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SÉQUENCE 1

ÉTAPE 2 : LA LEÇON

Partie A - Comment l’éducation peut-elle aider à devenir


soi ?

Introduction
La recherche de soi, c’est-à-dire la quête d’identité, qui va être un des enjeux majeurs de la période
moderne, passe nécessairement par la question de l’éducation. Bien avant l’époque romantique, le siècle
des Lumières posa cette question au centre de sa réflexion philosophique : comment aider l’homme à
s’accomplir, à devenir meilleur et à être libre ? Comment l’aider à se réaliser ? La figure de l’enfant et
celle de l’adolescent à sa suite s’imposent alors comme paradigme de cette question de la formation du
moi à travers l’éducation qui mènera à l’émancipation.
En effet, pour les philosophes des Lumières, il ne saurait y avoir d’émancipation sans accès au savoir.
On se rappelle bien sûr la fameuse réponse de Kant dans Qu’est-ce que les Lumières : « Qu’est-ce que
les lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité, dont il est lui-même responsable…. puisque la cause
[de sa minorité] en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de
courage de s’en servir sans la direction d’autrui »1 . Kant associe ici de façon fondatrice pour les siècles
qui suivront l’éducation et l’émancipation, c’est-à-dire la capacité d’un individu à penser par lui-même,
à s’affranchir des tutelles, qu’elles soient religieuse, familiale ou magistrale. Cette sortie de la minorité,
l’affranchissement d’un sujet par rapport aux maîtres à penser, est, selon les Lumières la seule voie
possible pour accéder au statut de sujet, y compris sur le plan politique. Accéder au savoir, de quelque
façon que ce soit, est la seule façon de s’affranchir et de devenir libre, au sens politique du terme. Penser,
s’interroger sur le monde, c’est aussi être un citoyen. On voit ainsi se dessiner les enjeux de l’association
de ces trois termes et celle-ci devra être pour nous le fil rouge de cette séquence : l’éducation doit mener
à la liberté. C’est pourquoi, depuis les Lumières, la littérature, la philosophie et les arts vont reprendre
à leur compte cette question en montrant quelles voies peut emprunter un individu pour devenir un
sujet, libre de penser, d’agir, de gouverner et de se gouverner. La question politique est donc intimement
associée à la question de l’éducation. Et nous l’allons montrer dans les pages suivantes.
Initiée au XVIIIe siècle, cette réflexion sur une éducation émancipatrice va traverser le XIXe siècle,
principalement dans la production romanesque chez Stendhal, Hugo et Balzac en nous montrant
l’ascension de héros et les conflits sociaux et politiques qui entravent l’accomplissement de leurs vœux.
Le roman d’ascension est un des genres du romantisme : le héros romantique cherche à s’affranchir
de sa famille, de son milieu, de la société entière pour se réaliser ; il croise des figures auxquelles il va
s’identifier, parfois des héros politiques qui donnent un sens au parcours du héros. Nous verrons que la
société, la famille, l’école, loin de prendre en charge la formation des individus, les entravent : les héros
romantiques sont des personnages qui vont se construire seuls CONTRE la société. Leur émancipation,
présentée comme un processus d’auto-transformation et d’auto-formation est l’objet de nombreux récits
à la première personne qu’ils soient autobiographiques ou de fiction.

Reprenons les choses maintenant d’un peu plus haut, c’est-à-dire au siècle des Lumières, pour poser les
fondements de notre réflexion sur l’éducation et l’émancipation.

