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Alexandra W.

Albertini-Schuffenecker M1 SIC

Communication écrite et orale

Cours 1

I) Discours argumentatif et communication

Rappel (transition)
La L3 avait été consacrée à l’examen des modalités du discours argumentatif dans le schéma
rhétorique de communication depuis le modèle antique, toujours d’actualité, mais dont
l’éthique se trouve modulée de nos jours au profit d’une argumentation de la « vente » : de
soi, d’un autre, d’une idée, d’un produit. Le discours informatif, transformé en argumentaire,
évolue vers la promotion totale. (et s’articule de ce fait particulièrement avec la publicité et le
marketing)

Nous avions vu les limites qui peuvent être franchies par paliers, et avions réfléchi aux
critères de leur dépassement, dans la propagande en particulier.

Exercice

Pour se remémorer ces aspects nous partirons d’un exemple :

Phrase d’un candidat à la présidence de la république il y a plusieurs années, au XXème siècle


(évidemment c’est un exemple qui n’implique pas de votre part un jugement politique, peu
importe le parti de cet homme, on analyse sa prose, c’est l’aspect linguistique dans la
communication qui nous intéresse ici).

« Je promets une France forte, prospère, unie et libre. Les obstacles ne viendront pas de moi »

Le feed back attendu est bien sur le vote du public. On utilise aussi les fonctions du discours
de Jakobson pour l’analyser (à revoir si nécessaire)

Pour ce faire l’orateur recentre le propos sur lui (encadrement par les indices de personne 1 :
« je » sujet et « moi », anaphore pronominale (=ego, nécessaire pour celui qui se présente aux
élections présidentielles)). Cela montre sa force et son pouvoir, il est sûr de lui. C’est habile
pour mobiliser la confiance des électeurs. Il s’exprime dans une perspective future par la
promesse et l’emploi du temps « viendra ». le message est étudié pour produire un lien à la
cible. (fonctions conative et phatique)

Le message contient une part implicite et des présupposés. L’implicite est par rapport aux
rivaux assimilés négativement aux « obstacles », d’où la négation sur le verbe viendra, de
façon à suggérer que les obstacles viendront des autres, à travers la contradiction sémantique
entre promettre et obstacles. Obstacles à quoi ? aux éléments de l’énumération « forte,
prospère, unie et libre ». Attention, ce n’est pas une gradation, pour renforcer l’impression
égalitaire. Ces éléments connotent tous des choses importantes renvoyant à la véritable
fonction référentielle du message. L’énumération est positive :

- La force : connote la sécurité, la sureté

-La prospérité, revoie à la fin de la crise économique, une certaine répartition des richesses
minimales pour tous, l’égalité

-l’union : rappelle la devise « liberté, égalité, fraternité », issue de la Révolution française et


de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.= mobilisation de valeurs communes
présupposées, et la solidarité

-La liberté : idem.

Les termes se veulent donc précurseurs d’un feed back collectif : le vote pour celui qui rendra
les gens forts, égaux, et libres, dans une société prospère.

Le message (slogan) mobilise les valeurs fondatrices, et l’espoir. Ces références à un contexte
collectif parlent à tout un chacun. La stratégie linguistique implique aussi l’union contre ceux
qui sont donnés comme des obstacles à ces valeurs (donc ennemis de la prospérité, de la
force, de la liberté et de l’union). En quelques mots, c’est un appel qui est lancé.

Le discours est donc ici un acte perlocutoire (cad qui appelle des conséquences concrètes de la
part du destinataire, et pas seulement le feed back). Il contient un interdiscours efficient. Le
sens va au-delà des mots et de les fonctions simplement métalinguistique et référentielle. Le
message est calculé pour toucher et mobiliser un public très large, donc il utilise des codes
linguistiques favorisant l’implicite pour susciter à la fois le sentiment d’union à un groupe
avec un chef puissant et porteur d’espoir, et la force contre des opposants au progrès.

