Vous êtes sur la page 1sur 6

Alexandra W.

Albertini-Schuffenecker M1 SIC

Communication écrite et orale


Cours 3

II La communication de masse, approche communicationnelle des groupes sociaux


1) L’enjeu humain du discours rhétorique

Les éléments de la complexité de la communication verbale ont été montrés sur le plan
psycholinguistique, mais ce n’est qu’une infime partie d’un ensemble qui intègre d’autres
paramètres pour une communication globale. Seulement 7% de la communication est verbale
(selon Albert Mehrabian), 38 % est « para verbale », cad dépendant de l’intonation et de la
voix (critères liés à la dimension psycholinguistique). Le reste, 55%, est visuel :
communication non verbale des expressions du visage et du langage corporel.
Il faut donc faire la différence entre communication écrite (100% de verbal) et communication
orale. Cela multiplie les problèmes de compréhension (ou plutôt d’incompréhension, devrait-
on dire…), d’autant plus quand cette communication passe de l’individuel à la masse.
En effet les sociétés langagières se sont construites et organisées en fonction de la
communication (nous l’avions vu en L3). C’est fondamental car la parole crée l’ordre (CF
aussi les principes de la rhétorique antique dans la cité (vu en L3 aussi ). Les réseaux de
communication de base (pas ceux actuels dits spécifiquement réseaux sociaux en lien avec
internet), sont un enjeu humain de la civilisation. Un soin est porté afin d’éviter un maximum
les erreurs, ou au mieux, les ambiguïtés. Mais nous avons vu dans ce cours, que les aspects
psycholinguistiques ne permettent pas d’envisager une communication vraie et fluide.
Ainsi l’erreur est constante, d’une manière ou d’une autre, soit dans l’émission, soit dans la
réception. Et il faut tenir alors compte d’une communication réelle manipulée, et/ou
transformée. La propagande (dans le discours adressé à la masse), sait en tenir compte, et
transforme ce principe déviant en un élément de la manipulation même, de façon à limiter la
« self deception » (c’est-à-dire le mensonge inconscient dans la réception défaillante du
message).
En clair, si on ne peut pas empêcher l’erreur, on essaie de la prévoir pour la contrôler au
mieux.
La conviction étant moins risquée que la persuasion à ce titre, à cause des implications
émotionnelles de la seconde qui ouvrent davantage la porte de l’inconscient. Mais la
persuasion faisant partie des outils stratégiques de la manipulation, un paradoxe se dessine
alors. Il s’agira alors de vérifier que la communication a bien eu lieu comme on le souhaite.
C’est précisément tenir compte de la subjectivité du discours. Même pour un message dit
« objectif ».
L’explicitation, la répétition en sont les principaux outils. Il y a donc une dimension
pédagogique dans le discours adressé à la masse. Et il y a une dimension sociale et
intellectuelle, liée au niveau d’étude de la masse. Pour maintenir un point de vue commun, la
stratégie consiste à , non pas faire la moyenne du niveau pour bien communiquer, mais
s’adresser au niveau le plus bas. La garantie de l’efficacité de cette communication, est de
rendre le discours non seulement intelligible (contenu), mais transmissible (moyens). Les
outils langagiers sont donc calculés dans un contexte précis de communication, privilégiant un
large champ commun, avant d’aborder des questions plus précises.
Faites l’expérience face à des discours politiques lors de campagnes :
Si on se libère de ses propres idées, de ses idéaux et qu’on essaie d’écouter le discours des
candidats sans préjugés, vous verrez qu’on peut être d’accord avec une grande partie de ce
qu’ils disent, même si ce ne sont pas en premier lieu nos idées, et même s’ils ne sont pas
d’accord entre eux. La majorité des votes seront emportés par ces impressions. La minorité
par la conviction profonde en amont.
La psychologie des masses dans la communication intègre donc pas mal de paradoxes. Le
langage est suffisamment chargé d’implicite, comme on l’a vu, pour laisser la place à
beaucoup d’incompréhension. La communication n’est pas alors de faire passer des idées,
mais de limiter les erreurs d’interprétation de quelques idées précises…
En effet une bonne communication implique le bon feed back et pas l’expression de toutes ses
propres idées. L’égo s’efface ici au profit de l’alter égo.
Pierre Bourdieu (Ce que parler veut dire, Fayard, 1982) écrit : « tout communicatif s’inscrit
dans un jeu social nécessairement porteur d’enjeux ». Ces enjeux sont identitaires,
relationnels, territoriaux, etc…
Cela donne au discours un rôle social incontournable. (le parent, l’enseignant, l’amoureux, le
chef, etc…)Un code de communication est alloué à chaque rôle dans la société, en fonction du
contexte, de la hiérarchie etc…. (ex : je ne vous parle pas comme à mes enfants)
(heureusement !!)
C’est aussi un moyen de marquer sa place. Comme aussi le « non discours » par exemple, par
un silence qui impose une autorité. Cette stratégie est de l’ordre de la communication non
verbale.
L’identité de l’orateur doit être marquée pour que le destinataire soit aussi à sa place. Mais
cette place diffère entre destinataire solitaire ou en groupe. Dans ce deuxième cas :
-soit le groupe est galvanisateur (valeurs communes, idéaux communs en construction, on
libère sa parole par l’émotion )
-soit le groupe est inhibiteur (on a peur du jugement d’autrui, on ne prend pas la parole en
public)
Dans le premier cas on se fond en effet dans le groupe, auquel on appartient en mettant de
côté le moi au profit de l’effet collectif. Dans le deuxième cas on a peur de la projection
narcissique et on reste verrouillé dans ce que Goffman appelle « les réserves du moi ».
Les malentendus, l’incompréhension ne sont donc pas considérés comme des accidents de la
communication, ils en sont la norme.
A moins que le statut de la langue parlée soit particulièrement bien adapté à la communauté
linguistique concernée, mais c’est rare car la langue et son niveau sont des outils de pouvoir
dans la communication de masse : il faut se faire comprendre certes, mais il faut conserver la
suprématie que donne le discours à l’orateur. Dans la propagande politique en particulier,
l’enjeu linguistique s’articule subtilement entre domination et séduction. Il faut amener le
public à une citoyenneté éclairée, mais pas d’une lampe trop lumineuse….
La bonne parole n’est alors pas celle qui s’énonce bien ou dans un niveau de langue supérieur,
mais une parole adaptée. Cad en adéquation avec public et objet, en cohérence avec contenu
et objectifs, dans l’optique du feed back (le vote, l’adhésion).
L école a donc en amont une grande responsabilité : celle de compenser les carences sociales
de l’instruction entre autre, en plus de former les esprits à l’usage raisonné du discours.
L’école c’est aussi le lieu d’immersion d’un groupe hétérogène, où l’on parle désormais
pudiquement de « différences linguistiques » et plus de « déficiences linguistiques ». Mais
dans la réalité les différences de niveaux persistent, et connotent souvent la déficience, malgré
la tentative d’éviter les jugements de valeurs. Une pédagogie différenciée, innovante tend à
compenser cela, mais n’est pas toujours possible. On essaie de proposer à tous les apprenants
des modèles linguistiques pour développer une capacité verbale de communication qui ne
saurait rester l’apanage d’une minorité dans une société ou le pouvoir prône l’égalité des
chances.
C’est ainsi que savoir-faire et savoir se conjuguent vers le savoir être.

