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Des Usines et autres

établissements sur les cours


d'eau, développements sur
les lois et règlements qui
régissent cette [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Nadault de Buffon, Benjamin (1802-1880). Auteur du texte. Des
Usines et autres établissements sur les cours d'eau,
développements sur les lois et règlements qui régissent cette
matière, à l'usage des fonctionnaires,... par M. Nadault de
Buffon,... Nouvelle édition considérablement augmentée....
Rivières et canaux non navigables. 1874.
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DES USINES
ET AUTRES ÉTABLISSEMENTS
SDR

LES COURS D'EAU


DÉVELOPPPEMENTS

SUR LES LOIS ET RÈGLEMENTS QUI RÉGISSENT CETTE MATIÈRE

A L'USAGE

Des fonctionnaires de l'ordre administratif et de l'ordre judiciaire


Des ingénieurs, des avocats, architectes et experts ;
Des propriétaires d'Usines, et des propriétaires riverains ;

~7,
PAR M.
-^
NÀDAULT DE BUFFON
\INGÉNIEUR EN CHEF
\ \ , *, •
AIOTEN .CHEï'.BE
LA DIVISION DU SERVICE HYDRAULIQUE
\ .
: £0" MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS

-- '\!\r'/ NOUVELLE ÉDITION


f
^CôiisilêrablKiMt aogmcntte cl donnant le dernier élal de la jurisprudence.

TOME PREMIER
RIVIÈRES ET CANAUX NAVIGABLES

PARIS
MARESCQ AÎNÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR
17, RUE SOUFFLOT, 17

1874
DES USINES
ET AUTRES ÉTABLISSEMENTS

SUR LES COURS D'EAU

DÉVELOPPEMENTS

SUR LES LOIS ET RÈGLEMENTS QUI RÉGISSENT CETTE MATIÈRE

LIVRE I
PRINCIPES GÉNÉRAUX

INTRODUCTION
ANCIENNETÉ DES MOULINS AL'EAU. —PREMIERS RÈGLEMENTS
DONT ILS ONT ÉTÉ L'OBJET.

Ce n'est qu'au commencement du iv° siècle, sous le


règne de Constantin le Grand, que l'usage des moulins
à eau paraît s'être propagé dans tout l'empire romain
.
Au vic siècle, leur usage était exclusivement adopté.
L'histoire parle de ceux que Bélisaire, général de Jus -
tinien, fit construire sur le Tibre pendant le siège de
Rome. Ce n'est donc qu'au moment de disparaître de
la seène du monde que les Romains, qui au temps de
I
2 DES MOULINS A EAU.
leur puissance n'avaient connu que les moulins à bras,
tirèrent sérieusement parti de cette invention.
C'est ainsi que les moulins, ayant eu pour point de
départ un simple pilon, parvinrent avec des modifica-
tions successives à l'état perfectionné où ils sont au-
jourd'hui.
Vers le xi° siècle, ils eurent une concurrence mo-
mentanée dans les moulins à vent, que les croisades
avaient trouvés presque exclusivement adoptés en
Orient, et qu'on prétendait par cette raison devoir être
les plus avantageux. Mais l'expérience eut bientôt fait
justice de cette erreur, et ces derniers moulins furent,
dès les premières années de leur introduction en Eu-
rope, relégués dans des lieux privés d'eau.
Autres usages des chutes d'eau. — Après l'invention
des roues hydrauliques, leur usage fut d'abord pen-
dant très-longtemps restreint aux moulins à blé ou à
huile. Du vif au xive siècle, à peine si une période de
deux cents ans voyait appliquer ce moteur à un usage
nouveau. Le moyen âge n'était pas manufacturier de sa
nature; et ensuite, à cette époque, l'Orient, qui fut le
berceau de tous les arts comme il fut celui des scien-
ces et de la civilisation, continuait encore de fournir à
l'Europe presque tout ce qu'elle consommait d'objets
de luxe.
Au contraire, au commencement du xvie siècle, des
circonstances favorables ayant amené une grande amé-
lioration dans les idées, ainsi que dans les affaires pu-
bliques du temps, il en résulta un accroissement très-
sensible de population; des besoins nouveaux prirent
PREMIERS REGLEMENTS. 3
naissance, et, dès cette époque, l'industrie française
commença à fonctionner activement.
Dès lors l'eau, ce moteur puissant dont l'emploi avait
été, jusque-là, en quelque sorte délaissé, fut employée
successivement à de nombreux travaux. On lui fit la-
ver et piler des minerais; fondre, étirer, laminer ou
tourner les métaux; broyer le plâtre, la brique, les
matières colorantes et médicinales; filer la soie, le lin,
ie coton et la laine ; fouler les étoffes, les écorces et les
pelleteries; scier les bois et les pierres; polir et façon-
ner les marbres, les cristaux; fabriquer et imprimer
les tissus, etc., etc. Plus tard on employa l'eau cou-
rante à s'élever elle-même, pour l'irrigation des terres,
pour l'usage des villes, et pour les besoins de l'indus-
trie.
Or, dans cette énumëration restreinte, on reconnaît
tout le faisceau des arts de la vie sociale. Chaque in-
dustrie a eu ses époques particulières d'accroissement :
ainsi l'invention de l'imprimerie, au milieu duxvesiè-
cle, fut liée à celle des papeteries ; et toutes les fois
que le progrès des lumières a marché d'une manière
sensible, celles-ci en ont ressenti les effets.
La protection de Colbert donna à notre industrie ma-
nufacturière une impulsion des plus puissantes. Aussi
les cours d'eau du nord de la France se couvrirent-ils,
à la fin du xvn" siècle, d'un grand nombre de fabri-
ques, qu'on y voit encore aujourd'hui.
Lois et règlements. — Dans l'antiquité, il n'existe
rien à cet égard que de très-exigu et de très-vague.
Le silence des lois romaines montre que, jusqu'à la
4 DES MOULINS A EAU.

chute de l'empire d'Occident, les moulins à eau ne


tinrent jamais qu'une bien faible place dans les inté-
rêts généraux de cette grande nation. En effet, on vient
de voir, par les détails qui précèdent, que ces moulins
n'avaient pris toute leur extension qu'à la fin du Vesiè-
cle, époque de l'anéantissement de la domination ro-
maine.
Néanmoins il en est fait mention dans le code Théo-
dosieu, compilation qui remonte au règne de Constan-
tin, c'est-à-dire au commencement du ivc siècle. On en
signale de deux sortes : ceux qui ont un usage privé et
ceux qui ont un usage public. Il est défendu aux par-
ticuliers de détourner le cours des eaux servant à ces
derniers (1). Le Digeste, rédigé par ordre de Justinien
au commencement du vic siècle, reproduit la même
disposition, et en ajoute, sur l'usage des eaux cou-
rantes, quelques autres qui semblent applicables à
l'objet dont il s'agit; mais toutes ces dispositions sont
conçues en termes très-généraux, et rien n'indique
d'une manière précise quelle espèce de contrôle l'au-
torité exerçait sur les établissements dont il s'agit (2).
En ce qui concerne les moulins à bras et à manège,
la loi romaine déclare qu'ils sont immeubles, et ne
peuvent être saisis qu'avec le fonds sur lequel ils se
trouArent (3).
Après la chute de l'empire romain, ce n'est plus que
dans les éditset constitutions des rois francs qu'onpeut

(1) Codex, lib. 1, til. I.


(2) Dig., lib. Vil, VUI, XLIII. — Leg. 13, 21. I.
(3) Dig., lib. XXXIU, lit. 7, leg. 16.
PREMIERS RÈGLEMENTS. 5
chercher quelques lumières sur les affaires publiques
du temps. Or, les moulins à eau ayant pris une cer-
taine importance à cette époque, leur construction
avait déjà donné lieu à des prescriptions spéciales.
Parmi les textes à citer, le principal se trouve dans
le titre 83 du 2e capitulaire de Dagohert, rédigé en
632, recueilli et publié au commencement du xvnic
siècle, par le savant Etienne Baluze (1). Il est ainsi
conçu. *
« Si quismulinem aut qualemcunique clausuram in aquâ
« facere voluerit, sic faciat ut nemini noceat. Si autem nocue-
« rit, rumpatur usque dum non noceat.
« Si amboe ripaî suoe sunt, licentiam habeat. Si autem una
« alterius est, aut roget, aul compare!. »

Pour un document du vne siècle, celui-ci est certai-


nement des plus remarquables. Il l'est par l'apprécia-
tion infiniment précise des diverses circonstances à
envisager dans l'établissement des barrages ; il l'est
encore davantage par son identité, sur tous les points,
avec notre législation et notre jurisprudence actuelles,
qui semblent avoir été fidèlement calquées sur ce mo-
dèle primitif.
Examinons en effet :
1° Qualemcumque clausuram. — Disposition très-
sage comprenant dans sa généralité tous les barrages
quelconques à établir sur une eau courante, à quel-
que usage qu'on les destine. C'est ce que la loi mo-
derne du 24 août 1790 reproduit dans son chapitre vi,

(1) Hist. des capitulaires. La Haye, 1773, in-12.


6 DES MOULINS A EAU.
qui charge les administrations de département « d'em-
pêcher que les prairies ne soient submergées par la
trop grande élévation des écluses des moulins, et par
les autres ouvrages d'art établis sur les rivières. »
2° Rumpatur usque dura non noceat. — Destruction
des ouvrages nuisibles, mais restreinte à la partie re-
connue préjudiciable à autrui. Mesure d'équité appli-
quée aujourd'hui sans hésitation à toutes les construc-
tions sur les coui's d'eau. *
3° Si amboe ripoe suce surit. — Cas où le droit d'usine
a été incontestablement reconnu dans tous les temps ;
sauf les restrictions du régime féodal, dont il va être
question ci-après.
4° Si autem una alterius est. — Le particulier qui
veut placer un barrage dans un cours d'eau dont il ne
possède qu'une rive, doit produire le consentement du
propriétaire de la rive opposée, à l'appui de ce bar-
rage; base de la jurisprudence toujours constante sur
le cas dont il s'agit (1); et cela encore bien qu'il ne
soit nullement admis que les riverains doivent être
regardés comme propriétaires du lit des cours d'eau
non navigables.
Ainsi donc, il est digne d'intérêt, il est au moins
(rès-curieux de voir, au bout de douze cents ans, sor-
tir ainsi tout le code moderne des retenues d'eau de
ces quelques lignes d'uu rescrit mérovingien.
Après la mort de Charlemagne, l'hérédité des fiefs,
établie d'abord de fait, puis ratifiée dans les capitu-
(i) CONS. D'ÉTAT. — 8 sept. 1824. — 19 août 1828. — CASS. —
22 avril 1823. — C. de Rouen, 6 mai 1828.
PREMIERS RÈGLEMENTS. 7
laires de Charles le Chauve, institua un nouvel ordre
de choses. Les moulins, parleur destination, formant
naturellement une des principales bases de l'établisse-
ment des banalités, et étant à ce titre une source de
revenus pour les grands vassaux etles seigneurs, ceux-
ci se réservèrent le droit exclusif d'en bâtir pour leur
propre compte, ou d'en concéder à prix d'argent la
construction ou l'exploitation à des particuliers ; ainsi
que les rois de France le faisaient au même titre, sur
les rivières navigables.
Aussi voit-on que la plupart des anciens moulins
sur les cours d'eau de la France ont eu leur origine
entre le xi° et le xv° siècle, époque où la féodalité y
était le plus puissamment organisée.
Le code de Justinien, qui avait disparu pendant cinq
siècles depuis la chute de Rome, ayant été retrouvé
au milieu du xne siècle, passa, dans le cours du xnr%
d'Italie en France ; mais les bienfaits qu'il devait y
y produire ne se firent sentir que longtemps après; car
indépendamment de ce qu'il y avait de disparate dans
l'application à la France féodale des lois de l'empire
romain, ce texte nouveau ne fit d'abord que jeter une
complication de plus au milieu des ordonnances, des
édits, des capitulaires et de près de trois cents codes de
coutumes qui étaient alors en vigueur.
En ce qui concerne les établissements sur les cours
d'eau, le code romain ne pouvait être que d'une très-
faible utilité, puisqu'il résulte des détails donnés pré-
cédemment qu'à peine ils y sont mentionnés. D'ail-
leurs, par suite du monopole féodal alors universelle-
8 DES MOULINS A EAU.
.
ment établi, toutes les dispositions sur cettee matière
se trouvaient, relativement aux particuliers,, sans inté-
rêt, comme sans effet.
A l'exception des rivières navigables qui fuirent l'ob-
jet de plusieurs règlements anciens, cet étatt de choses
subsista jusqu'à la révolution française, épcoque à la-
quelle furent rendues, surla matière des coiurs d'eau,
de nouvelles lois, à l'examen desquelles est principa-
lement consacré cet ouvrage.
CHAPITRE PREMIER

DES ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES EN GÉNÉRAL.

SECTION I

PROTECTION DCE PAR LE GOUVERNEMENT AUX ÉTABLISSEMENTS


INDUSTRIELS UTILISANT LES MOTEURS HYDRAULIQUES.

Observations générales. — Pascal disait ingénieuse-


ment en parlant des fleuves ei rivières : « Ce sont des
chemins qui marchent. » C'était les définir par le plus
saillant de leurs avantages, celui qu'ils offrent comme
voies navigables, surtout à la faveur d'une navigation
descendante. Mais ne pourrait-on pas dire avec non
moins de justesse : « Ce sont des bras qui travaillent ? »
Car une force motrice inappréciable réside dans les
masses pesantes et mobiles de l'eau courante qui sil-
lonne les diverses contrées du globe. — On pourrait
même faire remarquer que les avantages spéciaux at-
tachés à l'emploi des moteurs hydrauliques, utilisant
un agent naturel d'un emploi presque gratuit, pré-
sentent, pour la plupart des industries, des avantages
si notables que l'on doit chercher à en étendre l'usage
dans des limites aussi étendues que possible.
Sous le point de vue social, ce sont là les caractè-
res essentiels des cours d'eau, et les deux principes
10 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.
productifs qu'il s'agit de mettre en valeur. Aussi peut-
on remarquer que les civilisations anciennes et mo-
dernes semblent avoir toujours cherché de préférence
à proximité des fleuves les conditions de leurs progrès.
De nos jours surtout, c'est là presque exclusivement
qu'on voit se grouper les populations industrieuses et
les cités florissantes.
11 est vrai que les avantages qui viennent d'être si-
gnalés ne pourraient que rarement recevoir ensemble
tout le développement dont ils sont susceptibles, et c'est
l'industrie manufacturière qui doit céder le pas à celle
des transports. Mais cependant, les deux destinations ne
sont pas incompatibles. Il est même très-désirable que
les barrages et retenues d'eau, nécessités par le service
de la navigation, soient, autant que possible, utilisés
pour l'établissementd'usines, mais avec cette condition
fondamentale, que la navigation ne puisse jamais en
souffrir.
Ainsi donc, les fleuves et rivières navigables qu'on
a, à juste litre et en tout pays, placés dans le domaine
public, ne doivent pas être considérés comme destinés
à l'usage spécial des transports d'une manière telle-
ment exclusive, qu'ils ne puissent aussi rendre quel-
ques services directs aux usines. Contester ce fait, ce
serait vouloir déposséder l'industrie d'un avantage au-
quel elle est en droit de prétendre ; ce serait vouloir
priver le pays d'une richesse importante ; car plus le
volume d'eau est considérable et régulier, comme cela
a lieu dans les fleuves, plus la maixhe des fabriques
y est assurée.
PROTECTION DU GOUVERNEMENT. i\
Quant aux établissements, à priori, d'usines sur les
rivières navigables, et auxnouveaux barrages qui, pou-
vant nuire à la navigation, seraient réclamés dans
l'intérêt d'une industrie privée, de quelque impor-
tance qu'elle pût être, il est clair que rien n'en pourrait
légaliser l'entreprise. Mais si les grandes rivières sont
destinées par la nature et par la loi à l'usage de la na-
vigation, si tout autre emploi de leurs eaux ne doit
être admis que d'une manière accessoire et exception-
nelle, il n'en est plus de même des petits cours d'eau ;
qui, en bien plus grand nombre que les autres, sil-
lonnent dans mille directions les diverses contrées de
l'industrieuse Europe.
C'est là que les usines de toute espèce sont à leur
véritable place ; c'est là surtout qu'elles ont droit à
l'appui et aux encouragements du gouvernement.
Néanmoins, elles parviennent rarement à s'y établir
sans provoquer de vives contestations; et les établisse-
ments anciens eux-mêmes sont souvent exposés à des
attaques plus ou moins fondées, dans les nombreux
conflits d'intérêts qui s'élèvent à l'occasion des eaux
courantes.
Le premier de ces intérêts qui, sur les petits cours
d'eau, se trouvent habituellement en opposition avec
les usines, est celui de l'irrigation. Or, si sur les ri-
vières navigables, le service de la navigation doit l'em-
porter sur les usines, sans même qu'il y ait de discus-
sion possible à cet égard; sur les autres cours d'eau,
les deux intérêts distincts de l'irrigation et des usines,
ou en d'autres termes, de l'agriculture et de l'indus-
12 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

trie, sont également respectables ; et aucun d'eux ne


ne doit être sacrifié à l'autre.
La bonne administration des eaux courantes d'un
pays est une des hases essentielles de sa richesse et de
sa prospérité; et ce n'est qu'en réglant d'une manière
équitable et éclairée, les droits respectifs des particu-
liers, dans les divers usages que représentent aujour-
d'hui les cours d'eau, qu'on parviendra à mettre en
harmonie les intérêts de l'agriculture avec ceux de l'in-
dustrie ; en travaillant au progrès de la richesse pu-
blique, sans porter atteinte aux droits acquis.
Assurer un tel résultat est évidemment une des plus
belles prérogatives confiées à l'autorité administrative,
qui a la mission spéciale de veiller au meilleur emploi
des eaux courantes.
Situation avantageuse de la France. — La France
semble destinée par la nature à tirer un immense parti
de ses cours d'eau, tant par leur grande multiplicité
que par les facilités qu'ils offrent par la marche de
nombreuses usines. Indépendamment de plus de deux
cents rivières navigables qui la parcourent en tout
sens, leurs aftluentsde deuxième et de troisième ordre,
représentent une quantité presque innombrable de
moyens et de petits cours d'eau qui ont généralement
d'assez fortes pentes.
Ils sont répartis dans toutes les contrées où le besoin
de fabrication économique, pour des produits variés,
se fait généralement sentir.
On peut donc dire qu'il n'est pas de pays, ni de cli-
mat, mieux approprié que le nôtre à celte destination.
PROTECTION DU GOUVERNEMENT. 13
Cardans les contrées plus septentrionales, la rigueur
et la durée des hivers apportent de longues et fâcheu-
ses interruptions à l'usage.des eaux, soit comme véhi-
cule, soit comme force motrice. Dans les pays plus
méridionaux, la violence et la rareté des pluies, l'in-
tensité de l'évaporation, donnent à la presque totalité
des cours d'eau de deuxième ordre, le caractère de
torrents, et les rendent particulièrement impropres
au roulement des usines.
La France, sur la majeure partie de sa superficie,
estdouéed'un climat doux ettempéré, sous l'influence
duquel les rivières ne gèlent que rarement, et au plus
pendant quelques semaines. Les sécheresses, en été, y
sont rarement assez prolongées pour réduire les usines
à un chômage absolu.
Enfin il existe, dans ce pays, certaines contrées où
les rivières sont presque à régime constant ; et c'est à
cela qu'est dû le développement qu'y ont pris plusieurs
de nos principales industries.
Tels sont les grands avantages qui donnent à la
France manufacturière, un avantage marqué sur beau-
coup d'autres pays. Que serait-ce donc, sans les opéra-
tions imprudentes qui ont déboisé nos montagnes et
nos collines, et par là ont rendu irrégulier le régime
des cours d'eau et amené la disparition d'un grand
nombre de sources. A la place desquelles on ne voit
aujourd'hui que de tristes ravins !
Sans doute l'industrie moderne a fait aujourd'hui
un pas immense, en trouvant le moyen de transformer
ia vapeur d'eau en une force motrice inappréciable.
14 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

Mais avant d'arriver au vaste déploiement d'industrie


qui permettra de rendre encore plus populaire l'em-
ploi de ce précieux moteur, il reste beaucoup à faire
pour achever de tirer parti des ressources plus mo-
destes, mais plus assurées, et surtout plus économi-
ques, que fournissent aujourd'hui les cours d'eau.
Services que rendent les usines. — Les usines, ou à
proprement parler les machines, fournissent des
moyens plus ou moins avantageux de tirer parti des
forces ou agents naturels, en modifiant leur action et
leur intensité, de manière à les approprier à nos be-
soins, à nos usages.
La production des richesses dans un pays approche
d'autant plus d'être complète, que ce pays met à con-
tribution une plus grande quantité de ces forces natu-
relles, dont l'usage est essentiellement économique.
Leur emploi a pour effet d'épargner le travail de
l'homme et celui des animaux, ou de fournir, avec la
même quantité de ce travail, une bien plus grande
quantité de produits.
L'application de l'eau au roulement des usines,
servant à une multitude de fabrications, a donc pour
résultat d'augmenter considérablement et à peu de
frais la somme des objets manufacturés; ou, ce qui
revient au même, d'en faire baisser le prix pour la
masse des consommateurs. Les usines hydrauliques
remplissent par conséquent toutes les conditions d'u-
tilité qui donnent droit à des encouragements ; car les
conquêtes les plus intéressantes dans l'industrie, sont
celles qui profitent à l'ensemble de la société, et qui
PROTECTION DU GOUVERNEMENT. 15

surtout amènent l'abaissement du prix des objets de


consommation, auprofitde la classe la plus nombreuse.
Nous ne sommes plus au temps où il eût été utile de
démontrer que l'adoption des moyens de fabrication
expéditifs, obtenus à l'aide des machines employées
dans les usines, ne fait aucun tort réel à la classe ou-
vrière; quoique substituant des moteurs mécaniques
au travail des hommes ; car il est aujourd'hui bien re-
connu, que plus la production devient expéditive à
l'aide de machines, plus elle occupe de travailleurs.
Seulement les produits sont incomparablement moins
chers et en quantité pi us considérable. Ainsi, il est ho rs
dedoute que la fabrication du fer et celle du coton oc-
cupent aujourd'hui, en France et en Angleterre, infini-
ment plus de bras que si l'on avait voulu s'en tenir aux
anciennes méthodes. Car, ainsi qu'on l'a observé avec
raison (1), si les fileurs de coton qui brisèrent en 1789
les premières filatures mécaniques que l'on construisit
en Normandie, avaient eu gain de cause, que de bras
actuellement occupés dans cette vaste industrie se-
l'aient actuellement sans emploi !
En effet, dès que l'on a égard aux travaux acces-
soires que nécessitent les usines, et les besoins nou-
.
veaux qui se rattachent à leurs produits; au com-
merce qu'elles soutiennent, on trouve toujours que le
nombre de personnes occupées à telle ou telle indus-
trie, depuis l'application des procédés perfectionnés,
est toujours bien plus considérable que si cette indus-

Ci) J.-B. SAY, Traité d'Econ. politique, liv. I, chap. vi.


16 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.
trie eût gardé ses anciens procédés. Et ce principe est
d'autant plus étendu que le travail de l'ouvrier a été
plus complètement économisé dans la fabrication pro-
prement dite. Ceci s'applique, par un même ordre d'i-
dées, aux perfectionnements successifs à introduire
dans les fabrications tirant déjà un parti avantageux
de l'emploi des machines.
Il est remarquable que l'usage des procédés méca-
niques procure, non-seulement un travail plus expédi-
tif, mais encore un travail perfectionné. De sorte que
l'emploi bien dirigé des moteurs inanimés, supplée
avantageusement au travail de l'homme, non-seule-
ment pour la quantité, mais presque toujours pour la
qualité des produits. Les laminoirs, les fonderies, les
cylindres à imprimer les étoffes, etc., exécutent des
ouvrages qui ne peuvent appartenir qu'à ce genre de
machines, pour la célérité et la précision de leur fabri-
cation.
Enfin, selon l'opinion très-judicieuse de J.-B. Say (1),
l'emploi des machines fait plus encore ; il multiplie les
produits mêmes auxquels il ne s'applique pas.
Sans l'invention des moulins à blé, par exemple, il
faudrait employer à la préparation du premier de nos
aliments une multitude de bras, qui se reportent au-
jourd'hui sur d'autres arts utiles. En effet l'homme,
même des dernières classes du peuple, ne se livre
qu'avec regret aux occupations exclusivement méca-
niques, il souffre toujours plus ou moins, de se voir

(I) Traité d'Ëcon. politique, tom. I, liv. I, chap. vm.


PROTECTION DU GOUVERNEMENT. 17
réduit au rôle d'une machine ; et d'un autre côté, il
est clair que pour la société elle-même, il y a emploi
défavorable du travail de l'ouvrier, toutes les fois que
l'occupation qu'elle lui assigne n'exige rien ou pres-
que rien de son intelligence.
Avantages spéciaux des usines mises en mouvement à
l'aide de retenues d'eau. — Après les considérations
précédentes, qui s'appliquent à toute l'industrie ma-
nufacturière, il convient de développer quelques
avantages particuliers à l'exploitation des usines éta-
blies sur les cours d'eau.
Indépendamment de la mise à l'état productif de
forces motrices qui seraient restées sans emploi, réta-
blissement, d'ailleurs bien combiné, de barrages sur
un cours d'eau dans l'état de nature, est le seul
moyen connu d'en régulariser la marche, de modérer
l'action des crues, d'éviter les résultats funestes de la
trop grande vitesse de l'eau qui, livrée à elle-même,
amène bientôt le bouleversement des terrains envi-
ronnants.
L'exhaussement du plan d'eau, restreint dans 'des
limites convenables, a toujours pour effet d'améliorer
les propriétés voisines; car la culture qu'il est le plus
avantageux d'établir le long des rivières étant celle
des prairies, il est évident qu'amener jusqu'à trente
centimètres de leur niveau la surface de l'eau qui au-
paravant coulait à une assez grande distance au-des-
sous d'elles, c'est en augmenter la valeur et les qualités
productives.
C'est donc seulement par le moyen de barrages, con-
2
)8 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

vcnablement réglés, que les eaux courantes, sillon-


nant la surface d'un pays, cessent d'être.nuisibles à
l'agriculture, et peuvent lui procurer les avantages
qu'elle doit en attendre.
Il y a, entre une rivière dans son état primitif et une
rivière pourvue de barrages, la même différence
qu'entre la nature brute et la nature cultivée, qu'entre
un arbre sauvage et un autre chargé de fruits.
Ainsi donc la conservation des barrages est une
question vitale, non-seulement pour les fabriques,
mais encore pour la culture des terres voisines; et
quoique construits pour la plupart dans l'intérêt exclu-
sif des usines, les avantages qu'ils procurent se répar-
tissent encore sur les produits du sol. D'après cela, il
est facile de concevoir qu'en ce qui concerne l'usage
des eaux, les deux industries, manufacturière et agri-
cole, sont en xéalité moins opposées d'intérêts qu'on
ne pourrait le supposer au premier abord.
En considérant la question à un point de vue plus
général, on pourrait dire avec justice qu'il est dû une
certaine reconnaissance aux fondateurs de ces utiles
établissements. S'ils ont eu en vue de réaliser des.bé-
néfices, ils en ont procuré aux "consommateurs et sur-
tout à la classe ouvrière. Ils n'ont cherché à augmen-
ter leur aisance qu'en concourant à l'accroissement de
la richesse publique ; car ils ont multiplié les sources
delà production. En un mot, ils ont développé de nou-
velles branches à fruit, sur cet arbre immense de l'in-
dustrie, à l'abri duquel des millions de familles trou-
vent à vivre, en travaillant.
PROTECTION DU GOUVERNEMENT. 19
Cette considération acquierra une nouvelle force si
l'on considère que l'emploi des chutes d'eau, résultant
de l'emploi d'un agent naturel, constitue, incontes-
tablement, le plus économique de tous les moteurs.
Dès lors, si l'on tient compte 1° de l'importance ac-
tuelle de la fabrication manufacturière qui s'exécute,
en France, parce moyen; 2° de la concurrence, pres-
que illimitée, sous le régime de laquelle fonctionnent
la plupart des industries européennes, on pourra con-
clure : que des avantages, aussi sérieux que durables,
seront réservés au pays qui, par un bon système d'ad-
ministration, sera parvenu à en développer l'usage
sur la plus grande échelle.
L'utilité générale résultant de l'existence des établis-
sements industriels, dûment autorisés, sur les cours
d'eau, et la protection que le gouvernement leur doit
à ce titre, étant suffisamment démontrées parles consi-
dérations précédentes, seront désormais admises en
principe dans le cours de cet ouvrage, de manière à
éclairer plusieurs discussions importantes, et à servir
de base à quelques-unes des opinions qui y sont
émises.
Notamment à ce principe fondamental qui ne semble
pas contestable, savoir :
Que tout ce qui n'est pas de nature à nuire effec-
tivement, soit à l'intérêt général, soit à l'intérêt particu-
lier, doit être concédé en faveur de l'industrie.
20 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

SECTION II
NÉCESSITÉ D'UNE SURVEILLANCE ACTIVE DE LA PART DE L'ADMINISTRA-
TION SUR L'USAGE DES EAUX COURANTES.

Des eaux courantes sous le rapport de leurs inconvé-


nients. —Après avoir parlé des avantages queprocurent
les usines sur les cours d'eau, il est juste de men-
tionner aussi les inconvénients qu'elles peuvent en-
traîner avec elles. Car ces mêmes eaux qui offrent aux
personnes et aux marchandises un si précieux véhicule,
qui mettent en mou vem ent des milliers d'établissements
industriels, qui vivifient et fertilisent les campagnes,
peuvent aussi, lorsqu'elles sont mal dirigées, devenir
un véritable fléau pour les contrées environnantes.
Les barrages, étant le seul moyen de se procurer ar-
tificiellement des chutes d'eau pour l'usage des usines,
comportent nécessairement avec eux l'emploi à'ouvra-
ges régulateurs, combinés de manière à pouvoir ob-
tenir : 1° un niveau à peu près constant de la retenue
d'eau, dans l'intérêt de la marche régulière de l'usine ;
2° des voies d'écoulement suffisantes pour prévenir les
inondations qui résulteraient, surtout dans le temps des
crues, d'un obstacle quelconque au libre cours des eaux.
On conçoit tout d'abord que cette précaution doit
être d'autant plus essentielle, que la rivière sur laquelle
on opère est sujette à de plus grandes variations, dans
le volume et la vitesse de l'eau, qu'elle reçoit en di-
verses saisons; qu'elle est plus considérable, et enfin
qu'elle est moins encaissée.
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 21
Par conséquent, le droit de déterminer la hauteur de
toutes les retenues d'eau, droit spécialement conféré à
l'administration parles lois organiques de 1790etl79l,
est inséparable de la faculté de faire le règlement des
ouvrages dont il vient d'être parlé. Ils se réduisent
toujours aux déversoirs de superficie et aux vannes de
décharge. Mais néanmoins la fixation convenable et
motivée de ces sortes d'ouvrages, dans tous les cas par-
ticuliers, avec la condition d'apprécier exactement
toutes les circonstances locales, de tenir compte des
oppositions qui s'élèvent presque toujours à l'occasion
des retenues d'eau, font de cette attribution adminis-
trative un des devoirs graves et épineux conférés aux
ingénieurs.
S'il en était autrement, si la construction des barrages
sur les rivières était laissée libre et facultative à chacun,
l'usage abusif qu'on en ferait amènerait bientôt les plus
graves perturbations dans le régime des eaux courantes,
qui doivent être une source de richesses pour les con-
trées qu'elles arrosent; et une multitude d'intérêts
lésés viendraient demander compte à l'administration
de l'abandon qu'elle aurait fait d'un droit qui ne peut
appartenir qu'à elle.
En effet, les particuliers n'étant nullement en posi-
tion d'apprécier, par eux-mêmes, ni les dispositions
convenables à observer dans l'établissement des ou-
vrages régulateurs, ni les conditions d'intérêt général
qui font la base essentielle d'un règlement d'eau; ayant
d'ailleurs un intérêt direct à en rassembler et à en rete-
nir, pour leur usage, la plus grande quantité possible ;
22 ETABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.
l'inondation des chemins et des propriétés riveraines,
l'obstruction dés gués, l'instabilité et le bouleverse-
ment des rives, les prairies couvertes de vase, les héri-
tages corrodés ou minés par les eaux, etc., démontre-
raient bientôt la nécessité impérieuse d'une surveil-
lance active et très-éclairée, sur l'emploi d'un agent
naturel, touchant à un aussi grand nombre d'intérêts
que le font aujourd'hui les eaux courantes.
En général, l'établissement des barrages sur les ri-
vières y est avantageux ; et cet. avantage est d'autant
plus marqué que leur pente est plus rapide, et leur
cours plus impétueux. — Chacun sait effectivement
que racheter, par une suite de chutes, la pente exces-
sive d'un torrent, est un des meilleurs moyens d'amor-
tir ses effets destructeurs. Mais toutes les rivières ne
rentrent pas dans cette classe; il en est même un
grand nombre qui présentent des inconvénients con-
traires. Ainsi, dans beaucoup de contrées, les cours
d'eau ont naturellement très-peu de pente, une faible
profondeur, et des sinuosités multipliées, qui tendent
toujours à s'accroître par l'effet des attérissements ;
ce qui ne les empêche pas d'être exposés comme
les autres aux crues subites, occasionnées par les
grandes pluies et les fontes de neige. On conçoit donc
que pour de telles localités, les plus grands inconvé-
nients doivent être à craindre, si à cet état de cho-
ses viennent se joindre, de la part des particuliers,
des entreprises contraires au libre écoulement des
eaux.
C'est ce qui ne se voit que trop souvent, dans la plu-
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 23
part des pays de plaines appelés, par leur position, à
une grande richesse agricole.
Déboisement des montagnes et collines. — 11 est
essentiel de remarquer que les principales imperfec-
tions des cours d'eau sont du fait de l'homme et non
du fait de la nature.
Dans les cas semblables, si l'on cherche à s'éclairer,
en remontant dans le passé, on arrive presque toujours
à une cause première qu'on aurait pu éviter dans l'ori-
gine; et qu'il est triste de ne reconnaître que quand le
mal a porté ses fruits. Ici, cette cause se trouve presque
exclusivement dans l'influence du déboisement des
montagnes et des collines, opéré surtout pendant la
durée des trois derniers siècles, et sur les inconvé-
nients duquel on est aujourd'hui bien d'accord; car,
pour peu qu'on examine cette influence, on reconnaît
qu'elle a puissamment contribué à détériorer le régime
des cours d'eau.
Sur les terrains revêtus d'une végétation perma-
nente, celle-ci y forme une enveloppe chevelue et
spongieuse, dans laquelle s'absorbe d'abord une très-
grande quantité d'eau pluviale, qui s'infiltre ensuite
lentement et progressivement dans les couches infé-
rieures, de manière à donner naissance à des sources
limpides, qui portent régulièrement leur paisible tri-
but aux vallées inférieures.
Ces réservoirs souterrains qui conservent des eaux
pour les sécheresses, sont aussi des filtres naturels dont
elles sortent claires et épurées, dans toutes les saisons.
Pour un pays jouissant de cette heureuse situation,
24 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.
les avantages des eaux courantes ne sont achetés par
aucune compensation. Celles-ci, ayant un cours régu-
lier, sont exemptes de ces crues subites, qui désolent
les autres contrées. Dans ces localités privilégiées, on
trouve à la fois des ressources assurées pour l'irrigation
des terres et pour la marche des fabriques, pendant
toute l'année; ce qui leur donne une grande supério-
rité sur celles de tous les autres pays.
La présence des sources, indépendamment de l'uti-
lité et de l'agrément qu'elles présentent aux propriétés
dans lesquelles elles prennent naissance, offre encore
aux contrées qui en sont pourvues des avantages d'un
ordre plus élevé; ainsi, l'alimentation des canaux à
point de partage y est toujours assurée et s'y fait à peu
de frais.
Dans l'autre hypothèse, c'est-à-dire lorsque les ver-
sants, au lieu d'être pourvus d'une végétation perma-
nente, n'offrent plus que des surfaces nues, non-seule-
ment la portion d'eau pluviale coulant immédiatement
à la surface du sol, devient prédominante, aux dépens
des deux autres; mais cette eau, dès l'instant de sa
chute, se précipite vers les plaines à l'état de torrents.
Souvent, dans les lieuxoù l'on s'attriste aujourd'hui à
la vue des lits arides et ravinés des cours d'eau, quel-
ques anciens habitants du pays se souviennent de les
avoir vus parfaitement réguliers et faisant marcher des
moulins qui n'existent plus.
Le déboisement des hauteurs a une seconde consé-
quence non moins funeste; c'est de laisser sans défense
les couches de terre végétale, qui sont alors prompte-
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 25
ment délayées et entraînées par les eaux. Une fois, que
cet effet est commencé, il faut qu'il se continue jusqu'à
ce que les montagnes et collines soient réduites à un
stérile rocher; et encore, les influences atmosphéri-
ques, la gelée et la nature décomposable de certaines
roches, font qu'elles se dégradent et se corrodent en-
core, d'une manière très-sensible, après que leur enve-
loppe végétale a entièrement disparu.
De tous les inconvénients occasionnés par la des-
truction des bois, celui-ci est le plus fâcheux, car
cette terre que l'eau enlève aux montagnes, il faut
bien qu'elle s'en débarrasse quelque part ; et cela a
lieu, d'après.les lois de la physique, aussitôt qu'elle a
perdu sa vitesse. De là le comblement du lit des ri-
vières à la partie inférieure de leur cours, et l'exhaus-
sement de leur fond; de là les alluvions et attérisse-
ments, que les riverains se disputent, en se hâtant de
les consolider à leur profit; et qui, devenant alors
autant d'ouvrages offensifs, amènent d'abord la des-
truction des rives, puis celle des héritages qui s'y
trouvent conligus.
On ne peut trop déplorer cette funeste irrégularité
des eaux courantes qui les soumet alternativement à
l'effet des sécheresses et à des crues non moins préju-
diciables, pendant lesquelles il se perd une énorme
quantité d'eau, qui aurait pu être constamment uti-
lisée, soit pour des fabriques, soit pour des irrigations.
Car le volume liquide tombant chaque année, dans un
lieu déterminé, est à peu près constant ; et dès lors,
l'irrégularité du débit est ce qu'il y a de plus contraire
20 ÉTABLISSEMENTS HYDKALÎLTQUES.

aux usages utiles de l'eau ; puisque tout ce qui devient


superflu et sans emploi possible, lors des débordements,
5

est autant de prélevé sur là quantité annuelle et


fixe, qui était destinée à couler régulièrement dans
le lit de chaque rivière, et qui: aurait pu y être
presque toujours productive-, sans ces funestes va-
1

riations.
Dans la plupart des contrées du nord etdu centre de
la France,, les cours- d'eau" traversent généralement
des terrains d'âlluvion, qui ne sont pas en état de ré-
sister à leurs- atteintes. Malheureusement lès moyens
que l'on emploie sans discernement, pour les y sous-
traire, tendent à aggraver le mal, envisagé dans son
ensemble, bien plutôt qu?à le prévenir.
Les déboisements, dont l'effet est si nuisible^ étant
poussés à leur dernier termes sur tous lès terrains
élevés ou inclinés, finissent par dénaturer complè-
tement la surface dû' paysy et exercent même une in-
flu ence marquée sur les circonstances atmosphériques
dans lesquelles' ce pays se trouvait auparavant ; car la
portion d'eau qui s'évaporait en très-grande quantité
sur l'étendue des forêts, .dévient presque nulle après
leur destruction. Elle est entraînée dans les torrents,
ainsi que celle qui était" destinée à alimenter les
sources; ce qui tend à augmenter encore la durée
et l'inconvénient des sécheresses.
La destruction progressive; desbois: est un de ces
faits généraux qui tendent à se propager; dans toutes
les contrées- du globe, et qui se fait d'autant plus re-
marquer dans chacune d'elles; que la' civilisation y est
5
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 27
plus ancienne. Il est cependant essentiel de dire que
les effets désastreux qui en résultent ne peuvent at-
teindre leur plus haut degré d'intensité que dans les
régions méridionales. Celte assertion se vérifie surtout
dans ces contrées célèbres où l'histoire a placé les
premières scènes de la vie sociale, et qui, jadis si flo-
rissantes, ne sont plus aujourd'hui que des déserts
arides, sillonnés par quelques rares torrents.
À un degré moins avancé, une partie de l'Italie, et
surtout l'admirable plaine arrosée par le Pô, offre sur
une très-grande échelle un exemple frappant des effets
dont il s'agit. Le déboisement et la mise en culture
des pentes dès Alpes et des Apennins, formant le con-
tour de l'immense bassin traversé par ce fleuve, sont un
fait bien constaté. Il s'est opéré graduellement dans
le cours des quatre ou cinq derniers siècles; mais la
violence des crues et la quantité de limon charrié par
les eaux ont augmenté dans une proportion très-
rapide. La nécessité de contenir cette masse d'eau
entre des digues en a encore augmenté les inconvé-
nients, car les attérissements, qui avaient d'abord la
liberté de se répandre sur une vaste étendue de ter-
rain, se trouvent ainsi presque entièrement repoussés
sur le rivage de l'Adriatique, où le fleuve traverse à
son embouchure un vaste promontoire formé unique-
ment de ses propres allûvions.
Le Pô, par la nature terrible de ses crues, par les
exhaussements successifs de son lit, devient chaque an-
née un fléau plus redoutable pour la contrée qu'il
parcourt; car une seule rupture de ses digues, qui
28 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.
.