1  « Qu’est-ce que les lumières » ? (déc. 1784), trad. S. Piobetta, op. cit. p. 83

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1. L’enfant comme paradigme du devenir soi
Puisqu’il est à la fois l’objet et le modèle idéal d’une transformation par l’éducation et l’amour, l’enfant
est l’objet d’observation idéal du travail initié par le siècle des Lumières qui commence à rendre l’enfant
visible sur la scène du monde. L’enfant devient un acteur ou du moins un personnage essentiel de son
éducation.
L’historien Philippe Ariès2 étudie la place de l’enfant dans la famille ainsi que l’évolution des sentiments
à l’intérieur de celle-ci depuis le Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle. Telle est sa thèse : au fur et à mesure
que la mortalité des enfants décroît, la démographie change et les enfants naissent moins nombreux. Les
parents les investissent alors davantage affectivement et prennent de plus en plus en compte la nécessité
de leur assurer un bon avenir en les éduquant. L’idée-même de l’enfant comme personne à part entière,
demandant une attention et des soins, est donc associée à une réflexion sur les besoins d’une éducation
spécifique, conforme à la nature de l’enfant qui est de moins en moins considéré comme un adulte en
miniature.
On peut d’ailleurs constater cette évolution dans la peinture occidentale de la fin du XVIIIe siècle : l’enfant
y apparaît comme un sujet à part entière, souvent mis en scène dans des postures d’apprentissage aux
côtés des parents. Ces préoccupations sont l’apanage des classes aisées et ne concernent ni les paysans
ni les ouvriers : il faudra attendre en France les lois Jules Ferry (1881-1882) pour que les plus pauvres
puissent avoir accès à l’enseignement primaire obligatoire. Voici une toile de la portraitiste Elisabeth
Vigée Le Brun (1755-1842) montrant la reine Marie-Antoinette entourée de ses enfants : la reine devient
ici un modèle d’amour maternel, qui est une « invention » culturelle récente.

Figure 1. Marie-Antoinette avec ses enfants, Elizabeth Vigée Le Brun,


1787, Château de Versailles

Activité :
Lecture et analyse de documents-images.

Comme le montre cette scène, la peinture de la


e
fin du XVIII siècle met volontiers en scène l’enfant
et sa famille –y compris au plus haut sommet de
l’État. Ce sont des scènes d’intimité, marquées
par la tendresse des liens de filiation, ce qui est
également assez nouveau. Le cadre resserré
rapproche les parents et les enfants et permet de
rendre visible le lien qui les unit. Le lien éducatif est
alors renforcé par le lien filial. Lorsque l’enfant est
seul sur la toile, l’art du portrait est une façon de
marquer que l’enfant accède au statut de « sujet ».
Les toiles de Girodet (1767-1824) que nous vous
proposons ici sont l’occasion d’interroger le rôle
que tient l’instruction dans la vie des enfants au
début du XIXe siècle et d’illustrer la vision qu’en
propose l’artiste.

2  P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime, Points Seuil, 1960.

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Observez les deux tableaux ci-dessous puis, au brouillon, répondez aux questions en vous aidant des liens
proposés accompagnant les images.

Figure 2. La leçon de géographie, Anne-Louis Girodet, Musée Girodet, 1803

Image non libre de droits

Pour accéder au tableau ainsi qu’à des infor-


mations sur le peintre et cette œuvre, cliquez
sur ce lien :
http://www.musee-girodet.fr/benoit-
agnes-trioson-regardant-des#:~:text=En%20
1800%2C%20Girodet%20peint%20
un,unique%20du%20docteur%2C%20
en%201804

Image 1 Image 2
Anne-Louis Girodet Portrait du Docteur Trioson Anne-Louis Girodet Benoît Agnès Trioson regardant
donnant une leçon de géographie à son fils (1803) des figures dans un livre (1797)
Pour accéder à des informations sur cette œuvre,
cliquez sur ce lien :
https://webmuseo.com/ws/musee-girodet/app/
collection/record/82?vc=ePkH4LF7w6yelGA1CLiiIj
6B6OMJIwAC2iNb

1) Décrivez les deux scènes en vous concentrant sur le thème de l’éducation et de la transmission. Vous
réfléchirez notamment au rôle des objets présents dans les deux œuvres. Quels principes d’éducation
suivent les deux scènes ? Montrez les ressemblances et les différences entre les deux toiles. Reportez-
vous aux pages web du Musée Girodet proposés en lien ci-dessus.

