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Savitri en français

Traduction de Savitri, le chef-d'oeuvre poétique de Sri Aurobindo, afin de faciliter l'accès au


texte original pour les lecteurs francophones


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LIVRE II, Chant 2 – Le Royaume de la matière


subtile


auroreflets 
Inde, Poésie, Spiritualité, Sri Aurobindo 
17 mai 201829 mai 2018
17 Minutes
 

Livre II – Livre du Voyageur des mondes

Chant 2 – Le Royaume de la matière subtile

Dans le champ impalpable du moi secret,

Vaste support de ce petit être extérieur

Séparé de la vision par la barrière solide de la terre,

Il pénétra dans un air cristallin magique

Et trouva une vie qui ne vivait pas par la chair,                                                                  5

Une lumière qui rendait visibles des choses immatérielles.

Un niveau raffiné dans la hiérarchie de l’émerveillement,

Le royaume du savoir-faire féerique de la Matière subtile

Faisait se découper sur un ciel de teintes vives,

Bondissant d’une transe de splendeur et d’une brume délicate,                                    10

La révélation magique de son front.

Un monde aux aspects plus ravissants s’étend près du nôtre,


Où, non déguisées par la vision déformante de la terre,

Toutes formes sont belles et toutes choses sont vraies.

Dans cette ambiance lumineuse mystiquement claire,                                                    15

Les yeux étaient les portes d’une perception céleste,

L’ouïe était de la musique et le toucher un charme,

Et le cœur s’animait d’un souffle plus profond de pouvoir.

Là demeurent les origines radieuses de la nature terrestre :

Les plans parfaits selon lesquels elle modèle ses œuvres,                                                20

Les résultats lointains de sa force en travail,

Reposent dans un cadre de destin établi.

Maintenant tentées vainement ou gagnées en vain,

Là, déjà étaient dressés sur une carte et un horaire le temps

Et la forme de ses souverainetés futures                                                                             25

Dans les linéaments somptueux tracés par le désir.

L’issue dorée des intrigues en labyrinthe du mental,

Les richesses non découvertes ou non encore saisies par nos vies,

Non souillées par l’atteinte de la pensée des mortels,

Résident dans cette atmosphère pellucide.                                                                         30

Là, nos commencements confus sont dépassés,

Nos moyens termes, esquissés en des lignes prescientes,

Nos buts accomplis vivent de façon anticipée.

Ce toit luisant de notre plan descendant,

Interceptant la libre faveur de l’air du ciel,                                                                         35

Laisse entrer de petites irruptions d’un souffle puissant

Ou des circuits parfumés à travers des treillis dorés;

Il protège notre plafond de mental terrestre

Contre des soleils éternels et le torrent de la pluie de Dieu;

Néanmoins, il canalise un étrange éclat irisé                                                                     40

Et de brillantes gouttes de rosée coulent du ciel de l’Immortel.


Un passage pour les Pouvoirs qui entrainent nos jours,

Occulte derrière les murs de cette Nature plus grossière,

Une salle diaphane du mariage entre le Mental et la Forme

Est cachée par une tapisserie de rêves;                                                                               45

Les significations du ciel se glissent à travers elle comme à travers un voile,

Sa vision intérieure soutient cette scène extérieure.

Une conscience plus fine avec des lignes plus heureuses,

Elle a un tact que ne peut atteindre notre toucher,

Une pureté de sensation que nous ne pouvons ressentir;                                                50

Son intercession auprès du Rayon éternel

Inspire les tentatives à la vie brève de notre terre transitoire

Vers la beauté et la forme parfaite des choses.

Dans des chambres de la jeune divinité du pouvoir

Et du premier jeu de l’Enfant éternel,                                                                                 55

Les incarnations de ses pensées aux ailes rapides,

Baignées dans les teintes d’un émerveillement éternel brillant

Et apaisées par des chuchotements de cet air lumineux,

Prennent un repos aux couleurs de rêve, tels des oiseaux sur des arbres intemporels

Avant de plonger pour flotter sur la mer du temps terrestre.                                         60

Tout ce qui apparait ici possède là une apparence plus charmante.

Tout ce que nos cœurs conçoivent, nos têtes créent,

Perdant quelque noble beauté originelle,

De là exilé, ici consent à une teinte terrestre.

Tout ce qui est ici d’un charme et d’une grâce visibles                                                    65

Trouve là ses lignes impeccables et immortelles;

Tout ce qui est beau ici est là divin.

