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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


texte original pour les lecteurs francophones


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LIVRE II, Chant 4 – Le Royaume de la petite vie


auroreflets 
Inde, Poésie, Savitri, Spiritualité, Sri Aurobindo 
17 mai 201829 mai
2018 27 Minutes
 

Livre II – Le Livre du Voyageur des mondes

Chant 4 – Le Royaume de la petite vie

Un monde incertain qui frémit, trépidant,

Né de cette rencontre et de cette éclipse douloureuse,

Apparut dans ce vide où ses pieds étaient passés,

Une obscurité rapide, une agitation qui cherche.

Il y avait la contorsion d’une force à demi consciente,                                                      5

À peine éveillée du sommeil de l’Inconscient,

Liée à une Ignorance conduite par l’instinct,

Pour se trouver elle-même et trouver sa prise sur les choses.

Héritière de la pauvreté et de la perte,

Assaillie par des souvenirs qui fuyaient lorsque saisis,                                                   10

Hantée par un espoir oublié qui exalte,

Elle s’efforçait avec la cécité comme de mains tâtonnantes

De remplir le vide pénible et désastreux


Entre la souffrance de la terre et la félicité dont la Vie avait chuté.

Un monde cherchant toujours quelque chose qui lui échappe,                                      15

Pourchasse la joie que la terre a échoué à garder.

Trop près de nos portes est son agitation inapaisée

Pour que la paix puisse vivre sur un globe solide inerte :

Il a joint sa faim à la faim de la terre,

Il a donné à nos vies la loi du désir insatiable,                                                                   20

Il a fait du besoin de notre esprit un gouffre insondable.

Une Influence pénétra la nuit et le jour des mortels,

Une ombre a recouvert la race née du temps;

Dans le courant trouble où bondit une palpitation aveugle du cœur

Et où la secousse nerveuse de la sensation s’éveille dans les sens,                                25

Séparant le sommeil de la Matière du Mental conscient,

Là errait un appel qui ignorait pourquoi il était venu.

Un Pouvoir au-delà de la portée terrestre a touché la terre;

Le repos qui aurait pu être ne peut plus exister;

Un ardent désir informe s’agite, passionné dans le cœur de l’homme,                         30

Il y a un cri dans son sang pour des choses plus heureuses :

Sinon il pourrait aller çà et là sur un sol libre et ensoleillé

Avec le mental des bêtes, qui oublie la douleur tel un enfant,

Ou vivre heureux, impassible, comme les fleurs et les arbres.

La Puissance qui est venue sur terre pour bénir                                                               35

Est demeurée sur terre pour souffrir et aspirer.

Le rire de nourrisson s’est tu, qui résonnait à travers le temps :

La joie de vivre naturelle chez l’homme est assombrie

Et la tristesse est la nourrice de sa destinée.

La joie sans pensée de l’animal est laissée derrière soi,                                                   40

Le souci et la réflexion accablent son parcours quotidien;

Il s’est élevé à la grandeur et au mécontentement,


Il est éveillé à l’Invisible.

Chercheur insatiable, il a tout à apprendre :

Il a épuisé maintenant les actes de surface de la vie,                                                        45

Les royaumes cachés de son être restent à explorer.

Il devient un mental, il devient un esprit et un moi;

Dans sa fragile habitation, il évolue pour être le seigneur de la Nature.

En lui la Matière s’éveille de sa longue transe obscure,

En lui la terre sent la Divinité qui s’approche.                                                                   50

Un Pouvoir sans vision qui ne voit plus son but,

Une énergie de Volonté affamée, agitée,

Dans le moule indolent du corps, la Vie jeta sa semence;

Celle-ci éveilla de son heureuse torpeur une Force aveugle,

Lui imposant de capter par les sens, chercher, éprouver.                                               55

Dans le travail énorme du Vide,

Perturbant par ses rêves la vaste routine

Et le roulis engourdi d’un univers en sommeil,

La puissante prisonnière lutta pour se libérer.

Animée par son désir ardent, la cellule inerte s’éveilla,                                                  60

Dans le cœur elle alluma un feu de passion et de besoin,

Au milieu du calme profond des choses inanimées

S’éleva sa grande voix de labeur, de prière et de combat.

Une conscience qui cherche à tâtons dans un monde sans voix,

Une perception sans guide lui était donnée pour sa route;                                             65

La pensée était en retrait et elle ne connaissait rien alors,

Mais elle avait tout l’inconnu à ressentir et à étreindre.

Obéissant à la poussée de ce qui n’est pas né vers la naissance,

Hors de son sceau de vie insensible elle se dégagea :

Dans sa substance d’une muette force d’âme non pensante                                           70

Qui ne peut exprimer ce que devinent ses profondeurs,


S’éveilla une aveugle nécessité de connaitre.

De la chaine qui la liait elle fit son instrument;

Elle possédait l’instinct, chrysalide de la Vérité,

Et l’effort et la croissance et la nescience en lutte.                                                            75

Infligeant au corps le désir et l’espoir,

Imposant à l’inconscience la conscience,

Elle a introduit dans la ténacité bornée de la Matière

Sa revendication angoissée de son droit souverain perdu,

Sa recherche inlassable, son cœur contrarié inquiet,                                                       80

Ses pas incertains qui s’égarent, son cri pour le changement.