2) Répondent-elles aux principes prônés par Rousseau dans l’extrait de L’Émile que nous avons lu et
analysé dans l’introduction ? Donnez des réponses distinctes et nuancées pour les deux tableaux.

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Éléments de réponse à comparer avec vos réponses au brouillon :

1) Description des œuvres

A. La Leçon de géographie
Ce tableau est une excellente illustration de notre problématique qui associe l’éducation et la
transmission : le sujet du tableau est précisément la fusion de l’éducation et de l’amour par la
transmission du savoir. En effet, le Docteur Trioson et son fils sont très proches : leurs mains qui
s’entremêlent au-dessus du globe et le regard paternel posé tendrement sur le visage de l’enfant
prouvent la tendre sollicitude du père. Le globe terrestre, situé au centre du tableau, est l’objet qui unit
le père et l’enfant : c’est donc bien la leçon de géographie qui est le sujet du tableau, ici étroitement
associée à l’amour entre le père et le fils. L’index du père pointé sur le globe montre l’intention
pédagogique et l’index du fils indique la transmission de la leçon.
On notera également la présence du livre fermé à côté du globe : l’éducation livresque est certes le
fondement du savoir, puisque la main du fils repose sur le livre, mais celle-ci ne saurait suffire et doit
faire place à l’observation directe d’objets d’étude. La présence de la grappe de raisin posée au premier
plan sur la table est à cet égard significative : il s’agit de rappeler que l’observation des objets de la nature
(ce que l’on appellera plus tard la « leçon de choses ») est fondamentale dans la construction du savoir à
l’époque des Lumières .
3

Cependant ce même motif de la grappe de raisin peut fournir une autre entrée, spirituelle cette fois, au
tableau. En effet, notamment dans la nature morte au XVIe et XVIIe siècle, le raisin est traditionnellement
un symbole associé au Christ et signifie – par l’intermédiaire de l’Eucharistie4 – le pouvoir de
rédemption de Jésus. Cette valeur symbolique renvoie, en retour, au globe terrestre qui est associé,
dans l’iconographie chrétienne, au pouvoir universel du Christ sur le monde. Il ne s’agit certes pas de
tirer de ces deux éléments symboliques le propos essentiel du tableau, mais ils ne sont sans doute pas
anodins : façon pour Girodet d’inscrire la scène dans une dimension discrètement spirituelle et donc
d’associer l’éducation intellectuelle à l’éducation morale. Le globe et le raisin sont d’ailleurs des motifs
qui appartiennent à l’iconographie traditionnelle des « vanités », ces peintures à thème moral rappelant
la fugacité de la vie.
Un dernier objet attire notre attention : que signifie la présence du buste d’Hippocrate représenté à
l’arrière-plan dans l’ombre ? Le père étant médecin, Hippocrate représente le modèle du savoir antique
qui a été légué à la science médicale. Mais le docteur est tourné vers l’enfant, donc vers l’avenir, le
progrès, et c’est grâce à la transmission de valeurs que celui-ci va s’épanouir. De même, le livre sur
lequel s’appuie la main du jeune Benoît- Agnès est le récit autobiographique de la conquête des Gaules
par César. Ouvrage antique représentant la transmission du savoir classique mais aussi modèle de
réalisation de soi par la conquête militaire, ce qui peut être une discrète allusion du peintre aux récentes
campagnes victorieuses du général Bonaparte, qui, en 1803, peut servir de modèle au jeune enfant.