sont cependant l'objet d'une sollicitude extraordi-


naire de tout le pays, amène une épouvantable inon-
dation.
Personne ne saurait dire si l'on pourra longtemps
encore conjurer ce désastre; caries efforts de l'homme
sont souvent plus efficaces pour détruire que pour ré-
parer; et il est sérieusement à craindre qu'ils ne de-
viennent quelque jour impuissants sur ce point.
Quoi qu'il en soit de cette grave éventualité., l'état
de ce fleuve est, dans les temps modernes, le plus
grand exemple qu'on puisse citer des funestes effets du
déboisement des montagnes.
Dans les contrées septentrionales jouissant d'une
température habituellement fraîche et humide, les
forêts sont moins nécessaires à la régularité de la
distribution des eaux.
La France, telle qu'elle est aujourd'hui, ne rentre
dans aucun des cas extrêmes qui viennent d'être cités ;
mais elle a encore beaucoup à désirer sous ce rapport;
car un grand nombre de nos départements, même du
centre et du nord, souffrent considérablement de la
marche irrégulière des eaux courantes.
S'il eût été possibie de prévenir, en temps utile, les
entreprisesimprévoyantes qui ont amené cet état de
choses, quel service on eût rendu au pays! Mais le
manque de lumières et surtout le manque de tran-
quillité, pendant ces derniers siècles, ne permettaient
pas de le faire.
r Le mal n'est d'ailleurs pas absolument sans remède ;
l'attention générale est aujourd'hui vivement attirée
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 29
sur cet objet important; partout on prend des mesures,
soit pour amener la cessation des abus qui se commet-
tent journellement sur les cours d'eau, soit pour re-
garnir de végétation les hauteurs qui en ont été dé-
pouillées. Les villes et les communes, qui sont plus
immédiatement sous la tutelle de l'administration, et
qui possèdent plus généralement les terrains en friche,
ainsi que des ressources pour les améliorations, doi-
vent surtout donner ce bon exemple.
Plusieurs propriétaires, qui sont entrés de bonne
heure dans ces vues honorables, peuvent déjà, sans
être octogénaires, jouir des améliorations de ce genre
qu'ils ont produites. Il en est même qui, par le seul
fait de la plantation d'une étendue restreinte de ter-
rains en coteaux, ont vu naître, après moins de vingt
ans, des sources qui probablement avaient disparu
depuis des siècles.
Ces exemples sont encourageants ; et partout, un
peu plus tôt un peu plus tard, les mêmes tentatives
seront couronnées de succès. Car rien n'est changé
dans la structure intérieure du sol qui favorise la for-
mation des sources. Sa surface seule a subi des modi-
fications nuisibles, qu'on peut réparer avec le temps.
Il est des essences d'arbres qui peuvent croître dans
les terrains maigres, et lés bois, dès qu'ils commen-
cent à pousser, déposent sur le sol, par la chute
de leurs feuilles, un humus très-favorable à la végé-
tation et qui peut suppléer, autant que possible, au
manque de terre cultivable.
Ainsi donc, en restituant aux montagnes et aux col-
30 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

lines leur ancienne végétation, on verra presque par-


tout renaître les sources qui avaient disparu ; et avec
elles le régime régulier des ruisseaux et des rivières.
11 n'est donc pas absolument impossible de réparer

ce grave préjudice, qui n'aurait pas eu lieu si l'homme


avait usé sagement des biens que lui avait destinés
le Créateur.
Mais avant d'en arriver à cette perfection idéale, qui
serait véritablement l'âge d'or de nos campagnes, et
qui malheureusement ne serait réalisable qu'à l'aide
de plusieurs siècles de travaux, il faut d'abord prendre
les choses dans l'étal où elles sont; car les intérêts du
présent doivent être envisagés avant ceux de l'avenir.
Or, il est de fait que, tels qu'ils sont actuellement, les
cours d'eau de la France ont, pour la plupart, un
cours irrégulier préjudiciable à un grand nombre
d'industries; et aux imperfections duquel les riverains
travaillent encore tous les jours, par mille tentatives
que l'opinion publique condamne, mais que la loi ne
réprime pas d'une manière suffisante.
Autres entreprises nuisibles. — Après cette digres-
sion sur l'effet des déboisements, dans les détails de
laquelle il était indispensable d'entrer, revenons à
l'examen des entreprises sur les cours d'eau ; afin de
démontrer qu'il est impossible de les abandonner à
l'arbitraire des intérêts privés.
Après avoir parlé de l'établissement des barrages et
retenues d'eau, qui, dans certaines localités, même avec
l'observation des précautions d'usage, ne peuvent man-
quer d'agir comme obstacles nuisibles à l'écoulement
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 31

des eaux, et d'occasionner des inondations. Il convient


d'ajouter que souvent, dans ces mêmes circonstances,
les chutes nécessaires à l'établissement des usines ne
peuvent s'obtenir qu'à l'aide d'une surélévation des
eaux parle moyen des digues. Cette disposition aggrave
considérablement les inconvénients dont il vient d'être
parlé, en ce que la diminution d'une pente déjà trop
faible favorise puissamment la formation des attérisse-
ments. Dès lors, le lit s'exhaussant, les digues ont be-
soin de s'exhausser aussi; de sorte que le mal va tou-
jours en empirant. La présence des digues est d'autant
plus nuisible, qu'à la suite des débordements elles
s'opposent à ce que les eaux d'inondation rentrent fa-
cilement dans leur lit naturel.
On connaît aussi les inconvénients qui résultent de
la plantation, ou, en général, de la consolidation des
alluvions. Ce fait est généralement très-grave; car il
amène non-seulement le rétrécissement et l'encombre-
ment du lit des rivières, mais encore l'instabilité et la
destruction des rives; car ce que l'eau perd d'un côté,
elle le regagne nécessairement de l'autre, et presque
toujours avec usure. De sorte qu'une alluvion acciden-
telle qui, laissée à son état naturel, aurait probable-
ment disparu dans une crue subséquente, une fois fixée
par des piquets ou des plantations, devient un véritable
épi, toujours offensif pour la rive opposée., dans la-
quelle il produit, en un point et sur uue longueur qu'on
pourrait déterminer d'avance, une brèche proportion-
née à son étendue, à sa direction, et'à la nature plus ou
moius résistante du terrain attaqué.
32 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

Le défaut de curage des cours d'eau pourvus de bar-


rages serait encore une des causes qui eu favoriseraient
les inondations et le mauvais régime, si l'administra-
tion ne veillait pas spécialement à ce qu'il fût effec-
tué par les propriétaires intéressés.
Les cours d'eau, dans leur état de nature, occupent
toujours le thalweg (1) des vallées; il n'en est pas tou-
jours de même des dérivations et autres canaux ouverts
de main d'homme pour le service des usines; ceux-ci
peuvent être plus ou moins éloignés de cette position
normale, et cela entraîne souvent de graves incon-
vénients ; car les eaux ainsi détournées de leur cours
naturel peuvent s'infiltrer dans les terres et en déna-
turer la qualité, d'une manière d'autant plus grave que
les effets de ce préjudice ne sont jamais immédiats.
C'est une sorte d'inondation intérieure ou latente, qui
s'opère lentement et imperceptiblement, et quand elle
se manifeste par des résultats sensibles, il est presque
toujours trop tard pour y porter remède. Les inonda-
tions extérieures et apparentes, pourvu qu'elles ne
soient pas perpétuelles et qu'elles n'occasionnent pas des
dépôts considérables de Yàse, sont rarement nuisibles ;
souvent même elles sont utiles aux prairies qu'elles
amendent, comme cela se remarque dans les polders
des Pays-Bas. Mais, par l'effet continuel et non inter-
rompu des filtrations, ou même du suintement des
eaux, les terrains qui y sont exposés, ne trouvant leur
époque d'assainissement ni en été ni en hiver, finissent
Ligne des points les plus bas. Voyez ce mot dans les Défi-
(1)
nitions.
SURVEILLANCE DE L'ADMINISTRATION. 33

par se dénaturer complètement et deviennent géné-


ralement impropres à produire des fourrages de bonne
qualité. Les herbes salutaires qui y croissaient sont
remplacées par des joncs et des roseaux, et celles qui
semblent pouvoir être encore de quelque utilité com-
muniquent aux bestiaux des maladies contagieuses.
Ces mêmes eaux qui s'infiltrent de la sorte et sou-
vent en grande quantité, sur une étendue de terrain
considérable, éprouvent encore, par l'effet d'une éva-
poration excessive, une déperdition qui n'est point in-
signifiante; il résulte donc de cette circonstance, une
grande diminution du volume de l'eau, au préjudice de
tous les usages utiles auxquels elle devait servir, et
surtout au détriment des usines inférieures, qui de-
vaient y emprunter leur force motrice. Souvent même
la nature marécageuse des prairies exposées à ces in-
fluences, amène dans le pays des exhalaisons méphiti-
ques, qui peuvent compromettre la santé publique.
Chacune de ces manières de nuire peut avoir des
effets très-marqués sur la prospérité des contrées que
traversent les cours d'eau et y occasionner des pertes
incalculables.
Or, les vues d'égoïsme dont les particuliers se mon-
trent animés dans la plupart de leurs entreprises, amè-
neraient bientôt un état de choses des plus alarmants
pour l'intérêt général, sans parler de mille rivalités
d'intérêts privés, auxquelles rien ne pourrait mettre
fin.
Ici, ce serait la création d'un nouveau barrage qui
aurait pour effet inévitable d'inonder périodiquement
3
34 ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES.

les propriétés riveraines, ou de paralyser la marche


d'une usine supérieure; ici, ce seraient les riverains
qui, sous prétexte d'exercer leur droit d'irrigation,
useraient de cette faculté, sans discernement ni modé-
ration, et détérioreraient ainsi le régime général des
eaux courantes.
Tel est, en abrégé, en ce qui concerne les cours
d'eau, l'ensemble des funestes conséquences qui résul-
teraient d'un système de liberté qui ne serait que de
la licence.
On conçoit donc d'après cela combien sont sages les
lois qui ont confié spécialement la surveillance des
barrages et retenues d'eau à l'autorité administrative,
assistée du concours des ingénieurs de l'Etat. On con-
çoit encore pourquoi celle-ci doit apporter les plus
grands soins dans l'accomplissement de cette haute
attribution; afin d'agir pour le bien général; en con-
ciliant, autant que possible, les nombreux intérêts
particuliers, dans lesquels il se trouve toujours plus
ou moins engagé.
CHAPITRE 11

SITUATION SPÉCIALE DES ÉTABLISSEMENTS AUTORISÉS SUR


LES COURS D'EAU DÉPENDANTS DU DOMAINE PUBLIC.

SECTION I •

CONSIDÉRATIONS SUR LE DOMAINE PUBLIC ET SUR LES USINES


ENVISAGÉES COMME OBSTACLES A LA NAVIGATION.

§ I. —Législation ancienne.
La haute importance de la navigation fluviale et
les entraves que tendent à y apporter les constructions
en lit de rivière, destinées à d'autres usages, appelaient
nécessairement sur ce point l'attention du législateur.
Aussi, de tout temps fut-il reconnu en France,
comme un principe fondamental, que les fleuves et
rivières navigables faisaient essentiellement partie du
domaine public (qui se confondait anciennement avec
celui de la couronne); qu'en conséquence, nul n'y de-
vait prétendre aucun droit, ou usage quelconque,
pouvant préjudicier à leur destination publique, con-
sistant dans le transport des marchandises et des per-
sonnes.—L'administrationet la haute police deces cours
d'eau a donc toujours appartenu au chef de l'Etat.
Aussi, noire législation présente-t-elle des monu-
ments très-anciens, qui consacrent ce droit. Parmi les
ordonnances ayant pour objet la liberté des rivières
36 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.
navigables, on peut citer: celle de Philippe le Bel, du
mois d'août 1291 ; celle de Philippe de Valois, du mois
d'avril 1346; celles de Charles VI, des mois de mars
1388 et septembre 1402; celles de François 1", des
mois de mars 1515 et mai 1280; celle de Henri H, de
février 1550; celles de Charles IX, des mois de fé-
vrier 1566 (1) et octobre 1570; celle de Henri III, du
mois d'octobre 1583; celle de Henri IV, du mois de
mai 1597 ; enfin les ordonnances et édits de Louis XIV,
qui sont relatés au chapitre suivant.
La plupart de ces ordonnances proclament ou re-
connaissent implicitement, le principe d'inaliénabilité
du domaine public, et le droit du souverain, en tout
ce qui se rattachait aux rivières navigables. Chacune
d'elles témoigne de la sollicitude que fit naître cons-
tamment cet objet essentiel de l'administration publi-
que. Mais cela ne suffisait pas, dans l'état d'affaiblisse-
ment où était tombée l'autorité royale, par les enva-
hissements successifs de la féodalité ; à une époque où
les propriétaires de fiefs pouvaient lever impunément
l'étendard de la révolte, et disputer au roi les plus in-
contestables de ses prérogatives. La période allant de
la fin du xmc siècle à la fin du xvic à laquelle cor-
respondent principalement les ordonnances préci-
tées, était particulièrement remarquable par cette

(l)Bien que cette ordonnance, du mois de févrierl566,ne soit


guère plus explicite que les précédentes, on est tombé d'accord
sur ce point : que les établissements pour lesquels les intéres-
sés pourraient justifier d'une existence antérieure à cette épo-
que devaient être considérés comme fondés en titre.
SITUATION SPÉCIALE. 37
impuissance de l'autorité souveraine, même pour les
simples mesures d'ordre public, notamment en ce qui
concernait les rivières navigables (1).
Les événements politiques contribuaient encore au
même résultat; car les guerres qui ensanglantèrent la
France à cette époque, ne laissaient pas de place aux
soins paisibles qu'eussent réclamés des améliorations
intérieures.
Il suffirait, pour s'en convaincre, d'ouvrir les an-
nales de ces temps malheureux, et d'y voir quelles
étaient les préoccupations qui absorbaient alors tous
les esprits : des différends continuels avec les papes;
des guerres intérieures avec les grands vassaux; une
guerre permanente avec le roi d'Angleterre, qui se-
condait régulièrement toutes les révoltes contre le roi
de France, et gagnait ainsi du terrain jusqu'au coeur
du royaume; le peuple soumis à des impôts ruineux,
à des exactions sans bornes; des actes révoltants d'in-
tolérance religieuse, substitués à l'autorité de la loi;
des rois excommuniés; des sorciers livrés aux flammes;
tel est, en résumé, le triste, mais fidèle tableau de la
situation générale à cette époque.
Du xme au xvne siècle, la navigation fluviale était
presque détruite; et une des meilleures preuves de
l'anéantissement où elle était tombée, se trouve dans
les fréquentes famines qui désolèrent la capitale de la
France, pendant les règnes faibles ou agités qui occu-
pent la presque totalité de ladite période.
(i) Voiries détails donnés à ce sujet dans la section F' du
chapitre suivant. :
38 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

De telles calamités auraient pu être évitées, si les


deux grandes rivières destinées à amener dans Paris
les céréales et les autres produits agricoles des plus ri-
ches provinces de France, n'eussent pas été obstruées
par une multitude de barrages, pêcheries et usines,
qui, pour la plupart, y avaient été établies indûment
et au mépris des lois existantes. On verra, dans le
chapitre suivant, combien cet abus fut difficile à ex-
tirper.
Ces détails étaient nécessaires pour faire ressortir le
fait suivant, à savoir : que, jusqu'au milieu du xvne siè-
cle, les lois ou ordonnances des rois de France, sur la
liberté des rivières navigables, proclamèrent, en vain,
le principe qui veut que ces rivières restent inalié-
nables, comme étant dans le domaine public ; et que
les dispositions desdites ordonnances, tantôt pleines de
vague et d'hésitation, tantôt demandant plus qu'il ne
fallait obtenir, i*estèrent également sans effet.
C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit d'appliquer le prin-
cipe fondamental dont il s'agit, il n'est pas d'usage de
remonter jusqu'à ces anciennes ordonnances, et l'on se
borne à invoquer les dispositions plus récentes, qui
sont relatées ci-après.

§ II. — Législation actuelle.


Ordonnance dite des eaux et forêts du mois d'août
1669.
41. — «Déclarons la propriété de tous les fleuves
ART.
« et rivières portant bateaux de leurs fonds, sans arti-
SITUATION SPÉCIALE. 39

« fice et ouvrage de mains, dans notre royaume et


« terres de notre obéissance, faire partie du domaine
« de notre couronne, nonobstant tous titres et posses-
« sions contraires ; sauf les droits de pêche, moulins,
« bacs et autres usages que les particuliers peuvent y
« avoir, par titres et possessions valables, auxquels ils
« seront maintenus. »
Loi du 1er décembre 1790.
ART. 2.
— « Les fleuves et rivières navigables, les...
« et en général toutes les portions du territoire national
« qui ne sont pas susceptibles d'une propriété privée,
« sont considérés comme dépendances du domain .

« public. »
Loi du 6 octobre 1791.
ART. 4.
— « Nul ne peut se prétendre propriétaire ex-
ce
clusif des eaux d'un fleuve ou d'une rivière naviga-
« ble ou flottable. »
Code civil.
ART. 538.
— « Les chemins... les fleuves et rivières
« navigables ou flottables, etc. ; et généralement toutes
« les portions du territoire national qui ne sont pas
« susceptibles d'une propriété privée, sont considérées
« comme des dépendances du domaine public. »
La loi du 15 avril 1829 (art. 1er), sur la pêche fluviale,
consacre implicitement le même principe.
De toutes les choses qui doivent faire partie du do-
maine public, les rivières navigables occupent incon-
testablement le premier rang; car elles appartiennent
à ce domaine, non-seulement par suite de leur consé-
cration à un usage public, mais encore parce qu'elles
40 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

sont l'ouvrage de la nature, qui les a placées dans le


thalweg des vallées principales, où aboutissent néces-
sairement un grand nombre de cours d'eau, d'ordre
inférieur; circonstance qui suffirait seule pour moti-
ver leur inaliénabilité.
Une grande route est ouverte sur un sol privé, qui a
été acquis pour la construire ; si elle est remplacée,
.

sur une partie de sa longueur, par une route meil-


leure, la portion abandonnée retombe dans le domaine
de l'Etat, qui peut en aliéner l'emplacement; et ce sol
reprend ainsi, entre les mains des particuliers, sa
destination primitive.
.
Mais il n'en est pas de même du lit d'une rivière
considérable, qui, ainsi qu'on vient de le remarquer,
occupe la place que lui a assignée la nature, et à la-
quelle le cours des eaux tendra toujours à se rétablir,
si on l'en détourne, par des travaux de main d'homme.
Aussi le gouvernement doit-il s'abstenir d'aliéner au-
cune portion ou même aucun bras d'une rivière
navigable. Lorsque, dans des ventes de domaines
nationaux, il s'est trouvé de semblables objets, qui
semblaient en faire partie intégrante, et sur lesquels
les acquéreurs élevaient des prétentions, le Conseil
d'état a toujours sagement décidé : que tout ce qui fait
partie d'une rivière navigable était inaliénable, et que
le transport qui en aurait été fait à qui que ce soit,
devait de lui-même, être réputé nul et non écrit. Voir
les arrêts des 30 mai 1821, 12 février et 27 avril 1823.
SITUATION SPÉCIALE. 41

SECTION II

SUITE DES CONSIDÉRATIONS SUR LES RIVIÈRES NAVIGABLES.

On vient de lire, dans le paragraphe précédent, que


les rivières placées dans le domaine public sont dési-
gnées dans l'ordonnance de 1669 (art. 41), et dans la
loi du 1er décembre 1790, sous le nom de rivières na-
vigables, tandis que, dans la loi du 6 octobre 1791,
ainsi que dans l'art. 538 du Code civil, elles le
sont sous le nom de rivières navigables ou flotta-
bles.
Les autres articles de l'ordonnance de 1669, les or-'
donnances et lois subséquentes, et enfin les arrêts mo-
dernes du Conseil d'état, se servent indistinctement de
l'expression de navigable et de l'expression de naviga-
ble ou flottable.
Il ne s'agit pas du flottage à bûches perdues, puis-
qu'un arrêt du Conseil d'état du 21 février 1822 et la
loi du 15 avril 1829 sur la pêche fluviale, décident for-
mellement que les seules rivières flottables par trains
et radeaux sont comprises dans la désignation de
l'art. 538 du Code civil.
11 est très-essentiel que les rivières du domaine pu-

blic soient déclarées comme telles d'une manière bien


notoire et bien authentique; car par cela seul qu'une
rivière devient navigable, les riverains y perdent le
droit de pêche, le droit de prise d'eau, le droit d'usines,
dont ils jouissaient avant qu'elle ne fût dans cette
classe. Et ils ne peuvent cependant prétendre à au-
42 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

cune indemnité, si ce n'est pour le préjudice que leur


causera la servitude des chemins de halage.
Ordinairement, une rivière n'est pas navigable au
même degré, sur toute son étendue ; car c'est un fait
constant, qu'à mesure que l'on remonte le cours d'un
fleuve, il devient de moins en moins propre à une
grande navigation ; et il arrive nécessairement un
point que les bateaux ne dépassent pas, faute de trou-
ver leur tirant d'eau. Alors, à cette navigation pro-
prement dite, succède la navigation par trains et ra-
deaux, puis celle-ci n'a plus lieu qu'à la descente, puis
enfin elle est restreinte à une ou deux époques de
l'année et même ne s'opère, dans certaines localités,
qu'à l'aide des crues et débordements. C'est du moins
ainsi que cela se passe sur la plupart de nos rivières
de France.
Elles n'offrent donc réellement, dans cette partie su-
périeure de leur cours, qu'une navigabilité fort im-
parfaite ; mais elles n'en font pas moins partie du do-
maine public, aussi bien que dans les endroits où elles
portent bateaux. Et il n'y a aucune nuance à cet
égard, car la faculté laissée à l'administration de res-
treindre la largeur des chemins de halage, lorsque le
service des transports par eau ne doit pas en souffrir,
n'influe en rien sur le classement des rivières.
C'est surtout à l'origine de la navigabilité, au point
où les rivières commencent à recevoir des trains des-
cendants, qu'il s'élèverait fréquemment des contesta-
tions entre les riverains et les mariniers, si l'adminis-
tration n'avait pas eu le soin de bien déterminer ce
SITUATION SPÉCIALE. 43
point, qui est celui où chaque rivière commence à
faire partie du domaine public.
Cette désignation, comme on vient de le voir, est
très-importante, car non-seulement les droits des par-
ticuliers, mais encore la compétence des autorités,
changent, suivant qu'une rivière fait ou ne fait pas
partie du domaine public; et pour que celte spécifica-
tion soit régulière, il faut qu'elle résulte clairement
d'une décision de l'autorité compétente.
Car en l'absence de cette décision, la chose pourrait
toujours être contestée, de sorte que les tribunaux ne
seraient pas obligés de se dessaisir de la connaissance
des contraventions commises sur les rivières, et que
les particuliers pourraient également se refuser, soit à
supporter la servitude des chemins de halage, soit à
faire l'abandon de leurs droits en ce qui concerne la
pêche, les prises d'eau et les usines.
C'est ce que confirme uu arrêt du Conseil d'état en
date du 6 décembre 1820, portant :
« Qu'une rivière n'est navigable, et d'après cela sou-
mise à la juridiction administrative, que quand elle est
déclarée telle, par un acte administratif. »
C'est pourquoi nous donnons à la fin de ce volume,
comme un document essentiel pour la clarté des ma-
tières qui y sont traitées, le tableau des rivières navi-
gables de France, classées par l'ordonnance du 10 juil-
let 1835., en exécution de la loi du 15 avril 1829. —
Mais en indiquant les modifications survenues, à la
suite des derniers remaniements territoriaux.
44 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

§ 1.
— Bras non navigables.
Les bras, ou ramifications non navigables, des ri-
vières navigables, sont assimilés à ces rivières elles-
mêmes, et sont à ce titre considérés comme faisant
partie du domaine public. Il y a pour cela deux rai-
sons principales : d'abord, à cause des variations et
des changements fréquents qui s'opèrent dans le lit
naturel de toutes les rivières, rien n'assure que la navi-
gation qui s'effectue aujourd'hui dans le bras de droite,
ne sera pas obligée de se reporter d'un moment à l'au-
tre dans le bras de gauche, et d'abandonner son an-
cienne direction ; si le thalweg du fleuve vient à subir
un changement analogue. Car là où le tirant d'eau
devient insuffisant, il n'y a pas de navigation possible,
et souvent des travaux de dragage, curage, etc., sont
insuffisants pour remédier aux effets du travail lent,
mais continuel, des eaux courantes. Ainsi, lorsqu'une
rivière navigable se bifurque ou se ramifie, on ne peut
jamais savoir au juste quel est celui des divers bras
que réclamera le service de la navigation, à une épo-
que ultérieure. Il était donc nécessaire que l'adminis-
tration les conservât tous sous sa surveillance.
Un autre motif non moins essentiel, qui sert de base
au même principe, c'est qu'à l'aide de dérivations et
de saignées, faites dans de simples ruisseaux apparte-
nant à une rivière navigable, on pourrait, en été, ap-
pauvrir cette rivière sur une longueur considérable et
y gêner par là, ou même y suspendre, l'exercice de la
navigation.
SITUATION SPÉCIALE. 45
Il est bien entendu qu'il'ne s'agit pas ici des af-
fluents non navigables des rivières du domaine public,
ni même des portions supérieures de ces rivières, con-
sidérées en amont du point où commerce la naviga-
tion; car un cours d'eau quelconque ayant toujours
caractère d'affluent d'un certain ordre, pour le fleuve
dans le bassin duquel vient définitivement aboutir le
tribut de ses eaux, il n'en serait pas resté un seul dans
le domaine commun.
Si une rivière n'est navigable qu'en certaines par-
ties de son cours, ces parties doivent être exclusivement
considérées comme faisant partie du domaine pu-
blic (1).
Les arrêts du conseil qui établissent le principe que
les bras, même non navigables ; des rivières navigables
font, comme celles-ci, partie du domaine public, sont :
1° L'arrêt du 22 janvier 1824 (Sr Hache), reconnais-
sant la compétence du conseil de préfecture du dépar-
tement de l'Eure, pour ordonner la destruction d'ou-
vrages construits en contravention sur deux canaux
dépendants de la rivière de ce nom ;
2° Celui du 21 juin 1826 (<Sr Jourdain), reconnais-
sant la compétence de ce conseil, pour connaître d'une
contravention commise sur un autre bras de la même
rivière ;
3° Celui du 29 août 1824 (S1 Delorme), approuvant
un arrêt du conseil de préfecture du département de
la Seine, qui a rejeté une demande en indemnité re-
Édit du mois d'avril 1668.
(1)
— Arrêts des 10 avril et 9 no-
vembre 1694. — Cass., 29 juillet 1813 et 22 août 1819.
46 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

lative à la suppression d'un moulin, sur un bras de la


Marne ;
4° Celui du 27 avril 1825 (5r Demolon), maintenant
la compétence du conseil de préfecture du départe-
ment des Ardennes, qui ordonna la destruction des
travaux entrepris sur un bras d'un canal, dérivé de la
rivière d'Aisne ;
5° Celui du 27 août 1825 (S' Pinel), approuvant la
condamnation prononcée par le conseil de préfecture
du département de l'Eure, contre des innovations fai-
tes à une usine située sur un canal dérivé de la rivière
d'Andelle ;
6° Celui du 28 janvier 1835 (ST Deschamps), qui
maintient la condamnation prononcée par le conseil
de préfecture du département de l'Eure, pour la cons-
truction d'un lavoir en planches sur un canal dérivé
de la rivière d'Eure ;
7° Celui du 11 février 1836 (S'Pélot), consacrant la
compétence du conseil de préfecture, pour faire dé-
truire et enlever une digue construite sur un bras non
navigable du Doubs, département du Jura.
8° Celui du 9 août 1836, établissant que les travaux
faits par les actionnaires du moulin du château Nar-
bonnais de Toulouse, sur un bras dérivé de la Garonne,
étaient soumis à la même nécessité d'autorisation, que
ceux à exécuter dans la rivière elle-même.
9° Celui du 4 avril 1837 (Dutilleul-Parent), rejetant
la requête par laquelle on demandait l'annulation d'un
arrêté du conseil de préfecture du déparlement du
Nord, qui avait ordonné la destruction d'un barrage
SITUATION SPÉCIALE. 47
en lattis sur une dérivation du canal navigable de la
Haute-Deule.
On pourrait encore citer beaucoup d'autres arrêts
consacrant le même principe.

SECTION III

DES USINES SUR LES CANAUX NAVIGABLES, OUVERTS DE HAIND'HOMME,


ET SUR LES CANAUX D'IRRIGATION, OU DE DESSÈCHEMENT GÉNÉ-
RAUX.

L'art. 41 de l'ordonnance de 1669, qui déclare


comme faisant partie du domaine de la couronne, les
rivières portant bateaux de leur propre fonds5 sans
artifice et ouvrage de mains, est cité plus haut, sec-
tion I, § II.
La plupart des jurisconsultes ont pensé qu'il n'y
avait dans cette réserve qu'une locution vicieuse et
une distinction sans objet. Effectivement, la loi du 1er
décembre 1790, art. 2, et le Code civil, art. 538, n'ont
pas reproduit cette restriction ; et un arrêt de cassation
du 29 juillet 1828 la déclare inutile. Biais une loi ne
renferme pas une locution vicieuse, ou même équivo-
que, sans qu'il en résulte de grands inconvénients.
Aussi, certains auteurs, prenant cette réserve dans
son acception littérale, se sont trompés, en professant
cette opinion : que les rivières flottables par trains, ou
navigables à l'aide de barrages, pertuis et écluses, n'é-
taient pas du domaine public et sortaient, en consé-
quence, de la compétence administrative.
48 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

Tout en admettant qu'il y a locution vicieuse, dans


ce texte de loi, on reconnaît bientôt qu'il est sus-
ceptible d'une interprétation légale.
La restriction sa?ïs artifice, etc., a-t-elle eu pour
objet de déclarer que l'on ne devait pas considérer
comme du domaine public, les rivières rendues navi-
gables à l'aide de barrages, pertuis, écluses ou autres
ouvrages d'art? — Cette hypothèse est inadmissible,
car plus de deux cents ans avant l'année 1669, c'est-à-
dire dès le milieu du xve siècle, et surtout au com-
mencement du xvie, non-seulement il existait de
semblables ouvrages d'art sur tous les fleuves et ri-
vières navigables de France, mais les lois de cette
époque faisaient déjà mention desdits ouvrages, et les
assimilaient, quant à la domanialité, avec les rivières
elles-mêmes.
Telles sont les ordonnances des années 1515, 1520,
1570, 1583, etc. Il est d'ailleurs notoire qu'il n'est pas
de rivière sur laquelle la navigation proprement dite
sei'ait possible, même pour un court trajet, sans le se-
cours des ouvrages d'art. Des arrêts du Conseil d'état
du roi ont d'ailleurs levé toute incertitude sur cette
question, en déclarant formellement que les ouvrages
d'art, tels que digues, pertuis, etc., construits, ou à
construire pour la sûreté de la navigation et du halage,
étaient, comme la rivière elle-même, compris dans le
domaine de la couronne ; que toutes les dégradations
et contraventions commises sur lesdits ouvrages se-
raient poursuivies et réprimées en conséquence.
Tels sont: l'art. 11 de l'arrêt du 24 juin 1777;
SITUATION SPÉCIALE. 49
l'art. 22, tit. III, de l'arrêt du 17 juillet 1782, concer-
nant la navigation de la Garonne ; l'art. 5, tit. IV, de
l'arrêt du 23 juillet 1783, relatif à la navigation de la
Loire; et d'autres dispositions encore.
Ainsi donc, la restriction examinée n'a pu avoir
pour objet, d'exclure du domaine public, les ri-
vières rendues navigables par le moyen d'ouvrages
d'art.
L'expression portant bateaux a-t-ellepu exclure de
ce domaine les rivières qui ne portent que des trains
ou radeaux? —Non, évidemment, puisque, ainsi
qu'on le voit au commencement de la section II, tous
les autres articles du titre 27 de l'ordonnance de 1669,
qui succèdent à l'art. 41, emploient indistinctement,
soit l'expression navigable, soit l'expression navigable
ou flottable.
Ainsi donc la seule interprétation raisonnable à don-
ner à la restriction « sans artifice et ouvrage de mains, »
est d'admettre qu'elle concerne les canaux artificiels
destinés, soit à la navigation, soit aux dessèchements
ou irrigations.
A l'époque où fut rendue l'ordonnance de 1669, il
existait en France plusieurs canaux de cette espèce;
notamment le canal de Briare et le canal de Langue-
doc, ou des Deux-Mers; ils portaient bateauxcommeles
rivières navigables, mais seulement « par artifice et
ouvrage de mains, » c'est-à-dire dans un lit et sur une
direction entièrement artificiels. Or, ces deux canaux
ayant toujours existé à titre de propriétés privées, il
était essentiel d'éviter que l'art. 41 ne semblât, dans
4
50 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

sa généralité, les comprendre comme les rivières pu-


bliques, dans le domaine de la couronne.
Tel est, probablement, le but de la restriction dont
il s'agit. Telle est du moins la seule explication plau-
sible et raisonnable que l'on puisse en donner.
Les canaux de navigation, ainsi que les canaux d'ir-
rigation et de dessèchement généraux, ne sont pas dans
le domaine public, quant au fond, mais seulement par
leurs usages. Aussi peut-on remarquer que parmi les
lois citées, à la section I, du présent chapitre, lesquelles
placent dans ce domaine les rivières navigables, au-
cune n'y fait entrer les canaux de navigation, ouverts
de main d'homme. En effet, ces canaux sont essen-
tiellement des propriétés privées, transmissibles ou
aliénables. S'ils sont construits aux frais du trésor pu-
blic, ils sont propriétés de l'Etat, qui peut les vendre,
les aliéner, les concéder, soit à temps soit à perpétuité,
à des compagnies; et elles-mêmes ont la faculté de les
transmettre ainsi à l'Etat ou à d'autres compagnies.
Or, il n'en pourrait être de même pour une rivière na-
vigable.
Néanmoins la consécration des canaux navigables à
un intérêt général, qui est celui des transports pu-
blics, et surtout l'emploi sur une très-grande échelle,
qu'ils font des eaux courantes, dans les contrées .qu'ils
traversent, en attribuent nécessairement la haute
administration au gouvernement, qui, lors même
qu'ils sont concédés à des compagnies ou à des par-
ticuliers, est toujours maître de prendre toutes les
mesures générales de police et de conservation, qui
SITUATION SPÉCIALE. 51
seraient réclamées comme avantageuses à ces ca-
naux (1).
Aussi voit-on que, tandis que les lois précitées re-
latives à la domanialité ne font aucune mention
des canaux navigables, qu'ils laissent conséquemment
dans la classe des choses pouvant être possédées pro-
priétairement, la loi du 29 floréal an X, sur la répres-
sion, par voie administrative, des contraventions de
grande voirie, comprend formellement dans son ar-
ticle 1" les canaux, fleuves et rivières naviga-
bles, etc.
11 en est de même des canaux d'irrigation et de des-
sèchement généraux, que l'art. 9 de l'arrêté du 19
ventôse, an VI, assimile aux rivières navigables, pour
l'interdiction d'y construire, sans autorisation, aucune
usine ou obstacle quelconque au libre cours des eaux.
Mais pour ces derniers canaux, comme pour ceux
de navigation, l'assimilation ne peut être étendue au
delà des termes de la loi ; c'est-à-dire au delà des me-
sures de surveillance et de police que le gouvernement
doit exercer en vertu de la destination publique ou de
l'utilité générale. Car tout canal ouvert de main
d'homme a reçu par cela même, l'empreinte de la
propriété privée ; il est transmissible et aliénable, ce
qui est radicalement contraire à l'essence du domaine
public.
Si une rivière naturelle cause des inondations sans
que des travaux récents aient contribué à les produire,

(1) Loi du 21 vendémiaire an V. — Ord. du 27 avril 1823.


52 COURS D'EAU DU DOMAINE PUBLIC.

ces inondations tiennent, ou à la nature des lieux, ou à


des circonstances atmosphériques, sur lesquelles on ne
peut exercer d'influence, et qu'on ne peut imputer à
personne. Au contraire, si des dommages sont occa-
sionnés par un canal ouvert de main d'homme, navi-
gable ou non, qui tient ses eaux dans un lit artificiel,
à un niveau souvent supérieur à celui des terres en-
vironnantes, tout préjudice provenant de ûltrations,
ou inondations, causées par ce canal, est nécessaire-
ment à la charge de ceux qui l'ont créé et qui doivent
en conséquence en avoir les profits et les charges.
Quant aux usines qu'on demanderait à établir sur
les trois espèces de canaux dont il vient d'être question,
il est très-rare qu'elles puissent y être admises ; car
les canaux de navigation et d'irrigation ayant chacun
une destination spéciale, qu'il est d'ordre public de
maintenir, l'établissement des usines ne pourrait y
être motivé que sur l'excédant ou le superflu de la
consommation d'eau, occasionnée par le passage des
bateaux, ou par l'irrigation. Or, ce superflu n'a pres-
que jamais lieu, ni pour les canaux d'irrigation, ni
pour les canaux à point de partage.
Par conséquent toute fabrique, ou manufacture qui
s'y trouverait, pour l'usage de l'eau, en opposition avec
la destination fondamentale de l'un ou de l'autre de
ces canaux, ne pourrait y être autorisée.
Il résulte d'ailleurs des observations précédentes,
que ces mêmes canaux étant, dans la main de l'Etat,
ou dans celle des compagnies, des propriétés réelles,
grevées seulement à perpétuité, de la servitude de ne
SITUATION SPÉCIALE. 53
pouvoir être soustraites à leur destination publique,
tout établissement d'usines ne peut y être fait que par
les propriétaires desdits canaux, ou par ceux à qui ils
auraient formellement concédé ce droit.
En outre, une autorisation du gouvernement est
toujours indispensable, pour pouvoir entreprendre ou
posséder légalement les usines de cette espèce; attendu
que l'eau courante, sous quelque point dé vue qu'on
la considère, qu'elle soit renfermée dans un lit naturel,
ou dans un lit artificiel, ne doit jamais échapper à
la surveillance administrative, qu'elle réclame impé-
rieusement. Enfin la consécration publique ou spé-
ciale des canaux dont il s'agit, fait que les clauses
résolutoires, et notamment celle de suppression sans
indemnité, dans certains cas prévus, doivent nécessai-
rement être insérées dans les actes d'autorisation. 11
convient en un mot que ces actes soient rédigés dans
la même forme que les permissions d'usines sur les
rivières navigables, dont il sera parlé plus loin.
Sur les canaux de dessèchement, la dépense d'eau
pour les usines n'aurait pas les mômes inconvénients
que sur les canaux de navigation ou d'irrigation;
mais celles-ci pourraient nuire à la liberté de l'écou-
lement. Là encore elles ne peuvent donc être admises
que dans des circonstances exceptionnelles.
LIVRE II
TUES GÉNÉRALES SUR LA COMPÉTENCE.

CHAPITRE PREMIER
ADMINISTRATION ACTIVE. — POUVOIR EXÉCUTIF.

Observations préalables. — Les questions de com-


pétence, toujours fort essentielles, ont ici une impor-
tance particulière ; attendu qu'elles touchent à la fois
à l'action administrative, au contentieux administratif,
et aux intérêts privés.
Trois classes d'autorités, essentiellement distinctes,
ont donc généralement à y intervenir, et souvent dans
une même affaire. De sorte que l'on ne saurait trop
s'attacher à bien définir les principes généraux sur
lesquels doit être basé le rôle de chacune d'elles, pour
rester dans la limite de ses attributions.
Il était donc utile de présenter, sous une forme con-
cise, les bases élémentaires des errements à suivre
pour se reconnaître dans ce dédale obscur. Car ils doi-
vent être connus, non-seulement des magistrats, mais
même des particuliers ; puisque cette connaissance,
utile aux uns, pour statuer équitablement sur les
procès, peut servir aux autres, pour les éviter, dans un
grand nombre de cas.
56 COMPETENCE.

SECTION I
AUTORITÉ ADMINISTRATIVE.

Administration active. — L'autorité administrative


proprement dite est celle qui est confiée par le souve-
rain à des fonctionnaires chargés d'une manière plus
ou moins immédiate de le représenter près de la masse
des citoyens. Le juge et l'administrateur sont tous
deux institués par le chef de l'Etat, mais il est dans
l'ordre des choses que l'un soit inamovible et que
l'autre ne le soit pas.
L'attribution essentielle de l'administration consiste
à faire des règlements, sur les objets d'intérêt général.
Elle est en outre exclusivement dispensatrice des cho-
ses communes de leur nature et dont le dépôt est en-
tre ses mains.
C'est sous ces deux rapports à la fois qu'elle a une
action aussi étendue sur les eaux courantes, qui, par
leur nature et par la consécration que leur donne l'art.
714 du Code civil, ont incontestablement le double
caractère d'objet d'intérêt général et de chose com-
mune.
L'autorité judiciaire étant instituée pour veiller au
maintien des droits des particuliers, l'autorité admi-
nistrative s'exerce au contraire principalement, là où
ces droits n'apparaissent pas ; elle agit généralement
sur les masses et non sur les individus ; ou si dans quel-
ques cas elle touche aux intérêts de ces derniers, c'est
pour assurer leur concours à l'utilité publique. Si elle
AUTORITÉ ADMINISTRATIVE. 57
ordonne, si elle interdit, c'est toujours en ayant prin-
cipalement en vue les intérêts généraux de la. société,
qui sont sous sa tutelle.
Certaines mesures administratives semblent quel-
quefois n'avoir pour objet que des intérêts individuels.
C'est qu'il est des cas où l'intérêt privé peut coïncider
accidentellement avec les intérêts généraux, que l'ad-
ministrateur a mission de régler. 11 est d'ailleurs des
matières qui de. leur nature sont essentiellement d'or-
dre public. Il est également certaines entreprises, Su
fait des particuliers, qui sont susceptibles d'entraîner
des dommages publics. Or, rien ne peut enlever aux
choses de cette nature le caractère administratif.
Administration consultative. — Les ministres et les
préfets qui sont à la tête de l'administration, c'est-à-
dire qui sont les véritables dépositaires de l'autorité
administrative, étant des fonctionnaires essentiellement
amovibles, ne peuvent, que dans des cas bien rares,
acquérir personnellement, dans leurs fonctions, cette
connaissance approfondie des affaires qui est néces-
saire pour en bien envisager les détails ; ils ne pour-
raient d'ailleurs jamais embrasser par eux-mêmes les
divers genres de spécialités qui se rattachent aux nom-
breux services dont ils sont chargés.
De tout temps on a donc senti la nécessité de leur
donner des auxiliaires ; et à chaque degré de la hiérar-
chie administrative, correspondent des conseils offrant
toutes les garanties de capacité désirables, et dont les
délibérations éclairent les décisions et résolvent les
difficultés.
58 COMPÉTENCE.
.
C'est près de l'administration supérieure et au cen-
tre des affaires, que ces réunions consultatives sont les
plus nombreuses. De sorte que le pouvoir exécutif est
ainsi entouré de tous les moyens propres à produire
autour de lui d'abondantes lumières, sur les intérêts
généraux du pays.
Quelquefois l'intervention des corps consultatifs
n'est que facultative, car l'administration est libre d'y
recourir ou de s'en passer, suivant la nature des dé-
cisions.
Mais ordinairement ces délibérations, quoique simple-
ment consultatives, sont indispensables pour l'instruc-
tion régulière des affaires ; de sorte que l'administra-
tion, sans néanmoins être liée par ces avis, ne peut se
dispenser de les provoquer.
Les règlements d'administration publique concer-
nant les cours d'eau sont une des matières qui reçoi-
vent avec le plus de développement le concours de
l'administration délibérante et collective.
Caractère des actes administratifs. — C'est un prin-
cipe fondamental que les tribunaux ne peuvent ja-
mais empiéter sur les attributions administratives.
Mais, dans l'usage, il s'est présenté beaucoup de cas
douteux, et il s'en présente encore ; de sorte que ces
prescriptions ont été assez souvent transgressées, faute
d'une ligne de démarcation suffisamment tranchée,
entre les deux attributions.
Il paraît donc utile de citer les principaux arrêts du
Conseil d'étal et de la Cour de cassation, qui sont de
nature à servir de règle en cette matière.
AUTORITÉ' ADMINISTRATIVE. 59
1° Action administrative proprement dite.
« Vautorité administrative est seule compétente pour
connaître des difficultés relatives à l'exécution des actes
émanés d'elle. »
CASS., 15 octobre 1807.