Adoratrice d’une joie ne portant aucun nom,

Dans son obscure cathédrale de délice

À de vagues dieux nains elle offre des rites secrets.

Mais inutile est le sacrifice sans fin,                                                                                     85

Le prêtre, un mage ignorant qui fait seulement

De futiles mutations dans le plan de l’autel

Et jette des espoirs aveugles dans une flamme sans pouvoir.

Un fardeau de gains éphémères afflige ses pas

Et c’est avec peine sous cette charge qu’elle peut avancer;                                             90

Mais les heures crient vers elle, elle poursuit son chemin,

Passant de pensée en pensée, de besoin en besoin;

Son progrès le plus grand est un désir devenu plus profond.

La Matière rend insatisfait, elle se tourne vers le Mental;

Elle conquiert la terre, son domaine, puis réclame les cieux.                                         95

Insensibles, détruisant l’œuvre qu’elle a faite,

Les âges trébuchants passent par-dessus son travail,

Mais nulle grande lumière transformatrice n’est encore descendue

Et aucun ravissement révélateur n’a touché sa chute.

Seulement une lueur parfois déchire le ciel du mental,                                                100


Justifiant la providence ambigüe

Qui fait de la nuit un sentier vers des aurores inconnues

Ou une sombre indication vers un état qui serait plus divin.

Dans la Nescience commença sa puissante tâche,

Dans l’Ignorance elle poursuit le travail inachevé,                                                        105

Car la connaissance tâtonne, mais ne croise pas le visage de la Sagesse.

S’élevant lentement avec des pas inconscients,

Enfant abandonnée issue des Dieux, elle erre ici-bas

Comme une âme nourrisson laissée près des portes de l’Enfer

Tâtonnant dans le brouillard en quête du Paradis.                                                         110

Dans cette lente ascension, il devait suivre sa démarche

Même depuis son faible et vague début inconscient :

Ainsi seulement peut venir le salut final de la terre.

Car ainsi seulement pouvait-il connaitre la cause obscure

De tout ce qui nous retient et met Dieu en échec,                                                            115

Retardant la remise en liberté de l’âme incarcérée.

Le long de sentiers rapides de descente à travers des portes dangereuses,

Il s’aventura dans une grise obscurité

Grouillante d’instincts venus des gouffres sans mental,

Qui poussaient pour se vêtir d’une forme et se gagner une place.                               120

La Vie était ici intime avec la Mort et la Nuit

Et mangeait des aliments de la Mort pour rester quelque temps en vie;

Elle était l’enfant abandonnée en résidence chez elles et qu’elles avaient adoptée.

Acceptant la subconscience, sous le règne de l’obscurité muette

Pour un passage de séjour, elle n’avait plus d’espoir.                                                     125

Là, très loin de la Vérité et de la pensée lumineuse,

Il vit le siège originel, la naissance séparée

De la Puissance détrônée, déformée et souffrante.


Un visage malheureux de la fausseté rendue vraie,

Une contradiction de notre naissance plus divine,                                                          130

Indifférente à la beauté et à la lumière,

Dans un défilé elle étalait sa disgrâce animale

Sans l’aide d’un camouflage, brutale et nue,

Une image authentique, reconnue et signée

De sa force bannie, exilée du ciel et de l’espoir,                                                              135

Déchue, se glorifiant de la vilénie de son état,

Le vautrement d’une puissance jadis à moitié divine,

La sordidité sans élégance de ses désirs bestiaux,

Le visage au regard fixe de son ignorance,

Le corps nu de sa pauvreté.                                                                                                 140

C’est ici d’abord qu’elle avait rampé hors de sa cabane de boue

Où elle s’était étendue inconsciente, rigide, muette :

Son étroitesse et sa torpeur la tenaient encore,

Une obscurité que n’effaçait pas la Lumière s’accrochait à elle.

Aucun contact rédempteur venu d’en haut ne s’approchait :                                       145

Le regard vers le haut était étranger à sa vision,

Oubliée, la courageuse divinité de sa marche;

Délaissées étaient la gloire et la félicité,

L’aventure dans les périlleux domaines du Temps :

C’est à peine si elle parvenait, se laissant choir, à supporter et à vivre.                     150

Une large brume agitée d’un Espace qui cherchait,

Une région ténébreuse, engloutie sous de vagues langes,

Qui semblait, innommé, non incarné et sans abri,

Un mental emmailloté, privé de vision et de forme,

Demandait un corps pour véhiculer son âme.                                                                 155

Sa prière refusée, elle tâtonnait en quête de la pensée.


N’étant pas encore doté du pouvoir de penser, à peine de vivre,

Elle donnait sur un monde bizarre et pygméen

Où cette triste magie avait sa source.

Sur des frontières imprécises où la Vie et la Matière se rencontrent,                         160

Il errait parmi des choses à moitié vues, à moitié devinées,

Poursuivi par des débuts non saisis et des fins perdues.

Là, la vie naissait mais mourait avant de réussir à vivre.

