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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


texte original pour les lecteurs francophones


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LIVRE I, Chant 3 – Le yoga du roi : Le yoga de la


libération de l’âme


auroreflets 
Inde, Poésie, Savitri, Spiritualité, Sri Aurobindo 
16 mai 201829 mai
2018 31 Minutes
 

Livre I – Le livre des commencements

Chant 3 – Le yoga du roi : Le yoga de la libération de l’âme

Un désir du monde imposa sa naissance mortelle.

Quelqu’un au premier rang de la quête immémoriale,

Protagoniste du jeu mystérieux

Dans lequel l’Inconnu se poursuit lui-même à travers les formes

Et limite son éternité par les heures                                                                                       5

Et le Vide aveugle lutte pour vivre et pour voir,

Un penseur et un travailleur acharné dans l’air de l’idéal,

Vers le besoin muet de la terre fit descendre son pouvoir rayonnant.

L’esprit qui était le sien se penchait de sphères plus larges

Jusqu’en notre province de vision éphémère,                                                                    10

Un colon venu de l’immortalité.

Un rayon indicateur sur les chemins incertains de la terre,


Sa naissance dressait un symbole et un signe;

Son moi humain tel un manteau translucide

Couvrait le « Parfaitement-Sage » qui conduit le monde aveugle.                                  15

Affilié à l’Espace et au Temps cosmiques

Et payant ici-bas la dette de Dieu à l’égard de la terre et de l’homme,

Une filiation plus grande lui revenait de droit divin.

Même consentant à l’ignorance des mortels,

Sa connaissance participait à la Lumière ineffable.                                                          20

Une force de la Permanence originelle

Emmêlée dans le moment et son parcours,

Il gardait la vision des Immensités derrière :

En lui était un pouvoir venu de l’Inconnaissable.

Un archiviste des symboles de l’Au-delà,                                                                             25

Un trésorier de rêves surhumains,

Il portait l’empreinte de mémoires puissantes

Et diffusait leur rayon grandiose sur la vie humaine.

Ses jours étaient une longue croissance vers le Suprême.

Un être dirigé vers le ciel, nourrissant ses racines                                                            30

Par des aliments tirés de sources spirituelles occultes,

Grimpait à travers de blancs rayons pour rejoindre un Soleil invisible.

Son âme vivait en déléguée de l’éternité,

Son mental était comme un feu assaillant le ciel,

Sa volonté, un chasseur sur les pistes de la lumière.                                                        35

Une impulsion d’océan soulevait chaque souffle;

Chaque action laissait les marques de pas d’un Dieu,

Chaque moment était un battement d’ailes puissantes.

Le petit lopin de terre de notre mortalité,

Touché par cet occupant venu des hauteurs, devint                                                         40

Un terrain de jeu de l’Infini vivant.


Cette apparence corporelle n’est pas tout;

La forme trompe, la personne est un masque;

Cachés profondément dans l’homme, des pouvoirs célestes peuvent y loger.

Son vaisseau fragile transporte à travers l’océan des années                                          45

Un incognito de l’Impérissable.

Un esprit qui est une flamme de Dieu demeure,

Une parcelle ardente du Merveilleux,

Artiste de ses propres beauté et délice,

Immortel dans notre pauvreté de mortels.                                                                          50

Ce sculpteur des formes de l’Infini,

Cet Habitant dissimulé non reconnu,

Initié de ses propres mystères voilés,

Cache dans une petite graine indistincte sa pensée cosmique.

Dans la force muette de l’Idée occulte                                                                                  55

Déterminant des traits et une action prédestinés,

Passager de vie en vie, d’un plateau à un autre plateau,

Changeant son moi imagé d’une forme à une autre,

Il observe l’icône qui se développe par son regard

Et dans le ver prévoit le dieu à venir.                                                                                   60

Enfin, le voyageur sur les sentiers du Temps

Arrive aux frontières de l’éternité.

Drapé du symbole transitoire de l’humanité,

Il ressent sa substance d’un moi immortel

Et perd sa parenté avec l’état de mortel.                                                                              65

Un rayon de l’Éternel frappe son cœur,

Sa pensée s’étend dans l’infinitude :

Tout en lui se tourne vers les immensités de l’esprit.

Son âme s’échappe pour rejoindre la « Sur-âme »,

Sa vie est submergée par cette « supervie ».                                                                       70


Il a bu au sein de la Mère des mondes;

Une « Supranature » sans limite au-dessus remplit sa charpente :

Elle adopte le terrain à jamais durable de son esprit

Comme la sécurité de son monde changeant

Et façonne l’expression de ses puissances qui ne sont pas nées.                                    75

Elle se conçoit immortellement en lui,

Dans la créature, la Créatrice dévoilée travaille :

Son visage se voit dans le sien, ses yeux à travers les siens;

Son être est le sien au moyen d’une vaste identité.

Alors se révèle dans l’homme le Divin manifeste.                                                             80

Une Unité statique et un Pouvoir dynamique

Descendent en lui, les sceaux de la Divinité intégrale;

Son âme et son corps prennent cette empreinte splendide.

Une longue préparation vague est la vie de l’homme,

Un cercle de labeur et d’espoir, de guerre et de paix,                                                       85

Tracé par la Vie sur le sol obscur de la Matière

Dans son ascension vers un sommet que nul pied n’a jamais foulé,

Il cherche au sein d’une pénombre striée par une flamme

Une réalité voilée, à demi connue, toujours manquée,

Une recherche de quelque chose ou de quelqu’un jamais trouvé,                                 90

Culte d’un idéal qui n’a jamais été concrétisé ici,

Une spirale sans fin d’ascension et de chute,

Jusqu’à ce qu’il atteigne enfin le point géant

D’où resplendit la Gloire de celui pour qui nous avons été faits

Et où nous faisons irruption dans l’infinité de Dieu.                                                         95

À travers la ligne frontière de notre nature nous nous échappons

Dans l’arc de lumière vivante de la « Supranature ».

Ceci maintenant était constaté chez ce fils de la Force;

En lui cette haute transition posait sa base.


