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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


texte original pour les lecteurs francophones


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LIVRE II, Chant 6 – Les Royaumes et les divinités


de la grande vie


auroreflets 
Inde, Poésie, Savitri, Spiritualité, Sri Aurobindo 
18 mai 201829 mai
2018 40 Minutes
 

Livre II – Le Livre du Voyageur des mondes

Chant 6 – Les Royaumes et les divinités de la grande vie

Tel celui qui, entre des murs sombres et fuyants,

Vers la lointaine lueur de la bouche d’un tunnel,

Espérant la lumière, marche maintenant d’un pas plus libre

Et sent approcher un souffle d’air plus ample,

Ainsi il s’échappa de cette grise anarchie.                                                                            5

Il arriva dans un monde infructueux,

Une région sans but d’une naissance entravée

Où l’être fuyait le non-être et osait

Vivre mais n’avait pas la force de durer longtemps.

Au-dessus luisait un front pensif de ciel,                                                                            10

Tourmenté, traversé par les ailes d’une brume indécise

S’aventurant avec une voix de vents vagabonds


Et implorant une direction dans le vide,

Telles des âmes aveugles cherchant le moi qu’elles ont perdu

Et errant à travers des mondes peu familiers;                                                                   15

Des ailes d’une vague interrogation rejoignirent la question de l’Espace.

Après le refus se fit jour un espoir équivoque,

Un espoir visant le moi, la forme et la permission de vivre

Et la naissance de cela qui n’avait encore jamais pu être,

Et la joie que donnent le hasard du mental, le choix du cœur,                                       20

La grâce de l’inconnu et les mains d’une surprise imprévue

Et une touche de sur délice dans des choses précaires :

Son voyage parvint dans une étrange étendue incertaine

Où la conscience jouait avec le moi inconscient

Et où la naissance était une tentative ou un épisode.                                                        25

Un charme s’approcha qui ne pouvait garder son enchantement,

Un Pouvoir empressé qui ne pouvait trouver sa voie,

Un Hasard qui choisissait une étrange arithmétique

Mais ne pouvait y contraindre les formes qu’il faisait,

Une multitude qui ne pouvait préserver son total                                                             30

Qui s’élevait à moins de zéro et à plus d’un.

Parvenue à un sens large et indistinct

Qui ne se souciait pas de définir sa portée fuyante,

La Vie peinait dans un air étrange et mythique,

Dénudé de ses doux soleils splendides.                                                                               35

Dans des mondes imaginés, jamais encore devenus vrais,

Une faible lueur qui s’attarde sur le bord de la création,

On errait et rêvait et ne s’arrêtait jamais pour accomplir :

Accomplir aurait détruit cet Espace magique.

Les merveilles d’un nébuleux pays de prodige,                                                                40

Plein d’une beauté étrangement, vainement créée,


Un déferlement de réalités bizarres,

Vagues témoignages d’une Splendeur scellée au-dessus,

Éveillèrent la passion du désir des yeux,

Imposèrent la croyance à une pensée éprise                                                                     45

Et attiraient le cœur mais ne le menaient vers aucun but.

Une magie se répandait comme de scènes mouvantes

Qui gardaient un moment leur délicatesse fugitive

De lignes discrètes peintes par un art abstrait

Dans une rare lumière ténue, avec un léger pinceau de rêve,                                       50

Sur un arrière-plan argenté de l’incertitude.

Une lueur nouveau-née des cieux à l’approche du matin,

Un feu intense conçu mais jamais allumé,

Caressait l’air par des évocations ardentes du jour.

Les parfaits qui convoitaient le charme de l’imperfection,                                             55

Les illuminés pris dans le piège de l’Ignorance,

Des créatures éthérées attirées par l’appât du corps

Vers cette région de promesse, agitant d’invisibles ailes,

Arrivaient, avides de la joie d’une vie définie

Mais trop divines pour fouler un sol créé                                                                          60

Et partager le destin de ce qui est périssable.

Les Enfants de la Lueur non incarnée,

Surgis d’une pensée sans forme dans l’âme

Et pourchassés par un désir impérissable,

Traversaient le champ du regard les poursuivant.                                                           65

Là œuvrait une Volonté qui échouait à défaut de persister :

La vie était une recherche, mais la découverte ne venait jamais.

Là, rien ne satisfaisait mais tout séduisait,

Des choses paraissaient être, qui jamais ne sont tout à fait,

Des images étaient vues, qui ressemblaient à des actes vivants                                    70


Et des symboles cachaient le sens qu’ils prétendaient montrer,

De pâles rêves devenaient réels aux yeux du rêveur.

Là venaient les âmes qui vainement s’efforcent de naitre,

Et des esprits pris au piège pouvaient errer tout au long du temps,

Sans jamais trouver pourtant la vérité par laquelle ils vivent.                                      75

Tous couraient comme des espoirs traquant une chance qui se tapit;

Rien n’était solide, rien ne donnait l’impression d’être complet :

Tout était peu sûr, miraculeux et à moitié vrai.

Cela semblait un royaume de vies qui n’avaient pas de base.

Alors se fit jour un ciel élargi, dans une recherche plus grande,                           80

Un voyage sous les ailes d’une Force qui couve.

D’abord vint le royaume de l’étoile du matin :

Une beauté de crépuscule frémissait sous sa pointe

Et la palpitation devant la promesse d’une Vie plus ample.

Alors lentement s’éleva un soleil grand et incertain                                                        85

Et dans sa lumière elle fit du moi un monde.

Il y avait là un esprit qui cherchait son propre moi profond,

Qui se contentait néanmoins de fragments mis de l’avant

Et de parties de la vie qui représentaient faussement le tout,

Mais qui, une fois rassemblées, pourraient un jour être vraies.                                    90

Pourtant, quelque chose semblait être réalisé enfin.

Un volume croissant de la volonté d’être,

Un texte de vie et un graphique de la force,

Un manuscrit d’actions, un chant de formes conscientes

Chargé de significations fuyant l’emprise de la pensée                                                   95

Et peuplé des tons assourdis du cri rythmique de la vie,

Pouvait s’écrire sur les cœurs des choses vivantes.

Dans un débordement de la puissance de l’Esprit secret,


Dans la réponse, sous forme de délices, de la Vie et de la Matière,

Quelque visage de beauté impérissable pouvait être aperçu                                        100

Qui donnait l’immortalité à la joie d’un moment,

Quelque parole qui pouvait incarner la Vérité la plus haute

Jaillissait d’une tension fortuite de l’âme,

Quelque teinte de l’Absolu pouvait aboutir sur la vie,

Quelque gloire de connaissance et de vision intuitive,                                                  105

Quelque passion du cœur extasié de l’Amour.

Hiérophante du Secret incorporel

Confiné dans une enveloppe spirituelle invisible,

La Volonté, qui pousse les sens au-delà de leur champ d’action

À sentir la lumière et la joie intangibles,                                                                          110

À moitié trouvait son chemin dans la paix de l’Ineffable,

À moitié captait une douceur scellée du désir

Qui se languissait, issue d’une poitrine de Félicité mystérieuse,

À moitié manifestait la Réalité voilée.

Une âme non recouverte par son manteau du mental                                                   115

Pouvait entrevoir le sens vrai d’un monde de formes;

Illuminée par une vision dans la pensée,

Soutenue par la flamme compréhensive du cœur,

Elle pouvait assumer dans l’éther conscient de l’esprit

La divinité d’un univers symbolique.                                                                                120

Ce royaume nous inspire nos plus vastes espoirs;

Ses forces effectuèrent des atterrissages sur notre globe,

Ses signes ont tracé leur modèle dans nos vies :

Il prête à notre destin un mouvement souverain,

Ses vagues errantes provoquent la grande houle de notre vie.                                    125

Tout ce que nous cherchons est là préfiguré

Et tout ce que nous n’avons pas connu ni même cherché,


Qui pourtant un jour doit naitre dans des cœurs humains

Afin que l’Intemporel puisse s’épanouir dans les choses.

