Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
ffl
1
V -
Présentation S
5 i!
h
?]
P R E M IE R E P A R T IE
L E C H A M P S T Y L IS T IQ U E
D E U X I E M E P A R T IE
I
V LE la n g a g e f ig u r e
I I L a répétition ................................................................................................... 96
II ILes figures de construction ................................................................................ 100
1. C aractérisation non p e rtin e n te ......................................................... 100
/ 2. Disposition des groupes syntaxiques ............................................ 102
T R O IS IÈ M E P A R T IE
PRA TIQ U E D E LA S T Y L IS T IQ U E
In d e x ............................................................................................................................................. 203
I
Présentation
y'
L a stylistique est à la fois une m éthode et une pratique, c ’est-à-d ire
une discipline. O n en a longtem ps gau chi la spécificité, voire contesté
m êm e l’existence, en la subordonnant à son objet évident : le style. O r,
cette évidence est apparue, à tort ou à raison, de plus en plus op aqu e ; on
a sem blé se perdre parm i des définitions con trad ictoires du sty le; on est
allé ju sq u ’à dissoudre la réalité de c e t objet ; on est ainsi arrivé à une
situation bien décevante : un ch am p de d écom b res, où l’on ne fait plus
de stylistique que p ar provocation, ou p a r défaut, ou p ar substitution.
Situation paradoxale après la gran d e floraison des études de langue ces
dernières années ; mais situation, finalem ent, satisfaisante pour l’esprit
routinier com m e pour l’innovateur systém atique.
Il est cependant dom m age de ne pas profiter d ’un m om ent privilégié
dans notre époque : celui qui relie l'irrem p laçab le acquis des recherches
classiques et traditionnelles au x précieux pim ents des développem ents
actuels les plus modernes. L a sagesse consiste donc à p artir de la
stylistique et non du style. O n installe au d ép art une praxis, et on
exam ine ce qu’on trouve à la fin.
O n adm et qu’il s’agit d ’an alyser des faits langagiers. M ais quels
faits ? Il est possible d ’y voir plus clair en situan t la discipline p ar ra p
p ort à d ’autres, avec lesquelles elle a p artag é le vaste m ouvem ent
herm éneutique de notre période : la linguistique, la sémiotique et la
critique.
L a stylistique est partie de la linguistique, entendue au sens de
science du langage. Il ne faut pas être dupe de ce term e de science, sur-
10 Éléments de stylistique française
tout à cause des connotations de sciences exactes qui lui sont indûm ent,
et com m e p ar atavism e, a ttach ées. M ais on peut appeler science
l’investigation systém atique et technique du dom aine p articulier de
l’activité hum aine q u ’est le lan gage : une telle science, la linguistique,
com prend incontestablem ent des disciplines diverses : phonétique et
phonologie, sém antique, lexicologie, syntaxe (p ou r ne citer que des
dom aines bien co n n u s)... stylistique. L ’objet de ch acu ne de ces discipli
nes est plus ou moins m anifeste, m ais on conçoit aisém ent qu’il s ’agit
chaque fois d ’une aire à d élim iter dans le phénom ène linguistique. E n
tout cas, linguistique n’est pas pris au sens d ’une théorie linguistique
spéciale.
La relation avec la sém iotique p erm et de p réciser les choses.
C onsidérée moins dans la rigueu r de la d octrine que dans son esprit et
d ’un point de vue global, la sém iotique explore la portée significative vers
l’extérieu r — la significativité — d ’un systèm e sémiologique donné : le
la n g ag e; elle em prunte d onc une p artie de ses m éthodes à d ’autres
sciences q u ’à la linguistique. Il n ’em pêche que les questions de
représentativité, de valeurs significatives, sont au cœ u r de la problém ati-
que^tylistique :-d écrire le fonctionnem ent d ’une m étaph ore ou l’organi
sation d ’une distribution de p h rase, c ’est nécessaire ; m ais cette opération
n’a d ’intérêt que si on peut aussi m esu rer le degré du m arqu age langagier
repéré en l’occu rren ce. E t cette m esure, de près ou de loin, est d ’ordre
sémiotique.
L a critique, enfin, est un discours sur le discours litté ra ire ; elle est
aussi la som m e des m oyens utilisables p our tenir un discours toujours
plus éclairan t et toujours plus in téressant ; parm i ces m oyens, qui vont de
-Ilh isto ire -à -I’esthétiquey-Æn p assan t p a r la gram m aire:- historique, la
sociologie, la psychologie et q u an tité d ’autres ap proches, figure la
stylistique, appliquée à la form ation co n crète du discours étudié. L a
science de la littérature, qui cern e la littérarité de ces discours, rencontre
forcém ent les déterm inations stylistiques des genres et des procédés. L a
stylistique est ainsi un in strum ent de la critique (et n otam m ent de la
critique d ’attrib u tion ).
L E CHAMP STYLISTIQUE
LE M OT
SI = Sé + S a ’ .
I | A N A L Y S E D U S IG N IF IA N T
3. On doit rattacher à cet aspect les jeux sonores, du genre des rimes, assonances,
allitérations, contrepèterie ; constitutifs d’une grande partie de la métrique, ils sont aussi à
la base des « déconstructions » langagières dans certaines productions de la littérature
contemporaine. Les jeux d’homonymie et de paronymie sont également fertiles dans le
même type de littérature, ainsi que dans la publicité.
18 Le champ stylistique
II | A N A L Y S E D U S IG N IF IÉ
O n exam inera donc de plus près le signifié, entrant délibérém ent dans
un canton de la sém antique.
Pour cerner et soupeser ce signifié, on ne saurait négliger les voies'
classiques.
O n prend la lexie en elle-m êm e et, sim ultaném ent, dans son con texte.
L e con texte est en réalité la situation contextuelle : c ’est-à-d ire non
seulem ent l’après et l’av an t de la chaîne parlée, m ais aussi le ton de la
p rononciation, les gestes et le com p ortem en t qui l’acco m p ag n en t, les
relations en tre les interlocuteurs, les présupposés et les m otivations du
discours — bref, tout ce qui déterm ine l’acte énonciatif. D e ce point de
vue, on a d m ettra que le signifié, le Sé, est égalem ent com posé de deux
éléments.
Les sèm es, en revan ch e, sont des élém ents de signification rigoureuse
m ent déterm inés, q u ’on d evrait qualifier de plus petites unités de
signification, aboutissant à p articu lariser tel dénoté individuel p ar
com binaison de particules spécifiques. O n v erra plus loin6 un exem ple
d ’application de cette ap proche théorique.
Sé = S + x.
O n v erra qu’ une telle sch ém atisation n ’est pàs sans utilité pour
l’approche des je u x sém antiques figurés. L ’analyse des valeurs connotati-
ves m et à jo u r un véritable systèm e, d ont la portée linguistique n ’est pas
sans faire problèm e, m êm e après les tra v a u x fondam entaux, et fonda
teurs, de C ath erin e K e rb ra t7 : c ’est q u ’on en vient toujours, d ’une façon
ou d ’une au tre, à isoler un signifié d e con notation , ce qui donne
l’impression délicate d ’un serp en t qui se m o £^ la queue. E t pourtant, le
systèm e co n n o tatif existe, il fonctionne, et il est m êm e stylistiquem ent
m ajeur dans l’économ ie lexicale (et tran slexicale).
La connotation est l’ensem ble des évocations accom p agn atrices du
noyau dénotatif, com m e un m ouvem ent d ’associations qualitatives qui
colorent l’émission de la lexie d ans le d om aine affectif et social. L a
connotation d ’un m ot en déterm in e ainsi la résonance.
6. P. 26-28.
7. La Connotation, Presses Universitaires de Lyon.
22 Le champ stylistique
Plus délicate, mais non moins im portante, est la question soulevée par
une au tre com posante du système connotatif : le niveau. C h acu n a en
m ém oire des ensembles com m e il a clamecé, il est mort, il est parti — j e me
taille, je m ’en vais, je porte ailleurs mes pénates. C ’est simple : quelle que soit
la nom enclature adoptée, tout le monde est d ’accord pour reco n naître
que les premiers terjmessontrde-niveaa w lg a ifë j lês d euxièm es de niveau
neutre, les troisièmes de niveau soutenu. Bon. M ais c ’est déjà moins
évident quand on oppose merde à zut : le premier sera ord u rier (?) et le
second plutôt familier. Sans doute ; de même pour distinguer tu râles et tu
bisques, vous m’emmerdez et vous m’embêtez. A l’opposé, les cavales et les hoyaux
ne sont-ils pas plus que de niveau soutenu, plutôt très rech erch é, par
archaïsm e de la lexie ou désuétude de la chose? D ’au tre p a rt, les faits de
niveau, au dem eurant incontestables, tiennent aussi à la syntaxe : j ’aurais
aimé que vous vinssiez me le dire est de niveau très recherché, p a r oppôsition
à j ’aurais aimé que vous veniez me le dire, qui est simplement neutre, en
français a ctu e l; c ’est pas lu i! devient également neutre en face de ce n ’est
pas lu i! plutôt soutenu.
Le mot 23
dans des ensem bles connotatifs issus de registres différents : p ar exem ple,
à propos de feu , technique, sentim ental, littéraire, esthétique, pour ne
citer que quelques registres essentiels parm i les plus souvent actualisés.
Il est possible, enfin, d ’utiliser, dans un emploi, il est vrai, assez
dérivé, le con cep t de ch am p 9 pour désigner l’ensemble des valeurs
associées suscitées, pour le récepteur, par l’occurrence d ’une lexie dans
un texte, c ’est-à-d ire le prism e connotatif global : si on prend le terme
pétrole, ou le term e com posé lutte des classes, on n ’au ra pas de m al à form er
ainsi des ch am p s assez variés, selon chacun des domaines connotatifs, en
im agin an t les différentes situations énonciatives correspondant à des
-d o n n ées d ’époque et de milieu également diverses.
O r, notre propos est essentiellement cet- objet ^ à rtrcü lië r' qu’e s t le—
discours littéraire, appréhendé sous sa forme obvie : le texte. Q ui ne voit
q u ’est prioritaire l’op ération de repérage des renvois et des itérations
sém antiques en tre m atériau x constituant la tram e de ce te x te ? On
ad m ettra d ’appeler isotopie tout réseau sémantique m arqué p a r des
redondances sémiques dans un texte. Q u ’on utilise ou non le term e
d ’archilexèm e p ou r désigner la lexie-type, occurrente ou non, indiquant
le réseau considéré, n’a au cun e im portance. C e qui com pte, c ’est d ’isoler,
p a r exem ple, des isotopies d e la m ort, ou de l’am our, ou de la m er, ou des
oiseaux, ou de la transform ation, même si aucune de ces lexies-typés
n ’ap p araît dans le texte, mêm e si certaines lexies correspondantes
n ’ap partien n en t pas évidem m ent ni de soi à ce réseau-là dans d ’autres
con textes, et m êm e si su rtou t la production du sens dans le texte se fait
p ar im brication et réactio n de ces isoto/ies les unes p ar rap p ort au x
au tres.
Il faut être bien conscient que, pour l’étude stylistique, au niveau du
vocab u laire, l’analyse des isotopies est plus pertinente et considérable
m ent plus ren tab le que la pratique de la statistique lexicale. E n outre, on
ne peut guère se risquer à l’exam en du langage figuré sans considérer les
isotopies su r lesquelles il jou e.
9. Qui appartient à la théorie de Georges Matoré; on verra plus loin des emplois
différents du mot.
sous le seul rap p ort et dans l’unique intérêt d ’une pratique globale
stylistique. N e nous cachons pas qu’il a été souvent difficile de distinguer
ce qui est objet de ce qui est méthode d ’analyse, tan t la stylistique
m oderne est aussi construction de son objet ; de m êm e, on ne s’est pas
privé de d ém on ter des faits langagiers dont la structure dépasse
largem ent l’unité m ot (p ar exemple dans les phénom ènes de niveau) :
c ’est inévitable quand on prend conscience de l’artifice qu’il y a à exposer
une m atière p ar essence rassem blée.
R este à voir com m ent on peut aboutir à des bilans.
O n sait com m ent on a opposé, longtem ps, perspective sémasioiogique
et perspective onom asiologique, la prem ière p artan t des m ots pour tra ce r
une organisation conceptuelle, la seconde p artan t d ’une idee pour relever
les différents m ots qui y renvoient ‘ par exem ple, pour celle-ci, on peut
rép ertorier le vocabulaire de la m arine dans un texte, ou, pour celle-là,
scru ter dans quels axes notionnels se développe le faisceau sém antique
produit p a r l’usage du m ot argent dans une oeuvre donnée. Nul doute que
ce soit là p ratiq u e intéressante et m êm e, souvent, rentable. L ’inconvé
nient, cep end an t, vient du caractère trop tranch é de cette dualité, et de
la difficulté où l’on se trouve en général de m aintenir une conduite aussi
dichotom ique.
N ’oublions pas, en effet, que nous sommes confrontés à des textes
littéraires, p our lesquels la mise en œ uvre formelle est doublem ent
prem ière : et com m e production langagière et com m e ap proche critique.
O p a d onc toutes chances de rencontrer sans cesse,'sous quelque rubrique
que ce soit, des lexies. D ’au tre p art, il est plus im portan t de ne jam ais
perdre de vue l’espace textuel dans lequel se m eut le m atériel lexical :
com m e il est ap p aru tout au long des analyses précédentes, il n ’y a de
lexicologie littéraire que contextuelle. C es réserves, ou ces mises au point,
étan t bien entendues, il est certain qu’il existe deux m anières, plutôt deux
tendances dynam iques, capables de déterm iner notre propos : ou bien on
fixe son attention sur tels ou tels m ots, ou bien on envisage un ensemble
textuel.
P ou r un exam en p ortan t sur un term e, il est com m ode de suivre la
m éthode illustrée p ar Georges M a to ré 10, qui consiste à construire le
ch am p sém antique d ’un m ot. Sans doute, Georges M ato ré n’avait-il pas
essentiellem ent pour objet le texte littéraire, et sa perspective est-elle
dem i cad re) : on constate ainsi que ce systèm e im ageant n’a été produit
p ar M atzneff que sur trois pôles de son discours.
un lion dompter
cheval qui pète le feu dresser
13. Par une paradoxe de nomenclature, cette approche s’apparente assez à ce que les
sémioticiens appellent l’analyse sémique d’un texte.
30 Le champ stylistique
On l’au ra sans doute com p ris, les moyens d ’analyse d ont a été
esquissée la présen tation au long de ce ch apitre, certes divers et
hétérogènes, ne sont destinés q u ’à une seule fin : ap précier la qualité du
lexique dans un d iscou rs littéraire p articu lier14.
C e n ’est p as une m ince en trep rise. Q uand on lit, p a r exem ple, une
page de Stendhal, il arriv e q u ’on soit saisi d ’une sorte de gêne : on ne
réussit pas à se fixer une im pression stable sur le flux des m ots employés ;
nous échappe com m e leur v rai sta tu t, leur sérieuse portée : grande est
alors la tentation de n ’y entendre que du clinquant. U n p assage épique
de M alrau x, au x con notation s p ourtan t si fortem ent m arqu ées, laisse
parfois aussi, étran g em en t, une im pression de toc. U n texte d ’H . d ’U rfe,
en revanche, p a ra îtra presque entièrem ent herm étique p o u r qui essaie
d ’être sensible aux tonalités véritables et variées des m ots em ployés, à
14. Nous disons lexique et non vocabulaire, par pur arbitraire, réservant, on se le
rappelle (voir p. 23), le second terme pour désigner un ensemble de mots correspondant à
un registre délimité. i
Le mot 31
leurs jeu x, à leur force, à leurs valeurs. E t que dire d ’un récit de V oltaire,
dont l’ironie sem ble construite sur une sorte de lexique tout b lanc, tout
lisse, insaisissable ? L a quantité ne fait grand-chose à l’affaire, sinon pour
préciser des dom inantes dont les masses imposent d ’emblée l’exam en :
proportion de n om s, verbes ou adjectifs ; tendance à l’abstraction ou au
pittoresque ; allure volum étrique ; propension au simple ou au com posé ;
préférence de types de d érivation; récurrences de toute sorte. E t
p ourtan t, c ’est bien d ’une m esure qu’il s’agit. O r cette m esure ne peut
être que différentielle : p a r rap p ort à l’ensemble d ’une œ uvre, au x œuvres
du m êm e genre, de la m êm e époque. C ’est la relation de ces trois cerclés^ '
en en im agin ant toutes les implications ou tous les chevauchem ekflBj
possibles, qui p erm ettrait seule une juste appréciation de la q u a lité ?
lexicale. C ela suppose un effort d’étude synchronique toujours plus
affinée pour ch aqu e tranch e chronologique : on retrouve ainsi l’impé
rieuse nécessité de la stylistique historique.
U n e au tre question délicate se pose alors inévitablement, com m e une
provocation à toute dém arche stylistique : y a-t-il une littérarité du
lexique15? A u trem en t dit, quels rapports y a-t-il — y a-t-il des rapports
form alisables — en tre l’emploi des mots en fonction poétique et en
fonction non-poétiq ue? E n quoi d ’autre p art le texte littéraire peut-il
intégrer et m arq u er l’oralité du signifiant ? Il n’est pas aisé de déterm iner
rigoureusem ent les term es de ces questions : m ais il ne faut pas s’aveugler
pour au tan t. D es élém ents de réponse seront indiqués, norm alem ent, au
fil des chapitres suivants, puisque leur objet sera plus fonctionnel
qu’élém entaire ; nous reviendrons aussi sur quelques-uns de ces points e n '
conclusion. L ’im p ortan t était de baliser les chemins qui conduisent aux ’
interrogations les plus décisives. ‘
O n sera p eut-être surpris que nous ayons fait une trop grande p a rt au
signifié, au détrim en t du signifiant. M ais le m atériau de base de l’art
littéraire q u ’est le m ot n ’a pas de statut homogène avec le m atériau de
base des autres arts, com m e le son, la couleur et le trait, ou le volume
d ’une m atière. Les pratiques de destruction lexicale, les jeu x d ’invention
de signifiants m acaroniques n ’ont de portée que p a r réference à un
univers sém antique qui seul rend significatifs ces essais de m anipulation
ou d ’exorcism e. M êm e en poésie post-surréaliste, qui représente bien une
15. Ce qui n’a rien à voir avec des registres littéraires, ni avec ce que les Anglais
appellent poelic diction. - ----------
32 ,e champ stylistique
ACTUALISATION ET CARACTÉRISANTS
G ÉN ÉRA UX
G. IWOLfMÉ 2
34 L e champ stylistique
Il faut d ’abord définir les term es, ou les pôles, de l’énoncé considéré.
