Paris en 1822 par Daguerre et Bouton
l’espace entre l’observateur et la scène produisait un effet similaire. Des paysages
observée, tandis que ses pavillons naturels et des églises gothiques y sont
éliminent cette mise en scène théâtrale au présentés en cours de transformation. Les
moyen de miroirs sans tain afin de dioramas ethnographiques et d’histoire
confondre sujet et objet. À l’opposé des naturelle apporteront du relief à la surface
usages habituels du miroir sans tain –  par plane illuminée des premiers dioramas,
exemple pour les salles d’interrogatoire ou dans des scènes à trois dimensions
les lunettes en miroir –, Graham se sert de comportant des figures artificielles ou
ce matériau pour obtenir un amalgame empaillées, évoquant ainsi l’extinction des
entre miroir et fenêtre dans ses espèces, le « passé proche » de l’évolution.
installations architecturales. Le reflet de
l’observateur se transforme en scène Dans l’entretien qui suit, Graham détaille
observée –  paysage rural ou urbain, ou les œuvres qui l’ont influencé – le diorama,
autre observateur  – de manière stratifiée, mais également le jardin des plaisirs,
superposée. l’œuvre de Dan Flavin et John Martin, la
science-fiction, le magazine Radical
Graham utilise ce type de dispositif pour
suggérer qu’il est en train de se passer 2. Ce que Graham appelle le « just past » est, pour
Walter Benjamin, associé aux changements de Pa-
quelque chose, ou bien que quelque chose
ris sous l’haussmannisation et sur les ruines de la
bourgeoisie par les forces de la production. Ben-
1.  L’entretien a été réalisé par téléphone le 23 août jamin écrit  : «  Cette confrontation implacable du
2017, transcrit et révisé par Dore Bowen. L’auteure passé proche avec le moment présent est quelque
adresse ses remerciements à Dan Graham pour chose de nouveau, historiquement » (Walter Benja-
l’entretien, Noémie Étienne et Nadia Radwan pour min, 1999, « Exposé of 1935, Early version » [1935],
leurs commentaires, Ricardo Chavez pour son in The Arcades Project / trad. en anglais de Howard
aide avec la transcription, et Noël Burch pour la Eiland et Kevin McLaughlin, Cambridge [MA] : Har-
traduction. vard University Press, p. 898. Je traduis).

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 209


Software, Un dimanche après-midi de situées en marge du changement – et rend
Seurat, ou encore certains aspects de la visible ce «  devenir passé  » d’une époque
culture populaire comme la musique punk- encore proche, mais déjà reléguée dans le
rock ou les haies taillées des banlieues temps.
résidentielles nord-américaines. Dans ce
contexte, il déplore que ces riches
ressources historiques soient méconnues Dore Bowen : Lorsqu’on veut réfléchir aux
par une partie des historiens et critiques rapports entre le diorama et l’art
d’art nord-américains  : selon lui, cette contemporain, votre œuvre semble
ignorance provient des préjugés de classe occuper une position centrale. Vous-
et de la myopie de ces auteurs, en même avez publié un texte consacré aux
œ u v r e s d i o ra m i q u e s d ’ u n a r t i s t e
particulier ceux du journal October qui ont
britannique du début du XIXe siècle, John
volontairement délaissé les sources
Martin. Ses peintures et ses spectacles
populaires, et surtout ignoré l’importance
comportent un moment «  eurêka  », par
du XIXe  siècle pour définir le modernisme.
exemple lorsqu’on voit le passé dans le
Enfin, l’entretien montre que pour Graham,
présent, ou quand le spectateur ou la
le diorama n’est pas seulement un objet
spectatrice prend conscience qu’il ou elle
mais aussi un mode de visualité qui est dans l’image. Ces variantes du
engendre une perception du temps, diaporama et d’autres encore font écho à
accessible uniquement aux personnes la façon dont vous manipulez le temps
dans vos installations.

Dan Graham  : Je suis originaire du New


Jersey. Je crois que tous les gosses des
environs de New York City ont visité le
Museum of Natural History où il y a des
dioramas étonnants.

DB  : Effectivement. Vous les avez vus


quand vous étiez petit ?

DG : Oui. Tous les gosses les ont vus.

DB  : Et donc le fait d’avoir vu ces


dispositifs ?…

DG  : L’influence la plus importante pour


moi a été le travail que j’ai fait en Norvège.
Dan Flavin et Ed Ruscha adoraient
Bierstadt, ce peintre du courant de la
Hudson River School qui avait étudié avec
Thomas Cole, un artiste anglais qui était
lui-même l’ami de John Martin. Ce qui est
intéressant chez Martin, c’est que non
seulement il a fait ces toiles gigantesques,
mais également qu’il a expérimenté la
Figure  1. Dan Graham, Two-Way peinture sur verre que l’on pouvait
Mirror Triangle with One Curved Side, projeter3. Les Français voient en lui l’un des
1996, two-way mirror and stainless
steel 99  x  118  inches. Collection, 3. Edward Burns écrit : « Il est significatif que John
comté de Vågan, Norvège. Martin a trouvé sa vision par le biais de la peinture
sur verre ou des diapositives exposées dans une
Installation permanente, îles de fenêtre. Martin cherchait à créer avec ses peintures
Lofoten, Norvège. Image reproduite à l’huile une lueur, un effet de lumière, qui illumine
avec l’autorisation de l’artiste. le paysage par transparence et à créer un maxi-
mum d’effets avec une gamme limitée de cou-

210 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


précurseurs du cinéma. Je crois que tout DB  : Avez-vous le sentiment que votre
cela commence au XIXe siècle. Church s’est œuvre traite du vécu psychologique de
rendu dans la jungle brésilienne et cette sorte de lumière –  celle que l’on
également en Norvège pour préparer ses trouve dans l’œuvre des luministes de la
dioramas et ses panoramas. (figure 1) Hudson River School et dans les peintures
paysagistes  ? Je songe à des œuvres
comme Performance/Audience/Mirror où
D B   : D o n c vo t re œ u v re e n t re e n vous faites devant le public le récit de
résonance avec le rapport au paysage votre rapport au miroir.
que l’on a développé à cette époque ?
DG  : Plus significative est l’œuvre qui fait
DG : L’œuvre paysagère la plus importante partie des collections du Musée Pompidou,
que j’ai faite était destinée au jardin du à Paris, Present Continuous Past(s) (1974).
musée Serralves, à Porto, au Portugal. Mon œuvre diffère de celle des
C’est une œuvre toute simple  : une minimalistes en ce sens qu’elle traite de
structure triangulaire à deux faces avec l’inter-subjectivité. Si influence il y a, c’est
deux miroirs sans tain, l’un comportant celle de Georges Seurat. Autrement, [elle
une porte praticable. L’autre face, le traite] du spectacle de se regarder l’un et
devant, est un Ilfochrome 4 , mais pas l’autre en train de regarder. Toute mon
comme ceux de Jeff Wall. Il n’y a pas de œuvre entretient des rapports avec les
lumières derrière, c’est juste une grande jardins. Une de mes œuvres les plus
diapo, une photographie des cinquante importantes, Two-way Punched Steel
mètres de paysage qui se trouvent devant Mirror and Hedge Labyrinth [Miroir sans
l’installation. C’est en quelque sorte une tain et labyrinthe de haies] (1994-1996), a
œuvre basée sur le temps qui passe. Les été exécutée à l’origine pour un jardin à
nuages évoluent sans cesse ; l’heure aussi, S t u t t g a r t . U n e ve r s i o n s e t r o u ve
ainsi que les saisons. Et on voit cela à a u j o u rd ’ h u i a u Wa l ke r M u s e u m d e
travers la photo qui représentait à un Minneapolis.
moment donné le temps présent.

Figure  3. Dan Graham, Two-way


Mirror Punched Steel Hedge
Figure  2. Dan Graham, Double
Labyrinth (1994-1996).
Exposure, Fundação de Serralves  -
Image reproduite avec l’autorisation
Museu de Arte Contemporânea,
de l’artiste.
Porto, Portugal, 1995/2003.
Image reproduite avec l’autorisation
de l’artiste. DB  : Est-ce que vous concevez ces
œuvres comme hyperréalistes ?
leurs » (Edward Burns, 2004, « Sadak in the Search
of the Waters of Oblivion, 1812 », in Encyclopedia of DG : Ça n’a rien à voir avec l’hyperréalisme.
the Romantic Era, 1760-1850, vol. 2 : L-Z / sous la Cela a à voir avec le miroir sans tain. On
direction de Christopher John Murray, New York : s’en sert pour les méga-entreprises du
Fitzroy Dearborn, p. 977).
centre-ville. Son utilisation date peut-être
4. L’Ilfochrome (également connu sous le nom de
de l’époque de Jimmy Carter car cela
Cibachrome) est un procédé de tirage photogra-
phique couleur depuis un film inversible, souvent réduisait beaucoup les coûts de la
sous la forme d’une diapositive couleur.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 211


climatisation. On en voit beaucoup à Los
Angeles. Malheureusement, ça fonctionne
comme les glaces sans tain [chez la
police], on peut voir depuis l’intérieur et ne
pas être vu de l’extérieur, et de l’extérieur
on ne voit que son propre reflet, ou celui
du paysage, fournissant [ainsi] à ces
sociétés une sorte d’alibi : elles se fondent
dans la nature. Mon travail ressemble à
celui de Flavin de manière significative
dans la mesure où il traite souvent de la
lumière.

DB  : Il me semble que chez Flavin la


lumière est tout simplement de la
lumière. Mais chez vous elle est presque
allégorique.