Incarnée dans le mystère des jours,                                                                                   130

Éternelle dans un Infini non enclos,

Une possibilité ascendante sans fin

Grimpe haut sur une échelle illimitée de rêve

À jamais dans la transe consciente de l’Être.

Tout sur cette échelle monte vers une fin invisible.                                                       135

Une Énergie d’impermanence perpétuelle fait

Le voyage dont nul retour n’est sûr,

Le pèlerinage de la Nature vers l’Inconnu.

Comme si, dans son ascension vers son origine perdue,

Elle espérait dérouler tout ce qui pourrait être un jour,                                               140

Son noble défilé va d’étape en étape,

Un saut progressant d’une vision à une vision plus grande,

Une marche procédant d’une forme à une forme plus ample,

Une caravane des inépuisables

Formations d’une Pensée et d’une Force sans limites.                                                   145

Son Pouvoir intemporel qui autrefois reposait dans le giron

D’un Calme sans début et sans fin,

Maintenant séparé de la félicité immortelle de l’Esprit,

Érige le type de toutes les joies qu’elle a perdues;

Contraignant la substance éphémère à prendre forme,                                                150

Elle espère par la libération de l’acte créateur

Franchir d’un bond parfois le gouffre qu’elle ne peut remplir,

Apaiser quelque temps la blessure de la séparation,

S’évader de la prison de petitesse du moment

Et rencontrer les vastes sublimités de l’Éternel                                                               155

Dans le champ temporel incertain alloué ici.


Presque rejoint-elle ce qui jamais ne peut être atteint;

Elle enferme l’éternité dans une heure

Et emplit une petite âme par l’Infini;

L’Immobile penche vers la magie de son appel;                                                              160

Elle se tient sur un rivage dans l’Illimitable,

Perçoit l’Habitant sans forme dans toutes les formes

Et sent autour d’elle l’étreinte de l’infinité.

Sa tâche ne connait pas de fin; elle ne sert aucun but

Mais prend peine, poussée par une Volonté sans nom                                                  165

Qui vint de quelque Vastitude inconnaissable sans forme.

Telle est sa tâche secrète et impossible

D’attraper l’infini dans le filet d’une naissance,

De couler l’esprit dans une forme physique,

De prêter la parole et la pensée à l’Ineffable;                                                                  170

Elle est poussée à révéler le toujours Non-manifeste.

Néanmoins par son adresse l’impossible a été fait :

Elle suit son plan irrationnel sublime,

Invente les formules de son art magique

Pour trouver de nouveaux corps pour l’Infini                                                                 175

Et des images de l’Inimaginable;

Elle a attiré par la ruse l’Éternel dans les bras du Temps.

Même à présent elle-même ne connait pas ce qu’elle a fait.

Car tout est façonné sous un masque déroutant :

Une apparence autre que sa vérité cachée                                                                       180

Prend l’aspect d’une astuce d’illusion,

D’une irréalité feinte charriée par le temps,

De la création inachevée d’une âme changeante

Dans un corps qui change avec l’habitant.

Insignifiants ses moyens, infini son travail;                                                                    185


Sur un grand domaine de conscience sans forme,

Par de petits traits limités du mental et des sens,

Elle déroule sans cesse une Vérité sans fin;

Un mystère intemporel s’élabore dans le Temps.

Ses actes ont manqué la grandeur dont elle a rêvé,                                                       190

Son labeur est une passion et une souffrance,

Un ravissement et une angoisse, sa gloire et son fléau;

Et pourtant, elle ne peut choisir, mais poursuit sa tâche;

Son cœur puissant lui interdit d’abandonner.

Aussi longtemps que dure le monde, son échec subsiste,                                             195

Étonnant et déjouant le regard de la Raison,

Une folie et une beauté indicibles,

Une superbe démence de la volonté de vivre,

Une audace, un délire de délice.

Telle est la loi de son être, son unique ressource;                                                           200

Elle assouvit, bien que la satisfaction ne vienne jamais,

Sa volonté affamée de prodiguer partout

Ses fictions du Moi en des images multiples

Et les mille façons d’être d’une seule Réalité.

Elle a créé un monde touché par l’ourlet fuyant de la vérité,                                       205

Coulé un monde dans le rêve de ce qu’il recherche,

L’icône d’une vérité, la forme d’un mystère conscient.

Il [ce monde] ne s’attardait pas comme le mental de la terre qu’elles entravent

À l’intérieur des solides barrières du fait apparent;

Il osait se fier au mental de rêve et à l’âme.                                                                     210

Un chasseur de vérités spirituelles

Encore seulement pensées ou devinées ou présentées par la foi,

Il saisissait par l’imagination et confinait

Dans une cage un oiseau du paradis en peinture.


Cette vie plus grande est amoureuse de l’Invisible;                                                        215

Elle appelle quelque Lumière parmi les plus hautes au-delà de sa portée,

Elle peut sentir le Silence qui affranchit l’âme;

Elle sent un toucher salvateur, un rayon divin :

Beauté, bien, vérité, voilà ses divinités.

Elle est près de cieux plus célestes que n’en voient les yeux de la terre,                    220

D’une noirceur plus terrible que ne le peut supporter la vie de l’homme :

Elle est apparentée au démon et au dieu.

Un étrange enthousiasme a fait vibrer son cœur;

Elle convoite les hauteurs, ce qui est suprême la passionne.

Elle poursuit le mot parfait, la forme parfaite,                                                                225

Elle s’élance vers la pensée la plus haute, la lumière la plus intense.

Car, par la forme, l’Être sans forme est amené tout près

Et toute perfection est la frange de l’Absolu.

Enfant du ciel qui n’a jamais vu son foyer,

Son élan rencontre l’éternel en un point :                                                                       230

Elle peut seulement approcher et toucher, elle ne peut retenir;

Elle peut seulement tendre fortement vers quelque brillant extrême :

Sa grandeur est de chercher et de créer.

Sur chaque plan, cette Grandeur doit créer.

Sur terre, dans le ciel, en enfer elle est la même;                                                           235

Dans chaque destin elle remplit son puissant rôle.

Gardienne du feu qui enflamme les soleils,

Elle triomphe en sa gloire et sa puissance :

Malgré l’opposition, opprimée, elle porte l’intense désir que Dieu a de naitre :

L’esprit subsiste sur le sol du non-être,                                                                            240

La force cosmique survit au choc de la désillusion cosmique :

Muette, elle est encore le Mot, inerte, le Pouvoir.

Ici déchue, une esclave de la mort et de l’ignorance,


Elle est poussée vers l’aspiration à ce qui est immortel

Et incitée à connaitre même l’Inconnaissable.                                                                245

Même nescient, nul, son sommeil crée un monde.

Lorsqu’elle est le moins visible, alors œuvre-t-elle avec le plus de puissance;

Logée dans l’atome, enfouie dans la motte de terre,

Sa rapide passion créatrice ne peut cesser.

L’inconscience est sa longue pause gigantesque,                                                            250

Son évanouissement cosmique est une phase prodigieuse :

Née dans le temps, elle cache son immortalité;

Dans la mort, son lit, elle attend l’heure de se lever.