C e n ’est pas simple, car il ne s’agit strictem ent ni des bornes du circuit
de la com m unication (ém etteu r-récep teu r), ni uniquem ent des modalités
personnelles de leur figuration, mais d ’un m ixte des deux. Les instances
ici évoquées, ou convoquées, seront d onc m ieux, et arbitrairem ent,
dénom m ées des actan ts. Prenons gard e que ce m ot d ’actan t a déjà
plusieurs sens différents': syntaxique chez T esnière (les trois principaux
« com plém ents » du verbe — dont le sujet), fonctionnel en narratologie
sémiotique (les fonctions essentielles com m e destinataire ou opposant,
p ar exem ple1). Néanm oins, le m ot a cta n t présente plus d ’avantages que
d ’inconvénients : il signale la relation avec le systèm e de l’actu alisation —
fondam entale, il personnalise le circuit énonciatif, il subsum e les avatars
dans lesquels peuvent se cam oufler les parties prenantes à l’activité de
discours.
Il est possible de reconsidérer et de form aliser de la sorte la plus
grande distinction langagière susceptible d’être approchée objective
m ent : celle du récit et du discours (conform ém ent à la terminologie de
Benveniste). On note certes l’opposition bien connue entre les
em brayeurs de récit : désinences de troisièm e p erso n n e; sémiologie
verbale d ’im parfait, de passé simple, ou de passé com posé en français
con tem p orain ; série adverbiale du type -là, le lendemain... — et les
em brayeurs de discours : prem ière et deuxième personnes (en plus de la
troisièm e) ; sémiologie verbale d ’im pératif, de présent e t de futurs (plus
l’im parfait et le passé com posé) ; série adverbiale du type -ci, demain... Il
est utile de séparer les énoncés de l’une et l’au tre catégorie, de discerner
les entrelacs (dont le discours indirect libre n’est qu’un cas-lim ite assez
som m aire), et de cerner les im brications am biguës : on aura souvent du
m al, par exemple chez C éline, à distinguer des zones claires : on fera
!
1. Voir lè dernier chapitre.
Actualisation et caractérisants généraux 35
An *— * Ajq
R i ... le public
R î ... le m etteu r en scène
R 3 ... les a c te u r s ; lesquels à leur tou r constituent un élém en t de
dédoublem ent sim ple de l’a c ta n t I ém etteu r :
E i ... le p rodu cteur du texte
E 2 ... les acteu rs.
A l’intérieur du niveau des actan ts II (le jeu des rôles réalisés sur
scène), certaines structures actantielles se définissent non seulement selon
une relation homogène du type
An —» ?
(G u stave)
ou A n
(G u stave)
----- O n peut aussi isoler les vides, ou les blancs, laissés dans l’identifica
tion des postes actantiels mis en jeu dans la littérature fantastique. Il
suffit, en outre, de doubler les traits horizontaux, ou d ’en dessiner en
pointillés, selon des flèches avec simple ou double orientation , pour
figurer les différentes modalités du système actantiel chaque fois qu’il y
à brouillage ou manipulation des cham ps référentiels, p a r exem ple dans
les discussions ou dans les textes polémiques ou satiriques, com m e chez
Pascal ou Voltaire.
2. Ce qui montre que la manipulation qui consiste, dans les classes du secondaire, à
réduire des phrases à des noyaux grammaticaux est souvent une imposture.
38 I Le champ stylistique
si on le com m ute avec un autre terme de son p arad igm e, le sens change
systém atiquem ent ; il en va de.m êm e si on modifie les m arques du genre,
du nom bre, et du temps. C e sont là faits d ’actualisation élém entaire, qui
ne semblent pas offrir matière à analyse stylistique. Point de ca ra cté risa
tion. V oire. D ’abord, il faut reconnaître q u ’on p o u rrait ch an ger une
partie de la désinence verbale : i —* ai, ou m êm e toute la m orphologie du
verbe : sortit —> est sortit, sans que cela entraîne une m odification de la
n atu re de l’information véhiculée; c ’est assurém ent contestable, mais
c ’est tout de même soutenable ; et, en un sens, le ch angem ent sortit —* est
sorti est celui qui affecterait le moins le contenu du m essage. Surtout,
quelle est cette m arquise? à quelle époque sortit-elle av ec son chien ou
le fit-elle seul so rtir? quel jo u r? Finalem ent, qui profère cette affirm a
tio n ? et à l’intention de qui? Pourquoi cette inform ation, et sous cette
forme syntaxique? Les possibilités de m odification m orphologique,
com m e les interrogations qu’on vient d ’énum érer, dessinent au tan t
d ’entrées dans un authentique système de ca ra cté risa tio n , appuyé sur la
base m êm e des actualisateurs. L ’expression actu alisan te peut d onc
constituer une forme de caractérisation.
Indépendam m ent des marques de la p e rso n n e “référables au systèm e
actantiel fondam ental, exposé au début de ce ch ap itre, il est une
déterm ination verbale qui a une vocation propre à su pp orter une valeur
de caractérisation : c ’est l’aspect. O n n ’en rappellera ici, pour m ém oire,
que quelques traits : le présent de n arration , le jeu du passé com posé et
du passé simple, les nuances de l’im parfait de l’indicatif. De brèves
rem arques seulement, à titre d’exem ple.
O n a eu longtemps l’habitude d ’écrire dés histoires au passé simple,
pour rapporter la tt-am ê'prinâpale 3 ë s tàîts'. E rtT etatieii'^veo^ ttMp ioi-de-'--
l’im parfait, on notera, com m e valeur ca ra cté risa n te habituelle du passé
simple, le signalement des étapes dram atiq ues. O r, au cours du
x x e siècle, le passé composé, pour le m êm e type d ’emploi rom anesque,
rem place le passé simple (ainsi dans L ’Etranger de C am u s) : ce
rem placem ent s’interprète en termes de caractérisatio n p ar rap p o rt à
l’esthétique rom anesque, il indique une m odification idéologique dans la
relation du public avec le temps et avec l’histoire. U n au tre emploi du
passé com posé est aussi fortement caractérisan t : c’est celui des poèmes
de Baudelaire où la temporalité ainsi évoquée ne renvoie à rien d ’autre
q u ’à une résonance indéfiniment renouvelée dans l’esprit du lecteur à
chaque acte de lecture. Q uant à l’im parfait, s ’il a souvent signalé
Actualisation et caractérisants généraux 39
j e m ange un peu
peu
plus ou moins
beaucoup
assez
extrêm em ent
p a s du tout
j e ne m an g e p a s . '
il est beau
p lu s beau
m oins beau
a u ssi beau
p lu s ou m oins beau
vaguem ent beau ------------- —
tionnel 5 : on serait donc tenté d ’y voir des élém ents assez caractérisants.
O r , l’inform ation essentielle, véhiculée dans ces expressions, est bien la
d estin ation Paris pour la prem ière, et le m oyen de locom otion bus pour la
deuxièm e ; il est difficile, dans ces conditions, de considérer Paris et bus
com m e des caractérisan ts, puisque ces term es sont nécessaires à la
com p létud e sém antique des phrases : ils fonctionnent en fait, justem ent,
com m e des com plém ents essentiels. C e co n cep t de com plém ent essentiel
p a ra ît, du m oins p our le stylisticien, plus opératoire que ceux de
com p lém en t d ’objet et de com plém ent circonstanciel : il perm et de
tran scen d er ces catégories en distinguant les expansions verbales insépa
rab les de la déterm ination, indispensables à la pertinence information
nelle, d e celles qui adhèrent moins au noyau actan tiel central. O n est
fondé à con clu re que, 4 ’une m anière gén érale, les caractérisan ts spécifi
ques du verbe sont les com plém ents non essentiels.
Si on revient au x voies classiques p o u r envisager le cas du nom , on
d ev rait pouvoir dire que le ca ra cté risa n t spécifique du nom est l’adjectif
qualificatif. E n co re faut-il s’entendre su r les term es. D ’ab ord , il convient
d e ne p as oublier ce qui a été précisé p récéd em m en t : tout prédéterm i
n a n t fonctionne com m e u n a d j e c t i f e n p uissan ce de caractérisation .—
E n su ite, p arm i l’espèce reine des adjectifs qualificatifs, il convient de
d istinguer d eu x emplois : l’ad jectif à v aleu r relationnelle et l’adjectif à
v aleu r non relationnelle. Si certains adjectifs qualificatifs semblent
ap p arten ir presque toujours à l’ensem ble relationnel (com m e les adjectifs
tech n iq u es, ou beaucoup de p articip es-ad jectifs), une grande partie
prend des valeurs variables selon le co n texte. C h acu n sait que byzantin est
relationnel dans la phrase Mme le Chancelier des universités de Paris est
spériaiisted’kistoire, byzantine (et n o n -d’h isto ire co n tem p o rain e), mais non
relationnel d an s la phrase votre affaire est vraiment byzantine ( = compliquée
à p laisir). M ais un m êm e ad jectif com m e rouge, qui pourrait passer pour
le type de l ’ad jectif non relationnel, com m e dans il est arrivé au volant d ’une
superbe voiture rouge, devient relationnel d ans aujourd’hui, c ’est avec l ’auto rouge
qu’il est venu (et non avec la beige). T o u t cela est simple et bien connu.
R app elon s aussi que la quantité d ’adjectifs non relationnels dans un texte
définit un fort élém ent de caractérisation . Signalons enfin deux structures
syn taxiq u es dont l’emploi est équivalent à celui de l’ad jectif qualificatif,
y com p ris d ans la possibilité de prendre une v aleu r caractérisan te ou non-
7. On pourrait aussi, si on était téméraire, analyser sur le même modèle les séquences
du type c’est t 'idiot des idiots, ou il est le roi des imbéciles, dans lesquelles il est possible de voir
une sorte de caractérisation à l’égard du thème préalablement indiqué, mêlée d’une
caractérisation intensive du caractérisant — c'est un être extrêmement idiot - il est parfaitement
imbécile. Malgré la transformation de nombre (-des idiots -des imbéciles), le premier terme
servirait de simple caractérisant au second, qui constituerait la base caractérisée. C ’est là
une analyse purement séquentielle, qui contredit évidemment l’analyse traditionnelle plutôt
orientée vers des « génitifs d’excellence » ou des « métaphores partitives ».
8 . Les Deux Etendards, Gallimard, 1951.
46 Le champ stylistique
d ’un cas assez exceptionnel, mais foft rep résen tatif d ’une sorte
d ’em brayage langagier qui fait jou er la m êm e relation linguistique sur
deux niveaux différents.
D ’autre p art, il est raisonnable de rem arquer, en fonction m êm e des
diverses analyses préalablem ent opérées dans les pages p récéd entes, que
les pivots canoniques — nom et verbe — ne sont pas les seuls supports
de toute caractérisation. Non qu’il faille subdiviser l’étude traditionnelle
pour répertorier, ce qui est facile, des constituants secondaires : adverbes
à l’égard d’adjectifs ou d ’adverbes. C ela n’ira pas bien loin. Il convient
plutôt de m esurer autrem ent, et de passer à la phrase. Soit l’énoncé
suivant : on sait bien que la caractérisation est une notion ancienne. Bien
caractérise sans doute sait; ancienne est peu ca ra cté risa n t. M ais quel
rapport y a-t-il entre les deux propositions ? Il semble q u ’il s’agisse d ’ un
rapport de déterm ination, à tout le moins de com p lém entarité essentielle.
N ’empêche qu’on peut varier la forme de l’énoncé, sans v arier le sens :
on le sait bien, la caractérisation est une notion ancienne, et m êm e la caractérisation,
on le sait bien, est une notion ancienne, ou encore la caractérisation est une notion
ancienne, on le sait bien. L a dernière occurrence m on tre non seulem ent la
mobilité de la proposition dont le verbe est on sait, m ais aussi son
amovibilité. O n ad m ettra donc qu’elle ne sert que de ca ra c té ris a n t de
phrase, mêm e dans la prem ière occurrence. Il faut ainsi p ratiq u em en t
réaliser une sorte d ’analyse informationnelle des phrases p o u r isoler, p a r-
delà la structure syntaxique, les segments ca ra cté risa n ts de ce u x qui
constituent la charpente gram m atico-sém antique.
E n réalité, les caractérisan ts généraux les plus larges, e t les plus
intéressants, ressortissent tous, d ’une façon ou d ’une a u tre , au x faits de
d ïstrib u tîo n .O n touche donc à la lisiêreT d e l a fbrrne et d é la su bstan ce
du signifiant. L e concept le plus utile, pour ren d re co m p te de ce
phénomène, est celui de variation — variation p ar ra p p o rt à un énoncé
faiblement caractérisé, et p ar rap p ort à des m arques plus canoniques de
caractérisation.
On peut dire cet invité a beaucoup mangé. L a p hrase présente un
caractérisan t, isolé, selon un système analytique, beaucoup ; on rem arq u e
q u’il est déplaçable, à la suite du caractérisé a mangé. O n p eut d ’ailleurs
se poser des questions sur l’éventuelle nuance ca ra cté risa n te entraînée
p ar ce déplacem ent. C ette phrase est susceptible d ’être transform ée sans
modification du contenu. L a variation élém entaire de la transform ation
est la suivante : cet invité a mangé, mangé. O n note, o u tre une m odification
Actualisation et caractérisants généraux 47
Sé — Cant - » S = Sa”
— c ’e s t h i e r s o i r q u e m o n p è r e e s t v e n u ; \
— h i e r s o i r i l e s t venu m o n p è r e ?
11. Voir les chapitres IV et V. Les figures d’élocution tiennent au matériel sonore.
12. P. 45.
13. Voir le premier chapitre (« La connotation »). On note à l’évidence que la catégorie
de niveau ne se réduit pas à la question du lexique, mais engage aussi des faits de syntaxe
et d’ordre des mots. La phrase 3 est-elle de niveau familier,par déplacement sans ligature
du syntagme et double occurrence du poste sujet, ou n’y a-t-il rienlà que de très normal
par opposition à une phrase 4 plus marquée, mon père, il est venu, hier soir, mais dépourvue
de tendance caractérisante?
Actualisation et caractérisants généraux 49
d ’autres cas, on l’a déjà rem arqué, elle sert de support à diverses marques
caractérisan tes. D ’autre p art, on sait bien que le m êm e segm ent elle est
belle peut signifier elle n ’est pas belle du tout, c ’est-à-d ire elle est moche, p ar le
biais d ’une figure m acrostru ctu rale fort connue, l’ironie. M ais, dans cette
situation, la mélodie fonctionne com m e un auxiliaire obligatoire, l’into
nation suivant une courbe toute différente du cas p récéd ent, sans aucun
allongem ent de la dernière syllabe, qui reçoit en revan ch e un fort accent
d ’intensité. L ’im portant est de noter q u ’il existe des valeurs caractérisan
tes interm édiaires, entre l’affirmation em phatique et la négation
com plète, qui correspondent à au tan t d ’indicateurs com m e plus ou moins,
vaguement, en un sens, vous croyez, bof, à sa façon, c ’est selon..., et qui ne sont
déterm inées que par l’inflexion m élodique. O n p eut aller jusqu’à se
d em an d er s’il n’y a pas des nuances de caractérisatio n qui tiendraient
uniquem ent à des faits extralinguistiques, m ais inhérents à la structure
globale de la com m unication : situation des ém etteurs et des récepteurs,
accom p agn em en t non langagier de l’émission e t de la réception du
m essage. M ais il s’agit là d ’un type d ’étude qui ressortit sans doute à la
sém iologie générale, plus q u ’à la sém iotique p rop rem en t dite, et qui
.excède évidem m ent-la visée d e la p ragm atiq ue littéraire.--------- ------------
Il n ’est peut-être pas inopportun de songer, ultim em ent, à un
ensem ble dont on pense peu souvent à m esurer le degré caractérisan t :
le lexique. Sans revenir sur le prem ier ch ap itre, on rap p ellera qu’il existe
un con cept traditionnel, celui de qualité du vocab ulaire. O n l’entend,
sans doute, de plusieurs façons. Quoi q u ’il en soit, un des résultats de
l’analyse lexicale doit perm ettre d ’ap précier la qualité du vocabulaire
d ’un texte. O n aboutit souvent à des d om inantes. Il n ’est pas indifférent
q ue, p ar rap p ort à un m êm e contenu informatif, un ensemble textuel
présente un aspect plutôt ab strait ou plutôt rech erch é, ou plutôt
em phatique, ou plutôt pittoresque, ou plutôt p oétique... — tous effets qui
viennent en grande partie des déterm inations connotatives du lexique. E t
ces impressions dom inantes appartiennent bien en propre au système de
caractérisation générale. On n ’o m ettra donc pas, le cas éch éant, la portée
caractérisan te du lexique.
11 est temps de revenir, pour en prendre une vue globale, sur une
question plusieurs fois évoquée dans les développem ents q u ’on vient de
Actualisation et caractérisants généraux 51
isole des points d ’inform ation entourés d ’une bourre caractérisan te (cela
dit en im age, puisqu’on a con staté que les caractérisèm es, q uan d ils
existent, ne sont pas toujours séparables du caractérisé). O n a d o n c la
tentation d ’établir un parallèle, voire de découvrir une p arenté, en tre la
structure sém antique de la lexie, et la structure sém antique du segm ent
de discours : ne peut-on co m p arer dénotation et inform ation, ca ra c té ris a
tion et connotation? Plusieurs lecteurs auront certainem ent senti venir à
l’esprit le m ot connotation, en lisant ce chapitre, dans quelques-unes de ses
analyses, en mêm e tem ps que le m ot caractérisation, ou à sa p lace. Il est
sur qu’il y a une analogie de fonction et de fonctionnem ent en tre la
connotation et la caractérisatio n . L a caractérisation pourrait être ainsi
considérée com m e une sorte de connotation supra-segm entale. Q u oi qu’il
en soit, et m êm e en refusant de suivre le parallèle qu’on vient d ’indiquer,
il existe bien des signifiés de caractérisation, com m e il existe des dénotés
de connotation, pour plagier C atherine K erb rat-O recch io n i. C e tte
impression de circûlarité, com m e du fameux serpent qui se m ort
suavement la queue, n ’est pas catastrophique : elle est inhérente à
l’honnêteté et au p arti-pris théorique de la méthode. De fait, les textes
sont réfractaires, dans leu r com plexité et dans leur vie, à toute
atom isation systém atique. M ais il faut cependant faire com m e si la
multiplicité des grilles herm éneutiques rencontrait réellem ent la m ultipli
cité des com posantes sém antico-langagières d ’un discours. E t il est
normal que se produisent parfois quelques couacs. C e n’est pas une
raison pour revenir au x états d ’âm e, qui n’ont nul besoin d ’outils
réflexifs. Au niveau de la form e du contenu, un discours peut sans doute
n ’être l’objet d ’aucune caractérisatio n ; mais au niveau de la form e de
<«*^|Sexpression, il est forcém ent caractérisé, même en dehors de la pratique
poétique. L a caractérisatio n , . cependant, est le principal indice de
littérarité.