DG : L’utilisation du terme « allégorie » est


un poncif dû au journal October, où l’on a
mal compris, je crois, ce qu’en écrivait
Walter Benjamin5. En termes d’allégorie,
pour moi, l’artiste le plus intéressant du Figure  4. Martin Johnson Heade,
XIXe  siècle est Heade [Martin Johnson Hummingbird and Passionflower,
Heade] qui peignait des fleurs ca.  1875-1885. Huile sur toile.
allégoriques. D’une certaine façon un peu Metropolitan Museum of Art, New
York. Photo : CC0 1.0.
étrange, mon travail se rapporte à la
Domaine public.
peinture allégorique du XIXe  siècle. Bien
entendu aucun critique ne l’a jamais relevé,
DG : L’allégorie, c’est juste une formule à la
mais je crois que c’est vrai.
mode. Il s’agit surtout de l’intérêt que je
DB  : Est-ce qu’un des plus grands porte aux écrits de Benjamin. Si l’on
malentendus ne consiste-t-il pas à penser remonte aux premiers écrivains américains,
que votre œuvre n’a rien d’allégorique ? je crois que l’œuvre de [Nathaniel]
Hawthorne était très allégorique. Tout le
5. Puisant sa notion de l’allégorie dans L’Ori- monde a oublié le XIXe  siècle. Autrement
gine du drame baroque allemand (Ursprung des
deutschen Trauerspiels, 1928) de Walter Benja-
dit, on aime cette idée de la modernité,
min, Craig Owens écrit que l’art postmoderne est que pour ma part je trouve très stupide.
marqué par « l’appropriation, la spécificité du site,
l’impermanence, l’accumulation, la discursivité
– ces diverses stratégies caractérisant une grande
partie de l’art du présent, le distinguant de ses DB : Vous voulez dire par rapport à ce qui
prédécesseurs modernistes », et « comportant en s’est passé auparavant ?
elles-mêmes un danger, la possibilité d’une perver-
sion  ». Graham réfute résolument les idées avan- DG  : Penser que l’art devrait traiter du
cées par Owens et d’autres collaborateurs du jour-
nal October (à savoir Rosalind Krauss et Benjamin temps présent, c’est ne rien comprendre à
Buchloh), arguant que de tels récits comprennent la phénoménologie. J’aime une œuvre où
mal la thèse de Benjamin selon laquelle l’allégo-
les époques historiques se superposent. Je
rie se situerait aux antipodes du modernisme (et
trahissent donc une incompréhension du postmo- trouve que le travail des architectes
dernisme). Selon Graham, par exemple, l’allégorie japonais de l’Atelier Bow-Wow porte
existait déjà dans la peinture moderne de Martin
Johnson Heade et dans la littérature de Nathanial là-dessus, ainsi que mon œuvre pour la
Hawthorne (Craig Owens, 1980, «  The allegorical Fondation Dia [Rooftop Urban Art
impulse: Toward a theory of postmodernism  »,
October, 12, printemps, p. 75 et 84, traduction par
Project  / Two Way Mirror Cylinder Inside
l’auteur et Noël Burch). Cube (1981/1991)].

212 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


DB : Est-ce que les auteurs auxquels vous DB  : Maintenant, vous n’allez
pensez écrivent sans cesse sur les mêmes probablement pas être d’accord avec
œuvres ? cela, mais Brian Wallis a dit que votre
œuvre témoigne d’une foi profonde en
DG  : Non, mais je crois qu’ils sont
l’idée du présent6. Mais je feuillette votre
enfermés dans quelque notion de la
œuvre en ce moment et elle me fait
modernité… Rosalind Krauss et [Benjamin]
penser à cette idée du passé récent, soit
Buchloh.
la relation de ce qui vient de se passer
avec ce qui va se passer. Je vois cette
DB  : Une autre question que je voulais
superposition de l’Histoire dans des
vous poser, c’est cette idée d’un «  passé
œ u v re s co m m e P a s t F u t u r e S p l i t
proche ». Vous avez écrit là-dessus…
Attention.
DG  : Le just past [passé proche], je tiens
DG  : Celle-là est parmi celles que je
cela de Walter Benjamin. Il a écrit un essai
préfère. Elle dérive de deux sources  :
où il dit : « Si vous n’aimez pas la décennie
Cryptozoïque de Brian Aldiss et aussi de
écoulée  », dont je suppose qu’il s’agirait
Gregory Bateson, adoré par des gens qui
[pour moi] des années 1980, la décennie
gravitaient autour du journal Radical
du triomphe des multinationales, «  il faut
Software. Bateson disait que la
postuler une meilleure époque  », comme
schizophrénie, c’était quand on vous disait
[pour moi] les années 1960 utopiques.
de faire quelque chose et qu’on vous
Dans l’œuvre que j’ai faite pour la
punissait de l’avoir fait, ou vice-versa. Il me
Fondation Dia, je cherche à évoquer
semble que R.  D.  Laing disait quelque
ensemble les années 1970 et 1980.
chose comme ça aussi. Mais je crois
également que les artistes des années
DB : Tout à fait.
1960, y compris moi-même, aimaient
DG  : Je vais vous donner une autre beaucoup lire des choses sur la physique.
référence. Un auteur de science-fiction, Carl André aimait dire « a thing is a hole in
Brian Aldiss, a écrit un livre intitulé a thing that it is not  », et mon amie Jo
Cryptozoïque où le récit remonte le cours Baer, qui était également obsédée par la
du temps. Je pense que les artistes qui me physique comme par exemple les idées de
plaisent, comme Antoine Catala, tirent Heisenberg. Je crois que nous nous
leurs idées de la science-fiction. sommes tous inspirés des idées sur le
temps sans vraiment les comprendre.

DB  : Alors vous établissez un lien entre


Walter Benjamin et la science-fiction ? DB : Les miroirs sans tain ont une certaine
f a ç o n d e t ra va i l l e r l e t e m p s , i l s
DG : Pas du tout. Je crois que la notion du
provoquent un flottement du paysage et
temps est très importante pour la science-
du rapport au spectateur.
fiction. Benjamin, lui, était obsédé par
Proust. DG : J’ai fait une œuvre formidable [sur ce
sujet] qui a été détruite et qui s’appelait
Theatre Cinema. C’est dans un de mes
DB  : Et qu’en est-il des décalages
catalogues pour la Kunstalle à Berne. Mais
temporels dans votre propre œuvre ?
elle a été détruite. Cinema a été détruite
DG : L’idée des décalages temporels, je l’ai aussi.
empruntée à Bruce Nauman, et je suis le
premier à en convenir. On y arrive en
bouclant une bande pour magnétoscope à
bobines. J’aimais bien la vidéo quand elle
6. Brian Wallis, 1994, Dan Graham, Rock my Re-
était très primitive et mettait en œuvre ligion: Writings and Projects, 1965-1990, Cam-
des techniques très simples. bridge (MA) : MIT Press.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 213


DB : Nous avons commencé nos
échanges par e-mail avec une
discussion de John Martin.
J’avais lu votre essai sur lui,
Apocalypse Now: The Great Day
of His Wrath, et vous y évoquez
s e s œ u v re s e n te r m e s d e
science-fiction et
d’industrialisme, mais je ne suis
pas sûre de comprendre le
rapport avec votre œuvre en
tant que source d’inspiration ou
en termes de l’affect qu’il
produit. Vos «  pavillons  »
Figure 5. Dan Graham, Cinema, 1981.
semblent beaucoup plus sereins
Image reproduite avec l’autorisation de l’artiste.
que son œuvre à lui. Quel est
vo t r e r a p p o r t a ve c J o h n
Martin ?
DB : Et Theater Cinema était comment…
DG  : Si j’aime son œuvre, c’est parce que
DG  : J’ai pris un immeuble de bureaux à ce l a co m m e n ce ave c l a r é vo l u t i o n
double sens, construit au coin d’une rue et industrielle et aussi à cause de l’idée
qui en fait avait quelque rapport avec le d’apocalypse. Et je crois que la musique
Handelsblad Cineac d’Amsterdam, du rock et la science-fiction trouvent leur
grand architecte néerlandais Jan Duiker source dans cette époque aussi. Il y a des
[1934]. Chez lui, la salle de cinéma était en é c r i t s d e s c i e n ce - f i c t i o n q u i s o n t
verre. On pouvait voir la projection depuis dystopiques, comme les très mauvaises
la rue. Chez moi, on peut voir le film œuvres de Josh Klein, d’autres relèvent du
projeté dehors, les gens en train de le comique, comme celles de Philip K.  Dick
regarder depuis l’intérieur, et d’autres en qui a traité brillamment d’Orange County.
train de le regarder depuis l’extérieur. Les Les Beach Boys étaient originaires de la
deux regards se rejoignent. Dans Cinema, ville de Hawthorne [dans Orange County].
il y a des panneaux d’affichage à Je crois que les Carpenters étaient de San
l’extérieur. Clemente, je sais que c ’est un lieu
cauchemardesque pour ceux qui y
grandissent, mais moi il me fascine.
DB  : Croyez-vous que nous avons mal
compris l’histoire du cinéma ? C’est peut-
être pour cette raison que le caractère DB  : Il y a quelque rapport avec le New
cinématographique de votre œuvre n’est Jersey  ? Cet intérêt que vous portez à la
pas immédiatement apparent. Nous Californie méridionale ?
n’avons qu’une perception très étroite
des premiers temps du cinéma. DG  : Cela vient peut-être de la région du
New Jersey où j’ai grandi. C’était à la lisière
DG  : Parmi les artistes contemporains, de la suburbia [petite banlieue
Michael Snow était très important à mes bourgeoise], je n’y étais pas tout à fait.
yeux. Quand j’ai fait une grande exposition Pour ce qui est de la télévision, je m’étais
au musée d’Art contemporain de Los entiché des personnalités de la télé,
Angeles, il y avait une section, une salle, comme Arthur Godfrey. C’est lui qui nous a
intitulée «  Influences  », avec des images révélé Hawaï et aussi la Floride. Dans le
représentant toutes les personnes qui cadre de ma prochaine exposition avec
m’ont influencé, les architectes, et c’est Greene Naftali, je crois que je vais me
certain que Nauman et Michael Snow pencher sur le producteur de la télé
m’ont beaucoup influencé. comme artiste conceptuel. Si vous

214 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


détestez Santa Barbara, vous savez que sont les personnages qui appartiennent à
An American Family [série documentaire la classe ouvrière [dans le tableau Un
des années 1970, ancêtre des reality dimanche après-midi à la Grande Jatte],
shows] était situé à Santa Barbara. ceux qui sont couchés par terre, parce que
leurs vêtements et leurs bottes sont raides.

DB : Ah, vraiment ? J’y ai vécu une année


et j’ai failli devenir folle. DB : Les gens étendus par terre ?