« Les tribunaux excèdent leurs pouvoirs lorsqu'ils por-


tent atteinte aux actes administratifs, ou en entravent
l'exercice. »
CASS., 6 février 1824.

« Les tribunaux doivent s'abstenir de toute disposition


contraire à des actes émanés de l'autoritéadministrative,
agissant dans la mesure légale de ses attributions. Ces
actes, a les supposer susceptibles de réforme, ne peuvent
être réformés que par l'autorité administrative supé-
rieure, et doivent provisoirement recevoir leur exécu-
tion. »
CASS., 22 juillet 1824.

2° Interprétation d'actes administratifs;


« L'autorité administrative est seule compétente pour
statuer sur les contestations dont la. décision dépend de
l'interprétation d'actes administratifs. »
C. D'ÊT., 7 octobre 1812.

« Lorsque la demande portée devant un tribunal ci-


vil se trouve appuyée sur des titres émanés de l'autorité
administrative, sur la validité ou la régularité desquels
il y a contestation, il doit être sursis au jugement à
60 COMPÉTENCE.

rendre sur cette demande, jusqu'à ce que l'autorité ad-


ministrative ait statué sur le mérite de ces titres. »
CASS., 23 juillet 1821.

l
doit réserver à administration toute espèce d'in-
« On
terprétation des dispositions du litre et de tous les actes
préparatoires qui le constituent. »
CASS., 22 mai 1824.

L'interprétation des actes du pouvoir administratif


«
est hors des attributions du pouvoir judiciaire ; c'est à
l'autorité administrative qu'il appartient de donner les
explications nécessaires, pour concilier les contradictions
apparentes des actes émanés d'elle. »
CASS., 16 juillet 1824.

ce
Siparties, plaidant sur l'effet d'une autorisa-
les
tion administrative, placent toute la difficulté dans le
point de savoir quel est le sens de l'acte administratif,
les tribunaux doivent renvoyer à l'administration pour
s'interpréter elle-même, encore qu'il s'agisse de servi-
tude prétendue autorisée par l'acte administratif. »
CASS., 31 janvier 1826.

« Les tribunaux appelés à faire l'application de deux


actes administratifs qui paraissent contradictoires, doi-
vent surseoir à leur jugement et l'envoyer l'interpréta-
tion de ces actes à l'autorité administrative. »
CASS., 30 avril 1829.
POUVOIR EXÉCUTIF., 61

« Lorsqu'un particulier oppose des titres privés à un


règlement administratif, la question de savoir si ces ti-
tres privés doivent avoir leur effet, nonobstant le règle-
ment, doit être jugée par l'autorité administrative, et
non par les tribunaux. Ceux-ci sont obligés de surseoir
et de renvoyer les parties devant l'autorité administra-
tive. »
CASS., 28 mai 1827.

SECTION II

CHEF DU POUVOIR EXÉCUTIF.

Sous l'ancien régime tout acte émané de l'autorité


royale était considéré comme loi de l'Etat. Dans la
plupart des gouvernements modernes, le chef du pou-
voir exécutif a ses attributions réglées par la Constitu-
tion. Mais les- ministres, les préfets et autres fonction-
naires chargés de l'administration proprement dite
sont toujours à sa nomination.
Les décrets rendus, soit pour assurer l'exécution des
dispositions législatives, soit pour prescrire des mesures
d'ordre et de police générale, sur des matières pour
lesquelles la loi a délégué au gouvernement le soin de
faire des règlements d'administration publique, sont
considérés comme ayant un caractère obligatoire, pour
tous les citoyens.
Ainsi, l'infraction à un décret ou aune ordonnance
dont l'autorité se confond avec celle de la loi est at-
teinte par cette même loi.
C'est ce que décident explicitement deux arrêts de
62 COMPÉTENCE.

la Cour de cassation, des 15 janvier 1829 et 20 février


1830.
Il y aurait quelques distinctions à faire sur la portée
des divers actes émanés du chef du pouvoir exécutif.
Mais, au point de vue dont il s'agit ici, son attribution
la plus importante est d'émettre les règlements d'ad-
ministration publique, sur la nature desquels il est
indispensable de donner quelques détails généraux.
Aussi est-il établi en principe, qu'en cas d'incerti-
tude sur l'acception d'un décret ou ordonnance d'exé-
cution, le véritable sens dans lequel ils doivent être
interprétés est toujours le sens légal, c'est-à-dire celui
que comportent les lois existantes. C'est ce qui résulte
d'un arrêt du Conseil d'État, en date du 26 août 1818,
et de deux arrêts de la Cour de cassation, en date des
17 janvier et 29 décembre 1823.
Règlement d'administration publique. — Bien que
rendu à peu près dans la même forme qu'une simple
ordonnance, il a une portée et une application bien
plus étendues. Il participe même de quelques-uns des
caractères extérieurs de la loi, par sa généralité et sa
durée, mais sans jamais empiéter sur son domaine ; car
il ne fait que déterminer et développer ce que la loi a
prescrit, sans créer d'obligations nouvelles; et s'il tou-
che aux intérêts privés, c'est toujours comme inter-
prète fidèle de la loi, qui, ne pouvant tout prévoir, se
borne ordinairement à des prescriptions générales, en
se reposant sur le gouvernement du soin de les inter-
préter et de déterminer les moyens convenables d'ap-
plication.
POUVOIR EXÉCUTIF. 63
Les règlements d'administration publique peuvent
être, quant à leur objet, généraux ou particuliers,
c'est-à-dire s'appliquant, soit à la totalité ou à une por-
tion étendue du territoire, soit à une localité restreinte,
mais portant toujours sur des intérêts essentiellement,
collectifs. Ainsi, par exemple, l'ordonnance royale du
10 juillet 1835, qui donne la désignation et le tableau
par départements de toutes les rivières navigables de
France, faisant à ce titre partie du domaine public,
est un règlement général d'administration publique,
rendu en exécution de la loi du 15 avril 1829.
L'ordonnance royale du 30 juin 1834, relative au
curage et au redressement de la rivière de Nied, dans
le département de la Moselle, et un grand nombre d'or-
donnances semblables, sont des règlements pariicuLiïs
d'administration publique, rendus dans l'intérêrdes
riverains, de la salubrité et du libre écoulement des
eaux; en vertu des lois des 20 août 1790, 6 octo-
bre 1791, 14 floréal an XI (4 mai 1803), et 16 septem-
bre 1807.
Un règlement d'administration publique, pour être
régulièrement présenté, doit toujours faire mention
de là loi ou des lois en vertu desquelles il est rendu.
Cette formalité, qui a été perdue de vue pendant assez
longtemps, est toujours observée, depuis un certain
nombre d'années.
La citation suivante achèvera de définir le règle-
ment <Vadministrationpublique, sous les rapports où il
importe de le considérer ici :
« Par l'art. 52 de la loi du 13 décembre 1799 (22 M-
64 COMPÉTENCE.

maire an VIII), le Conseil d'état était chargé, sous la


direction des consuls, de rédiger les projets de loi et
les règlements d'administration publique. — Par
l'art. 54 de cette loi, les ministres sont chargés de
l'exécution de ces règlements, et l'art. 72 les rend res-
ponsables de leur inexécution. — L'art. 8 du règlement
du 5 nivôse an VIII porte que la proposition des lois et
règlements d'administration publique est provoquée
par les ministres, chacun dans l'étendue de ses attri-
butions.
« La dénomination de règlement d'administration
publique ne s'applique qu'à des règlements faits par le
cl^f de l'Etat, sur le rapport d'un ministre, le Conseil
dmtat entendu. Ils diffèrent des autres règlements par
u^^certaine généralité dans leur objet et par des dis-
posions de prévoyance pour l'avenir. Ils exigent une
instrtlction approfondie, des informations scrupuleu-
ses, des enquêtes de commodo et incommodo, et géné-
ralement tout ce qui peut éclairer sur le mérite et la
convenance du règlement demandé ou proposé; mais
il faut toujours que le Conseil d'Etat ait été entendu;
c'est un point constant de jurisprudence.
« Un des grands motifs qui, sous le Consulat, ont fait
attribuer au Conseil d'Etat les règlements d'administra-
tion publique, c'est la nécessité de coordonner les di-
verses branches de la législation et les règles de diffé-
rents services publics, combinées avecle droit commun.
11 est peu de règlements spéciaux qui ne touchent par
quelques points aux divers intérêts de l'État, à la pro-
priété, à la sûreté des personnes, du travail et de
POUVOIR EXÉCUTIF. 65
l'industrie; ce sont ces rapports, qui ne peuvent, être
embrassés que dans un conseil composé d'hommes qui
ont vieilli dans les affaires et qui conservent le dépôt
des traditions et des maximes de notre droit public.
« Des règlements qui, dans leur objet apparent,
semblent n'avoir rien que d'administratif, renferment
souvent des dispositions dont l'exécution exige le con-
cours de plusieurs autorités et quelquefois l'interven-
tion des tribunaux. Il faut donc reconnaître la néces-
sité de faire coopérer à la rédaction des règlements
d'administration publique une commission d'hommes
éclairés dans les diverses branches de l'administration
et de la justice; et cette commission, c'est le Conseil
d'État (1).»
Le règlement d'administration publique conserve le
caractère de décret du pouvoir exécutif; d'abord,
parce que, bien qu'examiné et discuté en Conseil
d'Etat, ce corps n'y intervient de fait que d'une ma-
nière consultative; et, ensuite, parce que d'autres
fonctionnaires, ou assemblées délibérantes, y coopè-
rent aussi, d'une manière plus ou moins essentielle.
Ainsi, dans le règlement d'administration publique
qui autorise une usine métallurgique, on entend les
ingénieurs des ponts et chaussées et des mines, le
préfet du département, les conseils généraux des ponts
et chaussées et des mines, l'administration fores-
tière, etc. Le Conseil d'État vient ensuite examiner et
coordonner tous ces avis ; mais il n'y a pas interven-

(I) ÏARBÉ DE VAUXCLAIRS, Dictionnaire des travaux publics.


5
66 COMPÉTENCE.

tion spéciale du tribunal administratif, qui réside uni-


quement dans le comité du contentieux.
Tous les règlements, soit ordinaires soit d'adminis-
tration publique, comportent explicitement, ou vir-
tuellement, la réserve des droits des tiers; c'est-à-dire
de ceux des particuliers qui n'étaient pas en cause,
mais qui pourraient se trouver lésés par une ou plu-
sieurs de leurs dispositions.
D'après un avis de la Cour de cassation, en date
du 29 décembre 1823,
« Est obligatoire, comme loi provisoire, tout règle-
ment fait par le roi pour l'exécution de la loi; en tant
que le règlement ne fait qu'en assurer l'exécution, sans
en altérer le sens, l'effet ou l'étendue. »
Un autre arrêt de la même Cour, en date du 2 octo-
bre 1824, consacre le même principe :
« Lorsqu'un règlement administratif porte sur une
matière soumise à règlement, par disposition expresse
de la loi, le règlement est légal et a effet pour les tri-
bunaux, encore qu'il soit spécial et ne contienne qu'une
mesure individuelle. »

SECTION III
PRÉFETS, SOUS-PRÉFETS, MAIRES, ET AUTRES FONCTIONNAIRES APPELÉS
A PARTICIPER SOIT A L'INSTRUCTION, SOIT A L'EXÉCUTION DES RÈ-
GLEMENTS D'ADMINISTRATION PUBLIQUE.

— Préfets.
§ 1.

But et essence de leur institution.


— La loi du 28
PRÉFETS, SOUS-PRÉFETS, MAIRES, ETC. 67
pluv. an VI11, art. 3, dit que le préfet sera seul chargé
de l'administration.— Dès lors un préfet, ayant exclu-
sivement en partage l'administration active, n'exerce
pas de juridiction proprement dite. Il est, dans son
département, le représentant et l'organe du pouvoir
exécutif avec lequel il est continuellement en rapports.
Il en reçoit, par l'intermédiaire des divers ministres,
les lois, règlements, instructions et ordonnances, pour
en surveiller l'exécution. Il fait connaître au gouver-
nement, dans la même forme, les besoins du départe-
ment qu'il administre, propose les améliorations qu'il
croit utiles; et sur cet objet il doit, aux termes de la
loi, exercer une vigilance spéciale sur les cours d'eau
et sur les obstacles de toute nature pouvant gêner
leur écoulement.
Le préfet a des-points de contact assez fréquents avec
l'autorité judiciaire, qu'il requiert ; ou contre laquelle
il élève des déclinatoires etdes conflits d'attribution. Il
dispose de la force publique, veille à la conservation
des édifices et autres propriétés appartenant à l'Étal ;
mais il doit exercer une surveillance particulière sur
toutes les dépendances-du domaine public, et notam-
ment sur les cours d'eau de son département, qui sont
classés dans cette catégorie.
On voit donc, d'après cela, que les préfets ont l'ac-
tion, mais non le contentieux de l'administration, qui
est attribué aux conseils de préfecture, dont il va être
parlé plus loin.
Compétence et attributions.
— Leur compétence s'é-
tend aujourd'hui sur un grand nombre d'attributions
68 COMPÉTENCE,

nouvelles, jointes à celles qui ont été conservées, du


régime aboli des anciens intendants et du régime tran-
sitoire des administrations centrales.
Dans l'état actuel de la législation, ils interviennent
de plusieurs manières dans les rapports entre les ci-
toyens et l'Etat.
Le préfet notifie aux particuliers les décisions de
l'autorité supérieure et les siennes propres; il pro-
clame les actes de l'autorité royale et les transmet aux
autorités inférieures.
Il rend exécutoires, soit par sa signature, soit par
son mandement, les lois et les règlements d'adminis-
tration publique.
Il prend, sous la forme d'arrêté, toutes les mesures
réglementaires et d'intérêt local, dans les matières
où ces règlements ne sont pas réservés à l'autorité
supérieure.
Telles sont, dans la matière des eaux, toutes les
mesures concernant le curage des rivières non na-
vigables, l'entretien aux frais des particuliers, des
digues, canaux d'irrigation ou de dessèchement; et,
depuis 1852, les autorisations pour usines, prises
d'eau, et autres établissements projetés sur des cours
d'eau non navigables.
Il résout, par voie de décision, les cas particuliers
non contentieux, relatifs à l'application des règlements
généraux.
Il requiert le ministère public près des cours et tri-
bunaux judiciaires, dans l'intérêt des divers services
placés sous sa surveillance.
PRÉFETS, SOUS-PRÉFETS, MAIRES, ETC. 69
Règles et limites de cette compétence. — Voici main-
tenant les limites et les règles à observer dans la com-
pétence des préfets.
Les détails suivants sont empruntés à l'ouvrage de
M. de Cormenin (i), qui les appuie d'un grand nombre
de citations d'arrêts.
«Du principe que les préfets ne font que des actes
d'administration et qu'ils n'ont point, à proprement
parler, de juridiction, ni par conséquent de forme
régulière de procéder, il suit : — Qu'ils ne peuvent
statuer que sur des matières purement administra-
tives; -— Que leurs actes ne constituent que des avis
sur des points généraux ou particuliers, et ne sont
pas susceptibles d'être attaqués à titre de décisions (2);
—:
Qu'il n'y a pas de délai pour attaquer leurs arrêtés,
même pour cause d'incompétence; — Qu'ils peuvent
rapporter ou modifier leurs propres arrêtés et ceux de
leurs prédécesseurs, ainsi que ceux des maires et des
sous-préfets, pourvu que lesdits actes n'aient pas déjà
constitué des droits acquis et servi de base à des juge-
ments de tribunaux, arrêtés de conseils de préfecture
ou décisions ministérielles, passés en force de chose
jugée; — Ou à moins qu'ils n'aient été volontaire-
ment exécutés parles parties; — Ou à moins qu'ils
n'aient statué eux-mêmes comme juges d'exception
(I) Questions de droit administratif, lom. I, titre II, cbap. I.
{!) C'est-à-dire par voie contentieuse et sauf excès de pou-
voir ; car ils peuvent toujours l'être devant l'autorité adminis-
trative supérieure. — Voir, dans le tome II, le chapitre qui.
traite des recours contre les actes administratifs, en matière
d'usines.
70 COMPETENCE.

en vertu d'une délégation spéciale de la loi ou des rè-


glements; — Ou enfin à moins que ces arrêtés ne
soient que l'exécution de décisions ministérielles qui
subsistent.
« Du principe que les préfets ne sont que des admi-
nistrateurs subordonnés, il suit : —- Qu'ils ne peuvent
ni refuser ni modifier les ordonnances royales, ou dé-
cisions ministérielles ; — Ni prendre de décisions con-
traires à celles des ministres, tant que ces dernières
ne sont pas réformées par l'autorité supérieure ; —
Ni dresser, interpréter, restreindre ou étendre des rè-
glements d'administration publique; — Ni statuer
sur des prétentions rejetées par l'administration su-
périeure; — Ni interdire ni autoriser des usines, sur
les cours d'eau navigables; — Ni en généralfaire des
actes de règlement et de haute administration, qui ne
peuvent émaner de l'autorité secondaire et locale,
mais de l'autorité centrale et souveraine, sur la propo-
sition de ses ministres.
« Du principe que les préfets n'ont d'action ni de
pouvoir que dans la circonscription de- leur départe-
ment, il suit : — Qu'ils ne peuvent ni directement ni
indirectement réformer les arrêtés des préfets des
autres départements, sauf à référer aux ministres s'ils
pensent que les intérêts de l'État soient compris par
lesdits arrêtés.
« Du principe qu'il n'a été délégué aux préfets ni
pouvoir de réformation, ni haute juridiction adminis-
trative ou civile, il suit : — Qu'ils ne peuvent rappor-
ter ni les arrêtés des anciens directoires de départe-
PRÉFETS, SOUS-PRÉFETS, MAIRES, ETC. 71

ment ni ceux des administrations centrales, à moins


qu'ils n'aient été rendus en matière purement ad-
ministrative et de police générale ; — Ni ceux des
conseils de préfecture, pris en matière contentieuse;
— Ni juger dans le dispositif de leurs arrêtés, ni
préjuger par leurs considérants les questions con-
tentieuses administratives ; —- Ni entraver l'exécu-
tion des arrêts des conseils de préfecture ou l'appli-
cation des arrêts des conseils d'État; — Ni suspendre
l'action des tribunaux autrement que par voie de
conflit; — Ni élever le conflit négatif; — Ni régler
eux-mêmes le conflit positif qu'ils élèvent ; — Ni ré-
former directement ou indirectement les jugements
des tribunaux quels qu'il soient, même ceux par défaut
d'un simple juge de paix ; — Ni ordonner l'exécution,
même provisoire, des arrêtés du conseil de préfecture
incompétemment rendus. »
Ainsi donc, les préfets ne peuvent ni dresser, ni
étendre ni interpréter les règlements d'administration
publique, à la rédaction desquels ils concourent seule-
ment par leurs avis et dont ils assurent l'exécution. Ils
ne peuvent, sans la sanction de l'autorité supérieure,
prendre des mesures qui imposent aux particuliers un
sacrifice quelconque, même pour l'utilité publique; ils
doivent s'arrêter, dès qu'à l'occasion de leurs actes il
s'engage un débat contentieux.
L'autorité des préfets s'exerce, suivant des règles
générales et d'une manière uniforme, dans tous les
départements; mais leurs attributions sont extrême-
ment nombreuses etvariées; car ils correspondent avec
72 COMPETENCE.

tous les ministres, dans leurs attributions respectives ;


et c'est à eux que vient aboutir l'action administrative,
de toutes les branches du service public.
Une des attributions importantes des préfets consiste
à élever devant le tribunal compétent le conflit d'at-
tributions dans les questions touchant aux matières
conlentieuses administratives; quand le ministre in-
téressé estime que cette mesure est devenue indis-
pensable. — La marche à suivre, en pareil cas, se
trouve presque entièrement réglée par les ordonnances
royales des 1er juin 1828 et 12 mars 1831. — On doit
consulter aussi les dispositions d'un arrêté du 30 dé-
cembre 1848, qui traite du même objet.

§ II. — Sous-préfets. — Maires.


Sous-préfets. — Les sous-préfets qui ont remplacé
les anciens sub-délégués des intendants de provinces,
et ensuite les administrations de district, créées par la
loi du 22 décembre 1790, sont appelés à seconder les
préfets dans les détails de leur surveillance et à les
éclairer de leurs avis, pour tout ce qui se rattache à
leur arrondissement.
Ils n'ont pas d'attributions propres, en ce qui con-
cerne l'instruction des règlements d'eau. Mais ils
peuvent être délégués par les préfets pour des me-
sures déterminées.
En cas de contraventions sur les rivières ou canaux
navigables, c'est à eux qu'il appartient, aux termes de
la loi du 29 floréal an X, et au vu des procès-verbaux,
PRÉFETS, SOUS-PRÉFETS, MAIRES, ETC. 73
de prononcer provisoirement la destruction des obsta-
cles nuisibles, soit au cours des eaux, soit à la navi-
gation. En un mot, ils sont appelés à prendre toutes
les mesures d'urgeuce, propres à faire cesser un dom-
mage public.
Toute construction non permise dans le lit d.'un cours
d'eau quelconque ayant ce caractère, les sous-préfets
ainsi que les préfets ont toujours la faculté de pres-
crire provisoirement mais d'urgence, et sauf tel re-
cours qui de droit, les mesures ayant pour objet d'é-
viter les inondations.
En matière de cours d'.eau non navigables ils ont en-
core quelques attributions spéciales en ce qui concerne
le curage, et les associations syndicales.
Maires. — Indépendamment de la partie de leurs
fonctions relative spécialement à l'administration des
intérêts purement communaux, les maires, sont, aux
termes de l'art. 7 de l'arrêté du 2 pluviôse an IX, les
dépositaires des actes de l'autorité supérieure. Leur
magistrature a cela de spécial qu'ils sont les seuls qui
se trouvent en contact immédiat avec les individus.
Cela les distingue de tous les autres ordres de fonc-
tionnaires. Car ceux-ci sont seulement chargés d'or-
donner, diriger et transmettre. Mais ce n'est jamais
aux citoyens qu'ils s'adressentdirectement; c'est à des
fonctionnaires qui leur sont subordonnés.
De degré en degré, cette transmission arrive en-
fin jusqu'au maire, et c'est en ses mains que la loi
ou le règlement se réalisent. — Jusqu'au maire, il
n'y a que des dispositions et des textes. C'est par ses
74 COMPÉTENCE.
soins que l'application s'effectue. Cela seul montre
l'importance de ces fonctions. »
Cela montre également qu'il serait impossible de
contester aux maires, même dansles plus petites com-
munes, le caractère de représentants de l'autorité cen-
trale; etqu'àce titre, leur nomination' rie peut appar-
tenir qu'au pouvoir exécutif.

§ III. — Ingénieurs des ponts et chaussées.


De tout temps, des agents possédant des connais-
sances spéciales ont été placés sous la main de l'auto-
rité administrative, pour traiter les questions se ratta-
chant au régime des eaux; et notamment pour fixer la
hauteur des;retenues, de manière qu'il n'en résulte ni
inondation ni préjudice quelconque pour le pays. Car
la science du nivellement étant la base des opéra-
tions de cette .nature, on consultait anciennement, en
qualité d'experts d'office, dans cette matière, une
;

classe trèsrpeu nombreuse d'individus qui l'exerçaient,


dans quelques-unes des principales villes de France,
et que,l'on, désignait sous le nom de jurés niveleurs.
Plus tard, les officiers de la maîtrise des eaux et fo-
rêts, sous la surveillance, d'abord du grand-voyer, en-
suite des trésoriers.de France, furent seuls chargés:de
présider, dans l'intérêt public,.auxconstructions d'u-
sines hydrauliques. Néanmoins, dans toutes des pro-
vinces.de France qui avaient, très-anciennement, des
corps et des écoles d'ingénieurs, comme la-Bourgogne,
la Bretagne, le Languedoc, c'est à ces hommes de
•INGÉNIEURS. 75
l'art que l'on confiait de préférence ces sortes d'opéra-
tions. Dès 1740 (1), les ingénieurs des ponts et chaus-
sées, alors placés sous les ordres du contrôleur général
des finances, étaient chargés desdites opérations, à
l'exclusion de toutes autres personnes.
Depuis la loi du 19 janvier 1791, qui a centralisé
l'École des ponts et chaussées, et celle du 15 fructidor
an III, qui institua l'École polytechnique, il n'y eut
plus en France qu'un seul corps d'ingénieurs du gou-
vernement. — De fortes études et une connaissance
approfondie des sciences physiques et mathématiques,
les rendent aptes à bien remplir cette mission.
De plus, l'institution d'un cours de droit adminis-
tratif h l'Ecole des ponts et chaussées les a initiés, de-
puis une époque déjà ancienne, à la connaissance ap-
profondie des lois et règlements qu'ils sont appelés à
appliquer.
Le corps des ingénieurs de l'État présente donc,
dans le cas actuel, toutes les garanties que l'on pou-
vait désirer.
Un jurisconsulte moderne qui, sans des motifs bien
déterminants, n'avait pas pour habitude d'approuver
les institutions administratives, a défini, d'une manière
très-juste, l'ensemble des attributions des ingénieurs;
notamment dans la matière dont il s'agit ici.
« Certaines branches du service public ont un carac-
tère technique et scientifique, exigeant comme prépa-
ration, de longues et difficiles études ; pour l'exécution,
(1) Cetteépoque est celle de la réunion du corps des ingé-
nieurs des Tardes et levées à celui des Ponts et chaussées.
76 COMPETENCE.

une expérience consommée ; un esprit de suite, pour


en assurer le succès ; telles sont la conduite des grands
travaux publics, etc.; l'exploitation des mines et usines,
etc. Pour ces divers services, deux corps d'ingénieurs
furent organisés: celui des ponts et chaussées, par dé-
cret du 7 fructidor an XII (1); celui des mines, par
décret du 8 novembre 1810.
« L'expérience a prouvé combien sont utiles ces ins-
titutions, qui, sur divers points d'un vaste territoire,
portent dans les travaux publics, les résultats de toutes
les sciences et le degré de perfectionnement qui fait
aussi partie des richesses nationales.
« Les ingénieurs de ces deux corps doivent non-seu-
lement connaître les méthodes scientifiques et les pro-
cédés qui se rapportent aux travaux publics dont ils
sont chargés; mais il faut qu'ils connaissent parfaite-
ment aussi la législation qui les régit.
« Le personnel de ces deux corps est pris dans cette
belle École polytechnique, l'une des institutions les
plus honorables et les plus utiles que possède la
France, qui a non-seulement fourni des sujets capa-
bles et beaucoup de sujets distingués à tous les ser-
vices publics; mais qui a de plus enrichi la carrière
des sciences, d'un grand nombre d'hommes qui en
ont reculé les" limites par leurs découvertes.
« Les ingénieurs des ponts et chaussées sont consa-

(i) L'institution des ingénieurs et d'un directeur général des


ponts et chaussées, paraît remonter au règne de Louis Xin et
à l'année 1628. Elle a eu plusieurs modifications et réorganisa-
lions; celle du 7 fructidor an XU est la principale.
INGÉNIEURS. 77
crésessentiellementau service public, quoiqu'ils soient
quelquefois appelés à des travaux mixtes, c'est-à-dire
touchant aux intérêts privés ; comme en matière de
cours d'eau, pour l'établissement des usines, le dessè-
chement des marais. Ils sont constitués par nos lois,
témoins officiels, authentiques et nécessaires, pour
rédiger certains actes et pour constater, devant l'admi-
nistration supérieure, les faits qu'il lui importe de
connaître. Ils sont appelés à donner leur avis sur beau-
coup de questions contentieuses, sur les discussions
relatives aux cours d'eau, sur les contraventions en
matière de grande voirie, et sur un grand nombre
d'autres.
« Comme instruments de l'administration, les ingé-
nieurs des ponts et chaussées sont des explorateurs,
eu quelque sorte envoyés en avant, pour découvrir le
bien à faire, indiquer les améliorations possibles,
veiller aux intérêts de l'administration, éclairer les en-
trepreneurs et les particuliers, faire observer les règle-
ments, etc. Ces ingénieurs, qui ont reçu toute l'éduca-
tion spéciale que l'on peut désirer, avant de se livrer
aux fonctions du service actif, forment un corps dont
tous les membres rivalisent entre eux de talent et d'ac-
tivité (1).

(1) PAILLET, Dict. de législation.


CHAPITRE 11

AUTORITÉ JUDICIAIRE. SÉPARATION DES POUVOIRS.


SECTION I
AUTORITÉ JUDICIAIRE.

Bases de son organisation. — Toutes les décisions


du pouvoir judiciaire sont rendues et exécutées au
nom de l'autorité souveraine, dont ce pouvoir n'est
qu'une délégation.
Cette maxime de l'ancien droit public, dans toutes
les monarchies, a été maintenu en France par les di-
verses constitutions qui se sont succédé depuis la
chute du pouvoir royal, en 1789. L'inamovibilité de
la magistrature a toujours été également considérée
comme une garantie nécessaire de leur indépendance.
<c
En matière civile, dit Proudhon (1), c'est aux tribu-
naux qu'il appartient de statuer sur toutes les ques-
tions de propriété foncière, quelle que soit la qualité
des parties entre lesquelles le litige s'est élevé, ainsi
que sur les contestations ayant pour objet des inté-
rêts pécuniaires quelconques, débattus entre particu-"
liers. En matière criminelle, il n'appartient qu'aux
tribunaux de condamner ou d'absoudre ceux qui sont
(i) Du Domaine public, n 0? 91 et suiv.
AUTORITÉ JUDICIAIRE. 79
accusés de crimes ou de délits ; et nul ne peut être
arrêté, ou privé de sa liberté naturelle, sans un ordre
de justice.
a Le pouvoir judiciaire est donc comme'le rempart
des libertés publiques, puisqu'il a été établi pour la
garantie des personnes et celle des propriétés; et c'est
afin d'assurer mieux l'efficacité de son action, qu'il a été
placé sous l'égide d'une constitution spéciale, et telle
qu'elle garantit elle-même, soit la personne des juges,
soit l'exécution de leurs jugements. Pour la garantie
personnelle des juges, tous, comme on vient de le dire,
excepté les juges de paix, sont nommés à vie, et leurs
fonctions sont irrévocables, à moins qu'ils n'aient été
condamnés pour forfaiture. S'ils sont soumis à des
règles de discipline, l'application en est concentrée
dans l'ordre judiciaire lui-même. La loi ne protège pas
seulement les juges contre leur propre faiblesse, elle
les couvre aussi de son bouclier, pour les soustraire à
la vengeance des plaideurs.' Elle détermine les cas
précis où l'on pourra exercer contre eux l'action de
prise à partie; elle soumet l'exercice de cette action à
des formes rigoureuses, et celui qui se porte à l'in-
tenter, se soumet à une grave responsabilité. Aucun
juge ne peut être pris à partie sans la permission préa-
lable du tribunal, devant lequel l'action sera portée,
de sorte que c'est à l'ordre judiciaire seul à apprécier
la conduite de ses membres qu'on vient inculper.
« Quant à la garantie des jugements, tout se con-
centre encore dans l'ordre judiciaire. Les juges de
paix ressortissent aux tribunaux d'arrondissement ;
80 COMPÉTENCE.

ceux-ci aux cours d'appel, lesquelles jugent en dernier


ressort; et le ternie extrême de cette gradation de
pouvoir, se trouve dans la Cour de cassation, chargée
d'annuler les jugements en dernier ressort, non pas
pour simple motif de mal jugé, mais lorsqu'ils ont
été rendus sur des procédures dans lesquelles les for-
mes ont été violées, ou lorsqu'ils contiennent quelque
contravention expresse à la loi.
ce
Telle est donc la hauteur où le pouvoir judiciaire
est placé, que, lorsqu'un tribunal a prononcé sur une
matière compétente, et que les voies établies par les
lois sur Ja procédure, pour faire réformer ou annuler
la décision, sont épuisées; le jugement acquiert toute
l'autorité d'une loispéciale, pourla cause dans laquelle
il a été porté. On voit par là que le pouvoir judiciaire
renferme, en quelque sorte, un démembrement absolu
d'une portion du domaine de la souveraineté, puisque,
dans les objets de sa compétence, son existence ne res-
sortit point du chef du gouvernement.
ce
En considérant la diversité des vues que doivent
se proposer le pouvoir administratif et le pouvoir ju-
diciaire, ainsi que la diversité des choses auxquelles
s'appliquent leurs actions, l'on arrive à remarquer
entre eux une grande disparité constitutionnelle, qu'il
est utile de signaler, par rapport à ses nombreuses
conséquences. Le pouvoir exécutif ou l'administration
active n'envisage directement que la masse des habi-
tants, parce qu'il ne doit s'occuper que des intérêts
collectifs, et c'est pourquoi il dispose par voie régle-
mentaire; au contraire, l'autorité judiciaire ne statue
AUTORITÉ JUDICIAIRE. 81

que sur les intérêts privés des personnes et des corps,


ou communes, qui sont spécialement en cause devant
elle. Et l'action de celte autorité n'est déterminée que
par les titres particuliers que les plaideurs font valoir
par eux-mêmes ; d'où il résulte, que tel étant le terme
de sa mission, il ne lui est pas permis de prononcer
par voie de disposition générale et réglementaire,
parce que, autrement, elle s'immiscerait dans l'admi-
nistration de l'État. »
Empiétement sur l'autorité administrative. — Tout
empiétement de l'autorité judiciaire sur les attributions
administratives est rigoureusement interdit par les lois
organiques, dans lesquelles l'assemblée constituante a
posé les limites respectives des deux attributions.
Ainsi, la loi du 1er janvier 1790 (art. 7, section III)
porte :
« Que les administrations de département ne pour-
ce ront être troublées dans l'exercice de leurs fonctions
ce
administratives par aucun acte du pouvoir judi-
ee
ciaire. »
La loi du 24 août 1790 (art. 3, titre III) ajoute :
ce
II est défendu aux juges, à peine de forfaiture, de
ee
troubler, de quelque manière que ce soit, les opéra-
ce
tions des corps administratifs, ni de citer devant eux
<e
les administrateurs pour raison de leurs fonctions. »
La loi du 16 fructidor, an III, défend itérativement
aux tribunaux :
ce
De connaître des actes de l'administration, de
ce
quelque espèce qu'ils soient. »
Enfin, le Code civil (art. 5) porte :
S2 COMPÉTENCE.

ce
II est défendu aux juges de prononcer par voie
ce
de disposition générale et réglementaire sur les
ce causes qui leur sont soumises (1). »
D'après l'art. 46 du décret du 20 avril 1810, ce Toute
ce
action d:office de la part du ministère public et des
« maiïistrats est interdite, hors des cas déterminés
<( par
la loi. »
Enfin, un arrêt de la Cour de cassation du 6 avril
1830, qui a plusieurs analogues, consacre également
cette maxime :
Que les tribunaux ne sont légalement saisis, et ne
peuvent connaître que des demandes portées devant
eux; qu'ils.ne doivent point prendre de décisions sur
des points qui n'ont pas fait l'objet des contestations à
eux soumises.
On pourrait peut-être remarquer qu'il n'existe pas
de disposition équivalente, qui interdise à l'adminis-
tration d'empiéter sur les attributions judiciaires. Mais,.
à côté du principe formellement établi par les lois pré-
citées, il y a cette maxime fondamentale de notre droit
public, d'après laquelle un acte purement adminis-
tratif ne peut jamais préjudicier à des droits acquis;
de sorte que ces droits sont toujours intégralement ré-
servés devant les tribunaux. D'ailleurs, à l'époque où
furent rendues lesdites lois, c'étaitl'adminislration-qu'il
fallait défendre contre le retour des empiétements et
de l'esprit d'envahissement, qui avaient signalé le
pouvoir inamovible, sous l'ancien régime.
aussi les articles 141 et 142 du Code de procédure
(1) Voyez
civ., et un arrêt de la Cour de cassation du 24 août 1821.
AUTORITÉ JUDICIAIRE. 83
Résumé. — Ainsi donc, pour résumer en peu de
mots, la compétence des tribunaux, on voit:
Qu'ils ne doivent jamais procéder d'office; encore
moins par forme de règlement, ou sur des intérêts col-
lectifs ;
Que, dès lors, ils ne peuvent ni accorder, ni modifier
des permissions d'usines, ni annuler aucune permission
administrative, sous prétexte qu'elle n'aurait pas été
donnée suivant les formes légales ;
Ni faire sur la hauteur des eaux, même entre des
intérêts privés, des dispositions qui empiètent sur la
prérogative de l'administration ;
Ni connaître des oppositions ou réclamations tendant
à faire modifier ou interpréter un acte administratif,
ou à en déterminer l'étendue et les effets.
Au contraire, c'est à eux qu'il appartient exclusi-
vement :
De connaître de toutes les contestations qui s'élèvent
entre particuliers, relativement à l'usage des eaux, poul-
ies usines, etc. ; quand lesdites contestations doivent
se résoudre par l'examen et l'appréciation de titres, et
d'après les règles du droit commun ;
De prononcer sur toutes les questions de propriété,
d'usage, ou de servitude, qui s'élèvent sur la même
matière ;
De prononcer sur les demandes en indemnité, ou
dommages-intérêts, et généralement sur tous les in-
térêts pécuniaires, débattus entre particuliers, par
suite de voies de fait, dommages, ou entreprises quel-
conques; sans être liés dans l'appréciation de ces dom-
84 COMPÉTENCE.

mages, par l'existence des actes administratifs, qui


sembleraient les avoir autorisés ou justifiés ;
De punir, conformément .à la loi, les infractions aux
règlements administratifs commises sur les cours d'eau
non navigables;
Et, en généra], d'appliquer les dispositions résultant
des-règlements administratifs, quand le sens et la por-
tée en sont manifestes; mais sans les modifier ni les
interpréter, les approuver ou les improuver, ni statuer
sur leur forme et leur légalité.
Ces principes se trouveront développés et mis dans
tout leur jour, par l'examen des divers cas de compé-
tence qui sont envisagés dans les chapitres suivants.
Jurisprudence.— Voici quelques arrêts de la Cour
de cassation, qui établissent d'une manière précise
la compétence des tribunaux et la distinction fonda-
mentale entre l'interprétation et l'application, des actes
administratifs:
Encore que l'autoritéjudiciaire ne puisse interprêter
ce

les actes de l'autorité administrative, elle peut en. con-


naître pour les faire exécuter. »
CASS., 7 septembre 1812.

Lorsque, pour déterminer l'effet, l'étendue oumême


ce

l'existence d'une servitude établie par acte administratif,


il faut sortir de l'acte administratif lui-même et recourir
à des usages ou des titres, il vHy a plus lieu à interpré-
tation administrative; c'estaux tribunaux à prononcer. »
CASS., 10 janvier 1823.
AUTORITÉ JUDICIAIRE. 85

ce
la part des juges interpréter un acte
Ce n'est pas de
administratif, et par suite commettre un excès de pou-
voir, que de déterminer dans une contestation entre
particuliers le sens d'un règlement administratif, sur la
hauteur des eaux d'une rivière en se fondant d'ailleurs
sur une convention des parties, faite en exécution de ce
règlement et sur une expertise ordonnée en justice. »
CASS., 22 décembre 1824.

ee
tribunaux ne peuvent interpréter les actes admi-
Les
nistratifs, mais ils doivent en faire l'application lors-
qu'ils sont clairs et précis. »
CASS., 9 août 1825.

ee
S'il est vrai, en règle générale, que quand les par-
ties ne sont pas d'accord sur la régularité, le sens et la
portée d'un acte administratif, les tribunaux doivent
surseoir à prononcer, jusqu'à ce que l'autorité adminis-
trative ait expliqué ou réformé cet acte, cette règle
doit souffrir et souffre exception, lorsque la régu-
larité, le sens et la portée de l'acte, administratif sont
manifestes. Que s'il en était autrement, il pourrait dé-
pendre d'une partie de paralyser arbitrairement le
pouvoir et le devoir qu'ont les tribunaux, d'appliquer
les actes administratifs qui leur sont présentés, lorsque
celte application ne nécessite pas l'interprétation préa-
lable dudit acte. »
CASS., 26 février 1834.

ee
côté du principe constitutionnel qui défend aux
A
tribunaux de s'immiscer dans les actes du pouvoir ad-
86 !
COMPÉTENCE.

ministratif7 il en existe un autre qui leur ordonne


aussi impérativement, d'appliquer et d'exécuter ces ac-
tes, lorsqu'ils émanent de ce pouvoir, agissant dans le
cercle de ses atti'ibutions. Dès lors, quand le sens d'un
acte est évident, il ne réclame aucune interprétation ;
et, dans ce cas, c'est aux tribunaux à en faire l'applica-
tion entre particuliers et dans un intérêt privé. y>

CASS., 8 décembre 1835.