Chapitre III
L ’ORGANISATION PHRASTIQUE
stylisticiens 1 qui ont bien voulu exam in er ce point ont plutôt sécrété une
méthodologie particulière à l’œ uvre-objet ; on préférera présenter q u el
ques rappels ou quelques mises au point de portée générale, q u itte à
prendre parti dans le cham p théorique et à poser, en guise d ’ou vertu re,
des problèmes de fond.
Il est possible, dans une prem ière étape, de distinguer deux types
d’ordre : l’ordre in tra-syntagm atique et l’ordre su pra-syn tagm atiq ue, ou
ce qui se passe à l’intérieur des groupes de mots et ce qui se passe en tre
les groupes de m ots. Si on en restait là, ce serait une façon superficielle
d ’aborder la question de l’organisation phrastique, mais il faut bien
com m encer par là.
I | O R D R E IN T R A -S Y N T A G M A T IQ U E
A. Le groupe sujet-verbe
3. [1 est vrai que l’effet ne tient pas uniquement à l’antéposition : la séquence à l’égard
de la première proposition, l’emploi de et pour introduire les autres jouent également un
rôle.
L ’organisation phrastique 57
— les participes-adjectifs :
les P eau x -R ou g es
la bicyclette bleue
le tableau n oir
les rayons violets d e ses y eu x
/ le com plété, 2 / le com plém ent. C ’est là un point très im portant, dont
on peut dire qu’il constitue Un test pour vérifier si une séquence
quelconque risque ou ne risqué pas d ’être du français m oderne. C ’est
cette règle qui entraîne le sujet a v a n t le verbe5, les complém ents verbaux
essentiels après le verbe, les com plém ents du nom après le nom , et donc,
com m e complém ents du nom , les adjectifs qualificatifs épithètes après le
substantif. C ette règle im pose d o n c un corbeau perché sur un arbre et interdit
un corbeau sur un arbre perché. T o u s les cas de postposition fixes énumérés
précédem m ent ne sont rien d ’au tre que des applications strictes de cette
règle. L e cas em blém atique, dans cette série, est celui des adjectifs
« relationnels : ils représentent le type m êm e de la norm alité régulière,
qu’ils illustrent et satisfont p a r essence. R em arquons seulem ent que ce
sont les moins caractérisan ts des adjectifs : ils sont le m oins m arqués
possible, ils épousent la régu larité m ère.
C ette séquence progressive n ’est p o u rtan t pas évidente. D ’une p a rt,
elle ne correspond à aucun o rd re particulièrem en t logique sub specie
aetemitatis, contrairem ent au m ythe classique de la clarté française : il
suffit de songer à la stru ctu re distributionnelle du latin et de l’allem and
pour s’en convaincre — langues auxquelles on p eut rep roch er bien des
choses, sau f de se p rêter m al à exp rim er les articulations de la pensée
rationnelle. D ’autre p a rt, le français n ’a pas toujours connu cet ord re-là,
puisque l’ordre dans l’ancien français était beaucoup plus varié. Q uoi
qu’il en soit, l’inverse de la séquence progressive, est la séquence
régressive : celle-ci doit être considérée com m e m arquée. Sans en trer tou t
de suite dans le détail, disons que la séquence régressive connote un style
archaïque, ou relevé, ou précisém ent littéraire — à supposer q u ’on puisse
établir-une distinction « n tre tous ces effets d e niveau. L ’exem ple typique
(m ais indépendant du cas p articu lier substantif-épithète), est le corbeau sur
un arbre perché; on peut m êm e p ren dre Yarbre perché com m e sym bole du
m arquage par la séquence régressive. E t ju stem en t, on recon n aîtra q u ’il
existe, dans l’arsenal lan gagier ca ractéristiq u e de la p ratiqu e poétique
depuis le x v n e siècle ju sq u ’a u x surréalistes, une technique éprouvée et
suivie p ar tous les littérateu rs, m êm e les meilleurs : l’antéposition de
l’adjectif épithète, de m anière à co n stitu er une m arque du code poétiqi f,
distinctivement-opposée à l’usage n o n m a r q u é d e la p r o s e , à la régularité
de la séquence progressive. L a séquence régressive- définit ainsi un
caractère essentiel dans la stru ctu re du lan gage poétique : les vertes prairies
connotent à l’évidence ce cod e p articu lier. M ais, com m e toujours quan d
on passe au niveau « de d errière » dans l’analyse stylistique, on
interprétera com m e un fait de co n tre-m arq u ag e la séquence progressive
des prairies vertes dans un texte d ont l’au teu r cherche la constitution
poétique ailleurs que dans la régu larité d ’un code, fût-elle établie en
opposition à la régularité, disons m acro stru ctu rale, des pratiques
langagières contem poraines.
que, sau f à m ettre fortem ent en valeu r le deuxièm e élément, quel qu’il
soit, ou sau f contrainte due à des p articu larités dans la chaîne phonique,
la cad en ce m ajeure est d éterm in an te pour chaque cas de décalage
volum étrique im portant.
En principe, la cadence m ineu re est p ar conséquent toujours
m arquée : vraie est fortem ent mis en valeur, de m anière assez artificielle,
dans une liberté des prix vraie, et p a r l’accen t et p ar la cadence m ineure,
alors q u ’il est plus naturel, et m oins m arqu é, de produire la séquence une
vraie liberté des prix, qui unifie le syn tagm e et l’englobe dans le moule de
la cad ence m ajeure.
M ais il ne faut pas être dupe de cette ap parente simplicité. D ’abord,
il est difficile de détruire les postpositions systém atiques préalablem ent
énum érées, qui correspondent tou tes, d ’une certaine façon, à l’emploi,
d ’adjectifs relationnels, m.ême dans les cas de fort décalage volumétrique.
Ensu ite, il y a tous les groupes à peu près isovolum étriques, dont on ne
p eut rien dire de ce point de vue. D ’au tre p a rt, un texte dans lequel
presque toutes les occu rren ces du syn tagm e substantif-épithète seraient
en cad ence m ajeure, n ettem ent exp rim ée, finirait p ar^ u b ir un m arquage, -
p ar sa systém aticité m êm e ; et in versem ent, on peut soutenir qu’un texte
presque entièrem ent com posé de syntagm es substantif-épithète en
cad en ce m ineure finirait p ar créer un m odèle, une régularité — bref une
déterm in ation structurale — p a r rap p o rt à quoi l’apparition ultra-
m inoritaire d ’une cadence m ajeure cré e ra it à coup sû r un effet de contre-
m arq u ag e. Enfin, certaines distributions appellent une analyse vraim ent
délicates : soit la séquence une monstrueuse fille ; elle est évidemment
m arqu ée, et elle l’est essentiellem en t .pa r .l a . cadence m ineure, -bien- plus
que p ar la séquence régressive; o r, m algré l’unité d ’accen t, et la chute
très valorisante sur fille, le substantif, c ’est en réalité l’adjectif antéposé
qui est mis en valeur, non pas en raison de son antéposition en elle-même,
qui en atténu e au con traire le sém an tism e, mais p arce qu’il constitue la
m asse support de la cadence m ineure.
6 . Non moins connu est le cas des adjectifs sémantiquement hétérogènes : sous peine
d’attelage (voir les chapitres sur les figures), on ne parlera pas d’un chauffeur vieux et marocain,
mais d'un vieux chauffeur marocain, en départissant les deux adjectifs de part et d ’autre du
substantif, avec, en postposition, le plus relationnel des deux. _______
7. La Grande Peur des bien-pensants.
Le champ stylistique
substantif. Le cas est assez subtil. Si « c l a i r » était postposé, avec une nette
mise en valeur par cadence m ineure, il n’au rait pas exactem ent le sens
de l’antonym e de d ’o b s c u r ou de n o ir , mais c ’est bien pourtant dans cette
zone sémantique, figurément com prise, qu’on le devrait entendre : un
g é n ie p a r t ic u liè r e m e n t é c la t a n t , donc u n g é n i e v r a im e n t g é n i a l ; le sens im agé,
intellectuel, serait ainsi pénétré du sens physique pour ne produire,
finalement, qu’une redondance sém antique à l’égard du signifié substan-
tival. M ais dans << c l a i r g é n i e », il y a com m e un vidage sém antique de la
dénotation de /c la ir/, une dénaturation de sa portée, un trop quasi
absolu : « clair » y signifie pratiquem ent p a s c l a i r d u to u t, ce que la
- Dostposition interdirait. E t on com prend ainsi la restriction de « d ’a i l l e u r s
indéniable », assez aporétique autrem ent. L a suite de la phrase citée
confirme cette interprétation p ar l’ironie. O r, cette alchim ie sém antique
n ’est pas sans contam ination sur la dénotation même du substantif, et
« clair g é n ie » en arrive de la sorte, sinon à signifier, du moins à faire
soupçonner, p a s de g é n ie d u to u t, ce qui rend alors hum oristique l’incise
« d ’ailleurs indéniable », et toute la phrase bien plus féroce q u ’il n ’y
paraissait8. O n ne m esure jam ais assez l’im portance de faits de
distribution dans la p ro d u ctio n du sens.
II | O R D R E S U P R A -S Y N T A G M A T IQ U E
A. Forme
Ce rappel élém entaire exige plusieurs rem arques. Il n ’est certes pas
inintéressant de d écry p te r un texte selon cette grille, qui suppose une
certaine attention et n ’est pas dépourvue de rentabilité : on ne saurait
nier q u ’une d o m in an te de form e phrastique, sur deux ou trois seulement
parm i toutes ces catég o ries, n ’infléchisse-profondément la caractérisation
générale d ’une m an ière littéraire. M ais, nous l’avons déjà vu9, la
distinction récit-d isco u rs est problém atique : du point de vue de la
production littéraire, on est en droit de soutenir que tout est discours, et
la question qui se pose est essentiellem ent de déterm iner avec précision
les réseaux actan tiels d ’én onciation. Q u an t à la tripartition traditionnelle
entre les trois d iscou rs, elle escam o te bien des variantes, voire des espèces
irréductibles au x tra its relevés dans cette triade canonique : d ’une p art,
en rem on tan t le tem ps, on ren co n tre des passages du x v n e siècle bardés
de que et de p oints, co n stitu an t a u ta n t de phrases (?) autonom es ; d ’autre
p art, au x x ' siècle, ch ez C éline, L a u re n t de Brunhoff ou A lbert C ohen,
de nom breuses tran sfo rm atio n s temporelles ou personnelles n ’entrent
dans au cu n e catég o rie officielle. Enfin, il ne. faut pas se leurrer sur
l’évidence de la p rem ière série indiquée plus haut (depuis assertive ju sq u ’à
hyperbatique) : il ne se ra it pas bien difficile de trouver des cas ambigus,
incertains, in term éd iaires, sans parler du flottement dans la
term inologie10.
B . Mouvement
9. Chapitre II.
10. Il n’est pas sûr, par exemple, que tout le monde s’accorde sur le terme de « phrase
complexe ».
G. M O I.î.N IÉ
66 Le champ stylistique
accen ts, com m e la réalisation sonore des unités m étriques globales (les
vers), avec continuum vocal tout au long du m ètre et m arqu age obligatoire
au x bornes des deux extrém ités, d énaturent la portée des inflexions
mélodiques, quand elles ne la détruisent p a s13. Plus décevant est le
problèm e posé p ar les phrases longues : si l’on songe à du P roust, ou à
du C ohen, on ne voit pas com m ent organiser une unité mélodique à la
prononciation de la phrase, sans risquer l’appel d ’urgence au service de
réanim ation. P our caricatu ral que soit l’exem ple, il pose un problèm e réel
(et double). D ’ab ord , ces p hrases-là sont-elles des p h rases? — •c ’est en
fait toute; la question du style périodique qui est ici engagé14. Ensu ite, le
discours littéraire, théâtre mis à p a rt, étan t fait pour être lu m entalem ent,
et apparaissant sous la forme d ’un texte écrit, on p eut toujours, se
dem ander, quelle que soit la longueur des phrases considérées, quelle est
la nécessité de la stru ctu re mélodique : seule une expérience intérieure et
im aginaire, corroborée au besoin p ar celles d ’autres lecteurs, peut aider
à découvrir le dessin d ’une courbe mélodique n ettem ent m a rq u é e ; il
restera m algré tout bien des cas incertains. E t la fragm entation en sous-
ensem bles m élodiques, isolables au x fortes articulations syntactico-
sém antiques, pose évidem m ent le m êm e problème aléatoire.
Si l’on tient com pte de toutes ces rem arques, on doit néanm oins
ren con trer des cas où l’analyse mélodique est possible p arce que
l’inflexion de la phrase se m oule m anifestem ent sur d eux lignes à la fois
opposées en orientation et considérables de taille. D ans ces cas-là, et dans
ces cas seulem ent, l’analyse m élodique est très intéressante. E n principe,
la cadence m ajeure est non m arqu ée, et les cadences m ineure (longue
. protase, courte apodose) et n eutre (p rotase e t apodose à peu p rès égales)
sont m arquées. M ais a tte n tio n ; pour pouvoir parler de cadence majeur»''
et de cadence m ineure, il faut une opposition volum étrique nette, sans
quoi la sensibilité à la cad ence s’ém ousse. D ’autre p a rt, un texte écrit tout
entier, ou à forte m ajorité, en phrases de cad ence m ajeure, sera
rem arquable p ar cette dom inante m êm e, qui connotera le calm e,
l’assurance, ou un style em phatique ou oratoire. E t dans un texte écrit
tout entier, ou à forte m ajorité, en phrases à cadence m ineure, forcém ent
m arqué au début, va se produire un effet itératif de neutralisation au fil
13. Il suffit de songer aux variations mises dans la réalisation sonore des alexandrins,
de l’époque de Molière à celle de Rimbaud, pour comprendre combien il est sage de
neutraliser cette question en poésie.
14. |Nous y reviendrons plus loin.
68 | --------- - —
du déroulem ent de ces phrases : s’il en ap p araît alors brutalem ent une
seule qui soit à cad ence m ajeure, c ’est celle-là qui va produire un effet de
m arqu age, nous disons de co n tre-m arq u ag e, p ar la rupture q u ’elle
introduit dans la régularité générale. Si la cad en ce m ineure connote
habituellem ent un ton incisif, ou, au con traire, p athétique, le sim ple jeu
de l’opposition de l’ uniqvie au com m un peut donc renverser le systèm e de
m arqu age. L e m êm e genre de rem arq ues doit s’appliquer à la cadence
neutre, plus ra re , et théoriquem ent caractéristiq u e d ’un ton proverbial ou
cinglant.
Laissons ch a cu n à ses expériences im aginaires, et présentons un au tre
type d ’ap p roch e du m ouvem ent de là phease.______ ____________
sem ble-t-il, de dire qu’est liée une phrase dans laquelle les gvôuj>es_
syntaxiques se suivent sans interruption et dans l’ordre des dépendances
élém entaires (de m anière non m arquée). D onc, une phrase com m e le lit
de la marquise a fait grand plaisir aux chasseurs sera vraisem blablem ent
considérée com m e phrase liée (et linéaire). L a p hrase non liée, qu’on
appellera, p ar convention, phrase segmentée, peut devoir sa segm enta
tion à deux faits de distribution : soit le m orcellem ent, soit le
déplacem ent. L e m orcellem ent lui-même peut prendre plusieurs formes.
Faisons varier la phrase liée (et linéaire) mon père est venu hier soir. Elle peut
donner
16. On touche ici du doigt les contradictions inhérentes à la stylistique des effets.
L ’organisation phrastique 71
O n p r o p o s e l a f ig u r a tio n s u iv a n te . ( V o i r p a g e s 72 e t 73).
17. Il est évident que cette explication n ’est pas théoriquement satisfaisante ; mais 011
s’en tiendra à son efficacité provisoire et pratique.
18. Cette flèche et l’X accompagnateur apparaissent seuls dans les cas où la
segmentation n’est due qu’à un morcellement par interruption dans la prolation de la
phrase.
— 72— — ------ ______________ . _ _ _ , . . - . Le champ stylistique
2
•X
froncem ent R othschild
3
les e û t néant
... N A .
le grou illem en t tant p r o p ic e
a u x aventures g a la n tes
d e ses qu artiers p o p u la ir es
\
L e triple effet de répétition sonore de la même duplication interne
conduit l’analyste à tordre le cou du syntaxique pour in stau rer le
stylistique dans sa spécificité : s’ensuit une schém atisation parallèle
verticale, qui ne rend com pte que de cette allure esthétique. '
O n n’a aucune raison théorique de trancher, ici, en faveur de l’une ou
de l’autre de ces approches. O n arrive en réalité aux confins d ’une région
qui est à la fois la limïte et ThorTzon de la stylistique : les parages du
gram m atical, de l’oral et du scripturaire.
21. Toute question d’esthétique normative mise à part. On y reviendra dans le dernier
chapitre. . __ - ---------
12
3
fÿwuXf dâlaséftkl
■2P 3 9 + 5
j ct'Kcmf dâiasolitvd
h
3 3
3 zanegl^ dodulcfeR 9
a~*
3 3 3
4 sanoRé doTRâkilité kapORv^TR kôsôtmq 9 -r 5
b- c* <T
24. Q ui n’est p as la prose poétique : celle-ci se défiait en outre par d ’au tres faits de
distribution (dont on a déjà parlé) et par l'utilisation d ’un vocabulaire et de configurations
rhétoriques tout à fait m arqués, soit par leur registre, soit par leur intensité.