DG  : Oui, c ’est une sorte de ville DG  : Dans La Grande Jatte, ceux qui sont
cauchemardesque, non ? couchés par terre sont manifestement des
gens de la classe ouvrière qui viennent de
finir leur semaine de travail.
DB : Mais voilà qui répond à ma question
concernant des banlieues résidentielles
nord-américaines. Votre attitude est DB  : Et cela fait intégralement partie du
plutôt ambivalente… tableau, il ne cherche pas à les faire
disparaître ?
DG  : Je veux mentionner quelqu’un
d’autre. Il y a à peine trois ans, j’ai lu DG : Je crois que c’est le sujet du tableau.
Flaubert pour la première fois. Je crois que Et d’autre part, T.  J.  Clark, auteur que
si Homes for America entretient un j’adore, dit que les meilleures œuvres de
rapport avec quoi que ce soit, c’est avec Van Gogh sont les peintures qu’il a faites
Flaubert. autour de Paris. Je crois que ce qui
m’intéresse ce sont les environs des villes.
DB : Comment ça ?

DG  : Cela évoque la banalité de ces villes


DB  : Là où vous avez grandi, vous dites
de banlieue cossues…
que c’était à la limite de l’urbain et du
suburbain.
DB : Et le drame aussi.
DG  : Non, c ’était à la lisière de la
DG  : Sa meilleure œuvre, ce sont les Trois suburbia…. Il y avait une très bonne
contes, qui parlent de la banalité et du lieu exposition par Philippe Vergne au musée
commun. Mon œuvre a été découverte en Walker. Philippe est un grand ami, mais
Europe par Marcel Broodthaers, qui comme il est français, il pensait que l’art
travaillait aussi sur les lieux communs. comme divertissement faisait problème.
Roland Barthes a écrit un excellent article Pour ma part, je pense que les grandes
sur le peintre hollandais Saenredam, qui ex p o s i t i o n s , co m m e D o c u m e n t a e t
peignait des intérieurs d’églises vides en M ü n s t e r, c h e r c h e n t à a s s o c i e r l e
couleurs pastel. Alors s’agissant des divertissement et l’éducation. Des familles
années 1960, la suburbia en tant que belle françaises s’entassent dans leur voiture,
banalité était très importante. J’aime aussi font du camping dans les parcs et visitent
ce que Frank Stella fait aujourd’hui. Il l’expo le lendemain, et elles ont une idée
travaille pour les lobbies des que beaucoup d’art, dans un sens, a un
multinationales, ce sont des graffitis et du rapport avec Disney ou plutôt contre
baroque. Disney. Je connais Paul McCarthy dont
l’œuvre traite de la peur de Disney.

DB  : Le diorama est issu d’un


environnement semblable. C’était banal, DB  : Et vous  ? Disney, vous êtes pour ou
c’était du divertissement. contre ?

D G   : C ’e s t f o n d a m e n t a l e m e n t d u DG  : Je ne sais pas, mais mon art est


divertissement. À propos de Seurat, mon plutôt hybride. Vous n’avez pas vu mon
ami Peter Fischli dit qu’on peut voir quels Rock’n’ Roll Puppet Show [Don’t Trust

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 215


Figure 6. Dan Graham, Don’t Trust Anyone Over Thirty, 2004. Image reproduite avec
l’autorisation de l’artiste et de la galerie Micheline Szwajcer.

Anyone Over Thirty (2004), avec Rodney


Graham, Tony Oursler et al.] ? Ah ! Alors je
vais vous raconter une histoire drôle à ce
sujet. Quand j’étais à Miami, je voulais le
présenter de sorte que des grands-parents
et des pères puissent montrer à leurs
gosses comment c’était à cette époque.
Lors de la foire d’art [une femme] qui ne
partage plus ma vie, ainsi que d’autres
femmes de son âge, disaient des choses
comme « moi, je fumais de la marijuana ».
Figure  7. Dan Graham, Present
Continuous Past(s), 1974.
DB  : Cette ambivalence, ça permettait Image reproduite avec l’autorisation
aux gens de s’ouvrir, en un sens ? de l’artiste.

DG  : C’était vraiment une sorte de film


costumé. Et quand je me tourne vers l’art Bibliographie
du passé, je vois que Goya, dont j’adore
Benjamin (Walter). 1999. «  Exposé of 1935, Early
l’œuvre, traitait aussi d’une période version  » [1935] in The Arcades Project (trad. en
étrange. C’était juste après la Révolution anglais de Howard Eiland et Kevin McLaughlin).
française, il était désillusionné. Cambridge (MA) : Harvard University Press.
Boime (Albert). 1990. A Social History of Modern
Art, vol.  2  : Art in an Age of Bonapartism, 1800-
DB  : Alors c’est certainement semblable 1815. Chicago : University of Chicago Press.
au diorama, dans le sens des dioramas Bowen (Dore). 2014-2015. «  The diorama effect:
d’un muséum d’histoire naturelle, parce Gas, politics, and opera in the 1825 Paris
diorama  ». Intermédialités, 24-25, en ligne  :
qu’ils en font l’exposition. Et peut-être y
https://www.erudit.org/en/journals/im/2014-n24-
a-t-il là-dedans une sorte de 25-im02279/1034155ar/ [consulté le 22 déc. 2018].
sentimentalité ? De tristesse ? Buchloh (Benjamin). 1985. « From gadget to video
to agit video: Some notes on four recent video
DG : Je crois que le diorama était à la fois works ». Art Journal, 45(3), p. 217-227.
un divertissement et une éducation pour
Disprose (John). 1878. «  John Martin on glass
des gens qui n’allaient jamais pouvoir painting », p. 93-94 in Disprose’s Anecdotes about
voyager pour voir ces choses. Authors and Artists. Londres  : Diprose and
Bateman.
Eshun (Kodwo). 2012. Dan Graham, Rock my
Religion. Londres : Afterall Books.

216 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Graham (Dan) et  al. 2009. Dan Graham: Beyond.
Los Angeles  : Museum of Contemporary Art, et
Cambridge (MA) : MIT Press.
Graham (Dan). 2013. Nuggets: New and Old
Writing on Art, Architecture and Culture. Zurich  :
JRP/Ringer, et Dijon : Les Presses du réel. Voir en
particulier  : «  Dan Flavin  » [1967], p.  12-22  ;
« Photographs of motion » [1969], p. 47-54 ; « The
Destroyed Room of Jeff Wall » [1980] », p. 67-74 ;
«  Apocalypse Now: John Martin’s The Great Day
of His Wrath » [2006] », p. 105-108.
Murray (Christopher John) (sous la direction de).
2004. Encyclopedia of the Romantic Era, 1760-
1850, vol.  2  : L-Z. New York  : Fitzroy Dearborn.
Voir en particulier  : «  Martin, John  », p.  714-715  ;
«  Sadak in the Search of the Waters of Oblivion,
1812 », p. 976-978.
Owens (Craig). 1980. «  The allegorical impulse:
Toward a theory of postmodernism ». October, 12,
p.  67-86 (1 re   partie), October, 13, p.  58-80
(2e partie).
Stemmrich (Gregor). 2008. Dan Graham.
Cologne : Dumont.
Wagstaff (Sheena). 2014. «  A conversation with
Dan Graham  » in The Roof Garden Commission:
Dan Graham / sous la direction de Ian Alteveer et
Sheena Wagstaff. New York  : Metropolitan
Museum Press.
Wallis (Brian) (sous la direction de). 1994. Dan
Graham, Rock my Religion: Writings and Projects,
1965-1990. Cambridge (MA) : MIT Press

Courriel : doreflux@gmail.com

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 217


VISITE D’EXPOSITION

Dioramas

Palais de Tokyo, Paris,


14 juin - 10 septembre 2017
Schirn Kunsthalle, Francfort,
6 octobre 2017 - 21 janvier 2018

À travers une collection d’œuvres venues Avec sa scénographie créative, Dioramas


du monde entier, deux lieux d’exposition ouvre de nouvelles pistes de réflexion et
de renommée internationale, le Palais de incite le public à interroger davantage le
Tokyo, à Paris, et la Schirn Kunsthalle de pouvoir de fascination du diorama. Les
Francfort, donnent à voir les multiples deux scénographies varient cependant
facettes sous lesquelles est apparu le légèrement, et la version parisienne du
diorama. Organisée et conçue par Laurent projet apparaît plus riche et plus variée,
Le Bon, Claire Garnier, Florence Ostende malgré une difficulté à comprendre les
et Katharina Dohm, l’exposition est critères de sélection retenus par les
ouverte au public à l’automne 2017, commissaires et donc à appréhender la
d’abord à Paris, puis à Francfort. Au fil logique et la fondation scientifique du
d’un parcours conçu, à quelques détails parcours proposé.
près, de manière chronologique,
En faisant le choix de la variété, les
l’exposition présente à la fois des objets
concepteurs de l’exposition montrent
appartenant à l’histoire naturelle et des
d’abord que la fonction du diorama ne se
objets d’art, combinant des travaux
limite pas seulement à produire de
historiques des XVIIe et XVIIIe  siècles avec
l’illusion. Les différentes parties de
d e s co n t r i b u t i o n s co n te m p o ra i n e s .
l’exposition donnent à voir plusieurs
L’exposition offre au visiteur une manière
c a t é g o r i e s d e d i o ra m a s , q u i s o n t
de redécouvrir ce spectacle visuel
habilement mises en relation. Hormis le
populaire généralement associé au
théâtre proto-cinématographique de
XIXe  siècle que constitue le diorama dans
Daguerre, le terme de « diorama » désigne
le contexte d’une histoire des médias 1.
aussi des vitrines d’exposition scientifiques
1. Voir, par exemple, le programme du colloque
et d’histoire naturelle qui présentent aussi
international « Seeing through? The materiality of
dioramas », organisé par Noémie Étienne et Nadia Giese, Valérie Kobi, Thierry Laugée, Guillaume
Radwan à l’Université de Berne en décembre Legall, Florence Ostende, Veronica Peselmann,
2016, avec des présentations de Jean-Roch Nadia Radwan, Alexander Streitberger, Mercedes
Bouiller, Noémie Étienne, Liliane Ehrhart, Francine Volait et Xenia Vytuleva.