Là sont des images au-delà des rêves du mental humain :

Des corps qui n’ont pas d’équivalent terrestre

Traversent la transe illuminée de l’œil intérieur                                                              70


Et ravissent le cœur avec leur démarche céleste,

Persuadant le ciel d’habiter cette sphère prodigieuse.

Les merveilles du futur flânent dans ses gouffres;

D’anciennes et de nouvelles choses sont façonnées dans ces profondeurs :

Un carnaval de beauté s’attroupe sur les hauteurs                                                           75

Dans ce royaume magique de la vision idéale.

Dans ses antichambres d’une intimité splendide,

Matière et âme se rencontrent dans une union consciente

Tels des amoureux dans un lieu secret solitaire :

Dans l’étreinte d’une passion pas encore malheureuse,                                                  80

Elles joignent leur force, leur douceur, leur délice

Et, se confondant, unifient les mondes supérieurs et inférieurs.

Intrus venant de l’Infini sans forme,

Osant entrer de force dans le règne de l’Inconscient,

Le bond de l’esprit vers le corps touche le sol.                                                                  85

Jusqu’ici non enrobé dans des linéaments terrestres,

Déjà il porte, survivant à la mort et à la naissance,

Convainquant l’abime par une forme céleste,

Un revêtement de son immortalité

Animé par l’éclat du rang de celui qui le porte,                                                                 90

Capable d’endurer la friction du Changement et du Temps.

Un tissu composé de la lumière rayonnante de l’âme

Et de la substance de la Matière à la Force chargée de signes, –

Imaginé vainement dans l’air raréfié de notre mental

Comme un moule abstrait et fantomatique de fabrication mentale, –                          95

Il ressent ce que des corps terrestres ne peuvent ressentir

Et est plus réel que cette structure plus grossière.

Après la chute du manteau de la condition mortelle,

Son poids est allégé afin d’élever son ascension;


Affiné au contact d’environnements plus subtils,                                                           100

Il laisse tomber de vieux draps à motifs d’une étoffe plus épaisse,

Annule l’emprise de l’attraction vers le bas qu’exerce la terre

Et porte l’âme, allant d’un monde à un autre plus haut,

Jusqu’à ce que, dans l’éther nu des sommets,

Seule subsiste la simplicité de l’esprit,                                                                               105

La robe première transparente de l’être éternel.

Mais lorsqu’il doit revenir à son fardeau humain

Et à l’ensemble exigeant de l’expérience de la terre,

Son retour reprend alors cet habillement plus lourd.

Car longtemps avant que le vêtement solide de la terre fut forgé                                110

Par la technique du Vide atomique,

Une enveloppe lumineuse de déguisement de soi

Était tissée autour de l’esprit secret dans les choses.

Les royaumes subtils sont faits de ces couches brillantes.

Ce monde de merveille, avec tout son éclatant bienfait                                                 115

De vision et de bonheur inviolable,

N’a de soin que pour l’expression et la forme parfaite;

Beau sur ses sommets, il a des plans inférieurs dangereux;

Sa lumière attire vers le bord de la déchéance de la Nature;

Il prête une beauté à la terreur des gouffres                                                                    120

Et des yeux fascinants à des Dieux périlleux,

Revêt de grâce le démon et le serpent.

Sa transe impose l’inconscience de la terre;

Immortel, il tisse pour nous la robe sombre de la mort

Et autorise notre condition de mortels.                                                                             125

Ce milieu sert une Conscience plus grande :

Un réceptacle de son autocratie dissimulée,

Il est le terrain subtil des mondes de la Matière,


Il est l’immuable dans leurs formes muables,

Dans les replis de sa mémoire créatrice                                                                           130

Il garde le type immortel des choses périssables :

Ses puissances diminuées sont les fondements de nos capacités déchues;

Sa pensée invente notre ignorance raisonnée;

Sa faculté sensorielle engendre les réflexes de notre corps.

Notre souffle secret d’une force inutilisée plus puissante,                                            135

Le soleil caché d’une vision intérieure d’un instant,

Ses suggestions subtiles sont une source dissimulée

De nos riches imaginations iridescentes,

Donnant à des choses communes une touche de teintes transfiguratrices

Jusqu’à ce que la boue de la terre devienne riche et chaude au contact des cieux   140

Et qu’une gloire reluise, issue de la décadence de l’âme.

