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Abusus non tollit usum

La rédaction a décidé dans cette rubrique d’ouvrir une saison


« Pédagogie et écart ». Chacun des éléments appartenant au champ de
l’accréditation des LBM (et pouvant justifier d’une fiche d’écart) sera
passé en revue et des propositions de conseils, sinon des solutions, for-
mulées. Nous espérons que cette initiative conviendra à nos lecteurs.
Le premier Bio Credere de cette « nouvelle saison » est dédié à :
l’interprétation des comptes rendus d’examens de biologie médicale.

L’interprétation des comptes rendus


d’examens de biologie médicale
Actuellement, le Code de la Santé publique (L. 6 611-2) indique que l’interprétation du compte rendu
est obligatoire. Cette exigence est reprise dans le SH REF 02 du Cofrac

1. Qu’est-ce qu’une interprétation ? du(des) mesurande(s) concernés. Prenons un exemple, celui


de l’HbA1c. Le résultat est de 7,3 % ; cette valeur est-elle
C’est une valeur ajoutée au compte rendu qui appartient pleine- différente de la valeur seuil ? La connaissance de l’intervalle
ment au biologiste compétent pour apporter à son collègue pres- dans lequel se trouve la valeur la plus probable permet de
cripteur une aide diagnostique ou thérapeutique. Au XXIe siècle, répondre à la question posée.
l’acuité des disciplines médicales est telle que chaque acteur
Interprétation proposée
porteur de responsabilités dans la chaîne de la qualité des soins
prodigués aux patients doit exercer un rôle de spécialiste voire • « Incertitude de mesure ne permettant pas de différencier la
d’expert. En biologie médicale, de la biochimie générale ou valeur du résultat de celle du seuil » ou « Résultat à consi-
spécialisée en passant par l’hématologie, la microbiologie et la dérer comme non différent de la valeur seuil ».
biologie moléculaire (entre autres), la spécialisation devient même • « Valeur du résultat à considérer comme statistiquement
nécessaire à l’intérieur de ces différentes composantes de ce différente de la valeur seuil ».
seul domaine. Les cliniciens prescripteurs connaissent la même
problématique. La mutualisation pertinente et judicieuse des 2.3. Cas de l’existence d’une antériorité
connaissances, plus qu’une « lapalissade » est un apophtegme. (ou d’une vérification immédiate)
Là encore la situation qui correspond à de nombreux mesu-
randes relève du même raisonnement que ci-dessus. Pour
2. Comment interpréter conclure que la valeur d’un résultat de CA 19-9 est différent
un compte rendu ? de sa valeur du trimestre précédent, il est nécessaire de
connaître l’incertitude de mesure dans la zone de concen-
2.1. Cas général : le compte rendu dans sa globalité n’at- tration où elles se situent.
tire l’attention du biologiste sur aucun des résultats pré-
Interprétation proposée
sents (idem pour un dossier ne comprenant qu’une seule
demande d’examen, par exemple « kaliémie» ou « NFS »). Identique à celle ci-dessus.

Interprétation proposée 2.4. Cas d’un groupe d’examens ayant une cible diagnos-
« Profil biologique normal pour les résultats d’examens prescrits tique particulière (bilan thyroïdien, bilan martial, bilan
à la date du présent compte rendu » ou toute autre phrase d’une anémie, ponction lombaire, etc.)
prenant en compte à la fois la « normalité » des résultats et La valeur ajoutée par le biologiste consistera en une inter-
les implications juridiques éventuelles. prétation du groupe de résultats (ceux-ci éventuellement
complétés par une initiative du biologiste) s’appuyant sur
2.2. Cas de l’existence d’un seuil de décision clinique ou des documents bibliographiques, des recommandations de
thérapeutique sociétés savantes, etc. Les exigences liées à la traçabilité
Dans cette situation qui correspond à de nombreux mesu- obligent à disposer de ces preuves de références (système
randes, l’important est de connaître l’incertitude de mesure documentaire externe).

8 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2011 - N°437

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Pédagogie & écart

Interprétation d’une sérologie toxoplasmique.

• IgG -, IgM - : femme non immunisée, contrôle mensuel, suivre les mesures de prophylaxie.

• IgG +, IgM - : infection ancienne, confirmer par un nouveau prélèvement dans les 3 semaines (par sécurité) pour conclure
définitivement à une prémunition. Si le titre en IgG est élevé (> 300 unités) pour écarter une exceptionnelle
infection récente sans IgM, étudier l’avidité des IgG.

• IgG -, IgM + : infection récente ou IgM non spécifiques, faire un contrôle 7 à 10 jours et 20 jours plus tard pour détecter
l’éventuelle apparition des IgG ou conclure à des IgM non spécifiques et contrôler mensuellement.

