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Projet

éducation des Roms | Histoire


Council Conseil
enfants roms
of Europe de l´Europe
en Europe d’IndE
1.0
en Europe

D’Inde en
Europe Compilé par l’équipe éditoriale

Inde | En marche vers l’Ouest | La migration vers Byzance ou quand la linguistique tient lieu de géographie
| Doms, Luri, Roms : cousins mais pas frères | Les Roms dans l’empire byzantin | Les Athingani |
Les Roms sur le Péloponnèse

En vertu des découvertes des linguistes, des anthropologues culturels, des historiens et, plus récemment,
des généticiens spécialisés dans l’étude des populations, l’origine indienne des Roms est un fait établi.
Par contre nombre de questions font encore l’objet d’hypothèses: « Comment et quand leurs ancêtres ont-
ils gagné l’Europe depuis l’Inde?», «Quelles étaient leurs motivations et qui étaient-t-ils exactement ?».
En raison du manque de preuves directes, l’histoire pré-européenne des Roms relève de la reconstitution.

Byzance: Péloponnèse (XIIe siècle); Asie Mineure (X-XIe siècle)


La migration d’Inde en Europe
ISTANBUL
Bakou Ill. 1
ANKARA Arménie? Zones et dates probables du séjour
Ashabad

Téhéran
Kaboul

Damas BAGDAD
Perse?

Le Caire
Delhi
Nord-Ouest de l’Inde (fin de la 2 moitié du 1 er millénaire de notre ère)
e

Riyad
Centre de l’Inde (1 ère moitié du 1er millénaire de notre ère)
nAGPUR

Introduction mogène, car tous les groupes de Roms l’époque de leur arrivée et des débuts de
recensés aujourd’hui possèdent une base leur dissémination en Europe.
L’origine indienne des Roms est incon- linguistique commune qui englobe aussi De même que les linguistes
testée. L’analyse du romani et sa compa- des éléments de vocabulaire et de gram- et les généticiens, les anthropologues
raison avec d’autres langues révèlent que maire empruntées au grec. culturels supposent que les Roms pro-
les Roms ont d’abord migré de l’Inde De même, selon les premières viennent à l’origine de l’Inde. Ils se
centrale aux régions orientales de l’Inde découvertes — plus récentes — de spé- fondent notamment, pour formuler
du Nord et y sont probablement restés un cialistes de la génétique des populations, cette conclusion, sur des institutions
certain temps. Ensuite, ils auraient pu tra- les ancêtres des Roms étaient indiens et socioculturelles comme la forme tra-
verser la Perse et l’Arménie pour gagner faisaient probablement partie d’un petit ditionnelle de juridiction ou certaines
l’empire byzantin, puis l’Asie mineure groupe relativement homogène si l’on en règles en vigueur dans les groupes
et finalement la Grèce. Les découvertes juge par l’analyse des groupes sanguins. (comme les préceptes de propreté). Ces
linguistiques démontrent l’arrivée dans Les différenciations au sein de ce grou- deux caractéristiques — juridiction in-
l’empire byzantin d’un groupe assez ho- pe ne sont probablement apparues qu’à terne du groupe et préceptes de propre-
Inde
En marche vers l’Ouest
La migration vers Byzance ou quand la linguistique tient lieu de géographie

Langues importantes du sous-continent indien

Langues indo-aryennes du Centre, ainsi que quelques autres langues indo-aryennes,


iraniennes et dravidiennes avoisinantes
Kaschmiri

Pandschabi

Pa s c h t u
Rajastani
N e pa l i
Belutschi Sindhi Assami

Urdu
hindi Bengali

Bihari
Gujarati

Me r d’O m a n Marathi

oriya
Langues indo-aryennes du Centre
telugu
Autres langues indo-aryennes Kannada
Golfe du
Bengale
Langues iraniennes Malayalam
tamil
Ill. 2
Langues dravidiennes
Manuscrit persan du XVI  siècle: e Sinhala
Shangul d’Inde diverti par Bahram Gur Ill. 3
(extrait de Fraser 1992, p. 34)

té — se retrouvent aussi, de même que Les historiens disposent de sour- des documents de Perse et de la péninsu-
certaines notions religieuses d’une partie ces qui ne parlent pas des Roms, mais le arabique nous permettent de forger une
des groupes roms, dans le sous-continent de groupes évoquant ces derniers sous image de la population nomade de ces ré-
indien. Aucun lien socioculturel direct nombre d’aspects et qui ont pu leur être gions que les Roms ont traversées — se-
entre les groupes indien et rom n’a ce- assimilés dans le passé. Aucune de ces lon toute probabilité — dans le cadre de
pendant encore pu être établi. hypothèses n’a été vérifiée ; pourtant, leur migration d’Inde en Europe.