Immanence originelle et surnaturelle                                                                                100

Dont l’art façonne tout le processus de la Nature,

L’Ouvrier cosmique appliqua sa main secrète

Pour convertir cette frêle machine de boue à un usage céleste.

Une Présence œuvrait derrière l’écran ambigu :

Elle compactait sa terre pour porter un poids de Titan,                                                 105

Raffinant des blocs à moitié taillés de force naturelle,

Elle érigeait son âme en un dieu de statue.

L’Artisan de l’étoffe magique du moi,

Qui peine sur son projet noble et difficile

Dans le vaste atelier du monde merveilleux,                                                                    110

Modela dans le Temps intérieur ses parties rythmiques.

Alors vint le soudain miracle transcendant :

La Grandeur immaculée masquée pouvait esquisser,

En travail dans le sein occulte de la vie,

Sa magnificence rêvée de choses qui devaient être.                                                       115

Une clef de voute de l’architecture des mondes,

Un mystère du mariage de la Terre et du Ciel

Annexa la divinité au plan humain.

Un Voyant était né, un Invité brillant du Temps.

Pour lui le firmament limitatif du mental prenait fin au-dessus.                                 120

Au premier plan de griffon de l’ensemble Nuit et Jour

Une brèche se déchira dans la voute qui dissimule tout;

Les fins conscientes de l’être reculaient en s’enroulant :

Les points de repère de la petite personne tombèrent,

L’égo insulaire rejoignit son continent.                                                                             125

Surpassé était ce monde de formes rigides qui limitent :

Les barrières de la vie s’ouvrirent sur l’Inconnu.

Étaient abolis les pactes de la conception


Et, en rayant la clause rigoureuse de la sujétion,

Fut annulé le traité de l’âme avec la nescience de la Nature.                                        130

Toutes les mornes inhibitions furent arrachées

Et brisé le couvercle dur et lustré de l’intellect;

La vérité non morcelée trouva une étendue immense de ciel;

Une vision d’empyrée voyait et savait;

Le mental limité devint une lumière sans limites,                                                          135

Le moi fini se maria à l’infinité.

Sa marche maintenant s’élança en un vol d’aigle.

Hors de l’apprentissage de l’Ignorance

La Sagesse l‘éleva à son art de maitre

Et fit de lui un maçon supérieur de l’âme,                                                                        140

Un bâtisseur de l’habitation secrète de l’Immortel,

Un aspirant à la céleste Intemporalité :

La liberté et l’empire l’interpelaient des hauteurs;

Au-dessus du crépuscule du mental et de la nuit de la vie guidée par les étoiles,

Rayonna l’aube d’un jour spirituel.                                                                                    145

Alors qu’il devenait ainsi son moi plus ample,

De moins en moins l’humanité encadrait ses mouvements,

Un être plus grand voyait un monde plus grand.

Une volonté hardie de connaitre osa effacer

Les lignes de sécurité tracées par la Raison qui empêchent                                          150

L’envol du mental, le plongeon de l’âme dans l’Infini.

Même ses premiers pas franchirent nos petites limites terrestres

Et flânèrent dans un air plus vaste et plus libre.

En des mains soutenues par une Force transfiguratrice

Il prit avec aisance, comme un arc de géant                                                                    155

Laissé au repos dans une caverne scellée et secrète,


Les pouvoirs qui dorment inutilisés à l’intérieur de l’homme.

Il fit du miracle un acte normal

Et changea en une partie ordinaire des œuvres divines,

Magnifiquement naturels à cette hauteur,                                                                       160

Des efforts qui briseraient la force de cœurs mortels,

Poursuivit avec la royauté d’une facilité puissante

Des buts trop sublimes pour la volonté quotidienne de la Nature :

Les dons de l’esprit, se groupant, vinrent à lui;

Ils étaient son mode de vie et son privilège.                                                                     165

Une pure perception conférait sa joie lumineuse :

Sa vision intime ne s’attardait pas à penser;

Elle enveloppait toute la Nature dans un unique coup d’œil,

Elle percevait le moi véritable des choses;

N’étant plus trompé par la forme il voyait l’âme.                                                            170

Elle connaissait dans les êtres ce qui se cachait à leur insu;

Elle saisissait l’idée dans le mental, le désir dans le cœur;

Elle tirait hors des replis sombres du secret

Les motifs que les hommes dissimulent à leur propre vue.

Il sentait la vie qui bat chez les autres hommes                                                              175

L‘envahir avec leur bonheur et leur chagrin;

Leur amour, leur colère, leurs espoirs inexprimés

Entraient par courants ou en vagues qui déferlent

Dans l’océan immobile de son calme.

Il entendait le son inspiré de ses propres pensées                                                           180

Répété en écho dans la voute d’autres « mentals »;

Les courants de pensée du monde passaient dans son champ de vision;

Son moi intérieur devint proche du moi des autres

Et subissait le poids d’une parenté, un lien commun,

Cependant demeurait non affecté, maitre de lui-même, seul.                                       185


Un accord magique fit vibrer et harmonisa

En des symphonies éthérées les vieux instruments terrestres;

Il éduqua les serviteurs du mental et de la vie

À être d’heureux partenaires dans la réponse de l’âme,

Tissu et nerfs furent changés en cordes sensibles,                                                          190

Registres de l’éclat et de l’extase; il fit

Des moyens du corps les acolytes de l’esprit.

Une fonction plus céleste avec un mode plus subtil

Éclaira de sa grâce l’aspect terrestre extérieur de l’homme;

L’expérience par l’âme de ses enveloppes plus profondes                                             195

Ne dormait plus droguée par la prédominance de la Matière.

Dans le mur sans jour qui nous sépare d’un moi plus large,

Dans le secret d’un sommeil apparent,

L’étendue mystique au-delà de nos pensées de veille,

S’ouvrit une porte encastrée par la force de la Matière,                                                 200

Libérant des choses non saisies par les sens terrestres :

Un monde invisible, inconnu par le mental extérieur

Apparut dans les espaces silencieux de l’âme.

