­­Mercredi 15­ février 2023
79e année – No 24296
3,40 € – France métropolitaine
www.lemonde.fr –
Fondateur : Hubert Beuve-Méry
Directeur : Jérôme Fenoglio
Science & médecine – supplément
Retraites : la stratégie de la Nupes en question
▶ Engagée dans une guerre
des nerfs à l’Assemblée
contre le projet de réforme
des retraites, la gauche
a opéré un changement
de tactique lundi 13 février
Europe
Sur le pied de
guerre, la Suède
renforce sa
défense civile
Depuis l’invasion de
l’Ukraine par la Russie,
Stockholm s’organise
pour que les Suédois résis-
tent en cas de conflit. La
France réfléchit, elle aussi,
à des « forces morales »
Pages 2-3
Afghanistan
Premières
dissensions au
sein des talibans
Tenant d’une ligne
rigoriste, le chef de l’« émi-
rat islamique » se heurte
aux partisans de compro-
mis avec la communauté
internationale, tel le
ministre de l’intérieur
Page 4
Portrait
Meyer Habib,
le député
franco-israélien
qui en faisait trop
Page 18
Vu par chappattE (Suisse)
La révolution des capteurs quantiques
▶ Accusés par les syndicats ▶ Les tensions restent vi- ▶ Les inégalités qui affec- ▶ A droite, l’examen du
et le gouvernement d’obs- ves, et LFI est divisée entre tent les plus faibles reve- texte est ­l’occasion d’un
truction parlementaire, les partisans du blocage et te- nus dans le système actuel retour en grâce des dépu-
députés Nupes ont retiré nants d’un débat sur l’arti- devraient persister après tés macroncompatibles
1 300 amendements et ac- cle 7, consacré au recul la réforme, selon l’Institut chez Les Républicains
céléré le débat sur l’article 2 de l’âge légal de départ des politiques publiques Page s 7- 8
Stade de France Le rapport qui accable la police Entreprises
▶ L’enquête de l’UEFA sur les incidents du 28 mai 2022 étrille les pouvoirs publics français Airbus et Boeing
▶ La finale de la Ligue des champions avait tourné à la catastrophe pour les supporteurs P. 10- 11
signent un
contrat record
avec Air India
La compagnie, propriété
de Tata Sons, prévoit
d’acheter 500 appareils,
partagés entre les avion-
neurs européen et améri-
cain, pour un montant
­estimé à 100 milliards de
dollars au prix catalogue
Page 17
Conjoncture
Nouvelle baisse
du chômage
fin 2022
Le taux de chômage s’éta-
blit à 7,2 % de la popula-
tion active en France au
quatrième trimestre, son
plus bas niveau depuis le
Un policier pulvérise du gaz lacrymogène sur un fan de Liverpool à l’extérieur du Stade premier trimestre de 2008
de France, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le 28 mai 2022. MATTHIAS HANGST/Getty Images via AFP
Pag e 8
Cinéma
« Le Marchand de
Santé
Un jeune adulte
Reportage
sable », « La Femme sur cinq souffre de Fos-sur-Mer,
de Tchaïkovski » : troubles dépressifs laboratoire géant FORMATIONS AUX MÉTIERS
les films à voir en France
Pag e s 1 9 à 2 2 Supplément science & médecine
d’un monde DU CINEMA, DU SON
postcarbone ET DU FILM D’ANIMATION
Cartooning for Peace Dans l’immense zone in- D I P L Ô M E S V I S É S PA R L’ É TAT À B A C + 3
dustrielle, 6 milliards
d’euros vont être injectés
pour basculer des hydro-
carbures et de la chimie
vers des projets d’aciérie
décarbonée, d’hydrogène
vert, de panneaux solaires
Pag es 1 4 -15
édito rial
1
Journaliste P L U S D ’ I N F O S
assassiné : avis
de tempête sur WWW.ESRA.EDU
ETABLISSEMENT D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PRIVÉ
le Cameroun
PA R I S - N I C E - C A N N E S
P ag e 29
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 International
0123
2| ­
­Mercredi 15­ février 2023

Armées européennes

Récit
Malmö (Suède) - correspondante

I
ls étaient 404 218, le 31 dé-
cembre 2022, 16 % de plus
qu’en juin. Militaires de
carrière et réservistes,
fonctionnaires, conduc-
teurs de bus ou aides ma-
ternelles, tous ont reçu leur « af-
fectation de guerre ». Si la Suède
est attaquée, ils savent ce que l’on
attend d’eux. Pour la plupart,
comme les salariés de la télévi-
sion et de la radio publiques noti-
fiés en octobre 2022, ils devront
continuer à travailler à leur poste,
jugé critique pour le fonctionne-
ment de la société. D’autres sont
sélectionnés pour leurs compé-
tences spécifiques.
A chacun, il est demandé de
faire preuve de discrétion. Car il
en va de la défense civile du pays,
en pleine résurrection, après
une longue parenthèse de près de
trois décennies, pendant laquelle
« on a voulu croire à la paix éter-
nelle », ironise Marinette Nyh Ra-
debo, chargée de la communica-
tion auprès de l’agence de recrute-
ment des forces armées suédoi-
ses. Cet organisme tient les
registres des affectations, et s’as-
sure qu’il n’y a pas de doublon.
« Quand la police nous a envoyé
ses listes, nous avons découvert
que plusieurs milliers de gardiens
de la paix étaient réservistes », as-
sure Mme Nyh Radebo.
La mobilisation ne fait que com-
mencer. A titre de comparaison,
en 1992, le pays, qui comptait
alors 8,5 millions d’habitants Entraînement militaire de la Hemvärnet, volontaires de la garde civile, à Rinkaby (Suède), le 2 avril 2022. REBECKA UHLIN POUR « LE MONDE »
(contre 10 millions aujourd’hui),
pouvait en réquisitionner 2,2 mil-

La Suède se prépare à la guerre

lions dans le cadre de sa défense
civile, en plus d’un million appe-
lés à rejoindre l’armée. Pour
les autres habitants, âgés de 16 à
70 ans, sans affectation, pas ques-
tion non plus de fuir : ils devaient

et mobilise la défense civile

poursuivre leur activité et pou-
vaient être mobilisés par l’agence
nationale de l’emploi.

« Obligation d’aider »
Ce devoir de défense, tombé en
désuétude à la fin du XXe siècle, a
été rappelé aux 121 500 jeunes
Suédois qui ont fêté leur 16e anni-
versaire en 2022. L’agence de la
protection civile (MSB) leur a en-
voyé une lettre, pour les infor-
mer qu’ils faisaient désormais
partie de la « défense totale » du
royaume et avaient « l’obligation
d’aider en cas de menace de
guerre ou de guerre ».
Ce concept est revenu en haut
de l’agenda politique en Suède
en 2015, un an après l’annexion
de la Crimée par la Russie. L’inva-
sion de l’Ukraine, le 24 février
2022, lui a « donné une dimension
entièrement nouvelle », témoigne
Marcus Björklund, responsable
de la planification auprès de la
préfecture de Scanie, au sud du
pays. La preuve : pour la première
fois depuis 1947, le royaume a de
nouveau un ministre de la dé-
fense civile, aux côtés du minis-
tre des armées.
Le conservateur Carl-Oskar Bo-
hlin, en poste depuis le 18 octo-
bre 2022, justifie sa nomination
par « la situation sécuritaire très
grave dans laquelle se trouvent la
Suède et l’Europe ». Son rôle, ex-
plique-t-il, est de coordonner les
efforts, pour rebâtir la défense ci-
vile du pays, afin que « la société
continue à fonctionner, en cas
d’attaque militaire, malgré des
perturbations très sérieuses » et
En 2014, l’invasion
de la Crimée
par la Russie
provoque un virage
à 180 degrés :
le service militaire
suédois, supprimé
en 2010, est rétabli
Le royaume s’organise pour faire en sorte que le pays continue à fonctionner en cas
d’attaque militaire. Un programme renforcé depuis l’invasion russe en Ukraine
qu’« elle soit aussi capable de
­concentrer toutes ses ressources
et son énergie pour soutenir l’ar-
mée dans sa tâche ».
La défense civile a vu le jour
après la seconde guerre mon-
diale, rappelle Camilla Eriksson,
spécialiste du sujet à l’Institut de
recherche suédois de la défense
(FOI) : « Nous avons découvert, à
cette occasion, que la guerre
­moderne frappait l’ensemble de
la société, comme c’est le cas
aujourd’hui en Ukraine, où on
s’attendait plutôt à une guerre hy-
bride, de précision. Face à cette
guerre totale, il fallait une défense
totale, militaire et civile. »
Revendiquant sa neutralité, la
Suède n’a pourtant pas connu de
conflit armé depuis 1814. Cela ne
l’empêche pas de se préparer : « On
se disait que cela pouvait recom-
mencer et que nous pourrions être
impliqués, notamment en raison
de notre proximité avec la Finlande
et l’Union soviétique », note Mari-
nette Nyh Radebo. Pendant la se-
conde guerre mondiale, les Sué-
dois ont aussi subi des pénuries.
« Le pays voulait se prémunir con-
tre les conséquences d’un nouvel
isolement », ajoute Mme Eriksson.
Les décennies qui suivent, le
royaume se dote donc d’une dé-
fense civile à faire pâlir ses voi-
sins : « Nous avions sans doute le
système le plus élaboré et le plus
développé du monde », constate
Carl-Oskar Bohlin, avec une
pointe d’amertume. Car après la
chute du mur de Berlin et l’implo-
sion du bloc soviétique, alors que
la menace d’une guerre sur le sol
européen s’éloigne, la Suède a
« commis l’erreur stratégique de
croire à la fin de l’histoire », selon
La préfecture
de Scanie élabore des
plans d’évacuation
et de distribution
du carburant,
et identifie
le patrimoine culturel
à protéger des bombes
le ministre de la défense civile. La
défense totale n’est plus ensei-
gnée au lycée, et les informations
pratiques (alarme, localisation
des abris, équipements à stocker
chez soi…) listées pendant la
guerre froide dans l’annuaire télé-
phonique finissent par disparaî-
tre. Les immenses réserves de
­matériel et de nourriture sont
abandonnées. Quant aux abris
antibombes, ils sont transformés
en garages à vélos. De son côté,
la Finlande, qui s’est inspirée
du modèle suédois pour bâtir sa
stratégie de « sécurité globale »,
ne change rien.
En 2014, l’invasion de la Crimée
provoque un virage à 180 degrés :
le service militaire suédois, sup-
primé en 2010, est rétabli en 2017,
l’île de Gotland – démilitarisée –
accueille un nouveau régiment,
et la défense civile est relancée.
En 2018, 4,9 millions de foyers
­reçoivent, dans leur boîte aux
­lettres, la brochure « En cas de
guerre ou de crise », traduite en
14 langues (dont le français), qui
explique comment se préparer
au pire. Par exemple, comment
constituer des réserves de vivres
et d’eau potable, pour tenir au
moins une semaine.
Les collectivités locales et les ad-
ministrations relancent leur pla-
nification. Le scénario le plus fré-
quemment évoqué est encore ce-
lui d’une crise provoquée par une
catastrophe naturelle. « On pen-
sait que si on était prêt pour y faire
face, on le serait aussi pour la
guerre », révèle Marcus Björklund,
à la préfecture de Scanie. Sauf
qu’il y a une différence, note le
ministre : « En cas de guerre, la so-
ciété est exposée à un adversaire
dynamique, un antagoniste qui es-
saie d’exploiter nos faiblesses, de
créer des effets en cascade, et qui
planifie le prochain coup. »
Organisation de crise
Désormais, la Suède se prépare
donc aussi à la guerre, en se di-
sant qu’elle sera ainsi prête à af-
fronter n’importe quel type de
crise. La planification a lieu à
tous les niveaux de la société. En
Scanie, une centaine de person-
nes y travaillent à temps plein,
contre une trentaine il y a dix
ans. La préfecture s’active tous
azimuts : de la mise en place
d’une organisation de crise, capa-
ble d’être mobilisée vingt-qua-
tre heures sur vingt-quatre pen-
dant une longue période, à l’éla-
boration des plans d’évacuation
et de distribution du carburant,
en passant par l’identification du
patrimoine culturel à protéger
des bombes, « car une guerre se
mène aussi sur le champ cultu-
rel », précise Marcus Björklund.
Au niveau national, une loi, en-
trée en vigueur le 1er octobre
2022, identifie dix secteurs stra-
tégiques (poste et télécommuni-
cations, services financiers, éner-
gie, santé…), et demande aux
agences gouvernementales d’en
garantir le fonctionnement. Pour
l’alimentation et l’eau potable, la
responsabilité incombe à trois
organismes : l’agence nationale
de l’alimentation, l’agence de
l’agriculture et l’institut vétéri-
naire suédois. Le défi, explique
Patrik Moström, chef de la cellule
d’urgence à l’agence de l’agricul-
ture, est de « maintenir les gens
en bonne santé sur une longue pé-
riode, entre trois mois et un an »,
alors que les importations pour-
raient être suspendues et les
voies de ravitaillement coupées.
Dans un rapport intitulé « Ali-
mentation et préparation », pu-
blié en novembre 2021, l’agence
évalue les besoins journaliers
moyens à 2 450 calories par per-
sonne – 100 calories de plus
qu’en temps de paix. « En trois
mois, si vous êtes en bonne santé,
vous n’avez pas le temps de déve-
lopper des carences sévères. En
­revanche, il faut que les apports
en énergie soient suffisants pour
garantir la résilience de la popula-
tion », indique Lena Lind, experte
auprès du service de préparation
du ravitaillement, à l’agence de
l’alimentation.
Étape suivante :
recenser ce qui
peut être produit
localement et ce qui
devra être stocké
Etape suivante : recenser ce qui
peut être produit localement et ce
qui devra être stocké en prévi-
sion. Beaucoup de choses ont
changé depuis la guerre froide.
« Nous sommes dans une société
du “just-in-time”, avec peu de ré-
serves », observe Patrik Moström.
La dépendance aux importations
a augmenté, ce que la pandémie
de Covid-19 a mis en évidence. La
Suède n’est autosuffisante qu’à
50 % (contre 80 % pour la Fin-
lande). La révolution numérique
a aussi accru la vulnérabilité aux
attaques extérieures. Quant aux
privatisations de ces trente der-
nières années, « elles ont accru le
nombre d’acteurs qui doivent être
mobilisés, compliquant la coordi-
nation », relève Camilla Eriksson.
Tous mentionnent l’Ukraine et
les enseignements qui peuvent
en être tirés. Mais l’objectif est de
« mettre en place une organisation
capable de faire face à n’importe
quel scénario sur le long terme »,
précise Rickard Bjerselius, à
l’agence de l’alimentation. Ce der-
nier chapote l’harmonisation de
la réglementation suédoise avec
les exigences européennes et cel-
les de l’OTAN, dont la Suède es-
père bientôt devenir membre.
A Stockholm, l’agence de la pro-
tection civile veut accroître la vo-
lonté des Suédois à défendre leur
pays, à travers des campagnes
d’information et des exercices.
« Nous ne sommes pas naïfs au
point de croire que nous pouvons
résister à tout », lance Patrik Mos-
tröm. Mais en se préparant à
toute éventualité, le royaume es-
père aussi dissuader un éventuel
adversaire de l’attaquer. p
Anne-Françoise Hivert
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
L’armée française veut
muscler les capacités
de résilience de la société
Appelée « forces morales », la défense civile
reste embryonnaire dans l’Hexagone
U ne armée ne se bat pas
pour elle-même », rappe-
lait récemment le chef
d’état-major des armées, le géné-
ral Thierry Burkhard, en écho à la
résistance ukrainienne unani­-
mement considérée comme un
modèle par ses pairs occidentaux.
Mais alors que dans certains pays
baltes ou en Suède, le déploie-
ment d’une « défense civile » est
en train de s’imposer depuis le
­début de la guerre en Ukraine,
en France, ce travail autour des­
« forces morales », comme on pré-
fère les appeler, reste encore très
embryonnaire.
Sur le papier, cette capacité à sur-
monter l’adversité est un vœu
cher à Emmanuel Macron et l’un
des axes principaux de la future
loi de programmation militaire
(LPM) qui doit être adoptée d’ici à
l’été. La question de la « rési-
lience » a fait l’objet d’un rapport
parlementaire publié à la veille du
début de l’invasion russe en
Ukraine, en février 2022. Mais
comme ces « forces morales » relè-
vent aussi d’un ensemble de me-
sures assez onéreuses et que les
négociations sont âpres autour de
la LPM, les décisions tardent. « On
n’a pas l’urgence des pays du
Nord », tempère un officier, tout
en regrettant la situation.
Selon les plans actuels, la con-
crétisation des « forces morales »
à la française doit principalement
passer par un doublement de la
réserve nationale, composée
d’environ 40 000 personnes
(24 500 dans l’armée de terre,
6 500 pour la marine et autant
pour l’armée de l’air). Un objectif
maintes fois rappelé par le minis-
tre des armées, Sébastien Le-
cornu – lui-même réserviste dans
la gendarmerie –, qui y tient
beaucoup. Mais si les armées
s’appuient depuis longtemps sur
une partie de leurs réservistes
pour boucher les trous et capter
certaines compétences, notam-
ment dans le numérique, « la ré-
serve a toujours été perçue comme
un système qui pompe de l’ar-
gent et qui n’est pas très sérieux »,
rappelle un bon connaisseur.
Création d’« unités territoriales »
Le passage éventuel à une réserve
d’emploi, déployable plus lar­-
gement en opérations, devra
donc se traduire par de gros réa-
justements dans le recrutement
et des adaptations réglementai-
res. « Si la réserve est appelée à
avoir un autre concept d’emploi
qu’aujourd’hui, il faudra dire le-
quel », prévient la même source.
La création d’« unités territoria-
les » fait partie aujourd’hui des
objectifs actés dans la LPM, a as-
suré, le 13 février, le chef d’état-
major de l’armée de terre, le géné-
ral Pierre Schill, devant l’Associa-
tion des journalistes de défense.
Le doublement de la réserve
pourrait néanmoins l’obliger à y
consacrer 2 000 de ses effectifs. Se
pose enfin la question de l’équi-
pement de ces réservistes.
Tout un travail sur l’attractivité
de la réserve est par ailleurs en-
gagé depuis plusieurs années par
la garde nationale, l’organisme
méconnu chargé de fédérer l’en-
semble des réservistes opération-
nels des armées, de la gendarme-
rie et de la police. Des conven-
tions sont signées régulièrement
avec des entreprises pour faciliter
le détachement d’employés, idéa-
lement un mois par an. Une aide
fiscale existe. Car les besoins sont
aujourd’hui forts dans le cyber, la
logistique, la santé, les travaux
Seuls
32 000 adolescents
ont tenté l’expérience
du service national
universel en 2022.
L’exécutif réfléchit
à le rendre
obligatoire
publics. La garde nationale tra-
vaille aussi à se rapprocher de
l’agroalimentaire et de l’énergie.
L’ampleur des « forces morales »
dépend également beaucoup du
sort qui sera réservé au service
national universel (SNU). Cette
formation proposée aux jeunes
de 15 à 17 ans sur la base du volon-
tariat, pendant douze jours, en
uniforme et au rythme des céré-
monies de levées de couleurs, est
censée les initier à des thèmes
aussi divers que l’autodéfense,
l’engagement, la sécurité rou-
tière, les questions de mémoire,
ou les enjeux du climat, le tout
entrecoupé d’œuvres sociales ou
de formations à la prise de parole.
Seuls 32 000 adolescents, sur
800 000 jeunes concernés par la
tranche d’âge, ont tenté l’expé-
rience en 2022. L’exécutif réfléchit
donc à rendre le SNU obligatoire.
C’est l’option poussée par la secré-
taire d’Etat chargée de la jeunesse,
Sarah El Haïry. Mais comme le fi-
nancement du SNU pourrait, là
encore, être pioché dans la loi de
programmation militaire, les dis-
cussions s’avèrent serrées avec
les armées. L’une des variables
d’ajustement pourrait être les col-
lectivités locales, qui seraient en-
couragées à contribuer au loge-
ment des jeunes. Mais les négo-
ciations traînent en longueur,
tant ces dernières ont déjà du mal
boucler leurs budgets.
Restent les mesures plus géné-
rales d’adaptation logistique et
d’autonomie des Français dans
un contexte de crise ou de guerre.
« La durée de résilience [de la po-
pulation] a été ramenée à une
journée, voire une demi-journée »
en cas de coupure d’eau, d’électri-
cité ou de réseau téléphonique,
s’est inquiétée Angélique Palle,
chercheuse associée à l’institut de
recherche stratégique de l’Ecole
militaire, lors d’une audition à
l’Assemblée nationale, le 7 décem-
bre 2022. Actuellement, l’exécutif
travaille à rehausser cette rési-
lience à au moins trois jours.
Cette partie du travail relève du
secrétariat général de la défense et
de la sécurité nationale (SGDSN),
dont l’un des cœurs de métier est
de prévoir des plans interministé-
riels pour tous risques (sanitaires,
nucléaires, terroristes, etc.). Après
un vaste chantier mené par l’an-
cien premier ministre Jean Castex
lors de la pandémie de Covid-19,
en 2019, pour raccorder tous ces
plans, le SGDSN a accouché d’une
« stratégie nationale de rési-
lience », en avril 2022. « Les princi-
pes de base ont été posés, y expli-
que-t-on. On entre maintenant
dans la déclinaison, notamment
avec les collectivités locales. »
Hasard du calendrier, un tout
premier « comité interministériel
à la résilience nationale »s’est
tenu, le 1er février, sous la houlette
d’Aurélien Rousseau, le directeur
de cabinet d’Elisabeth Borne. p
Cédric Pietralunga
et Élise Vincent
Présentation d’un drone par l’armée de terre, au camp militaire de Versailles-Satory (Yvelines), le 6 octobre 2022. Laurent GRANDGUILLOT/REA
En France, un commandement
consacré aux guerres de demain
Le chef d’état-major de l’armée de terre a annoncé la mise en place
d’une nouvelle organisation qui met l’accent sur le cyber et les drones
L’
armée de terre devrait
entrer, dans les pro-
chaines années, dans
une vaste phase de
transformation. C’est ce qu’avait
annoncé, le 20 janvier, le chef de
l’Etat, lors de ses vœux aux ar-
mées, et c’est ce qu’a détaillé le
chef d’état-major de l’armée de
terre, le général Pierre Schill, de-
vant l’Association des journalistes
de défense, lundi 13 février. Une
annonce qui s’inscrit dans le ca-
dre des travaux sur la future loi
censée être présentée en conseil
des ministres au printemps afin
de planifier la dépense de 413 mil-
liards d’euros pour la défense sur
la période 2024-2030.
Alors que de nombreuses incer-
titudes demeurent sur la déclinai-
son budgétaire réelle de cette loi
de programmation militaire
(LPM) et sur les capacités qu’elle
donnera, ou non, aux armées
pour les années à venir, l’armée
de terre devrait dans tous les cas
s’engager dans une profonde
réorganisation. Si le nombre total
de régiments (environ 80) sera
préservé, certains devraient subir
des évolutions importantes. Les
régiments de « mêlée » (chars, in-
fanterie) pourraient être en partie
dégraissés, tandis que ceux spé-
cialisés dans le cyber et les drones
seraient renforcés. « Il n’y aura pas
de dissolution de garnison », a tou-
tefois assuré le général Schill.
L’enjeu se veut triple pour l’ar-
mée de terre. Il s’agit à la fois de
monter en gamme dans un cer-
tain nombre de domaines, en par-
ticulier ceux des feux dans la pro-
fondeur (artillerie longue portée,
drones, etc.) et du cyber ; d’être
plus réactive en cas de nécessité
de déployer des effectifs dans le
cadre d’un conflit de haute inten-
sité ; et de muscler sa logistique.
« Nous devons revenir à une cohé-
rence globale de l’armée de terre »,
a résumé le général Schill, préci-
sant que la présentation finale de
ce projet aurait lieu le 4 avril.
Derrière ce plan de transforma-
tion se cache un vrai souci de re-
donner à l’armée de terre des ca-
pacités d’intervention au-delà de
sa seule culture expéditionnaire,
qui s’est globalement achevée
avec la fin de l’opération
« Barkhane » au Sahel, en novem-
bre 2022. Rien ne garantit, à ce
stade, que la future LPM le per-
mette, en raison de l’explosion
des coûts de l’énergie, des maté-
riaux, ainsi que de multiples arbi-
trages encore en cours, mais l’affi-
chage est là. Pour donner le
change, l’armée de terre devrait
se doter de deux nouveaux com-
mandements : l’un consacré aux
guerres de demain, et un autre re-
latif à la guerre hybride et aux ac-
tions ­spéciales. Tous les deux se-
ront hiérarchiquement au même
niveau que le commandement
des forces terrestres, qui a la main
sur les 77 000 hommes du cœur
­opérationnel de l’armée de terre.
Ils seront sous l’autorité directe
de l’état-major.
Mise en cohérence des capacités
Le commandement des guerres
de demain aura pour principale
mission la mise en cohérence
d’un certain nombre de nouvelles
capacités de l’armée de terre,
aujourd’hui éparpillées au sein
des régiments, notamment dans
le domaine des feux dans la pro-
fondeur, des drones, des muni-
tions téléopérées et de la défense
sol-air de courte portée, dont la
lutte antidrone. Autant de capaci-
tés jusqu’ici très résiduelles.
Le commandement relatif à la
guerre hybride et aux actions spé-
ciales devra, lui, s’occuper de décli-
ner dans les régiments les capaci-
tés permettant de traiter l’ensem-
ble du champ cyber (défensif, of-
fensif et influence), alors que ces
compétences sont aujourd’hui,
pour partie, soit directement sous
la tutelle du commandement de
la cyberdéfense (Comcyber), soit
l’œuvre d’un tout petit carré
International | 3
« Il y a un réel besoin
de rendre l’armée de
terre plus autonome.
Elle doit avoir sous
son commandement
tous les domaines
de lutte »
Pierre-Joseph Givre
général de l’armée de terre
­ ’officiers à l’état-major des ar-
d cadre, a-t-il assuré. Selon le haut
mées, s’agissant de l’influence.
« Il y a un réel besoin de rendre
l’armée de terre plus autonome.
Elle doit avoir sous son comman-
dement tous les domaines de lutte,
antiaérienne, cyber, information-
nelle, frappes dans la profondeur…
tout en demeurant interopérable
avec les autres armées. Lorsqu’on
sous-traite des actions, on crée des
dépendances, ce qui est risqué dans
un conflit de haute intensité où on
opère toujours sous contrainte des
événements et de temps », expli-
que le général Pierre-Joseph Givre,
qui dirige le Centre de doctrine et
d’enseignement du commande-
ment (CDEC) de l’armée de terre.
Pour que ce schéma fonctionne,
une plus grande « autonomisa-
tion » des sept brigades qui com-
posent actuellement l’armée de
terre, dotées chacune de 7 000 à
8 000 hommes, est envisagée.
Aujourd’hui, lorsque les régi-
ments partent en opération ou en
exercice, de savants et longs rétro-
plannings doivent être mis en
œuvre pour aller piocher des
­capacités échantillonnaires épar-
pillées un peu partout. Dans le
nouveau modèle voulu par le gé-
néral Schill, les brigades qui cha-
peautent les régiments seront
autonomes sur ce plan-là.
Ce mouvement de réorgani­-
sation de la logistique devrait
concerner l’ensemble du terri-
toire national et être associé à une
­territorialisation de la réserve na-
tionale. Alors que le ministre des
armées a confirmé, en janvier,
que l’objectif était de multiplier
par deux la réserve (aujourd’hui
autour de 40 000 personnes), le
recrutement et l’emploi de ces
nouveaux réservistes – un défi en
soi – seront réaménagés.
L’exercice du général Schill,
lundi, a pour beaucoup consisté à
tenter de se montrer « satisfait »
des arbitrages en cours de la fu-
ture LPM. « L’armée de terre fera
son affaire » de cette nouvelle loi-
gradé, les arbitrages en cours ga-
rantiraient aussi que la France
soit en mesure de commander un
corps d’armée sous la houlette de
l’OTAN, avec toutes les capacités
organiques nécessaires. « C’est ac-
quis », a-t-il déclaré, alors qu’un
certain nombre d’inquiétudes au
sein de ses troupes concernaient
justement ce segment.
L’armée de terre a toutefois
­encore à s’assurer, en interne, que
le financement de cet acquis de
principe se fasse vite : c’est-à-dire
en début de LPM et pas en fin,
comme certains scénarios l’envi-
sagent. Le général Schill a aussi
précisé que la nécessité de ren­-
forcer la défense sol-air pourrait
affecter le programme Scorpion,
qui vise à muscler les capacités de
combat numérique de l’armée
de terre. Des choix d’armement
différents pourraient également
être faits pour le Griffon et le Ser-
val, ces nouveaux véhicules qui
arrivent au sein des régiments, et
dont un certain nombre, prévus
pour transporter de l’infanterie,
seront convertis à l’appui et au
soutien. « L’armée de terre va
­garder une polyvalence globale,
ce sera une spécialisation mesu-
rée », a résumé le général Schill,
tout en ajoutant que la France
­resterait une « armée médiane »
à l’horizon 2030. p
C. Pi. et E.V.

4 | International
A Kaboul,
des dissensions
au sein du
régime taliban
Le chef de l’« émirat islamique »
s’oppose aux partisans
de compromis incarnés
par le ministre de l’intérieur
Kaboul - envoyé spécial
I
l règne une ambiance de ré-
volution de palais au sein de
la théocratie afghane. Dix-
huit mois après le retour au
pouvoir des talibans, l’Afghanistan
bruisse de tensions entre deux
camps, celui du chef suprême du
mouvement islamiste, l’émir Hai-
batullah Akhundzada ; et celui des
ministres de l’intérieur, Sirajuddin
Haqqani, leader du réseau épo-
nyme, et de la défense, le mollah
Yaqoub, fils de la figure historique
talibane, le mollah Omar. Les pre-
miers, fidèles à l’émir, ne voient de
salut que dans une application ul-
tra-rigoriste du Coran, tandis que
les seconds, pensent que le régime
ne peut pas survivre sans passer
des compromis avec l’étranger.
Comme dans tout pays totali-
taire, rien n’est dit ni confirmé.
­Officiellement, le mouvement est
uni comme jamais. Mais en cou-
lisse, les rares organisations inter-
nationales présentes à Kaboul,
confortées par des confidences
de membres du gouvernement
recueillies par des diplomates
étrangers, tiennent pour acquis
que la gouvernance talibane con-
naît sa première crise. La fin des
vacances scolaires, en mars, et
donc la réponse à la question, tou-
jours pendante, du retour des jeu-
nes filles à l’école et à l’université
permettront de prendre la me-
sure des divergences. On saura
alors si le régime choisit, ou non,
la voie du compromis.
Selon un cadre des Nations
unies (ONU) à Kaboul, qui a requis
l’anonymat, la scission entre les
deux camps s’est cristallisée par la
décision prise « à la fin de janvier,
au début de février », par le chef
des talibans de créer un conseil
national de sécurité qui pourrait
Washington peu loquace sur les objets volants abattus dans le ciel
Les révélations parcellaires des autorités laissent l’opinion dans l’incertitude et l’opposition républicaine dans un état d’irritation croissante
Washington - correspondant
P arfois, la communication
ajoute à la confusion.
Lundi 13 février, la quasi-in-
tégralité du point presse de la Mai-
son Blanche a été consacrée à un
sujet unique : le ciel américain.
­Depuis qu’un ballon espion chi-
nois a été repéré puis abattu au
large de la Caroline du Sud, le 4 fé-
vrier, les révélations parcellaires
se poursuivent, alimentant la sus-
picion et les fantasmes. Elles ne
concernent plus des opérations de
même nature organisées dans le
passé par Pékin, mais des objets
volants non identifiés. Trois d’en-
tre eux ont été repérés et détruits
entre vendredi et dimanche par
les forces aériennes américaines.
« Il n’y a pas d’indication d’extrater-
restres ou d’activités extraterres-
tres », a cru bon de préciser Karine
Jean-Pierre, la porte-parole de la
Maison Blanche, dans un sourire.
Au cours du point presse à la
Maison Blanche lundi, John
être dirigé par l’un de ses fidèles,
Ibrahim Sadr, un ex-comman-
dant militaire taliban, qui fut, très
peu de temps, le premier ministre
de l’intérieur du régime, avant Si-
rajuddin Haqqani. Là encore,
aucune communication officielle
n’a été faite à ce sujet. Il faut se fier
aux dires de diplomates étrangers
ou de représentants d’institu-
tions internationales sur place.
Emprise
A ce jour, la sécurité du pays rele-
vait de la seule autorité des minis-
tères de l’intérieur et de la défense.
Désormais, ce serait donc un pro-
che du chef des talibans qui aurait
la main sur cet outil. Les deux mi-
nistres siégeraient à ce conseil,
mais seraient, de fait, désavoués
dans leurs prérogatives au profit
du leader suprême. En janvier, les
diplomates étrangers à Kaboul
échangeaient entre eux des infor-
mations affirmant que Sirajuddin
Haqqani et le mollah Yaqoub al-
laient démissionner à cause de
cette réforme. Il n’en fut rien.
Selon les mêmes sources, no-
tamment au sein de l’ONU, à Kan-
dahar, fief d’Haibatullah Akhund-
zada, d’où il dirige le pays à coups
de décrets, cette volonté de con-
trôler l’appareil sécuritaire se
doublerait de la création d’une
troupe armée chargée de sa sécu-
rité personnelle – une initiative
qui illustre son inquiétude pour
sa personne –, dont les membres
viendraient de la province voisine
du Helmand. Dans le même es-
prit, le chef des talibans aurait ef-
fectué, selon ce témoin crédible
de l’ONU, des visites auprès des
commandants du sud du pays
pour s’assurer de leur loyauté.
Le responsable taliban, qui re-
fuse de se montrer en public et
n’est toujours pas venu à Kaboul
Kirby, chargé des questions di-
plomatiques et sécuritaires, a
tenté de donner quelques élé-
ments factuels sur cette sou-
daine agitation dans le ciel. La
trajectoire de ces objets volants
ne dépendrait d’aucun outil de
pilotage, mais du sens des vents.
Ils ne transmettaient pas de si-
gnaux de communication. Leur
taille serait bien plus réduite que
celle du ballon chinois. Enfin, ils
volaient à bien plus basse alti-
tude. Le ballon chinois se trou-
vait très haut, à 18 000 mètres,
alors que les objets volants circu-
laient entre 6 000 et 9 000 mè-
tres. « Ces objets ne présentent
pas un danger pour quiconque
au sol, a expliqué de son côté le
secrétaire à la défense, Lloyd
­Austin, à sa descente d’avion à
Bruxelles, lundi. Néanmoins, ils
présentent un risque pour l’avia-
tion civile, et potentiellement un
risque de recueil de renseigne-
ments. » C’est donc au nom d’un
« redoublement de précaution »
Le ministre de l’intérieur afghan, Sirajuddin Haqqani, à Kaboul, le 28 avril 2022. ALI KHARA/REUTERS
depuis le 15 août 2021, ne s’est pas
contenté d’avancer ses pions sur
le terrain régalien. Il a étendu son
emprise sur tous les leviers de
commande du pays. Quand les
ministres ne lui étaient pas totale-
ment dévoués, il leur a adjoint
des fidèles ou les a remplacés,
comme, à la fin d’octobre 2022, en
nommant ministre de l’enseigne-
ment supérieur un religieux loyal,
Neda Mohammad Nadeem, aupa-
ravant gouverneur de la province
de Kaboul. Il s’appuie enfin sur
des proches, le chef de la Cour su-
prême, le conservateur Abdelha-
kim Haqqani, ou le premier
­ministre, le mollah Mohammad
Hassan Akhund.
Au début d’octobre 2022, contrai-
rement aux engagements d’inté-
grer d’autres forces politiques et
ethnies, ou des femmes, au sein du
gouvernement, le mollah Haiba-
tullah nommait 38 personnes à
des postes de responsabilité, mi-
nistériels et militaires, presque
toutes étant des religieux pach-
tounes. On notait ainsi la présence
du vice-premier ministre Maulvi
Abdul Kabir, également membre
du conseil de direction des tali-
bans, ayant occupé des postes-clés
pendant le régime taliban en
Afghanistan entre 1996 et 2001.
Craignant sans doute la margi-
nalisation, le chef suprême des
que Washington a décidé de dé-
truire ces objets en vol.
John Kirby a souligné que le
phénomène des objets volants
non identifiés existait depuis des
années, sans recueillir l’attention
soutenue des autorités. En
juin 2021, le président, Joe Biden, y
a consacré pour la première fois
l’un de ses briefings quotidiens de
sécurité. Un bureau au Pentagone
a été mis en place pour se pencher
sur la question, en liaison avec le
milieu de la recherche. Mais c’est
la modification des paramètres
dans les capacités radars des
Etats-Unis qui pourrait expliquer
« au moins en partie » la soudaine
recrudescence, ces derniers jours,
de ces objets repérés. Joe Biden
a demandé à son conseiller à la
sécurité nationale, Jake Sullivan,
de mettre en place une équipe
transversale, interagences, pour
travailler sur les implications.
La récupération des débris est
lancée sur tous les sites. Les
Etats-Unis travaillent avec les
talibans a commencé à bouger
ses pions le 23 mars 2022, en si-
gnant un décret contredisant
l’annonce faite de longue date par
le gouvernement de rouvrir, le
jour même, les lycées aux filles de
plus de 12 ans. C’est lui qui est éga-
lement à la manœuvre pour la ré-
duction des droits des femmes
dans le pays. Le 13 novembre, il a
ordonné aux juges de tout le pays
« l’application stricte de la cha-
ria [loi islamique] » comme outil
central de la gouvernance tali-
bane. Lui, enfin, qui a interdit la
présence des femmes dans les or-
ganisations non gouvernemen-
tales nationales et internationa-
les, et poussé à la fermeture des
universités aux étudiantes.
Changement de ton
En novembre 2022, selon nos in-
formations, une cinquantaine de
caciques du régime, des minis-
tres et d’anciens dirigeants tali-
bans, ont signé une lettre dans la-
quelle ils estimaient que le pays
allait dans « la mauvaise direc-
tion ». Ce courrier est resté lettre
morte et les signataires n’ont pas
démissionné, laissant intact cet
antagonisme au cœur du pou-
voir. Un fossé qui risque de se
creuser car le mollah Haibatullah
n’est pas seulement le chef su-
prême des talibans afghans, il a
services canadiens pour localiser
ceux tombés dans le lac Huron,
dimanche. Les Canadiens sont
aussi mobilisés pour trouver
les morceaux de l’objet identifié
au-dessus du territoire du Yukon,
samedi. Quant aux restes de l’ob-
jet abattu vendredi, ils se trou-
vent dans un site isolé et glacé, en
Alaska. « Nous devons tous être
modestes », a recommandé John
Kirby, en référence aux difficul-
tés d’un avion de chasse, volant
à des centaines de kilomètres
par heure, à identifier un objet
quasi-stationnaire.
Crispation bilatérale
La Maison Blanche laisse ainsi
le public dans l’incertitude et
l’opposition républicaine dans
un état d’irritation grandissante.
Les briefings classifiés organisés
pour les élus au Congrès n’ont pas
vraiment répondu aux interroga-
tions. Les républicains s’empa-
rent aussi de l’occasion pour fus-
tiger une supposée absence de
Le retour ou non
des filles à l’école
et à l’université,
en mars,
permettra
de prendre
la mesure des
divergences
aussi rang de commandeur des
croyants et, à ce titre, il dit la loi à
tous les musulmans.
Lors d’un rassemblement de
hauts talibans à Kaboul, en octo-
bre 2022, Sher Mohammad Abbas
Stanekzai, vice-ministre des affai-
res étrangères, s’était prononcé
en faveur du retour des filles à
l’école. Mais la première véritable
manifestation publique de ces di-
vergences est survenue samedi
11 février, dans la province de
Khost, dans le sud-est du pays. Au
cours d’une cérémonie, le minis-
tre de l’intérieur, Sirajuddin Ha-
qqani, a critiqué ouvertement la
situation du pays, la qualifiant
d’« intolérable ».
En déclarant que « l’émirat isla-
mique souhaitait une interaction
sincère avec le monde et construire
une voie juste et légitime », il s’est
poigne et de maîtrise de la part de
Joe Biden. « Le président doit une
explication franche face caméra
au peuple américain », a soutenu
le sénateur Tom Cotton (Arkan-
sas). « L’administration n’a tou-
jours pas été capable de divulguer
la moindre information significa-
tive sur ce qui a été descendu, a
ajouté le chef de file républicain
au Sénat, Mitch ­McConnell (Ken-
tucky). Mais qu’est-ce qui peut
bien se passer ? »
Les autorités américaines ont
fait preuve de retenue, se gardant
bien de lier les objets volants à la
Chine. La localisation et la des-
truction du ballon espion avaient
provoqué le report du déplace-
ment à Pékin du secrétaire d’Etat,
Antony Blinken. John Kirby a sou-
ligné que l’existence d’un pro-
gramme chinois d’espionnage à
l’aide d’une flotte de ballons avait
été mise au jour par l’administra-
tion actuelle. Cette flotte « agissait
sous l’administration précédente,
mais ils ne l’avaient pas détectée.
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
livré à un exercice d’autocritique
assez rare en pays taliban.
« Aujourd’hui, a-t-il ajouté, nous
nous considérons comme pleine-
ment légitimes, mais nos convic-
tions ont tellement pris le dessus
que défier, cibler, diffamer et mo-
nopoliser l’ensemble du système
comme nous le faisions sont restés
un mode de fonctionnement.
Qu’Allah corrige nos intentions et
nos actions. Cette situation ne peut
être tolérée. »
Le débat n’existant pas en pays
taliban, ces propos n’ont fait l’ob-
jet d’aucune réaction, mais ils si-
gnent un changement de ton et
de stratégie de la part des oppo-
sants au mollah Haibatullah. Il est
« important », a conclu le ministre
de l’intérieur, d’« offrir des oppor-
tunités à la nation ». Allusion au
fait que la communauté interna-
tionale conditionne sa reconnais-
sance et son aide au respect des
droits des femmes, en particulier
le droit à l’éducation, à la création
d’un gouvernement inclusif et à
la non-utilisation du territoire
afghan comme base arrière pour
mener des actions contre d’autres
Etats. Pour sa part, le chef des tali-
bans estime qu’aucun engage-
ment ne se fera avec la commu-
nauté internationale « hors du ca-
dre des principes islamiques ». p
Jacques Follorou
C’est nous qui l’avons détectée ».
Ces ballons sont passés au-dessus
de « dizaines de pays sur de multi-
ples continents ».
De son côté, Pékin a affirmé
lundi que les Etats-Unis avaient
envoyé au moins dix ballons de
même nature dans son espace aé-
rien depuis 2022. Dans un pre-
mier temps, le régime avait pour-
tant répondu par un mélange de
contrition et d’embarras à la dé-
couverte de son ballon espion au-
dessus du Montana, expliquant
qu’il s’agissait de la dérive invo-
lontaire d’un appareil destiné à
l’étude météorologique. Ce dur-
cissement de ton montre une
forme de crispation bilatérale,
mais nullement de rupture. L’es-
pionnage mutuel est l’une des
nombreuses facettes de la compé-
tition systémique entre les deux
pays. « Nous ne faisons pas voler
des ballons de surveillance au-des-
sus de la Chine », a assuré John
Kirby, à la Maison Blanche. p
Piotr Smolar
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
En Italie, Giorgia Meloni conforte son assise
La présidente du conseil remporte les élections régionales en Lombardie et dans le Latium
Rome - correspondant
E
n dépit d’une abstention
record, la droite a de nou-
veau triomphé en Italie.
Les scrutins régionaux
en Lombardie et dans le Latium,
dimanche 12 et lundi 13 février, qui
avaient valeur de premier test
électoral pour la présidente du
conseil, Giorgia Meloni, ont con-
firmé sa domination sur la scène
politique intérieure. Dans les deux
régions les plus peuplées du pays,
les coalitions de droite l’ont ainsi
remporté avec 56,4 % des voix en
Lombardie et 51,2 % dans le Latium
contre une opposition de gauche
désunie. Le parti de Mme Meloni,
Fratelli d’Italia (extrême droite),
s’est même imposé face à ses par-
tenaires de gouvernement et ar-
rive en tête des scrutins qui déter-
minent la composition d’exécutifs
régionaux disposant d’un degré
d’autonomie important dans les
secteurs de la santé, des transports
et de l’éducation.
Les résultats en recul enregis-
trés par la Ligue, emmenée par
Matteo Salvini, et Forza Italia,
Immigration : un décret jugé illégal
Le tribunal de Catane a déclaré illégal un décret adopté fin 2022
par le gouvernement italien d’extrême droite et de droite autori-
sant uniquement les migrants les plus vulnérables à débarquer
d’un navire de sauvetage, « dans la mesure où il ne permet que
les secours aux personnes dont la santé est précaire, contrevenant
ainsi aux obligations internationales ». Ce jugement trouve
son origine dans les restrictions imposées en novembre 2022
au navire Humanity-1, sous pavillon allemand, qui avait recueilli
179 personnes en détresse en Méditerranée centrale.
L’Eglise portugaise reconnaît près
de 5 000 victimes d’abus sexuels
Une commission indépendante a rendu un rapport accablant sur
les violences commises pendant des années sur de jeunes enfants
Madrid - correspondante
E n s’appuyant sur la lecture
de témoignages très durs,
la commission d’experts
indépendants constituée au Por-
tugal, fin 2021, pour enquêter sur
l’ampleur de la pédocriminalité
dans l’Eglise catholique a pré-
senté durant deux longues heu-
res son rapport définitif, lundi
13 février, à Lisbonne. Après un an
de travail, plus de cinq cents té-
moignages de victimes recueillis
et confirmés, des dizaines d’en-
tretiens avec de hauts dignitaires
de l’Eglise et l’accès précieux aux
archives diocésaines, elle a conclu
que 4 815 mineurs au moins ont
été victimes de violences sexuel-
les depuis les années 1950. Un
chiffre « absolument minimal », a
précisé le coordinateur de la com-
mission, le pédopsychiatre Pedro
Strecht, car sans doute très infé-
rieur à la réalité.
Dans un pays où 80 % de la popu-
lation se définit comme catholi-
que, et où 30 % se disent prati-
quants, la publication de ce rap-
port, révélant noir sur blanc des
abus commis au sein de l’Eglise
portugaise couverts par le silence
de l’institution, a provoqué un
choc. « C’est une blessure ouverte
qui nous fait mal et honte, a réagi le
président de la conférence épisco-
pale portugaise, José Ornelas,
après la présentation du rapport.
Nous demandons pardon à toutes
les victimes : à celles qui ont donné
courageusement leur témoignage,
après tant d’années de silence, et à
celles qui vivent encore avec leur
douleur dans le plus profond de leur
cœur, sans la partager. »
L’âge moyen des victimes au mo-
ment des faits était de 11,2 ans.
Dans 53 % des cas, elles ont été
fondé par Silivio Berlusconi, al-
liés du gouvernement, confir-
ment la « victoire nette » revendi-
quée par la présidente du con-
seil, qui intervient au moment
où un nouvel incident trouble
sa coalition. Partenaire fraîche-
ment réélu sénateur, M. Berlus-
coni, 86 ans, ami intime de Vladi-
mir Poutine, s’est en effet illustré
de son côté, dimanche, en s’en
prenant à Volodymyr Zelensky.
Interrogé sur la rencontre jeudi,
à Bruxelles, entre le président
ukrainien et Mme Meloni, il a
lancé : « Moi parler avec Ze-
lensky ? Si j’avais été président du
conseil, je n’y serais jamais allé. »
« Il suffisait qu’il [le chef de l’Etat
ukrainien] cesse d’attaquer les
deux républiques autonomes du
Donbass et tout cela ne serait pas
arrivé, par conséquent je juge très
très négativement le comporte-
ment de ce monsieur », a-t-il
ajouté. Une prise de parole parti-
culièrement embarrassante pour
Mme Meloni engagée en faveur du
soutien à Kiev et qui se veut ga-
rante de l’orientation atlantiste de
l’Italie. « Le soutien du gouverne-
Le « pic »
des violences
dans l’Eglise
portugaise
se situe entre
les années 1960
et 1990
agressées plus d’une fois et, dans
27 % des cas, durant plus d’un
an. Aujourd’hui quinquagénaires
– l’âge « le plus bas des pays euro-
péens où il y a des données », a sou-
ligné M. Strecht –, elles ont subi les
agressions dans des séminaires
(23 %), des églises (19 %), des con-
fessionnaux (14 %), des maisons
paroissiales (13 %) et des écoles ca-
tholiques (7 %). Le « pic » des vio-
lences commises dans l’Eglise por-
tugaise se situe entre les années
1960 et les années 1990. Mais seu-
les 4 % des victimes ont porté
plainte devant la justice. Pis, 43 %
d’entre elles n’avaient jamais ra-
conté ce qui leur était arrivé avant
d’en parler devant la commission.
Vulnérabilité accrue
« La caractéristique fondamentale
de l’abus est le pouvoir qu’a l’abu-
seur sur l’enfant », a expliqué le
psychiatre et membre de la com-
mission Daniel Sampaio. Or, dans
l’Eglise, cette vulnérabilité est ac-
crue par la croyance que « le prêtre
est la voix de Dieu ». Parmi les té-
moignages anonymes lus, il y a
celui de cet enfant à qui le curé a
enjoint d’aller se confesser juste
après qu’il eut abusé de lui, ou ce-
lui de ces deux autres enfants qui
décrivent le refus de leur mère de
les croire. Dans 96 % des cas,
ment italien à l’Ukraine est ferme
et convaincu, comme cela est clai-
rement prévu dans le programme
et comme cela a été confirmé par
tous les votes parlementaires de
la majorité soutenant l’exécutif »,
a aussitôt réagi dans un commu-
niqué le gouvernement.
Importantes pour l’avenir de la
coalition de Giorgia Meloni, les
élections régionales se sont sur-
tout déroulées dans un climat
atone. Avec seulement 37,2 % de
participation, la région de Rome
enregistre le taux le plus bas ja-
mais enregistré en Italie pour ce
type de scrutin. Dans la région de
Milan, 41,6 % des électeurs se
sont déplacés, ce qui constitue lo-
calement, ici aussi, un minimum
historique. Ces deux scrutins,
dans la capitale politique et la
place forte économique du pays,
confirment ainsi l’abstention
déjà très marquée lors des élec-
tions législatives du 25 septem-
bre. Elles illustrent aussi les diffi-
cultés d’une opposition morcelée
qui ne parvient pas à proposer
une offre politique alternative.
Marges de manœuvre limitées
Avec respectivement 33,1 % et
34,7 % des voix, le Parti démocrate
(PD, centre gauche), qui s’était al-
lié aux populistes antisystème du
Mouvement cinq étoiles en Lom-
bardie et aux centristes du « troi-
sième pôle » dans le Latium, n’est
pas parvenu à changer la donne.
L’échec du principal parti de gau-
che était annoncé. Pour cette for-
mation politique tiraillée entre le
centre et une gauche plus radi-
l’agresseur était un homme, et un
prêtre dans 77 % des cas. Très peu
montrent une forme de « repen-
tance » : la plupart cherchent à « se
justifier », a expliqué la cinéaste
Catarina Vasconcelos, autre
membre de la commission.
Celle-ci a émis plusieurs recom-
mandations visant à améliorer la
prise en charge des victimes. La
première consisterait à reporter à
30 ans l’âge pour dénoncer des
violences sexuelles commises sur
des mineurs. Actuellement, les dé-
lits sont prescrits cinq ans après les
18 ans de la victime, ce qui expli-
que que seuls vingt-cinq cas, suffi-
samment récents pour être sus-
ceptibles d’aboutir à des poursui-
tes, ont été transmis au parquet.
La commission enjoint par
ailleurs l’Eglise à prendre en
charge, avec le service national de
santé, le suivi psychologique des
victimes, dont 75 % souffrent de
séquelles allant de troubles du
sommeill à la dépression, et pré-
sentent un risque élevé d’addic-
tions. La liste confidentielle des
agresseurs encore actifs qui ont pu
être identifiés devrait être trans-
mise à la hiérarchie catholique et
au ministère public, d’ici à la fin du
mois. Les évêques portugais ont
promis une « tolérance zéro ». Ils se
réuniront lors d’une assemblée
plénière extraordinaire à Fatima,
le 3 mars, afin de prendre des « me-
sures concrètes » pour empêcher
que les violences ne se répètent.
En août, le pape François, qui
avait promis en 2019 de lancer la
« bataille totale » contre la pédo-
philie au sein de l’Eglise, se ren-
dra à Lisbonne à l’occasion des
Journées mondiales de la jeu-
nesse. Il pourrait alors y rencon-
trer des victimes. p
Sandrine Morel
Fratelli d’Italia,
longtemps
confiné aux
marges du
spectre politique,
dépasse la Ligue
dans son berceau
cale, la seule échéance qui
compte désormais est celle du
congrès et des primaires. Ce pro-
cessus doit porter à sa tête, le
26 février, une équipe chargée de
sortir le parti de sa crise existen-
tielle, tout en repensant son iden-
tité au moment où l’Italie est gou-
vernée par l’exécutif le plus à
droite de l’histoire républicaine.
Après des résultats décevants
aux élections législatives, le PD,
alors incapable de construire
une alliance pour faire face à la
montée en puissance de Giorgia
Meloni, a aussi été fragilisé par
les scandales de corruption
au Parlement européen, impli-
quant certains de ses anciens
membres. Toutefois, les mauvais
scores enregistrés par les centris-
tes et le Mouvement 5 étoiles,
là où ils se présentaient seuls
aux régionales, ont montré
qu’ils ne pouvaient pas gagner
sans le Parti démocrate.
L’enjeu du scrutin, pour Giorgia
Meloni, consistait d’abord à affi-
cher sa supériorité électorale face
à ses partenaires de droite. Son
parti, Fratelli d’Italia, longtemps
Haletant
et bouleversant.
Un grand film.
L’OBS
Poignant
et percutant.
TÉLÉRAMA
Un film
magnifique.