Il n’y avait pas de terrain solide, pas de mouvement constant;

Seulement avait du pouvoir quelque flamme de Volonté sans mental.                      165

Lui-même était indistinct pour lui-même, à demi ressenti, obscur,

Comme si le Vide combattait pour exister.

Dans d’étranges domaines où tout était une sensation vivante

Mais où n’existaient ni la pensée qui maitrise, ni la cause, ni la norme,

Seulement un cœur enfantin fruste criait pour des jouets de félicité,                        170

Le Mental vacillait, un embrasement nouveau-né désordonné,

Et des énergies informes se dirigeaient au hasard vers la forme

Et prenaient chaque feu de brindilles comme un soleil pour se guider.

Cette force aux yeux bandés ne pouvait poser aucun pas réfléchi;

Demandant la lumière, elle suivait la piste de l’ombre.                                                 175

Un Pouvoir inconscient tâtonnait vers la conscience,

La Matière sous le choc de la Matière luisait faiblement pour les sens,

Des contacts aveugles, de lentes réactions faisaient jaillir des étincelles

De l’instinct hors d’un lit subliminal caché,

Des sensations se pressaient, des substituts muets de la pensée,                                180

La perception répondait aux coups de la Nature tirant du sommeil

Mais était encore une réaction mécanique,

Une secousse, un bond, un sursaut dans le rêve de la Nature,

Et de grossières impulsions sans retenue, se bousculant, couraient

Sans se soucier d’aucun mouvement autre que le leur                                                  185


Et, sombres, se heurtaient à d’autres plus obscures qu’elles-mêmes,

Libres dans un monde d’anarchie établie.

Le besoin d’exister, l’instinct de survivre

Accaparaient la volonté tendue du moment précaire

Et un désir aveugle fouillait les environs en quête d’aliments.                                    190

Les penchants de la Nature étaient la seule loi,

La force luttait contre la force, mais aucun résultat ne restait :

Seulement étaient produits une emprise et un dynamisme nescients

Et des sensations et des instincts ignorants de leur source,

Des plaisirs des sens et des douleurs des sens vite ressentis, vite perdus,                 195

Et le mouvement brutal de vies non pensantes.

C’était un monde vain et sans importance,

Dont la volonté d’exister produisait de pauvres et tristes résultats

Et une souffrance injustifiée et un morne malaise.

Rien ne semblait valoir l’effort de devenir.                                                                      200

Mais l’œil éveillé de son esprit ne le jugeait pas ainsi.

Comme brille, en témoin, une étoile solitaire

Qui brule à l’écart, sentinelle isolée de la Lumière,

Dans la dérive et le grouillement de la Nuit sans mental,

Un penseur seul dans un monde sans but                                                                         205

Attendant que survienne une aurore fantastique de Dieu,

Il vit le dessein dans les travaux du Temps.

Même en cette absence de but un travail se faisait,

Porteur fécond d’une volonté magique et d’un changement divin.

Les premières contorsions du serpent de la Force cosmique                                        210

Déployèrent dans la transe de la Matière la spirale de l’anneau mystique;

Il leva la tête dans l’air chaud de la vie.

Il ne pouvait pas encore se défaire du sommeil engourdissant de la Nuit


Ni alors porter les marques merveilleuses et les rayures du mental,

Poser sur son capuchon orné de bijoux la couronne de l’âme                                     215

Ni se tenir droit dans la splendeur du soleil de l’esprit.

Jusqu’alors n’étaient vues que l’infamie et la force,

La secrète marche rampante de la conscience vers la lumière

À travers un limon fertile de luxure et de sens qui se gavent,

Sous la croute physique d’un moi épaissi, s’opérant,                                                     220

Un lent travail fervent dans le noir,

Le levain trouble du changement passionné de la Nature,

Ferment de la création de l’âme à partir de la fange.

Un processus céleste prenait ce morne déguisement,

Une ignorance déchue dans sa nuit secrète                                                                     225

Peinait pour accomplir son travail muet incongru,

Un camouflage du besoin de l’Inconscient

De libérer la gloire de Dieu dans la boue de la Nature.

Sa vision, spirituelle dans des yeux qui donnent forme,

Pouvait percer la brume grise phosphorescente                                                             230

Et scruter les secrets du flot changeant

Qui anime ces cellules muettes et solides

Et conduit la pensée et l’envie de la chair

Ainsi que la convoitise et la faim aigües de sa volonté.

De cela aussi il suivit la trace le long de son courant caché                                          235

Et retraça une source miraculeuse à l’origine de ses actes.

Une Présence mystique que nul ne peut sonder ni régir,

Créatrice de ce jeu de lumière et d’ombre

Dans cette vie paradoxale douce et amère,

Demande au corps les gestes familiers de l’âme                                                             240

Et par la rapide vibration d’un nerf

Relie ses pulsations mécaniques à la lumière et à l’amour.


Elle appelle les souvenirs endormis de l’esprit à venir

Hors des profondeurs du subconscient sous l’écume du Temps;

Oublieux de leur flamme d’heureuse vérité,                                                                   245

Arrivant avec des yeux lourds qui voient à peine,

Ils viennent déguisés en sensations et en désirs,

Comme des herbes flottent quelque temps à la surface

Et se soulèvent et sombrent suivant une marée somnambulique.