Il s’assoyait dans des chambres secrètes d’où il regardait

Dans les régions lumineuses de ce qui n’est pas né,                                                       205

Où toutes les choses rêvées par le mental sont visibles et vraies

Et tout ce que désire ardemment la vie est amené tout près.

Il vit les Parfaits dans leurs maisons étoilées,

Revêtant la gloire d’une forme immortelle,

Couchés dans les bras de la paix de l’Éternel,                                                                  210

Ravis dans les battements de cœur de l’extase de Dieu.

Il vécut dans l’espace mystique où nait la pensée

Et la volonté est bercée par un Pouvoir éthéré

Et nourrie du lait immaculé des forces de l’Éternel


Jusqu’à ce qu’elle prenne l’apparence d’un dieu.                                                             215

Dans les chambres occultes du Témoin aux murs construits par le mental,

Sur des pièces cachées, des passages couverts,

S’ouvrirent les fenêtres de la vision intérieure.

Il possédait la maison du Temps indivis.

Soulevant le lourd rideau de la chair                                                                                 220

Il se tint sur un seuil gardé par un serpent

Et scruta des couloirs sans fin étincelants,

Silencieux et attentif dans le cœur silencieux,

Guettant la venue du nouveau, de l’inconnu.

Il regarda fixement à travers les immobilités vides                                                        225

Et entendit les pas de l’Idée non rêvée

Dans les lointaines avenues de l’Au-delà.

Il entendit la Voix secrète, la Parole qui connait,

Et vit le visage secret qui est le nôtre.

Les plans intérieurs dévoilèrent leurs portes de cristal;                                                230

D’étranges pouvoirs et influences touchèrent sa vie.

Une vision se forma de royaumes plus hauts que le nôtre,

Une conscience de domaines et de cieux plus brillants,

D’êtres moins circonscrits que les hommes à la vie brève

Et de corps plus subtils que ces structures passagères,                                                  235

D’objets trop fins pour notre étreinte matérielle,

D’actes vibrant d’une lumière surhumaine,

De mouvements imprimés par une force supraconsciente,

De joies qui n’ont jamais coulé à travers des membres mortels,

Et de scènes plus charmantes que celles de la terre et de vies plus heureuses.        240

Une conscience de beauté et de félicité,

Une connaissance qui devenait ce qu’elle percevait

Remplaça les sens et le cœur divisés


Et engloba toute la Nature dans son étreinte.

Le mental se pencha au-dehors pour rejoindre les mondes cachés :                           245

L’air s’embrasait et foisonnait de formes et de teintes merveilleuses,

Dans les narines frémissaient de célestes fragrances,

Sur la langue s’attardait le miel du paradis.

Un canal d’harmonie universelle,

L’ouïe était un courant d’une audition magique,                                                             250

Un lit pour d’occultes sons que ne peut entendre la terre.

Hors d’une piste dissimulée d’un moi de sommeil paisible

Vint la voix d’une vérité submergée, inconnue,

Qui coule sous les surfaces cosmiques,

Entendue seulement au milieu d’un silence omniscient,                                                255

Captée par un cœur intuitif et un sens occulte.

Elle saisissait le fardeau de secrets scellés et muets,

Elle exprimait l’exigence non satisfaite de la terre

Et le chant de promesse de cieux non réalisés

Et tout ce qui se cache en un Sommeil omnipotent.                                                        260

Dans le drame continu amené par le Temps

Sur son long flot attentif qui porte, de ce monde,

Le doute insoluble dans un pèlerinage sans but,

Un rire de plaisir infatigable montait en mousse et en écume

Et des murmures de désir qui ne peuvent pas mourir :                                                 265

Un cri vint de la joie d’exister du monde,

La grandeur et l’intensité de sa volonté de vivre,

Rappel de l’aventure de l’âme dans l’espace,

Un voyageur à travers les siècles magiques

Et le labeur de l’être dans l’univers de la Matière,                                                          270

Sa recherche du sens mystique de sa naissance

Et sa joie d’une haute réponse spirituelle,


Sa pulsation de satisfaction et de contentement

Dans toute la douceur des cadeaux de la vie,

Les ampleurs de son souffle, sa pulsation et son frisson d’espoir et de peur,            275

Son gout pour la douleur, les larmes et l’extase,

Le battement vif de félicité soudaine de son ravissement,

Le sanglot de sa passion et de sa souffrance sans fin.

Le murmure et le chuchotement de sons non entendus,

Qui se pressent autour de nos cœurs, mais ne trouvent aucune fenêtre                     280

Où entrer, se gonflèrent en un cantique

De tout ce qui souffre d’être encore inconnu

Et de tout ce qui peine vainement pour voir le jour

Et de toute la douceur que personne jamais ne goutera

Et de toute la beauté qui ne sera jamais.                                                                            285

Inaudibles à nos sourdes oreilles de mortels,

Les larges rythmes du monde agençaient leur chant prodigieux

Auxquels la vie s’efforce d’ajuster ici nos pulsations en rimes,

Faisant se fondre nos limites dans l’illimitable,

Accordant le fini à l’infinité.                                                                                                290

Un sourd marmottement s’élevait des cavernes subconscientes,

Le balbutiement de l’ignorance première;

Réponse à cette interrogation inarticulée,

Voilà que fondit avec le cou de l’éclair et les ailes du tonnerre

Un hymne radieux à l’Inexprimable                                                                                  295

Et le motet de la lumière supraconsciente.

Là fut révélé tout ce que personne ici ne peut exprimer;

La vision et le rêve étaient des fables racontées par la vérité

Ou des symboles d’une plus grande véracité que le fait

Ou étaient des vérités mises en vigueur par des cachets surnaturels.                        300

Des yeux immortels s’approchèrent et regardèrent dans les siens


Et des êtres de plusieurs royaumes vinrent tout près et prirent la parole :

Les « vivant-à-jamais » que nous désignons comme morts

Pouvaient quitter leur gloire au-delà de la mort et de la naissance

Pour exprimer la sagesse qui dépasse toute phrase :                                                      305

Les rois du mal et les rois du bien,

Appelants au siège du jugement de la raison,

Proclamaient l’évangile de leurs points de vue opposés

Et tous se croyaient porte-paroles de Dieu :

Les dieux de la lumière et les titans de l’ombre                                                               310

Rivalisaient pour son âme tel un prix de grande valeur.