a conclu que les ancêtres des Roms postérieurs à ces événements y font ré-
IndE vivaient à l’origine dans le centre de férence, avec toujours plusieurs siècles
l’Inde. Déjà, avant notre ère, ils auraient d’écart. Dans son « Shahnameh » (Le
Les méthodes linguistiques permettent gagné le Nord-Ouest du sous-continent livre des Rois), écrit en 1011, le poète
de déterminer dans le temps et dans où ils seraient restés plus longtemps perse Ferdowsi mentionne une légende
l’espace l’apparition d’une langue avant de quitter la région et de partir selon laquelle le roi indien Shangul au-
indo-aryenne. En particulier, les vers l’Ouest. Cette théorie, formulée en rait offert à son homologue perse Bahr-
changements affectant le système 1927 par Ralph Turner — un orientaliste am V (420-438) 10 000 de ce qu’il était
phonétique d’une langue permettent de britannique —, fait généralement autorité alors convenu d’appeler des « Luri »
tirer des conclusions sur ses premières aujourd’hui. [Ills. 1, 3] afin que ceux-ci distraient son peuple
origines. Le romani, toutefois, ne peut avec de la musique. Bahram donna aux
pas être facilement classé. Il possède Luri des terres à cultiver ; ils mangèrent
de nombreuses caractéristiques de ce en marche vers l’ouest le maïs et en réclamèrent davantage. Par
qu’il est convenu d’appeler « les langues conséquent, le Shah les envoya à travers
indo-aryennes du Centre » (comme le La date précise à laquelle les Roms ont le monde sur le dos de leurs bêtes. Des
hindi-ourdou, le pendjabi, le gujarati quitté l’Inde est inconnue. Les don- légendes analogues sont rapportées par
ou le radjashatni), mais partage aussi nées linguistiques ne fournissent pas d’autres historiens. [Ill. 2]
certaines caractéristiques communes de repères chronologiques précis et il Il existe des preuves réelles de
avec des langues indo-aryennes du Nord n’existe pas de documents contempo- l’immigration de différents groupes
comme le kashmiri. Sur la base de ces rains sur la migration des Roms à tra- d’Inde du Nord vers la Perse pendant
considérations et d’autres facteurs, on vers le Moyen-Orient. Seuls des auteurs le règne de Bahram V. Certains cher-


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Le romani: Origine des Roms 


une langue indo-aryenne moderne – Légendes modernes

Les mots indo-aryens originaux en romani ont une gran- Une rapide recherche sur Internet débouche sur les résultats
de puissance morphosyntaxique : ils permettent de créer, suivants : « Les Sintés, les Roms et les groupes apparentés »
à l’aide d’un certain nombre de suffixes spécifiques, plu- sont venus à l’origine de « la zone indienne » et ont été « enle-
sieurs mots supplémentaires sur la base d’un mot source: vés » par les Arabes aux IXe et Xe siècles, avant d’être emmenés
comme « captifs » au XIe siècle « par les Musulmans » dans
romani français leurs campagnes (on parle « d’environ 500 000 Tsiganes ») ou
bar-o large, grand; puissant; aîné d’immigrer — « en plus petits groupes » — aux XIVe et XVe siè-
bar-ipen taille, distinction, fierté cles « via l’Afrique du Nord et les Balkans vers l’Europe » où
bar-ikanipen prétention, agrandir ils avaient également été « importés comme esclaves » 200 ans
bar-ikanarel pes se pomponner, s’habiller de manière plus tôt, etc.
bar-arel ostentatoire Plutôt que sur les « faits » qu’elles prétendent décri-
bar-arel avri élever des enfants re, les théories ou les hypothèses sur l’origine des Roms nous
bar-arel pes se vanter renseignent surtout sur les motifs qui les ont fait naître. On
bar-uvel (barol) grandir peut cependant noter que les Roms eux-mêmes n’ont pas de
bar-eder officier (littéralement «le plus grand») mythes ou de légendes sur les premières origines de leur peu-
ple. Leur tradition est jusqu’à présent largement orale et la
En dehors de ces constructions, une bonne partie de la gram- plupart des Roms considèrent la question de leur origine loin-
maire romani est indo-aryenne ; le romani d’aujourd’hui est taine comme mineure et politique en raison des divers proces-
donc considéré comme une langue indo-aryenne moderne. sus d’émancipation entamés seulement récemment.
Ill. 4 Ill. 5