218 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


bien des animaux empaillés que des mentionnant quelques taxidermistes, dont
humains figurés à l’aide de mannequins. À Rowland Ward, Edwart Hart ou Carl
cette fin, chercheurs et artistes travaillent Akeley. Non seulement les documents
de concert à l’élaboration de décors tenus visuels et textuels permettent de mettre
p o u r a d é q u a t s o u re p r é s e n t a t i f s . clairement sous les yeux du visiteur la
L’ex p o s i t i o n s e l i m i te to u te f o i s collaboration d’artistes, d’anthropologues
principalement aux habitats animaliers et et de taxidermistes, mais ils font aussi
aux dioramas de petits formats, et la visite ressortir l’ambivalence de la taxidermie, qui
n’offre à voir aucun diorama animé par des affiche bien souvent une proximité
mannequins humains grandeur nature. problématique avec la chasse au gros
Cette absence est sans doute due gibier et s’accommode de la mise en
principalement à des difficultés de danger des espèces (Akeley, 2017).
transport et de réinstallation, ces dioramas
étant souvent intégrés à un contexte L’exposition souligne cet aspect de la
muséal particulier. confection du diorama mis en évidence
par la taxidermie en montrant que le
La première partie de l’exposition à Paris diorama ne se contente pas de présenter
et à Francfort est dédiée aux dioramas les des objets, mais qu’il est lui-même un
plus anciens, datant d’avant 1822, et objet. Les photographies de Richard
montre, entre autres, des scènes de Barnes montrent avec humour la réalité
dévotion chrétienne de petit format dans des travaux de nettoyage dans un diorama
des tableaux en semi-relief ou des crèches animalier, à l’occasion desquels l’humain
tridimensionnelles (Mandula, 2017). De par devient lui-même partie intégrante de
leur confection réaliste en cire ou en argile, l’exposition. Le parcours n’apporte en
ces œuvres offrent au visiteur une revanche pas d’information sur les acteurs
référence centrale pour les vitrines impliqués en coulisse dans la confection
postérieures. Dans la suite du parcours se des dioramas, sur les matériaux utilisés ou
trouvent des images diaphanes en carton
les méthodes mises en œuvre. C’est moins
perforé du XVIII e   siècle qui reposent
la matérialité et la fabrication des
directement sur le principe de
dispositifs qui est au centre du discours
«  transparence  » et modifient l’ensemble
tenu par les concepteurs, que la (re)mise
de leurs motifs en fonction de l’incidence
en visibilité de dispositifs, dans une
de la lumière. On y voit aussi, par exemple,
atmosphère féérique et nostalgique.
des toiles de fond peintes sur leurs deux
faces, que l’artiste contemporain Jean-Paul L’exposition présente néanmoins une prise
Favand emprunte à Daguerre, permettant de distance à l’égard de cette mise en
a u v i s i te u r d e re s s e n t i r d e fa ç o n scène du monde avec les dispositifs de
s a i s i ss a n te l e s e ffe ts o pti qu e s qui Georges-Henri Rivière. Un diorama de
passaient autrefois pour magiques. grand format, réalisé en 1975, présente
exclusivement des objets tels que des
Dans les deux expositions, les dioramas
vêtements ou des meubles sobrement
animaliers constituent le second thème
alignés les uns à côté des autres. Là, le
principal de la visite. Les interprétations
visiteur est confronté à un autre type de
purement artistiques du diorama font face
dispositif qui l’incite à se représenter des
aux vitrines d’histoire naturelle avec leurs
populations et des modes de vie
animaux empaillés. Face à ces œuvres, le
uniquement à travers la présentation
visiteur peut saisir un double aspect
d’objets usuels, sans théâtralisation.
important des dioramas  : ils présentent à
L’exposition amène ainsi le public à
la fois une mise en scène du monde et
découvrir un concept d’exposition qui
leurs procédés de fabrication.
rompt avec les procédés traditionnels des
Quels sont les techniques et savoir-faire dioramas anthropologiques, qui
i m p l i q u é s d a n s l a p ro d u c t i o n d e s représentaient des populations indigènes
dioramas  ? C’est ce que l’exposition par des dispositifs teintés de colonialisme
e n t e n d ex p l i c i t e r, n o t a m m e n t e n en forçant les traits de la mise en scène. Le

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 219


visiteur à qui s’adresse l’exposition peut Voilà des questions soulevées par cette
percevoir que les dioramas sont liés aux œuvre centrale de la partie dédiée aux
contextes coloniaux, sans pour autant œuvres contemporaines, qui apparaissent
comprendre clairement les processus clairement aux visiteurs experts en art
d’exclusion à caractère raciste que dut contemporain, mais ne sont pas pour
subir, par exemple, Gerrit Schouten, qui autant explicitées par les concepteurs de
recréa en format miniature des scènes de l’exposition.
la vie quotidienne dans les colonies au
Un aspect particulièrement positif à
XIX e   siècle. Les questions liées au
propos des deux lieux d’exposition  doit
colonialisme sont ainsi davantage traitées
être souligné  : chacun d’eux intègre des
dans le catalogue de l’exposition que dans
œuvres d’artistes contemporains
les scénographies de Paris et de Francfort
spécialement réalisés pour leurs locaux. À
(Étienne, 2017).
Paris, le visiteur peut voir l’œuvre de
Une dernière section importante de Tatiana Trouvé qui a construit une « vue en
l’exposition est consacrée aux dioramas profondeur  » à travers l’espace du musée,
contemporains. À Paris, les différentes qui fait la jonction entre les sections
contributions par lesquelles se termine contemporaines et les sections plus
l’exposition sont, en partie, exposées sans historiques de l’exposition. À Francfort, le
ordre. Précisément à cet endroit, les pistes visiteur est placé au cœur d’une illusion
de la continuité du diorama à travers les o p t i q u e d è s l a ro t o n d e d ’e n t r é e .
différentes périodes historiques sont L’installation de Philipp Fürhofer se réfère
brouillées, et la dernière salle laisse le à l’effet qui veut qu’on se laisse parfois
visiteur s’interroger sur ce qui a poussé les prendre à une illusion même après l’avoir
artistes à se confronter au medium reconnue en tant que telle. Ce travail ainsi
différencié qu’est le diorama. C’est ainsi au que celui de Sammy Baloji, exposé à Paris,
fil de l’exposition, et non par les notices illustrent tous deux la forme du diorama
explicatives, que le visiteur se rend praticable. Mais tandis qu’à Francfort,
compte, par exemple, que les Fürhofer suit plutôt la piste de l’illusion
représentations de scènes de la vie n’ont optique dans l’histoire du diorama, à Paris,
aujourd’hui plus de vitre de séparation. En Baloji adopte un point de vue
effet, les travaux importants de Duane explicitement politique et se base sur des
Hanson ou Kent Monkman soulignent documents d’archives pour produire une
l’impact socio-politique des dioramas, réflexion sur la manière dont l’art du
capables de mettre en relation plusieurs Congo est représenté et perçu.
époques sans que les notices n’offrent
Grâce à l’ampleur de ces deux expositions,
d’informations supplémentaires sur les
à la qualité des œuvres rassemblées et à
différents procédés de fabrication.
leur agencement souvent judicieux,
Le film La Town de Cao Fei, exposé Dioramas présente ce phénomène à des
seulement à Paris, a été tourné dans des publics variés et souligne aux yeux des
dioramas miniatures construits avec des visiteurs le vaste potentiel que possède ce
jouets en plastique2. Comment une telle dispositif. Le visiteur peut toutefois plus
ville stéréotypée faite de biens de aisément mettre en lien les dioramas
consommation se rapporte-t-elle aux visuellement attrayants et les différentes
dioramas historiques construits avec des contributions théoriques en se référant au
matériaux naturels  ? Ou même à la catalogue d’exposition. Il reste à espérer
présentation de la «  réalité  » en général  ? que cette exposition sera moins un bilan
qu’un point de départ pour de nouvelles
2. Voir à ce sujet mon intervention, dans
réflexions.
le cadre du colloque de Berne «  Seeing Veronica Peselmann
through ? The materiality of dioramas  », Université de Bielefeld
intitulée « Film and diorama in China: Cao Courriel :
Feis postapocalytic “La Town” (2014) ». Veronica.Peselmann@uni-bielefeld.de

220 CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018


Commissaire et scénographe
de l’exposition
Claire Garnier, Laurent Le Bon & Florence
Ostende Katharina Dohm (Schirn Kunsthalle,
Francfort)

Bibliographie
Dohm (Katarina), Garnier (Claire), Le Bon
(Laurent) & Ostende (Florence) (sous la direction
de). 2017. Dioramas (catalogue d’exposition, Palais
de Tokyo, 14  juin  - 10  septembre 2017). Paris  :
Palais de Tokyo et Flammarion.
Akeley (Carl). 2017. « Le rêve de la grande galerie
africaine », p. 76-82 in Dioramas, sous la direction
de Katarina Dohm, Claire Garnier, Laurent Le Bon
et Florence Ostende, op. cit.
Dohm (Katharina), Garnier (Claire), Le Bon
(Laurent), Ostende (Florence). 2017. «  Diorama  :
exposer l’absence  », p.  8-13, p. 12 in Dioramas,
sous la direction de Katarina Dohm, Claire
Garnier, Laurent Le Bon et Florence Ostende,
op. cit.
Étienne (Noémie). 2017. «  La matérialité politique
du diorama  », p.  186-192 in Dioramas, sous la
direction de Katarina Dohm, Claire Garnier,
Laurent Le Bon et Florence Ostende, op. cit.
Mandula (Aleth). 2017. «  Proto-dioramas. Une
histoire religieuse  », p.  16-27 in Dioramas, sous la
direction de Katarina Dohm, Claire Garnier,
Laurent Le Bon et Florence Ostende, op. cit.