Même quand est refusée la Lumière qui l’a engendrée

Et que l’espoir est mort, dont elle avait besoin pour sa tâche,                                     255

Même quand ses étoiles les plus brillantes sont éteintes dans la Nuit,

Nourrie par les épreuves et la calamité

Et ayant la douleur comme servante, masseuse et garde-malade de son corps,

Son esprit invisible torturé continue néanmoins

De peiner bien que dans l’ombre, de créer malgré l’extrême souffrance;                 260

Sur sa poitrine elle porte Dieu crucifié.

Dans les glaciales profondeurs insensibles où il n’y a nulle joie,

Enfermée, opprimée par le Vide qui résiste,

Où rien ne bouge et rien ne peut devenir,

Encore elle se rappelle, encore invoque l’habileté                                                         265

Que l’ouvrier du Prodige lui donna à sa naissance,

Elle confère une apparence à ce qui, somnolent, est sans forme,

Révèle un monde là où il n’y avait rien avant.

En des royaumes confinés dans un cercle courbé de mort,

Dans une sombre éternité de l’Ignorance,                                                                       270

Frémissement dans une masse inerte inconsciente,

Ou emprisonnée dans des spirales immobilisées de Force,


Rendue sourde et muette par l’aveugle contrainte de la Matière,

Elle refuse de dormir sans bouger dans la poussière.

Alors, en punition de son état rebelle de veille                                                               275

Ne recevant que la dure Circonstance mécanique

Comme machinerie de son savoir-faire magique,

Elle façonne de divines merveilles en les tirant de la boue;

Dans le protoplasme elle insère sa muette pulsion immortelle,

Aide le tissu vivant à penser, les sens enfermés à sentir,                                             280

Envoie par éclairs de poignants messages à travers les frêles nerfs,

Dans un cœur de chair aime par miracle,

À des corps grossiers donne une âme, une volonté, une voix.

Sans cesse elle requiert de venir comme par une baguette de sorcier

Des êtres, des formes et des scènes innombrables,                                                         285

Porte-flambeaux de son faste à travers le Temps et l’Espace.

Ce monde est son long voyage à travers la nuit,

Les soleils et les planètes, les lampes pour éclairer sa route,

Notre raison est la confidente de ses pensées,

Nos sens sont ses vibrants témoins.                                                                                   290

Là, tirant ses signes de choses à demi vraies, à demi fausses,

Elle travaille à remplacer par des rêves réalisés

La mémoire de son éternité perdue.

Tels sont ses hauts faits dans cette énorme ignorance cosmique :

Avant que le voile ne soit levé, avant que la nuit ne soit morte,                                   295

Dans la lumière ou l’obscurité, elle poursuit sa recherche inlassable;

Le Temps est sa route de pèlerinage sans fin.

Une unique passion puissante motive tous ses travaux.

Son Amant éternel est la cause de son action;

Pour lui elle s’est élancée des Vastitudes invisibles                                                        300

Afin de venir vivre ici dans un monde d’inconscience totale.


Les actes de ce monde composent son commerce entre elle et son Invité caché,

Elle prend ses états d’être comme les moules passionnés de son cœur;

Dans la beauté elle garde précieusement le soleil de son sourire.

Honteuse de sa riche pauvreté cosmique,                                                                        305

Elle cajole sa puissance avec ses menus cadeaux,

Retient par ses scènes la fidélité de son regard

Et courtise ses pensées vagabondes aux grands yeux pour qu’elles demeurent

Dans des formes que prend sa Force aux millions d’impulsions.

Seulement d’attirer son compagnon voilé                                                                        310

Et le garder contre sa poitrine dans son manteau du monde

De peur que quittant ses bras il se tourne vers sa paix sans forme

Est l’affaire de son cœur et sa préoccupation tenace.

Pourtant, quand il est le plus près, elle le sent éloigné.

Car la contradiction est la loi de sa nature.                                                                      315

Bien qu’elle soit toujours en lui et lui en elle,

Comme n’ayant pas conscience du lien éternel,

Sa volonté est d’enfermer Dieu dans ses œuvres

Et de le garder comme son prisonnier chéri

Afin qu’ils ne puissent jamais se séparer à nouveau dans le Temps.                          320

Une chambre somptueuse du sommeil de l’esprit

C’est ce qu’elle construisit d’abord, une pièce intérieure profonde,

Où il est endormi, paisible comme un invité oublié.

Mais voilà qu’elle en vient à rompre le charme causant l’oubli,

Réveille le dormeur sur la couche sculptée;                                                                     325

Elle découvre à nouveau la Présence dans la forme

Et, dans la lumière qui s’éveille avec lui, elle retrouve

Un sens dans l’empressement et la marche pénible du Temps,

Et, à travers ce mental qui auparavant obscurcissait l’âme,

Passe un trait de lumière de l’invisible divinité.                                                             330


À travers un rêve lumineux d’espace de l’esprit

Elle construit une création tel un pont en arc-en-ciel

Entre le Silence originel et le Vide.

Un filet se tisse, de l’univers mobile;

Elle trame un piège pour l’Infini conscient.                                                                     335

Une connaissance l’accompagne, qui dissimule ses pas

Et semble une Ignorance muette omnipotente.

Une puissance lui appartient, qui rend véritables des merveilles;

L’incroyable est sa substance de l’évènement commun.

Ses buts, ses mécanismes s’avèrent des énigmes;                                                          340

À l’examen, ils deviennent autres que ce qu’ils étaient,

Expliqués, ils semblent encore plus inexplicables.

Même dans notre monde a régné un mystère

Que cache l’astucieux écran terrestre de platitude triviale;

Ses niveaux plus larges sont faits de sorcelleries.                                                           345

Là, l’énigme rend visible son prisme splendide,

Il n’y a pas de déguisement opaque par la banalité;

Occulte, profonde, intervient toute expérience,

La merveille est toujours nouvelle, le miracle, divin.

Il y a un contenu voilé, un toucher mystérieux,                                                              350

Il y a un secret de sens caché.

Même si aucun masque de terre ne pèse sur son visage,

En elle-même elle s’enfuit de sa propre vue.

Toutes les formes sont des témoignages de quelque idée voilée

Dont le but secret se tapit, dérobé à la poursuite du mental,                                       355

Et pourtant est une matrice de conséquence souveraine.

Là, chaque pensée et sensation est un acte,

Et chacun de ces actes, un symbole et un signe,

Et chaque symbole cache un pouvoir vivant.


Elle construit un univers à partir de vérités et de mythes,                                           360

Mais elle ne peut construire ce dont elle a le plus besoin;

Tout ce qui apparait est une image ou un exemplaire de la Vérité,

Mais le Réel lui dissimule son visage mystique.

Elle trouve tout le reste, l’éternité lui échappe;

Tout est cherché de fond en comble, mais il manque l’Infini.                                      365

Une conscience éclairée par une Vérité au-dessus

Était ressentie; elle voyait la lumière mais non la Vérité :

Elle saisissait l’Idée et en construisait un monde;

Elle y fabriquait une Image et l’appelait Dieu.

Pourtant, quelque chose de vrai et d’intérieur y trouvait refuge.                               370

Les êtres de ce monde d’une vie plus grande,

Occupants d’un air plus ample et d’un espace plus libre,

Ne vivent pas par le corps ni dans les choses extérieures :

Une existence plus profonde était l’assise de leur moi.

Dans cet intense domaine d’intimité                                                                                375

Les objets résident en compagnons de l’âme;

Les actions du corps sont une transcription secondaire,

L’expression en surface d’une vie intérieure.