cheurs ont identifié les « Luri » (appe- que l’arrivée — il y a longtemps —
lés « Zott » ou « Jatt » dans les sources d’un peuple alors inconnu en Europe. La migration vers Byzance
arabes) comme des Roms et, par consé- [Ill. 5] ou quand la linguistique
quent, supposé qu’ils avaient déjà quitté De même, le deuxième argument, tient lieu de géographie
l’Inde au Ve siècle. Ils expliquent égale- à savoir l’absence de mots arabes en ro-
ment l’absence de mots arabes dans le mani, n’est pas décisif. Les Arabes ne Selon les linguistes, le lexique du roma-
lexique rom comme suit. Au cours du formaient qu’une très petite caste ré- ni se répartit entre deux corps de mots :
VIIe siècle, la Perse est passée sous le gnante ; la langue parlée dans le pays, l’un ancien d’origine pré-européenne et
joug des Arabes ; or, le romani inclut des notamment parmi les personnes ne pos- l’autre, plus récent, d’origine européen-
mots perses mais pas de mots arabes ; on sédant pas une très bonne éducation et ne. Le lexique pré-européen comprend
peut donc en conclure que les Roms ont les gens les moins influents, est toujours les mots indo-aryens, perses, armé-
quitté la Perse avant la conquête arabe. restée le persan, même sous le règne ara- niens et grecs du romani et il est plus
La légende sur les Luri pourrait donc be. Les Roms pourraient tout aussi bien ou moins commun à tous les locuteurs
bien porter sur les Roms qui avaient avoir vécu en Perse sous ce règne sans de cette langue. Le lexique européen
déjà quitté la Perse au Ve siècle et l’Inde pour autant adopter de mots arabes dans s’est formé uniquement dans le cadre
encore plus tôt dans le cadre de leur pé- leur langue. [Ill. 6] de la migration de groupes individuels
régrination vers l’Ouest. Il ne fait toutefois aucun doute vers l’Europe pour devenir ce qu’il est
Ces conclusions, toutefois, ne que, dès l’époque allant du III e au Ve aujourd’hui et a donc évolué de manière
sont pas forcément convaincantes. Pre- siècle, des groupes mobiles exerçant différente selon les groupes concernés.
mièrement, il existe plusieurs versions de des métiers relevant du secteur des ser- En revanche, le lexique primitif illustre
la légende des Luri, lesquelles divergent vices sont partis d’Inde en direction de l’histoire pré-européenne des Roms et
sur des points essentiels et ont été consi- l’Ouest. Les Roms en faisaient partie leurs pérégrinations d’abord de l’Inde
gnées plus de 500 ans après les faits allé- ou pas, selon les hypothèses. Par con- à l’Asie mineure byzantine ― via la
gués. La fiabilité de ces sources peut être séquent, la plupart des scientifiques Perse et l’Arménie ―, puis jusqu’à la
évaluée en examinant les « légendes » supposent aujourd’hui que les Roms ont partie grecque de l’empire byzantin.
relatives à l’origine des Roms, telles quitté l’Inde progressivement sur une On peut raisonnablement tenter de re-
qu’elles circulent aujourd’hui. Ce serait longue période comprise entre le IIIe et tracer le parcours des Roms sur la base
en vain que l’on chercherait à déduire le Xe siècle (probablement entre le VIIIe des emprunts étrangers du romani.
de ces récits des faits historiques autres et le Xe). [III.1, 9]


Doms, Luri, Roms: cousins mais pas frères
Les Roms dans l’empire byzantin

Jutes L’empire romain d’Orient (Byzantin) et les empires sassanides vers 550.
Bretons
Saxons
L’empire romain d’Orient au moment de l’accession de Justinien au trône en 527: A
Angles
Slaves Reconquête par Justinien: B
Empire sassanide: C
Bulgares
Vassaux de l’empire sassanide: D
Francs Langobards

Avars

B
Hephtalites
Basques
Ostrogoths
A D
Souabes Wisigoths L’empire romain d’Orient
Sassanidenreich

