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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


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LIVRE II, Chant 12 – Les cieux de l’Idéal


auroreflets 
Inde, Poésie, Savitri, Spiritualité, Sri Aurobindo 
20 mai 201829 mai
2018 7 Minutes
 

Livre II – Le Livre du Voyageur des mondes

Chant 12 – Les cieux de l’Idéal

Toujours de loin l’Idéal faisait signe.

Éveillée par le toucher de l’Invisible,

Désertant la frontière des choses accomplies,

Aspirait la puissante découvreuse, l’infatigable Pensée,

Révélant à chaque pas un monde lumineux.                                                                       5

Elle laissa les sommets connus pour les cimes inconnues :

Passionnée, elle cherchait la Vérité exclusive irréalisée,

Elle avait soif de la Lumière qui ne connait ni la mort ni la naissance.

Chaque étape de l’ascension distante de l’âme était bâtie

En un ciel inaltérable toujours ressenti ici-bas.                                                                10

À chaque enjambée du merveilleux voyage,

Un nouveau degré de prodige et de félicité,

Un nouvel échelon se formait dans l’échelle grandiose de l’Être,


Une grande et large marche tremblante d’un feu de pierreries,

Comme si un esprit brulant y frémissait,                                                                           15

Soutenant par sa flamme l’espoir immortel,

Comme si un Dieu rayonnant avait donné son âme

Afin qu’il puisse sentir le bruit de pas des pèlerins

Montant en hâte vers la maison de l’Éternel.

À l’une ou l’autre extrémité de chaque palier resplendissant,                                       20

Les cieux du Mental idéal devinrent visibles

Dans la lumière bleutée d’un Espace de rêve,

Telles des bandes de ciel étincelant s’accrochant à la lune.

D’un côté brillaient doucement avec des teintes qui flottaient en étages,

Splendeur d’un lever de soleil s’ouvrant sur l’âme,                                                         25

Dans une vibrante extase de la vision intime du cœur

Et la béatitude spontanée que donne la beauté,

Les royaumes ravissants de la Rose éternelle.

Au-dessus de l’esprit confiné dans les sens mortels

Existent des royaumes supraconscients de paix céleste,                                                 30

Au-dessous, le sombre abime morne de l’Inconscient,

Entre les deux, derrière notre vie, la Rose éternelle.

Dans l’air discret que respire l’esprit,

Corps de la beauté et de la joie cosmiques

Inaperçu, insoupçonné par le monde aveugle et souffrant,                                            35

S’élevant du cœur profond ardemment soumis de la Nature,

Elle fleurit à tout jamais aux pieds de Dieu,

Nourrie par les mystères sacrificiels de la vie.

Ici-bas aussi son bouton nait dans les poitrines humaines;

Alors, par un contact, une présence ou une voix,                                                             40

Le monde devient le terrain d’un temple

Et tout dévoile le Bienaimé inconnu.


Dans une explosion de joie et de bienêtre célestes,

La vie s’abandonne à la divinité intérieure

Et se donne tout entière en offrande de bonheur                                                             45

Et l’âme s’ouvre à la félicité.

Une béatitude est sentie, qui jamais ne peut cesser tout à fait,

Un soudain mystère de Grâce secrète

Fleurit, dorant notre terre couleur de rouge désir.

Tous les nobles dieux qui cachaient leur visage                                                               50

Du rituel souillé, passionné de nos espoirs,

Révèlent leurs noms et leurs pouvoirs impérissables.

Une immobilité embrasée éveille les cellules somnolentes,

Une passion de la chair devenant esprit,

Et merveilleusement enfin s’accomplit                                                                               55

Le miracle pour lequel notre vie fut créée.

Une flamme dans une blanche coupole sans voix

Apparait, ainsi que des visages de lumière immortelle,

Les membres radieux qui ne connaissent ni la naissance ni la mort,

Les seins qui allaitent les premiers-nés du Soleil,                                                            60

Les ailes qui peuplent les silences fervents de la pensée,

Les yeux qui examinent l’Espace spirituel.

Nos centres cachés de force céleste

S’ouvrent comme des fleurs à une atmosphère divine;

Le Mental fait une pause, transporté par le Rayon surnaturel,                                     65

Et même ce corps transitoire peut alors sentir

L’amour idéal, le bonheur sans faille,

Le rire de la douceur et du délice du cœur

Libérés de l’emprise rude et tragique du Temps,

La beauté et les pieds rythmiques des heures.                                                                  70

Tout cela dans les hauts royaumes atteint un genre immortel;


Ce qui est ici en bouton, là est en fleur.

Là est l’intimité de la Maison de Flamme,

L’éclat de la pensée divine et de la félicité d’or,

L’idéalisme extasié des sens célestes;                                                                                  75

Là sont les voix merveilleuses, le rire de soleil,

Remous glougloutant dans les fleuves de la joie de Dieu,

Et les vignes mystérieuses du vin doré aux reflets de lune,

Tout le feu et toute la douceur dont ici à peine

Une ombre brillante visite la vie mortelle.                                                                         80

Bien qu’on aperçoive là les joies du Temps,

Le toucher de l’Immortel fait sentir sa pression sur la poitrine,

On y entend les sons de flute de l’Infini.

Ici sur la terre surviennent les premiers éveils,

Moments qui tremblent dans un air divin,                                                                        85

Et, ayant poussé sur le désir ardent de sa glèbe,

Les tournesols du Temps contemplent l’Éternité d’or :

Là sont les impérissables béatitudes.

Tel un million de lotus oscillant sur une tige unique,

Une succession de mondes colorés, extatiques,                                                                90

S’élève vers quelque invisible épiphanie lointaine.