78 Le champ stylistique
L E LANGAGE FIGURÉ
I | P R É S E N T A T IO N D E S F IG U R E S
1. V oir p ar exem ple les travau x de M ichel Le G uern, de Henry, du Groupe \ les
num éros spéciau x (indiqués d an s la Bibliographie) des revues Le Français moderne, Littérature
et Langages.
2. O u reviendra su r cette question dans la dernière partie, à propos, justem ent, de la
présentation des études de rhétorique.
3. V oir Irène T a m b a-M e cz I a sens figuré ( p u f ) .
82 Le langage figuré
dénonciation (Colin).
Figures macrostructurales 85
— n’est pas isolable sur des élém ents formels, ou ceux-ci sont
m odifiables.
La figure microstructurale
— se signale de soi ;
— est obligatoire pour l’acceptabilité sém antique ;
— est isolable sur des élém ents formels qui sont inchangeables.
C hacun aura aisém ent recom posé son panoram a familier des figures
sur ce paysage-là. C om m e il n’est pas question de rouvrir une épicerie,
nous allons illustrer et expliquer quelques figures bien connues, au vu de
n cew e ~ fté o rie r,san5''p réten d re a ucunem ent à - 1’exhaustivité5, avant de
poursuivre l’analyse générale, jusq ue m êm e dans les zones aporétiques
du dom aine ainsi balisé. '
1. Allocution
ques com m e la m élodie. T ou t cela pour dire que le sens figuré est
p ossible, non certain, et que s’il faut en réalité le sélectionner, c’est pour
des raisons extra-segm entales. M ais, dans le cas de la figure, il y a bien
valeur différentielle forte entre E et I. C ’est le propre des figures
m acrostructurales que le récepteur peut toujours y être piégé.
2. Caractérisation quantitative
1
6. V oir chapitre II. j
Figures macrostructurales 87
3. Amplification
« J e n e viens p a s ce so ir vaincre to n c o rp s, ô b ê te
E n q u i v o n t les péchés d ’u n p e u p le , n i c re u se r
D a n s tes cheveux im p u rs u n e tris te te m p ê te
S ous l ’in c u ra b le e n n u i q u e verse m o n b a is e r... »
7. Il serait absurde de nier qu’on puisse tenir aussi un discours stylistique sur ce genre
de cas en termes de figures microstructurales, notam m ent les métonymies. O n verra plus
loin. Nous défrichons ici les grandes dominantes. D ’autre part, on peut im aginer de faire
fonctionner ces q uatre figures macrostructurales, jouant sur des variations de caractérisa
tion quantitative, à partir d ’un même noyau d ’expression ou d ’information, ce qui devrait
donner seize combinaisons théoriques : ironie de litote d ’hyperbole d ’euphémisme...
88 Le langage figuré
verbe-com plém ent essentiel ; chaque ensem ble pris isolém en t est signifi
catif, il est im aginable de trouveir de vagues synonym es pour exprim er à
peu près le m êm e sens que celu i de chaque segm ent tel q u ’il se p résente ;
on a m êm e l’im pression que la progression sonore d e la phrase
correspond sim plem ent à u ne progression inform ative. O r, on se rend
com pte, à la réflexion, q u 'u n e m anipulation sém an tiqu e existe, com m e
un jeu entre les trois segm ents : on peut inverser ou m élanger l’ordre 1
23:321, 1 3 2, 3 1 2 ; on peut m êm e croiser à volonté les élém ents
constitutifs de chacun : la p eu t passer en 2a sans q u ’on change 1b ni 2b...
T out reste significatif; plus : l ’inform ation véhiculée ne ch an ge pas. O n
en conclut qu’un signifié u niq ue est exprim é sous divers signifiants, dans
un effet de série d on t on voit m al la clôture. C e dernier caractère est
d ’ailleurs inhérent ï~rw ctrfr(K ftce;~rt“ ik)n--à--4ar figure e n —général,.
L ’expoiition, si elle existe, cpnsiste donc à varier l ’expression d ’une
unique inform ation (I apparaît sous E"). Le trait m acrôstructural vient
de ce que l’élém ent de I d ’une part, et le centre figuré d ’autre part n e sont
isolables proprem ent sur aucun élém ent d e E ; la figure réside évid em
m ent dans le d écalage langagier. T ou t cela est enfantin. Il est plus
intéressant de signaler d ’em blée, pour exciter les interrogations des
esprits curieux, le rapport q ui s ’étab lit entre cette figure m acrostructurale
assez obscure, l’exp olition , et l’une d es p lus puissantes, d es plus
éclatantes, et des plus typiques figures m icrostructurales : la répétition.
C ar s’il y a bien figure avec l’expolition, c ’est-à-dire si l’exp olition existe,
c ’est q u ’il y a itération d e signifié. Le problèm e n e perd rien d e son
opacité du fait que la répétition est habituellem ent appréhendée com m e
itératio i d e signifiants.
L a dernière figure u suelle qui peut se rattacher à l’am plification est
la conglobation. C ’est la p lus su b tile d e toutes, la plus traîtresse, la plus
diaboliquem ent m acrostructurale : isolable sur rien, incernable, in visib le,
transm uable à sou hait ; sa caractéristique essentielle est d e passer
inaperçue. Lisons un texte de J u lien G racq8 :
d ’hu m e u r p a rtic u liè re m e n t so lita ire. D a n s c e tte p o sitio n a sse z fa u sse , l ’in d é c isio n
m ’im m obilisa, le p ied s u s p e n d u , r e te n a n t m o n souffle, à q u e lq u e s m a rc h e s e n
a rriè re de la silh o u ette. C ’é ta it celle d ’u n e je u n e fille o u d ’u n e trè s je u n e fem m e.
D e m a p osition lég è rem e n t su rp lo m b a n te , le p rofil p e rd u se d é ta c h a it s u r la
coulée de fleurs av ec le c o n to u r te n d re e t c o m m e a é rie n q u e d o n n e la
ré v erb é ratio n d ’un c h a m p d e neige. M a is la b e a u té d e ce v isa g e à d e m i d é ro b é
m e fra p p a it m oins q u e le se n tim e n t d e d é p o sse ssio n e x a lté e q u e j e s e n ta is g ra n d ir
e n m oi d e seco n d e en seco n d e. D a n s le sin g u lie r a c c o rd d e c e tte silh o u e tte
d o m in a tric e av ec u n lieu p riv ilég ié, d a n s l’im p re ss io n d e p ré s e n c e e n tr e to u te s
appelée q u i se faisait jo u r , m a co n v ic tio n se re n fo rç a it q u e la re in e d u j a r d i n
v e n ait d e p re n d re p o ssessio n d e so n d o m a in e so lita ire . L e d o s to u r n é a u x b r u its
d e la ville, elle fa isait to m b e r s u r ce j a r d in , d a n s sa fixité d é s ta tu e , l a s o le n n ité
so u d a in e q u e p re n d u n p a y sa g e so u s le re g a rd d ’u n b a n n i ; elle é ta it l ’e sp rit
solitaire d e la v allée, d o n t les c h a m p s d e fleurs se c o lo rè re n t p o u r m o i d ’u n e te in te
soudait) plu s g ra v e, c o m m e la tra m e d e l ’o rc h e stre q u a n d l’e n tré e p re s s e n tie d ’u n
th èm e m a je u r y p ro je tte son o m b re d e h a u te n u é e . L a je u n e fille t o u r n a so u d a iri
s u r ses talo n s to u t d ’u n e pièce e t m e so u rit m a lic ie u se m e n t. C ’e st a in s i q u e j ’a v a is
c o n n u V a n essa . »
4. Hypotypose
Il convient de faire une place à part à une tout autre figure, souvent
m altraitée dans la tradition rhétorique com m e dans les études m odernes,
voire déclarée m orte pour se faire ensuive bizarrem ent ressusciter :
F hypotypose. O n va ^voir qu’elle n’est pas sans rapport avec la
conglobation, alors que sa structure com m e sa pragm atique sont en
réalité différentes. C hacun se rappelle les définitions canoniques de cette
figure : on souligne la plupart du tem ps q u ’il s ’agit d ’un discours
pittoresque supprim ant com m e l’écran du langage entre l’objet décrit et
son expression verbale; nul ne saurait oublier l’exem ple q u ’en donne
m êm e l’un des plus forts rhétoriciens, D u M arsais10. M ais n’a-t-on pas
confondu pragm atique et structure? Si l’effet, la portée, la finalité, —
l’usage de l ’hypotypose s’orientent souvent à l’expression du pittoresque,
sa nature ne s’y réduit point.
R elisons Le Dormeur du val, sans faire sem blant de ne pas com prendre,
m ais pour analyser la source du m êm e plaisir esthétique que celui du
public cultivé face à la représentation théâtrale des' grands m ythes : ce
n ’est pas pour savoir com m ent cela finit qu’on regarde et q u ’on écoute,
niais pour goûter com m ent on y arrive. N ous savons d onc bien, tous, que
le p oète décrit un cadavre ; m ais la force du poèm e vient de ce q u ’il paraît
décrire un dorm eur : la contradiction et le saisissem ent créés entre 13 vers
et dem i et l’ultim e hém istiche déterm inent la puissante im pression
esthétique de ce texte. C ’est un truisme. La quantité différentielle entre
E et I est ici considérable ; la trace figurée occupe, au m oins, tout l’espace
des 11 derniers vers (si on neutralise le prem ier quatrain) ; la m êm e
im pression globale serait éventuellem ent produisible à l’aide d ’un
\ . t ••
92- Le langage figuré
matériel verbal différent ; chaque élém ent est de soi acceptable. O n a tous
les traits caractéristiques d ’une figure m acrostructurale. En quoi
consiste-t-elle vraiment?
La base interprétative est dans « Il a deux trous rouges au côté droit »,
im m édiatem ent compris au sens de il est tué, ce qui constitue le réfèrent
de tout le texte : un corps récem m ent abattu. Le discours est donc la
description de ce corps, et non la description d ’un dorm eur. Or, du
réfèrent total, le locuteur a sélectionné, et seulem ent sélectionné,
quelques élém ents : ce sont en effet ceux qui ont la portée de plus forte
intensité physique, sensible, pittoresque : « bouche ouverte, tête nue, Et la
nuque baignant dans le frais cresson bleu... il est étendu dans l ’herbe... Pâle... Les
pieds dans les glaïeuls... Souriant... dans le soleil, la main sur la poitrine
Tranquille ». Sur le tableau, cette sélection, par définition, ne donne que
des indications fragm entaires, très vives, m ais fragm entaires. Les lexies
qui notent ces indications fragm entaires sont intégrables, en réalité, dans
plusieurs isotopies; si on reconnaît q u ’il s’agit chaque fois de détails
concrets, objectifs11, il n’y aura aucune raison de choisir a priori, parmi
les trois isotopies les plus naturellem ent dessinées en l’occurrence — la
m ort, le som m eil, la pause — celle qui correspond au vrai réfèrent. M ais
le locuteur a pris soin d ’orienter l’interprétation spontanée et incon
sciente des récepteurs sur un seul axe parm i les trois im m édiatem ent
program m ables : celui du som m eil. D e trois façons : en évacuant toutes
les lexies spécifiques des deux autres isotopies ; en introduisant une lexie
à m orphologie équivoque (« il a (est) froid ») ; en répétant la lexie
em blém atique de l’isotopie du som m eil (« il dort » ), annoncée dans le
titre. C ette itération et ce « chapeautage » sont analysables, une fois le
texte lu en entier, com m e un dédoublem ent de l’activité de l’ém etteur :
celui-ci se m et à la place du récepteur ju sq u ’à un certain degré dans
l’approche du tableau12. L ’h ypotypose se dessine par conséquent en
creux : elle existe grâce aux blancs, au x silences laissés par le locuteur
dans le dire du tableau global. Les récepteurs, une fois l’effet produit,
n’ont plus qu’à restaurer les lexies litigieuses sur les axes de la bonne
isotopie.
D ans de nombreux textes fondés sur l’hypotypose (com m e souvent
11. Ce n ’est pas le lieu d ’expliquer la figure m icrostructurale sur « souriant », pris par
métonymie pour désigner la simple disposition des traits de la physionomie.
12. O n peut aussi analyser ces lexies comme un trope pour l’ém etteur, constituant une
syllepse passagère pour les récepteurs. Voir les deux chapitres suivants.
Figures macrostructurales 93
5. Opposition
- Orv a san s d oute déjà pu se faire une idée du fonctionnem ent des
figures m acrostructurales : c’était notre seul ob jectif MaisTescorilFaîrïtèS
d ’u sage son t telles q u ’on rie nous pardonnerait certainem ent pas un
silen ce total sur deux figures aussi banales q u ’intéressantes, et dont
l’ap partenan ce à la catégorie m acrostructurale ne fait aucun doute :
l’an tith èse et le paradoxe. N ous allons en dire quelques m ots, à la seule
fin d e ne pas m anquer de respect pour ces d eu x notabilités14.
« J e n e v ie n s p a s ce so ir v a in c re to n c o rp s, ô b ê te
E n q u i v o n t les p é ch é s d ’u n p e u p le , n i c re u se r ,
D a n s tes c h ev e u x im p u r s u n e tris te te m p ê te
S o u s l’in c u r a b le e n n u i q u e v e rse m o n b a is e r :
13. O n pourrait d ’ailleurs, en restant dans le dom aine strictement langagier, faire du
Dormeur du val une analyse absolum ent inverse : en changeant la critique de « il dort », en
basculant le jeu des deux isocopies (mort!sommeil) sur lesquelles il est essentiellement
construit.
14. O n nous pardonnera peut-être plus facilement de ne rien dire de la personnification
et de la prosopopée, im m édiatem ent analysables en appliquant la théorie de manière très
sim ple (à propos des figures sur l’allocution), ni de la prétérition, qui consiste à dire qu’on
ne parle pas de ce dont on parle.
94 Le langage figuré
P a r u n c œ u r q u e la d e n t d ’a u c u n crim e ne blesse,
J e fuis, p â le , d é fa it, h a n té p a r m o n linceul,
A y a n t p e u r d e m o u rir lo rsq u e j e c o u ch e seul. »
15. I puissance A' désigne un contenu informatif multiplié (répété), ou, comme ici,'
superlativisé, qui ne se réduit à aucun E immédiatement identifiable.
Figures macrostructurales 95
I | LA R É P É T IT IO N
lim ite l’application de l’esprit de géom étrie (et de form alisation), q u ’il
n’existe que deux types de figures m icrostructurales sur le m atériel
sonore, définies selon leur fonctionnem ent : la répétition et la m odifica
tion. A llant plus loin, les figures par m odification seraient classables
sim plem ent selon q u ’il y a déplacem ent, adjonction ou suppression de
phonèm e, chacune de ces dernières catégories étant elle-m êm e sous-
catégorisable selon la place du phénom ène dans la lexie, sa régularité ou
sa non-régularité. V oilà une belle grille, sur laquelle toutes les chapelles
rhétoriques pourraient arithm étiquem ent disposer leurs diverses rangées
de fleurs. M ais un tel tableau formel serait illusoire. A bien peser les
choses, on se rend com pte q u ’il n ’existe q u ’une seule figure m icrostructu-
Tale7 à~ce niveau fondam ental, em blém atique du genre, et grosse de toutes
les autres, une des plus puissantes aussi dans l’ensem ble des figures ; la
répétition.
« M o n b ra s, q u ’av<*c re sp e c t to u te l’E sp a g n e a d m ir e ;
M o n b ra s , q u i ta n . d e fois a sa u v é cet e m p ire ... »
/m 5 b R a -m 5 b R a/ —» /m o n b r a s / — S a + S a —» Sé.
O. M O L IN IÉ 4
98 Le langage figuré
m ent que « mon bras » d ésign e chaque fois le m êm e bras. C e qui illustre
parfaitem ent l’existence et le fonctionnem ent de cette pure figure
m icrostructurale, c ’est q u ’elle a une vertu générique dans la m ém oire
sonore des spectateurs : on a l’im pression q ue D on D iègu e répète
plusieurs fois (et non une seule fois) « mon bras », disons deux ou trois fois
(3 S a), alors q u ’on n ’ad m et toujours q u ’un seul acte de désignation
(1 Sé), sans quoi D on D ièg u e apparaîtrait, dans l’im aginaire inconscient
des foules (cu ltivées), com m e une statue hindoue, m un ie de m ultiples
bras (et ce n ’est pas, ju stem en t, l ’effet produit). O n voit d e la sorte à la
fois le m écanism e et la p uissance d e la figure. In sistons : la répétition
n ’est proprem ent figure que dans ce décalage systém atiqu e entre 1 Sé et
xSa, Sé et Sa ayant ch aq ue fois la m êm e identité. O n m esure aussitôt
l’im portance de la répétition dans les faits de caractérisation par
extension sonore, et dans la littérarité en général. '
D e cette répétition en visagée d ’une façon au ssi abrupte, on connaît
q uan tité de réalisations p hrastiqu es en des tours plus ou m oins figés :
anaphore (com m e dans l’exem ple cité du Cid), épiphore, an adip lose1...
L ’effet de sens est toujours la m ise en valeur d ’un seul et unique signifié,
au p oint q u ’une épiphore, p ar exem ple, qui se prolongerait sur un grand
nom bre de réalisations sonores serait aisém ent rem plaçable, à la fin, par
un bruitage quelconque, de m oins en m oins articulé, sans aucune perte
sém antique. La polyptote (aimer, nous aimions), la figure dérivative (amant,
amour)2 ne constituent que d es variantes dans le m êm e fonctionnem ent :
il y a bien ch aq ue fois un m on n ayage d e Sé distincts, m ais le récepteur
est surtout sensible au fait d om in an t : l’écrasante itération p hon iqu e pour
une base, d e référence grossièrem ent id en tiqu e. C ’est par rapport à ce
m êm e effet d e bruitage, très proche en réalité de la ’pratique des arts du
son, q u ’on analysera les itérations à caractère plus syntaxique, par
exem ple, dans la m êm e tirade du C id, les « tant de », les groupes de
relatifs, les parallélism es d ’exclam ation m onorhém atique et les interroga
tions. Im possible de réduire toutes les configurations verbales à un
u nique signifié : ce serait stupide. Et pourtant, l’im pression form elle de
Sa répétés s ’im pose avec évidence. O n p asse ainsi, progressivem ent, à
une approche plus n uan cée des p hénom èn es de répétition : par-delà les
Sé distincts, in con testablem ent évoqués à ch aq ue occurrence des Sa
i
]. On se reportera au Vocabulaire de la stylistique de J . M azaleyrat et G. Molinié ( p u f ).