SECTION II

SÉPARATION DES POUVOIRS.

Sous l'ancienne monarchie, a dit M. de Cormenin,


dans la préface d'un excellent ouvrage (1), le conten-
tieux de l'administration se confondait souvent avec les
matières civiles ; toutefois, on avait senti le besoin de
créer des juges extraordinaires dans les matières mix-
tes.— Les maîtrises des eaux et forêts, les trésoreries
de France, les cours des aides formaient autant de tri-
bunaux d'exception. 11 y avait auprès d'eux des com-
missaires du roi. On y plaidait, on y répliquait.
ce
Les pays d'états s'administraient par leurs usages
intérieurs avec une grande liberté d'action. On a sou-
vent admiré et regretté la sage économie de leur ré-
gime. — Les parlements, qui avaient la police judi-
ciaire et la police administrative, s'immisçaient par voie
de règlement et de jugement, dans les contestations re-
latives à la voirie et aux cours d'eau.
(1) Questions de droit administratif, 4e édition, 1837.
SÉPARATION DES POUVOIRS. 87

ce
Maîtrises des eaux et forêts, prévôtés, trésoreries
de France, cours des aides, parlements, Conseil d'état,
tout disparut dans le gouffre de la révolution; et l'As-
semblée constituante dressa au milieu des ruines l'é-
difice parallèle des deux pouvoirs, administratif et ju-
diciaire. »
Delà les deux grandes divisions actuelles de la jus-
tice en France, savoir, la justice civile et la justice ad-
ministrative. Mais ce que l'assemblée constituante n'a-
vait pas fait, et ce que le directoire réalisa si utilement
après elle, ce fut de séparer l'action administrative
s'appliquant aux masses, de l'action administrative
s'appliquant aux individus. Or c'est seulement de cette
subdivision que pouvaient résulter les garanties néces-
saires au maintien des intérêts généraux et des intérêts
particuliers, car ces derniers se trouvent fréquemment
engagés dans des questions administratives.
Il y a donc en France :
1° Une administration active qui agit exclusivement
sous l'influence du pouvoir exécutif, et qui réunit au-
tour d'elle de nombreux auxiliaires.
2° Des tribunaux judiciaires.
3° Des tribunaux chargés du contentieux administra-
tifet dont les attributions sont définies par les lois spé-
ciales.
Beaucoup d'écrivains ont émis l'opinion que, sous
l'ancien régime, tous les pouvoirs résidant dans la
main du prince et que tous en dérivant comme de
leur source naturelle, ils n'avaient'pas besoin d'être
séparés, puisque le roi ayant le droit incontestable de
88 COMPÉTENCE.

régler toute autorité, de corriger toute espèce d'abus,


il était indifférent que les affaires fussent jugées par ses
agents judiciaires, ou par ses agents administratifs.
Cette opinion n'était pas parfaitement exacte, car il
est de fait qu'il existait en France, avant la révolution,
des juridictions distinctes et un partage d'attributions,
qui avait au moins une grande analogie avec ce qui est
aujourd'hui.
Et d'abord, la distinction essentielle entre la justice
déléguée et la justice retenue, base fondamentale de la
séparation des pouvoirs administratif etjudiciaire, exis-
tait d'une manière incontestable, sous l'ancien régime,
puisque le roi était toujours censé juger par délégation
dans ses parlements, et par lui-même dans son Conseil
d'état (1). Mais cette distinction organique se reprodui-
sait dans l'institution des nombreuses juridictions spé-
ciales, aujourd'hui abolies, qui concouraient à l'admi-
nistration de la justice, avec les tribunaux proprement
dits.
Indépendamment des maîtrises des eaux et forêts,
des prévôtés, des trésoreries de France, des cours des
aides, dont il est parlé dans la première section de ce
chapitre, il y avait encore d'autres institutions sembla-
bles, telles que les intendances, élections, bureaux des
finances, greniers à sel, table de marbre, etc. (2).
Or, les magistrats ou officiers, qui appartenaient à
ces différentes juridictions, n'étaient autre chose que
(1) Voyez CORMENIN. — Questions de droit administratif. — Du
Conseil d'état.
(2) Voyez LOISEAU. — Des offices, liv. I, chap. vi.
SEPARATION DES POUVOIRS. 89
des juges extraordinaires eu d'exception, à qui était
dévolue la connaissance de certaines matières conten-
tieuses, spécialisées dans des édits, à l'exclusion des tri-
bunaux ordinaires, consistant dans les bailliages, pré-
vôtés et parlements -ou cours souveraines.
Ils n'étaient donc, sous diverses dénominations, au-
tre chose quedesjuges administratifs, ou d'attribution;
car ils n'avaient pas en partage l'inamovibilité, qui de
tout temps fut regardée comme le caractère distinctif
et le gage de l'indépendance de l'autorité judiciaire.-
Ainsi, de tout temps, il est ressorti de nos institu-
tions la nécessité de confier à des hommes spéciaux,
tenant à la fois du caractère du juge et de celui de
l'administrateur, la connaissance de certaines affaires
qui, sous le point do vue de l'intérêt public, ne pou-
vaient être appréciées convenablement, avec les formes
lentes et solennelles de la procédure devant l'autorité
judiciaire.
Telle est en effet, la distinction essentielle qui peut
servir à résoudre les difficultés en matière de compé-
tence, et à tracer la ligne de démarcation qui doit exis-
ter entre les attributions propres : à l'autorité adminis-
trative, aux tribunaux judiciaires, aux tribunaux
administratifs.
Des idées très-remarquables ont été émises sur cette
matière, parle savant Henrion de Pansey (1).
Séparation entre le pouvoirjudiciaire et Vadministra-
tion active. — ce Le pouvoir administratif ordonne et
(1) Del'autorité judiciaire dans les gouvernements monarchiques,
chap. v; et Compétence des juges depoix, chap.- xxvn.
ÇJO COMPETENCE.

dispose. Les jugements des tribunaux ne sont que des


déclarations de droit, c'est-à-dire que l'autorité judi-
ciaire se borne à déclarer que tel fait existe, que tel
acte renferme telle disposition, que tel droit appartient
à celui qui le réclame ou qui le conteste.
((Le pouvoir administratif statue sur les rapports
des citoyens avec l'état, sur les difficultés qui se déci-
dent par la loi politique, et qui intéressent le gouver-
nement comme gouvernement.—L'autoritéjudiciaire
statue sur les rapports des citoyens entre eux, sur les
affaires qui intéressent le gouvernement comme pro-
priétaire, sur toutes celles dont la solution dépend des
dispositions du droit civil, des titres, des conventions
et de la possession des parties. — L'autorité judiciaire
ne dispose que sur des contestations actuellement exis-
tantes, que sur des procès qui naissent d'un droit en
litige, ou d'un fait qui porte préjudice à un individu
déterminé et qui n'intéresse la société que secondaire-
ment.
Le pouvoir administratif a une sphère d'activité
ce

plus étendue ; il peut disposer pour l'avenir, sans être


-provoqué; il peut donner des décisions qui ne lui sont
pas demandées et prendre des mesures de conser-
vation et de prévoyance sur les objets qui, par leur
nature, parleur destination, par l'habitude et le besoin
d'en user, intéressent l'universalité des citoyens (1). —
L'autorité judiciaire n'a d'action que sur les individus
qui se présentent ou qui sont traduits devant elle. Elle ne
(i) C'est là un des points de vue essentiels de l'attribution
administrative
.
sur tout ce qui concerne les eaux courantes.
SÉPARATION DES POUVOIRS. 91
peut que refuser ou accorder ce qui lui est demandé ;
et toute ordonnance qui serait émanée d'elle en forme
de règlement, c'est-à-dire qui disposerait pour l'avenir
et hors du cercle de la contestation, surtout en statuant
sur des intérêts collectifs, constitueraient de sa part un
véritable excès de pouvoir.
« Tout ce qui est d'exécution, à l'exception de l'exé-
cution des jugements, appartient au pouvoir adminis-
tratif. En conséquence, il ordonne les travaux qu'il juge
être indiqués ou commandés par le bien public; en
conséquence, il peut agir sur les citoyens pris collecti-
vement et décréter d'urgence que telle ou telle mesure
sera prise, que tel ou tel ouvrage sera exécuté; et par
une suite naturelle de cette attribution, il a encore le
droit d'écarter tous les obstacles qui pourraient s'oppo-
ser à l'exécution de ses ordonnances, et de statuer sur
les oppositions et sur les réclamations auxquelles ces
travaux pourraient donner lieu (1). »
Séparation entre les tribunaux judiciaires et admi-
.
nistratifs. — L'auteur arrivant ensuite à la séparation
du pouvoir de l'autorité judiciaire, d'avec celui des
tribunaux administratifs, et notamment des conseils
de préfecture, continue ses développements en ces ter-
mes :
« Lorsque l'administrateur statue sur les réclama-
tions des citoyens, ce n'est point en sa qualité d'admi-
(1) On voit encore dériver clairement de ce principe la fa-
culté qui ne peut appartenir qu'-à l'administration d'apprécier
sous les rapports d'intérêt public les oppositions élevées contre
les établissements d'usines, encore bien que ces oppositions
soient fondées sur des intérêts privés.
92 COMPÉTENCE,

nistratcur, ce ne peut être qu'.'H qualité déjuge, car


on ne peut prononcer que paries jugements sur les
droits des particuliers. Il y a dîne des cas où le pou-
voir administratif et l'autorité ndiciaire peuvent rési-
der dans la même personne; et'voici sur quels motifs
cette exception est fondée :
ee
Dans les monarchies tempérées, la règle est que le
prince est obligé de déléguer l'iatorité judiciaire à des
fonctionnaires choisis dans un certain ordre de citoyens,
et dont la loi garantit l'indépendance en les déclarant
inamovibles; mais cette règle, toute fondamentale
qu'elle est, n'est pas absolue. 11 y a des affaires d'une
nature telle que le prince conserve le droit de les juger
lui-même, et cette partie de l'autorité judiciaire restée
dans ses mains, comme il peut l'exercer, il peut la dé-
léguer à qui bon lui semble. A cet égard, il n'a d'autre
régulateur que sa sagesse et son amour du bien public.
Ainsi il peut en attribuer la connaissance soit aux tri-
bunaux ordinaires, soit à ses agents de l'ordre adminis-
tratif, soit enfin à des corps établis à cet effet.
ee
Ces corps, quelle que soit leur organisation, lors
même que les membres ne seraient pas obligés de don-
ner de leur capacité la garantie que l'on exige des au-
tres juges, lors même qu'ils ne partageraient pas avec
ceux-ci le privilège de l'inamovibilité, n'en seraient pas
moins de véritables tribunaux, puisqu'ils exerceraient
cette partie de l'autorité judiciaire que nous venons de
dire être demeurée dans la main du prince.
ce
Tels sont nos conseils de préfecture; quoique leur
constitution diffère de celle des autres tribunaux, néan-
SÉPARATION DES POUVOIRS. 93
moins les membres qfuï les composent sont de vérita-
blesjuges, et cela ne .change pas les principes, puisque
leurs attributions n'embrassent que les difficultés qui
peuvent s'élever relativement à des mesures de gouver-
nement, telles que le§ contraventions à certains règle-
ments de police et le?s réclamations contre l'exécution
des actes émanés du pouvoir administratif.
ce
La circonstance q[ue les conseils de préfecture ras-
sortissent non aux couirs d'appel, mais au Conseil d'é-
tat, n'est qu'une simple modification qui ne change
pas leur nature. Tout ce qui en résulte, c'est qu'ils ap-
partiennent à la classe des tribunaux extraordinaires ou
d'exception. Car les conseils de préfecture, semblables
aux tribunaux de paix et, de commerce, bornés comme
eux à un certain genre d'affaires, sont comme eux des
tribunaux extraordinaires, et cela n'est susceptible
d'aucune contradiction.
ce
Mais les tribunaux extraordinaires ne peuvent con-
naître que des affaires qui leur sont attribuées par une
loi formelle et spéciale, et les questions relatives à leur
compétence sont plus de fait que de droit; c'est-à-dire
que toutes se réduisent au point de savoir s'il existe une
loi qui, faisant exception au droit commun, eu attribue
la connaissance au tribunal extraordinaire que l'on
veut en saisir. Ainsi, lorsqu'il s'élève une difficulté sur
la question de savoir si une affaire doit être soumise
aux conseils de préfecture, le problème est bien facile
à résoudre : il ne s'agit que de voir si quelque loi leur
contère le droit d'en connaître; de sorte que, pour évi-
ter les incertitudes et les conflits, ils doivent toujours
94 COMPETENCE.
rapporter, dans chacune de leurs sentences, la loi qui
les autorise à la rendre. »
Les principes généraux exposés ci-dessus semblent
poser d'une manière nette et précise les limites res-
pectives des deux pouvoirs; à chacun desquels il est
interdit d'empiéter sur les attributions de l'autre.
Mais, dans la pratique, et malgré le bon vouloir de
chacune des deux autorités, il se rencontre une foule
de cas indécis dans lesquels les limites ne se présen-
tent plus que d'une manière douteuse; de sorte qu'en
réalité il faut encore recourir fréquemment à un règle-
ment de juges, c'est-à-dire à l'intervention du tribunal
des conflits, sur l'organisation actuelle duquel il est
donné quelques détails dans la section III du chapitre
suivant.
C'est pourquoi nous croyons utile de citer encore,
ici, quelques considérants, extraits de divers arrêts
de la Cour de cassation et du Conseil d'État, pouvant
servir à bien établir lesdites limites de compétence
respective; en même temps qu'ils indiquent dans
quelles circonstances se présentent le plus habituelle-
ment les cas douteux dont il vient d'être parlé.
// est de princijje que c'est aux tribunaux civils qu'il
appartient de statuer sur les questions de propriété, et
cela indépendamment de toute appréciation à faire
d'actes administratifs.
CON?. D'ET., 18 mai 1874 (Coimn. de Bra.).

Dans une contestation entre des propriétaires rive-


rains et une commune, c'est à l'autorité judiciaire qu'il
SÉPARATION DES POUVOIRS. 95
appartient de statuer; alors, du moins, que la commune
n'excipe d'aucun acte administratif et se prévaut uni-
quement des moyens de droit commun.
CONS. D'ÉT., 2 février 1860 [S. Garbonnel).

Un tribunal n'est pas réputé se livrer à l'interpréta-


tion d'un acte, lorsqu' après avoir demandé et obtenu
celte interprétation, par arrêté du Conseil de préfec-
ture, il arrive, par l'examen des titres anciens, à un
résultat identique à, celui produit par l'interprétation
administrative des nouveaux titres.
CASS., 2 décembre 1844 (S. de la Raulonais).

L'arret qui s'appuie sur une clause d'un acte émané


de ladministration, pour en tirer un argument venant
en aide à l'application des principes généraux du droit,
ne renferme pas une interprétation d'acte adminis-
tratif.
CASS., 8 mai 1865 (Ch. de fer de Lyon).

L'autorité administrative est seule compétente pour


déterminer le caractère des actes administratifs, et pour
les interpréter, lorsque le sens en est contesté.
CASS., 7 février 1853 (S. Guestier).

L'autorité judiciaire est incompétente pour apprécier


la légalité des actes administratifs.
CASS., 13 avril 1858 (S. de Meilliac).
L'autorité d'im arrêté préfectoral régulièrement pris,
96 COMPÉTENCE.

ne peut être méconnue par l'autorité judiciaire, tant


qu'il n'a pas été réformé.
CASS., 21 mai 1851 (S. Palluel).

Pour connaître d'une contestation relative à la jouis-


sance, à titre privé des eaux d'une rivière, ni navigable
ni flottable, encore bien que pour réglercette jouissance
le tribunal soit dans la nécessité de recourir à des actes
administratifs, invoqués par les parties, il n'est pas
tenu de se dessaisir, s'il n'a pas à interpréter ces actes,
mais seulement à les appliquer.
CASS., 24 août 1852 (S. Dutheil).

S'il est interdit aux tribunaux d'interpréter les actes


de l'administration, lorsque le sens en est douteux, il ne
leur est pas défendu d'en faire l'application, quand ils
sont clairs, et n'ont pas besoin, dès lors, d'interpré-
tation.
CASS., 25 avril 1860 (S. Rony).

Mais si les tribunaux-sont compétents pour appliquer


un acte administratif clair, et incompétents pour inter-
préter un acte administratif obscur, il ne dépend pas
d'eux de s'attribuer une compétence en cette matière ;
en qualifiant actes clairs des actes ambigus.
CASS., 27 février 1854 {duc d'Uzès).

Lorsqu'une question de propriété ou l'appréciation


d'un contrat dépendent de l'interprétation d'un acte
administratif, le tribunal n'est pas tenu de se déclarer
SÉPARATION DES POUVOIRS. 97

incompétent; il doit seulement surseoir à statuer, jus-


qu'à ce que cette interprétation ait été faite par l'auto-
rité compétente.
CASS., 24 août 1857 (S. Graves).

On pourrait citer encore un très-grand nombre


d'arrêts rendus, principalement dans la période de 1852
et 1870, et qui confirment identiquement les mêmes
principes.
CHAPITRE 111

CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

SECTION I

CONSEILS DE PRÉFECTURE.

Observation préalable. — La révolution ayant dé-


truit, en France, la royauté, le Conseil d'État, les in-
tendances, les parlements, et tout ce qui tenait à
l'action du pouvoir sous l'ancien régime, les Assem-
blées législatives durent songer, au milieu des boule-
versements de tant d'institutions, à organiser un
nouvel ordre de choses.
La loi du 1er janvier 1790 établit d'abord les admi-
nistrations départementales, qui étaient composées de
trente-six membres, ayant un mandat électif de quatre
ans. Huit de ces membres étaient chargés de l'admi-
nistration active et formaient le directoire du départe-
ment. — Les autres membres formaient le Conseil
général, qui ne se réunissait qu'une fois par an pour
examiner la gestion du directoire. — Il y avait aussi
dans les districts, correspondant aux arrondissements
actuels, des assemblées analogues, composées de douze
membres, dont quatre formaient l'administration ac-
tive de chaque district.
CONSEILS DE PRÉFECTURE. 99
Alors la justice administrative se concentrait, sans
règles fixes, dans quelques comités des assemblées lé-
gislatives, et se confondait, avec l'administration pro-
prement dite, dans les mains des ministres, et dans
celles des administrations départementales.
Mais à partir de l'an VIII (17 février 1800), sa réor-
ganisation marcha rapidement, et l'institution des
conseils de préfecture en fut l'une des parties les
plus essentielles.
Attributions spéciales. — Les conseils de préfecture,
considérés comme conseils d'administration, sont rare-
ment appelés par les préfets à connaître des règle-
ments d'eau; au contraire, comme tribunaux admi-
nistratifs, ils exercent fréquemment, en matière de
cours d'eau, les deux autres attributions qui leur sont
propres, et qui consistent à prononcer : 1° par voie de
répression dans les contraventions commises à l'occa-
-sion des usines ou autres constructions, sur les rivières
navigables ; 2° par voie de décision en premier ressort,
en matière contentieuse, notamment sur le règlement
des indemnités dues pour chômage, ou autres dom-
mages quelconques, occasionnés aux usines par suite
de l'exécution des travaux publics; ainsi qu'en matière
de curages.
Ces pouvoirs ont été conférés aux conseils de pré-
fecture par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février
1800), qui porte :
ee
ART. 4.
— Le conseil de préfecture prononcera
« sur les demandes et contestations concernant les in-
ce
demnités dues aux particuliers, à raison de terrains
100 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

ee
pris ou fouillés, pour la confection des chemins,
ce canaux et autres ouvrages publics ;
ce
Sur les difficultés qui pourront s'élever en matière
ce
de grande voirie. »
Et par la loi du 14 floréal an XI, relative au curage
des canaux et rivières non navigables, ainsi qu'à l'en-
tretien des digues et ouvrages d'art qui y correspon-
dent et dont le dernier article est ainsi conçu :
ce
ART. 4.
— Toutes les contestations relatives aux
ee
rôles de répartition des dépenses, aux réclamations
ce
des individus imposés, et à la confection des tra-
ce vaux, seront
portées devant le conseil de préfecture ;
« sauf le recours au gouvernement qui décidera en
« Conseil d'État. »
Ainsi donc, la répression des contraventions com-
mises à l'occasion des usines, sur les rivières navigables,
et le jugement des réclamations élevées par les particu-
liers, sur la répartition des dépenses relatives, soit à
l'entretien des digues, soit au curage des biefs et autres
cours d'eau non navigables, sont incontestablement
dans les attributions exclusives des conseils de pré-
fecture.
En ce qui concerne l'application de leur compétence
au règlement des indemnités, pour le fait de dépré-
ciations, occasionnées aux usines par l'exécution de
travaux publics, il y a dans la jurisprudence du Conseil
d'État, et dans celle de la Cour de cassation, quelques
dissidences assez graves, qui sont examinées et discu-
tées dans les chapitres consacrés à cet objet.
Ces conseils interviennent encore d'une manière
CONSEILS DE PRÉFECTURE. 101
spéciale, en vertu du décret du 15 octobre 1810, dans
l'examen des oppositions élevées contre certaines classes
d'ateliers insalubres ou incommodes; mais cette ma-
tière ne rentre pas dans le cadre du présent ouvrage.
Car lors même qu'une fabrique aurait le double carac-
tère d'établissement insalubre et d'usine hydraulique, il
y aurait lieu de l'examiner successivement, sous' ces
deux rapports. Or les usines dont il est traité ici sont
considérées principalement sous le rapport de l'emploi
de l'eau courante, et abstraction faite de toute nomen-
clature.
La loi du 28 pluviôse an VIII a bien positivement
institué les conseils de préfecture à titre déjuges, char-
gés de prononcer sur le contentieux administratif, dans
le but d'offrir aux parties intéressées des garanties
qu'elles n'avaient pas auparavant.
Dans l'usage, l'instruction des affaires se fait de-
vant eux, soit sur plaidoirie orale, soit par écrit et sur
mémoires, qui sont communiqués administrativement
aux parties adverses, pour avoir leurs contredits.
Leur prétoire est la salle des séances ordinaires du
conseil de préfecture; dans toutes les matières de
grande voirie, l'ingénieur en chef du département y
remplit les fonctions du ministère public ; le préfet ou
le plus ancien des conseillers préside ; un autre con-
seiller remplit l'office de greffier pour la rédaction des-
arrêts; enfin, un huissier est attaché à ce tribunal
pour les notifications légales.
En ce qui touche la compétence de ces conseils,
voici les dispositions essentielles, basées sur des arrêts,
102 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
telles qu'elles sont rapportées par M. de Cormenin (1).
Détail des attributions et de la procédure. — ce Les
conseils de préfecture sont composés de trois ou de
quatre membres, selon l'importance des départements;
non compris celui de la Seine, qui, aujourd'hui, en
a huit. Le préfet compte parmi les membres ; s'il est
présent, il les préside, même lorsque ses propres ar-
rêts sont, engagés dans le débat (2). En cas de partage
sa voix est prépondérante.
<e
Les conseils de préfecture prennent des arrêtés
préparatoires pour ordonner, suivant les cas, des ap-
ports de pièces, des vérifications de faits, des levées de
plan, des descentes sur les lieux, des expertises ; mais
ils ne sont pas liés par des rapports d'experts.
ce
Ils ne peuvent, en matière contentieuse, s'abstenir
pour cause de récusation; sans cela il arriverait qu'au
gré de l'intérêt ou des passions, ou des menaces d'un
citoyen, l'administration, dont la marche doit être ra-
pide, se verrait sans cesse paralysée. Tous actes de ré-
cusation de préfets ou de conseillers de préfecture,
n'étant pas autorisés par les lois, sont annulés par le
Conseil d'état, ainsi que les arrêtés qui les admettent,
ce
Du principe que leurs arrêtés ont la forme de ju-

(1) Questions de droit administratif,


tom. I, chap. m.
faculté qui mettrait effec-
(2) On a critiqué avec raison cette
tivement les préfets dans le cas d'être à la fois juges et parties,
dans des affaires souvent très-importantes. Mais, indépendam-
ment de ce qu'il est généralement assez rare aujourd'hui, que
les conseils de préfecture soient présidés par les préfets, il est
de règle que ces magistrats s'abstiennent toujours de siéger
dans la circonstance dont il s'agit.
CONSEILS DE PRÉFECTURE. 103

gements, il suit :—Qu'ils peuvent être annulés pour


certains vices de forme, comme s'ils ont été délibérés
par deux conseillers seulement; —Ou si, parmi ceux
qui les ont signés, il s'en trouve un qui exerce une
profession incompatible (1); — Ou s'ils n'ont été ni
portés sur le registre des délibérations, ni signés;
— Ou s'ils ne sont pas motivés ; — Ou s'ils ont été
rendus par le préfet en conseil de préfecture; — Ou
si, en matière pénale, ils n'énoncent pas les ter-
mes de la loi appliquée; — Ou si, au lieu de rendre
un jugement, ils se bornent à donner un avis.
ee
Du principe que les conseils de préfecture ne peu-
vent statuer qu'à l'occasion d'un débat élevé à l'occa-
sion d'un acte administratif, il suit : — Qu'ils ne
peuvent dresser, ni homologuer des règlements d'ad-
ministration publique; — Ni prescrire, ni modifier
les mesures réglementaires portées aux ordonnances
royales; —Ni, en un mot, s'immiscer dans les actes
de pure administration, qui appartiennent soit aux
maires et aux préfets, soit aux ministres, soit au roi.
ce
Du principe que le préfet seul a l'administration,
il suit : — Que les conseils de préfecture excéderaient
leurs pouvoirs, s'ils s'ingéraient d'autoriser les préfets
à soutenir ou à intenter des actions judiciaires au nom
de l'État, ou d'émettre l'avis préalable requis par la loi
du 5 novembre 1790 sur la production des mémoires
des parties.
ce
Du principe que leur juridiction est circonscrite
(1)Celles de notaire et d'avoué. —Avis du Conseil d'état des
10 ventôse an XIII, et 5 août 1809.
104 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.

par les limites du territoire départemental, il suit :


— Qu'ils excéderaient leur compétence s'ils statuaient
sur des contraventions de grande voirie commises dans
un autre département, ou s'ils interprétaient des ven-
tes de biens nationaux situés hors desdites limites.
ce
Du principe que les attributions des conseils de
préfecture sont de leur nature exceptionnelles, il suit:
— Qu'elles ne s'étendent pas sur toutes les matières du
contentieux de l'administration, dont quelques-unes
sont en première instance du ressort des préfets ou des
ministres. — Ainsi les conseils de préfecture ne pour-
raient ni élever le conflit d'attribution, en évoquant à
eux, comme administrative, une affaire pendante de-
vant les tribunaux; — Ni conférer à des particuliers
des droits qu'ils ne peuvent tenir que de l'administra-
tion.
ce
Du principe que pour les matières mêmes qui
leur sont attribuées, leur juridiction doit se retrancher
dans l'application de l'acte administratif,_il suit: —
Qu'ils excéderaient leur compétence, s'ils prononçaient
sur des questions de propriété, même nationale, au-
trement que par simple application des actes qui ont
préparé ou consommé la vente ; •— Ou s'ils statuaient
sur des questions incidentes, non administratives, qui
s'élèvent devant eux; — Ou si, en réprimant une anti-
cipation, ils jugeaient une question de propriété.
ce Du principe que les conseils de préfecture ne peu-

vent connaître que du contentieux de l'administration,


et encore, seulement pour les cas définis et dans les
limites tracées par les lois et règlements, il suit: —
CONSEILS DE PRÉFECTURE. 105
Qu'ils excéderaient leurs pouvoirs s'ils évoquaient ou
retenaient d'office, ou sur la réquisition des parties,
ou malgré leur déclinatoire, des questions d'état, de
titres privés, de servitude, de possession immémo-
riale, etc. ; — S'ils prononçaient directement ou indi-
rectement la réforme ou modification des sentences
arbitrales; — Des jugements ou arrêts des tribunaux;
— Des arrêtés des préfets, maires ou sous-préfets; —
Des ordonnances des intendants de provinces ou gé-
néralités ; — Des anciens arrêts du conseil ; — Des ar-
rêtés du directoire et des consuls; — Des décrets im-
périaux; — Des décisions du Conseil d'état; — Des
arrêtés des anciens directoires de département et admi-
nistrations centrales ; — De leurs propres arrêtés ren-
dus contradictoirement, s'il n'y a tierce opposition (1) ;
— Des décisions ministérielles.
ce
Du principe que le droit déjuger la question prin-
pale n'emporte le droit de juger les questions inciden-
tes, que devant les tribunaux ordinaires, il suit : —
Que si dans le cours du litige, il s'élève une question
incidente, elle doit être renvoyée par les conseils de
préfecture, devant les tribunaux compétents.
« Du principe qu'ils ne doivent pas porter atteinte
aux droits acquis, il suit : — Qu'ils doivent s'abstenir

(I) Jusqu'à l'an XIII, les conseils de préfecture pouvaient rap-


porter leurs arrêtés contradictoires, sans que le Conseil d'état
les annulât pour excès de pouvoir. Voyez décret des 14 messidor
an XII, et 18 brum. an Xffl. Depuis, l'on reconnut et l'on établit
en principe, que les arrêtés des conseils de préfecture pris en
matière contentieuse appartiennent aux parties et ne peuvent
être réformés que par l'autorité supérieure.
106 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
de prononcer sur les affaires qui au fond seraient de
leur compétence, mais qui ont été terminées par des
jugements passés en force de chose jugée.
ce
Du principe que les conseils de préfecture ont le
caractère de juges de première instance, il suit : —
1° Qu'à l'imitation des tribunaux, ils reçoivent l'op-
position à leurs arrêtés par défaut et jusqu'à exécution ;
— 2° Qu'ils reçoivent la tierce opposition à leurs arrê-
tés définitifs ; —3° Qu'ils ne peuvent statuer sur la
demande de l'une des parties, sans que l'autre ait été
entendue, ou mise en demeure de fournir ses moyens;
— 4° Qu'ils ne peuvent juger au delà de la demande,
ou sur une demande dont ils ne sont pas saisis ; —
5° Qu'ils ne peuvent statuer par voie réglementaire et
générale; — 6° .Que, quels que soient les motifs de leurs
décisions, on ne doit s'arrêter qu'à leur dispositif; —
7° Qu'ils ne sont pas liés par des rapports d'experts ;
— 8° Que leurs arrêtés interlocutoires peuvent être
déférés au Conseil d'état; — 9° Que la requête civile
n'est pas admissible contre eux ; —: 10° Que lorsqu'ils
sont régulièrement saisis dans une matière qui est de
leur compétence, ils doivent prendre un arrêté por-
tant décision et ne pas se borner à donner un simple
avis ; — 11° Que leurs arrêtés contradictoires ne peu-
vent être ni rétractés ni réformés par eux, ou sous prétexte
d'interprétation, ou même pour erreur reconnue, ou
contravention à la loi, ou vice de forme; parce que
les pouvoirs du juge sont alors épuisés et que son ju-
gement né lui appartient plus.
ce
Du principe que les arrêtés des conseils de pré-
CONSEILS DE PRÉFECTURE. 107
fecture ont le caractère et les effets des jugements, il
suit : — 1° Qu'ils emportent hypothèque et contrainte
par corps ; — 2° Qu'ils deviennent, aussitôt qu'ils sont.
rendus, la propriété des parties qui les ont obtenus et
fondent, des droits acquis.
Du principe qu'il y a urgence dans les affaires ad-
ministratives, il suit : — Que les arrêtés du conseil de
préfecture sont exécutoires, nonobstant pourvoi au
Conseil d'état.
ce
Du principe qu'ils ne sont que des juges d'excep-
tion, il suit : Que l'exécution de leurs arrêts ne leur
appartient pas, mais au juge ordinaire et territorial,
à moins que la loi ne l'ait réglé autrement.
ce
Du principe que leurs arrêtés sont de véritables
jugements, il suit : Qu'ils doivent être signifiés régu-
lièrement et intégralement à la requête de la partie, à
personne ou à domicile, et par le ministère d'un huis-
sier, pour être mis à exécution et pour faire courir des
délais d'appel. — Qu'ils peuvent être exécutés par les
mêmes voies que les jugements des tribunaux. — Qu'ils
ne peuvent être attaqués quoique irréguliers, lorsqu'ils
ont été volontairement ou librement acquiesces par
parties capables.
ce
Du principe que les arrêtés pris en matière con-
tentieuse parles conseils de préfecture ressortissent
au Conseil d'état, il suit : — Que ces arrêtés doivent
être attaqués par les particuliers, communes et cor-
porations par voie de requête, dans le délai de trois
mois, à partir de la date de la signification régulière,
lorsqu'ils sont contradictoires ; ou de la date de l'exé-
108 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
cution lorsqu'ils sont par défaut. — Que. les ministres
doivent également les déférer au Conseil d'état dans le
délai utile, lorsque ces arrêtés lèsent les intérêts de
l'état, et ce, conformément au mode tracé par le dé-
cret du 22 juillet 1806.
ce
Du principe que si les conseils de préfecture ont
généralement le caractère de juges, ils ont aussi le
caractère de conseils du préfet, soit que par la volonté
de la loi, ils l'assistent dans certains cas, pour éclairer
ou solenniser sa délibération; soit qu'ils répondent of-
ficieusement à ses consultations, dans les cas embar-
rassants ; soit qu'ils émettent leur opinion sur les ac-
tions judiciaires qu'il se propose de soutenir au nom
du domaine, il suit : — Que, dans ces divers cas, leurs
arrêtés n'ont que le caractère et la force d'un simple
avis; qu'ils ne constituent pas par eux-mêmes un vé-
ritable jugement ; qu'ils sont dès lors inattaquables au
Conseil d'État (1).»
Réflexions sur la compétence des conseils de préfecture.
— A la création des conseils de préfecture, les règles
de leur compétence n'étant pas parfaitement définies,
il y eut longtemps de l'incertitude à cet égard. De 1800
à 1320, un très-grand nombre de leurs arrêtés étaient
cassés par le Conseil d'état pour incompétence et excès
de pouvoirs. Dans cette période, il y a même eu plu-
sieurs arrêts du Conseil d'état susceptibles d'être cri-
tiqués, comme reconnaissant aux conseils de préfec-
ture une compétence en matière de cours d'eau non

(1) Ouvrage précité.


CONSEILS DE PRÉFECTURE. j09
navigables, hors du cas spécial des réclamations rela-
tives soit aux dépenses des digues et curages, soit aux
dommages causés par l'exécution de travaux publics.
De 1820 à 1830, la jurisprudence de ces tribunaux
administratifs présentait déjà beaucoup plus de stabilité,
et un grand nombre des arrêts annulés portaient effec-
tivement sur des cas douteux ou incertains, dans les-
quels il était nécessaire que le Conseil d'état intervînt
pour en fixer le sens.
A partir de 1830, cette amélioration s'est continuée
dans l'appréciation des cas d'attribution, dévolus aux
conseils de préfecture. Il est cependant unécueildans
lequel le plus grand nombre sont tombés, et où quel-
ques-uns de ces conseils tombent encore. C'est en ce
qui louche les modérations d'amendes.
Les lois en matière de grande voirie, et notamment
celles qui répriment les délits commis sur les rivières
navigables, comportent une pénalité très-forte, qui
n'est souvent point en rapport avec la contravention.
D'après cela, il y a réellement un motif d'équité à mo-
dérer l'amende dans un grand nombre de cas. Mais
l'erreur des conseils de préfecture était de croire que
cette faculté leur appartient.
Car si le chef du pouvoir exécutif peut à titre de
souverain juge, comme de souverain administrateur,
remettre ou modérer les amendes, ainsi que toutes les
peines prononcées en justice, ce droit n'appartient qu'à
lui seul.
Les tribunaux judiciaires pourraient avoir à cet
égard une latitude, dont nulle autre autorité ne doit se
HO CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
prévaloir; car on voit parle dispositif de leurs juge-
ments, que le chef du pouvoir exécutif y est en quel-
que sorte identifié avec la justice, qui se rend en son
nom.
Tandis que les conseils de préfecture, qui ne sont
que des juges d'exception, appelés par la loi à pronon-
cer sur un petit nombre de matières spéciales, doivent
toujours se renfermer strictement dans le sens de l'acte
qu'ils sont chargés d'appliquer.
Ils ne peuvent donc accorder par eux-mêmes aucune
modération d'amende, quand la loi qu'ils appliquent
n'autorise pas cette faculté.
Ces considérations générales trouvent leur applica-
tion dans les chapitres suivants, et notamment dans
ceux des livres V et VI qui traitent des indemnités à
allouer par suite de dommages causés aux établisse-
ments sur les cours d'eau ; et des contraventions, en
matière de grande voirie.
Depuis ces derniers temps un certain nombre de dé-
crets et une loi spéciale sont venus statuer sur diver-
ses mesures concernant les conseils de préfecture, dont
l'organisation tend à s'améliorer de jour en jour.
On peut citer notamment les suivantes :
Loi du 21 juin 1865, formulant les dispositions prin-
cipales (1).
Décret du 12 juillet, même année, statuant sur le
mode de procéder et circulaire du 21 du même mois
relative à cet objet.
(1) Voir le texte de cette loi, dans les notes à la fin du vo-
lume.
CONSEIL D'ÉTAT. 1H
Décret du 25 décembre 1861 fixant le traitement des
conseillers de préfecture.
Plus trois décrets des 12 novembre 1871, 14 septem-
bre 1870 et 16 mars 1863, concernant spécialement le
conseil de préfecture du département delà Seine.

SECTION II

CONSEIL D'ÉTAT.

