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“Le pire dans la honte, c’est qu’on croit être seul à la ressentir”. Dans cette citation
tirée de son autobiographie La Honte, publiée en 1997, Annie Ernaux souligne la solitude des
individus face à la honte. Sentiment complexe associé à l’humiliation pénible et l’opprobre
éprouvés suite à une action jugée négativement par la majorité ou suite à la prise de
conscience de différences majeures entre soi et les autres, la honte est intériorisée par les
individus. Elle est au plus profond de leur intime. Toutefois, selon Ernaux, ceci est une
croyance infondée. Pour l’écrivaine, la honte n’est pas individuelle comme nous le pensons
mais collective, voire partagée. Jean-Pierre Martin complète cette idée deux décennies plus
tard dans son ouvrage La Honte, réflexions sur la littérature par la citation suivante : “Rien
de tel qu’un bon récit de honte pour que nous puissions nous identifier, nous retrouver dans le
tourment de notre enfance : ainsi, je ne suis pas le seul…”. Pour l’auteur, le récit de la honte
permet l’universalité, il permet au lecteur de s’identifier à l’auteur et ainsi de cesser de croire
qu’il est le seul à ressentir de la honte.
En quoi les souvenirs honteux dans les récits autobiographiques permettent-ils à ces
œuvres de s’éloigner du domaine de l’intime pour une portée davantage universelle ?
Dans un premier temps, nous démontrerons que le récit autobiographique de la honte s’inscrit
avant tout dans l’intime de l’auteur. Dans un second temps, nous observerons que le récit de
la honte octroie cependant une dimension universelle à l'autobiographie grâce à
l’identification du lecteur à l’auteur. Dans un dernier temps, nous analyserons les limites de la
portée universelle des récits de la honte dans l’autobiographie.
Nous avons ainsi observé dans cette première partie que le récit autobiographique, et
plus particulièrement le récit de la honte, appartiennent au domaine de l’intime. Cependant, la
honte est un sentiment ressenti par tout le monde, il semblerait donc que tout lecteur peut
s’identifier dans le récit d’un souvenir honteux au sein des autobiographies, ce qui octroie
alors à ces œuvres une dimension universelle. C’est ce que nous allons maintenant analyser.
Tout d’abord, la honte, bien qu’intime, est un sentiment universel dont le récit dans
l’autobiographie permet au lecteur de s’identifier. Il existe différents types de honte ; un
nombre conséquent de sociologues, psychologues et chercheurs dans divers domaines ont
d’ailleurs proposé leur propre nomenclature sur le sujet. Nous supposons que tout le monde a
déjà éprouvé un type de honte (nous partons du principe que les individus sont socialisés) au
moins une fois durant son existence, à l’exception de très rares cas (pathologies,
inconscience, etc.). La honte est un sentiment intime parce que nous avons tendance à cacher,
à ne pas communiquer à son propos, à l’intérioriser au plus profond de nous en raison de son
caractère pénible et humiliant. Toutefois, si l’expérience de la honte est universelle, si tout le
monde a déjà ressenti au moins une fois de la honte alors le récit autobiographique d’un
souvenir honteux permet au lecteur de se retrouver dans l’auteur. Il lui permet de reconnaître
sa propre honte intériorisée dans la honte partagée par l’auteur, de s’identifier à ce dernier et
de déclarer “ainsi je ne suis pas le seul” comme Jean-Pierre Martin le propose. Par exemple,
dans Baby-Foot de Joseph Joffo, l’auteur relate une scène honteuse de son adolescence où il
ment sur son identité pour impressionner la belle Bernadette. Joffo décrit les effets de la
honte (“Je m'assois, jambes coupées.”, “Je dois être couleur pivoine.”) et il semblerait que
tout lecteur ayant déjà prononcé honteusement des mensonges se reconnaisse dans le récit car
il a lui aussi déjà expérimenté les modifications physiologiques propres à la honte. Le
sentiment de honte dans les récits autobiographiques permet donc au lecteur de s’identifier à
l’auteur, favorisant la portée universelle de ces œuvres.
En outre, les souvenirs honteux de l’enfance sont ceux susceptibles de favoriser au
mieux l’identification du lecteur au récit autobiographique. En effet, à l’âge adulte nous
avons suffisamment fait l’expérience désagréable de la honte par le passé pour l’éviter autant
que possible. Les expériences de la honte les plus marquantes ont lieu durant l’enfance, que
ce soit à l’école, à la maison ou dans la rue. De ce fait, les récits d’épisodes honteux de
l’enfance dans les autobiographies permettent la plus grande portée universelle au sein de ces
œuvres, notamment parce qu’ils favorisent l’identification d’un nombre maximal de lecteurs
(le récit autobiographique de l’aventure d’une personne adulte exclut généralement
l’identification de l’enfant à l’auteur). Ainsi, comme le déclare Jean-Pierre Martin, le récit de
honte permet au lecteur de “retrouver le tourment de l’enfance”, c’est-à-dire de se souvenir
de la période de sa vie où les expériences de la honte ont (probablement) été les plus
fréquentes. [(Ici nous aurions souhaité placer et expliquer l’exemple d’une autobiographie
relatant un souvenir de honte d’enfance générique tel que faire une chute en public, se
tromper devant toute la classe ou encore savoir ses secrets intimes révélés au grand jour,
toutefois la culture littéraire sur le sujet nous manque !)]
Nous avons mis en exergue le caractère universel des récits d’un souvenir honteux au
sein d’une autobiographie, notamment présent grâce à l’évocation de l’enfance. Il s’agira
désormais de démontrer les limites de la portée universelle du récit de la honte dans
l’autobiographie.