2) Champ d’application avec l’exemple de la démocratisation d’internet, et son lien


à l’information

Le langage et l’information à travers la révolution d’internet sont en constante évolution, mais


les débuts sont significatifs pour mon propos afin de comprendre les enjeux socio-
linguistiques de la communication de masse, à partir des aspects psycholinguistiques.
Dans les années 1990 commence une course à la maîtrise des réseaux d’envergure planétaire.
Les corollaires sont l’absence de règlementation (et ensuite règlementations en permanence
obsolètes à cause de l’évolution rapide des progrès technologiques dans ce domaine), la
privatisation de l’argumentation en ligne (entre particuliers et masse), l’utilisation des outils
de la communication orale dans une communication écrite plus ou moins instantanée.
Le but était au départ « vertueux » : partage de l’information, de la connaissance, dans le but
d’une démocratisation des savoirs. (Cela ressemble, toutes proportions gardées, à la
révolution intellectuelle des Lumières au XVIIIème siècle et à l’Encyclopédie entre 1752 et
1762, censée diffuser le savoir auprès de tous. Mais ce savoir passait déjà par des écrits
argumentés, non objectifs et souvent engagés (voir par exemples ceux de Diderot autour de la
politique))
L’aspect commercial a ensuite envahi et souvent perverti le dispositif initial, véhiculant un
idéal d’enrichissement sur une échelle de la légalité (la pub) à l’escroquerie (la fausse pub),
par exemple.
Résultat, n’importe qui peut dire et faire n’importe quoi, grosso-modo. D’où les fake news,
les phishings, hackers et compagnie (la récente divulgation de milliards d’adresses email avec
leurs mots de passe). Tout est sur la place publique, mais déguisé et masqué.
La communication vertueuse des débuts a donc muté en communication assez perverse.
Cela requiert (comme on l’a vu dans le cours de L3) l’esprit critique de l’internaute, pour
éviter toute manipulation. Et cela interroge sur la validité des informations, passées au
moulinet de la psychologie du langage social….
On est donc passé des « autoroutes de l’information », comme on les appelait à la fin du
XXème siècle, aux « super highways » (avec l’influence grandissante de l’anglais, ou plutôt
du « globish »), sur le modèle du célèbre slogan : «  le monde est dans ma chambre ». Et cela
est arrivé réellement, avec l’exemple de cet asiatique à l’époque demeuré plus de 6 ans
enfermé littéralement dans sa chambre avec internet, et les plateaux repas de sa maman…(un
buzz à l’époque, une réalité banale aujourd’hui…).
La concurrence commerciale, pour y revenir, a été à la fois la cause et la conséquence de
l’explosion de cette technologie de pointe, reliant tout le monde au monde entier. (par le son,
le texte et l’image fixe et mobile), débouchant sur une sorte de contrebande de milliards de
points de vue, dont la place principale était occupée par le langage (pas toujours la langue ni
le discours…)
Cette révolution numérique colossale, comparable aussi à la révolution industrielle du XIX
ème siècle a donc modifié le monde à jamais comme vous le savez. La communication de
masse est devenue quotidienne, et en même temps et très bizarrement assez individuelle, avec
une information qui n’est plus régulée comme avant avec le livre ou la presse.
Consommation, communication et connaissance se mélangent sans règles dans une société
virtuelle, où fermeture et ouverture ne veulent plus dire la même chose. En effet le passage à
l’an 2000 a entériné de nouveaux mode de savoirs et de communication irréversibles. Le
résultat est un mélange permanent d’informations vraies ou fausses, pauvres ou riches. Fausse
égalité sociale pour la masse qui les consomment de la même manière, car au final, on a parlé
de « fracture mondiale dans le domaine de l’information et de la connaissance » au G8
d’Okinawa en juillet 2000. En effet ce sont toujours les mêmes qui pourront discriminer les
effets pervers du discours, et anticiper les pièges d’une linguistique manipulatrice, c’est-à-dire
ceux qui ont l’éducation du discours et de ses pièges (la rhétorique).
Il a donc fallu faire une charte mondiale, pour éviter qu’internet n’exclut, ne marginalise, ne
