J’exerce depuis 18 ans : d’abord en neurologie, puis en réanimation, ORL, cardiologie, pneumologie et maintenant en libéral depuis 10 ans.
2) Quelle conception personnelle ou représentation avez-vous de la
douleur? C’est quelque chose de subjectif à chacun et il faut surtout la prendre en charge lorsqu’on réalise nos soins. Personnellement, la douleur c’est quelque chose qui est difficile à supporter et, comme chez tous les soignants, je suis un très mauvais malade, je n’aime pas ça. Être soignant et, encore en plus, un homme, ça n’aide pas.
3) Votre représentation ou votre propre expérience de la douleur influence
t-elle la prise en charge de la douleur des patients que vous soignez ? Ah oui, oui, ça influence énormément. Pour moi, soigner avec en tête ses douleurs permet de prendre conscience de la douleur des gens.
4) Comment abordez-vous l’évaluation de la douleur au quotidien dans
votre pratique ? Sur quoi repose-t-elle ? J’utilise des échelles d’évaluation. On a une population surtout rurale. On privilégie l’échelle avec des chiffres de 0 à 10 parce qu’on s’est rendu compte qu’avec la petite réglette les gens n’en prennent pas la même conscience. Dans la pratique au quotidien, on observe énormément les gens. D’aller chez les gens est un avantage, on rentre dans l’intimité. Entrer dans leur maison permet déjà d’avoir une conception des gens. Ça aide à limiter la barrière infirmier-patient et permet plus facilement de parler de la douleur, de choses qui ne sont pas forcément agréables. Arriver à en parler est important pour avoir un meilleur résultat dans la prise en charge. Dans toute prise en charge, douleur ou soin, l’échange aide à l’évaluation. Quand on voit quelqu’un de douloureux dès qu’on touche par exemple une plaie, on va être beaucoup plus attentif et on va essayer d’apporter le maximum de confort dans la réalisation du soin. Par contre, à contrario quelqu’un qui n’est pas sensible à la douleur facilite les soins douloureux.
5) Quelle position adoptez-vous lorsqu’il y a divergence entre l’auto-
évaluation de la douleur du patient et ce que vous observez chez lui ? On en parle surtout avec lui et puis on explique notre soin et l’objectif du soin qu’on essaie de donner. Par exemple, quand il y a une plaie, on veut que ça cicatrise.
6) L’aspect contextuel de la douleur du patient peut-il selon vous influencer
votre prise en charge de celle-ci ? Oui, en effet, c’est notre premier rôle d’être à l’écoute de son patient. En allant au domicile, on se rend vraiment compte du contexte socio culturel. Quand on tombe sur des gens qui sont contre la médecine, contre les méthodes des médicaments, il faut arriver à composer et expliquer pourquoi il est conseillé de faire comme ça. Avec des explications, on arrive à beaucoup de choses. Souvent le corps se rappelle de certaines douleurs. Des femmes qui accouchaient sans péridurale il y a quelques années de ça étaient très, très douloureuses. Parfois quand elles ont des plaies d’amputation par exemple, elles ne vont rien dire parce qu’elles ont connu une douleur beaucoup plus forte. Les personnes âgées, nos grands-parents sont des gens beaucoup plus résistants à la douleur que surtout les jeunes filles de maintenant. J’ai un souvenir de tout ça, par exemple ma grand-mère quand une braise tombait de la cheminée, elle la ramassait et la jetait dans le feu. Personne ne fait ça maintenant. L’origine socio-culturelle des gens, l’éducation, c’est sûr, ça compte. Mes parents étaient ouvriers. On n’avait pas intérêt de se plaindre, moralement ou physiquement. Si on avait quelque chose, c’est qu’on l’avait mérité. Les gens du voyage sont des gens très durs à la douleur vous ne verrez pas un homme pleurer. J’ai fait mes études à Dreux. C’est une ville où il y a beaucoup de musulmans, d’étrangers. C’est une autre culture aussi. Par exemple, les femmes réagissent très fort à la douleur, on les entend à l’autre bout du couloir. C’est une culture de montrer qu’il y a une douleur. Pour les soigner de quelque chose de plus conséquent on arrive avec des choses plus invasives, des produits d’anesthésie quand on ne peut réaliser le soin. A l’hôpital c’est comme ça, en libéral !!! Ici on ne voit pas trop ce type de population. Quand vous avez des parents qui ont un confort de travail, qui ont des horaires de 9 à 4 heures et qui peuvent être avec leurs enfants quotidiennement le matin le soir et tous les week-ends, ils sont beaucoup plus proches de leurs enfants et obligatoirement quand il y a le moindre bobo ou quoi que ce soit les parents interviennent. C’est plus difficile parfois dans les fratries de 3 ou 4 ! En ce qui me concerne ça n’a pas joué spécialement. Mes parents accordaient une attention égale à chacun de nous si on avait quelque chose. Des fois, on préfère faire des soins au cabinet que d’être