De l’autre côté de l’escalier éternel,

Les royaumes puissants de la Flamme immortelle

Aspiraient à rejoindre les absolus de l’Être.

Hors de l’affliction et de la noirceur du monde,                                                               95

Hors des profondeurs où sont ensevelies la vie et la pensée,

La Flamme immortelle s’élève, solitaire, jusqu’au ciel.

Dans des lieux saints secrets d’une Nature voilée,

Elle brule pour toujours sur l’autel du Mental,

Ses prêtres étant les âmes de dieux qui lui sont consacrés,                                         100
L’humanité, la maison de son sacrifice.

Une fois allumé, son flamboiement ne peut jamais cesser.

Feu au long des chemins mystiques de la terre,

Elle jaillit à travers l’hémisphère des mortels,

Jusqu’à ce que, portée par les messagers du Jour et du Crépuscule,                          105

Elle entre dans la Lumière éternelle occulte

Et, blanchâtre, monte jusqu’au Trône invisible.

Ses mondes sont les pas d’une Force ascendante :

Un rêve de contours géants, de lignes titanesques,

Séjours d’une Puissance non déchue, illuminée,                                                            110

Paradis du Bien immuable, pur et intemporel,

Altitudes de la grandeur du rayon sans âge de la Vérité,

Comme dans un ciel symbolique ils commencent à apercevoir

Et à appeler nos âmes vers un air plus vaste.

Sur leurs sommets ils gardent haute la Flamme sans sommeil;                                  115

Rêvant d’un mystérieux Au-delà,

Transcendant les chemins du Destin et du Temps,

Ils pointent au-dessus d’eux-mêmes avec l’index de leurs pics,

À travers l’éther du mental divin au bleu de saphir pâle,

Vers la révélation de quelque Infinité d’or.                                                                     120

Un grondement de tonnerre parmi les collines de Dieu,

Inlassable, sévère est leur Voix terrible :

Nous dépassant, ils appellent à nous dépasser nous-mêmes

Et nous enjoignent de monter sans cesse plus haut.

Ces sommets résident bien au-delà de notre portée impatiente,                                 125

Trop élevés pour notre force et notre taille de mortels,

Péniblement dans l’extase terrible d’un dur labeur

Escaladés par la volonté athlétique nue de l’esprit.

Austères, intolérants, ils exigent de nous


Des efforts trop soutenus pour nos nerfs mortels,                                                         130

Que notre cœur ne peut maintenir ni notre chair supporter;

Seule la force de l’Éternel en nous peut oser

Entreprendre l’immense aventure de cette ascension

Et le sacrifice de tout ce que nous chérissons ici-bas.

Notre connaissance humaine est une chandelle consumée                                         135

Sur un sombre autel à une Vérité vaste comme le soleil;

La vertu de l’homme, un vêtement au tissage grossier, mal ajusté,

Sert à revêtir des images du Bien figées dans le bois;

Passionnée et aveuglée, ensanglantée, souillée de boue,

Son énergie trébuche vers une Force impérissable.                                                      140

Une imperfection talonne notre force la plus haute;

Des portions et de pâles reflets sont notre lot.

Heureux les mondes qui n’ont pas éprouvé notre chute,

Où la Volonté fait un avec la Vérité et le Bien avec le Pouvoir;

Non appauvris par l’indigence du mental terrestre,                                                      145

Ils conservent le souffle naturel de la puissance de Dieu,

Ses rapides intensités nues spontanées;

Là est son grand miroir transparent, le Moi,

Et là, sa souveraine autarcie de félicité

Dans laquelle les natures immortelles prennent part,                                                  150

Héritières et copartageantes de la divinité.

Dans les royaumes de l’Idéal, il se déplaça à son gré,

Accepta leur beauté et supporta leur grandeur,

Participa aux magnificences de leurs domaines de prodige,

Mais passa et se garda bien de s’arrêter sous la domination de leur splendeur.     155

Là, tout était une lumière intense mais partielle.

Dans chacun d’eux, une Idée au large front et aux ailes d’ange

Unifiait toute la connaissance par une pensée maitresse,


Persuadait toute action de prendre un sens superbe,

Soumettait tous les pouvoirs à un unique pouvoir                                                        160

Et créait un monde où elle pouvait régner seule,

Le foyer parfait de l’idéal absolu.

Insignes de leur victoire et de leur foi,

Ils offraient au Voyageur à leurs portes

Une flamme inextinguible ou une fleur éternelle,                                                          165

Emblème du privilège d’un haut royaume.

Glorieux et rayonnant, un Ange du Chemin

Présentait à la recherche de l’âme

La douceur et la puissance d’une idée,

Chacune tenue pour la source intime et la force ultime de la Vérité,                         170

Le cœur de la signification de l’univers,

Clef de la perfection, passeport pour le Paradis.

Pourtant, là se trouvaient des régions où ces absolus se rencontraient

Et par leurs mains unies formaient un cercle de félicité;

La lumière y était embrassée par la lumière, le feu épousait le feu,                          175

Mais nul dans l’autre ne voulait perdre son corps

Pour trouver son âme dans l’Âme unique du monde,

En un ravissement multiple de l’infinité.

Il poursuivit son chemin vers une sphère plus divine :

Là, joints dans une commune grandeur, lumière et félicité,                                       180

Tous les pouvoirs nobles, splendides et désirables,

Oubliant leur différence et leur règne distinct,

Deviennent une totalité unique et innombrable.

Au-dessus de la croisée des routes du Temps,

Au-dessus du Silence et de son Verbe au millier de formes,                                        185

Dans la Vérité immuable et inviolée

À jamais unis et inséparables,


Les enfants radieux de l’Éternité habitent

Sur l’ample cime de l’esprit où tous sont un.

Fin du Chant douzième

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