Ce conseil dont l'institution remonte au berceau de


la monarchie fut d'abord créé seulement dans le but
d'éclairer l'autorité royale et de prêter à ses décisions
l'appui qui doit résulter d'une délibération collective.
Il portait alors le titre de conseil du Roi et c'est ainsi
que le plus grand nombre des ordonnances ou édits,
intervenus, notamment, du milieu duxvieau milieu du
xvme siècle sont qualifiés comme rendus par le roi en
son conseil.
Après sa suppression, conséquence nécessaire de la
révolution de 1789, la loi du 28 pluviôse an VIII fit
cesser les innombrables abus résultant de cette fu-
neste confusion de deux attributions, essentiellement
distinctes. Aux administrations départementales elle
fit succéder, d'une part, les préfets, chargés seuls de
l'administration active : d'autre part, pour le conten-
tieux, les conseils de préfecture. Des attributions spé-
ciales furent, ensuite confiées à ces conseils par des lois
subséquentes.
A cette époque le même dédoublement de ces attri-
112 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
butions eut lieu dans l'administration supérieure. La
constitution de l'an VIII organisa, sous la main des con-
seils, le Conseil d'État, chargé spécialement de revi-
ser les projets de loi et les règlements d'administration
publique; de résoudre les difficultés qui s'élèveraient
en matière contentieuse, dont la décision avait été pro-
visoirement laissée aux ministres.
Pendant la période du premier empire, le Conseil
d'État, composé d'hommes d'un mérite éminent, de-
vint le flambeau de l'administration et rendit de grands
services à la législature. Il acquit même des droits
réels à la reconnaissance du pays, en contribuant puis-
samment à la prompte réorganisation des services pu-
blics, sur les bases les plus rationnelles. Mais ses actes
n'avaient pas, en quelque sorte, le caractère de décisions.
C'étaient plutôt de lumineux rapports sur des objets de
législation et d'intérêt général.
A la restauration, sous le régime d'une charte cons-
titutionnelle, le Conseil d'état perdit ses attributions
législatives, mais il reprit plusieurs de ses anciens pou-
voirs, dans la justice administrative. L'art. 9 de l'or-
donnance du 29 juin 1814 rendit le nom à'arrêts à ses
décisions en matière contentieuse.
Ensuite il fut l'objet d'une série de réorganisations
successives.
Car à chaque changement de gouvernement, et ils
ne sont malheureusement que trop fréquents dans
notre pays, les attributions de cette Assemblée ont
toujours été modifiées ; tantôt pour restreindre ses
attaches avec le pouvoir exécutif et lui donner une
CONSEIL D'ÉTAT. 113
existence en quelque sorte indépendante ; tantôt
pour revenir sur ce qu'il y avait eu, sous le régime
précédent, de trop avancé dans ce genre de réfor-
mation.
Voici l'indication, très-sommaire, des points princi-
paux des modifications effectuées dans les quatre der-'
nières réorganisations du Conseil d'État, qui ont eu
lieu en 1845, 1849, 1852 et 1872 (régime actuel).
Sous le gouvernement de Louis-Philippe, allant de
février.1830 à juillet 1848, cette organisation n'a été
constituée d'une manière définitive que par la loi du
19 juillet 1845 dont les dispositions principales étaient
les suivantes :
Le TITRE 1er comprenant les articles 1 à 3 établissait
que le Conseil d'État se composerait : 1° des ministres
secrétaires d'État ; 2° de conseillers d'État en service
ordinaireet extraordinaire ; 3° de maîtres des requêtes;
4° d'auditeurs. — Le garde des sceaux était, de droit,
président du conseil d'État. — 11 y avait un vice-pré-
sident et un secrétaire général, à la nomination du roi.
Le service ordinaire était composé de trente conseil-
leurs d'État, de trente maîtres des requêtes et de qua-
rante-huit auditeurs. — Les fonctions de conseiller
d'État et de maître des requêtes au service extraordi-
naire étaient déclarées incompatibles avec toute autre
fonction publique. — Les conseillers d'État et les maî-
tres dés requêtes, en service ordinaire, ne pouvaient
être révoqués, qu'en vertu d'une ordonnance indivi-
duelle, délibérée en conseil des ministres, et con-.
tre-signée par le garde des. sceaux.
114 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
Les dispositions sur les auditeurs de lre et de 2°
classe étaient à peu près les mêmes qu'elles ont été ad-
mises sous tous les régimes.
Le .service extraordinaire était composé de trente con-
seillers d'État et de trente maîtres des requêtes ; ce litre
ne pouvait être conféré qu'à des personnes remplissant
ou ayant rempli des fonctions publiques. Les conseil-
lers de cette catégorie ne pouvaient prendre part aux
délibérations qu'après avoir été autorisés. Leur nombre
ne pouvait excéder les deux tiers de celui des conseil-
lers d'État en service ordinaire.
Les dispositions prescrites par les autres articles de
ladite loi traitant : de la division de l'assemblée en
sections, du mode de procéder etc., ne différaient pas
sensiblement de ce qui avait été admis sous le régime
précédent.
Sous la seconde république, un premier décret du
12 mars 1848 avait d'abord réduit le nombre des
conseillers en service ordinaire. Un second, en date
du 18 avril, supprima le service extraordinaire. Enfin
les dispositions générales d'une nouvelle organisation
de ce corps furent insérées dans la Constitution du
4 novembre 1848.
Les articles 89 et 90 de cette constitution avaient
même préalablement décidé, que les conflits d'attri-
bution seraient désormais réglés par un tribunal spé-
cial. Mais ce déplacement d'attributions ne fut for-
mellement sanctionné que par la loi du 3 mars 1849,
réorganisant le Conseil d'État; — Ses dispositions prin-
cipales étaient les suivantes :
CONSEIL D'ÉTAT. 115
Le TIT. Ier-, comprenant neuf articles, et traitant
des fonctions, laissait subsister les deux divisions prin-
cipales de cette assemblée; l'une devant s'occuper des
matières administratives, sur lesquelles elle n'avait,
comme par le passé, qu'une attribution consultative;
l'autre appelée à statuer, en dernier ressort, sur les
questions, se rattachant au contentieux administratif.
Cette expression indiquait déjà, au moins implicite-
ment, que l'approbation du chef du pouvoir exécutif
ne serait plus nécessaire à-la validité des décisions du
conseil, eu cette matière. Mais le rapport présenté
par M. Vivien, à l'Assemblée nationale, à l'appui du
projet de loi, a fait ressortir l'importance de cette
modification.
Le TIT. II, traitant de la composition du conseil,
établissait que l'assemblée serait composée de qua-
rante membres, sous la présidence du vice-président
de la République. — Il n'y était plus fait mention de
conseillers en service extraordinaire.
Les articles 11 et 12 prescrivaient le mode de no-
mination des conseillers d'État, par l'Assemblée natio-
nale, sur le rapport d'une commission de 15 mem-
bres, qui devait présenter, par ordre alphabétique,
une liste comprenant moitié en sus du nombre des
conseillers à élire.
L'Assemblée nationale se réservait de choisir, en
dehors de cette liste, moitié au plus des nominations,
en faveur de ses propres membres.
Les autres dispositions de cette loi traitant, principa-
lement, delà nomination des maîtres des requêtes, du
HG CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
mode d'élection des auditeurs de 2e classe ; de la divi-
sion du Conseil d'État en sections, de la tenue des
séances, il n'y aurait aucun intérêt à en faire men-
tion ici.
Présidence de L. Napoléon Bonaparte.—Second Em-
pire. — Le 2 déc. 1852, un peu moins de trois ans
après la date de celte loi du 3 mars 1849, une procla-
mation insérée au Journal officiel, et placardée dans
les villes et communes annonça : ee que le Conseil
d'État et l'Assemblée nationale étaient dissous ; que le
suffrage universel était rétabli; et que les citoyens
étaient convoqués dans leurs comices pour prononcer
sur la forme du gouvernement. » Ensuite, par décret
des 14-22 janvier 1852, fut promulguée la constitu-
tion faite, ce en vertu des pouvoirs, délégués par le
peuple français, à L. Napoléon Bonaparte, par le
vote des 20 et 21 déc. 1851. »
L'art. 6 de cette constitution portait : que la puis-
sance législative serait exercée, collectivement, par le
président de la République, le sénat et le corps législatif;
mais le Conseil d'Etat y occupait une place importante;
et le TIT. VI, qui lui était exclusivement consacré,
posait déjà les premières bases de l'organisation de ce
corps, telle qu'elle fut réalisée quelques jours après,
par le décret du 25 janvier de la même année.
Le TIT. Ier établissait : que le Conseil d'État serait
composé, 1° d'un vice-président nommé par le chef
du pouvoir exécutif, 2° de 40 à 50 conseillers en service
ordinaire; 3° de 15 conseillers d'État en service ordi-
naire, hors sections; 4° de 20 conseillers d'État en ser-
CONSEIL D'ÉTAT. \\1
vice extraordinaire ; 5° de 40 maîtres des requêtes,
divisés en deux classes, de chacune 20 membres;
6° d'un pareil nombre d'auditeurs, divisés également
en deux classes.
La section de législation avait des attributions fort
importantes; car aucun projet de loi ne pouvait être
présenté au corps législatif sans avoir été élaboré au
Conseil d'État. Et les amendements proposés par les
députés ne pouvaient être mis en discussion s'ils n'a-
vaient été préalablement approuvés par la même as-
semblée.
Le comité du contentieux avait conservé, à peu de
choses près, son ancienne organisation; et quant au
mode de procéder il n'y avait également que peu de
changements apportés à ce qui se passait sous les pré-
cédents régimes.
Après le 4 septembre 1870, date de la cessation du
pouvoir impérial, un décret du gouvernement de la
Défense nationale, du 15 du même mois, suspendit de
leurs fonctions les membres du Conseil d'État et
chargea, en même temps, une commission provisoire,
de huit membres, de l'expédition des affaires urgentes ;
en attendant qu'il pût être statué, sur le même objet,
d'une manière plus complète.
Environ deux années plus tard, est intervenue la loi
du 24 mai 1872, dont nous allons donner une rapide
analyse, le texte étant reproduit en entier dans les
notes, à la fin de ce volume.
L'exposé des motifs du projet présenté par le minis-
tre de la justice (M. Dufaure), dans le mois de juin
118 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
1871, renferme des considérations générales d'un grand
intérêt, parmi lesquelles il y a lieu de remarquer les
suivantes : ce Les attributions et la composition du con-
seil d'État ne pourront être réglées d'une manière
définitive, qu'au moment où l'Assemblée nationale
donnera au pays, avec sa constitution politique, son
organisation administrative et judiciaire. — Mais en
attendant que cet ensemble d'institution ait été réglé,
il importait de pourvoir à l'exécution des lois en vi-
gueur; c'est-à-dire de réorganiser provisoirement,
pour un temps dont personne ne peut assurer la durée,
le Conseil d'État, appelé à intervenir dans un nombre
considérable d'affaires administratives et dans le juge-
ment, en dernier ressort, des litiges composant le con-
tentieux administratif.
ce
Tout en réservant expressément les questions
d'avenir, le gouvernement croit utile que le conseil,
aux lumières duquel il aura recours dans les circons-
tances difficiles que nous traversons, ne soit pas cons-
titué d'une manière précaire. Il croit utile que le
personne], qui devra être sensiblement moins nom-
breux qu'il ne l'était sous le régime antérieur, puisse
cependant pourvoir aux nécessités d'un service régu-
lier.
ce
Les dispositions du projet actuel sont empruntées,
en partie à la loi du 29 juillet 1845, en partie à celle
du 3 mars 1849. La combinaison des systèmes diffé-
rents adoptés à ces deux époques a paru commandée
par l'organisation actuelle du pouvoir exécutif. Comme
en 1845, le Conseil d'État ne sera appelé qu'à donner
CONSEIL D'ETAT. 119
des avis au gouvernement, lorsqu'il sera consulté par
lui; soit en exécution des lois et règlements, soit en
vertu de l'initiative qui doit appartenir aux ministres,
pour le bien du service. — Il n'interviendra plus
d'une manière permanente, dans la préparation des
lois.
Mais, de même qu'en 1849, le Conseil d'État statuera,
désormais avec un pouvoir propre, sur le contentieux
administratif; c'est-à-dire que ses décisions, en cette
matière, auront la valeur de jugements, non soumis à
l'approbation du chef du pouvoir exécutif. Le système
contraire, admis à cet égard en 1845 et 1S52; était de
nature à inquiéter les justiciables, et n'offrait aucun
avantage peur l'administration.
ce
D'autre part, on ne pouvait plus laisser au Conseil
d'État, désormais investi d'une juridiction propre, le
soin de régler les conflits d'attribution, entre l'autorité
administrative et l'autorité judiciaire. — Le tribunal
des conflits, juridiction mixte, tel qu'il avait été insti-
tué et organisé, par la constitution de 1848, la loi du
3 mars 1849 et celle du 4 février 1850, a répondu,
pendant trois ans, aux espérances que l'on avait con-
çues et doit être rétabli.
ce
S'il suffit de brèves indications sur les procédures
du Conseil d'État, en matière administrative, nous
devons insister davantage sur les pouvoirs de cette
assemblée, en matière contentieuse. — L'art. 7 du pro-
jet de loi porte : que cette assemblée statue, en dernier
ressort, sur le contentieux administratif, et sur les
recours, pour excès de pouvoir, formés contre les actes
120 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
des diverses autorités administratives. — Ici le Conseil
d'État ne donne plus un simple avis, il a juridiction,
comme tribunal ; et nous avons déjà dit que c'est un
retour à la législation de 1849.
ce
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans l'examen des
critiques qui ont été faites de la juridiction adminis-
trative. Si cette question ne devait pas être réser-
vée, pour le moment où l'organisation de l'autorité
administrative et celle de l'autorité judiciaire seront
étudiées d'ensemble, on pourrait montrer que les as-
semblées qui, sous des régimes politiques différents,
ont eu à se prononcer, à ce sujet, ont toutes re-
connu : que pour bien juger les litiges composant
le contentieux administratif il faut des lumières
spéciales, puisées dans le maniement des affaires de
cette espèce. — On pourrait même ajouter que l'expé-
rience a justifié cette opinion: qu'en effet, grâce aux
lumières spéciales qui l'ont inspirée, la jurisprudence
du Conseil d'Etat a, dan splusieurs circonstances, pro-
tégé plus efficacement les justiciables que la cour de
cassation elle-même. — On pourrait dire enfin qu'il
est d'un haut intérêt pour le gouvernement et pour
les citoyens, qu'une procédure simple et peu coûteuse,
souvent même absolument gratuite, permette aux
intéressés de faire parvenir leurs réclamations jusqu'à
la juridiction supérieure du conseil d'Etat, remplis-
sant tout à la fois les fonctions de cour d'appel unique
et de cour de cassation administrative. »
Des considérations analogues concluant également à
la nécessité de maintenir la juridiction du contentieux
TRIBUNAL DES CONFLITS. 121
administratifont été également présentées par le rap-
porteur (M. Batbie) dans un travail très-étendu, où il
s'est attaché à combattre par des arguments basés sur
l'intérêt général du pays les critiques, trop souvent
irréfléchies qui, à diverses époques, ont été formulées
contre cette juridiction.
Le texte de la loi du 24 mai 1872 étant donné, in
extenso, à la fin du présent volume, il n'y aurait pas
d'intérêt à l'analyser ici.
En résumé, on voit par ce qui précède, que les der-
nières réorganisations qu'a subies le conseil d'Etat, dans
une période d'environ 30 ans, n'ont jamais touché,
à son caractère principal et essentiel, comme tribunal
suprême en matière de contentieux administra!!!"; nia
son caractère secondaire comme assemblée consulta-
tive, appelée à donner son avis sur les affaires pour
lesquelles il est consulté parle gouvernement.
On peut même remarquer que le résultat actuel de
ces divers remaniements a été de rendre son action
plus indépendante dans les décisions en matière con-
tentieuse, qui sont désormais de véritables arrêts.

SECTION III

TRIBUNAL DES CONFLITS.

Jusqu'en 1848, le droit de statuer en dernier res-


sort, sur les conflits d'attribution, avait fait partie des
pouvoirs du conseil d'Etat. A cette époque cedroitlui
fut retiré, pour être transmis à une juridiction parti-
l'22 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
culière désignée sous le nom de tribunal des conflits;
L'art. 89 de la constitution de cette époque portait
en effet : «que les conflits d'attribution, entre l'autorité
administrative et l'autorité judiciaire, seraient réglés
par un tribunal spécial, composé de membres de la
cour de cassation et de conseillers d'Etat, désignés, en
nombre égal, par leurs corps respectifs. » — Ce tri-
bunal était présidé par le ministre de la justice.
Ensuite sont intervenus : — d'abord un règlement
d'administration publique, des 26-28 octobre 1849 sur
le mode de procéder devant le tribunal des conflits ;
puis une loi du 4 février 1850 sur l'organisation de
ce tribunal (1).
Mais ces deux dispositions n'ont eu à cette époque
que de rares applications; attendu d'abord que l'agi-
tation politique, soulevée par la révolution de 1848,
avait diminué considérablement le nombre des af-
faires ; et qu'ensuite, dès le:25 janvier 1852, la connais-
sance des'conflits d'attribution était rendue au conseil
d'Etat, par le décret de cette date analysé plus haut et
portant réorganisation de cette assemblée, telle qu'elle
a fonctionné pendant toute la durée du deuxième em-
pire. — Ainsi, pendant cette dernière période d'en-
viron vingt ans, elle a conservé ladite attribution, jus-
qu'au moment où une décision du gouvernement de
la Défense nationale la remplaça par une commission
provisoire.
Environ deux ans plus tard, la loi du 24 mai 1872 a

•.''
(1) Voir
lume.
le texte de ladite loi, dans les notes à la fin du vo-
TRIBUNAL DES CONFLITS. i 2,3

pourvu à une réorganisation sérieuse du Conseil d'Etat.


Mais comme nous l'avons déjà fait remarquer, elle
s'est rattachée quant à la question des conflits d'attri-
bution aux errements de 1849 et de 18S0 en repor-
tant cette compétence à un tribunal spécial.
Les articles 28, 26, 27 et 28 formant le TIT. IV de
ladite loi établissent, en effet, ce qui suit : « que le
tribunal sera composé : Ie du garde des sceaux, prési-
dent; 2° de trois conseillers d'Etat en service ordi-
naire; 3° de trois conseillers à la cour de cassation,
nommés par leurs collègues; 4° de deux membres
suppléants, désignés, etc.
« Les ministres ont le droit de revendiquer devant
le tribunal des conflits les affaires portées à la section
du contentieux, et qui n'appartiendraient pas au con-
tentieux administratif.
« La loi du4 février 1850 et le règlement des26, 28,
octobre 1849 sur le mode de procéder devant ce tri-
bunal sont remis en vigueur. »
D'après cette dernière disposition, il paraît utile de
donner ici au moins une analyse sommaire des deux
documents empruntés au régime de 1848.
Le règlement des 26-28 octobre 1849, après avoir
visé : 1° les art. 89 et 90 de la Constitution de cette
époque, les art. 47 et 64 de la loi du 3 mars 1849;
2° les ordonnances du 1er juin 1828, et 12 mars 1831,
a arrêté les dispositions suivantes :
Le tribunal des conflits se réunit sur la convocation
du ministre de la justice, son président. En cas

d'empêchement d'un des membres titulaires, deux
124 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.
suppléants sont désignés par chacun des deux corps
(art. 1 et 2).
Les fonctions du ministère public sont remplies par
deux commissaires du gouvernement pris dans le
Conseil d'Etat et la Cour de cassation, et désignés,
chaque année, par le président de la République. Le
secrétaire est nommé par le ministre de la justice
(art. 3 et 5).
Les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassa-
tion peuvent être chargés par les parties de présenter,
en leur nom, des mémoires et observations (art. 4).
Les rapporteurs sont désignés par le ministre de la
justice. — Les rapports sont faits par écrit, et dépo-
sés au secrétariat pour être transmis à celui des com-
missaires du gouvernement que le ministre désigne
pour chaque affaire. — Le rapport est lu en séance
publique, et, aussitôt après, les avocats des parties
peuvent présenter des observations orales. Le com-
missaire du gouvernement est ensuite entendu dans
ses conclusions (art. 6, 7 et 8) ».
Les décisions du tribunal des conflits portent, en
tête, la mention suivante : « Au nom du peuple fran-
« çais, le tribunal des conflits, etc.. »
Elles contiennent l'indication des dispositions légis-
latives dont elles font l'i.ppréciation. — Elles sont mo-
tivées; les noms des membres qui ont concouru à la
décision y sont mentionnés. — La minute en est si-
gnée par le président et le secrétaire. Expédition des
décisions est transmise aux parties intéressées par le
secrétaire du tribunal. Le garde dés sceaux fait trans-
TRIBUNAL DES CONFLITS. 123
mettre administrativement aux ministres expédition
des décisions dont l'exécution rentre dans leurs attri-
butions. — Les décisions du tribunal des conflits ne
sont pas susceptibles d'opposition. Il est fait applica-
tion de l'article 88 et suivants du Code de procédure,
sur la tenue des audiences (art. 9, 10 et 11).
Les arrêtés des préfets, élevant le conflit d'attribu-
tion, continuent d'être transmis au ministère de la
justice, par les procureurs de la république et les pro-
cureurs généraux, conformément aux dispositions de
l'art. 14 de l'ordonnance du 1er juin 1828, et de l'art. 6
de celle du 12 mars 183 J. — Ils sont enregistrés im-
médiatement au secrétariat du tribunal des conflits. —
Dans les cinq jours de l'arrivée, les arrêtés de conflit,
et les pièces y relatives, sont communiqués au minis-
tre, dans les attributions duquel se trouve placé le
service auquel se rapporte le conflit. — Dans la
quinzaine, le ministre doit fournir les observations et
documents qu'il juge convenable de produire, sur la
question de compétence. Dans tous les cas, les pièces
doivent être rétablies, au secrétariat du tribunal des
conflits, dans le délai précité (art. 12).
Les avocats des parties peuvent être autorisés à
prendre communication des pièces sans déplace-
ment. — Dans les vingt jours qui suivent la rentrée de
ces pièces, le rapporteur fait au secrétariat le dépôt de
son rapport et des pièces. — Il est statué par le tribu-
nal des conflits, dans les délais fixés par l'art. 7 de
l'ordonnance du 12 mars 1831, et l'art. 25 de l'arrêté
du 30 décembre 1848. Ces délais sont suspendus pen-
120 CONTENTIEUX ADMINISTRATIF.'
dantles mois de septembre et octobre (art. 13, 14, 15).
Lorsque la décision est rendue, le ministre de la
justice pourvoit à la notification prescrite par l'ordon-
nance du 12 mars 1831, et l'art. 16 de l'arrêté du 30
décembre 1848,. :
.
Les autres dispositions dudit règlement, compre-
nant les chapitres ni, iv et, v ne contiennent plus qu e
des dispositions particulières, et leur citation n'aurait
ici aucun intérêt. ;
LIVRE III

PERMISSIONS. — REPARATIONS. — INNOVATIONS.

CHAPITRE I

DES PERMISSIONS EN GÉNÉRAL,

SECTION I
ÉTABLISSEMENTS ANCIENS (ANTÉHIEUBS A 1668).

On a vu dans le chapitre précédent que, de tout


temps, les rivières navigables, en France, avaient été,
sans contestation, regardées comme devant être réser-
vées à peu près exclusivement à l'usage des transports
publics; que, d'après cette destination, le souverain
qui en avait l'administration et la haute police pou-
vait seul, par conséquent, y permettre, à titre de tolé-
rance, quelques établissements particuliers, reconnus
ne pas être nuisibles à la navigation ; qu'enfin toute
construction de ce genre, faite sans une semblable
permission, était nécessairement condamnable et ne
pouvait, dans aucun cas, constituer un droit de pro-
priété, quelque longue qu'eût été la possession ou la
jouissance.
128 PERMISSIONS.
Tel est le principe fondamental qui régit toujours
les permissions d'usines.
Son acception est claire et absolue, et ne peut être
controversée ; mais il n'en est pas de même de son ap-
plication qui, après avoir été longtemps perdue de vue,
n'a pu avoir lieu ensuite, sans de grandes difficultés.
A cet égard, il s'était introduit, sous l'ancien ré-
gime, des abus sans nombre, qui furent très-difficiles
à extirper, et qui sont loin de l'être entièrement au-
jourd'hui.
Personne ne révoquait en douté ce droit suprême
du souverain, sur la police de ces rivières ; droit qui
devait entraîner la destruction de tous les obstacles
nuisibles à la navigation; mais, tout en reconnaissant
le principe, on savait s'affranchir de son exécution.
Veut-on savoir, par exemple, comment s'exer-
çait cette partie de la prérogative royale à la fin du
xivc siècle.
Juvénal des Ursins, l'estimable historien de Char-
les VI, nous a laissé de curieux détails sur ce sujet. Il
raconte que son père, après des services signalés ren-
dus à la couronne, dans ces temps de discordes, fut
pourvu, en 1338, de la charge de prévôt des mar-
chands, qui avait été supprimée pendant la lutte
acharnée des Bourguignons et des Armagnacs. Il
ajoute que le premier usage que le nouveau magistrat
fit de son autorité dans cette charge, où il sut mériter
un si grand amour des Parisiens, fut d'entreprendre
résolument de rétablir la navigation sur la Seine et la
Marne; car même aux approches de Paris, le cours de
PERMISSIONS. 129

ces deux rivières se trouvait encombré de mille ob-


stacles, qui paralysaient pour cette capitale la précieuse
ressource du commerce par eau; ressource d'autant
plus regrettable, que la famine y était chose assez
commune dans ces temps calamiteux.
Cependant les seigneurs, propriétaires de ces éta-
blissements qui leur étaient fort lucratifs, n'entendaient
pas en faire le sacrifice; et leur résistance était rare-
ment impuissante. — En vain l'on obtint du parlement
de Paris un arrêt qui autorisait le prévôt des mar-
chands, à faire détruire les établissemente nuisibles à
la navigation, en indemnisant leurs propriétaires (1).
Ceux-ci entendaient ne céder qu'à la force; et voici
comment les choses se passèrent ;

« Maître Jean Juvénal des Ursins, institué en l'office de la


grande prévauté des Marchands, ayant reçu le mandement, à
lui adressé, afin de pourvoir et mettre remède à cela, tellement
que les vaisseaux amenant vivres à Paris, pussent passer li-
brement et sans empescliement, envola, par vertu du dit man-
dement sur la rivière de Marne, bien trois cents compaignons,
pour faire démolition de ce qui serait trouvé nuisible et dom-
mageable; et leur distribua par nombre, les lieux où ils iroient,
le jour et à l'heure où ils exploiteraient; et en une nuit, rompi-
rent et abattirent tous les dits empeschements, de laquelle chose
les seigneurs furent très-malcontents, mais fut très-profitable
pour la ville de Paris (2). »
De tels faits n'ont îïen qui doive étonner, pour l'épo-
.que où ils se passaient, car il ne faut pas perdre de
(1) L'indemnité devait être basée sur dix fois le revenu des
usines supprimées. {Arrêt du parlement de Paris du 21 aoûi 1390,
rendu à la requête du procureur général du roi Charles VI, contre.,,
avec commission de la Cour pour l'exécution dudit arrêt.
(2) Hist. de Ch. VI, Paris, 1614, page 72.
130 PERMISSIONS.

vue que ces seigneurs, qui avaient envahi les rivières


navigables du royaume, étaient alors, pour la plupart,
autant de petits souverains indépendants, qui se fai-
saient souvent un plaisir de lutter victorieusement
contre la royauté» Dès lors, un monarque ainsi dominé,
pouvait avoir la conscience de ses droits, mais il n'en
avait pas l'exercice. Par exemple, jusqu'à Louis XI,
quelle différence y avait-il entre un roi de France et
un duc de Bourgogne, si ce n'est que ce dernier était
presque toujours le plus redoutable? 11 faut donc faire
la part des nécessités de chaque époque, et alors, on
reconnaît que les abus dont il vient d'être parlé étaient
à peu près inévitables.
Voilà pourquoi, pour trouver sur la matière qui nous
occupe, dés documents de quelque consistance, il faut
remonterjusqu'au règne de Louis XIV.
C'est à l'examen des édits de Ce souverain qu'est
.consacrée la section suivante du présent chapitre.

SECTION II
ÉTABLISSEMENTS ANCIENS (DE 1668 A L'AN Vl).
.

I. — Régime des ordonnances de Louis XIV.


§

A différentes époques de son règne séculaire,


Louis XIV rendit des ordonnances pour prévenir les-
abus qui résultaient de l'établissement illégal d'un
grand nombre de moulins, barrages, pêcheries, etc.,
sur les rivières navigables du royaume.
L'édit du mois d'avril 1668, confirmé par un autre
PERMISSIONS. ' 131.
de 1683, avait ordonné : — 1° Que les possesseurs de
ces établissements, munis de titres authentiques, c'est-
à-dire de concessions royales, y seraient mantenus à
perpétuité, purement et simplement; — 2° Que ceux
qui justifieraient d'une possession centenaire, remon-
tant au 1er avril de l'année 1566, seraient également
maintenus dans la jouissance de leurs établissements;
mais moyennant le payement d'une redevance foncière
égale au 20e du revenu ; — 3° Enfin, que ceux qui ne
pourraientjustifier d'aucun titre probatif d'une pareille
possession, seraient évincés et verraient leurs usines
réunies au domaine public.
Les guerres continuelles, qui ne ralentissaient en
rien les autres dépenses de Louis XIV, lui faisant sentir
impérieusement le besoin de se procurer de l'argent,
une autre ordonnance toute fiscale, rendue sous le mi-
nistère de Louvois, vint modifier ces dispositions, et
rendit plus onéreuse la condition des propriétaires de
moulins et usines qui n'étaient pas munis d'une con-
cession régulière.
Cette ordonnance du mois de mai 1693, porte:

1° Que les propriétaires d'établissements sur les rivières
navigables, ayant rapporté des titres de propriété, ou
preuves de possession, antérieurs à l'année 1566, paye-
ront une année de revenu, ou le 20e de la valeur de
l'immeuble; plus une redevance annuelle de cinq sols
par arpent de terrain, par forme de surcens; — 2° Que
les établissements ayant une existence postérieure à
l'année 1566 seraient également maintenus, mais en
" payant deux années de revenu.
132 PERMISSIONS.
On peut remarquer dans le texte de cette ordon-
nance, qu'il porte : «. Par forme de surcens, outre les
censitives, et autres rentes, dont ils pourraient être
chargés, soit envers le Roi, soit envers d'autres sei-
a?ieurs. » Ainsi, même à cette époque, où l'autorité
royale, par un concours de circonstances remarqua-
bles, avait, reconquis la plénitude de ses droits, et où
les abus de la féodalité semblaient déracinés pour
jamais; on voit encore le chef suprême de l'État,
proclamer lui-même la reconnaissance d'un principe,
inconciliable avec la plénitude de son autorité.
Mais bien que l'intérêt général réclamât dans son
intégralité, et libre de toute entrave, l'usage des ri-
vières navigables; bien que le pouvoir suprême dût
veiller particulièrement à maintenir la liberté de la
navigation sur ces rivières, elles ne furent pas toujours
envisagées sous ce point de vue ; car, ainsi que l'ob-
serve M. Daviel, la grande révolution opérée au moyen
âge, dans le droit public des nations européennes,
par l'établissement de la féodalité, devait, en dépla-
çant la souveraineté, et en l'érigeant en patrimoine,
intervertir les principes sur le domaine des cours
d'eau. Ce ne fut plus pour le souverain un simple
droit de surveillance ; ce fut un droit absolu de pro-
priété ; de sorte que le Roi crut pouvoir aliéner à des
particuliers, ses droits sur les rivières, et leur permet-
tre, moyennant finance, d'y faire des établissements qui
en gènaient,oumêmeen supprimaientl'usage public(l).
(1) Y. les autorités citées par M. DAVIEL; Législation des cours
d'eau, 2e édit., tom. I, page 25.
PERMISSIONS. 133
En vain les ordonnances citées au commencement
de ce chapitre, et notamment celle de février 1566,
déclarant l'inaliénabilité du domaine de la couronné,
semblaient mettre obstacle à cet abus, et faire au
moins distinguer sous ce rapport, entre les domaines
appartenant au Roi, à titre de propriété, et ceux qui,
comme les rivières navigables, ne lui étaient confiés
qu'en vertu de sa souveraineté et étaient dès lors es-
sentiellement inaliénables ; on n'en tenait aucun
compte ; et la distinction dont il s'agit ne fut jamais
bien observée sous l'ancien régime.
On conçoit en effet que Louis XIV lui-même, ce roi
qui avait pris pour charte, cette devise : «l'Etat, c'est
moi », ne devait pas être très-scrupuleux de suivre
sur ce point l'exemple de tous ses prédécesseurs.
Aussi, est-il certain que, sous son règne, ces conces-
sions ou aliénations du droit de souveraineté sur les
rivières navigables, étaient encore très-fréquentes.
Ceci explique suffisamment l'expression : ou à d'au-
tres seigneurs, qui vient d'être signalée comme une
anomalie, dans l'ordonnance de 1693.
C'est néanmoins à ce souverain, que l'on est rede-
vable des premières ordonnances qui ont assuré la
liberté des rivières navigables en France, dans un
temps où la chose était encore fort difficile à obtenir.
La plus remarquable de ces ordonnances est celle
de 1669. Comme elle est encore en vigueur, on trouvera
le texte des principaux articles, dans la section sui-
vante.
La Seine et la Marne qui comme aujourd'hui ser-
134 .PERMISSIONS,
vaient directement aux approvisionnements de la ca-
pitale, étaient l'objet d'une vigilance particulière ; et
l'on y maintenait, tant bien que mal, la liberté du
commerce. Mais le Rhône, la Loire, la Garonne et
plusieurs autres rivières considérables de France,
étaient, sous ce rapport, dans un état des plus.affli-
geants pour les intérêts généraux du pays, non-seule-
ment par les anciens barrages qu'on y laissait subsis-
ter, mais encore par les envahissements de toute nature
qui s'y commettaient journellement.
C'est pour cette raison que les édits et arrêts du
Conseil d'Etat de Louis XIV, parlent bien plus de la
nécessité de détruire les usines, existant illégalement
sur les rivières navigables, que des formalités à suivre
pour en obtenir de nouvelles ; car, après les suppres-
sions opérées en vertu des édits de 1668 et de 1669, il
restait encore sur les fleuves et rivières de la France,
bien plus de barrages et d'usines, qu'il ne convenait
pour le service de la navigation.

§ II. — Comment se donnaient les permissions.


Sous le régime des ordonnances de Louis XIV, et
jusqu'au nouveau mode introduit sous le Directoire,
par l'arrêté de l'an VI, relaté ci-après, il s'est présenté
plusieurs cas de construction dé nouvelles usines,, et
notamment de moulins à nef. Les conditions de l'au-
torisation royale étaient fondées sur les mêmes bases
qu'elles le sont encore aujourd'hui; c'est-à-dire, sur
L'inaliénabilité et l'imprescriptibilité du domaine pu-
.PERMISSIONS. 13S
blic; et sur le droit exclusif du chef de l'État, en tout
ce qui concerne la police des rivières navigables.
Le roi octroyait seul les permissions, mais celles-ci
faisaient expressément réserve des droits des tiers, et
portaient ordinairement :

« Sauf notre droit en autre chose, et l'autrui en toutes. »

Ce qui prouve que ces autorisations ne pouvaient,


dans aucun cas, mettre des droits privés en souffrance.
Les lettres patentes d'autorisation d'usines étaient
délivrées après un examen assez sommaire des lieux
et des droits du demandeur. Les officiers de la maî-
trise des eaux et forêts étaient consultés, sous le rap-
port de l'intérêt de la navigation. Ils statuaient en
outre comme juges administratifs, sur les contesta-
tions et difficultés de toute espèce qui pouvaient s'é-
lever à l'occasion desdites autorisations.
Les moulins à nef, ou autres établissements sur ba-
teaux, devaient être toujours placés hors de la voie
navigable, qui, d'après les anciens règlements, était
fixée à une largeur de huit toises, au droit fil et plus
profond de l'eau (1).
Quant à de nouvelles retenues ou barrages, pour
des usines, il est peu probable qu'il y en ait eu d'auto-
risés à .celte époque. II y en avait au contraire un assez
grand nombre d'anciens, reconnus très-nuisibles, et
dont la navigation réclamait la disparition ; mais pour

(1)Arrêt du parlement de Paris du 7 juillet 1S63. — Id. des


25 décembre et 11 avril-1631.
136 PERMISSIONS.
la conservation desquels, on présentait des titres bien
en règle, ce qui rendait leur suppression très-diffi-
cile.
Les intérêts privés, qui pouvaient se trouArer lésés
par la création des nouveaux établissements sur les ri-
vières navigables, n'étaient pas l'objet d'une instruc-
tion régulière; néanmoins, outre la réserve dont il
vient d'être fait mention, ils étaient pris en considéra-
tion, lors de l'enregistrement de l'édit royal, au parle-
ment, devant lequel se traitaient en dernier ressort
toutesles affaires contentieuses de cette nature.
La clause de non-indemnité, en cas que le bien de la
navigation réclamât la suppression de l'usine, n'était
jamais introduite dans les lettres patentes, délivrées
sous l'ancien régime, pour l'autoration ou la mainte-
nue des moulins et usines. Au contraire, la plupart
d'entre elles déclarent formellement que l'autorisation
est donnée à perpétuité, ce qui était un immense abus.
Cela provenait de ce que, contrairement au principe
fondamental qui vient d'être développé, on persista
toujours à voir dans ces concessions une source de
revenu, et que dès lors elles étaient beaucoup plus
profitables à la couronne, étant faites à perpétuité, que
si elles ne l'eussent été, comme il convenait, qu'à titre
précaire ou révocable.
C'est ce qui donna lieu, plusieurs fois, à des re-
montrances sérieuses des parlements, envers l'autorité
souveraine.
Le parlement de Paris, en 1742, celui de Bordeaux,
en 1766, proclamèrent à ce sujet; la nécessité urgente
PERMISSIONS. 137
qu'il y avait d'observer enfin, dans son acception rigou-
reuse, le principe qui régit la matière; savoir :
Que les rivières navigables sont dans la classe des
choses qui sont essentiellement à l'usage de toute la
nation ; que le souverain les a simplement sous sa
garde, pour les faire administrer, non point à titre de
propriété, mais comme simple dépôt d'une chose com-
mune à tous, à laquelle il s'agit de conserver sa destina-
tion publique.
Néanmoins l'abus subsista jusqu'à la l'évolution;
époque à laquelle le. principe dont il s'agit fut de nou-
veau proclamé, dans des lois fondamentales, mais qui
restèrent elles-mêmes assez longtemps sans effet.

SECTION III
ÉTABLISSEMENTS MODERNES (POSTÉRIEURS A I.'AK Vl).

§ I. —Législation actuelle.
L'anarchie qui accompagne toujours les grandes
commotions politiques, et le règne de la terreur,
étaient peu propices aux améliorations qu'il s'agissait
d'obtenir, sur les rivières navigables.
Aux abus monarchiques, succédaient, avec une ef-
frayante intensité, les abus révolutionnaires ; et, pen-
dant les cinq premières années du nouveau régime,
bien loin d'obtenir la suppression des établissements
nuisibles, on en voyait chaque jour s'élever impuné-
ment de nouveaux.
138 .PERMISSIONS.
Le gouvernement républicain avait d'ailleurs fait
vendre une grande partie de ces établissements, com-
pris dans des domaines nationaux, sans s'inquiéter s'ils
étaient fondés ou non fondés en titres, s'ils étaient sus-
ceptibles d'être conservés, ou si, au contraire, il était
nécessaire d'en ordonner la destruction, que réclamait
le bien de la navigation.
De sorte que les choses en vinrent bientôt à un point
tel, que le commerce par eau se trouva presque
anéanti; les rivières du domaine public, continuant
d'être abandonnées à la merci des particuliers, qui
s'en disputaient l'usage. C'est dans ces circonstances
qu'il devint de la plus grande urgence de pourvoir à
un état de choses si déplorable, en prenant immédia-
tement des mesures efficaces pour assurer la liberté
des rivières navigables.
Tel fut l'objet de l'arrêté du gouvernement direc-
torial, en date du 19 ventôse an VI, dont voici la
teneur :
Arrêté du directoire exécutif, sur les mesures à
prendre pour assurer le libre cours des rivières et canaux
navigables et flottables.
« LE DIRECTOIRE EXÉCCTIF, vu : 1° les articles 42, 43 et
44 de l'ordonnance des eaux et forêts du mois d'août
1669, portant :
ART. 42. « Nul, soit propriétaire, soit engagiste, ne
« pourra faire moulins, batardeaux, écluses, ni autres
« édifices ou empêchements nuisibles au cours de l'eau,
« dans les fleuves et rivières navigables et flottables, ni
« même y jeter aucunes ordures, immondices, ou les
PERMISSIONS. 139

« amasser sur les quais et rivages, à peine d'amende


« arbitraire (1). »
« Enjoignons à toutes personnes de les ôter dans
« trois mois, et si aucuns se trouvent subsister après
« ce temps, voulons qu'ils soient incessamment ôtés
« et levés aux frais et dépens de ceux qui les auront
« faits ou causés, sur peine de 500 livres d'amende,
« tant contre les particuliers que contre les fonction-
ce
naires publics qui auront négligé de le faire. »
ART. 43. « Ceux qui ont fait bâtir des moulins,
« écluses, vannes, gords et autres édifices dans l'éten-
« due des fleuves et rivières navigables et flottables
« sans en avoir obtenu la permission, seront tenus
de
« les démolir, sinon, le seront à leurs frais. »
ART. 44. « Défendons à toutes personnes de détour-
« ner l'eau des rivières navigables et flottables, ou
« d'en affaiblir et altérer le cours par tranchées, fossés
« ou canaux, à peine, contre les contrevenants, d'être
« punis comme usurpateurs, et les choses réparées à
« leurs dépens. »
« 2° L'article 2 de la loi du 1« décembre 1790, rela-
cc
tive aux domaines nationaux, portant que les ce

ce
fleuves et rivières navigables, les rivages, lais et

(I ) Cette amende est fixée à 1.000 livres par l'arrêt du conseil


du 24 juin 1777.
La prohibition faite par l'article 42 de l'ordonnance de 1669
a.été reproduite au commencement du règne de Louis XV, dans
un arrêt du Conseil d'État, en date du 27 septembre 1729, qui
défend « de construire sans la permission du Roi, moulins ou
autres genres d'édifices dans les rivières navigables et flotta-
bles, ni au bord d'icelles. »
140 PERMISSIONS.
relais de la mer..., et, en général, toutes les portions
ce

ec
du territoire national, qui ne sont pas susceptibles
d'une propriété privée, sont considérés comme des
ce

« dépendances du domaine public. »


ce 3°
Le chapitre vi de la loi, en forme d'instruction,
ce
du 20 août 1790, qui charge les administrations de
ec
département ce de rechercher et indiquer les moyens
«de procurer le libre cours des eaux; d'empêcher
« que les prairies ne
soient submergées par la trop
« grande élévation des écluses des moulins, et par les
« autres ouvrages d'art, établis sur les rivières ; de di-
ec
riger enfin, autant qu'il sera possible, toutes les eaux
«-de leur territoire, vers un but d'utilité générale,
« d'après les principes de l'irrigation. » .
ce
4° L'article 10 du titre III de la loi du 24 août
« 1790, sur l'organisation judiciaire, qui charge le juge
ce
de paix de connaître, entre particuliers, ce sans appel
ce
jusqu'à la valeur de 50 livres, et à charge d'appel à
<e
quelque valeur que la demande puisse monter..., des
« entreprises sur les cours d'eau, servant à l'arrose-
« ment des prés, commises pendant l'année. »
ce
5° L'article 4 de la première section du titre Ier de
« la loi du 6 octobre 1791, sur la police rurale, portant
ce que
nul ne peut se prétendre propriétaire exclusif
ce
des eaux d'un fleuve ou d'une rivière navigable ou
« flottable. »
ce
6° Les articles 15 et 16 du titre II de la même loi,
ec portant :

«Personne ne pourra inonder l'héritage de son


<c
voisin, ni lui transmettre volontairement les eaux
PERMISSIONS. 141
ce
d'une manière nuisible, sous peine de payer le dom-
<e mage et une amende qui ne pourra excéder la somme
ce
du dédommagement. »
« Les propiétaires ou fermiers des moulins ou usines
ce
construits ou à construire, seront garants de tous
ce
dommages que les eaux pourraient causer aux che-
ce
mins ou aux propriétés voisines, par la trop grande
ce
élévation du déversoir, ou autrement; ils seront
ce
forcés de tenir les eaux à une hauteur qui ne nuise
ce
à personne, et qui sera fixée par l'administration du
ce
département, d'après l'avis de l'administration de dis-
ee
trict ; en cas de contravention, la peine sera une
ec amende qui ne pourra excéder la somme du dédom-

ee magement. »
7° La loi du 21 septembre 1792 portant que, jus-
ce

ce
qu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné, les lois
ce non
abrogées seront provisoirement exécutées. »
Considérant qu'au mépris des lois ci-dessus, les ri-
ce

ce
vières navigables et flottables, les canaux d'irrigation
ce et
de dessèchement, tant publics que privés, sont,
ce
dans la plupart des départements de la république,
« obstrués pas des batardeaux, écluses, gords, per-
ce
tuiSj murs, chaussées, plants d'arbres, fascines, pi-
ce
lotis, filets dormants et à mailles ferrées, réservoirs,
ce
engins permanents, etc. ; que de là résultent non-
ce
seulement l'inondation des terres riveraines et Tinter-^
ce
ruption de la navigation, maisl'atterrissement même,
cèdes rivières et canaux navigables, dont le fond
ce
ensablé ou envasé s'élève dans une proportion
ce
effrayante ; qu'une plus longue tolérance de cet abus
142 PERMISSIONS.