Toutes les forces composent le cortège de la Vie dans ce monde

Et la pensée et le corps s’y activent comme ses servantes.                                            380

Les immensités universelles lui dégagent un espace :

Tous sentent le mouvement cosmique dans leurs actes

Et sont les instruments de sa puissance cosmique.

Ou de leur propre moi ils font leur univers.

Chez tous ceux qui se sont élevés à une Vie plus grande,                                              385

Une voix de ce qui n’est pas né murmure à l’oreille,

À leurs yeux visités par quelque sublime lumière solaire


L’aspiration montre l’image d’une couronne :

C’est pour mener à terme une semence qu’elle a jetée au-dedans,

Pour l’accomplissement de son pouvoir en elles, que vivent ses créatures.             390

Chacun est une grandeur en croissance vers les sommets

Ou, à partir de son centre intérieur, déborde au-dehors tel un océan;

Par des ondulations circulaires de pouvoir concentrique

Ils avalent à s’en gaver leur environnement.

Même de cette largeur plusieurs se font une cabine;                                                    395

Parqués dans des ampleurs plus restreintes et des horizons plus étroits,

Ils vivent satisfaits de quelque menue grandeur acquise.

Gouverner le petit empire d’eux-mêmes,

Être un personnage dans leur monde privé

Et s’associer aux joies et aux chagrins du milieu                                                            400

Et satisfaire leurs motivations de vivre et leurs besoins vitaux

Est une charge et une fonction suffisantes pour cette force,

Un intendant de la Personne et de son destin.

C’était là une ligne de transition et un point de départ,

Une première immigration dans la condition céleste,                                                   405

Pour tous ceux qui passent dans cette sphère brillante :

Ces êtres sont apparentés à notre race terrestre;

Cette région est limitrophe de notre état mortel.

Ce monde plus vaste donne nos mouvements plus grands,

Ses puissantes formations construisent nos moi en progrès;                                       410

Ses créatures sont nos répliques plus brillantes,

Complètent les types que nous ne faisons qu’amorcer

Et sont de façon assurée ce que nous essayons d’être.

Tels des personnages éternels élaborés par la pensée,

Entières, non tiraillées comme nous par des courants contraires,                              415

Elles suivent le dirigeant invisible dans le cœur,


Leur vie obéit à la loi de la nature intérieure.

Là est gardée la provision de grandeur, le moule du héros;

L’âme est le bâtisseur vigilant de son destin;

Aucun de ces êtres n’est un esprit indifférent et inerte;                                                420

Ils choisissent leur camp, ils voient le dieu qu’ils adorent.

Une bataille est engagée entre le vrai et le faux,

Un pèlerinage se met en branle vers la Lumière divine.

Là, en effet, même l’Ignorance aspire à savoir

Et brille de l’éclat d’une étoile lointaine;                                                                           425

Il y a une connaissance dans le cœur du sommeil

Et la Nature vient à eux comme une force consciente.

Un idéal est leur guide et leur roi :

Aspirants à la monarchie du soleil,

Ils font appel à la Vérité pour leur gouvernement supérieur,                                      430

La maintiennent incarnée dans leurs actes quotidiens,

Remplissent leurs pensées par sa voix inspirée

Et façonnent leur vie en adoptant sa forme vivante,

Jusqu’à ce qu’ils prennent part eux aussi à sa divinité de soleil d’or.

Ou bien ils souscrivent à la vérité de l’Obscurité;                                                          435

Que ce soit pour le Ciel ou l’Enfer, ils doivent faire la guerre :

Guerriers du Bien, ils servent une cause resplendissante

Ou sont les soldats du Mal à la solde du Péché.

Car le mal et le bien gardent un droit d’occupation égal

En tous lieux où la Connaissance est jumelle de l’Ignorance.                                      440

Tous les pouvoirs de la Vie tendent vers leur divinité

Dans l’ampleur et l’audace de cet air,

Chacun construit son temple et répand son culte,

Et le Péché aussi est là une divinité.

Affirmant la beauté et la splendeur de sa loi,                                                                  445


Elle revendique la vie comme son domaine naturel,

S’attribue le trône du monde ou revêt la robe papale :

Ses adorateurs proclament son droit sacré.

Ils révèrent une Fausseté coiffée d’une tiare rouge,

Ils vénèrent l’ombre d’un Dieu tordu,                                                                               450

Admettent l’Idée noire qui déforme le cerveau

Ou couchent, tel auprès d’une courtisane, avec un Pouvoir qui tue l’âme.

Une vertu qui maitrise donne à la pose une fixité de statue,

Ou une passion de Titan aiguillonne vers une fière agitation :

Devant l’autel de la Sagesse, ils sont des rois et des prêtres                                         455

Ou leur vie un sacrifice à une idole du Pouvoir.

Ou la Beauté reluit sur eux comme une étoile vagabonde;

Trop éloignés pour l’atteindre, ils suivent passionnés sa lumière;

Dans l’Art et dans la vie, ils saisissent le rayon de la « Toute-Beauté »

Et font du monde leur rayonnante enceinte du trésor :                                                460

Même les formes ordinaires sont revêtues de merveille;

Un charme, une grandeur enfermée dans chaque heure

Éveille la joie qui sommeille en toutes choses créées.

Une formidable victoire ou une formidable chute,

Un trône dans le ciel ou une fosse en enfer,                                                                    465

Ils ont justifié l’Énergie duelle

Et marqué leur âme de son terrible sceau :

Quoique le Destin puisse leur faire, ils l’ont mérité;

Ils ont fait quelque chose, ils ont été quelque chose, ils vivent.

Là, la Matière est le résultat de l’âme et non sa cause.                                                  470

Dans un équilibre contraire à la vérité terrestre des choses

Le grossier a moins de poids, le subtil compte davantage;

De valeurs intérieures dépend le plan extérieur.

Ainsi que le mot expressif frémit par la pensée,


Ainsi que l’acte s’émeut de la passion de l’âme,                                                              475

L’apparent schéma perceptible de ce monde

Évoque, vibrant, quelque puissance intérieure.

Un Mental non limité par les sens externes

Donnait des formes aux impondérables de l’esprit,

Enregistrait sans canaux les impacts du monde                                                              480

Et transformait en une sensation concrète du corps

Les mécanismes vivants d’une Force incorporelle;

Des pouvoirs ici subliminaux qui agissent invisibles

Ou qui sont tapis en embuscade, attendant derrière le mur,

Se montraient vers l’avant, dévoilant leur visage.                                                          485

L’occulte devenait là manifeste, l’évident gardait

Une tendance au secret et portait l’inconnu sur ses épaules;

L’invisible était ressenti et bousculait les formes visibles.

Dans la communion de deux « mentals » qui se rencontraient,

La pensée regardait la pensée et n’avait nul besoin de parole;                                     490

L’émotion étreignait l’émotion dans deux cœurs,

Chacun ressentait l’autre vibrer dans la chair et les nerfs

Ou ils se fondaient l’un dans l’autre et devenaient immenses

Comme lorsque deux maisons brulent et que le feu se joint au feu :

La haine agrippait la haine et l’amour s’introduisait par effraction auprès

                                                                                                           de l’amour,     495

La volonté luttait contre la volonté sur le terrain invisible du mental;

Les sensations des autres passant au travers comme des ondes

Laissaient frémissante la structure du corps subtil,

Leur colère se précipitait au galop dans une attaque brutale,

Une charge de sabots piétinant sur un sol ébranlé;                                                       500

On sentait le chagrin d’un autre envahir la poitrine,

La joie d’un autre, exultant, courait à travers le sang :


Les cœurs pouvaient se rejoindre à distance, des voix se rapprocher,

Qui parlaient sur la rive d’océans étrangers.