B. Benoît Agnès Trioson regardant des figures dans un livre (1797)


Girodet faisait partie du cercle intime du docteur Trioson et prit deux fois le fils de celui-ci pour modèle.
Ce second tableau met en scène le même enfant que le premier, seul cette fois et, contrairement à la
toile précédente, le personnage regarde frontalement le spectateur et n’est pas accaparé par l’étude –
contrairement à ce qu’énonce le titre de l’œuvre. L’enfant est plus jeune, comme le montrent la longue
chevelure laissée en liberté et le rose juvénile des joues. Si nous avons bien affaire à un portrait, les
objets y jouent à nouveau un rôle essentiel et complexifient le propos : le livre, de proportions généreuses,
occupe certes une grande place et, comme dans la toile précédente, l’enfant s’y appuie. Mais d’autres
objets pourraient bien distraire son attention : le petit bilboquet qui sort de sa poche ainsi que les cartes à
jouer visibles dans le tiroir sont sans doute plus propres à attirer le jeune enfant.

3  On pense aux naturalistes des Lumières comme Linné ou Lamarck.


4  L’Eucharistie est le rituel essentiel de la religion catholique par lequel les fidèles commémorent le sacrifice du Christ. Ils
partagent symboliquement le corps du Christ et s’unissent en lui par la consommation de l’hostie et du vin.

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Le peintre nous livre ainsi non seulement un portrait de cet enfant en particulier mais une analyse
délicate de la psychologie enfantine. Le regard un peu triste de l’enfant posé sur le spectateur semble
nous dire : pourquoi m’obliger à étudier alors que j’ai envie de jouer ? Il ne s’agit donc pas, comme le
voulait la tradition de la nature morte au XVIIe, de donner, grâce aux cartes à jouer, un propos moral à la
toile mais plutôt de donner au spectateur un sujet de réflexion sur la nature-même de l’enfance.

2) Comparons maintenant ces deux tableaux avec les idéaux pédagogiques de l’Émile.
En mettant ainsi en scène une tension psychologique chez l’enfant, Girodet réfléchit au paradoxe de
l’éducation qui veut prendre en compte la nature de l’enfance et lui impose les contraintes de l’éducation.
Le propos du peintre est finalement ambigu : si le livre reste une donnée incontournable pour une
époque aussi avide de connaissances, son usage doit cependant être tempéré par d’autres méthodes
d’apprentissage prenant davantage en compte la nature de l’enfant. Le besoin d’être aimé et le besoin de
jouer sont des éléments indispensables à l’enfant pour s’épanouir, « devenir » soi et grandir.

2. Désir de savoir et désir d’émancipation


Comment s’affranchir de son milieu lorsque l’on vient d’une famille dans laquelle l’accès au livre et au
savoir ne fait pas partie des codes ? Le Rouge et le Noir (1830) du romancier Stendhal relate le parcours
de Julien Sorel, héros en rupture avec son milieu modeste qui connaîtra une ascension puis une chute.

Activité :
Lisez l’extrait suivant puis répondez au brouillon aux questions qui suivent.

Dans cet extrait du chapitre IV, le lecteur fait la connaissance de Julien, au sortir de l’adolescence, au moment
où son père vient lui apprendre que M. de Rênal, le maire du village, souhaite l’engager comme précepteur
de ses enfants. Le tout jeune homme vit déjà dans l’amour des livres et il étudie le latin dans l’espoir d’entrer
dans la carrière ecclésiastique.

« En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit.
Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs
de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur
la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la
voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place
qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur l’une des
pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien
n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux
travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse : il ne
savait pas lire lui-même.
Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre,
bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge,
celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui
soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi
violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze
pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint
de la main gauche comme il tombait.
« Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ?
Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure. »
Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de
la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre
qu’il adorait.

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« Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore Julien d’entendre cet
ordre. Son père qui était descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mécanisme,
alla chercher une longue perche pour abattre des noix, et l’en frappa sur l’épaule. À peine Julien fut-il à
terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. Dieu sait ce qu’il va
me faire ! se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ;
c’était celui de tous qu’il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène5.
[…] C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits
irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles,
annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l’expression de la haine la plus
féroce ».

