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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


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LIVRE II, Chant 14 – L’Âme du Monde


auroreflets 
Inde, Poésie, Savitri, Spiritualité, Sri Aurobindo 
20 mai 201829 mai
2018 10 Minutes
 

Livre II – Le Livre du Voyageur des mondes

Chant 14 – L’Âme du Monde

Une réponse voilée s’offrit à sa recherche.

Sur un arrière-plan miroitant au loin d’Espace du Mental,

Une ouverture rayonnante apparut, un puits lumineux;

Elle semblait une porte d’ermitage, méditant sur la joie,

Une retraite dissimulée et une évasion vers le mystère.                                                    5

Loin du monde de surface insatisfait,

Elle fuyait dans les entrailles de l’inconnu,

Fontaine et tunnel des profondeurs de Dieu.

Elle plongeait comme un canal mystique d’espoir

À travers les nombreuses couches d’un moi sans forme et sans voix                           10

Pour atteindre le tréfonds du cœur du monde,

Et de ce cœur déferlait un appel sans mots

Implorant quelque Mental immobile impénétrable,


Exprimant un quelconque désir passionné inaperçu.

Tel le doigt d’un secret faisant signe,                                                                                   15

Tendu dans un air d’humeur cristalline,

Pointant vers lui de quelque secrète profondeur toute proche,

Comme un message de l’âme profonde du monde,

Une indication d’une joie cachée

Coulant d’une coupe de félicité méditative,                                                                       20

Là chatoyait en s’insinuant dans le Mental

Une muette et tremblante extase de lumière,

La passion et la délicatesse d’un feu rosé.

Tel celui qui, attiré vers son foyer spirituel perdu,

Ressent maintenant la proximité d’un amour qui attend,                                               25

Dans un couloir sombre et vibrant

Qui l’enserrait en l’isolant de la poursuite du jour et de la nuit,

Il avançait, conduit par un son mystérieux.

Murmure innombrable et unique,

Il était tous les sons tour à tour, néanmoins toujours le même.                                     30

Invitation voilée à un délice imprévu

Dans la voix qui appelle d’un être longtemps connu, bienaimé,

Mais anonyme pour le mental oublieux,

Il reconduisait au ravissement le cœur vagabond.

Le cri immortel enchantait l’oreille captive.                                                                      35

Puis, atténuant son mystère impérieux,

Il s’estompait en un bruissement qui tournait autour de l’âme.

Il évoquait la langueur d’une flute solitaire

Qui errait le long des rives de la mémoire

Et emplissait les yeux par des larmes de joie nostalgique.                                              40

Note unique, impétueuse et ardente du grillon,

Il marquait d’une mélodie stridente le silence sans lune de la nuit


Et martelait une fibre nerveuse d’un sommeil mystique

Avec son réveil aigu, insistant, magique.

Un rire de clochettes de chevilles, au cliquetis argentin,                                                 45

Parcourait les routes d’un cœur esseulé;

Sa danse consolait d’une solitude éternelle :

Une ancienne douceur oubliée arriva en sanglotant.

Ou, entendu dans un lointain harmonieux,

Le tintement de la marche d’une longue caravane,                                                          50

Cela, il le semblait parfois, ou l’hymne d’une vaste forêt,

Ou l’évocation solennelle d’un gong de temple,

Un fredonnement d’abeilles ivres de miel dans les iles de l’été,

Ardentes d’extase par un midi somnolent,

Ou le lointain motet d’une mer pèlerine.                                                                            55

Un encens flottait dans l’air frémissant,

Un bonheur mystique tremblait dans la poitrine

Comme si le Bienaimé invisible était arrivé,

Arborant le charme soudain d’un visage,

Et comme si de proches mains joyeuses pouvaient saisir ses pieds fugitifs                 60

Et le monde changer par la beauté d’un sourire.

Il entra dans un royaume incorporel merveilleux,

Le foyer d’une passion sans nom et sans voix,

Il sentit une profondeur répondant à chaque hauteur;

Un recoin fut découvert, qui pouvait embrasser tous les mondes,                                65

Un point qui était le nœud conscient de l’Espace,

Une heure éternelle dans le cœur du Temps.

Là se trouvait l’Âme silencieuse du monde entier :

Un Être vivait, une Présence et un Pouvoir,

Une unique Personne qui était elle-même et le tout                                                         70

Et chérissait les douces et dangereuses pulsations de la Nature,


Transfigurées en battements divins et purs.

Celui qui pouvait aimer sans récompense pour l’amour,

Rencontrant et changeant le pire en le meilleur,

Il guérissait les âpres cruautés de la terre,                                                                          75

Transformant toute expérience en délice;

Intervenant dans les douloureux sentiers de la naissance,

Il ballotait le berceau de l’Enfant cosmique

Et apaisait par ses mains de joie tous les pleurs;

Il conduisait toutes choses mauvaises vers leur bien secret,                                          80

Il changeait le mensonge tourmenté en vérité joyeuse;

Son pouvoir était de révéler la divinité.

