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Nodules du corps thyroïde


J.-L. Sadoul

Les nodules thyroïdiens sont des lésions hyperplasiques ou tumorales (adénomes ou cancers).
L’hétérogénéité constitutionnelle du parenchyme thyroïdien sur laquelle s’exercent des facteurs
étiopathogéniques intrinsèques (âge, sexe, hérédité, affections prédisposantes) et extrinsèques (carence
iodée, goitrigènes, radiations ionisantes) explique leur survenue. La reconnaissance clinique ou, de plus
en plus, paraclinique (incidentalomes) de ces nodules pose un problème de santé publique du fait de leur
fréquence (prévalence échographique de 15 à 50 %, selon les classes d’âge), et des coûts de santé induits
(humains et financiers). Les éléments cliniques, le dosage de la thyroid stimulating hormone (TSH) et
l’imagerie permettent rapidement d’apprécier le retentissement fonctionnel (nodules autonomes) ou
compressif des nodules, et d’indiquer selon les cas : surveillance, approche médicamenteuse, irradiation
par iode 131 (131I), ou exérèse chirurgicale. Pour les autres cas (> 90 %), l’objectif est de repérer les
cancers (< 5 %) au sein d’une dystrophie nodulaire thyroïdienne, souvent déjà plurinodulaire ou qui le
deviendra avec le temps. Ce repérage se fonde sur : les données cliniques, le dosage de calcitonine, les
aspects échographiques, et les résultats de la cytoponction à l’aiguille fine du(des) nodule(s) pertinent(s).
La place centrale dans le processus diagnostique de la cytoponction, volontiers échoguidée, ne se conçoit
que si celle-ci relève d’une pratique experte et évaluée. La synthèse des données cliniques et paracliniques
conduira à exercer une surveillance raisonnée de la plupart des nodules. La chirurgie et l’examen
histologique lèveront tous les doutes lorsque l’appréciation du risque est trop incertaine ou que la
malignité est attendue. Des transferts de technologie (biologie moléculaire, procédés physiques de
destruction) pourraient à l’avenir modifier la prise en charge des ces situations dont la plupart ne sont pas
pathogènes.
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Mots clés : Thyroïde ; Tumeurs de la thyroïde ; Nodule ; Échographie ; Cytoponction ; Incidentalome

Plan ¶ Surveillance à moyen et à long terme 15


« Philosophie » de la surveillance 15
¶ Introduction 1 Diverses modalités de surveillance 15
¶ Épidémiologie 2 ¶ Conclusion 16

¶ Histologie et histoire naturelle des lésions 2


Histologie 2
¶ Facteurs étiopathogéniques 4 ■ Introduction
Schéma général de la croissance du tissu thyroïdien 4 L’absence de définition précise de ce qu’est un nodule
Facteurs intervenant dans la survenue des nodules de la thyroïde 5 thyroïdien illustre bien le flou qui entoure encore certains
¶ Histoire naturelle des lésions 5 aspects de ce problème clinique si fréquent.
Selon les études 5 Un nodule thyroïdien est une masse située dans la thyroïde
Évolution fonctionnelle des dystrophies nodulaires 6 perçue par le patient lui-même ou par un médecin qui l’exa-
mine avec ses doigts ou au moyen d’un échographe. Qui plus
¶ Étapes du diagnostic 6
est, certains nodules, appelés incidentalomes, ne doivent leur
Recueil des données cliniques 6
reconnaissance fortuite qu’à la précision d’examens d’imagerie
Paramètres sanguins 7
(échodoppler, tomodensitométrie [TDM], imagerie par réso-
Échographie cervicale 7
nance magnétique [IRM], positon emission tomography [PET]-
Cytoponction thyroïdienne 8
scan) réalisés pour une affection non thyroïdienne.
Autres examens paracliniques 11
La nature histologique de ces nodules décrit un large spectre
¶ Prise en charge à court terme 11 allant d’une simple hyperplasie à un carcinome anaplasique.
Nodules avec TSHus basse 11 Dès lors, la question essentielle qui se pose est de savoir où
Nodules avec calcitonine élevée 11 situer la lésion en cause au sein de ce spectre : s’agit-il d’une
Nodules avec symptomatologie compressive 13 lésion bénigne ou maligne ? Toutefois, ce n’est pas la seule
Nodules ni compressifs ni sécrétants 13 interrogation. Il s’agit aussi de déterminer si ces lésions sont
Quelques cas particuliers 14 responsables ou non d’une altération du fonctionnement global

Endocrinologie-Nutrition 1
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de la glande ou si elles occasionnent une compression des La prévalence des nodules est également très élevée si on la
organes de voisinage ou bien une gêne physique ou esthétique compare à celle des hyperthyroïdies. Cependant, si on s’inté-
pour le patient. resse aux hyperthyroïdies infracliniques, on observe une
À terme, pour les nodules laissés en place, il s’agira aussi de prévalence moyenne de 3,9 % dans la population adulte [24] ou
s’entendre avec le patient sur les objectifs et les modalités d’une encore, selon l’étude SU.VI.MAX, de 7 et de 5 %, respective-
surveillance raisonnable, mais réelle, de l’évolution de cette ment chez les femmes et les hommes d’âge moyen. [25]
pathologie.
■ Histologie et histoire naturelle
■ Épidémiologie des lésions
Histologie
La classification histopathologique de l’Organisation mon-
“ Point fort diale de la santé (OMS) 2004 des lésions des glandes endocrines
vient d’être publiée (cf. Tableau 1, pour la thyroïde). [26]
La prévalence des nodules de la thyroïde est difficile à Hyperplasies et autres pseudonodules
établir.
Hyperplasies nodulaires
Elles sont probablement les lésions les plus fréquentes. [27]
L’examen macroscopique distingue plusieurs « nodules » de
En effet, elle varie selon [1] l’âge, le sexe, les apports iodés, la taille variable, avec souvent une lésion dominante. Ces lésions
consommation de tabac, et selon d’autres facteurs environne- sont très souvent remaniées (hémorragie, fibrose, calcification,
mentaux ou médicamenteux, l’inclusion ou non des sujets ossification) avec des zones kystiques remplies de colloïde ou
ayant une dysfonction thyroïdienne infraclinique, et bien sûr la d’un liquide brunâtre témoin d’une hémorragie ancienne. Il n’y
technique de détection (examen clinique, imagerie, autopsie a pas de vraie capsule le plus souvent, mais une pseudocapsule
systématique). par tassement du tissu sain périlésionnel. Une capsule partielle
Cette prévalence est plus forte chez la femme comme l’illustre peut être cependant observée. L’hétérogénéité macroscopique se
un ratio F/H de 6,6/1 dans la Whickham survey. [2] L’accroisse- retrouve en microscopie avec, pour un même nodule, des
ment de la prévalence a été estimé à 10 % par décennie. [3] La vésicules plus ou moins distendues, souvent entourées d’un
prévalence est plus élevée dans les zones de carence iodée, œdème ou d’un stroma fibreux. Il s’agit de lésions
même si celle-ci est relative, [1, 4, 5] mais elle reste significative polyclonales. [28]
dans les zones d’apports iodés suffisants, même en cas de
surcharge iodée. [6, 7] Autres pseudonodules
La prévalence des nodules thyroïdiens palpables dans la popula- Les autres pseudonodules peuvent correspondre à des zones
tion adulte est par exemple estimée à 4,2 % dans l’étude de de thyroïdites [26] plus ou moins focalisées. Qu’il s’agisse d’une
Framingham (États-Unis, 2), [8] et à 3,2 % dans la Whickham
survey (UK). [2] En France, une prévalence de 2,5 % a été révélée Tableau 1.
dans un contexte de médecine du travail (Borry S et Brique D. Classification des tumeurs de la thyroïde (OMS, 2004).
Intérêt du dépistage des nodules thyroïdiens en médecine du
travail. Lille, thèse de doctorat en médecine, 1991). Carcinomes de la thyroïde
La prévalence échographique est volontiers estimée à Carcinome papillaire
20-30 %, [9] mais elle est peut être plus importante pour des Carcinome vésiculaire
populations plus âgées ou en carence iodée modérée. [1, 10] En Carcinome peu différencié
France, à Nice et avec une sonde de 13 MHz, [11] une prévalence
Carcinome indifférencié ou anaplasique
moyenne de 34,7 % de nodules occultes a été observée (25 %
Carcinome à cellules squameuses
avant 50 ans, 42 % après 50 ans). Plus récemment l’étude
SU.VI.MAX [12] avec une sonde de moindre rendement Carcinome mucoépidermoïde
(7,5 MHz) a révélé pour des sujets d’âge moyen une prévalence Carcinome mucoépidermoïde sclérosant avec éosinophilie
globale de 14,5 % (16,8 % parmi 2 140 femmes et 11 % parmi Carcinome mucineux
1 459 hommes). Carcinome médullaire de la thyroïde
La prévalence autopsique est classiquement évaluée à 50 %. [13, 14] Carcinome mixte médullaire et folliculaire
La prévalence des nodules de la thyroïde est donc très élevée par
Tumeur à cellules fusiformes avec différenciation pseudothymique
rapport à celle des cancers de la thyroïde qui ne représentent que (SETTLE)
1,3 % des cancers en France. [15] L’incidence en France en
Carcinome avec différenciation pseudothymique (CASTLE)
2000 des cancers de la thyroïde est estimée, par an et pour
100 000 personnes, à 2,1 chez l’homme et à 7,5 chez la Adénomes thyroïdiens et tumeurs apparentées
femme. [16] Cette incidence faible du cancer est à mettre en Adénome folliculaire
perspective avec la mortalité induite par ce cancer qui est Tumeur trabéculaire hyalinisante
encore plus faible (0,3 pour 100 000/an) et aussi avec la
prévalence autopsique des cancers de la thyroïde (microcancers Autres tumeurs thyroïdiennes
essentiellement). Cette dernière varie avec les mêmes paramètres Tératome
que ceux des nodules et s’échelonne ainsi selon les séries entre Lymphome et plasmocytome primaires
1,2 et 35 %, avec une valeur moyenne de 5-10 %. [17] De ce fait, Thymome ectopique
l’immense majorité des cancers de la thyroïde sont des micro-
Angiosarcome
cancers qui resteront occultes du vivant du sujet.
En matière de risque de cancer de la thyroïde, faut-il distinguer les Tumeur des cellules musculaires lisses
nodules solitaires des nodules issus des thyroïdes multinodulaires ? Tumeur des gaines nerveuses
Ce distinguo a été longtemps en vigueur, lorsque le critère Paragangliome
diagnostique était clinique. Cependant, il semble maintenant Tumeur fibreuse solitaire
admis que lorsque le statut est évalué par scintigraphie et Tumeur folliculodendritique
surtout par échographie, le risque de cancer pour un individu Histiocytose langerhansienne
donné est équivalent selon que sa thyroïde est uni- ou multi-
Tumeur secondaire de la thyroïde
nodulaire. [10, 18-23]

2 Endocrinologie-Nutrition
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Tableau 2.
Terrains génétiques prédisposants.
Antécédents Gène ou locus Type de tumeur thyroïdienne
Maladie de Cowden PTEN AT, CVT et CPT
Polypose colique familiale (syndrome de Gardner, APC CPT
syndrome de Turcot, maladie desmoïde héréditaire)
Syndrome de Werner WRN CPT, CVT, cancer anaplasique
Acromégalie AT
Syndrome de McCune-Albright GNAS ATT
Complexe de Carney PRKAR1a AT, CPT, CVT et CPT à expression vésiculaire
Syndromes avec dyshormonogenèse Gènes en cause multiples AT, CVT, CPT
CPT familial oxyphile TCO, 19pp13.2 CPT oxyphile
CPT familial non oxyphile 19p13.2 CPT
CPT familial avec cancer du rein à cellules claires 1q21 AT, CPT
t(3;8)(p14.2;q24.1) CPT
Goitre multinodulaire familial MNG-1, 14q31 AT, rare CPT
MNG-2, Xp22 AT
NEM-2 ou forme familiale de cancer médullaire thyroïdien RET CMT
HCC prénéoplasique
Thyroïdite lymphocytaire chronique (Hashimoto) Lymphome
AT : adénome thyroïdien ; CVT : cancer vésiculaire de la thyroïde ; CPT : cancer papillaire de la thyroïde ; ATT : adénome thyroïdien toxique ; CMT : cancer médullaire
thyroïdien. HCC : hyperplasie à cellules C.

atteinte infectieuse (thyroïdite infectieuse), inflammatoire amyloïde. Les aspects nucléaires, la prévalence des réarrange-
(thyroïdite subaiguë de De Quervain) ou auto-immune (thyroï- ments de type RET/PTC1 et l’absence de mutations de RAS
dite silencieuse, thyroïdite de Hashimoto). relient ces tumeurs aux carcinomes papillaires.

