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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


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LIVRE II, Chant 1 – L’escalier du monde


auroreflets 
Inde, Poésie, Savitri, Spiritualité, Sri Aurobindo 
17 mai 201815
décembre 2021 10 Minutes

Livre II – Livre du Voyageur des mondes

Chant 1 – L’escalier du monde

Seul il se déplaçait, surveillé par l’infinité

Autour de lui et par l’Inconnaissable au-dessus.

Tout pouvait être vu, dont se détourne l’œil des mortels,

Tout pouvait être connu, que le mental n’a jamais saisi;

Tout pouvait être fait, que nulle volonté de mortel ne peut oser.                                    5

Un mouvement sans limites remplissait une paix sans limites.

Dans une profonde existence par-delà celle de la terre,

Parente ou proche de nos idées et de nos rêves

Où l’Espace est une vaste expérience de l’âme,

Dans une substance immatérielle liée à la nôtre                                                               10

En une profonde unité de tout ce qui existe,

L’univers de l’Inconnu surgit.

Une création de soi sans fin ni pause

Révélait les magnificences de l’Infini :


Elle lançait dans les hasards de son jeu                                                                               15

Un million d’humeurs, une myriade d’énergies,

Les formes cosmiques, fantaisies de sa Vérité,

Et les formules de la liberté de sa Force.

Elle déversait dans le flot incessant du « Stable-à-jamais »

Un ravissement bachique et une fête bruyante d’Idées,                                                   20

Une passion et un dynamisme de pérennité.

Dans le jaillissement de l’Immuable s’élevaient sans être nés

Des pensées qui résident dans leur conséquence impérissable,

Des mots qui subsistent, immortels, même s’ils se sont tus,

Des actes qui tiraient du Silence son sens muet,                                                                25

Des lignes qui communiquent l’inexprimable.

Le calme de l’Éternel voyait avec une joie impassible

Sa Puissance [Power] universelle au travail étaler

Dans des intrigues de souffrance et des drames de délice

La merveille et la beauté de sa volonté d’être.                                                                   30

Tout ici, même la douleur, était le plaisir de l’âme;

Ici toute expérience était un plan unique,

L’expression aux innombrables aspects de l’Un.

Tout vint à la fois dans son unique regard;

Rien n’échappait à sa vaste vision intuitive,                                                                      35

Rien ne s’approchait qu’il ne pût sentir apparenté :

Il était un esprit ne faisant qu’un avec cette immensité.

Des images dans une conscience céleste

Incarnant le Non-né qui jamais ne meurt,

Les visions structurées du Moi cosmique,                                                                          40

Animées par le contact avec l’éternité de l’être,

Le regardaient comme des pensées spirituelles liées à la forme,

Représentant les mouvements de l’Ineffable.


Des aspects de l’être revêtaient la silhouette du monde; des formes

Ouvrant des portes battantes sur des choses divines                                                       45

Devinrent familières à sa vue assidue;

Les symboles de la réalité de l’Esprit,

Les corps vivants de l’Incorporel

Devinrent proches de lui, ses associés de chaque jour.

Les perceptions inépuisables du Mental jamais en sommeil,                                         50

Graphismes des caractères de son contact avec l’invisible,

L’entourèrent de signes indicateurs sans nombre;

Les voix de mille royaumes de la Vie

Lui envoyèrent en mission ses puissants messages.

Les allusions au ciel qui envahissent nos vies terrestres,                                                55

Les effroyables imaginations rêvées par l’Enfer,

Lesquelles, si elles étaient ici mises en œuvre et connues par l’expérience,

Notre capacité engourdie bientôt cesserait de ressentir

Ou notre fragilité de mortels ne pourrait endurer longtemps,

Étaient là établies dans leurs sublimes proportions.                                                        60

Là, vécues extérieurement dans leur atmosphère née d’elles-mêmes,

Elles reprirent leur portée sans limites et leur pouvoir natif;

De leur fortifiante pression exercée sur l’âme

La morsure enfonçait profondément dans le sol de la conscience

La passion et la pureté de leurs extrêmes,                                                                          65

L’absolu de leur appel unique

Et la douceur souveraine ou la poésie violente

De leur magnifique ou terrible délice.

Tout ce que la pensée peut savoir ou la vision la plus vaste percevoir

Et tout ce que la pensée et la vision ne peuvent jamais connaitre,                                70

Toutes les choses occultes et rares, lointaines et étranges

Étaient accessibles au contact par le cœur, senties par un sens de l’esprit.


Aux portes de sa nature demandant à entrer,

Elles emplissaient en foule les espaces élargis de son mental,

Témoins flamboyants de sa découverte de soi,                                                                 75

Offrant leur merveille et leur multitude.

Celles-ci maintenant devinrent de nouvelles parts de lui-même,

Les formes de la vie plus grande de son esprit,

Le décor changeant de son ample marche dans le temps

Ou le tissu brodé de sa sensation :                                                                                        80

Elles remplaçaient d’humaines choses personnelles

Et se comportaient comme de proches compagnons de ses pensées,

Ou étaient l’environnement naturel de son âme.