favorise, et ne devienne donc pas un critère discriminatoire (dont l’application est encore
difficile 20 ans après). En effet, loin de créer l’égalité voulue, ou même l’équivalence entre
les êtres, internet a revisité les sectarismes habituels.
En l’an 2000, l’internaute moyen est un homme blanc de moins de 35 ans, il est diplômé du
supérieur, il a de bons revenus et vit dans une ville anglo-saxonne.
Donc exit les jeunes, les vieux, les femmes, les noirs, les pauvres, les non diplômés, les non
anglophones…
En l’an 2000, le pari d’internet est déjà compromis. Et il était évident qu’il le serait du point
de vue communicationnel. En effet plus de la moitié de la planète n’a même pas le téléphone
aujourd’hui (et oui ça existe, et ¼ des pays a moins de 1 téléphone pour 100 personnes en
l’an 2000). En 2000, sur 10000 habitants, seulement 1989 avaient un ordinateur, et le prix de
l’accès à internet était proportionnel au nombre de connectables (donc discrimination
matérielle évidente), coûtait de 30 à 100 dollars par mois (très cher donc à l’époque). Les
disparités matérielles se sont donc superposées sur les disparités des niveaux de discours.
(c’est-à-dire en corrélation avec les aspects socio-culturels et socio-linguistiques)
La réaction a été révolutionnaire avec L’évènement d’un groupe brûlant un ordinateur devant
le bâtiment du G8 à Okinawa.
On a évoqué alors justement les risques de cette information de masse via internet, qui non
seulement mettait en danger l’information privée, mais confondait information riche et
information pauvre, information vraie et mensonge. Les limites sont devenues floues, et la
définition de l’information s’est modifiée (mais les aspects psycholinguistiques non) :
importance de savoir des choses, mais des choses qui servent ou pas ???
En effet le média par définition est là pour éclairer un sujet afin de le rendre intéressant (donc
usage du discours couplé aux images, et manipulation langagière), et donc il dure, et les
annonceurs paient des publicités qui font vivre le média.
Cependant avec la révolution internet, beaucoup de médias sont passés (et c’est là que la
notion d’éthique intervient, ainsi que la déontologie) à la promulgation d’informations plus ou
moins intéressantes qu’on cherche à faire adopter. Et ainsi le média ne dit pas quoi penser,
mais à quoi penser. (voir le résultat des sélections d’informations personnalisées aujourd’hui,
ou sur le plan commercial les cookies)
Comme pour les discours et leur manipulation, les outils critiques sont requis pour éviter alors
l’influence de l’information bête, fausse ou inutile en plus des dangers de l’information
manipulatoire. En effet, l’individu est exposé stratégiquement à de multiples informations que
sa vigilance a de plus en plus de mal à trier…Sa mémoire « sélective » en garde peu (20 %),
mais la mémoire de son ordinateur, elle, garde tout (100%), et oriente l’information suivante
qui lui est proposée. Au lieu de se servir de l’ouverture d’internet, la personne est enfermé
dans une exposition sélective aux informations, et son cadre de pensée se resserre.
L’information qui était verticale, devient alors horizontale et d’intérêt stagnant. Le langage en
est l’habit qui la travestit. Et cela est beaucoup plus facile qu’avant internet. C’est en effet,
permanent et quotidien, dans la poche, sur le smartphone. Le choix de l’information n’est
finalement plus libre, et cela crée un carcan au détriment de l’information. Je veux dire la
vraie information.
On passe donc de données informatives à des données davantage psychologiques,
ethnologiques, en fonction des groupes. L’information (du point de vue du fond) et le discours
de cette information (du point de vue de la forme) sont au service de cette action de
« noyade » du public. « Trop d’informations tue l’information ». Et il ne s’agit plus d’enjeu de
communication ici, mais d’enjeu économique. L’information est devenue un produit, qui en
apporte d’autres. Le discours est resté toujours aussi manipulatoire et axé sur la psychologie
du langage, et les outils sont les mêmes pour en déjouer les pièges, mais de moins en moins
de monde les identifie et les maîtrise dans cet exemple analysé sur internet.