Tumeurs bénignes Tumeurs malignes [26]


Adénomes folliculaires Elles sont moins fréquentes que les lésions bénignes.
Les adénomes folliculaires sont les tumeurs les plus fréquen- Carcinome papillaire de la thyroïde
tes. [26] Il s’agit de tumeurs rondes ou ovalaires, non lobulées à
la coupe et circonscrites par une fine capsule fibreuse. Des C’est la plus fréquente de ces lésions malignes : 70-90 %,
remaniements à type d’hémorragie, de fibrose, de calcification, selon les séries. Il s’agit d’une tumeur composée de cellules
d’ossification et de kystisation sont possibles, surtout dans les folliculaires et qui est définie par son architecture papillaire
gros adénomes. La nécrose est plus rare et correspond volontiers et/ou des anomalies nucléaires typiques. À la coupe, le carci-
à des artefacts de ponction. De nombreux types microscopiques nome papillaire de la thyroïde (CPT) est mal limité, blanc
très distincts sont décrits : selon la taille des vésicules (micro-, jaunâtre, ferme et granuleux. Les papilles centrées par un axe
normo-, et macrofolliculaires) ou leur absence avec des cordons conjonctivovasculaire, sont plus ou moins épaisses et ne
cellulaires très denses (trabéculaire, trabéculaire hyalinisant). constituent pas toute la structure tumorale ; des structures
La rareté des vésicules et de la colloïde doit faire rechercher vésiculaires avec les mêmes types de cellule y sont très souvent
une invasion capsulaire ou vasculaire signant alors la nature associées. Ces noyaux, plus volumineux, ont des aspects
maligne de cette tumeur vésiculaire. particuliers : crénelés, ou rainurés en grains de café, volontiers
Les formes très cellulaires peuvent aussi correspondre à un chevauchants et agencés en « tuiles de toit » ou en « panier
adénome atypique, dit de malignité incertaine. Lorsque 75 % d’œufs », avec une chromatine plus pâle et souvent occupés par
des cellules constitutives de l’adénome sont des cellules oxyphi- une invagination cytoplasmique (aspect en verre dépoli). Ces
les, plus grandes au cytoplasme granuleux éosinophile, il s’agit
caractéristiques spécifiques expliquent que ce diagnostic puisse
d’un adénome à cellules oxyphiles. Ces tumeurs oxyphiles
être fait sans détour sur quelques amas cellulaires obtenus par
peuvent être bénignes ou malignes, selon les mêmes critères que
cytoponction. Calcosphérites, métaplasie malpighienne et
ci-dessus.
stroma fibreux vont souvent compléter l’aspect histologique.
La plupart des adénomes folliculaires ne sont pas autonomes
Différents variants sont décrits : forme à expression vésiculaire,
quant à la production et à la sécrétion des hormones thyroï-
forme sclérosante diffuse, forme encapsulée, forme à cellules
diennes. Lorsqu’ils sont hyperfonctionnels, la taille des vésicules
hautes, forme à cellules palissadiques. Ces deux dernières formes
y est volontiers irrégulière, avec des cellules cubiques hautes et
parfois des projections papillaires dans la lumière vésiculaire. sont réputées comme étant plus agressives. Tous les CPT sont
Les adénomes folliculaires peuvent être solitaires ou siéger très lymphophiles. La taille des CPT est très variable, de moins
dans une thyroïde multinodulaire, surtout en cas de carence de 1 mm à plusieurs centimètres. Selon l’ancienne classification
iodée, d’antécédent d’irradiation ou d’un terrain génétique TNM, les CPT de moins de 1 cm sont considérés comme des
favorisant (Tableau 2). Il s’agit de lésions monoclonales, [27] où microcancers papillaires (MCP). Les MCP sont extrêmement
l’on peut parfois rencontrer des anomalies moléculaires obser- fréquents dans les séries autopsiques (4-36 %), avec une
vées dans les cancers vésiculaires (Tableau 3) : mutations RAS, prévalence d’autant plus importante que les coupes sont moins
réarrangement PAX8-PPARc. [26] Ces dernières sont absentes dans espacées et la minutie de l’examen au microscope plus grande.
les adénomes autonomes où l’on identifie surtout des mutations Les MCP sont actuellement les lésions malignes les plus fré-
activatrices du récepteur de la thyroid stimulating hormone (TSH), quemment observées sur les pièces de thyroïdectomie.
et plus rarement d’une protéine Gs (stimulante). La cellule d’origine du CPT est la cellule folliculaire thyroï-
dienne, mais on ne connaît pas de stade précancéreux au CPT.
Tumeur trabéculaire hyalinisante [26] Certains terrains génétiques prédisposent à la survenue d’un
C’est une forme rare de tumeur caractérisée par une architec- CPT (Tableau 2) : forme familiale de CPT, polypose colique
ture trabéculaire, des cellules qui peuvent avoir des anomalies familiale, syndrome de Cowden, et peut-être le complexe de
nucléaires de type papillaire et une substance hyaline non Carney. Des anomalies génétiques diverses sont observées dans

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Tableau 3.
Anomalies moléculaires des tumeurs thyroïdiennes.
Type de tumeur Gène et type d’anomalies Prévalence des anomalies
Adénome thyroïdien RAS rares
PAX8-PPARc (réarrangement) rares
Adénome thyroïdien toxique Récepteur TSH (mutation activatrice) 50-70 %
Gsp (mutation activatrice) peu fréquent, sauf si Mc Cune-Albright
Tumeurs oncocytaires bénignes ou malignes polymorphismes spécifiques mtDNA
Cancer papillaire de la thyroïde BRAF (V600E) 50 % environ (sporadique)
AKAP9-BRAF [inv(7)(q21-22q34)] CPT radio-induit
RET-PTC (au moins 11 réarrangements différents) 20-30 % des adultes, 40-60 % des enfants, prévalence
plus élevée si CPT radio-induit
TRK-T (réarrangement NTRK1-TPR) 10 % environ
RAS moins de 10 %
Cancer vésiculaire de la thyroïde PAX8-PPARc 30-50 %
RAS 20-50 %
Cancer peu différencié de la thyoïde RAS environ 50 %
P53 20-30 %
WNT/b caténine 0-30 %
RET-PTC ; TRK-T plus rares
Cancer anaplasique de la thyroïde RAS Environ 50 %
P53 70-80 %
WNT/b caténine 80 %
Cancer médullaire de la thyroïde RET 99 %
Modifié d’après de Lellis RA, et al. [26]

les CPT (Tableau 3), et notamment des mutations du gène BRAF


ou des réarrangements de type RET/PTC.
■ Facteurs étiopathogéniques
Carcinome vésiculaire de la thyroïde Les nodules de la thyroïde peuvent être considérés comme
Il est bien plus rare : 5-15 %. Il est défini en négatif par une majoration de l’hétérogénéité intrinsèque du tissu
rapport au CPT puisqu’il s’agit d’une tumeur maligne constituée thyroïdien normal. Cette amplification va conduire, selon la
de cellules folliculaires n’ayant pas les caractéristiques nucléaires nature, l’intensité, la chronologie et la durée des mécanis-
des CPT. Les deux formes principales sont la forme à invasion . mes initiateurs, puis promoteurs, au large éventail de
minime et la forme largement invasive. La première ressemble lésions, de l’hyperplasie au cancer anaplasique, qui vient
macroscopiquement à un adénome folliculaire, avec cependant d’être décrit.
une capsule parfois plus épaisse ou irrégulière. La distinction et
donc le diagnostic de malignité reposent sur l’identification
d’une invasion capsulaire ou vasculaire. Cette invasion ne peut
être identifiée sur un prélèvement cytologique. En histologie, il Schéma général de la croissance du tissu
faut par ailleurs distinguer l’invasion capsulaire d’un artefact lié thyroïdien [29]
à la trace laissée par une cytoponction antérieure. La forme
largement invasive comprend une quasi-destruction de la Le parenchyme thyroïdien, même s’il est composé très
capsule et une importante invasion vasculaire ou juxtathyroï- majoritairement de thyréocytes, et s’il se renouvelle peu durant
dienne. Un variant oxyphile est également décrit (plus de 75 % la vie d’un individu, n’est pas un tissu monomorphe ou figé. Il
de cellules oxyphiles).
s’agit au contraire d’un tissu hétérogène avec de nombreuses
La cellule d’origine du CPT est la cellule folliculaire thyroï-
possibilités de régulation. L’hétérogénéité du tissu concerne
dienne ; certains CVT pourraient provenir de l’évolutivité d’un
aussi bien la prolifération (dépendance plus ou moins nette vis-
adénome folliculaire. La carence iodée et l’irradiation sont des
facteurs étiopathogéniques essentiels des CVT. Certains terrains à-vis de l’effet permissif de la TSH, impact des autres facteurs de
génétiques prédisposent à la survenue d’un CVT (Tableau 2). croissance), que la différenciation (capacité à capter et métabo-
Des anomalies génétiques diverses sont observées dans les CVT liser l’iode, par exemple).
(Tableau 3), et notamment des réarrangements PAX8-PPARc ou Les possibilités de régulation dépendent de facteurs endocri-
des mutations activatrices de RAS. niens (i.e. TSH), de substances produites in situ (i.e. vascular
Carcinome médullaire de la thyroïde endothelial growth factor [VEGF]), ainsi que du contexte patholo-
gique (i.e. acromégalie) ou environnemental (i.e. ingestats
Il est également rare : 4-8 %. Il est développé aux dépens des
iodés).
cellules parafolliculaires qui sécrètent la calcitonine. Le CMT est
ferme, non encapsulé et très lymphophile. Au microscope, la De plus, les diverses voies biochimiques impliquées dans ces
tumeur est formée de plages, d’îlots, de lobules ou de travées de régulations peuvent voir leur impact bloqué (i.e. p53), ou au
cellules polygonales ou fusiformes au cytoplasme finement contraire amplifié (i.e. récepteur de la TSH), par des mutations
granuleux, avec parfois un stroma amyloïde qui correspond à soit germinales (i.e. mutations de Gsp dans le syndrome de Mc
des amas de calcitonine. Dans les formes familiales, on note Cune Albright), soit somatiques (i.e. BRAF). [30-32] Pour ces
volontiers des formes multifocales et/ou une hyperplasie diffuse mutations, l’effet mutagène des radiations ionisantes (cancers
à cellules C, qui peut être nodulaire. Dans 25 % des cas, le CMT thyroïdiens après irradiation thérapeutique ou accidentelle) est
peut être inclus dans une pathologie héréditaire liée à une une étiologie aussi claire qu’elle est, pour les cancers thyroïdiens
mutation germinale du gène RET (Tableau 3). pris dans leur ensemble, peu fréquente.
Autres cancers Les diverses anomalies moléculaires observées dans les
Les autres cancers sont plus rares et leurs aspects histolo- adénomes et les principaux cancers de la thyroïde sont reportées
giques ne seront pas développés ici. dans le Tableau 3.