LE FIGARO
LE PARISIEN
KARIM
LEKLOU
International | 5
confiné aux marges du spectre
politique, dépasse ainsi la Ligue
dans son berceau lombard.
En 2018, le parti de M. Salvini,
alors au sommet de sa popularité,
avait emporté près de un tiers des
voix. Le style populiste de l’actuel
vice-président du conseil, qui
était parvenu à transformer un
parti aux origines autonomistes
en une force de droite radicale
­antimigrants, ne fait plus recette,
même à domicile. Dans le Latium,
un des berceaux de sa famille po-
litique issue de la tradition post-
fasciste, le parti de Mme Meloni est
passé de 9 % des voix à 34,2 %.
Une nouvelle victoire politique
donc, mais pour quoi faire ? La
présidente du conseil, arrivée
au pouvoir en octobre 2022 avec
une majorité claire, dispose de
marges de manœuvre limitées.
L’Italie est la principale bénéfi-
ciaire du plan de relance euro-
péen à hauteur de 200 milliards
d’euros, ce qui contraint cette an-
cienne eurosceptique déclarée à
éviter un conflit avec Bruxelles.
La dette du pays oblige égale-
ment l’exécutif italien à ne pas
lancer de signaux qui pourraient
être interprétés négativement
par les marchés financiers.
Résultat, le début du mandat
de la coalition au pouvoir reste
surtout marqué par des mesures
symboliques et des ébauches de
réforme qui ne pourront gagner
en substance qu’au fil de longs
­itinéraires législatifs, dans un
contexte où les Italiens conti-
nuent à se détourner des urnes. p
Allan Kaval
SHAÏN
BOUMEDINE
UN FILM DE
RACHID HAMI
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
Tc had
Des dizaines de rebelles
jugés
Le procès de 454 rebelles ac-
cusés de l’« assassinat » de
l’ancien président Idriss
Déby Itno, tué au front
en 2021 lors de leur offensive,
s’est ouvert lundi 13 février à
huis clos. L’audience de la
cour criminelle de la cour
d’appel de N’Djamena, dans
l’enceinte de la prison de
Klessoum, à une vingtaine
de kilomètres au sud-est de
la capitale, a été ajournée à
mercredi aussitôt après la
lecture de l’acte d’accusation.
Au printemps 2021, le Front
pour l’alternance et la con-
corde au Tchad avait lancé, à
partir de ses bases arrières en
Libye, une offensive. – (AFP.)
États-U nis
Trois morts dans une
fusillade sur un campus
Trois personnes ont été tuées
et cinq blessées, lundi 13 fé-
vrier, par un homme qui a
ouvert le feu dans un campus
à Lansing, à l’ouest de Detroit,
aux Etats-Unis. L’assaillant
s’est donné la mort après une
course-poursuite de plusieurs
heures avec la police. – (AP.)
INDE
Perquisition du fisc dans
les bureaux de la BBC
Le fisc indien a perquisiti-
onné, mardi 14 février, les bu-
reaux de la BBC à New Delhi.
Cette descente intervient peu
après la diffusion d’un docu-
mentaire accusant l’actuel
chef du gouvernement, Na-
rendra Modi, d’avoir fermé
les yeux sur les émeutes in-
terconfessionnelles de 2002
dans le Gujarat, à l’époque
où il était premier ministre
de cet Etat. – (AFP.)
Sélection Officielle

6 | International
En Israël, la bataille pour l’indépendance de la justice
Le projet du gouvernement Nétanyahou de réforme de la Cour suprême est présenté mercredi devant la Knesset
Jérusalem - correspondant
D
ans les gares de Tel-
Aviv, la grande ville
­libérale de la côte, des
milliers de manifes-
tants peinent, lundi 13 février au
matin, à monter dans les trains
bondés qui doivent les mener à
Jérusalem, pour protester devant
le Parlement. Ils vont dénoncer
la réforme de l’institution judi-
ciaire menée par la coalition de
partis conservateurs, d’extrême
droite et religieux de Benyamin
Nétanyahou, au pouvoir depuis
décembre 2022. « Changement de
régime », « coup d’Etat » : des slo-
gans lancés dans les rames des
trains aux mises en garde des plus
hauts fonctionnaires, les mêmes
mots reviennent. C’est une guerre
culturelle qui s’exprime au grand
jour lundi, une question existen-
tielle qui divise Israël : à qui ap-
partient le pays ?
Vers 10 heures, des opposants
se rassemblent pour une prière
sous le mur des Lamentations.
Peu avant, dans une salle exiguë
de la Knesset, les deux premiers
textes de cette réforme sont finali-
sés en désordre. Des députés d’op-
position entament la session du
comité pour la Constitution, la loi
et la justice en battant des mains
sur la table ronde et en chantant :
« Je n’ai pas d’autre pays. » Plu-
sieurs admonestent le président
du comité, Simcha Rothman :
« Honte ! Honte à vous ! » Ils s’al-
longent sur la moquette, contrai-
gnent des gardes à les traîner vers
la sortie. Vers 10 h 30, deux textes
sont votés en comité. Ils seront dé-
battus en séance plénière lors de la
première lecture prévue mercredi.
La menace d’une guerre civile
Le premier porte sur la nomina-
tion des membres de la Cour
­suprême. Ils sont actuellement
choisis par un groupe de juges, de
députés et d’avocats du barreau,
sous supervision du ministre
de la justice. La réforme propose
de retirer les avocats de ce panel,
où siégeraient à leur place deux
citoyens, en plus d’un ministre,
offrant au pouvoir une majorité
de cinq voix sur neuf.
C’est un coup porté à l’indépen-
dance des quinze juges de la Cour,
débordés de travail, qui assument
à la fois la charge de Conseil cons-
titutionnel, de cour d’appel admi-
nistrative, civile et pénale, et qui
représentent l’unique contre-
pouvoir institutionnel à la majo-
Australie : 19 000 réfugiés autorisés à s’installer après dix ans d’attente
Depuis 2013, Canberra avait instauré une politique migratoire très sévère interdisant, à vie, aux boat people de s’établir dans le pays
Sydney - correspondance
P rivés d’accès à la résidence
permanente pendant dix
ans, 19 000 réfugiés, arri-
vés en Australie avant fin 2013,
vont enfin pouvoir obtenir ce pré-
cieux sésame et tourner la page
d’un interminable cauchemar.
Le gouvernement a annoncé,
lundi 13 février, que ces milliers
d’hommes, de femmes et d’en-
fants auront le droit de s’installer
à long terme sur l’île-continent
puis de demander la nationalité.
Une avancée majeure pour les or-
ganisations de défense des droits
humains, qui ont applaudi cette
décision très attendue.
Canberra ne renonce pas pour
autant à son implacable politi-
que migratoire, adoptée en sep-
tembre 2013, qui prévoit que tout
migrant illégal intercepté en mer
soit expédié dans un centre de
rétention offshore et se voit
­interdire, à vie, la possibilité de
s’établir en Australie.
Les protestations
contre la réforme
se classent
parmi les plus
puissantes de
l’histoire du pays
rité élue. Le second texte les prive
de leur pouvoir d’invalider le tra-
vail des parlementaires lorsque
ceux-ci amendent l’une des lois
fondamentales du pays, qui tien-
nent lieu de Constitution.
Cela n’est qu’un début. La coali-
tion a morcelé sa réforme en plu-
sieurs projets. Elle prévoit de les
voter un à un, durant des mois.
Aucun de ses soixante-quatre élus
n’a exprimé jusqu’ici de dissen-
sion, quand bien même leur
­réforme inquiète une majorité
nette d’Israéliens, selon les enquê-
tes d’opinion. L’avocate générale a
interdit à M. Nétanyahou de s’im-
pliquer dans cette entreprise : elle
craint un conflit d’intérêts. Le rap-
port de force qu’il instaure avec la
justice peut perturber son procès
pour corruption, ouvert en 2021.
A la présidence du comité des
lois, M. Rothman mène le combat
de sa vie. Juriste, il est issu du
Parti sioniste religieux, supréma-
ciste juif et défenseur des colons
de Cisjordanie. Il souhaite trans-
former l’Etat, à commencer par
l’institution judiciaire, afin de
rendre impossible le démantèle-
ment de colonies dans les terri-
toires palestiniens occupés de-
puis 1967. Il évoque l’évacuation
des implan­tations de la bande de
Gaza, ordonnée en 2005 par Ariel
Sharon, qui demeure le trauma-
tisme fondateur de sa famille po-
litique. La Cour s’oppose rare-
ment à la reconnaissance de colo-
nies par le gouvernement, au mé-
pris du droit international.
En 2018 et en 2022, elle a même
approuvé le déplacement forcé
de villages palestiniens entiers.
Mais pour M. Rothman, elle de-
meure un obstacle à l’annexion
pure et simple de la « Judée-Sa-
marie » (la Cisjordanie).
Depuis des semaines, Simcha
Rothman mène des débats d’une
rare violence. Il balaie les critiques
des conseillers juridiques. Il dé-
nonce l’opposition frontale de la
procureure générale et de la prési-
dente de la Cour. Il coupe les mi-
cros, chauffe l’opposition à blanc.
Celle-ci n’est pas en reste. Lundi, le
La majorité travailliste, au pou-
voir depuis mai 2022, s’attaque
uniquement au problème des
boat people arrivés avant l’entrée
en vigueur de cette loi et qui
avaient perdu, du jour au lende-
main, toute perspective d’avenir.
« Cela n’a aucun sens, économique-
ment ou socialement, de les main-
tenir dans les limbes », a expliqué,
dimanche, le ministre de l’immi-
gration, Andrew Giles. Pendant
dix longues années, ces réfugiés,
pour la plupart originaires d’Irak,
d’Afghanistan, d’Iran ou encore
de Birmanie, n’ont eu accès qu’à
des visas temporaires, devant être
renouvelés à intervalles réguliers.
« Ce régime était extraordinaire-
ment difficile pour eux. Cela leur
posait des problèmes pour trouver
un emploi, pour leur couverture
santé, ils ne pouvaient pas non plus
se payer d’études universitaires ou
voyager librement », cite Ian Rin-
toul, porte-parole de la Refugee
Action Coalition, qui se félicite de
ce « progrès ». Un progrès d’autant
Les opposants à la réforme de la justice manifestent devant la Knesset, à Jérusalem, lundi 13 février. Ohad Zwigenberg/AP
maire (centre gauche) de Tel-Aviv,
Ron Huldai, a paru agiter la me-
nace d’une guerre civile, en préve-
nant que « les dictatures ne revien-
nent pas à la démocratie, sinon
dans un bain de sang ». Le parti de
M. Nétanyahou a porté plainte. Il
fait aussi grand cas d’une menace
voilée de meurtre lancée par un of-
ficier à la retraite contre le premier
ministre. Un responsable du ren-
seignement intérieur a craint
lundi que les débats sur les ré-
seaux sociaux, toxiques, ne pous-
sent un individu isolé à la violence.
Dans l’après-midi, la manifesta-
tion aux abords de la Knesset se
déroule pourtant dans le calme. A
14 heures, elle a déjà rassemblé
70 000 personnes selon la police
(100 000 d’après les organisa-
teurs). Des chiffres considérables
pour ce pays de 9 millions d’habi-
tants. Des rassemblements com-
parables se déroulent chaque sa-
medi à Tel-Aviv. Déjà, ces protesta-
tions se classent parmi les plus
puissantes de l’histoire du pays,
alors que les milieux d’affaires et
Quelque
250 personnes
sont toujours
en rétention
offshore,
captives des îles
de Manus
et de Nauru
plus significatif qu’à partir du mo-
ment où ces réfugiés seront natu-
ralisés, ils bénéficieront aussi,
comme tout autre Australien, du
droit au regroupement familial.
« Nous avons rêvé de cette rési-
dence permanente pendant si long-
temps, j’en ai des frissons ! », se ré-
jouit Mohammad Sakhvidi. Parti
d’Iran à l’âge de 16 ans, après avoir
traversé sur une embarcation de
fortune la mer d’Arafura – entre
l’Indonésie et la côte nord austra-
lienne –, il s’est retrouvé enfermé
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
des figures à la retraite des servi- sition parlementaire, Yaïr Lapid, une discussion qui aille droit au
ces de sécurité multiplient les cri- désigne les fenêtres de la Knesset : but et in fine, ils veulent l’unité ».
tiques contre la réforme. « Ils prétendent qu’ils ne nous en- Dimanche soir, le président Isaac
Lundi midi, la police bloque la tendent pas. Ils prétendent qu’ils Herzog a appelé à geler la réforme,
voie principale qui mène au Parle- n’ont pas peur. Mais ils entendent, pour dégager au préalable un
ment. Elle contraint les manifes- et ils ont peur ! » Dans l’après- « large consensus ». Jamais un pré-
tants à un long détour, à travers le midi, M. Nétanyahou lui de- sident israélien ne s’était ainsi pré-
quartier des ministères. La foule mande de « cesser de traîner le senté à la télévision à une heure de
se serre sur une route et sur les pays vers l’anarchie ». Il dénonce grande écoute pour peser sur les
terrasses de jardins qui donnent « les manifestants de gauche qui affaires en cours. Homme de gau-
vue sur tout Jérusalem-Ouest. De- qualifient le premier ministre de che, connu pour sa prudence,
vant une marée de drapeaux aux traître ». Il estime que « la plupart ­moqué pour sa tiédeur, M. Herzog
couleurs d’Israël, le chef de l’oppo- des citoyens israéliens (…) veulent outrepasse ses fonctions symboli-
ques et protocolaires. « J’ai le senti-
ment – nous le sentons tous – que
Légalisation de neuf avant-postes nous sommes tout près d’une colli-
sion, peut-être même violente », af-
de colons en Cisjordanie firme-t-il. « Les deux parties doi-
La reconnaissance par le gouvernement israélien de neuf vent comprendre que si un seul
avant-postes de colons en Cisjordanie occupée, annoncée dans camp gagne – quel que soit ce
la soirée du 12 février, aurait dû faire la « une » en Israël. C’est camp – nous serons tous per-
la première fois depuis 2012 que l’Etat s’apprête ainsi à légaliser dants. » Lundi soir, le ministre de
en bloc de nouvelles colonies (au regard du droit international, la justice, Yariv Levin, et M. Roth-
aucune n’est légale). Cette annonce est passée quasi inaperçue, man ont de nouveau appelé les
tant la réforme de la justice accapare le débat. Le gouvernement principaux chefs de l’opposition à
justifie son action par les attaques menées contre des civils israé- s’entretenir avec eux. M. Lapid s’y
liens ces dernières semaines. Il promet aussi de construire des refuse tant que la réforme pour-
milliers de nouveaux logements dans les colonies préexistantes. suit son avancée à la Knesset. p
L’Union européenne et Washington ont dénoncé ces décisions. Louis Imbert
en 2013 dans un centre de réten- se heurter à des murs. « Par exem- tées par ces années d’exil forcé.
tion pour migrants sous le matri- ple, comment voulez-vous obtenir Beaucoup souffrent de séquelles
cule TQN29, avant d’être placé en
« détention communautaire », puis
libéré mais avec un visa tempo-
raire, synonyme de précarité.
« Nous allons enfin avoir une exis-
un prêt quand vous n’avez qu’un
visa temporaire ? », demande-t-il.
Des années d’exil forcé
Lundi, les organisations de dé-
physiques et psychologiques.
L’opposition conservatrice a mis
en garde contre l’ouverture d’une
brèche dans un dispositif jusqu’ici
étanche. « La politique travailliste
tence normale ! Ne plus vivre dans fense des réfugiés ont salué cette (…) ne fait qu’affaiblir la protection
l’angoisse constante de retourner victoire, mais aussi dit leur inquié- des frontières et crée des opportu-
dans un centre de rétention. Ne tude pour les milliers d’autres mi- nités pour les passeurs », a dénoncé
plus nous sentir hypervulnérables. grants sans solution. Ceux qui ont Karen Andrews, une responsable
Ne plus avoir peur de défendre nos vu leur dossier de demande d’asile de la droite, à l’origine de cette
droits face à nos employeurs. Ne rejeté à l’issue d’un examen expé- stratégie qui a permis de mettre
plus avoir besoin de nous battre ditif, ceux qui ont perdu leur visa un terme à l’arrivée de quelque
pour décrocher une hypothétique et surtout, ceux arrivés après 2013 200 bateaux clandestins, par an,
autorisation de sortie du territoire qui ont été envoyés dans des cen- en moyenne, entre 2010 et 2013.
afin de serrer nos proches dans nos tres de rétention offshore sur l’île « Ce gouvernement continuera à
bras. Nous ne nous sentirons plus de Manus, en Papouasie-Nouvel- être dur pour protéger les frontiè-
exclus du reste de la société », énu- le-Guinée et à Nauru, dans le Paci- res sans être faible en termes d’hu-
mère-t-il. Le jeune homme, qui fique Sud. Quelque 250 personnes manisme », a rétorqué le premier
a réussi à poursuivre des études sont toujours captives de ces îles, ministre, Anthony Albanese. Les
d’ingénieur grâce à une bourse ex- avec pour seul espoir d’être éven- Australiens, désireux de trouver
ceptionnelle, a par la suite fondé tuellement accueillies par un pays des solutions pour ces réfugiés
une entreprise sociale, baptisée tiers. Près de 1 200 autres, progres- sans risquer un retour des embar-
TQN Personnel, pour aider les ré- sivement transférées en Australie cations illégales, attendent de voir
fugiés à décrocher un emploi. pour des raisons médicales, ne sa- les conséquences de l’initiative ci-
­Malgré ce parcours exemplaire, vent pas où elles seront autorisées blée du gouvernement. p
Mohammad Sakhvidi n’a cessé de à reconstruire leurs vies, dévas- Isabelle Dellerba
 France
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023 |7

La Nupes au centre de la tension à l’Assemblée

Accusée d’obstruction par les syndicats et le gouvernement, la gauche a retiré 1 300 amendements

L
a guerre des nerfs pro-
mise par la gauche contre
la réforme des retraites
est engagée à l’Assemblée
nationale. Au cinquième jour de
l’examen du projet de loi de finan-
cement rectificative de la Sécurité
sociale, lundi 13 février, les dépu-
tés de la Nouvelle Union popu-
laire écologique et sociale (Nupes)
ont opéré un changement de stra-
tégie, sous la pression des syndi-
cats et du camp présidentiel.
Il est 21 h 30 quand plus de
1 300 amendements de la gauche
sur l’article 2 relatif à l’« index se-
niors » sont rayés d’un trait de
plume. Rassemblé avec les chefs
de file « insoumis », écologiste et
communiste, le président du
groupe socialiste, Boris Vallaud,
explique que la Nupes opère cette
manœuvre afin de discuter « des
propositions alternatives de finan-
cement », dont les mesures seront
discutées après l’article 2.
Une façon de prendre de court
leurs adversaires et de mettre un
terme aux accusations d’obstruc-
tion visant les parlementaires de
gauche, auteurs de 18 000 amen­-
dements sur les 20 000 qui ont été
déposés. La première ministre, Eli-
sabeth Borne, avait interpellé la
Nupes, lundi soir, en demandant,
dans un entretien à l’Agence Fran-
ce-Presse, le « retrait des amende-
ments qui n’ont pas d’autre objet
que de faire de l’obstruction et de re-
tarder l’avancée du texte ».
Cette décision de la gauche a
provoqué une certaine fébrilité au
sein de la coalition présidentielle,
peu présente dans l’Hémicycle. Fi- Le député LFI Aurélien Saintoul s’excuse auprès du ministre du travail, après l’avoir traité d’« assassin », lundi 13 février, à l’Assemblée nationale. LUDOVIC MARIN/AFP
nalement, les échanges se sont
cristallisés sur les amendements
des élus macronistes, du Rassem- Mathilde Panot et Hadrien Clouet, « blessé » et « humilié » par de « tels général de la CFDT, Laurent Berger, tout autre musique. Plutôt que de
blement national (RN) et des Ré- de La France insoumise (LFI), l’éco- propos ». Face à l’opprobre, le dé- a dénoncé, dimanche sur RTL, la
Au sein de LFI, débattre, le fondateur de LFI théo-
publicains, ne permettant pas aux logiste Cyrielle Chatelain ou le puté LFI a présenté des « excuses « connerie » de l’obstruction opé- il y aurait risait, avant le début de la discus-
députés d’aller au bout de l’exa- communiste Pierre Dharréville. publiques » après avoir reconnu rée par la Nupes, tout en s’indi- sion au Palais-Bourbon, la néces-
men de l’article 2 avant minuit. L’objectif était d’aboutir à un vote « une erreur » et des « mots dépla- gnant du « spectacle lamentable » à
les partisans sité d’« embourber » l’exécutif,
Après une semaine placée sous de l’article 2 avant 20 heures. cés ». Avant de recevoir un « rap- l’Assemblée, qui n’a « rien à voir d’une ligne dure afin de mieux parler « aux classes
le signe de la discorde à l’Assem- Mais un contretemps est venu pel à l’ordre avec inscription au avec la dignité du mouvement de la populaires ». « Le peuple attend de
blée, où les incidents de séance ont percuter leur dessein. Soixante- procès-verbal » par le vice-prési- rue ». Le lendemain, le secrétaire
et les autres, nous que l’on bloque la réforme. Il
supplanté les débats de fond, les douze heures après l’exclusion de dent RN, Sébastien Chenu. « J’en- général de la CGT, Philippe Marti- plus sensibles ne nous en voudra pas de bloquer
députés de gauche ont décidé d’ac- séance pour quinze jours du dé- tends vos excuses, elles ont le mé- nez, a déclaré sur BFM-TV « sou- le texte », développait l’ancien dé-
célérer la cadence. Cette décision a puté « insoumis » Thomas Portes à rite d’être présentées et elles per- hait[er] qu’il y ait un vote sur l’arti-
aux appels de la puté, estimant qu’il serait
été actée lors d’une réunion, lundi la suite d’un tweet controversé sur mettent au débat de se poursuivre, cle 7 » pour que « chaque député CFDT et de la CGT ­« contrariant » d’arriver au fa-
en début d’après-midi, entre les Olivier Dussopt, la polémique est mais vous comprendrez qu’être puisse s’exprimer » sur la mesure- meux article. Et de comparer la
principaux responsables à gauche, venue d’un autre élu LFI, ­Aurélien traité d’assassin ne se pardonne phare du projet gouvernemental. bataille des retraites à une
parmi lesquels Olivier Faure et Saintoul. Dans une intervention pas », a rétorqué M. Dussopt, clô- Sur ce point précis, malgré plu- partenaires sociaux. « Un vote po- « guerre de tranchées ». Une rhéto-
­Jérôme Guedj, du Parti socialiste, consacrée aux nombres de per- turant cet incident. sieurs jours d’échanges intenses, sitif donnerait une forme de légiti- rique guerrière qui se traduit
sonnes mortes au travail, le dé- la Nupes n’a toujours pas trouvé mité au gouvernement, c’est pour dans l’Hémicycle depuis l’ouver-
puté a qualifié le ministre du tra- Contexte inflammable de position commune. Socialistes cela qu’on est prudents », explique- ture des débats, lundi 6 février.
vail d’« imposteur » et d’« assas- Le gouvernement ayant eu re- et écologistes sont favorables à un t-il alors qu’une journée de mobili- Désormais, au sein de LFI, il y
Faut-il examiner sin ». Une sortie qui a provoqué un cours à l’article 47 alinéa 1 de la examen puis à un vote de l’arti- sation est prévue jeudi 16 février. aurait les partisans d’une ligne
tollé et le départ en trombe de Constitution – qui fixe un délai de cle 7. « Il faut en discuter », tance Les « insoumis » n’ont pas non dure et les autres, plus sensibles
au plus vite l’Hémicycle du ministre, heurté. vingt jours pour l’examen du texte ­Boris Vallaud. « C’est un débat trop plus tranché ce dilemme. A l’ins- aux appels de la CFDT et de la CGT.
l’article 7 sur Trente minutes de suspension à l’Assemblée, prenant fin ven- important qui mobilise trop de tar de François Ruffin, le député Derrière ces divergences, ce sont
plus tard, tous les présidents de dredi 17 février à minuit –, la gens. Il doit avoir lieu à l’Assem- Alexis Corbière se dit « favorable à aussi les fractures apparues en dé-
le recul de l’âge groupe – à l’exception de l’« in- ­Nupes s’est attiré les foudres des blée », renchérit l’écologiste Cy- une discussion de l’article 7 », en cembre 2022, lors de la réorganisa-
de départ ? Sur soumise » Mathilde Panot – ont syndicats durant le week-end des rielle Chatelain. menant un « récit maîtrisé ». Tou- tion du mouvement, qui refont
­condamné les propos de M. Sain- 11 et 12 février. Les partenaires so- Jusque-là indécis, les communis- tefois, il ne voit « pas l’intérêt d’al- surface, entre les partisans de Jean-
ce point, la Nupes toul et réclamé des excuses publi- ciaux unis dans la rue ont enjoint tes ont infléchi leur position. « On ler jusqu’au vote », qui risquerait, Luc Mélenchon et les voix plus li-
n’a pas trouvé ques. Dans un discours acclamé la gauche à examiner au plus vite va y aller, même si nous n’avons pas selon lui, en cas de défaite, d’affai- bres, comme François Ruffin, Clé-
par les députés, le président du l’article 7 de la réforme des retrai- beaucoup d’illusions sur ce qui peut blir la mobilisation sociale. mentine Autain ou Alexis Cor-
de position groupe communiste, André tes qui porte sur le recul de l’âge lé- sortir de ce débat », explique Pierre Sauf que Jean-Luc Mélenchon et bière, tous écartés de la direction.
commune ­Chas­saigne, s’est dit « choqué », gal de 62 ans à 64 ans. Le secrétaire Dharréville, qui met en garde les ses proches font entendre une Derrière les débats internes à la
Nupes, le retrait de plus d’un mil-
lier de ses amendements a permis
Les inégalités présentes dans le système des retraites devraient perdurer à tous les groupes d’opposition de
dénoncer dans l’Hémicycle les ar-
guments fluctuants du gouverne-
Certaines des inégalités du système génération née en 1950, les 10 % d’indivi- l’Assemblée nationale. Ces présenta- cinq mois pour eux, s’agissant de la gé- ment sur sa mesure-phare de
des retraites risquent de perdurer après dus les plus aisés ont réclamé le verse- tions différentes tiennent peut-être au nération 1966, et de huit mois ­contre « justice sociale », le minimum de
la réforme actuellement en cours de dis- ment de leur pension à 61 ans en fait que les deux économistes et la cheffe quatre mois pour la génération 1980. pension à 1 200 euros après une
cussion à l’Assemblée nationale. Dans moyenne, contre près de 63 ans pour les du gouvernement ne raisonnent pas sur Résultat : s’agissant de la génération carrière complète. « De combien
une note rendue publique vendredi 10 % les plus pauvres. le même périmètre : les uns se focalisent 1983, les femmes partiraient « en ça va permettre d’augmenter ces
10 février, l’Institut des politiques publi- Cette situation ne devrait pas être fon- sur les « seuls retraités résidents en moyenne quatre mois plus tard que les retraités ? C’est zéro réponse du
ques (IPP) montre que les personnes damentalement corrigée par la réforme, France », tandis que la locataire de hommes », alors même que l’écart gouvernement », s’est agacé Fran-
ayant les plus faibles ressources conti- selon les simulations faites par l’IPP. Si ­Matignon semble s’être appuyée sur des aurait disparu en l’absence de réforme, çois Ruffin. Quand, pour le dé-
nueront « de partir plus tard » que celles l’on s’intéresse à la génération 1972, les données plus larges englobant les pen- selon les projections du Conseil d’orien- puté RN de la Somme Jean-Phi-
situées en haut de l’échelle des revenus, 10 % de personnes « à plus basse pen- sionnés établis à l’étranger. tation des retraites. lippe ­Tanguy, « le nombre de Fran-
même si l’écart est susceptible de se ré- sion » prendraient leur retraite vers Si les hommes obtiennent le paie- Enfin, les auteurs de la note replacent çais concernés » est « ridicule ».
duire un peu. Réalisée par les économis- 64,3 ans, soit environ une année de plus ment de leur pension plus tôt que les les modifications en cours dans une Olivier Dussopt a expliqué que
tes Patrick Aubert et Antoine Bozio, cette que les 10 % les mieux lotis. femmes, l’écart s’est lentement mais sû- « perspective historique ». Les mesures « 200 000 nouveaux retraités [cha-
étude remet en lumière l’effet anti-redis- rement résorbé : supérieur à deux an- portées par l’exécutif auront comme que année] sur 800 000 » bénéfi-
tributif de règles déjà en vigueur. « Perspective historique » nées pour la génération 1910, il est des- conséquence d’augmenter l’âge moyen cieront d’une « pension revalori-
Contrairement à un « mythe largement Patrick Aubert et Antoine Bozio abor- cendu à un peu moins d’une année de départ à la retraite, sachant que ce- sée du fait de la mise en place » de
installé », le régime par répartition, qui a dent également les « propriétés » du sys- pour la génération 1950. Le rapproche- lui-ci était déjà orienté à la hausse du fait ce minimum à 1 200 euros pour
émergé après la Libération, « a tendance tème selon le sexe. Ils rappellent, tout ment va se poursuivre, mais il sera ra- des changements législatifs et régle- une carrière complète. Un débat
à renforcer les inégalités de salaire par d’abord, que les femmes partent « plus lenti par la réforme et la règle des mentaires intervenus depuis la fin du loin d’être achevé, alors que les dé-
des inégalités de départ en retraite », écri- tardivement en moyenne que les hom- 64 ans, car celles-ci vont conduire les XXe siècle. Il passerait à environ 64,3 ans putés ont encore 14 000 amende-
vent les auteurs de la recherche. Ainsi, mes ». Une précision importante, dans le femmes à repousser l’âge auquel elles pour les personnes nées en 1980, dépas- ments à examiner. p
« ceux qui ont eu les meilleures carrières » débat actuel, car Elisabeth Borne, la pre- prennent leur retraite de façon plus im- sant très légèrement celui qui prévalait Sandrine Cassini,
– donc les meilleures rémunérations – mière ministre, avait tenu des propos portante que les hommes : le décalage pour les personnes nées en 1910. p Mariama Darame
partent « plus tôt ». Un exemple : pour la laissant penser l’inverse, le 24 janvier, à serait de sept mois pour elles, contre Bertrand Bissuel et Jérémie Lamothe
 0123
8 | France ­
­Mercredi 15­ février 2023

A droite, le retour en grâce Le chômage au plus bas

niveau depuis 2008
des « macroncompatibles » Le taux de demandeurs d’emploi est resté
quasi stable au quatrième trimestre 2022
Des députés LR sortent de leur isolement avec la réforme des retraites
Taux de chômage trimestriel au sens du BIT,
en France (hors Mayotte), en %
10,5

L
es réformes des retraites,
Nicolas Forissier connaît.
« C’est ma cinquième,
j’étais déjà présent
en 1993 pour celle d’Edouard Bal-
ladur », raconte le député Les Ré-
publicains (LR) de l’Indre. Quand
la droite compte ses « frondeurs »
en puissance et que le patron de
ses sénateurs, Bruno Retailleau,
en appelle dans le Journal du di-
manche à enlever à l’élu du Lot,
Aurélien Pradié, son poste de vi-
ce-président exécutif du parti en
cas d’un vote contre, M. Forissier
assume son soutien sans faille à
la réforme portée par la première
ministre, Elisabeth Borne.
De quoi revenir dans les petits
papiers de sa famille politique.
« C’est marrant. Il y a quelques
mois, on était encore suspects, ob-
serve l’ancien secrétaire d’Etat à
l’agriculture. Les gens comme
moi étions accusés d’être des
“macron­compatibles”. Ce qui se
passe avec cette réforme nous per-
met de dire que c’est notre ligne
qui est en train de l’emporter. »
Quand Le Figaro révèle à
l’automne l’existence de réu-
nions hebdomadaires de ces par-
tisans d’un rapprochement avec
la majorité, certains camarades
se proposent de porter leurs car-
tons pour favoriser un déména-
gement vers le groupe Renais-
sance. Isolés et désignés comme
bons à acheter (et pour pas cher,
selon leurs détracteurs), les
« constructifs » sont parfois mal-
menés, à l’image d’Alexandre
Vincendet. « Un collègue m’avait
dit qu’il fallait que je dégage, parce
que je ne partageais pas la ligne du
groupe. Aujourd’hui, c’est lui qui
refuse de voter cette réforme des
retraites », sourit l’élu du Rhône,
favorable à « un pacte majoritaire
avec le gouvernement ».
Une position très isolée, mais
au sein d’un groupe divisé les vi-
lains petits canards de la veille
voient dans ce retour en grâce
une victoire de leur ligne, celle
d’une droite cohérente à leurs
yeux avec son ADN et construc-
tive avec la majorité. « Sur cette
­réforme, il y a une question de
­responsabilité et savoir si on est
un parti de gouvernement ou
pas, avance la députée de
­Haute-Savoie, Virginie Duby-
Muller. Un des marqueurs de la
droite, c’est la rigueur budgétaire.
La preuve, on a quand même ré-
formé les retraites à quatre repri-
ses. » Son collègue de Seine-et-
Marne, Jean-Louis Thiériot, va
dans son sens : « Il faut qu’on réta-
blisse les comptes et dans ce sens
cette réforme est nécessaire. »
Mais, médiatiquement, l’ortho-
doxie budgétaire – au nom de la
sauvegarde du système par répar-
tition – écrit un récit moins in-
carné que cette France qui a com-
mencé à travailler avant 21 ans,
chère à Aurélien Pradié, et vic-
time désignée d’une réforme in-
juste sur ce point. « J’ai aussi un
électorat populaire qui a voté pour
moi dans une ville comme Anne-
masse, historiquement de gauche,
rappelle Mme Duby-Muller. Donc,
les classes populaires ne sont pas
l’apanage de certains. »
« De vraies avancées »
Ses amis ne poussent pas aussi
loin le réformisme que le député
du Lot et ancien candidat à la pri-
maire de la droite de 2021, mais
estiment avoir fait des conces-
sions pour rendre le texte accep-
table pour la majorité de leur
groupe. « J’étais pour 65 ans,
comme Eric Ciotti, et j’ai accepté
de revenir à 64. J’ai entendu la po-
sition d’Aurélien Pradié sur les car-
rières longues, dit Nicolas Foris-
sier. On est aujourd’hui autour de
cette position d’équilibre, qui est
la position de LR. Au fond, le gou-
vernement s’y est plié. Mais, de-
puis deux semaines, on a une su-
renchère d’un certain nombre
de mes collègues. » Une pierre
dans le jardin d’Aurélien Pradié
et de ses amis.
Dans le même sens, le libéral
Jean-Louis Thiériot s’accorde
cette citation d’un communiste
émérite, Maurice Thorez : « Il faut
savoir arrêter une négociation
comme il faut savoir arrêter une
grève. On a obtenu de vraies
avancées comme la revalorisa-
tion des petites retraites, mais
aussi sur les carrières longues. Ce
n’est pas tout ce qu’on veut, mais
dans une négociation on n’ob-
tient jamais tout. » Sauf, selon lui,
à surjouer le parti d’opposition
« pour des considérations politi-
ques ou simple détestation du
président de la République ».
A écouter les proréformes, les
« nonistes » penseraient d’abord
à leur circonscription et à leur
réélection lointaine avant de dé-
fendre l’intérêt du pays et d’être
cohérents avec la ligne politique
de leur parti. Mais tout est ques-
tion de point de vue et de sujet.
Quand Eric Ciotti ne voit que des
défauts à la future loi sur l’immi-
gration, Alexandre Vincendet lui
trouve certaines qualités. « On va
recommencer ce cirque ? Parce
que c’est Macron, c’est non, auto-
matiquement », déplore-t-il.
Un membre du bureau politi-
que imagine déjà une partie des
députés « constructifs » sensibles
aux arguments du ministre de
l’intérieur (ancien Les Républi-
cains), Gérald Darmanin. L’un
d’entre eux s’avoue d’ailleurs
« bien emmerdé » pour savoir
comment se positionner. Chez
Les Républicains, les lois et le cas-
ting des opposants internes chan-
gent, mais les divisions risquent
de demeurer. p
Alexandre Pedro
Just i ce
CRS blessé à Rennes :
enquête ouverte pour
tentative d’homicide
Une enquête pour tentative
d’homicide volontaire a été
ouverte lundi 13 février après
qu’un CRS a été blessé samedi
par un cocktail Molotov lors
de heurts à Rennes en marge
de la mobilisation contre la
réforme des retraites, a indi-
qué Philippe Astruc, procu-
reur de Rennes, confirmant
une information de Ouest-
France. Quatre personnes in-
terpellées samedi, âgées de
18 à 24 ans et sans antécédents
judiciaires, ont été déférées
au parquet. – (AFP.)
Fa i ts di vers
Un corps de femme
démembré retrouvé aux
Buttes-Chaumont, à Paris
Une enquête pour assassinat
a été ouverte, lundi 13 février,
après la découverte, dans
la journée, d’une partie
du corps d’une femme dans
un sac aux Buttes-Chaumont,
10
8,4
8
7,2
6
4
2
T1 2003 T1 2008 T2 2013
Infographie : Le Monde Source : Insee
I l n’y aura pas eu de retourne-
ment sur le marché de l’em-
ploi en 2022. Contrairement à
ce que la conjoncture économi-
que laissait présager, le taux de
chômage est une nouvelle fois
resté quasi stable au quatrième
trimestre, avec une très légère
baisse de 0,1 point par rapport
aux trois mois précédents. Il s’éta-
blit désormais à 7,2 % de la popu-
lation active en France (hors
Mayotte). Surtout, il est inférieur
de 0,3 point au niveau atteint un
an auparavant, et d’un point par
rapport à son niveau d’avant la
crise liée au Covid-19. C’est son
plus bas niveau depuis le premier
trimestre de 2008.
Le nombre de chômeurs, au
sens du Bureau international du
travail (BIT) – définition plus
stricte que celle des demandeurs
d’emploi inscrits dans les fichiers
de Pôle emploi –, a diminué de
45 000 par rapport au trimestre
précédent, se montant désormais
à 2,2 millions de personnes, selon
les statistiques publiées, mardi
14 février, par l’Institut national
de la statistique et des études
­économiques (Insee).
Cette quasi-stabilité concerne
toutes les catégories d’âge. Sur le
trimestre, c’est le taux de
­chômage des jeunes (15-24 ans)
qui baisse le plus fortement, d’un
point, à 16,9 %. C’est 4,9 points au-
dessous du niveau d’avant-crise.
Un chiffre qui s’explique toujours
en partie par celui de l’apprentis-
sage, qui devrait franchir un
­nouveau record en 2022. Si les
­statistiques définitives ne seront
connues qu’à la fin du mois de
­février, on compte pour le
­moment près de 810 000 entrées
en apprentissage de janvier à no-
vembre 2022, selon le ministère
du travail. Le taux de chômage
des 25-49 ans est, lui, totalement
stable, à 6,5 %, et le taux de chô-
mage des seniors (50 ans ou plus)
diminue à peine (– 0,1 point) à 5 %.
« Contrats de meilleure qualité »
7,2
T4 2022
La part des
jeunes (15-29 ans)
n’étant
ni en activité,
ni en formation,
ni en étude
repart à la
hausse, à 12,5 %
n’a toujours pas lieu. Une absence
de corrélation qui s’explique,
outre l’apprentissage, par une
forte rétention de main-d’œuvre
de la part des entreprises.
« Elles ont encore de la trésorerie
et font face à de très fortes difficul-
tés de recrutement, donc elles
­gardent leurs salariés même si l’ac-
tivité diminue », explique Gilbert
Cette, professeur d’économie à la
Neoma Business School, qui
­précise : « C’est assez inédit de l’ob-
server à ce point-là, mais cela cor-
respond à un rare niveau de pénu-
rie de main-d’œuvre également. »
Ces tensions de recrutement
­expliquent en partie la hausse du
taux d’emploi en CDI sur le tri-
mestre (+ 0,4 point, à 50,5 %). « Ces
difficultés pour recruter se tradui-
sent par une amélioration des em-
plois créés avec des contrats de
meilleure qualité », souligne le
­directeur adjoint de l’Observa-
toire français des conjonctures
économiques, Mathieu Plane.
Croissance maintenue
Voilà qui conforte en tout cas le
gouvernement dans son objectif
d’atteindre le plein-emploi, avec
un taux de chômage à environ 5 %
de la population active, d’ici à la
fin du quinquennat. « Bonne
­nouvelle pour notre objectif plein-
emploi », s’est félicité, sur Twitter,
le ministre du travail, Olivier
­Dussopt, mardi matin. Pour
­atteindre cet horizon, l’exécutif a
mis en œuvre une nouvelle
­réforme de l’assurance-chômage,

En public
parc du Nord-Est parisien. Le
morceau de corps découvert
par des agents municipaux
correspondrait au bassin
d’une femme. Aucun élé-
Assistez à notre première rencontre et participez ment ne permet pour l’heure
à un échange avec Nabil Wakim et ses invités. de dater la mort, a précisé
Le mercredi 8 mars dans l’auditorium du Monde. le parquet de Paris. – (AFP.)
Un an après le lancement du podcast, nous vous proposons Affaire Palmade : aucune
tolérance « politique »
de venir assister à une discussion autour de la thématique pour la cocaïne,
Les petits et les grands gestes dans la bataille climatique. assure Olivier Véran
Le porte-parole du gouverne-
À l’issue de cet échange, vous pourrez, à votre tour, ment, Olivier Véran, a estimé,
participer et poser vos questions. mardi 14 février, qu’il n’y avait
pas de tolérance « sociale »
ou « politique » pour des
drogues comme la cocaïne.
Le ministre réagissait à l’acci-
dent de la route de l’humo-
riste Pierre Palmade, testé
ateliers.lemonde.fr positif à la cocaïne, au cours
duquel une femme enceinte
a perdu son enfant vendredi.
« On réalise près de 500 000
contrôles par an de conduite
sous l’emprise de stupéfiants
et on a l’intention de les dou-
bler », a-t-il assuré. – (AFP.)
Ces tendances sont légèrement
contrastées par des données plus
négatives, notamment la part des
jeunes (15-29 ans) n’étant ni en
­activité, ni en formation, ni en
étude, qui repart à la hausse.
Après un recul de 0,5 point au
­trimestre précédent, celle-ci
­augmente sur les trois derniers
mois de 2022 de 0,9 point, à 12,5 %.
En outre, le « halo autour du
­chômage » – les inactifs qui sou-
haitent avoir un poste, mais ne
sont pas considérés comme des
chômeurs, faute de remplir les
critères du BIT (faire des recher-
ches, être disponible) – connaît
une très légère croissance sur la
même période (+ 38 000 person-
nes), selon l’Insee.
Cette situation du marché de
l’emploi, si elle s’avère réjouis-
sante, continue de laisser les
­économistes fortement per-
plexes. Alors que la France
­connaît depuis près d’un an un
choc économique d’une ampleur
inédite dû à l’inflation avec une
croissance atone, l’impact négatif
de cette conjoncture sur l’emploi
entrée en vigueur le 1er février, qui
durcit les règles d’indemnisation
et compte sur la prochaine créa-
tion de France Travail. La dynami-
que actuelle est d’autant plus
­positive que le risque tant
­redouté d’une récession pour
2023 semble s’éloigner. Dans ses
dernières prévisions conjonctu-
relles, publiées mardi 7 février,
l’Insee estime que la croissance
devrait se maintenir à 0,2 % sur
les deux premiers trimestres.
Cela ne dissipe pas pour autant
tous les doutes pour la suite.
Alors qu’on ne peut pas exclure
une ­potentielle remontée des
prix de l’énergie, que les coûts de
production restent élevés et que
les effets du soutien massif de
l’Etat à l’économie vont se dissi-
per, la ­prudence est de mise. « La
question est notamment de savoir
si la normalisation de la situation
­économique après les aides im-
portantes de l’Etat ne va pas
­révéler des situations de grande
fragilité de certaines entreprises »,
redoute Mathieu Plane. p
Thibaud Métais
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023 France | 9

Le RN, à la recherche de la marque Bardella

Cent jours après son élection, le nouveau président peine à convaincre au sein du parti d’extrême droite

J
ordan Bardella est un jeune
homme poli. Il propose de
« Tout le monde
faire le café, dans son grand rêvait de
bureau du petit siège du Ras-
semblement national (RN),
Bardella ; au bout
dans le 16e arrondissement de Pa- de trois mois,
ris. Il ne voudrait pas qu’on
prenne froid, parce qu’il a ouvert
on voit que ça ne
la fenêtre. Il souhaiterait qu’elle marche pas, qu’il
n’ait plus peur, cette classe
moyenne supérieure qui résiste
n’imprime pas »
encore aux sirènes de l’extrême Arnaud Stéphan
droite. Il poursuit le pouvoir en communicant
patins de velours. Qu’on se le dise,
Jordan Bardella est à l’image du
parti qu’il dirige : tempérance, sé- calendrier défavorable, en pleine
rieux, prévention. réforme des retraites.
Il n’y a qu’un malheur, obser- Le jeune président revendique
vent de bons connaisseurs du une approche conservatrice, à
parti : le RN a besoin d’être ré- l’inverse de l’activisme tout-ter-
veillé. Or, Jordan Bardella leur rain de Reconquête !, le parti
semble manquer d’envie, de fo- d’Eric Zemmour : « Pendant qua-
lie, d’idées. Arnaud Stéphan, rante ans on nous a trouvés exces-
communicant, conseiller de Ma- sifs ; aujourd’hui, on nous dit qu’on
rine Le Pen durant la campagne ronronne, dit-il au Monde, en
présidentielle : « Tout le monde haussant les épaules. Le seul parti
rêvait de Bardella ; au bout de politique dont la popularité aug-
trois mois, on voit que ça ne mar- mente, c’est le RN. On réfléchit à la
che pas, qu’il n’imprime pas. Il y va manière de rassembler 50 % des
au frein à main. Les cent premiers Français, donc je vous confirme
jours sont décisifs. Où sont les qu’on n’ira pas se balader avec des
grandes décisions ? Sur la commu- cagoules et des fumigènes en
nication, sur le fond politique ? Le criant “Reconquista !” »
parti est toujours dans le “da- Bruno Bilde, député du Pas-de-
mage control” [“maîtrise des dé- Calais et opposant interne écarté
gâts”], donc il n’agit pas. » en novembre 2022, observe :
Le 5 novembre 2022, Jordan Bar- « Bardella se consacre quasi exclu-
della est élu à 27 ans président du sivement aux médias parce qu’il y Jordan Bardella, au congrès du parti d’extrême droite portugais Chega, à Santarem, le 29 janvier. PATRICIA DE MELO MOREIRA/AFP
parti, poste qu’il occupait déjà à est très bon. Il n’aime pas l’organi-
titre intérimaire. Son slogan : sation ni les affaires internes, donc
« On continue. » Les militants, il se repose sur [le directeur géné- répéter qu’elle seule fixe la ligne ; d’Aubervilliers et le cadre sup de nelle, et sur recommandation de
poussés par les cadres, lui font un ral du RN] Gilles Pennelle. Le pro- il échange avec elle chaque jour, Versailles. C’est la clé du pouvoir
Le jeune Marine Le Pen.
triomphe – 85 % des voix. Louis blème, c’est que l’intendance ne l’accompagne dans ses repas et on est sur ce chemin-là. » président La préparation des élections est
Aliot, maire de Perpignan, fidèle suit pas. » Le trésorier du parti, le avec des intellectuels ou des jour- Le député européen assure qu’il l’autre grande affaire du parti.
mariniste, artisan de la progres- député de Moselle Kévin Pfeffer, nalistes. Comment, dans ces cir- n’y a rien de neuf dans sa fonc-
revendique Aux sénatoriales de septembre, le
sion régulière du parti, est rati- monte en défense : « Il se rend constances, oser faire entendre tion : « En réalité, je fais ce que je une approche RN ambitionne de faire son re-
boisé. A l’époque, il prêche dans compte du boulot que cela de- une musique nouvelle ? L’image faisais déjà depuis 2019 » – lors- tour au Palais du Luxembourg
le désert contre « l’inertie inhé- mande, mais il a plein d’idées sur de Jordan Bardella « reste à cons- qu’il fut promu deuxième vice-
conservatrice, grâce à la Moselle, au Nord et au
rente à toute organisation d’une la formation, les déplacements, la truire, observe Emmanuel Ri- président du parti. La tâche est à l’inverse Pas-de-Calais, où l’élection se fait
certaine envergure ». Il prédit : relance des quelques fédérations vière, directeur des études de pourtant bien plus lourde. A au scrutin à la proportionnelle.
« Continuer ne suffira pas. » qui marchent moins bien. » l’institut Kantar. Il existe dans l’époque, le parti est déjà lancé
de l’activisme Les élections européennes de
Il est encore tôt pour juger, es- l’opinion, mais dans le sillage de vers cinq élections en trois ans, de Reconquête ! 2024 se présentent comme un
« Il va devoir faire ses preuves » time le vice-président du parti Sé- Marine Le Pen. » n’a pas de groupe à l’Assemblée potentiel écueil personnel pour
Cent jours. Les apports idéologi- bastien Chenu. Mais le député du nationale, n’est pas considéré Jordan Bardella, qui mènera, sauf
ques se font attendre. Le cycle de Nord identifie le même enjeu : « Je fais ce que je faisais déjà » comme une alternative possible à ment député du Pas-de-Calais et accident, la liste du RN et aura
conférences promises, sur des « On lui a fait confiance ; il va de- L’omniprésence médiatique ne Emmanuel Macron. maire d’Hénin-Beaumont (Pas- de la concurrence à l’extrême
sujets en friche – numérique, voir faire ses preuves. Il sera jugé suffit pas. La sortie, à l’automne, Aujourd’hui, le RN est sur un de-Calais), deux proches de Ma- droite. Il croit davantage à une
écologie… – n’est pas lancé. Les sur sa capacité à réveiller le parti. Il de son premier livre, sous faux plat, sans perspective immé- rine Le Pen. Un geste fort et indis- candidature d’Eric Zemmour que
premiers tractages d’envergure y a des enjeux intellectuels, politi- forme de chroniques, lui don- diate et avec un échelon intermé- pensable pour certains, une er- de Marion Maréchal ; on jurerait
sur les retraites ont été menés le ques, organisationnels. Les mili- nera l’occasion de développer diaire à reconstruire, après des va- reur de débutant pour d’autres, donc que la deuxième hypothèse
week-end du 11 et 12 février, un tants veulent davantage d’échan- quelques concepts, explique-t-il. gues de départs de cadres. Comme compte tenu du pouvoir de nui- l’inquiète davantage. Dans les
mois après la présentation de la ges, plus percutants, plus intellec- Comme le clivage entre « ordre et il le dit lui-même poliment, « la sance des deux hommes. « Je ne deux cas, il pense que Recon-
réforme. Conscient de la néces- tuels, pas seulement l’éternelle ga- désordre » ou ceux, empruntés à croissance électorale n’a pas été ac- vais pas m’entourer de gens qui me quête ! fera moins de 5 %. Après
sité de reprendre le contact avec lette des rois. » l’essayiste Christophe Guilluy, de compagnée d’une croissance struc- traitent comme Marine Tonde- être arrivé en tête en 2019, passer
les militants, qui ne suivent pas Jordan Bardella a des circons- la « majorité ordinaire » et des turelle » et « la méritocratie interne lier », dit-il en référence à la secré- derrière la majorité macroniste
tous la vie trépidante du Palais- tances atténuantes qu’il se garde « dépossédés ». Il définit ainsi cet n’était pas toujours claire ». taire nationale des Verts, oppo- serait « un accident industriel sur
Bourbon, Jordan Bardella vient bien d’avancer. La culture de pe- électorat à conquérir : « Ceux qui En cent jours, il a posé quelques sante municipale malmenée par le plan personnel », anticipe l’un
d’envoyer son bureau national santeur qui règne au RN. La mai- ont le sentiment que l’on gou- actes d’autorité. Le dernier en M. Briois à Hénin-Beaumont. de ses soutiens.
quadriller les fédérations. greur et l’inexpérience politique verne contre eux. Cela va au-delà date : aller applaudir Volodymyr Est-ce un geste d’apaisement ? Il
L’« école des cadres », point cen- de sa garde rapprochée. Le temps de la France des oubliés, cela intè- Zelensky au Parlement européen, vient de valider la candidature de L’écueil des européennes
tral de sa campagne interne, pré- trop court : la gestion du parti gre la classe moyenne, la France à Bruxelles, le 9 février, contre Christophe Szczurek, le troi- Au-delà du résultat, Jordan Bar-
parée depuis l’été avec le son- s’ajoute au rôle de premier porte- qui se lève tôt. » l’avis de son groupe, selon les in- sième homme du « clan d’Hénin- della sera jugé sur sa capacité à
deur Jérôme Sainte-Marie, est dé- parole télévisuel et aux mandats Bardella parle le Sarkozy pre- formations de Libération. Le pre- Beaumont », comme tête de liste convaincre des eurodéputés du
sormais annoncée au printemps. de député européen et conseiller mière langue : « J’ai admiré le per- mier : écarter des instances diri- aux élections sénatoriales dans parti Les Républicains de venir
Son lancement était promis pour régional d’Ile-de-France. La tu- sonnage. Il avait la capacité de geantes le duo composé de Bruno le Pas-de-Calais. A l’encontre de sur sa liste. Nadine Morano et
janvier, mais Bardella souligne le telle de Marine Le Pen, prompte à tout changer, a réunir l’ouvrier Bilde et Steeve Briois, respective- son directeur général, Gilles Pen- François-Xavier Bellamy sont
dans son viseur. Et sur la consti-
tution, ou non, d’une large coali-
tion souverainiste au Parlement
La délicate réorganisation des fédérations du Rassemblement national européen, sous la forme d’un in-
tergroupe. « Des européennes dé-
pendent notre stature nationale
Lorsqu’il a pris, en novembre 2022, de généralité, dit Jordan Bardella au seille, aux municipales de 2014, il avait en appel en 2012, décision confirmée et la recomposition du paysage
ses fonctions de directeur général du Monde. Mais oui, sur le principe, beau- été exfiltré après que le journal Ma- le 28 janvier 2014 par la Cour de cassa- politique ; les élections municipa-
Rassemblement national (RN), nommé coup de députés sont surchargés et ne rianne avait repéré des publications ra- tion. Il a été condamné à deux ans de les de 2026 faciliteront l’acquisi-
par Jordan Bardella, Gilles Pennelle, an- pouvaient pas faire le travail de délégué cistes sur son compte Facebook. Le re- prison avec sursis dans le cadre tion de la majorité présidentielle,
cien professeur d’histoire-géographie, a départemental. La carte de visite recto voilà neuf ans plus tard, avec des ré- d’une enquête sur des vols en réunion théorise Jordan Bardella, qui veut
tapé fort sur le pupitre et promis un verso, à un moment, ça ne tient plus. » seaux sociaux présentables. commis, en 2007 et 2008, dans l’Hé- lier les deux scrutins. Nous pré-
coup de balai. Afin de remettre le parti Les changements de délégués dépar- rault et dans le Var. senterons au printemps nos enga-
en ordre de marche, il lui semblait né- tementaux ne se font pas sans heurts. Vidéos islamophobes En lien régulier avec les cambrioleurs, gements pour les municipales,
cessaire que les députés ne cumulent En janvier, Le Figaro a mis au jour les Davantage que celui du nouveau délé- M. d’Aigremont achetait, puis revendait que l’on doit préparer très tôt. Les
pas leur fonction avec celle, bénévole, de tensions dans les fédérations de Meur- gué départemental de l’Isère, Olivier aux Etats-Unis des dallages anciens et meetings des élections européen-
délégué départemental du parti. Il est the-et-Moselle, de Vendée ou de Corse, Guyot, qui relaie des vidéos islamopho- coûteux, arrachés chez des particuliers nes auront lieu dans des villes que
plus aisé, observe-t-on en interne, de dic- où certains militants reprochent au bes ou, jusqu’à l’été 2021, des messages ou sur des chantiers. Un cambrioleur a l’on peut remporter. »
ter sa loi à un délégué départemental no- siège parisien une forme de mépris. hostiles à Marine Le Pen ou pro-Zem- dit lui avoir vendu des objets volés à une L’échéance de 2026 dira si le RN a
vice. Les élèves populaires ont fait mine « C’est la vie d’un mouvement politique, mour. Dans cette grosse fédération, le dizaine de reprises. Son avocat n’était enfin réussi son implantation lo-
de ne pas comprendre la consigne : Sé- vous trouverez toujours matière à faire sortant, le député Alexis Jolly, avait pour- autre qu’Hervé de Lépinau, député RN cale, notamment dans les métro-
bastien Chenu, dans le Nord, et Franck des articles de ce type, balaie Jordan Bar- tant recommandé un autre profil. du Vaucluse, tandis qu’une société vic- poles régionales, dont les voix ont
Allisio, dans les Bouches-du-Rhône, della. Mais nous sommes au plus proche Pour procéder à la formation des nou- time des vols était défendue par Me Phi- manqué à Marine Le Pen en 2022.
deux des plus grosses fédérations, se des problèmes. Il y a des visioconféren- veaux responsables et réaliser des audits lippe Schreck… député RN du Var depuis Le parti espère multiplier par dix
sont accrochés à leur bureau. Trois mois ces avec les cadres départementaux tous dans les fédérations en difficulté, Gilles juin 2022. « On considère chez nous qu’il la quinzaine de communes ac-
plus tard, ils sont toujours là, avec la bé- les quinze jours. » Pennelle vient de nommer le délégué du y a un droit à l’oubli, ce qui n’est pas le cas tuellement dirigées, et Jordan Bar-
nédiction de Jordan Bardella. Certains profils laissent entrevoir la Vaucluse. Thierry d’Aigremont, conseiller partout », dit M. d’Aigremont. Le Ras- della estime que « dans les gran-
Vingt-trois députés étaient concernés difficulté du parti à renouveler ses ca- régional en Provence-Alpes-Côte d’Azur, a semblement national confirme être au des villes il faut que les députés
par cette règle, à laquelle le nouveau dres locaux. Dans les Hautes-Alpes, ainsi intégré la direction générale du courant de ce passé judiciaire et estime aillent à la bataille ». Les chances
président du RN ne croyait guère. En fé- c’est un homme de 75 ans, Armel Bris- parti. Sa nomination a surpris ceux qui, qu’il s’agit « de faits qui remontent à très de victoire y étant minces, hormis
vrier, la moitié d’entre eux sont encore son de la Messardière, qui est chargé de au parti, connaissent son passé judiciaire. loin, qui n’ont rien à voir avec son travail à Toulon, il ne suffira peut-être
délégués départementaux. « Ce n’est redynamiser la fédération. Ephémère M. d’Aigremont a été jugé coupable de militant et bénévole ». p pas de demander poliment. p
pas un problème, je n’ai pas voulu faire tête de liste dans le 1er secteur de Mar- recel en première instance en 2011, puis CL. Gu. Clément Guillou
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10 | France ­
­Mercredi 15­ février 2023

Finale de la Ligue des champions 2022

Violences au
Stade de France :
autopsie d’un
fiasco annoncé
Dans un rapport accablant, dont « Le Monde »
a pris connaissance, le panel indépendant de
l’UEFA étrille la gestion sécuritaire de la finale
de la Ligue des champions entre Liverpool
et le Real Madrid, à Saint-Denis, le 28 mai 2022

L
eur travail ne vise pas à instruire
un procès, pas davantage qu’il
ne constitue un « processus légal
formel ». Mais les rédacteurs du
rapport d’enquête indépendant
commandé par l’Union des asso-
ciations européennes de football (UEFA),
dont Le Monde a pris connaissance – un do-
cument de 151 pages, sans les annexes –, et
consacré à l’organisation de la calamiteuse
finale de la Ligue des champions, le
28 mai 2022, au Stade de France à Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis), entre le FC Liverpool et
le Real Madrid, n’en dressent pas moins un
­implacable réquisitoire contre l’incurie des
pouvoirs publics en matière de sécurité.
L’enquête, menée pendant huit mois
auprès des protagonistes de l’événement par
un « panel » de juristes, d’universitaires et de
représentants des associations de suppor-
teurs, démontre la responsabilité des autori-
tés françaises dans la mise en danger de mil-
liers de supporteurs britanniques et espa-
gnols, en quasi-totalité pacifiques, menacés
d’écrasement à plusieurs reprises, agressés
par des bandes de délinquants, aspergés de
gaz par les forces de l’ordre. Constat acca-
blant : mieux organisés et plus réactifs que
les policiers et les gendarmes chargés de
veiller à leur sécurité, ces « fans » de Liverpool
ou de Madrid n’ont dû leur salut qu’à une so-
lidarité sans faille et une capacité à se discipli-
ner qui forcent l’admiration dans un con-
texte aussi résolument hostile à leur endroit.
A l’origine de ce fiasco, la terreur, inspirée
par une « menace hooligan » fantasmée, éri-
gée risque numéro un de la rencontre, a servi
de matrice à un enchaînement d’erreurs
d’appréciation autour d’une obsession : évi-
ter le scénario du 13 juin 2016 à Marseille,
lorsqu’un match de l’Euro entre l’Angleterre
et la Russie avait entraîné des affrontements
entre hooligans des deux pays. Focalisés sur
ce danger, les pouvoirs publics vont ignorer
le constat formulé dès 2015 par une déléga-
tion du Conseil de l’Europe en France et lar-
gement partagé depuis : les violences systé-
matiquement commises par des bandes de
délinquants à l’encontre des supporteurs
étrangers – une spécialité française qui n’est
pas l’apanage de la Seine-Saint-Denis.
Problème des faux billets « exagéré »
Dès le 25 mars 2022, une réunion tripartite
entre la Fédération française de football,
le Consortium Stade de France (CSDF) et la
préfecture de Saint-Denis pointe donc le
« risque » posé par la qualification d’un club
britannique. « Des milliers de supporteurs
anglais pourraient rejoindre Paris pour
­l’occasion, s’alarme le procès-verbal de la
réunion. La plupart de ces spectateurs
n’auraient pas de billet pour assister à la fi-
nale. » La division nationale de lutte contre
le hooliganisme (DNLH), qui estime entre
50 000 et 70 000 le nombre de supporteurs
de Liverpool dépourvus de tickets, a beau
préciser qu’un tel phénomène n’a rien d’in-
habituel et ne comporte en soi aucun risque
particulier, les responsables de la sécurité,
préfecture de police en tête, n’en démor-
dent pas : un supporteur privé de billet ne
saurait être qu’un trouble-fête.
Cette confusion entre le nombre de sup-
porteurs sans billet, ceux munis de faux
billets et les hooligans est-elle à l’origine
de l’entêtement du ministre de l’intérieur
Gérald Darmanin à marteler l’existence de
« 30 000 à 40 000 supporteurs anglais (…) au
Stade de France, soit sans billet soit avec des
billets falsifiés » ? S’appuyant sur les chiffres
de l’UEFA (« 2 589 présentations de billets
avec des codes QR inconnus »), le panel, lui,
Un rapport établi n’a trouvé aucune trace de cette « fraude
avant le match massive et industrielle ». Il estime que « le
problème des faux billets a été exagéré » et
par la Fédération « que les parties prenantes qui ont affirmé ces
chiffres, notamment les ministres, la préfec-
des supporteurs ture de police, l’UEFA et la FFF [Fédération
française de football] ont agi de manière
européens ­irresponsable » afin de « s’exonérer de la res-
s’inquiétait du ponsabilité des défaillances ».
C’est pourtant sur le fondement d’une im-
« risque élevé portante présence de fraudeurs et de sup-
porteurs violents que le dispositif de sécu-
de congestion- rité va être calibré, avec de lourdes consé-
piétinement » quences sur le déroulement de la journée,
à commencer par la question des transports
le long du et de l’acheminement vers le stade. Alors
qu’une grève est annoncée sur la ligne B du
trajet choisi RER le jour du match (le trafic fonctionnera
finalement à 80 %), le flux de spectateurs
est dirigé vers le RER D, dont la sortie se situe
à 800 mètres environ des entrées les plus
proches du Stade de France, côté sud. Pour
mieux maîtriser le flux des spectateurs,
les autorités ont prévu un point de contrôle
en amont, sur l’avenue du Président-Wilson,
au bout d’un étroit corridor couvert par une
portion de l’autoroute A86.
Ce choix apparaît d’autant plus discutable
qu’un rapport établi avant la rencontre par la
Fédération des supporteurs européens (FSE)
s’inquiétait du « risque élevé de congestion-
piétinement » le long de ce trajet, particuliè-
rement à l’endroit précis choisi pour ce pre-
mier filtre, fermé d’un côté par un mur,
jouxté de l’autre par une double voie de cir-
culation, une configuration peu propice à
une dispersion en cas de bousculade. Ces
craintes sont totalement ignorées.
Pas la moindre consigne
Pis, la décision se double de l’ordre de sta-
tionner des véhicules le long du passage sou-
terrain, côté route, pour prévenir toute atta-
que terroriste à l’aide d’un véhicule. La lar-
geur déjà « limitée de la chaussée » s’en
trouve encore réduite et l’embouteillage hu-
main tant redouté se produit sitôt quelques
dizaines de supporteurs arrivés sur place, un
« bouchon » qui s’éternise jusqu’à ce que le
dispositif de contrôle policier soit finale-
ment levé in extremis en fin de journée,
pour éviter un risque de piétinement de-
venu inévitable.
Avant cela, et pendant d’interminables
heures, les supporteurs ne recevront aucune
information sur place, pas la moindre consi-
gne, un silence qui contribue à accroître leur