Durant chaque heure dégainée du carquois du Temps

S’élevait un chant de découverte nouvelle,

Comme du pincement de la corde d’un arc le bourdonnement d’une expérience jeune.

Chaque jour était un roman spirituel,                                                                                315

Comme s’il naissait dans un brillant nouveau monde;

L’aventure surgissait par un bond en ami imprévu

Et le danger donnait une intense et douce saveur forte de joie;

Chaque évènement était une expérience profonde.

Il survenait d’éminentes rencontres, des conversations épiques,                                 320

Des conseils se présentaient, formulés en langage céleste,

Et des plaidoyers mielleux soupirés par des lèvres occultes

Pour aider le cœur à succomber à l’appel du ravissement,

Et de douces tentations s’insinuaient des royaumes de la beauté

Et des extases soudaines, d’un monde de félicité.                                                            325

C’était une région d’émerveillement et de délice.

Sa lumineuse clairaudience maintenant pouvait tout recevoir;

Un contact tressaillait de puissantes choses inconnues.

Éveillé à de nouvelles proximités non terrestres,

Le toucher répondait à des infinités subtiles                                                                   330


Et, avec un cri argentin de portes qui s’ouvrent,

Les éclairs de la vue bondirent dans l’invisible.

Toujours sa conscience et sa vision grandissaient;

Elles prenaient une étendue plus vaste, une envolée plus haute;

Il passa la limite indiquée pour l’autorité de la Matière                                                 335

Et dépassa la zone où la pensée remplace la vie.

Hors de ce monde de signes il parvint soudainement

Dans un moi silencieux où le monde n’existait pas

Et il regarda par-delà dans une immensité sans nom.

Ces figures symboliques perdirent leur droit de vivre,                                                  340

Toutes les marques tombèrent, que nos sens peuvent reconnaitre;

Là, le cœur ne battait plus au contact du corps,

Là, les yeux ne fixaient plus la forme de la beauté.

En de rares et lumineux intervalles de silence,

Il put s’élever dans une région dénuée de signes                                                            345

Pleine du contenu profond de ce qui est sans forme,

Où le monde était absorbé dans un être unique

Et tout était connu par la lumière de l’identité

Et l’Esprit était sa propre évidence de soi.

Le regard du Suprême observait à travers des yeux humains                                      350

Et voyait toutes choses et toutes créatures comme lui-même

Et connaissait toute pensée et toute parole comme sa propre voix.

Là, l’unité est trop intime pour la recherche et l’étreinte

Et l’amour est un désir ardent de l’Un pour l’Un,

Et la beauté est une douce différence du Même                                                              355

Et l’unité est l’âme de la multitude.

Là, toutes les vérités s’unissent en une seule Vérité

Et toutes les idées rejoignent la Réalité.

Là, se connaissant elle-même par son propre moi sans limites,


La Sagesse divine, sans mot, absolue,                                                                                360

Siégeait non accompagnée dans le Calme éternel,

Voyant tout, immobile, souveraine et seule.

La connaissance n’a pas besoin là de mots pour incarner l’Idée;

L’Idée cherchant une maison dans l’infini,

Lasse de son immortalité sans foyer,                                                                                 365

Ne demande pas le gite dans la brillante cellule sculptée de la pensée,

Dont la perspective des choses, découpée par une fenêtre unique,

Ne voit qu’un petit arc du vaste ciel de Dieu.

L’illimité avec l’illimité là s’accorde;

Étant là, on peut être plus large que le monde;                                                               370

Étant là, on est sa propre infinité de soi.

Son centre n’était plus dans le mental terrestre;

Un pouvoir de silence qui voit remplissait ses membres :

Pris par une blanche épiphanie sans voix                                                                         375

Dans une façon de vivre qui surpasse la vie,

Il approcha de la conscience immobile soutenant tout.

La voix qui seulement par la parole peut activer le mental

Devint une connaissance silencieuse dans l’âme;

La force qui seulement dans l’action ressent sa vérité                                                   380

Était maintenant logée dans une muette paix omnipotente.

Un temps libre dans le travail des mondes,

Une pause dans la joie et l’angoisse de la recherche

Ramena la tension de la Nature au calme de Dieu.

Une vaste unanimité terminait le débat de la vie.                                                           385

La guerre des pensées qui engendre l’univers,

Le heurt des forces luttant pour prévaloir

Dans le choc fantastique qui allume une étoile

Comme dans la construction d’un grain de poussière,


Les sillons qui font tourner leur ellipse muette dans l’espace,                                     390

Creusés par la recherche du désir du monde,

Les longues régurgitations dans le flot du Temps,

Le tourment qui acère la force terrible de la convoitise

Et qui s’éveille cinétique dans la vase lourdaude de la terre

Et sculpte une personnalité dans la boue,                                                                        395

Le chagrin dont est nourrie la faim de la Nature,

L’œstre qui crée avec un feu de douleur,

Le destin qui punit la vertu par la défaite,

La tragédie qui détruit un long bonheur,

Les larmes de l’Amour, la querelle des Dieux,                                                                 400

Cessèrent dans une vérité qui vit dans sa propre lumière.

Son âme se tenait libre, un témoin et un roi.

N’étant plus absorbé dans la fluctuation portée par le moment

Où le mental sans cesse dérive comme sur un radeau

Précipité de phénomène en phénomène,                                                                          405

Il demeurait au repos dans le Temps indivisible.

Comme une histoire depuis longtemps écrite, mais jouée maintenant,

Dans son présent il possédait son futur et son passé,

Sentait dans les secondes les années innombrables

Et voyait les heures tels des points sur une page.                                                            410

Un aspect de la Réalité inconnue

Modifiait la signification de la scène cosmique.