Bien que ses mouvements soient impurs, dégradés,                                                      250

Toujours une vérité du ciel couve dans les profondeurs de la vie;

Dans ses membres les plus obscurs brule ce feu.

Une touche du ravissement de Dieu dans les actes de la création,

Une mémoire perdue de la félicité

Persiste encore dans les racines muettes de la mort et de la naissance,                    255

La beauté insensée du monde reflète le délice de Dieu.

Ce sourire de ravissement existe secrètement partout;

Il coule dans le souffle du vent, dans la sève de l’arbre,

Sa magnificence colorée s’épanouit dans les feuilles et les fleurs.

Quand la vie se dégagea de son demi-sommeil dans la plante                                     260

Qui ressent et souffre mais ne peut se mouvoir ni crier,

Dans la bête, l’oiseau ailé, l’homme pensant

Elle fit du rythme du cœur le battement de sa musique;

Elle força les tissus inconscients à s’éveiller,

À demander le bonheur et à se mériter l’angoisse,                                                         265

À tressaillir du plaisir et du rire d’un bref délice,

À frémir de douleur et à avoir soif d’extase.

Impérieuse, sans voix, mal comprise,

Trop loin de la lumière, trop près du noyau de l’être,

Étrangement née dans le Temps hors de la Félicité éternelle,                                      270

Elle fait pression sur le centre du cœur et le nerf vibrant;


Sa pénétrante quête de soi déchire notre conscience;

Notre douleur et notre plaisir ont cet aiguillon pour cause :

Stimulé par elle, mais aveugle à sa véritable joie,

Le désir de l’âme se précipite vers des choses fugitives.                                               275

Toute la pulsion avide de la Nature, à laquelle nul ne peut résister,

Vient, déferlante à travers le sang et le sens excité;

Une extase de l’infini est sa cause.

En nous celle-ci se change en amours et convoitises définis,

En la volonté de conquérir et de posséder, de saisir et de garder,                               280

D’agrandir l’espace et la portée de la vie et l’éventail du plaisir,

De combattre et de vaincre et de s’approprier,

En l’espoir de mêler sa joie à la joie de l’autre,

En un désir ardent de posséder et d’être possédé,

De jouir et d’être objet de jouissance, de sentir, de vivre.                                             285

Ici intervenait sa brève tentative précoce pour exister,

La fin rapide de son délice momentané

Dont l’empreinte d’échec hante toute vie ignorante.

Infligeant encore son habitude aux cellules,

Le fantôme d’un début sombre et funeste                                                                        290

Tel un spectre poursuit tout ce que nous rêvons et faisons.

Bien qu’il y ait sur la terre des vies fermement établies,

Un fonctionnement de l’habitude ou la perception d’une loi,

Une répétition constante dans le changement,

Néanmoins, ses racines de volonté sont toujours les mêmes;                                      295

Ces passions sont l’étoffe dont nous sommes faits.

Ceci fut le premier cri du monde à son réveil.

Il s’accroche encore à nous de tous côtés et enserre le dieu.

Même lorsque la raison est née et que l’âme prend forme,

Chez la bête et le reptile et chez l’homme pensant                                                         300


Il persiste et est la source de toute leur vie.

Ceci aussi était nécessaire afin que le souffle et la vie puissent exister.

L’esprit dans un monde limité ignorant

Doit délivrer ainsi sa conscience emprisonnée,

Forcée à sortir par petits jets à des points de frémissement                                         305

Hors de l’infinitude scellée de l’Inconscient.

Alors lentement elle assemble une masse, lève les yeux vers la Lumière.

Cette Nature vit liée à son origine,

Encore, une emprise d’une force inférieure s’exerce sur elle;

Hors des profondeurs non conscientes, ses instincts jaillissent;                                  310

Sa vie est voisine du Néant insensible.

Sous cette loi un monde ignorant fut créé.

Dans l’énigme des Vastitudes obscurcies,

Dans la passion et la perte de soi de l’Infini

Quand tout fut plongé dans le Vide annihilant,                                                               315

La nuit du Non-Être jamais n’aurait pu être sauvée

Si l’Être n’avait pas plongé dans l’obscurité,

Portant avec lui sa triple croix mystique.

Invoquant dans le temps cosmique la vérité intemporelle,

La félicité changée en affliction, la connaissance rendue ignorante,                          320

La force de Dieu transformée en fragilité d’enfant

Peuvent par leur sacrifice faire descendre le ciel.

Une contradiction fonde la base de la vie :

La Réalité éternelle, divine,

S’est recouverte elle-même de ses propres contraires :                                                 325

L’Être devint le Vide et la Force-Consciente,

Nescience et démarche d’une Énergie aveugle

Et l’Extase prit l’aspect de la souffrance universelle.

Selon une mystérieuse loi de rétribution,


Une Sagesse qui prépare ses fins lointaines                                                                    330

Planifia ainsi d’entreprendre son jeu lent et incommensurable.

