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L’AVICULTURE DE CHAIR EN CHINE

Chin Véronique

INRA, Station d’Economie et de Sociologie Rurales, 63 av. de Brandebourg, 94205 Ivry sur Seine

Résumé

L’aviculture de chair a connu un essor très important en Chine depuis le début des années 1980. Nous rappelons
ici, les principales statistiques (estimations des consommations et des productions) et présentons quelques
informations issues d’enquêtes d’exploitations menées en 1998, dans la province du Guangdong (Sud de la
Chine): principales catégories de système de production, prix, coûts de production et part de la production
intégrée. Ces informations concernent spécifiquement la production de poulets fermiers dont le développement
très important dans le Guangdong pourrait s’étendre à l’ensemble de la Chine.

Introduction fait certainement supérieure si on ajoute la


consommation hors foyer (Aubert, 1999).
Établies non plus sur la base d’enquêtes d’échantillon
L’aviculture de chair a connu en Chine un essor très mais à partir de déclarations administratives, les
important depuis début des années 1980. Les statistiques de production suggèrent une croissance
estimations de production suggèrent une croissance beaucoup plus importante. La production aurait été
exponentielle des volumes. Quelle diversité de multipliée par 7 entre 1985 et 1999 (+14,9%/an),
produits couvrent ces statistiques? Quelles sont les atteignant 7,5 millions de tonnes en 1999 (5,9
structures de production et les modes de distribution? kg/habitant), soit plus du double de la consommation
Les rares informations factuelles que l’on trouve dans estimée par les enquêtes de panel. Un tel décalage
les publications chinoises ne permettent pas d’établir suscite naturellement de nombreuses questions sur la
une représentation globale des structures de validité des chiffres de production et sur l’ampleur de
production. C’est donc plutôt d'observations directes la consommation hors foyer. L’exportation qui ne
qu’il faut attendre une meilleure connaissance de représente que 380 000 tonnes à la fin des années
l’aviculture chinoise. Les informations que nous 1990 est largement compensée par des importations
proposons ici sont issues d’enquêtes menées de 1997 qui dépasseraient 800000 tonnes selon des sources
à 1999 dans une des plus importantes régions avicoles officieuses (Feng, 1999 ; mais 205000 tonnes
chinoises : le Guangdong (sud-est de la Chine). Le officiellement selon China International Trade
fait que celle-ci ait exclusivement développé le poulet Yearbook).
fermier se révèle particulièrement intéressant car les
évolutions très récentes semblent montrer un essor de
ce produit dans l’ensemble de la Chine. 2. Géographie et modes de distribution

1. Croissance des consommations et des Les productions avicoles chinoises ont commencé à
productions : estimations globales se développer avec la croissance économique
générale qui a suivi les réformes de libéralisation de
1978-1984. Pour comprendre la situation actuelle de
La consommation annuelle de viande de poulet dans l’aviculture de chair en Chine, il faut garder en
les foyers est estimée par l’Institut Statistique chinois mémoire le caractère très récent de son essor. Bien
à trois millions de tonnes en Chine avec en moyenne qu'on puisse dater des années 1980 l'émergence des
2,3 kg/an/personne (Tableau-1). Ajoutée aux premiers maillons de filières intensives (concentration
consommations de canards et d'oies, l'ensemble des de la production associant alimentation scientifique et
volailles représente aujourd'hui 15 à 20% des viandes races à croissance rapide), c'est seulement depuis
consommées dans les foyers. L’accroissement moyen 1993 que se multiplient les signes d'une
s'établit à un peu plus de 1 kg de viande de volaille industrialisation très accélérée de la production
supplémentaire par habitant tous les 10 ans, soit plus avicole.
d'un million de tonnes par décennie pour une À l'intérieur du pays, la distribution, libérée depuis
population estimée aujourd’hui à 1,26 milliard peu des contraintes de l'économie planifiée, ne
d’habitants. La progression des consommations est en dispose encore que de structures rudimentaires. Les