CULTURE & MUSÉES - n°32 - 2018 221


Site de la revue Culture & Musées (2014 - ) :
https://journals.openedition.org/culturemusees/

Articles également disponibles sur Persée (1992-2014):


https://www.persee.fr/collection/pumus
&
&
PUBLICS et MUSÉES

Bon de commande au numéro

n°1
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Les textes dans les musées Les dioramas


Prix : 14,48 ¤ Prix : 16,77 ¤
n°2
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Regards sur l’évolution des musées Hors thème, 1996.
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Du public aux visiteurs Marketing et musées
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Hors thème, 1994 Public, nouvelles technologies, musées
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L’interaction sociale au musée Éducation artistique à l’école et au musée
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Musée et éducation Le regard au musée
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Études de publics, années 30 L’écomusée : rêve ou réalité
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Avignon Université, 84029 Avignon Cedex + 4 ¤ de frais de port
Courriel : culture-et-musees@univ-avignon.fr - Hors Europe :
+ 6 ¤ de frais de port
n°1. Les textes dans les musées
sous la direction d’Hana GOTTESDIENER, 1992.
Julie DESJARDINS, Daniel JACOBI, Les étiquettes dans les musées et les expositions scientifiques
et techniques
Chandler SCREVEN, Comment motiver les visiteurs à la lecture des étiquettes
Denis SAMSON, L’évaluation formative et la genèse du texte
Hana GOTTESDIENER, « La lecture de textes dans les musées d’art
Marie-Sylvie POLI, Le parti pris des mots dans l’étiquette : une approche linguistique
Hors thème
David UZZELL, Les approches sociocognitives de l’évaluation des expositions
Lectures

n°2. Regards sur l’évolution des musées


sous la direction de Jean DAVALLON, 1992.
Jacqueline EIDELMAN, Qui fréquente les musées à Paris ?
Jean-Michel TOBELEM, De l’approche marketing dans les musées
Bernard SCHIELE, L’invention simultanée du visiteur et de l’exposition
Jean DAVALLON, Le musée est-il vraiment un média ?
Dominique POULOT, Bilan et perspectives pour une histoire culturelle des musées
Expériences. Lectures

n°3. Du public aux visiteurs


sous la direction de Joëlle LE MAREC, 1993.
Sharon MACDONALD, Un nouveau public ? Changements culturels et musées
Olivier DONNAT, Les publics des musées en France
Aymard de MENGIN, La recherche d’une typologie des publics à la Cité des sciences et de
l’industrie
Éric TRIQUET et Jean DAVALLON, Le public, enjeu stratégique entre scientifiques et concepteurs
Joëlle LE MAREC, L’interactivité, rencontre entre visiteurs et concepteurs
Jack GUICHARD, Visiteurs et conception muséographique à la Cité des Enfants
Portrait. Expériences. Lectures

n°4. Hors thème, 1994


Harris H. SHETTE & Stephen BITGOOD, Les pratiques de l’évaluation des expositions
Minda BORUN, Christine MASSEY & Tiiu LUTTER, Connaissances naïves et conception
d’éléments d’exposition
John J. KORAN JR & Jim ELLIS, La recherche en milieu informel
Dossier
Sous la direction d’Évelyne LE HALLE : L’accueil dans les musées
Expériences. Lectures

n°5. L’interaction sociale au musée


sous la direction de David UZZELL, 1994.
Lynn D. DIERKING, Rôle de l’interaction sociale dans l’expérience muséale
Marylyn G. HOOD, L’interaction sociale au musée, facteur d’attraction des visiteurs occasionnels
Paulette M. McMANUS, Le contexte social, un des déterminants du comportement
d’apprentissage dans les musées
Manon NIQUETTE, Éléments critiques pour l’analyse de la réception et du partage social des
connaissances
Portrait. Lectures
n°6. Professions en mutation
sous la direction d’Élisabeth CAILLET, 1994.
Catherine FRANCHE, Améliorer les compétences des professionnels des institutions muséales
au Québec
Florence AUDIER, Emploi, statuts, organisation du travail dans la modernisation des musées en
France
Élisabeth CAILLET, L’ambiguïté de la médiation culturelle : entre savoir et présence DOSSIER
(sous la direction d’Élisabeth Caillet) : Aspects de l’évolution des professions
Expériences. Lectures

n°7. Musée et éducation


sous la direction de Daniel JACOBI et Odile COPPEY, 1995.
Colette DUFRESNE-TASSÉ, Information nécessaire à la conception d’une mise en exposition
optimale des phénomènes scientifiques »
Françoise BUFFET, Entre école et musée : le temps du partenariat culturel éducatif ?
Yves GIRAULT, Françoise GUICHARD, Problématique et enjeux du partenariat école-musée à la
Grande Galerie de l’évolution
Jack GUICHARD, Nécessité d’une recherche éducative dans les expositions à caractère
scientifique et technique
Lectures

n°8. Études de publics, années 30, 1995.


Edward S. ROBINSON, Exit le visiteur type, les musées se penchent sur les hommes et femmes
réels
Arthur W. MELTON, Effets des variations du nombre de tableaux exposés dans une salle de
musée
Marguerite BLOOMBERG, Une expérience sur l’enseignement pratiqué dans les musées
Hors thème
Bernadette DUFRÊNE, La série des expositions internationales du centre Georges-Pompidou :
pour un nouveau modèle.
Expériences. Lectures

n°9. Les dioramas


sous la direction de Bernard SCHIELE, 1996.
Adriaan DE JONG & Mette SKOUGAARD, Les intérieurs de Hindeloopen et d’Amager : deux
exemples d’un phénomène muséographique
Stephen BITGOOD, Les méthodes d’évaluation de l’efficacité des dioramas : compte rendu
critique
Raymond MONTPETIT, Une logique d’exposition populaire : les images de la muséographie
analogique
Hors thème
Esther GONZALEZ MARTINEZ, La stratégie communicationnelle du musée de l’Art brut :
considérations d’un récepteur avisé
Expériences. Lectures. Compte rendu de thèse
n°10. Hors thème, 1996.
Marie-Sylvie POLI, Le texte dans un musée d’histoire et de société
Dossier
Sous la direction d’Alexandre DELARGE & Philippe HILAIRE : Musées et paysages
Expériences. Lectures

n°s 11-12. Marketing et musées


sous la direction de Jean-Michel TOBELEM, 1997.
Fiona McLEAN, “Le passé est à vendre” : réflexions sur le marketing des musées
Pierre CHAZAUD, Marketing de la visite culturelle et implication du public
Christine PETR, Le marketing du patrimoine : à contexte particulier, méthodologie particulière
James S. BROMWICH, Comparaison de politiques de marketing françaises et britannique
François MAIRESSE, La stratégie du prix
Joëlle LE MAREC, Évaluation marketing et muséologie
Hors thème
Sandra SUNIER, Scénario d’une exposition
Expériences. Critiques. Lectures

n°13. Public, nouvelles technologies, musées


sous la direction de Roxane BERNIER et Bernadette GOLDSTEIN, 1998.
Andrea WELTZL-FAIRCHILD & Louis M. DUBÉ, Le multimédia peut-il aider à réduire la
dissonance cognitive ?
Glynis BREAKWELL, Usages des interactifs au musée : le cas de la galerie du Verre au musée
Victoria & Albert
AgnèsS VIGUÉ-CAMUS, Une approche des usages et représentations des écrans multimédias
dans leur contexte social de production
Alexandra VOL, Tisser des trames de pertinence entre musées, nouvelles technologies et publics
Geneviève VIDAL, L’interactivité et les sites web de musée
Jonathan BOWEN, Jim BENNETT & James JOHNSON, Visiteurs virtuels et musées virtuels
Jean-Louis WEISSBERG, Le déplacement virtuel de Lascaux
Hors thème
Atsuko KAWASHIMA & Hana GOTTESDIENER, Accrochage et perception des œuvres
Expériences. Critiques. Lectures

n°14. Éducation artistique à l’école et au musée


sous la direction de Bernard DARRAS, 1998.
Bernard DARRAS & Anna M. KINDLER, Le musée, l’école et l’éducation artistique
Dominique CHÂTEAU, Conscience esthétique et expertise : la collaboration entre Dewey et
Barnes
Brent WILSON, Éducation contre érudition : la subversion discrète du musée d’art nord-
américain
Françoise CASANOVA, Une pratique interactive orale de l’histoire de l’art au musée du Louvre :
des jeunes s’entretiennent »,
Hors thème
Sylvie OCTOBRE, Rhétoriques de conservation, rhétoriques de conservateurs : au sujet de
quelques paradoxes de la médiation en art contemporain
Expériences. Critiques. Lectures. Termes muséologiques de base
n°15. Hors thème, 1999.
Tamara LEMERISE, Les adolescents au musée : enfin des chiffres !
Martin R. SCHÄRER, La relation homme-objet exposée : théorie et pratique d’une expérience
muséologique
Martine REGOURD, L’institution muséale saisie par le droit : une empreinte spécifiquement
publique
Pascal LARDELLIER, Dans le filigrane des cartels… Du contexte muséographique comme
discours régionaliste : l’exemple du Muséon arlaten
Chang WAN-CHEN, Esquisse d’une histoire du concept chinois de patrimoine
Expériences

n°16. Le regard au musée


sous la direction de Pascal LARDELLIER, 1999.
Carl HAVELANGE, Le musée mélancolique. Tentative pour photographier nos manières de voir
Michel CHRISTIAN, Le regard au Louvre : une consommation visuelle de masse
Monique SICARD, Ce que fait le musée… Science et art, les chemins du regard
Mark MEIGS, À la recherche d’un passé visible : regards publics et privés dans les collections de
la région de Philadelphie, 1890-1930
Noël NEL, La monstration de l’art dans les régimes scopiques contemporains
Hors thème
Isabelle RIEUSSET-LEMARIÉ, De l’utopie du “musée cybernétique” à l’architecture des parcours
dans les musées
Les cahiers de Publics et Musées : Actes du colloque Les Publics de l’art contemporain, sous la
direction d’Élisabeth CAILLET
Lectures

n°s 17-18. L’écomusée : rêve ou réalité


sous la direction d’André DESVALLÉES, 2000.
François MAIRESSE, La belle histoire, aux origines de la nouvelle muséologie
Nina GORGUS, L’Heimatmuseum, l’écomusée et G. H. Rivière
Octave DEBARY, L’écomusée est mort, vive le musée
Serge CHAUMIER, Les ambivalences du devenir d’un écomusée : entre repli identitaire et
dépossession
Saskia COUSIN, Un brin de culture, une once d’économie : écomusée et économusée
Alexandre DELARGE, Des écomusées, retour à la définition et évolution
Raymond DE LA ROCHA-MILLE, Un regard d’ailleurs sur la muséologie communautaire
Témoignages. Entretiens. Nouvelle de la muséologie
Bon de commande au numéro
n°1
 ......................................................................................................................... . n°18 ......................................................................................................................... .

Nouveaux regards sur le patrimoine Le récit dans la médiation des sciences et
n°2
 ......................................................................................................................... . des techniques
Musées et organisation n°19 ......................................................................................................................... .

n°3
 ......................................................................................................................... . Entre arts et sciences
Les médiations de l’art contemporain n°20 ......................................................................................................................... .

n°4
 ......................................................................................................................... . Réfléchir l’histoire des guerres au musée
Friches, squats et autres lieux n°21 ......................................................................................................................... .

n°5
 ......................................................................................................................... . Bibliothèque et musée : notions et
Du musée au parc d’attractions concepts communs
n°6
 ......................................................................................................................... . n°HORS SÉRIE ............................................................................ .