Sa connaissance est le point de départ de notre erreur;

Sa beauté revêt la laideur de notre masque de boue,

Son bien artistique commence le récit de notre mal.

Un ciel de vérités créatrices au-dessus,                                                                             145

Un cosmos de rêves harmonieux au milieu,

Un chaos de formes qui se dissolvent en dessous,

Il plonge, perdu dans notre base inconsciente.

Hors de sa chute vint notre Matière plus dense.

Ainsi fut effectué le plongeon de Dieu dans la Nuit.                                               150

Ce monde déchu devint une nourrice d’âmes

Habitées par la divinité cachée.

Un Être s’éveilla et vécut dans un vide dénué de sens,

Une Nescience à la grandeur du monde s’efforça vers la vie et la pensée,

Une Conscience arrachée d’un sommeil sans mental.                                                    155

Tout ici est conduit par une volonté insensible.


Ainsi déchue, inconsciente, frustrée, dense, inerte,

Ayant sombré dans une somnolence inanimée et torpide,

La Terre gisait, esclave du sommeil, forcée de créer

Par une mémoire subconsciente pleine de désirs                                                            160

Qui lui fut laissée d’un bonheur mort avant qu’elle naquît,

Une merveille étrangère sur sa poitrine insensible.

Cette fange doit abriter l’orchidée et la rose,

De sa substance aveugle, réfractaire, doit émerger

Une beauté qui appartient à des sphères plus heureuses.                                             165

Telle est la destinée qui lui était léguée,

Comme si un dieu mis à mort laissait une fiducie précieuse

À une force aveugle et à une âme emprisonnée.

Les parties périssables d’une divinité immortelle,

Elle doit les reconstituer à partir de fragments perdus,                                                170

Reformuler d’après un document complet ailleurs

Son titre douteux à son Nom divin.

Un résidu son seul héritage,

Elle porte toutes choses dans sa poussière informe.

Son énergie géante étant liée à des formes minuscules                                                  175

Dans le lent mouvement hésitant de son pouvoir

Avec seulement pour son usage quelques frêles instruments émoussés,

Elle a accepté comme un besoin de sa nature

Et donné à l’homme comme sa tâche prodigieuse

Un travail impossible aux dieux.                                                                                        180

Une vie vivant avec peine dans un champ de mort

Réclame sa part d’immortalité;

Un corps animal à demi conscient sert de moyen

À un mental devant recouvrer une connaissance perdue,

Gardée dans une emprise de pierre par l’inconscience du monde,                             185


Et, portant encore ces nœuds innombrables de la Loi,

Un esprit captif doit s’imposer comme roi de la Nature.

Une puissante parenté est la cause de cette audace.

Tout ce que nous tentons dans ce monde imparfait

Regarde en avant ou regarde en arrière au-delà de l’éclat du Temps                         190

Vers son idée pure et son type sûr inviolable

Dans l’habileté impeccable d’une création absolue.

Dans des formes qui passent, saisir l’absolu,

Fixer le toucher de l’éternel dans des choses façonnées par le temps,

Telle est la loi de toute perfection ici.                                                                                 195

Un fragment du dessein du ciel ici est attrapé;

Autrement nous ne pourrions jamais espérer une vie plus grande

Et l’extase et la gloire ne pourraient exister.

Même dans la petitesse de notre état de mortels,

Même dans cette prison de la forme extérieure,                                                             200

Un passage brillant pour la Flamme infaillible

Est ouvert à travers les grossières cloisons des nerfs et du cerveau,

Une Splendeur fait pression ou un Pouvoir transperce,

La grande barrière terne de la terre est écartée quelque temps,

Le sceau de l’inconscient est retiré de nos yeux                                                              205

Et nous devenons des réceptacles de puissance créatrice.

L’enthousiasme d’une surprise divine

Se répand dans notre vie, une effervescence mystique est ressentie,

Une angoisse joyeuse tremble dans nos membres;

Un rêve de beauté danse à travers le cœur,                                                                      210

Une pensée venue du Mental éternel s’approche,

Des suggestions lancées de l’Invisible,

S’éveillant du sommeil de l’Infinité, descendent,

Symboles de Cela qui jamais encore n’a été accompli.