Aux yeux bandés, une recherche, une lutte et une étreinte tâtonnante

D’une Nature à demi visible et d’une Âme cachée,

Une partie de cachecaches dans des chambres obscures,

Un jeu d’amour et de haine, de peur et d’espoir                                                             335

Poursuit dans la chambre d’enfants du mental

Les ébats bruyants, âpres et pénibles de jumeaux nés du fractionnement de soi.

À la fin l’Énergie en lutte peut émerger

Et rencontrer l’Être silencieux dans des champs plus vastes;

Alors peuvent-ils voir et parler et, poitrine contre poitrine,                                        340

Dans une conscience plus large, une lumière plus claire,

Les Deux s’embrassent, se confrontent et chacun connait l’autre,

Regardant de plus près maintenant le visage du partenaire.

Même dans ces méandres sans forme il pouvait sentir

La réponse de la Matière à un éveil nouveau-né de l’âme.                                            345

Dans la Nature il vit l’Esprit puissant dissimulé,

Surveilla la naissance fragile d’une Force fantastique,

Poursuivit l’énigme du pas hésitant de la Divinité,

Entendit les rythmes à peine audibles d’une grande Muse jamais enfantée.

Alors vint un souffle plus ardent d’une Vie qui s’éveille.                                      350

Et s’élevèrent hors du gouffre obscur des choses

Les étranges créations d’une perception pensante,

Des existences à demi réelles et à demi rêvées.

Une vie était là qui n’espérait pas survivre :

Des êtres naissaient qui périssaient sans laisser de traces,                                          355

Des évènements qui étaient les membres d’un drame informe

Et des actions dirigées par la volonté d’une créature aveugle.


Un Pouvoir qui cherchait découvrait sa route vers la forme,

Des modèles d’amour, de joie et de douleur étaient construits

Et des expressions symboliques pour les humeurs de la Vie.                                       360

Un hédonisme d’insecte voletait et rampait

Et se prélassait dans les frissons de surface d’une Nature ensoleillée,

Et des ravissements de dragon, des agonies de python

Rampaient dans le marécage et la fange et léchaient le soleil.

D’énormes forces en armure ébranlaient un frêle terrain tremblant,                        365

De grandes créatures puissantes avec un cerveau nain,

Et des tribus pygméennes imposaient leur petit mouvement de vie.

Dans un modèle nain de l’humanité,

La Nature lançait maintenant l’expérience extrême

Et l’objectif crucial du caprice de son plan,                                                                     370

Le résultat lumineux de son ascension à demi consciente

Sur des échelons entre ses niveaux sublimes et grotesques

Vers des formes massives issues d’autres minuscules,

Vers un équilibre subtil du corps et de l’âme,

Vers un arrangement d’une petitesse intelligente.                                                          375

Autour de lui, dans la pulsation des moments du Temps,

Le royaume du moi animal se présenta,

Où l’acte est tout et le mental est seulement né à moitié

Et le cœur obéit à un contrôle muet invisible.

La Force qui œuvre par la lumière de l’Ignorance                                                         380

Commençait son expérience animale,

Remplissant de créatures conscientes son agencement du monde;

Mais elles n’étaient attentives qu’à l’extérieur des choses,

Elles répondaient seulement à des contacts et à des apparences de surface

Et à l’aiguillon du besoin qui conduisait leurs vies.                                                       385

Un corps ne connaissant pas son âme à l’intérieur de lui-même


Là vivait et désirait ardemment, éprouvait la colère, la joie, le chagrin;

Il y avait là un mental qui se frottait au monde objectif

Comme s’il s’agissait d’un étranger ou d’un ennemi à sa porte :

Ses pensées étaient pétries par le choc des sensations;                                                  390

Il ne captait pas l’esprit dans la forme,

Il ne pénétrait pas au cœur de ce qu’il voyait;

Il ne cherchait pas le pouvoir derrière l’acte,

Il n’étudiait pas le motif caché des choses

Ni ne s’efforçait de trouver le sens de tout cela.                                                             395

Il y avait des êtres qui revêtaient une forme humaine;

Ils vivaient absorbés dans la passion de la scène,

Mais ne savaient pas qui ils étaient ni pourquoi ils vivaient :

Contents de respirer, d’éprouver, de ressentir et d’agir,

La vie n’avait pour eux d’autre but que la joie de la Nature,                                        400

Que le stimulant et le délice des choses du dehors;

S’identifiant à la coquille extérieure de l’esprit,

Ils travaillaient pour les besoins du corps, ils n’en désiraient pas plus.

Le spectateur voilé observant depuis leurs profondeurs

Ne fixait pas son œil intérieur sur lui-même                                                                   405

Ni ne se tournait pour trouver l’auteur de l’intrigue,

Il voyait seulement le drame et la scène

Il n’y avait pas la tension soutenue d’un sens plus profond,

Le fardeau de la réflexion n’était pas né :

Le mental regardait la Nature avec des yeux dénués de connaissance,                      410

Adorait ses bienfaits et craignait ses coups monstrueux.