Infini, contemporain du mental de Dieu,

Il portait en lui-même une semence, une flamme,

Une semence à partir de laquelle l’Éternel devient nouveau-né,                                   85

Une flamme qui annule la mort dans ce qui est périssable.

Tous devenaient parents de tous, leurs moi, leurs proches;

L’intimité de Dieu était partout,

On ne sentait aucun voile, aucune barrière brute et inerte,

La distance ne pouvait diviser ni le Temps altérer.                                                          90

Un feu de passion brulait dans les profondeurs de l’esprit,

Un contact permanent de douceur liait tous les cœurs,

Le frisson de la félicité unique d’une même adoration

Dans l’éther extasié d’un amour éternel.

Tous étaient habités d’un bienêtre intérieur,                                                                     95

Un sens des harmonies universelles,

Une éternité sure et sans bornes

De vérité, beauté, bien et joie ne faisant qu’un.

Ici se trouvait le centre dont jaillit la vie délimitée;

Un esprit sans forme devenait l’âme de la forme.                                                           100


 

Là tout était l’âme ou fait de pure substance d’âme;

Un ciel de l’âme couvrait un terrain profond de l’âme.

Tout ici était connu par un sens spirituel :

Il n’y avait pas de pensée, mais une connaissance directe et unique

Se saisissait de toutes choses par une identité mise en œuvre,                                    105

Une sympathie du moi avec d’autres moi,

Le toucher de la conscience sur la conscience,

Le regard de l’être sur l’être avec la vision la plus intime,

Le cœur à découvert devant le cœur sans les murs de la parole

Et l’unanimité de « mentals » visionnaires                                                                       110

Dans une myriade de formes illuminées par le Dieu unique.

Il n’y avait pas la vie, mais une force passionnée,

Plus belle que la délicatesse, plus profonde que les abysses,

Ressentie comme un pouvoir spirituel subtil,

Un frisson de l’âme en retour à l’âme qui répond,                                                          115

Un mouvement mystique, une influence directe,

Une approche libre, heureuse et intense

De l’être envers l’être sans écran ni frein,

Sans lesquels jamais la vie et l’amour n’auraient pu exister.

Il n’y avait pas de corps, car ils n’étaient pas requis,                                                      120

L’âme elle-même était sa propre forme immortelle

Et recevait tout de suite le contact des autres âmes,

Intime, rempli de joie, concret, merveilleusement vrai.

Tel celui qui marche dans son sommeil à travers des rêves lumineux

Et, conscient, connait la vérité que signifient leurs images,                                          125

Ici, où la réalité était son propre rêve d’elle-même,

Il connaissait les choses par leur âme et non leur forme :

Comme ceux qui ont vécu longtemps en devenant un dans l’amour


N’ont pas besoin de mot ni de signe pour la réponse d’un cœur à un autre cœur,

Il avait des rencontres et communiquait sans l’obstacle de la parole                         130

Avec des êtres non voilés par un cadre matériel.

Là se trouvait un paysage spirituel étrange,

Un charme de lacs, de ruisseaux et de collines,

Un flot, une fixité dans un espace de l’âme,

Des plaines et des vallées, des étendues de la joie de l’âme,                                          135

Et des jardins qui étaient des traces fleuries de l’esprit,

Ses méditations d’une rêverie aux teintes multiples.

L’air était le souffle d’un pur infini.

Une flagrance errait dans une vapeur colorée

Comme si le parfum et le coloris de toutes les douces fleurs                                        140

S’étaient mêlés pour copier l’atmosphère du ciel.

Interpelant l’âme et non le regard de l’œil,

La beauté y vivait à l’aise dans sa propre demeure,

Là, tout était magnifique de son propre chef

Et n’avait pas besoin de la splendeur d’une robe.                                                           145

Tous les objets étaient comme les corps des Dieux,

Un symbole de l’esprit environnant une âme,

Car le monde et le moi s’avéraient une unique réalité.

Immergés dans une transe muette entre deux naissances,

Les êtres qui jadis avaient revêtu des formes sur terre y prenaient place                 150

Dans des chambres brillantes de sommeil spirituel.

Passés étaient les montants en colonnes de la naissance et de la mort,

Passée la petite scène de leurs actes symboliques,

Passés les cieux et les enfers de leur longue route;

Ils étaient retournés dans l’âme profonde du monde.                                                   155

Tout était maintenant rassemblé dans un repos fertile :


La personne et la nature subissaient un changement par le sommeil.

En transe ils regroupaient leurs moi disparus

Et, dans la rêverie clairvoyante d’une mémoire d’arrière-plan,

Prophétique d’une nouvelle personnalité,                                                                       160

Aménageaient la carte traçant le parcours de leur destinée à venir :

Héritiers de leur passé, découvreurs de leur futur,

Électeurs du sort de leur propre choix,

Ils attendaient l’aventure d’une nouvelle vie.

Une Personne qui subsiste à travers la disparition des mondes,                                  165

Bien que la même à jamais sous plusieurs formes,

Non reconnaissable par le mental extérieur,

Prenant des noms inconnus dans des contrées inconnues,

Imprime tout au long du Temps sur la page vieillie de la terre

Une forme grandissante de son moi secret,                                                                      170

Et apprend par l’expérience ce que l’esprit connaissait,

Jusqu’au jour où elle peut voir sa vérité vivante de même que Dieu.