Mais bientôt la chair inerte ne répond plus,                                                                     215

Alors retombe l’orgie sacrée de délice,

Le feu de la passion et la marée de pouvoir

Nous sont retirés et, même si une forme rayonnante

Demeure, étonnant la terre, qui l’imagine suprême,

Trop peu de ce qui était voulu a laissé une trace.                                                            220

Les yeux de la Terre voient à moitié, ses forces créent à moitié;

Ses œuvres les plus rares sont des copies de l’art du ciel.

Splendeur d’un artifice doré,

Chef-d’œuvre d’un mécanisme et d’une règle inspirés,

Ses formes cachent ce qu’elles abritent et ne font que mimer                                      225

Le miracle non saisi de formes nées d’elles-mêmes

Qui vivent à jamais dans le regard de l’Éternel.

Ici, dans un monde difficile à moitié fini,

Il y a un lent labeur de Pouvoirs inconscients;

Ici, il y a, qui devine, le mental ignorant de l’homme,                                                    230

Son génie né d’un sol inconscient.

De copier sur les copies terrestres est son art.

Car lorsqu’il s’efforce d’atteindre des choses surpassant la terre,

Trop primitifs sont les outils de l’ouvrier, trop grossier son matériel,

Et âprement avec le sang de son cœur il réalise                                                              235

Sa maison éphémère de l’Idée divine,

Sa forme d’une auberge du Temps pour l’Un sans naissance.

Notre être tressaille, épris de nobles souvenirs lointains,

Et voudrait faire descendre ici leurs significations immémoriales,

Mais, trop divines pour le procédé de la Nature terrestre,                                            240

Au-delà de notre portée, les merveilles éternelles resplendissent.

Absolues elles demeurent, non nées, immuables,

Immaculées dans l’air impérissable de l’Esprit,


Immortelles dans un monde de Temps immobile

Et une méditation imperturbable d’un profond espace du moi.                                  245

Seulement quand nous avons grimpé au-dessus de nous-mêmes,

Une voie du Transcendant croise notre route

Et nous relie à l’intemporel et au vrai;

Elle nous apporte le mot indiscutable,

L’acte divin, les pensées qui ne meurent jamais.                                                            250

Une ondulation de lumière et de gloire enveloppe le cerveau,

Et, descendant la route évanescente du moment,

Arrivent les silhouettes de l’éternité.

Visiteuses du mental ou invitées du cœur,

Elles épousent pour un temps notre brièveté humaine,                                                255

Ou, peu souvent dans quelque rare et fugitive apparition libératrice,

Sont captées par la divination délicate de notre vision.

Bien que des commencements seulement et des premières tentatives,

Ces indices signalent le secret de notre naissance

Et le miracle caché de notre destinée.                                                                                260

Ce que nous sommes là et serons ici sur terre

Est imaginé dans un contact et un appel.

Jusqu’à maintenant l’imperfection de la terre est notre sphère,

Le miroir de notre nature ne montre pas notre moi réel;

Cette grandeur demeure encore retenue à l’intérieur.                                                   265

L’avenir hésitant de la terre dissimule notre héritage :

La Lumière maintenant distante deviendra native ici,

La Force qui nous visite, notre pouvoir ami;

L’Ineffable trouvera une voix secrète,

L’Impérissable flamboiera à travers l’écran de la Matière,                                          270

Faisant de ce corps de mortel la robe de la divinité.

La magnificence de l’Esprit est notre source intemporelle


Et elle sera notre couronne dans le Temps sans fin.

Un vaste Inconnu est autour de nous et en nous;

Toutes choses sont enveloppées dans l’Un dynamique :                                                275

Un lien subtil d’union joint toute vie.

Ainsi, toute la création est une chaine unique :

Nous ne sommes pas laissés seuls dans un plan irrévocable

Entre la conduite d’une Force inconsciente

Et un Absolu incommunicable.                                                                                           280

Notre vie est une avancée dans une portée sublime de l’âme,

Notre être regarde au-delà de ses murs du mental

Et il communique avec des mondes plus grands;

Il y a des terres plus radieuses et des cieux plus vastes que les nôtres.

Il y a des royaumes où l’Être médite dans ses propres profondeurs;                          285

Il ressent dans son immense cœur dynamique

Ses puissances sans nom, sans forme, qui ne sont pas nées,

Réclamer l’expression dans la Vastitude indéfinie :

Ineffables au-delà de l’Ignorance et de la mort,

Les images de sa Vérité éternelle                                                                                        290

Guettent d’une chambre de son âme plongée en elle-même :

Comme devant son propre regard de témoin intérieur,

L’Esprit expose son moi reflété et ses œuvres,

Le pouvoir et la passion de son cœur intemporel,

Les représentations de ses extases sans forme,                                                               295

Les magnificences de sa puissance innombrable.