2. Voir l’ouvrage indique note précédente. j
Les figures microstructurales 99
Sa + Sa + S a —» ( Sé + Sé -t- Sé
\ Sé1
C ’est, à notre avis, dans cette direction q u ’il est perm is d ’examiner
aussi les faits d ’assonances, d ’allitérations, d ’homéotéJeutes3 et de rimes :
il s’y produit m anifestem ent, grâce à la répétition com m e figure, une
contam ination du Sé par le Sa qui dénature à tout le m oins le statut
authentique du Sé.
Plus délicate, apparem m ent, est la situation créée par la paronomase
et l’antanaclase. O n dit parfois que l’antanaclase n ’est que le passage à
la lim ite de la paronom ase. Celle-ci rapproche deux termes dont la masse
sonore ne se distingue que par de faibles différences phonétiques : si on
rapproche glorieux de glaireux, c’est bien pour la ressem blance sonore
(/g b R je / - /glcR 0 /) plutôt que pour la différence (/o /c/ encore que les deux
phonèm es soient ouverts ; /j/ ou rien). C ette répétition approxim ative a,
de soi, une im portance décisive sur l’opposition sém antique ainsi
soulignée (le fam eux slogan publicitaire 1 like Ike analysé par Jakobson
repose sur le m êm e m écanism e, et aboutit à créer un réflexe de Pavlov
d ’approbation, ce qui est le cas de toutes les paronom ases publicitaires).
Le rapport du ou des Sa au ou aux Sé se fait donc sur le m odèle évoqué
dans le p récédent paragraphe : il y â surim pression, par les divers Sa,
d?un Sé glob al com m un, par-dessus le détail des Sé distincts, réduits
; essen tiellem en t à leurs relations mutuel les. M ais avec l’antanaclase, c’est.
beaucoup plus com pliqué, m êm e si, sem ble-t-il, il suffit de réduire
l’itération des Sa à une répétition pure. Soit la phrase de Pascal « Le coeur
a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Il y a répétition de « raison ». Le
Sa apparaît sous la forme Sa + Sa. M ais le 1er Sa a pour Sé /justification-
motivation/, alors que le 2e Sa a pour Sé /puissance rationnelle-activité
intellectuelle/. D onc,
S a —» Séj
+ S a —> St*2
2 Sa —* (Séi + Séj).
II | LES F IG U R E S D E C O N S T R U C T IO N
4. Voir p. 97.
Les figures microstructurales 101
A ' ■
102 Le langage figuré
« Vieux professeur de grec, j ’ai au moins trois raisons de ne pas être écouté :
la première est que je suis professeur, la deuxième est que j ’enseigne le grec, la
troisième est que je suis vieux. »
« Elle relisait une fin de lettre qui lui paraissait réussie («Je suis contre vous et
je sens nos cœurs d’un rythme ukique battre l ’un contre l ’autre »)■■■ Vraiment bien, ce truc
des deux cœurs battant l’un contre l'autre... Et puis, l’inversion d’un rythme unique
battre n’était pas mal. »
KJe l’aime absolument et pourtant une une Une peur répugnance pour, enfin,
1ÉÉBk. désir de l’homme... poseur va, ou même tu t’embrouilles, mais jamais avec
jf g ^ itr v a r a , une grande bienveillance pour elle, lui je l’aime tellement plus... j ’aime
^ s u rto u t quand, mais ça je ne peux pas dire à haute voix, au fond je crois que je,
que pour les choses de la nuit dans le lit je n’ai aucun sens moral, c’est comme
ça peut-être les femmes honnêtes quand, je crois tout ce qu’il me dirait de faire
je crois que je le ferais, mais naturellement pourvu que les mots nè, oh i.j’ai pitié
de moi, je suis ma pauvre chérie toujours à attendre... les autres pires que moi
. avec leurs petits chapeaux leurs pendants d’oreilles. »
III | LEST R O PE S
■V
1. La métonymie
14. C ’est ce qui est arrivé au dernier grand analyste en la m atière, disciple de Michel
Le Guern, M arc Bonhom me, dans sa superbe thèse sur la m étonym ie : logiquem ent, on ne
voit pas com m ent d ’autres tropes pourraient subsister dans le systèm e. N ous y reviendrons
plus loin (La métonymie, ex. dactylographiés, Lyon II, 1984).
15. Harmonies poétiques et religieuses, IV -1 1, Novissïma Verta.
108 • r
— « Au fer » ne signifie pas tau fe r!, m ais /aux coups des armes en fer!,
ce qui im plique une m étonym ie-synecdoque de la m atière po u r la chose
faite avec, PL U S la m étonym ie déjà rencontrée de la causalité (pour
l’effet)
— « La boucherie » ne signifie pas / la boucherie/, ce qui serait satanique
de la p a rt d u h a u t com m andem ent, m ais /carnage résultant de la bataille/,
m étonym ie-m étalepse p a r quoi l’on exprim e ce qui se passe av an t p a r ce
qui se passe après (com m e ici), ou l’inverse.
O n vient de voir défiler les principaux types occurrents de m étony
m ie '6 ; là synecdoque et la m étak p se, on le constate, o n t été rangées sous
bannière. Pourquoi ? P our deux raisons essentielles. L a
prem ière, dans un souci général d e sim plification pratiq u e et d ’ab strac
tion théorique (c’est ce que n*us avons expliqué plus h au t). L a deuxièm e,
à la suite d ’une argum entation su r le terrain tropique lui-m êm e. Voici
cette argum entation.
O n p o u rrait être tenté de m ettre à p a rt la synecdoque. Il sem ble, en
effet, q u ’on puisse lui trouver une form ule sém antique sui generis, qui
isolât vraim ent le ra p p o rt des deux Sé co n stitu tif du trope. Schém atisons
p a r des cercies ces deux ensem bles sém antiques ; si Séi, est une neige, Sé 2
est de la neige : :
O u encore (à ne pas trop finasser), si Séj est le fer, Sé 2 est une arme en
fer (et Sé 3 les arm es en général) :
2. La métaphore
'J '“F
I ''
17. C ’est une idée de M arc Bonhom m e, que nous exploitons à notre m anière, en la
m odifiant. ■ j
Î8. V oir chapitre I. |
Les figures microstructurales 111
« Il voyait aussi à ses côtés unejeune fille, désirable comme un fruit presque
mûr» [1], , ^
21. En réalité, c’est proprement la valeur dénotative S ,, du Séi, qui est seule abolie.
Les figures microstructurales 113
trope. Le m écanism e du rap p o rt sém an tiq u e ^st celui qui a été décrit
dans le com m entaire de l’éta t n° 1. O n appelle quelquefois ce type
d ’organisation une m étaphore in praesentia, car les deux signifiants, le Sa*
et le Sa 2 , le co m p aran t et le com paré (un fru it et une jeune fille) sont
occurrents l’un et l’autre. M ais il im porte de bien noter que le trope est
constitué dans la m esure, et dans la m esure seulem ent, où l’un de ces Sa
a perd u son Sé.
O n connaît une autre transform ation (état n° 3)
22. Voir en particulier les ouvrages déjà cités de M ichel Le Guern et d’Irène T am ba-
Mecz.
23. Voir note 21.
114 Le langage figuré
-.-v . •
Il suffit de récapituler toutes les opérations précédentes, à réaliser
entièrem ent chacune, p our éclairer cette phrase. M éta p h o re parfaite,
totale : on a u n seul signe, le Sai (fruit presque mûr), qui, à lui seul, renvoie
à un Sé unique et différent, un Sé 2 (/jeunefille/), en affectant celui-ci d ’une
valeur connotative à extraire d u Séj évacué /jruit presque mûr! — X\~
désirable■—, p our qualifier de la sorte superlativem ent le nouveau signifié.
S a j —» S é 2 { S 2 + * 1" }
24. La formule se lit en disant q u ’un signifiant un renvoie à un signifié deux tel qu ’il
est défini par la dénotation du signifié deux, affectée de la connotation superlativisée du
signifié on. ~
Chapitre VI
I | IS O T Ô P IE E T IN D IC A T E U R S É M A N T IQ U E
I I | Y A -T -IL D ’A U T R E S F IG U R E S ?
— * S é i--------------- SaJ
Sai
—►Se2 -----------S&2
1. O n m ettra à part deux cas distincts. U n trope particulier d ’abord : l’antiphrase, assez
aisém ent définissable com m e un trope tel que le Sé2 est l’inverse du S é |. U ne figure
historiquem ent très bien étudiée par Aristote et M ichel Le Gucrn : la similitude, pour
laquelle on renvoie à ces auteurs connus.
2. N ou s voulons évidem m ent parler de la syllepse dite traditionnellement oratoire, qui
est seule tropique, et non de celle qui porte sur des jeux syntaxiques. A propoj de celle-ci,
pour changer de la sem piternelle (et niaisem ent dépourvue de tout intérêt) syllepse du
nombre, on se perm ettra d e se distraire à propos d ’une plus drôle syllepse du genre, m
G. M olinié, Du roman grec au roman baroque (Toulouse, 1982, I I ' partie, chap, II).
118 Le langage figuré
I
3. L/interprétation ici proposée repose sur une dépendance de « planant » à « songes »y
remords -incmnus j
Le jeu desfigures 119
I I I | R A PP O R T S E N T R E F IG U R E S M A C R O ST R U C T JJR A L E S
E T F IG U R E S M IC R O S T R U C T U R A L E S
“ « Versailles, pourla galerie » — titre d’un quotidien après une réunion de chefs
d ’État ou de gouvernement au château de Versailles.
s « Ce sera dur defaire plus doux » —^publicité pour un produit lacté, qui a l’air
onctueux sur l’affiche. ^
« Votre argent m’intéresse o publiçité pour la BNP — illustrée d’un hajnnie au
sourire attirant et attiré.
« Quandje vois les~prix Darty, Us bras m’en tombent » — publicité pour un maga-
zifi d’électro-ménager, assortie d’unë photo de la Vénus de Milo {qui eét censée
parler). 0
if 9
IV | LES IM A G ES
Il est difficile de quitter la forêt fascinante des figures sans parler des
images, ou plutôt sans évoquer le m ot image. C a r on a bien l’im pression
q u ’on a tout fait pour créer un problèm e nom inaliste à ce sujet, au lieu
de faire progresser la réflexion stylistique. A u point que la sagesse sem ble
de dire : image, terme à proscrire. Ce serait p o u rta n t dom m age, ne serait-ce
q u ’en raison des beaux travaux écrits sous ce titre.
N ous proposons donc une approche de l’im age qui soit cohérente avec
ce qui vient d ’être développé, et q u i ne corresponde point à un simple
bru it p our signaler, selon les utilités provisoires et diverses, la même
chose q u ’une com paraison ou q u ’une m étaphore (au ta n t vaudrait, alors,
économ iser le m ot). M éditons, à titre d ’essai illustratif, sur cette phrase
des Mémoires d’outre-tombe — il s’agit d ’un portrait.
Le jeu des jigures 125
Il est certain que « était resté à cheval » (Sa,) ne signifie pas /était resté
à cheval/ (Séi). Il faut trouver, p a r ra p p o rt à l’ensem ble du segm ent, un
signifié acceptable. O n a d m e t sans peine, m ais après réflexion, que le
signifié le plus ad ap té est u n bloc sém an tiq u e comme /ne cessait de
s ’enorgueillir/ (Sé2). Celui-ci n ’est su p p o rté p a r aucun signifiant ad hoc :
trope parfait. Les isotopies é ta n t entièrem ent différentes, on a affaire
à une m étap h o re; reste à ex traire, d u S â (, les valeurs connotatives (*i)
qui vont se transférer su r le Sé 2 en feréant le m écanism e m êm e d u
tro p e m ê fâ p te ri^ ü r.-Q n r é n u m é re ra facilem ent toute une série de ces
valeurs connotatives h ab itu elles r /allure, fierté, panache, vpki&se, force,
élégance/. C e sont bien ces q u alités attrib u ées à l’orgueil de M ontlosier qui
o n t perm is, à l’ém etteur, la sélection de être à cheval pour m agnifier la
m anière de M ontlosier. O n tra d u ira donc, ay an t poussé au superlatif :
/ne cessait de s ’enorgueillir avec une extrême fierté/ (Sé 2 + x? ). M ais si on ne
rencontre aucune difficulté à retro u v er les élém ents qui com posent la
m étaphore in absentia, et à les co m b in er exactem ent selon la form ule
propre, il sem ble n éan m o in s c e rta in q u ’o n m an q u e quelque chose dans
le systèm e d e ce trope. E n d ’a u tre s term es, u n constituant langagier
p a raît faire défaut, d o n t la reconnaissance im plique q u ’on rend, ou
q u ’on ne ren d p as co m p lètem en t com pte de l’im pression sém an
tique réelle. E n effet, lo rsq u ’o n lit la p h rase de C hateaubriand, m êm e
si un déclic se p ro d u it im m éd iatem en t p o u r provoquer une opération
interprétative d u genre tro p e (sous peine de fantastique loufoquerie),
on a tout de m êm e, sim u lta n é m e n t, une vague représentation concrète
correspondant à la d é n o ta tio n d u signifié /être à cheval/ (Si). C ette
surim pression sém an tiq u e, à la m anière d 'u s e gaze atténuée, définit la
q u an tité langagière à isoler et à ajouter au sein de la form ule de la
m étaphore :
126 Le langage figuré
V | LES D E G R É S D E F IG U R E S
v :■
O n se souvient que C harles Bally, appelant image presque tout
système figuré, av ait posé une hiérarchie de trois niveaux11. D eux
sem blent suffire. E n effet, quel sens cela a-t-il de dire que chemin de fer,
opposer une fin de non-recevoir, ou les bras d’un fauteuil sont des expressions
bâties su r des tro p es? D ’a u ta n t q u ’on va ajouter aussitôt que ces tropes
sont entièrem en t lexicalisés, c’est-à-d ire^u m s ne sont sentis p ar personne
comme tropes, m ais représentent, to u t au plus, la trace historique de
l’évolution d u langage et de la société. O n reconnaîtra seulem ent le rôle
des figures (tropes en particulier) dans la création lexicale12. Ce qui offre
quelque in térêt, en revanche, c’est, en diachronie, la vibration entraînée
aux naissances de ces expressions, et, en synchronie, les éventuels jeu x de
renouvellem ent d o n t elles peuvent faire l’objet.
, Il est difficile, au contraire, de ne .pas délim iter l’ensemble des figures
dont le"fonctionnem ent,TlansJ’échange langagier, obéit ^ des co n train tes
précises : elles se signalent comme figures, elles sont libres, elles
constituent des stéréotypes d ’expression, elles sont im m édiatem ent
interprétées p a r toute la com m unauté linguistique 13 — on leur a donné,
traditionnellem ent, le nom de cliché. U n titre comme L ’Afrique noire est mal
partie, lu dans les vitrines des libraires au to u r des années 1960, n ’était pris
p a r personne com m e le titre d ’un livre de géom orphologie, qui eût décrit
la dangereuse dérive d u continent africain s’éloignant des autres
continents — pas de figure. M ais le public a im m édiatem ent com pris
q u ’il s’agissait d ’un ouvrage sur les m auvaises conditions de l’après-
décolonisation en Afrique : donc, quelque chose com m e Iles pays d’Afrique
noire vont être dans une situation dramatique/ — signifié de deux tropes,
m étonym ie-synecdoque + m étaphore. O r, ce signifié n ’a u ra it eu aucune
valeur m archande, exprim é tel quel : preuve q u e le cliché est choisi
librem ent, et choisi p ar l’ém etteur, com m e figure. Il est loisible à chacun
de se livrer à une étude sociologique des clichés, tics d o m in an ts d ’une
époque, d ’un milieu, parfaitem ent représentés, d an s la pau v reté de
son clinquant; p a r le langage des journ alistes. Il n ’est-p as-in im éressàn t_
non plus, et il est même presque diabolique, d ’en faire la chasse en
littératu re, com me gibier p o u r la psychocritique, ou p a r curiosité
m aligne, pour voir com m ent on peut les tritu rer. Il est su rto u t difficile,
m ais plus excitant, de h a n te r les lisières d u cliché : quelle lim ite
q u an titativ e, au niveau de la réception, rabaisse-t-elle une figure d an s le
m agasin des clichés, ou la fait-elle accéder a u ran g des im ages
dom inantes propres à tel ou tel genre ou à tel ou tel a u te u r ? E h ! bien,
m algré n o tr e g o û t p o u r l e q u a n tita tif et p o u r l e form el, on aura_la_
prudence de m énager une zone de flou, d iversem ent occupable selon le
réfèrent culturel d u public.
A pparem m ent, on ne voit donc p as p o u rquoi il co n v ien d rait de
distin g u er 'in au tre degré d e figure que celui d o n t les term es d e définition
s’opposent sim plem ent aux précédents : un to u r figuré ressenti, à la
réception, com m e original, ou p ro d u it sans a u cu n efTet d ’en traînem ent
au to m atiq u e p a r la situation d ’énonciation. Les précautions m ises à
éta b lir la définition perm ettent de g a rd e r le u r vitalité à la fois aux figures
les plus ordinaires m ais réalisées sans aucune nécessité contextuelle, et
aux figures les plus singulières m ais répandues to u t au long d ’une
p ra tiq u e littéraire donnée. O n ne d o n n era au cu n q u alificatif spécial à ce
degré de figures : ce sont les figures non clichées. Il n ’est pas sû r q u ’elles
constituent un ensemble clos : une p artie d ’entre elles a vocation à virer
au cliché. D ’au tre part, l’inventivité littéraire a p o u r effet de créer des
déterm inations figurées toujours nouvelles. Enfin, su rto u t lo rsq u ’il s ’agit
des figures m icrostructurales, le destin d ’un segm ent figuré à très fort
degré de singularité est son herm étism e, d ’où l’im portance du systèm e
des indicateurs sém antiques.