Là, battait la pulsation d’un échange vivant :                                                                 505

L’être ressentait l’être même lorsqu’au loin

Et la conscience répondait à la conscience.

Et pourtant, l’unité ultime n’était pas là.

Il y avait une séparation de l’âme vis-à-vis de l’âme :

Un mur intérieur de silence pouvait être érigé,                                                              510

Une armure de conscience pouvait protéger et couvrir;

L’être pouvait se tenir enclos et solitaire;

On pouvait rester retranché en soi, seul.

Il n’y avait pas encore l’identité ni la paix de l’union.

Tout demeurait imparfait, à demi connu, à demi accompli :                                        515

Le miracle de l’Inconscience dépassé,

Le miracle du Supraconscient immobile,

Inconnu, plongé en lui-même, non ressenti, inconnaissable,

Les regardait d’en haut, origine de tout ce qu’ils étaient.

Ils venaient comme formes de l’Infini sans forme,                                                         520

Vivaient comme noms de l’Éternité sans nom.

Le commencement et la fin étaient là occultes;

Un moyen terme œuvrait, inexpliqué, abrupt :

Ils étaient des mots qui s’adressaient à une vaste Vérité sans mot,

Ils étaient des chiffres accumulant une somme inachevée,                                           525

Personne ne se connaissait vraiment soi-même ni ne connaissait le monde

Ni la Réalité qui vivait là enchâssée :

Ils connaissaient seulement ce que le Mental pouvait prendre et construire

En puisant dans l’immense réserve du Supramental secret.

Situés entre une obscurité en dessous, un Vide brillant au-dessus,                             530

Incertains, ils vivaient dans un grand Espace ascendant;


Par des mystères ils expliquaient un Mystère,

Une réponse énigmatique se confrontait à l’énigme des choses.

Comme il [le roi] avançait dans cet éther de vie ambigüe,

Lui-même devint bientôt une énigme pour lui-même;                                                   535

Il voyait tout comme des symboles et cherchait leur sens.

Franchissant les sources jaillissantes de la mort et de la naissance

Et enjambant les frontières mouvantes du changement de l’âme,

Chasseur sur la piste créative de l’esprit,

Il suivait les traces fines et puissantes de la vie                                                              540

À la poursuite de son formidable délice secret

Dans une périlleuse aventure sans fin.

Aucun but d’abord n’apparut dans ces amples foulées :

Il vit seulement la vaste origine de toutes choses ici-bas

Qui regardait vers une source plus vaste par-delà.                                                         545

En effet, à mesure qu’elle [la vie] s’éloignait des frontières terrestres,

On ressentait une attraction plus intense venant de l’Inconnu,

Un contexte plus élevé de pensée libératrice

La conduisait vers la merveille et la découverte;

Il arrivait une noble délivrance des soucis mineurs,                                                      550

Une image plus puissante du désir et de l’espoir,

Une formule plus vaste, une scène plus grande.

Sans cesse elle décrivait des cercles vers quelque Lumière tout au loin :

Ses signes encore cachaient plus qu’ils révélaient;

Mais, liés à une vision et une volonté immédiates,                                                         555

Ils perdaient leur portée dans la joie de l’usage,

Jusqu’à ce que, dépouillés de leur signification infinie, ils deviennent

Un code secret reluisant d’un sens irréel.

Armée d’un arc magique et habité,


Elle visait une cible gardée invisible                                                                                 560

Et sans cesse jugée lointaine bien que toujours proche.

Tel celui qui épèle des caractères enluminés,

Le livre clef d’un texte de magie gribouillé,

Il scruta ses subtils dessins bizarres enchevêtrés

Et le difficile théorème voilé de ses indices,                                                                     565

Suivit à la trace dans les sables monstrueux du Temps désert

Les commencements sur un fil continu de ses travaux titanesques,

Observa la charade de son action pour un indice quelconque,

Déchiffra les gestes Nô de ses silhouettes,

Et s’efforça de capter dans leur mouvement chargé de signes                                     570

La danse fantaisiste de ses séquences

S’échappant sous la forme d’un mystère rythmique,

Une lueur de pieds fugitifs sur un sol fuyant.

Dans le processus en labyrinthe de ses pensées et de ses espoirs

Et les chemins isolés de ses désirs intimes,                                                                      575

Dans les recoins complexes encombrés de ses rêves

Et les circuits traversés par une intrigue de parcours sans pertinence,

Un vagabond errant au milieu de scènes fugitives,

Il perdit ses indications et poursuivait chaque vaine conjecture.

Sans cesse il rencontrait des mots clefs, dont il ignorait la clef.                                   580

Un soleil qui éblouissait l’œil de sa propre vision,

Le capuchon brillant d’une énigme lumineuse,

Éclairait la dense barrière pourpre du ciel de la pensée :

Une large transe obscure montrait ses étoiles [de la vie] à la nuit.

Comme assis près de la percée d’une fenêtre ouverte,                                                  585

Il lut par des brillances d’éclairs en une foule d’éclats

Des chapitres de son roman métaphysique

De la recherche par l’âme de la Réalité perdue


Et ses récits imaginaires tirés du fait authentique de l’esprit,

Ses caprices et ses prétentions et ses significations sous clef,                                      590

Ses insaisissables bizarreries impétueuses et ses tournants de mystère.

Les enveloppes magnifiques de son secret

Qui recouvraient son corps désirable en le soustrayant à la vue,

Les étranges formes significatives tissées sur sa robe,

Ses configurations expressives des âmes des choses,                                                     595

Il les vit, ses fausses transparences de la nuance de la pensée,

Ses riches brocarts piqués de fantaisies imagées

Et ses masques changeables et ses broderies de déguisement.

Mille visages déroutants de la Vérité

Le regardaient de ses formes avec des yeux inconnus                                                  600

Et des bouches sans paroles, non reconnaissables,

Parlaient depuis les silhouettes de sa mascarade

Ou dévisageaient à partir de la magnificence abstruse

Et la splendeur subtile de ses draperies.

En de soudaines scintillations de l’Inconnu,                                                                     605

Des sons inexpressifs devinrent véridiques,

Des idées qui semblaient dépourvues de sens faisaient étinceler la vérité;

Des voix venant d’invisibles mondes dans l’attente

Prononçaient les syllabes du Non-manifeste

Pour vêtir le corps du Verbe mystique,                                                                             610

Et des diagrammes de sorcier de la Loi occulte

Scellaient quelque harmonie précise indéchiffrable

Ou utilisaient la teinte et la forme pour reconstituer

Le blason héraldique des choses secrètes du Temps.

Dans ses vertes étendues sauvages et ses profondeurs tapies,                                     615

Dans ses buissons de joie où le danger étreint le délice,

Il entrevit les ailes cachées de ses espoirs tels des oiseaux chanteurs,
Une lueur de bleu et d’or et de feu écarlate.

Dans ses chemins couverts, bordant ses sentiers du hasard à travers champs,

Le long de ses ruisseaux chantants et de ses lacs paisibles,                                          620

Il trouva l’éclat de ses étincelants fruits de félicité

Et la beauté de ses fleurs de rêve et de rêverie.

Tel le miracle d’un cœur transformé par la joie,

Il observa dans le rayonnement alchimique de ses soleils

L’explosion cramoisie d’une unique fleur séculaire                                                       625

Sur l’arbre du sacrifice de l’amour spirituel.

Dans la splendeur somnolente de ses midis, il aperçut,

Une répétition perpétuelle à travers les heures,

La danse de la pensée par des libellules sur le flot du mystère

Qui effleurent mais jamais n’expérimentent la course de son murmure,                 630

Et entendit le rire de ses roses désirs

Courant comme pour échapper à des mains convoitées,

Faisant tinter les douces clochettes de cheville de la fantaisie.