Cinquièmes Journées de la Recherche Avicole, Tours, 26 et 27 mars 2003


animaux sont vendus sur les marchés quotidiens sous “ jaune ” (Huang-ji) ou “ tacheté ” (Ma-ji) élevé
forme de carcasse fraîche ou d’animaux vivants, la durant 75-90 jours et vendus à 1,2-1,4 kg vif. En
vente en vif étant la règle dans certaines provinces du raison de traditions culinaires spécifiques, le poulet
Sud comme le Guangdong. Sauf mégapoles et régions standard n'a jamais pu s'imposer dans le Guangdong
particulières, l'abattage est réalisé par le volailler le malgré un coût moitié moindre que celui du poulet
jour de la vente. La chaîne du froid n'est pas instaurée fermier. Les poulets fermiers du Guangdong
dans l'ensemble de la Chine. La géographie des représentent plus de 90% de la production avicole
productions reflète d’autant plus la répartition de la provinciale et tenderaient depuis le milieu des années
demande que la transformation s’est peu développée 1990 à se diffuser dans toute la Chine. En 2001, les
et que les coûts de transport sont restés élevés poulets fermiers représenteraient, selon certaines
jusqu'au milieu des années 1990. On trouve les plus estimations, 70% des poulets des provinces de la
fortes concentrations de production dans les régions vallée du Changjiang, et 40% dans celles des vallées
proches des grands bassins d'industrialisation et du Fleuve Jaune et du Songhua-jiang (Liu et Zhou,
d’urbanisation: 2002).
- dans le Nord de la Chine : Shanghai, Beijing, Le poulet est considéré dans le Guangdong comme
Tianjin et les provinces voisines du Jiangsu et du une viande noble, plus chère que les viandes de porc
Shandong (le Shandong approvisionne non seulement et de boeuf. Certaines préparations se résument à de
la municipalité de Shanghai mais aussi le Japon); brefs ébouillantages visant à conserver toutes les
- dans le Sud de la Chine : le Guangdong vertus nutritives de l’animal sur une chair tendre. La
approvisionne la Zone Economique Spéciale du ménagère exige pour cela de vérifier la qualité
Shenzhen et le marché de Hong-Kong (au moins fermière du poulet vivant (aspect des plumes, de la
40000 tonnes par an). crête, des pattes). Cette spécificité dans les habitudes
- le développement récent de l’aviculture dans les alimentaires pourrait expliquer le maintien des races à
régions Nord-Est productrices de grains (Liaoning, croissance lente dans le Guangdong en dépit de la
Jilin) indique toutefois un début de déplacement de la concurrence des poulets à croissance rapide et des
production vers les régions à moindres coûts. importations de cuisses congelées.
Une délocalisation plus visible a lieu pour la
reproduction. Profitant du coût relativement faible du
transport des œufs, la province du Guangdong 4. Coûts et systèmes de production dans le
(latitude 23°N) a déplacé ses unités de reproduction Guangdong
vers le Henan (33°N) où les aliments sont moins chers
et le climat plus propice à l’accouvage. Cette
délocalisation n’est pas appliquée à l’engraissement Il existe plusieurs qualités de poulet fermier dans le
malgré des coûts de production au moins 15 à 20% Guangdong actuel. Les durées d’élevage
supérieurs. s’échelonnent de 75 à plus de 90 jours selon les races
et les modes de production. Le produit dominant est
le poulet semi-fermier de 75 jours élevés dans des
3. L’essor des poulets fermiers en Chine et dans le unités hors-sol de taille petite à moyenne (produisant
Guangdong 10000-40000 poulets par an). Une dimension de
production fréquemment rencontrée pour les élevages
en bâtiment mais aussi les petits élevages plein-air est
Bien que nous ne disposions pas de statistiques de six fois 2000 poulets par an. Le Tableau 2 indique
différenciées pour confirmer cette tendance, un essor une estimation des coûts de production pour le poulet
récent et très rapide des poulets fermiers est fermier de 75 jours élevé en bâtiment en 1997. Les
mentionné par les observateurs chinois. Cette marges de l’époque expliquent l’engouement des
évolution commencée dans le Sud de la Chine producteurs pour cette activité; elles sont cependant
s’étendrait aux provinces du Nord, faisant perdre à la en forte baisse depuis la crise aviaire et le
poule de réforme et au poulet à croissance rapide ralentissement économique qui lui a succédé.