« L’approbation » de Macron et le « délai très court » soulignés

Le rapport de l’UEFA note l’absence d’« appel à candidatures » pour l’organisation de la finale et les conséquences de ce calendrier « raccourci »

I nitialement programmée à
Saint-Pétersbourg, l’édition
2021-2022 de la finale de la Li-
gue des champions a été délocali-
sée en urgence au Stade de France,
à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis),
en raison de l’invasion de
l’Ukraine par la Russie. Comme le
note le panel indépendant – cons-
titué de juristes, d’universitaires
et de représentants des associa-
tions de supporteurs – de l’Union
des associations européennes de
football (UEFA) dans son rapport
d’enquête, « c’est le président Ma-
cron qui a accepté » la demande
émise par l’UEFA, le 24 février, au
premier jour de l’offensive des
­armées de Vladimir Poutine, que
l’enceinte dyonisienne « puisse ac-
cueillir la finale, décision qui a été
entérinée » dès le lendemain « par
une réunion extraordinaire du
­comité exécutif de l’UEFA ».
« La décision a été formalisée lors
d’une conversation » entre Emma-
nuel Macron, grand amateur de
ballon rond, et le président slo-
vène de l’UEFA, Aleksander Cefe-
rin, précisent les rapporteurs qui
soulignent « l’absence d’appel à
candidatures » alors qu’un tel « ap-
pel d’offres » est généralement
lancé « environ trois à quatre ans
avant le jour du match ».
Aux premières heures de la
guerre, « il y avait un nombre très
­limité d’options, et il s’agissait sim-
plement de déterminer qui était
disponible et si l’Etat et la fédéra-
tion hôtes étaient prêts à entre-
prendre cette tâche dans un délai
aussi court » de trois mois, a re-
connu le secrétaire général ad-
joint de l’UEFA, Giorgio Mar-
chetti. Ce dernier a ajouté qu’un
« processus » normal de candida-
tures « aurait encore réduit le
temps » des préparatifs pour cette
finale reprogrammée au Stade de
France où, selon les rapporteurs,
des « problèmes d’accès » et de
« sérieuses difficultés d’interopéra-
bilité avec les autorités de police »,
« enracinés » et devant être « con-
sidérés comme tels », avaient été
constatés par l’UEFA, dès 2006,
lors de la précédente finale de
­Ligue des champions organisée
dans l’écrin de Saint-Denis.
Problèmes « pas identifiés »
Considéré par les rapporteurs
comme un « facteur aggravant »,
ce « changement tardif de lieu a
amplifié l’impératif d’une intero-
pérabilité et d’une communica-
tion efficaces entre les parties pre-
nantes, et la nécessité de vérifier
que tous les aménagements
étaient solides et adaptés à l’objec-
tif ». Le panel considère que « cette
période de planification raccour-
cie a constitué un facteur-clé dans
les défaillances entourant l’événe-
ment (…). Des compromis pou-
vaient être faits dans de nombreux
domaines de l’événement, mais la
sûreté et la sécurité n’en faisaient
pas partie ». Alors que le délégué
interministériel aux grandes ma-
nifestations sportives, Michel Ca-
dot, a admis que « ce match excep-
tionnel a été préparé dans un délai
limité de seulement trois mois, au
lieu des dix-huit mois habituels »,
le panel estime que « ce délai très
court » a eu pour effet l’absence
de mise en place d’« un concept de
sûreté et de sécurité sur mesure »
par l’UEFA, qui a accepté que « les
dispositions » sécuritaires de cette
finale, proposées par la Fédéra-
tion française de football (FFF),
soient « fondées sur des plans
­opérationnels » échafaudés pour
« la finale de Coupe de France du
7 mai 2022 ».
« Il s’agissait d’une erreur signifi-
cative », d’un choix « inapproprié »
à l’aune des délais « tronqués »,
soulignent les rapporteurs, tout
en dénonçant cet « arrangement ».
Ils estiment que la finale de Coupe
de France ne fournissait pas un
bon exemple de comparaison et
notent l’absence de « surveillance
rigoureuse et appropriée » de la
part de l’unité sûreté et sécurité de
l’UEFA, « mise à l’écart » du proces-
sus, qui n’a jamais été destinataire
« de plan opérationnel pour la fi-
nale de la Coupe de France ou le
28 mai » de la part de la FFF et des
autorités hôtes.
D’autres cafouillages ont été ob-
servés : la FFF a indiqué aux rap-
porteurs qu’elle n’avait jamais
reçu de l’UEFA un modèle de do-
cument « se concentrant sur les
arrangements stratégiques et opé-
rationnels », pourtant produit
par la confédération européenne
le 9 mars 2022. « Si la finale de la
Ligue des champions ne pouvait
pas être organisée en toute sécu-
rité dans les trois mois, il y avait
plusieurs options, y compris l’an-
nulation, le report ou la poursuite
avec des effectifs restreints, con-
cluent les rapporteurs (…). Un ca-
lendrier aussi serré nécessitait une
surveillance et un suivi renforcés
de toutes les questions relatives à
la sécurité (…). Des impératifs (…)
encore plus évidents et vitaux sur
une période aussi tronquée. »
Le panel enfonce le clou : « En
réalité, c’est le contraire qui s’est
produit. Il n’y a pas eu d’évaluation
des risques sur le site, ni d’évalua-
tion appropriée des risques de l’évé-
nement ni de plans opérationnels
(…). Les problèmes n’ont pas été
identifiés et les modifications perti-
nentes n’ont pas été apportées. »
Nul doute qu’Emmanuel Ma-
cron devrait s’inquiéter en par-
courant ce rapport, « sonnerie
d’alarme » émise par le panel
­indépendant de l’UEFA, avant la
tenue en France du Mondial de
rugby, à l’automne, et des Jeux
olympiques de Paris 2024. p
Antoine Albertini
et Rémi Dupré
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
Des supporteurs
de Liverpool, lors
des incidents avant
la finale de la Ligue
des champions entre
leur équipe et le Real
Madrid, au Stade de
France, à Saint-Denis
(Seine-Saint-Denis),
le 28 mai 2022. MATTHIAS
HANGST/Getty Images via AFP
nervosité lorsqu’ils constatent que leur flux,
loin de se tarir, ne cesse de croître. Tandis
que les forces de l’ordre hurlent des instruc-
tions sans mégaphone, dans un anglais fort
approximatif de l’avis de plusieurs témoins,
certains fans les supplient de fluidifier le
passage. Sans succès. « J’étais certain que les
gens seraient écrasés à mort », écrit un sup-
porteur anglais dans l’un des 700 courriers
sélectionnés par le panel sur 8 500 contribu-
tions écrites qui lui ont été adressées.
A quelques centaines de mètres, côté nord
du stade, les agressions de supporteurs
ont déjà commencé, pas en fin de journée
comme l’assure la communication officielle
mais « dès le début de l’après-midi », ainsi que
le démontre le panel grâce à d’abondants té-
moignages oraux et écrits. D’après un rap-
port établi après les faits et transmis par l’un
des sponsors de l’événement – dont le nom
n’est pas cité –, « aucune force de police »
n’était présente sur place malgré « une situa-
tion peu claire, chaotique (…) et dangereuse ».
Un tel manque de réactivité va encourager
les délinquants à sévir pendant plusieurs
heures, jusqu’aux heurts directs avec la po-
lice, aux alentours de 18 h 45, en particulier
autour de la passerelle de l’Ecluse qui permet
d’accéder au stade par le côté nord-ouest.
C’est le moment que choisissent les instan-
ces du Stade de France pour décréter la
­fermeture de portes d’accès afin de contrer
toute incursion à l’intérieur de l’enceinte.
Conséquence prévisible et directe : les agres-
sions se multiplient autour du stade, où les
supporteurs se retrouvent pris au piège
­entre leurs assaillants et les grilles closes.
« Au cours de toutes mes années passées à as-
sister à des matchs de football, je ne me suis
jamais senti aussi peu en sécurité et vulnéra-
ble », indiquent des fans espagnols au panel.
Les supporteurs forment pourtant « spon-
tanément des files d’attente ordonnées, orga-
nisées collectivement pour protéger les per-
sonnes vulnérables » en attendant que la po-
lice se décide enfin à intervenir massive-
ment, lorsque les assaillants tentent de
forcer le passage de la porte Z, située au sud
du stade. « Ils étaient prêts à en découdre, ils
ne craignaient pas du tout la police, observe
devant le panel un représentant de la FFF
présent dans la salle de contrôle du stade le
jour du match. Ils [les policiers] ont utilisé
des gaz lacrymogènes parce que c’était la
seule solution pour les éloigner des clôtures. »
La seule solution ? Plutôt la solution la
moins dangereuse pour les forces de l’ordre
elles-mêmes, débordées et peu coordon-
nées, selon le panel. La manœuvre se révèle
pour le moins hasardeuse puisque « le vent
pousse les gaz en direction des portes X et Y
où des centaines de supporteurs de Liverpool
se trouvaient densément entassés dans le
hall ». La frayeur est à son comble lorsque
les détonations des grenades lacrymogè-
nes, assourdissantes, font un moment re-
douter l’explosion de bombes.
Ce 28 mai 2022, « il est
remarquable que
personne n’ait perdu
la vie », dénonce
le rapport, tout en
ôtant tout « mérite »
aux autorités
françaises
Présent au stade de Hillsborough lors de la
catastrophe du 15 avril 1989 (97 morts dans
un mouvement de foule pendant un match
de football à Sheffield), le député travailliste
de Liverpool Ian Byrne, très impliqué dans
les activités caritatives du club anglais, écrit
dans une lettre aux extraits largement cités
par le rapport : « J’avais 16 ans à l’époque de
Hillsborough et 50 à l’époque de Paris.
Quand j’ai été témoin des scènes de fans écra-
sés contre les grilles des tourniquets de la
porte Z, dont beaucoup de femmes et d’en-
fants, cela m’a glacé l’âme. »
Excédés, apeurés, les supporteurs britanni-
ques tentent d’alerter les responsables du
maintien de l’ordre sur les risques d’écrase-
ment. Pour toute réponse, ils se retrouvent
aspergés de gaz au poivre – « des armes qui
n’ont pas leur place dans un festival de foot-
ball », selon les rapporteurs –, une stratégie
« totalement inappropriée car non seulement
disproportionnée, mais potentiellement lé-
tale », note encore le panel, ce dont aurait dû
s’aviser n’importe quel « commandement de
police compétent ». Ce jour-là, dénonce le
rapport, tout en ôtant tout « mérite » aux
autorités françaises, « il est remarquable que
personne n’ait perdu la vie ».
« 400 mètres d’enfer »
La fin de la rencontre ne va pas sonner celle
de la débandade. D’après l’enquête du panel,
une « erreur sémantique » incite les autorités
à déployer plusieurs dizaines de policiers
sur la pelouse du Stade de France, l’UEFA
ayant indiqué lors des réunions préparatoi-
res un « risque d’incursion » sur le terrain, in-
terprété par les autorités comme une possi-
ble « invasion massive » de la pelouse. Consé-
quence : « Nous avions des centaines de poli-
ciers antiémeutes qui protégeaient le terrain
et personne pour aider les supporteurs quit-
tant le stade », résument les instances du Li-
verpool FC lors de leur audition le 25 sep-
tembre 2022. Car dehors, sur le chemin du
retour vers le métro et le RER, les suppor-
teurs sont de nouveau agressés, dépouillés,
molestés. Ted Morris, le président de l’asso-
ciation des supporteurs handicapés de Li-
verpool, se souvient d’une « expérience terri-
fiante (…), 400 mètres d’enfer avec tout
le monde qui court pour sauver sa vie » – et
« pas un seul policier ».
Difficile de trouver ces témoignages exces-
sifs quand tous convergent jusque dans les
détails. Quittant le Stade de France par le
nord, les supporteurs du Real Madrid décri-
vent exactement les mêmes scènes d’agres-
sions, la même inaction de la police. « Près de
l’entrée souterraine, détaille un certain Emi-
lio Dumas, nous avons revu des voleurs lo-
caux molester les supporteurs et sans aucune
réaction des policiers (…). La seule chose qu’ils
n’arrêtaient pas de dire était “Bougez”. Je n’ai
jamais vu une police aussi inutile et passive. »
Un autre supporteur espagnol, Julian Garcia
Arribas, explique comment les supporteurs
madrilènes constitués en « groupes défen-
sifs » d’une trentaine d’hommes ont dû re-
pousser physiquement leurs agresseurs
pour protéger leurs familles, des enfants, des
personnes âgées ou handicapées.
Au terme de ce réquisitoire, le panel for-
mule « respectueusement » vingt et une re-
commandations, parmi lesquelles la néces-
sité pour les ministères de l’intérieur et des
sports français de « réviser leur modèle de
gestion » des événements sportifs ou de dé-
ployer les « forces antiémeutes (…) de manière
exclusivement proportionnelle ». En d’autres
termes, de ne pas reproduire ce que les ins-
tances du Liverpool FC ont, au cours de l’en-
quête, qualifié beaucoup moins diplomati-
quement d’« erreur de jugement si calami-
teuse qu’elle dépasse l’entendement ». Une
préconisation qui prend tout son sens, à
530 jours de l’ouverture des Jeux olympiques
et paralympiques de Paris.
Contactés par Le Monde, ni le ministère
de l’intérieur ni la préfecture de police n’ont,
pour le moment, donné suite. p
Antoine Albertini
et Rémi Dupré
France | 11
L’UEFA durement critiquée dans
« son » enquête indépendante
Le panel indépendant conclut que l’instance « porte la responsabilité
principale des échecs qui ont failli conduire au désastre »
L’ état-major de l’Union des
associations européen-
nes de football (UEFA) se
doutait bien qu’il serait le princi-
« L’UEFA n’aurait pas
dû censurer ses
teurs. Cette affirmation était
­objectivement fausse. »
Cet arrangement avec la vérité
n’est pas le seul. Le secrétaire
pal accusé dans l’affaire des vio- propres messages ­général adjoint de l’UEFA, Kevin
lences au Stade de France. Le rap- Lamour, a expliqué aux rappor-
port du panel indépendant mis en raison de teurs que, le 28 mai 2022, le mi-
en place par l’organisation pour nistre de l’intérieur, Gérald Dar-
analyser les causes des déborde-
la pression manin, la ministre des sports,
ments à Saint-Denis (Seine- des autorités Amélie Oudéa-Castéra, « un re-
Saint-Denis), le 28 mai 2022, lors présentant du préfet » et le délé-
de finale de la Ligue des cham- françaises », gué interministériel aux grands
pions, confirme cette crainte. événements sportifs, Michel Ca-
Les rapporteurs concluent que souligne le rapport dot, avaient demandé à la confé-
l’UEFA, « en tant que propriétaire dération européenne d’ôter de
de l’événement, porte la responsa- son projet initial de communi-
bilité principale des échecs qui power” considérable pour inciter qué, dans la soirée, toute « réfé-
ont failli conduire au désas- les autorités de l’Etat à s’engager rence » aux délinquants « lo-
tre »,son modèle « de délégation pleinement dans son projet et à caux » à l’origine de déborde-
et déférence » pour l’organisation se conformer à leurs obligations ments et massés dans le périmè-
du match étant « défectueux en ce (…) Lors de la finale de la Ligue des tre du stade. Et ce, alors que
qu’il y avait une absence de con- champions 2022, l’UEFA n’a fait ni « plusieurs membres du personnel
trôle global ou de surveillance de l’un ni l’autre ». et des responsables de l’UEFA
la sûreté et de la sécurité ». Principale cible des rapporteurs, avaient été témoins des scènes
« S’il était raisonnable de délé- la filiale événementielle de l’UEFA, de désordre et d’attaques contre
guer diverses questions de sécurité UEFA Events, est accusée d’avoir les supporteurs ».
et de sûreté à d’autres – principale- « géré » la finale « comme une série
ment à la Fédération française de de composantes » et « margina- Modèle « peut-être imparfait »
football (FFF) – et s’en remettre à la lisé » sa propre unité sécurité lors « L’UEFA n’aurait pas dû publier
position constitutionnelle de la du match. « En déléguant la sûreté une déclaration dans les médias
préfecture de police en ce qui con- et la sécurité à la FFF et en s’en re- accusant les supporteurs avec des
cerne les tâches de maintien de mettant à la préfecture de police faux billets (…). L’UEFA n’avait et n’a
l’ordre, il ne s’ensuit pas que cela pour les tâches de maintien de toujours aucune preuve de cela (…)
exonère l’UEFA de toute responsa- ­l’ordre, sans affirmer clairement Elle n’aurait pas dû censurer ses
bilité, développent les rappor- et efficacement son propre rôle, propres messages en raison de la
teurs. L’UEFA était au cœur de l’or- l’UEFA a cherché à s’isoler de tout pression des autorités françaises
ganisation de l’événement et elle ce qui pouvait mal tourner. » (…), être autocensurée à la de-
aurait dû contrôler, superviser et Le panel souligne que les repré- mande d’autrui (…). Cette de-
aider à la mise en œuvre des me- sentants de l’UEFA présents dans mande n’aurait pas dû être faite.
sures de sécurité et de sûreté afin la salle de contrôle du Stade de L’UEFA n’aurait pas dû y don-
de s’assurer qu’elles étaient adap- France « auraient dû prendre ner suite, ce qui a eu pour effet de
tées à l’objectif poursuivi et des mesures décisives et faire re- contribuer à une déclaration déjà
d’identifier et de résoudre les pro- monter » leurs préoccupations trompeuse. De plus, l’UEFA n’a pas
blèmes avant qu’ils ne survien- « au commandement de la police corrigé cette déclaration inexacte.
nent en temps réel. » et à la FFF ». (…) Elle l’a aggravée. »
Le panel note que l’UEFA a pré- Le panel considère qu’il est
Arrangement avec la vérité senté « une vision complètement « inacceptable » que l’UEFA, peu
Présidé par le député portugais trompeuse » en voulant « rejeter encline « à accepter ses lacunes »,
Tiago Brandao Rodrigues, le pa- la faute sur d’autres » – « les sup- ait continué, le 8 juin 2022, à « blâ-
nel dénonce une « abdication de porteurs, les réseaux de transport, mer les supporteurs en retard et
responsabilité inacceptable de la la préfecture de police, la FFF » – de leur attribuer la faute ».
part de l’UEFA », « le non-respect afin « d’éviter de rendre des comp- « Une organisation saine ac-
de ses propres exigences en ma- tes », notamment lors des audi- cueille favorablement l’examen et
tière de sûreté, de sécurité », et tions menées en juin 2022 dans la critique fondés sur des preuves,
pointe le contrôle défaillant le cadre de l’enquête sénatoriale tandis qu’une organisation mal-
de l’organisation concernant les sur le fiasco organisationnel du saine se cache derrière des préju-
« plans de mobilité et d’accès, 28 mai : « Ce fut une grave erreur gés et des affirmations sans fonde-
ainsi que la communication et pour l’UEFA de supposer qu’elle ment, et contribue à un carrousel
l’interopérabilité ». pourrait éviter d’être tenue res- de reproches, où tout est de la
« Les hauts fonctionnaires au ponsable d’une quasi-catastro- faute des autres, assurent les rap-
sommet de l’UEFA ont permis que phe prévisible lors de son événe- porteurs. C’est pourquoi les enquê-
cela se produise, même si les lacu- ment phare », insiste le panel. tes indépendantes fondées sur des
nes de son modèle étaient large- Si les rapporteurs saluent la preuves sont si importantes, car si-
ment connues au niveau de la ­décision de l’UEFA de retarder non la même chose se reproduira
haute direction », assènent les le coup d’envoi de la finale, la la semaine prochaine ou l’année
rapporteurs tout en notant l’ab- communication de l’organisa- suivante, avec des conséquences
sence de « tout processus de ges- tion pendant et après la rencon- dévastatrices. »
tion de crise dans la planifica- tre est particulièrement criti- Devant les rapporteurs, le se-
tion » de la finale. quée par le panel. « L’UEFA a an- crétaire général grec de l’UEFA,
« Le rôle de l’UEFA en matière de noncé sur les écrans géants du Theodore Theodoridis, et ses ad-
sécurité (…) n’était absolument stade, et par le biais des diffuseurs joints ont « reconnu que le mo-
pas clair », indiquent les rappor- dans le monde entier, que le re- dèle de l’UEFA est peut-être impar-
teurs. En outre, le panel estime tard du coup d’envoi était dû à fait ». Signe que les dirigeants de
que l’UEFA « dispose d’un “soft l’arrivée “tardive” des suppor- la confédération ont commencé
à faire amende honorable dans
l’optique de la finale de Ligue des
Les enregistrements des caméras supprimés champions, programmée à Is-
tanbul, le 10 juin 2023.
Dans son rapport, le panel indépendant de l’UEFA s’alarme de la suppres- Contactée par Le Monde, l’UEFA,
sion « automatique » des « enregistrements des 260 caméras du Stade qui a financé cette enquête indé-
de France environ une semaine » après la finale de Ligue des champions. pendante pour un budget prévi-
« La direction du Stade de France n’a pris aucune mesure pour assurer sionnel de 617 000 euros, pré-
la conservation, et personne d’autre – y compris les autorités françaises, sente ses excuses et « s’engage à
l’UEFA ou la FFF – ne leur a demandé de conserver les images », écrit le pa- mettre en place les recommanda-
nel. Les rapporteurs ont été informés que « des enregistrements de vidéosur- tions clés » du rapport pour « amé-
veillance de rue sont en la possession » des parquets de Bobigny et de Paris. liorer la sécurité des supporteurs
Les procureurs concernés n’ont pas répondu aux « demandes de visionnage lors des événements futurs ».
de parties pertinentes de ces images » émises par le panel. En outre, les rap- Elle annoncera prochainement la
porteurs ont cru « comprendre que ni le délégué interministériel aux grands mise en place d’un mécanisme de
événements sportifs ni le Sénat n’ont été autorisés à accéder à ces images « remboursement spécial pour les
au cours de leurs propres enquêtes ». Ce que le Sénat a confirmé, en supporteurs » qui ont pâti des dys-
juillet 2022, dans son rapport. « Le fait qu’aucune de ces parties prenantes fonctionnements survenus lors
n’ait veillé à ce que les images soient conservées constitue un manquement de la soirée du 28 mai 2022. p
remarquable et grave », assènent les rapporteurs. A. Al. et R. D.
12 | Campus
Sans espoir de retraite, leur travail perd de la valeur
Certains qu’ils auront moins de droits que leurs aînés, les jeunes actifs prennent de la distance avec l’emploi
D’
où qu’ils parlent,
de l’Yonne à la ré-
gion parisienne, en
passant par le Mai-
ne-et-Loire ou le Cantal, les jeunes
âgés de moins de 30 ans expri-
ment un même désenchante-
ment. « Je me suis toujours dit que
je n’aurai pas de retraite », « La
­retraite, on nous a répété toute
­notre vie que notre génération
pouvait s’asseoir dessus », com-
mence ainsi la quasi-totalité de
ceux qui ont répondu à l’appel à
témoignages lancé par le Monde
sur l’idée qu’ils se font de leur re-
traite. Qu’ils soient cadres supé-
rieurs, indépendants, techniciens
ou manutentionnaires, ces jeu-
nes nés dans les années 1990 se
lancent sur le marché du travail
avec l’intime conviction qu’ils ne
pourront bénéficier du même
droit au repos que leurs aînés.
Persuadés aussi, pour la plupart,
qu’il leur faudra repenser leur car-
rière en conséquence.
Entrer ainsi sur le marché de
l’emploi, avec le sentiment
qu’aucune ligne d’arrivée n’exis-
tera, influe souvent sur leur façon
même d’envisager le travail et la
place à lui accorder. « Les incertitu-
des sur l’état futur de la retraite
s’ajoutent à une longue liste d’in-
certitudes concernant l’avenir, ce
qui fait qu’il est difficile de se proje-
ter, témoigne Louison (qui sou-
haite rester anonyme), chargée de
communication de 25 ans, à Paris.
J’ai l’impression qu’avec les collè-
gues de mon âge il nous est plus
difficile d’envisager de s’impliquer
corps et âme dans le travail, car
nous n’avons aucune garantie que
notre investissement trouvera une
contrepartie plus tard. Ni qu’il don-
nera droit à un répit. »
Ces dernières semaines, la jeu-
nesse a d’ailleurs été visible dans
les cortèges organisés contre le
projet de réforme des retraites –
par « solidarité » pour ses aînés,
mais aussi pour exprimer sa
crainte du futur. « Nous ne som-
mes pas encore au niveau de la mo-
bilisation des jeunes contre le CPE
[contrat de première embauche,
en 2005], faute d’organisations de
jeunesse fortes sur le territoire,
mais un mouvement se dessine
dans cette tranche d’âge, constate
le sociologue Vincent Tiberj, pro-
fesseur à Sciences Po Bordeaux.
Pour cette génération, qu’elle ma-
nifeste ou non par les voies tradi-
tionnelles, la réflexion se fait no-
tamment autour de la notion du
“droit à vivre”. Mais aussi de celui à
faire des erreurs ou à changer de
voie, ce que découragera le nou-
veau système de cotisation. »
Sentiment d’urgence
Partagée par les jeunes interro-
gés, l’inquiétude de voir le report
de l’âge de départ à la retraite pré-
vue par la réforme ouvrir la voie à
d’autres ajournements vient bou-
cher leur horizon. Surtout quand
l’usure se fait déjà sentir, comme
pour ceux qui ont des métiers pé-
nibles. Entrés tôt sur le marché de
l’emploi, ces jeunes seront parmi
les plus affectés par un allonge-
ment du temps de cotisation.
Dans l’Yonne, Florian Rabillon,
22 ans, porte toute la journée ma-
chines à laver et réfrigérateurs,
qu’il installe et dépanne chez les
clients d’un magasin d’électro-
ménager, quand il n’est pas sur
les toits « à monter des anten-
nes ». Il y a bien le contact avec le
client qui rend le métier plaisant,
raconte-t-il, soulagé d’avoir, par
la signature d’un CDI, rompu
avec le stress permanent de la
chasse à l’emploi. « Mais je sens
déjà l’impact de ce travail sur mon
corps. Si je dois aller jusqu’à 64 ans
comme ça, c’est simple, je serai dé-
sossé, confie le jeune homme. En-
fin, s’ils n’ont pas repoussé l’âge
encore dix fois d’ici là. »
Il espère pouvoir monter son af-
faire, un studio de musique : son
rêve, et une activité au sein de la-
quelle il s’imagine davantage res-
­
0123
­Mercredi 15­ février 2023
« Travailler plus
pour produire
toujours plus ne
fera qu’accélérer
cette course
vers le mur »
Louis Colin
conseiller indépendant
âgé de 29 ans
dans le domaine associatif, no-
tamment l’aide aux seniors, et
dans sa maison et son potager,
afin d’être plus autonome en
énergie et en nourriture.
Comme lui, une dizaine de jeu-
nes engagés dans l’écologie si-
gnaient, le 7 février, dans Le
Monde, une tribune où ils fusti-
geaient une réforme qui « glorifie
la “valeur travail” (…) et prolonge
une logique productiviste qui a
déjà trop détruit la Terre ». Ils soule-
vaient un décalage générationnel
dans le soutien de la réforme, plus
important chez « les retraités et les
classes favorisées, ceux qui n’en su-
biront pas les conséquences ».
« Nous pourrions avoir à travailler
plus longtemps, pour des pensions
moindres que celles de nos aînés,
dont le niveau de revenu et de patri-
Anna wanda gogusey moine est déjà largement supérieur
au nôtre », résumaient-ils.
ter plusieurs années. Encore fication du travail », qui s’est ac- jours vu sa mère, cadre en ban- « Solutions plus égoïstes »
faut-il avoir les finances. Chaque
« Nous n’avons compagné d’une transformation que, rongée par le stress et un Chez les jeunes, émerge « le senti-
mois, Florian économise comme aucune garantie des modes d’organisation, plus ri- rythme de travail harassant. ment d’une rupture dans le pacte
il peut, avec le sentiment d’ur- gides, réduisant l’autonomie des Ingénieure dans les transports de solidarité intergénérationnelle,
gence de « trouver une meilleure
que notre travailleurs dans leurs tâches, et publics, la jeune femme trouve du pourtant ciment essentiel du vivre-
situation » – pas évident dans cet investissement tendant à les épuiser. sens dans sa mission d’« intérêt ensemble », constate Anne-Marie
endroit rural, « surtout quand on « Dans les entrepôts logistiques, général ». Mais son secteur, qui Guillemard, professeure émérite
n’a pas de diplôme ».
trouvera les ouvriers sont guidés par une s’ouvre à la concurrence, est en de sociologie à l’université Paris
Chercher une « porte de sortie » une contrepartie commande vocale, sans marge de pleine réorganisation. « On vit de Descartes. « A l’origine de la Sécu-
est aussi l’obsession de Thibaut manœuvre. Les professionnelles plein fouet ce mouvement de mu- rité sociale, le système de retraite
Dromaire, qui parcourt la France
plus tard » de l’aide à la personne doivent, tation des méthodes de travail s’était construit autour d’un prin-
pour réparer des machines de sa- Louison ­elles, se plier à un travail chrono- pour être plus “performants”. Les cipe de solidarité dans la cotisa-
lage des routes. A 23 ans, ses ge- chargée de communication, métré, réduit à une répétition de gens perdent le sens de ce qu’ils tion, qui serait mutuellement pro-
noux le font souffrir et un début âgée de 25 ans gestes, qui fatigue physiquement font, moi je rentre le soir très stres- fitable, retrace-t-elle. A l’entrée sur
de lésion au poignet lui a été dia- et psychologiquement, poursuit sée. Cela m’angoisse d’être si fati- le marché du travail, on avait une
gnostiqué. « La convention collec- Thomas Coutrot. L’intensité s’est guée après seulement deux ans de vision claire de ce que serait la vie
tive me désigne comme conces- accrue partout, aussi chez les vie active sur plus de quarante. » de retraite. Cela a été balayé : le
sionnaire automobile, il n’y a donc ­cadres, soumis à des changements Marie réfléchit à d’autres solu- pacte a tourné au sacrifice pour la
aucune pénibilité reconnue, mais organisationnels permanents, tions, comme passer à temps par- jeune génération, avec une mon-
je ne me vois pas continuer plus de souvent parachutés d’en haut, qui tiel, pour avoir plus de temps li- tée inévitable de la défiance. »
quarante ans », pointe ce techni- vident leur travail de son sens. Il y a bre. « Quitte à gagner moins et à En conséquence, les jeunes sont
cien. Toutefois, il s’imagine diffi- un sentiment d’insoutenabilité du renoncer à la carrière idéale », dit- aussi de plus en plus tentés de s’en
cilement, pour des raisons finan- travail de plus en plus aigu, ce qui elle, en écho à d’autres jeunes in- remettre à une retraite par capita-
cières, reprendre des études et rend difficile la projection jusqu’à terrogés, qui paraissent « mettre à lisation, avec la constitution
trouver un emploi moins pénible. une retraite lointaine. » distance » le travail. d’épargnes individuelles ou l’in-
Surtout avec le risque de perdre A 29 ans, Louis Colin anticipe, de vestissement dans des fonds fi-
de nouveaux trimestres de cotisa- Monde bouleversé son côté, un futur et un monde nanciers. « L’incertitude sur plein
tion, et de voir la ligne d’arrivée Beaucoup des jeunes interrogés économique bouleversés par la de fronts, surtout sachant que les
encore repoussée. perçoivent le travail comme une crise climatique. « Dans ce con- femmes sortiront encore plus per-
« L’usure professionnelle com- forme de « marathon », durant le- texte, bosser comme un dingue en dantes de la réforme, me pousse à
mence extrêmement jeune : il y a quel il vaut mieux économiser ses espérant profiter d’une retraite su- me tourner vers des solutions plus
aujourd’hui des jeunes trentenai- forces. « Quand je vois que la re- per n’est pas un pari qui vaut la égoïstes », admet ainsi Louison,
res au corps abîmé, avec notam- traite ne fait qu’être repoussée, chandelle, estime le jeune di- qui a commencé à épargner sur
ment une explosion précoce des peut-être éternellement, je me dis plômé en droit et économie. Je un plan retraite. « Mais ce n’est pas
troubles musculo-squelettiques qu’il faut absolument arriver à pré- crois aussi que travailler plus pour la société à laquelle j’aspire, regret-
dans les emplois dits de seconde li- server un équilibre avec la vie per- produire toujours plus ne fera te-t-elle, celle où chacun met de
gne », souligne l’économiste du sonnelle, et ne pas me tuer à la tâ- qu’accélérer cette course vers le l’argent de côté pour sauver sa
travail Thomas Coutrot, coauteur che. Je ne vais pas attendre de vivre mur. » En 2019, Louis a quitté son peau, et tant pis pour ceux qui ne le
avec Coralie Perez de Redonner du “après mon départ à la retraite”, job dans un cabinet de conseil, peuvent pas. » Elle mesure le « pri-
sens au travail (Seuil, 2022). Dans car il est probable que je serai déjà pour se lancer en indépendant et vilège » de pouvoir s’offrir cette
leur ouvrage, les chercheurs iden- super usée », pointe Marie, 24 ans, se dégager du temps à consacrer à bouée dans la tempête. p
tifient un phénomène d’« intensi- Parisienne, qui raconte avoir tou- du « travail non marchand » – Alice Raybaud
« Pour les jeunes générations, l’impression d’une arnaque »
Céline Marty, professeure agrégée et chercheuse s­ erons amenés à travailler d’ici quelques dizaines d’an- Cette critique caricaturale vise à évacuer les proposi-
en philosophie du travail, s’interroge, dans Travailler nées – conditions qui ne sont d’ailleurs pas du tout pri- tions que porte une partie de cette génération autour
moins pour vivre mieux. Guide pour une philosophie an- ses en compte dans les calculs technocratiques sur l’al- d’un travail moins aliénant. Vouloir s’épanouir hors du
tiproductiviste (Dunod, 2021), sur la centralité du travail. longement de la vie professionnelle. Que signifierait seul cadre de l’employabilité et du productivisme ne
A rebours du projet de réforme des retraites, qui prévoit encore travailler à 64 ans, dans un monde à 3 degrés de suppose pas une fainéantise. On l’a bien vu avec la
de travailler plus, elle se penche sur les aspirations à plus de réchauffement ? question, soulevée depuis la présentation du projet de
« ralentir » exprimées par une partie de la jeunesse. réforme, de l’importance sociale fondamentale, mais
En quoi l’enjeu climatique est-il central dans non marchande, des retraités dans la vitalité associa-
Les incertitudes sur le futur, revenues les réflexions de la jeunesse autour de la réforme ? tive ou le soin aux enfants.
avec la réforme des retraites, pèsent-elles sur Les jeunes générations engagées, celles qui se trou- C’est une remise en cause de l’ambition largement in-
le rapport au travail des jeunes générations ? vent notamment dans des organisations militantes culquée depuis les années 1990, du cadre ou du chef
Le principe de la retraite par répartition repose, avant comme Youth for Climate, soulignent les conséquen- d’entreprise qui réussit, avec sa voiture de fonction et
tout, sur une confiance en l’avenir et un pacte social de ces écologiques de la réforme des retraites. Elles poin- son beau costume : modèle dont on est en train de voir
réciprocité. Pour les jeunes générations, ce rapport de tent la logique productiviste qui sous-tend ce projet les limites. Cette génération a d’autres ambitions. Re-
confiance a été malmené, et est aujourd’hui brisé. Avec d’allongement du temps de travail, qui épuise les mettre le travail à sa juste place en fait partie : il s’agit
les différents projets de réforme, une défiance est appa- ­travailleurs et les ressources naturelles. Pour cette d’une activité qui existe pour satisfaire nos besoins,
rue : l’impression d’une arnaque généralisée, où les jeu- ­jeunesse, cette réforme apparaît comme une aberra- sans être forcément la plus importante d’une vie. Ce
nes générations sont appelées à financer de plus en tion sur le plan écologique quand tout nous appelle, au moment appelle à repenser la question du temps libre,
plus longtemps les retraites des aînés, avec de moins en contraire, à ralentir. oubliée des politiques publiques. Mais débouche aussi
moins de certitude de pouvoir jouir, un jour, de la sur une remise en question plus large de la consomma-
même pause que ces derniers. Elle est souvent taxée, pour cela, de « fainéantise » tion, de ce qu’on produit et de ce qu’on consomme du
Face à la crise climatique, nombre d’entre eux s’inter- par une partie de ses aînés. Est-on face travail des autres. p
rogent aussi sur les conditions dans lesquelles nous à une ­génération paresseuse ? Propos recueillis par A. Ra.
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
Le climatoscepticisme
connaît un rebond
sur Twitter en France
Selon une étude, une importante communauté
s’est structurée à partir de l’été 2022. Parmi elle,
de nombreux militants pro-Kremlin et antivax
L
e climat a varié de tout
temps », « il n’y a pas de
consensus sur le réchauf-
fement climatique », « il
s’agit d’une variation de l’activité
solaire »… Les contrevérités sur le
climat fleurissent plus que ja-
mais sur la Toile. Selon une étude
publiée lundi 13 février, la France
fait face à un fort regain de
climato­scepticisme sur Twitter
depuis juillet 2022. Désormais,
plus de 10 000 comptes actifs re-
laient ces fausses informations, à
coups de milliers de tweets quoti-
diens. De quoi freiner la trans-
mission des connaissances
scientifiques tant sur l’ampleur
de la crise climatique que sur l’ur-
gence à agir pour limiter les
émissions de gaz à effet de serre.
Pour parvenir à ces résultats,
quatre scientifiques de l’Institut
des systèmes complexes Paris Ile-
de-France (CNRS) ont passé au cri-
Les coupures de gaz font grelotter les habitants du nord de la Chine
Dans cette région où la température peut chuter à – 20 °C, le système énergétique rigide répond mal aux fluctuations des prix
Reportage
Cangzhou (Chine) -
envoyé spécial
D ébut décembre, M. Jiang,
la trentaine, a emménagé
dans une nouvelle mai-
son à peine terminée. Elle est plus
petite que la plupart des bâtisses
du village de Han, mais elle a un
avantage de taille : la température
y dépasse les 20 degrés, alors
que la mare est gelée dans ce vil-
lage de la campagne de Cangzhou,
dans la province du Hebei entou-
rant Pékin. Le secret du confort se
trouve dans la chaufferie de cette
maison construite un an plus tôt :
un poêle en fonte à l’ancienne,
connecté au réseau d’eau chaude.
Devant, un seau plein de charbon.
« J’ai emménagé ici quand les cou-
pures de gaz ont commencé, début
décembre », explique M. Jiang, qui
ne donne que son nom de famille.
Dans son ancien logis, la tempéra-
ture chutait la nuit, lorsque le gaz
naturel était coupé par l’entreprise
chargée de la distribution.
Mais tout le monde n’a pas la
chance d’avoir une deuxième mai-
son où se rendre quand les tempé-
ratures baissent : cet hiver, les cou-
pures de gaz ont fait grelotter des
millions de personnes dans le
nord de la Chine. A partir de la fin
décembre 2022, des centaines de
plaintes sont apparues, sur les ré-
seaux sociaux mais aussi sur les si-
tes Web des gouvernements lo-
caux. « Notre village n’a pas pu
acheter de gaz naturel, on ne peut
pas se chauffer. Il y a des personnes
âgées qui récupèrent à peine du Co-
vid et sont encore faibles, et elles se
gèlent chez elles », témoigne un ha-
bitant d’un village de la préfecture
de Xingtai sur le site Internet de
cette ville du sud du Hebei. « Le
passage du charbon au gaz est une
bonne politique, mais nous, les
gens de la campagne, on ne peut
pas se chauffer normalement »,
écrit un autre villageois. D’autres
témoignages évoquent des coupu-
res de minuit à 6 heures toutes les
nuits, et parfois en pleine journée,
alors que la température peut chu-
ter jusqu’à moins 20 degrés.
ble deux ans d’échanges sur Twit-
ter, en 2021 et 2022. Leur étude fait
partie du projet Climatoscope qui
a analysé, depuis 2016, plus de
400 millions de tweets à propos
du changement climatique.
« Auparavant, la France était
beaucoup moins touchée par le cli-
matoscepticisme que les Etats-
Unis. Mais, entre 2021 et l’été 2022,
l’activité des comptes “dénialistes”
a été multipliée par six », note Da-
vid Chavalarias, premier auteur
de l’étude, directeur de recherche
au CNRS et directeur de l’Institut
des systèmes complexes.
Par « dénialisme », le mathéma-
ticien entend le rejet de faits qui
bénéficient d’un consensus au
sein de la communauté scientifi-
que compétente. Dans son rap-
port d’août 2021, le Groupe d’ex-
perts intergouvernemental sur
l’évolution du climat (GIEC) a
montré que le rôle des activités
Devant la maison de M. Jiang dans le village de Han, dans la province chinoise du Hebei, le 2 février. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »
Les habitants du nord de la
Chine sont victimes d’une con-
jonction de facteurs : la guerre en
Ukraine a fait monter les prix du
gaz, la politique zéro Covid a pesé
sur les finances locales, et un sys-
tème énergétique rigide en
Chine ne permet pas de s’adapter
aux évolutions de la demande.
Alors que les Européens, privés
de gaz russe, ont réussi à passer
l’hiver sans pénuries majeures,
c’est finalement la Chine, qui se
fournit chez son partenaire
russe, qui a souffert de carences.
Car, malgré son amitié « sans li-
mites » avec la Russie affirmée
lors du passage de Vladimir Pou-
tine à Pékin, en février 2022, la
Chine doit payer le gaz au prix
humaines, et en particulier la
combustion d’énergies fossiles
(charbon, pétrole et gaz), était
« sans équivoque » sur le réchauf-
fement climatique.
Malgré ce consensus, les cher-
cheurs de l’Institut des systèmes
complexes révèlent qu’une im-
portante communauté climato­-
sceptique française s’est structu-
rée à partir de l’été 2022 sur
­Twitter, à l’occasion d’une triple
actualité : la multiplication d’évé-
nements extrêmes (canicules, in-
cendies, sécheresse, etc.), la con-
vergence des enjeux du réchauf-
fement climatique avec ceux de la
sécurité d’approvisionnement en
pétrole et en gaz du fait de la
guerre en Ukraine et, enfin, la te-
nue de la conférence mondiale
sur le climat, la COP27, en novem-
bre en Egypte, avec un poids fort
des industries fossiles. C’est égale-
ment la période où le milliardaire
fort : « La Chine achète du pétrole
et du charbon russe à prix réduit,
mais pas le gaz. Le gaz russe se né-
gocie un peu moins cher que le
prix du marché en ce moment,
mais il n’est pas bon marché pour
autant », observe Michal Meidan,
directrice du programme Chine à
l’Institut pour les études sur
l’énergie d’Oxford.
Episodes de pollution extrême
Alors que les grandes entreprises
d’Etat, comme China National Pe-
troleum Corporation, revendent
le gaz russe à un prix élevé, les dis-
tributeurs locaux, eux, sont limi-
tés, car les prix de vente aux parti-
culiers sont plafonnés par l’Etat.
Les fournisseurs d’énergie préfè-
américain Elon Musk, après avoir
racheté Twitter, a décidé de fer-
mer des services de modération
et a entrepris de rétablir des
comptes suspendus.
« A partir de juillet, les climato­-
sceptiques sortent de l’ombre et de-
viennent l’une des communautés
les plus actives dans la twitto­sphère
climatique », avertit David Chava-
larias. Ils sont bien plus nombreux
à s’exprimer quotidiennement en
moyenne et publient davantage
de tweets que les autres catégories
étudiées : la « communauté GIEC »
(les auteurs du GIEC et leurs pre-
miers relais), les militants procli-
mat (associations, ONG, militants
politiques), les « technosolution-
nistes », les médias ou la commu-
nication gouvernementale.
« Une rhétorique dite des 5D »
Beaucoup de ces comptes ont
moins de followers que des clima-
tologues renommés comme Valé-
rie Masson-Delmotte (70 000),
mais certains culminent jusqu’à
près de 300 000 abonnés. « Même
si la taille de cette communauté est
moindre que celle qui soutient le
consensus scientifique sur le cli-
mat, un processus est enclenché,
prévient David Chavalarias. Si l’on
n’en prend pas conscience, il peut
mener à une polarisation de la so-
ciété sur des enjeux qui relèvent de
la science, comme aux Etats-Unis,
où les républicains sont majoritai-
rement climatosceptiques. »
Au total, selon les chercheurs,
26 % des comptes Twitter qui
abordent les questions climati-
ques sont climatosceptiques en
France, comme dans le monde
(30 %). Un chiffre qui correspond
à la proportion de climatoscepti-
rent vendre aux industriels, avec
lesquels ils peuvent pratiquer des
prix plus élevés.
Autre problème : les finances
des gouvernements locaux,
plombées par les efforts de la poli-
tique zéro Covid en 2022 et par la
crise immobilière, ne permettent
pas aux autorités de compenser
les distributeurs d’énergie. Les ha-
bitants qui auraient dû recevoir
des subventions les trois premiè-
res années pour faciliter la transi-
tion du charbon au gaz ont été
payés les deux premières années
mais attendent toujours d’être
compensés cet hiver. La situation
se serait améliorée peu de temps
avant les vacances du Nouvel An
lunaire (du 21 au 27 janvier).
Planète | 13
Plus de
10 000 comptes
relaient
de fausses
informations,
à coups de
milliers de tweets
quotidiens
ques dans la population, minori-
taire mais loin d’être négligeable.
Les chercheurs ont tenté de dres-
ser un portrait-robot de ces comp-
tes : la majorité (60 %) a relayé la
propagande pro-Kremlin dans la
guerre en Ukraine, beaucoup ont
été antivaccin et ont participé aux
grandes campagnes « antisys-
tème » depuis deux ans, comme
lors de la crise sociale en Guade-
loupe ou de la polémique complo-
tiste autour du variant Omicron.
Ils sont en outre nombreux à être
proches de l’extrême droite, qu’il
s’agisse de Reconquête ! (le mou-
vement d’Eric Zemmour) ou de
Florian Philippot et de François As-
selineau. En revanche, cette com-
munauté ne recoupe pas a priori
les partis politiques traditionnels.
Ce groupe abrite également
2,8 fois plus de faux comptes (pi-
lotés par des humains ou des ro-
bots) que la communauté GIEC. Et
il fait circuler 3,5 fois plus de mes-
sages identifiés comme « toxi-
ques » (injurieux, de dénigre-
ment, etc.). « Derrière les motifs
économiques et politiques tradi-
tionnels des climatosceptiques,
nous soupçonnons également une
action géopolitique, par exemple
Quelques jours plus tôt, les auto-
rités centrales avaient mis en
garde : « Certaines localités et entre-
prises n’ont pas pris de mesures
pour assurer l’approvisionnement
et le prix de l’énergie nécessaires à
la subsistance de la population », a
accusé, le 13 janvier, Lian Weiliang,
vice-président de la Commission
nationale pour le développement
et la réforme, qui gère la planifica-
tion de l’économie. Le passage au
chauffage au gaz part d’une bonne
intention : réduire les émissions
de polluants. La Chine a lancé
en 2013 un plan d’action de con-
trôle et de prévention de la pollu-
tion de l’air, après plusieurs épiso-
des de pollution extrême, sur-
nommés « airpocalypses », dans le
du gouvernement russe, qui exa-
cerberait l’activité de ces comp-
tes », avance David Chavalarias.
L’étude se focalise en particulier
sur le compte @Elpis_R, dont l’ac-
tivité sur Twitter a plus que dou-
blé depuis l’été 2022, et qui, en dé-
pit de son nombre d’abonnés mo-
déré (17 800), est devenu le plus
influent de cette communauté.
Après une longue période de mili-
tantisme antivax et une phase
« où il s’est fait le discret relais de la
propagande pro-Kremlin », ce
compte anonyme s’attaque, de-
puis juin 2022, spécifiquement
aux auteurs du GIEC et aux scien-
tifiques du climat, comme le
montre le rapport.
« Le compte développe une rhé-
torique dite des 5D, particulière-
ment appréciée des opérations de
subversion : discrédit, déforma-
tion, distraction, dissuasion, divi-
sion, soulignent les scientifiques.
Il la complète par un sixième D, qui
est peut-être le plus important
pour favoriser l’inaction climati-
que : le doute. » Il a par ailleurs al-
lègrement recours à une rhétori-
que complotiste.
Quelle est l’influence de ces
comptes ? L’étude conclut que les
discours des communautés dé-
nialistes, mais aussi technosolu-
tionnistes, arrivent « probable-
ment à freiner » la dissémination
des connaissances scientifiques et
des conclusions du GIEC, en modi-
fiant la perception à la fois de l’ur-
gence à agir, mais aussi de la capa-
cité à agir immédiatement. Un
avertissement, à quelques semai-
nes de la publication du rapport
de synthèse des derniers travaux
du GIEC, prévue le 20 mars. p
Audrey Garric
nord du pays. Après avoir visé les
plus gros émetteurs, comme les
centrales thermiques, usines sidé-
rurgiques et autres activités indus-
trielles situées à proximité de la ca-
pitale, les autorités ont dû s’atta-
quer aux sources de microparticu-
les plus diffuses, comme le
chauffage domestique. A partir de
2017, de plus en plus de localités
ont mis en place cette transition,
parfois avec un zèle excessif, no-
tamment à proximité de Pékin, où
certains habitants des campagnes
avaient vu leurs poêles à charbon
saisis, alors qu’ils n’étaient pas en-
core raccordés au réseau de gaz.
Dans les villages du Hebei, cet
effort se voit aux tuyaux peints
en jaune qui courent sur les murs
des maisons et à la couleur du ciel,
d’un bleu pur en cette fin janvier.
« Il y a dix ans, ici, tout était gris, on
ne voyait pas le ciel », témoigne
M. Yang, un autre habitant du vil-
lage de Han, âgé d’une soixan-
taine d’années. Malgré ce constat,
il est resté au charbon, comme
beaucoup de personnes âgées ici.
« Ils coupent le gaz tout le temps,
les gens n’ont plus que la climatisa-
tion au mieux, mais c’est trop sec
et pas assez chaud. »
La campagne de transition éner-
gétique a permis de réduire sensi-
blement les émissions : le niveau
de PM2,5, les microparticules in-
férieures à 2,5 micromètres par
mètre cube, a été divisé par trois
dans la capitale chinoise entre
2013 et 2022, d’après les mesures
de l’ambassade américaine à Pé-
kin. « Cette campagne de transi-
tion du charbon au gaz a été au
moins partiellement un succès, es-
time Kevin Tu, responsable de la
branche chinoise d’Agora Energy
Transition, un cabinet d’analyses
basé à Pékin. Néanmoins, la Chine
devrait améliorer la résilience de
son système énergétique. Sinon,
une pénurie chronique de gaz dans
certaines parties du pays va com-
promettre non seulement la sécu-
rité de l’approvisionnement éner-
gétique national, mais aussi la sta-
bilité sociale dans les années à ve-
nir », ajoute le chercheur. p
Simon Leplâtre
 Économie & Entreprise
0123
14 | ­
­Mercredi 15­ février 2023

Transition énergétique

Reportage
Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône) -
envoyé spécial

C’
est un miroir présenté
devant nous. Dans lequel
personne n’a vraiment
envie de se regarder, en-
core moins de se recon-
naître. Fos-sur-Mer, sa
zone industrielle et portuaire, cinquante ki-
lomètres à l’ouest de Marseille, dans les Bou-
ches-du-Rhône, temple de notre civilisation
carbonée, de la société de consommation, de
la mondialisation, du capitalisme, des éner-
gies fossiles, des pollutions et des gaz à effet
de serre (GES).
La bataille contre le réchauffement climati-
que se joue d’abord ici, à l’ombre des fours
géants de l’aciérie d’ArcelorMittal, des raffi-
neries d’Esso, des cuves de chlore du chi-
miste Kem One, des citernes du pétrochi-
miste LyondellBasell ou des conteneurs rem-
plis de produits manufacturés chinois,
transportés via le canal de Suez.
Un espace indescriptible, presque cinéma-
tographique, fascinant tant il est gigantes-
que, avec plus de 16 000 hectares de landes,
de routes, de parkings, de wagons, de ca-
mions, de conteneurs, de torchères, de hauts
fourneaux, de pipelines, de pylônes électri-
ques, de citernes remplies de centaines de
milliers de mètres cubes de pétrole, dans
une overdose de gaz, de chimie, de pétrochi-
mie, d’acier, de PVC, vingt-quatre heures sur
vingt-quatre depuis cinquante ans.
Le site de Fos avait été imaginé en 1964,
lancé sur les fonts baptismaux, et coulé dans
le béton et le bitume dans la foulée, à une
époque où la France pouvait se gouverner
par décret, sans la moindre consultation ni
réelle contestation. A la raffinerie et au pipe-
line, installés plus tôt, s’était ainsi ajoutée
l’usine sidérurgique de Solmer.
« Fos-sur-Mer : 22 millions de tonnes d’acier
demain, 35 morts aujourd’hui » avait titré Le
Monde, en 1973, pour évoquer les nombreux Le site du futur four électrique de l’aciérie ArcelorMittal, à Fos-sur-Mer, le 1er février. THÉO GIACOMETTI/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
accidents du travail lors de sa construction.
L’usine s’est ensuite appelée Sollac, puis Ar-
celorMittal, au gré des rachats. « Des énormes

