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Introduction
La recherche de soi, c’est-à-dire la quête d’identité, qui va être un des enjeux majeurs de la période
moderne, passe nécessairement par la question de l’éducation. Bien avant l’époque romantique, le siècle
des Lumières posa cette question au centre de sa réflexion philosophique : comment aider l’homme à
s’accomplir, à devenir meilleur et à être libre ? Comment l’aider à se réaliser ? La figure de l’enfant et
celle de l’adolescent à sa suite s’imposent alors comme paradigme de cette question de la formation du
moi à travers l’éducation qui mènera à l’émancipation.
En effet, pour les philosophes des Lumières, il ne saurait y avoir d’émancipation sans accès au savoir.
On se rappelle bien sûr la fameuse réponse de Kant dans Qu’est-ce que les Lumières : « Qu’est-ce que
les lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité, dont il est lui-même responsable…. puisque la cause
[de sa minorité] en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de
courage de s’en servir sans la direction d’autrui »1 . Kant associe ici de façon fondatrice pour les siècles
qui suivront l’éducation et l’émancipation, c’est-à-dire la capacité d’un individu à penser par lui-même,
à s’affranchir des tutelles, qu’elles soient religieuse, familiale ou magistrale. Cette sortie de la minorité,
l’affranchissement d’un sujet par rapport aux maîtres à penser, est, selon les Lumières la seule voie
possible pour accéder au statut de sujet, y compris sur le plan politique. Accéder au savoir, de quelque
façon que ce soit, est la seule façon de s’affranchir et de devenir libre, au sens politique du terme. Penser,
s’interroger sur le monde, c’est aussi être un citoyen. On voit ainsi se dessiner les enjeux de l’association
de ces trois termes et celle-ci devra être pour nous le fil rouge de cette séquence : l’éducation doit mener
à la liberté. C’est pourquoi, depuis les Lumières, la littérature, la philosophie et les arts vont reprendre
à leur compte cette question en montrant quelles voies peut emprunter un individu pour devenir un
sujet, libre de penser, d’agir, de gouverner et de se gouverner. La question politique est donc intimement
associée à la question de l’éducation. Et nous l’allons montrer dans les pages suivantes.
Initiée au XVIIIe siècle, cette réflexion sur une éducation émancipatrice va traverser le XIXe siècle,
principalement dans la production romanesque chez Stendhal, Hugo et Balzac en nous montrant
l’ascension de héros et les conflits sociaux et politiques qui entravent l’accomplissement de leurs vœux.
Le roman d’ascension est un des genres du romantisme : le héros romantique cherche à s’affranchir
de sa famille, de son milieu, de la société entière pour se réaliser ; il croise des figures auxquelles il va
s’identifier, parfois des héros politiques qui donnent un sens au parcours du héros. Nous verrons que la
société, la famille, l’école, loin de prendre en charge la formation des individus, les entravent : les héros
romantiques sont des personnages qui vont se construire seuls CONTRE la société. Leur émancipation,
présentée comme un processus d’auto-transformation et d’auto-formation est l’objet de nombreux récits
à la première personne qu’ils soient autobiographiques ou de fiction.
Reprenons les choses maintenant d’un peu plus haut, c’est-à-dire au siècle des Lumières, pour poser les
fondements de notre réflexion sur l’éducation et l’émancipation.
1 « Qu’est-ce que les lumières » ? (déc. 1784), trad. S. Piobetta, op. cit. p. 83
Activité :
Lecture et analyse de documents-images.
2 P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime, Points Seuil, 1960.
Image 1 Image 2
Anne-Louis Girodet Portrait du Docteur Trioson Anne-Louis Girodet Benoît Agnès Trioson regardant
donnant une leçon de géographie à son fils (1803) des figures dans un livre (1797)
Pour accéder à des informations sur cette œuvre,
cliquez sur ce lien :
https://webmuseo.com/ws/musee-girodet/app/
collection/record/82?vc=ePkH4LF7w6yelGA1CLiiIj
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1) Décrivez les deux scènes en vous concentrant sur le thème de l’éducation et de la transmission. Vous
réfléchirez notamment au rôle des objets présents dans les deux œuvres. Quels principes d’éducation
suivent les deux scènes ? Montrez les ressemblances et les différences entre les deux toiles. Reportez-
vous aux pages web du Musée Girodet proposés en lien ci-dessus.