Nouveaux musées de sociétés et de La muséologie : 20 ans de recherches
civilisations n°22 ......................................................................................................................... .

n°7
 ......................................................................................................................... . Documenter les collections, cataloguer
Figures du corps au cinéma l’exposition
n°8
 ......................................................................................................................... . n°23 ......................................................................................................................... .

Défendre le patrimoine, cultiver l’émotion Tourisme et mediations des patrimoines
n°9
 ......................................................................................................................... . n°24 ......................................................................................................................... .

Politique culturelle et patrimoines Démocratisation culturelle et numérique
n°10 ......................................................................................................................... .
 n°25 ......................................................................................................................... .

Évolution des rapports entre sciences et Écouter de la musique ensemble
société au musée n°26 ......................................................................................................................... .

n°11
 ......................................................................................................................... . Entre les murs / hors les murs : culture et
Hors thème, 2008 publics empêchés
n°12 ......................................................................................................................... .
 n°27 ......................................................................................................................... .

L’imaginaire de la ville, le regard et le pas L’artiste et le musée
du citadin n°28 ......................................................................................................................... .

n°13 ......................................................................................................................... .
 Le musée et le politique
Scènes et scénographies alimentaires n°29 ......................................................................................................................... .

n°14 ......................................................................................................................... .
 Conserver et transmettre la performance
L’écriture du patrimoine artistique
n°15 ......................................................................................................................... .
 n°30 ......................................................................................................................... .

Comment parler de la critique Musées au prisme du genre
d’exposition ? n°31 ......................................................................................................................... .

n°16 ......................................................................................................................... .
 Entre création et médiation : les
La (r)évolution des musées d’art résidences d’écrivains et d’artistes
n°17 ......................................................................................................................... .

La lecture en société

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Adresse Coût du numéro


Secrétariat Culture & Musées - Europe : 22 ¤
Avignon Université, 84029 Avignon Cedex + 4 ¤ de frais de port
Courriel : culture-et-musees@univ-avignon.fr - Hors Europe : 22 ¤
+ 6 ¤ de frais de port
n°1. Nouveaux regards sur le patrimoine
sous la direction de Jean DAVALLON, 2003.
Michel RAUTENBERG, Comment s’inventent de nouveaux patrimoines
Laurent Sébastien FOURNIER, Les fêtes locales en Provence
Gaëlle CRENN, La patrimonialisation de l’environnement au Biodôme de Montréal
Émilie DA LAGE-PY, Les collections de disques de musique du monde
Cécile TARDY, L’entremise du récit du chercheur
Points de vue et expériences
Annette VIEL, Pour une écologie culturelle

n°2. Musées et organisation


sous la direction de Catherine BALLÉ, 2003.
Catherine BALLÉ, Musées, changement et organisation
Françoise BENHAMOU, L’économie des musées d’art, un état de la question
Élisabeth CAILLET, Profession et organisation : le cas paradoxal des arts plastiques
Jean-Michel TOBELEM, Musées locaux et impératifs gestionnaires
Jacqueline EIDELMAN, Anne MONJARET, Mélanie ROUSTAN, MAAO, mémoire d’une organisation
Catherine CUENCA, Le patrimoine scientifique et technique du XXe siècle : un projet de
sensibilisation et de sauvegarde
Points de vue et expériences
Noémie DROUGUET, André GOB, La conception d’une exposition : du schéma programmatique
à sa mise en espace

n°3. Les médiations de l’art contemporain


sous la direction d’Élisabeth CAILLET et de Daniel JACOBI, 2004.
Ivan CLOUTEAU, Activation des œuvres d’art contemporain et prescriptions auctoriales
Fanchon DEFLAUX, La construction des représentations de l’art et des artistes non
occidentaux dans la presse à la suite d’une exposition d’art contemporain
Marie-Luz CEVA, L’art contemporain demande-t-il de nouvelles formes de médiation ?
Maud GAUCHET-LOPEZ et Marie -Sylvie POLI, Les médiations de l’art contemporain via les sites
Internet : des représentations paradoxales
Karine TAUZIN, Le texte de médiation à la recherche de ses lecteurs modèles
Delphine MIÈGE, Texte de médiation des oeuvres et citation de la parole de l’artiste : le cas de
Daniel Buren
Points de vue et expériences
Christian BERNARD, Que peut-on communiquer d’une œuvre d’art ?
André DESVALLÉES, Exposer VIII

n°4. Friches, squats et autres lieux : les nouveaux territoires de l’art ?


sous la direction d’Emmanuelle MAUNAYE, 2004.
Patrice DE LA BROISE ET Michèle GELLEREAU, De l’atelier à l’atelier : la friche industrielle
comme lieu de médiation artistique
Marie-Hélène POGGI et Marie VANHAMME, Les friches culturelles, genèse d’un espace public de
la culture
Fabrice RAFFIN, L’initiative culturelle participative au coeur de la cité : les arts de la critique
sociale et politique
Barbara PANVINI, L’invention de l’espace comme l’expression de l’identité collective : l’exemple
du squat de la Grange-aux-Belles
Points de vue et expériences
Questions à Fabrice Lextrait
Stany CAMBOT, Nulle part, dernier lieu possible de création
Sylvia ALBERTON, À propos du colloque “École et culture”
Lectures et nouvelles
Cahier. Documentation et bibliographies : Ouvrages en langue anglaise sur les publics de
musée (1994-2002).

n°5. Du musée au parc d’attractions : ambivalence des formes de l’exposition


sous la direction de Serge CHAUMIER, 2005.
Jean-Bernard ROY, Les parcs archéologiques au risque du parc de divertissement
Noémie DROUGUET, Succès et revers des expositions- spectacles
Florence BELAËN, L’immersion dans les musées de science : médiation ou séduction ?
Raymond MONTPETIT, Expositions, parcs, sites : des lieux d’expériences patrimoniales
Annette VIEL et Anne NIVART, Parcs sous tension
Points de vue et expériences
La culture en trompe-l’oeil, Henri-Pierre JEUDY
Éducation, tourisme, économie : l’impossible pari des parcs scientifiques, Jacques MAIGRET

n°6. Nouveaux musées de sociétés et de civilisations : ambivalence des


formes de l’exposition
sous la direction de Jacqueline EIDELMAN, 2005.
Serge CHAUMIER, L’identité, un concept embarrassant, constitutif de l’idée de musée
Jean -Pierre CORDIER, La reconnaissance de soi et ses limites dans l’exposition La mort n’en
saura rien
Wilfried RAULT et Mélanie ROUSTAN, Du MAAO au musée du Quai-Branly
Gérard SELBACH, Publics et muséologie amérindienne
Laurella RINÇON, Visiteurs d’origine immigrée et réinterprétation des collections au
Världkulturmuseet de Göteborg
Points de vue et expériences
André DESVALLÉES et François MAIRESSE, Sur la muséologie
Thierry RUDDEL, Musées « civilisants » du Québec et du Canada : les enjeux politiques et
publics
Lectures et nouvelles

n°7. Figures du corps au cinéma. Body is comedy


sous la direction d’Emmanuel ETHIS et Jean-Louis FABIANI, 2006.
Frédéric MAGUET, Les films d’action : une rhétorique corporelle en régime d’utopie
Damien MALINAS et Virginie SPIES, “Mes jours et mes nuits avec Brad Pitt” : l’affiche de cinéma,
une identité énoncée de la chambre d’étudiant à la télévision
Olivier THÉVENIN, Ed Wood : figures d’un corps et mélanges des genres
Dominique MEMMI, Corps à corps et domination rapprochée : comment le cinéma “réfléchit” le
monde social
Jean-Pierre ESQUÉNAZI, Hitchcock et ses femmes massacrées
Agnès DEVICTOR, Corps codés, corps filmés : le contrôle du corps des femmes dans le
cinéma de la République islamique d’Iran
Hors thème
France LÉVESQUE, La collection muséale d’art contemporain comme mémoire archivée
Points de vue et expériences
Max von SYDOW, La leçon de comédien
Michaël BOURGATTE, À propos des publics d’un multiplex de province
Joël CHAPRON, L’Europe centrale en arrêt sur image
Lectures et nouvelles
n°8. Défendre le patrimoine, cultiver l’émotion
sous la direction de Dominique Poulot, 2006.
Béatrice ROBERT, Patrimoine antique et émotion révolutionnaire
Juliette DUTOUR, Constructions et émotions patrimoniales à Québec
Muriel GIRARD, Imaginaire touristique et émotion patrimoniale dans la médina de Fès
Sophie KERVRAN, Le patrimoine comme passion identitaire en Bretagne
Sabrina PISCAGLIA, La destruction et la reconstruction du pavillon d’Art contemporain de Milan
Hors thème
Jean-Paul FOURMENTRAUX, Internet au musée
Points de vue et expériences
Jean DAVALLON, Hana GOTTESDIENER et Jean-Christophe VILATTE, À quoi peuvent donc servir
les recherches sur les visiteurs ?
Lectures et nouvelles

n°9. Politique culturelle et patrimoines


sous la direction de Philippe POIRRIER, 2007.
Emmanuel NÉGRIER, La politique du patrimoine en Espagne
David ALCAUD, Patrimoine, construction nationale et inventions d’une politique culturelle en
Italie
Véronique CHARLÉTY, Politique du patrimoine en Allemagne : un fédéralisme de coopération
Jean-Michel TOBELEM, L’introuvable politique patrimoniale des États-Unis d’Amérique
Diane SAINT-PIERRE, Politiques culturelles et patrimoines au Québec et au Canada
Hors thème
Gérard RÉGIMBEAU, Indexation de l’art abstrait : enjeux et questions
Lectures et nouvelles

n°10. Évolution des rapports entre sciences et société au musée


sous la direction de Joëlle LE MAREC, 2007.
Florence BELAËN, Le planétarium : observatoire des tendances
Jean-Paul NATALI, Le rôle des scientifiques dans les productions muséales
Marie-Sylvie POLI, Les tensions du discours muséographique sur les sciences : forum de savoirs,
jeux de pouvoirs
Sophie DESHAYES, Les sciences humaines et sociales s’exposent à l’Historial de Péronnne

n°11. Hors thème, 2008.