Fos-sur-Mer, laboratoire géant

bateaux avec des dents à l’avant sont venus
creuser le chenal puis les darses du port », se
remémore René Raimondi, 63 ans, adoles-
cent à l’époque, maire de Fos, longtemps so-
cialiste, aujourd’hui sans étiquette.
Le port a été construit, des milliers d’habi-

des transformations
tants se sont installés, notamment en prove-
nance de Lorraine, mais les chocs pétroliers
ont très vite compliqué son développement.
« L’Etat n’a pas été à la hauteur en matière
d’aménagement », raconte le maire en mon-
trant, sur une immense photo aérienne ac-

de notre civilisation carbonée

crochée dans son bureau, les routes qui n’ont
jamais vu le jour pour désengorger la petite
ville. « L’idée, dans les années 1970, a été de
mettre les industries le plus loin possible des
habitations et le plus loin possible les unes des
autres. A l’époque, on a positionné les grands
sites un peu au petit bonheur la chance »,
ajoute Corinne Ramombordes, ingénieure
chimiste, directrice générale de Solamat-Me-
rex, une entreprise de traitement de déchets
dangereux, et présidente de Piicto, une asso-
ciation d’entrepreneurs du secteur.
Le gigantisme se retrouve aujourd’hui
dans les perspectives d’investissements in-
dustriels dans la zone. Plus de 6 milliards
d’euros, dans les dix prochaines années, se-
lon les estimations de plusieurs sources
(portuaire, patronale, préfectorale) auprès
du Monde. Dans son immense bureau de la
préfecture, construite sous le Second Empire
par un prédécesseur immodeste, le préfet de
région, Christophe Mirmand, témoigne du
mouvement en cours et de sa rapidité :
« Quand j’ai pris mon poste [en juillet 2020],
je me demandais si je serais confronté à une
logique de désindustrialisation avec les inter-
rogations sur l’énergie fossile et sur l’acier. En
fait, c’est exactement l’inverse. »
Jean-Michel Diaz, directeur régional de To-
talEnergies, président du groupement mari-
time et industriel de Fos, instance qui re-
groupe le patronat local, ne dissimule pas
son enthousiasme : « Cela fait quarante ans
que nous n’avons pas connu une période simi-
laire. Quand vous regardez la somme des pro-
jets devant nous, c’est juste extraordinaire. »
L’ancien ministre de l’intérieur Christophe
Castaner, désormais président (bénévole) du
conseil de surveillance du Grand port mari-
time de Marseille (GPMM), qui inclue le port
de Fos, se réjouit : « Il y a, à la fois, un dévelop-
pement endogène, avec des entreprises instal-
lées qui investissent, notamment sur la décar-
bonation, et des besoins nouveaux d’entrepri-
ses qui cherchent du foncier. »
Le port a repris des couleurs après des pé-
riodes difficiles, au gré des crises mondiales,
des crises nationales et des crises locales,
parfois les trois en même temps. En 2022,
Dans les prochaines années, environ 6 milliards d’euros vont
être investis dans l’immense zone industrielle provençale.
L’objectif est de faire basculer cet enfer des hydrocarbures
et de la chimie vers des gigaprojets d’aciérie décarbonée,
d’hydrogène vert ou de panneaux solaires
77 millions de tonnes de marchandises di-
verses ont transité par Marseille-Fos. Beau-
coup de voitures produites par les construc-
teurs installés au Maghreb, au point de satu-
rer les espaces de stockage. Des conteneurs plus de 16 000
venus de Chine à perte de vue, dont une hectares de
bonne partie transportés par le géant mar-
seillais et mondial CMA CGM. landes, de routes,
« Une opportunité fabuleuse » de parkings,
Du pétrole encore et toujours. Et du gaz na-
turel liquéfié (GNL), devenu stratégique pour
de wagons,
la France et pour l’Allemagne avec la guerre de camions,
en Ukraine depuis février 2022. Il suffit de re-
garder l’horizon du golfe de Fos, où patien- de conteneurs,
tent les navires avant de pouvoir vider leurs
cuves à quai, pour avoir une idée des flux. de torchères,
« En 2021, on avait eu 120 escales de métha- de hauts-
niers sur nos terminaux. On en a eu 180
en 2022 », relève Mathieu Stortz, délégué gé- fourneaux,
néral adjoint d’Elengy (groupe Engie).
Le gigantisme du site, où travaillent plus de de pylônes et
40 000 salariés, se retrouve dans l’impact cli- de citernes pleines
matique. La zone de Fos représente environ
10 millions de tonnes d’équivalent CO2 cha- de pétrole…
que année. Dans la guerre invisible, longue
et difficile pour sauver l’humanité d’elle-
même, chaque geste compte. Mais ici, les dé-
cisions des industriels vont peser lourd.
Bruno Ribo, ingénieur des Mines de 59 ans,
une vie d’expatrié en Turquie et Roumanie
pour le compte d’ArcelorMittal, a posé ses va-
lises et ses dossiers à Fos depuis 2018.
Le directeur général d’ArcelorMittal Médi-
terranée fait visiter le chantier du « four po-
che », où s’activent des ouvriers, et montre le
poste de pilotage des futures opérations – un
nouveau processus destiné à intégrer plus de
produits recyclés dans la production. C’est la
première marche d’un engagement pris par
ArcelorMittal en France : l’entreprise veut ré-
duire de près de 40 % sa production de GES
d’ici à 2030, avec 1,7 milliard d’euros d’inves-
tissement pour Dunkerque et Fos, dont une
partie subventionnée par l’Etat.
Si les engagements sont tenus, l’impact
sera majeur. Lorsqu’elle fonctionne à plein
régime, l’usine de Fos produit 4 millions de
tonnes d’acier, soit 7,5 millions de tonnes
d’équivalent CO2 – à titre de comparaison,
l’empreinte carbone moyenne d’un Français
tourne autour de 9 à 10 tonnes par an. Un
tiers de CO2 en moins d’ici à 2030 pour
Arcelor­Mittal, ce serait 2,5 millions de ton-
nes évitées. L’électrification d’un des hauts
fourneaux va représenter un chantier parti-
culièrement complexe pendant quatre ans.
« Une opportunité fabuleuse », dit Bruno
Ribo, à condition toutefois, ajoute-t-il, que
l’Europe se protège, dans le même temps,
des importations à bas coût et haute teneur
en carbone. La mise en garde est d’actualité :
la période est compliquée pour le groupe,
comme pour tout le secteur, à cause d’une
demande fléchissante et de prix de l’énergie
élevés. Au point que l’entreprise a mis en
pause un des hauts fourneaux depuis dé-
cembre 2022, en attendant des jours
meilleurs.
Carburants de synthèse
Dans les mots des patrons et des pouvoirs
publics, revient l’idée d’un « alignement des
planètes » ou d’une « fenêtre de tir » pour un
début de réindustrialisation de la France. La
crise du Covid-19 et la découverte des fragili-
tés d’une Europe incapable de se fournir en
masques et en médicaments ont constitué,
en 2020, une première prise de conscience.
La guerre en Ukraine et la fragilité énergéti-
que des pays européens ont ajouté une
deuxième couche. Les tensions durables sur
l’approvisionnement, une troisième.
L’enjeu du réchauffement climatique et
donc de la décarbonation viennent donner
un élan supplémentaire et un moyen de sub-
ventionner les transformations grâce aux
aides publiques. « Chez tout le monde, ça
pousse. L’ensemble des industriels ont des pro-
jets, on le voit », confirme Olivier Azara, di-
recteur général d’ADF (anciennement Ate-
liers de Fos), un groupe spécialisé dans l’in-
génierie et la construction d’usines.
L’hydrogène en particulier, très fortement
soutenu par les pouvoirs publics, attire les
convoitises malgré les incertitudes, toujours
importantes, sur la robustesse du modèle
économique. Le GPMM participe ainsi au
projet porté par la société H2V d’installer
une usine de production d’hydrogène décar-
boné par électrolyse sur 40 hectares, déjà ré-
servés, pour un montant d’investissement
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
La raffinerie Esso, à Fos-sur-Mer, le 9 février. THÉO GIACOMETTI/HANS LUCAS POUR « LE MONDE »
estimé à 750 millions d’euros.
Six unités de production de 100 mé-
gawatts (MW) chacune produiraient ainsi, à
terme, plus de 80 000 tonnes d’hydrogène
par an. « Les 200 premiers MW sont sécurisés.
Si les choses s’alignent – étude de faisabilité,
concertation –, nous devrions avoir un projet
sorti de terre fin 2027 ou début 2028 », assure
Alexis Martinez, directeur général de H2V,
qui a lancé des projets similaires en Nor-
mandie et dans le Nord. L’hydrogène produit
pourrait par exemple servir à décarboner
des raffineries. Ou bien à fournir des carbu-
rants de synthèse, notamment pour le
transport maritime.
Parcs solaire et éolien
Un autre projet encore plus massif est en
cours d’étude. José Noldin en parle avec un
français parfait et un accent brésilien pro-
noncé. L’homme est un spécialiste de la sidé-
rurgie, recruté comme PDG par un consor-
tium européen, GravitHy, pour porter un
projet d’aciérie « verte » à Fos. Grâce à de l’hy-
drogène, là encore.
« Les premières études d’ingénierie viennent
d’être lancées, c’est une étape importante et
concrète », explique le patron, en évoquant
un investissement de 2,2 milliards pour pro-
duire, à terme, 2 millions de tonnes d’acier
par an. Le besoin d’électricité sera considéra-
ble dans des délais très serrés. José Noldin ré-
sume la situation en une formule : « Les trois
premiers défis pour GravitHy, c’est : électricité,
électricité, électricité. Le super héros de notre
époque, c’est l’électron. »
RTE, le gestionnaire du réseau de transport
d’électricité français, estime que le cumul
des projets en cours d’étude représente 5 gi-
gawatts (GW) d’électricité en plus à fournir,
l’équivalent de cinq réacteurs nucléaires.
Une trentaine d’études techniques sur la dé-
carbonation ont commencé à être financées
par l’Agence de l’environnement et de la maî-
trise de l’énergie et par les industriels pour
étudier les besoins et les projets possibles
autour de l’hydrogène, du stockage de CO2,
des processus de fabrication.
Un projet de parc solaire est envisagé par
la mairie sur des étangs inutilisables. Même
chose sur des « crassiers » de l’aciérie – les
scories des hauts fourneaux –, où aucune
activité n’est possible. TotalEnergies a inau-
guré récemment un parc solaire à côté de
dépôts pétroliers. EDF Renouvelables en ex-
ploite un autre, plus petit, juste à côté. Les
dirigeants du port rêvent d’aller beaucoup
plus loin sur le solaire, une source d’énergie
qui se développe massivement à l’échelle
mondiale, avec l’arrivée espérée d’une
usine de fabrication de panneaux. Le pari
est compliqué, tant la Chine écrase le mar-
ché avec des prix bas qui n’ont cessé de di-
minuer depuis dix ans, et une industrie
européenne en difficulté.
Mais, selon plusieurs sources, le site de Fos
se retrouve très bien placé pour accueillir le
projet de « gigafactory » – « grosse usine »,
en langage corporate – de la société Carbon.
Soit une usine qui produirait l’équivalent de
5 GW de panneaux, avec plus de 3 000 sala-
riés en 2025. « Nos critères sont connus :
60 hectares de terrain, l’accès rail-route et
des volumes d’eau, un bassin d’emploi suffi-
sant et le soutien fort des collectivités loca-
les », détaille Pierre-Emmanuel Martin, un
des fondateurs de Carbon, en évoquant un
choix entre les trois sites finalistes d’ici
quelques semaines.
Le port rêve également de construire une
véritable filière éolienne. A l’extrémité ouest
de la zone, les voitures ralentissent ou s’arrê-
tent pour examiner les immenses flotteurs
en cours de construction. Les curieux pren-
nent des photos sur leurs téléphones. Les éo-
liennes sont expérimentales, car le projet est
de les faire flotter sur l’eau de la Méditerra-
née. Un avantage certain, si l’expérimenta-
tion est concluante, car elles pourront alors
être installées au large, là où les fonds sont
inatteignables et interdisent de creuser des
fondations. Quatre-vingts hectares de ter-
rains ont été gelés sur le port, dans un espace
qui peut accueillir des équipements lourds,
pour envisager le développement d’une fi-
lière pérenne comme au Havre.
« Nous sommes en train de construire sur
Fos avec les nouvelles énergies ce qui avait
été fait il y a cinquante ans avec les énergies
fossiles », veut croire Hervé Martel, prési-
dent du directoire du GPMM. « Fos peut de-
venir un hub pour l’hydrogène pour l’ensem-
ble de l’Europe », ajoute Geoffroy Anger, di-
recteur du développement hydrogène chez
GRTgaz, une filiale d’Engie chargée du trans-
port du gaz. Notamment si l’hydrogénoduc
« Barmar », entre Barcelone et Marseille,
voit le jour pour transporter de l’hydrogène
vers la France et l’Allemagne, comme pro-
mis par les gouvernements français, espa-
gnol et allemand.
Les obstacles et les chantiers restent néan-
moins nombreux. A commencer par les
transports. Si les statisticiens mesuraient le
produit intérieur brut des ronds-points, ce-
lui de la Fossette, au cœur de la zone indus-
trielle, figurerait probablement parmi les
plus importants de France. Dans le flot des
conteneurs débarqués par les grandes grues
du port, après avoir été empilés les uns sur
Économie & Entreprise | 15
les autres dans les navires au milieu des
océans et des mers, la majeure partie em-
prunte les routes et les ronds-points de la
zone, avant de partir traverser les villages et
les villes de France et d’Europe.
Devant le snack de la Fossette défilent donc
« Notre ville les camions. Enfin, un snack, plutôt un vieil
a les atouts pour utilitaire Renault Master, drapeau bleu blanc
rouge accroché à la portière, dont le destin
être la Silicon est de bientôt partir à la casse et qui vient se
garer, six heures par jour, sur le parking de
Valley de la terre et de nids-de-poule. Deux euros cin-
quante la barquette de frites, et une clientèle
décarbonation et de routiers qui s’arrêtent là puisque, sur les
de la transition milliers d’hectares de la zone, il n’y a quasi-
ment rien de prévu pour les humains
écologique » comme eux.
René Raimondi
maire de Fos-sur-Mer Le fluvial ne décolle pas
Trente ans que Nathalie Thomas et Frédéric
Rouillac font frire des omelettes et des pata-
tes pour les conducteurs espagnols, italiens,
roumains, ukrainiens, polonais ou français.
« Le trafic de camions n’arrête jamais, ja-
mais », dit Nathalie. Car la route continue
d’écraser le marché, et les camions de tour-
ner par milliers, point faible de la stratégie
de décarbonation.
Le fluvial, en particulier, ne décolle pas,
malgré la présence du Rhône, exploité et
utilisé depuis des lustres, en tout cas depuis
les Romains. « Force est de constater que le
report modal est assez faible sur le fluvial »,
reconnaît Thomas San Marco, délégué gé-
néral de la Compagnie nationale du Rhône
(CNR), le concessionnaire des équipements
hydrauliques et fluviaux le long du fleuve.
A peine 4 millions de tonnes seulement par
an remontent le Rhône sur les longues bar-
ges en direction de Lyon. La CNR réfléchit
à une forme de cadencement des bateaux
pour gagner en fiabilité et en régularité.
« On sent qu’il y a une attente de plus en plus
forte des industriels d’avoir des solutions les
plus décarbonées possibles », affirme Tho-
mas San Marco.
Le ferroviaire se porte mieux – il a sans
doute pris des parts de marché au fluvial.
Quelque 14 000 trains de marchandises par-
tent chaque année de la zone, remplis de mi-
néraux, de pétrole ou de produits chimi-
ques. « A l’horizon 2030, si on se met en ordre
de bataille, on peut accueillir 50 % de trains en
plus », avance Thierry Jacquinod, directeur
commercial de SNCF Réseau. Le secteur de la
logistique, qui privilégiait la route jus-
qu’alors, commence à évoluer doucement.
Trois effets se conjuguent : le soutien affirmé
du ferroviaire par l’Etat, une volonté de dé-
carbonation des entreprises et… la pénurie
de chauffeurs poids lourds. « On doit pouvoir
approcher de 20 000 trains par an », se féli-
cite SNCF Réseau. La gare de triage de Mira-
mas, à 20 km au nord, a été rénovée. Des
trains ont ainsi recommencé à rouler la nuit.
Des travaux sont prévus pour améliorer les
vitesses dans les zones de logistique.
L’autre point d’interrogation, essentiel,
est l’acceptation par les populations de
nouveaux investissements. « En France,
pendant des années, on a envoyé le message
qu’on ne voulait plus d’industries. Tout le
monde est d’accord pour défendre la souve-
raineté, mais pas à côté de chez soi. Com-
ment faire pour que la population ne soit pas
dans l’opposition ? », interroge Mme Ramom-
bordes. « C’est un sujet absolument décisif »,
abonde Régis Passerieux, habile sous-préfet
chargé de la zone, dont le travail est unani-
mement salué.
Forme d’autoritarisme
L’histoire de Fos raconte une forme d’auto-
ritarisme de l’Etat, ou du moins de raison
d’Etat économique, quand la décision a été
prise de créer une zone d’aménagement
pour une opération d’intérêt national sans
demander leur avis aux habitants. Elle ra-
conte aussi le grand n’importe quoi des in-
dustriels pendant des décennies. Daniel
Moutet en a été un témoin privilégié. L’an-
cien ouvrier, président de l’Association de
défense et de protection du littoral du golfe
de Fos, a passé vingt-six ans de sa vie profes-
sionnelle à décharger des navires sur le quai
des minéraliers. Sa retraite, il l’a consacrée à
combattre les pollutions atmosphériques.
Avec son appareil photo, sa pugnacité, ses
lettres d’alerte. Il a même récemment fait
voler un drone pour effectuer des mesures
dans les fumées. Le militant associatif offre
un café et des petits gâteaux, puis fait défi-
ler les milliers de photos prises pour docu-
menter les pollutions. « Je ne me bats pas
contre l’industrie, je veux qu’elle pollue
moins », affirme-t-il.
A Fos, la pollution a tué, et continue de tuer,
comme l’ont montré plusieurs études sur la
prévalence des cancers ou l’imprégnation
des polluants (plomb et benzène) dans la po-
pulation. Des avancées considérables ont
certes été effectuées, tous les acteurs le souli-
gnent. Les rejets ont été nettement réduits.
« On a baissé de 85 % les pollutions atmosphé-
riques », souligne par exemple Jean-Michel
Diaz, au nom du patronat local. Un chiffre
qui dit les progrès réalisés. Mais qui souligne
aussi combien la pollution atmosphérique
avait atteint des niveaux stratosphériques,
au sens presque littéral. La confiance dans la
parole de la puissance publique s’est émous-
sée avec le temps et la découverte de l’am-
pleur des émissions. L’installation d’un inci-
nérateur de déchets, contre l’avis de la popu-
lation, il y a vingt ans, avait provoqué une
vive réaction collective.
« L’argument à l’époque, ça a été : “c’est une
pollution minime par rapport à ce que vous
avez déjà” », rappelle René Raimondi, le
maire. Grosse colère des élus et des habi-
tants. Laquelle avait débouché sur une prise
de conscience collective de l’ampleur des ris-
ques sanitaires. Elle s’est prolongée sur le
plan judiciaire. Une plainte au pénal a été dé-
posée en 2018 pour « mise en danger de la vie
d’autrui » au nom de 250 habitants, sept as-
sociations et un syndicat. « Il y avait une
grande confiance des habitants à l’égard des
industriels et de l’Etat. Ils se disaient : “Si on
nous laisse habiter là, c’est que tout va bien”.
Les études scientifiques ont permis une prise
de conscience des effets de la pollution », ex-
plique l’avocate des familles, Julie Andreu.
Les chefs d’entreprise et les hauts fonc-
tionnaires reconnaissent que l’acceptation
par les citoyens va constituer un enjeu ma-
jeur pour les projets en cours. Tout comme
la résolution des contraintes environne-
mentales, notamment les interdictions d’ar-
tificialisation des sols ou de protection de ce
qu’il reste de biodiversité. Début janvier,
René Raimondi nous décrivait la longue
liste des conditions (déviations de routes,
enfouissement des lignes haute tension,
création d’une cité de l’industrie, etc.) qu’il
entendait poser au préfet, aux ministres et
jusqu’à l’Elysée.
Devant ses concitoyens, réunis dans un
gymnase pour ses vœux mi-janvier, il avait
pris des accents gaulliens : « Notre ville a les
atouts pour être la “Silicon Valley” de la décar-
bonation et de la transition écologique ! Le
président de la République, en faisant de la
réindustrialisation et de la décarbonation ses
objectifs, a donné le signal d’une nouvelle ère.
Le maire de Fos lui dit “chiche” ! » Jeudi 9 fé-
vrier, René Raimondi n’en revenait pas de
voir que la plupart de ses demandes avaient
été accueillies positivement : « Je n’ai jamais
vu cela ! » Fos est bien redevenu un enjeu
stratégique national. p
Luc Bronner

16 | Économie & Entreprise
Les vins et spiritueux français
s’exportent mieux que jamais
Les ventes à l’étranger de champagne, cognac, bourgogne et autres alcools
hexagonaux ont dépassé le seuil record de 17 milliards d’euros en 2022
L I
a crise du Covid s’est-elle
dissipée dans les vapeurs
d’alcool ? Champagne,
cognac, vins…, jamais la
balance commerciale française
n’aura autant bénéficié de l’ex-
portation de ces produits du ter-
roir qu’en 2022. Selon les chiffres
publiés, mardi 14 février, par la
Fédération des exportateurs de
vins et spiritueux de France
(FEVS), le montant des ventes
d’alcool français hors des fron-
tières a dépassé le seuil record
des 17 milliards d’euros. Signant
une progression de 10,8 % par
rapport à 2021, année déjà mar-
quée par un fort rebond après
le trou d’air causé par la pandé-
mie mondiale. Le solde net at-
teint, quant à lui, 15,7 milliards
d’euros, en hausse de 10 %, con-
fortant la place du secteur des
vins et spiritueux au rang de
deuxième contributeur à l’excé-
dent de la balance commerciale
derrière l’aéronautique.
« Le bilan 2022 est à la fois histo-
rique et surprenant », réagit César
Giron, président de la FEVS, qui
se félicite de cette performance
« dans un contexte turbulent et
avec de fortes contraintes logisti-
ques ». Petit bémol toutefois, il
ne nie pas qu’une part de cette
croissance en valeur des expor-
tations est liée à l’inflation, qui a
bondi dans le monde entier. Et
il reconnaît que les volumes,
eux, ont reflué de 3,8 %. Mais il se
dit satisfait de constater que la
dynamique est « équitablement
répartie entre vins et spiritueux
et alimentée par toutes les zones
géographiques ».
Un moteur s’est tout particuliè-
rement distingué en 2022, en l’oc-
currence le marché américain,
qui continue à jouer le rôle de lo-
Les vignerons du Bordelais et du Languedoc
traversent une crise de surproduction
La filière, confrontée à un mouvement de déconsommation, en appelle à l’aide de l’Etat
A lerte rouge sur les vigno-
bles bordelais et langue-
dociens ! Une fois de
plus, la sirène de la crise a été dé-
clenchée. Un appel à l’aide en-
tendu par le gouvernement qui a
esquissé, lundi 6 février, les
­grandes lignes d’un plan de sou-
tien à ces régions viticoles se-
couées par une crise de surpro-
duction. L’Etat s’engage tout
d’abord à apporter une aide pour
tenter d’éponger les surplus de
vin qui stagnent dans les cuves.
L’idée est de financer une distilla-
tion du vin en vue de le transfor-
mer en alcool (pharmaceutique
ou alimentaire).
« Nous estimons le volume total
de vin à distiller à 2,5 millions,
voire 3 millions d’hectolitres », af-
firme Jérôme Despey, viticulteur
dans l’Hérault et secrétaire géné-
ral du syndicat FNSEA, qui dé-
taille la ventilation par grands
bassins : « Près de 1,5 million d’hec-
tolitres pour le Languedoc, envi-
ron 700 000 hectolitres pour le
Bordelais, le reste se répartissant
essentiellement entre la vallée du
Rhône et le Sud-Est. »
Les professionnels réclamaient
pour cette épuration des stocks,
essentiellement des rouges mais
également des rosés, une enve-
loppe de 200 millions d’euros. Le
ministre de l’agriculture, Marc
Fesneau, a, pour l’instant, promis
un chèque de 160 millions
d’euros. L’Etat avait déboursé un
comotive. Les exportations de
cognac, de champagne, de rosé de
Provence ou de bourgogne ont
encore bondi de 14 %, à 4,7 mil-
liards d’euros, outre-Atlantique.
Les Etats-Unis confirment ainsi
leur place de premier pays de des-
tination des alcools français loin
devant le Royaume-Uni. Deux
ans après le Brexit, les Britanni-
ques semblent toujours priser les
breuvages hexagonaux. Vien-
nent ensuite la Chine, où la crois-
sance a été stoppée net, l’Allema-
gne et Singapour. La FEVS note
également de nouveaux poten-
tiels, en particulier en Afrique,
avec une hausse des exportations
sur ce continent de 21 %, à
440 millions d’euros.
Record pour le champagne
Parmi les alcools plébiscités, le
champagne a particulièrement
pétillé en 2022. Le négoce inter-
national du vin à bulles champe-
nois a progressé de 20 % pour at-
teindre un niveau record de
4,2 milliards d’euros avec un
écoulement de 187 millions de
bouteilles, un chiffre lui aussi en
progression. De quoi damer le
pion au cognac. Même si la pré-
cieuse eau-de-vie charentaise
continue à se valoriser, avec un
chiffre d’affaires de 3,9 milliards
d’euros, le nombre de flacons
commercialisés est en retrait.
Le cognac a tout particulière-
ment été confronté au ralentisse-
ment du marché chinois, où la
stratégie zéro Covid a perturbé le
quotidien des habitants. Un
coup de frein qui a également af-
fecté les vignobles de Bordeaux,
quand la Chine a réduit de près
d’un quart le nombre de bou-
teilles de vins français importés.
Les aléas successifs sur le marché
montant équivalent pour une
opération de distillation simi-
laire, il y a à peine trois ans.
En 2020, la filière viticole subis-
sait les effets de la taxe Trump pé-
nalisant les exportations de vins
vers les Etats-Unis. Surtout, elle
était bousculée par les affres de la
crise liée au Covid-19. Les mesu-
res de confinement, la fermeture
des bars et restaurants et l’arrêt
du flux de touristes étrangers
avaient fait plonger un temps
les ventes. Là encore, le Langue-
doc arrivait largement en tête des
demandes de distillation, suivi
de l’Aquitaine.
Cette fois, les professionnels
évoquent la déconsommation du
vin rouge en France. Une ten-
dance qui s’inscrit dans un histo-
rique de plus d’un demi-siècle. La
forte baisse des ventes en grande
distribution en 2022, estimée en-
tre 10 % et 15 %, a contribué à dés-
tabiliser le marché. C’est le cas
pour Bordeaux, qui écoule plus de
la moitié de ses volumes dans les
grandes enseignes.
Cette région est de surcroît tou-
chée de plein fouet par le décro-
chage de ses ventes sur le mar-
ché chinois, sa première zone
d’exportation depuis 2015.
« En 2022, le recul des exportations
vers la Chine est de 25 % à 30 % »,
précise ainsi Bernard Farges,
­président du Comité national
des interprofessions à vins d’ap-
pellations contrôlées.
Les Etats-Unis
confirment
leur place de
premier pays de
destination des
alcools français,
loin devant le
Royaume-Uni
chinois ont fragilisé le tissu viti-
cole bordelais également con-
fronté à une érosion des achats
dans les supermarchés français.
Si les volumes de bordeaux ont
baissé à l’exportation, le phéno-
mène s’explique donc essentiel-
lement par des difficultés com-
merciales. Rien de tel, pour la
Bourgogne pénalisée par une
vendange maigrelette en 2021.
Mais les crus bourguignons con-
tinuent à s’arracher, et la hausse
des prix a plus que compensé la
faible disponibilité du millésime.
Plus que jamais, l’importance
des exportations pour la filière
viticole est mise en exergue
quand la consommation de vin
régresse en France. « En 2000, il
n’y avait pas d’exportation dans
notre entreprise. Aujourd’hui, cela
représente 60 % de notre chiffre
d’affaires, avec comme princi-
paux marchés le Royaume-Uni, la
Scandinavie, le Canada et l’Asie.
En 2022, alors que notre activité a
baissé en France de près de 10 %,
les exportations ont soutenu no-
tre croissance », souligne Antoine
Leccia, président de la société
­héraultaise Advini, présente
aussi bien dans le Languedoc,
que dans le Bordelais, en passant
par la Provence, les Côtes du
Dans ce contexte particulier, le
marché bordelais est devenu très
disputé en matière de prix. Au
point qu’une décision radicale a
été prise. « Nous ne publions plus
les statistiques de prix du vrac de-
puis l’automne 2022 », explique
M. Farges. Naturellement, cet
état de crise aiguë ne ­concerne
pas les grands crus, qui, eux, sont
immunisés dans leur bulle de
luxe. Ce sont les appellations
bordeaux et bordeaux supérieur
qui souffrent le plus.
« Vignes abandonnées »
Face à cette situation tendue, une
demande de mesures structurel-
les a émergé. En ligne de mire :
l’arrachage des vignes pour ré-
duire le potentiel de production.
« Dans le Bordelais, il y a déjà
1 500 à 2 000 hectares de vignes
abandonnées. L’objectif est d’arra-
cher au total 10 000 à 15 000 hec-
tares, soit près de 10 % du vigno-
ble », précise M. Farges.
Les primes d’arrachage n’exis-
tent plus au niveau européen. Le
gouvernement se dit prêt à activer
deux outils cofinancés par l’Etat
et la région, avec le soutien des
subsides bruxellois, pour accom-
pagner les viticulteurs contraints
d’arracher des vignes. L’un favo-
rise la diversification des cultures
ou la mise en jachères pour accroî-
tre la biodiversité, l’autre est censé
limiter les risques sanitaires liés
aux vignes abandonnées.
Rhône ou la Bourgogne. La désaf-
fection des Français touche parti-
culièrement les rouges. Mais
même le champagne n’est pas
épargné. Résultat, la part des ex-
portations dans les ventes tota-
les est passée, en dix ans, de 45 %
à 57 % en dix ans.
« Rester prudents »
Après son année de tous les re-
cords, comment le vignoble
champenois aborde-t-il 2023 ?
« Nous sentons une bonne conti-
nuité dans les commandes, mais il
faut rester prudents. On sait que
les équilibres sont fragiles et nous
sommes contraints dans les volu-
mes. Nous estimons être en me-
sure de commercialiser entre
300 et 321 millions de bouteilles
cette année. Nous ne ferons pas un
record de volume en 2023 », tem-
père Maxime Toubart, président
du Syndicat général des vigne-
rons de Champagne.
Le président de la FEVS, M. Gi-
ron, fait preuve, quant à lui,
d’un grand optimisme pour l’en-
semble de la filière. « Je suis très
­confiant pour 2023. Je reviens
d’un voyage en Chine et je pense
qu’il y aura une revanche de so-
cialisation de la population après
cette crise du Covid. De même, la
normalisation des vols interna-
tionaux devrait profiter au duty
free », affirme-t-il. Il souhaiterait
toutefois que le différend en-
tre les Etats-Unis et l’Europe au
sujet des subventions à l’aéro-
nautique soit définitivement ré-
glé. Même si les taxes Trump
qui pénalisaient les ventes de
vins français outre-Atlantique
ont été levées, les incertitudes
demeurent, tant que le conten-
tieux persiste. p
Laurence Girard
Les modalités sont encore en
cours de discussion et aucun
montant d’aide n’a pour l’heure
été officialisé. Les viticulteurs
bordelais, qui n’ont pas hésité à
manifester afin d’exprimer leur
désarroi, demandent une com-
pensation de 10 000 euros par
hectare. Il reste à savoir si
d’autres vignobles suivront la dé-
marche du Bordelais.
La filière viticole a un autre sujet
d’inquiétude. « Il y a de nombreu-
ses entreprises qui ont besoin
d’être confortées financièrement,
après les crises successives. Elles
sont confrontées à l’inflation galo-
pante de leurs coûts et certaines
doivent rembourser leur prêt ga-
ranti par l’Etat [PGE] », af-
firme Jean-Marie Fabre, président
des Vignerons indépendants, ins-
tallé à Fitou, dans l’Aude.
Soulignant que deux tiers des
vignerons ont souscrit un PGE, il
dit « militer pour un étalement des
remboursements ou des prêts bo-
nifiés par l’Etat à taux zéro », si-
non « ce sera trop tard », pré-
vient-il. Le gouvernement a dé-
cidé de prolonger jusqu’à la fin de
l’année 2023 l’accord de place sur
les restructurations de PGE dans
le cadre de la médiation du crédit
aux entrep – rises. Tous ces sujets
seront au menu du prochain Sa-
lon de l’agriculture, qui ouvrira
ses portes samedi 25 février, porte
de Versailles, à Paris. p
L. Gi.
Une PME appelle à
encadrer les promotions
des distributeurs
La société de produits d’entretien Heritage
soutient la proposition de loi visant à limiter
les rabais sur les produits non alimentaires
l nous est arrivé, lors de négo-
ciations tarifaires, de propo-
ser aux distributeurs de finan-
cer une promotion avec une re-
mise de 80 % sur le deuxième
­produit acheté, et de nous voir
­répondre que cela ne suffisait
pas, car ils avaient reçu d’autres
offres plus agressives de la part
des grands groupes industriels,
comme le deuxième produit gra-
tuit, expliquent les cofondateurs
d’Heritage, une PME réunissant
huit marques spécialisées dans
l’entretien ­(O’Cedar, Vigor, Décap
Four…). Quand on vend le
deuxième produit à – 80 %, nous,
on perd de l’argent. »
Voilà pourquoi Daniel Chassa-
gnon et Richard Lerosey sont favo-
rables au projet d’élargissement
du dispositif d’encadrement des
promotions aux produits d’hy-
giène, de droguerie et de parfume-
rie contenu dans une proposition
de loi « visant à sécuriser l’approvi-
sionnement des Français en pro-
duits de grande consommation »,
en cours d’élaboration parlemen-
taire. Après une adoption du texte
par l’Assemblée nationale, le
18 janvier, la commission des affai-
res économiques du Sénat a intro-
duit, le 8 février, une disposition
plafonnant les promotions de ces
catégories à 34 % en valeur et à 25 %
en volume, comme pour les pro-
duits alimentaires.
Eviter « la surenchère »
Les deux fondateurs ont cosigné,
le 9 février, dans Les Echos, une tri-
bune de quarante dirigeants de
PME et d’entreprises de taille inter-
médiaire du secteur droguerie,
parfumerie, hygiène, appelant les
sénateurs, qui se saisiront du texte
le 15 février, « à limiter d’urgence la
surenchère promotionnelle dans
les enseignes de la grande distribu-
tion » pour corriger le report de la
guerre des prix sur leur secteur.
Et ils contestent les réticences de
la grande distribution, qui
s’alarme du risque de flambée in-
flationniste si le texte passe. Les in-
dustriels s’appuient pour cela sur
une étude, publiée lundi 13 février,
du cabinet Xerfi, qui a été mandaté
par plusieurs fédérations indus-
trielles (entreprises de la beauté,
produits d’entretien et détergents,
papiers et cotons hygiéniques). Ce
rapport estime que le plafonne-
ment des promotions des pro-
duits non alimentaires aurait « un
impact pratiquement invisible »
sur l’inflation, car une hausse de
1 % de leur prix moyen contribue-
rait à hauteur de « 0,00239 point à
l’inflation générale ».
Difficile, en tout cas, quand on
est une PME, de se battre contre
des groupes qui peuvent compen-
ser le manque à gagner par
d’autres grandes marques de leur
portefeuille, d’après ces deux an-
ciens de Ducros passés par des
multinationales de l’entretien.
Mine s
Nouvelle-Calédonie :
l’Etat au secours
de la Société Le Nickel
L’Etat va consentir un nou-
veau prêt de 40 millions
d’euros à la Société Le Nickel
pour aider le premier em-
ployeur privé de Nouvelle-
Calédonie à faire face à une
« situation de trésorerie criti-
que », a annoncé le ministère
de l’économie, lundi 13 février.
Eramet, actionnaire à 56 %,
« continuera d’apporter son
soutien à sa filiale [par le biais
d’]un élargissement de l’auto-
risation de découvert existante
entre le groupe et sa filiale », a
détaillé le ministère. – (AFP.)
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
« On n’a pas les moyens de finan-
cer de la promotion comme les
multinationales », assurent les di-
rigeants, qui constatent que « 65 %
des volumes vendus sur le marché
de la lessive liquide sont en promo-
tion ». MM. Chassagnon et Lerosey
connaissent bien les discussions
avec les puissantes centrales
d’achat des distributeurs. Les deux
acolytes ont déjà fait le succès de
Swania, une PME créée en 2014, en
relançant des marques françaises
en perte de vitesse comme O’Ce-
dar, Baranne ou Maison Verte,
souvent délaissées par leur ancien
propriétaire. Ils sont parvenus à
en faire le « numéro deux de la
­détergence écologique ».
Faute d’en être les actionnaires
majoritaires, ils se sont vus con-
traints de vendre l’entreprise à l’al-
lemand Henkel, en juillet 2021, au
moment où la société d’investisse-
ment Milestone voulait en sortir.
Mais les deux chefs d’entreprise
ont voulu continuer l’aventure :
« Pour avoir une taille critique, ra-
content-ils, on leur a demandé de
nous revendre des marques, car il
nous en fallait un nombre mini-
mum pour avoir une crédibilité
face à la distribution française. »
Henkel garde Maison Verte et
YOU, et eux récupèrent O’Cedar et
Baranne, mais aussi sept autres
marques d’Henkel, dont Décap
Four, Miror ou Terra.
Le tout est logé dans une nou-
velle PME, Heritage, créée
en 2022, dont ils sont actionnaires
majoritaires cette fois, représen-
tant près de 20 millions d’euros
de chiffre d’affaires. Leur objectif
est toujours le même : mettre au
goût du jour, ou faire revivre, des
marques laissées à l’abandon par
les grands industriels. Et en rapa-
trier la production en France
(80 % des produits y sont désor-
mais fabriqués). Ils s’apprêtent à
relancer les assouplissants Mini-
dou et la lessive Bonux, qui
avaient disparu des rayons.
Créée dans l’Hexagone en 1958
par le groupe américain Proc-
ter & Gamble, la marque Bonux
détenait, à son apogée, un quart
du marché de la lessive, notam-
ment grâce au cadeau pour les en-
fants, noyé dans la poudre de les-
sive, devenu un véritable phéno-
mène de société dans les années
1980, avant d’être victime, lors de
la décennie suivante, du transfert
de la consommation des produits
en poudre vers les liquides.
Procter & Gamble avait tenté de
relancer la marque en 2000, ainsi
que son cadeau, sans parvenir à
maintenir sur le long terme l’effet
de consommation vintage. Dans
la version liquide de la lessive qui
sortira en mai, le cadeau, qu’il est
plus compliqué de cacher que
dans la poudre, sera logé dans un
renfoncement de la bouteille, re-
couvert par l’étiquette. p
Cécile Prudhomme
Au to mo bil e
Ford veut supprimer des
postes en Europe sur les
trois prochaines années
Le constructeur automobile
Ford a annoncé, mardi 14 fé-
vrier, la suppression de
3 800 postes en Europe sur
les trois prochaines années,
dont 3 600 en Allemagne
et au Royaume-Uni, notam-
ment dans ses équipes de
­développement de produits.
L’industriel américain en-
tend créer une « structure
de coûts plus compétitive »
en Europe, où il rencontre
des difficultés, a-t-il indiqué
lors d’une conférence de
presse en ligne. – (AFP.)
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
Air India s’offre près de 500 avions Airbus et Boeing
La compagnie indienne signe une gigantesque commande d’appareils civils, dont 250 avions européens
New Delhi - correspondance
L
a cérémonie de signature
de ce mégacontrat devait
être en partie virtuelle :
Emmanuel Macron et le
premier ministre indien, Naren-
dra Modi, étaient censés assister à
distance, mardi 14 février, à la
vente de 250 Airbus à Air India.
Les deux dirigeants devaient s’en-
tretenir en visioconférence, avant
de laisser les patrons d’Airbus et
de Tata Sons, propriétaire de la
compagnie aérienne, conclure
cette commande record.
« Ce contrat marquera une nou-
velle étape dans le partenariat
stratégique qui lie les deux pays,
veut-on croire dans l’entourage
du chef de l’Etat. Il témoigne de la
relation de confiance que le prési-
dent de la République a su nouer
avec ses partenaires de l’Indopaci-
fique, au premier rang duquel le
premier ministre indien. » La
France, après la rupture de la
vente à l’Australie de sous-marins
diesel au profit de submersibles à
propulsion nucléaire, promis par
les Etats-Unis et le Royaume-Uni,
en septembre 2021, a beaucoup
misé sur l’Inde pour ancrer sa pré-
sence dans la région. Et ce, pour le
plus grand profit de l’avionneur
européen.
Ce contrat en faveur d’Airbus ne
constitue qu’un volet d’une gigan-
tesque commande, portant sur
quelque 500 appareils, partagés
entre le groupe de Toulouse et
Boeing, pour un montant total es-
timé à 100 milliards de dollars
(93 milliards d’euros) au prix cata-
logue. La commande devrait être
divisée à parts quasi égales entre
les deux avionneurs, Air India pré-
voyant donc d’acquérir 250 Airbus
et 220 Boeing, selon Reuters.
Le marché indien de l’aviation
connaît l’une des plus fortes
croissances dans le monde. Selon
les projections de Boeing, le pays
aura besoin de 2 210 avions au
cours des deux prochaines décen-
nies. Dans le cadre du salon Aero
India, qui a ouvert ses portes,
lundi 13 février, à Bangalore,
Boeing a annoncé qu’il investira
2 milliards de roupies (22 millions
d’euros) dans un parc logistique
et centre de soutien pour les com-
pagnies aériennes en Inde.
Le « maharadja des cieux »,
comme est surnommée la com-
pagnie rachetée il y a un an par le
groupe Tata à l’Etat indien, voit les
choses en grand pour sa renais-
sance. Cet achat historique de-
vrait permettre à Air India de con-
currencer les grandes compa-
gnies du Golfe, comme Emirates,
et de rivaliser avec l’indienne In-
L’Europe devrait échapper à la récession en 2023
Avec 0,8 % de hausse du PIB, les prévisions de croissance dans l’Union européenne sont moins mauvaises que redouté
Bruxelles - bureau européen
F inalement, malgré la guerre
en Ukraine, malgré le retour
de l’inflation, l’Europe de-
vrait, début 2023, échapper de jus-
tesse à la récession qui la menaçait
fin 2022. Dans ce contexte, l’exécu-
tif a revu ses prévisions à la
hausse, lundi 13 février. En 2022, la
croissance est désormais à 3,5 % au
sein de l’Union européenne (UE)
comme dans la zone euro. Elle de-
vrait ensuite marquer le pas et at-
teindre respectivement 0,8 % et
0,9 % (contre 0,3 % dans ses précé-
dentes prévisions) en 2023 puis
1,6 % et 1,5 % en 2024.
« En 2022, la croissance en Europe
a été plus forte qu’aux Etats-Unis et
en Chine », s’est félicité Paolo
­Gentiloni, le commissaire euro-
péen à l’économie, lors d’un entre-
tien avec trois journaux, dont
Un avion Airbus A320neo d’Air India, à l’aéroport Toulouse-Blagnac, le 13 décembre 2017. REGIS DUVIGNAU/REUTERS
diGo sur le marché domestique.
Depuis qu’il a repris en main Air
India, Tata s’est embarqué dans
un ambitieux programme de re-
dressement.
La compagnie, autrefois réputée
pour son faste et dont la mascotte
est un petit maharadja, a large-
ment perdu de sa superbe. En
chute libre avant sa reprise, elle
n’avait pas enregistré de bénéfi-
ces depuis 2007. Tata a donc lancé,
en septembre 2022, un grand plan
de transformation baptisé « Vi-
haan », qui signifie « l’aube d’une
nouvelle ère », en sanskrit. L’ob-
jectif est qu’en cinq ans à peine,
Air India redevienne la compa-
gnie « d’envergure mondiale »
qu’elle était autrefois.
Redorer son image
Tata Group a annoncé fin novem-
bre 2022, la fusion d’Air India avec
Vistara, sa coentreprise avec Sin-
gapore Airlines. A elles deux, elles
possèdent 220 appareils et per-
mettront d’asseoir la position
d’Air India en tant que premier
transporteur indien à l’interna-
tional et en tant que numéro
deux sur le marché domestique.
Les compagnies aériennes de Tata
couvrent 24 % du marché inté-
rieur, derrière IndiGo, qui en pos-
sède 56 % des parts.
Le Monde. Avant de poursuivre :
« Jamais je n’aurais imaginé que, de
mon vivant, je verrais une crois-
sance plus forte en Italie qu’en
Chine. Mais c’est arrivé en 2022 ».
Le marché de l’emploi, avec un
taux de chômage historiquement
bas (6,1 % fin 2022), a résisté et les
Vingt-Sept ont mieux tenu que
prévu face à la crise de l’énergie.
Alors que, l’été 2022, ils redou-
taient de manquer de gaz, les
Européens ont évité le pire en di-
versifiant leurs sources d’approvi-
sionnement et en réduisant leur
consommation. Ils ont aussi bé-
néficié météo plutôt douce. Par
ailleurs, les gouvernements ont
soutenu les consommateurs et les
entreprises face à l’inflation.
Aujourd’hui, le gaz vaut moins
cher qu’avant l’invasion de
l’Ukraine par la Russie, le 24 fé-
vrier 2022. Et les contrats à terme
L’ancien joyau de l’aviation doit
moderniser sa flotte vieillissante
et redorer son image. Sièges et
écrans en mauvais état, retards
des vols, délais dans le paiement
de son personnel et de ses four-
nisseurs ont contribué à ternir sa
réputation. Pour donner un coup
Pertes & profits | Airbus
pa r Jea n-Mi ch el Beza t
Climat, emploi et contraintes industrielles
Ceux qui donnaient le transport
aérien pour mort après la pandé-
mie de Covid-19 et les poussées de
démondialisation devront atten-
dre. Le sous-continent indien,
comme d’autres régions du
monde, a besoin d’avions. La
commande par Air India de
500 appareils, répartie à parts
égales entre Airbus et Boeing – la
plus importante de l’histoire de
l’aviation civile –, illustre la sur-
dité aux alarmes climatiques.
Même si l’avionneur européen
et son concurrent américain font
de gros efforts pour rendre leurs
aéronefs plus « verts », c’est l’em-
sur les marchés ne laissent pas
imaginer de rebond aux niveaux
que l’Union européenne a pu con-
naître l’été 2022, quand le mé-
gawattheure valait 300 euros ou
plus (55 euros aujourd’hui). Dans
ce contexte, l’inflation, après avoir
culminé à 10,6 % en octobre 2022,
a commencé à décélérer. Elle de-
vrait avoir atteint 9,2 % (8,4 % au
sein de la zone euro) en 2022 avant
de tomber à 6,4 % en 2023 (5,6 %
dans l’union monétaire) et 2,8 %
en 2024 (2,5 %).
Fortes incertitudes
Pour les produits non énergéti-
ques, le recul de l’inflation est
moins net. Les prix des métaux in-
dustriels, notamment, sont repar-
tis à la hausse et la perspective
d’une Chine de retour sur le mar-
ché mondial, maintenant qu’elle a
allégé ses restrictions anti-Covid,
Économie & Entreprise | 17
de neuf à ses cabines d’un autre
temps, Air India a annoncé, en dé-
cembre 2022, qu’elle dépenserait
400 millions de dollars. Deux de-
signers londoniens ayant déjà tra-
vaillé avec la chaîne d’hôtels de
luxe Taj, également propriété de
Tata, et l’Orient-Express, s’y attel-
ploi d’abord. Le président fran-
çais, Emmanuel Macron, devait se
féliciter, ce 14 février, d’une déci-
sion qui remplit les carnets de
commandes de l’usine de Tou-
louse, qui assemble les A320neo.
Livraisons à honorer
Airbus a déjà prévu d’embaucher
7 000 personnes de plus en 2023,
après un nombre équivalent
en 2022, portant ses effectifs
mondiaux à 140 000 salariés.
Mais engranger des commandes,
c’est bien ; les honorer, c’est
mieux. Airbus en a désor-
mais 7 500, et ce sont moins les
peut inquiéter. C’est d’ailleurs l’un
des aléas qui pèsent sur les prévi-
sions de la Commission. L’incerti-
tude entourant ces prévisions est
« élevée », prévient l’ancien pre-
mier ministre italien, qui cite, en-
tre autres, le resserrement des po-
litiques monétaires. Mais « le prin-
cipal risque est celui des tensions
géopolitiques, celui de l’évolution
de la guerre » en Ukraine, poursuit
Paolo Gentiloni.
A en croire la Commission euro-
péenne, trois pays devraient néan-
moins voir leur activité se contrac-
ter au dernier trimestre 2022 et sur
les trois premiers mois de 2023, ce
qui, techniquement, signifie une
récession. Ce devrait être le cas de
l’Autriche mais aussi de la Suède,
dont le produit intérieur brut (PIB)
devrait même reculer de 0,8 %
cette année. L’Allemagne, dont
l’industrie ne peut plus compter
lent. Cette remise en état verra
l’introduction d’une cabine éco-
nomique premium, et les pre-
miers avions aux intérieurs réno-
vés devraient entrer en service à
la mi-2024. En attendant, Air In-
dia loue déjà plus d’une dizaine
de nouveaux gros-porteurs.
questions environnementales
que des problèmes industriels
qui freinent son essor.
En février 2022, Guillaume
Faury reconnaissait que son
groupe, dépendant d’une chaîne
d’approvisionnement mondiale,
évoluait dans un « environne-
ment complexe ». Sans surprise, il
a souffert des défaillances de cer-
tains de ses 10 000 fournisseurs,
des pénuries de composants et
de restrictions sur les matières
premières, liées à la crise de la
main-d’œuvre aux Etats-Unis,
aux confinements en Chine et à
la guerre en Ukraine. Les moto-
sur les bas prix de l’énergie russe
et qui a également dû faire face à la
baisse de ses exportations vers la
Chine, ne devrait pas non plus y
échapper malgré l’ampleur des
moyens publics mobilisés.
La France, elle, s’en sort mieux
grâce à une inflation relativement
maîtrisée par rapport à ses parte-
naires. Pour autant, la croissance y
reste molle et devrait atteindre
0,6 % cette année, moins qu’en Ita-
lie (0,8 %) ou en Espagne (1,4 %).
« L’UE a fait mieux que prévu. Mais
mieux que prévu ne veut pas dire
que c’est bien », prévient Paolo
Gentiloni, qui redoute qu’elle re-
noue avec « des niveaux normaux
de croissance bas, comparables à
ce qu’elle a connu ces dernières an-
nées ». Le plan de relance euro-
péen de 750 milliards d’euros, fi-
nancé par une dette commune, a
permis aux Vingt-Sept de minimi-
Le montant total
est estimé
à 100 milliards
de dollars au prix
catalogue, divisé
à parts quasi
égales entre les
deux avionneurs
Les entreprises du conglomérat
Tata, dont les activités vont du sel
de table à l’acier, en passant par
l’automobile, sont mises à contri-
bution. Par exemple, Tata Consul-
tancy Services, le fleuron du
groupe, participe à la reconstruc-
tion du système informatique, là
où TajSATS apporte son expertise
en matière de restauration à bord.
En dépit de ces efforts considéra-
bles, plusieurs affaires ont conti-
nué d’entacher la réputation d’Air
India. L’affaire du « pipigate »,
comme l’ont surnommé les mé-
dias indiens, a valu au transpor-
teur une amende de 37 000 dollars
pour sa mauvaise gestion de l’inci-
dent. Le 26 novembre 2022, un
homme ivre aurait uriné sur une
femme de 72 ans installée en
classe affaires, puis a été autorisé à
partir sans encombre après l’atter-
rissage de l’appareil. Le directeur
des services en vols a pour sa part
écopé d’une amende de 300 000
roupies, et le pilote a vu sa licence
suspendue pendant trois mois par
le régulateur de l’aviation civile. p
Carole Dieterich
et Philippe Ricard (à Paris)
ristes, comme Safran, ont aussi
eu leur lot de difficultés.
Airbus n’a finalement livré que
661 appareils en 2022, loin de son
objectif de 720. Des stocks de plu-
sieurs semaines et une formation
accélérée de techniciens ont per-
mis une remontée en cadence.
Cette politique coûteuse a ses li-
mites, et M. Faury prévenait dès
janvier que « les difficultés de pro-
duction vont se prolonger ». Les
compagnies le savent : le duopole
Airbus-Boeing écrase le marché,
et elles n’ont pas d’autre choix
que de prendre la file, comme des
avions en attente de décollage. p
ser les conséquences de la crise du
Covid et d’engager des réformes et
des investissements.
La résilience de l’économie euro-
péenne en 2022 « est liée à cette ré-
ponse commune des Européens »,
juge l’ex-premier ministre italien,
qui appelle à poursuivre cet effort
communautaire alors que l’UE
reste structurellement moins
compétitive que les Etats-Unis et
la Chine. « Nous avions un pro-
blème de compétitivité avant l’In-
flation Réduction Act » américain,
qui subventionne massivement
l’industrie verte made in USA,
poursuit-il. S’il est bien mené, le
plan de relance européen, dont les
fonds doivent être distribués d’ici
à la fin 2026 et dont seuls 143 mil-
liards d’euros ont à ce jour été dé-
boursés, permettra de remédier
en partie à cette situation. p
Virginie Malingre
18 | Horizons
Portrait
Jérusalem - correspondant
V
endredi 3 février, 11 h 45.
Benyamin Nétanyahou ren-
contre à huis clos une déléga-
tion d’hommes d’affaires à
l’Hôtel du Collectionneur, à
deux pas du parc Monceau,
dans le 8e arrondissement de Paris. A sa droite,
un homme en chemise blanche chiffonnée et
cravate bleue (les couleurs du drapeau israé-
lien) : c’est le député franco-israélien Meyer
Habib. Au même moment, le Conseil consti-
tutionnel publie ses dernières décisions.
­Invalidation ! Meyer Habib, 61 ans et père de
quatre enfants, n’est plus le député (Les Répu-
blicains) de la 8e circonscription des Français
de l’étranger, qui regroupe huit pays, dont
­Israël, l’Italie, la Grèce et la Turquie. Pile au mo-
ment où son ami « Bibi » vient de revenir au
pouvoir et où il ­effectue sa première visite à
l’étranger depuis la formation de son cabinet.
A Paris, chez lui, ce devait être le jour de
gloire de M. Habib, c’est la fin de son mandat.
C’est ballot. Les sages ont estimé que des sou-
tiens de M. Habib, qui l’avait emporté de
193 voix seulement en juin 2022, avaient
­continué de faire campagne le jour du vote et
proposé de voter électroniquement à la place
de certains électeurs.
Quand il sort du salon où se tient la rencon-
tre, Meyer Habib en tremble d’émotion. Il
écarte une équipe de télévision en attente de
sa réaction. « Tu sais qu’ils m’ont annulé mon
élection ? Ils m’ont enlevé quatre bureaux ! J’ai
la plus grande manipulatrice face à moi »,
­lance-t-il, tremblant de rage contre sa rivale,
Deborah Abisror-de Lieme, qui avait saisi le
Conseil constitutionnel.
N’ayant pas été déclaré inéligible, Meyer
­Habib pourra se présenter de nouveau, en
avril ou en mai. Et il a des chances de l’empor-
ter, tant son absence de manières et ses
outrances séduisent un électorat français en
Israël qui penche de plus en plus à droite et où
les séfarades ont de plus en plus de poids. Il
pourra compter sur l’appui de M. Nétanyahou,
qui avait enregistré une vidéo de soutien pour
son élection, en 2017, ainsi que sur celui des
rabbins traditionalistes auxquels il promettait
de siéger « au nom de la Torah ». Plus question,
en revanche, d’affréter des bus le jour du vote
et gare aux dérapages qui lui sont coutumiers
pendant les campagnes électorales.
« Mon père et ma mère »
Tout au long du séjour de Benyamin Nétanya-
hou à Paris, du jeudi 2 au samedi 4 février,
Meyer Habib s’est affairé aux côtés du premier
ministre israélien et de son épouse, Sara, ve-
nant à leur hôtel, les accompagnant comme à
chaque fois qu’ils viennent en visite à Paris.
Devant les membres du Conseil représentatif
des institutions juives de France, qui n’a pour-
tant pas voulu de lui à sa tête en 2010, il distri-
bue la parole, donne du « grand rabbin » à qui-
conque ressemble à un religieux. Son émo-
tion et son énergie amusent autant qu’elles
peuvent agacer. D’après des sources internes,
il ne s’est pas gêné pour fustiger l’ambassa-
drice d’Israël en France, Yaël German, absente
tout au long de la visite du premier ministre :
elle avait annoncé sa démission après le retour
au pouvoir de « Bibi ». Deux semaines avant
cette visite, Meyer ­Habib a passé deux heures
chez les Nétanyahou, durant le week-end.
Des observateurs sont allés jusqu’à se
­demander à quel point la visite de M. Néta-
nyahou avait été programmée en fonction de
la date de la décision du Conseil constitution-
nel français. M. Habib n’a pas peu contribué à
ces spéculations en prétendant que son ami
lui avait proposé l’ambassade d’Israël voilà
deux ans, et qu’il avait refusé pour poursui-
vre son mandat de député. « Si la France
m’abandonne, je n’exclus rien », a-t-il plas-
tronné devant un interlocuteur. L’hypothèse
n’est plus à l’ordre du jour.
« Je ne choisis pas entre mon père et ma
mère », a coutume de répondre Meyer Habib
quand on lui demande s’il se sent plus fran-
çais ou israélien. Dans le monde politique
français, Meyer Habib, qui n’a pas répondu
aux sollicitations du Monde, est une curio-
sité, presque un folklore à lui tout seul : abso-
lument sans gêne, il éructe, insulte, menace
en toute impunité. Il n’a qu’un seul sujet sur
lequel il intervient dans l’Hémicycle, en bou-
cle : la sécurité tout court, celle d’Israël et celle
des juifs de France en priorité. Tous ceux qui
s’opposent à ses vues, proches de la droite
­nationaliste et religieuse en Israël, promeu-
vent l’antisémitisme. Rien que cela.
« Je n’ai jamais entendu Meyer Habib faire
une intervention sans évoquer Israël de près ou
de loin, dit le député (La France insoumise) du
Nord Ugo Bernalicis, spécialiste des questions
de sécurité. Cela génère une forme de malaise
L’homme qui
en faisait trop
Le député franco-israélien Meyer Habib, dont l’élection a
été invalidée par le Conseil constitutionnel, début février,
divise sur les bancs de l’Assemblée nationale. Autant
à cause de ses vociférations que de sa proximité avec
le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou
sur les bancs de l’Assemblée. Sa promotion d’Is-
raël n’est pas seulement de principe. Il est le
VRP de son industrie de défense et de sécurité, il
vante les drones, les logiciels de reconnaissance
faciale et tout l’arsenal qu’Israël utilise dans les
territoires palestiniens. Face à lui, j’ai l’impres-
sion d’avoir affaire à un lobbyiste. »
L’acmé de son activité parlementaire a été la
présidence, en 2021-2022, de la commission
d’enquête parlementaire sur l’affaire Sarah
Halimi, du nom de cette femme âgée juive
torturée puis défenestrée par son voisin,
­Kobili Traoré, déclaré pénalement irrespon- Meyer Habib est
sable en raison de l’abolition de son discerne-
ment au moment des faits. Un non-lieu très connu pour
contesté par une partie de la communauté
juive, qui s’est indignée de cette irresponsabi- son hostilité
lité pénale. Le travail mené sous la houlette de
M. Habib a été désavoué par ses deux rap­-
au Quai d’Orsay,
porteurs successifs, qui y ont vu une volonté auquel
de refaire l’instruction du juge et l’enquête de
la police. « C’était une mascarade », déplore un il reproche
élu ayant fait partie de la commission.
Les vociférations de Meyer Habib, ex-UDI un « biais
passé chez Les Républicains tendance Eric antisioniste et
Ciotti, n’étonnent plus le monde parlemen-
taire, qui préfère en rire. Lui-même en retire propalestinien »
un sentiment d’impunité totale. Début 2020,
alors député UDI, il avait traité de « petites
connes » trois collègues féminines qui
avaient manifesté contre le projet de réforme
des retraites. Pas même un blâme. « C’est à se
demander s’il est protégé », souligne un dé-
puté. S’il a beaucoup de détracteurs, Meyer
Habib compte aussi des supporteurs et des
amis, peu enclins à témoigner à visage
­découvert. « C’est un homme généreux, convi-
vial, truculent, enthousiaste, un vrai Méditer-
ranéen », vante un ancien ami avec lequel il
est pourtant brouillé. Qui poursuit : « Il a les
défauts de ses qualités. Il est excessif, coléri-
que, passionné. Le problème, c’est qu’il devient
la caricature de lui-même. »
Les diplomates ont moins d’indulgence :
« On est en droit de se demander si M. Habib
Meyer Habib, à l’Assemblée nationale, le 28 novembre 2022. Amaury Cornu/Hans Lucas
r­ eprésente la France auprès d’Israël ou Israël
auprès de la France », s’interroge un diplo-
mate français. « C’est une accusation gratuite
et malveillante, le défend un ami. Son camp,
c’est la France, et il n’a jamais joué contre elle. Il
est un point de contact incontournable entre la
France et Israël. Il a beaucoup servi la relation
entre les deux pays et continue de le faire. »
Il est connu pour son hostilité au Quai
­d’Orsay, auquel il reproche un « biais anti­-
sioniste et propalestinien ». Le consulat de
France à Jérusalem est sa cible favorite. Début
2017, M. Habib avait dénoncé sans ména­-
gement l’organisation à Paris d’une confé-
rence internationale destinée à promouvoir
la reprise du processus de paix israélo-pales­-
tinien sous la présidence finissante de
­François Hollande. Dans une intervention à
l’Assemblée, il clame : « Jamais un juif ne sera
un colon à Jérusalem, jamais un juif ne sera un
colon en Judée [Cisjordanie]. Jamais ! » En
­contradiction totale avec les positions diplo-
matiques françaises. C’est d’autant plus embê-
tant que Meyer Habib fait partie de la commis-
sion des affaires étrangères à l’Assemblée.
Brasseur d’affaires
Avec Emmanuel Macron comme avec tout le
monde, Meyer Habib est dans l’émotion. « Il
veut savoir si Macron est un ami d’Israël, c’est
très important pour lui », relève un haut fonc-
tionnaire français. Lors de sa visite en Israël,
en janvier 2020, M. Macron avait tenu
­M. Habib au plus près de lui, se laissant gui-
der à Jérusalem et au sein de la communauté
­française d’Israël. Comme on tient ferme-
ment une ­grenade pour éviter qu’elle tombe
au sol et ­explose. Malin, M. Habib avait pro-
fité de cette proximité pour s’incruster à tous
les rendez-vous officiels côté israélien, à la fu-
reur des ­diplomates français. Ainsi, chez le
président Reuven Rivlin, il s’assoit en pre-
mier sur le canapé, avant même le président
français. Lors de la rencontre avec Benny
Gantz, chef de l’opposition, nouvel incident,
­
0123
­Mercredi 15­ février 2023
il prétend participer à la rencontre. Le proto-
cole lui demande de partir.
Il y a quelque chose de presque touchant à
voir l’inlassable émerveillement devant le
pouvoir et les puissants de ce fils de juif tuni-
sien, marchand de vin casher, né dans le 19e ar-
rondissement de Paris et devenu un joaillier
prospère. Jeune, M. Habib s’engage au Bétar,
une organisation sioniste radicale de droite.
Après son bac, il fait son alya (émigration des
juifs de la diaspora vers Israël) et étudie au
Technion de Haïfa. Alors que son père était
proche de l’ex-premier chef de gouvernement
de droite du pays, Menahem Begin, lui a ren-
contré son grand homme en la personne de
Benyamin Nétanyahou, qu’il suivra partout, y
compris à l’extrême droite raciste, comme
c’est le cas depuis son retour aux affaires, en
janvier. « Ils sont intimes, c’est indéniable, mais
Habib n’a aucune influence politique sur Néta-
nyahou, assure un familier du pouvoir à Jéru-
salem. Habib est l’un des rares à voir “Bibi” en
privé, c’est pour cela que tous ceux qui ont un
message à faire passer le fréquentent. »
Il semble que le lien intime remonte à la fin
1999, lorsque « Bibi » était au creux de la
­vague, après avoir perdu son poste de premier
ministre (1996-1999). Il passe ses vacances de
Noël à Paris en famille, aux frais de Meyer
­Habib, selon le journaliste israélien Raviv
Drucker. Nouveau voyage à ­Paris, en octo-
bre 2000, de la famille Nétanyahou, cette
fois-ci réglé par le groupe Vendôme, l’entre-
prise de bijouterie de Meyer Habib, ­gérée par
son épouse. « Je n’ai aucun souvenir d’un don
fait à mon ami Benyamin Nétanyahou », avait
répondu, à l’époque, l’homme d’affaires.
D’autres séjours des Nétanyahou à Monaco
et à Courchevel ont été financés par Arnaud
Mimran, auteur de la gigantesque fraude à la
TVA sur le marché du carbone, aujourd’hui en
prison. Le problème, c’est que Mimran, client
régulier de la bijouterie du groupe Vendôme,
et M. Habib ont fondé une société en 2006,
Tack Performance, dont l’enregistrement a
été assuré par le cabinet de David Shimron,
l’avocat et confident de… M. Nétanyahou. « A
ma connaissance, cette société n’a jamais eu la
moindre activité, n’a jamais fait le moindre
chiffre d’affaires, n’a jamais eu de compte en
banque et, en toute ­certitude, ne m’a jamais
rapporté le moindre centime », avait répondu,
à l’époque, M. Habib à Mediapart. Meyer Ha-
bib et sa femme, ­Virginie, ont été ­entendus le
24 janvier 2022 comme simples témoins par
le juge chargé de l’enquête sur l’assassinat de
Samy Souied, autre figure de l’escroquerie à la
TVA sur le marché du carbone.
Par ailleurs, le parquet de Paris a confirmé
au Monde avoir ouvert une enquête prélimi-
naire sur lui pour « détournement de fonds
publics ». Les enquêteurs soupçonnent des
irrégularités dans la rémunération de ses
­collaborateurs parlementaires. Une perqui­-
sition a eu lieu, le 29 novembre, dans les
­bureaux de M. Habib, à l’Assemblée. p
Christophe Ayad (à Paris)
et Louis Imbert
 Culture
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023 | 19
pppp Chef-d'œuvre pppv à ne pas manquer ppvv à voir pvvv pourquoi pas vvvv on peut éviter

« On préfère les monuments aux êtres humains »

Le Russe Kirill Serebrennikov, réfugié à Berlin, revient sur les conditions difficiles du tournage de son film

Entretien

I
ncroyable destin que celui
de Kirill Serebrennikov. Un
cocktail explosif à lui seul.
Père juif russe. Mère polo-
no-ukrainienne. Né à Rostov-sur-
le-Don (Russie), voici cinquante-
trois ans. Ajoutez, avec le temps,
physicien viré saltimbanque, ar-
tiste polymorphe, agitateur invé-
téré, homosexuel et démocrate
revendiqué. Liberté, diversité, re-
fus de l’assignation identitaire et
du patriotisme borné. Tout ce
que le pouvoir russe abhorre.
Cela devait mal tourner. Il s’est re-
trouvé accusé de malversations,
assigné à résidence en 2017, con-
damné à trois ans de prison avec
sursis en 2020. Il s’échappe de la
geôle russe en mars 2022. La sor-
tie de La Femme de Tchaïkovski,
portrait saisissant d’une aliéna-
tion, équivaut pour le réalisateur
à une libération.