Il ne réfléchissait pas à la magie de ses lois,

Il n’avait pas soif des puits secrets de la Vérité,

Mais tenait un registre de faits qui s’entassent

Et rattachait des sensations sur un fil doté de vie :                                                         415


Il chassait, il fuyait, il reniflait les vents

Ou fainéantait inerte au soleil et dans la douceur de l’air :

Il cherchait les contacts accaparants du monde,

Mais seulement pour nourrir de délice les sens de surface.

Ceux-ci sentaient le frémissement de la vie dans la perception extérieure,               420

Ils [ces êtres] ne pouvaient pas sentir l’âme derrière le contact.

Protéger la forme de leur moi des préjudices de la Nature,

Jouir et survivre, c’était tout leur souci.

L’horizon étroit de leurs jours était rempli

De choses et de créatures qui pouvaient aider et blesser :                                             425

Les valeurs du monde reposaient sur leur petit moi.

Isolés, à l’étroit dans le vaste inconnu,

Pour sauver leurs petites vies de la Mort environnante

Ils ont fait un minuscule cercle de défense

Contre le siège de l’énorme univers :                                                                                430

Ils faisaient leur proie du monde et étaient sa proie,

Mais jamais ne rêvaient de conquérir et d’être libres.

Obéissant aux suggestions et aux tabous rigoureux de la Puissance cosmique,

Ils tiraient une maigre part de ses riches provisions;

Il n’y avait pas de code conscient ni de plan de vie :                                                      435

Les modes de pensée d’un petit groupe

Fixaient une loi de comportement traditionnel.

Ignorants de l’âme sinon comme d’un spectre à l’intérieur,

Liés à un mécanisme de vies immuables

Et à une pulsation de sensation et d’émotion ternes et habituelles,                           440

Ils tournaient dans les ornières du désir animal.

Entourés des défenses de murs en pierre, ils travaillaient et guerroyaient,

Accomplissaient un peu de bien par un égoïsme ligué en bande

Ou causaient un mal terrible ou une douleur cruelle


À des vies pouvant ressentir et ne pensaient faire aucun mal.                                    445

Fougueux dans la mise à sac de paisibles foyers heureux

Et gorgés de massacre, de pillage, de viol et d’incendie,

Ils faisaient de moi humains leurs proies sans défense,

Conduisaient un troupeau de captifs vers leur malheur pour la vie,

Ou faisaient de la torture un spectacle et une fête,                                                        450

Se moquant ou excités devant les affres de leurs victimes démembrées;

S’admirant eux-mêmes comme des titans et des dieux,

Ils chantaient fièrement leurs grands et glorieux exploits

Et louaient leur victoire et leur force splendide.

Un animal dans le troupeau guidé par l’instinct,                                                            455

Poussé par des impulsions de vie, contraint par les besoins communs,

Chacun dans son propre clan voyait le miroir de son égo;

Tous servaient le but et l’action de la bande.

Ceux qui lui ressemblaient, apparentés par le sang ou la coutume,

Faisaient pour lui partie de sa vie, ses moi accessoires,                                                460

Les étoiles constituant sa nébuleuse personnelle,

Compagnons satellites de son « Je » solaire.

Un maitre de l’environnement de sa vie,

Un dirigeant d’une masse humaine agglutinée

S’attroupant pour la sécurité sur une terre dangereuse,                                               465

Il les rassemblait autour de lui comme des Pouvoirs secondaires

Pour faire front commun contre le monde,

Ou, faible et isolé sur une terre indifférente,

Comme une forteresse pour son cœur sans défense,

Ou encore pour soulager la solitude de son corps.                                                          470

Chez les autres que ceux de son groupe il flairait un ennemi,

Une force de l’extérieur dissemblable à éviter ou à craindre,

Un étranger ou un adversaire à haïr ou à tuer.


Ou il vivait comme vit la brute solitaire;

En guerre contre tous, il portait son unique destin.                                                        475

Absorbé dans l’acte présent, les jours fugaces,

Aucun ne pensait à regarder au-delà des gains de l’heure,

Ni ne rêvait de transformer cette terre en un monde plus beau,

Ni ne sentait quelque touche divine surprendre son cœur.

Le contentement que donnait le moment fugitif,                                                            480

Le désir empoigné, la satisfaction, l’expérience acquise,

Le mouvement, la vitesse et la force étaient une joie suffisante

De même que les convoitises physiques partagées et la querelle et le jeu,

Et les larmes et le rire et le besoin qu’on appelle amour.

Dans la guerre et l’étreinte, ces appétits de vie joignaient la « Toute-Vie »,               485

Confrontations de lutte d’une unité divisée

Infligeant le chagrin et le bonheur mutuels

Dans l’ignorance du Moi à jamais un.

Armant ses créatures avec le délice et l’espoir,

Une Nescience à demi éveillée combattait là                                                                   490

Pour connaitre par la vue et le toucher l’extérieur des choses.

L’instinct était formé; dans le sommeil bondé de la mémoire,

Le passé continuait de vivre comme dans une mer sans fond :

Retournant la sensation stimulée sous forme de semi-pensée,

Elle tâtonnait en cherchant la vérité avec des mains qui fouillent,                             495

Pressait contre elle le peu qu’elle pouvait atteindre et saisir

Et le mettait de côté dans sa caverne subconsciente.