Cet énorme univers matériel devint

Un modeste résultat d’une force prodigieuse :

Dépassant le moment, le Rayon éternel                                                                            415

Illumina Cela qui jamais encore n’avait été fait.

La pensée reposait allongée dans un état silencieux puissant;

Le Penseur laborieux s’élargit et devint tranquille,


La Sagesse transcendante toucha son cœur vibrant :

Son âme pouvait faire voile au-delà de la barre lumineuse de la pensée;                  420

Le mental ne faisait plus écran à l’infini sans rivage.

À travers un ciel vide qui se retire, il entrevit,

Par-delà la lueur et la trainée dernières d’étoiles qui s’éteignent,

Les royaumes supraconscients de la Paix immobile

Où le jugement cesse et le verbe est muet                                                                       425

Et le Non-conçu est allongé, sans chemin tracé et seul.

Là ne venaient pas la forme ni aucune voix qui s’élève;

Là étaient seulement le Silence et l’Absolu.

Hors de ce calme, le mental nouveau-né se présenta

Et s’éveilla à des vérités autrefois inexprimables,                                                          430

Et des formes apparurent, muettement significatives,

Une pensée qui voit, une voix révélatrice d’elle-même.

Il connut la source d’où venait son esprit :

Le mouvement était marié à l’Immensité immobile;

Il plongea ses racines au creux de l’Infini,                                                                       435

Il édifia sa vie sur l’éternité.

Peu longtemps au début, ces états plus célestes,

Ces grandes élévations sur une large base pouvaient durer.

La tension haute et lumineuse s’interrompt trop tôt,

L’immobilité de pierre du corps et la transe profonde de la vie,                                  440

La puissance et le calme au souffle figé du mental silencieux;

Ou bien ils s’évanouissent lentement comme décline un jour doré.

Les membres inférieurs agités se lassent de la paix;

Une nostalgie pour des travaux et des joies au petit air ancien,

Un besoin de rappeler des moi familiers mineurs,                                                         445

De suivre le chemin coutumier et inférieur,


Le besoin de se reposer dans l’attitude naturelle de la chute,

Ainsi qu’un enfant qui apprend à marcher ne peut marcher longtemps,

Remplacent la volonté de titan toujours de grimper,

Obscurcissent le feu sacré sur l’autel du cœur.                                                               450

Une vieille attraction de cordes subconscientes reprend;

Elle tire loin des hauteurs l’esprit malgré lui

Ou une lourde gravitation nous entraine vers le bas,

Vers l’aveugle inertie déterminée de notre base.

Cela aussi le suprême Diplomate peut l’utiliser,                                                             455

Il fait de notre chute un moyen pour une élévation plus grande.

Car dans le domaine venteux de la Nature ignorante,

Dans le chaos à demi ordonné de la vie mortelle,

Le Pouvoir sans forme, le Moi de la lumière éternelle

Suivent dans l’ombre de la descente de l’esprit;                                                              460

La dualité jumelle à jamais une

Choisit sa demeure au milieu des tumultes des sens.

Il [le Diplomate] vient inaperçu dans nos parties plus sombres

Et, dissimulé par l’obscurité, fait son travail,

Un invité et un guide subtil et connaissant tout,                                                             465

Jusqu’à ce qu’elles aussi ressentent le besoin et la volonté de changer.

Tout ici doit apprendre à obéir à une loi supérieure,

Les cellules de notre corps doivent contenir la flamme de l’Immortel.

Sinon l’esprit seul atteindrait sa source,

Laissant à son destin douteux un monde à demi sauvé.                                                470

La Nature peinerait à jamais sans être rachetée;

Notre terre tournerait sans aide à jamais dans l’Espace,

Et le dessein de cette immense création échouerait

Jusqu’à ce que l’univers frustré sombre à la fin, inaccompli.

Même sa force divine pour s’élever devait faillir :                                                          475
Sa conscience supérieure se retirait derrière;

Sombre et éclipsé, son extérieur humain s’efforçait

De sentir de nouveau les sublimités anciennes,

D’amener le haut contact salvateur, la flamme éthérée,

De rappeler vers son besoin extrême la Force divine.                                                    480

Toujours le pouvoir se déversait à nouveau comme une pluie soudaine

Ou lentement dans sa poitrine une présence grandissait;

Elle [sa force] regrimpait vers une hauteur souvenue quelconque

Ou s’élevait en flèche au-dessus du sommet d’où elle était tombée.

Chaque fois qu’il montait, c’était une assise plus large,                                                  485

Une demeure sur un plan plus élevé de l’esprit;

La Lumière restait en lui pour un intervalle plus long.

Dans cette oscillation entre la terre et le ciel,

Dans cette ascension de la communion ineffable

Grandissait en lui, comme le fait une lune croissante,                                                   490

La gloire du nombre entier de son âme.

Une union du Réel avec l’unique,

Un regard du Seul depuis chaque visage,

La présence de l’Éternel au sein des heures,

Élargissant la vision à demi du mental humain sur les choses,                                    495

Jetant un pont sur l’abime entre la force de l’homme et le Destin,

Rendit entier l’être fragmentaire ici que nous sommes.

Enfin, un équilibre spirituel stable était gagné,

Une constante habitation dans le royaume de l’Éternel,

Une sécurité dans le Silence et le Rayon,                                                                           500

Une colonie fondée dans l’Immuable.

Les sommets de son être vivaient dans le Moi immobile;

Son mental pouvait reposer sur un terrain céleste

Et regarder en bas vers la magie et le spectacle


Où le Dieu-enfant est couché sur les genoux de la Nuit et de l’Aube                            505

Et l’Éternel revêt le déguisement du Temps.

Aux paisibles sommets et aux profondeurs troublées

Son esprit égal donnait son vaste assentiment :

Une sérénité stable de force tranquille,

Un large regard inébranlable sur l’agitation du Temps                                                  510

Accueillaient toute expérience avec une paix inchangée.

Indifférent à la tristesse et à la joie,

Non séduit par le prodige et par l’appel,

Il regardait immobile le changement constant des choses,

Calme et à l’écart supportait tout ce qui est :                                                                    515

L’immobilité de son esprit assistait le monde en labeur.