Vous avez songé dès 2013 au

projet Tchaïkovski. Pourquoi
ne s’est-il pas fait à l’époque et
comment a-t-il évolué depuis ?
Parce que le projet endomma-
geait le monument du musicien
tel que le désire aujourd’hui le
gouvernement russe. On préfère
les monuments aux êtres
­humains dans mon pays. En vé-
rité, le personnage – et le statut –
de Tchaïkovski en Russie est telle-
ment complexe, il a tellement
évolué avec le temps, qu’il peut
nourrir non pas un mais dix
films. Le mien n’offre qu’un angle
de vision, celui de ses rapports
tourmentés avec sa femme en rai-
son de son homosexualité. Mais il
faut comprendre qu’à l’époque sa
musique, alors même qu’il était le
premier musicien russe à devenir
célèbre à l’Ouest, n’était pas consi-
dérée comme russe en Russie.
La souffrance et l’amour aveu-
gle de cette femme invitent à
considérer le film comme une
métaphore de l’aliénation du
peuple russe à un pouvoir qui
n’a jamais cessé de le saigner…
Le film est un miroir, toutes les
interprétations sont les bienve-
nues, et la vôtre, dans le contexte
actuel, mérite réflexion. Mais,
honnêtement, je n’ai pas pensé, en
écrivant le film, à la femme de
Tchaïkovski comme à une incar-
nation du ­peuple russe. Je l’ai plu-
tôt vue, alors qu’elle était jusqu’à
présent considérée comme une
petite-bourgeoise idiote, comme
une sorte de personnage tragique.
La faute en incombe au musicien,
qui aura estimé utile pour l’avan-
cement de sa carrière de se ­marier,
et l’affaire a tout simplement
tourné au cauchemar.
Le cinéaste Kirill Serebrennikov, le 19 mai 2022, lors du 75e Festival de Cannes. STÉPHANE MAHÉ/REUTERS
Vous assistez, enfin libre, à la
sortie d’un film écrit et tourné
sous l’oppression. N’est-ce pas
un étrange sentiment ?
C’est tout du long que l’étrangeté
nous a accompagnés. Nous avons
tourné le film pendant la pandé-
mie, la peur au ventre. Quand
nous l’avons terminé, des lois ren-
forçant la censure avaient été pro-
mulguées en Russie qui rendaient
son exploitation impossible. Une
grande partie des images filmées
s’est ensuite retrouvée sur Inter-
net, du fait sans doute des services
secrets, pour me discréditer. Puis
la guerre s’est déclarée, et j’ai été
accusé, lors de la présentation du
film en Occident, de faire de la
­propagande russe !
Quel regard portez-vous sur
cette guerre qui dure ? Quel
rôle doit y jouer l’Occident ?
J’estime évidemment que c’est
une catastrophe de grande enver-
gure, qu’il faut arrêter par tous les
moyens. Pour l’Ukraine, c’est une
guerre qui répond à une agres-
« La guerre
en Ukraine est
une catastrophe
de grande
envergure, qu’il
faut arrêter par
tous les moyens »
sion extérieure, qui a soudé le
peuple comme jamais et qui a fait
émerger un grand président en la
personne de Volodymyr Zelensky.
Pour la Russie, c’est une tentative
de reconstruction de l’empire so-
viétique que la propagande
­réussit à faire passer dans l’opi-
nion comme une idée juste et qui
la formule comme une défense
des valeurs russes contre l’Occi-
dent. C’est, en un mot, une guerre
suicidaire, qui détruit le pays.
Vous-même avez des origines
à la fois russes, ukrainiennes
et juives. Comment vous y
­reconnaissez-vous ?
Je suis russe et juif par mon père,
polonais et ukrainien par ma
mère. En réalité, mon identité est
russe. Je ne suis jamais allé en
Ukraine, et quasiment rien ne m’a
été transmis du judaïsme. Ce qui
n’a pas empêché ma mère, quand
il a fallu déclarer sur mon passe-
port une nationalité à côté de la ci-
toyenneté soviétique, de m’exhor-
ter à inscrire l’ukrainienne mais
surtout pas la juive. Aujourd’hui,
cela doit sans doute se valoir.
Vous êtes un exilé russe. Quels
sentiments accompagnent
pour vous cette condition ?
C’est un terme et un statut que
je refuse. Je me suis, disons, relo-
calisé ailleurs, à Berlin pour ma
part, comme beaucoup d’autres
Russes qui sont partis en Turquie,
en France, aux Etats-Unis. Nous
restons connectés, nous nous
parlons sur des plates-formes
qui ont été créées à cet effet. Tous
les artistes du Théâtre Gogol, que
je dirigeais à Moscou, sont
aujourd’hui en Europe. Et nous
ne voulons surtout pas être con-
sidérés comme des victimes.
Nous nous revendiquons comme
des Russes européens.
Un cinéaste, dont le médium
a un lien ontologique au réel,
s’expose-t-il à un affaiblisse-
ment de son art quand il crée
loin du monde qu’il connaît ?
La notion même de valeur na-
tionale, d’où qu’elle vienne, n’a
pas beaucoup de sens pour moi.
Elle serait plutôt inquiétante.
Pour moi, on se définit d’abord
par ce que l’on fait, par ce à quoi
on aspire. Comme artiste, je
­défends une idée plus large, plus
diverse, plus mélangée et multi-
disciplinaire de l’art. Une idée qui
fasse se rencontrer les langues et
les cultures, et qui serait comme
une mise en œuvre de cette uto-
pie que nous propose l’Europe.
Vous avez depuis ­travaillé à
deux adaptations cinémato-
graphiques de romans :
­« Limonov » (2011), d’Emma-
nuel Carrère, et « La Dispari-
tion de Josef Mengele » (2017),
d’Olivier Guez. Du ­fondateur
du national-bolchévisme
au boucher d’Auschwitz,
visez-vous une épopée de
l’abjection ?
J’ai toujours été intéressé par les
bad guys. Ce sont des gens autour
desquels on peut faire du cinéma.
Limonov est véritablement un
personnage qui est au cœur de ce
qui se passe aujourd’hui en
Ukraine. C’est un « Joker » russe.
Quant à Mengele, l’idée qui m’in-
téresse dans le roman est que la
vengeance, qu’il a crainte toute sa
vie, ne survient pas du fait des vic-
times, mais pour ainsi dire de l’in-
térieur, de lui-même. On voit
bien, en lisant Shakespeare – Lady
Macbeth ou Richard III –, à quel
point nous avons besoin du spec-
tacle pour cultiver nos anticorps
au mal et à sa propagation. p
Propos recueillis par
Jacques Mandelbaum

La descente aux enfers d’une épouse aveuglée par la passion

Dans un film aux atours de thriller psychologique, Kirill Serebrennikov évoque l’homosexualité de Tchaïkovski et sa vie maritale aliénante

c­ onservatoire, malgré le peu d’in-
La Femme de térêt que portent les professeurs
Tchaïkovski aux dames. Tchaïkovski (Odin
pppv ­Biron), la trentaine, est un compo-
siteur établi, sur le point de deve-
D’un décorum d’époque où il
convient de parler français dans
les salons mondains, le film
prend les atours d’un thriller psy-
chologique qui vient se nicher
­ rojet à l’ancien ministre de la
p nue de séances de répétition. porte le film dans ses tourments,
­culture russe, ce dernier l’invite Laissé-pour-compte, le piano du l’humour féroce du réalisateur ne
fermement à imaginer un maître apparaîtra finalement faiblit pas : entre une séance
Tchaïkovski hétérosexuel. Décli- empaqueté dans un drap blanc photo, où l’on demande au cou-
nant tout financement ­public, le comme un linceul. ple de regarder un point – « Un in-

C omme une porcelaine

­enveloppée dans une ré-
sille noire, La Femme de
Tchaïkovski s’ouvre sur le visage
d’une veuve, aux pompes funè-
bres. Le compositeur est mort à
Saint-Pétersbourg et il va conti-
nuer de hanter sa femme comme
il l’a fait de son vivant. Dans un
flash-back dense et lancinant, le
cinéaste russe Kirill Serebren-
nikov revient sur leurs noces fu-
nestes scellées à l’église Saint-
Georges, à Moscou, en 1877.
Antonina (Alyona Mikhailova),
une jeune fille d’une vingtaine
d’années, étudie le piano au
nir une légende nationale, lors-
qu’il la demande en mariage. Il
agit par ­convention sociale :
l’amour qu’elle lui porte n’est pas
réciproque. Consumée par ses
dans le quotidien cosmétique
d’Antonina – une histoire de
­collier qui ne lui va pas – pour se
sentiments, Antonina acceptera
de tout endurer pour rester auprès
de son mari dont elle nie l’homo-
sexualité. A la différence de La
­Fièvre de ­Petrov (2021), dédale de
bouffées délirantes, ce biopic agit
comme une lame de fond qui
marque au moyen de longs plans-
séquences les paliers de plus en
plus précaires de la descente aux
enfers d’une femme aveuglée par
son propre désir masochiste.
métamorphoser en train fan-
tôme. Serebrennikov tapisse ses
plans de tentures noires et de
flambeaux qui servent de sanc-
tuaire aux ténébreux offices
­d’Antonina et de Tchaïkovski, sug-
gérant que la passion, amoureuse
ou professionnelle, ne peut être
qu’une forme de perversion.
Cela faisait longtemps que
­Serebrennikov envisageait
d’adapter à l’écran la vie du
­compositeur du Lac des cygnes.
En 2014, lorsqu’il soumet son
réalisateur agira à rebours, faisant
de l’attirance du compositeur
pour les hommes le pivot aveugle
de son dixième long-métrage.
La Femme de Tchaïkovski privilé-
­arasant le génie de Tchaïkovski
gie la mise en scène de l’hypocri-
sie sociale, et surtout celle du
­supplice d’Antonina.
Humour féroce
Serebrennikov prend le parti de
ne (quasi) jamais montrer le mu-
sicien au travail. Constituée de
pièces classiques interprétées par
le pianiste Daniil Orlov, la bande
originale n’a rien à voir avec
l’écriture d’une partition ou la te-
Et le cinéaste va plus loin, en
quand il le prive cinématographi-
quement de ses mains. Au con-
traire, il multiplie les gros plans
sur celles de sa femme pour nous
faire éprouver la sensation de pri-
vation dont elle est la victime. In-
terdite de pianoter – un métier
pour homme, lui dit-on – et de tou-
cher le corps de son époux qui suf-
foque littéralement à son contact.
On pourrait voir dans le geste
du cinéaste une forme de puni-
tion adressée par un artiste dissi-
dent à un héros de la nation. Alors
que le cauchemar conjugal em-
secte écrasé au mur », dit Tchaïko-
vski avant de détourner la tête –,
et une parenthèse dans laquelle
­Antonina se rêve entourée d’an-
gelots dans une prairie enchan-
tée, sans voir que son époux met
des bouchons d’oreilles pour
anéantir sa rumeur joyeuse.
De cette aliénation maritale diffi-
cile de ne pas voir percer l’allégo-
rie du ­peuple russe et l’autodes-
truction d’un pays. p
Maroussia Dubreuil
Film russe de Kirill
Serebrennikov. Avec Alyona
Mikhailova, Odin Biron (2 h 23).
 0123
20 | Culture ­
­Mercredi 15­ février 2023

Steve Achiepo, Le tempérament

du réalisateur,
sa curiosité

le culot et son liant font

comme moteur
L’agent immobilier devenu cinéaste
avec « Le Marchand de sable »,
remarquable coup d’essai, mène
sa carrière en autodidacte absolu
Rencontre
tomber les murs
du labyrinthe
social
Fémis qui l’a fait tourner comme
acteur en 2008 dans son court-
métrage devient, en 2022, la mon-
teuse de son premier long-mé-
trage comme réalisateur.
Son expérience d’acteur le
­conduit à intégrer brièvement la
cour des longs-métrages, son
apothéose consistant en l’un des
rôles principaux dans le film de
Richard Berry Tout, tout de suite
(2016) – ce doit être le seul jour
Le dialogue, sinon à la lettre,
du moins dans l’esprit : « Bonjour,
de sa vie professionnelle où
sa chance l’a trahi –, celui de Yous-

N
é à Sèvres (Hauts-de- je voudrais être informaticien/ souf Fofana, le chef du « gang des
Seine) voici quarante Bonjour, c’est bouché/Alors barbares ». Cette pratique n’en
et un ans d’un père qu’est-ce qui n’est pas bouché ?/ reste pas moins, même s’il ne
ivoirien, aujourd’hui L’immobilier/OK, pas de problème, se formule pas la chose d’emblée,
défunt, et d’une mère guyanaise, je vais faire ça. » Et il y va. Steve tendue vers la réalisation :
élevé à Cergy (Val-d’Oise), Steve Achiepo ne connaît strictement « Comme acteur, je ne croyais pas
Achiepo est un modèle de naviga- personne à Paris, n’a pas de possible d’arriver un jour à la réali-
tion sans carte ni GPS, mais avec ­contact, pas de recommandation, sation, mais cela me permettait du
un tempérament, une curiosité, pas de formation, il connaît moins de comprendre comment
un liant qui font tomber les murs à peine mieux la ville, au demeu- fonctionnait un tournage. »
du labyrinthe social. Le parcours rant : « Les Champs[-Elysées] et Il faut croire que Steve Achiepo
singulier – disons autodidacte Châtelet, rien d’autre. » a un sacré sens de l’observation,
pur jus – qui le mène aujourd’hui à en juger par la qualité de son
à son premier long-métrage, le Bonnes vibrations premier long-métrage. Inspiré
­remarquable Marchand de sable, Le voici donc qui frappe, au petit de son expérience d’agent immo-
en témoigne. Il a « toujours tout hasard, à la porte des commerces bilier – encore qu’il reconnaît
fait au culot », pour le dire avec ses de la capitale en se présentant avoir été, en son jeune âge, relati-
mots. Tout commence dans de la sorte : « Bonjour, je cherche vement indifférent à la question
l’après-bac, avec l’extrême libéra- un boulot. » Jetée telle quelle sur en tant que « capitaliste total » –,
lité d’une mère seule au foyer le papier, la performance ne s’ex- Le Marchand de sable procède
et l’abandon rapide de ses études plique pas, il y manque l’essen- surtout d’un sérieux travail de do-
en droit : « Ça ne me convenait pas tiel : le mètre quatre-vingt-dix, cumentation, auprès d’une assis-
de me retrouver dans un amphi. le sourire, la vivacité d’esprit, les tante sociale et de juristes, sur
Tout ce que j’ai appris à l’école, bonnes vibrations. En un mot, la réalité des marchands de som-
je l’ai appris en discutant avec les l’aisance, qui n’est donnée qu’à Steve Achiepo, en août 2022, lors du Festival du film francophone d’Angoulême. YOHAN BONNET/AFP meil. « C’est une activité très diffi-
profs, je n’ai jamais rien révisé. » peu d’entre nous, de quelque cile à contenir. C’est de l’optimisa-
C’est une formule qu’il décide ­extraction ou couleur qu’il soit. tion de biens pratiquée autant par
donc de cultiver. Après quelques La suite ressemble à un self-ma- d’une école qui s’appelle la Fémis, eux, qui deviendront ses futurs de l’image animée des noms des marchands de biens que par
mois de flottement, sentant de-man movie. Il décroche un job où de jeunes étudiants tournent techniciens, voire son futur pro- de festivals et de sociétés de pro- la mafia ou des particuliers. Toute
le moment venu de « faire quel- d’agent immobilier dans le 16e ar- leurs films d’étude, s’y rend avec ducteur, passe enfin lui-même duction et en obtenant de la l’ambiguïté et l’horreur de cette
que chose de [sa] vie », il prend rondissement, s’inscrit en même quelques photos sous le bras, à la réalisation de courts-métra- ­Fémis la mise à disposition des pratique, c’est que, face à l’impuis-
exemple sur son frère, informati- temps dans un cours de théâtre se propose pour des castings, ges, en cherchant sur le site outils techniques. C’est donc ainsi sance des travailleurs sociaux, elle
cien, et se présente à Pôle emploi. le soir, y est avisé de l’existence sympathise avec pas mal d’entre du Centre national du cinéma et que la première étudiante de la se révèle utile, même si les gens
sont logés dans des conditions
souvent indignes et onéreuses. »
Un thriller dans le sinistre univers des marchands de sommeil Cela dit, c’est un traumatisme
plus intime qui est sans doute
à l’origine du film. Quoi qu’il se
bondé dévolu à la solidarité entre origi- en faisant du business lucratif, vient oc- tirent cyniquement les ficelles en faisant considère comme « le pur produit
Le Marchand de sable naires, et y loge sa fillette dans des con- casionnellement en aide aux personnes de l’optimisation de biens. Magimel, une francilien de base », Steve Achiepo
pppv ditions qui déplaisent à son ex-femme, dans le besoin. C’est à tout le moins nouvelle fois magistral, interprète en l’es- n’aura pas manqué d’être rappelé
Il est toujours agréable de se laisser sur- Aurore (Ophélie Bau), qui exerce par ce que comprend Djo de son activité, qui pèce un personnage pervers, biface, petit à sa condition de Noir. Et aura
prendre par le film d’un inconnu, de dé- ailleurs le métier d’assistante sociale. entre à son service pour gérer ses loca- fonctionnaire de l’ombre au discours fal- donc connu, à vingt et quelques
couvrir, au détour d’un premier long- Lorsque débarquent en France sa tante tions clandestines. lacieux d’un côté, odieux flambeur enri- années, son cas de racisme matri-
métrage, les promesses d’un cinéaste Félicité (Aïssa Maïga) et ses enfants Ce faisant, croyant à la fois venir en aide chi sur la misère du monde de l’autre. ciel. Un des clients de l’agence, dé-
en herbe. C’est ici le cas avec ce Mar- fuyant le conflit en Côte d’Ivoire et se re- à des gens qui se retrouveraient autre- Ces personnages de salauds et de de- sireux de louer l’appartement
chand de sable, de Steve Achiepo, qui trouvant dans le plus grand dénuement, ment à la merci de la rue, promouvoir mi-salauds, particulièrement réussis, ti- de sa grand-mère, s’adressa préci-
­cumule vertus d’un film documenté sur sa vie va se compliquer un peu plus. sa propre carrière et renchérir son train rent ce film « social », par ailleurs très sément à lui en lui confiant que
une pratique sociale peu reluisante – à la de vie, Djo met le doigt dans un engre- réussi – impuissance du personnage la vieille dame ne souhaitait pas
fois répandue et mal connue (les mar- Misère du monde nage qui ne peut être que fatal. Steve de l’assistante sociale, visions d’horreur louer à des Noirs. Face à cette dou-
chands de sommeil) – et tenue esthéti- Jugeant impossible de la loger décem- Achiepo, qui a sérieusement étudié son caverneuse des lieux où l’on parque les ble infamie du racisme partagé
que, sans renoncer non plus au sens ment chez sa mère, n’ayant pas davan- dossier, reconstitue à travers ces trois déshérités, ambiguïté morale du méca- avec ses victimes, le jeune Steve
du romanesque. tage le courage de la laisser ne serait-ce personnages la structure de ce sinistre nisme délictueux –, vers une ambiance Achiepo fit comme si de rien
Djo (Moussa Mansaly, parfait dans son qu’une nuit dans un foyer d’accueil pari- marché du sommeil. Les hommes de thriller qui lui donne une intensité n’était, prit l’affaire et empocha
personnage), tête brûlée et grand gars sien, où toute la misère du monde de bonne volonté, comme Djo, qui, plus et une profondeur auxquelles on ne la commission. Vingt ans, la lec-
sympathique, sort de taule et jongle se donne rendez-vous dans une terrible ou moins naïvement, se rachètent une pensait pas qu’il pouvait prétendre. p ture de Shakespeare et « une idée
dans sa vie entre mille tracas. Livreur promiscuité, il va finalement faire conscience parce qu’ils viennent en aide J. Ma. un peu plus claire de ce que sont
dans une société tenue par un semi-ma- la connaissance, par l’entremise du « Co- à autrui. Les mafieux, qui, comme « le Co- le bien et le mal » plus tard, il y re-
fieux communautaire baptisé « le Colo- lonel », d’Yvan (Benoît Magimel), un per- lonel », exploitent les leurs sans l’ombre Film français de Steve Achiepo. pense encore. Il y repensera sans
nel », il tente de se refaire, vit encore sonnage qui semble connaître le marché ni d’une morale ni d’une conscience. Avec Moussa Mansaly, Ophélie Bau, doute toute sa vie. p
chez sa mère dans un appartement immobilier comme sa poche et qui, tout Les gestionnaires du trafic, qui, tel Yvan, Benoît Magimel, Aïssa Maïga (1 h 46). Jacques Mandelbaum

Un déploiement de fureur plastique dans l’espace clos d’un cargo

Le cinquième long-métrage du Coréen Kim Hong-seon révèle, derrière une violence extrême et nihiliste, un refoulé historique

culture d’assouvissement peu re- culations d’un postulat relevant la soute d’un cargo, des Philippi- tale et ironique. Dans l’espace les criminelles entreprises par
Projet Wolf Hunting gardante sur la manière de stimu- de la science-fiction. nes jusqu’à la Corée du Sud. Grâce clos, interdisant toute échappa- l’armée d’occupation japonaise
ppvv ler le spectateur et, à tout le A la suite de ce que l’on devine à l’intervention de complices, les toire, du navire, les crânes explo- durant la seconde guerre mon-

P rojet Wolf Hunting affirme

le grand retour d’une tradi-
tion fortement nihiliste du
cinéma populaire coréen. Les pres-
criptions du film d’action y sont
conjuguées, et même dépassées,
par une imagerie tout à la fois crue
et grotesque. Les repères y sont
progressivement bousculés par
une orgie de violence graphique,
expression d’une sorte de vision
désespérée des choses tout autant
que d’une volonté, un poil ironi-
que, de mettre le public en transe.
On peut ne pas aimer cela, voire
penser que le film procède d’une
moins, un peu infantile. On peut
aussi saluer la souveraineté d’un
cinéma qui ne doute de rien, re-
mède salutaire à l’aseptisation
contemporaine de ce type de fic-
être l’application d’une procé-
dure d’extradition, de dangereux
criminels sont convoyés dans
tion lorsque c’est à Hollywood
qu’on les produit.
Postulat de science-fiction
Ce cinquième long-métrage
de Kim Hong-seon pour le ci-
néma nourrit sa fureur plastique
de sources différentes, hétérogè-
nes. Le réalisme d’un récit d’aven-
tures violentes y est soudain
­contrarié, puis dopé, par les spé-
prisonniers sont libérés et ten-
tent de prendre le contrôle du na-
vire. Mais le lourd bateau trans-
porte également, dans ses pro-
fondeurs, une créature mysté-
rieuse, résultat d’expériences
On peut saluer scientifiques et de manipulations
génétiques. Le monstre est une
la souveraineté espèce de supersoldat invincible
d’un cinéma qui qui, après s’être lui-même libéré,
entreprend, pure machine à mas-
ne doute de rien, sacrer, d’exterminer les survi-
remède salutaire vants sans distinction.
L’apparition inopinée de la
à l’aseptisation créature soumet le film à une
contemporaine sorte d’hybridation, expérimen-
sent allègrement et des hectoli-
tres d’hémoglobine sont versés
dans un déchaînement de vio-
lence. Une violence qui dévoile
une humanité à peu près entière-
ment privée de toute rédemption
possible, à l’exception d’un beau
personnage féminin, une femme
flic qui va tenter de résister au
chaos général.
Il y a aussi, pourtant, dans ce dé-
ploiement de brutalité graphique
comme l’expression du retour
d’un refoulé historique. Les origi-
nes de la créature sanglante ren-
voient aux expériences médica-
diale. Les débordements gore
soulignent la persistance d’une
histoire qui ne passe toujours pas,
et le cinéma coréen confirme
sa capacité à transmuer en ob-
jets filmiques extravagants les
traumatismes d’un destin natio-
nal bouleversé. Aux dernières
nouvelles, Kim Hong-seon prépa-
rerait tout à la fois une suite et
une préquelle du film. p
Jean-François Rauger
Film sud-coréen de Kim Hong-
seon. Avec Seo In-guk, Jang
Dong-yoon, Jung So-min (2 h 01).
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
L’adieu au langage selon Hong Sang-soo
Le cinéaste sud-coréen raconte la régénération d’une écrivaine, en une journée, à travers une série de rencontres
La Romancière, le film
et le heureux hasard
pppv
A
vec ses films à budget
infime, tournés artisa-
nalement avec des
équipes réduites, et en-
chaînés à un train d’enfer (en
moyenne deux par an), le cinéaste
sud-coréen Hong Sang-soo est en-
gagé dans la voie d’un délestage ra-
dical – technique et narratif – qui le
rapproche en autonomie de la
geste du peintre. La Romancière, le
film et le heureux hasard, Ours
d’argent de la Berlinale 2022, son
dernier film distribué en France, a
été mis en boîte en deux semaines
par Hong lui-même, en homme-
orchestre cumulant tous les
­postes (production, scénario, réali-
sation, image, montage et musi-
que), avec pour seul autre techni-
cien le preneur de son. Cette légè-
reté déconcertante a beau avoir
nourri un petit folklore cinéphile,
elle n’a pourtant rien de dérisoire :
c’est grâce à elle que l’œuvre en
question prend avec les saisons
une ampleur peu commune.
Longtemps dévolus à la déroute
des comportements amoureux,
les films de Hong Sang-soo se sont
dernièrement rabattus dans la
sphère du féminin, son quant-à-
soi. Après Juste sous vos yeux
(2022), le cinéaste retrouve dans
La Romancière… la comédienne
Lee Hye-young, gloire des années
1980, et la plonge dans une déam-
bulation au présent, engageant le
passé et l’avenir. Jun-hee, son per-
sonnage, est une écrivaine de re-
nom venue passer une journée
de balade dans la lointaine ban-
lieue de Séoul, où une suite de ren-
contres va paver la voie du renou-
veau. Au début, il s’agit surtout de
retrouvailles au goût amer : avec
une libraire irascible (Seo Young-
hwa) houspillant sa jeune em-
ployée, un réalisateur à succès
­satisfait de lui-même (Kwon Hae-
Nabil Ben Yadir reconstitue sans distance
un fait divers monstrueux
Le réalisateur revient sur un crime abject dont fut victime à Liège, en 2012, un jeune homosexuel imagine le premier vol aérospatial amateur
Animals
pvvv
L e 22 avril 2012, à la sortie de
l’Open Bar, établissement
fréquenté par les homo-
sexuels liégeois, Ihsane Jarfi,
jeune homme de 32 ans, monte
dans une voiture occupée par
quatre personnes. Deux semai-
nes plus tard, son corps sans vie
sera retrouvé dans un champ, nu,
rompu de coups, atteint de mul-
tiples fractures. Il a été volé, tor-
turé, violé, et finalement assas-
siné après avoir été abandonné
et avoir agonisé durant des
­heures. Deux ans plus tard, ses
assaillants sont jugés et condam-
nés à la perpétuité pour trois
d’entre eux, au motif d’assassi-
nat homophobe.
Il fallait avoir du cœur au ven-
tre pour s’emparer de cette af-
faire sous la forme d’une recons-
titution fictionnelle. On sait que
le cinéma, pour le meilleur et
pour le pire, n’en manque pas.
C’est un local qui s’en est emparé
en la personne du Bruxellois
­Nabil Ben Yadir.
L’homme n’est plus un in-
connu. Il a signé, en 2010, Les
­Barons une comédie douce-
amère sur de jeunes glandeurs
belges issus de l’immigration
maghrébine. Puis La Marche,
en 2013, qui évoque de manière
romancée la Marche pour l’éga-
Rimes
et résonances
définissent
l’écriture
du réalisateur,
sophistiquée
sans en avoir l’air
hyo) ou un vieux poète compa-
gnon de beuverie (Ki Joo-bong),
anciennes accointances ravivant
les crispations du passé. Mais un
rayon de soleil balaie bientôt ces
grises macérations : l’apparition
porte le nom de Kil-soo (Kim Min-
hee, compagne du cinéaste, ici cré-
ditée comme directrice de produc-
tion), une actrice sur la touche que
croise la romancière au beau mi-
lieu d’un parc et dont la présence
chaleureuse lui inspire l’envie de
tourner un film. La présence dans
les parages du jeune neveu de la
comédienne (Ha Seong-guk),
­étudiant en cinéma équipé pour,
rend justement la chose possible.
La Romancière… est donc, à pro-
prement parler, le récit d’une ré-
génération, ou comment une
femme de lettres en vient à tro-
quer le stylo pour une caméra et à
se réinventer cinéaste. Ce milieu
d’artistes en transit, Hong Sang-
soo le saisit en ses termes habi-
tuels – l’on serait tenté de dire
« sans façon » –, au gré de prises
frontales et continues, entre scè-
nes de table et de promenade, fai-
sant la part belle aux comédiens.
Aux rayons saisonniers de la fil-
mographie hongienne, La Ro-
mancière… appartient à la gamme
des contes d’hiver tournés dans
un beau dégradé noir et blanc
(Matins calmes à Séoul, en 2011,
Hotel by the River, en 2018, etc.).
Participant d’une veine médita-
tive et solaire, le film commence
toutefois par planter un paysage
du renoncement, commun à la
lité et contre le racisme qui tra-
versa la France en 1983.
Après un polar non distribué
en France (Angle mort, 2017), cet
amateur d’un cinéma fortement
rattaché à la question sociale si-
gne, avec Animals, un film pro-
blématique, divisé en trois par-
ties distinctes. La première et la
troisième sont remarquables, la
deuxième coince. On s’explique.
Ouverture sur une fête familiale,
filmée de manière fluide en
longs plans-séquences, dans une
maison chaleureuse où le jeune
Brahim (Ihsane, interprété par
Soufiane Chilah) se trouve pro-
gressivement inquiété par une
rumeur qui court au sujet de la
possible révélation de son homo-
sexualité, sujet familial tabou. A
bout de nerfs, ne parvenant pas à
joindre son petit ami, il quitte la
fête pour le rechercher, se rend
dans un bar gay de la ville et est
bientôt embarqué à sa sortie
dans une voiture occupée par
quatre jeunes en mal de sensa-
tions fortes.
Une certaine naïveté
S’ouvre ici la deuxième partie,
qui va aller crescendo dans
­l’horreur durant à peu près
trente minutes. Le malaise s’ins-
talle d’emblée, alors que, dans
l’habitacle du véhicule, Brahim
se fait insulter, humilier, puis
frapper une fois que les voyous
Jun-hee (Lee Hye-young). ARIZONA DISTRIBUTION
plupart des personnages – artistes
repentis ou reconvertis, libraire
ayant rompu définitivement avec
l’écriture, comédienne fatiguée
des rôles qu’on lui propose. Même
la romancière ­confesse à sa
­nouvelle amie Kil-soo plus qu’une
crise d’inspiration : sa perte de foi
dans l’écriture (son attachement
aux détails lui semble avoir bas-
culé dans l’exagération). Le lan-
gage est devenu pour elle un ter-
rain miné et les mots n’ont pas la
même portée en fonction de qui
les prononce : ainsi en va-t-il du
« charisme » qu’on lui prête,
d’abord horripilant dans la bou-
Avec un budget modeste, Nicolas Giraud
ont obtenu l’aveu de son homo-
sexualité. Après une tentative de
fuite, il est rattrapé, enfermé nu
dans le coffre, puis conduit
­jusqu’à un champ, où les quatre
bourreaux vont rivaliser de sa-
disme et s’acharner sur lui.
­Tandis qu’on entre dans le dur, le
film a changé de format, censé-
ment filmé par les agresseurs
avec leurs portables dans une sé-
quence digne d’un snuff movie.
La troisième partie suit enfin un
des agresseurs au petit matin,
jeune garçon issu d’un milieu dé-
favorisé, peu considéré par sa
mère, tabassé par son beau-père,
qui reprend sa vie comme si de
rien n’était et s’endimanche pour
se rendre au remariage de son
père. Adroite incursion, qui se
passe de mots comme d’analyse,
dans l’ordinaire de la vie opaque,
butée, sans horizon, d’un assassin
à l’évidence déjà hors du monde.
La longue partie centrale n’en
Le cinéaste
a voulu montrer
l’assassinat
le plus crûment
possible, pour
être à la hauteur
de l’effroi suscité
che du réalisateur cauteleux, puis
devenu enchanteur dans celle,
sincère, de la douce actrice. Le
­discret retour des situations, les
motifs qui se répètent ou se ré-
pondent d’une scène à l’autre
créent ici un délicat système de
­rimes et de résonances qui défi-
nissent l’écriture du cinéaste, so-
phistiquée sans en avoir l’air.
Nouvel exercice du regard
Abandonner les mots, reliés au
passé et à la douleur, signifie pour
Jun-hee une complète rénovation
du sensible, un nouvel exercice du
regard. Dans une très belle scène,
aura pas moins altéré le regard du
spectateur. Visiblement alerté sur
sa teneur par divers interlocu-
teurs comme il le révèle dans le
dossier de presse, Nabil Ben Yadir
aura toutefois tenu bon dans sa
volonté de reconstituer le crime
le plus crûment possible, pour
être à la hauteur de l’effroi suscité
par l’événement.
Il aurait mieux fait de s’en abste-
nir. Au demeurant, croyant à son
honnêteté, ce n’est pas tant de
complaisance qu’on le soupçon-
nera que d’une certaine naïveté
sur le pouvoir cathartique des
images. Tout n’exige pas d’être
montré au cinéma. La reconstitu-
tion d’une monstruosité com-
mise, hors film de genre et dans
l’abjection de sa durée, s’expose
toujours au risque de la jouis-
sance de son spectacle.
La création, par surcroît, d’ima-
ges d’archives supposément
­tournées par les assassins, corré-
lées de ce fait à une pratique obs-
cène, consiste pour le cinéaste, qui
y consent, à abdiquer son propre
point de vue pour celui des bour-
reaux. Ce à quoi, comme homme
aussi bien que comme artiste, nul
ne devrait se sentir tenu. p
Jacques Mandelbaum
Film belge de Nabil Ben Yadir.
Avec Soufiane Chilah, Gianni
Guettaf, Vincent Overath,
Serkan Sancak (1 h 32).
la romancière improvise un
poème que la jeune employée de
librairie traduit en langue des
­signes, afin que la première puisse
l’apprendre sous cette forme. A la
fin, tout le monde se tait, le texte
est entièrement converti en ges-
tes. Un autre passage : lors d’un dé-
jeuner des deux amies, une petite
fille s’interpose entre elles derrière
la vitre du restaurant (imprévu ou
situation sciemment orchestrée ?)
et, par l’insistance de son regard,
interrompt leur conversation.
A chaque fois, la parole est mise
en échec ou renvoyée à son état
de maigre substitut au dialogue
L’odyssée de l’espace
est dans le pré
L’Astronaute
ppvv
P eu de films français se sont
risqués à la conquête de
l’espace depuis Le Voyage
dans la Lune, de Georges Méliès,
en 1902. Récemment, il y a
bien eu la science-fiction intimiste
Proxima (2019), d’Alice Winocour –
la préparation d’une astronaute
à la Cité des étoiles, en Russie, ti-
raillée entre vie de famille et mis-
sion spatiale –, mais cette dernière
est passée plutôt inaperçue mal-
gré ses qualités indéniables.
Alors qu’il semblait établi que
seul Hollywood avait les moyens
de partir au-delà des atmosphères
célestes, l’acteur et réalisateur
français Nicolas Giraud esquive
la question financière avec une
histoire sur mesure pour budget
modeste, en imaginant le pre-
mier vol amateur dans l’espace.
Il ne s’agit pas d’une forme
de tourisme spatial sur le modèle
de ce que proposent SpaceX
d’Elon Musk ou Blue Origin de Jeff
Bezos, mais de la détermination
d’un homme à réaliser une fusée
qui l’emmènera à plus de cent ki-
lomètres d’altitude. Du fait mai-
son aérospatial, qui ne vise
ni l’odyssée d’anticipation ni la
reconstitution interstellaire.
Si, dans l’état actuel des techni-
ques, il n’est pas pensable qu’un
particulier parvienne à construire
Culture | 21
des âmes, comme aux triviaux
surgissements du réel. Le film
tourné par la romancière conclut
l’ensemble, mais d’une façon si
désarmante (et émouvante) qu’il
vaut mieux ne rien en dévoiler. Si-
non que la poétique de Hong
Sang-soo s’y dévoile sous une
forme inattendue : celle d’un bou-
quet, composé comme on glane
une poignée de plans. p
Mathieu Macheret
Film sud-coréen de Hong Sang-
soo. Avec Lee Hye-young,
Kim Min-hee, Kwon Hae-hyo,
Seo Young-hwa (1 h 32).
son petit Apollo privé, L’Astro-
naute offre une vision réaliste
de cette propulsion particulière-
ment courageuse.
On sait gré à Nicolas Giraud,
conseillé par le spationaute fran-
çais Jean-François Clervoy, vété-
ran de trois missions avec la
NASA, de ne pas s’être laissé tenter
par les farces et attrapes d’un hé-
ros bricoleur du dimanche.
Passion folle
Jim (interprété par Giraud) n’est
pas un novice mais un ingénieur
en aéronautique. Cela fait
huit ans qu’il dépouille l’Agence
spatiale européenne et œuvre
dans le secret, quand il s’octroie
finalement les services de deux
professionnels.
Le parti pris de suivre le travail
du groupe et l’atmosphère pres-
que endeuillée du film l’emporte
sur le lyrisme familial qui entoure
de ses nappes larmoyantes la pas-
sion folle du jeune homme. Mais,
surtout, notre bonheur est
de nous retrouver nez à nez avec
un film ovni entre Armageddon
(1998) et Petit paysan (2017).
On n’avait jamais vu si belle fusée
à la ferme et branle-bas de cosmo-
nautes dans les prés. p
Maroussia Dubreuil
Film français de Nicolas Giraud.
Avec Nicolas Giraud, Mathieu
Kassovitz, Hélène Vincent (1 h 50).
 0123
22 | Culture ­
­Mercredi 15­ février 2023

pvvv pourquoi pas

E

Domingo et la brume
N

Film costaricain d’Ariel Escalante Meza (1 h 32).

Le dépouillement des terres et l’injustice sociale nourrissent
I

le cinéma d’Amérique latine. Ici, dans les montagnes du Costa

A

Rica, une puissante société dont on ne verra jamais que les

bras armés, entreprend de chasser les propriétaires de terre
M

pour y faire passer une autoroute. Domingo, veuf, est l’un des
E

derniers à leur opposer une résistance, accompagné de quel-

ques irréductibles. Ariel Escalante Meza a nimbé le récit d’une
S

aura fantastique, qui se manifeste par un brouillard à travers

lequel le vieil homme parle avec sa femme, qui déclame
de la poésie. L’idée est poétique, mais contribue à désincarner
A

un film qui n’est pas loin de se réduire à cette idée. p J. Ma.

L

Les
Marlowe réalisatrices
Film irlando-américain de Neil Jordan (1 h 50). Carole
E

Le personnage inventé par Raymond Chandler, devenu Roussopoulos

D

un archétype de roman noir, détective privé tout à la fois sen- (à gauche)

timental et désabusé, fait ici un retour au cinéma dans un film et Delphine
inspiré non pas d’un roman de l’auteur du Grand Sommeil, Seyrig dans
S

mais de l’irlandais John Banville, La Blonde aux yeux noirs, qui « Sois belle
avait repris le personnage d’origine. Neeson, un peu trop âgé et tais-toi ».
M

pour le rôle, endosse donc la défroque du célèbre privé pour Les Films de La Butte
L

débrouiller une sombre affaire de disparition dans le Los

Angeles de la fin des années 1930. Neil Jordan signe une sorte
I

d’objet un peu nostalgique, confiant à son chef décorateur

F

la reconstitution d’une Californie pourrie jusqu’à la moelle,

participant d’un projet de démystification de l’industrie
cinématographique hollywoodienne au temps de son âge d’or.
S

On peut ne pas bouder le plaisir un peu vain d’un pastiche

E

agréable mais hautement volatil. p J.-F. R.

R

À l’affiche également

Paroles d’actrices et de cinéastes,

T

Ant-Man et la guêpe : Quantumania

Film américain de Peyton Reed (1 h 58).
U

Le Grand Cirque
A

femmes des années 1970

Film français de Booder (1 h 25).
Le Nid du tigre
Film italien de Brando Quilici (1 h 34).
S

Un homme heureux
E

Film français de Tristan Séguéla (1 h 37).

Juste ciel En 1977, la réalisatrice Delphine Seyrig a interrogé vingt-quatre collègues
L

Film français de Laurent Tirard (1 h 26).

Reprise pour faire apparaître des femmes

réelles, dégoûtées, fatiguées. Le montage de désormais purement ornemen-
tale, limitée à des stéréotypes dont

I
Les meilleures entrées en France l y avait les belles images, cel- Pendant près de deux heures, la Seyrig solidarise elles ont toutes fait les frais. Maria
les où apparaissait Delphine réalisatrice s’en va interviewer Schneider raconte : « On ne me
Nombre
Evolution
par rapport Total Seyrig (morte en 1990), ac- vingt-quatre de ses collègues actri- les témoignages propose que des rôles de schizoph-
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées *
Nombre
d’écrans
à la semaine
précédente
depuis
la sortie
trice dotée de l’une des plus ces et/ou cinéastes. Citons les plus pour en faire rène, folle, meurtrière, lesbienne,
belles et exigeantes filmographies connues : Jane Fonda, Jill Clay- que des choses comme ça, que je
du cinéma français. Marguerite burgh, Ellen Burstyn, Juliet Berto, un état des lieux n’ai pas envie de faire. Si je tourne
Alibi.com 2 1 808 232 680 808 232
Duras, Jacques Demy, François Anne Wiazemsky, Maria Schnei- désastreux avec des hommes, qu’ils soient au
Astérix & Obélix : Truffaut, Chantal Akerman, Alain der. « Collègues », le mot ne va pas moins de mon âge ! » Si Delphine
l’empire du Milieu
2 764 679 779 ↓ – 53 % 2 647 635
Resnais, Joseph Losey : Delphine de soi, tant le métier d’actrice de l’industrie Seyrig se place généreusement en
Avatar 2 9 209 790 648 ↓ – 34 % 13 277 967 Seyrig a traversé ce que le cinéma isole, impose la concurrence par du cinéma retrait, elle relance la parole par
proposait de plus libre, des films à défaut. C’est ce qui émeut dans ce une question faussement inno-
Titanic (reprise) 1 149 351 252 149 351 l’intérieur desquels on lui laissait documentaire : il est un refuge où cente sur la place accordée à l’ami-
Babylon 4 129 628 976 ↓ – 32 % 1 220 591 la place de déposer sa présence l’expérience féminine a le temps mite clandestin, au glamour obli- tié féminine ou aux femmes de
joueuse et réflexive. C’est ainsi que de se coaguler en parole politique. gatoire et aux fictions de pacotille. plus de 50 ans. L’entretien se fait
Sacrées momies 1 120 297 569 120 297
l’aborde le critique Jean-Marc La- Ici, toutes ces femmes offrent ce maïeutique, révélant à chacune
Pattie et la colère lanne dans un ouvrage à paraître Geste formel et politique que le cinéma filme si peu : des vi- une vérité qu’elle ne s’était pas for-
de Poséidon
3 70 561 753 ↓ – 6% 376 397
le 17 février, Delphine Seyrig. En Le montage solidarise tous ces té- sages démaquillés, défaits, ceux mulée et qui, aujourd’hui, reste
Zodi et Téhu, frères du désert 1 59 529 413 59 529 constructions (Capricci, 184 pages, moignages pour en faire un état d’ouvrières épuisées, désabusées, toujours aussi valable. A ce titre,
17 euros), portrait d’une actrice qui des lieux désastreux de l’industrie qui préfèrent intellectualiser plu- Sois belle et tais-toi est un geste qui
Le Chat Potté 2 10 55 751 397 ↓ – 20 % 2 725 222 démantibule la féminité pour en du cinéma. Toutes la décrivent tôt que sourire. Au premier abord, semble inachevé, toujours en
Knock at the Cabin 2 46 535 376 ↓ – 48 % 156 220 révéler sa nature d’artefact. comme une affaire d’hommes où on pourrait croire que l’industrie cours : le film se gorge virtuelle-
Ce travail de déconstruction, l’ac- elles tentent de se frayer une car- du cinéma se laisse contaminer ment de toutes celles qui n’ont pas
AP : Avant-première * Estimation trice l’a aussi accompli en tant que rière en dents de scie. Toutes par les mouvements féministes témoigné, de celles qui pourraient
Source : « Ecran total » Période du 8 au 12 février inclus
militante auprès des Insoumuses, avouent qu’elles n’auraient pas des années 1970. Il n’en est rien : en le faire encore aujourd’hui – les
un collectif œuvrant pour des suivi cette voie si elles étaient nées dehors de poches de résistance du grands films politiques ne se ter-
Deux mastodontes se sont fait la course, et à l’arrivée Alibi.com 2 l’a films féministes. En 1977, elle réa- homme : on choisit le métier d’ac- côté du cinéma d’auteur, l’époque minent jamais. p
emporté : sortie le 8 février, la comédie déjantée de Philippe Lacheau lise Sois belle et tais-toi, qui ressort trice pour s’éviter la pénibilité du s’avère bien plus cruelle et indi- Murielle Joudet
a détrôné Astérix & Obélix : l’empire du Milieu, avec plus de en version restaurée : l’actrice dis- métier de femme. gente qu’avant. Outre-Atlantique,
808 000 entrées. Les aventures des Gaulois ont tout de même attiré paraît dans le hors-champ pour Sois belle et tais-toi est un geste la période bénie des Bette Davis et Sois belle et tais-toi,
1,8 million de spectateurs en première semaine, et encore 764 000 la mieux réfléchir à son métier, sou- formel et politique qui fabrique des Katharine Hepburn laisse rê- documentaire français
suivante. En neuvième semaine, Avatar : la voie de l’eau de James Ca- lever les belles images de cinéma un contrechamp charbonneux, li- veur. L’expérience féminine est de Delphine Seyrig (1977, 1 h 50).
meron continue son goutte-à-goutte (209 790 entrées) et devrait pou-
voir atteindre prochainement les 14 millions d’entrées. En quatrième
position, voici Titanic (1997), en reprise en salle, du même Cameron,
qui détient le record du box-office en France (21,7 millions d’entrées).
Il fut aussi le plus gros succès de l’histoire du cinéma, pendant une
douzaine d’années, avant d’être détrôné par le premier Avatar (2010),
du même réalisateur. C’est la semaine des poids lourds.
Alain Delon au sommet de son magnétisme
Le polar de Duccio Tessari, sorti en 1973, où l’acteur incarne un tueur à gages, revient en salle

Reprise l’expérience compliquée du Pro-

fesseur de Valerio Zurlini, lui per-
un sicaire qui, après le massacre
de sa famille, élimine les mem-
par la mort des siens. Une sorte de
mécanique fatale que la mise en

En quête d’un cadeau original ?