4 Endocrinologie-Nutrition
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Facteurs intervenant dans la survenue thyroïdien au prix d’une TSH plus élevée que celle fixée par le
set-point physiologique du sujet qu’une carence iodée, même
des nodules de la thyroïde relative, va contribuer à sélectionner les thyréocytes les plus
sensibles à la TSH.
Facteurs liés à l’individu [33]
On distingue, dans les facteurs liés à l’individu : Autres facteurs d’environnement
• l’âge et le sexe : [3, 9] l’épidémiologie montre que leur impact Le tabac favorise la goitrigenèse et, de ce fait, la noduloge-
est évident. L’âge intervient en augmentant la probabilité de nèse. [9, 33, 44]
rencontrer une situation favorisant la nodulogenèse et en L’alimentation intervient via les goitrigènes classiques [33] qui
diminuant l’efficacité des mécanismes de réparation de l’acide jouent un rôle dans certaines régions du globe ou via les
désoxyribonucléique (ADN). Aussi important qu’il soit, le rôle perturbateurs endocriniens qui sont inclus dans la chaîne
du sexe n’est pas complètement compris ; même si l’on sait alimentaire. L’impact de ces facteurs dans la nodulogenèse n’est
que les thyréocytes possèdent des récepteurs aux estrogènes et pas, à ce jour, correctement évalué.
que la grossesse favorise la goitrigenèse et la nodulogenèse,
avec une corrélation entre la parité et le nombre ou le
volume des nodules [34] ; ■ Histoire naturelle des lésions
• l’impact génétique : les études de paires de jumeaux ainsi que
celles recherchant une agrégation familiale des goitres simples Selon les études
ou nodulaires démontrent le poids de la génétique. [9, 35, 36]
Certains loci associés au développement de goitres simples ou Les études de Kuma et al. au Japon, [45, 46] après un suivi
nodulaires ont été identifiés [9, 36-38] ; moyen de 15 ans, montraient que 52 % des nodules avaient
• le contexte pathologique : la prédominance féminine des diminué ou disparu, alors que 34 % étaient restés cliniquement
nodules va de pair avec celle des dysfonctions thyroïdiennes. stables et que parmi les 14 % qui avaient vu leur volume
Il n’est pas impossible que les hypothyroïdies infracliniques augmenter, seulement un quart avaient une cytologie suspecte
observées si souvent chez la femme aient une influence, par de cancer.
le biais d’une TSH supranormale, sur la nodulogenèse (en Plus tard, les études évaluant l’impact d’un traitement freinateur
sélectionnant les thyréocytes les plus sensibles à l’effet par lévothyroxine ont permis d’étudier les patients non
permissif de la TSH). Par ailleurs, l’insuline growth factor 1 traités. [47-50] Pour ces sujets non traités, une diminution du
(IGF-1) (dans l’acromégalie [39]) et les variétés stimulantes volume échographique des nodules était observée dans 8 à 33 %
d’anticorps antirécepteur de la TSH (dans la maladie de des cas ; tandis que pour 14-50 % d’entre eux, on observait une
Basedow [40]) jouent sans doute leur rôle. augmentation de volume d’au moins 15 %. Ces études et
d’autres concordent pour remarquer qu’une diminution de
Radiations ionisantes [41-43] volume a d’autant plus de chances de s’observer que les nodules
ont un contenu liquidien prédominant.
Irradiation externe (thérapeutique ou accidentelle)
Cette histoire naturelle est confirmée par des études spécifiques. La
Ses effets sont bien connus chez l’adulte comme chez réévaluation après 5 ans en moyenne d’une série de 57 nodules
l’enfant. Le risque de nodule est très variable d’une étude à identifiés par une échographie systématique montre que 35 %
l’autre, de même que celui de cancer parmi ces nodules radio- ont augmenté de taille, 41 % n’ont pas évolué et que 24 % ont
induits. Ce risque est maximal pour une irradiation survenue diminué de taille ou ont disparu. [51] De même, le suivi pendant
dans l’enfance, il diminue ensuite avec l’âge à l’irradiation. Le 5 ans en moyenne d’une cohorte de 139 nodules [52] a montré
temps de latence est classiquement de 10 ans entre l’irradiation qu’une augmentation d’au moins 30 % du volume de ces
et la survenue d’un cancer, mais il tend à diminuer pour des nodules était observée pour 48 % des nodules après 3 ans de
doses à débit élevé. Le pic d’incidence est situé 20 ans après suivi, et pour 61 % après 5 ans ; évolution indépendante de la
l’irradiation, l’incidence diminue ensuite mais elle reste toujours taille initiale, ou de son caractère fonctionnel ou non, ainsi que
élevée. des taux de TSH initiaux ou d’un éventuel traitement freinateur.
Effets de l’iode 131 Enfin, l’étude prospective de 330 nodules a aussi permis
d’estimer que, après 5 ans d’évolution, 89 % des nodules auront
Chez l’adulte : son utilisation à dose diagnostique n’a pas augmenté leur volume d’au moins 15 % et que cette augmen-
d’effet sur l’incidence du cancer de la thyroïde ; son utilisation tation survient en moyenne après 3 ans d’évolution. [53]
pour traiter les hyperthyroïdies a révélé un surrisque très L’apparition de nouveaux nodules lors du suivi de ces
modéré de mortalité par cancer de la thyroïde (mais avec une cohortes a également été remarquée, avec une prévalence
latence courte qui doit rendre très prudent avant d’y voir une comprise de 6,7 %, 13,6 % et 28,5 % après respectivement,
causalité certaine). 1 an, [54], 1,5 ans [55] et 5 ans [56] de suivi.
Chez l’enfant : à dose diagnostique comme à dose thérapeu-
tique, aucun risque n’est démontré. Cependant, le nombre
d’enfants suivis est trop faible pour que ce risque puisse être
formellement exclu.
La situation est différente en cas d’exposition accidentelle à
l’iode 131. Chez l’enfant, l’augmentation précoce de l’incidence
“ Point fort
du cancer de la thyroïde dans les régions limitrophes de la
catastrophe de Tchernobyl est démontrée, de même qu’une On peut ainsi retenir les points suivants.
augmentation de la prévalence des nodules thyroïdiens. Dans ce • Certains nodules peuvent rester stables, voire décroître
cadre, les cancers radio-induits sont plus agressifs et on y ou disparaître.
retrouve un réarrangement génique inhabituel : RET/PTC3. Chez • La plupart ont tendance à augmenter modérément de
l’adulte, les données les plus récentes font à présent état, dans volume, indépendamment de l’âge du sexe et de leur
les mêmes régions très exposées, de l’apparition d’une incidence fonctionnalité, mais ils augmentent d’autant moins qu’ils
modérément accrue de cancers thyroïdiens. ont un contenu liquidien.
Facteurs d’environnement • La dystrophie nodulaire a tendance à s’aggraver avec
autres que les radiations ionisantes [9, 29] l’apparition progressive de nouvelles lésions.

Influence des apports iodés


Elle est évidente dans la goitrigenèse. La carence iodée
module la réponse des thyréocytes à la TSH. C’est par ce biais Faut-il craindre une évolutivité histopathologique ? C’est une
et par la constitution d’un nouvel équilibre fonctionnel de l’axe question que posent très souvent les patients : « Est-ce que cela

Endocrinologie-Nutrition 5
10-009-A-10 ¶ Nodules du corps thyroïde

peut devenir un cancer ? ». Les lésions des goitres hyperplasi- étape clinique systématique pour nombre d’entre eux (omni-
ques correspondent à des lésions polyclonales alors que les praticiens, médecins du travail, médecins des caisses de Sécurité
adénomes et surtout les cancers sont monoclonaux. Une sociale, gynécologues...).
évolutivité histologique impliquerait donc que l’un des clones Un autodiagnostic n’est pas rare, surtout lorsqu’une modifi-
cellulaires d’une lésion hyperplasique ou qu’une cellule d’un cation rapide du volume du nodule est en cause (hématocèle).
adénome bénin fassent l’objet d’une nouvelle mutation, puis Ailleurs, il peut s’agir d’un examen clinique orienté par des
d’un effet promoteur suffisant, pour qu’une lésion bénigne antécédents personnels ou familiaux, par l’évaluation de signes
puisse évoluer vers un cancer. La constatation, inhabituelle, de dysfonctionnement de la thyroïde, par l’évaluation d’une
d’une lésion maligne au sein même d’une lésion bénigne est en symptomatologie compressive ou ganglionnaire cervicale.
faveur de cette possibilité. Cela ne constitue pas une preuve De plus en plus fréquemment, il s’agit d’incidentalomes
formelle d’une oncogenèse linéaire progressive car il peut s’agir thyroïdiens à l’occasion d’examens échodoppler des vaisseaux
de collision de tumeurs comme dans le cas de tumeurs mixtes, du cou, du diagnostic topographique dans une hyperparathy-
médullaire et folliculaire. [26] roïdie primitive, de TDM ou IRM effectuées pour des patholo-
Une autre hypothèse serait que ces lésions auraient été gies du rachis cervical ou des voies aériennes supérieures ou
malignes d’emblée et qu’il s’agisse de faux négatifs de l’évalua- enfin d’un PET-scan. [63-65]
tion initiale. Ces faux négatifs sont estimés à moins de 2 %. [9]
Un taux comparable à celui de 1,5 % qui est celui des lésions Plaintes du patient
initialement classifiées après cytoponction comme bénigne et Ces plaintes peuvent traduire une véritable compression des
pour lesquels le diagnostic de cancer est porté après la répétition structures anatomiques ayant des rapports étroits avec le corps
des ponctions. [57, 58] thyroïde :
En revanche, la filiation possible entre une lésion bien • dysphonie traduisant une compression d’un nerf laryngé
différenciée puis peu différenciée et finalement anaplasique est inférieur (nerf récurrent) ;
bien documentée en histologie, [26] comme sur le plan molécu- • dyspnée évoquant une diminution de la lumière aérienne par
laire (mutations de p53 qui semblent nécessaires pour qu’appa- compression trachéale (goitre plongeant ou tumeur plus
raisse une dédifférenciation sévère [26, 31]). évolutive infiltrant la trachée) ;
Au total, une évolutivité histologique semble possible bien • dysphagie témoignant d’une compression ou d’un envahisse-
qu’exceptionnelle. ment de l’œsophage.
Plus rarement, un syndrome cave supérieur, un syndrome de
Claude Bernard-Horner par compression de la chaîne sympathi-
Évolution fonctionnelle des dystrophies que cervicale, ou une paralysie phrénique seront présents ; une
nodulaires étiologie maligne est alors a priori suspectée.
La mise en tension du nodule et de la glande thyroïde peut
Comme les stades de Plummer l’ont montré, cette évolutivité
expliquer une gêne, voire une franche douleur élective en cas
est certaine. L’incertitude concerne la vitesse d’évolution et le
d’hématocèle. Une douleur peut également témoigner d’un
bénéfice éventuel à traiter un patient avec un profil d’hyperthy-
processus infectieux en cas de thyroïdite aiguë (très rares abcès
roïdie infraclinique. Le taux de passages en hyperthyroïdie
de la thyroïde). Dans ces situations, et dans les thyroïdites
franche d’un patient ayant une pathologie nodulaire prétoxique
subaiguës de De Quervain, on note volontiers une irradiation
est estimé à 4 % par an. Ce taux varie en fonction de l’âge du
vers la partie haute du cou, surtout lors de la déglutition.
patient, des apports iodés et de la taille des nodules hyperfonc-
Plus souvent, le patient évoquera une sensation d’oppression ou de
tionnels. [9, 59] Il ne semble pas y avoir de relation génotype/
gêne laryngée, surtout en réponse à une situation de stress. Il est
phénotype avec le type de mutation du récepteur de la TSH
difficile d’authentifier l’origine thyroïdienne de ces symptômes,
lorsqu’une mutation de ce type est responsable de ce nodule
d’autant plus qu’ils sont rapportés ou qu’ils se majorent
autonome. Un passage transitoire en hyperthyroïdie du fait
volontiers, une fois que la pathologie nodulaire a été clairement
d’un remaniement hémorragique ou nécrotique d’un nodule
identifiée.
hyperfonctionnel est une éventualité classique qui conduira
L’asthénie, le manque d’allant décrits par les patients sont
souvent à proposer un traitement radical. [60]
exceptionnellement le fait d’une authentique hypothyroïdie.
À l’opposé, un tableau clinique évocateur d’une hyperthyroïdie
■ Étapes du diagnostic [3, 9, 61]
peut conduire à la découverte d’une pathologie nodulaire
toxique.
Très rarement enfin, c’est une diarrhée ou des bouffées vasomotri-
Le travail du clinicien, lequel est aidé par divers autres
ces qui alerteront et feront découvrir une sécrétion anormale de
spécialistes, est de recueillir certaines données dont l’accumula-
calcitonine par un carcinome médullaire thyroïdien.
tion permettra plus ou moins rapidement de reconstituer une
image que l’on espère la plus fidèle possible de la réalité Quelle évolutivité ?
pathologique. Ce puzzle diagnostique est parfois aisé car deux Un interrogatoire pointilleux permet parfois de découvrir
ou trois pièces du puzzle suffisent à obtenir une vision très qu’il s’agissait en fait d’une pathologie oubliée et que, plusieurs
précise de la situation. Assez souvent, même après le parcours années auparavant, un « goitre » ou un nodule avait déjà été
des diverses étapes du diagnostic, le puzzle n’est pas complété signalé, voire exploré. Dans ces situations, une appréciation de
et les décisions concernant le traitement ou la surveillance l’évolutivité des lésions peut souvent être obtenue. Dans les
devront prendre en considération une part de risque. autres cas, le patient lui-même peut parfois apporter un éclai-
rage sur une éventuelle évolutivité des symptômes.
Recueil des données cliniques Une brusque augmentation de volume est habituellement le
témoin d’un saignement intranodulaire (hématocèle) ou d’un
Cette étape vise à détecter des situations ou des signes qui kyste de la thyroïde. Plus rarement, une majoration rapide du
sont rarement présents, mais qu’il faut impérativement recon- volume de la glande (ou d’une portion de celle-ci) fera craindre
naître car leur présence est d’un poids essentiel dans la prise en un carcinome anaplasique ou un lymphome de la thyroïde. En
charge. [62] effet, les autres cancers différenciés augmentent de volume très
progressivement et insidieusement de mois en mois, ou d’année
Analyse des manifestations cliniques en année.
Mode de découverte
Analyse des antécédents personnels et familiaux
Il s’agit de plus en plus souvent d’une découverte à l’occasion
d’un examen clinique systématique de la région basicervicale Âge et sexe du sujet
antérieure. Cet examen ne faisait pas partie classiquement des Un âge de moins de 20 ans ou au contraire de plus de 60 ans
préoccupations de nombreux médecins. Il s’agit à présent d’une double le risque de cancer par rapport à un âge compris entre