2) Répondent-elles aux principes prônés par Rousseau dans l’extrait de L’Émile que nous avons lu et
analysé dans l’introduction ? Donnez des réponses distinctes et nuancées pour les deux tableaux.
A. La Leçon de géographie
Ce tableau est une excellente illustration de notre problématique qui associe l’éducation et la
transmission : le sujet du tableau est précisément la fusion de l’éducation et de l’amour par la
transmission du savoir. En effet, le Docteur Trioson et son fils sont très proches : leurs mains qui
s’entremêlent au-dessus du globe et le regard paternel posé tendrement sur le visage de l’enfant
prouvent la tendre sollicitude du père. Le globe terrestre, situé au centre du tableau, est l’objet qui unit
le père et l’enfant : c’est donc bien la leçon de géographie qui est le sujet du tableau, ici étroitement
associée à l’amour entre le père et le fils. L’index du père pointé sur le globe montre l’intention
pédagogique et l’index du fils indique la transmission de la leçon.
On notera également la présence du livre fermé à côté du globe : l’éducation livresque est certes le
fondement du savoir, puisque la main du fils repose sur le livre, mais celle-ci ne saurait suffire et doit
faire place à l’observation directe d’objets d’étude. La présence de la grappe de raisin posée au premier
plan sur la table est à cet égard significative : il s’agit de rappeler que l’observation des objets de la nature
(ce que l’on appellera plus tard la « leçon de choses ») est fondamentale dans la construction du savoir à
l’époque des Lumières .
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Cependant ce même motif de la grappe de raisin peut fournir une autre entrée, spirituelle cette fois, au
tableau. En effet, notamment dans la nature morte au XVIe et XVIIe siècle, le raisin est traditionnellement
un symbole associé au Christ et signifie – par l’intermédiaire de l’Eucharistie4 – le pouvoir de
rédemption de Jésus. Cette valeur symbolique renvoie, en retour, au globe terrestre qui est associé,
dans l’iconographie chrétienne, au pouvoir universel du Christ sur le monde. Il ne s’agit certes pas de
tirer de ces deux éléments symboliques le propos essentiel du tableau, mais ils ne sont sans doute pas
anodins : façon pour Girodet d’inscrire la scène dans une dimension discrètement spirituelle et donc
d’associer l’éducation intellectuelle à l’éducation morale. Le globe et le raisin sont d’ailleurs des motifs
qui appartiennent à l’iconographie traditionnelle des « vanités », ces peintures à thème moral rappelant
la fugacité de la vie.
Un dernier objet attire notre attention : que signifie la présence du buste d’Hippocrate représenté à
l’arrière-plan dans l’ombre ? Le père étant médecin, Hippocrate représente le modèle du savoir antique
qui a été légué à la science médicale. Mais le docteur est tourné vers l’enfant, donc vers l’avenir, le
progrès, et c’est grâce à la transmission de valeurs que celui-ci va s’épanouir. De même, le livre sur
lequel s’appuie la main du jeune Benoît- Agnès est le récit autobiographique de la conquête des Gaules
par César. Ouvrage antique représentant la transmission du savoir classique mais aussi modèle de
réalisation de soi par la conquête militaire, ce qui peut être une discrète allusion du peintre aux récentes
campagnes victorieuses du général Bonaparte, qui, en 1803, peut servir de modèle au jeune enfant.
2) Comparons maintenant ces deux tableaux avec les idéaux pédagogiques de l’Émile.
En mettant ainsi en scène une tension psychologique chez l’enfant, Girodet réfléchit au paradoxe de
l’éducation qui veut prendre en compte la nature de l’enfance et lui impose les contraintes de l’éducation.
Le propos du peintre est finalement ambigu : si le livre reste une donnée incontournable pour une
époque aussi avide de connaissances, son usage doit cependant être tempéré par d’autres méthodes
d’apprentissage prenant davantage en compte la nature de l’enfant. Le besoin d’être aimé et le besoin de
jouer sont des éléments indispensables à l’enfant pour s’épanouir, « devenir » soi et grandir.