Le jeu des figures 129
V I | P R O D U C T IO N D U SENS
14. Et c’est ce qui justifie un titre comme celui du brillant ouvrage de M ichel Le Guern,
Sémantique de la métaphore et de la métonymie.
15. H um oriste contemporain.
16. Ce q u ’il n ’a pas fait.
G. M O LIN IÉ 5
130 Le langagt figuré
significatif dom inant dont nous avons donné le contenu, une seule et
bonne fois, à propos de l’unique « je te pianote ». M ais le lieu figuré, par
cette production, occupe tout l’espace d ’une caractérisation p ar extension
sonore.
Allons plus loin. D ans un texte, plus sérieux, comme le Sonnet des
Voyelles, o n rem arque aisém ent un double système m étaphorique in
praesentia : p a r rapport au com paré, toujours m arqué, les graphèm es en
capitale d ’im prim erie, on a d ’une p a rt des adjectifs de couleur, d ’autre
p a rt des séries substantivales form ant comme a u tan t de paraphrases
enchaînées; les transferts connotatifs de qualité attribuée jo u en t, en tout
éta t de cause, quels que soient les labyrinthes des interprétations, sur des
assim ilations de Contours, de dessins, nuancées de sÿnèsthésîës e t d ’un
im aginaire véritablem ent subjectifs. Sans doute sont-ce là les linéam ents
incontestables d ’une approche purem ent langagière de la structure
figurée d ans ce poème. O n aurait donc une série de noyaux tropiques,
définissant chacun un plus vaste lieu figuré. M ais en réalité, la figure
génératrice du texte, outre même l’allocution fondatrice du v. 2 (« J e dirai
q uelque jo u r vos naissances latentes »), réside dans le systèm e du
parallélism e tropique à double articulation, la d e u x iè m e (v .-3 à la ftn)
fonctionnant en plus comme un groupe de paraphrases paradoxales à
l’égard d u v. 1 : l’em pilem ent des prédicats m étaphoriques substantivaux
d én atu re aussi l ’isotopie apparente d u prem ier vers, qui ne se révèle
figurée (et non de degré zéro d ’expression, conform ém ent à l’im pression
initiale) q u ’au fur et à m esure d u développem ent du texte. C ’est alors
l’espace textuel entier qui dessine le .lieu figuré total, en produisant
récursivem ent le sens.
Relisonsf^enfin^les s tro p h e s-3 -e t4 « th m ^ ta p fa s -b e a u x Poèmes à Lou~
d ’A pollinaire (Si je mourais là-bas..,),
11 S o u v e n ir o u b lié v iv a n t d a n s to u te s ch o se s
12 J e rou girais le b o u t d e te s jo lis se in s roses
13 J e rou girais ta b o u ch e et tes c h e v e u x sa n g la n ts
14 T u n e v ieillira is p o in t to u te s ces b e lle s ch o se s
15 R a jeu n ir a ien t toujou rs p o u r leu rs d e stin s g a la n ts
16 L e fa ta l g ic le m e n t d e m o n sa n g su r le m o n d e ____
17 D o n n e r a it au so le il p lu s d e v iv e cla rté
18 A u x fleu rs p lu s d e co u leu r p lu s d e v ite ss e à l ’o n d e
19 U n a m o u r in o u ï d esc en d r a it su r le m o n d e •*
20 L ’a m a n t serait p lu s fort d a n s ton corp s écarté
Le jeu desjiguTes 131
V i l | P R A G M A T IQ U E D ES F IG U R E S
effet, sous p rétexte d ’une attention exclusivem ent centrée sur la forme
langagière : la finalité et le produit extra-discursif de la figure font partie
in té g ra n te de son fonctionnem ent.
N o tre propos ne visant nullem ent au catalogage exhaustif, m ais à la
sim ple in d icatio n des voies principales, on se contentera de quelques
rappels p articu liers et de mises au point générales. O n a déjà évoqué
l’im p o rtan ce des figures dans l’art oratoire, les discours, les développe
m ents littéraires ; leur intérêt p our m arquer les lisières du fantastique, du
d ra m a tiq u e ou d e l’érotique ; on pourrait insister sur leur force irrem pla
çable d a n s l'expression d e la subjectivité et d e l’im aginaire, individuel ou
‘ - collectif- sxrr- ie u r-é e o n o m ie si concentr&e- e t si efficace pour les
d escriptions com m e p o u r les n a rra tio n s; sur leur dangereuse relativité
culturelle, v éritab le piège à la réception e t a l’interprétation. O n pourrait
enfin élargir le d é b a t en soulignant, dans le droit fil de notre dernier
co m m en taire su r A pollinaire, com bien tout propos figuré constitue un
acte de langage, et m êm e, à la lim ite, le seul acte de langage vraim ent
in co n testab le, si on poussait ju sq u ’au bout les analyses de
B e rre n d o n n e r18.
D eux directio n s, seulem ent.---------------------------------------- ----------------- _
O n n ’a p eu t-être p a s assez rem arqué le lien entre figure et mensonge
(si o n n ’est pas en pleine pragm atique, où celle-ci se cache-t-elle ?) ; en
effet, la règle conversationnelle la plus sim ple est certainem ent que E =
I 19, ce qui n ’est ja m a is le cas en système figuré. O r, notre époque se
signale p a r d e nom breux progrès techniques, en particulier dans le
*g&itlomaine de l’intoxication d u plus g rand nom bre possible de personnes —
3 & a a -d it.d e s m asses. P rem ière m an ip u latio n ; les masses, cela s’incline ou
' s’en traîn e. Les récepteurs éventuels (et p o u rta n t nécessaires pour
m a in te n ir le fantôm e de l’acte de com m unication) sont com m e chlorofor
m és, n atu ralisés d ans une irréversibilité figée, purs écouteurs à jam ais
b ran ch és s u r cette position. N otons bien la form idable réduction
sém an tiq u e q u ’im plique ce trope, diaboliquem ent m étonym ique. O n
p e u t d onc d ire au x m asses n ’im porte quoi, puisque tel est leur statut
linguistique. E t, p a r exem ple, s’exprim er figurém ent sans en avoir l’air
— piège h a b itu e l des figures m acrostructurales. M ais aussi piège
p articu lièrem en t retors, lorsqu’il se com plique de m achineries tropiques,
si les récepteurs sont com plètem ent momifiés : com m ent un écouteur
m écanique pourrait-il reconnaître et in terp réter le trope? En aucune
façon ; il enregistre, c’est tout. Prenons le b o uquet de discours constitués
p ar les diverses variantes d u segm ent vivre de son travail : on peut/doit vivre
de son travail, il fa u t vivre de son travail, honte à ceux qui ne vivent pas de leur
travail, il faudrait que chacun puisse vivre de son travail, il y en a qui ne peuvent
pas vivre de leur travail, certains n ’ont même pas de travail pour vivre... Q ui ne
perçoit les connotations m orales de tels discours, et même leurs
présupposés idéologiques ? N ous form ons tous une sorte d ’archi-
récepteur d e tels propos. E t en réalité, cet arclji-réçepteurj mâssifié et
m atérialisé, ne fait m êm e plus p asser le m essage dans son cerveau
critique, m ais uniquem ent d an s son cerveau sensoriel (si on veut b ien
nous perm ettre ces évidentes m étaphores). R ésu ltat : le trope est passé
inaperçu. E n ro m p an t ce sta tu t massifié et m atérialisé, on se rend com pte
q u ’il y a trope, aussi obligatoirem ent que n ’im porte quel cas de trope. Le
travail ne fait p as vivre : il fatigue, à to u t le m oins ; il tue, éventuellem ent ;
m ais en au cu n cas, il ne p eu t faire vivre. C e qui peut faire vivre, en
revanche, c’est le résultat, le p ro d u it d u travail (et pourquoi pas,
d ’ailleurs, d u travail des autres — m ais c’est une au tre question) ; il y a
donc m étonym ie. M ais la m anipulation consiste à em pêcher les récep
teurs de jo u e r leur rôle total d ans u n au th en tiq u e échange de com m unica
tion : im possible, alors, de laisser v oir le trope. C et exemple, volontaire
m ent caricatural, illustre à notre avis une des caractéristiques des
pratiques langagières de l’époque contem poraine : la naturalisation des
récepteurs dans les m ass-m edia 20 et la transform ation des tropes,
apparem m ent banalisés, en arm es d ’intoxication parfaitem ent
camouflées.
C ertains lecteurs o n t p u se dem ander, au fil d u paragraphe précédent,
si on ne retrouvait pas là le cliché. N on. C a r le trope, arm e absolue de
la m anipulation des masses, est caché, alors q u ’il s’affiche dans le cliché.
M ais n’oublions pas non plus que, dans le cliché, on a un stéréotype
d ’expression ; on est donc fondé à se poser la question : n ’y aurait-il pas
des stéréotypes de contenu? Il fau t d ’ab o rd s’entendre sur le sens de ce
contenu. L a m eilleure approche, sem ble-t-il, du moins la plus opératoire,
de ce problèm e, est celle de H jelm slev : nous ne nous occupons ni de la
20. En prenant le terme au sens très large, c’est-à-dire en y incluant les discours
scolaires et culturels.
134 Le langage figuré
l’argum entation, on ne sau rait passer soùs silence le plus fort et le plus
g ran d de tous les lieux, sorte d ’archi-topos si l’on en croit les écrits du
père fondateur de nos études, A ristote 26 : l’enthymème. La nature de
l’enthym èm e est un raisonnem ent dédu ctif (du type du syllogisme), que
la prém isse y soit ou non exprim ée, appuyé sur la considération générale
d u vraisem blable. C ertes, cela n ’est saisissable que sous une forme
verbale, m ais sans aucun décalage entre l’expression et le contenu.
L ’inflexion figurée (au sens du second niveau dès figures) ne vient que du
stéréotype d u chem inem ent verbo-logique. A ristote a d ’ailleurs sans
d ü ü te isolé de la sorte l è pitié universellem ent efficace de Ctes stéieotypes;
à cjuoi ii ïS t effectivement possible de réduire tous les procédé s
argum entatifs, p ar m onnayages successifs.
Les lieux définissent ddnc des catégories générales d ’objets à exprim er
et d ’approches réflexives qui servent de m atrice à toute construction
textuelle. O n dira, p a r exemple, que les Contes de V oltaire, du point de
vue d e la forme du contenu, suivent les figures du récit, de la discussion,
d e l’atténuation, de l’exagération, de la suspension, de la description des
pays et des m œ urs, du dépaysem ent, de l’utopie... Ces figures sont
établies “sur des figures d e p r e m ie r d é g fé (ifô riie ,c a ra c té risa ti 6 n n o n
p ertinente...) — forme de l’expression ; q u a n t à la substance du contenu,
elle relève de l’histoire des idées (satire sociale ou religieuse...).
26. Dans La Rhétorique, qui est proprement le livre de ces figures-là, alors que les autres
sont envisagées dans La Poétique : on voit q\TAristote était aussi un profond pragmaticien,
avant qu’on parle de pragmatique. — - . — —
T3ïT -.Le langagefiguré^&
P R A T IQ U E D E LA STYLISTIQ U E
■
PÉDAGOGIE
DE LA STYLISTIQUE
I | O R IE N T A T IO N S D E LA S T Y L IS T IQ U E
PÉDAGOGIE
DE LA STYLISTIQUE
I | O R IE N T A T IO N S D E LA S T Y L IS T IQ U E
morale provisoire. Les term es du problèm e, dès lors, sont p o u r lui assez
simples : il s’agit de faire la p a rt entre les exigences m inim ales et
fondam entales de la com m unication, et les arêtes, des plus saillantes aux
plus ténues, du m arq u ag e d ’originalité d an s le systèm e expressif. M ais,
si l’on reprend l ’ensem ble des développem ents précédents, ce m arquage
ap p araîtra com m e susceptible d ’être su p p o rté d ans de nom breux lieux,
aussi m ultiples q u ’hétérogènes. P o u rtan t, l’objet est toujours m atière à
appréhension formelle. P o u r dissiper to u t m alentendu éventuel, prenons
l’exemple d ’un texte de R acine, d ’ap p aren ce polie et insaisissable ; si on
m et à p a rt les faits langagiers q u ’on serait tenté de rem a rq u e r p a r seule
différenciation historique (et ce n ’est pas une si m ince affaire), il va rester
comme une surface lisse, où ne sem blent se dessiner que les contours
gram m aticaux élém entaires. Q uelle prise accro cher? Il doit bien y avoir
quelque chose, qui tienne à la n a tu re m êm e de la form e7, puisque la '
traduction du mêm e contenu en ja p o n a is ou en espéranto ne saurait
produire le m êm e effet. L a contre-épreuve est aisée 8 : si on com m ente
Racine en p a rla n t de sa vie, du th éâtre de son époque, de sa d ram aturgie,
de l’intrigue, de l’histoire littéraire, de la portée culturelle de ses
créations, de ia-psychologie des personnages... ce n ’est pas si m al ; m ais
qui ne se rend com pte q u ’au b o u t de ces sciences, on p o u rra it traduire
la m êm e chose en prose, en exposé an aly tiq u e : il m an q u e toujours
l’analyse spécifique de ce qui fait le je ne sais quoi de la parole racinienne.
E t cette considération n ’est n u llem en t en contradiction avec les propos
fameux de Ja k o b so n 9 selon lequel « il y a science ou il y a j e n e s a i s qju o i ,
et s ’il y a j e n e s a i s q u o i , il n ’y a pas science » ,„ c a r le b u t de n o tre discipline
est ju stem en t d ’élucider le j e ne sais quoi. N ous nous contenterons
— seulem ent ici, à la différence de Jak o b so n , de penser q u ’on n ’élucide
jam ais v raim en t to u t à fait les choses de l’a rt littéraire, et nous suggérons
d ’ab an d o n n er le term e de science, p o u r qualifier nos études, de p eu r de
tom ber dans le piège d u trope caché.
L a dialectique de la com m unication et de l’originalité se pose
égalem ent à un au tre niveau. Si on ad m et, com m e nous l’avons plusieurs
fois déjà signalé, que la littérarité réside essentiellem ent dan s le tissu
caractérisant, on peut, corrélativem ent, n o ter que les contenus des
I
i
débu tan ts d ’écrire une com position p ertin ente, en une heure ou deux
d ’exam en ou de concours, en réponse à une question de stylistique
p o rtan t sur un texte donné : m êm e en in d iq u an t, en exploitant, en
subdivisant les voies d ’approche, c o m m e n t a tten d re un tri de significati-
vités12. Il vaudrait m ieux d e m a n d e r, plus franchem ent, un essai de
p ratique de ia discipline à propos d e tel ou tel texte, sans donner l’illusion
q u ’il s’agit d ’en tenter une élu cid atio n stylistique. Gela plus po u r les
m aîtres que pour les étu d ian ts. M ais su rto u t, l’énum ération de p ro
gram m e précédente doit conduire à souligner com bien vaste est l’en tre
prise (voire dém esurée) : le c h a n tie r est im m ense, à lui tout seul, c’est-à-
dire sans aller travailler sur d ’a u tre s ch an tiers, ou dans d ’autres cantons.
C ela signifie que la stylistique est la stylistique : non seulem ent pas
l’histoire littéraire, ni la psycho-critique, ni la psychologie des p ersonna
ges, ni les considérations sur l’h ab ileté de l’a u teu r ou des protagonistes,
ou sur l’atm osphère d e la scène... m ais m êm e pas l’analyse de la
profondeur ou de la beauté d u p assage, n i d e la portée idéologique de ce
qui est exposé ni des sentim ents d u le c te u r à la réception. La stylistique
s’attach e exclusivement et ex h au stiv em en t a u repérage et au dém ontage
des déterm inations formelles, à le u r com binaison et à le u r portée d an s le
système expressif global. L a stylistique est donc une discipline sèche.
I I | LES IN S T R U M E N T S D E C H A N T IE R
1. Catégories grammaticales
2. Itération ei accumulation
13. P ierre L aon ( cnrs - url. 3) a b ien m o n tré, avec les trav au x de lexicom étrie, com m ent
on p eu t isoler des suites de texies répétées, de m a n iè re significative, sans qu e ces suites
soient forcém ent sy n tag m atiq u es (rech erch es su r les segm ents répétés).
Pédagogie de la stylistique ^ 149
y ait phénom ène d ’accum ulation, il faut q u ’il y ait reconnaissance d ’une
identité. A ucun problèm e q u an d une suite d ’épithètes vient qualifier sans
arrêt le même substantif, soit dans un segm ent unique déployé sur six ou
sept adjectifs, soit sur plusieurs segm ents où l’on retrouve le mêm e
schém a (itération sim ple, m ais à u n deuxième niveau). Il peut arriver
q u ’on ait affaire à des groupes syntaxiques moins unifiés, ce qui est
souvent le cas, p ar exemple des suites caractérisantes. Celles-ci sont
parfois présentées, en effet, sous diverses formes syntaxiques. Pour que se
produise alors un effet d ’accum ulation, il faut que le parallélism e
phrastique soit parfait : au trem en t dit, c’est la distribution de la phrase,
son architecture, qui va essentiellem ent déclencher le sentim ent d ’une
structure d ’accum ulation- M ais une fois cet effet, déclenché, les variations
syntaxiques internes p o u rro n t être aussi grandes que possible, un
segment syntaxiquem ent tout à fait hétérogène, p ar exemple, pouvant se
glisser au m ilieu ou à la fin de l’ensem ble, il y au ra effet de série, et
création d ’une réalité langagière supra-segm entale, d ’u n autre ordre,
absolum ent coercitif. Il y a u ra accum ulation : bel exemple de transform a
tion d u gram m atical en stylistique, ce q u i m ontre aussi l’irréductibilité
des deux dom aines. Ainsi identifiée, l’accum ulation engage de profondes
déterm inations dans l’esthétique d u texte.