6 Endocrinologie-Nutrition
Nodules du corps thyroïde ¶ 10-009-A-10

20 et 60 ans. [10, 62] Statistiquement, les nodules observés chez « bloquée »), on se dirigera vers l’évaluation d’une hyperthyroï-
l’homme sont également plus souvent des cancers que chez la die infraclinique, habituellement d’origine nodulaire. Parfois
femme, surtout après l’âge de 60 ans. [10, 62] aussi, la TSH se trouvera dans la zone compatible avec une
hypothyroïdie infraclinique, simple coïncidence en règle.
Antécédents personnels
Cependant, le plus souvent, la TSH sera parfaitement normale.
Le principal antécédent à rechercher est une radiothérapie
externe dont on connaît l’impact sur la nodularité et le risque Calcitonine
de cancer, surtout lorsque l’irradiation date de plus de 5 ans et Malgré l’absence de consensus, [9, 68-70] il semble raisonnable
qu’elle a été effectuée à un âge jeune. [43, 66] de conseiller la pratique systématique d’un dosage de calcito-
nine devant tout nodule thyroïdien nouvellement découvert.
Antécédents familiaux
Cette recommandation, peu coûteuse au regard du service
En dehors des formes familiales de cancer médullaire de la rendu, peut être sous-tendue par les faits suivants :
thyroïde (FMTC) ou néoplasie endocrinienne multiple (NEM)-2, • place unique de la calcitonine parmi les marqueurs tumoraux,
il existe des formes familiales de cancers papillaires et de cancers puisque ce dosage permet de découvrir, comme cela est
oxyphiles. Par ailleurs, certaines affections (Tableau 2) comme la démontré dans le modèle naturel des NEM-2a, des formes
maladie de Cowden, le syndrome de Gardner ou la polypose précoces (voire infratumorales) de cancer médullaire de la
colique familiale exposent à une incidence accrue des cancers thyroïde ; [71]
papillaires de la thyroïde. [9, 26] • prévalence faible (0,5 à 1,4 %), mais que l’on ne peut
À l’opposé, on connaît la forte pénétrance de dystrophies occulter, des carcinomes médullaires de la thyroïde diagnos-
nodulaires bénignes de la thyroïde dans certaines familles. tiqués grâce à un dosage systématique de la calcitonine ; [9]
• gravité des cancers médullaires de la thyroïde, pour lesquels
Apport de l’examen clinique le pronostic est essentiellement fonction de la masse tumorale
Examen de la région cervicale et du caractère complet ou non de l’exérèse initiale ; [72, 73]
• amélioration du pronostic, par rapport aux résultats des séries
La détection par la palpation d’un nodule de la thyroïde
plus anciennes, lorsque le diagnostic a été fait à l’occasion
dépend de nombreux facteurs :
d’un dépistage systématique. [74]
• conformation anatomique du patient ;
Il ne faut pas pour autant taire les difficultés que fait parfois
• taille, consistance et topographie du nodule au sein de la
naître ce dosage (cf. infra).
glande ;
• habileté et expérience du clinicien. Ce dernier point est
Examens biologiques à la carte [9]
illustré par l’importante variation intra- et interobservateurs
en matière de palpation de la thyroïde. [67] Anticorps antithyroperoxydase
Malgré tout, l’examen cervical peut apporter des renseigne- Bien que le dosage des anticorps antithyroperoxydase (anti-
ments essentiels : TPO) soit pratiqué par plus de la moitié des cliniciens
• signes faisant suspecter la malignité d’un nodule : consistance européens, il ne semble pas systématique. Sa réalisation
dure, voire pierreuse, mobilité réduite par rapport aux plans pourrait être réservée à quelques situations particulières :
superficiels ou aux plans profonds, adénopathies jugulocaro- suspicion sur des données cliniques ou d’imagerie d’une
tidiennes basses fermes et volumineuses ; coexistence avec une thyroïdite auto-immune, aide à la
• signes évocateurs d’une pathologie inflammatoire ou infec- décision thérapeutique lorsque la TSH est marginalement
tieuse : nodule douloureux, aspect inflammatoire en regard ;
élevée, appréciation de l’origine d’une élévation modérée de
• signes évocateurs d’une compression de voisinage : dyspnée la calcitonine.
continue ou sibilants volontiers aggravés par le décubitus ou
la manœuvre de Pemberton (membres supérieurs en exten- Stigmates et éléments étiologiques en cas de dysfonction
sion et croisement forcé au-dessus de la tête du patient), qui thyroïdienne
peut également déterminer une distension des jugulaires et
une rubosité de la face. Le dosage systématique de T4-libre et a fortiori de T3-libre
serait coûteux et de faible rendement. Un taux de TSH en
Recherche de signes de dysfonction thyroïdienne dehors de ses normes justifiera une confirmation et un dosage
de T4-libre, voire une enquête étiologique plus approfondie.
L’immense majorité des patients qui sont initialement évalués
pour une pathologie nodulaire de la thyroïde est en euthyroïdie. Stigmates d’un processus inflammatoire ou infectieux
Le taux de TSH permet de classer quelques-uns de ces patients
en hyperthyroïdie infraclinique. Parfois, un examen clinique Un dosage de CRP et une numération-formule sanguine sont
attentif identifie des signes d’hyperthyroïdie modérée ou requis lorsque l’ambiance clinique ou les signes d’examen
monosymptomatique (arythmie, signes neuropsychiques...). La permettent d’évoquer une forme localisée ou asymétrique de
découverte de signes d’hypothyroïdie doit classiquement faire thyroïdite aiguë ou subaiguë.
rechercher un lymphome survenant au sein d’une thyroïdite de Thyroglobuline
Hashimoto.
La seule situation où le dosage de la thyroglobuline est
Examen général justifié correspond à celle de la recherche d’un éventuel cancer
Il n’est altéré que dans les rares cancers différenciés avec primitif thyroïdien devant une métastase prévalente (os,
métastase synchrone (osseuses, pulmonaires) ou les carcinomes poumons). Dans ce contexte, un taux de thyroglobuline qui ne
anaplasiques. Cependant, c’est une étape clinique importante serait pas très franchement élevé permettrait d’innocenter la
pour les patients chez qui une indication opératoire pourra in thyroïde.
fine être portée.

Paramètres sanguins Échographie cervicale


Examens biologiques systématiques L’échographie cervicale a modifié grandement la perception
et les pratiques médicales en pathologie thyroïdienne. Cet
« Thyroid stimulating hormone »
examen d’imagerie est une étape essentielle dans la prise en
La très grande sensibilité du taux de TSH pour dépister une charge des nodules de la thyroïde, pour peu que l’examen soit
dysfonction de la thyroïde explique le choix de ce paramètre. réalisé et analysé par un imagiste consciencieux et formé à
Devant une TSH inférieure à la normale (a fortiori si elle est dite l’imagerie et à la pathologie thyroïdienne.

Endocrinologie-Nutrition 7
10-009-A-10 ¶ Nodules du corps thyroïde

Objectifs de cet examen d’imagerie [9, 18, 75-81] Tableau 4.


Critères échographiques de suspicion. Aucun critère pris isolément n’a de
Étude de(s) nodule(s) connu(s) avant l’examen échographique puissance diagnostique forte, l’association et la cohérence de plusieurs
d’entre eux est en revanche un critère diagnostique fort.
Suspicion de malignité Suspicion de bénignité

“ Point important
Contours
Mal limités
Contours
Forme arrondie
Angulaires ou spiculés Contours bien nets
Chaque nodule cliniquement palpable doit être identifié Échogénicité Échogénicité
et les diverses caractéristiques suivantes obtenues : taille Hypoéchogène et solide Hyperéchogène
(mesure du diamètre dans les trois plans de l’espace), Mixte, surtout si la zone est Isoéchogène
topographie, forme (arrondie, ellipsoïde ou anguleuse), charnue et hypoéchogène
contours nets ou non (le cas échéant souligné d’un halo Microcalcification Pas de microcalcification
hypoéchogène plus ou moins complet), échostructure Absence de halo hypoéchogène Halo complet épais
(nodule complètement ou partiellement liquidien ou bien périnodulaire
plein), échogénicité par rapport au parenchyme Vascularisation Vascularisation
thyroïdien non nodulaire (hypo- iso- ou hyperéchogène), Centrale uniquement Absente
présence de micro- ou de macrocalcifications intra- Importante, centrale et Pauvre
nodulaires, rapports éventuels avec les axes aérien, périnodulaire
digestif ou vasculaire, ainsi qu’avec les tissus musculaires Adénopathie Adénopathie
environnants. Critères de suspicion présents Critères de suspicion absents
Croissance nette pendant la Pas de croissance nette durant la
surveillance surveillance

Cet examen en 2D sera complété, si possible, par une analyse en


échodoppler qui visualisera la richesse et le type de vascularisa- Tableau 5.
tion des nodules (centrale ou uniquement intranodulaire ou Adénopathies cervicales suspectes.
bien mixte).
Arrondi avec L/S* < 2
Inventaire des nodules Hypoéchogène
Le très haut pouvoir de résolution des sondes d’échographie Perte du hile hyperéchogène
(1-2 mm) explique la très grande sensibilité de cet examen qui Microcalcification
permet, dans la moitié des cas (vu la prévalence élevée des
Hypervascularisé
nodules), de découvrir d’autres nodules que celui qui, clinique-
Aspect kystique, même en partie
ment décelé, a conduit à la prescription de l’examen. [82]
Chacun des nodules ainsi découvert doit être analysé et décrit L/S : rapport entre le plus grand diamètre longitudinal (L) et sagittal (S).
avec la même précision que le nodule index.
notamment signaler les nodules qui pourraient apparaître les
Recherche d’autres pathologies plus suspects, et sur lesquels devra porter la cytoponction à
On recherche d’autres pathologies comme : l’aiguille fine échoguidée.
• un goitre : l’échographie permet de mesurer assez précisément
le volume thyroïdien (produit des 3 diamètres multiplié par Valeur diagnostique de l’échographie cervicale
0,52). La variabilité interobservateurs de cette méthode est de En dehors des nodules correspondant à des kystes purs, tous
5-10 %, et elle tend à minorer le volume par rapport à celui les types échographiques de nodules thyroïdiens peuvent
estimé par IRM ou TDM ; correspondre à un cancer. Aucune caractéristique considérée
• des nodules autonomes : ils sont rarement identifiés par isolément n’a la puissance diagnostique suffisante pour identi-
l’échographie devant un aspect hypoéchogène ou mixte et fier les nodules ayant une très forte probabilité de malignité.
une vascularisation y compris intranodulaire très vive ; Cependant, c’est surtout la coexistence des facteurs de suspicion
• une thyroïdite : l’échogénicité de la glande est irrégulière avec échographique qui doit alerter [77-81] et faire sélectionner ainsi
une accentuation des travées fibreuses et des aspects pseudo- les nodules les plus suspects au sein d’une thyroïde multinodu-
nodulaires correspondant à des plages hypoéchogènes laire (Tableaux 4–6) qui bénéficieront d’une cytoponction. En
(témoignant de l’infiltration lymphoïde ou de la pauvreté en effet, la cytoponction a un bien meilleur rendement diagnosti-
colloïde) ou au contraire à des zones de parenchyme sain que que l’échographie.
entouré de zones atteintes. La vascularisation est soit modé- L’apport des techniques émergentes comme l’échographie 3D,
rément augmentée comme dans les thyroïdites de Hashimoto, le doppler-énergie, l’utilisation de produits de contraste en
soit plutôt pauvre comme dans les thyroïdites subaiguës. échographie n’est pas encore correctement évalué. [83, 84]
Analyse des chaînes ganglionnaires cervicales Cytoponction thyroïdienne
Les appareillages actuels, maniés par des mains expertes, La cytoponction à l’aiguille fine était déjà reconnue par le
permettent très souvent de découvrir des ganglions lymphati- rapport de l’Agence nationale pour le développement et l’évaluation
ques cervicaux au sein des gîtes sus-claviculaires et surtout médicale (Andem) comme la « méthode diagnostique la plus
jugulocarotidiens supérieurs. Ces ganglions sont presque efficace » pour le diagnostic des lésions malignes de la thy-
toujours anodins : allongés, infracentimétriques, avec un hile roïde. [61] La place de cet examen est désormais centrale [9, 85-87]
central visible sous la forme d’une petite zone hyperéchogène. .
même si son rendement diagnostique doit et peut être amélioré,
Les ganglions seront suspects s’ils sont : arrondis (rapport du et si ses conditions de réalisation et d’exploitation méritent une
diamètre longitudinal sur sagittal inférieur à 2) ; avec perte du standardisation et une évaluation.
hile, de grand diamètre volontiers supérieur à 10 mm ; avec des
microcalcifications ; hétérogènes ; voire kystiques (cf. para- Réalisation de l’examen et rendu des résultats
graphe ci-dessous).
L’ensemble des renseignements obtenus doit faire l’objet d’un Techniques de cytoponction
compte rendu détaillé, avec report de chacune des lésions Technique classique. La technique classique, après désinfection
observées sur un schéma approprié. [61] Ce compte rendu doit de la peau et sans anesthésie, utilise une aiguille fine (25G ou