Parmi les vivants symboles de son pouvoir occulte,

Il allait et les sentit telles des formes réelles proches :                                                  635

Dans cette vie plus concrète que la vie des hommes

Palpitaient les battements de cœur de la réalité cachée :

Là était incarné ce que nous ne faisons que penser et sentir,

Bâti par soi ce qui prend ici des formes extérieures empruntées.

Un compagnon du Silence sur ses hauteurs austères,                                                    640

Accepté par sa puissante solitude,

Il se tenait avec elle sur des cimes qui méditent,

Où la vie et l’être sont un sacrement

Offert à la Réalité au-delà,

Et la regarda relâcher dans l’infinité                                                                                 645

Ses aigles de signification encapuchonnés,


Messagers de la Pensée vers l’Inconnaissable.

En s’identifiant dans la vision de l’âme et la perception de l’âme,

Entrant dans ses profondeurs comme dans une maison,

Il devint tout ce qu’elle était ou désirait vivement être,                                                 650

Il pensa avec ses pensées et chemina avec ses pas,

Vécut avec son souffle et scruta tout avec ses yeux

Afin de pouvoir ainsi apprendre le secret de son âme.

Un témoin subjugué par la scène devant lui,

Il admirait sa façade splendide de faste et de jeu                                                            655

Et les merveilles de son riche et délicat savoir-faire

Et vibrait devant l’insistance de son cri;

Passionné il subit les sorcelleries de sa puissance,

Sentit posés sur lui sa volonté mystérieuse abrupte,

Ses mains qui pétrissent le destin dans leur poigne violente,                                       660

Son toucher qui actionne, ses pouvoirs qui saisissent et conduisent.

Mais ceci de même il le vit, son âme qui pleurait à l’intérieur,

Ses recherches vaines essayant d’agripper une vérité fuyante,

Ses espoirs dont le regard sombre s’allie au désespoir,

La passion qui possédait ses membres pleins de désirs,                                                665

Le trouble et le ravissement de ses seins vibrant d’émoi,

Son mental qui peine insatisfait de ses fruits,

Son cœur qui ne capture pas l’unique Bienaimé.

Toujours il rencontrait une Force voilée et en recherche,

Une divinité exilée construisant des cieux factices,                                                        670

Un Sphinx levant les yeux vers un Soleil caché.

Sans cesse il sentait proche un esprit dans ses formes :

Sa présence passive était la force de sa nature;

Ceci seulement est réel dans les choses apparentes,


Même sur terre l’esprit est la clef de la vie,                                                                      675

Mais ses dehors solides nulle part ne portent sa trace.

Sa marque sur ses actes est indiscernable.

Un pathétique des hauteurs perdues, tel est son appel.

Seulement est saisie quelquefois une ligne indistincte

Qui semble un indice d’une réalité voilée.                                                                        680

La vie le fixait avec de vagues silhouettes confuses

Offrant un tableau que les yeux ne pouvaient garder,

Une histoire qui, là, n’était pas encore écrite.

Comme dans un dessin fragmentaire à demi perdu,

Les significations de la vie s’enfuyaient de l’œil à leur poursuite.                               685

Le visage de la vie cache au regard le moi réel de la vie;

Le sens secret de la vie est écrit à l’intérieur, au-dessus.

La pensée qui lui donne un sens vit loin par-delà;

Il n’apparait pas dans son plan à demi complété.

En vain espérons-nous déchiffrer les signes déroutants                                                690

Ou trouver le mot de la charade à demi jouée.

Seulement dans cette vie plus grande, une pensée cryptique

Est trouvée, est suggéré quelque mot interprétatif

Qui fait de ce mythe de la terre un récit intelligible.

Quelque chose apparaissait enfin qui ressemblait à la vérité.                                      695

Dans l’air à demi éclairé d’un mystère hasardeux,

L’œil qui regarde vers la moitié sombre de la vérité

Décela une image parmi une masse animée confuse

Et, scrutant à travers une brume de teintes subtiles,

Il vit un dieu enchainé, à demi aveugle,                                                                           700

Désorienté par le monde dans lequel il se déplaçait,

Néanmoins conscient de quelque lumière qui invitait son âme.

Attiré vers d’étranges miroitements au loin,


Conduit par la flute d’un Joueur éloigné,

Il chercha son chemin parmi le rire et l’appel de la vie                                                  705

Et le chaos d’indications de ses myriades de pas,

Vers quelque profonde infinitude totale.

Tout autour s’attroupait la forêt de ses multiples signes :

Au hasard il déchiffrait par des bonds de flèche de la Pensée,

Qui touchaient la cible par une supposition ou un lumineux hasard,                        710

Ses feux de route changeants et colorés de l’idée

Et ses signaux de l’évènement rapide incertain,

Les hiéroglyphes de ses apparats symboliques

Et ses points de repère dans les sentiers enchevêtrés du Temps.

Dans les dédales de ses approches et de ses replis,                                                        715

Elle l’attire [l’esprit] de tous côtés et le repousse,

Mais, l’ayant attiré trop près, elle échappe à son étreinte;

Elle le conduit par tous les chemins, mais aucun chemin n’est sûr.

Séduit par la merveille de son chant aux tons multiples,

Charmé par la sorcellerie de ses humeurs                                                                       720

Et poussé à la joie et au chagrin par son contact fortuit,

Il se perd lui-même en elle, mais sans la conquérir.

Un paradis fugitif lui sourit, venant de ses yeux :

Il rêve de sa beauté pour toujours faite sienne,

Il rêve de sa maitrise que ses membres subiront,                                                           725

Il rêve de la magie de ses seins de félicité.

Dans son manuscrit enluminé, sa fantaisiste

Traduction du texte pur originel de Dieu,

Il pense lire l’Écriture de Merveille,

Clef hiératique de béatitudes inconnues.                                                                         730

Mais le Message de la Vie est caché dans sa transcription,

Le chant de la Vie a perdu sa note divine.


Invisible, un captif dans une maison du son,

L’esprit perdu dans la splendeur d’un rêve

Écoute l’ode d’une illusion aux mille voix.                                                                       735

Une trame délicate de sorcellerie usurpe le cœur

Ou une magie ardente colore ses tons et ses nuances,

Pourtant, elles n’éveillent que le frisson d’une grâce passagère;

Une marche errante entreprise par le Temps vagabond,

Elles appellent à un bref délice insatisfait                                                                         740

Ou se vautrent dans des ravissements du mental et des sens,

Mais manquent la réponse lumineuse de l’âme.

Une palpitation aveugle du cœur qui atteint la joie à travers les larmes,

Une aspiration vers des cimes à jamais inaccessibles,

Une extase de désir inaccompli                                                                                           745

Suivent à la trace les dernières escalades de sa voix vers le ciel.

Transmués sont les souvenirs de la souffrance passée

En la douce trace fuyante d’une ancienne tristesse :

Ses larmes sont changées en gemmes de douleur adamantine,

Son chagrin, en le couronnement magique d’un chant.                                                 750

Brèves sont ses captures de la félicité,

Qui touchent la surface, puis s’enfuient ou meurent :

Un souvenir perdu fait écho dans ses profondeurs,

Une nostalgie éternelle est sienne, l’appel d’un moi voilé;

Prisonnier dans le monde limitant des mortels,                                                              755

Un esprit blessé par la vie sanglote dans sa poitrine;

Une souffrance chérie est son cri le plus profond.