B ig Guns - Les Grands Fusils
est le meilleur polar « du
samedi soir » jamais
tourné par Alain Delon. Difficile à
concevoir si l’on se fonde sur ce
qu’ont écrit la plupart des criti-
ques français au moment de la
sortie du film en salle, en 1973. Car
Les Grands Fusils n’était alors con-
sidéré que comme une pure opé-
ration mercantile qui avait, de sur-
croît, le tort d’avoir été produit et
tourné en Italie. L’indulgence,
voire la complaisance des journa-
listes pour le moindre navet com-
mercial tourné par le comédien en
France aura donc manqué à ce
produit considéré comme vulgai-
rement transalpin.
Offrez une «une» imprimée du Monde : Au moment de préparer le film,
événement historique, date de naissance, Delon souhaite investir dans la
boxe, plus précisément dans l’or-
moment mémorable de la vie.
ganisation du match Bouttier con-
tre Monzon. Il est en quête de suc-
En vente sur boutique.lemonde.fr cès rapides et a l’intuition qu’un
retour en Italie, après (ou malgré)
mettrait de monter rapidement
un film de série voué à un rapide
succès financier. Sa société de pro-
duction Adel retrouve, à Rome, le
producteur du film de Zurlini, Lu-
ciano Martino (Mondial Tefi). L’ap-
port de la société du Français Ray-
mond Danon, permettra de bou-
cler financièrement le projet.
Ce qui avait intéressé Delon
dans le scénario signé Franco Ver-
rucci, Ugo Liberatore et Roberto
Gandus, c’est peut-être qu’il pro-
mettait à l’acteur de retrouver
une sorte d’équivalent de son per-
sonnage du Samouraï mais un
équivalent en négatif, la sil-
houette inversée du froid Cos-
tello, héros du film de Jean-Pierre
Melville. Il y incarne à nouveau un
assassin à gages trahi par ses com-
manditaires. Silhouette venue,
plus lointainement, du film noir
(on pense au Tueur à gages in-
carné par Alan Ladd dans le film
de Frank Tuttle), Tony Arzenta est
bres de l’organisation mafieuse
qui en est responsable. La ven-
geance l’entraînera dans un péri-
ple, de Milan à Copenhague en
passant par la Sicile.
Machine de mort
Le film, dans cette logique oppor-
tuniste qui fut celle du cinéma
transalpin de série, spécule aussi
sur le succès récent du Parrain de
Coppola en en empruntant certai-
nes situations et quelques comé-
diens (Richard Conte, Corrado
Gaipa). Les Grands Fusils est, par
ailleurs, porté par la musique de
Gianni Ferrio et trivialement,
mais sublimement, inauguré par
une chanson d’Ornella Vanoni.
A ce moment-là de sa carrière,
Delon était au sommet de son ma-
gnétisme et de sa beauté mélan-
colique. Son personnage est une
machine de mort lancée à toute
allure par sa fureur vengeresse
mais aussi détruite de l’intérieur
scène de Duccio Tessari parvient à
décrire de façon exemplaire. Mais
le talent du réalisateur et de son
équipe, nourris à l’école réaliste
du cinéma italien, s’exprime aussi
dans cette façon unique dont est
captée l’ambiance brumeuse et
humide de l’Italie du Nord.
C’est au cœur de Milan que s’en-
gendre une tragédie qui se finira
sous l’éclatant soleil sicilien, au
terme d’un parcours émaillé de
morts violentes et de brutaux pas-
sages à tabac. C’est presque un mi-
racle que ressorte en salle, près de
cinquante ans après sa sortie, ce
pur joyau où la présence d’un ac-
teur immense rencontra le génie
artisanal d’un système cinémato-
graphique malheureusement dis-
paru depuis très longtemps. p
Jean-François Rauger
Film italien de Duccio Tessari.
Avec Alain Delon, Carla Gravina,
Richard Conte (1973, 1 h 53).
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
Ovidie, ses princes charmants et ses crapauds
La réalisatrice s’interroge sur les relations amoureuses et milite pour une « réhabilitation féministe du mariage »
France Culture
À la demande
Série documentaire
I
l lui aura fallu un peu de
temps et pousser quelques
murs mais, et c’est plus
qu’heureux, Ovidie est dé-
sormais incontournable dans le
paysage du documentaire, et ses
réalisations sont devenues des ré-
férences et autant de sources
d’inspiration. Il y a eu A quoi rêvent
les jeunes filles ? (2015), Là où les pu-
tains n’existent pas (2017) et Tu en-
fanteras dans la douleur (2019).
Côté France Culture, elle signait un
Vivre sans sexualité (2021) et re-
vient aujourd’hui avec Qu’est-ce
qui pourrait sauver l’amour ?
Autant dire que la série est à la
hauteur du titre : ambitieuse. Mais
on pourrait ajouter joyeuse, parti-
culièrement bien mise en sons
(par Julie Beressi), savante (philo-
sophes, autrices et neurobiologis-
tes à la rescousse), pessimiste par-
fois, politique certainement.
Cendrillon et amours toxiques
Bref, Saint-Valentin ou pas,
c’est un podcast à partager le
plus largement possible – et ce
afin que les jeunes filles ne se
­fassent pas toujours avoir. Parce
que ça commence quand même
un peu comme ça, cette histoire.
Avec Ovidie qui, à 40 ans et des
poussières, et bien qu’ayant
Entre Camille Claudel et Auguste Rodin, une passion dévorante
Un « Secrets d’histoire » particulièrement riche, qui s’articule autour de la liaison entre les deux artistes et des œuvres pivots du sculpteur
France 3
Mercredi 15 - 21 h 10
Documentaire
P assion dévorante, amour
exclusif, ménage à trois :
en ce lendemain de Saint-
Valentin, « Secrets d’histoire » se
met au diapason en s’attaquant à
la liaison dévorante qui a uni,
douze années durant, Auguste
Rodin et Camille Claudel. Du pre-
mier regard, en 1884, au dépôt des
marbres, à Paris, où le sculpteur
de renom croise le travail de la
jeune sculptrice de vingt-quatre
GRILLE N° 23 - 039
PAR PHILIPPE DUPUIS
Retrouvez l’ensemble de nos grilles sur
1 2 3 4 5 6
I
II
III
IV
V VIII. S’accroche au cœur et au ventre.
VI
VII
VIII
IX
X échapper les gaz. Au pied des monts
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 038
HORIZONTALEMENT I. Vibromasseur. II. Enlevé. Ut. Se. III. Tea. Elaborée.
IV. Ignoré. Uel (élu). V. Lacédémone. VI. Lu. Dosage. Kc. VII. Excès. Jeunet.
VIII. Amère. Fini. IX. Séné. Euh. Ado. X. Exaspération.
VERTICALEMENT 1. Vétilleuse. 2. Inégaux. Ex. 3. Blanc. Cana. 4. Ré.
Œdèmes. 5. Overdose. 6. Mêlées. Rée. 7. Majeur. 8. Subrogé. Ha. 9. STO.
Neuf. 10. Rue. Niai. 11. Usée. Kendo. 12. Réélection.
r­ éfléchi au sujet et plutôt trois
fois qu’une, se retrouve le
cœur en plan.
Episode 1. Au pays des contes de
fées, demandez Cendrillon :
« Deux demi-sœurs toxiques, une
nana déclassée qui rêve d’un mec
qui a le pouvoir, pété de thunes,
plus expérimenté : le prince. »
Ajoutez La Belle au bois dormant
et un baiser non consenti. Puis
Cœur grenadine et Cinquante
nuances de Grey et vérifiez que
ans sa cadette, jusqu’à la sépara-
tion, voulue par Camille Claudel,
l’internement de cette dernière,
en 1913, et sa mort, en 1943.
« Il y a pour [Rodin] un avant et
un après Camille Claudel », déclare
sur un ton d’évidence Véronique
Mattiussi, responsable du fonds
historique du Musée Rodin, à Pa-
ris. Depuis le magnifique château
de l’Islette, édifié en 1530 au bord
de l’Indre, en Touraine, qui a
abrité les escapades fougueuses
des deux amants, Stéphane Bern
en profite pour consacrer une
large première partie à cet
jeux.lemonde.fr
7 8 9 10 11 12
l’homme a beau « être un “con-
nard”, on l’aime quand même ».
­Interrogez-vous alors pourquoi.
Camille Emmanuelle, qui écrit
des romans érotiques à la chaîne,
nous éclaire sur les coulisses de
cette production éditoriale (la
new romance) où tout est régle-
menté : il faut que l’homme soit
beau, mystérieux et milliardaire
(mais pas héritier), que la femme
– plus jeune que lui – ne soit pas
trop brillante mais possiblement
« avant » : comment le jeune
homme a affronté son père pour
qu’il le laisse étudier le dessin ;
comment, malgré son talent, il a
échoué trois fois au concours des
Beaux-Arts pour finalement en-
trer à La Petite Ecole, à Paris ; sa
rencontre, en 1864, avec Rose
Beuret, couturière soumise et di-
ligente, qui va lui donner un fils
qu’il refusera de reconnaître.
Comme à l’accoutumée, le do-
cumentaire alterne témoignages,
visites, rencontres, archives
(beaux films colorisés) et séquen-
ces fictionnelles. Honnêtement,
HORIZONTALEMENT
I. Son influence entraînera des dé-
penses. II. Fera disparaître taches et
soupçons. S’accroche aux vieilles
branches. III. Se rapporte au tissu
glandulaire. Politique économique
menée par Lénine. IV. Fait grand bruit
et bouscule tout. V. Pas bien malin.
Donné pour être suivi. Passe à l’huile.
VI. Pompes anglaises. Sa racine a
toutes les vertus pour les Chinois.
VII. Fait appel. Au Nigéria et aux Pays-
Bas. Prit les affaires en main.
Chaton à la campagne. Grande réu-
nion. IX. Allée carrossable en Bel-
gique. Agréable à côtoyer. X. Titres
pour des princes.
VERTICALEMENT
1. Ceinturent les ponts. 2. Sur terre et
en mer, il communique. 3. Laisse
Matra. 4. Voit venir. Première dame
du monde. 5. Adhère à l’Union euro-
péenne en 2015. Préposition.
6. Marc-Antoine gravait, Ruggero
chante. 7. Doivent être bons cavaliers.
8. Déranger les plus proches. Fleur
royale. 9. Dans tous. Attaquai en bor-
dure. 10. Froidement couvert. Enca-
drent le nom. 11. A moitié flouée.
Maligne elle aussi. 12. Suppriment les
plis, aiguisent les lames.
L’autrice, actrice
et réalisatrice
Ovidie, à Cannes,
le 4 avril 2022.
VALERY HACHE/AFP
en danger pour pouvoir être par
lui sauvée. A toutes fins utiles,
précisons que la fille ne se mas-
turbe pas, n’a jamais ses règles et
jouit au bout de quelques minu-
tes de pénétration.
« Est-ce que ça peut être érotique
de s’aimer dans l’égalité ? », de-
mande Ovidie qui s’intéresse
dans l’épisode suivant aux
amours toxiques. Aux féminici-
des aussi, surtout quand, en 2003,
la presse parle encore largement
on redoutait ces dernières, tant le
Camille Claudel de Bruno Nuyt-
ten, en 1988, incarné par Isabelle
Adjani et avec Gérard Depardieu
en Rodin, a marqué les esprits.
Peut-être conscient du risque,
« Secrets d’histoire » a fait appel à
deux acteurs de caractère : Lou
Gala (Les Chamois, Pourquoi je vis)
et Louis Bernard (Qu’est-ce qu’on a
tous fait au bon Dieu ?), qui par-
viennent à rendre la force, voire la
violence, des protagonistes.
Si Camille Claudel sera la passion
de Rodin et Rose Beuret l’amour
de sa vie, le sculpteur existe avant
sudoku
n°23-039
1 4
7 9
2 6
5 1 6
6 9 8 4 seule fois par ligne,
2 8 7 4 9
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
0123
H O R S - S É R I E
LE BILAN
DU MONDE
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS :
MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...
Télévision | 23
de crime passionnel alors que
­Marie Trintignant meurt sous les
coups de Bertrand Cantat. Et
­Ovidie d’insister à raison : « Can-
tat, c’est l’arbre qui cache la forêt
des 140 femmes qui meurent cha-
que année en France assassinées
par leurs conjoints (…) On tue parce
qu’on s’y sent autorisé », ajoute-t-
elle alors que l’historienne Chris-
telle Taraud appelle à changer de
vocabulaire pour changer de pa-
radigme : « La violence doit être
bannie et est inexcusable. »
La seule manière d’en sortir
pourrait être « un projet politique
de destruction des régimes pa-
triarcaux ». Ovidie milite pour
une « réhabilitation féministe du
mariage » (épisode 4) et s’inter-
roge sur l’amour après #metoo
(dernier épisode).
Mais il est impossible d’embras-
ser ici cette somme d’interroga-
tions. Tout juste peut-on saluer le
travail d’Ovidie qui vient nous sti-
muler intellectuellement sur ce
thème hautement sensible et lar-
gement universel. D’autant
qu’elle le fait avec une vraie intel-
ligence et, ce qui ne gâche rien,
beaucoup d’amour aussi. p
Émilie Grangeray
Qu’est-ce qui pourrait sauver
l’amour ?, d’Ovidie, avec la
participation de Tancrède
Ramonet, réalisée par Julie
Beressi (Fr., 2023, 8 × 30 min).
tout par et pour son art. C’est
pourquoi le scénario s’articule
autour de ses œuvres pivots : L’Age
d’airain, bronze en pied accusé
d’être un « moulage sur nature » ;
le Buste de Victor Hugo ; La Porte de
l’Enfer (à revoir au Musée d’Orsay) ;
Le Penseur, œuvre plus connue
que son auteur. Enfin, son Balzac,
au bord de l’abstraction.
Camille Claudel bénéficie elle
aussi d’une biographie en images,
beaucoup plus brève mais avec un
focus inédit sur sa lumineuse Pe-
tite Châtelaine (visible à La Piscine
de Roubaix) et sur le travail de mé-
7 1 8 4 5 9 3 6
6 4 2 1 8 3 5 9
3 5 9 6 2 7 8 1
2 5 7 9 5 9 7 3 6 2 1 4
2 6 4 9 1 8 7 5
3 8 3 1 7 4 5 9 2 6
9 2 5 8 7 6 4 3
1 7 3 2 9 4 6 8
4 8 6 5 3 1 2 7
Facile
4 5 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
2 CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
1 par colonne et par
carré de neuf cases.
ÉDITION 2023
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
▶ ÉCONOMIE
BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,
Notre
sélection
Me r cr e di 15 f é vrie r
Ciné+ Premier
Aline
20.50 Dans son film Aline (2020),
Valérie Lemercier réincarne, à tous
les âges, la vedette internationale
Céline Dion avec un génie comique
qui n’exclut pas une vraie tendresse
pour le modèle canadien.
Mezzo
Hamlet
20.30 Shakespeare intéressa
nombre de musiciens d’opéra,
dont Ambroise Thomas en 1868.
Sabine Devieilhe et Stéphane Degout
sont entourés de l’Orchestre des
Champs-Elysées, dirigé par Louis
Langrée en 2018, dans une mise
en scène de Cyril Teste.
Arte
Comment voulons-nous aimer ?
23.05 Comment concilier amour,
sexualité et liberté ? C’est le sujet du
premier volet de ce documentaire
en trois parties de Frank Diederichs
et Annebeth Jacobsen, qui interroge
les mutations que subit le nouvel
ordre amoureux en notre siècle.
Netflix
Clair-obscur
A la demande Ce film (2021) de
Rebecca Hall évoque les ambiguïtés
raciales de la Harlem Renaissance
pendant la Prohibition. Les acteurs
Tessa Thompson, Ruth Negga et
André Holland, sont remarquables.
moire entrepris par sa petite-
nièce, Reine-Marie Paris, depuis
1958. Sans le combat de cette
femme pour son aïeule, Camille
Claudel serait restée dans l’oubli
où sa mère l’avait jetée en la fai-
sant interner avec ce commen-
taire : « Je suis très contente de la
savoir [internée], au moins elle ne
peut nuire à personne. » p
Catherine Pacary
L’Amour fou d’Auguste Rodin et
Camille Claudel, de Chloë
Chovin, David Jankowski, Eric
Duret (Fr., 2022, 115 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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0123
­Mercredi 15­ février 2023

gane, 6,50 euros) est un vrai délice, où le fruit

est poché et décliné sous forme de crémeux à
la cardamome ainsi que de gelée.
Pour les pâtisseries sans fruits, telles que le
paris-brest, la religieuse ou même le macaron,
dont la coque est essentiellement composée
de saccharose, la mission d’ôter du sucre peut
s’avérer plus difficile. Utiliser du miel ou de la
cassonade plutôt que du sucre blanc de bette-
rave ne change presque rien à l’apport nutri-
tionnel. Les édulcorants artificiels ont été glo-
balement écartés par les pâtissiers : en tra-
vaillant à un livre de recettes avec Canderel
dans les années 1990, Pierre Hermé s’est
rendu compte que l’aspartame se déformait à
la cuisson ou au contact de l’acidité. De son
côté, Claire Heitzler n’a « jamais essayé de bri-
coler avec les poudres de perlimpinpin ». « Je ne
suis pas convaincue que ça fasse du bien au
corps », dit-elle, faisant allusion aux nombreu-
ses études soulignant la dimension cancéri-
gène des édulcorants.

Gourmandises instagrammables
Pour faire un gâteau moins sucré mais struc-
turé, reste l’option d’utiliser de la gélatine ou
de la pectine. « Beaucoup de jeunes pâtissiers en
abusent pour assurer le côté esthétique, sans se
rendre compte que c’est au détriment du goût »,
critique Arnaud Larher, qui a goûté beaucoup
de chantilly « trop dense, trop collée, sans lon-
gueur en bouche ». Lui a recours à une autre as-
tuce, le gras, qui apporte du goût en plus de la
structure. Dans son saint-honoré vanille par
exemple (8,50 euros), il a désucré la crème
chantilly et la crème pâtissière, mais a ajouté
5 % de praliné. « Il arrive en fin de bouche et
donne un vrai équilibre », estime le chef.
« Quand on enlève du sucre, pour compenser,
on a tendance à se tourner vers les fruits secs, les
pralinés… bref, du gras », confirme le pâtissier
et consultant François Daubinet, qui a signé
un gâteau de Noël pour La Tarte tropézienne :
après avoir désucré la crème de la brioche, il a
ajouté un cœur de pâte à tartiner à la noix de
pécan, très coulant, très instagrammable.
La tendance naturelle des pâtissiers à se
tourner vers le gras est encouragée par les
FLORENT TANET POUR « LE MONDE » ­réseaux sociaux qui raffolent de « foodporn ».
« Sur les réseaux sociaux, il faut surprendre et
apporter un côté magique, pas coller à la réa-
lité », rappelle la star d’Instagram Cédric

Sucrer, désucrer, ­Grolet, spécialiste des vidéos maximalistes

mais qui affirme, dans la vraie vie, avoir ­divisé
les quantités de sucre par deux depuis le dé-
but de sa carrière.

le dilemme pâtissier « Pour trouver sur Instagram un paris-brest

qui ne dégouline pas de praliné, il faut se lever
de bonne heure », soupire Frédéric Bau,
­convaincu que les pâtissiers ont une responsa-
bilité envers ceux qu’ils nourrissent. « Dans les
Si le sucre a longtemps été diabolisé, il reste un élément-clé pays développés, on ne meurt plus de famine
mais d’obésité. On ne peut plus continuer à
de la pâtisserie. Celle-ci s’est toutefois considérablement bourrer les gens de sucre et de gras. A terme, il
faudra peut-être renoncer à certaines prépara-
allégée et expérimente des alternatives crédibles tions, telles que les glaçages ou les nappages à
la confiture sur les tartes. »
Mais la radicalité de Frédéric Bau reste assez
singulière dans le milieu. La pâtisserie de-
gastronomie d’exhausteur de goût, de texturant, et aussi de
conservateur à une époque où la réfrigération
salée qui s’est assainie dans les années 1970
avec l’avènement de la nouvelle cuisine, la pâ-
meure associée à la gourmandise et donc à
une forme d’excès calorique tolérable car ex-

L
a mode n’est pas qu’une affaire de vête-
ments. Les aliments aussi connaissent
heures de gloire et traversées du dé-
sert. Depuis la fin des années 2010, le
sucre a été particulièrement diabolisé, thème
de prédilection d’une littérature détaillant ses
méfaits pour la santé et proposant des solu-
tions pour se libérer de son « pouvoir addictif ».
En parallèle, les rayons des supermarchés se
sont gonflés d’alternatives au sucre de bette-
rave, particulièrement critiqué, telles que le
muscovado ou le sirop d’agave. Au printemps
2021, l’influent Pierre Hermé a même lancé une
gamme « gourmandise raisonnée », avec des
gâteaux moins sucrés, moins caloriques.
Après cette acmé, le débat autour du sucré
semble s’être un peu apaisé. Dans les bouti-
ques Pierre Hermé, la pâtisserie « raisonnée »,
dont les mérites avaient été vantés en grand
sur les vitrines, s’est faite plus discrète : l’offre
concerne désormais quelques gâteaux, que
l’on suggère aux clients en quête de pâtisserie
plus légère, mais elle n’est plus un outil de
communication. « La gourmandise raisonnée
continue d’être un de mes axes de travail, au
même titre que la pâtisserie végétale, mais elle
ne concerne pas la totalité de mes gâteaux », ex-
plique Pierre Hermé, soucieux de ne pas priver
sa clientèle fidèle des classiques (tarte infini-
ment vanille, Ispahan…) qui font son succès.
In fine, le sucre est-il diabolique ? Qu’en pen-
sent les (bons) pâtissiers et comment le do-
sent-ils ? Une chose est sûre, la plupart ont ré-
duit les quantités par rapport à ce que l’école
leur avait enseigné – et enseigne parfois
­encore –, en se fondant sur les standards de
Gaston Lenôtre, chez qui le sucre jouait un rôle
n’était pas toujours possible.
« Aujourd’hui, je mets 65 grammes de sucre au
litre de crème pour faire de la chantilly, mais lors
de mon apprentissage, dans les années 1980, on
disait qu’il en fallait 160 grammes », se souvient
Arnaud Larher, pâtissier à Paris. A la même
époque, Frédéric Bau, aujourd’hui directeur de
la création du chocolatier Valrhona, travaillait
dans une pâtisserie à Nice : « Les gâteaux res-
taient parfois dix jours en vitrine sans être réfri-
gérés et on imbibait leur biscuit avec un sirop
très sucré pour éviter que ça fermente. »
« Le phénomène de diminution du sucre en
pâtisserie a commencé il y a une vingtaine d’an-
nées et s’est accéléré depuis six ou sept ans », es-
time de son côté Claire Heitzler, passée par
Lasserre et Ladurée et qui possède désormais
sa boutique à Levallois-Perret (Hauts-de-
Seine). Trois décennies après la gastronomie
« Le sucre
a longtemps servi
à masquer des
matières premières
de mauvaise qualité.
Je veux que mes
desserts laissent
la place aux fruits
et aux épices »
Claire heitzler
cheffe pâtissière
tisserie française s’est allégée en sucre, en gras,
en alcool. En même temps, un certain nombre
de pâtissiers français tels que Pierre Hermé,
Sébastien Bouillet ou Jean-Paul Hévin ont
ouvert des boutiques au Japon et, pour s’adap-
ter au goût local, ont appris à désucrer.
Un projet plus complexe qu’il n’y paraît car
le sucre est un élément-clé de la pâtisserie
française et joue un vrai rôle dans la structure
des gâteaux. « Cela fait seize ans que je tra-
vaille sur le sujet, c’est un boulot monstrueux
qui à juste titre peut faire peur », affirme Frédé-
ric Bau. « Il n’y a pas une règle d’or qui consiste-
rait à enlever 20 % de sucre partout, il faut ajus-
ter sa réflexion pour chaque dessert »,
­confirme Arnaud Larher.
Pour les préparations fruitées, une solution
assez simple consiste à utiliser des fruits frais et
de saison. « Quand le fruit est à maturité, il est
plus goûteux, affirme le pâtissier lyonnais
­Sébastien Bouillet. Inutile de rajouter 10 % de su-
cre dans une purée de fraises comme le faisaient
mes parents. » « Le sucre a longtemps servi à
masquer des matières premières de mauvaise
qualité. Je veux que mes desserts laissent la place
aux fruits et aux épices », affirme Claire Heitzler,
dont la succulente tarte au ­citron meringuée
(7 euros) est agrémentée d’une marmelade
d’agrumes, d’un crémeux citronné twisté de
quelques suprêmes de ­citron vert et d’une me-
ringue « désucrée » parfumée aux zestes.
« On achète aux primeurs autour de la bouti-
que des fruits très mûrs qu’ils auraient du mal à
vendre mais qui sont parfaits pour la pâtisse-
rie », explique de son côté Marie Dieudonné,
qui a lancé Sucré Cœur dans le quartier de Pi-
galle, à Paris, et dont la tarte aux poires (vé-
ceptionnel. « Une pâtisserie sert à se faire plai-
sir, et personne ne mange de gâteaux tous les
jours », estime Claire Heitzler. « Le sucre et le
beurre apportent le côté réconfortant, c’est le
­retour en enfance », estime Nina Métayer, pâ-
tissière parisienne, qui, après avoir progressi-
vement baissé le taux de sucre dans son flan
en 2021, a fini par faire machine arrière à la
suite de remarques de clients trouvant que
son gâteau manquait de gourmandise. « On a
beau tout remettre en question, le gras et le su-
cre restent la base de notre métier », devise
François Daubinet.
C’est exact lorsqu’on reste dans le cadre de la
pâtisserie française classique, où la crème pâ-
tissière, la pâte sablée et le praliné constituent
la sainte trinité. « Mais pourquoi ne remplace-
rait-on pas un fond de tarte par autre chose ? »,
interroge Jessica Préalpato. La pâtissière, qui
s’apprête à ouvrir sa première boutique à Paris
et pour qui « le sucre ne doit être qu’un assai-
sonnement », expérimente sans relâche de-
puis deux ans. Elle remplace les fonds de tarte
par des feuilles végétales, par exemple de ba-
nanier, et a mis au point une pâte à tarte
­composée à 40 % de purée de fruits et 60 % de
farine de riz, sans sucre ajouté.
« C’est un parti pris, j’ai envie de montrer
qu’on peut faire très bien sans sucre ni gras,
faire découvrir des goûts qu’on connaît peu,
comme le sapin ou la nèfle. Beaucoup de gens
me disent que mon projet, de niche, ne va pas
fonctionner. Mais au moins j’aurai essayé. »
Emprunter son côté visionnaire à Gaston
­Lenôtre plutôt que ses recettes d’antan : en
voilà une bonne idée. p
Elvire von Bardeleben
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023 Carnet | 25
Estelle et Emmanuelle, Christine Quénelle, Beyrouth. Tunis. Caen. Cherbourg. Paris. Marseille. Aix.
ses filles, son épouse,
Auréline et Ludovic, Benjamin, Ekaterina, Elisa, Diana, MM. Pierre, Adam, Édouard, Samuel
Denis, Xiaoxia, Julien, Rachel, Shimona, Suzanne,
Le Carnet ses petits-enfants, son épouse, et Léo Stambul,
en vente Les familles Quénelle et Bangratz,
son frère et ses neveux,
Jérémie, Vincent et Michel,
actuellement son gendre, ont la tristesse d’annoncer le décès, ses enfants
Hélène, le 9 février 2023, de ont la douleur de faire part de la
Vous pouvez nous faire parvenir et leurs conjointes,
K En kiosque vos textes soit par e-mail : sa sœur, Alain QUÉNELLE, Pierre, Marion et Charlie,
disparition de
Eva et Samuel, chevalier de la Légion d’honneur, ses petits-enfants,
carnet@mpublicite.fr officier de l’ordre Mme Béatrice STAMBUL,
0123 ÉDITION 2023
sa nièce et son neveu,
(en précisant impérativement chevalier
H O R S - S É R I E

des Palmes académiques,

LE BILAN
▶ GÉOPOLITIQUE

ont la tristesse de faire part du décès

▶ ENVIRONNEMENT

votre numéro de téléphone et diplômé de l’École des travaux de la Légion d’honneur,

▶ ÉCONOMIE

DU MONDE votre éventuel numéro d’abonné

ont la profonde tristesse de faire part publics ME 1964 et du CHEM, de médecin psychiatre,
du décès de
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,

ingénieur et cadre dirigeant de Total, vice-présidente du comité

ou de membre de la SDL)
MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...

fondateur André ROPERT, de surveillance de l’APHM,

soit sur le site : Marguerite CAHN, de Total professeurs associés,
professeur émérite à l’ESTP, historien, enseignant, déléguée régionale
https://carnet.lemonde.fr née NISENBOIM, directeur des études du Centre ENS Saint-Cloud 1952-1956, de Médecins du monde PACA,
des hautes études du métal. présidente de l’association
L’équipe du Carnet reviendra vers survenu le 10 février 2023, survenu le 6 février 2023, ASUD et du bus 31/32,
vous dans les meilleurs délais dans sa quatre-vingt-quatrième année. Il a consacré une grande partie de sa militante pour et administratrice
pour vous confirmer la parution. vie professionnelle à l’enseignement à Cherbourg,
et à la formation. à l’âge de quatre-vingt-onze ans. de nombreuses associations
Hors-série L’inhumation a eu lieu ce mardi de réduction des risques,
carnet@mpublicite.fr 14 février, à 11 h 30, au cimetière Sa devise : « La connaissance est la
Historien passionné, enseignant
parisien de Bagneux. seule ressource qui augmente quand survenue le 8 février 2023, à Marseille,
UNE VIE, UNE ŒUVRE
https://carnet.lemonde.fr on la partage ». passionnant, il était un observateur
à l’âge de soixante-quatorze ans.
zélé et curieux du présent. La finesse
Ni fleurs ni couronnes. La crémation aura lieu dans
Colette AU CARNET DU «MONDE» l’intimité, le jeudi 16 février, au
de ses analyses, ses traits d’esprit, Ses combats contre la stigmatisation
Le tourbillon
de la vie
cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. son empathie et sa bienveillance des plus fragiles, qui l’ont menée du
Antoine Jabre, nous manqueront profondément.
Saint-Valentin Kosovo à la Tchétchénie, de la Birmanie
son conjoint, Conformément à ses souhaits, une à la Russie, du Maroc à la Roumanie,
Françis, Thomas et Paloma Defert, cérémonie sera organisée avec ses
Un écureuil roux Un dernier hommage lui sera rendu en passant par la Palestine, restent un
ÉDITION
Danse la valse des flocons Sa famille, proches, amis et collègues, le samedi
2023
ce mercredi 15 février, à 10 heures, au exemple.
L’amoureux attend. Ses amis, 22 avril, à 10 heures, en l’église Saint-
avec Julia Kristeva, Amélie Nothomb, Juliette, Emmanuelle Lambert...

François-Xavier, Paris 7e. crématorium de Brix (Manche).

Hors-série ont la tristesse de faire part du décès Colloque
L’Olympe est tellement plus beau Ni fleurs ni couronnes. Famille Ropert,
grâce à toi, mon caniche argenté. de
Je t’aime. Si profondément. Cet avis tient lieu de faire-part. 1, route de l’Enfer, Vasteville,
Durablement et infiniment. 50440 La Hague.
Daniel DEFERT,
HORS-SÉRIE

Contacts : suzanneropert@aol.com
normalien, Saint-Cloud 1960, benjaminquenelle@hotmail.com
Décès maître de conférence à l’université denis.quenelle@hotmail.fr
de Paris VIII-Vincennes, Christophe, Valentine, Lilas
Chantal Abramson, Et l’ensemble de sa famille, « Science Ouverte pour la Santé »
fondateur de l’association AIDES, Charles-Antoine et Pierre-Guy de
son épouse, L’accès du personnel médical
chevalier de la Légion d’honneur. Reimpré,
LES DIEUX GRECS ET ROMAINS
Ses fils et ses petits-enfants, ses fils, ont la tristesse de faire part du décès et des chercheurs aux publications
Sa famille, Nathalie Bacholle, scientifiques.
Une cérémonie aura lieu le de
sa compagne, Un Colloque au Palais
ont la douleur d’annoncer le décès, vendredi 17 février 2023, à 10 h 30, en
survenu à Perpignan, le 9 février la mairie du 15e, à Paris (entrée 31, rue ont la tristesse de faire part du décès Solen ROY-PAGENAULT, du Luxembourg,
Hors-série 2023, dans sa soixante-dix-huitième Peclet), puis à 16 heures, au cimetière de scénariste. 15, rue de Vaugirard, Paris 6e,
année, de de Montillot (Vezelay). le vendredi 17 février 2023,
M. Thibaut de REIMPRÉ,
chevalier dans l’ordre « … Le tourbillon de la vie. » de 14 heures à 18 heures,
HORS-SÉRIE Pierre-Luc ABRAMSON, des Arts et des Lettres,
(Le Monde du 10 février). avec la participation de
professeur honoraire
à l’ université de Perpignan. Elle reposera au cimetière du Père- Mme le professeur
L’EAU & LES OCÉANS survenu au Mans,
Lachaise, Paris 20e. Dominique Le Guludec,
CARTES
Paris. le mardi 7 février 2023,
EN

Saint-Chély-d’Apcher (Lozère). Paris. à l’âge de soixante-treize ans. présidente de la HAS,

Sa famille Nous avons le chagrin de faire part Gérard Larcher,
Me Jeanne-Marie Ladouceur, Ses obsèques seront célébrées le
vendredi 17 février, à 10 h 30, en du décès de président du Sénat
son amie, a la grande tristesse de faire part du
Tous ses amis, l’église de Crannes-en-Champagne conclura la rencontre
décès de (Sarthe). Bernard SCHNEIDER, Inscriptions :
Toutes ses amies,
Le Mirail, annie.escot-ext@aphp.fr
ont la tristesse de faire part du décès Adrien FAINSILBER, 72540 Crannes-en-Champagne. survenu le 4 janvier 2023. www.aaa-aphp.fr
Hors-série de architecte et urbaniste,
Mme Monique BOURVEN, membre
de l’Académie d’architecture,
100 GRILLES
survenu le 8 février 2023, chevalier de la Légion d’honneur,
à l’âge de quatre-vingts ans. officier dans l’ordre
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 4
des Arts et des Lettres,
Les obsèques ont eu lieu le lundi
13 février, à 14 heures, à Saint-Chély- grand prix national
d’Apcher. de l’architecture,

L’inhumation aura lieu le jeudi survenu le 11 février 2023,

16 février, à 14 h 30, au cimetière
de Senantes (Eure-et-Loir). à son domicile,

P.F. Ladevie,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Le journal papier livré chez
Saint-Chély-d’Apcher,
vous et le numérique
Magazine N°4 Un hommage lui sera rendu
Tél. : 04 66 31 00 76.
ultérieurement.

Jean-Guillaume et Ellen Bouttier, famille.adrien.fainsilber@gmail.com

son fils et sa belle-fille,
Sarah, Charles et Elizabeth,
ses petits-enfants
et leurs familles,
Philippe Lacroix,
son époux,
169 € pour 6 mois
Jean-Marc Lacroix
ont la grande douleur de faire part
du décès de leur chère et Pierre Blanalt,
Anne-Juliette et Pierre-Yves Bessone,
Marie-France BOUTTIER, ses enfants,
née SAUVAGE, Apolline et Noémie Bessone,
le 30 mai 1923,
ses petites-filles,
Musée idéal la revue n° 4
épouse du
docteur Daniel BOUTTIER ont la tristesse d’annoncer le décès

Collection (1917-2007), de

partie le 22 décembre 2022, dans sa

centième année, au milieu des siens. Marie-Thérèse LACROIX,
P R É S E N T E
née SONRIER,
L’inhumation a eu lieu au cimetière dite Ma-Thé,
du Père-Lachaise, Paris 20e. professeure des Universités,
docteure ès sciences
Un service à sa mémoire sera célébré Abonnez-vous en ligne sur :
en l’église Saint-Germain-des-Prés, (mathématiques),
Paris 6e, le samedi 18 février, à 17 heures. promo.lemonde.fr/quotidien-numerique-6-mois
survenu le 8 février 2023, à Paris,
Mathilde et Léa Trichet, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
ses filles, BULLETIN D’ABONNEMENT 173EMQAD6M
Sa famille La cérémonie religieuse sera célébrée A compléter et à renvoyer à : Le Monde - Service Abonnements - A1100 - 62066 Arras Cedex 9
Et ses proches,
le jeudi 16 février, à 14 h 30, en l’église
Je m’abonne à l’offre Quotidien + numérique du Monde Nom :
ont la grande tristesse d’annoncer le Saint-Lambert-de-Vaugirard, 2, rue
pendant 6 mois pour 169€au lieu de 577,20€ (prix de vente au numéro). Prénom :
décès de Gerbert, Paris 15e.
 6 quotidiens + tous les suppléments + « M le magazine
Dès jeudi 16 février, Adresse :
Josiane BRIDOU, du Monde » + l’accès à tous les contenus numériques
le volume n° 4 professeur agrégée, L’inhumation aura lieu au cimetière Code postal :
sur le site et sur l’application + les archives du Monde
LA RÉVOLUTION FRANÇAISE diplômée de Sciences Po. parisien de Bagneux, dans la plus
depuis 1944 + Le Monde événements abonnés Localité :
stricte intimité.
La cérémonie a lieu ce mardi + L’application La Matinale + NOUVEAU les articles
Nos services 14 février 2023, à 15 h 30, au traduits en anglais + six hors-séries par an en version
E-mail :
*Sous réserve de la possibilité pour nos porteurs de servir votre adresse

crématorium du cimetière du Père- 12, rue Corbon, @

numérique.
Lachaise, Paris 20e. 75015 Paris. J’accepte de recevoir des offres du Monde OUI NON

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Infographie Delphine Papin en France métropolitaine. Conformément à la loi Informatique et Libertés du 06/01/1978 modifiée et au RGPD du 27/04/2016, vous disposez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement,
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Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
 Idées
26 |
Une mort solitaire :
est-ce le sens
que nous voulons
Mélanie Heard et donner à l’aide
Martine Lombard à mourir ?
Le « modèle » du suicide assisté sans
accompagnement semble s’imposer dans
le débat public. Or ce modèle constitue,
pour la responsable du pôle santé à Terra
Nova et la professeure émérite de droit,
la négation d’un de nos principes
républicains fondamentaux : la fraternité
D
es patients adressent chaque
jour à leur entourage familial
et médical une demande :
parce que les souffrances de
leur maladie leur sont deve-
nues insupportables, ils veu-
lent être aidés à mourir, mourir plus vite
que le cours normal des choses, et mou-
rir plus vite que ce que permet actuelle-
ment la loi Claeys-Leonetti. Face à cette
demande, le débat actuel s’organise en
deux pôles opposant les valeurs d’« auto-
nomie » et de « solidarité ». Une « tension
éthique » que le Comité consultatif natio-
nal d’éthique (CCNE) tient pour la clé du
débat actuel (jusque dans le titre de son
dernier avis n°139 sur le sujet), en distin-
guant, « d’une part, la question de la li-
berté à déterminer soi-même son degré de
tolérance à la souffrance et les contours de
son destin personnel ; et, d’autre part, celle
de notre devoir de solidarité à l’égard des
personnes en fin de vie ».
Cette « tension » semble structurer le
débat public : d’un côté, ceux qui souhai-
tent une modification de la loi pour dépé-
naliser dans certains cas l’aide à mourir
seraient les tenants de la seule valeur
d’« autonomie », ou d’autodétermination
du patient ; à l’inverse, ceux qui veulent
un renforcement des soins palliatifs sans
faire évoluer le cadre légal actuel présen-
tent leur refus d’entendre les demandes
d’aide à mourir des patients endurant des
souffrances réfractaires comme une
preuve de leur fidélité à la valeur de « soli-
darité ». Et aussi à une certaine concep-
tion de la « fraternité » dont il est rappelé,
notamment dans la Lettre pastorale des
évêques de France du 9 novembre 2022,
qu’elle serait « brisée » par le choix du ma-
lade d’être aidé à mourir.
Cette partition des valeurs en deux
camps opposés repose sur des équiva-
lences trop rapides, qui brouillent le lexi-
que du débat et noient les enjeux cru-
Arguer qu’il convient
de mettre le malade
face à sa décision
d’ingérer ou non
le produit létal, c’est
escamoter son agonie,
la dérober à toute
sympathie humaine
ciaux. Elle nuit à la qualité du débat pu-
blic et à la délibération collective, organi-
sée aujourd’hui dans le cadre de la Con-
vention citoyenne sur la fin de vie, et de-
main, le cas échéant, dans le cadre de la
préparation d’une évolution législative
au Parlement. En réalité, les argumentai-
res qui s’opposent ne peuvent, ni les uns
ni les autres, revendiquer le monopole
des valeurs en présence. Aider à mourir
ceux qui demandent à en finir avec leurs
souffrances, ce n’est pas s’opposer au
renforcement des soins palliatifs, et ce
n’est pas non plus faire prévaloir le droit
à l’autodétermination sur toute autre
considération ; c’est mettre en avant des
valeurs de respect, d’écoute, d’aide, d’ac-
compagnement.
Aide et compréhension humaines
A supposer admis le principe d’une aide
active à mourir, l’enjeu n’est pas tant de
traiter une tension (supposée) entre auto-
nomie et solidarité que de rechercher des
modalités d’aide à mourir qui puissent
répondre à notre conception républi-
caine de la fraternité. Dans une décision
de 2018, le Conseil constitutionnel l’a en-
tendue comme la « liberté d’aider autrui
dans un but humanitaire ». Citons aussi
l’éminent juriste Guy Canivet définissant
la fraternité, dans un article qui préparait
sa consécration comme principe ayant
une valeur constitutionnelle, « dans sa di-
mension altruiste, comme l’aptitude à re-
connaître et accepter l’autre ».
Quel modèle pouvons-nous concevoir,
qui assure aux patients cette aide et cette
compréhension humaines qui sont au
cœur de notre devise républicaine ?
C’est en observant ce qui se passe dans
les pays qui autorisent l’aide active à
mourir que nous pouvons en juger. La
plupart de ces pays autorisent tant
l’autoadministration d’un produit létal
(appelée « suicide assisté ») que l’admi-
nistration du produit par un soignant
(appelée aussi « euthanasie »). C’est le
cas, par ordre chronologique, des Pays-
Bas, de la Belgique, du Luxembourg, du
Canada, de la Nouvelle-Zélande, de tous
les Etats australiens et de l’Espagne : le
patient qui le demande reçoit un produit
létal pour accélérer son décès, qu’il peut
soit s’administrer lui-même, soit, s’il
n’en est physiquement pas capable ou ne
le souhaite pas, se voir administré par
un tiers. D’autres pays, comme la Suisse,
l’Autriche et dix Etats américains ayant
imité l’Oregon, n’autorisent que l’auto-
administration du produit par le patient.
Dans tous les cas, celui-ci n’est accessible
au patient que parce qu’un médecin le
lui a prescrit, et les procédures en place
pour contrôler qu’il s’agit bien d’une vo-
lonté du patient sont robustes.
Contrairement à la Suisse, où un tissu
associatif accompagne ceux qui deman-
dent un suicide assisté, l’Oregon ne pré-
voit aucun accompagnement. Lorsqu’un
patient est considéré comme éligible au
suicide assisté, ce qui suppose qu’il n’ait
plus qu’une espérance de vie de moins
de six mois, il peut recevoir une prescrip-
tion de produit létal : libre à lui de l’utili-
ser ou non. Du moins s’il en est encore
physiquement capable. Dans plus de la
moitié des cas, selon les statistiques de
l’administration de la santé de l’Oregon,
le patient ingère le produit alors même
que n’est prévu aucun encadrement mé-
dical ou associatif.
Mourir seul : est-ce là le sens que nous
voulons donner à l’aide à mourir ? Même
les Etats du Pacifique qui se sont inspirés
du modèle américain ont refusé l’ab-
sence de toute assistance au malade
après prescription du produit létal.
L’Australie prévoit une possibilité d’ad-
ministration par un médecin si le ma-
lade ne peut plus y procéder. La Nouvel-
le-Zélande laisse le choix aux patients
entre autoadministration du produit ou
administration par un médecin. Dans
les deux cas, il est prescrit qu’un méde-
cin doit être présent aux côtés du patient
jusqu’à sa mort.
En France, c’est pourtant le « modèle de
l’Oregon » qui tient aujourd’hui le devant
de la scène dans le débat public : dans
son avis 139, c’est à ce modèle de suicide
assisté que le CCNE ouvre la porte, no-
tant qu’il a pour intérêt à la fois de res-
treindre les conditions d’éligibilité (pro-
nostic vital engagé à moyen terme) et de
limiter l’implication du médecin, qui
prescrit mais sans administrer. Une
autre vertu de ce modèle est mise en
avant : en confrontant le patient à la déci-
sion, seul face à lui-même, d’ingérer ou
non le produit, il constituerait le
meilleur filtre pour éviter que des pa-
tients se trouvent embarqués dans une
demande qu’ils n’auraient pas vraiment
voulue. « Cette démarche permettrait l’ac-
cès à un produit létal que la personne
pourrait alors se procurer (ou non) et
qu’elle pourrait s’administrer (ou non).
Ces aléas de la décision ou de la non-déci-
sion apparaissent dans les expériences
étrangères d’assistance au suicide. Cel-
les-ci montrent que la seule faculté de
pouvoir accéder légalement à un tel pro-
duit exerce parfois un effet apaisant et
qu’une proportion importante de person-
nes qui se sont procuré le produit renonce
en définitive à se l’administrer. »
Et devant la Convention citoyenne sur
la fin de vie, le rapporteur de cet avis, Ré-
gis Aubry, a souligné combien il importe
selon lui de pouvoir, comme dans l’Ore-
gon, ne pas confondre demandes de
mourir, qui peuvent être changeantes, et
véritable volonté en ce sens : les très
nombreux malades orégonais qui
auraient reçu la prescription sans ingérer
le produit témoigneraient d’un libre
« choix » fait par nombre de patients de
renoncer à vouloir mourir.
En somme, si l’on devait modifier le
­cadre légal en France, c’est donc le mo-
dèle orégonais qui semblerait s’imposer
pour nous guider. Cet argumentaire
pose en réalité plusieurs problèmes cru-
ciaux. D’abord, les données de l’Oregon
sont plus nuancées : parce que, précisé-
ment, c’est un modèle individualiste qui
laisse le patient seul face à lui-même,
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023
Contrairement à la Suisse,
où un tissu associatif
accompagne ceux qui demandent
un suicide assisté, l’Oregon ne
prévoit aucun accompagnement
l’administration ignore en réalité sou-
vent si le patient a ou non ingéré le pro-
duit. En 2021, sur les 383 patients qui ont
reçu une prescription, on sait que 219
(57 %) ont ingéré le produit et que 58
(15 %) ne l’ont pas fait, mais surtout on
ignore s’ils l’ont fait ou non pour 106
d’entre eux. Difficile donc d’inférer de
ces données que le modèle orégonais
aurait pour vertu particulière d’illustrer
que les demandes des patients sont
changeantes et qu’il importe de les pro-
téger d’eux-mêmes.
Au plus difficile moment de la vie
Par ailleurs, il faut regarder en face la
­réalité des pratiques et des conditions du
décès dans un tel modèle. Abandonné à
sa décision, une fois muni de son
­produit létal, le malade fera face à une
mort qui peut être lente et solitaire :
dans l’Oregon, entre 2001 et 2021, les
1 138 patients dont on connaît précisé-
ment les conditions du décès (pour un
total de 2 089 patients morts dans ce ca-
dre en vingt ans) ont fait face à une du-
rée moyenne d’agonie de plus de deux
heures (entre une minute et cent
­quatre heures). Plus de la moitié des pa-
tients morts (54,7 %) le sont sans aucun
accompagnement, ni médical ni associa-
tif.
Il serait paradoxal de promouvoir en
France une aide à mourir qui s’arrêterait
ainsi aux portes de la mort. Arguer qu’il
convient de mettre le malade face à sa
décision d’ingérer ou non le produit
­létal, c’est aussi escamoter son agonie, la
dérober à notre présence et à toute sym-
pathie humaine. Cette mort solitaire,
c’est peut-être la liberté, certes, mais
sans la fraternité, au plus difficile mo-
ment de la vie. Voilà bien le modèle le
plus individualiste et le moins respec-
tueux de l’idée d’accompagnement, du
principe de non-abandon du malade, du
respect humain et du soin d’autrui.
Un modèle qui va à l’encontre de la fra-
ternité dont notre pays a fait un prin-
cipe constitutionnel au cœur de sa de-
vise républicaine. p
Mélanie Heard est docteure
en science politique, membre
du comité exécutif de la chaire Santé
de Sciences Po et responsable
du pôle santé à Terra Nova ;
Martine Lombard est ­professeure
émérite de droit public
de l’université Paris-Panthéon-Assas,
autrice de « L’Ultime demande »
(Liana Levi, 2022)
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023 Idées | 27

Si elle inscrivait vraiment une garantie du droit à l’IVG

dans sa Constitution, la France ferait œuvre pionnière
Le Sénat a transformé la garantie du droit à la Constitution de garantir le droit des
femmes à interrompre la grossesse, c’est
l’avortement dans la Constitution en « liberté » de bien une logique de non-régression par
recourir à l’IVG. Pour Nathalie Bajos, sociologue, rapport à l’existant qui est visée. La loi ne
pourrait revenir sur l’état actuel de la lé-
Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, et gislation ; elle pourrait le cas échéant li-
Stéphanie Hennette-Vauchez, juriste, ce changement béraliser encore le cadre existant, mais
pas, a priori, le durcir.
confine à la malhonnêteté intellectuelle Rien de tel avec la formule adoptée par
le Sénat, le 1er février ! Tant que la Consti-
loi constitutionnelle présentée par la sé-
natrice Mélanie Vogel (Europe Ecologie-
Les Verts) a été rejetée, en octobre, à
17 voix près. Celle adoptée à l’Assemblée
nationale, en novembre, ne le fut qu’au
prix d’une formule minimaliste faisant
référence à la seule interruption de gros-
sesse, sans évoquer la contraception. Et,
désormais, ce jeu de dupes… Difficile de
ne pas entendre là l’écho de Simone de
Fragiliser le droit des femmes de choi-
sir d’avoir un enfant ou pas, comme les
juges américains l’ont décidé, c’est met-
tre en péril leurs droits fondamentaux à
la liberté et à l’égalité. La protection cons-
titutionnelle du droit à l’avortement dé-
passe de beaucoup la « liberté de la
femme » de recourir à l’IVG. Elle garantit
aux femmes leur statut de sujets de
droits au sein d’une société véritable-

C
ommentateurs et chroniqueurs
croient avoir identifié dans une
substitution de termes le « génie »
de l’amendement présenté par le
sénateur de la Manche Philippe Bas (Les
Républicains) ayant permis le vote de la
chambre haute pour inscrire le droit à
l’interruption volontaire de grossesse
(IVG) dans la Constitution. Alors que le
texte adopté par l’Assemblée nationale
en novembre chargeait la loi de « garan-
tir le droit fondamental à l’interruption
volontaire de grossesse », celui du Sénat
dispose qu’elle doit « déterminer les con-
ditions dans lesquelles s’exerce la liberté
de la femme de mettre fin à sa grossesse ».
Bien sûr, on peut distinguer les deux
concepts de droit et liberté, mais, du
point de vue des protections et garanties
juridiques, la distinction importe peu. Il
y a des droits très mal protégés et des li-
bertés bien mieux protégées.
Ce qui est ici juridiquement détermi-
nant, c’est le fait que, dans la version ini-
tiale, la loi « garantissait » le droit à l’IVG,
tandis que, désormais, elle ne fait que
« déterminer » les conditions dans les-
quelles s’exerce la liberté correspon-
dante. Ici, ce n’est rien de moins qu’une
arnaque à la liberté qui opère. Car inscrire
dans la Constitution le fait que le législa-
teur est compétent pour « déterminer les
conditions » dans lesquelles s’exerce l’IVG
(droit ou liberté, peu importe ici) ne sert à
rien. D’ailleurs, la Constitution actuelle
ne le dit pas, et cela n’a pas empêché le lé-
gislateur d’intervenir pour modifier le ca-
dre légal de l’IVG à de multiples reprises.
Surtout, une telle opération confine à la
malhonnêteté intellectuelle au regard du
projet global de constitutionnalisation
du droit à l’avortement.
Jeu de dupes
L’origine immédiate de ce projet, c’est
l’arrêt Dobbs de juin 2022 par lequel la
Cour suprême des Etats-Unis est revenue
sur le fait que la Constitution fédérale
protégeait, depuis 1973, le droit des fem-
mes à interrompre leur grossesse. Face à
ce recul historique, un large spectre de
personnalités féministes, scientifiques,
politiques et d’artistes se sont déclarées
favorables à sa constitutionnalisation en
France, afin qu’il soit, autant que possi-
ble, mis à l’abri de menaces et de reculs
futurs. L’idée était de concevoir une
clause de non-régression qui, sans aller
plus loin que le droit existant, le consoli-
derait dans un texte moins susceptible
d’être modifié et remis en cause au gré
des vicissitudes politiques. D’où l’impor-
tance du verbe choisi pour qualifier le
rôle du législateur ! S’il lui est enjoint par
tution ne renvoie qu’à une compétence
du législateur pour « déterminer » les con-
ditions de l’IVG, aucune garantie substan-
tielle ne s’ensuit. Une loi qui viendrait ré-
duire drastiquement les délais de recours
à l’interruption volontaire de grossesse,
voire l’interdire, serait, formellement,
une loi remplissant sa fonction constitu-
tionnelle de « détermination » des condi-
tions de l’IVG. Arnaque à la liberté, donc.
Que de difficultés pour faire advenir la
constitutionnalisation du droit à l’IVG,
qui recueille pourtant un consensus
très large ! La première proposition de
Il s’agirait d’éviter
une interminable
navette entre
les deux chambres
qui risque
de continuer
à vider le texte
de sa substance
Beauvoir : si l’idée de cette libération
rencontre, aujourd’hui comme hier, une
telle résistance, c’est qu’il y a « une rai-
son, une seule, mais qui pèse lourd : la loi
sur l’avortement est une pièce essentielle
du système que la société a mis en place
pour opprimer les femmes » (Préface, in
Avortement. Une loi en procès, Galli-
mard, 1973, p. 12).
Revenir à l’ambition initiale
Tout cela tranche tristement avec l’im-
portance de l’enjeu. Car, si elle inscrivait
vraiment une garantie du droit à l’IVG
dans sa Constitution, la France ferait
œuvre pionnière et ouvrirait la voie à
une reconnaissance de l’importance des
questions sexuelles et reproductives
pour l’existence même (et la perpétua-
tion) de nos communautés politiques. La
conquête des droits reproductifs n’a pas
seulement permis aux femmes de déci-
der si elles voulaient ou non, et quand,
être mère, elle leur a aussi permis de de-
venir des individus de droits, au même
titre que les hommes, et d’entrer enfin
dans la modernité démocratique. Com-
ment, en effet, considérer que les fem-
mes soient aussi libres et égales que les
hommes quand elles risquaient de mou-
rir des suites d’un avortement pratiqué
dans l’illégalité et qu’elles n’étaient pas
maîtresses de leur vie féconde ?
ment égalitaire.
Pour toutes ces raisons, la dynamique
de constitutionnalisation doit aboutir, ce
que seul un projet de loi constitution-
nelle porté par le pouvoir exécutif reve-
nant à l’ambition initiale (protéger et ga-
rantir l’accès à l’IVG) permettrait de faire.
Il s’agirait d’abord d’éviter une intermi-
nable navette entre les deux chambres
qui risque de continuer à vider le texte de
sa substance. Cela permettrait ensuite de
soumettre l’adoption de la révision cons-
titutionnelle au Congrès et d’éviter ainsi
la voie référendaire, dont on connaît les
risques d’instrumentalisation politique.
En garantissant pour la première fois
au monde le droit à l’IVG dans sa Consti-
tution, la France serait alors un modèle
démocratique en matière de protection
des droits reproductifs. p
Nathalie Bajos est sociologue et
directrice de recherche Inserm, EHESS ;
Camille Froidevaux-Metterie est
philosophe et professeure de science
politique à l’université de Reims ;
Stéphanie Hennette-Vauchez
est juriste et professeure à l’université
Paris-Nanterre

Jean-Philippe Plançon Don de sang, don de plasma : arrêtons de

faire payer aux malades le prix d’un système à bout de souffle !
Alors qu’en France le don de sang repose sur le bénévolat et l’absence de profit, d’autres pays européens accordent une compensation
« compatible avec le caractère éthique du don », explique le président de l’Association française contre les neuropathies périphériques

D
es milliers de patients
français atteints de mala-
dies rares qui nécessitent
un recours aux médica-
ments dérivés du plasma (MDP)
issus de dons sont pénalisés par
l’organisation de notre système
de collecte, générateur de pénu-
ries. Si d’autres pays européens
ont pris des mesures efficaces
pour augmenter les volumes de
plasma collectés, en France,
nous avons fait le choix de gérer
ces pénuries, démontrant ainsi
notre incapacité à interroger en
profondeur un système dont les
fondements datent de la se-
conde guerre mondiale.
A ce jour, aucun traitement, ni
médicament de synthèse, ne peut
remplacer le plasma sanguin.
Pour les personnes atteintes de
maladies neurologiques, dysim-
munitaires, hématologiques, mé-
taboliques ou génétiques, l’inca-
pacité chronique de notre « filière
plasma » à s’adapter aux besoins
des malades a pour conséquence
une prise en charge thérapeuti-
que génératrice de perte de chan-
ces pour les malades.
Ainsi, faute d’un accès suffi-
sant aux MDP, le corps médical
est conduit malgré lui à franchir
une ligne rouge en matière
d’éthique, en sélectionnant les
patients qui seront traités et
ceux qui ne le seront pas. Pire,
on voit resurgir la prescription
de molécules dans le seul but de
limiter la consommation de
MDP, ayant pour conséquences
des effets indésirables graves.
Nous ne pouvons plus rester
immobiles face aux vies dégra-
dées, aux espoirs brisés, aux fa-
milles découragées par une situa-
tion inique pour les malades et
intolérable pour les soignants.
C’est un fait, les volumes de
plasma actuellement collectés
dans notre pays ne permettent
pas de couvrir les besoins réels.
L’autosuffisance française en
MDP doit donc être redéfinie (car
elle est utopique en l’état) et in-
clure l’ensemble des acteurs qui
œuvrent dans ce secteur.
Changer notre modèle en pro-
fondeur est une nécessité si nous
voulons cesser de bafouer le prin-
cipe constitutionnel de l’égal ac-
cès aux soins sur l’autel de
l’« éthique ». En France, le don de
sang repose sur les principes
d’anonymat, de bénévolat, de vo-
lontariat et d’absence de profit. Il
est ainsi défini comme « éthi-
que » ; personne ne remet cela en
question. Toutefois, l’application
restrictive des principes d’incita-
tion au don, spécifique à la
France, limite le nombre de don-
neurs et, mécaniquement, prive
les malades de traitements. Le
ministre de la santé et de la pré-
vention a lui-même lancé un ap-
pel aux dons et fait part de ses in-
quiétudes, le 5 janvier dernier.
Les chiffres sont éloquents.
L’Hexagone compte près de
67 millions d’habitants et, selon
l’Etablissement français du sang
(EFS), seulement 0,2 % des ci-
toyens réalisent au moins un don
de plasma par an. Alors que
29,3 % des donneurs sont âgés de
45 à 55 ans, les jeunes entre 18 et
35 ans sont ceux qui donnent le
moins, témoignant ainsi de leur
désintérêt pour le don de plasma.
Compte tenu des volumes de
plasma sanguin nécessaires, il est
Compte tenu
des volumes de
plasma sanguin
nécessaires, il est
indispensable
d’adapter, de
toute urgence,
notre système
de collecte
donc indispensable d’adapter, de
toute urgence, notre système de
collecte, et cela passe par une
nouvelle définition des mesures
d’incitation au don, comme le
font certains de nos voisins.
Nous ne pouvons plus accepter
que les malades supportent les
conséquences d’un accès au
sang et au plasma structurelle-
ment dysfonctionnel en France !
Examinons d’autres systèmes de
collecte et agissons.
Incitation financière
Au sein de l’Union européenne,
quatre pays collectent à eux seuls
près de 45 % du plasma européen
total : l’Allemagne, l’Autriche, la
République tchèque et la Hon-
grie. Ces Etats octroient une com-
pensation compatible avec le
­caractère éthique du don (volon-
taire et non rémunéré). Ainsi, en
Allemagne ou en Autriche
coexistent des prélèvements
compensés et non compensés
(essentiellement pour le plasma).
Grâce à l’articulation efficace
d’acteurs publics et privés, le sys-
tème de collecte a été opti-
misé. Dans ces pays, les
­donneurs peuvent par consé-
quent bénéficier d’une incitation
financière modérée, au mini-
mum compatible avec la notion
de neutralité financière (ce qui
n’est pas le cas chez nous).
La conséquence est que près
d’un tiers des adultes sont des
donneurs de sang et/ou de
plasma réguliers, contre 3,6 % en
France, selon l’EFS. En République
tchèque, pays de quelque 11 mil-
lions d’habitants, 400 000 litres
de plasma sont collectés, c’est-à-
dire trois fois plus que chez nous,
en proportion de la population.
L’incitation financière n’est évi-
demment pas le seul levier sur
­lequel nous pouvons agir pour
motiver les Français à donner. Par
exemple, en Italie, une journée de
vacances est octroyée par l’em-
ployeur au donneur. En Rouma-
nie, des bons d’achat modérés
sont offerts ; en Pologne, des
avantages fiscaux sont proposés.
Même un pays comme l’Australie,
qui disposait jusqu’ici d’un sys-
tème de collecte robuste, a lancé,
fin 2022, un programme de
­cadeaux (Lifeblood) avec la Croix-
Rouge australienne pour stimu-
ler les dons et recruter de
­nouveaux donneurs.
Gardons-nous des dogmes, ces-
sons cet immobilisme et tour-
nons-nous vers l’avenir ! Prenons
le pouls des générations et des
évolutions de notre société, cons-
truisons des modalités d’action
qui fassent écho à leurs aspira-
tions pour les inciter à donner.
Nous le savons, la solidarité et le
sens de l’intérêt général sont des
valeurs essentielles, mais elles ne
sont (hélas) que quelques-unes
des motivations mobilisées pour
donner son sang et son plasma.
Intégrons-le et posons cela
comme un nouveau paradigme
de la transformation de notre
système de collecte.
Nous avons donc le devoir d’in-
terroger le modèle français pour
rénover profondément notre « fi-
lière plasma », première étape
d’une transformation vers un
système résilient et durable,
­capable enfin de répondre de ma-
nière éthique et sans réserve,
aujourd’hui comme demain, aux
besoins des malades. p
Jean-Philippe Plançon est
président fondateur de l’Asso-
ciation française contre les
neuropathies périphériques.
­Vice-président de l’Alliance ma-
ladies rares et du conseil d’ad-
ministration de l’Agence
­nationale de sécurité du médi-
cament et des produits de
santé, il préside, au niveau
européen, l’ONG European Pa-
tient Organisation for Dysim-
mune and Inflammatory Neu-
ropathies, qu’il a cofondée
 0123
28 | Idées ­
­Mercredi 15­ février 2023

En Allemagne, les travailleurs immigrés sont les bienvenus

Analyse Entre Paris et Berlin, les différences sont
toutefois aussi importantes que les conver-
remplissent certaines conditions, notam-
ment la maîtrise de l’allemand.
Politiquement, le signal envoyé par Berlin
n’en est pas moins très fort. Dans une Europe