8 Endocrinologie-Nutrition
Nodules du corps thyroïde ¶ 10-009-A-10

Tableau 6. C ponction d’un nodule différent du nodule index mais de


Nodules « pertinents » au sein d’une thyroïde multinodulaire.*. taille supérieure à 10 mm et/ou ayant des critères échogra-
Nodule repéré cliniquement par ses caractéristiques suspectes phiques de suspicion, ou d’une adénopathie cliniquement
inapparente, mais suspecte en échographie ;
Nodule palpable sans caractère clinique de suspicion mais :
C amélioration du rendement des ponctions (diminution du
• qui n’est pas un kyste pur
nombre de cytologies non contributives et, pour certaines
• qui n’est pas un nodule hyperéchogène avec un halo complet
études, augmentation de la sensibilité et de la spécificité).
Nodule non palpable avec des critères échographiques suspects C’est sans doute pourquoi cette modalité est de plus en
Contours mal limités, angulaires ou spiculés plus choisie. Cependant, cette pratique introduit un
Hypoéchogène et solide surcoût d’au moins KE20 et sa disponibilité n’est pas
Microcalcification universelle.
Vascularisation centrale isolée Microbiopsie. Plusieurs études ont remis en activité cette
technique, [96-98] qui avait été abandonnée, grâce à l’usage de
Nodule hypofixant en scintigraphie au 99Tc ou 131I
matériel de ponction d’un diamètre de 16 G à 20 G muni d’un
Nodule hyperfixant en scintigraphie au 201Tl système de coupe actionné par un ressort. On obtient ainsi une
*Tous les nodules d’une thyroïde multinodulaire (TMN) ne sauraient justifier carotte de tissu de 2 à 7 mm de long qui autorise une étude
d’une cytoponction. Les nodules définis ci-dessous sont ceux qui pourraient être histologique et architecturale. Cette technique est cependant
ponctionnés. On ponctionnera volontiers : le nodule palpable le plus suspect plus invasive, elle requiert un bilan de coagulation et une
selon les critères cliniques, échographiques ou scintigraphiques ; le plus
volumineux des nodules non palpables mais ayant des caractéristiques anesthésie locale. Enfin, elle semble moins bien tolérée par les
échographiques ou scintigraphiques de suspicion. patients et expose à des hémorragies. [99] La puissance diagnos-
tique de cette technique est certaine, mais sa lourdeur doit la
faire réserver à des situations particulières (cytoponctions
27G), qui est insérée sous contrôle de la palpation dans le échoguidées non contributives ou douteuses).
nodule cliniquement décelé. Le recueil se fait, selon les opéra- Rendu des résultats et valeur diagnostique
teurs, par simple capillarité ou par une aspiration douce ; le
prélèvement est interrompu dès qu’un « ménisque » de liquide Les conditions d’une réponse cytologique fiable sont, pour la
devient apparent dans l’embout de l’aiguille. Plusieurs passages plupart des cytologistes, d’avoir au moins six amas d’une
sont réalisés (2-4) de sorte à optimiser le rendement de la vingtaine de cellules, sur deux lames différentes. [85-87, 100]
ponction. À chaque fois, le contenu de l’aiguille est chassé sur Types de réponses classiques. Les quatre types de réponses
une lame et immédiatement étalé. Les lames sont séchées à l’air classiques sont les suivants. [9, 85-87, 100-103]
libre, fixées par l’alcool-éther ou congelées selon les habitudes Non contributive. Ce cas de figure est limité pour certaines
des équipes et le souhait d’effectuer un immunomarquage ou équipes à 5-7 %, mais pour l’essentiel d’entre elles, il est plutôt
de 15-20 %. Ces situations correspondent à des prélèvements
non.
peu cellulaires, hématiques ou liquidiens, ou comportant
Les effets indésirables de cette technique sont extrêmement
essentiellement de la colloïde ou des cellules inflammatoires, ou
rares à condition d’avoir récusé les patients sous anticoagulant,
bien à des amas cellulaires tassés dans la fibrine en périphérie
suspendu un traitement antiagrégant et effectué une pression de
d’un étalement. L’examen histologique de ces lésions, lorsqu’il
quelques minutes sur la zone ponctionnée. Une douleur après a été réalisé, montre que si la plupart sont bénignes, 13 à 18 %
la ponction peut s’observer. Le patient doit en être prévenu et d’entre elles sont malignes. Les cytoponctions non interpréta-
on lui donnera le conseil de calmer celle-ci avec du paracétamol bles doivent donc conduire à une nouvelle ponction. Une
ou avec des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et non grande rigueur du cytologiste est requise pour ne pas classifier
avec de l’acide acétylsalicylique. des lésions comme rassurantes alors que la cytologie est en fait
Variantes. Plusieurs variantes sont cependant utilisées : non contributive. [104]
• anesthésie des plans superficiels par lidocaïne à 1 % ou par Maligne. Obtenu dans 4 % des cas en moyenne, [9] soit
une substance anesthésiante (Emla®) ; 1-10 % selon les séries. Ces nodules sont pour 80-90 % des cas
• recueil du contenu liquidien d’un nodule en partie kystique des cancers. Il s’agit essentiellement de cancers papillaires, en
et analyse du culot de centrifugation de ce liquide de ponc- raison de leur prévalence prédominante et de leur diagnostic
tion ; fondé sur des critères d’anomalies nucléaires typiques. Plus
• technique de lecture en monocouche : identique à celle rarement, il s’agit de cancers qui seront suspectés selon le
utilisée pour les frottis cervicovaginaux, avec un recueil du contexte clinicobiologique et confirmés par les aspects cytolo-
contenu de l’aiguille de ponction dans une phase liquide de giques et d’immunomarquage : CMT, carcinome anaplasique,
fixation, puis centrifugation et étalement par un automate. lymphome, métastase.
Cette technique a l’avantage d’automatiser et de rendre les Bénigne. C’est la réponse la plus fréquente : 60-70 % des cas.
immunomarquages plus aisés, mais elle requiert une forma- Il s’agit surtout d’adénomes colloïdes, et d’aspects de thyroïdite.
tion particulière (disparition du « fond » et du contexte Des faux négatifs sont possibles et sont estimés à 2-4 % des cas,
inflammatoire et surtout de la colloïde, artefacts nucléaires de ce qui justifie pour beaucoup la réalisation d’une cytoponction
préparation). Surtout, sa valeur diagnostique n’a pas été de confirmation à l’occasion d’une échographie de surveillance
validée sur de grandes séries, et elle n’a pas été démontrée 1 an plus tard. [61]
comme supérieure dans les séries étudiées à la technique Douteuse ou suspecte. Cela concerne 10 à 20 % des cytoponc-
classique. Enfin, elle introduit un surcoût notable ; [88-91] tions. Ces cytologies montrent des cellules vésiculaires, dont
• cytoponction échoguidée : la pratique de la cytoponction certaines ont parfois une différenciation oxyphile (cellules
sous contrôle échographique s’appuie sur les données suivan- oncocytaires riches en mitochondries), une taille nucléaire
tes : [77, 92-95] parfois modérément augmentée mais avec peu d’atypies. Ces
C contrôle en temps réel du geste de ponction autorisant le ponctions correspondent à des tumeurs bénignes (adénome
folliculaire, adénome atypique, adénome oxyphile), des cancers
choix de la lésion qui est ponctionnée et réduisant les
vésiculaires bien différenciés, des cancers papillaires à expression
erreurs d’échantillonnage (surtout pour les nodules situés à
vésiculaire, des adénomes autonomes ou bien à des lésions de
la face postérieure d’un lobe ou qui « plongent » vers le thyroïdite ou à des remaniements induits par une surcharge
thorax) ; iodée ou l’emploi d’antithyroïdiens. Parfois, la répétition de la
C sélection et ponction d’une zone charnue d’un nodule ponction permet d’affiner l’analyse cytologique, mais ce n’est
mixte ou échographiquement plus suspect (hypoéchogéni- pas la règle. Le pourcentage de cancers parmi ces aspects
cité, microcalcification) ; douteux ou suspects est variable d’une série à l’autre et oscille

Endocrinologie-Nutrition 9
10-009-A-10 ¶ Nodules du corps thyroïde

entre 17 et 54 %, avec une valeur de 24 % observée après plus faible ou différente (lésions malignes). Un grand nombre
examen histologique de 2 000 nodules douteux en cytologie et est à l’étude, mais peu sont d’ores et déjà validés de façon
opérés à la Mayo Clinic. [105, 106] répétée dans de grandes séries.
Valeur diagnostique de la cytoponction. [9, 100, 103] Les Thyroperoxydase. Sa présence est attestée par un immunomar-
valeurs globales de sensibilité et de spécificité rapportées dans la quage utilisant un anticorps monoclonal particulier, le Mab47,
littérature, y compris à propos de collections très importantes de mis au point par De Micco à Marseille. [108] Selon Christensen
cas, sont en général excellentes et supérieures à 90 %. Cepen- et al., un seuil de positivité de 80 % des cellules est requis pour
dant, ces performances ne prennent en général pas en compte classer la lésion comme bénigne. [109] Ce paramètre a essentiel-
dans leurs calculs les cas non interprétables et sont le reflet lement une valeur prédictive négative car des marquages
d’équipes expertes. Qu’en est-il dans la réalité clinique ? Les insuffisants peuvent être observés dans des thyroïdites, des
études plus critiques insistent sur une sensibilité et surtout sur nodules colloïdes et des lésions microvésiculaires bénignes.
une spécificité moindre (60-70 %), mais également sur l’excel- Galectine-3. La galectine-3 est une lectine exprimée plus
lente valeur prédictive négative de cet examen. fortement dans les cancers thyroïdiens que dans le tissu sain,
Les difficultés en pratique sont donc surtout celles liées aux notamment si les cancers sont invasifs. [110, 111] Après la
cytoponctions non contributives et aux cytoponctions douteu- publication princeps de Bartolazzi et al. [112] qui était enthou-
ses. Le pourcentage de cancers y est en moyenne de 20 %, ce siasmante, la situation s’est précisée et ce marquage semble plus
qui justifie une indication opératoire, à moins qu’une optimi- spécifique que sensible. L’expression cytoplasmique de la
sation du résultat de la cytoponction ne soit obtenue. galectine-3 témoigne ainsi d’une lésion maligne papillaire ou
D’autres difficultés concernent les thyroïdes multinodulaires. d’une lésion folliculaire maligne, actuelle ou potentielle. [113, 114]
À la notion de nodule index ou dominant doit succéder dans Dipeptyl-aminotransférase (DAP-IV ou CD26). La DAP-IV est
ce cadre celle de nodule pertinent. Il s’agit en effet de sélection- une exopeptidase non exprimée par les thyrocytes normaux,
ner, comme indiqué dans le Tableau 6, les nodules qui, au sein mais présente dans les lymphocytes T. Sa présence est révélée
d’une thyroïde multinodulaire, méritent une ponction par une simple et rapide technique de coloration ; la positivité
échoguidée. est cotée de façon semi-quantitative par un score de 1 à 12.
C’est une technique dont la sensibilité et la spécificité sont,
Optimisation de l’impact diagnostique d’après leurs utilisateurs, de l’ordre de 90 % [115-117] pour les
de la cytoponction cancers papillaires ou folliculaires, mais qui est peu utilisée et
Conditions techniques donc pas suffisamment validée.
HMBE-1. L’anticorps monoclonal HBME-1 reconnaît un
Le médecin qui réalise les ponctions doit avoir une expé-
antigène présent sur les cellules mésothéliales, mais absent sur
rience suffisante et maintenue [9, 100] puisqu’on estime qu’il doit
les thyrocytes sains. Il est surtout validé en histologie où la
réaliser au moins quatre prélèvements chaque semaine pour
positivité apparaît comme un marquage membranaire fin
maintenir une efficacité suffisante (sélection des nodules,
sélectif des cellules cancéreuses papillaires ou folliculaires. Même
précision du geste et absence de contamination sanguine,
s’il est pratiqué par de nombreuses équipes, son intérêt en
qualité de l’étalement). De même, le cytologiste doit avoir été
cytologie attend une véritable validation. [118, 119]
formé à la cytologie thyroïdienne et avoir acquis une expérience
Cytokératine-19. La cytokératine-19 marque préférentiellement
importante dans cette cytologie particulière.
les cancers papillaires, mais également certains cancers follicu-
La lecture immédiate d’une lame test permet d’apprécier la
laires. Son apport en cytologie est encore peu docu-
cellularité du prélèvement et donc diminue le pourcentage de
cytoponctions non contributives. menté. [120-123]
L’information précise du cytologiste sur les données cliniques La place de ces techniques, qui en moyenne doublent le coût
et échographiques est essentielle pour améliorer le rendement de l’analyse cytologique et qui requièrent des lames réfrigérées
des cytoponctions, notamment pour les lésions kystiques. ou une technique en monocouche, n’est pas claire. Leur
Comme on l’a vu, l’échoguidage améliore les performances de utilisation peut être systématique ou bien réservée aux situa-
la ponction, au minimum en diminuant le nombre de cyto- tions difficiles : cytologie douteuse, prélèvement peu cellulaire,
ponctions non contributives. lésions oxyphiles, notamment.
Mise en évidence dans les tissus ponctionnés de substan-
Répétition de la cytoponction ces ou d’acide ribonucléique messager (ARNm) spécifiques.
Tous les experts conseillent d’effectuer une seconde tentative L’évaluation de certains paramètres biochimiques dans le
lorsque la première est classée comme non contributive. Dans liquide de rinçage des aiguilles ayant servi à la ponction peut
ce cadre, la seconde ponction est contributive dans au moins être utile dans les circonstances suivantes :
50 % des cas et souvent beaucoup plus si elle est réalisée sous • suspicion de CMT : un dosage de calcitonine, ou la mise en
contrôle échographique. [9, 18, 95] Cependant, en l’absence évidence par polymérisation en chaîne après transcripton
d’urgence diagnostique (ce qui est presque toujours le cas), il est inverse (RT-PCR) d’un ARNm spécifique, dans le(s) nodule(s)
conseillé d’attendre 3 mois avant de réaliser le second geste. suspect(s), ainsi que dans le parenchyme extranodulaire peut
Dans le cas contraire, la ponction pourrait porter par malchance aider à éclaircir des situations caractérisées par un taux de
sur la zone préalablement ponctionnée et conduire à des calcitonine basal marginalement élevé ; [124]
difficultés d’interprétation en raison de la présence d’artefacts • distinction entre une lésion d’origine thyroïdienne ou parathyroï-
réactionnels à la première ponction. [9, 87, 106, 107] dienne, [125] qu’elle soit en situation polaire inférieure ou à la
La plupart des équipes qui pratiquent de longue date cet face postérieure d’un lobe : grâce au dosage conjoint de
examen conseillent également, lorsque le premier examen est thyroglobuline et de parathormone (PTH) ;
rassurant, de répéter la cytoponction 1 an plus tard avant de • suspicion d’adénopathie métastatique des cancers différenciés de
s’en remettre à une surveillance clinique, voire échographi- la thyroïde ou des CMT grâce au dosage, selon le cas, de
que. [9, 61] thyroglobuline ou de calcitonine. [125-127]
Dans ces diverses situations, il faut parallèlement disposer
Techniques dérivées de la cytoponction d’une quantification dans le plasma du paramètre considéré,
Ces techniques visent à améliorer la puissance diagnostique afin de prendre en compte une éventuelle contamination
du geste, notamment dans les cas de réponse dite douteuse (ou sanguine du prélèvement cervical.
suspecte) ou lorsque, dans une lésion mixte, la cellularité est Biologie moléculaire. La caractérisation de la « signature
faible. Il peut s’agir des techniques suivantes. moléculaire » des divers types de lésions tumorales de la
Immunomarquages. Ces techniques visent à révéler la thyroïde constitue un pan extrêmement actif de la recherche en
présence sur les cellules obtenues par cytoponction de protéines pathologie thyroïdienne. Les premières pistes validées concer-
qui pourraient témoigner d’une très forte différenciation nent des réarrangements géniques (RET/PTC, Pax8/PPARc) ou
cellulaire (lésions bénignes) ou à l’opposé d’une différenciation des mutations (BRAF, N-RAS, p53). La transposition de ces