avec toute la famille autour de vous qui, dès que vous touchez quelque chose, dit : « Il a mal, il a mal ». Un exemple : un enfant qui commence à marcher et qui tombe par terre, si la maman est tout de suite à dire : « Mon pauvre loulou. », le gamin va l’intégrer. Par contre, si la maman dit : « Ce n’est rien, lève-toi et avance. », le cerveau assimile la douleur différemment. Pour une prise de sang chez un enfant déjà je ne vais pas la faire en semaine mais obligatoirement le samedi matin pour avoir plus de temps. Si je vais au domicile de l’enfant, souvent on lui met la tv. Comme ça, il est attaché à autre chose, il ne retient pas la douleur. Il y a des études là-dessus. Quand les personnes travaillent en néo natal on donne souvent de l’eau sucrée. On se rend compte que le sucre alimente le cerveau et permet d’oublier la douleur. Avec votre grand-père par exemple, je l’attire sur autre chose par exemple sur le jardin. Tout de suite, il va mordre là-dessus, il ne va plus penser. Pour maitriser son soin de A à Z, il faut emmener la personne ailleurs, là où on a envie de l’emmener dans sa tête pour arriver à faire ce qu’on veut. Quand les soins sont très douloureux et que la personne se recentre sur sa douleur, il faut arrêter et la reprogrammer le lendemain pour pouvoir retravailler à nouveau. Ça plutôt que continuer parce que le problème est que le lendemain la personne aura enregistré de la douleur de la veille et sera crispée, tendue et ne décrochera pas un mot. Là vous n’aurez plus qu’à repartir et, du coup, vous n’aurez pas plus réussi. Ça arrive 2 à 3 fois dans le mois. Faire les choses au rythme des gens c’est une conception du soin. Enlever la fibrine est un acte douloureux. On peut demander au médecin de prescrire des antalgiques locaux pour apporter du confort lors du soin. La prise en charge de la douleur est très différente quand on travaille à l’hôpital ou en libéral. Quand vous arrivez stressé parce que vous n’avez que 5 mn pour faire un pansement douloureux, c’est très mauvais pour la prise en charge. Dans ce cas je le programme à un autre moment. Après on parle beaucoup dans les médias de soulager la douleur mais ce n’est pas une équipe mobile de soins qui vient juste1 heure qui peut le faire. Ce matin, une dame me racontait qu’elle avait été admise à l’hôpital pour une cruralgie. On lui a donné de la morphine. Après elle a fait un coma. Comme elle me dit : « Je n’ai pas eu de douleur pendant 24 h, mais par contre quand je suis revenue à la maison ! » C’est bien qu’on prenne en charge tout ça comme à l’hôpital mais qu’on donne les moyens aux infirmières et aide soignantes de le faire. En service de neurologie, j’ai appris l’importance de la relaxation. Par exemple quand on a des gens avec des névralgies des trijumeaux, leur douleur est tellement intense que dans 1 cas sur 4, la personne se suicide. On soulage d’abord par des médicaments, on vérifie le diagnostic, on surveille 24h sur 24 pour éviter le passage à l’acte. On se sent impuissant au début mais après 2 ou 3 suicides pour qu’il n’y ait pas passage à l’acte, il faut prendre du temps pour le divertir de sa douleur. Or le personnel de l’hôpital ne l’a pas. L’hôpital c’est très bruyant, ça qui rend la prise en charge difficile, ne serait-ce pour une séance de relaxation. En libéral c’est un outil en plus qu’on utilise, surtout la respiration. On leur apprend surtout à respirer, on leur fait faire des exercices, on leur donner des combines pour moins souffrir comme un chirurgien quand il dit de glacer à des gens qui viennent d’être opérés pour des prothèses parce que la glace diminue l’œdème et la douleur. Je suis en train de me former pour faire de l’hypnose pendant les soins pour une prise en charge adaptée de la douleur. L’hypnose, c’est emmener les gens là où on veut. Tout le monde n’est pas réceptif. C’est un outil de plus. Il y a un autre outil, c’est le relationnel. Souvent quand le patient a confiance en vous, vous gagnez déjà la moitié de votre soin. Ça arrive d’entendre : « Ah c’est cette infirmière-là, je ne l’aime pas. » Celui qui dit ça est déjà convaincu qu’elle ne va pas bien faire le travail. C’est un a priori qui se transforme en échec de soin. Ce samedi, un monsieur avec un ulcère à la jambe est venu. Une de mes collègues lui avait fait mal en grattant sa plaie à vif. Comme il savait qu’elle travaillait le jeudi et vendredi, il a attendu le samedi pour venir. Il me dit : « Vous n’êtes pas là lundi, bon ben je reviendrai mardi ». Je sais que le soin sera fait et lui aussi. Autrement, on ne va pas le revoir. Les années y font aussi. Quand je suis arrivé, il y a 10 ans, tout le monde me prenait pour un gamin. On entend ça des fois : « Ah vous m’avez envoyé la petiote pour faire la prise de sang. » Le travail qu’on a fait auparavant, ça aide aussi.