Vagabonde sur des routes malheureuses désespérées,

Le long des chemins du son, une voix déçue,

Délaissée, implore une félicité oubliée.                                                                            760

Égarée dans les cavernes du Désir vibrantes d’échos,


Elle garde le fantôme des espoirs défunts de l’âme

Et maintient vivante la voix de choses qui ont péri

Ou s’attarde sur des notes douces et errantes,

Pourchassant le plaisir au cœur de la douleur.                                                                765

Une main fatidique a touché les cordes cosmiques

Et l’intrusion d’un accent tourmenté

Couvre la clef cachée de la musique intérieure

Qui guide sans être entendue les cadences de surface.

Pourtant, c’est une joie de vivre et de créer                                                                     770

Et une joie d’aimer et de peiner même si tout échoue,

Et une joie de chercher même si tout ce que nous trouvons déçoit

Et tout ce qui nous sert d’appui trahit notre confiance;

Pourtant, quelque chose dans ses profondeurs valait la douleur,

Un souvenir passionné hante avec le feu de l’extase.                                                     775

Même le chagrin a une joie cachée sous ses racines :

Car rien de ce que l’Un a créé n’est vraiment vain :

Dans nos cœurs vaincus, la force de Dieu survit

Et l’étoile de la victoire encore éclaire notre route désespérée;

Notre mort se transforme en passage vers des mondes nouveaux.                             780

Ceci à la musique de la Vie donne son crescendo de motet.

À tout elle prête l’éclat de sa voix;

Les ravissements du ciel chuchotent à son cœur et passent,

Les vifs désirs éphémères de la Terre crient sur ses lèvres et se dissipent.

Seul échappe à son art l’hymne donné par Dieu,                                                            785

Qui vint avec elle de son foyer spirituel

Mais s’arrêta à mi-chemin et s’éteignit, un mot silencieux

En éveil dans quelque profonde pause des mondes en attente,

Un murmure suspendu dans le calme de l’éternité :

Mais aucun souffle ne vient de la paix éternelle :                                                           790


Un interlude somptueux occupe l’oreille

Et le cœur écoute et l’âme consent;

Il répète une musique évanescente

Gaspillant dans la non-permanence l’éternité du Temps.

Un trémolo des voix des heures                                                                                         795

Voile, oublieux, le thème sublime projeté

Que l’esprit s’incarnant lui-même est venu jouer

Sur le vaste clavicorde de la Force de la Nature.

Seulement un puissant murmure ici et là

Du Mot éternel, de la Voix béatifique                                                                               800

Ou le toucher de la Beauté transfigurant le cœur et les sens,

Une splendeur errante et un cri mystique,

Rappelle la puissance et la douceur plus jamais entendues.

Ici se trouve le fossé, ici arrête ou sombre la force de la vie;

Ce déficit appauvrit le talent du magicien :                                                                      805

Ce manque fait apparaitre tout le reste maigre et dénudé.

Une vision déficiente trace l’horizon de ses actes :

Ses profondeurs se rappellent ce qu’elle est venue faire,

Mais le mental a oublié ou le cœur se méprend :

Dans les lignes sans fin de la Nature, le chemin vers Dieu est perdu.                         810

Dans la connaissance, de résumer l’omniscience,

Dans l’action, d’ériger l’Omnipotent,

De créer son Créateur ici était la prétention de son cœur,

D’envahir la scène cosmique avec la totalité de Dieu.

S’efforçant de transformer l’Absolu encore distant                                                        815

En une épiphanie accomplissant tout,

En une expression de l’Ineffable,

Elle voudrait amener ici la gloire de la force de l’Absolu,


Changer la stabilité en balancement rythmique de la création,

Marier à un ciel de calme une mer de félicité.                                                                 820

Un feu pour appeler l’éternité dans le Temps,

Rendre la joie du corps aussi éclatante que celle de l’âme,

La terre qu’elle voudrait soulever jusqu’au voisinage du ciel,

La vie s’efforce de l’amener à devenir l’égale du Suprême

Et de réconcilier l’Éternel et l’Abime.                                                                               825

Son pragmatisme de la Vérité transcendante

Remplit le silence avec les voix des dieux,

Mais dans la clameur la Voix unique se perd.

Car la vision de la Nature s’élève par-delà ses actes.

Elle voit au-dessus une vie des dieux dans le ciel,                                                          830

Un demi-dieu émergeant d’un singe

Est tout ce qui lui est possible dans notre élément mortel.

Le demi-dieu, le « demi-titan » sont ici son apogée :

Cette vie plus grande oscille entre terre et ciel.

Un paradoxe poignant poursuit ses rêves :                                                                       835

Son énergie encapuchonnée pousse un monde ignorant

À chercher une joie que son étreinte puissante elle-même retarde :

Dans son enlacement il ne peut se tourner vers sa source.

Immense son pouvoir, sans fin le vaste dynamisme de son action,

Égarée et perdue est la signification de ce monde.                                                         840

Bien qu’elle porte dans sa poitrine secrète

La loi et la courbe du parcours de tout ce qui nait,

Sa connaissance semble partielle, son dessein sans envergure;

Sur un sol d’intense désir cheminent ses heures somptueuses.

Une Nescience de plomb alourdit les ailes de la Pensée,                                               845

Son pouvoir accable l’être sous ses revêtements,

Ses actions emprisonnent son regard immortel.


Le sentiment d’une limite hante ses maitrises

Et nulle part n’est assurée la satisfaction ou la paix :

Malgré toute la profondeur et la beauté de son travail                                                 850

Il manque une sagesse qui rend l’esprit libre.

Son visage avait maintenant un charme ancien et fané

Et à ses yeux [du roi] sa science alerte et curieuse perdait son attrait;

Son âme vaste demandait une joie plus profonde que la sienne.

Il cherchait à s’échapper du dédale de ses lignes;                                                           855

Mais aucune porte de corne ou d’ivoire

Il ne trouva, ni poterne de vision spirituelle,

Il n’y avait pas d’issue à cet espace tel un rêve.

Notre être doit avancer éternellement à travers le Temps;

La mort ne nous aide pas, vain est l’espoir de cesser;                                                    860

Une Volonté secrète nous contraint à durer.

Le repos de notre vie est dans l’Infini;

Elle ne peut prendre fin, sa conclusion est la Vie suprême.

La mort est un passage, non le but de notre marche :

Quelque profonde impulsion ancienne est à l’œuvre :                                                   865

Nos âmes sont entrainées comme par une laisse cachée,

Portées de naissance en naissance, d’un monde à un autre;

Nos actes prolongent après la chute du corps

Le vieux voyage perpétuel sans pause.

Aucune cime silencieuse n’est trouvée où le Temps peut se reposer.                         870

C’était un courant magique qui ne rejoignait aucune mer.

Aussi loin qu’il se rendît, où qu’il se dirigeât,

La roue des œuvres filait avec lui et le dépassait;

Toujours une tâche suivante restait à faire.

La pulsation d’une action et le cri d’une recherche                                                        875

Se formaient sans cesse dans ce monde inquiet;


Un murmure affairé emplissait le cœur du Temps.

Tout était mécanisme et agitation continuelle.

Cent manières de vivre étaient tentées en vain :

Une uniformité qui prenait un millier de formes                                                            880

S’efforçait d’échapper à sa longue monotonie

Et créait de nouvelles choses bientôt semblables aux anciennes.