1) Caractérisez le milieu social auquel appartient le héros. Quelles valeurs dominent ce milieu ? Pourquoi
Julien y apparaît-il comme étranger ?
2) Pourquoi le livre et la lecture cristallisent-ils la haine réciproque du père et du fils ?
3) En vous aidant de l’encadré concernant le Mémorial de Sainte Hélène, expliquez le rôle que joue
l’ouvrage pour Julien. De quoi est-il le symbole entre le père et le fils ?

Éléments de réponse à comparer avec vos réponses au brouillon :


1) Stendhal donne au milieu d’origine de son héros un carac-
tère fruste et brutal en parfaite antithèse avec la délicatesse Le Mémorial de Sainte Hélène
de son héros qui semble un étranger à l’intérieur de sa Cet ouvrage publié en 1822-1823 par
famille. Ses frères « espèces de géants, armés de lourdes M. de Las Cases, est rédigé à la suite
haches » font quasi figure d’hommes préhistoriques ou de d’entretiens avec l’empereur Napoléon
demi-animaux. Ils sont entièrement accaparés par leur tâche I. Il contribuera, pour toute la généra-
–découper du bois - qu’ils accomplissent en déployant une tion des jeunes gens nés avec le siècle,
à faire de Napoléon une figure légen-
force physique quasi surhumaine qui les rend monstrueux.
daire, apportant l’esprit des Lumières
Julien, tout au contraire, apparaît d’emblée comme un être à toute l’Europe. La jeune génération,
raffiné, fragile qui n’a rien à voir avec ce monde fruste et qui croyait dans la révolution de 1830
violent. Il est placé en hauteur, symbole de sa domination et amère du retour à la monarchie, se
intellectuelle et de ses ambitions sociales que le roman va réfugie dans la figure napoléonienne
nous dévoiler. Julien se détourne de la tâche mécanique que qui incarne, pour cette jeunesse, l’esprit
lui a assignée son père. Sa taille mince et son goût pour la d’aventure, de conquête guerrière, bref
lecture le rendent encore plus odieux à ce dernier. Monsieur la rupture avec l’ordre établi, l’ambition
et le besoin de nouveauté propres à
Sorel n’hésite pas, comme ses fils, à utiliser la force et la
l’émancipation. On en voit une illustra-
violence plutôt que le dialogue avec Julien : il le frappe et tion dans le tableau de Gros ci-dessous.
jette par terre ce qu’il chérit le plus, le Mémorial de Sainte- La génération de Stendhal a été très
Hélène. Le héros apparaît donc en rupture totale avec son marquée par ce héros.
milieu.

2) Stendhal place la lecture au cœur des conflits entre le héros et son père : le livre est la matrice de ses
ambitions et l’énergie dans laquelle il puise sa révolte et sa haine. Par son goût de la lecture, Julien
montre à son père ses qualités intellectuelles qui renvoient ce dernier à son impuissance dans ce
domaine (« il ne savait pas lire lui-même »). Le dialogue entre le père et le fils se réduit à des invec-
tives de la part du père qui renvoie au fils son incapacité à obéir aux injonctions paternelles : « pares-
seux », « maudits livres », « Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé », « animal ». Ces
insultes sont la marque de la haine du père pour le savoir et les livres dont il ne peut dissocier ce fils.
D’un côté virilité et force brutale, de l’autre un goût du savoir qui pourrait passer auprès du père pour
un manque de virilité. Le lecteur comprend vite de quel côté penche le cœur du romancier et se range
du côté de l’intelligence.

5  Voir l’encadré ci-dessus

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3) La figure napoléonienne incarne le modèle dont va s’ins- Figure 3. Antoine Gros, Bonaparte au pont
d’Arcole, 1796, Château de Versailles
pirer Julien pour rompre avec son milieu. Le général
Bonaparte est un héros qui s’est forgé tout seul, qui n’a
hérité de rien et qui, par ses qualités propres, va se hisser
jusqu’au plus haut sommet de l’état. Si Julien aspire à se
libérer du joug paternel, la lecture du Mémorial donne aussi
à ce désir d’émancipation une dimension politique.