Inlassable était l’aventure de délice du cœur,

Sans fin les royaumes de la félicité de l’Esprit,                                                                   85

Des sonorités sans nombre jaillies des cordes d’une harmonie unique;

Chacun d’eux à son équilibre universel aux larges ailes,

Son insondable sensation du Tout en un,

Apportait des notes de quelque perfection encore invisible,

Sa retraite isolée dans les secrets de la Vérité,                                                                   90

Son aperçu heureux d’un aspect de l’Infini.

Là était trouvé tout ce que l’Unique avait rêvé et fait,

Teintant d’un ravissement et d’une surprise sans fin

Et de l’opulente beauté d’une différence passionnée

Le battement répétitif qui fixe la mesure de Dieu dans le Temps.                                 95

Seulement manquait l’unique Mot intemporel

Dont le son solitaire porte l’éternité,

L’Idée qui est la clef lumineuse en soi pour toutes les idées,

Le nombre entier de la somme parfaite de l’Esprit

Qui met en équation le Tout inégal avec l’Un égal,                                                         100

Le signe unique qui interprète chaque signe,


L’indication absolue menant à l’Absolu.

Là, à l’écart entre les murs de sa propre intériorité,

Dans un barrage mystique de lumière dynamique,

Il vit, isolé, immense, un édifice cosmique aux courbes élevées,                                 105

Érigé telle une montagne, comme un char portant les Dieux,

Immobile sous un ciel insondable.

Comme d’un socle de la Matière et d’une base invisible

Vers un sommet aussi invisible, une mer sculptée de mondes,

Grimpant vers le Suprême par des vagues à la crinière d’écume,                               110

S’élevait en direction d’étendues incommensurables;

Il [l’édifice] espérait monter en flèche jusqu’au règne de l’Ineffable :

Une centaine de niveaux le soulevaient vers l’Inconnu.

Ainsi, il s’élançait vers des hauteurs intangibles

Et disparaissait dans la Vastitude silencieuse consciente                                              115

Comme grimpent vers le ciel les étages de la tour d’un temple

Construite par l’âme de l’homme dans son aspiration à vivre

Près de son rêve dans l’Invisible.

L’Infinité l’appelle pendant qu’elle [la tour] rêve et escalade;

Sa flèche touche le sommet du monde;                                                                            120

Montant jusqu’à de grandes immobilités sans voix,

Elle marie la terre aux éternités voilées.

Parmi les multiples systèmes de l’Un

Faits par une joie créative qui interprète,

Celui-là seul nous oriente vers notre trajet de retour                                                    125

Hors de notre longue perte de soi dans les profondeurs de la Nature;

Planté sur la terre, il porte en lui tous les royaumes :

Il est un bref compendium de la Vastitude.

C’était l’unique escalier vers le but de l’être.


Un résumé des étapes de l’esprit,                                                                                      130

Sa reproduction des hiérarchies cosmiques

Refaçonnait dans l’air secret de notre moi

Un modèle subtil de l’univers.

Il est à l’intérieur, en dessous, au-dehors, par-dessus.

Agissant sur le procédé de cette Nature visible,                                                              135

Il éveille la lourde somnolence de notre nature terrestre

À penser, sentir et réagir à la joie;

Il modèle en nous nos parties plus divines,

Soulève le mental humain jusqu’à un air plus vaste,

Fait aspirer cette vie de la chair à des buts intangibles,                                                140

Relie la mort du corps à l’appel de l’immortalité :

Hors de l’évanouissement de l’Inconscience

Il peine en direction d’une Lumière supraconsciente.

Si la terre était tout et si cela n’était pas en elle,

La pensée ne pourrait pas être ni la réponse du délice de la vie :                                145

Seulement des formes matérielles alors pourraient être ses invitées

Conduites par une force cosmique inanimée.

La terre par cette surabondance précieuse

Porta l’homme pensant et portera plus que l’homme;

Ce procédé supérieur de l’être est notre cause                                                                150

Et détient la clef de notre destin ascendant;

Il appelle à se dégager de notre état mortel opaque

L’esprit conscient élevé dans la maison de la Matière.

Le symbole vivant de ces plans conscients,

Ses influences et déités de l’invisible,                                                                                155

Sa logique non pensée des actes de la Réalité

Surgie de la vérité inexprimée dans les choses,

Ont fixé les échelons lentement gravis de notre vie intérieure.


Ses gradations sont les pas du retour de l’âme

À partir de la profonde aventure de la naissance matérielle,                                       160

L’échelle d’une ascension libératrice

Et des barreaux par lesquels la Nature monte vers la déité.

Jadis dans la vigile d’un regard immortel,

Ces degrés avaient marqué son plongeon géant vers le bas,

De la chute d’une divinité le saut ample et tourné vers la terre.                                  165

Notre vie est un holocauste du Suprême.

La grande Mère du Monde par son sacrifice

A fait de son âme le corps de notre état;

Acceptant l’affliction et l’inconscience,

La descente de la Divinité hors de ses propres splendeurs a tissé                               170

La base aux motifs multiples de tout ce que nous sommes.