Inspirée par le silence et la vision des yeux clos,

Sa force pouvait travailler avec un nouvel art lumineux

Sur la matière brute dont tout est fait

Et le refus par la masse de l’Inertie                                                                                    520

Et le front gris de l’Ignorance du monde

Et la Matière non consciente et l’énorme erreur de la vie.

Comme un sculpteur cisèle une divinité dans la pierre,

Il fit lentement éclater par fragments l’enveloppe sombre,

Ligne de défense de l’ignorance de la Nature,                                                                 525

L’illusion et le mystère de l’Inconscient

Dans le drap noir duquel l’Éternel se recouvre la tête

Afin d’agir inconnu dans le Temps cosmique.

Une splendeur de création de soi depuis les sommets,

Une transfiguration dans les profondeurs mystiques,                                                   530

Un fonctionnement cosmique plus heureux pouvait commencer

Et façonner en lui à nouveau la forme du monde,

Dieu trouvé dans la Nature, la Nature accomplie en Dieu.


Déjà en lui se voyait cette tâche du Pouvoir :

La vie s’était établie sur les hauts plateaux du moi;                                                       535

Son âme, son mental, son cœur devinrent un unique soleil;

Seulement les régions inférieures de la vie demeuraient sombres.

Mais là aussi, dans l’ombre incertaine de la vie,

Il y avait un travail et un souffle ardent;

La puissance céleste ambigüe coiffée d’un voile œuvrait,                                            540

Surveillée par l’immobile paix du Témoin intérieur.

Même sur la Nature en conflit laissée en dessous

Des périodes intenses d’illumination venaient :

Des éclairs de gloire après gloire brulaient,

L’expérience était un conte d’éclat et de feu,                                                                   545

L’air ondulait autour des galions des Dieux,

D’étranges richesses faisaient voile vers lui, venant de l’Invisible;

Des splendeurs de vision intuitive comblaient le vide de la pensée,

La Connaissance parlait aux immobilités inconscientes,

Des fleuves se déversaient, de félicité et de force lumineuse,                                       550

Des visites de la beauté, des rafales d’une tempête de délice

Pleuvaient du Mystère tout-puissant au-dessus.

De là descendirent les aigles de l’Omniscience.

Un voile opaque était déchiré, entendu un fort chuchotement;

Répété dans l’intimité de son âme,                                                                                      555

Un cri de sagesse lancé de transcendances ravies

Chantait sur les montagnes d’un monde invisible;

Les voix qu’une écoute intérieure entend

Lui transmirent leurs paroles de prophète,

Et des explosions enrobées de feu du Verbe immortel                                                   560

Et des éclairs d’une Lumière révélatrice occulte

L’approchèrent depuis le Secret inaccessible.


Une Connaissance inspirée siégeait sur un trône au-dedans,

Dont les secondes illuminaient plus que les années de la raison :

Une intensité de lustre révélateur tomba                                                                         565

À la façon d’un accent indicateur sur la Vérité,

Et, telle une fusée éclairante montrant tout le terrain,

Brillait un discernement intuitif alerte.

Un seul coup d’œil pouvait distinguer le vrai du faux,

Ou lever le feu rapide de son flambeau dans la noirceur                                             570

Pour contrôler les prétendants qui passaient en foule par les portails du mental,

Couverts par les signatures forgées des dieux,

Détecter la mariée magique sous son déguisement

Ou scruter le visage apparent de la pensée et de la vie.

Maintes fois l’inspiration avec ses pieds tels des éclairs,                                        575

Une messagère soudaine venue des sommets qui voient tout,

Traversait les couloirs sans bruit de son mental,

Apportant son sens rythmique de choses cachées.

Une musique se fit entendre, transcendant le langage humain.

Ainsi que d’une fiole d’or de la « Toute-Félicité »,                                                           580

Une joie de lumière, une joie de vision soudaine,

Un ravissement du Verbe immortel vibrant d’émoi

Se déversèrent dans son cœur comme dans une coupe vide,

Une répétition du délice premier de Dieu

Créant dans un Temps jeune et vierge.                                                                             585

Saisie dans un bref moment, un petit espace,

La « Toute-Connaissance », entassée dans de grandes pensées sans mot,

Logea dans l’immobilité de ses profondeurs en attente

Un cristal de l’ultime Absolu,

Une portion de la Vérité indicible                                                                                      590


Révélée par le silence à l’âme silencieuse.

La créatrice intense œuvrait dans son immobilité;

Son pouvoir rendu muet devint plus intime;

Elle envisageait le visible et l’imprévu,

D’insoupçonnés domaines elle fit son champ naturel.                                                    595

La « Toute-vision » se rassembla en un rayon unique,

Comme lorsque les yeux fixent un point invisible

Jusqu’à ce que, à travers l’intensité d’un seul endroit lumineux,

Une apocalypse d’un monde d’images

Entre dans le royaume du voyant.                                                                                      600

Un grand bras nu de splendeur brusquement se leva;

Il déchira la gaze opaque de la Nescience :

Le bout tranchant impensable de son doigt levé

Mit à nu avec un coup de poignard de flamme l’Au-delà fermé.

Un œil éveillé en des hauteurs sans voix de la transe,                                                    605

Un mental tirant à soi l’inimaginable,

D’un seul et périlleux bond sautant par-dessus

Le haut mur noir cachant la supraconscience,

Elle fit irruption avec un langage inspiré telle une faux

Et pilla la vaste propriété de l’Inconnaissable.                                                                 610

Une glaneuse d’infimes grains de Vérité,

Une lieuse de gerbes d’une expérience infinie,

Elle perça les mystères gardés de la Force-du-Monde

Et ses magiques procédés enveloppés dans un millier de voiles;

Ou elle recueillit les secrets disparus échappés par le Temps                                       615

Dans la poussière et les crevasses de sa route montante

Parmi de vieux rêves délaissés du Mental hâtif

Et des vestiges ensevelis d’un espace oublié.