• IgG +, IgM + : infection récente ou infection ancienne avec IgM persistantes. Étudier l’avidité des IgG.
Comparer dans la même série le titre IgG de 2 sérums prélevés à 3 semaines d’intervalle.

D’après la conférence du Pr Marty, lors de la Journée organisée par Abbott Diagnostics en juin dernier (RFL N° 435)

2.5. Cas d’un examen possédant à la fois un seuil infé- 2.7bis. Cas d’un examen de cytologie associé à une
rieur et un seuil supérieur (xénobiotique et intervalle demande d’examen bactériologique
thérapeutique) Il n’y a aucune différence avec les cas envisagés ci-des-
Afin de répondre dans son interprétation par l’une des men- sus. Autrement dit, dès lors qu’il s’agit d’une numération
tions suivantes, le biologiste doit connaître les performances d’éléments, quels qu’ils puissent être, la connaissance de
analytiques de la méthode et tenir compte aux deux seuils, l’incertitude de mesure est indispensable à l’interprétation
des incertitudes de mesure du mesurande concerné. du résultat. Le même algorithme de pensée s’applique évi-
demment à la cytologie (numération) des éléments cellu-
Interprétation proposée laires en hématologie (doit s’y ajouter la formalisation des
• Sous-dosage thérapeutique. habilitations corollaires).
• Surdosage thérapeutique.
2.8. Cas d’un examen ayant recours aux techniques de
• Posologie appropriée à l’objectif thérapeutique.
biologie moléculaire
• Pour les recherches qualitatives, seules l’analyse de risque
2.6. Cas d’un examen à interprétation prévue dans la NABM
a priori et ses dispositions corollaires de maîtrise ainsi que
Dans cette situation, le biologiste doit obligatoirement inter-
les données de CIQ et d’EEQ permettent au biologiste
préter le(s) résultat(s). L’exemple classique est celui d’une
d’affirmer la pertinence du résultat rendu. Ces données
demande de sérologie toxoplasmique.
sont à mon sens hors de propos dans un compte rendu.
Interprétation proposée Parfois cependant, la réponse qualitative est produite par
l’étude du nombre de cycles d’amplification (PCR « temps
Voir encadré ci-dessus.
réel »). Une statistique sur la reproductibilité des cycles en
cas de réponse négative, « douteuse » ou positive, permet
2.7. Cas d’un examen de bactériologie avec antibiogramme au biologiste d’évaluer la qualité du processus analytique
C’est sûrement l’une des situations où la compétence du et la pertinence du résultat.
biologiste va permettre au prescripteur de mieux choisir la
• Pour les analyses quantitatives, la limite de quantification,
classe d’antibiotique (ou l’association de classes), la poso-
le domaine de mesurage et l’incertitude de mesure sont des
logie et le mode d’administration.
éléments précieux pour l’interprétation des résultats.
Interprétation proposée
Interprétation proposée
Dans tous les cas, le biologiste s’appuiera dans son interpré-
Elle s’appuie sur les données bibliographiques (ANRS) dis-
tation conclusive sur les recommandations du REMIC, des
ponibles au LBM et sur ses propres recherches éventuelles
CLIN et C-CLIN.
et documentées (LBM spécialisés).

L’interprétation du compte rendu gagne d’autant plus en pertinence qu’elle peut


L
s’appuyer sur des renseignements cliniques pertinents tels que : état fébrile,
bilan d’une asthénie, type de xénobiotique, dose, heure de prise, etc.
Ce sera justement le prochain thème de cette saison « Pédagogie & écart ».

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - DÉCEMBRE 2011 - N°437 // 9