B A C
D
Vandales
Lachmides
B
A
Ill. 6

Le linguiste Yaron Matras croit à un lien entre les Roms et des castes de des initiatives successives émanant de groupes individuels désireux de
nomades commerciaux nommés les « Doms » et résidant en Inde même: rechercher des possibilités d’emploi dans des métiers spéciaux. […]
L’essentiel de l’attrait de l’hypothèse des Doms réside toute-
« L’hypothèse des Doms nous permet d’attribuer des profils socio-eth- fois précisément dans le fait qu’elle permet d’expliquer des similitu-
niques — partagés par des groupes comme les Roms, Loms, Doms, des dans l’organisation sociale et l’identité l’ethnique tout en tenant
Luti ou Kurbati d’une part et les Doms d’Inde d’autre part — à des compte de la diversité linguistique : l’origine de caste n’a nul besoin
traditions anciennes, au lieu de relever entre eux des similitudes dues de coïncider avec l’origine géographique ou linguistique, en dehors
au hasard ou des caractéristiques acquises par les groupes respectifs du fait que tous les groupes concernés viennent de l’Inde et parlent
séparément en différents endroits et à différentes époques. Elle permet des langues indo-aryennes. Ainsi, les ancêtres des Roms, Doms, Loms
aussi d’expliquer les ethnonymes dérivés de noms de caste (et dont et autres groupes pourraient sans problème constituer une population
une partie, comme řom, dom, lom sont partagés) et les termes com- géographiquement dispersée et linguistiquement diverse tout en par-
muns à plusieurs groupes désignant les étrangers ; elle offre en outre tageant une même identité socio-ethnique. »
l’avantage d’expliquer les migrations vers l’Ouest assez facilement par Ill. 7 (extrait de Matras, 2002, p. 16)

Le fait que le romani contienne ste Yaron Matras a mentionné dans ce vices, notamment dans le traitement des
davantage de mots empruntés au persan contexte le Sud de l’Anatolie : dans la métaux et le spectacle. Ils sont exclus de
qu’à l’arménien ne signifie pas néces- région d’Antioche, les Roms auraient la population majoritaire et leur contact
sairement que les Roms ont vécu plus pu entrer en contact avec des locuteurs avec celle-ci se résume généralement
longtemps en Perse qu’en Arménie. Il est de toutes les langues ayant influencé le aux relations économiques. Certains de
possible que leurs contacts avec la popu- romani en Asie. ces groupes parlent (encore) des langues
lation majoritaire aient revêtu — ne se- indo-aryennes : les Doms, Karači ou
rait-ce que pour des raisons économiques Kurbati du Moyen-Orient (Syrie, Pale-
par exemple — un caractère plus intensif Doms, Luri, Roms: stine, Jordanie et, jadis également, Iraq,
en Perse qu’en Arménie. En fait, les lin- Cousins mais pas frères Iran et Azerbaïdjan) parlent le domari ;
guistes supposent aujourd’hui qu’outre les Paryas du Tadjikistan utilisent une
la durée de leur séjour, ce sont surtout Une foule de groupes de population en- variété de radjashatni ; les Inkus et les
leurs moyens de contact avec les diffé- tretenant des contacts étroits avec l’Inde Jats d’Afghanistan utilisent une langue
rents groupes de la population qui aurai- ont vécu — et vivent toujours — au indo-aryenne du centre, tout comme les
ent façonné leur relation linguistique. Il Moyen-Orient dans ce qui est de nos Domas de la vallée de Hunza (Nord du
se pourrait même que les portions non jours l’Est de la Turquie, l’Iraq, l’Iran Pakistan).
indo-aryennes du lexique romani hérité et l’Afghanistan. Ils ont tous tendance D’autres groupes de population,
reflètent diverses influences subies par — comme une partie des Roms contem- du Caucase au Soudan, connaissent des
les Roms dans une seule et même région porains et la plupart des Roms de l’ancien langues secrètes dont le lexique est tota-
et ne soient donc pas représentatives de temps — à exercer une profession ou un lement ou partiellement d’origine indo-
leur migration. Récemment, le lingui- travail ambulant dans le secteur des ser- aryenne ; c’est notamment le cas des


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Traces du séjour des Roms à Byzance relevées Couches du lexique romani


dans la langue romani pré-européen

Le séjour des Roms à Byzance se reflète dans leur langue. Toutes les variantes du ro- Indo-aryen
mani contiennent un grand nombre de mots empruntés au grec. jekh, duj, trin un, deux, trois
daj, dej mère
Exemples de mots d’origine grecque bokh, bok faim
thud, thut, thund lait
romani amoni, amoji, lamoni, amuni français enclume vast, vas, va main
drom, drumo route
Iranien
foros, foro ville, ville
karfin, krafin, karfi, krafni ongle ambrol, brol poire
angalin, angali, jangali, gani étreinte baxt, bax, bast chance
cipa, cipo, cepa peau phurt pont
xolin, xoli, xoj, holi colère, grief, passion angušto, anguš doigt
kurko, kurke dimanche
Arménien
sviri, sivri, svirind, sfiri marteau
skamin, skami, štamin chaise, banc dudum citrouille
čekat, čikat l’avant
grast, gra, graj cheval
Sous l’empire byzantin, les Roms entraient aussi en contact avec d’autres groupes
ethniques. Des mots empruntés à d’autres langues — notamment l’arménien — péné- Grec
traient le romani en territoire byzantin. La minorité arménienne de Byzance était très efta, oxto, enja sept, huit, neuf
importante. Les spécialistes expliquent notamment que le mot alani verdan (charret- papin, papni oie, canard
te) a été importé en romani. L’Alanie (l’Ossétie d’aujourd’hui) était un royaume as- ora heure
sez petit du Nord-Caucase. Les Roms ne sont probablement jamais arrivés jusque-là zumi, zumin potage
pendant leur séjour au Moyen-Orient. Des Alani, de même que des membres d’autres
groupes ethniques, avaient été recrutés dans les armées byzantines et leur mot verdan Mots provenant du lexique pré-euro-
aurait facilement pu entrer dans la langue romani soit directement, soit par le biais péen et communs à toutes les vari-
d’une autre langue parlée à Byzance. antes du romani.
Ill. 8 Ill. 9