Une fois de plus ils devaient affronter le jeu problématique de la naissance,

L’expérience par l’âme de la joie et du chagrin,

La pensée et l’impulsion qui éclairent l’acte aveugle,                                                    175

Et l’aventure sur les routes de la circonstance,

Par des mouvements intérieurs et des scènes extérieures

Se dirigeant vers le moi à travers les formes des choses.

Il était parvenu au centre de la création.

L’esprit vagabondant d’un état à un autre                                                                        180

Trouve ici le silence de son point de départ

Dans la force sans forme, la fixité tranquille

Et la passion méditative du monde de l’Âme.

Tout ce qui est créé et une fois de plus détruit,

Que la calme vision persistante de l’Un                                                                             185


Inévitablement reconstruit, est vécu par lui à nouveau :

Les forces, les vies, les êtres, les idées

Sont amenés pour un temps dans l’immobilité;

Là, ils remodèlent leur dessein et leur parcours,

Refondent leur nature et renouvèlent leur forme.                                                          190

Toujours ils changent et par le changement croissent toujours

Et, passant par une étape fructueuse de mort,

Au terme d’un long sommeil reconstituant

Ils reprennent leur place dans le processus des Dieux

Jusqu’à ce que leur travail dans le Temps cosmique soit accompli.                             195

Ici se trouvait la chambre de façonnage des mondes.

Un intervalle était laissé entre un acte et le suivant,

Entre une naissance et une autre, entre le rêve et le rêve à l’état de veille,

Une pause donnant une force nouvelle d’agir et d’être.

Au-delà, il y avait des régions de délice et de paix,                                                         200

Lieux de naissance silencieux de la lumière, de l’espoir et de l’amour

Et berceaux du ravissement et du repos célestes.

Dans un sommeil des voix du monde,

Il devint conscient du moment éternel;

Sa connaissance, dépouillée des vêtements des sens,                                                    205

Connut par identité, sans pensée ni parole :

Son être se vit lui-même dénué de ses voiles,

La ligne de la vie descendait de l’infinité de l’esprit.

Le long d’une route de pure lumière intérieure,

Seul entre des Présences formidables,                                                                              210

Sous l’œil observateur de Dieux sans nom,

Son âme poursuivit son chemin, unique pouvoir conscient,

Vers la fin qui sans cesse commence à nouveau,

S’approchant à travers une immobilité muette et calme


De la source de toutes choses humaines et divines.                                                        215

Là, il aperçut dans l’équilibre de leur puissante union

La silhouette de l’immortel Deux-en-Un,

Un seul être en deux corps enlacés,

Un duumvirat de deux âmes unies,

Siégeant absorbées dans une joie créatrice profonde;                                                   220

Leur transe de félicité soutenait le mouvement du monde.

Derrière eux dans le crépuscule du matin se tenait Celle

Qui les engendra de l’Inconnaissable.

Toujours déguisée, elle attend l’esprit dans sa quête;

Vigie sur les cimes suprêmes inaccessibles,                                                                     225

Guide du voyageur sur les sentiers invisibles,

Elle garde l’austère voie d’accès à l’Unique.

Au début de chaque plan qui s’étend au loin,

Pénétrant de son pouvoir les soleils cosmiques,

Elle règne, inspiratrice de ses travaux multiples                                                            230

Et conceptrice du symbole de sa scène.

Elle se tient au-dessus de tous ces plans, les soutient tous,

L’unique Déesse omnipotente toujours voilée

Dont le monde est le masque impénétrable;

Les âges sont les pas de sa démarche,                                                                                235

Leurs évènements, la forme de ses pensées,

Et toute la création est son acte sans fin.

Son esprit était changé en réceptacle de sa force;

Muet dans l’insondable passion de sa volonté,

Il tendit vers elle ses mains jointes dans la prière.                                                         240

Alors, réponse souveraine à son cœur,

Un geste vint comme de mondes disséminés,

Et, soulevé du mystère splendide de son vêtement,


Un bras sépara en deux le voile éternel.

Une lumière apparut, immobile et impérissable.                                                            245

Attiré vers les profondeurs larges et lumineuses

De l’énigme ravissante de ses yeux,

Il vit le contour mystique d’un visage.

Submergé par sa lumière et sa béatitude implacables,

Atome de son moi illimitable,                                                                                             250

Maitrisé par la douceur et la fulgurance de son pouvoir,

Balloté vers les rivages de son océan d’extase,

Ivre d’un vin spirituel d’un or profond,

Il lança de l’immobilité déchirée de son âme

Un cri exprimant l’adoration et le désir                                                                            255

Et la soumission de son mental sans limites

Et l’offrande de soi de son cœur silencieux.

Il tomba à ses pieds, inconscient, prosterné.

Fin du Chant quatorzième

Marqué:
Français,
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Sri Aurobindo,
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