De l’information à la propagande, il y a cependant des étapes, ce qui interroge sur la limite


entre une manipulation acceptable et une manipulation dite perverse. LA perversité étant
l’absence de différence entre le bien et le mal. La fameuse limite repose donc sur un critère
moral. Celui-ci se définit par rapport à la cible.

La limite est en effet franchie quand la manipulation du discours implique une manipulation
du destinataire dans un sens qui est contre son intérêt. Valable en politique pour les régimes
totalitaires, pas dans cet exemple qui reste dans le cadre de la démocratie.

Ensuite il convient d’examiner l’échelle des intérêts de la cible : ex : floué par un mensonge ?
escroquerie affective dans la sphère privée ? arnaque commerciale ? mise en danger ? atteinte
sévère (blessure, mort) ?

Le critère moral signe le dépassement de limite, que ce soit en communication individuelle ou


de masse.

Il faut donc examiner l’intention de l’émetteur, et tout d’abord :

la réaction du ou des destinataires .

Cette dernière , si elle reste passive, favorise l’atteinte. La responsabilité dans la


communication des co-énonciateurs est double : le message, et sa réception, on ne parle plus
ici en linguistique moderne (école des pragmatiques) de l’émetteur et de destinataire, car les
deux protagonistes sont actants (acteurs qui induisent une ou des actions en amont ou en aval
du discours) du langage qui est locutoire, illocutoire et perlocutoire. Le récepteur doit être
vigilant et averti. En clair se méfier de la manipulation du discours qui induit sa propre
manipulation plus ou moins dangereuse.

Le contexte est tout d’abord important : si j’écoute un homme politique, je dois savoir qu’il
cherche à manipuler mon approbation, pour un vote futur. Si je regarde ou lis une publicité, je
dois savoir que le slogan essaie d’induire chez moi un comportement d’achat. Le récepteur ne
doit pas être naif dans le contexte. Mais il conserve sa liberté d’agir : voter, ou acheter.. Le
récepteur est donc averti de la situation d’énonciation du propos. S’il pose l’acte de voter ou
d’acheter c’est en toute liberté, et sachant qu’il a pu être manipulé, mais il demeure
consentant. De plus voter, ou acheter ne sera pas un danger pour lui. La loi garantit ce
contexte comme sauf, même si manipulatoire. Le sujet sait qu’il est cible de l’homme
politique ou du slogan publicitaire. Les conséquences ne sont pas risquées.

Mais dans un contexte illégal : vente de produits dangereux par exemple (des gélules miracles
pour faire pousser les cheveux en une nuit de 10 cm !!! vendues sur un site lointain douteux,
sans adresse physique, par exemple), doivent alerter le client à ne pas être naif. Comment ?
Le client doit en amont exercer sa vigilance grâce à l’esprit critique= le doute, l’examen de la
validité probable des choses. C’est l’éducation culturelle, scientifique et intellectuelle qui doit
aider le client à rationaliser sa pensée comme vigilante. (On retrouve ici les règles de la
rhétorique antique qui souhaitait garantir la démocratie par le respect éthique). Le contexte
permet de reconnaître la manipulation langagière, et il y a danger si le public refuse ce
constat. (par déni pour cause de fierté, de bêtise de ne pas reconnaitre être une cible).
L’importance de l’esprit critique via le scepticisme est la garantie de ne pas passer de cible à
victime, quand la manipulation du discours pour manipuler la personne, dépasse la fameuse
limité vue plus haut. On doit donc être en capacité de reconnaître la manipulation linguistique
(grâce aux outils rhétoriques), afin d’anticiper la manipulation du destinataire que l’on est. Et
identifier le contexte comme risqué (par ex la propagande des sectes) ou codifié (comme la
publicité si elle est légale évidemment).

L’attitude responsable et fiable est donc importante dans la communication. Sans


consentement, il y a manipulation, conditionnement, abus. Il faut réfléchir en attendant aux
questions que cela soulève.