Activité :
Lisez l’extrait suivant puis répondez au brouillon aux questions qui suivent.
Dans cet extrait du chapitre IV, le lecteur fait la connaissance de Julien, au sortir de l’adolescence, au moment
où son père vient lui apprendre que M. de Rênal, le maire du village, souhaite l’engager comme précepteur
de ses enfants. Le tout jeune homme vit déjà dans l’amour des livres et il étudie le latin dans l’espoir d’entrer
dans la carrière ecclésiastique.
« En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit.
Il ne vit que ses fils aînés, espèce de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs
de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur
la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la
voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place
qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds plus haut, à cheval sur l’une des
pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien
n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux
travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse : il ne
savait pas lire lui-même.
Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre,
bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge,
celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui
soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre que tenait Julien ; un second coup aussi
violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze
pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint
de la main gauche comme il tombait.
« Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ?
Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure. »
Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de
la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre
qu’il adorait.
1) Caractérisez le milieu social auquel appartient le héros. Quelles valeurs dominent ce milieu ? Pourquoi
Julien y apparaît-il comme étranger ?
2) Pourquoi le livre et la lecture cristallisent-ils la haine réciproque du père et du fils ?
3) En vous aidant de l’encadré concernant le Mémorial de Sainte Hélène, expliquez le rôle que joue
l’ouvrage pour Julien. De quoi est-il le symbole entre le père et le fils ?
2) Stendhal place la lecture au cœur des conflits entre le héros et son père : le livre est la matrice de ses
ambitions et l’énergie dans laquelle il puise sa révolte et sa haine. Par son goût de la lecture, Julien
montre à son père ses qualités intellectuelles qui renvoient ce dernier à son impuissance dans ce
domaine (« il ne savait pas lire lui-même »). Le dialogue entre le père et le fils se réduit à des invec-
tives de la part du père qui renvoie au fils son incapacité à obéir aux injonctions paternelles : « pares-
seux », « maudits livres », « Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé », « animal ». Ces
insultes sont la marque de la haine du père pour le savoir et les livres dont il ne peut dissocier ce fils.
D’un côté virilité et force brutale, de l’autre un goût du savoir qui pourrait passer auprès du père pour
un manque de virilité. Le lecteur comprend vite de quel côté penche le cœur du romancier et se range
du côté de l’intelligence.
« Ai-je été nourri par ma mère ? » ; voici la première phrase de L’Enfant, question à laquelle le principal
concerné ne peut répondre puisqu’il se place alors en amont de la mémoire infantile. En revanche, de la
violence, l’enfant se souvient : « je n’ai pas été dorloté, tapoté, baisoté ; j’ai été beaucoup fouetté ».
Élevé sous les coups, Jacques grandit donc de manière accélérée, dans cette brutalité, voleuse
d’innocence : « Je suis grand, je vais à l’école ». La juxtaposition de ces deux propositions et l’ordre choisi
sont révélateurs : ce n’est pas l’école qui a fait grandir l’enfant. Mais alors, pour celui qui à dix ans se
considère « déjà grand » (Chapitre II « La Famille »), que lui réserve la suite de son éducation ?
Dans le premier chapitre de L’Enfant, l’« école » n’est évoquée qu’en tant que
bâtiment ; une « belle petite école » dans une « belle rue ». Elle est donc présentée
positivement mais de manière expéditive. En revanche, le passage au « collège »
aura son chapitre.
Dans le chapitre III, le collège du Puy-en-Velay est immédiatement comparé à un
lieu d’incarcération, ce qui le rapproche de la maison familiale qui est, elle, située dans la même rue que
la prison. L’établissement scolaire est touché par la dégradation – « le collège moisit, sue l’ennui et pue
l’encre » – un tel lieu rendant difficile, voire impossible toute émancipation. Cette énumération retrouve
en fin de paragraphe un écho sonore, quand le narrateur s’exclame : « Quelle odeur de vieux ! »
Dans la suite du chapitre, tandis que c’est la figure du père – maître d’études dans ce collège – qui
devient la source des moqueries (cf. B. 1. La figure autoritaire du père-maître : Le patriarcat fragilisé),
deux formes d’apprentissage sont évoquées : la lecture de l’œuvre écrite par le proviseur Hennequin
(cf. Un extrait à épingler) et une démonstration du professeur de philosophie. M. Beliben, pour prouver
l’existence de Dieu, utilise « petits morceaux de bois » et « haricots ». De prime abord, un apprentissage
ludique, adapté à la jeunesse des apprenants. Mais cela devient vite une leçon ridicule qui s’achève
brusquement : les quatre majuscules « C.Q.F.D. » clôturent le chapitre et résonnent avec ironie.