(poulet ‘standard’ de 2 kg à 42 jours) leurs positions Une partie importante mais difficile à quantifier de la
quasi exclusives sur les marchés du Nord. production intensive est issue d’élevages plein-air
L’aviculture du Guangdong pourrait tenir une place installés dans les espaces de sous-bois laissés libres
de choix dans cette évolution : son importance et ses par les plantations fruitières de collines. Ces élevages
ramifications dans le pays nous incitent à penser doivent leur extension et leur nombre à la topographie
qu’elle pourvoit aujourd’hui en races et en techniques spécifique de la province du Guangdong. Émergeant
d’autres provinces chinoises. dans les années 1980 comme la première forme
À la différence de provinces du Nord telle que le d’intensification, ils pourraient être à l’origine d’une
Shandong, le Guangdong a spécifiquement aviculture intensive à base de poulets fermiers dans le
développé des poulets fermiers de petite taille dont le Guangdong.
goût rappelle celui du coquelet en France: poulet dit
L’articulation des unités d’élevage aux autres paysanne jouant encore un certain rôle dans
maillons de la filière se fait par les marchés dans le l’approvisionnement des marchés ruraux);
cas d’élevages plein-air et d’élevages couverts − une différenciation des produits dans le haut de
proches des marchés (37% de la production gamme avec notamment l’essor du poulet fermier
provinciale); les élevages de régions montagneuses dans les autres provinces chinoises;
plus enclavées dépendent en revanche des − une production que l’on peut qualifier
intégrateurs (24% de la production provinciale). Dans d’atomistique par le nombre et la taille des unités de
le contexte chinois de fluctuations cycliques assez production ainsi que la faiblesse des organisations
amples dans les consommations et les marchés, cette collectives; une production de ce fait inapte à
seconde modalité pourrait se révéler globalement plus constituer des produits aux spécificités homogènes et
compétitive, l’intégrateur effectuant une gestion stables; la standardisation n’est pas cependant un
d'échelle des risques de marché. En dehors des critère d’achat pour le consommateur chinois (limité
intégrateurs, il n’existe pratiquement aucune autre par son revenu) et ne constitue un problème que pour
forme d’organisation collective de la production: les l’exportation;
organisations de producteurs sont interdites dans le − une production essentiellement installée dans les
système politique chinois, et l’État est peu présent par zones de consommation en raison d’infrastructures de
manque de moyens (problème de collecte fiscale). transport et de conservation peu développées, mais
La pluralité des modes de gestion, la diversité des aussi d’un pouvoir d’achat peut-être encore trop bas
niveaux techniques et l’hétérogénéité des moyens de pour justifier de coûts supplémentaires dans la
production rendent difficile la constitution de distribution et la chaîne de froid.
standards régionaux rigoureux, qu’il s’agisse de
standards sanitaires ou de goût. Il est presque La régulation essentiellement libérale des marchés des
impossible dans les conditions de production actuelles viandes aviaires et leurs tendances à la globalisation
de généraliser les normes appliquées par exemple en en Chine ne doivent pas occulter les facteurs de
Europe. Malgré leur grande qualité gustative, les segmentation de ces marchés; ces facteurs -parfois à
poulets fermiers destinés à la consommation l’origine d’une moindre aptitude à l’export-
intérieure ne peuvent pas être facilement dirigés vers pourraient constituer des freins à la diffusion des
l’exportation en cas de surproduction comme c’est le viandes importées.
cas depuis 1998.
Seules une minorité de fermes modernes géantes
quasi importées clef-en-main des pays industrialisés Références bibliographiques
peuvent contrôler rigoureusement tous les maillons de
la production et satisfaire aux critères d’exportation.
En dehors de la production intensive, il subsiste un AUBERT C., 1999. The “ Grain Problem ” in China:
élevage autoconsommé dont la part dans la a statistical illusion?, In Ash R., Draguhn W. (eds),
production provinciale (15 à 20%) reflète China’s economic security, Curzon, Hamburg, 62-83