Une curieuse décoration attirait l’œil

Et des valeurs nouvelles fourbissaient les anciens thèmes

Pour tromper le mental par l’idée d’un changement.                                                     885

Un tableau différent qui était pourtant le même

Apparut sur le vague arrière-plan cosmique,

Seulement une autre demeure labyrinthique

De créatures, de leurs actes et de leurs évènements,

Une cité du commerce d’âmes enchainées,                                                                      890

Un marché de la création et de ses marchandises,

Était offert au mental et au cœur qui peinaient.

Un circuit prenant fin là où d’abord il commença

Est qualifié de marche vers l’avant éternelle

Du progrès sur le chemin inconnu de la perfection.                                                       895

Chaque projet final conduit à un plan qui lui fait suite.

Pourtant, chaque nouveau départ semble le dernier,

Un évangile inspiré, l’ultime sommet de la théorie,

Proclamant une panacée pour tous les maux du Temps

Ou portant la pensée dans son ultime vol au zénith                                                       900

Et trompétant la découverte suprême;

Chaque idée brève, une structure périssable,

Publie l’immortalité de son règne,

Sa prétention d’être la forme parfaite des choses,

Le dernier abrégé de la Vérité, le chef-d’œuvre précieux du Temps.                          905


Mais rien d’une valeur infinie n’a été accompli :

Un monde créé sans cesse à nouveau, jamais complet,

Empilait toujours des moitiés d’essais sur des essais infructueux

Et voyait un fragment comme le Tout éternel.

Dans le total cumulatif sans but des choses faites,                                                          910

L’existence semblait l’action d’une vaine nécessité,

Une lutte d’éternels opposés

Dans l’étreinte corps à corps d’un antagonisme enlacé,

Une pièce sans dénouement ni idée,

Une marche affamée de vies sans destination,                                                                915

Ou, inscrits sur un simple tableau noir de l’Espace,

Une somme futile et récurrente d’âmes,

Un espoir qui échoua, une lumière qui ne brilla jamais,

Le labeur d’une Force inaccomplie

Liée à ses actes dans une sombre éternité.                                                                       920

Il n’y a pas de fin et aucune encore n’est visible :

Bien que vaincue, la vie doit poursuivre la lutte;

Toujours elle voit une couronne qu’elle ne peut saisir;

Ses yeux sont fixés au-delà de sa condition déchue.

Là, frémit malgré tout à l’intérieur de sa poitrine et de la nôtre                                 925

Une gloire qui fut jadis et qui n’est plus,

Ou bien nous interpelle de quelque au-delà irréalisé

Une grandeur non encore atteinte par le monde hésitant.

Dans une mémoire derrière nos sens de mortels,

Un rêve persiste d’un air plus ample, plus heureux,                                                      930

Entourant de son souffle de libres cœurs de joie et d’amour,

Oublié par nous, immortel dans le Temps disparu.

Un fantôme de félicité poursuit ses profondeurs hantées;

Car elle se rappelle malgré tout, bien que maintenant si lointain,


Son domaine d’aisance dorée et de désir content                                                           935

Et la beauté, la force, le bonheur qui étaient les siens

Dans la douceur de son paradis rayonnant,

Dans son royaume de l’extase immortelle

À mi-chemin entre le silence de Dieu et l’Abime.

Nous gardons cette connaissance dans nos replis cachés;                                            940

Attentifs à l’appel d’un vague mystère,

Nous rencontrons une invisible Réalité profonde

Bien plus vraie que la façade de vérité présente du monde :

Nous sommes pourchassés par un moi que maintenant nous ne pouvons nous rappeler

Et mus par un Esprit qu’il nous reste à devenir.                                                             945

Tel celui qui a perdu le royaume de son âme,

Nous regardons derrière, vers quelque phase divine de notre naissance

Autre que cette imparfaite créature ici-bas

Et espérons en ce monde ou un autre plus divin

Recouvrer malgré tout de la garde patiente du Ciel                                                       950

Ce que par l’oubli de notre mental nous manquons,

La félicité naturelle de notre être,

Le délice de notre cœur que nous avons échangé contre le chagrin,

Le frisson du corps que nous avons troqué contre la seule douleur,

La béatitude à laquelle aspire notre nature mortelle                                                     955

Comme un obscur papillon de nuit aspire à la Lumière qui flamboie.

Notre vie est une marche vers une victoire jamais acquise.

Cette vague d’être convoitant le délice,

Cette agitation avide de forces insatisfaites,

Ces longues files lointaines d’espoirs tâchant d’avancer                                               960

Lèvent des yeux adorateurs vers le Vide bleu appelé ciel,

Cherchant la Main dorée qui n’est jamais venue,

L’avènement pour lequel toute la création attend,


Le visage magnifique de l’Éternité

Qui apparaitra sur les routes du Temps.                                                                           965

Pourtant, encore nous nous disons, rallumant la foi :

« Oh!, surement un jour il viendra à notre appel,

Un jour, il créera notre vie à nouveau

Et prononcera la formule magique de la paix

Et apportera la perfection à l’arrangement des choses.                                                 970

Un jour, il descendra vers la vie et la terre,

Quittant le secret des portes éternelles,

Pour entrer dans un monde qui l’implore pour son aide,

Et apportera la vérité qui donne la liberté à l’esprit,

La joie qui est le baptême de l’âme,                                                                                    975

La force qui est le bras étendu de l’Amour.

Un jour, il lèvera le voile terrible sur sa beauté,

Imposera le délice au cœur palpitant du monde

Et mettra à nu son corps secret de lumière et de félicité. »

Mais maintenant nous nous efforçons d’atteindre un but inconnu :                           980

Il n’y a pas de fin à la recherche et à la naissance,

Il n’y a pas de fin à la mort et au retour;

La vie qui arrive à son but demande des buts plus grands,

La vie qui échoue et meurt doit vivre à nouveau;

Jusqu’à ce qu’elle se trouve elle-même, elle ne peut cesser.                                          985

Ce pour quoi la vie et la mort furent créées, tout cela doit être fait.

Mais qui dira que même alors il y a le repos?

Ou bien le repos et l’action sont de même nature

Dans le sein profond du suprême délice de Dieu.

Dans un état sublime où l’ignorance n’est plus,                                                              990

Chaque mouvement est une vague de paix et de félicité,

Le repos, la force créative immobile de Dieu,


L’action, une ondulation dans l’Infini

Et la naissance, un geste de l’Éternité.

Un soleil de transfiguration encore peut resplendir                                                       995

Et la Nuit peut mettre à nu son cœur de lumière mystique;

Le paradoxe de l’annulation de soi, de l’affliction de soi,

Pourrait se transformer en un mystère lumineux en soi,

L’imbroglio, en un joyeux miracle.

Alors, Dieu pourrait être visible ici, ici prendre forme;                                               1000

L’identité de l’esprit serait dévoilée;

La vie révèlerait son vrai visage immortel.

Mais maintenant, un labeur sans fin est son destin :

Dans sa décimale périodique des évènements,

La naissance, la mort sont des virgules d’une répétition incessante;                        1005

Le vieux point d’interrogation s’inscrit en marge de chaque fin de page,

De chaque volume de l’histoire de son effort.

Un Oui boiteux au long des éons chemine encore,

Accompagné par un Non éternel.

Tout semble en vain, pourtant sans fin est le jeu.                                                         1010

La Roue tourne impassible, sans cesse décrivant des cercles,

La vie n’a pas d’issue, la mort n’apporte pas de délivrance.

L’être vit prisonnier de lui-même

Et garde sa futile immortalité;

L’extinction est refusée, son unique évasion.                                                                1015

Une erreur des dieux a créé le monde.

Ou indifférent l’Éternel observe le Temps.

Fin du Chant sixième

 
Marqué:
Français,
Savitri,
Sri Aurobindo,
Traduction

Publié par auroreflets

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