Ainsi, l’être obscur doit grandir en lumière et en force

Et s’élever à sa plus haute destinée à la fin,

Diriger son regard en haut vers Dieu et autour vers l’univers,                                    500

Apprendre par l’échec et progresser par la chute

Et combattre contre l’environnement et le malheur,


Par la souffrance découvrir son âme profonde

Et par la possession croitre vers ses propres immensités.

Elle s’arrêtait à mi-chemin et ne trouvait plus sa route.                                                505

Rien encore n’était accompli sinon un commencement,

Pourtant le cercle de sa force semblait achevé.

Elle avait seulement fait jaillir des étincelles d’ignorance;

Seulement la vie pouvait penser et non le mental,

Seulement les sens pouvaient éprouver et non l’âme.                                                  510

Seulement étaient allumés quelque chaleur de la flamme de la Vie,

Une certaine joie d’exister, quelques frénétiques sursauts des sens.

Tout était l’impulsion d’une Force à demi consciente,

Un esprit rampant submergé dans l’épaisse mousse de la vie,

Un vague moi tentant de saisir la forme des choses.                                                      515

Derrière tout agissait, cherchant des vases pour contenir

Une première vinée âpre des raisins de Dieu,

Sur la boue de la terre un épanchement de la Félicité céleste,

Enivrant l’âme et le mental étourdis,

Un vin capiteux de ravissement sombre et fruste,                                                          520

Incertain, non encore coulé en une forme spirituelle,

Habitant obscur du cœur aveugle du monde,

Volonté d’une divinité non née, un Désir muet.

Une troisième création alors révéla son visage.

Un moule du mental premier du corps fut façonné.                                                       525

Un trait de lumière enflamma l’obscure Force du Monde;

Il dota un monde dirigé de l’Idée qui voit

Et arma l’acte de la pointe dynamique de la pensée :

Un petit être pensant observa les travaux du Temps.

Une évolution difficile à partir du bas                                                                               530


Appela une intervention masquée d’en haut;

Autrement ce grand univers aveugle et inconscient

N’aurait jamais pu révéler son mental caché,

Ni même sous des œillères n’aurait pu œuvrer chez la bête et l’homme

L’Intelligence qui conçut le plan cosmique.                                                                     535

Au début il [le roi] vit un obscur pouvoir indistinct du mental,

Agissant dissimulé par la Matière et la vie muette.

Un mince courant, il circulait dans le vaste flot de la vie,

Balloté et dérivant sous un ciel à la dérive

Au milieu de la houle et des remous miroitants qui frémissent,                                  540

Délivré en éclaboussement des sens et en vagues de sensations.

Dans l’environnement profond d’un monde insensible,

Les vagues et l’écume de sa conscience couraient en groupes compacts,

Se pressant et tourbillonnant à travers un chenal étroit,

Portant l’expérience dans sa démarche en foule.                                                            545

Il coulait, émergeant dans une lumière supérieure

Hors du plan d’eau profond de sa naissance subliminale

Pour atteindre quelque haute existence encore inconnue.

Il n’y avait pas de moi pensant, de but il n’y en avait aucun :

Tout ceci était une tension inorganisée et de vagues recherches.                                550

Seulement montaient à la surface instable

Des sensations, des coups de poignard et des cisailles du désir

Et les bonds de la passion et les cris de l’émotion brève,

Au hasard des rencontres un colloque de la chair avec la chair,

Un murmure du cœur à un cœur qui désire ardemment en silence,                         555

Des miroitements de connaissance sans aucune forme de pensée

Et des jets de volonté subconsciente ou des attractions de la faim.

Tout était un pâle scintillement sur une surface écumante :

Il tourbillonnait autour d’un moi telle une ombre à la dérive


Sur un flot inconscient de Force dans le Temps.                                                             560

Alors vint la pression d’un Pouvoir qui voit,

Tirant tout dans une masse dansante trouble

Tournant autour d’un seul point lumineux,

Centre de référence dans un champ de conscience,

Représentation d’une Lumière intérieure unitaire.                                                       565

Il alluma l’impulsion d’un flot à demi sensible,

Donna même une illusion de fixité

Comme si une mer pouvait servir de terre ferme.

Cet étrange Pouvoir qui observe imposa sa vision.

Il obligea le flot à une limite et à une forme,                                                                   570

Il donna à son courant une rive étroite plus basse,

Tira des lignes pour prendre au piège l’absence de forme de l’esprit.

Il façonna le mental de vie de l’oiseau et de la bête,

La réponse du reptile et du poisson,

Le modèle primitif des pensées de l’homme.                                                                   575

Un mouvement fini de l’Infini

Vint en passant à tire-d’aile à travers un air ample de Temps;

Une marche de la connaissance avançait dans la Nescience

Et conservait dans la forme une âme séparée.

Elle lui réservait le droit d’être immortelle,                                                                     580

Mais construisit un mur contre le siège de la mort

Et lança un crochet pour agripper l’éternité.

Une entité pensante apparut dans l’Espace.

Un petit monde ordonné surgit au regard

Où l’être avait un espace carcéral pour l’acte et la vision,                                             585

Un plancher pour marcher, un rayon d’action clair, mais minuscule.