Une idole du moi, tel était notre situation de mortels.

Notre terre est un fragment et un résidu;

Son pouvoir est rempli de la substance de mondes plus grands

Et imprégné des lustres de leurs couleurs que ternit sa somnolence;                         175

Un atavisme de plus hautes naissances lui échoit,

Son sommeil est agité par leurs souvenirs enfouis

Rappelant les sphères perdues d’où elles sont tombées.

Des forces insatisfaites bougent dans sa poitrine;

Elles sont partenaires de son plus noble destin en croissance                                      180

Et de son retour à l’immortalité;

Elles consentent à partager sa fatalité de la naissance et de la mort;

Elles allument des lueurs partielles du Tout et incitent

Son aveugle esprit laborieux à composer

Une maigre image de la puissante Totalité.                                                                      185

La calme et lumineuse Intimité à l’intérieur

Approuve son travail et guide le Pouvoir non voyant.


Son vaste projet [de l’Intimité] accepte un frêle départ.

Une tentative, un dessin fait à moitié est la vie du monde;

Ses lignes doutent de leur signification cachée,                                                               190

Ses courbes ne rejoignent pas leur haute conclusion voulue.

Néanmoins vibre là quelque première image de grandeur,

Et lorsque les parties ambigües, entassées, auront rencontré

L’unité aux tons multiples vers laquelle elles tendaient,

La joie de l’Artiste rira des règles de la raison;                                                                195

L’intention divine soudain sera vue,

La fin justifiera la sure technique de l’intuition.

Il y aura un graphique de plusieurs mondes qui se rencontrent,

Un cube et un cristal d’union des dieux;

Un Mental pensera derrière le masque sans mental de la Nature,                              200

Une Vastitude consciente remplira le vieil Espace brut et muet.

Cette pâle et fluide ébauche d’âme qu’on appelle l’homme

Ressortira sur l’arrière-plan du Temps qui s’étire

Comme un brillant résumé de l’éternité,

Un petit point révèlera les infinitudes.                                                                              205

Un processus du Mystère, voilà ce qu’est l’univers.

Au début était posée une base étrange irrégulière,

Un vide, un chiffre nul de quelque Entièreté secrète,

Où le zéro contenait l’infinité dans son total

Et le Tout et le Rien étaient un terme unique,                                                                  210

Une négation éternelle, un Néant telle une matrice :

Dans ses formes nait toujours l’Enfant

Qui vit à jamais dans les vastitudes de Dieu.

Un lent mouvement de renversement alors se produisit :

Un gaz fut vomi par quelque Feu invisible,                                                                      215

De ses anneaux denses furent formés ces millions d’étoiles;


Sur le sol nouveau-né de la terre, le bruit de pas de Dieu fut entendu.

À travers l’épaisse fumée de l’ignorance terrestre,

Un Mental commença à voir et à regarder les formes

Et cherchait à tâtons vers la connaissance dans la Nuit nesciente :                            220

Captive dans une aveugle emprise de pierre, la Force exécuta son plan

Et fit dans le sommeil ce monde mécanique immense,

Pour que la Matière puisse devenir consciente de son âme

Et, telle une sagefemme affairée, le pouvoir de vie

Accoucher le zéro porteur du Tout.                                                                                    225

Parce que des yeux éternels tournèrent sur les gouffres de la terre

La clarté resplendissante d’un pur regard

Et virent une ombre de l’Inconnaissable

Reflétée dans le sommeil sans bornes de l’Inconscient,

La recherche du moi par la création débuta son effervescence.                                  230

Un esprit rêva dans le tourbillon cosmique brut,

Le Mental sans le savoir coulait dans la sève de la vie

Et les seins de la Matière allaitèrent l’Idée divine.

Un miracle de l’Absolu était né;

L’Infinité revêtit une âme finie,                                                                                          235

Tout l’océan vivait à l’intérieur d’une goutte errante,

Un corps produit par le temps hébergea l’Illimitable.

Pour vivre ce Mystère nos âmes sont venues ici.

Un Voyant à l’intérieur qui connait le plan assigné

Dissimulé derrière nos pas momentanés,                                                                        240

Inspire notre ascension vers des hauteurs invisibles

Tel jadis le saut abyssal vers la terre et la vie.

Son appel avait atteint le Voyageur dans le Temps.

À l’écart dans une solitude insondable,


Il voyageait par sa force muette et isolée,                                                                         245

Portant le fardeau du désir du monde.

Un Calme sans forme appelait, une Lumière sans nom.

Au-dessus de lui était le blanc Rayon immobile,

Autour de lui, les Silences éternels.

Aucun terme n’était fixé à la tentative de haut niveau;                                                 250

Un monde après l’autre dévoilait les pouvoirs sous sa garde,

Ciel après ciel, ses félicités profondes,

Mais toujours l’Aimant invisible attirait son âme.

Une silhouette seule sur l’escalier géant de la Nature,

Il monta en direction d’une fin indiscernable                                                                 255

Sur le sommet nu des choses créées.

Fin du Chant premier

Marqué:
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Sri Aurobindo,
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