3. Structure en formation
4. Contrainte
P o u rsu iv an t notre prom enade dans le m agasin des outils qui nous ont
p a ru les plus efficaces p our l’analyse stylistique, nous ne pouvons pas
négliger l’ensem ble qui se présente en term es de contrainte. L a contrainte
est, évidem m ent, une des* plus puissantes déterm inations langagières,
peut-être la seule inévitable. Ce n ’est pas, m algré tout, une lapalissade :
com bien d ’investigations absolum ent vaines, p o u r la seule raison que le
critiq u e ne s’est pas aperçu des contraintes ! E n principe, avant tout
progrès su r une voie quelconque, on devrait se poser la question : libre
— non-libre ? N on q u ’on se dem ande si la voie est libre ou non, mais si
les déterm in atio n s langagières considérées sont obligatoires ou non. En
un sens, c’est la question préalable. Encore faut-il bien l’entendre. A
certains niveaux, pas de difficultés : p o u r une distribution intra-
segm entale (adjectif-nom ), p our une cohésion syntagm atique, pour
certains em plois d ’actualisateurs, il est facile de faire l’expérience
im ag in aire im m édiate, en déplaçant, m odifiant ou supprim ant un
élém ent dans le lieu considéré, p our se ren d re com pte aussitôt, sur
l’occurrence, de la liberté ou de la non-liberté, ou de la plus ou moins
g rand e liberté. En cas dé liberté ou de relative liberté, il y a u ra possibilité
de m arq u ag e stylistique et donc m atière à analyse ; sinon, on s’occupe
d ’au tre chose. M ais c’est souvent plus délicat. A propos du lexique, des
systèm es actantiels fondam entaux (jeux de production du discours), et
des organisations figurées, on ne voit pas de tests autom atiques capables
de provoquer sim plem ent une réponse claire. O n est obligé dès lors de
raiso n n er en term es de niveaux de p ratiq u e langagière, voire peut-être de
style. C e qui serait contrainte à telle époque, d ans tel genre, ou même
chez tel a u te u r dans telle œ uvre, ne le sera pas forcément ailleurs.
Sem blablem ent, ce qui sera contrainte de l’un des côtés de la littérature,
au sens où nous en avons parlé à la fin du chapitre précédent, ne le sera
pas forcém ent de l’àu tre versant. De plus, ces désignations de contrainte,
152 Pratique de la stylistique
5. Grille et modèle
Ces réflexions nous conduisent naturellem ent à revenir sur des term es
souvent utilisés, çà et là, au cours des développements précédents : nous
avons ainsi souvent parlé de grille et de modèle. Encore une fois, ce sont
des concepts à double portée : grille et modèle d ’analyse, com m e schém as
intellectuels de raisonnem ents propres au critique, grille et m odèle de
stru ctu re textuelle, comme schém a de production langagière objective.
M ais, en l’occurrence, la paire n ’a peut-être pas la m êm e valeur dans les
deux dim ensions. Incontestablem ent, grille est plutôt du côté de l’in ter
prète. N ous n ’avons jam ais caché, dans ce p etit livre, com bien notre
discipline est inséparable d ’une entreprise de construction, ou de
constitution, de l’objet examiné. O n pourrait voir là un paradoxe, voire
une contradiction, avec notre défiance, sans doute exagérée, à l’égard de
la stylistique des effets. Point d u to u t. C hacun sait q u ’une discipline à
prétention scientifique (et nous disons bien à prétention, et non à nature) a
po u r tâche préalable, et perm anente, la validation de son propre objet :
q u ’exam ine-t-on réellem ent, dans la masse informe de la m atière soum ise
à analyse? Il est donc norm al, et nécessaire, de se forger un outil
herm éneutique qui structure l’objet considéré. C ’est la grille. Le corrélat
d ’une telle dém arche, la seule rigoureuse, est la conscience d u statu t
provisoire et pratiq u e de cette grille : il faut savoir la modifier, voire la
je te r aux orties, selon les réactions de l’objet. Il faut surto u t ne pas la
confondre avec l’objet. E t encore moins avec le modèle de l’objet. Q ue
veut-on dire en p arlan t de modèle ? Il s’agit là d ’une stru ctu re propre à
Pédagogie de la stylistique j 153
; 6. Fonction ,
7. Faisceau
8. Dominante
14. N ous ne disons pas gerbes ce q ui p o rte ra it les esprits scrupuleux à s’in q u iéter des
m êm es conn o tatio n s m alignes. i
K ô sss- - P r a t i q u e de la stylistique
qui ont trait à des faits langagiers plus délicats à isoler, comme des
déterm inations actantielles to u ch an t le discours, des moyens de caractéri
sation p ar extension sonore, des figures m acrostructurales, ou des figures
de second niveau15; il faut avoir utilisé, à cette fin, de bons outils
d ’investigation : mais, une fois étudiés, ces faits se laissent aisém ent
ranger selon la m éthode de la dom inante. En revanche, le point délicat
concerne ce q u ’on pourrait appeler la dom inante relative, ou la dom i
nante variable, m algré l’apparente contradiction entre ces termes. Cette
dom inante, qui touche tous les postes stylistiques possibles, occupés
d ’hab itu d e p a r des dom inantes absolues, n ’ap p araît que par differencia-
texte tout entier en cadence m ineure sera fortem ent caractérisé p a r l’ap
parition d ’une unique cadence m ajeure ; une suite d ’antithèses très intel
lectuelles sera aussi fortement caractérisée p a r l’apparition d ’une seule mé
taphore-im age. O n ne saurait négliger cette valeur différentielle, que nous
avons déjà évoquée en utilisant le concept de contre-m arquage16,
p o u r déterm iner la ju ste dom inante. Plus im p o rtan t et plus subtil : dans
u ne pratique littéraire donnée, m arquée de dom inantes génériques fortes
et bien connues, il convient de faire la distinction entre ces dom inantes
fondam entales, les plus massives et les plus im portantes, et d ’éventuelles
autres dom inantes, plus ténues, m oins nom breuses, voire opposées,
m êm e m inoritairem ent, p a r une ru p tu re m arginale, aux traits essentiels
d ’ensem ble ; cette petite gerbe-là, bien liée et dégagée, constitue peut-être
la dom inante spécifique d ’une p ratiq u e spéciale d u genre. C e sera une
dom inante relative; elle n ’en form era pas m oins la dom inante vraim ent
significative. Il ne faut pas oublier d ’ailleurs que c’est ce même concept
dom inante qui perm et d 'ap p réh en d er les types de pratique littéraire.
O n a ainsi fait le tour rapide des principaux outils d ’accès à l’analyse
stylistique. Ce faisant, on a forcém ent rencontré des problèmes, dont on
a essayé de présenter les tenants et aboutissants avec honnêteté, sans
m asquer les difficultés, mêm e p a r rap p o rt à notre propre principe
d ’exam en : on a préféré au contraire s’installer au sein de la tension
aporétique ; ce n’est pas confortable, m ais c’est le seul moyen pour avoir
quelque chance de faire progresser, tan t soit peu, la recherche en la
m atière.
II I | LES D O M IN A N T E S T O N A L E S
2. Lyrisme
3. Elégie
prose, liés à tout ce qui m arque la prose poétique17. Bien sûr, tous ces
ingrédients peuvent être pim entés de diverses figures m icrostructurales
p o rtan t sur le m atériel phonique.
4. Pathétique
5. Oratoire
17. V o ir ch ap itre I I I .
18. V o ir ch ap itre I I I .
160 Pratiguc >
6. Epique
19. V o ir ch ap itre V I I I .
vocabulaire concret; des phrases sim ples et plutôt linéaires; des
hypotyposes, des-antithèses; des périp h rases; des com paraisons et des
m étap h o res; des jnétonym ies-synecdoques sym bolisantes. E t bien sûr
toujours la répétition, m ais cette fois sous des formes assez typées :
m icrostructurales, comme anaphore, épiphore, anadiplose ; m acrostruc
turales, comm e itération soit de systèm es figurés, soit de scènes à
expressions imageantes. Si nos lecteurs sont familiers de Zola, ils au ro n t
quelq u e idée de ce dernier trait, assez intéressant. U n seul exemple,
extrait de Germinal.
O n lit, dans la septième partie (chapitre VI) : ‘
O. M OLIN lt 6
162 Pratique de la stylistique
7. Théâtral
8. Dramatique
9. Narratif
\ \
10. Descriptif
d ’indices pour rendre com pte avec précision d ’un éventuel caractère
descriptif25.
11. Récit-discours
12. Fantastique
13. Modernité
IB i
.Jr',§il\A(-^-~r 168 Pratique de la stylistique
Le texte
LA RECHERCHE
EN STYLISTIQUE
1. Sémiotique
Il faut bien com m encer quelque p a rt ; évoquons donc d ’ab ord, sans
que cela préjuge d ’une quelconque hiérarchie dans l’ordre des raisons, le
ch am p de la sém iotique'. Considérée d ’un point de vue très général, la
sém iotique peut être com prise com m e la branche linguistique de la
1. O n lira avec fruit, p o u r s’initier à la sém iotique, deux livres intéressants : J . C ourtes,
Introduction à la sémiotique narrative et discursive (H achette-U niversité) ; A. H é n a u lt, Les enjeux
de la sémiotique (p u r).
La recherche en stylistique ; 171
V-
sémiologie : à une science des systèmes de signes, correspond une science
d ’un système p articulier de signes, les signes linguistiques — la
sémiotique. M ais cette définition, que nous proposons, est tro p vaste. A
tout le m oins, il faut la préciser en la lim itant : nous ne sommes
concernés, nous, que p ar la sémiotique littéraire. A ce degré-là, on peut
même soutenir que sémiotique littéraire = stylistique. C ’est encore trop
(surtout que trop de m onde ne serait pas d ’accord). P our avancer, on
croisera l’approche avec celle des linguistiques, qui opposent les concepts
de sémiotique et d,e sémantique,, p our décrire des dom aines de portée et
d ’analyse des phénom ènes de langue : sémantique désigne ce q u i renvoie
au fonctionnem ent des structures langagières p a r rap p o rt à l’intérieur de
l’univers linguistique, et sémiotique désigne ce qui renvoie au fonctionne
m ent des structures langagières p ar rap p o rt à l’univers extra
linguistique. U ne sém iotique littéraire devrait donc se charger de scruter
la portée des m ises en oeuvre littéraires dans le m onde : le public,
l’époque, les m entalités ; m esurer la valeur et l’im portance, de ces mises
en œ uvre p a r rap p o rt à l’inconscient collectif et à l’im aginaire des
groupes, ainsi q u ’au statu t social de la production et de la réception
littéraires ; décrire les mécanismes p ar lesquels se stru c tu re n t les
réactions à ces mises en œuvre, dans le jeu , m i-volontaire mi au to m a ti
que, de la littérature, et dans la dialectique attente-réception des divers
publics. Le dom aine ainsi balisé, on pourrait concevoir de nom breuses
applications particulières : sémiotique théâtrale, rom anesque... ; sém ioti
que des genres réputés nobles, de la littérature « populaire »... ;
sém iotique de R acine...; sém iotique des vers... Il est certain q u ’il s’agit
de vastes chantiers, dont nous ayons survolé quelques-unes des entrées
possibles (les plus atteignables, à l’heure actuelle). N ul doute que ce
soient, égalem ent, des recherches im portantes et intéressantes, de n ature
à renouveler notre appréhension des faits littéraires. M ais il fau t bien se
rendre com pte que la sémiotique, ainsi entendue, et la stylistique
(entendue comme dans ce livre), entretiennent un ra p p o rt de synecdo
que : toute une partie de la pratique stylistique reste en dehors de la
sémiotique, et toute une partie de la sém iotique s’oriente vers des
dom aines extérieurs à celui de la stylistique. En effet, un grand pan de
l’analyse sém iotique n ’est nullem ent tourné vers les études formelles
(essentielles à la stylistique), m ais vers des études de contenu et de
valeur. Le d o m ain e privilégié, historiquem ent, des sém ioticiens, n ’est pas
par hasard la substance d u contenu.
172 atique de la stylistique
2. Narratologie
leur rentabilité. C ela dessine, en tout cas,, une belle carrière pour les
narratologues. L e concept-clé, dans ce genre d ’analyse, est celui de
transform ation : p a r ra p p o rt à une situation donnée, entre des types
élém entaires de source ou d ’objet possible d ’une action, et selon des
modèles fondam entaux de relations et dejnotLvations hum aines4. O n ne
sau rait oublier q u ’il existe une autre direction, dans les études de
narratologie, celle q u i a été explorée dans les travaux de G enette. Si, en
narratologie sém iotique, on s’attache à décrypter surtout de la substance
d u contenu, on est plu tô t, avec G enette, du côté de la forme du contenu.
E n effçt, la p o rtée des concepts dégagés dans cette m achinerie-là —
diégèse, ellipse5... — renvoient à des structures langagières qui corres-
fondam entaux d ’org an isatio n d u discours n a rra tif (qui parle, à qui, de
qui, com m ent, selon quelles 'dispositions ou fragm entations de l’objet à
d ire ?). Il est certain q u e les outils d ’analyse mis au point à ce niveau sont
plus im m éd iatem en t opératoires que ceux de la narratologie sém iotique,
po u r traiter, p a r exem ple, d e la structure narrative d ’un rom an. M ais,
curieusem ent, le u r p lu s im m édiate accessibilité s’assortit d ’u n relatif
figem ent, q u e n e co n n aît p as la dém arche scientifique des sémioticiens.
O n signalera ënfin la direction phis hum ble des é tu d e r d e techniques
narrativ es, q u i, sans se référer à u n appareil conceptuel sui g en eris,
s’a tta c h e n t n éanm oins a u m êm e dom aine, à un niveau encore légèrem ent
décalé p a r ra p p o rt a u x précédents;: analyses des schémas d ’actualisation
des diverses couches discursives, répertoriage-des modèles généraux de
disposition des m asses narrativ es7. Ce q u ’on saisit alors, c’est le rôle des
figures m acro stru ctu rales étendu à un vaste ensemble textuel; on
découvre aussi, u n e fois d e plus, la puissance de la figure m icrostructurale
de répétitio n , cap ab le d e produire le systèm e générateur d ’une grosse
m asse rom anesque. O n voit que ce genre d ’approche se m eut essentielle
m ent d an s la form e d e l’expression.
• A insi, à trois niveaux différents d ’analyse, p our reprendre la hiérar
chisation de H jelm slev, on observe les bases d ’une discipline aux
3. Descriptif
SD
P N Pr
Il est clair, d ’un autre point de vue, que l ’expansion, d e soi, est
prédicative d u pantonym e. Les typologies feront donc apparaître des
variantes dans la nature des élém ents constituant chaque poste, dans le
nom bre de ces éléments, dans leur équilibre relatif, et mêm e dans la
présence (ou l’absence) partielle des postes systématiques. Ainsi se
m esure égalem ent la lisibilité d u descriptif.
O n p eut présenter, sous forme de bilan problém atique, à p artir des
travaux de H am on (pour la prem ière m oitié), et en suivant nos propres
recherches (pour la seconde m oitié), les principaux axes d’une analyse du
descriptif :
4. Système actantiel
I I A ) «----- „ Bj
M ais l’un des actants p eut être le support d ’un réseau de second
niveau, que l’on codera avec l’indice 2 (et ainsi de suite).
T o u t cela est b an al. C e qui est plus délicat, et plus intéressant, ce sont
les cas de schém atisation oblique, com me nous en avons évoqué
quelques-unes p o u r le th é â tre 14 : u n des actan ts d ’un des niveaux
supérieurs (3, 4, 5), interne au II, est en réalité en relation actantielle
(d ’orientation de discours) avec un a ctan t d ’un niveau inférieur ( 1, 2),
q u i est sim ultaném ent, ou seul, le véritable destinataire. Le court-
circuitage des réseaux à travers les niveaux actantiels déterm ine
l’épaisseur littéraire ; le repérage de ces court-circuitages p a r l’analyste
est la tâche du stylisticien. Ces relations obliques, ces court-circuitages,
so n t égalem ent susceptibles d ’être repérées entre le niveau I et le niveau
I I . L e niveau I est celui de la production de base de tout le discours
littéraire, d o n t le niveau II est le contenu : le schém a est caricatural, p ar
exem ple, dans les rom ans épistolaires. Il arrive que l’actant de base, le
n a rra te u r, intervienne à l’in térieur du niveau II (nous avons indiqué plus
h a u t quelques m arques possibles de cette intervention) : le récepteur
co rresp o n d an t devient alors un a ctan t de niveau I I 15; il arrive aussi
q u ’un a c ta n t de niveau II soit en relation actantielle avec un des deux du
niveau I : parfois le public, et pourquoi pas le n arrateu r. Du point de vue
d u q u el on se place ici, celui des réseaux actantiels et de leurs niveaux, le
sta tu t des êtres littéraires est bien essentiellem ent verbal, puisqu’on ne les
ap p réh en d e q u ’à travers leur ran g et leur portée discursifs.
O n p o u rrait penser que cette dichotom ie générale est suffisante. En
effet, elle im plique une sorte de mise en relation absolue, dont on voit
m al, a priori, com m ent elle serait m odifiable dans sa structure : une
in stan ce et u n niveau de production fondam entaux du discours, avec leur
pôle norm al de réception, et le discours p ro d u it (avec tous les échafau
dages im aginables à l’intérieur de cet ensem ble) ; à quoi ajouter les
5. Énonciation
6. Pragmatique
procédures déterm inent ainsi une p ratique et une finalité : la finalité est
de créer la valeur littéraire, la littérarité. L a pragm atique littéraire est
donc l’organisation en vue d ’une fin ; elle s’oppose à la prag m atiq u e
publicitaire, à la p rag m atiq u e inform ative, à la pragm atique affective...