Karači et des Luti en Iran, des Nawars domari, « kača » en lomavren, « kājwā » meure pas moins qu’il existe au Moyen-
en Égypte, des Bahlawans au Soudan et en dom indien, « kājarō » en kanjari, Orient des groupes de population dont les
des Bošas ou Loms en Arménie (lesquels « kajjā » en sasi et « kājā » en nati. Ce racines sociales et ethniques remontent
parlent une langue appelée lomavren). mot revêt en outre souvent — notam- probablement à une caste spécifique :
Par ailleurs, en Inde même, des ment en romani — la signification de les « Doms ». Une caste ne se définit ni
groupes de nomades de diverses régions « sédentaire » ou de « fermier » : une en fonction de critères linguistiques, ni
sont spécialisés dans certains services et acception qui prouve que cette populati- en fonction de critères ethniques plus
exercent par exemple le métier de forge- on s’identifiait dès le début comme non stricts ; même si cette caste a réuni — à
ron, de vannier, de démolisseur, de mu- sédentaire. une certaine époque — les Roms et tous
sicien et de danseur. Au sein du système Les similitudes frappantes de les autres groupes ethniques mentionnés
des castes, ces nomades sont appelés ces groupes de population indiens ou ci-dessus (ce qui est bien possible), ce
« D o ms » : un terme lié à l’autonyme anciennement indiens, sous l’angle so- fait ne présuppose pas nécessairement
« Dom » au Moyen-Orient, « D o ma » cial et linguistique, ont incité certains une origine génétique ou linguistico-gé-
au Pakistan, « Lom » en Arménie et chercheurs à supposer l’existence d’une nétique commune. [Ill. 7]
« Řom » (« Rom ») en Europe. Nombre souche commune. En fait, malgré toutes
de ces nomades mènent cette vie pour les similitudes linguistiques, les travaux
des raisons économiques et, résidant en récents penchent plutôt vers la thèse de LEs roms dansl’empire byzantin
Inde ou ailleurs, emploient des mots si- langues source diverses et, certainement,
milaires pour désigner les gens ne fai- de différentes périodes de migration pour Les plus gros emprunts du lexique
sant pas partie de leur groupe : « gadžo » les Roms, les Doms et les Loms. Quel commun (celui partagé par toutes
(« non-Rom ») en romani, « kažža » en que soit l’argument retenu, il n’en de- les variantes du romani) concernent,


Les Athingani
Les Roms sur le Péloponnèse

Collecte des impôts manière ou d’une autre et amenez rapidement le cœur impérial
à considérer mon existence détruite et à m’accorder la faveur du
La correspondance suivante est importante à deux titres pour pardon dans sa grande bonté et à me débarrasser des angoisses,
l’histoire des Roms à Byzance. Premièrement, elle constitue la de manière à ce que je ne m’expose plus en danger alors que j’ai
première preuve claire de la présence de Roms dans l’empire déjà enduré des épreuves allant bien au-delà de ce que la justice
byzantin, dans la mesure où les deux textes utilisent le nom grec peut tolérer […]’ »
de ce groupe ethnique contemporain. Deuxièmement, il s’agit de
la plus ancienne mention de l’imposition des « Egyptani et Athin- Le patriarche demande au Megas Logothètes d’accorder une au-
gani » : une pratique qui, à l’époque, devait déjà être devenue dience au requérant et de l’aider. L’intéressé lui répond en ces
courante ; de sorte que l’on peut conclure que les Roms étaient termes (lettre 118, publiée pendant les Eustratiades) :
intégrés à la société byzantine dès cette époque (c’est-à-dire la « […] Concernant cette requête adressée au très miséricordieux
fin du XIIIe siècle). Empereur concernant le collecteur des impôts ayant souffert d’une
Une lettre du patriarche de Constantinople Grégoire II injustice : Si une injustice est commise à l’encontre d’un collecteur
de Chypre (1283-1289) au Megas Logothètes Théodore Muzalon, d’impôts et si on lui dérobe ce qu’il a déjà collecté, la personne
un officier impérial de haut rang (lettre 117, publiée pendant les qui conserve la plus grande partie de la somme collectée n’est
Eustratiades), concernait sa médiation dans une requête émanant pas toujours l’auteur d’une injustice et il vaut mieux, parfois,
d’un certain Monembasan : qu’une personne lui fasse du tort, de manière à ce qu’il ne puisse
« […] Un certain Monembasan — qui se prépare à collecter les pas lui-même perpétrer une injustice […] ».
impôts auprès des soi-disant Egyptani et Athingani, m’a imploré
en ces termes : ‘Dites un mot pour moi, mon Seigneur, d’une Ill. 10