Un voyageur entre le sommet et l’abime,


Elle rejoignait les extrémités distantes, les profondeurs invisibles                             620

Et se dépêchait le long des routes du Ciel et de l’Enfer,

Poursuivant toute connaissance comme un chien de meute en chasse.

Un reporter et un scribe de propos cachés de sagesse,

Ses minutes brillantes de langage céleste,

Passées à travers le bureau déguisé du mental occulte,                                                 625

En transmettant donnaient au prophète et au voyant

Le corps inspiré de la Vérité mystique.

Un greffier de l’enquête des dieux,

Porte-parole des visions silencieuses du Suprême,

Elle apportait des paroles immortelles à des hommes mortels.                                    630

Au-dessus de la brillante courbe élancée de la raison,

Dégagés comme de l’air radieux estompant une lune,

De larges espaces d’une vision sans ligne

Ni limite baignaient dans le champ visuel de son esprit.

Des océans d’être croisaient son âme navigatrice,                                                          635

Qui appelaient à une découverte infinie;

Des domaines intemporels de joie et d’absolu pouvoir

S’étendaient environnés par le silence éternel;

Les voies qui conduisent à un bonheur sans fin

Sillonnaient, tels des sourires de rêve à travers des immensités méditatives :          640

Révélées, se dressaient dans un éclat doré du moment

De blanches steppes sous le soleil dans l’Infini sans chemin.

Le long d’une courbe dénudée dans le Moi sans bornes,

Les points qui circulent à travers le cœur fermé des choses

Esquissaient la ligne indéterminable                                                                                 645

Qui emporte l’Éternel à travers les ans.

L’ordre magicien du Mental cosmique,

Contraignant la liberté de l’infinité


Par l’arrangement strict des faits symboliques de la Nature

Et les signaux évènementiels incessants de la vie,                                                          650

Transmuait des répétitions fortuites en des lois,

Un chaos de signes en un univers.

Hors des riches prodiges et des volutes complexes

De la danse de l’esprit avec la Matière comme son masque,

L’équilibre du plan du monde devint clair,                                                                       655

Sa symétrie d’effets qui s’arrangent d’eux-mêmes,

Réglée dans les profondes perspectives de l’âme,

Et le réalisme de son art illusoire,

Sa logique d’intelligence infinie,

Sa magie d’une éternité qui change.                                                                                   660

Un coup d’œil était saisi de choses à jamais inconnues :

Se détachaient les lettres du Mot immobile :

Dans l’Origine immuable sans nom

Était vue, émergeant comme d’océans insondables,

La trainée des Idées qui ont fait le monde,                                                                       665

Ainsi que, semée dans la terre noire de la transe de la Nature,

La semence du désir aveugle et énorme de l’Esprit

À partir de laquelle l’arbre du cosmos fut conçu

Et étendit ses bras magiques à travers un rêve d’espace.

D’immenses réalités prirent forme :                                                                                  670

Là regardait depuis l’ombre de l’Inconnu

L’Innommé sans corps qui a vu naitre Dieu

Et tente de gagner à travers le mental et l’âme des mortels

Un corps immortel et un nom divin.

Les lèvres immobiles, les grandes ailes surréalistes,                                                      675

Le visage masqué par le Sommeil supraconscient,

Les yeux avec leurs paupières closes qui voient toutes choses
Apparurent, de l’Architecte qui construit en transe.

Le Désir originel né dans le Vide

Regarda; il vit l’espoir qui ne dort jamais,                                                                       680

Les pieds qui courent derrière un destin fugitif,

Le sens ineffable du rêve sans fin.

À peine un moment entrevu, invisible au Mental,

Comme un flambeau tenu par un pouvoir de Dieu,

Le monde radieux de l’éternelle Vérité                                                                             685

Luisait faiblement comme une étoile pâle sur le contour de la nuit

Au-dessus du faite miroitant du « Surmental » doré.

Étaient même perçus comme à travers un voile astucieux

Le sourire de l’amour qui sanctionne le long jeu,

La calme indulgence et les seins maternels                                                                      690

De la Sagesse allaitant le rire d’enfant du Hasard,

Le Silence qui veille sur le pouvoir du Tout-puissant,

Le calme muet omniscient, matrice du Verbe immortel,

Et de l’Intemporel le visage immobile qui médite,

Et l’œil créateur de l’Éternité.                                                                                              695

La déesse inspiratrice entra dans la poitrine d’un mortel,

Y établit son étude de pensée divinatoire

Et son sanctuaire de langage prophétique

Et se tenait sur le siège tripode du mental :

Tout était élargi au-dessus, tout en dessous éclairé.                                                       700

Au cœur de l’obscurité, elle creusa des puits de lumière,

Aux profondeurs non découvertes imposa une forme,

Prêta un cri vibrant aux immensités non exprimées,

Et, à travers de grandes étendues sans rivage, sans voix, sans étoile,

Apporta vers la terre des fragments de pensée révélatrice                                            705

Taillés dans le silence de l’Ineffable.


Une Voix dans le cœur prononça le Nom informulé,

Un rêve de Pensée qui cherche, errant à travers l’Espace,

Pénétra dans la maison invisible et interdite :

Le trésor fut découvert d’un Jour céleste.                                                                         710

Dans le profond subconscient resplendissait sa lampe joyau;

Soulevée, elle montra les richesses de la Caverne

Où, par les avares commerçants des sens

Inutilisées, gardées sous les pattes de dragon de la Nuit,

Drapées dans des replis d’une obscurité de velours, elles dorment,                           715

Dont la valeur sans prix aurait pu sauver le monde.

Une obscurité portant le matin dans sa poitrine

Cherchait la large lueur éternelle qui revenait,

Attendant la venue d’un rayon plus grand

Et le secours des troupeaux perdus du Soleil.                                                                  720

Dans une splendide extravagance du gaspillage de Dieu,

Échappés négligemment dans l’œuvre prodigue de la création,

Oubliés dans les chantiers du monde insondable

Et volés par les bandits de l’Abime,

Les sicles d’or de l’Éternel reposent,                                                                                   725

Thésaurisés contre le toucher, la vue et le désir de la pensée,

Sous clef dans les antres sans jour du flot ignorant

De peur que les hommes les trouvent et ressemblent même aux Dieux.

