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L’eau liquide de la vie
L’eau possède un certain nombre de propriétés de base qui ont sans doute joué un rôle
dans l’apparition et le maintien de la vie. Le diagramme thermodynamique des états de
l’eau montre une zone de stabilité du liquide bien adaptée aux conditions de
température et de pression à la surface de la Terre. La densité plus faible de la glace
implique que celle-ci flotte sur le liquide, un paramètre important pour conserver la vie
à travers les fluctuations climatiques. La liaison hydrogène qui caractérise les
propriétés chimiques de la molécule est bien adaptée aux liaisons avec les molécules
organiques et entre les molécules d’eau elles mêmes. Elle commande les relations
hydrophiles et hydrophobes dont le jeu réciproque permet une grande variété de
situations chimiques. L’eau, dont la constante diélectrique est élevée, est un solvant
pour un grand nombre de sels, mais aussi des gaz comme l’oxygène. En son sein
peuvent se produire des réactions chimiques. Les propriétés thermodynamiques
mesurées sur l’eau donnent parfois l’impression que l’eau est un liquide « anormal »
(par rapport aux liquides formés d’un assemblage de sphères dures). Cette impression
est due au fait que de nombreuses propriétés ne montrent pas une évolution linéaire
avec la température et la pression en raison de la fluctuation du nombre de liaisons
hydrogène entre les molécules d’eau. La « structure » de l’eau, étudiée par de
nombreuses méthodes physiques, fait toujours l’objet de controverses parfois vives.
Par sa capacité de corrosion vis-à-vis des minéraux, l’eau a dû jouer un rôle primordial
dans l’apparition de la vie (formation d’enzymes soufrées notamment). Elle héberge
toujours des formes « simples », plus ou moins bien connues, d’êtres « vivants »
(comme les virus dans les océans).
Conférence débat et controverses
L’eau est un liquide unique dont les propriétés sont cruciales pour les processus de la
vie. Dans les systèmes vivants, les phénomènes essentiels ont lieu, en géométrie
confinée, dans les cellules vivantes, et à proximité des sites actifs des protéines et des
membranes ou à leur surface. La stabilité des systèmes biologiques est contrôlée par le
jeu subtil entre les interactions hydrophiles et les interactions hydrophobes [1]. Il est
admis que l’eau d’hydratation joue un rôle prédominant dans la relation entre la
structure, la dynamique et la fonction des systèmes biologiques [2]. Au cours de cette
conférence, je rendrai compte des propriétés structurales et de transport de l’eau
interfaciale dans des systèmes poreux modèles ainsi que dans des systèmes
biologiques. A température ambiante, les propriétés structurales et dynamiques de
l’eau, au voisinage d’une surface hydrophile, sont comparables à celles de l’eau
surfondue [2]. Enfin, je montrerai, qu’à l’échelle temporelle de la nanoseconde, il
existe une corrélation entre la dynamique de l’eau interfaciale et les mouvements
internes d’une protéine hydratée comme le lysozyme [3].
On appelle “hydrophobes” des molécules dont la solubilité dans l’eau liquide est
faible, principalement parce que ces molécules ne participent pas au réseau de liaisons
hydrogène de l’eau. Dans cet exposé, j’essaierai de montrer comment la dissolution de
molécules apolaires dans l’eau est possible, et comment elle peut se faire sans perte de
liaisons hydrogène. Ensuite, je présenterai deux exemples de grandes molécules
hydrophobes dont la solubilité dans l’eau est très faible, et qui ont rependant des
fonctions biologiques importantes. Le premier exemple concerne des molécules de
médicaments, dont la solubilité est limitée par leur aptitude à cristalliser. Dans ce cas,
on se demande si la production de ces médicaments sous forme de dispersions de
nanoparticules, à structure amorphe, permettrait d’augmenter leur biodisponibilité. Le
second exemple concerne les tanins qui sont produits par les plantes, et font partie de
leur système de défense contre des agresseurs tels que des moisissures ou des
herbivores. Dans ce cas, nous cherchons à comprendre comment la présence de
protéines riches en proline dans la salive des herbivores et des humains permet d’éviter
les effets anti-nutritionnels des tannins.
Conférence débat et controverses
La membrane pourpre de Halobacterium salinarum (un organisme qui vit dans les lacs
salés) est constituée de lipides organisés en bicouche, et d’une protéine appelée
bactériorhodopsine parce que, comme la rhodopsine dans les yeux des animaux, elle
lie le rétinal, une molécule sensible à la lumière. La bactériorhodopsine se comporte
comme une pompe à protons, activée par la lumière. Elle participe à établir le gradient
de pH de part et d’autre de la membrane, nécessaire à la bioénergétique de
l’organisme. Des travaux effectués par diffusion de neutrons sur cette membrane
naturelle ont permis de comprendre le rôle de l’eau dans sa structure même, ainsi que
le couplage entre la dynamique de l’eau et celle des lipides, d’une part, et la
dynamique associée à l’activité de pompe à protons de la bactériorhodopsine, d’autre
part.