10 Endocrinologie-Nutrition
Nodules du corps thyroïde ¶ 10-009-A-10

connaissances au diagnostic cytologique en routine est balbu- Toutes les zones hyperfixantes en 18FDG-PET-Scan ne corres-
tiante, même si plusieurs publications permettent d’envisager pondent pas pour autant à un cancer comme cela a été démon-
un développement très séduisant. [128-133] tré dans des séries d’incidentalomes thyroïdiens. [63-65]

Autres examens paracliniques


■ Prise en charge à court terme
Techniques scintigraphiques
Un arbre décisionnel est proposé (Fig. 1). Cette représentation
Scintigraphie de première intention
synthétique des modalités de prise en charge est bien sûr
La scintigraphie à l’123I ou au technétium avait encore sa artificielle ; même si le raisonnement et le cheminement
place parmi les choix possibles selon les recommandations, diagnostique proposés sont fondés sur les données médico-
anciennes, de l’Andem. [61] scientifiques actuelles et si, a posteriori, l’immense majorité des
Cette recommandation n’a cependant plus lieu d’être dans le patients est effectivement prise en charge selon ces principes.
cas général si l’on veut bien considérer que dans les pays
d’apport iodés modérés, voire de carence relative comme la Nodules avec TSHus basse
France, la prévalence des nodules hypofixants parmi les nodules
thyroïdiens est de 80-90 % et que, parmi ces lésions hypofixan- Confirmation d’un fonctionnement thyroïdien
tes, au plus 8-25 % sont malignes. [9] De ce fait, la performance excessif et de son origine
diagnostique de la scintigraphie est faible car sa sensibilité
excellente s’exerce au profit d’une piètre spécificité (environ Comme indiqué plus haut, une scintigraphie sera l’étape
10 %). diagnostique suivante.
Cependant, la scintigraphie, surtout à l’123I, garde toute sa Les éléments d’anamnèse et les paramètres biologiques
place lorsqu’une TSH basse a identifié une situation d’hyperthy- permettront d’identifier l’étiologie de l’hyperthyroïdie.
roïdie et notamment lorsque la thyroïde est multinodulaire. De La probabilité de cancer intranodulaire dans les nodules
ce fait, les nodules hyperfixants seront correctement identifiés. hyperfonctionnels est classiquement décrite comme faible.
Cependant, l’histologie de ces nodules révèle un cancer dans 2,5
Scintigraphie de seconde intention à 8,3 % des cas. [141] La plupart de ces cancers sont des MCP
peu invasifs. [142, 143] Un pourcentage comparable de cancer est
La place de cet examen est sans doute injustement reconnue. observé dans les séries récentes de maladies de Basedow opé-
En effet, son utilisation secondaire dans les cas pour lesquels la rées. [144] Dans ce cadre, tous ne sont pas des MCP, certains sont
cytoponction a rendu un résultat dit douteux ou à deux reprises des nodules cliniquement palpables, et il semble que la diffu-
non contributif peut se justifier. [3, 9] En effet, la constatation sion et l’agressivité des lésions y soient plus importantes ; peut-
d’une captation viendra quasiment innocenter ces nodules, si être en raison d’une stimulation de leur croissance par les
toutefois ils ont une taille d’au moins 1 cm. C’est dans ce anticorps antirécepteurs de la TSH.
contexte que la scintigraphie au thallium 201 (201Th) pourrait Dans ce contexte hyperfonctionnel, une cytoponction pourra
avoir son intérêt puisque le critère composite suivant : hypo- ainsi être proposée pour les nodules dits pertinents selon leurs
fixant en 123I ou en 99mTc et fixant en 201Th semble avoir caractéristiques échographiques (Tableau 6) : la cytoponction
d’excellentes sensibilité et spécificité [3, 134, 135] pour identifier sera idéalement pratiquée lorsque le nodule aura vu son
les nodules cancéreux. fonctionnement ralenti par un antithyroïdien afin d’éviter les
pièges de la cytologie des lésions hyperfonctionnelles.
Tomodensitométrie et imagerie par résonance
magnétique Prise en charge en cas d’hyperthyroïdie
infraclinique
Dans le cas général, ces deux techniques n’apportent rien par
rapport à l’échographie pour l’analyse d’une thyroïde en bonne Il s’agit d’une indication thérapeutique non consensuelle, qui
place. Dans les carcinomes anaplasiques, elles permettent une ne sera pas développée ici. Rappelons seulement la balance à
meilleure analyse des rapports entre la masse palpée et les faire entre l’évolution, souvent très lente, vers une forme
organes de voisinage. Surtout, ces techniques sont essentielles patente et l’impact nocif de l’excès, même inconstant, en
pour apprécier l’étendue, le volume, et les rapports anatomiques hormones thyroïdiennes, en particulier sur le plan cardiovascu-
des thyroïdes à développement endothoracique. [136] laire. Un inventaire précis pour chaque patient des autres
La TDM et l’IRM sont d’un intérêt équivalent pour l’étude de facteurs de risques des maladies cardiovasculaires, et de la
probabilité d’avoir à recourir à des médicaments riches en iode
ces situations. La TDM, pour laquelle il faut bien sûr se garder
ou à des actes de radiologie avec injection de produit de
de toute injection de produit de contraste iodé, est souvent
contraste iodé sera une étape-clé pour argumenter l’indication
l’examen privilégié pour des raisons de disponibilité, de coût et
thérapeutique.
de meilleure définition anatomique.
Ces deux techniques permettent d’évaluer le degré (plus petit
diamètre trachéal dans les deux plans en coupe transversale) et
Prise en charge initiale en cas d’hyperthyroïdie
le siège d’une compression de la trachée. Cependant ce paramè-
avérée
tre est assez mal corrélé à l’existence ou à l’absence d’une Lorsque l’hyperthyroxinémie est importante ou mal tolérée,
symptomatologie respiratoire ainsi qu’aux paramètres spiromé- la mise en route d’un traitement par antithyroïdien sera
triques. [9, 137] proposée comme préparation au traitement radical, qu’il s’agisse
Enfin, ces techniques font partie avec la radiologie conven- de 131I ou d’une exérèse chirurgicale. Celle-ci sera, pour la
tionnelle des possibilités d’inventaire de la diffusion des lésions plupart des équipes, une thyroïdectomie totale s’il s’agit d’une
en cas de métastase synchrone d’un cancer de la thyroïde. pathologie multinodulaire diffuse où, bien souvent, coexistent
des lésions hyper- et hypofixantes. [9]
PET-Scan
Nodules avec calcitonine élevée
L’augmentation du métabolisme du glucose dans une tumeur
maligne thyroïdienne, comme cela a été récemment démon-
tré, [138] explique que la captation du fluorodéoxyglucose (FDG)
Confirmer et préciser l’excès de calcitonine
puisse être mise en évidence par la technique du PET-scan, L’élévation de la calcitonine sera confirmée sur un second
identifiant ainsi les tumeurs malignes. [139, 140] prélèvement. Ce paramètre sera ensuite discuté en prenant en

Endocrinologie-Nutrition 11
10-009-A-10 ¶ Nodules du corps thyroïde

Calcitonine > 10 pg ml-1 Nodule thyroïdien palpable TSH < 0,05 mUI l-1

TSH, T4-libre
Échographie
Évaluation clinique - TSH - Calcitonine Scintigraphie
Cytoponction/échographie
Test à la pentagastrine
Signes de suspicion
Oui en échographie
Échographie
CMT probable
Doute sur CMT
ou certain
Non
Cytoponction Cytoponction échoguidée
Bilan Ca++ - PTH Surveillance
Méthoxylés plasma
Information patient Prise en charge
de l'hyperthyroïdie
Malin Douteux Bénin Non contributif
Chirurgie
spécialisée
Suspicion clinique ou échographique Suspicion clinique ou échographique

2e cytoponction
Oui Non Non Oui
rapprochée

Scintigraphie 2e cytoponction
131I/99mTc échoguidée après 1 an
Information patient
CsORL – Ca++

Hypofixant Isofixant Isofixant Volume similaire


cytologie bénigne

Chirurgie Hyperfixant Scintigraphie 201TI Cytologie maligne


ou douteuse Surveillance

Figure 1. Arbre décisionnel. Proposition de prise en charge pour un nodule thyroïdien palpable. CMT : carcinome médullaire de la thyroïde ; TSH : thyroid
stimulating hormone ; UI : unité internationale ; PTH : parathormone.

Tableau 7. stimulé dépasse 200 pg ml–1. [71, 73] Il devra être analysé avec le
Causes des hypercalcitoninémies. reste des données cliniques, d’imagerie et de cytologie lorsque
Carcinome médullaire de la thyroïde le taux stimulé sera compris entre 35 et 200 pg ml–1. Dans ce
dernier cas, il peut s’agir aussi bien d’un micro-CMT, que d’une
Micro- et macrocarcinome médullaire thyroïdien
hyperplasie à cellule C (que celle-ci soit : une phase prétumorale
Hyperplasie à cellule C prénéoplasique
d’un futur CMT, une forme satellite d’un cancer papillaire ou
Hyperplasies à cellules C de voisinage d’une thyroïdite, ou simplement physiologique).
Thyroïdite chronique lymphocytaire auto-immune (Hashimoto)
Cancer thyroïdien différencié (papillaire surtout) Situations simples
Adénome vésiculaire Lorsque le taux stimulé dépasse 200 pg ml–1, la suspicion de
Autres tumeurs sécrétant de la calcitonine CMT est confirmée et une intervention par un chirurgien
Tumeurs neuroendocrines (essentiellement issues de l’intestin antérieur habitué à cette chirurgie thyroïdienne particulière doit être
primitif) programmée. Le patient sera informé de l’étendue du geste
Phéochromocytome opératoire et des particularités du suivi de cette affection. Au
Cancers de la prostate, du sein, du poumon préalable, a fortiori chez un sujet de moins de 50 ans, il
conviendra de rechercher une FMTC ou une NEM-2 par un
Hypercalcitoninémies fonctionnnelles
examen clinique approprié, un triplet calcium-phosphore-PTH
Hypercalcémies (toutes étiologies) dans le plasma et un dosage des dérivés méthoxylés des
Gastrinome catécholamines (dans les urines de 24 heures ou dans le
Hypergastrinémies non tumorales (IPP, anémie de Biermer, gastrite plasma).
atrophique)
Insuffisance rénale Cas difficiles
Pseudohypoparathyroïdie Ia
Lorsque le taux de calcitonine basal est inférieur à 50 pg ml–1
Sujets infectés (sécrétion de procalcitonine) et le taux stimulé inférieur à 200 pg ml–1, il peut être délicat,
IPP : Inhibiteur de la pompe à protons. voire abusif, d’indiquer une thyroïdectomie totale. Il convient
de prendre en compte dans la décision thérapeutique :
• le caractère plurinodulaire et bilatéral éventuel de la patholo-
compte les autres causes d’hypercalcitoninémies (Tableau 7). Un gie nodulaire ;
test à la pentagastrine sera réalisé, il permettra notamment • la cytoponction et le dosage de calcitonine dans le liquide de
d’écarter les cas où la calcitonine n’est pas stimulable : tumeurs ponction concernant le(les) nodule(s) suspect(s) ;
neuroendocrines non thyroïdiennes sécrétant de la calcitonine. • la recherche d’une mutation germinale de RET, qui n’aura de
Il confirmera la suspicion diagnostique de CMT si le taux valeur que si elle est positive (environ 15 %) ;