Une personnalité instrumentale était née,

Et une intelligence restreinte attachée


Consentait à confiner dans des limites étroites

Sa recherche; elle lia la pensée aux choses visibles,                                                       590

Interdisant l’aventure de l’Invisible

Et la marche de l’âme à travers des infinités inconnues.

Une raison de réflexes, le miroir de l’habitude de la Nature,

Illuminait la vie pour connaitre et établir son champ,

Accepter une brièveté dangereuse ignorante                                                                   595

Et le but peu concluant de sa marche

Et profiter du hasard précaire de l’heure

Dans les frontières assignées de son destin.

Une petite joie et un menu savoir satisfaisaient

Ce petit être ligoté dans un nœud                                                                                       600

Et accroché à une saillie de son environnement,

Une petite courbe isolée dans un Espace sans mesure,

Une petite durée de vie dans tout le vaste Temps.

Il y avait là une pensée qui planifiait, une volonté qui s’efforçait,

Mais pour des visées restreintes dans un rayon étroit,                                                  605

Gaspillant un effort démesuré pour des choses éphémères.

Il se savait être une créature de la boue;

Il ne demandait aucune loi plus large, aucun but plus noble;

Il n’avait aucune vision intérieure, aucun regard dirigé vers le haut.

Un écolier arriéré sur le banc branlant de la logique,                                                    610

Endoctriné par les sens trompeurs,

Il prenait l’apparence pour le visage de Dieu,

Pour des lumières intermittentes le défilé des soleils,

Pour le paradis une bande étoilée d’un bleu douteux;

Des aspects de l’être feignaient d’être la totalité.                                                            615

Il y avait une voix d’un échange affairé,

Une place du marché de pensées et d’actions triviales :


Une vie bientôt dépensée, un mental esclave du corps

Ici semblaient la couronne brillante du travail de la Nature,

Et des égos minuscules prenaient le monde comme moyen                                         620

D’assouvir pour un temps des convoitises naines et de brefs désirs,

Dans un passage enclos par la mort, voyaient le début et la fin de la vie

Comme si une impasse était l’enseigne de la création,

Comme si pour cela l’âme avait convoité la naissance

Dans le pays merveilleux d’un monde qui se crée lui-même                                        625

Et dans les possibilités que présente un Espace cosmique.

Cette créature passionnée seulement de survivre,

Enchainée à de frêles pensées sans large portée

Et aux besoins du corps, à ses douleurs et à ses joies,

Cette flamme qui grandit par la mort du combustible,                                                  630

S’accroissait par ce qu’elle saisissait et faisait sienne :

Elle amassait et prospérait mais ne se donnait à personne.

Elle n’avait d’espoir que pour la grandeur de son antre

Et pour le plaisir et la victoire dans de petites sphères de pouvoir

Et pour la conquête d’espace de vie pour soi-même et les siens,                                 635

Un animal limité par le territoire qui le nourrit.

Elle ne connaissait pas l’Immortel dans sa demeure;

Elle n’avait pas de plus grande et profonde raison de vivre.

Dans des limites seulement elle était puissante;

Pénétrante pour capter la vérité en vue d’un usage extérieur,                                     640

Sa connaissance était l’instrument du corps;

Absorbée dans les petits travaux de son habitat carcéral

Elle tournait autour des mêmes points invariables

Dans le même cercle de l’intérêt et du désir,

Toutefois s’imaginait maitresse de sa geôle.                                                                     645

Bien que faite pour l’action, non pour la sagesse,


La pensée était son point culminant – ou le bord de sa gouttière :

Elle voyait une image du monde extérieur

Et voyait son moi de surface, mais n’en savait pas plus.

Au sortir d’une lente recherche de soi confuse et embrouillée,                                   650

Le mental parvint à une clarté taillée, précise,

Une lueur enclose dans une ignorance de pierre.

Sous la direction étroite de cette pensée captive,

Fixée au sol, inspirée par des choses ordinaires,

Attachée à un monde familier restreint,                                                                          655

Au milieu de la multitude de ses intrigues motivées,

De ses acteurs changeants, de ses millions de masques,

La Vie était une pièce monotone, toujours la même.

Il n’y avait pas les vastes perspectives de l’esprit,

Ni les rapides invasions d’un délice inconnu,                                                                  660

Ni les distances dorées d’une ample délivrance.

Cet état insignifiant ressemblait à nos jours humains

Sauf qu’il était fixé à l’éternité d’un type inchangeable,

Le mouvement d’un moment condamné à durer tout au long du Temps.

L’existence tel un pont enjambait les gouffres inconscients,                                        665

Une construction à demi illuminée dans la brume,

Qui d’un vide de Forme s’est élevée à la vue

Et faisait saillie dans un vide d’Âme.

Une petite lumière née dans une grande obscurité,

La Vie ne savait pas où elle allait ni d’où elle venait.                                                     670

Autour de tout flottait encore le brouillard de la nescience.

Fin du Chant quatrième

 
Marqué:
Français,
Savitri,
Sri Aurobindo,
Traduction

Publié par auroreflets

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