ce
ferait Mentôt disparaître le système entier de la na-
ccvigation intérieure de la république; qui, lorsqu'il
ce aura reçu tous ses
développements par des ouvrages
ce
d'art, doit porter l'industrie et l'agriculture de la
« France à un point auquel aucune autre nation ne
ce
pourrait atteindre ;
ce
Considérant que pour assurer à la république les
« avantages qu'elle tient de la nature et de sa position
ce
entre l'Océan, la Méditerranée et les grandes chaînes
ce
de montagnes, d^où partent une foule de fleuves et
ce
de rivières secondaires, il ne s'agit que de rappeler aux
ce
autorités constituées et aux citoyens, les lois existantes
ce sur cette
matière ;
ec
En vertu de l'article 144 de la constitution, ordonne
ce que
les lois ci-dessus transcrites seront exécutées
ce
selon leur forme et teneur, et en conséquence arrête
ce ce
qui suit :
ce
ART. 1er. Dans le mois de la publication du pré-
ce sent
arrêté, chaque administration départementale
« nommera un ou plusieurs ingénieurs et un ou plu-
ce
sieurs propriétaires, pour, dans les deux mois sui-
cc vants,
procéder dans toute l'étendue de son arron-
ce
dissement, à la visite de toutes les rivières navigables
ce
et flottables, de tous les canaux d'irrigation. et de
ce
dessèchement généraux, et en dresser procès-verbal,
ce
à l'effet de constater :
ec 1»
Les ponts, chaussées, digues, écluses, usines,
.

ce
moulins, plantations, utiles à la navigation, à l'in-
cc
dustrie, au dessèchement ou à l'irrigation des
« terres; '_
-
PERMISSIONS. 143

ce
2" Les établissements de ce genre, les bafardeaux,
.

ce
les pilotis, gords, pertuis, murs, amas de pierres,
et terres,
fascines, pêcheries, filets dormants etàmailles
ce
ferrées, réservoirs, engins permanents et tous autres
ce
empêchements nuisibles au cours de l'eau.
ce
3° Copie de ce procès-verbal sera envoyée au mi-
ce
nistre de l'intérieur.
ce
4° Les administrations départementales enjoin-
cc
dront à tous propriétaires d'usines, écluses, ponts,
ce
batardeaux, etc., de faire connaître leurs titres de
ce
propriété, et à cet effet d'en déposer des copies au-
ce
thentiques aux secrétariats des administrations mu-
ce
nicipales, qui les transmettront aux administrations
ce
départementales.
.
ce
5° Les administrations départementales dresseront
ec un
état séparé de toutes les usines, moulins, chaus-
cc
sées, etc., reconnus dangereux et nuisibles à la na-
ce
vigation, au libre cours des eaux, au dessèchement,
ce
à l'irrigation des terres, mais dont la propriété sera
ce
fondée en titre.
ce
6° Elles ordonneront la destruction, dans le mois,
ce
de tous ceux de ces établissements qui ne se trou-
ée veront pas
fondées en titres, ou qui n'auront d'au-
ee
très litres que des concessions féodales abolies.
ce
7° Le délai prescrit par l'article précédent pourra
.

ce
être prorogéjusques et y compris les deuxmoissui-
ee vants;
passé lesquels, hors le cas d'obstacles reconnus
ce
invincibles par les administrations centrales, la des-
ee
truction n'étant pas opérée par le propriétaire, sera
ce
faite à ses frais et à la diligence du commissaire du
144 PERMISSIONS.

ec
directoire exécutif, près chaque administration cen-
ce
traie.
ce
8° Ne pourront néanmoins les administrations cen-
cc
traies ordonner la destruction des chaussées, gords,
ce
moulins, usines, etc., qu'un mois après en avoir
ce
averti les administrations centrales des départements
ec
inférieur et supérieur, situés sur les bords des fleuves
ce ou
rivières, afin que celles-ci fassent leurs disposi-
ce
lions en conséquence.
ce
9° Les administrations centrales des départements
ce
inférieur et supérieur, qui auront sujet de craindre
ce
les résultats de cette destruction, en préviendront
ce
sur-le-champ le ministre de l'intérieur, qui pourra,
ce
s'il y a lieu, suspendre l'exécution de l'arrêté par le-
ce
quel elle aura été ordonnée.
ce
10° Il est enjoint aux administrations centrales et
ce
municipales, et aux commissaires du directoire exé-
ee
cutif établies près d'elles, de veiller avec la plus sé-
ee
vère exactitude, à ce qu'il ne soit établi, par la suite,
ee aucun
pout, aucune chaussée permanente ou mobile,
ce aucune
écluse ou usine, aucun batardeau, moulin,
ce
digue ou autre obstacle quelconque au libre cours
ce
des eaux, dans les rivières navigables et flottables,
ce dans
les canaux d'irrigation ou de dessèchement gé-
cc
néraux, sans en avoir préalablement obtenu la per-
ce
mission de l'administration centrale, qui ne pourra
«e
l'accorder que de l'autorisation expresse du direc-
te toire exécutif.
te 11°
Ils veilleront pareillement à ce que nul ne dé-
ce tourne
le cours des eaux de rivières et canaux navi-
PERMISSIONS. 14b

ce
gables ou flottables, et n'y fasse des prises d'eau ou
ce
saignées, pour l'irrigation des terres qu'après y avoir
ce
été autorisé par l'administration centrale; et sans
ce
pouvoir excéder le niveau qui aura été défér-
ée
miné. •

ce 12°
Les propriétaires de canaux de dessèchement
ce
particuliers, ou d'irrigation, ayant à cet égard les
et
mêmes droits que la nation, il leur est réservé de se
ce
pourvoir en justice réglée, pour obtenir la démoli-
ee
tion de toutes usines, écluses, batardeaux, pêche-
ce
ries, gords, chaussées, plantations d'arbres, filets
ce
dormants ou à mailles ferrées, réservoirs, lavoirs,
« engins, abreuvoirs, prises d'eau, et généralement de
et toute
construction nuisible au libre cours des eaux,
ec
et non fondée en droits.
ce
13° Il est défendu aux administrations municipales
ce
de consentir à aucun établissement de ce genre, dans
et
les canaux de dessèchement, d'irrigation ou de na-
« vigation appartenant aux communes, sans l'autori-

sation formelle et préalable des administrations cen-
ee
traies.
ce 14° Il
n'est rien innové à ce qui s'est pratiqué jus-
ce qu'a
présent dans les canaux artificiels, qui sont ou-
ce
verts directement à la mer, et dans ceux qui servent à
ce
la fabrication des sels.
ce
15° Le présent arrêté sera imprimé au Bulletin des
ce
lois et proclamé, -etc. »

10
146 PERMISSIONS.

§ II. —Esprit de cette législation.

L'arrêté qui précède a donc eu pour but de rappeler


et de reproduire les dispositions des anciennes ordon-
nances, maintenues en vigueur, et de proclamer
de nouveau le principe fondamental qu'elles con-
sacrent.
L'art. 42 de l'ordonnance de 1669 et l'art. 9 de l'ar-
rêté, établissent formellement la défense d'entreprendre
aucune construction d'usine sur les rivières navigables,
sans l'autorisation du gouvernement.
En ce qui concerne les établissements anciens, la
visite des rivières, prescrite par l'art. lor, eut lieu con-
formément à ce qui y est ordonné, dans le courant de
l'an VI et de l'an VII ; les procès-verbaux dressés par
les ingénieurs de cette époque existent encore pour la
plupart, dans les archives de municipalités ou des pré-
fectures, mais presque tous manquent de précision ; et
ne sont pas: susceptibles d'être consultés utilement au-
jourd'hui. Ils sont néanmoins toujours valables, comme
d'anciens états de lieux, quoique généralement insuffi-
sants.
Le dépôt des titres ordonné par l'art. 3 de l'arrêté fut
fait très-incomplëtement. Il y eut néanmoins des états
de dressés, pour désigner ceux des anciens établisse-
ments qui étaient fondés en titre, ou susceptibles d'ê-
tre conservés, et ceux qui étaient nuisibles à la navi-
gation ; mais quant à la destruction, dans le mois, de
ces derniers établissements, conformément aux dispo-
PERMISSIONS. 147
sitions de l'art. 5 de l'arrêté, la mesure resta d'abord à
peu près sans effet ; car il est constant que ce n'est que
sous les gouvernements qui ont succédé au Directoire,
que les moulins et usines non fondés en titre ont été
successivement détruits. Ladite mesure est, pour ainsi
dire, encore en cours d'exécution, car, lorsque l'ab-
sence du titre, mise en évidence par une éventualité
quelconque, exige que l'on ordonne la suppression
d'un établissement, d'ailleurs nuisible, situé sur une
rivière navigable, les possesseurs de cette usine' sont
presque toujours dans le cas de se prévaloir de ce que
son existence est très-ancienne; et cette ancienneté
remonte ordinairement au delà de l'an VI.
11 résulte de là une conséquence importante que
voici : C'est que les particuliers qui se trouvent dans
ce cas ne pourraient valablement arguer, pour la con-
servation de leur usine, de ce que l'existence en a été, de
fait, sanctionnée par l'autorité compétente ; par cela
même que cette usine subsiste encore, après les vérifi-
cations et suppressions ordonnées par l'arrêt du
19 ventôse.

§ III. — Clauses résolutoires.

Une instruction ministérielle du 19 thermidor an VI


a développé le mode d'exécution de l'article 9 de l'ar-
rêté du 19 ventôse, et prescrit la marche uniforme que-
Ton doit suivre, tant de la part des particuliers qui sol-
licitent des permissions d'usines nouvelles, que de la
148 PERMISSIONS.
part de l'administration, dans l'instruction de ces de-
mandes (1).
Elle prescrit deux clauses ou dispositions très-essen-
tielles, à insérer dans les ordonnances ayant pour ob-
jet des permissions d'usines.
La première de ces clauses est ainsi conçue :
Dans aucun temps, ni sous aucun prétexte, il ne
pourra être prétendu indemnité, chômage ou dêdomma-r
gement, par suite des dispositions que le gouvernement
jugerait convenable de faire, pour l'avantage de la na-
vigation, du commerce, de l'industrie, sur les cours
d'eau où sont situés les établissements
La seconde des clauses résolutoires porte :
Que faute, par le permissionnaire, de se conformer
aux dispositions de son autorisation, celle-ci sera révo-
quée et les lieux remis en leur ancien état, à ses frais ;
qu'il en sera de même da?is le cas oit, après avoir exécuté
cesdispositiolis, on viendrait par la suite à former quel-
que nouvelle entreprise sur le cours d'eau, et à changer
l'état des lieux sans y avoir été légalement autorisé.
Cette dernière clause, se rapportant aux change-
ments apportés à une usine autorisée, sera examinée
dans le chapitre vin, qui traite particulièrement de cet
objet.
Les détails 'donnés dans les chapitres précédents,
sur la nature du domaine public, sont plus que suf-
fisants pour démontrer que toute usine ou construc-
tion quelconque sur une rivière navigable, ne peut
(i) Voyez au tome II, le texte de celte instruction et les obser-
vations qui s'y rapportent.
PERMISSIONS. 149
s'établir qu'à titre de simple tolérance; à la condition
de ne gêner en rien le libre exercice de la navigation,
et d'être toujours subordonnée aux améliorations ul-
térieures que celle-ci, ou tout autre intérêt public,
pourrait réclamer dans le régime des eaux ; quand
même ces améliorations entraîneraient la destruction
de l'établissement autorisé.
C'est ce qui justifie pleinement la légalité des clauses
résolutoires, que l'instruction ministérielle précitée
prescrit d'insérer dans tous les actes de permission d'u-
sines, sur les cours d'eau du domaine public.
La plus importante de ces deux clauses est celle qui
interdit le recours en indemnité; toutes les fois qu'une
usine, sur une rivière navigable, se trouve dans le cas
d'être endommagée, modifiée on détruite, pour des
motifs d'intérêt public. Le principe sur lequel elle se
fonde est tellement incontestable, que quand même
elle ne serait pas explicitement rappelée dans l'acte
de permission, elle y existe virtuellement ; et surtout
si cette permission est donnée à titre gratuit. C'est
donc dans la crainte d'induire en erreur les particu-
liers, qui pourraient s'abuser sur leurs droits à cet
égard, que l'administration a toujours le soin d'insé-
rer la clause dont il s'agit, dans les ordonnances de
permission. Et cela avait lieu ainsi, .même avant que
l'instruction ministérielle de l'an VI en fît la recom-
mandation expresse.
11 s'est présenté un assez grand nombre de cas

dans lesquels il y a eu lieu d'appliquer cette clause,


soit pour suppression, soit pour détérioration d'usines,
150 PERMISSIONS.

et le Conseil d'Etat n'a pas hésité à en approuver l'exé-


cution, pour les établissements nouveaux. Voir à ce
sujet les nombreux arrêts reproduits textuellement
dans le liv. V, qui traite des indemnités.
Un principe domine d'ailleurs toute question de
cette nature : c'est qu'une construction privée, sur
une rivière navigable, est toujours placée dans les
mêmes circonstances, vis-à-vis de Tintérêt public de
la navigation ; soit que la réserve dont il s'agit se
trouve ou ne se trouve pas inscrite dans l'acte qui a
autorisé son établissement.
Si aujourd'hui on l'insère toujours, c'est principale-
ment dans le but d'éclairer les permissionnaires, qui
pourraient se faire illusion à cet égard ; ensuite parce
que cette mention devient réellement nécessaire quand
la permission donne lieu au payement d'une rede-
vance.
Mais si cette clause résolutoire est de plein droit,
quand il s'agit d'un établissement nouveau, on ne doit
pas en induire.qu'elle peut rétroagir sur un établisse-
ment ancien, auquel il aurait été fait, en dernier lieu,
des changements ou additions nécessitant une autorisa-
tion.
Dans ce cas la réclamation de l'usinier serait né-
cessairement accueillie. C'est ce qui est arrivé dans
l'espèce suivante.
Le sieur Fresneau possède sur la Vilaine des usines
dont l'existence remonte au delà de 1S66. Ayant de-
mandé, récemment, l'autorisation de substituer une
prise d'eau en déversoir, à l'ancienne, qui s'opérait
PERMISSIONS. loi
par vannes de fond, un décret en date du 5 novem-
bres 1874 est intervenu sur cette demande.
Mais on y a inséré, dans toute leur généralité, les
clauses, habituellement appliquées aux établissements
nouveaux, savoir : 1° l'obligation pour l'usinier de se
conformer à tous règlements faits ou à faire dans l'inté-
rêt du service de la navigation ; 2° celle de ne récla-
mer aucune indemnité dans ce cas ou dans l'intérêt
de la navigation, etc., l'administration prendrait des
mesures qui le privent, en tout ou en partie, des
avantages à lui concédés.
Le sieur Fresneau voyant dans ces dispositions une
infraction à ses titres anciens en a demandé l'annula-
tion en Conseil d'Etat. Sa demande a été accueillie
dans les termes suivants :

lo février 1866 (Sr. 'Fresneau).


Considérant qu'il n'est pas contesté par l'adminis-
tration que les usines que le sieur Fresneau possède sur
la Vilaine ont été établies antérieurementà Vannée \ 566,
qu'ainsi ces usines ont une existence légale; et que ce
particulier a droit de faire usage, sans y être autorisé
par nous, de la quantité d'eau qui y était utilisée, anté-
rieurement à ladite époque ; que dans ces circonstan-
ces il est fondé à soutenir que la disposition attaquée,
en l'autorisant, à nouveau, à maintenir ses usines en
activité, sa?is tenir compte des droits antérieurs, a
méconnu ces droits ;
En ce qui touche la clause éventuelle de non-in-
demnité, le Conseil d'Etat a fait remarquer qu'elle ne
152 PERMISSIONS.
pouvait s'appliquer qu'aux dispositions résultant du
dernier décret, et non aux titres anciens ; et qu'ainsi
entendue ladite clause avait pu être imposée, sans
excéder les pouvoirs appartenant à l'administration sur
les cours d'eau navigables.
Les autres articles du même décret ont été annulés.
Cette décision est évidemment basée sur l'existence
des usines, antérieure à 1S66. Elle n'eût pas été aussi
explicite, dans le cas où le requérant n'aurait eu à in-
voquer qu'un acte de vente nationale.
C'est ce que l'on peut vérifier par les termes d'un
arrêt, du 3 août 1865 (5r. Erard) ainsi que par l'étude
des nombreuses espèces, citées dans le Livre V, trai-
tant des indemnités.
Et, néanmoins, ainsi que nous avons dû le faire re-
marquer, quelques-uns des arrêts intervenus en cette
matière semblent présenter certaines anomalies.

§ IV. — Forme des permissions.

Avant le décret du 25 mars 1852, les autorisations


d'usines, ou prises d'eau, sur un cours d'eau quelconque
étaient accordées sous la forme d'un règlement d'admi-
nistration publique. Ce décret a décidé qu'en ce qui
touche les cours d'eau non navigables ni flottables un
arrêté préfectoral suffirait. — Mais, en principe, les
autorisations de prises d'eau permanentes, d'usines,
ou autres établissements, sur les rivières et canaux du
domaine public ne peuvent, sauf des cas d'exception,
PERMISSIONS. " 153
êttre valablement données que par un acte de l'autorité
souveraine.
C'est ce que confirme un arrêt du Conseil d'État du
17 mai 1863 (S. Delahaye) établissant, qu'un préfet
est incompétent pour autoriser la construction à'un
piont, sur une rivière navigable, sans que le projet ait
été soumis à l'enquête et approuvé par l'administration
supérieure.
Voir d'ailleurs ce qui est dit sur ce sujet dans les
chapitres du Tome II, traitant, d'une manière géné-
rale, de l'instruction des demandes et de la forme des
permissions.
CHAPITRE II
DES PERMISSIONS (SUITE).

SECTION I
CONSIDÉRATIONS"DIVERSES.

§1. — Des moulins à nef.

Les moulins à nef, ou à roues pendantes, sont à peu


près les seules usines dont on puisse autoriser l'éta-
blissement sur les rivières navigables, parce qu'ils
n'exigent pas de barrage. On pourrait croire que ces
moulins ne sont nullement nuisibles, mais il n'en est
pas ainsi : car, quoique les bateaux qui les portent
soient solidement amarrés à des points fixes, pris sur
des murs de quai, ou sur des pieux, ou maintenus par
des ancres; quoiqu'ils suivent les variations dé hau-
teur de la rivière, et que leurs roues soient mues seu-
lement par la force naturelle du courant et sans le se-
cours des vannes, ils n'en sont pas moins très-contraires
à la sûreté et à la liberté- des rivières du domaine pu-
blic ; et voici pourquoi :
Ces sortes d'usines sont en quelque sorte en concur-
rence avec les bateaux de la navigation, pour se porter
dans le fil de l'eau, où ils sont les uns, et les autres,
CONSIDÉRATIONS DIVERSES. 135
dans les conditions les plus favorables. Alors une fraude
assez fréquente de la part des propriétaires de moulins
à nef, consiste à les approcher graduellement du mi-
lieu de la rivière, plus qu'ils ne devaient l'être. Par
là, ils s'exposent à gêner ou à compromettre le passage
des bateaux, soit à la remonte, soit à la descente. La
force du courant tend d'ailleurs d'elle-même à produire
cet effet.
Si, par l'effet des débâcles de glaces, ou par d'autres
circonstances, les amarres d'un de ces moulins vien-
nent à se rompre, alors il y a toujours à craindre quel-
que-désastre, non-seulement pour la nef entraînée par
la violence des eaux, ainsi que pour les établissements
semblables, tels que lavoirs, bains publics, etc., mais
surtout pour les ponts en bois, et même pour les ponts
en pierre, contre lesquels ils viennent se heurter avec
une violence extrême, ce qui ne peut manquer d'occa-
sionner de graves avaries.
On sait que, dans le rigoureux hiver de 1820, deux
moulins à nef, que les glaces du Rhône avaient entraî-
nés, vinrent s'arrêter sur les palées du pont d'Avignon,
contre lequel ils faisaient barrage, et qu'ils allaient
rompre inévitablement, si l'on ne se fût hâté de les cou-
ler à fond, avant qu'ils n'eussent occasionné ce désastre.
L'arrêtdu conseil du 17 juillet 1782, qui est relatif
à la police de la navigation sur la Garonne, contient
des détails essentiels, sur les conditions et précautions
auxquelles doivent être assujettis les moulins à nef.
Voici quelles sont ces dispositions :
«ART. 6. Fait, S. M., très-expresses inhibitions et
156 PERMISSIONS,

te défenses à tous ceux qui ont des moulins sur bateaux,


ce
nommés vulgairement moulins à nef, de placer les-
te dits moulins, sous quelque prétexte que ce soit, dans

ce
le courant de la rivière servant à la navigation, à
ce
peine de cinq cents livres d'amende, contre les pro-
ec
priétaires, et de châtiment exemplaire contre les
ce
meuniers ayant la conduite desdits moulins ; voulant,
ce
S. M., qu'au cas qu'il y ait quelques moulins à nef,
ce
dont les propriétaires n'auraient pas l'ordonnance
ce
d'emplacement prescrite par les règlements, ils
ce
aient, à en prendre une dans deux mois après la pu-
ce
blication du présent arrêt, qui les autorise à les éta-
tc blir dans l'emplacement qui leur aura été marqué ;
ce
sinon et faute par lesdits propriétaires de prendre
ce
ladite ordonnance, et ledit délai passé, lesdits mou-
ce
lins seront détachés et déchirés, pour les débris en
ce être
portés sur le rivage, où les grandes eaux ne pour-
ce ront
atteindre. Et ce, à la diligence des officiers de
<e
la navigation, après y avoir été autorisés par l'inten-
te dant et le commissaire départis.

ce
ART. 7. Lorsque les moulins à nef auront été pla-
ce ces,
les propriétaires ne pourront les changer hors de
ce l'emplacement, ni dans l'étendue d'icelui, à la pre-
ce
mière attache; sans permission du conservateur
ce
général de la navigation, et vérification faite préala-
ce
blement par le patron juré ; sous les mêmes peines
te que ci-dessus, et de tous dépens, dommages et
inté-
ce rets envers les marchands et bateliers, en cas
d'é-
ce
chouement, ou d'autres inconvénients occasionnés
te par lesdits moulins non emplacés.
CONSIDÉRATIONS DIVERSES. 157
ce
Les propriétaires des moulins à nef seront
ART. 8.
ce
tenus de remettre et de laisser aux mains des meu-
ec
niers, les ordonnances d'emplacement, dont une co-
ce
pie sera affichée à la porte du moulin afin que le
ce
conservateur général et le syndic, ou le patron juré,
ce
faisant leurs visites, puissent reconnaître s'ils ont été
ce
changés ; défenses sont faites auxdits meuniers de
ce
servir auxdits moulins sans être saisis de ladite or-
ce
donnance ; à peine contre le propriétaire, de cinq
ce
cents livres d'amende, perte et retardement des ba-
ee
leaux et marchandises, dommages et intérêts, et au-
et très
inconvénients; et contre les fermiers, meuniers
ec
et leurs valets, de punition corporelle. »
Ces dispositions fondamentales sur les moulins à
nef, ou autres usines sur bateaux, se trouvent repro-
duites dans les articles 8, 9 et 10 de l'arrêt du Conseil
d'État du roi, en date du 23 juillet 1783, applicable à
la navigation de la Loire.
Ces précautions sont celles qu'il convient d'appli-
quer aux moulins à nef, existant sur toutes les rivières
navigables. Les propriétaires de ces moulins doivent
de leur côté ne pas perdre de vue, que de tous les éta-
blissements privés existant, par tolérance, sur les eaux
des rivières publiques, ces moulins sont généralement
les plus nuisibles, à cause de l'espace qu'ils occupent
dans le lit même de la rivière et des changements de
place auxquels ils sont exposés ; de sorte que l'admi-
nistration ne fait que son devoir lorsqu'en cas d'ab-
sence de titre, de contravention, ou de permission
transgressée, elle ordonne la suppression d'un de ces
138 PERMISSIONS,
établissements, reconnus d'ailleurs comme nuisibles
ou dangereux pour la navigation. Les amarres doivent
en être vérifiées fréquemment, et toute modification
dans la situation autorisée constitue un délit de grande
voirie, punissable aux termes de la loi.

§ II. — Prises d'eau dans les fleuves et rivières navi-


gables.
Quel que soit l'usage auquel on veuille consacrer
des eaux obtenues de cette manière, la loi établit for-
mellement la nécessité d'une autorisation préalable du
gouvernement. En effet, l'article 44 du titre XXVII
de l'ordonnance 1669 porte :
ce
Défendons à toutes personnes de détourner l'eau
ce
des rivières navigables et flottables, ou d'en affaiblir
ce et
altérer le cours par des tranchées, fossés et ca-
cenaux; à peine contre les contrevenants d'être punis
ce comme usurpateurs, et
les choses réparées à leurs
et
dépens. »
L'article 10 de l'arrêté du 19 ventôse an VI porte :
« Les administrations centrales veilleront pareille-
ce
ment, à ce que nul ne détourne le cours des eaux
cèdes rivières et canaux, navigables ou flottables, et
ce
n'y fasse des prises d'eau ou saignées pour l'irriga-
eetion des terres; qu'après y avoir été autorisé, par
ce
l'administration centrale, et sans pouvoir excéder le
et
niveau qui aura été déterminé. »
Le Code civil consacre le même principe en disant
dans son article 644 :
CONSIDÉRATIONS DIVERSES. 159

ce
Celui dont lia propriété borde une eau courante,
CC AUTRE QUE CELLE QUI EST DÉCLARÉE DÉPENDANCE DU DOMAINE
« PUBLIC par l'article 538, peut s'en servir à son pas-
sage pour l'irrigation de ses propriétés. »
ce

Toute infraction à une permission de cette nature


aurait le caractère de contraArention de grande voirie,
et serait répressible par les conseils de préfecture (1).
Ceux-ci, dans ce cas, pourraient exceptionnellement,
et dans le silence de la loi, proportionner l'amende à
la gravité du délit.
Au contraire, toutes les contestations, entre particu-
liers, sur les usages respectifs d'une ou plusieurs prises
d'eau doivent être portées devant les tribunaux civils.

III. — Des permissions à titre onéreux.


§

Rien n'est plus véritable que les conditions auxquelles


ont été données en France, à diverses époques, les per-
missions de construire des usines sur les rivières navi-
gables.
Parmi les permissions anciennes, quelques-unes, et
c'est le plus petit nombre, ont été octroyées à titre
gratuit; d'autres étaient faites, soi-disant à perpétuité,
et moyennant le versement d'un capital, qui était tou-
jours fixé le plus haut possible, avec ou sans redevance
annuelle. Les concessions de cette espèce étaient en-

Ci) COKS. D'ÉT., 28 mai 1809.


En cas d'infraction aux conditions prescrites, la permission
devrait être révoquée. (Arrêts des 30 mars et 9 juillet 1820, 18
décembre 1822.)
160 PERMISSIONS.
fièrement abusives, de la part de l'autorité dont elles
émanaient.
Enfin, une troisième espèce de permissions ne com-
portait que le payement d'une rente annuelle, pro-
portionnée aux avantages qu'elles devaient procurer.
La plupart des particuliers qui avaient à leur charge
des redevances de cette espèce, se sont prévalus, pour
s'en affranchir, des lois abolitives de la féodalité; et
ont ainsi transformé en un titre gratuit leur titre pri-
mitif, qui n'était pas de cette nature.
Les permissions proprement dites, sous le régime
moderne établi en l'an VI, pour les établissements
d'usines, sont toujours accordées à titre gratuit. Le
payement d'une minime redevance annuelle, autori-
sée lors des nouvelles concessions, par la loi des fi-
nances du mois de juillet 1840, n'ayant lieu que sous
la réserve formelle d'inaliénabilité du domaine public,
qui peut dès lors entraîner la suppression éventuelle
de l'usine, sans indemnité, ne saurait être considérée
comme une charge proprement dite, ou comme la re-
présentation des avantages résultant de la permission.
Les détails donnés dans la section suivante nous
ont paru de nature à jeter quelque lumière sur cette
question, qui d'abord n'avait pas été comprise à son
véritable point de vue.
REDEVANCES. 161

SECTION II

DES REDEVANCES A IMPOSER, AH PROFIT DO TRÉSOR, AUX PARTICULIERS


QUI OBTIENNENT DES CONCESSIONS DE CatJTES, 00 DE PRISES D'EAU,
SUR LES RIVIÈRES ET CANAUX DU DOMAINE PUEt.IC.

Cette question, qui n'a pas à beaucoup près l'im-


portance que l'on croyait devoir d'abord lui attribuer,
a donné lieu, dans ces derniers temps, à des recher-
ches et à des discussions qui sont de nature à jeter
beaucoup de lumière sur ces sortes de matières.
Depuis longtemps le projet d'établir ces redevances
avait été agité; mais toujours des objections étaient
présentées, et, en l'absence d'une loi spéciale, on
l'ajournait continuellement. A partir de 1840, toute
incertitude a dû cesser ; car la loi des finances de la-
dite année (16 juillet 1840, art. 8), discutée à l'occa-
sion du budget de 1.841, en pose formellement le
principe et autorise le ministre des finances à les com-
prendre parmi les autres objets de perception.
Les administrations financières, et notamment celles
de l'enregistrement et des contributions indirectes,
mirent, dès lors, cette question à l'étude, et présentè-
rent, en janvier 1841, des mémoires et projets de rè-
glement sur cet objet. Mais comme ces administra-
tions devaient nécessairement se concerter avec celle
des travaux publics, des correspondances préliminaires
furent d'abord échangées entre les deux ministères.
M. le ministre des finances pensait que les permis-
sions, bien qu'essentiellement révocables, ainsi' que
il
162 PERMISSIONS.
cela résulte de la nature même du domaine public,
devaient être accordées pour un temps déterminé, et
de plus être mises aux enchères publiques.
Par une première lettre du 11 septembre 1841,
M. le ministre des travaux publics faisait déjà remar-
quer que la clause de suppression, sans indemnité,
toujours réservée, plaçait ces établissements dans une
classe à part ; et que cette clause renfermait réelle-
ment toutes les garanties que l'on pouvait désirer, dans
l'intérêt public; que dès lors il n'y avait lieu d'y
ajouter aucune autre condition ; qu'en un mot, pour
satisfaire au voeu de la loi de juillet 1840, il ne restait
uniquement à régler que le mode d'estimation et de
payement de la redevance ; et qu'il semblait que cette
estimation pouvait avoir lieu à l'aide d'un concert
entre les agents locaux des domaines et des ponts et
chaussées.
M. le directeur général des domaines ayant fait
étudier, très à fond, la même question, par les agents
supérieurs et le conseil de son administration, produi-
sit, à la date du 11 février 1842, un grand travail,
présenté en forme de projet de règlement, qui, s'il
eût été susceptible d'être adopté, aurait bouleversé
toutes les idées fondamentales admises en cette ma-
tière.
En effet, dans ce rapport, on posait des principes
inadmissibles ; tels que, par exemple, la perpétuité des
concessions, afin d'en obtenir, par publicité et concur-
rence, une redevance portée au chiffre le plus élevé.
Avec une pareille base, il n'était pas possible d'arriver
REDEVANCES. 163
à quelque chose de pratique. Aussi M. le directeur
général de cette administration écrivait-il au ministre
des travaux publics, à la date du 28 février 1842, en
lui envoyant ce rapport, ce que le projet de règlement,
par lequel il se terminait, ne pouvait être considéré
que comme une ébauche, destinée à appeler les lu-
mières et le concours des hommes spéciaux, notam-
ment du conseil général des ponts et chaussées, » et
que, quant à lui, ledit projet lui paraissait inadmissi-
ble. En un mot, cet administrateur éclairé (M. Cal-
mon) entrait tout d'abord dans une appréciation nette
et élevée de cette question, essentiellement mixte, qu'il
reconnaissait ne pouvoir être résolue, au seul point de
vue de l'intérêt fiscal.
L'administration des contributions indirectes, qui
avait été également appelée à rédiger un travail, pré-
senta.peu de temps après,un mémoire tendant,comme
celui de l'administration des domaines, à faire produire
le plus possible à ce qu'elle croyait pouvoir considérer
comme une source nouvelle de revenu. Ces deux rap-
ports, après avoir subi quelques modifications, furent
définitivement transmis, le 16 août 1842, à l'admi-
nistration des travaux publics, qui fut invitée à les
examiner.
La lettre du 14 mars 1843, rédigée, presque entière-
ment, de la main de M. Legrand, alors sous-seCrétaire
d'État, ramène d'une manière nette et précise la
question sur son véritable terrain.
11 paraît donc utile d'en citer ici les principaux pas-

sages-:
ce
Les rapports des administrations financières ten-
164 PERMISSIONS.
draient à l'adoption d'un projet d'ordonnance qui serait
une refonte complète des lois et règlements actuel-
lement en vigueur, sur la matière des permissions.
ce
L'administration des domaines a donné à la ques-
tion une étendue qu'elle ne comporte pas; elle s'est
occupée de tracer les formes nouvelles d'après les-
quelles les permissions de chutes, ou prises d'eau,
pourraient être délivrées ; elle a mis au néant tous les
anciens règlements sur la matière pour les remplacer
par un règlement nouveau, sur lequel j'aurais une
foule d'observations à présenter, si j'avais à le discuter
ici ; mais je dois vous faire remarquer que s'il y avait
un règlement nouveau à préparer, c'est au départe-
ment des travaux publics que l'initiative en appartien-
drait. Les lois et les règlements actuels placent sous sa
surveillance,et dans ses attributions, la police des cours
d'eau navigables. C'est du ministère des travaux pu-
blics qu'émanent toutes les permissions relatives aux
établissements qu'on élève sur les bords de ces cours
d'eau, et. je ne vois pas comment la condition d'une
redevance attachée à ces établissements pourrait chan-
ger, à ce point, nos droits et nos devoirs respectifs.
J'ajouterai que le besoin d'un règlement nouveau n'est
nullement senti. La législation et la jurisprudence
actuelles suffisent parfaitement, et il faut bien se gar-
der de modifier, sans aucune utilité, des formes qui
sont établies depuis lontemps, qui tous les jours sont
employées, sans contestations, et qui garantissent par-
faitement les intérêts publics et les droits des tiers.
ce
De quoi s'agit-il? d'ajouter une clause nouvelle à
toutes celles qui sont aujourd'hui en usage, pour les
REDEVANCES. ' 165
permissions d'usines, et cette clause est relative à la
redevance que les permissionnaires auront à payer au
trésor. Là est la question, toute la question. Il est com-
plètement superflu de l'étendre, au delà de cette limite.
Je n'ai, pour ma part, l'intention de rien changer aux
conditions, actuellement en vigueur, et votre dépar-
tement, monsieur et cher collègue, n'a point, de son
côté, à s'en occuper.
« Je ne traiterai donc que ce qui touche la quotité et
le mode de payement de la redevance. Voici les
observations principales que j'ai à vous soumettre à ce
sujet :
« La base du cinquième ou même du dixième du
revenu, que l'on propose d'adopter, pour la redevance,
est, à priori, tout à faitexagérée. Il est rare que le cours
d'eau compte pour autant dans le revenu d'une usine
hydraulique ; lors même que l'avantage attaché à son
emploi n'est pas aussi atténué qu'il doit l'être ici par
la crainte, toujours existante, d'un retrait de permis-
sion, réservé en principe.
ce
Cette base est d'autant plus élevée, qu'outre l'im-
pôt ordinaire et les patentes, les permissionnaires d'u-
sines ou de prises d'eau sur les rivières navigables sont,
en cette seule qualité, astreints au payement d'une
part contributive dans les frais de curage de ces rivières,
ainsi que dans les dépenses de réparation et même
de reconstruction des barrages ou autres ouvrages
d'art, qui profitent à la fois à la navigation et aux éta-
blissements de ces permissionnaires.
ec
Si cette base était adoptée, le résultat le plus im-
166 PERMISSIONS.
médiat de la nouvelle mesure serait de rendre inacces-
sible à toute industrie particulière l'emploi des forces
motrices qui existent sur les rivières navigables ; et ces
forces demeureraient à jamais improductives, dans
plusieurs localités où elles peuvent être utilement em-
ployées sans nuire en aucune manière à la navigation.
ce
Au nombre des dispositions à régler sur cette ques-
tion, il sera indispensable de réserver au gouverne-
ment la faculté d'accorder des permissions gratuites ;
notamment en faveur des prises d'eau ayant pour ob-
et l'irrigation. Les entreprises de ce genre n'ont pro-
curé à leurs auteurs que des avantages douteux, sou-
vent même insuffisants, pour les indemniser de leurs
avances, tandis qu'en même temps l'agriculture pro-
fite largement du bienfait des arrosages. Faut-il donc,
en rendant obligatoire un prix quelconque, imposé à
toute concession d'eau, priver à jamais de cette source
de prospérité les territoires qui sont en position d'y
prétendre?
ce
En somme, monsieur et cher collègue, je pense
qu'il ne faut pas chercher une source sérieuse de re-
venus dans les redevances, à exiger des particuliers
qui emploieront les forces motrices, que le domaine
public peut mettre à leur disposition. L'intérêt de
l'État consiste bien plutôt dans la création même de
l'établissement industriel que dans le versement an-»
nuel d'une somme au trésor. La redevance ne doit
avoir pour objet que la reconnaissance de la propriété
publique; elle doit avoir surtout pour but de con-
sacrer la dépendance du propriétaire, vis-à-vis de
REDEVANCES., 167
l'Etat; car je ne puis "admettre, comme l'auteur du rè-
glement, que l'on doive entourer les usines construites
sur des rivières navigables de garanties, qui devien-
draient nécessairement un obstacle à l'exercice des
droits publics. Un établissement situé sur une rivière
navigable doit être soumis à la condition perpétuelle
de suppression, dès.que le gouvernement la requiert;
et il ne faut pas ouvrir aux particuliers des droits, à
venir, contre ce principe.
ce
De la part de l'État, tout autre mode de procéder
compromettrait le principe même de l'inaliénabilité
du domaine public, principe dont le maintien est iei
de la plus haute importance, dans l'intérêt, présent et
à venir, de la navigation.
ce
C'est sous l'empire de cette condition, que, jus-
qu'à ce jour, tous les établissements se sont formés,
sur des rivières navigables,
ce
En résumé, je pense :
ce
1° Que la question à résoudre doit être essentiel-
lement limitée à ce qui touche la quotité, la forme et le
mode de payement de la redevance ;
«2° Que l'État doit se réserver le droit de n'exiger
dans certains cas aucune redevance, notamment quand
il s'agit des intérêts de l'agriculture ;
ce
3° Que dans les cas où il y aura redevance, cette
redevance doit être faible, et qu'au lieu, par exemple,
de la régler au dixième du revenu net de l'établisse-
ment industriel, revenu qu'il serait bien difficile de
constater, il conviendrait de la fixer à une fraction de
l'impôt, assis sur l'établissement hydraulique;
168 PERMISSIONS.

ce
4° Que la redevance d'ailleurs doit varier suivant
que l'établissement est construit sur une rivière, natu-
rellement navigable sur une rivière canalisée, ou sur
un canal entièrement artificiel.
ce
Jeterminerai, en vous faisant remarquer, monsieur
et cher collègue, que, depuis cinq ou six ans, le nom-
bre des demandes des chutes, ou prises d'eau, sur les
rivières ou canaux navigables, n'a pas excédé, moyen-
nement, sept ou huit par année. Ainsi, sous ce nou-
veau rapport, l'intérêt du trésor n'est ici que bien fai-
blement engagé.
ce
Agréez, etc. »
Si l'on rapproche les considérations développées
dans celte lettre de celles déjà exprimées dans celle du
8 septembre 1841, on y trouve une appréciation com-
plète de la question et les véritables éléments delaso-
lution qu'elle comporte.
A partir de cette époque la même question a con-
tinué d'être étudiée en commun, par les trois minis-
tères des travaux publics, des finances et du com-
merce. — 11 y a eu des commissions spéciales et une
commission mixte. L'affaire a ensuite été porté au Con-
seil d'État et plus tard à la chambre des pairs. Mais il a
été finalement reconnu qu'il n'en avait pas lieu d'es-
pérer une solution préférable à celle que contient la
lettre ministérielle précitée.
Il est bien entendu qu'il ne s'agit que des simples
autorisations, en établissement d'usines nouvelles, sur
une rivière navigable ou flottable. Mais comme sur un
grand nombre de canaux, ou par suite du déplacement
RÉSUMÉ DU CHAPITRE. 169
des transports, il existe, à côté des écluses, des forces
motrices, disponihles et toutes constituées, la conces-
sion de ces chutes, au profit de l'industrie, n'a plus
d'analogie avec le cas examiné ci-dessus. Aussi les-
dites chutes sont-elles données en location, par l'admi-
nistration des domaines, soit directement, soit avec pu-
blicité et concurrence, à des prix proportionnés à leur
importance, et calculés généralement à tant, par force
de cheval.