12 Endocrinologie-Nutrition
Nodules du corps thyroïde ¶ 10-009-A-10

• le fait que ces bornes de calcitonine mettent à l’abri d’une Nodules ni compressifs ni sécrétants
forme supracentimétrique de CMT [72] autorise une sur-
veillance du test à la pentagastrine chez les sujets dont le Indication d’un abord chirurgical
gène RET n’est pas muté ;
Indication opératoire dépendant de(s) nodule(s) et du patient
• les souhaits du patient après qu’il a été objectivement
informé. Les indications qui relèvent du patient sont le fait d’une
inquiétude extrême malgré un risque de malignité très faible à
Nodules avec symptomatologie compressive l’issue de l’évaluation diagnostique ou d’une impossibilité de
suivi dans un contexte à risque (formes familiales de CPT,
antécédents d’irradiation).
Confirmation et précision du syndrome
Les indications qui relèvent de(s) nodule(s) sont le fait d’une :
compressif • suspicion clinique forte : nodule dur et fixé, sujet jeune et
Une imagerie par TDM non injecté ou par IRM précisera le antécédent d’irradiation, nodule de croissance régulière,
volume et les rapports anatomiques de la thyroïde dans le cou signes de compression... ;
et le médiastin. Une évaluation clinique par un oto-rhino- • cytologie maligne ;
laryngologue (ORL) (laryngoscopie) et un pneumologue, ainsi • cytologie douteuse et signes de suspicion échographiques ou
que des épreuves fonctionnelles respiratoires (EFR) détermine- hypofixants pour le 131I, ou encore hyperfixants en 201Tl ;
ront l’état de la filière aérienne et le retentissement de la • cytologie non contributive à deux reprises et signes de
compression. Une fibroscopie œsophagienne sera plus rarement suspicion échographiques ou hypofixants pour le 131I, ou
indiquée. L’avis d’un cardiologue et du médecin anesthésiste encore hyperfixants en 201Th ;
sera demandé pour évaluer les conditions d’opérabilité. • adénopathie prévalente, métastase synchrone.
Cette sélection des indications, surtout grâce à l’usage de la
Possibilités de prise en charge et indication cytoponction, doit tendre à opérer tous les cancers et à opérer le moins
de tumeurs bénignes possibles. La lobo-isthmectomie exploratrice
Chirurgie
devant un nodule hypofixant conduisait à un diagnostic de
Que la compression soit le fait d’un nodule ou de l’ensemble cancer dans 7,6 % des cas. [152] Dans notre centre, une sélection
du corps thyroïde, une indication chirurgicale doit être envisa- par l’échographie amenait ce chiffre à 13 % des cas [153] et plus
gée. La cytoponction des lésions pertinentes permettra, dans récemment, la pratique de la cytoponction augmentait ce
certains cas, de faire suspecter une forme peu différenciée ou pourcentage à 23 % (Guevarra N, L’indication opératoire en
anaplasique de cancer et donc de préciser le délai avant pathologie nodulaire thyroïdienne. Les apports de la médecine fondée
l’intervention et de prévoir les traitements complémentaires. La sur le niveau de preuve, thèse de doctorat en médecine. Nice ;
plupart des goitres endothoraciques peuvent être réséqués par 2003 : 120 p.).
une voie cervicale transverse. Plus rarement, une médiastino-
scopie ou une thoracotomie seront nécessaires. [145, 146] Dans ce Étendue de l’exérèse
cadre, il semble raisonnable de réaliser une thyroïdectomie Pour les thyroïdes multinodulaires. Bien qu’il n’y ait pas de
totale de façon à prendre en charge à la fois le risque compressif consensus établi, il semble raisonnable lorsqu’une indication est
et le risque nodulaire et de se mettre à l’abri du risque de posée de proposer un geste bilatéral et complet d’emblée. [154,
récidive, [147] avec un surplus de risque chirurgical lors d’une 155] Ce n’est que lorsque la dystrophie nodulaire est quasi

seconde intervention. Cette approche maximaliste, à condition unilatérale avec un nodule controlatéral infracentrimétrique,
d’être le fait d’un chirurgien entraîné, ne conduit pas à un souple et antérieur que l’on pourra proposer, si l’histologie
risque récurrentiel ou parathyroïdien supplémentaire par ex-temporanée du nodule suspect est négative, une lobo-
rapport à une thyroïdectomie partielle. [148-150] isthmectomie associée à une énucléorésection de ce nodule
controlatéral. Laisser en place un lobe multinodulaire se soldera
Traitement par l’iode 131 [9]
à terme par de nouvelles interrogations ou inquiétudes, de
Un âge très avancé, un état précaire (notamment cardiaque) nouveaux examens diagnostiques et bien souvent par une
contre-indiquant la chirurgie, un refus obstiné du patient à chirurgie de totalisation quelques années plus tard. [156]
envisager une intervention et, pour certaines équipes, un goitre Pour les nodules uniques. La plupart des chirurgiens opte-
de volume modéré, peu hétérogène et avec des nodules non ront pour une lobo-isthmectomie avec examen histologique
suspects et innocentés par cytoponction, peuvent conduire à extemporanée. Ce n’est que lorsque la suspicion de cancer est
préférer une irradiation par 131 I. La réduction de volume très forte ou certaine (cytologie en faveur d’une tumeur peu ou
obtenue est très variable d’un cas à l’autre, 30-40 % en indifférenciée, CMT avec une calcitonine basale ou stimulée très
moyenne. La réponse est fonction du statut iodé, du volume du élevée, adénopathie ou métastase synchrone), que le geste sera
goitre, et du type de nodule. Ces résultats sont obtenus avec des complet d’emblée. La totalisation dans le même temps opéra-
doses ablatives de 131I, ce qui impose une hospitalisation en toire ou dans un second temps dépendra, respectivement, du
chambre protégée. L’usage de TSH recombinante pour optimiser résultat de l’histologie extemporanée ou de celui de l’examen
ce traitement (réduction de la dose, meilleure efficacité en histologique définitif.
« forçant » la captation par les zones peu fixantes initialement) L’indication d’un curage ganglionnaire médiastino-
semble prometteur. [151] L’effet se dessine dans les 3 mois récurrentiel ou jugulocarotidien dépasse le cadre de ce chapitre.
postirradiation. Une répétition des doses est possible mais avec
un délai suffisant pour éviter un « stunning effect ». L’impact sur Période pré- et postopératoire
la compression des voies aériennes et sur ses conséquences
Période préopératoire
fonctionnelles est bien documenté ; il est parfois précocement
masqué par une aggravation postirradiation qui explique qu’une Il semble exclu qu’un patient soit opéré sans que les condi-
corticothérapie préventive soit volontiers prescrite. Le risque à tions suivantes aient été obtenues :
long terme de cette approche est mal évalué en termes de • évaluation par un médecin ORL du fonctionnement des
récidive, il semble faible en matière de cancer radio-induit. cordes vocales ;
Dans ces deux approches, une hyperthyroïdie franche fera • vérification de la normalité du taux de calcitonine et de
indiquer un traitement préthérapeutique par antithyroïdiens et calcium ;
la reprise de ce traitement en postirradiation pour éviter une • information du patient sur les diverses possibilités d’exérèse
flambée de thyroïdite radique. en fonction du résultat de l’examen histologique

Endocrinologie-Nutrition 13
10-009-A-10 ¶ Nodules du corps thyroïde

extemporanée, d’un possible revirement diagnostique selon • la prévention de l’aggravation de la dystrophie nodulaire du
les résultats de l’histologie définitive et d’une seconde parenchyme en apparence sain est un apport démontré de ce
intervention pour totalisation, le cas échéant. traitement ;
• le degré de freinage de la TSH nécessaire pour observer un
Période postopératoire effet est probablement proche ou similaire de celui qui définit
Gestion du risque d’hypocalcémie postopératoire précoce. l’hyperthyroïdie infraclinique. De ce fait, les freinages « a
Ce risque est fréquent (10-40 %) et il est bien connu des minima », même s’ils sont sans danger, sont surtout sans
effet, et les freinages utiles pourraient, à la longue, avoir un
chirurgiens de la thyroïde. [157-159] Il justifie une surveillance de
impact négatif sur l’os, le risque cardiovasculaire et la
la calcémie dès le lendemain de l’intervention et des mesures de
longévité, comme cela a été démontré chez les sujets en
correction qui peuvent aller jusqu’à une recharge en calcium
hyperthyroïdie infraclinique. Leur usage chez les plus de
par voie veineuse. 55-60 ans n’est donc pas conseillé, de même que chez les
Que faire en matière de traitement hormonal après une sujets n’ayant pas encore atteint leur pic de masse osseuse ;
intervention ? L’indication est évidente en cas de thyroïdecto- • ce traitement ne s’applique pas aux situations où la TSH est
mie totale. Si la pathologie est bénigne un traitement par déjà proche de la limite inférieure de la normale, et a fortiori
L-thyroxine per os est commencé le lendemain de l’interven- si la TSH est déjà freinée ;
tion. En cas de pathologie maligne, le choix de traiter tout de • la diminution de volume d’un nodule n’est pas un critère de
suite ou non, et du type de traitement (lévothyroxine ou tri- bénignité, alors qu’une augmentation franche de sa taille le
iodotyronine) est fonction : de la nécessité évidente ou non rend plus suspect et impose une nouvelle évaluation diagnos-
d’un traitement par 131I, des délais pour réaliser cette irradiation tique ;
et des habitudes des équipes. La demi-vie courte de la tri- • la mise en route de ce traitement n’est pas une urgence ;
iodotyronine explique qu’elle puisse être choisie pour cette • ce traitement peut concourir à fidéliser le patient et ainsi à
phase transitoire, car elle permet une réactivité optimale quel optimiser la régularité de la surveillance, notamment pour les
que soit le programme de traitement. 2-3 premières années ;
En cas de thyroïdectomie partielle, les pratiques sont variées, • la durée du traitement n’est pas codifiée.
alors même qu’il ne ressort pas des études publiées un avantage
évident à l’utilisation systématique de lévothyroxine. [9, 47] Quelques cas particuliers
Certains mettent en place systématiquement une substitution
définitive, d’autres jamais et d’autres encore optent pour une Nodules kystiques
substitution transitoire et volontiers partielle de quelques mois La plupart des kystes thyroïdiens sont de petite taille et
qui ne sera poursuivie que s’il existe une forte hérédité de peuvent simplement être surveillés. Certains sont très volumi-
maladie thyroïdienne ou si le sevrage montre une remontée de neux et peuvent être évacués à l’occasion d’une cytoponction
la TSH, ou bien si les anticorps anti-TPO sont positifs. échoguidée. L’analyse du culot de centrifugation du liquide de
La suite de la prise en charge des cancers de la thyroïde ponction permettra de confirmer la nature bénigne de la lésion.
dépasse le cadre de ce chapitre. La récidive après ponction évacuatrice s’observe dans 10-80 %
des cas. [9, 161] Elle est d’autant plus fréquente que le kyste est
Nodules non opérés volumineux et qu’il a été initialement complètement évacué. Il
est ainsi préférable de se contenter d’une évacuation partielle,
Quels sont les nodules qui ne seront pas vérifiés suffisante pour l’analyse cytologique et pour faire disparaître la
histologiquement ? gêne esthétique ou perçue par le patient. Une taille de plus de
Il peut s’agir de nodules pour lesquels les patients refusent 3 cm, l’absence de résultat cytologique favorable (surtout en cas
obstinément une chirurgie. de végétations ou de parois épaissies), la récidive répétée
doivent conduire à une indication chirurgicale. [9, 161] Dans les
Surtout, ce seront les nodules pour lesquels la conclusion de
formes non suspectes et récidivantes, une alternative à la
l’évaluation diagnostique est rassurante. chirurgie pourrait être l’alcoolisation prudente du kyste sous
Ce peut aussi être des nodules pour lesquels la suspicion de contrôle échographique par un opérateur très entraîné. [162, 163]
malignité persiste mais à un faible niveau de risque. Dans ce
cas, la fiabilité de la cytoponction est un critère décisionnel Incidentalomes thyroïdiens [164, 165]
important. [104] Dans ces situations difficiles, la cytoponction ne doit C’est une situation clinique de plus en plus fréquente. La
pas prendre le dessus sur les éléments de suspicion cliniques ou probabilité qu’il s’agisse d’un cancer est plus faible que pour les
échographiques. Il faut se souvenir qu’un effet néfaste de retard lésions non occultes puisqu’une méta-analyse a fait état d’un
au diagnostic dans les cancers, vésiculaires notamment, a pu risque compris entre 0,5 et 13. [164] La même approche clinique,
être démontré. [160] biologique, et échographique que celle utilisée pour un nodule
symptomatique ou cliniquement palpable peut être appliquée.
Quelle place pour les traitements de freination ? Bien qu’il n’y ait pas de consensus, il semble licite de réserver
Le traitement de freination repose sur l’idée qu’une partie au ensuite la pratique d’une cytoponction aux seuls incidentalomes
moins des nodules sont encore, pour leur croissance, sous la qui sont suspects, comme indiqué dans le Tableau 8. [166] La
dépendance, au moins partielle, de la TSH. suite de la prise en charge sera conforme à celle des nodules
La place de cette approche thérapeutique fait encore l’objet non occultes.
de nombreux débats, aucun consensus n’étant clairement Situations où il faut rechercher un nodule thyroïdien
affiché, et les méta-analyses publiées ne sont pas
concordantes. [47-50, 54-56] Les constatations suivantes peuvent La pathologie nodulaire de la thyroïde ne cadre pas avec les
critères proposés par l’OMS pour justifier un dépistage généra-
être néanmoins rappelées :
lisé. [61] Cependant, l’examen clinique de la région thyroïdienne
• tous les nodules ne sont pas répondeurs (30-50 % selon les
doit faire partie d’un examen clinique bien conduit. En
séries) ; l’absence d’anomalie palpatoire de la loge thyroïdienne, il n’est
• les nodules ont d’autant plus de chances de répondre qu’ils pas recommandé de réaliser une échographie. Un dépistage
sont jeunes, peu volumineux, de type colloïde ou avec des échographique ciblé doit être pourtant envisagé dans des
remaniements dégénératifs et qu’ils concernent des patients circonstances particulières comme : métastase osseuse ou
ayant des apports iodés suboptimaux ; adénopathie cervicale prévalentes, élévation du taux de calcito-
• les nodules répondent dans les 6 premiers mois de traite- nine, surveillance d’une irradiation de la région (a fortiori si elle
ment, rendant inutile la poursuite du traitement au-delà de a été réalisée dans l’enfance du sujet), pathologie favorisant la
cette période initiale pour les nodules non répondeurs ; survenue de nodules ou de cancers de la thyroïde (Tableau 2).