3. L’enfant oublié : La force du contre-


exemple

L’intitulé de ce troisième point semble à première vue contradic-


toire. Comment, dans un roman dont le titre est L’Enfant et qui
comprend un premier chapitre consacré à la figure maternelle
(Chapitre I « Ma mère »), est-il possible d’affirmer que l’enfant est
oublié ? D’autant qu’à travers le personnage de Jacques Vingtras
– double fictionnel de Jules Vallès – l’enfance est abordée, offrant
la généalogie de celui qui deviendra dans les tomes suivants Le
Bachelier et L’Insurgé. Pourtant, c’est bel et bien une enfance volée
qui se dévoile page après page…

« Ai-je été nourri par ma mère ? » ; voici la première phrase de L’Enfant, question à laquelle le principal
concerné ne peut répondre puisqu’il se place alors en amont de la mémoire infantile. En revanche, de la
violence, l’enfant se souvient : « je n’ai pas été dorloté, tapoté, baisoté ; j’ai été beaucoup fouetté ».
Élevé sous les coups, Jacques grandit donc de manière accélérée, dans cette brutalité, voleuse
d’innocence : « Je suis grand, je vais à l’école ». La juxtaposition de ces deux propositions et l’ordre choisi
sont révélateurs : ce n’est pas l’école qui a fait grandir l’enfant. Mais alors, pour celui qui à dix ans se
considère « déjà grand » (Chapitre II « La Famille »), que lui réserve la suite de son éducation ?

MON MARQUE-PAGE N° 1 – Le chapitre III : « Le collège »

Dans le premier chapitre de L’Enfant, l’« école » n’est évoquée qu’en tant que
bâtiment ; une « belle petite école » dans une « belle rue ». Elle est donc présentée
positivement mais de manière expéditive. En revanche, le passage au « collège »
aura son chapitre.
Dans le chapitre III, le collège du Puy-en-Velay est immédiatement comparé à un
lieu d’incarcération, ce qui le rapproche de la maison familiale qui est, elle, située dans la même rue que
la prison. L’établissement scolaire est touché par la dégradation – « le collège moisit, sue l’ennui et pue
l’encre » – un tel lieu rendant difficile, voire impossible toute émancipation. Cette énumération retrouve
en fin de paragraphe un écho sonore, quand le narrateur s’exclame : « Quelle odeur de vieux ! »
Dans la suite du chapitre, tandis que c’est la figure du père – maître d’études dans ce collège – qui
devient la source des moqueries (cf. B. 1. La figure autoritaire du père-maître : Le patriarcat fragilisé),
deux formes d’apprentissage sont évoquées : la lecture de l’œuvre écrite par le proviseur Hennequin
(cf. Un extrait à épingler) et une démonstration du professeur de philosophie. M. Beliben, pour prouver
l’existence de Dieu, utilise « petits morceaux de bois » et « haricots ». De prime abord, un apprentissage
ludique, adapté à la jeunesse des apprenants. Mais cela devient vite une leçon ridicule qui s’achève
brusquement : les quatre majuscules « C.Q.F.D. » clôturent le chapitre et résonnent avec ironie.

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Un extrait à épingler…

La première évocation d’un apprentissage durant le collège concerne la lecture. La voici :