Le problèm e de la p rag m atiq u e littéraire est celui de la m otivation (vieux
fantôm e des études littéraires et esthétiques), ce qui est une a u tre façon
de poser la question des effets. M ais là, plus de faux-fuyants : c’est la
littérarité tout entière à sa fin attachée. Sans vouloir paro d ier Jakobson
et sa projection d ’u n axe sur l’au tre, on p eut rappeler que le discours
littéraire est auto-référentiel : il renvoie à un réel extra-linguistique qui
est sa propre production. T o u t le processus langagier mis en œ uvre n ’a
d ’au tre orientation que de m arq u er cette auto-réference. O n y reviendra
to u t à l’heure. Il existe u n dom aine privilégié, parm i les m anipulations
langagières, p o u r tester la pertinence de la question de la m otivation,
c ’est celui des figures de second niveau. Il y a, incontestablem ent, une
p rag m atiq u e des figures, indispensable à leur constitution m êm e,
quelque form aliste q u ’on soit. Sans doute est-ce d éterm in an t du côté de
l ’énonciation; m ais c ’est aussi p a r rapport à cette prag m atiq u e que le
récepteur reçoit pertin em m en t le message. C ette m otivation p e u t être la
déception, la force, l’originalité, le pittoresque, la conviction à in d u ire sur
le récepteur : elle définit des cham ps différents selon les figures, d o n t elle
oriente chaque axe prag m atiq u e. E t mêm e, pour les figures de second
niveau, la dim ension p rag m atiq u e est la seule définition de la figure : une
prosopographie ou m êm e un autocatégorèm e 20 n ’ont d ’existence que
dans leur portée. '
M ais où est l’acte d an s tout cela ? D ans le fait de littérarité. O u p lu tô t,
d ans le m arquage de littérarité. T o u te production littéraire constitue un
réel extra-linguistique q u i n ’est rien d ’au tre que le produit textuel (c’est
ce que nous avons appelé le fonctionnem ent autcnréférentiel dans les
pages précédentes). E n pragm atiq u e littéraire, la valeur perform ative du
langage est consubstantielle à son existence : si elle ne l’est pas, c ’est
q u ’on sort du littéraire. O n rejoint ainsi une des indications données lors
de notre présentation des réseaux actantiels : toute apparition lexicale en
texte littéraire a p o u r sta tu t d ’existence la seule création v e rb a le; les
actan ts n ’existent que d an s leur rôle dans le systèm e de com m unication.
Le perform atif, en littérarité, se situe à un double niveau : dans le
7. Rhétorique
Il est tem ps, et ce n ’est pas sans liaison, d ’ab order la rhétorique. C ’est
un des plus beaux, des plus anciens et des plus nouveaux ja rd in s d e la
stylistique. M ais c’est un ja rd in non-privatif. O n rêve d ’une histoire de
la rhétorique, d ’A ristote à M arc Fum aroli, en p assan t p ar le G roupe (J. :
rien n ’est plus vieux, dans la culture, ni plus actuel, dans la recherche;
le plus vieux n ’est pas le moins m oderne, ni le m oins fécond. Il faut dire
que le renouveau des études de rhétorique va de p air avec le développe
m ent des études formelles. M ais la confusion vient de ce q u ’il existe, au
moins, deux rhétoriques : de l’expression et du contenu. La Poétique
d ’A ris to te ,c o m m e la Rhétorique générale d u G roupe fx2) tràite n t de
J’expression, c’est-à-dire, en gros, des figures. O r, nous avons dessiné une
catégorie particulière, que nous avons appelée celle des figures de second
niveau 22 : modèles généraux d ’organisation du discours, selon des
schém as d ’ordre logico-verbal, dont une des orientations m ajeures est
l’éloquence, la pratiq u e oratoire, avec pour p rag m atiq u e essentielle l’a ri
de la persuasion (d ’où le rôle crucial de l’enthym èm e, com m e il a p p a ra ît
dans La Rhétorique d ’A ristote). Les lieux de l’arg um entation, comme les
^autres figufes canoniques des grandslT ujeïsliU eraires^rènvoiérit dontTà
la form e d u contenu : la rhétorique d u contenu étudie ces topos (tôjtoi).
U ne zone, la plus noble, de cette rhétorique du contenu, exam ine
donc l’a rt de la persuasion, tel q u ’il se révèle à travers discours,
haran g u e23... : les parties de cette discipline o n t reçu des nom s dans la
tradition oratoire (invention, disposition...), q u ’il ne faut pas confondre avec
les parties obligées d ’un discours. C et a rt de la parole — éloquence — est
aussi traditionnellem ent divisé en trois genres : judiciaire, d élib ératif et
épidictique (d’éloge). O n peut évidem m ent reconnaître des esthétiques
21. L arousse.
22. V oir notre chapitre V I. ----------------
23. Voir M arc Fumaroli, L'Age de l ’éloquence fProz. 1982).__ ____________
184 Pratique de la Stylistique
8. Analyse du discours
Approche quantitative
24. O n songe en particulier aux travaux du Centre d ’analyse du discours de Lille III.
25. Voir C. Perelman, L ’empire rhétorique (Vrin, 1977) ; L ’argumentation ( p u Lyon, 1981).
26. V oir Langue française et linguistique quantitative (Slatkine).
La recherche en stylistique
27. O n ne confondra pas ces travaux avec l’élaboration des index et concordances
d ’œuvres, com me ceux qui se font en France sous la direction de B. Quemada.
28. Voir en particulier les travaux de P. Lafon ( c n r s , u r l 3).
29. C ’est là qu’on voit la com m odité d ’une stylistique formelle, comme on en a pratiqué
quelque ébauche à propos des figures ; m ais il ne faut pas confondre schématisations à
valeur de sim plification sym bolique, et formules à signification emportée mathématiques.
O n peut d ’autre part avoir une idée de ce travail avec la thèse d’Etat de Robert Garrette
sur La phrase de Racine (T oulouse-II, 1987).
186 Pratique de la stylistique
»
33. Buffier, Grammaire française sur un plan nouveau (P a ris, éd. de 1714) ; C ondillac, Cours
d ’étude pour l ’instruction du prince de Parme (G enève, éd. de 1780) ; G am aches, Les Agrémens du
langage réduits à leurs principes (P aris, 1718); M au v illo n , Traité général du stilt (A m sterd am ,
1751); L e B atteu x , Principes de littérature (P a ris, 1774); d ’O livet, Remarques sur la langue
françoise (P aris, 1767).
La.recherche-enstylistique 189
linguistique avec quoi est faite une pièce de théâtre est le même que celui
des conversations du m arché. N ’insistons pas, ce n ’était q u ’un rappel; et
tout ce p etit livre est là pour indiquer de quels types de faits langagiers
nous nous occupons. Q uand on envisage le lexique, on ne semble pas
avoir de grosses difficultés d ’identification, ni pour Certains systèmes
caractérisants (des com plém ents), ni p our des structures de phrase (des
m orcellem ents), ni pour certaines figures (comme les microstructurales
qui p o rten t sur le m atériel sonore) ; m ais la seule énum ération précédente
m ontre q u ’une grande partie des faits correspondant aux rubriques
évoquées sont susceptibles d ’en traîn er de grosses difficultés : des
caractérisations p a r extension sonore, p a r exemplç, ou des distributions
d ’adjectif qualificatif, ou des cadences, ou des figures m acrostructurales,
ou m êm e certains tropes — p our ne rester qu’à l’intérieur de ces
rubriques massives. E t c’est bien pire dès q u ’on se penche sur les
systèm es actantiels, su r'le s figures mêlées ou sur les figures de second
niveau, su r les lieux figurés. E t p o u rta n t, si on n ’identifie pas, l’analyse
stru ctu rale ne se fait pas, n ’existe pas (nulle analyse, d ’ailleurs).
Liée à cette question de l’identification des faits, se pose, très
solidairem ent, celletle leu rrep résen tativ ité. Il est certain, pour qui prend
les choses à l’envers, que si un fait a p p a ra ît d ’emblée représentatif, il sera
ipso facto identifié comme existant, p o u r form er l’objet de l’analyse. M ais
en général, c’est plutôt à la fin de l’exam en q u ’on se trouve dans cette
situation, ce qui perm et de récupérer des faits négligés au départ, et testër
la validité de l’analyse — c’est exactem ent le schéma de Spitzer. En
général, donc, on ne sait pas et on tâtonne. C ar, à supposer qu’on ait
identifié des faits langagiers à portée stylistique, et-non des baudruches,
reste à savoir s’ils sont ou non représentatifs d ’une m anière stylistique^
particulière,, le risque étan t de conduire une belle étude qui serait
transposable, telle quelle, en changeant seulem ent quelques exemples,
sur q u an tité d ’autres ensembles textuels. Et il faut bien dire que c’est là
le risque, ou le travers perm anents de toute étude stylistique, même
structurale. Il n ’existe que deux m oyens, à notre connaissance, pour
favoriser une décision prudente en m atière de représentativité : d ’une
p a rt, une compétence d u critique sur l’ensem ble des dom aines circonvoi-
sins de celui q u ’il envisage, de m anière à percevoir les traits diflerentiels ;
d ’au tre p art, la m ultiplication des niveaux de saisie du tissu textuel, pour
en tester les points sensibles, en faisant varier les faits éventuellement
représentatifs. Ces deux moyens, évidem m ent, doivent êtrexum ulés.
La recherche en stylistique 191
MOLINIÉ 1
194 Pratique de la stylistique
37. P as d ’afTolcmcnt : l’au teu r, m algré les ap p aren ces, n ’est pas fou ; on n ’a pas atten d u
la sty listiq u e sérielle (qui en est aux b alb u tiem en ts) p o u r faire de la stylistique avec talent
e< efficacité. M ais on a bien )e droit de rêv er d ’un horizon scientifique, sur lequel les faits
lan g ag iers se d étach eraien t d ’après leur v aleu r et leu r portée différentielles.’
La recherche en stylistique 195
38. Quand on parle de niveau d ’analyse, on veut dire soit l’un de ces niveaux-là, soit,
tout sim plem ent, le point de vue auquel on se place pour saisir l’objet.
39. Catherine V igneau, dans ses travaux sur la littérature populaire et ses marques
(thèse d ’Etat en cours, Paris III).
40. Voir notre premier chapitre.___ ___
196 Pratique de la stylistique
collet-m onté que la prem ière. D étail que tout cela ; sur l’ensemble,
l’appréhension à la réception-est bien la m ême. M ais il existe deux
catégories de faits de niveau 41 les faits de niveau autom atiques et les faits
de niveau motivés. Les faits de niveau au tom atiques se produisent
toujours, quelle que soit la situation de com m unication, pour un locuteur
coincé d ans le seul système q u ’il connaisse : si j ’aurais su j ’aurais pas venu,
prononcé p a r quelqu’un incapable de s’exprim er autrem ent. Les faits de
niveau m otivés correspondent à des situations d ’adaptabilité de la p art
de l’un des locuteurs. U n individu m a îtrisan t parfaitem ent l’outil,
répondra au locuteur précédent : en effet, il n ’est pas encore mort — niveau
/ neu tre ; qu, se m ettan t volontairem ent au-diapason-de so a interlocuteur
....c’est vrai, il est pas ou il a pas encore clamecé — niveau vulgaire : fait motivé.
C ’est assez clair. Le problème, c’est le transfert en pragm atique littéraire.
C a r on po u rrait nous dire : où est la stylistique en cette affaire ? n ’est-ce
point socio-linguistique? O n répondra p ar deux autres problèm es, à la
vérité tout à fait distincts : la question de l’oralité en littérature, et la
question de la littérature populaire.
Com m ençons p ar la fin. La question de la littérature populaire est
èlle^mêîTé cloüble : littérature p o u r u n public inculte (quel présupposé
politico-idéologique que cette équivalence !), ou littératu re m arq u an t des
faits de langage populaire (affaire de niveau) : en tout état de cause, p ar
rap p o rt au système actantiel fondam ental, en littératu re, tous les faits de
niveaux sont, à la base, motivés, même s’ils illustrent, à un certain degré,
actantiel, des faits ?utom atiques. Q u a n t à l’oralité, elle représente la
J<Sjjfsomme des écarts entre orthographe et prononciation. M ais il faut être
^ jig |r è s p ru d e n t en la m atière : un système g rap h iq ue n ’est que sym bolique
•ÿ&’un systèm e sonore. Il y a donc écart p a r principe. C et écart se creuse
dans la m esure où l’orthographe se fige à u n é ta t dépassé de l’évolution
de la prononciation, ou s’agrém ente de signaux correspondant à une tout
au tre sémiologie (lettres prétendum ent étym ologiques, m arques gram
m aticales) : on peut atteindre ainsi une m esure de l’écart correspondant
à une prononciation de niveau neutre — écart type — ; on enregistre
aisém ent des écarts encore plus grands avec les faits de prononciation de
niveau de plus en plus bas, autom atiques ou motivés. L ’indication de
cette oralité en littérature, dans l’écrit littéraire, im plique nécessairem ent
u n artifice : aucune notation particulière, sa u f com m entaire adjacent (ce
14. Intertextualité
42. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes en prosodie métrique.
43. Il ne faut pas oublier non plus, éventuellem ent, les prononciations régionales et les
variétés hyper-soutenues.
198 Pratique de la stylistique
1. G. M olinié, F ortune et lib erté : im ages du d e s tin d a n s la trad itio n grecque d u rom an
à l’âge b aro q u e, in Visages du destin dans les mythologies (P aris, B elles-L ettres, 1983).
2. L. V ersini, U ne p h rase pleine de vide, in Mélanges Mourut, Le Génie de la Forme, Presses
U n iv ersitaires d e N ancy, 1982.
Conclusion... T... 201
O n n ’a pas fait figurer d a ss cet index, en principe, les m ots qui apparaissent dans les
titres des rubriques du sommaire (en tête du livre).
A nim é-non animé, 18, 21, 120, 121. C a r i r (.^m iotique, 26 à 28.
ontexte-contextuel, 15 à 17, 20, 22 à 26, Emetteur-émission, 15, 21, 22, 30, 34, 35,
29, 33, 43, 85 à 87, 101, 111, 128, 154, 50, 83, 92, 125, 128, 158, 160, 162.
178.
Emphase, 40, 50, 67, 160, 161.
Continué 118. 121, 122.
Enchaîné-enchaînement, 65, 72, 76, 90,
Contre-m arquage, 58, 59, 62, 68, 195. 104, 130, 150, 162, 164, 187.
Epiphonème, 91.
Déplacem ent, 69, 75, 97.
Epiphore, 98, 161.
Descriptivèm e, 176, 177.
Epiphrase, 91. ■: ■
Désinences tem porelles-m odales, 37 à 39,
51, 147, 162, 164, 165. Epithèté d’espèce, 57.
Index 205
G lissem ent, 150-151. Lieu, 119, 126, 129 à 131, 134, 135, 142,
145, 146, 151, 160, 162, 165, 167, 176,
Grille, 12, 29, 30, 52, 65, 90, 97, 150, 160,
184, 187, 190, 193.
168, 191, 200.
Linéair», 68 à 75, 120, 121, 161, 163, 164.
H om éotéleute, 99.
Linguistique (la), 9, 10, 13.
H om onym ie, 17, 19.
Lisibilité, 189.
H ypallage, 116.
Litote, 86.
H yperbate, 65, 74, 103, 159.
Littérarité, 10, 23, 31, 52, 98, 142, 168,
H yperbole, 86, 159, 162. 180, 182, 198.
In praesentia, 113. M asse, 16, 47, 61, 73, 75, 97, 99.
Indicateur sém antique, 50, 63, ch. VI. M élodie, 17, 47, 49, 50, 51, ch. III. 86.
206 Éléments de stylistique française
Mineur, 61, 62, 66 à 68, 73, 156, 159, 163. Passé com posé, 34, 38, 162.
Modification, 46, 47, 97, 112, 159. Passé sim ple, 38, 43.
Morphème, 33, 36, 41, 42, 47, 49, 51. Période-périodique, 67, 73, 159, 187, 188.
Noyau, 118, 119, 121, 129, 130, 144. Pittoresque, 63, 91, 92, 154, 161, 165, 182.
Parallélisme, 65, 68 à 77, 103, 120, 130, Prédéterminant, 37, 39, 40, 43, 44, 147,
149, 150, 158, 159, 164, 165, 176, 187. 166.
Paraphrase, 48, 73, 76, 87, 88, 130, 159, Prétérition, 93, 117, 176.
165, 176, 187.
Production, 24, 29, 35, 64, 72, 119, ch. V I,
Parataxe, 64. 152, 153, 154, 167, 168, 162, 171, 177,
182, 188, 191.
Paronomase, 99, 100.
Proposition relative, 44, 55.
Paronymie, 17.
Prose (rythmique ou cad en cée), 59, 75 à
Parcellaire, 118. 77.
Index 207
Prosopographie, 134. Sèm e-sém ique, 20, 24, 29, 47, 107.
Protase, 66, 67. Sémiotique, 9, 10, 20, 26, 29, 50, 126, 131,
134, 150, 167.
Publicité, 123, 124, 182, 184.
Significativité, 10, 141, 1+6, 148, 155, 172,
193, 195, 201.
Q ualité attribuée, 112, 125, 130.
Similitude, 117.
Q uantité différentielle, 83, 87, 91, 94, 105,
112, 131, 134, 144. Soutenu, 22, 195.
Redondance, 24, 64, 101, 113, 118, 123, Style coupé, 188, 200. ___________
165, 176, 191.
Stylème, 37, 78, 195.
Registre, 23, 24, 26, 29, 30, 31, 33, 77.
Stylistique historique, 11, 16, 31.
Régressive, 59, 90, 103, 116.
Surcaractérisation, 144, 165.
Relationnel-non relationnel, 43, 57.
Surdétermination, 26, 63, 121, 176, 183,
Reprise, 65, 69, 72, 73, 162, 163, 187. 191.
Résonance, 18, 24, 23, 30, 38, 162.---------- Syllepse, 1 17,-122rl24-------- ------ -------------
157, 161, 163r 164, 166 à 168, 178, 182, Vocabulaire, 18, 23 à 25, 29, 30, 50, 51, 90,
189, 191, 193. 140, 143, 155, 159, 161, 165.
Transformation, 24, 29, 46, 49, 65, 69, Volume, 16, 31, 47, 55, 60 à 62, 67.
112 à 114, 120, 130, 149, 164, 168, 173,
176. Vulgaire, 22, 195, 196.
S ea rle ( ] .) , Sens et expression. Études et théorie des actes de langage, M in u it, 1982. *
S p itzer (L .), Etudes de style, G allim ard, 1970.
T a m b a -M e c z ( I .) , Le sens figuré, p u f , 1981.
T e sn iè r e ( L .) , Éléments de syntaxe structurale, K lin ck sieck , éd. de 1982.
V ersin i (L .), U n e p h rase p lein e de vide, in Le génie de la forme, P resses U n iversitaires
d e N a n c y , 1982.
V ig n e a u (C .), Le langage populaire dans la littérature de l ’entre-deux-guerres, thèse d ’É tat en
co u rs, P aris I I I .
>
f