Anne WATREMEZ, Vivre le patrimoine urbain au quotidien : pour une approche de la
patrimonialité
Mathilde GAUTIER, La librairie de musée en tant que médium
Marie-Christine BORDEAUX, Un agir communicationnel propre à l’action culturelle : la
médiation culturelle confrontée au phénomène de l’illettrisme
Points de vue et expériences
Marie-Sylvie POLI & Hana GOTTESDIENER, Les titres d’expositions : sur quoi communiquent les
musées
Emmanuel ETHIS, Avignon : la cité cinéphilique
Gérard MONNIER, Le retour des copistes au musée : un événement ?
Lectures et nouvelles. Cahier.
Heloïsa Helena COSTA, Préserver le patrimoine urbain : pourquoi, pour qui, comment ?
n°12. L’imaginaire de la ville, le regard et le pas du citadin
sous la direction de Michel RAUTENBERG, 2008.
Catherine HOREL, La tradition révolutionnaire dans l’imaginaire urbain de Budapest
Philippe CHAUDOIR, La rue : une fabrique contemporaine de l’imaginaire urbain
Sonja KELLEN BERGER, L’image de la ville dans les interventions d’artistes engagés dans les
mouvements sociaux
Corine VEDRINE, Le conflit des images médiatiques sur Clermont-Ferrand
Expériences et points de vue
Michel RAUTENBERG, L’action théâtrale et l’imaginaire de Sarajevo. Entretien avec Zarina Khan
Joël CHAPRON, Une (petite) histoire du cinéma kirghize
Lectures et nouvelles

n°13. Scènes et scénographies alimentaires


sous la direction de Jean-Jacques BOUTAUD & Serge CHAUMIER, 2009.
Isabelle RIEUSSET-LEMARIÉ, Un dispositif de commensalité élargie
EMMANUELLE LAMBERT, Les médiations gustatives ou l’art de la mise en bouche
Stéphanie SAGOT & Jérôme DUPONT, Un postmodernisme culinaire ?
Pierre BERTHELOT, Du bruit dans la cuisine
Martin R. SCHÄRER, La mise en exposition de l’alimentation
Marc GRODWOHL, La scénographie du cochon et de la choucroute
Lectures et nouvelles

n°14. L’écriture du patrimoine


sous la direction de Cécile TARDY, 2009.
Marie DESPRÉS-LONNET, L’écriture du patrimoine, de l’inventaire à l’exposition : Les parcours
de la base Joconde
Bertrand DAUGERON, Classement et rangement des “objets des sauvages” vers 1800 : L’ordre
méthodique comme écriture des objets
Marie-Ange LASMÈNES, Écrire “son” patrimoine : De nouvelles lectures locales du territoire
Patrick FRAYSSE, La “schématisation” des bastides : Une écriture entre sciences, imaginaire
social et industrie touristique
Thierry BAUDIAS, Quand la projection du film se fait médiation : La sollicitation d’une écriture
comparative
Dominique TROUCHE & Emmanuelle LAMBERT, La convocation des corps dans les expographies
des musées de l’histoire des guerres
Hors thème
Amanda RUEDA, Festival de cinéma : Médiations et construction de territoires imaginaires
Points de vue et expériences
Damien MALINAS & Emmanuel ETHIS, Krimi et savoir-vivre… Derrick, quand l’enquête policière
se routinise en art de la politesse
Lectures et nouvelles

n°15. Comment parler de la critique d’exposition ?


sous la direction de Marie-Sylvie POLI, 2010.
François MAIRESSE & Bernard DELOCHE, La question du jugement sur les expositions d’art
Jérôme GLICENSTEIN, La critique d’exposition dans les revues d’art contemporain
Françoise RIGAT, La critique d’exposition d’art contemporain dans la presse spécialisée : La
connivence comme mode de communication
Fanchon DEFLAUX, Le compte rendu d’exposition dans la configuration de l’art actuel : Jeux de
tensions et de perspectives
Hors thème
Ghislaine CHABERT & Daniel BOUILLOT, Du réel au virtuel : Une expérience de visite dans
l’exposition
Florence MONTAGNON, La substitution de l’exposition à l’œuvre
Lectures et nouvelles.

n°16. La (r)évolution des musées d’art


sous la direction de André GOB & Raymond MONTPETIT, 2010.
Serge CHAUMIER, La muséographie de l’art
Yves BERGERON, Métissages entre musées d’art et musées de société
Valérie ROUSSEAU, Révéler l’art brut
Céline ÉLOY, Muséaliser l’art conceptuel
Pierre-Yves DESAIVE, L’art des nouveaux médias
Francine COUTURE, Réexposition et pérennité de l’art contemporain
Hors thème
Claire BUSTARRET, Quand l’écriture vive devient patrimoine : Les manuscrits d’écrivains à
l’Exposition de 1937
Points de vue et expériences
Anne WATREMEZ, Les chercheurs ne patrimonialiseraient-ils pas aussi ?
Luciana SEPÚLVEDA KOPTCKE, Les musées, leurs publics et les dynamiques sociales :
L’approche de l’Observatoire des musées et centres culturels
Lectures et nouvelles
Quelles scénographies pour quels musées, Cahier sous la direction de Claire MERLEAU-PONTY

n°17. La lecture en société


sous la direction de Julia BONACCORSI, 2011.
François PROULX, “De nouveaux et étranges éducateurs” : Dangers de la lecture et remèdes
littéraires, 1883-1914
Laurence BOUDART, Lecture et apprentissage de l’identité nationale. Étude de manuels scolaires
belges (1842-1939)
Cécile RABOT, Les “coups de cœur” d’une bibliothèque de lecture publique : Valeurs et enjeux
professionnels d’une sélection littéraire
Viviane ALBENGA, “Devenir soi-même” par la lecture collective. Une approche anti-individualiste
Daniel JACOBI & Ivan CLOUTEAU, Lire l’art contemporain ? À propos du travail de Joseph
Kosuth
Mathilde LABBÉ, Le procès des Fleurs du mal mis en scène par des juristes : Lectures en conflits
Antoine FERNANDEZ, Le livre comme catalyseur de l’activité patrimonialiste : De l’invention
littéraire de la Provence au XIXe siècle
Hécate VERGOPOULOS, La lecture dans le Guide bleu : Du pouvoir au désir
Lectures et nouvelles

n°18. Le récit dans la médiation des sciences et des techniques


sous la direction d’Éric TRIQUET, 2011.
Marianne CHOUTEAU, Michel FAUCHEUX & Céline NGUYEN, Technique et récit : Éléments
d’une critique de la raison narrative
Pierre LANNOY, Raconter la production automobile fordiste (France, 1930-1970)
Michèle GELLEREAU, Le récit de témoignage sur les usages comme reconstruction du sens des
objets
Philippe CHAVOT & Anne MASSERAN, Histoires de greffes : Permanence d’un récit télévisuel
Florence RIOU, Le cinéma, ou comment raconter la science au Palais de la découverte en 1937
Marida DI CROSTA, Montrer “l’invisible intérieur du corps” : Entre médiation et
spectacularisation
Hors thème
Adeline CLERC, Le Livre sur la Place à Nancy : Un nouveau rapport au livre et à la lecture
Alexandra SAEMMER, La littérature numérique entre légitimation et canonisation

n°19. Entre arts et sciences


sous la direction de Marie-Christine BORDEAUX, 2012.
Jean-Paul FOURMENTRAUX, Dilemmes des nouvelles interfaces entre art, science et industrie :
Le consortium Hexagram (Montréal) 2001-2009
Fabienne MARTIN-JUCHAT, Signifier et représenter la coopération entre arts et sciences : Le cas
de la biennale Rencontres-i
Annie GENTÈS & Camille JUTANT, De la convergence à la performance : Cheminement dans
l’invention d’un média au musée
Jean-Christophe SEVIN, Les enregistrements musicaux à l’épreuve de leurs restaurations et
rééditions numériques
Geneviève VIDAL, De l’interactivité à l’expérience : Les usages de tables interactives dans les
expositions scientifiques
Sarah CORDONNIER, Sciences humaines et institutionnalisation de l’art contemporain
Éric VILLAGORDO, Un sociologue en résidence artistique : La relation art/science à l’épreuve

n°20. Réfléchir l’histoire des guerres au musée


sous la direction de Sophie WAHNICH, 2013.
Frédéric ROUSSEAU, Décrypter en historien le musée de l’infanterie de Montpellier
Céline BRYON-PORTET, Former l’esprit de corps de la légion
Julien MARY, Le lien armée-nation dans les musées militaires français rénovés
Olivier GLASSEY & Stéfanie PREZIOSO, Auschwitz sur Facebook : un livre d’or avant la visite
Marie LAVOREL, Une écriture à caractère patrimonial : le musée de la Résistance et de la
Déportation de l’Isère
Thomas CAUVIN, Représenter une histoire (ré)conciliatrice dans l’île d’Irlande
Dominique TROUCHE, Rendre sensible l’histoire des guerres au musée
Hors thème
Isabelle PICHET, Le Tapissier : auteur du discours expographique au Salon (1750-1789)
Lectures et nouvelles

n°21. Bibliothèque et musée : notions et concepts communs


sous la direction de Viviane COUZINET, 2013.
François MAIRESSE, Musée et bibliothèque : Entre rapprochement et distance
Nathalie CASEMAJOR LOUSTAU, Valorisation du patrimoine photographique : Entre régime
documentaire et régime artistique
Patrick FRAYSSE, Document et monument au musée Saint-Raymond, musée des Antiques de
Toulouse
Geneviève LALLICH-BOIDIN & Céline BRUN-PICARD, Collections de presse, numérisation et
patrimoine des bibliothèques
Bernadette DUFRÊNE & Madjid IHADJADENE, La médiation documentaire dans les institutions
patrimoniales : une approche par la notion de service
Alain CHANTE, La notion de catalogue : de l’imprimé au numérique
Isabelle FABRE & Gérard RÉGIMBEAU, Les musées et les bibliothèques : espaces de documents
et organisation des savoirs
Hors thème
Mari-Carmen RODRÍGUEZ, Le musée des Pérégrinations au cœur de la « fabrique » mémorielle
de l’Espagne
Expérience et points de vue
Guillemette GARDETTE, Éléments clés de l’aménagement d’un centre d’interprétation :
faisabilité, programmation, travaux, acteurs. L’exemple de la redoute Marie-Thérèse à Avrieux,
Barrière de l’Esseillon
Lectures et nouvelles