E
n matière de politique migratoire,
l’Allemagne se singularise de plus en
plus du reste de l’Union européenne
(UE). Les propos tenus par Olaf
Scholz, vendredi 10 février à Bruxelles, l’ont
confirmé. A l’issue d’un sommet où les
Vingt-Sept se sont mis d’accord pour renfor-
cer les frontières extérieures de l’UE, le chan-
celier allemand a certes réaffirmé sa déter-
Quand mination à lutter contre l’immigration illé-
les membres gale, mais il a rappelé que la politique migra-
toire de l’UE ne saurait se réduire à ce seul
du gouvernement objectif : « Presque tous les pays européens
ont un grand besoin de main-d’œuvre quali-
Scholz parlent fiée, et l’immigration légale est nécessaire
pour que nous ayons à l’avenir suffisamment
d’immigration, de travailleurs qui cotisent pour nos retraites
c’est et contribuent au fonctionnement de notre
économie », a-t-il insisté.
principalement Au sein de l’UE, l’Allemagne n’est pas la
seule à défendre une telle ligne. En France, le
sous un angle projet de loi sur l’immigration, présenté le
positif 1er février en conseil des ministres, concilie
lui aussi fermeté et ouverture : d’un côté en
renforçant les possibilités d’expulsion, en
particulier des étrangers délinquants, de
l’autre en facilitant la régularisation de tra-
vailleurs sans papiers occupant des « métiers
en tension ». Concernant l’immigration de
travail, le texte prévoit également la création
d’une carte de séjour « talent » destinée à fa-
ciliter la venue de médecins, pharmaciens,
dentistes et sages-femmes étrangers.
gences. Il est ainsi frappant de constater à
quel point le volet répressif est peu mis en
avant outre-Rhin par le gouvernement.
Quand les ministres allemands parlent d’im-
migration, c’est principalement sous un an-
gle positif, comme une solution aux besoins
impérieux de main-d’œuvre du pays. Selon
l’Agence fédérale pour l’emploi, celui-ci
aurait besoin de 400 000 immigrés par an,
d’ici à 2030, pour maintenir sa force de tra-
vail à son niveau actuel.
Afin de répondre à ce défi, la coalition d’Olaf
Scholz n’a pas chômé. Depuis son arrivée au
pouvoir, en décembre 2021, plusieurs chan-
tiers ont été ouverts. Le premier concerne les
étrangers bénéficiaires d’une Duldung (« tolé-
rance »), un statut qui permet à des person-
nes sans titre de séjour de rester en Allema-
gne sans risquer de se faire expulser, soit
parce qu’elles seraient en danger dans leur
pays d’origine, soit parce qu’elles n’ont pas de
pièce d’identité, soit parce que leur santé est
trop fragile, soit parce qu’elles suivent une
formation professionnelle.
A ces étrangers « tolérés » – pour la plupart
des demandeurs d’asile déboutés –, le gou-
vernement veut donner de meilleures
­perspectives de régularisation. Destiné à
ceux qui bénéficient d’une Duldung depuis
plus de cinq ans, le texte du gouvernement
Scholz prévoit de leur accorder un titre de
­séjour probatoire d’une année, à l’issue de
­laquelle celui-ci pourra être prolongé s’ils
Le deuxième chantier vise à faciliter les
conditions d’accès au marché du travail.
Pour cela, le gouvernement veut simplifier la
reconnaissance des diplômes étrangers et
instaurer un système à points, inspiré du
modèle canadien, permettant aux candidats
à l’immigration aux compétences convoi-
tées de chercher du travail en Allemagne.
Le troisième chantier, enfin, concerne le
droit d’accès à la nationalité. Dans ce do-
maine, le gouvernement veut réduire de huit
à cinq ans (comme en France) le délai au-delà
duquel des étrangers résidant légalement en
Allemagne pourront être naturalisés. Par
ailleurs, il prévoit de ne plus limiter aux seuls
citoyens de l’Union européenne la possibi-
lité de la double nationalité. Débattue depuis
plus de vingt ans, cette réforme suscite l’ire
des conservateurs, qui étaient parvenus à la
repousser du temps où Angela Merkel était
chancelière (2005-2021).
Démographie déclinante
En assouplissant les conditions d’obtention
de la nationalité allemande, le gouvernement
d’Olaf Scholz rattrape davantage un retard
qu’il n’opère une révolution. Avec environ
100 000 naturalisations par an, soit environ
1 % des étrangers résidant sur son territoire,
l’Allemagne fait partie des dix pays de l’UE
dont le taux est le plus bas. Avant qu’elle ne
rejoigne la tête du classement, il reste donc
beaucoup de chemin à parcourir.
où, de Stockholm à Rome en passant par Co-
penhague, Vienne ou Amsterdam, la priorité
affichée est celle de la réduction des flux mi-
gratoires et du contrôle des frontières, le gou-
vernement fait entendre une voix singulière.
Motivée par les besoins en main-d’œuvre
d’un pays qui ne peut pas compter sur sa dé-
mographie déclinante pour maintenir sa
force de travail, cette politique s’articule sur
une vision de l’Allemagne qui dépasse les en-
jeux économiques. Une vision qu’Olaf Scholz
a exposée dans le seul livre qu’il a publié,
Hoff­nungsland (« terre d’espoir », Hoffmann
und Campe, 2017, non traduit).
Dans cet essai de près de trois cents pages,
écrit au lendemain de la crise migratoire de
2015-2016 – pendant laquelle l’Allemagne
s’était déjà distinguée de la plupart de ses voi-
sins en accueillant plus d’un million de réfu-
giés venus du Proche-Orient en guerre –, ce-
lui qui était alors maire de Hambourg écrivait
notamment ceci : « L’Allemagne est devenue
une terre d’espoir pour beaucoup de personnes
à travers le monde, à l’instar des Etats-Unis. (…)
Dans un de ses ouvrages, Barack Obama, alors
jeune sénateur, parlait de l’audace d’espérer.
Parmi ceux qui sont venus chez nous, beau-
coup ont apporté cette audace. C’est là un as-
pect important de l’immigration. La chance
et la volonté de sortir de la misère sociale sont
de puissants stimulants, dont le pays tout
­entier peut tirer profit. » p
Thomas Wieder (Berlin, correspondant)

Chronique | par Éric Albert L’art de concilier combat et politique

La BCE et la mémoire Livre
de la Shoah à ses côtés
J ean Lopez et Benoist Bihan
s’adressent directement aux
passionnés d’histoire mili-
taire. Né pendant le confine-
ment, leur ouvrage, qui s’articule
sérer et de concevoir le moyen de
mettre en phase la tactique et la
car les stratégistes américains
mettent trop l’accent sur la tacti-
stratégie. Et c’est là qu’intervient
l’art opératif. Autrement dit, si la
tactique s’occupe des batailles, et
si la stratégie se charge de gagner
la guerre, l’art opératif est cette
que (le combat et la technologie)
et pas assez sur la stratégie. Sur-
tout, ils oublient le cheminement
entre les deux : cet art opératif qui
permet « de faire véritablement

A côté du siège la Banque cen-

trale européenne (BCE),
dans un recoin que la plu-
part des visiteurs ne voient pas, se
trouve une discrète rampe qui mène
vers un sous-sol. Il faut s’arrêter, le-
ver la tête et prendre le temps de
s’imprégner de cette vue. Au premier
plan, la rampe en béton. A l’arrière,
l’immense tour de quarante et un
étages de l’institution monétaire qui
domine l’est de Francfort.
Le lieu est lourd de symboles.
­Entre 1941 et 1945, le sous-sol était
régulièrement loué par la Gestapo
pour y rassembler des juifs, avant de
les déporter vers les camps de la
mort. En quatre ans, une dizaine de
convois ont été organisés, transpor-
tant 10 500 personnes. Seulement
176 ont survécu.
Parmi les survivants se trouvait
Edith Erbrich. Le 14 février 1945, alors
qu’elle avait 7 ans, elle, son père et sa
sœur ont été regroupés avec des cen-
taines d’autres juifs allemands dans
ce sous-sol discret. Sa mère, qui
n’était pas juive, n’avait pas été autori-
sée à se joindre au reste de la famille.
L’endroit n’avait pas été choisi au ha-
sard par la Gestapo. Un marché de
gros se trouvait sur place, ce qui signi-
fiait d’excellentes infrastructures de
transport. Le train partait de là, lon-
geant la rivière Main. Celui de Mme Er-
brich s’est rendu au camp de concen-
tration de Theresienstadt, situé dans
l’actuelle République tchèque.
Parce que cette déportation était
tardive, seulement trois mois avant
la fin de la seconde guerre mondiale,
la petite fille a survécu, libérée avec
son père et sa sœur le 8 mai 1945. Dé-
sormais octogénaire, elle était de re-
tour dans cette cave le 27 janvier,
date du 78e anniversaire de la libéra-
tion d’Auschwitz, et Journée interna-
tionale dédiée à la mémoire des vic-
times de la Shoah.
Tout a été volontairement laissé en
l’état : la dalle de béton brut, les murs
nus, le plafond bas. Comment imagi-
ner qu’un millier de personnes
La Banque centrale
européenne est l’un
des aboutissements
les plus concrets
du projet européen
étaient agglutinées à chaque dépor-
tation dans un lieu si petit ? Il n’y
avait ni toilettes, ni eau, ni nourri-
ture. Il fallait pourtant patienter sou-
vent plus de vingt-quatre heures
autour d’échanges épistolaires en-
tre les deux compères – le premier
est directeur de la rédaction Guer-
res & Histoire et du mook De la
guerre, le second est rédacteur en
discipline – équivalente à l’art
martial – qui permet de mettre en
phase les deux champs. Pour être
plus clair, si la tactique, c’est le
cheval, et la stratégie, le cavalier,
avancer la stratégie et donc les
buts politiques de la guerre », pré-
cise Jean Lopez.
Avant le début de la guerre, par
exemple, si l’agresseur n’utilise
avant le départ fatidique. Ordre avait chef du magazine Space Interna- l’art opératif renvoie aux rênes, pas l’art opératif en amont du dé-
été donné de n’apporter que le strict tional –, se penche en 356 ques- aux étriers et aux éperons. L’art clenchement des hostilités, il ris-
nécessaire, si bien que les déportés Conduire tions-réponses sur l’art opératif opératif revient donc à l’art de que de se compliquer la tâche.
accumulaient les couches de vête- la guerre. dans la guerre. synchroniser le combat et la poli- Ce livre, qui tombe à pic pour
ments, même en plein été, pour Dialogues sur De quoi s’agit-il au juste ? tique. Et c’est ce qui a fait défaut ceux qui veulent appliquer les le-
transporter de quoi se changer. Dé- l’art opératif D’après ces deux historiens, ce du côté occidental en Afghanistan çons des coauteurs sur la guerre
tail sordide, ils devaient payer eux- de Benoist Bihan et sont les Soviétiques qui sont à comme en Irak. en Ukraine, démontre tout le
mêmes ce voyage sans retour, Jean Lopez, Perrin, l’origine de cette notion militaire, ­décalage qui existe entre les pré-
50 reichsmarks par personne. 400 p., 22,90 € en particulier Alexandre Svet- Leçon pour la guerre en Ukraine ceptes de l’art opératif et les
chine (1878-1938), un officier russe Car l’art opératif est en fait une plans d’invasion de l’Ukraine,
Juxtaposition poignante rallié à l’Armée rouge. Ce général discipline qui n’a pas réussi à comme si l’état-major russe avait
Bien sûr, l’emplacement de la BCE d’artillerie veut tenter de prolon- s’imposer dans le débat stratégi- oublié de s’inspirer des préceptes
sur ce lieu de mémoire n’est qu’une ger les travaux du Prussien Carl que occidental. Outre-Atlantique, de Svetchine. Autre hypothèse
coïncidence. La tour n’a d’ailleurs été von Clausewitz sur la théorisation les stratégistes parlent bien plus probable : les buts politiques
ouverte qu’en 2014 et le précédent de la guerre. Que propose-t-il ? d’« Operationnal Level of War », et assignés par Vladimir Poutine
siège de l’institution se situait au D’abord de découpler la tactique ont tenté de greffer les préceptes à ses généraux étaient inat­-
cœur du quartier d’affaires de Franc- de la stratégie, préalable classique svetchiniens dans la pensée mili- teignables car ils étaient fondés
fort. Mais la juxtaposition des dans les warstudies (études de la taire américaine, notamment sur des présupposés et de faus-
deux n’en est pas moins poignante. guerre et des conflits) mais sou- après la débâcle au Vietnam. ses informations. p
La Banque centrale est l’un des abou- vent oublié en Occident. Puis d’in- Mais, en réalité, ils en sont loin, Gaïdz Minassian
tissements les plus concrets du pro-
jet européen. Qui aurait pu croire il y
a huit décennies que vingt pays
européens partageraient la même
monnaie ? Qu’une institution cen-
tralisée aurait le pouvoir de fixer la
80 % des insectes disparus | Par Serguei
politique monétaire pour toute la
zone ? Que ses vingt-six gouver-
neurs, venant de tous les pays, se-
raient divisés seulement par la
­direction des taux d’intérêt ?
« Cela ajoute de l’émotion et de la
­pertinence à la mission de la BCE »,
soulignait, le 27 janvier, Christine
­Lagarde, sa présidente.
Il y a de très nombreuses raisons de
critiquer la monnaie unique. La dé-
sastreuse crise des années 2010-2015
aurait dû être évitée, ou au moins li-
mitée. Le sort réservé à la Grèce a été
bien plus dur que nécessaire. La cons-
truction de l’union monétaire reste
déséquilibrée, avec une monnaie
commune mais pas de budget com-
mun. Reste que, à la lumière de l’his-
toire, l’existence même de l’euro
­demeure sidérante.
A l’intérieur du bâtiment ultramo-
derne de la BCE, temple de béton,
d’acier et de verre, des citations de
grands leaders européens sont inscri-
tes sur les piliers pour rappeler que
l’institution n’a pas qu’une mission
technique. Ainsi celle de Robert
Schuman : « L’Europe ne se fera pas
d’un coup, ni dans une construction
d’ensemble : elle se fera par des réalisa-
tions concrètes créant d’abord une so-
lidarité de fait. » p
0123
­
­Mercredi 15­ février 2023 0123 | 29

France | chronique Journaliste

par Fr ançoi se Fr e ss oz
assassiné : avis
lisme est un métier dangereux et exposé Deux hauts responsables qui sont précisé-
de tempête sur
Les soubresauts le Cameroun
aux pressions, le scénario est un insuppor-
table message d’intimidation. Un crime
aux allures de scandale d’Etat qui, pour
ment deux figures de proue de l’un des
clans en lice pour le pouvoir, en rivalité
avec une autre faction, animée par le secré-
idéologiques de la droite l’ensemble du monde, doit susciter hor-
reur, colère et indignation.
Le meurtre précédé de tortures d’un jour-
taire général de la présidence, qui a été le
premier à annoncer les arrestations.
Tous les pays attachés à la démocratie doi-
naliste est un terrible signal de la décompo- vent peser pour exiger la vérité dans l’af-
sition d’un régime dont les institutions ré- faire Martinez Zogo et user de leur in-

C
haque conflit social gé-
nère ses fortes têtes. A
droite, l’homme qui fait
tourner en bourrique
ses camarades et par ricochet le
gouvernement s’appelle Aurélien
Pradié. Du haut de ses 36 ans, le
député du Lot, belle stature et re-
gard charbonneux, menace de ne
pas voter la réforme des retraites
laborieusement défendue par Eli-
sabeth Borne en concertation
avec le président du parti Les Ré-
publicains (LR), Eric Ciotti.
Le projet ressemble pourtant
trait pour trait à celui que la majo-
rité sénatoriale de droite défend
depuis quatre ans : report de l’âge
légal à 64 ans et augmentation de
la durée de cotisation à quarante-
trois ans dès 2027. Il a été en outre
enrichi à la demande d’Eric Ciotti.
Le président du parti LR peut se
targuer d’être, à ce jour, le seul à
avoir arraché quelques avancées
sociales à la première ministre à
propos de la re traite minimale,
des carrières longues ou de l’em-
ploi des seniors.
Mais à chaque nouvelle conces-
sion gouvernementale, le député
du Lot en réclame davantage au
risque de faire « dérailler la ré-
forme », comme le dénonce
Bruno Retailleau. Le président du
groupe LR au Sénat a brusque-
ment haussé le ton, dans Le Jour-
nal du dimanche du 12 février, en
Le temps où la
droite républicaine
réclamait d’une
seule voix la
retraite à 65 ans
apparaît révolu
sociale » qu’il prétend défendre,
c’est la ligne économique libérale
tour à tour incarnée par François
Fillon, puis Valérie Pécresse à
l’élection présidentielle : réduc-
tion des déficits, baisse des dé-
penses publiques et des impôts.
Eric Ciotti et Bruno Retailleau es-
timent que cette orientation fait
partie de l’ADN de LR. Lui la com-
bat frontalement.
« Cela fait dix ans que la droite
répète la même chose et qu’elle
perd les élections. Elle doit redeve-
nir populaire, elle doit reparler aux
catégories laborieuses », n’a cessé
de clamer le député du Lot durant
la campagne pour la présidence
du parti en se faisant fort d’ap-
porter « des solutions concrètes » à
ceux qui « ont l’impression de per-
dre leur dignité ». Une réponse di-
recte à la percée électorale des
élus RN dans les territoires isolés.
L’impopulaire réforme des re-
traites, qui touche particulière-
L a violence, le secret, le clanisme et la
prédation caractérisent depuis bien
longtemps l’emprise déliquescente de
Paul Biya, qui règne sur le Cameroun depuis
1982. Mais l’assassinat de Martinez Zogo,
journaliste de radio pourfendeur de la cor-
ruption instituée au sommet de l’Etat, par
son degré de sauvagerie et le moment où il
est survenu, peu avant le 90e anniversaire de
l’autocrate, lundi 13 février, montre que tout
va être permis, même le pire, dans l’impi-
toyable guerre ouverte pour sa succession.
Martinez Zogo, 51 ans, voix populaire
d’Amplitude FM, une radio où il dénonçait
quotidiennement le fonctionnement ma-
fieux des clans rivaux du régime, a été kid-
nappé le 17 janvier, à Yaoundé. Sa dépouille
atrocement mutilée a été retrouvée cinq
jours plus tard. Dans un pays où le journa-
publicaines masquent le fonctionnement
monarchique et où une justice aux ordres
sert à éliminer ambitieux et opposants. Une
menace aussi pour l’ensemble des droits et
des libertés civiques. A fortiori lorsque,
comme c’est le cas, cette mise à mort semble
avoir été exécutée par des agents de l’Etat.
Toutes les manipulations sont possibles,
mais l’arrestation de plusieurs respon­-
sables des services de renseignement et le
témoignage recueilli par Reporters sans
frontières présentant comme principal
commanditaire de l’assassinat l’homme
d’affaires Jean-Pierre Amougou-Belinga ac-
créditent la thèse d’un crime d’Etat s’inscri-
vant dans le contexte de la course pour la
succession de Paul Biya.
M. Amougou-Belinga, patron d’un
groupe de médias, dont les affaires repo-
sent sur ses réseaux d’influence en haut
lieu, a lui-même été interpellé, le 6 février.
Martinez Zogo l’accusait dans ses émis-
sions de profiter des largesses et de l’appui
des ministres des finances et de la justice.
fluence afin que ce crime abominable ne
reste pas impuni. L’élimination du journa-
liste confirme aussi que le Cameroun ris-
que de vivre une période troublée lorsque
disparaîtra celui qui, héritier du dictateur
Ahmadou Ahidjo (1960-1982), personnifie
la continuité d’un pouvoir directement né
de l’écrasement par la France de la révolte
en pays bamiléké, dans les années 1950.
Une guerre d’indépendance dont les bles-
sures continuent d’alimenter les tensions
ethniques qui s’ajoutent aux revendica-
tions séparatistes dans la province anglo-
phone (à l’ouest) et à la menace des djiha-
distes de Boko Haram (au nord).
Pour la France, Paul Biya est un allié à la
fois encombrant, précieux et dont l’inévita-
ble succession suscite de lourdes inquiétu-
des, dans un pays pivot d’Afrique centrale.
Entre accusations d’ingérence et rappels de
ses responsabilités, la ligne est étroite pour
Paris. Le calvaire de Martinez Zogo sonne
comme un avis de tempête sur un paysage
crépusculaire. p

UNE VIE, UNE ŒUVRE

sommant le frondeur de rentrer
dans le rang, faute de quoi il per-
drait son poste de numéro deux
du parti. « On attend de la droite
qu’elle comble les déficits, pas
qu’elle les creuse ! », s’est-il ex-
clamé. Un bureau politique,
mardi 14 février, au siège du parti
devait tenter de dénouer le psy-
ment ceux qui ont commencé à
travailler tôt, lui a permis de creu-
ser son sillon : pas touche à l’âge
légal de départ à la retraite et pla-
fonnement à quarante-trois ans
de la durée de cotisations pour
ceux qui ont commencé à tra-
vailler avant 21 ans et ce, quoi qu’il
en coûte.

chodrame qui ne se résume pas
qu’à une énième guerre des chefs.
Bille en tête
Colette
Au dernier congrès, la ligne Pra-
dié pesait 22,29 % des suffrages.
Pas de quoi impressionner ses
concurrents. Mais parce qu’elle

Le tourbillon
Servir de roue de secours au gou- touche le cœur des classes
vernement pour faciliter l’adop- moyennes, la réforme des retrai-

tion d’une réforme impopulaire
après avoir proclamé le refus de
toute alliance avec Emmanuel
Macron exposait forcément Eric
Ciotti à des turbulences internes.
En décembre 2022, Aurélien Pra-
dié était arrivé en troisième posi-
tion derrière Bruno Retailleau
lors du vote des adhérents pour la
présidence du parti.
Deux mois plus tard, il s’estime
suffisamment fort pour alimen-
ter une contestation interne pla-
cée sous le signe du renouveau gé-
nérationnel et de la fidélité au chi-
raquisme. Le fonctionnement très
particulier du groupe LR à l’As-
semblée nationale, composé de
61 rescapés qui estiment ne rien
devoir à personne, est propice à ce
genre d’aventure. La liberté de
vote y est la règle. C’est sur cette li-
berté que surfe l’ambitieux.
Neuf mois après le score désas-
treux de Valérie Pécresse à l’élec-
tion présidentielle (4,78 % des suf-
frages exprimés), la droite répu-
blicaine apparaît telle qu’elle est :
faible, divisée, sans leader, prise
en étau entre la majorité prési-
dentielle et le Rassemblement na-
tional (RN). Rien de nouveau, à
ceci près que les querelles de per-
sonnes s’accompagnent d’une
­offensive idéologique en règle.
Ce qu’Aurélien Pradié attaque
bille en tête au nom de « la droite
Jusqu’à quel point
Le parti
de la vie
tes accélère les reclassements. Xa-
vier Bertrand, qui avait ferme-
ment défendu celle de 2010, affi-
che, lui aussi, une forte hostilité
au projet Borne-Ciotti.
Laurent Wauquiez, à qui Eric
Ciotti est censé chauffer la place
en vue de la prochaine élection
présidentielle, ne le cautionne
que du bout des lèvres. Le prési-
dent de la région Auvergne-Rhô-
ne-Alpes invoque « l’esprit de res-
ponsabilité », mais affirme qu’une
autre réforme était possible. Plu-
sieurs de ses affidés à l’Assemblée
nationale sont en opposition
ouverte avec le texte gouverne-
mental. Le temps où la droite ré-
publicaine réclamait d’une seule
voix la retraite à 65 ans apparaît
révolu.
Jusqu’à quel point LR remisera-
ÉDITION
2023
t-elle son libéralisme économi-
que pour revisiter la question so-
ciale, tenter de reprendre pied
dans l’électorat des catégories po-
pulaires et moyennes ? Alors que
Marine Le Pen s’y renforce, Valé-
rie Pécresse y a obtenu à peine 5 %
des suffrages lors de la dernière avec Julia Kristeva, Amélie Nothomb, Juliette, Emmanuelle Lambert...
présidentielle. Il était logique que
le questionnement s’engage au
risque de casser en deux ce qu’il
reste du parti.
L’absence d’un leadership établi
à LR accroît la vulnérabilité du Sa vie fut un tourbillon. Romancière, vedette de music-
parti qui, sur le régalien et la lutte hall, journaliste, publicitaire, Colette s’attacha, dans
contre l’immigration, s’est forte- son œuvre, ainsi que dans les multiples facettes de
ment rapproché du RN. Sur le
son existence, à mettre la sensualité et le plaisir
plan économique, la différencia-
tion reste à ce jour encore forte aux commandes. Au moment où l’on fête le cent
entre un LR très libéral mais qui cinquantième anniversaire de sa naissance et où deux

COLETTE
ne séduit plus qu’une fraction de
Les Républicains l’électorat aisé et âgé, et un RN qui
de ses œuvres, Sido et Les Vrilles de la vigne, entrent au
remisera-t-il a rompu avec le positionnement programme du baccalauréat, Le Monde se penche dans
de Jean-Marie Le Pen pour deve- Un hors-série du « Monde » un hors-série de sa collection « Une vie, une œuvre »,
son libéralisme nir le parti de ceux qui se sentent
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économique rés. L’enjeu de part et d’autre est Chez votre marchand de journaux d’extraits de ses principaux livres et un grand entretien
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majoritaire. Marine Le Pen a une
question sociale ? longueur d’avance. p
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 Des pierres
taillées par des
paranthropes
au Kenya
Il y a 2,9 millions
d’années, ces outils
retrouvés près du
lac Victoria ont servi
à découper de la viande
et à broyer des végétaux
Page 2

La planète naine
Quaoar possède
un anneau
déroutant
La distance entre
le disque et le planétoïde
autour duquel il s’est
stabilisé défie les lois sur
Au laboratoire de recherche la formation des lunes
et développement de Thales,
à Palaiseau (Essonne), Page 3
un capteur quantique sert
d’antenne afin d’analyser
les ondes électromagnétiques.
CHRISTOPHE CAUDROY POUR « LE MONDE »

Les capteurs quantiques

sortent des labos
Se situer sans GPS, mesurer des champs Et ce n’est pas fini, comme aime à le rappeler le Des systèmes de navigation sans satellite, des ap-
lauréat français de la dernière promotion Nobel, pareils IRM non bruyants et moins chers, des réac-
magnétiques à de hautes pressions,
cartographier des irrégularités
Alain Aspect, qui parle de « seconde révolution »,
lancée avec deux promesses spectaculaires : des
teurs à fusion nucléaire plus faciles à contrôler, des
matériaux supraconducteurs à température am-
Portrait
gravitationnelles à la surface des océans,
puissances de calcul insensées et des communi­-
cations ultrasécurisées. Mais, tel l’arbre qui cache
biante… Sans parler des applications dans le sec-
teur de la défense pour élargir les capacités d’écou- Jean-Claude
autant de services concrets rendus
par ces petits objets qui révolutionnent
la forêt, ces deux piliers masquent un autre do-
maine en pleine effervescence, la métrologie et
ses représentants : les capteurs quantiques.
tes électromagnétiques, repérer des mines ou des
véhicules sous-marins, améliorer les radars… La
liste s’étoffe, et en France le soutien se développe :
Golvin,
la métrologie et ses applications Reconnaissons que cette expression fait moins
rêver que l’ordinateur quantique, l’Internet quanti-
sur le 1,8 milliard d’euros prévu dans le cadre du
plan quantique national, 10 millions d’euros se-
archéologue
que ou la téléportation. Mais les capteurs dans leur
version classique sont bien plus courants. Il n’y a
ront prochainement débloqués spécifiquement
pour les capteurs.
et artiste
David Larousserie qu’à se pencher sur les téléphones portables : la 4G, Les enjeux ne sont pas que commerciaux. « Sou-
le Wi-Fi, le signal GPS ou Galileo ont besoin d’an- veraineté », « souveraineté », « souveraineté », par Ses aquarelles font

D
epuis le prix Nobel de physique 2022,
plus personne n’ignore que des ré-
volutions technologiques, dans le
sillage de la mécanique quantique,
sont en cours. Cette théorie-phare de
la physique – centenaire – décrit la matière et ses
interactions avec la lumière. Elle a été à l’origine
d’innovations aussi variées que les transistors, les
lasers, les horloges atomiques des satellites de
­géolocalisation, les disques durs, les DVD…
tennes ; le son passe par un micro ; les photos et vi-
déos nécessitent des caméras qui enregistrent les
grains de lumière (les photons) ; l’image à l’écran
bascule quant à elle grâce à des accéléromètres, etc.
Champ magnétique, champ de radiofréquence,
gravitation, mouvement… Tout signal peut être en-
registré, analysé et utilisé pour de nouvelles fonc-
tions ou améliorer l’existant. Comme leurs aînés à
la mode, les capteurs de nouvelle génération,
quantiques donc, portent aussi leurs promesses.
trois fois, lors d’une visite dans le laboratoire de
recherche et développement de Thales à Palaiseau
revivre villes et monu-
(Essonne), le mot a été prononcé par Daniel Dolfi, ments de l’Antiquité
directeur du département de physique de l’en­- romaine. Les livres
treprise, soulignant l’importance de maîtriser la
­fabrication et les usages de ces technologies. d’histoire et les musées
Mais à quoi ressemblent ces capteurs quanti- continuent de faire appel
ques ? Visite guidée au pays des atomes artificiels,
des atomes froids et des atomes géants.
à sa liberté scientifique
→ L i r e l a s u i t e pag e s 4 - 5 Page 8

Cahier du « Monde » No 24296 daté ­­Mercredi 15­ février 2023 - Ne peut être vendu séparément
 Actualité
2| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023

C’
est un site de rêve ! », s’exclame
l’archéologue Sonia Harmand
(université Stony Brook, New
York) en commentant la décou-
verte, au Kenya, d’outils lithi-
ques datés de 2,6 à 3 millions d’années. Elle-
même a mis au jour en 2012, déjà dans ce pays
d’Afrique de l’Est, des outils de pierre vieux de
3,3 millions d’années, de facture plus fruste. La
nouvelle découverte, présentée dans Science du
10 février, ne fait donc pas tomber de record
d’ancienneté. Mais ce que la chercheuse fran-
çaise juge « extraordinaire », c’est que ses collè-
gues, sous la direction de Thomas Plummer
(Queens College, Smithsonian’s Human Ori-
gins Program), soient tombés sur une combi- Outils lithiques trouvés sur le site de Nyayanga, au Kenya. T. W. Plummer, J. S. Oliver and E. M. Finestone, Homa Peninsula Paleoanthropology Project
naison unique d’éléments archéologiques et
paléontologiques.
Le site de Nyayanga, près du lac Victoria,
fouillé depuis 2015, a en effet livré les plus an-
ciens outils de pierre taillée de facture dite oldo-
wayenne – en référence aux gorges d’Olduvai,
Du tartare d’hippopotame au menu,
en Tanzanie, où les premiers artefacts de ce type
avaient été mis au jour à la fin des années
1930 par le couple de paléo­anthropologues
Louis et Mary Leakey – mais y ont aussi été trou-
il y a 2,9 millions d’années
vés quantité d’ossements d’animaux portant
des marques de découpe ou de fractures cau-
Paléontologie - Des outils oldowayens en pierre taillée, découverts au Kenya,
sées par lesdits outils. Mieux, on a observé sur conservent les traces d’un usage sur la viande et les végétaux
ces derniers des traces d’utilisation non seule-
ment comme instruments de débitage ou d’at-
tendrissement de la viande, mais aussi de outils oldowayens au Kenya, à 1 300 kilomètres Ces actes de boucherie ont en tout cas été présentait une crête sagittale sur le crâne, où
broyage de végétaux. Et enfin, l’expédition a eu des sites éthiopiens où l’on plaçait auparavant confirmés par l’analyse au microscope de s’ancrait un puissant appareil masticateur.
la chance de mettre la main sur deux molaires leur émergence, « Nyayanga n’est pas le chaînon l’usure des outils en pierre. Ceux-ci avaient Ces hominines étaient-ils les fabricants des
de Paranthropus, les plus anciennes attribuées à manquant entre l’industrie lithique de Lomekwi aussi des usages plus végétariens. Les marques outils trouvés à Nyayanga, ou des opportunistes
cet hominine (la famille des humains et de ses et l’oldowayen », note la Française, pour qui il fau- de polissage et les stries observées sur certains récupérant le travail d’autrui, ou encore de sim-
ancêtres et apparentés). dra chercher d’autres sites intermédiaires pou- d’entre eux indiquent qu’ils servaient à couper ples « passants » ? Les auteurs de l’article de
vant être témoins de l’évolution d’une techno­- et à broyer des tubercules, à trancher du bois Science se gardent de trancher. « Il existe d’autres
Précieuse moelle logie à l’autre. A condi- ou des herbes. « Des sites d’environ 2 millions sites où l’on a trouvé conjointement des restes de
Un « carton plein » que Thomas Plummer attri- tion qu’il ne se soit pas d’années nous avaient déjà permis de savoir que paranthropes et des outils, et il est clair que
bue à sa bonne étoile. « Même si nous n’avions Des actes de agi d’inventions totale- les outils oldowayens étaient utilisés tant pour d’autres hominines que ceux du genre Homo pou-
trouvé que des outils, je me serais considéré ment indépendantes, la viande que pour les végétaux, indique Tho- vaient en fabriquer, précise Thomas Plummer.
comme très chanceux », indique-t-il, insistant sur boucherie ont indique Thomas Plum- mas Plummer, mais nous montrons que cette Mais des représentants du genre Homo étaient
la rareté de telles découvertes. Celles-ci ne sont été confirmés mer, qui rappelle le pratique était plus ancienne et plus répandue probablement aussi dans le paysage. Le plus an-
cependant pas entièrement fortuites. Le cher- ­succès des outils oldo- qu’on ne le pensait. » cien date de 2,8 millions d’années, et a été trouvé à
cheur fouillait depuis vingt ans les environs, par l’analyse wayens : « Ils ont été Ledi-Geraru, en Ethiopie. »
dans une péninsule au nord-est du lac Victoria, au microscope adoptés dans l’ensemble L’énigme du fabricant La question reste d’autant plus ouverte que la
où les anciennes retombées d’éruptions d’un de l’Afrique et on les a en- Ce régime alimentaire riche en végétaux est cor- datation du site de Nyayanga est relativement
volcan ont protégé les vestiges archéologiques et de l’usure des suite retrouvés en Géor- roboré par l’analyse isotopique des deux molai- large, puisque les bornes vont de 2,58 à 3,03 mil-
paléontologiques. « Un des hommes qui tra- outils en pierre gie, et jusqu’en Chine. » res de paranthrope trouvées sur place. La con- lions d’années. « C’est un choix prudent, souli-
vaillaient avec nous est originaire de Nyayanga et Evoquons les osse- centration en carbone 4 de celles-ci renvoie à la gne cependant Thomas Plummer, qui se base
nous a indiqué y avoir vu des artefacts proches de ments. La fouille a livré consommation d’herbes plutôt que de fruits sur des changements d’orientation du pôle
ceux que nous cherchions. Nous sommes allés des centaines de restes animaux dont certains poussant sur des arbres, qui sont, eux, des végé- magnétique terrestre visibles dans la roche.
voir ce qui sortait de terre après de grosses pluies directement en contact avec les outils. Plusieurs taux dits « en carbone C3 ». « Il faut imaginer un Mais d’autres méthodes suggèrent plutôt
qui dégagent les sédiments, puis, à partir de 2015, hippopotames assez complets ont été mis au paysage ouvert avec beaucoup d’herbes hautes, 2,9 millions d’années, date qui a la préférence
nous avons lancé des fouilles en bonne et due jour. Certains os fossilisés portent des marques mais aussi une source d’eau limpide et un cours de certains de mes collègues. » C’est d’ailleurs
forme, raconte Thomas Plummer. La majorité de dents de carnivores ou de charognards, mais d’eau entouré d’arbres où l’on pouvait se protéger celle-ci qui est mise en avant dans le communi-
des vestiges ont été retrouvés en 2016 et 2017. » sur d’autres, on devine clairement des traces de des gros prédateurs, décrit Thomas Plummer. qué de presse annonçant la découverte, faisant
L’article de Science les présente en détail. Il y découpe pour dégager la viande, ou de fractures C’était un bon coin. » des paranthropes de Nyayanga les plus anciens
a donc d’abord les outils lithiques oldowayens pour accéder à la précieuse moelle. Les homini- Des ribambelles de singes y cohabitaient avec trouvés à ce jour.
– plusieurs centaines de « marteaux », de nes mettaient aussi des tartares de bovidés à leur les paranthropes. Depuis la découverte, en Afri- Thomas Plummer ne pense pas s’arrêter là.
noyaux de pierre et d’éclats ont été identifiés. menu. Chassaient-ils ? « On ne peut pas le savoir, que du Sud, du premier fossile attribué à ce genre « Le site est riche, et nous prospectons des zones
Les artefacts en question sont distincts des répond Thomas Plummer. Ce qui est certain, c’est à la fin des années 1930, plusieurs espèces à la plus anciennes », indique-t-il, certain que ce
outils vieux de 3,3 millions d’années trouvés par qu’entailler la peau d’un hippopotame est impos- classification mouvante ont été décrites datant coin d’Afrique a de quoi le mobiliser « au moins
Sonia Harmand sur le site de Lomekwi 3. Si la nou- sible sans des outils en pierre. » Sonia Harmand de 2,6 millions à 0,6 million d’années. Bipède jusqu’à la retraite ». p
velle découverte situe désormais les plus vieux penche plus pour des pratiques de charognage. mais encore capable d’arboricolie, Paranthropus Hervé Morin

Des liaisons dangereuses entre incendies et météorologie

climatologie - Les grands feux de forêt jouent un rôle dans certains phénomènes météo, selon une étude qui donne des pistes de prévention

L es incendies de grande am-

pleur produisent une quan-
tité de fumée suffisante
pour affecter la météo. Or, selon
une équipe de chercheurs de
l’université de Nankin (Chine), ces
perturbations météorologiques
participent à catalyser les feux qui
en sont à l’origine. Un piège en
miroir. Il est question ici d’échel-
les de temps et d’espace réduites.
Il existe également une relation
entre incendies et climat, mais
elle est difficile à résumer tant elle
est tentaculaire.
Sous la supervision de Xin
Huang, spécialiste de la chimie at-
mosphérique, des chercheurs ont
mesuré de nombreux paramètres
météorologiques aux alentours
de grands feux de végétation en
Asie du Sud-Est et sur la côte ouest
des Etats-Unis en 2020 et 2021.
Leurs résultats, publiés dans la
­revue Science, montrent qu’en
s’élevant dans l’atmosphère, la
fumée absorbe le rayonnement
solaire, réchauffant l’air en alti-
tude et ­refroidissant celui au ni-
veau du sol. Ce simple différentiel
de température va induire des
perturbations météorologiques
aux conséquences multiples.
Phénomènes conjugués
Le tableau se noircit lorsque les
chercheurs démontrent que ces
perturbations entretiennent di-
rectement les feux qui les ont
provoquées. Ils ont observé que
les vents violents ainsi formés et
dévalant les pentes montagneu-
ses de la chaîne des Cascades, sur
la côte ouest des Etats-Unis, ont
contribué à l’expansion des in-
cendies de 2020. En Asie du Sud-
Est, une anomalie différente se
produit : les masses d’air marin
se trouvant sous le nuage de fu-
mée refroidissent et stagnent, li-
mitant évaporation et apport
d’humidité venant du large.
Cette fois-ci, c’est la sécheresse
qui s’installe et augmente le ris-
que d’incendie.
Les auteurs de l’étude avancent
que leurs résultats permettront
d’améliorer la lutte contre les in-
cendies en ciblant les « zones am-
plificatrices », où le mécanisme
de rétroaction qu’ils ont identifié
se manifeste le plus fortement.
En effet, l’influence des fumées
sur la météo restait jusqu’à pré-
sent un sujet peu étudié. En re-
vanche, l’influence de la météo
sur les incendies est mieux con-
nue, et ces connaissances ont de-
puis longtemps un rôle primor-
dial dans la gestion des incen-
dies. Ainsi, Météo-France calcule
un « indice forêt météo » à l’aide
de divers paramètres, tels que la
­vitesse du vent, la température
ou encore l’humidité. Il est uti-
lisé par les autorités de sécurité
civile pour déterminer où prépo-
sitionner les moyens de lutte
contre les incendies.
Agir en amont
Françoise Vimeux souligne
d’ailleurs l’importance de la car-
tographie des zones les plus pro-
pices aux incendies. La climato-
logue à l’Institut de recherche
pour le développement le rap-
pelle : du fait du réchauffement
climatique, les événements ex-
trêmes sont amenés à se multi-
plier, et les incendies tels que
ceux observés durant l’été 2022
en France et dans le monde en
sont une illustration frappante.
Pour Julien Ruffault, chercheur
à l’Inrae d’Avignon, allouer plus
de moyens sera loin d’être inutile,
mais face à des feux d’une inten-
sité extrême, augmenter le nom-
bre de Canadair et de camions de
pompiers ne suffira pas. Agir con-
tre les départs de feu reste la prio-
rité, d’autant plus que neuf feux
sur dix sont d’origine humaine.
Selon Françoise Vimeux, réduire
le risque lié aux incendies doit
également passer par l’aménage-
ment des territoires, en éloignant
les habitations des zones sensi-
bles, par exemple.
Par ailleurs, Xin Huang a mis en
évidence une anomalie atmos-
phérique conduisant à la stagna-
tion en basse altitude des nom-
breuses particules fines qui com-
posent la fumée, des particules
polluantes en suspension dans
l’air ayant un fort impact sanitaire.
A mesure que l’incendie pro-
gresse, elles s’accumulent et attei-
gnent des concentrations dange-
reuses. Ainsi, sur la côte ouest des
Etats-Unis, l’exposition aux parti-
cules fines a augmenté d’environ
77 % lors des incendies de 2020.
Les conséquences en termes de
santé publique ne sont pas négli-
geables, d’autant plus lorsque
cette pollution touche des aires
urbaines densément peuplées.
Des études précédentes avaient
permis d’estimer que la pollution
induite par les grands feux de vé-
gétation dans le monde serait à
l’origine d’environ 8 % des décès
prématurés dus à une mauvaise
qualité de l’air. p
Hugo Hayé
 Actualité
·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023 |3

Formation des lunes : Quaoar bouscule la loi Télescope

b
Math ématiq u es
Ingrid Daubechies,
astronomie - Le disque qui entoure le lointain planétoïde, situé au-delà de Neptune, première lauréate du prix Wolf
ne devrait pas exister à une telle distance d’après la « limite de Roche » Pour la première fois depuis la création
du réputé prix Wolf, créé en 1978 par
la fondation israélienne éponyme, une

I mposant corps céleste de

555 kilomètres de rayon des
­régions de l’espace situées au-
delà de l’orbite de Neptune, Quaoar
est connu pour avoir brièvement
détenu, en 2002, le record du plus
gros objet du Système solaire
­découvert depuis Pluton (1 186 km
de rayon). A en croire les travaux
présentés dans la revue Nature du
9 février, il pourra désormais se
prévaloir d’une autre particularité :
celle de posséder l’anneau le plus
bizarre jamais repéré.
Bruno Morgado, de l’université
fédérale de Rio de Janeiro, Bruno
Sicardy, de l’Observatoire de Paris-
PSL, et leurs collègues sont parve-
nus à détecter ce disque de débris
en recourant à la méthode des
­occultations stellaires. Surtout, ils
l’ont caractérisé avec suffisam-
ment de précision pour mettre en
cause les théories en vigueur sur
les conditions de formation de ce
type de structure.
Comptant parmi les merveilles du
Système solaire, les anneaux plané-
taires ne correspondent pas, à pro-
prement dit, à des objets. Mais à des
zones de l’espace occupées par une
myriade de fragments de toutes
tailles. Du résidu de quelques centi-
mètres à la petite lune. Si le disque
de Saturne est le plus fameux de
tous, d’autres couronnes, moins lar-
ges, moins denses ou faites d’une
matière plus sombre, entourent
aussi, complètement ou partielle-
ment, Jupiter, Uranus et Neptune. Et
il en serait de même, a-t-on appris,
en 2014 et en 2017, de certains asté-
roïdes et planétoïdes, comme Cha-
riklo et Hauméa.
Ces entités datent-elles de l’épo-
que de la formation des planètes du
Système solaire ? Ou sont-elles le ré-
sultat, plus tardif, d’une collision
avec un objet extérieur ou de la des-
truction d’une lune ? Les astrono-
mes ne se risquent pas à proposer
un scénario. Mais remarquent que
tous ces disques orbitent à faibles
distances de leur corps céleste, en
deçà de la « limite de Roche » – du
nom du mathématicien et astro-
nome français Edouard Roche
(1820-1883) –, qui détermine la ré-
gion où l’action des forces de ma-
rées exercées par un objet est suffi-
sante pour disloquer un satellite.
La couronne repérée par le groupe
de Bruno Morgado et de Bruno
Sicardy autour du planétoïde
Quaoar se situe bien au-delà de cette
limite. Une découverte réalisée
Vue d’artiste du lointain planétoïde Quaoar et de son anneau. ESA
grâce à l’observation des occulta-
tions stellaires. Ce procédé éprouvé
de l’astronomie permet de réunir
des informations sur des corps du
Système solaire trop petits ou trop
lointains pour être aisément étu-
diés par d’autres moyens.
Des questions sans réponse
Les dimensions, la forme, l’éven-
tuelle existence d’un anneau ou
d’une atmosphère sont rendues ac-
cessibles simplement en analysant
ou en chronométrant la baisse de
luminosité occasionnée par le pas-
sage de ces objets devant une étoile.
Du moins, lorsque l’on parvient à
détecter le phénomène, ce qui n’est
pas toujours possible en raison des
incertitudes sur la position et le
mouvement des astres. Un pro-
blème que connaissent bien les
amateurs et les professionnels, sou-
vent confrontés à la difficulté de
prédire dans quelle étroite bande de
la surface du globe terrestre – sa lar-
geur doit être égale au diamètre de
l’objet étudié – il leur sera nécessaire
de déployer leurs équipements.
Dans le cadre d’un projet du Con-
seil européen de la recherche (ERC)
baptisé « Lucky Star », les astrono-
mes ont eu l’idée de profiter de la
r­ écente livraison, par la mission
« Gaia » de l’ESA, d’un nouveau cata-
logue recensant les places occupées
dans le ciel par 1,7 milliard d’étoiles.
De quoi multiplier, entre 2018 et
2021, les observations des occulta-
tions stellaires provoquées par
Quaoar – dont le nom est celui
d’une divinité nord-amérindienne.
Au terme de quatre campagnes
ayant mobilisé, à travers le monde,
de nombreux instruments profes-
sionnels et amateurs, ainsi que le
­télescope spatial Cheops de l’ESA,
ils ont découvert que ce planétoïde
– doté d’un petit satellite – est en-
touré d’un anneau fait d’une forte
densité de débris de grandes tailles.
« Large de 8 kilomètres par endroits
et de 300 kilomètres à d’autres, cet
anneau circule à 4 100 kilomètres de
Quaoar, à des distances échappant à
l’action destructive des forces de ma-
rées », explique Bruno Sicardy.
« Selon les thèses en vigueur, un dis-
que placé à cet endroit ne peut pas
survivre longtemps. Au bout de quel-
ques mois, il doit disparaître pour
donner naissance à une lune par
­accrétion de ses divers matériaux »,
ajoute l’astronome. Dès lors, com-
ment expliquer son existence ? Les
scientifiques n’ont pas la réponse.
Mais, se basant sur des résultats de
simulations numériques et d’expé-
riences conduites en laboratoire
dans les années 1980, ils proposent
que, sous l’effet des températures
très basses régnant dans ces régions
du Système solaire, les propriétés
collisionnelles des particules de
glace de l’anneau aient été modi-
fiées, les empêchant de se coller
­entre elles. Des effets de résonance,
encore mal compris, pourraient
également avoir contribué à confi-
ner ces dernières sur leurs orbites.
« Au-delà de ce qu’elle nous ap-
prend des anneaux planétaires, cette
étude est surprenante par la quantité
considérable d’informations qu’elle
nous livre sur les propriétés dynami-
ques et physiques du système de
Quaoar », estime l’astronome Paolo
Tanga, qui dirige au laboratoire La-
grange de l’Observatoire de la Côte
d’Azur un programme d’observa-
tion des occultations stellaires pro-
duites par Didymos, l’astéroïde dou-
ble percuté en 2022 par la sonde
DART de la Nasa. Une étude dont la
seule ambition était, au départ, de
mesurer comment la lumière d’une
étoile est cachée par le passage d’un
objet dans la ligne de visée. p
Vahé Ter Minassian
femme, Ingrid Daubechies, a reçu la
­récompense en mathématiques, dotée
de 100 000 dollars. Cette scientifique belge,
58 ans, professeur à la Duke University
à Durham (Etats-Unis), est notamment
connue pour ses travaux en analyse, avec
­notamment l’invention de méthodes de
compression des signaux, les ondelettes, qui
ont permis le développement de l’imagerie
avec, par exemple, le standard de compres-
sion JPEG2000. Membre de l’Académie
des sciences, elle a été la première femme
à présider l’Union mathématique internatio-
nale (2011-2014) et est engagée pour une
plus grande diversité au sein de sa discipline.
Intég rité sc ientifiq u e
Sanction pour une directrice
de recherche du CNRS
La chimiste Jolanda Spadavecchia, directrice
de recherche au CNRS et travaillant dans
un laboratoire de l’université Paris Nord,
a été exclue un mois de ses fonctions
au CNRS pour « manquement aux règles
de l’intégrité scientifique », selon la décision
publiée dans le Bulletin officiel du CNRS
de janvier 2023. Cette inconduite s’est
­traduite par « vingt-cinq erreurs et neuf
­manquements aux règles usuelles de publi-
cation » dans vingt articles entre 2011 et
2021. L’affaire avait été déclenchée par un
de ses collègues en février 2021 (supplément
« Science & médecine » du daté 7 décem-
bre 2022), après la découverte de plusieurs
figures identiques utilisées dans des
­publications distinctes. Une dizaine
de corrections et une rétraction ont depuis
été décidées par les éditeurs de ces articles,
mais d’autres sont toujours en attente.
Pal éo nto lo g ie
Un manchot géant vieux
de 57 millions d’années
découvert en Nouvelle-Zélande
Il pouvait peser plus de 150 kilogrammes,
ce qui en fait le manchot le plus
massif ­jamais décrit. Les restes fossilisés
de Kumimanu fordycei ont été découverts
sur une plage de l’île sud de Nouvelle-
Zélande, dans une couche de galets
datée d’environ 57 millions d’années. Des
­ossements d’une autre espèce de manchots,
­légèrement plus grosse que les manchots
empereurs, ont conjointement été mis
au jour sur le site. Tous deux présentaient
des caractères archaïques, notamment
des attaches musculaires proches des
oiseaux volants. En raison de sa taille,
­déduite de la mesure des os de ses nageoi-
res, Kumimanu fordycei devait bénéficier
d’une meilleure conservation de sa tempé-
rature corporelle dans l’eau froide, avancent
les chercheurs, qui s’interrogent ainsi
sur les capacités de plongée d’une telle bête.
> Ksepka et al., « Journal of Paleontology »,
du 8 février

En France, un jeune sur cinq présente des troubles dépressifs

santé mentale - La part des 18-24 ans ayant connu un épisode de dépression a quasi doublé depuis 2017. Cette tendance touche tous les âges

L a crise sanitaire provoquée

par l’épidémie de Covid-19,
qui dure depuis trois ans, a
eu un fort impact sur la santé
mentale de la population. La
hausse du nombre de personnes
souffrant de troubles dépressifs
est « sans précédent » depuis 2017,
selon le dernier Bulletin épidé-
miologique hebdomadaire (BEH),
publié mardi 14 février par Santé
publique France (SPF).
Globalement, 13,3 % des person-
nes âgées de 18 à 75 ans ont connu
un épisode dépressif au cours de
l’année 2021, une hausse de 36 %
par rapport à 2017. La hausse est
majeure chez les jeunes adultes
(18-24 ans), avec 20,8 % de cette
tranche d’âge touchée en 2021,
contre 11,7 % quatre ans aupara-
vant, une hausse de près de 80 % ;
les jeunes femmes sont plus
­concernées (26,5 %) que les jeunes
hommes (15,2 %).
Ces chiffres sont issus du baro-
mètre de Santé publique France,
qui a interrogé 24 514 personnes
âgées de 18 à 85 ans par télé-
phone et en ligne, selon un son-
dage aléatoire qui évalue réguliè-
rement l’état de santé psychique
de la population depuis 2005.
Pour mesurer la dépression,
l’agence sanitaire utilise comme
instrument de mesure une ver-
sion courte du questionnaire
Composite International Dia-
gnostic Interview, développée
par l’Organisation mondiale de la
santé, qui sert à définir l’épisode
dépressif caractérisé. Celui-ci
correspond à l’existence d’un
épisode de tristesse ou de perte
d’intérêt pendant au moins deux
semaines consécutives, et d’au
moins trois symptômes dits
­« secondaires » (fatigue, perte ou
prise de poids, problème de som-
meil, de concentration, idées de
mort…), avec un retentissement
sur la vie quotidienne. Ces épiso-
des sont qualifiés de légers, mo-
dérés ou sévères. « On s’attendait
à cette hausse, mais pas à un tel
niveau, notamment chez les jeu-
nes », constate Christophe Léon,
chargé des enquêtes dans l’unité
santé mentale de SPF, et égale-
ment l’un des auteurs.
Contexte de crise sanitaire
Cette forte prévalence dans la tran-
che d’âge 18-24 ans, une période-
clé, « est en partie liée à des situa-
tions de vie – situations profession-
nelle, familiale et financière – ren-
dues sans doute plus précaires
dans le contexte de crise sanitaire »,
signalent les auteurs du BEH.
« L’isolement social généré par
les confinements, les incertitu-
des quant aux études et à l’avenir,
la précarité mise en lumière lors
de la pandémie, et probablement
le contexte actuel très anxiogène
– crise climatique, guerre, situa-
tion économique –, ont pesé forte-
ment sur les plus jeunes », décrypte
Enguerrand du Roscoät, respon-
sable de l’unité santé mentale à
SPF, coauteur de l’étude. Avoir des
antécédents de troubles mentaux
est aussi un facteur de risque.
« Les personnes vivant dans les
grandes villes, notamment en Ile-
de-France, sont les plus concer-
nées, de même que ceux qui ne
sont pas à l’aise financièrement,
qui vivent seules ou en famille mo-
noparentale, qui sont au chô-
mage », précise cette enquête. Pa-
rallèlement, « le fait d’avoir eu des
symptômes du Covid-19, le stress
sans précédent causé par l’épi­-
démie, et les mesures de contrôle
en découlant semblent être des
facteurs majeurs », soulignent les
auteurs. « Les femmes sont plus
concernées quel que soit l’âge,
e­ lles sont notamment exposées à
davantage de facteurs de risque
en raison de conditions de vie
plus compliquées, de revenus plus
faibles, elles sont soumises à
­davantage de violences », précise
Enguerrand du Roscoät.
Passages aux urgences
Ces données vont dans le même
sens que de nombreuses études
internationales et nationales sur
l’état psychique de la population.
Ainsi, les données du réseau
­Oscour (société française de mé-
decine d’urgence) ont montré
une hausse des passages aux ur-
gences pour troubles de l’humeur
(des épisodes dépressifs dans
80 % des cas) et/ou idées suicidai-
res, 23 % chez les 18-24 ans, et 58 %
chez les 11-17 ans en 2021 par rap-
port à 2018. Cette tendance s’est
même accentuée en 2022, selon
SPF. Vulnérable, la population
étudiante déprimée a doublé de
2010 à 2021, pour atteindre 20,3 %.
La même tendance est retrou-
vée avec CoviPrev – un suivi mis
en place par SPF en mars 2020,
qui interroge en ligne, avec la so-
ciété d’études et de conseils BVA,
des échantillons de 2 000 person-
nes. Selon la dernière mesure,
réalisée en décembre 2022, 17 %
des Français montrent des signes
d’un état dépressif, 7 points de
plus qu’avant l’épidémie et 24 %
un état anxieux.
Les professionnels de santé s’in-
quiètent, d’autant plus que de
nombreuses personnes ne consul-
tent pas. Or, l’important, pour
mieux prendre soin de soi, est de
pouvoir en parler, aux proches, à
son médecin, ou de s’informer et
surtout d’appeler par exemple le
3114 en cas d’idée suicidaire, pour
soi-même ou pour un proche. p
Pascale Santi
 Événement
4| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023
Les promesses
technologiques
des capteurs
quantiques
▶ suite de la première page
Des atomes artificiels
dans un diamant
L’objet quantique qui, sans conteste, offre le plus
large panorama d’applications en métrologie est
un diamant qui tire sa beauté et sa force de… ses
défauts. Depuis une vingtaine d’années, les cher-
cheurs ont en effet appris à fabriquer – et surtout à
domestiquer – un diamant légèrement modifié. Il
suffit de lui enlever deux atomes voisins de car-
bone, d’en remplacer un par un atome d’azote et
de laisser vide l’autre position pour que tout
change. Alors que le diamant est transparent, son
cousin ainsi modifié se met à briller d’un éclat
orange, pour peu qu’on l’éclaire d’un rayon vert.
D’où son nom barbare de diamant au centre
­coloré NV (NV pour nitrogen-vacancy, « lacune
d’azote » en français).
Tout se passe comme si la modification chimi-
que avait transformé la région perturbée en un
atome artificiel, au comportement analogue à
­celui d’un électron autour d’un noyau, possédant
des niveaux d’énergie discontinus. En outre,
l’équivalent d’une petite aimantation apparaît :
l’éclat orange s’atténue si le diamant est plongé
dans un champ magnétique. De quoi en faire un
excellent magnétomètre interrogeable par la lu-
mière. Autre atout, on peut l’emporter dans sa
­poche et il fonctionne à température ordinaire.
C’est Jörg Wrachtrup, de l’université de Stuttgart
(Allemagne), qui, en isolant en 1997 le premier
centre coloré, a donné le coup d’envoi d’une vé­-
ritable ruée. A Orsay, les physiciens Philippe
Grangier et Jean-François Roch en font, au début
des années 2000, la première source de lumière
émettant un à un des photons, clé de voûte d’ex-
périences de physique fondamentale. Puis, d’au­-
tres rêvent des diamants pour créer des ordina-
teurs quantiques, car le centre coloré fait un ex-
cellent qubit, le nom barbare des bits quanti-
ques qu’il s’agit de faire inter­férer entre eux
pour doper la puissance de calcul.
« Ces applications ont beaucoup motivé la com-
munauté, puis l’intérêt est retombé. Mais il a re-
bondi avec les capteurs. Les diamants sont des hô-
tes robustes qui peuvent survivre dans le monde
réel et qui, à l’intérieur, portent une part du monde
quantique », estime Ron Walsworth, professeur à
l’université du Maryland. Il a créé une start-up, Q-
Cat, pour « catalyser » les projets des technologies
quantiques. Déjà trois entreprises en sont issues :
Euqlid veut scanner les circuits électroniques et
repérer dans les champs induits des défauts de fa-
brication, voire des systèmes espions ; QDM.IO fa-
brique des microscopes à balayage dotés d’une
tête diamant qui cartographie les domaines ma-
gnétiques des matériaux ; ­Xerxes entend permet-
tre la fusion nucléaire en maintenant stable le plus
longtemps possible le champ magnétique qui
piège et concentre les noyaux dans les réacteurs.
Le pionnier Jörg Wrachtrup a testé des casques
de magnéto-encéphalogramme plus légers. Les
militaires sont aussi très intéressés. Un missile
est soumis à de forts rayonnements des défen-
ses adverses pour contrer son arrivée, et seul un
diamant pourrait résister à ces attaques, les me-
surer et proposer une parade. Les systèmes
d’écoute, aussi tireraient profit de ces détec-
teurs capables de réagir dans un très large spec-
tre, comme le teste Thales par exemple. La dé-
tection d’objets sous l’eau – mines, drones, sous-
marins – est aussi à portée de main grâce aux
­effets magnétiques générés par ces engins.
Une navigation sans satellite de géolocalisation
serait aussi possible en construisant une carte ma-
gnétique des fonds marins qui permettrait ensuite
de savoir où l’on est, de la même façon qu’une
carte des reliefs aide le promeneur. Une autre car-
tographie intéresse : celle de régions microscopi-
ques situées sur des matériaux aux propriétés
électromagnétiques inédites, qui ouvrirait la voie
à ce que certains baptisent « magnonique » ou
« twistronique ». Des noms compliqués pour dési-
gner une utilisation intelligente des propriétés
magnétiques de nouveaux composants de calcul,
de communication…, composants qu’on doit au
préalable « observer » avec un « œil magnétique ».
En 2017, Vincent Jacques, à l’université de Mont-
pellier, a été le premier à réaliser un microscope
doté d’une pointe diamant capable de faire cette
carte magnétique. Depuis, des entreprises com-
mercialisent de tels appareils, QZabre et Qnami,
en Suisse, QDM.IO aux Etats-Unis, ou encore
Wainvam en France. L’équipe de Montpellier ne
s’est pas arrêtée là. En 2021, Aurore Finco, chargée
de recherche au CNRS, a ainsi réussi à voir à l’inté-
rieur de la muraille de quelques nanomètres seu-
lement qui sépare deux régions magnétiques et
y a repéré les ondes magnétiques s’y propageant.
« La bonne surprise est que ces diamants peuvent
servir à développer des thèmes jugés poussiéreux,
comme l’étude des matériaux. Au début, on était
seuls dans cette voie… », considère Jean-François
Roch, professeur à l’ENS Paris-Saclay.
« Le point important n’est pas que ces capteurs
améliorent la sensibilité ou la précision des me-
sures. Leur avantage est ailleurs. Ces diamants
permettent de faire des mesures là où c’est tout
simplement impossible : forte température, pres-
sion, milieu biologique… Ces capteurs n’ont rien
de révolutionnaires en eux-mêmes, mais ils le
sont en fonction du contexte », poursuit le cher-
cheur, qui apprécie de travailler sur ces environ-
nements « hostiles ».
Il est ainsi en passe d’aider à avancer dans une
controverse scientifique : les très hautes pres-
sions permettent-elles de fabriquer des maté-
riaux supraconducteurs, c’est-à-dire qui perdent
toute résistance électrique à température am-
biante ? Pour le savoir, la clé est de mesurer leur
comportement magnétique. Mais à des millions
de fois la pression atmosphérique, aucun capteur
ne résiste. Sauf peut-être, comme il est en passe
de le montrer avec ses collègues, les diamants.
De précieux atomes froids
Avec ces nouveaux capteurs, la seconde révolution
quantique, célébrée par le prix Nobel de physique
2022, approche. Il s’agit de manipuler des atomes
froids, très froids, gelés même (un millionième de
degré au-dessus du zéro absolu, – 273,15 °C), qui
conservent la propriété-clé d’avoir des niveaux
d’énergie discontinus, et de pouvoir être dans
deux états à la fois. Mais en plus, ces paquets
d’atomes peuvent se comporter différemment
des particules matérielles, et adopter les atours
d’une onde, comme la capacité à interférer.
Grâce à cette propriété, il est possible de mesurer
très précisément des accélérations, comme celles
De microscopiques
défauts chimiques
dans des diamants
peuvent servir de
capteurs de champ
magnétique et
expliquent leur éclat
orangé lorsqu’un laser
vert les éclaire.
Ici, dans le laboratoire
de recherche
et développement
de Thales, dans
l’Essonne.
CHRISTOPHE CAUDROY
POUR « LE MONDE »
subies par le déplacement d’un véhicule (bateau,
sous-marin, avion…), ou celle que ressent tout
corps sur Terre, la gravitation. L’idée est d’envoyer
les ondes atomiques sur deux chemins différents,
de les recombiner et d’observer leurs différences,
qui signeraient la présence d’une accélération sur
un chemin et pas sur l’autre.
Le concept, imaginé dans les années 1990 par le
Prix Nobel de physique 1997, Steven Chu, a fini par
se concrétiser dans des laboratoires français au
cours des années 2000, à l’Office national d’études
et de recherches aérospatiales (Onera), à l’Institut
d’optique et à l’Observatoire de Paris, pour débou-
cher sur des produits tels ceux vendus par l’entre-
prise française Exail, qui a racheté la start-up
­Muquans, née de ces travaux académiques. Thales
s’intéresse aussi à ces précieux atomes froids.
L’ambition est de transformer ces nuages de
quelques millions d’atomes en véritable sys-
tème de navigation se passant des satellites. En
effet, si à tout instant l’accélération subie par un
objet est connue, alors sa vitesse aussi. Et si la vi-
tesse est connue, la position aussi. Mais cela
suppose des mesures de grande précision, dans
les trois directions de l’espace. « On peut penser
que d’ici à cinq ans, nous aurons des instruments
meilleurs que les centrales inertielles actuelles »,
estime Bruno Desruelle, de l’entreprise Exail et
cofondateur de Muquans.
La première étape a été de mesurer l’accéléra-
tion verticale, donc la gravitation, subie par le pa-
quet d’atomes en chute libre sur une dizaine de
centimètres. Il a fallu à Muquans presque dix ans
pour mettre au point un gravimètre. Il est si stable
et si pratique qu’il est utilisé par des géologues sur
les volcans ou les glaciers. « A l’école, on apprend la
valeur de la force de gravitation avec deux chiffres
après la virgule. Notre appareil en donne huit »,
rappelle Bruno Desruelle. Grâce à l’instrument,
sensible aux densités locales de matière, il est
possible de « voir » sous la surface des poches
d’eau, des montées de magma, des cavités…
Pour le Service hydrographique et océanogra-
phique de la marine (SHOM), l’Onera a aussi dé-
veloppé une autre application : cartographier la
valeur de l’attraction terrestre en tout point des
mers et des océans. Cette carte gravimétrique
peut alors servir à se repérer. De même qu’un
randonneur trouvera son cap en suivant la direc-
tion d’un sommet lointain, un navigateur saura
où il se trouve s’il tombe sur une anomalie de
gravité déjà répertoriée.
La suite est déjà enclenchée par Onera et Exail :
mesurer les accélérations sur trois axes pour re-
calibrer les centrales inertielles existantes qui
ont tendance à dériver. « Les atomes ont l’avan-
tage de ne pas se fatiguer ou s’user, contrairement
aux autres systèmes », s’amuse Sylvain Schwartz,
responsable à l’Onera du laboratoire QTech.
Chez Thales, cette application motive aussi.
Cette fois, les atomes sont piégés au-dessus d’une
puce électronique de quelques centimètres carrés
pour encore réduire l’encombrement. Les pa-
quets d’atomes pourraient non seulement servir
à repérer les accélérations, mais aussi les rota-
tions, comme un gyroscope, afin d’avoir une cen-
trale inertielle complète embarquable dans un
avion ou un robot sous-marin. « Nous visons une
précision de 1 mètre sur la localisation », rappelle
 Événement
·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023 |5
Des atomes
dans tous leurs états
L’atome stable
Un atome est constitué d’un noyau positif
autour duquel tournent des électrons, dont
les énergies ont des valeurs discontinues
(c’est la quantification d’où tire son nom
la théorie quantique).

e–
-

Noyau

0,1 nm

L’atome artificiel (ou centre coloré

du diamant)
Dans un cristal de diamant, on peut ôter
un atome de carbone et substituer, à côté,
un autre atome de carbone par un atome
d’azote. Il apparaît alors l’équivalent d’un atome
artificiel avec des niveaux d’énergie quantifiés.
En outre, il est porteur d’une sorte d’aimantation,
le spin, qui est sensible aux champs magnétiques
environnants. En l’absence de champ, le diamant
brille et, avec un champ, il brille moins. De quoi
en faire un excellent magnétomètre.