De là vient la substance mystique de nos âmes

Dans le prodige de la naissance de notre nature,

Là est le sommet non déchu de tout ce que nous sommes

Et la source immémoriale de tout ce que nous espérons être.                                      300

Sur chaque plan le Pouvoir hiératique,


Initié de vérités non prononcées,

Rêve de transcrire et d’exprimer en épisode de la vie

Dans son propre style inné et dans sa langue vivante

Quelque trait de la perfection de Cela qui n’est pas né,                                                  305

Quelque vision perçue dans la Lumière omnisciente,

Quelque sonorité lointaine de l’immortelle Voix rapsodique,

Quelque ravissement de la Félicité créatrice de tout,

Quelque forme et projet de la Beauté indicible.

Il y a là des mondes plus proches de ces royaumes absolus,                                         310

Où la réponse à la Vérité est rapide et sure

Et l’esprit n’est pas entravé par son cadre

Ni les cœurs saisis et déchirés par la division tranchante

Et où habitent le délice et la beauté

Et l’amour et la douceur sont la loi de la vie.                                                                   315

Une substance plus fine dans un moule plus subtil

Incarne la divinité dont la terre rêve seulement;

Sa force peut devancer les pieds de la joie dans leur course;

Sautant par-dessus les obstacles fixes posés par le Temps,

Le filet rapide d’une étreinte intuitive                                                                               320

Capture le bonheur fugitif que nous désirons.

Une Nature soulevée par un souffle plus ample,

Plastique et passive à l’égard du Feu qui façonne tout,

Répond au toucher furtif de la Divinité flamboyante :

Exempte de notre inertie à répondre,                                                                                325

Elle entend le mot auquel nos cœurs restent sourds,

Adopte la vision des yeux immortels

Et, voyageur sur les routes de la ligne et de la nuance,

Poursuit l’esprit de la beauté jusqu’à sa demeure.

Ainsi, nous nous approchons du « Tout-Merveilleux »                                                  330


En suivant comme signe et guide son ravissement dans les choses;

La beauté est l’empreinte de son pas nous montrant où il est passé,

L’amour est le rythme de son cœur battant dans les poitrines des mortels,

Le bonheur, le sourire sur son visage adorable.

Une communion d’entités spirituelles,                                                                              335

Un génie d’une Immanence créatrice,

Rend toute création profondément intime :

Une quatrième dimension de sens esthétique

Où tout est en nous-mêmes, nous-mêmes en tout,

Vers l’envergure cosmique réaligne nos âmes.                                                               340

Un ravissement qui enflamme unit le voyant et ce qui est vu;

L’ouvrier et son œuvre devenus un en dedans

Réalisent la perfection par le frémissement magique

Et la passion de leur étroite identité.

Tout ce que nous assemblons lentement à partir de fragments regroupés                345

Ou par un long travail faisons évoluer en trébuchant,

Est là né de soi-même par le fait de son droit éternel.

En nous aussi le Feu intuitif peut bruler;

Une Lumière effective, il est lové dans nos cœurs repliés,

Sur les niveaux célestes se trouve sa demeure :                                                              350

Descendant, il peut amener ici ces paradis.

Mais la flamme brule rarement et jamais longtemps;

La joie qu’elle appelle à venir de ces altitudes plus divines

Apporte de brèves et magnifiques réminiscences

Et de splendides aperçus élevés de pensée interprétative,                                            355

Mais non la vision et le délice absolus.

Un voile est gardé, quelque chose est encore retenu,

De peur que, prisonnières de la beauté et de la joie,

Nos âmes oublient d’aspirer au Très-Haut.


 

Dans ce beau royaume subtil à l’arrière du nôtre,                                                   360

La forme est tout, et les dieux physiques sont rois.

La Lumière inspiratrice joue dans de fines frontières;

Une beauté sans tache vient par la grâce de la Nature;

Là, la liberté est la garantie de la perfection :

Même si l’Image absolue fait défaut, et le Mot                                                                 365

Incarné, et la pure extase spirituelle,

Tout est un miracle de charme symétrique,

La fantaisie d’une ligne et d’une règle parfaites.