Le pèlerin Arnold von Harf a noté en 1497: Il est très étrange de voir une enclume posée à même le sol.
Un maréchal-ferrant est assis devant comme un tailleur serait as-
« Nous sommes partis pour les faubourgs. De nombreuses personnes sis devant son établi dans notre pays. Près de lui, également assise
pauvres, noires et nues y vivent. Leurs habitations consistent en par terre, se trouvait son épouse en train de filer ; elle lui fait face,
petites maisons au toit couvert de roseaux ; une centaine de familles de sorte que le feu les sépare. Deux paires de soufflets en cuir, à
en tout habitent dans ces logis. Les gens les appellent Tsiganes moitié enterrés dans le sol par l’effet du feu, reposent à proximité.
[Sujginer] et ils sont connus dans notre pays comme des païens De temps en temps, la fileuse ramasse une paire de soufflets sur le
d’égypte [Heiden] voyageant sur nos terres. Ils exercent de nombreux sol et l’active. Un jet d’air se déplace alors le long du sol jusqu’au
métiers tels que la cordonnerie, le vrillage et la maréchalerie. feu, ce qui permet au maréchal-ferrant de travailler.

dans l’ordre, l’hindi et le grec. Mi- ner », le mot italien « Zingaro » ou le mot
eux encore : le romani a adopté des LEs Athingani français « Tsigane » — dérive d’« Athin-
parties essentielles, complètement gani » ; le terme « Aiguptos », quant à
nouvelles, de sa grammaire au grec Par ailleurs, il existait dans l’empire by- lui, est supposé avoir servi de base au
[III. 8, 9]. zantin des groupes de population assi- mot anglais « Gypsy », au mot espagnol
On suppose que les Roms ont milés aux Roms par les scientifiques. Tout « Gitano » et au mot français « Gitan ».
passé une période plus longue ― et en d’abord, les Athinganois ou Athingani, Le mot grec « Athingani » signi-
tout cas plus formatrice ― dans l’empire les Aigupti et les Mando-Polini, les Ka- fie « gens qui ne veulent pas que d’autres
byzantin. Au X e siècle, cet empire tsibeli et les Lori. Comme cela est le cas les touchent, qui sont intouchables ». La
s’étendait de l’Arménie et du Caucase à avec les groupes du Moyen-Orient, des regrettée Milena Hübschmannová — une
l’Est, à la Grèce à l’Ouest, en passant parallèles sociaux ont été tracés entre ces indologiste praguoise spécialiste des
par toute l’Asie mineure. Mais jusqu’au groupes de population et les Roms, sur la Roms — a suggéré que l’origine du mot
XII e siècle, époque où l’on peut sans base du système indien des castes. Les « Athingani » pourrait se trouver dans les
grand risque de se tromper supposer la termes « Athingani » et « Aiguptos » ont préceptes de propreté, dans la mesure où
présence de Roms dans le Péloponnèse, été forgés plus tard — comme on le sup- ils sont courants en Inde et respectés dans
nous manquons de documents explicites pose le plus souvent — dans le cadre du certains groupes roms ; de sorte que les
d’origine byzantine. La premier preuve mot communément utilisé par les autres Athingani, comme certains groupes roms
incontestable de la présence de Roms à peuples pour désigner les Roms : selon d’aujourd’hui, ont pris leurs distances
Byzance remonte aux années 1280 et fi- certains chercheurs, en effet, cet exo- avec le reste de la population à certains
gure dans une lettre mentionnant la coll- nyme dans les langues slaves (« Cikán » égards ou, tout du moins, ont été identi-
ecte des impôts auprès d’« Égyptiens ». en tchèque, « Cigán » en slovaque, etc.) fiés comme différents. Mais ces conclusi-
[III, 10] — ainsi que le mot allemand « Zigeu- ons ne sont pas généralement acceptées.