« Le proviseur s’appelle Hennequin, – envoyé en disgrâce dans ce trou du Puy.
Il a écrit un livre : Les Vacances d’Oscar.
On les donne en prix, et après ce que j’ai entendu dire, ce que j’ai lu à propos des gens qui étaient auteurs, je suis
pris d’une vénération profonde, d’une admiration muette pour l’auteur des Vacances d’Oscar, qui daigne être provi-
seur dans notre petite ville, proviseur de mon père, et qui salue ma mère quand il la rencontre.
J’ai dévoré Les Vacances d’Oscar.
Je vois encore le volume cartonné de vert, d’un vert marbré qui blanchissait sous le pouce et poissait les mains,
avec un dos de peau blanche, s’ouvrant mal, imprimé sur papier à chandelle. Eh bien ! il tombe de ces pages, de ce
malheureux livre, dans mon souvenir, il tombe une impression de fraîcheur chaque fois que j’y songe !
Il y a une histoire de pêche que je n’ai point oubliée.
Un grand filet luit au soleil, les gouttes d’eau roulent comme des perles, les poissons frétillent dans les mailles,
deux pêcheurs sont dans l’eau jusqu’à la ceinture, c’est le frisson de la rivière.
Il avait su, cet Hennequin, ce proviseur dégommé, ce chantre du petit Oscar, traîner ce grand filet le long d’une page
et faire passer cette rivière dans un coin du chapitre… »

À vous de pêcher les références !

Activité :
Au brouillon, à partir de votre lecture du texte et de votre observation du tableau ci-dessous, vous
répondrez aux questions qui suivent en vous efforçant d’être le plus précis possible.

… et un tableau à admirer !

Figure 4.« La Pêche miraculeuse », Jean Jouvenet (1706), Musée du Louvre.

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1) En quoi le narrateur présente-t-il la lecture des Vacances d’Oscar comme un événement miraculeux ?
2) En quoi le personnage de Hennequin peut-il être vu comme un guide ?
3) La pêche miraculeuse est un épisode de la Bible à la suite duquel Simon, Jacques et Jean deviennent
apôtres. Juste après le miracle, Jésus dit à Simon (qui deviendra Pierre) :
« Désormais, tu seras pêcheur d’hommes ».
— Dans le contexte biblique, quel sens donnez-vous à cette phrase ?
— Dans le contexte du roman, quel sens pourrait-on donner à cette phrase ?
4) Dans ce court extrait, Jules Vallès se souvient de la puissance visuelle de l’écriture, une force du mot
qui devient image que l’on désigne par le terme d’« ekphrasis ».
— Quel passage du texte décrit précisément cette ekphrasis ?
— Dans le tableau de Jean Jouvenet, quels liens peut-on faire avec le texte épinglé ?

Éléments de réponse aux questions précédentes à confronter à votre travail au


brouillon :

1) En quoi le narrateur présente-t-il la lecture des Vacances d’Oscar comme un événement miraculeux ?
La « vénération profonde » évoquée par le narrateur fait de la lecture des Vacances d’Oscar un moment
miraculeux, proche de l’épiphanie. L’objet-livre devient – par sa description – une relique, à l’apparence
misérable mais au contenu précieux. Celui-ci est qualifié de « malheureux » ; il « poisse » les mains du
lecteur, s’ouvre difficilement et est imprimé sur du papier de mauvaise qualité. Toutefois, de cette triste
enveloppe s’échappe « une impression de fraîcheur » et un « grand filet » lumineux. De plus, la précision
du souvenir lui-même affère à l’histoire racontée une force surnaturelle. Enfin, l’intertexte religieux est
difficilement discutable, l’épisode de la pêche miraculeuse retrouvant ici une récriture profane limpide.

2) En quoi le personnage du proviseur Hennequin peut-il être vu comme un guide ?


Comme dit précédemment, l’intertexte religieux est flagrant, d’autant que les références religieuses se
multiplient : Hennequin est décrit à la première ligne de l’extrait comme un élu « disgracié » tandis qu’à
la suite de cette remémoration, le narrateur relatera la démonstration de l’existence de Dieu par son
professeur de philosophie.
Si le proviseur semble avoir été la victime d’une punition en étant muté au Puy, le jeune Jacques ressent
pour cette figure autoritaire une « admiration muette ». Il est également intéressant de voir que le
transmetteur de savoir n’est ici ni un professeur, ni le père et la mère mais un proviseur qui fait grandir et
réfléchir le jeune Jacques non par la parole mais par l’écriture. Son Verbe devient le guide.