n°HORS SÉRIE. La muséologie : 20 ans de recherches


sous la direction d’Hana GOTTESDIENER & Jean DAVALLON, 2013.
Avant-propos de Françoise WASSERMAN
Avant-propos d’Emmanuel ETHIS
Jean DAVALLON & Émilie FLON, Le média exposition
Daniel JACOBI & Yves JEANNERET, Du panneau à la signalétique, lecture et médiations
réciproques dans les musées
Jacqueline EIDELMAN , Hana GOTTESDIENER & Joëlle LE MAREC, Visiter les musées :
expérience, appropriation, participation
Michel RAUTENBERG & Cécile TARDY, Patrimoines culturel et naturel : analyse des
patrimonialisations
Marie-Christine BORDEAUX & Elisabeth CAILLET, La médiation culturelle : pratiques et enjeux
théoriques
Marie-Sylvie POLI, Éducation et musée
Dominique POULOT, Le patrimoine en France : une génération d’histoire. 1980-2010
Musées et mémoire, vers une culture créative, Postface de Vera DODEBEI

n°22. Documenter les collections, cataloguer l’exposition


sous la direction de Gérard RÉGIMBEAU, 2014.
Maryse RIZZA, Le dossier d’œuvre en musée
Marta SEVERO, La Liste du patrimoine mondial
Marie DESPRÉS-LONNET, Entre compilation et computation
Patrick LE BŒUF, De la sémantique des inventaires aux musées en dialogue
Amélie GIGUÈRE, Documentation et muséalisation de la performance
Rémi PARCOLLET & Léa-Catherine SZACKA, Écrire l’histoire des expositions
Hors thème
Marie-Pierre FOURQUET-COURBET & Didier COURBET, Les serious games, dispositifs
numériques de médiation : processus sociocognitifs et affectifs dans les usages et les effets sur
les publics
Gaspard SALATKO, Une gestion plurielle de l’appareil commémoratif chrétien
Lectures et nouvelles

n°23. Tourisme et mediations des patrimoines


sous la direction d’Émilie FLON, 2014.
Isabelle MAYAUD, Suivez le guide ! Le tour de France en musique
Aurélie CONDEVAUX, Le patrimoine culturel immatériel à Tonga
Nathalie CEZERALES, Une mise en tourisme du patrimoine religieux
Nicolas NAVARRO, Politiques patrimoniales et touristiques des territoires
Matthieu DORMAELS, Représentations et médiation du patrimoine mondial
Hécate VERGOPOULOS, Mise en marché et industrialisation des patrimoines
Expériences et points de vue
Gaëlle LESAFFRE, Anne WATREMEZ & Émilie FLON, Pistes de recherche sur les applications
mobiles en muséologie
Lectures et nouvelles
n°24. Démocratisation culturelle et numérique
sous la direction de Damien MALINAS, 2014.
Jean-Marc LEVERATTO, Stéphanie POURQUIER-JACQUIN & Raphaël ROTH, Voir et se voir : le
rôle des écrans dans les festivals de musique amplifiées
Frédéric GIMELLO-MESPLOMB & Quentin AMALOU, Réinvestir le passé du cinéma par le
numérique : la photographie de ciné-concert
Emmanuel ETHIS & Marie-Sylvie POLI, Hopper 2013 / Cannes 2013 au prisme des écritures
numériques
Myriam DOUGADOS, Jean-Louis FABIANI & Julien GAILLARD, Les usages de Twitter dans la
construction des opinions esthétiques
Guillaume HEUGUET, Quand la culture de la discothèque est mise en ligne
Expériences et points de vue

n°25. Écouter de la musique ensemble


sous la direction d’Olivier ROUEFF & Anthony PECQUEUX, 2015.
Aurélien DJAKOUANE, Ce que les sociabilités font à l’écoute musicale
Laurent LEGRAIN, L’écoute en commun. Cartographie des points de tension chez des
jazzophiles
François DEBRUYNE, Faire et (se) défaire (d’)une expérience publique de l’écoute
Irina KIRCHBERG, Écouter la musique par corps
Talia BACHIR-LOOPUYT, Être ensemble, écouter, évaluer les musiques du monde
Hors thème
Charlotte MALGAT, Mélanie DUVAL & Christophe GAUCHON, Fac-similés et transfert de
patrimonialité
Thierry BONNOT, La biographie d’objets. Une proposition de synthèse
Céline SCHALL, De l’espace public au musée
Travaux et notes de recherche

n°26. Entre les murs / hors les murs : culture et publics empêchés
sous la direction de Delphine SAURIER, 2015.
Corinne ROSTAING et Caroline TOURAUT, Exposition en prison et hiérarchie morale des publics
empêchés
Nathalie MONTOYA, Marie SONNETTE et Pascal FUGIER, L’accueil paradoxal des publics du
champ social dans les établissements culturels
Marie DOGA, Public “captif” ? Les ambivalences définitionnelles des actions en prison pour
mineurs
Élise VANDENINDEN, Observer et interpréter la médiation culturelle en psychiatrie : Vers une
“cadre-analyse” des dispositifs
Fanny BOUGÉNIÈS, Julie HOURIEZ, Simon HOURIEZ et Sylvie LELEU-MERVIEL, Musée pour tous :
Un dispositif de découverte dans les murs et son évaluation
Anik MEUNIER, Jason LUCKERHOFF et Estelle POIRIER-VANNIER, Considérer les besoins des
plus démunis : Le nouveau socle de la médiation ?
Myriam LEMONCHOIS, La participation à des projets artistiques, vecteur d’émancipation ? Le cas
de projets de création dans des écoles montréalaises en milieu défavorisé
Expériences et points de vue. Travaux et notes de recherche. Lectures.
n°27. L’artiste et le musée
sous la direction de Julie BAWIN & Françoise MAIRESSE, 2016.
Marie FRASER, Les collections muséales, entre histoire et contemporanéité
Cécile CAMART, L’artiste historien de l’art en narrateur
Jérôme GLICENSTEIN, L’artiste, l’institution et la culture du projet
Pascale ANCEL, Murkami, le marché, le musée
Expériences et points de vue. Travaux et notes de recherche. Lectures.

n°28. Le musée et le politique


sous la direction de Dominique POULOT, 2016.
Milena JOKANOVI , Isidora STANKOVI , Les collections muséales, entre histoire et
contemporanéité
Anne NIVART & Richard DUMEZ, Penser le musée en Namibie entre particularismes locaux et
doxa étatique
Sylvain ANTICHAN, Sarah GENSBURGER & Jeanne TEBOUL, Dépolitiser le passé, politiser le
musée ? À la rencontre des visiteurs d’expositions historiques sur la Première Guerre mondiale
Yves JEANNERET & Joëlle LE MAREC, Musée et cinéma, une politique de l’attention. Sur National
Gallery de Frédérick Wiseman
Ruth B. PHILLIPS, Re-placer les objets : pratiques historiques pour la deuxième ère des musées
Mélanie ROUSTAN, Des usages de l’autochtonie dans les musées français
Gaëlle CRENN, La réforme muséale à l’heure postcoloniale. Stratégies muséographiques et
reformulation du discours au Musée royal d’Afrique centrale (2005-2012)
Noémie ETIENNE, Activisme et diorama : un siècle d’histoires made in USA
Expériences et points de vue. Travaux et notes de recherche. Lectures.

n°29. Conserver et transmettre la performance artistique


sous la direction de Jean-Marc Leveratto, 2017.
Yaël KREPLAK, La conservation comme performance ? Une approche par les pratiques
Sophie MAISONNEUVE, Conserver la musique enregistrée, 1877-2017. Document, œuvre,
expérience : trois paradigmes témoins d’un rapport changeant à la musique
Juliette DALBAVIE, Performer la chanson au musée : L’espace Brassens de Sète
Mélanie BOUCHER, Pour une histoire du corps muséifié : Les images schématiques en
performance
Pamela BIANCHI, Transmettre la performance filmée : De la documentation à la présentation
Aurélie MOUTON-REZZOUK & Julie DERAMOND, L’opéra baroque sur la scène muséale, ou
l’opéra autrement : Barockissimo au Centre National du Costume de la Scène et de la
Scénographie
Travaux et notes de recherche

n°30. Musées au prisme du genre


Sous la direction de Charlotte FOUCHER ZARMANIAN et Arnaud BERTINET,
2017.
Patrik STEORN, Du queer au musée. Réflexions méthodologiques sur la manière d’inclure le
queer dans les collection muséales
Julie BOTTE, Les musées de femmes : de nouvelles propositions autour du genre et du rôle
social du musée
Marion COVILLE, Imaginer les visiteuses Script de genre et conception d’une exposition
Damien DELILLE, Mode au musée. Histoire et enjeux de pratiques au féminin
Leslie MADSEN-BROOKS, Je ne me suis pas perdue et ne souhaite pas que l’on me trouve.
Stratégies des femmes dans les musées de sciences en Californie (XIXe – XXe siècles)
Nathalie BOURGÈS & Marie-Pierre FOURQUET-COURBET, Le rôle des interstices dans
l’appropriation des équipements culturels par les habitants
Clarisse BARDIOT, Organiser et conserver la mémoire de l’éphémère : les capsules de
Memorekall
Travaux et notes de recherche. Expériences et points de vue. Lectures. Visites d’expositions.

n°31. Entre création et médiation : les résidences d’écrivains et d’artistes


sous la direction de Carole BISENIUS-PENIN, 2018.
Jean-Marie LAFORTUNE & Salomé BLACHIER, Résidences d’artistes et diplomatie culturelle
québécoise
Cécile RABOT, La littérature en dispositif de politique publique
Jean-Paul FILIOD, Artistes en résidences à l’école : L’espace et la forme scolaire
Romina SURUGIU, Créer des espaces pour la création et la médiation culturelle et civique
Cristina BADULESCU & Valérie-Inès de LA VILLE, Résidences de creation et médiations dans le
secteur
de la bande dessinée
Stéphane BELLIN, La résidence confrontée à la recherche en arts numériques
Muriel LEFEBVRE, Julie RENARD, Amanda RUEDA, Chantal ZAOUCHE-GAUDRON, Expériences de
visite de jeunes enfants accompagnés
Travaux et notes de recherche. Expériences et points de vue. Lectures. Visites d’expositions.

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