Là, tous se sentent satisfaits en eux-mêmes et complets,

Une riche plénitude est créée par la limite,                                                                     370

La merveille abonde dans une extrême petitesse,

Un ravissement enchevêtré se déchaine dans un espace réduit :

Chaque rythme est apparenté à son environnement,

Chaque ligne est parfaite et indiscutable,

Chaque objet est construit sans défaut pour le charme et l’usage.                              375

Tout est amoureux de son propre délice.

Intact, il vit sûr de sa perfection

Dans une immunité agréée par le ciel, heureuse d’elle-même;

Content d’être, il n’a besoin de rien de plus.

Ici, ce n’était pas le cœur brisé de l’effort futile :                                                            380

Exempt de l’épreuve et de l’essai,

Vide d’opposition et de souffrance,

C’était un monde qui ne pouvait craindre ni s’affliger.

Il n’avait pas la grâce de l’erreur et de la défaite,

Il n’avait pas de place pour la faute, pas le pouvoir de faillir.                                      385

De quelque dense félicité de soi, il tirait à la fois

Ses découvertes des formes de l’Idée muette


Et le miracle de ses pensées et de ses actes rythmiques,

Sa technique claire de vies stables et parachevées,

Son peuple gracieux de formes inanimées                                                                       390

Et la splendeur de corps qui respirent, semblables au nôtre.

Ébahi, ses sens étant ravis de délice,

Il [le roi] se déplaçait dans un monde divin, pourtant apparenté,

Admirant des formes merveilleuses si près des nôtres,

Néanmoins parfaites tels les jouets d’un dieu,                                                                395

Immortelles dans l’aspect de la condition mortelle.

Dans leurs absolus étroits et exclusifs,

Intronisées se tiennent selon leur rang les suprématies du fini;

Il ne rêve pas sans cesse de ce qui aurait pu être;

Seulement dans des frontières peut vivre cet absolu.                                                   400

Dans un état suprême lié à son propre plan

Où tout était achevé et ne restait aucune ampleur,

Aucun espace pour les ombres de l’incommensurable,

Aucune place pour la surprise de l’incalculable,

Une captive de sa propre beauté et extase,                                                                      405

Dans un cercle magique œuvrait la Puissance enchantée.

L’esprit se tenait en retrait, effacé derrière son cadre.

Admiré pour la finitude brillante de ses lignes,

Un horizon bleu limitait l’âme;

La pensée se déplaçait dans des installations lumineuses,                                           410

Les hautfonds de l’idéal extérieur délimitant sa nage :

La vie dans ses frontières s’attardait, satisfaite

Du petit bonheur des actes du corps.

Assignée comme Force à un Mental de coin assujetti,

Attachée à l’indigence sécuritaire de sa chambre,                                                          415

Elle faisait ses petits travaux et jouait et dormait


Et ne pensait pas à un travail plus grand inaccompli.

Oublieuse de ses vastes désirs violents,

Oublieuse des sommets où elle était montée,

Sa marche était fixée à l’intérieur d’une routine radieuse.                                           420

Le corps magnifique d’une âme à son aise,

Comme celle qui rit dans des bosquets doux et ensoleillés,

Enfantine, elle se balançait dans le berceau doré de sa joie.

L’appel des espaces n’atteignait pas sa demeure enchantée,

Elle n’avait pas d’ailes pour un vol ample et dangereux,                                              425

Elle n’affrontait aucun péril du ciel ou de l’abime,

Elle ne connaissait aucun vaste horizon ni aucun rêve puissant,

Aucune aspiration pour ses infinitudes perdues.

Un tableau parfait dans un cadre parfait,

Cet art féerique ne pouvait retenir sa volonté :                                                               430

Il donnait seulement la délivrance subtile d’un moment;

Une heure insouciante était passée dans une félicité légère.

Notre esprit se fatigue des surfaces de l’être,

Surpassée est la splendeur de la forme;

Il se tourne vers des pouvoirs cachés et des états plus profonds.                                435

Ainsi cherchait-il maintenant au-delà une lumière plus grande.

L’ascension au sommet par son âme abandonnant à l’arrière

Cette éclatante cour de la Maison des Jours,

Il laissa ce Paradis matériel raffiné.

Sa destinée s’étendait par-delà dans un Espace plus vaste.                                          440

Fin du chant deuxième

Marqué:
Français,
Savitri,
Sri Aurobindo,
Traduction

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