3) La pêche miraculeuse est un épisode de la Bible à la suite duquel Simon, Jacques et Jean deviennent
apôtres. Juste après le miracle, Jésus dit à Simon (qui deviendra Pierre) :
« Désormais, tu seras pêcheur d’hommes ».
— Dans le contexte biblique, quel sens donnez-vous à cette phrase ?
C’est en voulant rassurer Simon qui a peur d’avoir commis une faute auprès de Jésus que ce dernier
lui déclare : « Désormais, tu seras pêcheur d’hommes ». Celui qui deviendra l’apôtre Pierre a donc
pour mission de « ramasser » dans ses filets les Hommes afin de les mener sur le chemin de la foi
et de les empêcher d’être de mauvais « pêcheurs ».
— Dans le contexte du roman, quel sens pourrait-on donner à cette phrase ?
Le « pêcheur d’hommes » pourrait devenir une périphrase désignant l’écrivain qui accapare dans
ses filets – c’est-à-dire dans ses pages – les lecteurs pour qu’ils deviennent à leur tour des trans-
metteurs du bon savoir ou même des auteurs.

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4) Dans ce court extrait, Jules Vallès se souvient de la puissance visuelle de l’écriture, une force du mot
qui devient image que l’on désigne par le terme d’« ekphrasis ».

— Quel passage décrit précisément cette ekphrasis ?


La dernière phrase de l’extrait est une définition parfaite de l’ekphrasis :
« Il avait su […] traîner ce grand filet le long d’une page et faire passer cette rivière dans un coin de
chapitre… »
Par une écriture maîtrisée, l’auteur fait émerger les éléments de sa description dans la page – ici le
filet, le rayon de soleil et les gouttes d’eaux – et ce jusqu’au « frisson ».
— Dans le tableau de Jean Jouvenet, quels liens peut-on faire avec le texte épinglé ?
Dans l’œuvre de Jean Jouvenet, l’élément liquide se trouve dans le « coin » gauche du tableau. Par
les couleurs utilisées, le peintre met en avant les principaux témoins du miracle : le tissu blanc sur
lequel se multiplient les poissons, la robe rouge de la femme remerciant le ciel particulièrement
lumineux et bien sûr la figure christique. Le « frisson » est là…

Ce que je dois retenir

Enfance battue que celle de Jacques Vingtras. De sa mère, point de douceur, de son père
point d’attention. Les passages de la maison à l’école puis de l’école au collège ne sont en
rien salvateurs, ces espaces s’approchant à chaque fois – au propre ou au figuré – d’une
prison.
Grand avant l’âge, le narrateur Jacques Vingtras devient l’auteur de sa propre histoire : il (d)écrit
l’enfance qu’il n’a pas eue, distinguant au fil de son parcours des figures tutélaires qui feront de lui le
« Bachelier » puis l’« Insurgé ». Dans la dernière page de ce troisième tome, il déclare : « Je viens de
passer un ruisseau qui est la frontière »
Dans un coin de ce chapitre, le « grand filet » passe de nouveau…

Crédits
Figure 1 : E lisabeth Vigée Le Brun, Marie-Antoinette et ses enfants, 1787
Huile sur toile, 275 x 215 cm. Versailles, Château de Versailles
Figure 2 : A nne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, La leçon de géographie, 1803
Huile sur toile, 101 x 79 cm. Montargis, Musée Girodet
Figure 3 : A ntoine-Jean Gros, Le Général Bonaparte au pont d’Arcole le 17 novembre 1796, 1796.
Huile sur toile, 130 x 94 cm. Versailles, Château de Versailles
Figure 4 : J ean Jouvenet, La Pêche miraculeuse, 1706.
Huile sur toile, 3,92 x 6,64 m. Paris, musée du Louvre

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