l’importance de la paysannerie (69% de la population China international trade ed. board, China
officiellement). Cet élevage “ paysan ” très extensif International Trade Yearbook, [zhongguo duiwai
par le mode d'alimentation des animaux et la durée maoyi nianjian] Beijing, 1999
d’élevage (120 jours), est en fait partiellement inséré Elward R., Verduijn J., 1999. In World Poultry 1999
à la filière industrielle puisqu’il achète aujourd’hui les vol. 15 n°10, 47-49
poussins et les aliments poussins sur les marchés. FENG Siqin, 1999. Guide to Chinese Poultry 1999
n°16, 7
HOU Shuisheng, 2002. Guide to Chinese Poultry,
Conclusion 2002 n°19,17-18
LIU Wei et ZHOU Jizhong, 2002. In Guide to
Chinese Poultry 2002 n°15, 45
S’il est vrai que nous ne disposons pas de statistiques State Statistical Bureau of China, Statistical Yearbook
suffisamment détaillées pour caractériser les of China et Rural Statistical Yearbook of China,
structures de production et leur évolution à l’échelle Beijing (Chine), China Statistical Press, Beijing;
de la Chine, des observations rapportées nous incitent volumes de 1997 à 2000
à croire que de nombreux éléments des modèles de Statistical Bureau of Guangdong, State Statistical
consommation et de production du Guangdong ont Bureau of China, Guangdong Statistical Yearbook et
valeur d’exemple. Les caractéristiques suivantes Agricultural Statistical Yearbook of Guangdong,
pourraient être générales aux filières avicoles Guangzhou (Chine), China Statistical Press, 1997 à
chinoises: 1999
− une segmentation encore assez marquée entre The Jiangsu Institude of Poultry Science, Guide to
marchés urbains et marchés ruraux (la production Chinese Poultry (bimensuel en langue chinoise),
différents numéros de 1998 à 2002
TABLEAU 1 : Consommation et production de viande poulet en Chine
(estimations officielles chinoises)
1985 1999
Population (million de personnes) 1 058 1 259
dont population rurale 807 (76%) 870 (69%)
dont population urbaine 251 (24%) 389 (31%)
Revenu annuel par habitant (valeurs constantes 1999)
en milieu rural 1 326 Rmb (146€) 2 210 Rmb (243€)
en milieu urbain 2 463 Rmb (271€) 5 854 Rmb (643€)
Production de viande de volaille (millions de tonnes) 1,60 11,15
dont viande de poulet 1,07 7,48
Production par habitant (kg/habitant/an)
volaille 1,51 8,86
poulet 1,01 5,94
Consommation en foyer ( kg/personne/an)
toutes viandes: foyers ruraux 12,0 16,4
foyers urbains 22,0 24,9
viande de poulet: foyers ruraux 0,7 1,8
foyers urbains 2,3 3,6
moyenne des foyers ruraux et urbains 1,1 2,3
viande de poulet: total national (millions de tonnes) 1,18 2,96
Taux de conversion entre le Renminbi et l’euro: 9,10 Rmb pour 1 euro .
Les estimations de production sont issues de déclarations administratives alors que celles relatives aux consommations
sont issues d’enquêtes d’échantillon. La consommation de poulet est déduite ici des chiffres de consommation de la
« volaille », catégorie définie dans les statistiques chinoises comme l'ensemble des poulets, des oies et des canards. Nous
avons supposé que le poulet représentait 73-74% de la volaille consommée dans les foyers, soit une part sensiblement
supérieure à celle qu’il occupe dans la production de volaille ( les oies et les canards sont fréquemment consommés en
restauration extérieure). Source: China Statistical Yearbook 2000 sauf production de canards et oies : déduit des
estimations de HOU Shuisheng(2002).

TABLEAU 2 : Coût de production et bénéfice : exemple d’une exploitation produisant annuellement 11000
poulets fermiers de 75 jours en bâtiment (Guangdong 1997 -- prix avant crise aviaire)

Prix unitaire Valeur par animal


Renminbi/poulet Euros
Prix au détail * 18 Renminbi/kg 23,40 2,57
Prix producteur (vente à 1,3 kg) 13 Renminbi/kg 16,90 1,86
Coût 13,58 1,48
dont Aliment complet (ic=2,8) 2,1 Renminbi/kg 7,64 0,84
dont Poussin 2 Renminbi/unité 2 0,22
Valeur ajoutée 3,32 0,37
Location du terrain et redevances 0,15
Bénéfice (1997) 3,17 0,36
Taux de conversion entre le Renminbi et l’euro: 9,10. (* )Prix au détail du poulet standard à la même date ≅ 1,20€/kg
(11 Rmb). Source: nos enquêtes auprès des éleveurs du district de Xinxin dans la municipalité de Yunfu.

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