14 Endocrinologie-Nutrition
Nodules du corps thyroïde ¶ 10-009-A-10

Tableau 8.
Incidentalomes thyroïdiens suspects.
■ Surveillance à moyen
Antécédents
et à long terme
Familiaux de CDT ou de CMT
Personnel d’irradiation de la région
Personnel ou familial de :
« Philosophie » de la surveillance
• Syndrome de Carney, de Werner
• Polypose colique, maladie de Cowden
Découverte par un 18FDG-PET-scan
Aspects échographiques suspects (même si taille < 1 cm)
Contours mal limités, angulaires ou spiculés
“ Point fort
Hypoéchogène et non liquidien La prise en charge des nodules de la thyroïde constitue un
Microcalcification cas exemplaire de gestion du risque à partager entre le
Vascularisation centrale isolée médecin et le patient. Qu’il s’agisse en effet d’évaluer le
Adénopathie cervicale suspecte risque d’évolutivité d’un nodule de la thyroïde,
Biologie indicative d’apparition de nouveaux nodules ou de l’accentuation
d’un dysfonctionnement thyroïdien, la situation relève de
Calcitonine élevée
l’appréciation et de la gestion d’une part d’incertain.
Thyroglobuline très élevée (> 1 500 µg l–1)
Croissance régulière lors de la surveillance
CDT : Cancer différencié de la thyroïde ; CMT : cancer médullaire de la thyroïde ;
FDG : fluorodésoxyglucose.
Cette notion d’incertitude est particulière par :
• la fréquence de cette situation clinique ;
• le caractère objectivement asymptomatique des lésions dont
Nodules découverts durant une grossesse [167, 168]
il faut surveiller l’évolution ou l’apparition ;
La grossesse constitue un stress pour le fonctionnement de • l’imaginaire et les croyances de santé des patients, et de leur
l’axe thyroïdien et favorise la goitri- et la nodulogenèse. Il en entourage, quant à l’impact de ces lésions sur leur état de
résulte une augmentation attendue de la taille des nodules santé (surtout sur les plans neuropsychologique et pondéral),
préexistants à la grossesse et aussi de l’incidence de nouveaux quant au cancer, et dans certaines régions quant à l’impact de
nodules. L’effet de type TSH de la human chorionic gonadotrophin la catastrophe de Tchernobyl ;
(hCG) d’origine placentaire explique une grande partie de ces • le risque faible mais non nul de faux négatifs de la cytoponc-
constatations. L’attention judicieuse apportée à la glande tion ;
thyroïde des femmes enceintes explique que l’on découvre • ce que l’on sait (voir plus haut) et ce que l’on ne sait pas de
volontiers dans ce contexte une pathologie nodulaire préalable- l’histoire naturelle des nodules et cancers de la thyroïde ;
ment ignorée. L’évaluation diagnostique doit être conforme à • les dispositions légales et les attentes des patients en matière
celle décrite préalablement. La cytoponction n’est pas spéciale- d’information au patient.
ment à risque durant la grossesse et les aspects cytologiques ne Il s’agit donc d’un exercice médical difficile où, malgré ses
sont pas modifiés par l’état gravide. L’histoire naturelle des propres « angoisses », le médecin doit faire preuve de discerne-
cancers de la thyroïde ne semble pas modifiée par la grossesse, ment et d’expérience pour apporter une information objective,
même si quelques publications on fait état d’une prévalence mais adaptée à chaque patient pour le convaincre, sans être
accrue de cancer ou d’une évolutivité particulière. La cytoponc- anxiogène, de la nécessité d’une surveillance morphologique et,
tion d’un nodule découvert en début de grossesse peut faire le cas échéant, fonctionnelle.
indiquer une exérèse, il faudra alors attendre le deuxième
trimestre de la grossesse qui constitue la période la moins Diverses modalités de surveillance
nocive pour une chirurgie. Sauf cas spécialement évolutif,
l’identification plus tardive d’un nodule suspect conduira à Surveillance des dystrophies nodulaires
reporter l’intervention après l’accouchement. dans le cas général
Nodules découverts chez l’enfant Une surveillance progressivement espacée, décidée au cas par
cas, comme l’Andem le recommande, [61] sera organisée. La
L’épidémiologie montre que les nodules sont d’autant plus
sagacité du clinicien lui fera éviter de verser dans une sur-
fréquents que l’âge augmente et que les nodules de l’enfant sont veillance trop lâche (source de « perdus de vue »), ou trop
bien plus volontiers des cancers que chez l’adulte. [61, 169] De ce resserrée, inutile et coûteuse (répétition indue des dosages
fait, une suspicion plus grande sera appliquée aux nodules biologiques, des échographies, voire des scintigraphies). La base
découverts avant l’âge de 20 ans. Néanmoins, la plupart de ces de la surveillance est une réévaluation clinique à 6 mois puis
nodules sont, comme chez l’adulte, des tumeurs bénignes ou tous les ans. Une échographie sera réalisée en cas de modifica-
des hyperplasies nodulaires, [169, 170] ce qui justifie qu’une tion de l’état clinique initial ; elle est pour beaucoup systémati-
démarche diagnostique similaire soit proposée. [171] Une que après 1, 2, 5 et 10 ans de suivi. L’évaluation de la fonction
anesthésie locale des plans superficiels par une crème anesthé- thyroïdienne est l’affaire de cas particuliers. Comme indiqué
siante est souvent proposée avant la cytoponction. Celle-ci est plus haut, une cytoponction de confirmation 1 an après une
de pratique moins courante que chez l’adulte mais ses perfor- première cytoponction étiquetée bénigne est souhaitable. La
mances sont comparables. [172-176] La prévalence accrue du répétition des cytoponctions au-delà de cette confirmation ne
cancer à cet âge justifiera encore plus volontiers que chez semble apporter que très exceptionnellement une modification
l’adulte une intervention en cas de contexte clinique ou de du diagnostic initial. En revanche, toute modification notable
caractéristiques échographiques suspectes, ainsi que si la de la taille ou de l’aspect échographique d’un nodule ainsi
cytologie est douteuse ou, à deux reprises, non contributive. surveillé doit conduire à une réévaluation, notamment par
L’abstention chirurgicale ne sera proposée que si une véritable cytoponction. De la même façon, l’apparition d’un nouveau
surveillance peut être obtenue, y compris avec une ponction de nodule fera l’objet d’une surveillance attentive avec cytoponc-
confirmation 6 mois à 1 an plus tard. Le traitement freinateur tion s’il devient « pertinent », [177, 178] selon les critères proposés
ne peut être conseillé pour cette classe d’âge. dans le Tableau 6.

Endocrinologie-Nutrition 15
10-009-A-10 ¶ Nodules du corps thyroïde

Cas particuliers autonomes très bruyants, syndrome compressif alarmant). Le


cas général correspond à l’identification d’une dystrophie
Suivi du « lobe restant » après lobo-isthmectomie
nodulaire thyroïdienne, souvent déjà plurinodulaire ou qui le
pour un nodule finalement bénin deviendra avec le temps. En effet, ces formations sont, dans
La pratique des thyroïdectomies totales pour les pathologies l’immense majorité des cas, des lésions bénignes, non compres-
plurinodulaires, même si elles dominent sur un lobe, explique sives, non autonomes et lentement évolutives. Une faible
que cette situation va concerner uniquement des lobes macro- proportion correspond à divers types de cancers. L’appréciation
scopiquement sains lors de la chirurgie et indemnes de nodules de ce risque de cancer est à la portée du clinicien qui fera la
en échographie. C’est pourquoi il paraît licite de ne proposer synthèse des données cliniques, échographiques, biologiques et
dans ces cas très particuliers qu’une surveillance allégée avec un cytologiques. Cette synthèse doit conduire, pour la plupart des
examen clinique annuel et une échographie à 5 et 10 ans. nodules, à une surveillance raisonnée. La chirurgie et l’examen
Suivi des dystrophies nodulaires avec TSH « bloquée » histologique lèveront tous les doutes lorsque l’appréciation du
ou basse risque est trop incertaine ou que la malignité est attendue. La
juste application des avancées de la recherche et des progrès
La surveillance a pour objectif de dépister une aggravation du
technologiques devrait affiner l’appréciation du risque et
caractère hyperfonctionnel de la dystrophie et de prévenir une
diminuer encore le nombre de patients atteints d’une dystro-
éventuelle iatrogénie. On peut ainsi proposer un suivi des taux
phie bénigne qui ne méritent pas l’exérèse qui leur est actuel-
de TSH et de T4-libre 6 mois et 12 mois après la découverte de
lement proposée. À terme, des thérapeutiques non chirurgicales
cette TSH basse, puis chaque année ; avec à chaque fois une
nouvelle évaluation clinique du patient. Le risque d’alimenter seront peut-être proposées. [163, 180]
l’hyperfonctionnement par un apport d’iode est réel. Cela
explique que ces patients doivent bénéficier d’une surveillance
appropriée en cas d’indication de médicaments fortement iodés
comme l’amiodarone. Une surveillance particulière est aussi
indiquée en cas d’utilisation de produits de contraste iodés
(surtout en cas d’apports massifs ou répétés). Dans ce cadre, il
est possible de diminuer le risque d’hyperthyroïdie iodo-induite
en administrant du perchlorate de potassium, éventuellement
associé à du carbimazole, de façon préventive. [179] Un traite-
ment radical (chirurgie ou 131I) peut également être envisagé si
un usage répété de produits de contraste iodés est quasi certain
et que l’état général ou cardiaque du patient laisse présager une
mauvaise tolérance si une hyperthyréose franche survenait.
Suivi des dystrophies nodulaires avec ambiance
auto-immune
La problématique peut être d’emblée celle d’une hypothyroï-
die infraclinique ou peut le devenir à l’occasion de la sur-
veillance annuelle du taux de TSH qu’il est licite de proposer.
Indications d’une intervention thérapeutique
lors de la surveillance
Certaines semblent irrationnelles
La lassitude du patient ou parfois du médecin à tolérer cette
part d’incertitude apparaît parfois dans les séries chirurgicales
comme la raison invoquée à l’indication d’exérèse. Ailleurs, c’est
un lien potentiel entre des symptômes peu spécifiques et une
TSH à peine élevée qui feront débuter un traitement par
lévothyroxine.
Bon nombre de ces décisions surviennent à l’occasion de la
consultation d’un nouveau médecin qui n’avait pas toujours en
main la totalité des éléments de l’évaluation initiale ou du suivi,
ce qui renforce l’intérêt de remettre au patient ses résultats et
une note de synthèse à chaque étape essentielle de décision.
D’autres sont rationnelles
Elles sont motivées par :
• une authentique symptomatologie compressive ;
• des éléments cliniques et/ou biologiques attestant d’une
dysfonction thyroïdienne avérée ;
• des modifications cliniques ou échographiques (volume accru
de 30 % au moins, modification des contours ou de l’écho-
génicité, apparition d’adénopathies suspectes) justifiant la
pratique d’une nouvelle cytoponction dont les résultats
n’auront pas été rassurants ;
• l’apparition d’un nouveau nodule ayant des caractéristiques
pertinentes et dont l’évaluation conduit à une suspicion de
cancer.

■ Conclusion
La problématique des nodules du corps thyroïde est une
situation clinique fréquente qui ne réclame qu’exceptionnelle-
ment des décisions urgentes (cancer anaplasique, nodules

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