Conférence débat et controverses
La cellule biologique est une unité structurale de tout être vivant. Il s’agit d’un
compartiment limité par une membrane plasmique constituant la barrière naturelle
séparant le cytoplasme du milieu extracellulaire. Cette dernière est formée
principalement d’une bicouche lipidique dans laquelle les protéines membranaires sont
libres de diffuser et d’accomplir une grande variété de fonctions cellulaires
fondamentales. Les membranes ne sont perméables, par diffusion simple, qu'aux
petites molécules hydrophobes mais requièrent des protéines membranaires pour
réguler les exchanges transmembranaires d’ions (canaux ioniques), d’eau
(aquaporines) ou encore de plus grosses molécules (transporteurs)... Nous attirons
l’attention dans cet exposé sur le rôle fondamental que joue l’eau située au voisinage
de la bicouche lipidique dans plusieurs de ces processus de transport. Nous utilisons
pour cela des simulations de dynamique moléculaire qui permettent une caractérisation
à l’échelle moléculaire des propriétés structurales et dynamiques des membranes.
Nous montrons comment l’eau module ces propriétés. A travers deux exemples
concrets, nous décrirons son implication dans le phénomène d’électroporation
largement utilisé aujourd’hui en biotechnologie et dans le fonctionnement des canaux
ioniques sensibles à la tension, composantes essentielles de l’excitabilité cellulaire.
Conférence débat et controverses
Parmi les articles remarquables que publia Einstein en 1905 s’en trouve un qui, contre toute
attente, a donné lieu à une méthode très puissante d’exploration du cerveau. Le concept de
diffusion moléculaire a été expliqué par Einstein sur la base du mouvement de translation
aléatoire des molécules, lié à leur énergie thermique. En 1985 il fut possible, pour la première
fois, d’obtenir des images du coefficient de diffusion de l’eau dans le cerveau humain avec
l’IRM. Durant leurs déplacements les molécules d’eau sondent les tissus biologiques,
interagissant avec les membranes cellulaires, les macromolécules, et nous donnent ainsi des
informations uniques sur leur organisation spatiale microscopique, bien que la résolution des
images IRM restent millimétrique1. Une application médicale majeure de l’IRM de diffusion
de l’eau est l’ischémie cérébrale à la phase aigüe : la diffusion de l’eau ralentit dans les
régions non irriguées ce qui permet un diagnostic et un traitement dès les premières heures,
avant que l’atteinte soit irréversible. Ce ralentissement de la diffusion est corrélé au
gonflement cellulaire qui accompagne l’œdème cytotoxique, mais le mécanisme exact n’est
pas encore complètement élucidé. D’autre part, il a été montré que la diffusion de l’eau dans
le cerveau était anisotrope, en particulier dans la matière blanche, car les membranes axonales
limitent le mouvement de diffusion dans une direction perpendiculaire aux fibres nerveuses.
Cette découverte est aujourd’hui exploitée pour produire des images spectaculaires de
l’orientation des faisceaux de matière blanche et des connexions intracérébrales à partir de la
mesure du tenseur de diffusion de l’eau. La dernière née des applications de l’IRM de
diffusion de l’eau est celle de l’IRM fonctionnelle. En effet, il a été récemment découvert que
le coefficient de diffusion de l’eau diminuait légèrement et transitoirement dans les régions
cérébrales activées2. Cet effet survient plusieurs secondes avant l’augmentation connue du
débit sanguin qui est utilisée habituellement en neuroimagerie fonctionnelle (TEP ou IRM)
pour obtenir des images de l’activation cérébrale lors de tâches sensorimotrices ou cognitives,
et sa découverte représente une avancée majeure, offrant potentiellement une approche plus
directe et une meilleure résolution. Ce ralentissement diffusionnel de l’eau résulte d’un
transfert d’eau vers un pool à diffusion très lente dans les cellules activées. Ce pool pourrait
être constitué de couches de molécules d’eau électrostatiquement confinées par les
membranes cellulaires, et son extension lors de l’activation traduirait une augmentation de la
surface membranaire, en rapport avec le gonflement cellulaire qui a été observé sur des
préparations neurophysiologiques. Les mouvements d’eau et les changements de leurs
propriétés physiques, comme la diffusion, apparaissent donc au cœur même des processus
d’activation neuronale3.
1
Le Bihan D. Nat Rev Neurosci. 2003, 4(6):469-80; 2Le Bihan D, Urayama S, Aso T, Hanakawa T,
Fukuyama H. Proc Natl Acad Sci U S A. 2006, 103(21):8263-8; 3Le Bihan D. Phys. Med. Biol.
2007 R2 : R57-R90.