Une vision s’éclaira sur les hauteurs invisibles,

Une sagesse illumina, venant des profondeurs sans voix :                                           730

Une interprétation plus profonde amplifia la Vérité,

Un grand renversement de la Nuit et du Jour;

Toutes les valeurs du monde changèrent, haussant le but de la vie;

Une parole plus sage, une pensée plus large se présentèrent,

Que ce que le lent labeur du mental humain peut apporter,                                        735


Un sens secret s’éveilla, qui pouvait percevoir

Partout une Présence et une Grandeur.

L’univers n’était plus alors ce tournoiement insensé,

Porté inerte dans une ronde sur une machine immense;

Il rejeta son front grandiose sans vie,                                                                                740

Un mécanisme plus jamais ni un produit du Hasard,

Mais un mouvement vivant du corps de Dieu.

Un esprit caché dans les forces et dans les formes

Était le spectateur de la scène mobile :

La beauté et le miracle continuel                                                                                        745

Firent entrer une lueur du Non-manifeste :

L’Éternel sans forme se déplaçait en elle,

Cherchant dans les âmes et les choses sa propre image parfaite.

La vie ne gardait plus une apparence terne et dénuée de sens.

Dans la lutte et le bouleversement du monde                                                                  750

Il vit le travail de la naissance d’un dieu.

Une connaissance secrète se déguisait en Ignorance;

Le Destin recouvrait d’une invisible nécessité

Le jeu de hasard d’une Volonté omnipotente.

Une gloire, un ravissement et un charme,                                                                        755

Le Tout-Bienheureux était assis inconnu au-dedans du cœur;

Les souffrances de la terre étaient la rançon de son délice emprisonné.

Une communion heureuse teintait les heures qui passaient;

Les jours étaient des voyageurs sur un chemin fixé par le destin,

Les nuits, des compagnes de son esprit méditatif.                                                           760

Une impulsion céleste stimulait toute sa poitrine;

La démarche pénible du Temps prit l’allure d’une marche splendide;

Le Nain divin se dressa jusqu’à des mondes non conquis,

La terre devint trop étroite pour sa victoire.


Jadis enregistrant seulement le pas lourd                                                                         765

D’un Pouvoir aveugle sur la petitesse humaine,

La vie devint maintenant une approche sure vers Dieu,

L’existence, une divine expérience

Et le cosmos, l’occasion pour l’âme.

Le monde était une conception et une naissance                                                            770

De l’Esprit dans la Matière en des formes vivantes,

Et la Nature portait l’Immortel en son sein

Afin de pouvoir s‘élever à travers lui à la vie éternelle.

Son être reposait dans une paix brillante immobile

Et baignait dans des puits de pure lumière spirituelle;                                                  775

Il errait dans de larges champs d’un moi de sagesse

Éclairés par les rayons d’un soleil éternel.

Même le moi subtil à l’intérieur de son corps

Pouvait soulever les parties terrestres vers des choses plus hautes

Et sentir sur lui le souffle d’un air plus céleste.                                                               780

Déjà il voyageait vers la divinité :

Porté sur des vents ailés de joie rapide,

Soulevé vers une Lumière qu’il ne pouvait pas toujours soutenir,

Il laissa la distance du mental face à la Vérité suprême

Et perdit l’incapacité de la vie pour la félicité.                                                                 785

Tout réprimé maintenant en nous commença à émerger.

Ainsi vint la libération de son âme hors de l’Ignorance,

Le premier changement spirituel de son mental et de son corps.

Une vaste connaissance de Dieu se déversait d’au-dessus,

Une nouvelle connaissance du monde s’élargissait de l’intérieur :                              790

Ses pensées de tous les jours levaient les yeux vers le Vrai et l’Unique,

Ses gestes les plus ordinaires jaillissaient d’une Lumière intérieure.


Éveillé aux lignes que cache la Nature,

En accord avec ses mouvements qui dépassent notre portée,

Il devint un avec un univers secret.                                                                                   795

Son étreinte surprit les sources de ses énergies les plus puissantes;

Il parla avec les Gardiens inconnus des mondes,

Il discerna des formes que nos yeux de mortels ne voient pas.

Ses larges yeux percevaient les corps d’entités invisibles,

Il vit les forces du cosmos à leur travail                                                                            800

Et sentit l’impulsion occulte derrière la volonté de l’homme.

Les secrets du Temps étaient pour lui un livre souvent lu;

Les registres du futur et du passé

Exposaient sur la page éthérée les grandes lignes de leurs extraits.

Un et harmonieux grâce au talent du Créateur,                                                              805

L’humain en lui marchait du même pas que le divin;

Ses actes ne trahissaient pas la flamme intérieure.

Ceci forgea la grandeur de son front devant la terre.

Un génie se déployait dans les cellules de son corps,

Qui connaissait le sens de ses travaux circonscrits par le destin,                                 810

Apparentés à la marche de Pouvoirs inaccomplis

Au-delà de l’arc de la vie dans les immensités de l’esprit.

À l’écart, il vivait dans la solitude de son mental,

Un demi-dieu façonnant les vies des hommes :

L’ambition d’une seule âme fit s’élever la race;                                                               815

Un Pouvoir œuvrait, mais nul ne savait d’où il venait.

Les forces universelles étaient liées aux siennes;

Remplissant la petitesse de la terre avec leurs dimensions sans limites,

Il tira les énergies qui transmuent un âge.

Incommensurables pour le regard commun,                                                                   820

Il fit par de grands rêves un moule pour des choses à venir


Et coula ses actes comme du bronze pour affronter les ans.

Sa marche à travers le Temps devançait l’enjambée humaine.

Solitaires ses jours et splendides comme ceux du soleil.

Fin du Chant troisième

Marqué:
Français,
Savitri,
Sri Aurobindo,
Traduction

Publié par auroreflets

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