Activité :
Au brouillon, à partir de votre lecture du texte et de votre observation du tableau ci-dessous, vous
répondrez aux questions qui suivent en vous efforçant d’être le plus précis possible.
… et un tableau à admirer !
1) En quoi le narrateur présente-t-il la lecture des Vacances d’Oscar comme un événement miraculeux ?
La « vénération profonde » évoquée par le narrateur fait de la lecture des Vacances d’Oscar un moment
miraculeux, proche de l’épiphanie. L’objet-livre devient – par sa description – une relique, à l’apparence
misérable mais au contenu précieux. Celui-ci est qualifié de « malheureux » ; il « poisse » les mains du
lecteur, s’ouvre difficilement et est imprimé sur du papier de mauvaise qualité. Toutefois, de cette triste
enveloppe s’échappe « une impression de fraîcheur » et un « grand filet » lumineux. De plus, la précision
du souvenir lui-même affère à l’histoire racontée une force surnaturelle. Enfin, l’intertexte religieux est
difficilement discutable, l’épisode de la pêche miraculeuse retrouvant ici une récriture profane limpide.
3) La pêche miraculeuse est un épisode de la Bible à la suite duquel Simon, Jacques et Jean deviennent
apôtres. Juste après le miracle, Jésus dit à Simon (qui deviendra Pierre) :
« Désormais, tu seras pêcheur d’hommes ».
— Dans le contexte biblique, quel sens donnez-vous à cette phrase ?
C’est en voulant rassurer Simon qui a peur d’avoir commis une faute auprès de Jésus que ce dernier
lui déclare : « Désormais, tu seras pêcheur d’hommes ». Celui qui deviendra l’apôtre Pierre a donc
pour mission de « ramasser » dans ses filets les Hommes afin de les mener sur le chemin de la foi
et de les empêcher d’être de mauvais « pêcheurs ».
— Dans le contexte du roman, quel sens pourrait-on donner à cette phrase ?
Le « pêcheur d’hommes » pourrait devenir une périphrase désignant l’écrivain qui accapare dans
ses filets – c’est-à-dire dans ses pages – les lecteurs pour qu’ils deviennent à leur tour des trans-
metteurs du bon savoir ou même des auteurs.
Enfance battue que celle de Jacques Vingtras. De sa mère, point de douceur, de son père
point d’attention. Les passages de la maison à l’école puis de l’école au collège ne sont en
rien salvateurs, ces espaces s’approchant à chaque fois – au propre ou au figuré – d’une
prison.
Grand avant l’âge, le narrateur Jacques Vingtras devient l’auteur de sa propre histoire : il (d)écrit
l’enfance qu’il n’a pas eue, distinguant au fil de son parcours des figures tutélaires qui feront de lui le
« Bachelier » puis l’« Insurgé ». Dans la dernière page de ce troisième tome, il déclare : « Je viens de
passer un ruisseau qui est la frontière »
Dans un coin de ce chapitre, le « grand filet » passe de nouveau…
Crédits
Figure 1 : E lisabeth Vigée Le Brun, Marie-Antoinette et ses enfants, 1787
Huile sur toile, 275 x 215 cm. Versailles, Château de Versailles
Figure 2 : A nne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, La leçon de géographie, 1803
Huile sur toile, 101 x 79 cm. Montargis, Musée Girodet
Figure 3 : A ntoine-Jean Gros, Le Général Bonaparte au pont d’Arcole le 17 novembre 1796, 1796.
Huile sur toile, 130 x 94 cm. Versailles, Château de Versailles
Figure 4 : J ean Jouvenet, La Pêche miraculeuse, 1706.
Huile sur toile, 3,92 x 6,64 m. Paris, musée du Louvre