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3. Discussion • La présence de valeurs de référence (ex valeurs usuelles
ou valeurs normales) est une obligation réglementaire
Cet article s’inscrit dans la volonté de l’auteur à promou- (§ 4.1 Expression des résultats ; GBEA 1999) – déjà 12 ans…-.
voir, à l’aide d’une pédagogie inspirée par le bon sens, des
Remarque : quel LBM s’autoriserait à rendre des résultats
comportements pragmatiques mais responsables de la part
non accompagnés des « bornes de normalité » en 2011 ?
des confrères.
Qu’il s’agisse de la pratique de la biologie hospitalière ou Commentaires indiqués en relation avec ces valeurs
privée, nous sommes tous redevables de preuves de confor- Évidemment oui. Certains affirment qu’un signalement gra-
mité de nos pratiques au regard des organismes financeurs phique de la valeur (astérisque, grisé, flèche) constitue une
et des réglementations multiples et variées qui régissent forme d’interprétation…
notre profession. D’une façon ou d’une autre, nous sommes,
Commentaires obligatoires du type de ceux spécifiés
finalement, tous rémunérés pour notre juste travail par des
dans la NABM
fonds publics, d’où qu’ils viennent (CNAM/ARS).
Évidemment oui (cf. supra).
Le métier de biologiste a changé sur la forme plus que sur
le fond. D’aucuns appellent ce changement « une réforme » Avis sur la qualité des échantillons biologiques reçus
– certes l’accouchement est difficile –, d’autres l’intitulent
« révolution ». Restons simples. Les deux piliers de la réforme Remarque : nous voilà désormais avec une troisième option
de la biologie médicale sont la reconnaissance de son caractère après « interprétation » et « commentaire », celle de l’« avis »
médical (il était temps !) et le devoir d’accréditation, c’est- sur la qualité de l’échantillon. Mais cela n’est pas un avis,
à-dire la qualité et la compétence simultanément prouvées. c’est un simple constat sur la qualité de la matière première.
L’avis consiste à interpréter la qualité du résultat au regard de
Parmi les textes que tout biologiste doit connaître, il en est
celle du spécimen traité ; au risque d’être tenté d’écrire sur le
du Cofrac. Notamment le SH REF 02 et le SH GTA 01 ; que
compte rendu une formule du type « résultat sous réserve »
contiennent ces deux textes ? En bref :
…tentation sanctionnée par une fiche d’écart.
• SH REF O2 : § 5.8 (page 37/47) « L’interprétation est, en
France, une obligation du biologiste médical (L. 6 211-2), Ajouts de résultats calculés ou traités
• SH GTA 01 : § 6.25.2 « …l’interprétation… est systématique Remarque : un calcul sur un ou plusieurs résultats n’est qu’un
et obligatoire ». résultat complémentaire. Un DFG calculé via la formule MDRD
À cet instant, aucune alternative n’est possible : le biologiste récemment rénovée, un INR sont-ils des interprétations ?
DOIT interpréter tous ses comptes rendus. Oui, à condition qu’un tableau récapitulatif de la situation
Tout évaluateur technique missionné par l’Organisme d’ac- pathologique pour chaque classe de valeur calculée vienne
créditation français a donc un simple devoir, celui de vérifier accompagner le calcul. Sinon… c’est au prescripteur d’in-
l’application de l’exigence… et si elle n’est pas constatée, de terpréter ? (cf. « § Médicalisation renforcée de la discipline,
dresser en toute bonne foi une « sanction » qui peut s’étaler Rapport au Président de la République, page 42/195 »).
sur une échelle allant de la proposition d’amélioration, en Prise en compte de l’incertitude de mesure
passant par la fiche d’écart non critique, jusqu’à la fiche Chaque fois que nécessaire, évidemment oui.
d’écart critique. Les choses resteraient simples en l’occur-
rence, mais patatras !!
Quelques lignes plus loin, dans le SH GTA 01, les auteurs du 4. Conclusion
texte indiquent que sont considérés comme « interprétations
et commentaires » les items suivants : Dans le cadre des missions confiées aux évaluateurs du
- valeurs de référence, Cofrac, les bonnes pratiques d’évaluation en matière d’inter-
- commentaires indiqués en relation avec ces valeurs, prétation des comptes rendus doivent être applicables dans
- commentaires obligatoires du type de ceux spécifiés un cadre clairement défini.
dans la NABM, Sinon discussions conflictuelles, non prise en compte du
- avis sur la qualité des échantillons biologiques reçus, référentiel par certains évaluateurs, prise en compte extré-
- ajout de résultats calculés ou traités, miste par d’autres et donc évaluation « évaluateur-dépendant »
- prise en compte de l’incertitude de mesure. seront les fruits pervers du flou actuel : autant d’hétérogénéité
que d’injustice comportementales et pas des moindres, un
Valeurs de référence
référentiel interprété, voire négligé face à la réalité et/ou à la
• La présence de valeurs de référence sur le compte rendu (valeurs
« résistance » du terrain.
de référence, signifie population(s) de référence – âge/sexe/
Il semble donc qu’un cadre unique et applicable à tous les
population statistique réputée saine ou groupe pathologique
laboratoires soit rapidement appelé à voir le jour. Il en va de la
éventuel/connaissance des variations intra et inter indivi-
crédibilité des auditeurs, du bon déroulement des évaluations
duelles de chaque sous-population envisagée/méthode(s)
futures et de la coopération éclairée des audités.
de référence – pour le moins).

Enfin… c’est juste une opinion.

Claude Naudin
clnaudin@numericable.fr

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