C’est le principe par exemple dans le discours des sectes, avec des démonstrations rhétoriques
qui ont l’air d’être rationnelles mais qui mobilisent les outils de la persuasion pour l’emprise
affective. (nous verrons à ce titre la prochaine fois comment, à travers les affects phasiques et
toniques)

L’implication psychologique

Sun Tse dans l’art de la guerre, (VI-V e siècle avant JC) écrit : « l’art de la guerre est l’art de
duper ». Au sens métaphorique, on comprend les enjeux de la guerre psychologique dans
notre propos. Il s’agit donc ici d’une communication perverse. Forme extrême qui franchit la
ligne de la morale, de manière inconsciente par un sujet perturbé. Philippe Breton, dont nous
avons déjà parlé (la parole manipulée) parle de « technique des sentiments ».

Celle-ci englobe l’ego du destinataire dans le discours pour le culpabiliser. Le message


devient désirable par le destinataire manipulé, car il en est le centre. Le discours procède alors
par paliers, de la valorisation au début, à la dévalorisation progressive ensuite, à l’aide
d’étapes graduelles très subtiles, que la victime ne perçoit pas. L’émetteur séducteur a des
stratégies qui annihile la liberté de la victime en la noyant dans un discours qui la fait se
perdre, car au début ce discours se coule dans son sens en effet « miroir ». Le style, la
rhétorique du discours sont choisis pour produire cet effet : des arguments larges avec
lesquelles tout le monde est d’accord, concrets ou d’autorité pour créer un effet de consensus,
des lieux communs, par le biais de syllogismes (rappel, procédé hypothetico déductif vrais sur
le plan formel, amis pouvant être faux sur le plan du fond), la répétition (qui favorise le
conditionnement), un discours qui sera de moins en moins soutenu par des connecteurs
logiques….La victime ne perçoit pas les étapes de cette violence sournoise, et se retrouve
comme hypnotisée, dans les rets de l’emprise verbale et psychologique.

Ces cas particuliers de la communication perverse, peuvent être évidemment le fait de –

-manipulateurs conscients qui cherchent à asservir délibérément autrui dans la perspective du


profit. Ce sont les arnaqueurs, les escrocs, qui poursuivent, non pas un but psychique comme
dans la partie précédente, mais un but vénal. Ils savent qu’ils manipulent le discours pour
manipuler le destinataire afin de le voler, et donc de lui nuire, parfois jusqu’à la ruine. Vendre
une encyclopédie hors de prix à une petite mamie qui n’a pas su dire non au téléphone et
donne naïvement son numéro de carte bancaire, manipuler sur internet avec un mail d’un
« ami » en difficulté financière à l’étranger (qui vous demande de l’aider avec 2000 euros) car
on a piraté votre boîte mail etc….le monde d’aujourd’hui ne manque pas d’exemple, nous
sommes perpétuellement exposés au fishing, etc. et le vecteur est le discours argumentatif.

La situation d’énonciation doit être identifiée, la limite morale doit être perçue, et l’esprit
critique actif pour ne pas être la dupe d’une escroquerie.

On n’est ici complètement sorti du cadre légal de la publicité, au-delà du mensonger, puisqu’il
s’agit d’escroquerie caractérisée par abus de confiance. Relevant du droit commun. Parfois
une escroquerie dangereuse pour la santé avec mise en danger de la vie d’autrui, si l’on vend
par exemple des faux médicaments (plein sur internet !).

En contre-exemple je vous parle de la publicité habituelle, où l’achat d’un shampoing n’est


pas dangereux pour vous, car des tests ont été faits dans un cadre légal, il y a un brevet, des
autorisations, etc.

Mais le problème est que le discours publicitaire utilise les mêmes codes ! Les stratégies
marketing, la rhétorique des slogans….

Donc c’est le contexte qui fait la différence pour le consommateur. Cette publicité-là, en
revanche est licite, même si manipulatoire.