Conclusion
On parle parfois d’ « abus de langage » pour évoquer les actes manqués, les lapsus ou les
excès de rhétorique…mais au fond, utiliser le discours dans la communication langagière,
c’est prendre le risque d‘être abusé par lui, au moment où l’on en abuse. De la stylistique
(produire des effets) à la rhétorique (convaincre et persuader), il y a une limite vite franchie
dans la tentation de convaincre du bien-fondé de l’information, en s’appuyant que la
psychologie du langage des masses.
Mais le débat ne se pose pas simplement dans l’alternative de manipuler ou d’être manipulé.
En effet la manipulation langagière, avec son feed back tant espéré, permet au faible de se
défendre, de se protéger (tout est manipulation de toute façon explique Watzlavick…).
Jusqu’à une certaine limite, la propagande (quand elle n’est pas univoque) permet la
démocratie (l’intérêt venant de la confrontation des diverses propagandes). Un mal nécessaire
nous dit Lionel Bellenger (La persuasion, coll. Que sais-je ?)
L’équilibre entre le tout pour et le tout contre manipulatoire, s’obtient grâce à rhétorique, et
traduit une société qui repose au fond sur une agressivité primitive. Celle-ci n’est plus dans le
gourdin de l’homme de cromagnon, elle est dans le micro cravate de l’orateur, dans la plume
du journaliste…
Attention : est-elle dans le cours du professeur ? ( ;-)))

Vous aimerez peut-être aussi