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Ill. 11
Un peintre d’Utrecht, Erhard Reuwich, a accompagné Bernhard von Breydenbach pendant son pèlerinage en Palestine en 1483-1484. Il a
réalisé des dessins de plusieurs villes dont Methoni et les a imprimés — sous forme de gravures sur bois — pour la première fois en 1486.
(1486, Modoni, par Erhard Reuwich, graveur ; extrait du livre de Bernhard von Breydenbach « Peregrinatio in Terram Sanctam » publié en 1486 et numérisé par la Bibli-
othèque universitaire nationale juive de l’université hébraïque de Jérusalem)

Ces gens viennent d’une ville nommée Gyppe et située à Toutefois, pas un seul des princes sollicités n’est intervenu. De sor-
quelque 65 kilomètres de Methoni. Les Turcs l’ont occupée il y a te qu’ils sont morts dans la pauvreté en léguant les lettres papales
60 ans, mais nombre des nobles et des notables ont refusé de se à leurs domestiques et à leurs descendants, lesquels errent encore
soumettre et sont venus se réfugier chez nous, à Rome, auprès du dans le pays et s’appellent eux-mêmes Petits égyptiens. Naturelle-
Saint-Père, à la recherche d’un havre de sécurité et d’un réconfort. ment, cette appellation ne repose sur aucune vérité géographique,
À leur demande, le pape a envoyé des lettres à l’empereur de Rome leurs parents étant nés dans la région de Gyppe, appelée Tzinga-
et à tous les princes de l’empire en leur recommandant de garantir nia, laquelle s’étend à mi-chemin de la route reliant Cologne sur le
la liberté de mouvement et le soutien de ces gens, dans la mesure Rhin à l’égypte. »
où ils ont été expulsés de leur terre à cause de leur foi chrétienne. Ill. 12 (extrait de Gilsenbach 1994, p. 114)

Par exemple, Yaron Matras fait dériver assimilés aux « Egyptani » dans une
« Cigán », etc. du haut-turc « Cighan » correspondance à caractère fiscal dans les Roms sur le Péloponnèse
(pauvre) et souligne à juste titre la fai- la ville de Monemvasia (l’ancienne
blesse des sources corroborant les hy- Malvasia) dans le Péloponnèse ; ce ter- Nous sommes redevables de beaucoup
pothèses relatives aux « Athingani ». En me est toujours utilisé en Grèce comme d’indications à des voyageurs italiens
fait, nous ignorons qui étaient réellement exonyme désignant les Roms. [Ill.10] et allemands, lesquels ont fait une halte
les Athingani, lesquels sont mentionnés, Les exonymes, à savoir les dans la cité de Methoni (Modon), Pélo-
dans des textes religieux, pour la pre- termes utilisés par d’autres peuples que ponnèse, pendant leur pèlerinage en Ter-
mière fois vers l’an 800. Lesdits textes les Roms pour désigner ces derniers, ne re Sainte. Methoni était située à mi-che-
évoquent des gens qui prédisent l’avenir, sauraient servir à formuler directement min entre Venise et Jaffa et constituait un
organisent des cérémonies et tentent des hypothèses sur les peuples qu’ils mouillage apprécié des marins en raison
d’influencer les tiers avec leur enseigne- décrivent. Dans le cas des Athingani, il de son port naturel et sûr. [Ill. 11]
ment « répréhensible » (c’est-à-dire non semble au moins plausible que le terme En 1381, le vénitien Leonar-
chrétien). Une source du mont Athos, da- désignait les Roms et peut-être aussi do di Niccolo Frescobaldi écrit avoir vu
tant de 1068, mentionne les « Adsincani » d’autres groupes. Si nous acceptons plusieurs « Romnites » à l’extérieur des
(la version géorgienne du nom) comme ce postulat, les Roms auraient pu vivre villes de la cité de Methoni. Cent ans
des « magiciens et des charlatans » ; au dans l’empire byzantin dès le XIII e plus tard, Bernhard von Breydenbach,
XIIe siècle et au début du XIVe siècle, ou le X e siècle. La seule chose dont le doyen de la cathédrale de Mainz, pen-
des textes d’inspiration religieuse met- nous soyons certains, toutefois, c’est dant son voyage de retour d’un pèleri-
tent en garde contre les diseurs de bon- qu’à compter du XIIIe siècle des Roms nage en Palestine, écrit que 300 huttes
ne aventure athingani. Au XIIIe siècle, vivaient sur la côte occidentale de ce qui sont bâties autour de la cité et abritent
les Athingani sont pour la première fois est aujourd’hui le Péloponnèse grec. des « Égyptiens noirs et laids ». Il ajou-