Daniel Dolfi, chez Thales, qui insiste aussi sur la
nécessité de disposer de ces technologies pour
la souveraineté des Etats.
Des atomes géants dans
les antennes
« Nous vivons un changement de paradigme dans
les technologies des antennes, qui sont restées in-
changées depuis le XIXe siècle », a rappelé David
Anderson, président de la start-up américaine
Rydberg Technologies, lors du congrès Optica
Quantum Industry Summit, le 8 novembre 2022,
à Saint-Germain-en-Laye. Son entreprise est la
première à commercialiser des antennes utili-
sant des effets quantiques subtils. Une antenne
classique permet de suivre le déplacement des
électrons dans le conducteur, qui font des allers-
retours à une fréquence proportionnelle à celle
qui les agite. Dans les nouvelles, on regarde plutôt
les électrons sauter sur les barreaux d’une
échelle ; mécanique quantique oblige.
L’idée est donc de créer l’« échelle », puis d’y
faire grimper les électrons, avant de vérifier où ils
ont grimpé exactement. Un laser se charge de la
première étape en apportant assez d’énergie
pour presque arracher les électrons des noyaux
d’un gaz enfermé dans une enceinte en verre.
Mais pas trop pour qu’ils restent en orbite. Cela
fabrique un atome « géant » car l’électron est loin
de son centre d’attraction.
« Les diamants [capteurs]
permettent de faire
des mesures là où
c’est tout simplement
impossible : forte
température, pression,
milieu biologique… »
Jean-François Roch
professeur à l’ENS Paris-Saclay
Les écarts entre les barreaux sont si serrés
qu’ils correspondent à des écarts d’énergie qui,
convertis en fréquence, balaient la quasi-totalité
du spectre de radiofréquence, des grandes on-
des de la radio aux fréquences des télécommu-
nications 4G ou 5G, en passant par la bande FM.
Si une telle onde arrive, elle excite les électrons
et les fait grimper sur l’échelle. Un second rayon
laser vient sonder le nouvel état des atomes, qui
absorbent plus ou moins cette lumière selon
leur environnement radiofréquence : les ondes
radio sont ainsi détectées par de la lumière.
« Cette technique apporte plusieurs avantages.
On s’affranchit de la règle selon laquelle la taille
des antennes dépend de la longueur étudiée. Le
détecteur est ici plus petit. On peut mesurer des
fréquences difficiles jusqu’à présent comme les
­térahertz [mille fois plus courts que les lon-
gueurs d’onde de téléphonie mobile par exem-
ple]. Enfin, on a une mesure absolue qui ne né­- Spin
cessite pas de calibration », souligne Sylvain
Schwartz, du laboratoire QTech, qui explore
aussi cette technologie.
Avec ses collègues, il songe à utiliser des ato-
mes froids plutôt que chauds pour améliorer Atome Atome Atome
encore les précisions. « A l’avenir, on peut imagi- de carbone d’azote manquant
ner un appareil qui serait comme un tuner de ra-
dio qu’on tourne, idéal pour régler les systèmes
radars », estime Daniel Dolfi, qui a également
des travaux de recherche sur le sujet.
Pour l’instant Rydberg Technologies, créé Les atomes froids
en 2015, vend ses systèmes à des professionnels Piégés par des lasers, des millions d’atomes
pour des mesures de rayonnement d’appareils sont refroidis. Comme ils sont aussi des ondes,
ou des tests de laboratoire, mais déjà avec un on peut les séparer en deux, une partie,
gain, puisque ses instruments sont dix fois plus par exemple « en haut », une autre « en bas »
petits que l’existant. (ou « à droite » et « à gauche »). On les recombine
Le nom de l’entreprise et de ces atomes géants ensuite, pour, toujours comme des ondes,
viennent du physicien suédois « préquantique » les faire interférer ensemble.
Johannes Rydberg (1854-1919), qui avait identifié La présence d’une accélération, comme
la trace de ces « barreaux » d’échelle. Le regain la pesanteur, n’affecte pas de la même manière
d’intérêt de ces atomes vient de travaux fonda- chacun des chemins. La technique permet ainsi
mentaux en information quantique. Le Nobel de de mesurer précisément ces perturbations.
physique 2012 Serge Haroche s’en est servi pour
sonder les propriétés étranges de la théorie. Et la
start-up française Pasqal, conseillée par Alain
­Aspect, entend bien faire de ces atomes les futurs Interférence
transistors des ordinateurs quantiques à venir. Nuages
de deux ondes
Les diverses voies des révolutions quantiques se atomiques
atomiques
nourrissent l’une l’autre. p
David Larousserie

Accélération
de pesanteur

Une révolution de l’imagerie médicale

L’atome géant (dit de Rydberg)

C’ est dans les vieux pots que

l’on fait les meilleures sou-
pes. » L’adage s’applique
aussi à des technologies de pointe
qui promettent de révolutionner
l’imagerie médicale par résonance
magnétique (IRM). La start-up fran-
çaise Chipiron, née en 2020, entend
ainsi se passer des champs magné­-
tiques très intenses des appareils
d’IRM, qui les rendent encom-
brants, chers et bruyants, grâce à
des composants inventés dans les
années… 1960. Quantiques, comme
il se doit, dès lors qu’on veut détec-
ter de petits effets, les Squid (pour
­Superconducting Quantum Inter-
ference Device, « détecteur d’inter-
férence quantique supraconduc-
teur ») ont donné leur nom à l’en-
treprise : squid signifie « calamar »
en anglais, donc « chipiron » dans le
sud-ouest de la France.
Ce petit anneau de quelques mi-
cromètres de diamètre est en fait
utilisé depuis plus d’un demi-siècle
pour mesurer de faibles champs
magnétiques, grâce à des effets
quantiques. Le principe ressemble
à l’induction, c’est-à-dire l’appari-
tion d’un courant électrique dans
l’anneau traversé par un champ
magnétique. Mais il est amélioré
par le fait que l’anneau est en partie
supraconducteur et parcouru par
des courants en sens inverse qui
­interagissent.
« Accélérer les diagnostics »
« Notre projet global : rendre l’IRM
aussi simple qu’une prise de sang et
la rendre ainsi accessible à tout le
monde, et partout », écrit Dimitri
Labat, cofondateur de Chipiron
avec Evan Kervella, dans un article
présentant leur projet. « D’un côté,
on a des IRM qui demandent trente-
quatre jours d’attente en moyenne.
De l’autre, des scanners à rayons X,
plus disponibles, mais qui ne voient
pas exactement les mêmes choses.
Nous visons des indications médica-
les entre les deux pour accélérer des
diagnostics, précise Evan Kervella.
Nous ne cherchons pas à remplacer
la qualité des IRM actuelles. »
Dès leur rencontre, lui, ingénieur
de formation, et son collègue, doc-
teur en physique, comprennent que
leur projet demande de diminuer
d’environ mille fois les champs ma-
gnétiques utilisés. Il faudra donc être
capable de mesurer des effets ma-
gnétiques induits de très faible in-
tensité, soit quelques nanoteslas,
mille fois moins que les champs
rayonnés dans une IRM classique.
Le Squid est alors incontournable
pour y arriver. Mais, pour fonction-
ner, il doit être refroidi à très basse
température, 4 degrés au-dessus du
zéro absolu, ce qu’un corps humain
ne supporte pas. « Nos innovations ne
portent pas sur les Squid eux-mêmes,
mais sur la manière de les coupler
aux champs magnétiques émis par
les tissus », rappelle Evan Kervella.
Et c’est donc sur une « antenne »
que leurs efforts, et leurs premiers
brevets, portent. Les prototypes ac-
tuels n’ont rien de high-tech ou de
quantique : sur un cylindre en plasti-
que plus gros qu’une canette, des fils
de cuivre sont savamment entor-
tillés afin de récupérer les précieux
signaux. « L’antenne est “chaude” et
donc on perd un peu en sensibilité,
mais nos simulations montrent que
le signal reste suffisant pour faire des
images », détaille Dimitri Labat.
La géométrie brevetée permet
En apportant par un laser de l’énergie
à un électron, il orbite loin du noyau, sans être
arraché. De faibles fréquences, situées dans
aussi d’éliminer des champs parasi- le spectre des radiofréquences, peuvent alors
tes, permettant, selon la start-up, de le faire changer d’orbite, permettant la détection
s’affranchir des blindages qui ren- de ces ondes, à la manière d’une antenne.
draient moins accessible le déploie-
ment de leurs appareils. Un concur- Rayonnement
rent américain, Hyperfine, vend électromagnétique
déjà des appareils à bas champ,
mais au moins vingt fois au-dessus
- e–
de ce que proposera Chipiron.
« Des résultats ont montré qu’abais-
ser le champ magnétique aug- Saut
mente le contraste, donc nous pen- d’énergie
sons que nous aurons de meilleures
images que nos concurrents », indi-
que Dimitri Labat.
Noyau
Grâce à deux levées de fonds,
en 2021 et en 2022, la start-up dis-
pose d’environ 3 millions d’euros,
et de quatorze employés (dont
douze docteurs). L’objectif est d’ob-
tenir dans deux mois de premières 100 nm
images non médicales, puis, dans
deux ans, des clichés à montrer à
des médecins. p
Infographie : Le Monde
D. L.
 Rendez-vous
6| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023
le livre
La démocratie
sanitaire revisitée
La juriste et sociologue
Lucile Sergent pose
un nouveau regard sur la
participation des patients
au système de santé
I l y a tout juste un an, le 20e ­anniversaire
de la loi Kouchner du 4 mars 2002 rela-
tive aux droits des malades a été l’occa-
sion de dresser un bilan de ce texte fonda-
teur de santé publique. Celui-ci a montré
que si les droits individuels des patients ont
incontestablement progressé, la partie est
encore loin d’être gagnée s’agissant des
droits collectifs et de la démocratie sani-
taire. La juriste de formation Lucile Sergent,
approfondit dans un petit livre ce sujet de la
participation des citoyens et des patients au
système de santé. Cette doctorante en socio-
logie, également patiente experte, remet
quelques pendules à l’heure.
Pour beaucoup, les mouvements collectifs
de patients ont commencé avec l’épidémie de
sida, dans les années 1980. Lucile Sergent ex-
hume des racines bien plus anciennes, dès la
fin du XIXe siècle. Alors que la tuberculose est
la plus grande cause de mortalité – les anti-
biotiques n’ayant pas encore été découverts –,
les malades se rassemblent en associations à
partir de 1892. Plus tard, « proche du Parti
communiste, la FNLA [Fédération nationale
de lutte antituberculeuse] mènera de nom-
breux combats pour le bien-être des malades,
organisant même des grèves dans les sanato-
riums », écrit la sociologue, en détaillant les
actions des associations de malades tubercu-
leux, mais aussi la mobilisation, après la pre-
mière guerre mondiale, d’autres collectifs
comme ceux de personnes avec un handicap.
Légitimité scientifique
Plus près de nous, l’autrice souligne le travail
d’associations telles que Renaloo (malades
du rein) ou le Ciane (Collectif interassociatif
autour de la naissance), qui construisent et
publient des études et du savoir par la mise
en œuvre d’un evidence-based activism (« ac-
tivisme fondé sur les preuves »). Avec ses pro-
pres travaux sur l’épisiotomie et le déclenche-
ment des accouchements, le Ciane a ainsi
prouvé les conséquences négatives de leur
utilisation abusive. « En utilisant les propres
outils de l’expert, les associations bousculent
les dogmes et mettent à mal des pratiques qui
ne sont plus questionnées », constate-t-elle.
Les collectifs de patients ont gagné une lé-
gitimité scientifique et jouent un rôle de
contre-pouvoir. Mais, attention aux risques
d’instrumentalisation, met toutefois en
garde Lucile Sergent : « Si aujourd’hui les po-
litiques publiques ainsi que le programme de
l’industrie du médicament semblent prôner
la démocratie sanitaire, l’étude de leur docu-
mentation montre qu’elle est parfois dévoyée
au profit d’objectifs gestionnaires. »
Une enquête qu’elle a menée au début de la
pandémie de Covid-19 dans deux hôpitaux
confirme le poids très variable des malades
et de leurs représentants dans les instances
de réflexion et d’éthique des établissements.
Ils ne sont parfois que des alibis. Au quoti-
dien, mais encore plus en période de crise, la
démocratie sanitaire reste bien fragile. p
Sandrine Cabut
« Malades en action, démocratie sanitaire en
question », de Lucile Sergent (Erès, 144 p., 14 €)
livraisoN
L i vr e
« Tout ce que vous avez toujours
voulu savoir sur l’Univers »
Le temps s’arrêtera-t-il un jour ? Voici l’une
des multiples questions sur la nature
de notre monde, auxquelles le roboticien
et dessinateur Jorge Cham et le physicien
des particules Daniel Whiteson se proposent
de répondre. Téléportation, trous noirs, mo-
teur à distorsion, extraterrestres sont aussi
au programme. Dans cette catégorie intaris-
sable des ouvrages abordant de vastes pro-
blèmes sans se prendre au sérieux, nos deux
auteurs, qui avaient déjà présenté Tout ce
que nous ne savons pas encore proposent
une variation aussi plaisante et qu’abordable.
> De Jorge Cham et Daniel Whitesom
(Flammarion, 352 p., 21, 90 €)
Des vaguelettes
lacustres
sur le sol martien
La présence passée d’eau liquide
sur Mars ne fait plus de doute
depuis longtemps, mais le rover
Curiosity continue d’en documen-
ter les traces, visibles des milliards
d’années après sa disparition.
En témoignent des images
prises récemment par l’engin
de la NASA, lors de son ascension
du mont Sharp et publiées
le 8 février. L’une d’elles montre
des rides à la surface du sol
martien, comme celles que laisse-
raient des vaguelettes agitées par
le vent en bordure d’une étendue
d’eau de faible profondeur.
« C’est la meilleure preuve d’eau
et de vagues que nous ayons vue
de toute la mission », estime, dans
un communiqué de presse le chef
scientifique de la mission Curio-
sity au Jet Propulsion Laboratory
(Pasadena, Californie), qui coor-
donne les pérégrinations du rover.
Les chercheurs ne pensaient
pas croiser de telles traces d’un
plan d’eau à cette altitude, 800 m.
(Photo : NASA/JPL-Caltech/MSSS)
Dix mille pas et plus
L’activité physique, un traitement
antidouleur de l’endométriose
Par Pascale Santi auprès de deux cents femmes, réparties en quatre L’une d’entre elles, Katairina Charalambousa, a
groupes, en cours de recrutement. suivi les cours en visioconférence durant trois
L es bienfaits de l’activité physique ne sont plus
à démontrer pour les maladies chroniques, et
désormais pour l’endométriose, une maladie
qui touche entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en âge
de procréer, soit une femme sur dix en France. L’en-
Un groupe suit un programme d’activité physique
adaptée (APA) en vidéoconférence avec vingt-quatre
séances d’étirements (Pilates, yoga, etc.), huit séances
de renforcement doux et huit d’activité cardio d’in-
tensité légère à modérée. Un autre groupe participe à
mois. « C’est très positif, les effets sur les douleurs
étaient immédiats après le stretching et, au fur et à
mesure des séances, j’avais toujours des crises, mais
avec des douleurs de moins forte intensité », décrit
cette jeune femme de 36 ans. « En revanche, lors des
dométriose se caractérise par la présence de ­cellules des ateliers éducatifs qui se rapprochent de l’éduca- crises avec beaucoup de douleurs, il est impossible
de l’endomètre, la muqueuse qui tapisse l’utérus, qui tion thérapeutique du patient (ETP) sur la douleur per- de faire quoi que ce soit, le seul recours est la
migrent anormalement au moment des règles, proli- çue, la qualité de vie, l’alimentation et l’activité physi- bouillotte », décrivent les participantes.
fèrent et peuvent pénétrer dans les tissus et les orga- que. Le troisième combine les APA et les ateliers. En- Une étude sur des rats, menée par des chercheurs
nes, provoquant des lésions, des kystes… Les dou- fin, le groupe contrôle reçoit une brochure expliquant portoricains et américains, et publiée en janvier 2022
leurs, premiers symptômes, sont souvent invalidan- les bienfaits de l’activité physique sur l’endométriose dans Frontiers in Reproductive Health, a montré que
tes et responsables de la fatigue, de la dépression ou et ses symptômes ainsi qu’un QR code montrant des l’activité physique pouvait protéger contre l’endomé-
de l’anxiété. Encore largement taboue, cette maladie mouvements qui permettent d’apaiser les douleurs. triose et diminuer l’inflammation. Un autre travail
est souvent diagnostiquée avec des années de retard. « L’hypothèse est que le programme, qui combine ac- également conduit sur des rats, coordonné par Mary
La chercheuse Géraldine Escriva-Boulley, responsa- tivité physique adaptée et ETP, pourrait compléter les Lourdes Montenegro, de l’université de Sao Paulo
ble de la filière staps au Laboratoire interuniversi- traitements actuels de l’endométriose et réduire la (Brésil), a mis en évidence que l’exercice physique en-
taire de sciences de l’éducation et de la communica- douleur, améliorer la qualité de vie, avec des effets traînait une réduction de la taille des lésions, avec
tion (Lisec), à l’université de Haute-Alsace, a supposé ­bénéfiques sur la santé physique, psychologique et une diminution plus importante dans les groupes
que l’activité physique pourrait être bénéfique pour ­sociale des patientes ainsi que sur les facteurs physio- pratiquant une activité modérée et intense.
les femmes touchées par cette maladie dont elle logiques », explique Géraldine Escriva-Boulley. Elle « L’activité physique adaptée est un traitement de
souffre également. Opérée après sa thèse, elle avait avait auparavant mené une enquête par entretien de fond que l’on aborde en ETP, qui fait partie d’une
dû fortement diminuer son activité physique. groupe auprès de trente-sept femmes et une étude bonne hygiène de vie, essentielle », précise Priscilla
Dans ce contexte, Géraldine Escriva-Boulley a lancé pilote auprès de sept femmes, recrutées au sein de Saracco, patiente experte de l’association Endomind.
une étude, appelée Crescendo (« accroître l’exercice l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, qui avaient suivi L’essentiel est de choisir un sport qui n’aggrave pas
physique et le sport pour combattre l’endométriose »), un programme d’activités physiques. les douleurs, de s’écouter. p
Affaire de logique – N°1233
N° 1233
Solution du problème 1232
Une figure « or »dinaire
C 1. Bob a choisi un minimum de 11 couleurs.
Bob dessine une figure géométrique classique : un cercle, dans lequel est inscrit un On montre d’abord qu’un sac ne peut contenir moins de
N
triangle équilatéral ABC. I étant le milieu de [AB], la parallèle à (AC) passant par I coupe 4 pions. En effet, si l’un des sacs n’en contient que 3, l’une de
le cercle en deux points, M et N (M sur le petit arc d’extrémités A et B, N sur le grand). ses couleurs apparaît au plus dans 6 autres sacs. Impossible,
Bob trace ensuite le triangle MAN, ainsi que les segments [MB] et [BN]. car il y a 8 sacs en tout qui doivent obéir à la contrainte.
1. Que représente (AB) dans le triangle MAN ? Le nombre total de pions est donc au moins 32, mais comme
il est multiple de 3, il est au moins égal à 33, ce qui impose
Alice dit alors : « Tu connais le fameux nombre d’or, (1 + √5)/2. Eh bien, c’est le rapport
de nombreux couples de segments de la figure. »
A I B
un minimum de 11 couleurs. Il reste à vérifier que c’est
possible avec 11 couleurs de pions. En nommant les couleurs
2. Pouvez-vous citer trois de ces rapports ayant pour numérateurs des segments
de tailles différentes ? par une lettre de A à K, voici un exemple de répartition :
M ABCD, AEGD, AFHI, BEHJ, BIGK, CEHK, CFGJ, DFIJK.
2. Alice peut choisir au plus 13 couleurs, les pions asso-
FESTIVAL DES JEUX 2023 VISITE AUX FEMMES SCIENTIFIQUES « LA TEUF À GALILÉE » ciés étant répartis dans 13 sacs.
À CANNES DU 24 AU 26/02 À TOULOUSE LE 31/03 À PARIS DE FÉVRIER À MAI On commence par montrer l’existence d’une configura-
Tous les amateurs de jeu, passionnés ou L’association Femmes & Sciences propose A 14 h, du 07/02 au 05/03 et du 11/04 au tion de 13 couleurs (notées avec les lettres de A à M) répar-
simples curieux, enfants compris, sont invités une visite guidée autour de la bibliothèque 07/05, le planétarium de la Cité des Sciences
ties dans 13 sacs à raison de 4 pions par sac. Voici cette
à découvrir les univers ludiques lors de la universitaire de Toulouse, dans les rues qui et de l’Industrie (30, avenue Corentin-Cariou,
grande manifestation annuelle qui se portent le nom de femmes scientifiques Paris 19e) va célébrer dignement le 459e anni- configuration, notée (1) : ABCD, AEFG, AHIJ, AKLM, BEHK,
déroulera pendant trois jours au Palais des (Hypatie d’Alexandrie, Hélène Richard-Foy, versaire de la naissance du grand physicien, BFIL, BGJM, CEJL, CFHM, CGIK, DEIM, DFJK, DGHL.
Congrès (sur la Croisette) de 10 h à 19 h. Rose Dieng-Kuntz, Sébastienne Guyot, Rosa- mathématicien et astronome Galilée (1564- Pour prouver qu’elle est optimale, on montre qu’il ne peut y
Expositions, stands et ateliers accueilleront lind Franklin, Marianne Grunberg-Manago, 1642). Sont invités, entre autres, à la fête, le avoir plus de 4 pions dans un sac. L’idée de la démonstration :
le public autour de toutes sortes de jeux. Huguette Delavault). Cette déambulation temps d’un spectacle, des personnages
soit P ≥ 4 le nombre de pions (de couleurs différentes) d’un
Des conférences sont également au pro- d’une heure permettra de découvrir ces per- comme le prince Cosme II de Médicis, l’astro-
gramme, comme celle de Todd Lubart, qui sonnalités et de leur rendre hommage, mais nome Johannes Kepler ou le pape Urbain VIII. sac donné. Cela entraîne que 4P pions sont répartis dans les
évoquera le lien entre créativité et jeux. Un aussi de parler de la place des femmes en Sur des musiques très actuelles comme Dua sacs, dont le nombre est noté y. On a donc y ≥ 3P + 1 et, si x
stand, animé par le CIJM, sera consacré aux science. Départ à 12 h 15 devant le bâtiment Lipa ou Daft Punk, on évoquera les décou- est le nombre de couleurs, x ≥ (3P + 1)P/4. D’autre part, on
jeux mathématiques : énigmes, jeux de administratif de l’université Paul-Sabatier, vertes et la vie de celui pour qui « le livre de peut ajouter au plus 3 pions d’une couleur donnée dans
nombres, puzzles, pliages, jeux de stratégie… 118, route de Narbonne. l’Univers est écrit en langue mathématique ».
chaque groupe de 3 sacs. On en déduit : x ≤ P + 3(P – 1).
Infos sur Festivaldesjeux-cannes.com Infos et inscriptions sur Eventbrite.fr Infos sur Cite-sciences.fr
Ainsi, (3P + 1)P/4 ≤ 4P – 3. Cette inéquation implique P ≤ 4.
E. BUSSER, G. COHEN ET J.-L. LEGRAND © POLE 2023 affairedelogique@poleditions.com Conclusion : tous les sacs doivent contenir 4 pions, ce qui
n’est possible qu’avec une configuration de type (1).

carte
blanche
La Saint-Valentin
des matériaux
isolants
Par Wiebke Drenckhan et Jean Farago
L’ un des effets secondaires de la ré-
cente pandémie de Covid-19 est que
la poignée de main et, plus encore, la
bise quotidienne, qui avaient complètement
déserté nos rapports humains, ne semblent
les recoloniser qu’extrêmement timide-
ment, si elles les recolonisent seulement… Or
ces contacts brefs, qui la plupart du temps
passaient inaperçus, étaient le moment d’in-
teractions et d’échanges discrets et comple-
xes (au-delà des banals pathogènes aériens),
aux conséquences parfois incompréhensi-
bles. Etonnamment, cette physique subtile
concerne aussi les matériaux inertes et iso-
lants, car tout isolant qu’ils soient, ils échan-
gent par contact des charges (mais pas avec
n’importe qui), dans une interaction qui va
littéralement jusqu’aux coups de foudre
(mais pas n’importe comment).
C’est très précisément le sujet d’un récent
article de Nature Physics, dans lequel un coin
du voile a été levé avec brio sur une ancienne
énigme de la triboélectricité. Le problème
concerne l’expérience d’électrification par
contact la plus simple qui soit : prenons deux
surfaces fabriquées dans des isolants échan-
geant facilement des charges (dans l’article,
le Plexiglas et un élastomère de silicone)
dont la propreté et la planéité ont été parti-
culièrement soignées. Il s’agit ensuite de les
mettre en contact, de les séparer, et d’utiliser
un moyen quelconque pour visualiser la
­répartition des charges sur chaque surface.
Dans un monde simple, on s’attendrait à ré-
cupérer deux surfaces uniformément char-
gées, le matériau le plus électrophile (le sili-
cone) se chargeant négativement. Or, depuis
les premières expériences vers 1940, quels
qu’aient été les dispositifs expérimentaux et
les matériaux utilisés, les chercheurs ont sys-
tématiquement observé que les charges sont
réparties sur chaque surface de façon capri-
cieuse, formant souvent des motifs compli-
qués dits « mosaïques », avec des alternances
de zones chargées positivement et négative-
ment sur une même surface. Ainsi, sur le sili-
cone, malgré une charge totale négative, on
trouve de vastes zones de polarité positive.
Le rôle des petits éclairs
Faute d’explication plus satisfaisante, diver-
ses inhomogénéités résiduelles microscopi-
ques ont été invoquées pour expliquer ces
motifs déroutants. Les chercheurs se sont
concentrés cette fois sur le rôle des petits
éclairs qui se produisent au voisinage du
front de décollement. Un phénomène déjà
connu, facile à voir même en décollant un ad-
hésif dans le noir, mais que personne n’avait
songé à relier à la structure en mosaïque des
charges déposées…
Les physiciens ont montré que ces coups de
foudre sont bien responsables des mosaï-
ques, selon un scénario très intéressant : à
première vue, on pourrait penser que les
éclairs, en véhiculant les charges négatives de
la plaque négative vers la plaque positive,
abaissent, voire annulent, la différence de
charge entre les surfaces dévoilées. Mais il se
trouve qu’une fois lancé par un champ élec-
trique devenu trop intense, une décharge
électrique ne s’arrête que si ce dernier redes-
cend sous une valeur inférieure à la valeur de
déclenchement. Or, les charges environnan-
tes sur le Plexiglas et le silicone (qui ne se dé-
placent pas le long de ces surfaces isolantes)
rendent particulièrement difficile la redes-
cente du champ sous le seuil d’arrêt, ce qui
conduit à cette inversion locale tout à fait
contre-intuitive de la polarité.
A cette bizarrerie s’ajoutent d’autres carac-
téristiques étonnantes concernant les corré-
lations entre éclairs ou le rôle de l’environne-
ment (l’humidité, la nature du gaz ambiant).
Nous invitons les lecteurs à jeter un œil aux
« Supplementary Informations/Videos » de
l’article, accessibles gratuitement, et qui il-
lustrent les structures mosaïques évoquées
ici, mais font également la chronique d’une
recherche superbement, amoureusement
menée. De quoi susciter un coup de foudre
pour la physique, sans aucun doute. p
Wiebke Drenckhan (CNRS)
et Jean Farago (université de Strasbourg)
Physicienne et physicien à l’Institut
Charles-Sadron à Strasbourg
drenckhan@unistra.fr et farago@unistra.fr
La France doit se mobiliser contre
le harcèlement moral dans les laboratoires
Tribune - Un meilleur encadrement de ces agissements toxiques relève du bien-être des personnels
mais aussi de l’intégrité de la recherche, expliquent Michèle Leduc, physicienne, et Zoë Hammatt, avocate
L’ intégrité scientifique est un des
fondamentaux de la science
que vient tout juste de recon-
naître en France la loi de programma-
tion de la recherche de 2021. Aujour­-
d’hui, les falsifications de résultats et le
plagiat sont en principe dans le viseur
des institutions où l’on fait de la recher-
che. Le harcèlement moral, cet autre
comportement inapproprié, est parfois
moins bien détecté compte tenu de son
caractère insidieux. Il est néanmoins
dommageable au bien-être dans les la-
boratoires, en particulier des jeunes. Sa
bonne prise en compte est une condi-
tion nécessaire à la progression sereine
et intègre de la recherche.
Le harcèlement moral peut échapper
à la vigilance des responsables, d’autant
qu’il est souvent latent et non révélé.
Sa typologie (nous excluons ici le har-
cèlement sexuel, bien qu’il soit sou-
vent associé à du harcèlement moral)
est très variée. Ce peut être un respon-
sable de projet qui exerce des pres-
sions excessives sur ses collaborateurs
– allant parfois jusqu’à des comporte-
ments brutaux sur le plan moral –,
avec l’objectif de résultats obtenus au
plus vite. Ou un chef d’équipe qui
écarte arbitrairement un personnel
compétent d’un projet, en l’humiliant
et en le dénigrant auprès des autres,
avec le résultat de lui ôter toute
­confiance en lui-même et parfois
même de le mener à la dépression.
En position hiérarchique supérieure,
le directeur ou la directrice de thèse
peut annihiler les réactions de ses
­jeunes doctorants ou postdoctorants
sous des menaces d’interruption de
Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
Un gant connecté pour mieux former les sages-femmes
Avant un accouchement, le bébé à venir peut
ne pas être placé correctement dans l’utérus.
S’il « regarde » vers le dos de sa mère, il arrivera
plus facilement à sortir par le canal vaginal.
Fœtus
Utérus
Vagin Gant
avec
capteur
Des chercheurs ont imaginé un gant
connecté et un prototype de crâne
de fœtus, concept destiné aux pays
à faibles revenus, afin d’aider les sages-
femmes en formation à s’entraîner
aux touchers vaginaux.
Accoucher par voie basse comporte
toujours des risques pour la mère et
l’enfant, notamment quand le fœtus
n’est pas bien placé. Une équipe multi-
disciplinaire de l’University College de
Londres a imaginé un gant connecté à
thèse ou des chantages à la lettre de
recommandation, indispensable à la
suite de la carrière. Un cas extrême est
celui des étrangers qui doivent renou-
veler leur visa de séjour, loin de leur
pays, sans soutien de leurs proches et
sans bien maîtriser la langue pre-
mière du laboratoire. De tels mauvais
traitements, en général discrets, sont
constatés dans tous les domaines
scientifiques, tant dans les laboratoi-
res d’excellence bien dotés que dans
de modestes institutions.
La question du harcèlement dans la
recherche est souvent évacuée avec
l’argument que ce délit relève de la jus-
tice. Or, il paraît difficile que la victime
à l’origine du signalement, la plupart
du temps en position vulnérable, pos-
sède les moyens et la force de se lancer
dans un procès. Quand elle se décide à
révéler son problème, la voie la plus
naturelle est de faire appel à la cellule
d’écoute de son établissement, si
elle existe, ou à sa hiérarchie (les
­directions des ressources humaines
ou les écoles doctorales), qui peut
sanctionner en disciplinaire le ou la
­responsable du harcèlement.
Clairement, c’est au niveau du labo-
ratoire qu’une médiation, a priori dé-
licate, aurait le plus de pertinence.
Mais la victime hésite souvent à par-
ler de son cas et de sa souffrance de
peur d’un retour de bâton et dans
l’ignorance de la protection dont elle
peut bénéficier.
En réalité, la personne harcelée ne
sait pas toujours comment s’y prendre.
Elle s’adresse souvent au référent à l’in-
tégrité scientifique (RIS) de l’organisme
e crâne de
type d
oto
Pr
Suture
Fontanelle
antérieure
pariétal
Fontanelle
postérieure
Câble
ct
é
e postérieure
co nn
Gant
2 Le signal passe par un câble relié
à un circuit électronique puis
à un smartphone dont l’écran affiche
le nombre de sutures touchées.
un smartphone pour permettre aux fu-
tures sages-femmes de s’entraîner sur
un prototype de tête de fœtus et de dif-
férencier l’arrière et l’avant du crâne par
simple toucher, en fonction de la posi-
tion des fontanelles et des sutures du
Rendez-vous
· Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023 |7
des cas
de harcèlement
se rencontrent
un texte à paraître qui complétera la
« charte nationale de déontologie des
métiers de la recherche » de 2015 pour
tenir compte des évolutions récentes ;
faire une analyse des procédures en vi-
parfois dans gueur pour gérer le harcèlement moral
des équipes dans l’ensemble des établissements de
recherche et mettre systématiquement
qui font aussi en place des cellules d’écoute et de veille
des entorses facilement accessibles et permettant
un signalement anonyme (comme au
à l’intégrité CNRS et à l’Inserm) ; sensibiliser les
responsables politiques à la précarité
et aux violences faites aux jeunes
chercheurs et chercheuses.
dont elle dépend, qui y est mainte- Le harcèlement fait l’objet d’une at-
nant statutairement présent. Toute- tention particulière dans des pays
fois, sa mission n’est pas censée comme le Royaume-Uni ou les Etats-
s’étendre au-delà de l’intégrité scien- Unis, où il constitue un risque sérieux
tifique. Ces référents sont le plus sou- de retrait de contrat pour les chefs
vent des scientifiques, pas spéciale- d’équipe. Il importe aussi qu’en
ment formés pour traiter les délicates France cette question du harcèlement
questions posées par le harcèlement, moral soit vraiment prise en considé-
où les preuves sont apportées par la ration dans tous les laboratoires : il y
confrontation de témoignages – « pa- va du bien-être et de la santé mentale
role contre parole ». Notons toutefois des travailleurs de la recherche.
que des cas de harcèlement se ren- D’ailleurs, ce n’est là qu’une des facet-
contrent parfois dans des équipes qui tes des dérives résultant de la situa-
font aussi des entorses à l’intégrité, la tion précaire des jeunes chercheurs,
course aux publications étant sou- qui les conduit de moins en moins à
vent à l’origine des dysfonctionne- poursuivre dans la recherche, mais
ments dans les deux cas. c’est là une autre question… p
Que faire contre le harcèlement ?
Nous formulons ici quelques sugges- ¶
tions : s’assurer qu’un volet consacré au Michèle Leduc, physicienne,
harcèlement, assorti de conseils prati- directrice de recherche CNRS émérite
ques, est bien inclus pour les docto- au Laboratoire Kastler Brossel
rants dans leur formation à l’éthique et à l’Ecole normale supérieure à Paris ;
à l’intégrité scientifique, rendue obliga- Zoë Hammatt, avocate.Les deux autri-
toire par décret depuis 2016 ; inscrire la ces sont membres du Conseil français
prévention du harcèlement moral dans de l’intégrité scientifique au Hcéres.
Signal obtenu sur le smartphone
fœ
tu L’identification de l’orientation du crâne
s (avant ou arrière) se fait en comptant
le nombre de sutures croisées par le gant :
4 signifient que la main touche l’avant
frontal du crâne, 3, l’arrière. Chaque pic sur l’écran
correspond à une souplesse de la zone,
donc une suture croisée.
Détection de la fontanelle antérieure,
courant en nanoampères
4
2
0
–2
Capteur
–4 4 pics = 4 sutures
0 10 20 30
1 Au toucher, le capteur Temps, en secondes
permet de sentir
la présence d’une suture, Détection de la fontanelle postérieure,
zone plus souple. courant en nanoampères
5
Résultat :
0
fontanelle
–5 3 pics = 3 sutures
0 10 20 30
Temps, en secondes
Infographie : Le Monde, Audrey Lagadec, Laure Belot Source : Frontiers
crâne représentées par des zones sou- Shireen Jaufuraully, autrice principale
ples. « Nous devons savoir de quel côté le de la publication dans Frontiers in
bébé est orienté afin de pouvoir placer en ­Global Women’s Health du 30 janvier. Ce
toute sécurité des instruments sur lui si projet a été imaginé pour être accessible
une aide est nécessaire pour le mettre au plus grand nombre de pays. p
au monde », explique l’obstétricienne Laure Belot
 Rendez-vous
8| ·
Le Monde Science & Médecine
­
­Mercredi 15­ février 2023
Jean-Claude Golvin donne
des couleurs à l’archéologie
Portrait - Les aquarelles de cet architecte et archéologue restituent des monuments
et des villes romaines dans une démarche qui allie science et démarche artistique
I
ls sont bien peu nombreux à exercer
le métier qu’ils ont inventé. Jean-
Claude Golvin est de ceux-là. Depuis
plus de trente ans, il nous restitue des
villes et des monuments aujourd’hui
disparus ou irrémédiablement attaqués par
le temps. Cet architecte et archéologue les
« reconstruit », selon son vocabulaire, tels
qu’ils devaient être, il y a cinq cents, mille ou
deux mille ans, avec non pas une truelle, du
ciment et des blocs de pierre, mais avec du
papier, des crayons, de l’encre… Ses aquarel-
les donnent une ambiance toute particulière
en offrant une vision aérienne des cités qu’il
fait revivre. « Elles sont, pour nous, un auxi-
liaire précieux en nous offrant une vision diffé-
rente de celle qu’on voit habituellement à ras
de terre », insiste Richard Pellé, archéologue à
l’Inrap (Institut national de recherches ar-
chéologiques préventives), spécialiste de la
période romaine.
Bien sûr, d’autres avant lui ont dessiné des
villes anciennes. Mais elles étaient plus fan-
tasmées que restituées. Lui, au contraire,
poursuit une démarche scientifique, compa­-
tible avec les résultats de fouilles archéolo­-
giques. C’est, à chaque fois, une proposition
avec laquelle il tente de s’approcher au plus
près de ce que pouvait être la réalité. S’il reste
des zones blanches, il les remplit de la façon la
plus plausible pour avoir « une ville qui fonc-
tionne », quitte à apporter des modifications
ultérieures, à la faveur de nouvelles découver-
tes. Dans une ville dont on ne retrouve pas
­traces d’une ou de plusieurs structures qui
auraient dû s’y trouver, il les dessine là où elles
devaient probablement être. Par exemple, si
aucun vestige de thermes n’a été découvert
dans une agglomération qui, en raison de sa
taille, devait en avoir plusieurs, il les situe en
fonction de la proximité d’un aqueduc.
« Rien n’est gravé dans le marbre, tout peut
être modifié, insiste-t-il. Aujourd’hui l’archéolo-
gie bouge énormément. La restitution d’une
ville n’est jamais définitive. De nouvelles décou-
vertes sont susceptibles de préciser ou de corri-
ger ponctuellement l’image globale d’une ag-
glomération, mais l’expérience montre que ces
modi­fications ne la remettent jamais en cause.
L’important, c’est l’équilibre d’ensemble. » Dans
la représentation des murailles romaines de
Nîmes, il a par exemple dessiné, en accord avec
les archéologues, les tours qui flanquaient les
portes d’entrée coiffées d’un toit. Or aucune
tuile ou morceau de tuile n’a été retrouvée à
proximité. Conclusion : leurs sommets étaient
certainement aménagés en terrasse.
Respect de la réalité
Si la pertinence de son travail est, aujour­-
d’hui, unanimement reconnue par ses pairs,
il n’en a pas toujours été ainsi. Au début,
« beaucoup craignaient que l’image soit là
pour tromper. Ils pensaient que j’allais faire de
l’esbroufe ». « Si je fais ce que je veux, je ne fais
pas n’importe quoi », répond-il à ses détrac-
teurs. Le respect de la réalité prime, ce qui ne
l’empêche pas de revendiquer l’aspect artis­-
tique de son travail. « Il faut qu’on ait envie
d’entrer dedans ; ça doit être sympa. » Ses aqua­-
relles, qui illustrent des revues, des livres, ou
sont diffusées avec des documentaires histo-
riques à la télévision et présentées dans des
musées, appréciées du grand public, ont ac-
quis une célébrité, tout en préservant son ano-
nymat. Ce qui convient très bien à cet homme
modeste qui s’efface derrière son œuvre.
Son travail n’est pas sans rappeler, sur bien
des points, l’archéologie expérimentale. Ainsi,
pour une exposition en cours à Nîmes, ce spé-
cialiste des amphithéâtres (il leur a consacré
une thèse de doctorat en 1985) a réalisé toute
une série d’aquarelles de la ville antique.
Avec ­Richard Pellé, qui a notamment parti-
cipé aux fouilles des remparts et suit le
­chantier de restauration des célèbres arènes
prévu jusqu’en 2034, il nous raconte leur
construction. Alors qu’on pensait que la réali-
sation de tels bâtiments se faisait assise par
assise, ils ont démontré que leur édification
se développait en éventail. Deux équipes,
partant d’un point commun, avançaient dans
des directions opposées en montant la tota-
lité des étages et lorsqu’elles se rejoignaient,
l’édifice était achevé.
Aucun texte de l’époque ne fait état du pro-
cessus de construction de ces équipements,
pas même Vitruve. L’architecte et auteur
­romain que Jean-Claude Golvin, passionné
par la restitution des savoir-faire, a beaucoup
Devant
la reproduction
d’un de
ses dessins
représentant la
Maison carrée,
au Musée de
la romanité,
à Nîmes,
le 6 décembre
2022. François
Deladerrière
POUR « LE MONDE »
­ tudié parle essentiellement dans ses écrits de
é et chercher des conseils, puis il fait un
la formation des architectes et des machines
mises en œuvre. « On a également trouvé com-
ment on utilisait certains outils. On a énormé-
ment progressé. L’amphithéâtre de Nîmes nous a
donné beaucoup d’éléments sur sa construction
et donc sur celle de tous les autres. »
Son œuvre, qui compte aujourd’hui un mil-
lier de dessins, est le fruit d’un parcours fait
d’heureux hasards et de belles rencontres. Ce
jeune octogénaire, né en 1942 en Tunisie, s’est
retrouvé à 4 ans en Algérie, où ses parents en-
seignants avaient été mutés. Il y a vécu la se-
conde guerre mondiale, pendant laquelle il
s’est réfugié dans le dessin et l’imaginaire. A la
fin de ses études entreprises dans la lignée de
celles de son frère aîné, diplômes d’architecte
et d’urbaniste en poche, après une expérience
décevante en agence, il part à Haïdra (Tunisie),
une ancienne ville de garnison romaine,
pour faire des relevés. L’Institut d’archéologie
de Tunis lui propose alors de collaborer à la
mise en valeur de l’amphithéâtre d’El-Djem,
un des plus grands de l’Empire ­romain. Cap
sur l’Egypte ensuite, comme directeur du
Centre franco-égyptien d’étude du temple de
Karnak. Chargé de la mise en valeur de ce
complexe religieux, il le dessine en 1989, en
collaboration avec des chercheurs, tel qu’il
devait se présenter au Ier siècle de notre ère.
Ces premières restitutions suscitent l’inté-
rêt de représentants d’EDF, qui sponsorise
alors ses recherches, en mettant leurs instal-
lations et leurs équipements à disposition. En
retour, l’entreprise peut utiliser ses dessins
pour ses publicités, ce qui contribue à sa
­notoriété. ­Parallèlement, il travaille sur des
­vestiges romains. Après être resté onze ans,
de 1979 à 1990, sur les bords du Nil, il part à
Bordeaux comme directeur de recherches au
CNRS, pour se consacrer principalement à des
restitutions portant sur l’Antiquité classique.
Il s’autorise quelques incursions en dehors de
ce champ, allant de la préhistoire à l’Epoque
moderne. C’est ainsi qu’il voue une série
d’aquarelles à l’évolution de Bordeaux, de la
période gallo-romaine au XVIIIe siècle.
Chaque dessin est une synthèse. Il com-
mence par « potasser » de la documentation
Zoologie
L’orque paie cher
sa fibre maternelle
Q ue ne ferait pas une mère pour le
bien de ses petits ? La dévotion des
éléphantes, le courage des ourses,
l’abnégation des dauphins femelles…
Pour ne rien dire des soins apportés parfois
tout au long de leur vie par les mères sapiens.
Pourtant, à ce petit jeu, la mère orque tient
une place à part. Son attachement apparaît
sans limite. On se souvient des images de
­Tahlequah qui, dix-sept jours durant, en
août 2018, nagea en portant sur sa tête le corps
de son bébé mort, se privant elle-même de
toute alimentation. Une étude publiée le 8 fé-
vrier, dans Current Biology, vient de montrer,
pour la première fois, que ce sens du sacrifice
se poursuivait à l’âge adulte avec leurs fils.
Depuis plus de dix ans déjà, les chercheurs
qui scrutent la fragile colonie des orques rési-
dentes du Sud, le long de la côte ouest des
Etats-Unis et du Canada, ont constaté que les
mâles adultes ne cessaient de profiter de la
dévotion maternelle. Non contentes de les
guider vers les bonnes zones de pêche, elles
leur cèdent une partie de leurs propres captu-
res. « Mange, mon fils ! » Car ce sont les mâles
qui profitent de l’essentiel de ces largesses.
Michael Weiss, directeur de recherche au
Orques résidentes du Sud. Center for Whale Research
Center for Whale Research, dans l’Etat amé­-
ricain de Washington, qui a piloté l’étude,
l’explique par la structure sociale de l’espèce
– divisée en plusieurs groupes – et par sa
­biologie : « D’abord, les jeunes mâles se repro-
duisent hors de leur groupe, alors que les fe-
melles gardent leurs petits auprès d’elles. Donc
soutenir les mâles n’impose pas de nouvelles
bouches à nourrir. De plus, le succès reproduc-
teur des mâles augmente avec l’âge. Donc c’est
un investissement payant. »
Un investissement : là tient en réalité l’ori­-
ginalité de cet article. « Les relations mère-
enfant qui durent toute la vie sont fréquentes,
insiste la primatologue Elise Huchard (CNRS,
­« crobard », très discuté. « On a vite fait de Montpellier), qui cite les chimpanzés, les
trancher entre plusieurs hypothèses afin de ­bonobos mais aussi les hyènes. Ce qui est en
s’accorder sur un modèle théorique. » Tout le revanche très nouveau, c’est que ces influen-
reste est une mise au point progressive, faite ces maternelles sont coûteuses. » L’équipe de
d’échanges avec des scientifiques. L’esquisse, Michael Weiss a profité des données indivi-
une fois réalisée, est envoyée pour des cor- duelles scrupuleusement collectées depuis
rections subsidiaires sur une toiture ou une quarante ans. Chaque naissance y est repor-
porte d’entrée, par exemple. « L’image doit tée, ainsi que chaque décès. Elle a ainsi pu
être la plus réaliste possible, même au niveau ­démontrer que l’entretien d’un jeune mâle
du détail (…). On corrige en rouge, comme à ­conduisait une mère à perdre 50 % de chance
l’école, et après on ne bouge plus. » d’avoir un petit une année donnée. Un se-
cond mâle, 50 % supplémentaire… « Nous
« Pas d’outils compliqués » nous attendions à trouver un coût mais pas
Jean-Claude Golvin continue de répondre aussi élevé », confie le chercheur.
aux sollicitations de musées, de maisons Pour s’en assurer, il a fallu écarter deux hy-
d’édition, de revues… La commande passée, pothèses alternatives. Et si l’investissement
il rejoint son atelier au fond de son jardin, à tenait dans les seules gestations et lactations
­Cucuron, au cœur du Luberon (Vaucluse), des petits mâles ? En intégrant les fils morts
pour huit heures de travail quotidien. Géné- dans l’analyse, ils ont constaté que ceux-ci ne
ralement, une bonne semaine plus tard, son pesaient aucun poids dans les statistiques de
œuvre est achevée. reproduction de la mère. Peut-être les mâles
Pour reconstruire les cités englouties par n’influençaient-ils pas seulement leur géni-
l’histoire, il n’a pas besoin « d’outils compli- trice, mais l’ensemble des femelles ? Là en-
qués » : un arsenal de crayons, de l’encre, des core, le scénario n’a pas résisté à l’examen
calques, du papier (1,10 m × 0,70 m) pour les des données. « Il s’agit bien d’un investisse-
« portraits » de villes… et un sèche-cheveux ment continu et direct des mères sur leurs
pour sécher ses aquarelles et « obtenir des fils », conclut Michael Weiss.
­effets de rendu au lieu d’une teinte morte, c’est Si ce soin entraîne un tel coût, pourquoi dès
comme un jus subtil ». Et puis, il y a la musique, lors les orques s’y résolvent-elles ? Oubliez les
constamment présente. « Elle me plonge dans clichés sentimentaux, conseille le biologiste.
un bain de beauté. Avec elle, chaque dessin « Notre hypothèse, c’est qu’elles trouvent un bé-
­devient une symphonie. » S’il ne réalise aucune néfice indirect dans le potentiel des mâles à pro-
image numérique, il collabore avec des labo- duire une descendance importante s’ils vivent
ratoires qui s’appuient sur ses réalisations suffisamment vieux, bien plus qu’elles-mêmes
pour la 3D, ce qui offre la possibilité de visiter ne le pourraient tout au long de leur vie. »
l’intérieur des bâtiments. Autrement dit, la meilleure stratégie pour
Mis à part une représentation d’Ispahan, transmettre ses gènes et développer l’espèce.
alors capitale de l’Empire perse, ses réalisa- Ce qui n’empêche pas la communauté
tions sont restées cantonnées dans le bassin d’être en extrême danger. Elle ne compte
méditerranéen et en Europe occidentale. Il aujour­d’hui que 73 membres. La faute à la
aimerait pourtant passer à des destinations disparition de sa proie de prédilection, le
plus exotiques, mais déjà l’attendent les ­saumon chinook, et aux diverses pollutions
­« reconstructions » de Cimiez, d’après les qu’elle subit. Les chercheurs espèrent, grâce
­vestiges gallo-romains de ce quartier de Nice, à ces dernières données, mieux maîtriser la
et de ­sites corses de l’époque romaine. La dynamique de cette population. Compren-
Chine, l’Inde, le Mexique seront pour plus dre les mères pour le bien de tout le groupe :
tard… si ­Jupiter le veut. p assurément une histoire d’orques. p
Francis Gouge Nathaniel Herzberg