SECTION III
RÉSUMÉ DU CHAPITRE

Les principes les plus saillants des considérations


développées dans le présent chapitre peuvent se ré-
sumer ainsi qu'il suit :
L'inaliénabilité du domaine public est la règle fon-
damentale, dans tout ce qui concerne les permissions
d'usines, prises d'eau, ou autres établissements, sur
les rivières navigables. Cette règle longtemps mécon-
nue n'a été qu'à la fin du dernier siècle suffisamment
observée, pour que la navigation fluviale, jusqu'alors
entravée par les usines, pût procurer au pays les avan-
tages qu'il doit en attendre.
De nombreux abus ont subsisté et subsistent encore,
malgré les mesures coercitives prescrites par l'arrêté
du 19 ventôse an VI, attendu que plusieurs de ces
mesures sont restées comminatoires. — Une des prin-
cipales causes de cet inconvénient résuite de ce qu'un
grand nombre d'établissements qui auraient dû être
170 PERMISSIONS.
supprimés, comme nuisibles à la navigation, ont été
vendus nationalement à des particuliers; ce qui a, en
qu elqu e sorte, perpétué le préj udice, occasionné par ces
établissements.
Sauf l'exception basée sur une existence antérieure
à l'année 1566, et authentiquement établie, les clauses
résolutoires^ et notamment celle qui prescrit la suppres-
sion sans indemnité des établissements d'usines, per-
mis ou tolérés sur les rivières navigables, existent vir-
tuellement et par la nature des choses, dans les actes
de permission, de sorte qu'on doit toujours les regar-
der comme applicables ; qu'elles y soient ou qu'elles
n'y soient pas explicitement insérées. — Si l'instruc-
tion ministérielle précitée en a prescrit l'insertion, et
si l'administration observe toujours cette précaution,
c'est principalement dans le but d'éclairer les particu-
liers sur l'étendue et les limites de leurs droits, surtout
pour les cas où la concession est faite avec redevance.
Les moulins à nef, qui représentent la classe la plus
nombreuse des usines pouvant être admises sur les ri-
vières navigables, y sont généralement très-nuisibles ;
ou au moins très-gênants pour le service de la naviga-
tion. — Quelques précautions importantes, et notam-
ment la détermination précise de leur emplacement,
doivent servir de base à leur autorisation. — Il est de
l'intérêt des propriétaires de ces usines, que lesdites
précautions soient scrupuleusement observées.
Des prises d'eau, ou dérivations, sans l'aide de bar-
rages nouveaux, peuvent être faites dans les rivières
navigables, soit pour le service des usines, soit pour
RÉSUMÉ DU CHAPITRE. -171
l'irrigation des terres, mais avec l'autorisation préala-
ble du gouvernement, obtenue dans la même forme
qu'en matière d'établissements d'usines. — De sem-
blables autorisations ne peuvent jamais conférer un
droit de propriété, et sont toujours subordonnées à
l'intérêt public de la navigation. — Elles sont révoca-
bles, par l'inexécution des conditions prescrites. — Les
entreprises ou infractions commises sur ces dériva-
tions, si elles touchent l'intérêt public, constituent des
contraventions de grande voirie, qui doivent être dénon-
cées aux conseils de préfecture ; tandis que les contesta-
tions entre particuliers, sur l'usage des eaux qui y
coulent, sont de la compétence de l'autoritéjudiciaire.
Ont caractère de permissions non valables tous ac-
tes administratifs qui autoriseraient une usine sur une
rivière navigable, à d'autres titres et sous une autre
forme que ce qui est prescrit par les lois en vigueur,
et notamment par l'arrêté du 19 ventôse an VI, rappe-
lant les dispositions des ordonnances antérieures.
Toute permission d'usine sur un cours d'eau du do-
maine public, déclarant être faite à perpétuité, consti-
tue de la part du pouvoir dont elle émane, un abus
d'autorité et établit un fait inadmissible ; de sorte
qu'une telle clause est d'elle-même réputée nulle et
non écrite, — Il est dans l'ordre des choses que les
permissions d'usines, quoique essentiellement faites à
titre précaire, aient lieu moyennant le payement d'une
certaine redevance annuelle. Mais cela n'a pasd'analo-
gieavec la location des chutes d'eau, disponibles sur les
canaux appartenant à l'État, au profit du trésor public.
CHAPITRE III

RÉPARATIONS. — RECONSTRUCTIONS.

SECTION I

JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT.

31 mai 1821 (Sr de Lameth).


N° 1. — Réparations d'urgence. — Excuse admise. — Arrûté
annulé. — Renvoi sans condamnation.

La débâcle des glaces, dans l'hiver de 1820, ayant


occasionné de graves avaries à un moulin à nef, situé
sur la Garonne, dans la commune de Golfech (Tarn-
et-Garonne) et appartenant au sieur Ch. de Lameth, ce
particulier crut pouvoir remédier immédiatement à
ces avaries, sans demander l'assentiment de l'adminis-
tration; attendu que le moindre retard dans les répa-
rations pouvait entraîner la ruine entière du moulin.
Par suite de ce fait, le sous-préfet de Moissac prit, le
26 février, un arrêté qui mettait ce moulin en chômage,
par le motif qu'on y avait effectué des réparations, sans
autorisation préalable, et contrairement aux dispo-
sitions de l'arrêté du 19 ventôse an VI. Le 20 du
même mois, un arrêté du conseil de préfecture, basé
RÉPARATIONS. — RECONSTRUCTIONS. 173

sur les dispositions de l'ordonnance de 1666 ordonna


que les réparations, faites au moulin en question, se-
raient déiruites dans le délai de six jours, et condamna
le sieur de Lameth, à une amende de trente francs,
pour cette contravention. — Dans son recours au Con-
seil d'État, le propriétaire du moulin a soutenu que les
dispositions législatives invoquées par le sous-préfet et
par le conseil de préfecture, ne pourraient recevoir
d'application, dans le cas d'urgence, où il est indis-
pensable de prendre pour la conservation d'une usine,
menacée de destruction, des précautions promptes et
spontanées.
M. le directeur général des ponts et chaussées con-
sulté sur cette affaire, a répondu, le 14 mars 1821,
dans les termes suivants :
ce
Je crois que le conseil de préfecture fait une ap-
plication inexacte des dispositions de l'ordonnance de
1669 et de l'arrêté du gouvernement du 19 ventôse
an VI. — En effet, ces règlements n'ont eu pour objet
que de régulariser l'établissement des nouveaux mou-
lins et de prévenir les inconvénients qui pourraient
résulter de constructions illégales et dangereuses,
telles que batardeaux, écluses, gords, pertuis, murs,
plantations d'arbres, amas de pierres, de terres, de
fascines et autres entreprises, qui tendraient à détour-
ner le cours des eaux, à gêner ou intercepter la navi-
gation, à inonder les propriétés riveraines, etc., etc.,
— Or, on ne voit rien de tout cela dans le cas pré-
sent; et il résulte simplement des pièces, que M. de
Lameth n'a exécuté aucun ouvrage dans le lit de la
174 RÉPARATIONS.

rivière; qu'il n'a opéré aucun déplacement; qu'il n'a


fait aucune innovation à son usine; qu'il s'est borné à
réparer les dégradations occasionnées au corps du ba-
teau, par la débâcle des glaces: et ce travail était
tellement urgent, que le moindre retard dans l'exécu-
tion pouvait causer la perte du moulin, et former dans
la rivière un véritable écueil. Il est d'ailleurs à re-
marquer quJil n'existe, soit de la part des ingénieurs,
soit de la part du commerce, aucune plainte sur cette
usine, dont l'emplacement a été déterminé par l'ad-
ministration en 1812.— Je ne crois donc pas qu'il y
ait lieu d'appliquer, au cas dont il s'agit, l'ordonnance
de 1669. Cette ordonnance prescrit la destruction de
tous les moulins établis sans autorisation ; mais elle
ne défend pas de réparer ceux qui existent légalement.
Enfin, thèse générale, et d'après les termes
— en
formels des règlements, une défense de la nature de
celle faite à M. de Lameth, ne peut s'appliquer rigou-
sement à des travaux de conservation ou d'entretien
de l'usine, dans son état légalement autorisé.»
Cette doctrine ayant été adoptée par le Conseil d'é-
tat, elle a servi de base à l'arrêt suivant.
,
Vu la requête, etc, etc., — Vu l'ordonnance des
eaux et des forêts de 1669, et l'arrêté du gouverne^
ment du 19 ventôse an VI ;
Considérant que le sieur Charles de Lameth n'a
exécuté aucun ouvrage dans le lit de la rivière, qu'il
n'a opéré aucun déplacement de son moulin à nef, et
qu'il n'a fait aucune innovation au système de cette
usine :.
RECONSTRUCTIONS. 175
Considérant que l'ordonnance de 1669 prescrit la
destruction de tous les moulins établis sans autorisation,
mais qu'elle ne défend pas de réparer ceux qui existent
légalement ;
Considérant, qu'aux termes de l'arrêté de l'an VI, le
sieur Charles de Lameth, aurait dû demander l'autori-
sation de faire la réparation des avaries occasionnées
par la débâcle des glaces de 1820, mais qu'il n'a pu
remplir cette formalité, parce que le travail était
commandé par la nécessité de conserver un établisse-
ment dont le moindre relard aurait pu compromettre
l'existence, qu'ainsi il n'y avait pas lieu, dans l'espèce,
défaire l'application des dispositions de l'ordonnance
de 1669 et de l'arrêté de l'an VI;
ce
ART. 1er.
— L'arrêté du conseil de préfecture du.
département de Tarn-et-Garonne, du 29 mai 1820, est
annulé, et il sera fait restitution au sieur comte Charles
de Lameth, des sommes qu'il aurait pu payer en exé-
cution dudit arrêté. »
Ce qu'il faut voir d'essentiel, dans cet arrêt, c'est la
consécration d'un principe désormais acquis en faveur
des propriétaires d'usines sur les rivières navigables,
à savoir : qu'en cas d'urgence constatée, il est permis
défaire, sans autorisation préalable, telles réparations
que les circonstances exigent, sauf toutefois les restric-
tions qui pourraient être apportées à ce droit, par
l'existence de dispositions particulières.
Au surplus, on va voir, par l'espèce suivante, qu'en
dehors même des circonstances spéciales qui carac-
térisaient l'affaire Lameth, le Conseil d'État a] égale-
176 REPARATIONS.
ment interprété, d'une manière aussi libérale que pos-
sible, en faveur des usines, les lois et règlements qui
régissent la matière.

20 avril 1839 (Sr Faugas),


N° 2. — Cas général. — Réparations ordinaires. —
Jurisprudence fixée.

Les sieurs Faugas père et fils possèdent sur la Ga-


ronne, dans la commune de Castets (département de la
Gironde), un moulin à nef auquel ils firent, sans au-
torisation, dans le courant de 1836, diverses répara-
tions. Le conseil de préfecture, dans un arrêté du 21
juin 1836, exprima cet avis : qu'il fallait distinguer
les réparations de nature à apporter quelque obstacle
au libre cours des eaux, et celles qui n'avaient pas ces
conséquences ; que les ouvrages formant la première
de ces catégories devaient seuls être démolis.
Un recours a été formé contre cet arrêté. — Les
sieurs Faugas ont soutenu que les dispositions de
l'ordonnance de 1669 n'étaient pas applicables au fait
de simples réparations.
M. le ministre des travaux publics a fait ressortir la
nécessité de maintenir dans toute sa force, le principe
d'assujettir toute réparation à une autorisation admi-
nistrative ; puisque, sans cette mesure, les propriétaires
de moulins pourraient, sous prétexte de réparations,
effectuer réellement à leurs usines, des changements
préjudiciables à la navigation. M. le ministre ajoutait :
— Que l'arrêté du conseil de préfecture avait avec rai-
RECONSTRUCTIONS. 177

son appliqué l'ordonnance de 1669 et l'arrêté du gou-


vernement du -il 9 ventôse an VI ; — Que seulement
cet arrêté, avait eu tort de restreindre l'application du
principe sus-mentionné et de distinguer les répara-
tions nuisibles à la navigation de celles qui ne l'étaient
pas; parce que le fait qui constituait la contravention,
était la non-autorisation, et qu'il y avait lieu, en con-
séquence, à réformer sous ce rapport la décision sus-
relatée.
L'arrêt suivant n'a pas entièrement partagé cette
manière de voir :
Vu la requête, etc. ; — Vu l'ordonnance d'août 1669,
tit. XXVII, articles 42, 43,44; — l'arrêt du conseil du
17 juillet 1782, tit. III, articles 1 et 2 ; — l'arrêté du
19 ventôse an VI et la loi du 29 floréal an X ;
Considérant que les lois et règlements relatifs à la po-
lice des fleuves et rivières navigables et flottables, ne
contiennent, à l'égard des moulins dont l'existence est
fondée en titre, ou de ceux dont la conservation a été to-
lérée, parce, qu'ils n'apportaient aucun empêchement
nuisible au cours de l'eau, aucune disposition en vertu
de laquelle les propriétaires desdits moulins soient
tenus de se pourvoir d'une permission préalable, auprès
de l'autorité administrative, toutes les fois qu'il devient
nécessaire de réparer leurs usines;
Quoi effet, les dispositions de l'article 43, titre xxvn
de l'ordonnance d'aotit 1669, qui ordonnent la démoli-
lion de tous les édifices, construits dans le lit des rivières
navigables et flottables, sans la permission de nos pré-
décesseurs; celles des articles 1 et 2, titre m de l'arrêt du
12
178 RÉPARATIONS.
.
conseil du 17 juillet 1782, sur lanavigation delà Ga-
ronne, portant que les permissions d'élever des cons-
tructions quelconques, sur, ou au bord de la Garonne,
doivent être accordées par des arrêts du conseil rendus
sur lavis de l'intendant et commissaire départis ; enfin
celle de l'art. 9 de l'arrêté du 19 ventôse an VI, portant
défense d'établir aucun obstacle au cours des eaux des
rivières navigables et flottables, sans la permission préa-
lable de l'administration centrale, et sans l'autorisation
expresse du gouvernement, ne s appliquentpas à des tra-
vaux de simple réparation, mais ont pour objet l'établis-
sement d'usines nouvelles ou les changements apportés à
l'état des usines, anciennement existantes ;
Considérant, dès lors, que les requérants ont pu ef-
fectuer les travaux de simple réparation, constatés par
le procès-verbal sus-visé, du {{janvier 1836, sans per-
missionpréalable, mais en ce cas, à leurs risques et périls,
et sauf le droit qui appartient toujours à l'administra-
lion, de prendre toutes les mesures nécessaires pour as-
surer le libre cours des eaux et le service de la naviga-
tion.
«ART. 1er.—L'arrêté du conseil de préfecture du dé-
ce parlement
de la Gironde, du 21 janvier 1836, est
ce
annulé, dans la disposition qui ordonne la destruction
ce
des travaux énoncés sous les n°s 1, 2, 3, au j>rocès-
ce
verbal du 11 janvier 1836, sus-visé.
ce
ART. 2.
— Ledit arrêté est confirmé, dans la dis-
a position qui autorise la conservation des travaux
ce
énoncés sous le n° 4, au susdit procès-verbal. »
RECONSTRUCTIONS. 179

N° 3. — 31 janvier 1838 (M. des travaux publics).


L'année précédente, un autre arrêt du Conseil
d'Etat, dont la date est ci-dessus, intervenant sur le re-
cours du ministre des travaux publics, statuait exac-
tement dans le même sens, établissant :
Que les propriétaires d'usines, sur les rivières navi-
gables,, pouvaient faire à ces établissements et sans
autorisation préalable de simples réparations, mais à
leurs risques et périls ; et sauf le droit que l'adminis-
tration conserve toujours d'empêcher toute innova-
tion, ou tout obstacle quelconque apporté, soit à la
navigation, soit au libre cours des eaux.
Enfin on voit dans l'espèce ci-après que le Conseil d'E-
tat, d'accord avec l'administration des travaux publics,
a reconnu : qu'un ouvrage bien que n'ayant plus
comme ci-dessus le caractère de simple réparation,
mais d'une véritable innovation, ne pouvait donner lieu
contre l'usinier à l'application des lois pénales, s'il
était établi qu'il ne portait aucun préjudice à la navi-
gation.

2Sjuillet 1859 (Mins de Moissac).


N° 4. Établissement sans autorisation d'un grillage, formant

pêcherie dans un bras secondaire d'une rivière navigable. —
Entreprise n'ayant pas caractère d'une contravention aux
lois et règlements sur la grande voirie.

Le sieur Isernes, directeur de l'exploitation des


moulins réunis de Moissac sur le Tarn (Tarn-et-Ga-
ronne), a fait établir, à l'aval d'un pertuis pratiqué'
180 RÉPARATIONS.

dans le barrage, une pièce de bois et des fils de fer


destinés à la pêche. — Un procès-verbal dressé contre
lui par le garde éclusier, par suitede cette entreprise,
a été déféré au Conseil de préfecture, qui, par arrêté
du 16 juillet 1858, a prescrit l'enlèvement de cet
ouvrage, et l'a condamné à une amende de 50 fr.
11 s'est alors pourvu en Conseil d'État, en annulation

dudit arrêté.
M. le ministre des travaux publics a reconnu que le
pertuis ne servant pas à la navigation et que le grillage
en question ne nuisant pas au libre écoulement des
eaux, ne constituent pas une contravention de grande
voirie.
En conséquence, l'arrêté a été annulé sans discus-
sion.

SECTION II

RECONSTRUCTION D'USINE ABANDONNÉE OU DÉTRUITE. — CONSTRUCTION


NON CONFORME AU TITRE.

Reconstitution d'une usine abandonnée. — Sous l'an-


cienne législation, on regardait comme abandonnée
toute usine qui n'avait pas tourné depuis dix ans (1).
Dès lors, une nouvelle autorisation devenait nécessaire
pour la rétablir.
M. Daviei, n° 192, regarde cette disposition comme
contraire au droit commun. Il pense qu'un moulin

(1) FRËMÏNVILLE, Pratique des Terriers, tom. III, n° 61. —Arrêt


du conseil du 12 juin 1781.
RECONSTRUCTIONS. 181
constitue au moins un droit de servitude sur le cours
d'eau et qu'il est de principe que les usines d'un édi-
fice conservent, tant qu'elLes subsistent, le droit qui
était attaché à la possession de cet édifice. Le même
auteur cite, dans ce sens, un arrêt du parlement de
Besançon, du 13 août 1710.
Dans son acception générale, et comme applicable
à des cours d'eau, non dépendants du domaine public,
cette opinion est très-juste; mais sur les rivières navi-
gables, qui sont seules à envisager ici, le point essen-
tiel n'est pas de savoir si une usine a été en activité ou
en chômage pendant un certain nombre d'années,
mais s'il y a lieu, par suite de la cessation plus ou
moins longue de son travail, de changements dans les
ouvrages hydrauliques, pouvant avoir, soit par leur
destruction, soir par leur reconstruction, une influence
quelconque sur la navigabilité. Si, par exemple, il
s'agissait d'un barrage dépendant d'une usine, et qui
eût été démoli ou détruit, depuis plusieurs années, il
serait indispensable de se pourvoir d'une nouvelle au-
torisation. Il en serait de même pour tout autre objet
pouvant modifier le régime des eaux et les habitudes
de la navigation.
Construction non conforme au titre. — Il est évident
que toute usine construite sur une rivière navigable,
de manière à enfreindre ou à transgresser les condi-
tions de l'acte de permission, est passible de démoli-
tion, en ce qui concerne les ouvrages non autorisés;
car cela résulte nécessairement de la nature du do-
maine public, et de celle des permissions, d'après les-
182 RÉPARATIONS.
.
quelles, on y admet la participation des intérêts privés.
Ce Cas rentre d'ailleurs entièrement dans les prévisions
de la deuxième clause résolutoire prescrite par l'ins-
truction ministérielle du 19 thermidor an VI, et exa-
minée dans le chapitre qui précède; cette clause porte,
en effet : ce Que, faute par le permissionnaire de se
conformer aux dispositions de son autorisation, celle-
ci sera révoquée, et les lieux remis à leur ancien état,
à ses frais. Qu'il en serait de même, dans les cas où,
après avoir exécuté ces dispositions, on viendrait par
la suite à former quelque nouvelle entreprise sur le
cours d'eau et à changer l'état des lieux, sans y avoir
été légalement autorisé. »'
Il est clair, d'après cela, que toute modification,
même légère, au système.hydraulique d'une usine, tel
qu'il est déterminé dans l'ordonnance d'autorisation,
doit empêcher les ingénieurs d'en délivrer la récep-
tion; et peut, suivant les cas, entraîner la destruction
des ouvrages en contravention, ou même la révocation
de la permission.
Ce n'est plus ici le cas des cours d'eau non naviga-
bles, pour lesquels les règlements administratifs, en
matière d'usines, n'étendent leur action que dans une
sphère limitée ; sur les rivières du domaine public,
toutes les conditions que l'administration juge conve-
nable de prescrire, sont également obligatoires; et elle
est dans son droit en en réclamant la stricte exécution.
RECONSTRUCTIONS. 183

SECTION III

RÉSUMÉ DU CHAPITRE.

Il résulte des développements donnés dans le cours


de ce chapitre :
1° Que de tout temps il a été nécessaire de se pro-
curer une permission nouvelle pour opérer légalement
le déplacement d'une usine sur une rivière navigable,
de quelque nature que soit cette usine; du moment
qu'il doit résulter de cette opération, un changement
dans l'ancien état des ouvrages en lit de rivière; que
cette entreprise constitue un délit de grande voirie,
punissable conformément à la loi; que la circonstance
d'être en instance devant l'administration pour obtenir
la permission dont il s'agit, ne saurait légaliser le chan-
gement, préalablement exécuté; que le déplacement
d'une usine ordonné par l'administration dans l'intérêt
général de la navigation et des riverains, est une mesure
d'ordre public, qui n'est pas susceptible d'opposition ;
qu'enfin il convient que la simple suppression d'une
usine n'ait jamais lieu, sans que l'autorité administra-
tive puisse prendre au besoin les mesures convenables
pour éviter les inconvénients à craindre, dans certains
cas, par le moindre changement apporté à l'état d'une
rivière navigable.
2° Que la transformation d'une usine pendante, en
usine fixe, est une entreprise toujours répréhensible,
si elle a lieu sans autorisation préalable, et doit être
réprimée comme délit de grande voirie.
184 RECONSTRUCTIONS. — RÉPARATIONS.

3° Qu'il en est de même de toutes innovations ou


modifications diverses, susceptibles d'exercer une in-
fluence quelconque sur la hauteur, la dépense, ou en
général, sur le régime des eaux.
4° Qu'un simple changement dans la nature du tra-
val intérieur de l'usine, ou dans le mode de fabrica-
tion qui s'y exerce, s'il n'occasionne aucune modifica-
tion dans les ouvrages extérieurs ou hydrauliques, ne
rentre pas dans la classe des innovations importantes,
dont parle l'instruction ministérielle du 19 thermidor
an VI; mais que si l'établissement primitif n'avait pas
une existence régulière, toute modification qui le si-
gnalerait à la surveillance de l'autorité pourrait en
amener l'interdiction.
5° Qu'en ce qui concerne les simples réparations aux
artifices de l'usine, ou leur reconstruction sur les an-
ciennes dimensions, une condamnation ne serait vala-
blement motivée que sur l'existence d'anciens règle-
ments locaux interdisant ces réparations, ; autrement
qu'avec l'observation de certaines formalités. -^-Que
dans le cas d'urgence, le droit de faire immédiatement
lesdites réparations n'a jamais été contesté aux proprié-
taires d'usines par l'administration des ponts et chaus-
sées.— Qu'enfin même dans le cas général où ce mo-
tif d'excuse n'existe pas, un arrêt récent du Conseil
d'état reconnaît aux particuliers la faculté de faire
exécuter, sans autorisation préalable, mais à leurs ris-
ques et périls, les travaux extérieurs qu'ils croient né-
cessaires à leurs usines.
CHAPITRE IV

RECONSTRUCTIONS. — CHANGEMENTS ET ADDITIONS.

Observation 'préliminaire.
L'ordonnance de 1669 et l'arrêté du gouvernement,
du 19 thermidor an VI, défendent d'établir, sans l'au-
torisation préalable du gouvernement, aucune usine
et ouvrage quelconque, dans le lit des rivières naviga-
bles ; mais ils ne parlent pas des changements qui peu-
vent être apportés à l'état des usines anciennement
existantes.
Néanmoins, l'instruction ministérielle, du 19 ther-
midor en VI, qui sert de développement à cet arrêté,
se termine par le passage suivant:
ce
Les-mêmes règles que celles ci-dessus prescrites
pour les nouveaux établissements auront' lieu,, toutes
les fois que l'on voudra changer de place les anciens,
ou y faire quelque innovation importante. »
11 y a à faire
sur cet objet quelques distinctions es-
.
sentielles; nous allons les examiner successivement en
indiquant, pour chaque cas, les bases de la jurispru-
dence actuelle du Conseil d'État.
186 RECONSTRUCTIONS.

SECTION I

CHANGEMENT DE PL1CE D'UNE USINE (ENTREPRISE TOUJOURS


CONDAMNABLE).

C'est surtout aux moulins à nef, et autres usines


pendantes, que ces observations s'appliquent, car ils
sont les seuls mobiles. Cependant, ces mêmes observa-
tions peuvent également concerner les usines fixes, s'il
y avait lieu de déplacer les barrages, dérivations, ou
prises d'eau, servant à leur roulement ; ou même de
les changer de place elles-mêmes, à supposer qu'elles
soient établies en lit de rivière.
Or -n'est-Upas évident que Jes mêmes motifs qui
.
ont exigé une permission en forme, pour le premier
établissement d'une usine, rendent cette permission
également nécessaire pour son changement d'empla-
cement? — On pourrait même dire que ce fait consti-
tue uiie entreprise plus répréhënsiblë, que l'établisse-
ment illégal d'une nouvelle usine. Car il y a un double
changement dans l'état des lieux; il peut donc en ré-
sulter un double préjudice pour la navigation, dont
les habitudes sont modifiées, et par la suppression de
l'usine, là où elle était anciennement; et par son éta-
blissement, là où il n'en existait pas jusqu'alors.
Bien souvent, il n'y a pas de milieu entre gêner la
navigation, et l'exposer à des dangers dont les consé-
quences sont ordinairement très-graves, en ce que ces
dangers intéressent, ou la sûreté des personnes, ou la
valeur de marchandises en masses considérables. Dans
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 187
tous les cas, on conçoit de suite, que les conditions et
précautions prescrites, dans l'intérêt public, pour l'é-
tablissement d'une usine, dans un emplacement dé-
terminé, cessent généralement d'être applicables dans
une autre ; de sorte que transporter cette usine, c'est
toujours changer son titre constitutif et le mode de
jouissance des eaux.
Sous l'empire des lois anciennes, c'est-à-dire anté-
rieurement à l'arrêté du 19 ventôse an VI, développé
par l'instruction du 29 thermidor, il était reconnu en
principe, qu'on ne pouvait, sans une nouvelle autori-
sation, transporter d'une place à une autre une usine
légalement établie, sans recourir à une nouvelle auto-
risation. C'est du moins ce qui résulte de l'esprit de la
loi romaine et du texte d'un ordonnance de Louis XIV,
du mois de février 1678 ; car cette ordonnance confère
aux religieuses de Vierzon, qui possédaient un moulin
sur le Cher, la faculté de le transporter d'une place à
une autre (1). '
La jurisprudence moderne est également fixée à cet
égard, ainsi qu'on le voit par l'arrêt suivant :

9novembre 1838 (De de Carle-Mancy).


N° 1.— Moulin à nef, sur la Dordogne, changé d'emplacement.
— Démolition ordonnée. — Rejet du recours.
La dame de Carle-Mancy, demeurant à Castillon,
département de la Gironde, possédait, en 1829, un
moulin à nef situé sur la Dordogne, vis-à-vis ladite
(I)PECQUET, sur Ford, de 1669.
188 RECONSTRUCTIONS.

commune de Castillon ; après s'être pourvue d'une au-


torisation du préfet, elle fit transporter, en 1829, ce
moulin dans un autre emplacement, situé vis-à-vis
l'île de Civrac. — D'après un procès-verbal du garde
de la navigation, il intervint un arrêté du conseil de
préfecture de la Gironde, qui en ordonna la démoli-
tion. Mais les glaces de l'hiver rigoureux de 1830 en
firent justice. — La dame de Mancy, sans attendre la
permission de l'autorité supérieure, permission que
néanmoins elle avait sollicitée, fit alors reconstruire
son moulin à nef, dans le nouvel emplacement où elle
l'avait transporté. Mais il fut l'objet de plusieurs
procès-verbaux, dressés par les agents des ponts et
chaussées et de la navigation ; ce qui donna lieu à un
arrêté du conseil de préfecture de la Gironde, pronon-
çant la démolition de l'usine.
La dame de Mancy ayant attaqué cet arrêté devant
le Conseil d'État, le ministre de l'intérieur consulté,
fit remarquer : 1° que l'arrêté du préfet dont excipail
la requérante était comme non avenu, aux termes
mêmes de l'art. 5 dudit arrêté, puisqu'il n'avait pas
reçu la sanction de l'autorité supérieure ; 2° qu'il est
d'autant plus nécessaire de refuser à un moulin l'au-
torisation de 'se placer vis-à-vis l'île de Civrac, que
l'expérience même a prouvé que ce moulin tendait
toujours sur ce point à occuper le fil du courant prin-
cipal, ce qui présentait de graves obstacles à la navi-
gation.
C'est dans ce sens qu'a prononcé l'arrêt précité,
en maintenant l'arrêté du conseil de préfecture, qui
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 189
prononçait la démolition du moulin à nef de la dame
de Garle-Mancy.
Un corollaire important à déduire de cet arrêt, c'est
que la circonstance qu'on est en instance devant l'ad-
ministration, pour faire sanctionner une entreprise de
ce genre, ne peut fournir un motif d'éluder la condam-
nation, que doit prononcer le conseil de préfecture, du
moment où la contravention est régulièrement con-
statée.
Au contraire, lorsque, par suite de changements sur-
venus dans le cours de l'eau, il devient nécessaire de
modifier, soit les points d'attache, soit l'emplacement
d'un moulin à nef, dans l'intérêt combiné de la navi-
gation, des propriétairesriverains et du propriétaire du
moulin ; ce dernier n'est pas fondé à se prévaloir des
concessions faites, à lui ou à ses auteurs, par des lettres
patentes désignant cet emplacement, pour s'opposer à
l'exécution d'une décision administrative, qui ordon-
nerait le transport de Ce moulin à nef sur un autre
point.
C'est ce qu'établissait déjà un arrêt du 4 mars 1809.
— Mais quand bien même on n'aurait pas d'espèces à
citer sur ce fait, il ne pourrait jamais fournir matière
à aucun doute; car il est une conséquence de ce que
tout établissement particulier sur une rivière navi-
gable est nécessairement subordonné au bien de la
navigation.
190 RECONSTRUCTIONS.
,

22 janvier 1824 (S' Clérisseau).


N° 2. — Changement d'usine pendante, en usine fixe. — Réta-
blissement des lieux, dans leur état primitif.

Le sieur Clérisseau avait obtenu, dans l'an IV, une


autorisation du ministre de l'intérieur pour construire
un moulin dans le département de Seine-et-Oise, sur
la rivière d'Essonne. Ce moulin ne devait être mû que
par une roue suspendue au fil de l'eau, sans chute,
vannage, ni barrage ; en un mot, il devait n'avoir
qu'une roue pendante, ne pouvant pas produire de re-
mous sensible. Nonobstant cette réserve, le sieur Clé-
risseau établit pour son moulin, deux roues hydrauli-
ques avec un barrage en bois, ce qui donna lieu à des
plaintes de plusieurs riverains, et notamment de la
part de l'administration de la poudrerie d'Essonne. —
Le 5 frimaire an IX (26 novembre 1800), ce particu-
lier obtint du ministre de la guerre, un consentement
au maintien du barrage, restreint dans certaines li-
mites convenues, mais le sieur Oberkampf, propriétaire
d'une usine supérieure, n'étant pas'disposé à la même
tolérance, protesta contre l'extension du titre du sieur
Clérisseau. — En conséquence, l'autorisation, donnée
par le ministre de la guerre, fut annulée par ordon-
nance royale du S septembre 1815.
De plus, le permissionnaire s'étant pourvu contre la
décision du ministre de l'intérieur, qui le Ier avril de
la même année, avait ordonné au sieur Clérisseau de
se renfermer dans les termes de son titre primitif, et
par conséquent de détruire le barrage, Construit illé-
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 191
gaiement; l'arrêt précité du Conseil d'État a rejeté son
recours; et décidé ce que le ministre de l'intérieur, en
ordonnant la destruction du barrage et le rétablisse-
ment du moulin conformément à la décision du 8 prai-
rial an IV, avait fait une juste application de l'ordon-
nance de 1669 et de toutes les lois sur la matière. »

SECTION II

MODIFICATIONS DIVERSES SUSCEPTIBLES D'iNFLUER SUR I,E RÉGIME DES


EAUX.

17 août 1825 (S* Pinel).


N° 1. — Addition de vanne motrice. — Augmentation de dé-
pense, de l'eau. — Condamnation.

Les usines que possède le sieur Pinel, dans la com-


mune de Fleury, département de l'Eure, sont alimen-
tées par une dérivation de la rivière d'Andelle, qui est
du domaine public. Ce particulier ayant fait établir
un troisième tournant, sans autorisation préalable, le
sieur de Courcy, propriétaire d'une usine inférieure,
porta plainte contre cette entreprise, et, d'après un
procès-verbal du conducteur des ponts et chaussées
de l'arrondissement de Louviers, le conseil de pré-
fecture, par arrêté du 10 mai 1823, ordonna la des-
truction des travauxfaits en contravention et condamna
le sieur Pinel à une amende de 100 francs.
Celui-ci attaqua cette décision devant le Conseil d'É-
tat et fit valoir entre autres motifs les moyens sui-
vants :
192 RECONSTRUCTIONS.

ce
La propriété est le droit de jouir et de disposer
des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on
n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et règle-
ments. En fait, le canal sur lequel a été établi le troi-
sième tournant est un canal créé spécialement pour le
service des usines. Ce n'est donc qu'à l'aide d'une in-
terprétation abusivement donnée à la législation qui
régit la police des eaux, que le conseil de préfecture de
l'Eure, s'est permis d'assimiler aux canaux navigables
et flottables un canal qui rentre essentiellement dans
la classe des propriétés privées. »
Le directeur général des ponts et chaussées a défendu
l'arrêté attaqué, sous le rapport de la compétence;
par le motif que tous les canaux dérivés des rivières
navigables dépendent, comme les rivières elles-mêmes,
du domaine de la grande voirie, qui est essentiellement
dans les attributions des conseils de préfecture. 11 pen-
sait, en outre, que le moulin de Fleury n'ayant ancien-
nement que deux vannes motrices, le propriétaire de
ce moulin ne pouvait ainsi se mettre en possession,
sans autorisation du gouvernement, de tout le volume
d'eau passant dans le bras de rivière sur lequel il se
trouvait:
Le Conseil d'État,: a prononcé, dans ce sens, par l'ar-
rêt suivant :
Sur la compétence, — Considérant que la rivière
d'Andelle est navigable ; que le canal des moulins du
sieur Pinel est dérivé de cette rivière, et que ledit sieur
Pinel augmente la dépense des eaux en établissant un
troisième tournant sans autorisation; qu'ainsi le conseil
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 193
de préfecture était compétent pour connaître de celte
contravention ;
Au fond, considérant que, par son entreprise, le sieur
Pinel a encouru les peines prononcées par le conseil de
préfecture ;
ART. 1".
— ce
L'arrêté du conseil de préfecture du
département de l'Eure, du 10 mars 1823, est con-
firmé. Et néanmoins, ayant égard aux pertes éprou-
vées par suite de l'incendie de la filature dû sieur
Pinel, il lui est fait remise de l'amende prononcée
contre lui. »
Cet arrêt a omis d'annuler, pour excès de pouvoir,
l'arrêté du conseil de préfecture du département de
l'Eure, qui avait cru pouvoir par lui-même modérer
à 100 fr., l'amende de 1,000 fr. prononcée par l'arrêt
du 24 juin 1777, seul applicable dans l'espèce.

9 août 1836 {Min du château Narbomiais).


N° 2. — Prise d'eau nouvelle. — Extension illégale donnée à
d'anciens titres. — Condamnation basée sur les lois en vi-
gueur.
Des titres émanés des anciens comtes de Toulouse
assignent une origine très-ancienne à un moulin situé
sur la Garonne, dans l'intérieur de cette ville, et connu
sous le nom de moulin du château Narbonnais. Sa
construction première ayant exigé l'ouverture d'un ca-
nal de dérivation et l'établissement d'un barrage, mo-
difia d'une manière nuisible le cours de la rivière;
puisque, par suite de la construction de ce barrage,
les bateaux cessèrent de pouvoir pénétrer dans la ville.
13
194 RECONSTRUCTIONS.
L'ancien barrage ayant été détruit, on le reconstruisit
sur un autre point, en ouvrant un nouveau canal de
dérivation. Cet état de choses ne put avoir lieu, sans
que les riverains se plaignissent, à diverses reprises,
des travaux faits successivement à leur préjudice, dans
l'intérêt exclusif de cette usine. Différentes mesures
furent proposées à ce sujet, mais l'administration remit
à statuer, jusqu'à ce qu'elle eût été suffisamment
éclairée sur toute l'affaire. — En admettant même, ce
qui n'avait pas lieu, que des titres très-anciens légiti-
massent l'existence de ce moulin, l'administration
était dans son droit, en exigeant que les conditions de
cette existence fussent bien déterminées; et notamment
que l'on reconnût si la hauteur à laquelle les eaux se
trouvaient retenues, était convenablement réglée, car,
dans le cas de la négative, il était indispensable d'y
pourvoir, conformément aux lois des 20 août 1790 et
6 octobre 1791.
Mais les actionnaires du moulin tinrent peu de
compte des mesures ordonnéesà ce sujet,- puisque, sans
en attendre le résultat, ils se permirent, dans les an-
nées 1833 et 1834, de nouvelles entreprises, dans le
but d'accroître l'importance et la valeur de cet établis-
sement ; et que, notamment, ils firent ouvrir dans la
rivière une nouvelle prise d'eau, au moyen de laquelle
dix nouvelles meules devaient être mises en activité,
en sus de celles dont se composait déjà le moulin sus-
dit. — C'est alors que le conseil de préfecture du dé-
partement de la Haute-Garonne, par un arrêté du
19 mars 1834, condamna les propriétaires du moulin
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 193
du château Narbonnais, à fermer la nouvelle prise
d'eau et à supprimeras dix nouvelles meules, par eux
établies, sans le concours de l'autorité administrative.
Les actionnaires, pour échapper aux conséquences de
cette décision, formèrent alors une demande, à l'effet
d'obtenir l'autorisation de conserver la prise d'eau et
les dix meules ; tout en protestant du droit qu'ils pré-
tendaient avoir de disposer librement du canal, du mou-
lin, et même des eaux qui l'alimentent.
Les enquêtes auxquelles on dut procéder à ce sujet
furent le signal de beaucoup de plaintes et de réclama-
tions, fondées sur des considérations d'intérêt public
ou privé. Ainsi l'on se plaignit que les eaux, détournées
de leur cours et portées à une hauteur extraordinaire,
menaçaient les propriétés et la sûreté des communica-
tions, pour satisfaire aux besoins toujours croissants
d'un moulin, qui n'était pas légalement constitué.
Et par ces motifs, on faisait sentir que le gouverne-
ment ne pouvait accueillir k demande dont il s'agis-
sait, sans occasionner un dommage notable aux pro-
priétés riveraines, et sans consacrer en même temps
une longue suite d'envahissements et d'usurpations.
L'intérêt de la navigation se trouvait surtout com-
promis, par les innovations dont il s'agit.
Tant dans leur demande en autorisation, que dans
les moyens de défense, devant le conseil de préfecture,
les actionnaires se sont prévalus de l'ancienne conces-
sion à eux faite, par le comte de Toulouse, en 1192, et
d'après laquelle ils avaient le droit d'établir sur la Ga-
ronne tel nombre de moulins qu'ils jugeraient néees-
196 RECONSTRUCTIONS.
saire, sans avoir besoin d'aucune nouvelle permission.
Suivant leur manière de voir, cette concession aurait
même eu pour effet de les rendre propriétaires des
eaux du fleuve, et maîtres absolus d'en disposer Comme
aurait pu faire leur auteur.
De toutes les prétentions élevées dans cette circon-
stance, celle-là était, sans contredit, la moins admissi-
ble. Aussi le ministre de l'intérieur s'est-il prononcé
contre la demande; il a rappelé le principe, que tout
établissement formé sur une rivière navigable n'existe
et ne peut exister, qu'à titre de tolérance ou de pure
faculté, de la part du gouvernement; et ne constitue
qu'un droit, toujours révocable à volonté, d'après la
règle de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilitédu do-
maine public (1).
C'est d'après ces motifs que la requête des réclamants
a. été rejetée dans les termes suivants :
Vu l'ordonnance de 1669, l'arrêt du conseil du 24
juin 1777, celui du 17 juillet 1782, les lois des 20 août
1790 et 6 octobre 1791, l'arrêté du 19 ventôse an VI
et la loi du 29 floréal an X ;
Considérant qu'aux termes de l'art.42, titre XXV de
l'ordonnance de 1669, de l'art. 1er de l'arrêt du conseil
du 24 juin 1777'etde l'art. 1er, titre III, de celui du 17
juillet 1782, nul, soit propriétaire, soit engagiste, ne
peut faire moulins, batardeaux, écluses, gôrds, pertuis
ni autres édifices, ou empêchements nuisibles au cours
des rivières navigables ;
(1) Voyez Annales des ponts et chaussées, 1837, 6e cahier,
p. 481.
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 197
Que cette prohibition est générale et d'ordre -pu-
blic, et n'admet aucune exception résultant des litres
privés;
Que le canal sur lequel est situé le moulin du châ-
teau ISarbonnais, est une dérivation de la Garonne, en un
point-où cette rivière est navigable ; que dès lors les tra-
vaux à effectuer dans le lit de ce canal étaient soumis à
la même nécessité d'autorisation que ceux à exécuter
dans la rivière même; que c'est sans demande ni autori-
sation, que les propriétaires audit moulin ont ouvert une
nouvelle prise d'eau, et augmenté de dix le nombre de
leurs meules, et que ces nouvelles oeuvres constituaient
une contravention que le conseil de préfecture a complè-
tement et justement réprimée ;
ABT. 1er. La requête des actionnaires du moulin
du château Narbonnais est rejetée.
Il est très-possible que les actionnaires de cette
usine, soient en possession d'un titre octroyé dès le
XIIe siècle à leurs auteurs, par le comte de Toulouse,
qui, agissant alors à titre de souverain, dans toute l'é-
tendue de son fief, leur aurait effectivement concédé,
ou aliéné à perpétuité, l'usage de tout ou partie des
eaux du fleuve qui traverse la ville. Mais de tels actes
étant incompatibles avec les principes actuels du droit
public, ne peuvent plus être invoqués et tombent au-
jourd'hui devant leur propre illégalité. — Un tel acte
serait dans tous les cas susceptible d'être annulé, soit
par les lois abolitives de la féodalité, soit comme in-
constitutionnel. Ainsi l'autorité administrative ne pou-
vait se dispenser de poursuivre la répression des en-
198 RECONSTRUCTIONS.

treprises illégales, qui tendaient à se perpétuer à la


faveur de ce titre, au sujet de l'usine dont on vient de
parler.