Conseil de l´Europe
Projet éducation des enfants roms en Europe Roms | histoire

d’IndE
1.0
en Europe

Séjour des Mazaris à Hades les plus importantes : Lakedaimons, Italiens, Péloponnésiens,
Slaves, Illyriens, égyptiens et Juifs (et parmi eux on compte plus
Dans une œuvre rédigée sous forme de lettre fictive datée du d’un sang-mêlé). »
21 août 1415 et adressée à Holobol aux enfers, Mazaris décrit les
conditions de vie sur la péninsule: Sur la base de la mention par Mazaris des « Roms » comme l’une
« Sur le Péloponnèse, comme tu ne l’ignores pas toi-même, oh des principales nations du Péloponnèse à l’époque et de gens
mon ami, vivent toute une série de nations ; il n’est ni simple, ni parlant leur propre langue en public, nous pouvons supposer
trop nécessaire de tracer les frontières les séparant, mais on peut qu’ils étaient nombreux sur la péninsule.
facilement distinguer leurs langues respectives à l’oreille. Voici Ill. 13

te que les « Saracènes » en Allemagne les affuble en Allemagne. D’après von vers 1440 devant la conquête turque.
— un groupe qui aurait prétendu être Schachten, nombre d’entre eux sont des Cependant, les preuves relatives aux
originaire d’Égypte — viennent en fait forgerons accomplis. Roms de cette époque ne proviennent
de « Gyppe » près de Methoni et sont Le voyageur Arnold von Harf pas toutes des pèlerins. On trouve aus-
des espions et des traîtres (le terme mentionne, lui aussi, dans ses notes si, dans les poèmes du folklore byzan-
« Saracènes » désignait indifféremment rédigées en 1497, les « Sujginer » tin du XIIIe siècle, des allusions qui se
les Turcs et les Arabes en Europe). En (« Tsiganes ») de Methoni. D’après lui, réfèrent très probablement aux Roms.
1491, un certain Dietrich von Schach- ces personnes s’appellent entre elles L’une de ces œuvres mentionne les
ten signale la présence de nombreuses « Petits Égyptiens » ; toutefois, elles « Égyptiens » du Péloponnèse d’une
huttes misérables à l’extérieur des murs ne viennent pas d’Égypte, mais d’une manière si naturelle que l’on peut légi-
de la cité de Methoni, sur une colline ; région proche de « Gyppe », appelée timement supposer que ces personnes
ces huttes abritent des « Zigeuner » « Tzingania », à environ 65 kilomètres étaient bien connues dans l’empire By-
(« Tsiganes ») selon le terme dont on de Methoni. Les intéressés auraient fui zantin. [Ills.12, 13]

Conclusion hypothèses. Les maigres faits connus même chose au IIIe siècle. Aucune de ces
favorisent l’influence des prédilections, hypothèses n’est « vérifiée », de sorte
Depuis la première apparition des Roms des motivations et des objectifs des que leur valeur ne peut être au mieux
en Europe, la question de leur origine a chercheurs sur leurs travaux. Par que plus ou moins probante. Pourtant,
été posée à maintes reprises et a parfois exemple, les ancêtres indiens des Roms même si la reconstitution scientifique
provoqué des réponses stupéfiantes. étaient des guerriers ou des lettrés, de l’histoire pré-européenne des Roms
Les scientifiques modernes n’arrivent des Brahmans ou des Pariahs selon les n’a débouché que sur de rares résultats
absolument pas à se mettre d’accord. historiens contemporains. D’aucuns réfutables, elle a généré des discussions
Mais le fait que, jusqu’à présent, avancent que « les Roms » n’ont jamais scientifiques sur la force probante des
nous ne disposons d’aucune source existé, qu’ils sont une pure construction différentes hypothèses possibles. La
claire sur l’histoire pré-européenne des non-Roms ; certains affirment que linguistique et l’anthropologie culturelle
des Roms nous encourage à continuer les Roms ont quitté l’Inde à la fin du ont joué le rôle principal dans cette
à formuler des suppositions et des XIIe siècle et aussi qu’ils ont fait la évolution. 

Bibliographie

Fraser, Angus (1992) The Gypsies. Oxford / Cambridge: Blackwell | Gilsenbach, Reimar (1994) Weltchronik der Zigeuner, Teil 1.
Frankfurt am Main: Peter Lang | Hübschmannová, Milena (1972) What can Sociology suggest about the Origin of Roms. In: Archiv
orientální 40/1, pp. 51-64 | Kenrick, Donald (2004) Gypsies: from the Ganges to the Thames. Hatfield: University of Hertfordshire
Press | Kenrick, Donald / Taylor, Gillian (1998) Historical Dictionary of the Gypsies (Romanies). Lanham: The Scarecrow Press
| Matras, Yaron (2002) Romani. A Linguistic Introduction. Cambridge: Cambridge University Press

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