Il faut donc bien réfléchir aux différences, et à l’aspect pervers de la propagande publicitaire
dans son contexte légal ou pas.
Conclusion

Les présupposés du discours ont donc une portée subliminale importante dans la sphère de
l’implicite. Les lecteurs /auditeurs ne lisent pas littéralement le texte, leur compréhension va
au-delà. Car la perspective psycholinguistique l’emporte dans le discours. Il y a une stratégie
en fonction du destinataire humain. C’est -à- dire selon la pragmatique. Je résume avec une
citation de Blanchet : « l’illocution est conventionnelle, la perlocution non conventionnelle »
(convention = lié à une convention, un code linguistique ), le destinataire participe activement
au discours qui est ici véritable communication par rapport à un discours de base uniquement
informatif. L’acte de langage a des conséquences perlocutoires évidentes, car il mobilise en
amont une dimension illocutoire (mobilisation de présupposés et valeurs communs). Alors
que la pure information n’est que locutoire. On le comprend en utilisant les fonctions de
Jakobson comme critères d’analyse du discours (en particulier celles qui ne sont pas de base
comme dans le schéma de Shannon et Weaver (grosso modo : le fond et la forme , fonction
référentielle et fonction métalinguistique chez Jakobson)

La fonction métalinguistique dans notre exemple est élaborée. Elle témoigne d’un effort
poétique, et rend compte d’un talent rhétorique. Elle produit des effets de persuasion sur le
destinataire.  Mais dans d’autres cas on pourra envisager cette manipulation comme abusive
(discours des sectes par exemple qui fonctionnent sur les mêmes modes persuasifs
dominants).

II Présentation des principes psycho linguistiques

Il s’agit donc tout particulièrement de rentrer dans la dimension psycho-linguistique de la


communication à l’aide du discours, ou psychologie du langage. Il serait pertinent d’associer
cela à la communication non verbale, mais ce n’est pas ici l’objet du cours. Ce peut être utile
pour vous de faire le lien, si vous avez une formation dans ce sens dans le master (ou si vous
l’avez eue dans la licence, ou si vous êtes curieux…sachant que depuis quelques temps vous
en avez de beaux exemples (discours et CNV ) dans plusieurs séries.)

On se penchera sur le principe individuel, mais surtout ensuite sur la communication


collective à travers l’exemple d’internet à sa création, et ensuite la presse au moment de la
bascule dans les médias modernes.
Mais dans un premier temps on étudie La manipulation langagière du point de vue
psychologique, cad comment fonctionne en amont la pensée dans l’individu, afin de traiter le
principe individuel de communication dans ses aspects psycho-linguistiques.

Le fil conducteur et problématique qui doit guider votre analyse du cours est le suivant :

Peut-on, à la lumière des implications psychologique dans le discours, conduire une


communication sereine, fluide et non manipulatoire, ou du moins manipulatoire sans être
perverse ?

En effet dans le contexte économique matérialiste actuel, on peut s’interroger sur la notion de
valeurs dans la communication humaine via le discours. (valorisation des anti valeurs ???)

Doit-on redéfinir la notion de valeur, la relativiser, la contextualiser ?

Et je ne parle même pas du contexte covid (il serait intéressant d’y réfléchir)

En philosophie, une valeur correspond à tout ce qui répond aux besoins des hommes, de leurs
idées, de leurs actions…

Et on comprend donc le lien au discours, puisque nous avons montré dans le I que le discours
est un acte de langage, littéralement…

On comprend aussi les dangers de la violence verbale, non dans son expression (les insultes,
les cris) mais dans son aspect manipulatoire pervers qui peut déboucher sur une
communication agressive quand en amont des émotions (en rapport avec la psyché) l’animent
ou bien quand une grande perversité pathologique la guide. On a vu à ce dernier propos les
exemples de propagandes comme le nazisme.

Ces questions sont fondamentales à comprendre et à investir, car la communication est le


terreau de la civilisation (aspects montrés dans le début du cours de L3 : du langage à la
langue, de la langue au discours dans les sociétés primitives)

Il existe ainsi des jeux de langue pour des enjeux cruciaux, (jeux de guerre ?). Qu’elle soit
consciente ou inconsciente, la parole agit, elle crée, elle a des conséquences, elle fonde la
société. Tout ce qui règle une société est discours et on en a la responsabilité.

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