SECTION I

CHANGEMENT D'INDUSTRIE.

Observations générales.— II s'est présenté la ques-


tion de savoir, si le simple changement dans la nature
de l'exploitation d'une usine, sans toucher aux ouvra-
ges hydrauliques, rentrait dans la classe des innova-
tions importantes, prévues dans le dernier paragraphe
de l'instruction ministérielle du i 9 thermidor an VI,
et devait être soumis aux mêmes formalités qu'un éta-
blissement nouveau. M. Tarbé de Vauxclairs s'est pro-
noncé pour l'affirmative. S'il ne s'agissait, dit-il, que
de changements dans la dimension de la cage du
bâtiment, ou du mécanisme de l'usine, l'administra-
tion n'a rien à dire, sauf l'application ordinaire des lois
de police et de voirie. « Mais s'il est question de déna-
turer l'exploitation, par exemple de convertir un mou-
lin à blé en filature hydraulique, sans cependant ap-
porter le moindre changement à la dépense des eaux,
il semblerait aussi que l'administration ne doit pas in-
tervenir, et cela est vrai, sous le rapport de l'art. — Ce-
pendant Tordre public exige que des opérations qui
peuvent spontanément rompre toutes les habitudes
d'une commune, et peut-être même y apporter le
trouble, et qui changent d'ailleurs le titre constitutif
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 199
de la jouissance concédée ou tolérée, soient soumises à
l'approbation du gouvernement ; l'instruction minis-
térielle du 19 thermidor an VI l'a jugé ainsi (1). »
Cette opinion a été combattue, notamment par
M. Garnier, qui pense que l'instruction précitée ne
porte rien de semblable, et que ce n'est, dit-il, que par
pétition de principe qu'on peut y trouver l'interdiction
de tous changements de destination, lorsqu'elle se
borne à défendre ce les innovations importantes » ; ce qui
doit s'expliquer par les termes de l'arrêté du 19 ven-
tôse précédent. L'opinion qu'il combat conduirait,
suivant ce jurisconsulte, au rétablissement des maî-
trises et au renversement de la liberté accordée au
commerce, par l'art. 7 de la loi du 2 mars 1791, d'a-
près laquelle l'exercice d'une industrie quelconque se-
rait libre, dans tout autre bâtiment qu'une usine, mise
en jeu par le secours de l'eau.
Il est plusieurs cas dans lesquels le changement spon-
tané d'industrie est interdit, soit par la loi, soit par
des règlements spéciaux. Tel est le cas de tous les éta-
blissements métallurgiques consommant des combus-
tibles, et compris dans la loi du 21 avril 1810 ; mais à
part ce cas d'exception, et du moment qu'il est cons-
tant qu'on ne doit apporter [aucun changement ni à la
hauteur, ni à la dépense des eaux, ni, en un mot, au
système hydraulique ou extérieur de l'usine, un
simple changement dans le mode de fabrication, ou
dans le travail intérieur de l'usine, ne rentre pas dans

(I)FAVARD DEL'ANGLADE.

Répertoire, v° Moulins et Usines.
200 RECONSTRUCTIONS.
les innovations importantes qu'a eues en vue l'instruc-
tion ministérielle. Car d'après le but de l'arrêté du 19
ventôse, auquel cette instruction sert de développe-
ment, l'importance de ces changements ne peut être ap-
préciée que par leur influence sur le régime des eaux;
et dès lors, si l'on est forcé de reconnaître tout d'abord,
que cette influence sera nulle, non-seulement tous les
changements intérieurs qu'on pourra opérer ne se-
ront pas importants, sous ce rapport, mais ils n'auront
même pas le caractère d'innovation.
Ainsi donc, tout changement d'industrie, qui s'opé-
rerait dans une usine, sans rentrer dans aucune des
dispositions spéciales donf il vient d'être parlé, et sans
occasionner le moindre changement au régime des
eaux, ou au mécanisme extérieur de cette usine, ne
pourrait motiver la nécessité de recommencer pour
elle l'accomplissement des longues formalités résul-
tant de l'arrêté et de la circulaire précités.
Mais, d'une part, il est assez rare qu'on puisse dénatu-
rer totalement le travail d'une fabrique,et lui assigner
une autre destination, sans toucher aux artifices exté-
rieurs de cette usine. D'un autre côté, comme il est de
fait que, même sur nos principales rivières navigables,
les usines dont l'existence légale n'est pas bien consta-
tée sont encore en majorité, il arrive très-fréquemment
que les modifications les plus inoffensives, exécutées par
les propriétaires ou leurs fermiers, donnent naissance
à des réclamations, que l'administration doit exami-
ner, et à l'occasion desquelles, l'absence ou l'irrégula-
rité des titres se trouvent souvent mises en évidence.
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 20
Ainsi, l'on ment de voir que le sieur Clérisseau, qui
avait construit indûment un barrage sur la rivière
d'Essonne, pouvait se croire à l'abri de poursuites sur
cette innovation, par suite de l'adhésion qu'il avait ob-
tenue du ministre delà guerre, pour là conservation
dudit barrage. — Les propriétaires de l'usine du châ-
teau Narbonnais de Toulouse croyaient aussi pouvoir
faire impunément, sur les eaux de la Garonne, telles
entreprises que bon-leur semblait, en se prévalant du
texte d'un ancien titre féodal, dont l'extension illimi-
tée et abusive ne pouvait, dans aucun cas, être ratifiée
par le gouvernement. — Les deux espèces suivantes
confirment encore cette manière de voir.

31 décembre 1828 (Sr. Campau).


N° 1. — Transformation d'un moulin à huile en moulin à blé.
— Condamnation basée sur le vice du titre
primitif.
Le sieur Campau, qui possédait un moulin à huile
sur la rivière de l'Ourcq, près la Ferté-Milon, l'a con-
verti, en 1828, en un moulin à blé, sans s'être procuré
au préalable aucune permission de l'autorité adminis-
trative. Le préfet du département de l'Aisne ayant, par
un arrêté, défendu au sieur Campau de mettre ce
moulin en activité et ordonné provisoirement sa mise
en chômage, ce particulier a assigné la ville de Paris
devant le tribunal de Château-Thierry, à l'effet d'ob-
tenir une indemnité, pour le chômage de cette usine.
Plus tard, il se pourvut devant l'administration, dans
le but d'obtenir la maintenue de son moulin.
La ville de Paris s'est alors pourvue au Conseil d'E-.
202 RECONSTRUCTIONS. •

tat, et a demandé la révocation d'un arrêté de l'admi-


nistration centrale du département de l'Aisne, du 9
mars 1798, qui est le titre en vertu duquel le sieur
Campau possédait son usine, avant de lui donner une
autre destination. La ville de Paris a fait observer que
cet arrêté était entaché de nullité, attendu que les ad-
ministrations centrales ne pouvaient autoriser la cons-
truction d'usines, qu'avec l'approbation du gouverne-
ment; que ce principe avait toujours été méconnu, bien
qu'il résultât des dispositions de la loi du 21 sept.
1792, ainsi que de l'arrêté réglementaire du 9 mars
1792. Cette doctrine ayant été admise, le Conseil d'État,
sur le rapport de M. de Cormenin, déclara par l'arrêt
précité, la nullité de la permission accordée au sieur
Campau.
Il est donc certain que le changement d'industrie ou
du travail intérieur d'une usine, quoique ne consti-
tuant point par lui-même une contravention, ne peut
être entrepris sans crainte, de la part des propriétaires
de cette usine, que lorsque les titres en vertu desquels
elle existe, sont parfaitement en règle; car il ne faut
pas perdre de vue que l'administration a toujours le
droit de se faire représenter les actes de permission des
usines, et doit en user particulièrement dans cette cir-
constance ; en vertu du dernier paragraphe de l'ins-
truction ministérielle du 19 thermidor an VI, qui
porte :
' « On observera de plus, à l'égard des établissements
qui auront subi des modifications, leurs titres de jouis-
sance; pour connaître si ces titres se trouvent avoir été
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 203
confirmés, d'après la dis cussion qui doit en être faite,
en exécution des dispositions de l'arrêté du 10 ventôse. »

2 janvier 1838 (S1. Malthon).


N° 2. — Moulin sur l'Escaut. — Reconstruction d'une roue hy-
draulique. — Condamnation basée sur un ancien règlement
local.

Le sieur Malthon, meunier à Valenciennes, possède


dans cette commune, sur un bras de l'Escaut, un mou-
lin, qui fut en partie incendié au commencement de
1833; nonobstant les avertissements qu'il reçut de
l'administration locale et sans attendre l'autorisation,
qu'à la vérité il avait sollicitée, il fit reconstruire im-
médiatement les ouvrages hydrauliques de ce moulin
et rétablit la roue motrice, sur ses anciennes dimen-
sions.
Cette contravention ayant été constatée par un pro-
cès-verbal du 5 août 1833, deux arrêtés du conseil de
préfecture du département du Nord, en date des 6 dé-
cembre 1833 et 27 juin 1834, rendus l'un par défaut,
l'autre contradictoirement, condamnèrent le sieur Mal-
thon à 300 francs d'amende et à rétablir sa vanne
mouleresse, conformément aux dimensions prescrites
par une ancienne ordonnance de l'intendant du Hai-
naut, du mois de décembre 1 785 qui porte :
ART. 8. ce II est défendu aux propriétaires, fermiers
de moulins, de donner, lors de la reconstruction des
vantelleries et roues, actuellement existantes, plus de
18 pouces de largeur aux vannes mouleresses entre les
poteaux montants, et moins de 18 pieds de diamètre
204 RECONSTRUCTIONS.

aux roues, de dehors en dedans ; et ce, afin de con-


sommer le moins d'eau possible, pour le travail de leurs
moulins. »
ART. 9. ce II est défendu, en outre, sous peine de
ce
300 livres d'amende, aux propriétaires de moulins,
ce
de les reconstruire, en tout ou en partie, et surtout
ce
de travailler à leurs radiers et seuils, sans en avoir
ce
obtenu la permission. »
Cet ancien règlement de grande voirie, dont les dis-
positions sont très-précises, étant maintenu en vigueur
par les lois du 22 juillet 1791, et 21 septembre 1792,
c'est avec raison que le conseil de préfecture en fit
l'application dans le cas actuel.
Le sieur Malthon s'est pourvu au Conseil d'État con-
tre cet arrêté, pour cause d'incompétence, d'excès de
pouvoir et d'erreur matérielle ; parce que, disait-il, on
l'accusait d'avoir reconstruit sa roue, tandis qu'il n'a-
vait fait que replacer l'ancienne. Mais le ministre de
l'intérieur fit remarquer qu'il était reconnu et constaté,
sans contradiction, de la part même du délinquant,
que bien que la roue en question eût été reconstruite
d'après ses anciennes dimensions, le travail avait été fait
sans l'intervention de l'administration. Que, dès lors,
il y avait infraction formelle aux règlements sur la
matière.
C'est sur cette affaire qu'est intervenu l'arrêt pré-
cité ainsi conçu :
Vu la loi du 28 pluviôse an VIII, l'ordonnance des
eaux et forêts, du mois d'août 1669, l'arrêté du direc-
toire exécutif du 19 ventôse an VI et la loi du 29 floréal
CHANGEMENTS ET ADDITIONS. 205

an X ; la loi du 22 décembre 1789 relative aux fonctions


des assemblées administratives des départements :
ce
Considérant qu'il résulte de l'instruction, que le
sieur Noël Malthon a reconstruit la roue de son mou-
lin, sur ses anciennes dimensions, sans en avoir obtenu
préalablement la permission de l'autorité administra-
tive ; et que, dès lors, c'est avec raison que le conseil de
préfecture l'a condamné à une amande de 300 francs,
que ledit sieur Noël Malthon avait encourue, aux termes
de l'art. 9 de l'ordonnance de l'intendant de Eainaut,
en date du 24 décembre 1795. »
(Requête rejetée.)
L'Escaut n'est pas la seule rivière navigable de
France, pour laquelle il existe de semblables règle-
ments. Des dispositions analogues concernent la Ga-
ronne, la Seine, la Marne, etc. Toutes sont rendues
dans des vues conservatrices, pour le bien de la navi-
gation. Elles démontrent que de tout temps, il a été
reconnu : que rien ne pouvait être laissé à l'arbitraire
des usiniers, sur un cours d'eau du domaine public,
où la moindre modification dans les dispositions an-
ciennes peut amener de notables différences, soit dans
la hauteur,4soit dans la dépense des eaux; et causer,
dès lors, un grave préjudice à la navigation.
C'est ce que l'on verra plus loin par les nombreuses
espèces citées dans le livre VI, traitant des délits et
contraventions.
LIVRE IV
PARTS CONTRIBUTIVES DE L'ETAT ET DES USI-
NIERS DANS LES DÉPENSES DE CURAGE OU D'EN-
TRETIEN DES DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

CHAPITRE I

DÉPENSES CONCERNANT, A LA FOIS, LA NAVIGATION ET LES


USINES.

SECTION I
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS.

Loi du 30 floréal an X.

ce
ART. 1". — Il sera perçu dans toute l'étendue de
ce
la république, sur les fleuves et rivières navigables,
ce un
droit de navigation intérieure, dont les produits
ce
seront spécialement et limitativement affectés à l'en-
te trelien
des à celui des pertuis, écluses, barrages
,
ce
et autres ouvrages d'art, établis pour l'avantage de
ce
la navigation. »

Loi du 16 septembre 1807.

ce
ART. 33. Lorsqu'il s'agira de construire des

digues à la mer, ou contre les fleuves, rivières, tor-
208 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART,

ce
rents, navigables ou non navigables, la nécessité en
te sera
constatée, par le gouvermement, et la dépense
ce
supportée par les propriétés protégées, dans la pro-
te
portion de leur intérêt aux travaux, sauf les cas où
ce
le gouvernement croirait utile et juste d'accorder
ce
des secours sur les fonds publics.
ec
ART. 34. — Lorsqu'il y aura lieu de pourvoir aux
ce
dépenses d'entretien ou réparation des mêmes tra-
ce vaux, curage de canaux, qui sont en même temps
ce-de navigation et de dessèchement, il sera fait des
ce
règlements d'administration publique, qui fixeront
ec
la part contributive du gouvernement et des pro-
ce
priétaires.
ce
II en sera de même lorsqu'il s'agira de levées,
ce
barrages, pertuis, écluses, auxquels les propriétaires
ce
de moulins ou usines seraieut intéressés.
Aucune loi n'établit explicitement que le curage des
rivières navigables doit être à la charge de l'État;
mais c'est une conséquence nécessaire de ce que ces
rivières sont dans le domaine public ; car il en résulte
que l'État seul peut en avoir la gestion, c'est-à-dire en
percevoir les produits et en supporter les charges.
Aussi voit-on que la loi précitée, du 30 floréal an X,
a affecté spécialement les produits du droit de naviga-
tion, perçu par le gouvernement, à l'entretien des ou-
vrages établis, pour l'avantage de la navigation, sur
les mêmes rivières. Or, le curage compte nécessaire-
ment, parmi les divers travaux d'entretien ou de répa-
ration, qui ont pour objet la facilité ou la sûreté de la
navigation.
PARTS CONTRIBUTIVES. 209
En principe, ce curage ainsi que les dépenses relati-
ves aux ouvrages d'art, mentionnés daus l'art. 1er de la
loi du 30 floréal an X, sont donc à la charge de l'État.
Mais il y a d'importantes distinctions à faire sur ce point,
et ces distinctions sont indiquées dans les articles 33
et 34 de la loi du 16 septembre 1807. En effet, cette
loi établit d'abord, avec raison, qu'il est des ouvrages,
tels que les digues le long des fleuves et torrents, qui
profitant principalement à une certaine classe de par-
ticuliers, dont les propriétés sont, par leurs secours,
préservées des inondations, doivent être à la charge de
ces particuliers, sauf les subventions à accorder dans
certains cas par l'État. — Celte base, adoptée dans
presque tous les pays, et notamment en Italie, où les
digues ont une grande importance, est appliquée par
l'art. 34 de la ioi sus-relatée, aux dépenses de toute
uature, occasionnées par les barrages, pertuis, éclu-
ses, etc., servant à la fois à la navigation et aux usines ;
et cette application n'a rien que de très-équitable,
puisqu'elle dérive de ce principe si simple : que celui
qui a les profits d'une chose doit aussi en supporter
les inconvénients, ce Qui sentit commoda, débet etiam
sentire incommoda. »
En ce qui concerne le curage, sa nécessité résulte
généralement : 1° de ce que les eaux charrient des ma-
tières limoneuses ; 2° de ce qu'il y existe des barrages.
— Or, dans le premier cas, le curage, ne pouvant être
attribué qu'à des causes naturelles, retombe de droit
à la charge de l'État seul, qui, en principe, doit pour-
voir à tons les travaux d'entretien des rivières naviga-
14
210 CURAGES; DIGUES :EÎ'OUVRAGES D'ART.
blés. Dans le second cas ; l'enlèvement des bancs
dessable,' des <arâas de terres durgraviers, etc.,' doit
1

être effectué aûx-frais dé ceux qui profitent dès bar-


rages, digues, déversoirs ou autres Ouvragés d'art, qui
ont donné naissante aux;dépôts; e'est-àmife aux frais
de l'État; si les Ouvrages: d'art né servent qu'à là na-
vigation ; aux frais des 'propriétaires d'ùsinèsy s'ils ne
servent qu'à ces dernières ;r et enfin à frais communs,
dans des proportions convenables, !si ces* mêmes ou-
vrages profitent à lâfois à lanavigatioriset-aux usines.

... JUBrSPRUDENCEj DU CONSEIL D'ÉTAT.


..,,,,
Le principe qui"vient' d'être- établi, en ce qui con-
cerne ;les ôuWàges d'arfjsérvânfa la fois a la naviga-
tion etîrau roulement des usines^Tëncohtrè de fré-
quentés applicationsf il sei trouvé niis'dàns tout son
.jôùr^pâr lès'arrêts rapportés cUàpTès/'it;'lT';" ''<'• tn~- '-'*

N,°;l- — Digue.ou.barragedefSaint-Vitte surJe^o!..—Réparti-


tion des dépensés dans la proportion des intérêts. respectifs
de la navigation et des usines. " .: ,;'-- '>-''•'--
1

La digue de Saiht-Vjtte, construite,en pour 16,69


rendre navigable la rivière du,JLot, sert en, même
temps au roulement des,moulins établis sur rcette ri-
vière. D'après un arrêt du conseil en date du mois de
septembre 1711, les propriétaires des mouijns^siiues
sur toutes les rivières navigables de la généralité de
PARTS CONTRIBUTIVES. 211
Bordeaux, sont tenus de faire les réparations nécessaires
aux; digues et chaussées desdits moulins, sous peine
d'en voir saisir les revenus pour être employés aux
susdites réparations.
Des difficultés s'étant élevées relativement aux ré-
parations du barrage de Saint-Vitte, entre les proprié-
taires des moulins, et l'intendant, ce dernier rendit,
en avril 1741;; une ordonnance portant : que les dé-
penses faites d'urgence pour ces réparations, seraient
remboursées par les possesseurs de deux moulins: si-
tués aux deux extrémités de la digue, et profitant de
la retenue des eaux. Un arrêt du conseil, du 16 mai sui-
vant, approuve cette ordonnance ; et, sur l'opposition
des propriétaires, un autre arrêt, dn24 décembre 1754,
rejette leur réclamation et décide au contraire formel-
lement : ce Que lesdits propriétaires et leurs ayants
ce cause
seront tenus d'entretenir la nouvelledigue,r de
ce
tous ouvrages de-menues réparations dont elle aura
ce
besoin; S. M. seréservant de pourvoir aux autres ou-
ce vrages et
réparations, causés par le cas de force ma-
ee
jeure. »
Cette digue ou barrage, s'étant détériorée et ayant
même été entièrement détruite, lors de la révolution,
le préfet du departement.de Lot-et-Garonne, fut dans
le cas d'inviter plusieurs fois, et notamment en 1810,
le sieur Delard, acquéreur de.l'un des moulins, à en
effectuer la reconstruction. Sur son refus, le préfet
finit par faire exécuter les travaux, qu'il déclara, par ar-
rêté, être à la charge du sieur Delard, et il mit en outre
le moulin en chômage.
212 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
Ce particulier se pourvut au Conseil d'État en 1817
et soutint : —
ce
Qu'en vertu des anciens arrêts, l'État
te
restait chargé des grosses réparations, tandis que lui
ce
propriétaire n'était passible que des menues répara-
ce
tions, attendu qu'elles étaient l'équivalent de l'ac-
te
croissement des produits delà pêche, qui apparte-
ec
naitaux anciens seigneurs, et dont le droit avait été
ce
enlevé à ses auteurs, par les lois abolitives de la
te
féodalité; que d'ailleurs les travaux que l'adminis-
cc
tion prétend mettre à sa charge n'intéressaient que
ce
la navigation. »
:
Le directeur général des ponts et chaussées, con-
sulté sur ce pourvoi, répondit sous la date du 27 fé-
vrier 1818 : ce Que la loi du 16 septembre 1807 impose
ce aux
propriétaires défendus ou protégés par des di-
cc gués,
l'obligation de contribuera leur entretien,
te; dans une
proportion égale à l'intérêt qu'ils ont aux
ce-travaux ; que l'art. 34 de celte loi, par une disposi-
ec
tion explicite, étend l'application de ce principe, aux
ec
propriétaires d'usines. » ce Qu'en attendant qu'il eût
ce
été statué sur les moyens de contraindre les pro-
cepriétaires d'usines au remboursement qui doit être
ce
exigé d'eux, il était ouvert provisoirement au préfet,
« sur les fonds delà navigation, un crédit de 2,000 fr.,
et, pour payer les dépenses occasionnées par la recons-

.« truction de la digue ; que le préfet devait d'ailleurs,


« conformément aux dispositions de l'art. 34 de la loi
«précitée, et après avoir rempli les formalités con-
te venables, prendre un arrêté réglementaire, pour

ce
fixer la portion contributive des propriétaires d'u-
PARTS CONTRIBUTIVES. 213
te sines, dans les travaux de la digue de Saint-Vitte. »
L'affaire étant ainsi instruite, l'arrêt suivant fut
rendu, sur le rapport de M. Tarbé de Vauxclairs, maî-
tre des requêtes :
Vu la loi du 16 septembre 1807 :
Considérant que les travaux de réparation et derér
construction de la digue de Saint-Vitte, sur le Lot,
intéressent à la fois la navigation et les propriétaires
d'usines, qui profitent de la retenue des eaux ; — Con-
sidérant que, par les arrêtés attaqués, l'imputation des
dépenses a été faite conformément aux usages locaux et
aux anciens arrêts du conseil, rendus relativement aux
travaux de cette digue;— Considérant que les avances
faites ou à faire, sur les fonds de la, navigation, pour
les travaux à exécuter d'urgence, ne préjudicient pas
au recours à exercer contre les propriétaires d'usines;
— Considérant que, si le sieur Delard croit avoir à se
plaindre des anciens usages et règlements, il ne peut en
demander la réformation, que par un règlement d'ad-
ministration publique, conformément aux articles 33
et 34 de la loi du 16 septembre 1807 :
te
ART. ior.
— La requête du sieur Delard est rejetée. »
Cet arrêt est à la fois conforme aux dispositions ac-
tuelles de la loi de 1807, et au texte des anciens règle-
ments, spécialement applicables à l'espèce ; car la dis-
tinction établie par l'arrêt de 1711 entre les menues et
grosses réparations, n'était pas applicable, puisqu'il
était constant que la digue n'avait pas été détruite par
force majeure, mais faute des travaux d'entretien, qui
étaient à la charge du propriétaire du moulin.
214 CURAGES, .DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

23avril 182b (5r Rabeau et co?is.).


N° 2. — Moulins sur la Mayenne. — Même principe. — Arrêté
annulé.
Nous avons fait remarquer précédemment que. sous
l'ancien régime, la loi ne répulait dépendances du
domaine public, que les rivières navigables ce de leur
ec propre
fonds, sans artifice et ouvrage de mains (1). »
Celte restriction, pour laquelle il y a une interpré-
tation admissible, était pour le moins très-équivoque,
et devait, dès lors, entraîner avec elle plusieurs incon-
vénients. Le principal abus auquel elle donnait lieu
était celui-ci : ce Puisque les rivières naturellement na-
ccvigables, disaient les particuliers, sont seules déclarées
ce
faire partie du domaine public, celles qui ne le sont
ce
qu'à l'aide de barrages, pertuis, etc., peuvent donc
ce
constituer des propriétés privées.» C'est d'après cela
que plusieurs seigneurs et même de simples particu-
liers, s'étaient arrogé des droits de propriété et dé
péage, sur des portions de rivières, rendues naviga-
bles, par des ouvrages d'art établis à leurs frais.
Quelques propriétaires riverains de la Mayenne
avaient fait établir, dans lé lit de cette rivière, de sem-
blables ouvrages, consistant en digues, chaussées, per-
tuis, écluses, au moyen desquels elle fut rendue
propre à une petite navigation, qui avait son origine
au pont de Laval. Lesdits propriétaires ayant créé
ainsi des retenues d'eau en avaient profité pour établir

(1) Ordonnance de 1669, th. xxvu, art. 41.. -


PARTS,^CONTRIBUTIVES. .,,V-: :i 21S
.
des moulins et usines, .qu'ils exploitaient àleur profit ;
ils percevaient en outre un droit de péage;ou::deiriav.i-7
galion,,sur.la portion de. rivière qu'ils,avaientjcanali-
sée. Us entretenaient et réparaient «ni commun, les ;

ouvrages d'art qui étaient considérés comme leur pro>-


priété.:,—, Lors de la révolution,* les: lois'nouvelles; et
notamment celles du i " ; décembre 11901, dwè> octo-
.

bre. 1791, et plus tard; l'article ; 538.; du Code civil,


n'ayant pasirepcoduit cette fausse distinction,'cette par*
lie de la Mayennje,;;paricela seul qu'elle-était naviga-
ble, se trouva placée, dans;le, domaine! ipublic,etles
riverains,, qui étaient en possession .dé' l'exploiter à
>

leur profit, furent en ; mèmelemps; évincés de leurs


droits de pêche et du;péage qu'ils percevaient: isur^ lés
bateaux. — Quant aux usines^on.ne.leuren contesta
pas la jouissance ; mais lorsqu'il fut.quèstion? de pour-
voir, comme par le passé,; àl'entretienretauxjréparai-
lions des pertuis,,,écluses;et autres.,ouvrages;d'art, qui
avaient rendula;rivière,;navigable,:lest propriétaires
dépossédés ;de, leurs, anciens privilèges, crurent devoir
s'affranchir de _cette charge.iEn,conséqu.ence,les sieurs
Rabeau. et consorts,.représentantila; communauté?dé
ces propriétaires,,adressèrent,en 1820, auxonseil de
préfeçtu re du ;dép,arteme,nt de la .Mayenne; une iréçlà*
;

matiqn,ayant pour jObjel d'être dispensés, sa perpétuité,


des dépenses relatives à,l'entretien et,aux réparations
des digues et ouvrages d'art ; attendu,que n'ayant plus
les produits déjà rivière., qui.çpnsistaient dans la pêche
et le péage, il était j uste .quele gouvernement, qui s'éi-
tait.emparé de ces, produits, supportât aussi les.charges-.
216 CURAGES, DIGUES ET OUYRAGES D'ART.
Le conseil de préfecture rejeta leur requête en se
fondant sur les motifs :
ce
Que, de tout temps, les réparations des chaussées
et portes marinières au-dessus de Château-Gonthier
avaient été faites aux frais des propriétaires d'usines,
situées sur lesdites chaussées; —Que de semblables
demandes individuelles avaient été rejetées par plu-
sieurs arrêtés du préfet du département ; — Que les
cours d'eau appartenant au gouvernement, il pouvait
imposer des conditions à celui qui les emploie à son
usage, et qu'il est présumable qu'une de ces condi-
tions a été d'entretenir les passelis ; — Qu'enfin les
propriétaires ne pouvaient se prévaloir de leurs an-
ciens droits de péage, pêche, passage, etc., parce que
la loi les avait supprimés sans indemnité. »
Les sieurs Rabeau et consorts se sont pourvus, en
1822, contre cet arrêté, et ont dit :
ce
La loi du 30 floréal an X a ordonné la perception
d'un droit de navigation au profit de l'Etat, sur toutes
les rivières navigables, et en a affecté les produits spécia-
lement et limitativement à l'entretien des chemins de
halage, pertuis, écluses, barrages et autres ouvrages
d'art, établis pour l'avantage de la navigation. Or, la
Mayenne est considérée comme navigable et comme
sujette à la taxe de la navigation, ou bien comme non
navigable et comme n'étant pas sujette à cette taxe. —
Dans le premier cas, la loi prononce textuellement, que
c'est le gouvernement qui, avec le produit de la taxe
de navigation, doit pourvoir aux frais d'entretien des
digues et pertuis. Dans le second cas le gouvernement
PARTS CONTRIBUTIVES. 217 -

ne doit s'attribuer ni la pêche ni le péage; il doit en


laisser le bénéfice aux propriétaires d'usines comme au-
trefois ; et alors ils se chargeront de l'entretien des ou-
vrages. — Mais percevoir le droit de navigation, jouir
du droit de pêche sur celte rivière, et cependant préten-
dre que les frais d'entretien de ces ouvrages, doivent
être à la charge des propriétaires d'usines, c'est le ren-
versement de toutes les notions du juste et de l'injuste,
c'est une violation formelle de la loi du 30 floréal an X.
— L'art. 34 de la loi du 16 septembre 1807 dit, à la vé-
rité, que lorsqu'il y aura lieu de pourvoir aux dépenses
d'entretien ou de réparation desdits ouvrages, il sera fait
des règlements qui fixerontla part contributive du gou-
vernement et des propriétaires. Mais il est reconnu que
les barrages et pertuis établis dans la rivière de la
Mayenne ne l'ont été originairement, que pour la na-
vigation, et ne sont d'aucune utilité aux moulins éta-
blis dans leur voisinage ; qu'en conséquence les pro-
priétaires desdits moulins, n'ont aucun intérêt à leur
conservation, et que dès lors le conseil de préfecture
ayant violé les lois précitées, soit que l'on considère
lesdits pertuis et barrages comme utiles à l'exploitation
des usines, soit que ces mêmes usines n'en retirent au-
cun avantage, sa décision doit dans tousles cas être
annulée. »
M. le directeur général des ponts et chaussées, con-
sulté sur celte affaire, a répondu en ces termes :
« 1" Les propriétaires de moulins qui entretenaient
les écluses, pertuis ou passelis dépendant de leurs usi-
nes, moyennant un péage, dont ils ont été privés par
218 CURAGES,-DIGUES ET-OUVRAGES D'ART.
l'effet des lois nouvelles, doivent être dégrevés de cet
entretien, qui retombe à; là charge de l'État; au^profit
duquel se perçoivent aujourd'hui tous les droits de na-
vigation :—- « 2° Les propriétaires ayant-continué de
tirer lesmêmes services; des ouvrages qui constituent 1

le système hydraulique de leurs usines, il n'y apas de


motif pour les affranchir à cet égard,de leurs anciennes
obligations; et ils: doivent continuer d'entretenir lés
s

décharges et; barrages, étrangers à'! la navigation, et


les parties dès massifs ;des bàjoyers;'auxquëllési les


barrages viennent se raItachér. » : • : r -
Cette distinction -jjarfaitemënt"équitable a= été acu
cueillie par le Conseil d?État, et a-servi de baseà l'ar-
rêt suivant, sur le rapport de M. Tarbé de Vauxclairs^
Vu les lois du 30fïoréal anX et I6iséptembrel.:807;
Considérant qu'il est établi^dans les pièces^^tire-
connu par'les parties, que les ozw?*ag'es construits kïansla
rivière de la Mayenne, pour, entretenir le mouvement
des usines, profilent en même temps à la navigation;
^Considérant-qu'aux termes dé l'art. 34, <dê ià loi du
16 septembre 1807^ lofsqu il y^ aura lieu de pourvoit
aux dépenses deslevées^ pertuis ^barrages et écluses\ >

auxquels des propriétaires d'usines seraient.intéressés^


Usera fait des règlements'd'administrationpubliquë,qiiî
fixeront la part contributive du gouvernement et-des
propriétaires;. /..- :.;^-M ':.--~.-- '.-.-.y.^-^ i-y-y,-..^y ;. ,i:;
CCABT. 15. -rrL'arrêté du conseil dé préfecture delà-
Mayenne, du 23 octobre 1;821, est annulé, saufiànotre
ministre deirintérieur.à,faire procéderipar,a.in règles
ment d'administration publique,h lafixation.de la part
PARTS CONTRIBUTIVES, "' 219
contributive, du gouvernement et des propriétaires ré-
1

clamants; dans la répartition des dé]>énses relatives


:

aux ouvragés en rivière, !qui;intéressent à^ la' fois la


navigation et les usines de cette partie delà Mayenne. y>

•>• .....,.«....., .y< 25 novembre4S3A (S* Borel).


N° 3.' -^- MoulinsdeRieux (Morbihan); ^ 'Mâméprincipe. —
i...i i ..:, s., Arrêté annulé.;, .a, •,,,,,.!,.. ...-.;
Les moulins de Rieux sont situés sur un liras de la1

rivière d'Oust q;ui à été canalisée,'et qui se confond sur


plusieurs points, avec le canal de Nantes à Brest, dans
l'arrondissement de Vannes, département dû Morbihan.
Cette rivière se partage en deux bras, l'urvqui alimenté
es moulins susdits, l'autre qui est spécialement réservé
pour lanavigation; à l'embranchement est un déversoir.
— Ces moulins sont• d'origine nationale,
1 et l'acte dé
vente de l'an IV ne fait aucune mention dilcanàl d'a- 1

limentation.Le sieur' Borely cessionnairé dé !fàCqué-


reur primitif dexétte usine se' fondant su'rla* destina-
1

tion particulière'des deux' bras ou canaux sus-niéntion-


nésvjavait pensé qu'il pouvait prétendre'àla* propriété
de celui qui était destiné au roulement : dé son 'usine1;
et en conséquence il revendiqua cette propriété,' maïs
sans aucun succès.; — -Le déversoir situé à l'origine de
ce canal d'amenée en amont des-moulins, ayant été
dégradé'parles eaux en 1827; lé siètir "Borel s'adressa
au préfet, pour qu'il ordonnât les réparations néces-
saires. Mais ries ingénieurs déclarèrent que 'cè~déver-
soir devait être considéré comine dépendance des mou-
lins; que, conséquemment, le propriétaire' de ces
220 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
moulins devait concourir à ses réparations. Cette ques-
tion fut soumise au conseil de préfecture, qui la jugea
en faveur du sieur Borel, par un arrêté du 8 octobre
1827 ainsi motivé :
ce
Considérant que M. Borel ayant été dépossédé du
canal de Rieux, sous le prétexte que le contrat de vente
du 9 fructidor an IV n'en faisait pas mention, il doitl'ê-
tre également du déversoir, à l'égard duquel ledit
contrat est également muet, et qui n'est pas plus une
dépendance nécessaire dudit moulin que l'eau qui le
fait tourner. »
Le ministre de l'intérieur a déféré cet arrêt au Con-
seil d'État, en faisant les observations suivantes :
« Il est impossible de ne pas regarder le déversoir de
Rieux comme une dépendance essentielle du moulin
de ce nom. Si le gouvernement ne se fût pas occupé de
canaliser la rivière d'Oust, le propriétaire du moulin
aurait-iljamais songé à faire intervenir l'administration
dans la réparation d'un ouvrage, d'un intérêt pure-
ment privé, et, tant que cette navigation ne sera pas
établie, ce même ouvrage ne peut être utile qu'au
moulin, et c'est au propriétaire à l'entretenir à ses frais.
Mais lorsque le canal seraouvertau public, ilserajuste
alors que la charge des réparations et de l'entretien,
soit répartie entre le canal et le moulin, dans la pro-
portion des intérêts respectifs, proportion qui devra
être arbitrée contradictoirement, si mieux n'aime le
propriétaire de l'usine, accepter la proposition que
MM. les ingénieurs ont faite, de partager également
les dépenses. »
PARTS CONTRIBUTIVES. 221

Le sieur Borel a insisté en faveur du maintien de la


doctrine professée par le conseil de préfecture et s'est
attaché à faire envisager le déversoir comme dépen-
dance du canal d'alimentation, déclaré non vendu, et
comme étant dès lors, resté ainsi que ce canal, à la
charge de l'État.
Le Conseil d'État a considéré, comme il convenait de
le faire, que cet ouvrage d'art était du nombre de ceux
qui, servant à la fois à la navigation et à une usine, de-
vait être entretenu conjointement par l'État et par le
propriétaire de l'usine. L'arrêt suivant a été rendu dans
ce sens.
Vu l'art. 34 de la loi du 16 septembre 1807 :
Considérant que le déversoir dont il s'agit, est né-
cessaire à l'exploitation du moulin de Rieux, comme à
la navigation de la rivière d'Oust, d'où il suit que le
gouvernement et le sieur Borel doivent supporter les
frais de réparation dudit déversoir, dans la proportion
de leurs intérêts ;
te
ART. 1er.
— L'arrêté du conseil de préfecture du
Morbihan est annulé; sauf aux'parties à se retirer de-
vant notre ministre du commerce et des travaux pu-
blics, pour faire déterminer, par un règlement d'ad-
ministration publique, la proportion dans laquelle elles
supporteront les frais de réparation dudit déversoir. »
Le principe fondamental, établi par la loi du 15 sep-
tembre 1807, pour le partage des dépenses dans la
proportion des intérêts respectifs, de l'État et des pro-
priétaires, peut s'appliquer également, dans quelques
cas particuliers, à des réparations concernant des pro-
222 CURAGES,- DIGUES:.ET OUVRAGES D'ART.

priétés privées, par exemple, au cas où le bâtiment


d'une usine, situé, non dans le lit de la rivière, mais
au bord, et sur un sol privé; se trouverait dégradé par
suite du choc du frottement occasionné par les ba-
teaux.
Il existe, sur une espèce tout à fait analogue, un an-
cien arrêt, d'après lequel on voit que la jurisprudence
du Conseil d'Etat a toujours été constante sur ce point.
Le sieur Sauniée possédait, au bord de la Seine,
dans le département de Seine-et-Marne, une maison
ayant en saillie une terrasse qui tombait en ruines. Le
conseil de préfecture, considérant que les matériaux
de cette terrasse encombraient le lit de larivière et nui-
saient à la navigation, condamna, par arrêté du 4 juil-
let 1814, le sieur Sauniée à achever la démolition du-
dit mur, à enlever tous' les matériaux existant dans le
lit delà rivière, et enfin à le reconstruire à ses frais.
Sur le pourvoi contre cet arrêté, le Conseil d'État a

considéré que le mur de soutènement en question, fai-
sait évidemment partie de la maison du sieur Sauniée ;
que cependant'sa dégradation pouvant être en partie
attribuée au choc des bateaux, il était équitable de faire
enlever,, au frais du gouvernement, les matériaux nui-
sibles à la navigation ; que, d'un autre côté, le mur de
soutènement n'ayant d'utilité que pour le sieur Sau-
niée on ne pouvait le contraindre à faire les frais né-
cessaires à sa deuxième construction; si d'ailleurs il
aimait mieux y renoncer.
En conséquence un arrêt du 20 novembre 1815,
modifiant l'arrêté du conseil de préfecture du dépar-
.in •-.- PARTS •CONTRIBUTIVES:": -;- 223
tementide Seine-et-Marne,;: décida : i° que les maté-
riaux encombrant le lit de la rivière seraient enlevés
aux; frais -de l'État ; ,2° que le sieur Sauniée serait tenu
de démolir le reste du mur de terrasse, tombant en
usines, mais,qu'il seraitl ibre d'en opérer la reconstfuc-
?tion,,à ses frais., »,, •.,;.•..••-. ..-,;>•.-i?-,- ,... ..<<
Un autre;ancien arrêt du Conseil d'État, du 3rmài
1812 (S. Ga//ie?i)aa: établit^ que la, réparation,- même
d'unicheminde halagejïpeut êtreumise «en; partie à la
charge d'un particulierj s'il est iétahli que cette répara-
tion .doitiprofiter à. sa propriété;- '

' ''-' janvier 1848 (Sr Dangetïe).


3
.

N°, 4. — Travaux de curage effectués en lit de rivière dans


l'intérêt' de îs- navigation; mais devant profiter également à
un;ancienmoulin. -!—Rejet du recours de l'usinier.

Il s'agissait, dans l'espèce, de travaux effectués en


1841 et ;i,842, dans, lelit delà Lys, département: du
Nord, par le, concessionnaire des travaux d'ampliora-
tion de cette rivière. Afin de profiter de. la saison des
basses eaux, il détourna, dans des canaux latéraux, la
totalité du courant; ce qui occasionna le chômage du
moulin de Houppilière..
Le sieur; Dangette fermier de cette usine s'adressa
, .

d'abord au concessionnaire lui-même pouf ôbtehir une


indemnité. Mais, comme elle lui fut refusée, il porta
sa.réclamationqdevantle conseil de préfecture.; ,,"
Ce tribunal,;,se basant sur l'existence ancienne ,de
l'usine, dpntl'origine remonte au delà de l'année 1566,
224 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
décida, par arrêté du 9 août 1842, qu'en principe une
indemnité était due, et désigna, en même temps, les
experts qui seraient chargés de procédera son évalua-
tion.
Le sieur Roussille concessionnaire des travaux s'étant
pourvu, au contentieux, contre cet arrêté, le Conseil
d'État, par l'arrêt précité, en prononça l'annulation,
en se basant principalement sur ce motif :
ce
Que quand des travaux de curage, ou d'entretien
d'une rivière navigable, effectués au nom et par
ordre de l'administration, dans l'intérêt de la naviga-
bilité, sont également profitables aux propriétaires d'u-
sines, ceux-ci sont sans droit pour réclamer soit con-
tre l'État, soit contre les concessionnaires, qui le
représentent, une indemnité quelconque, pour chô-
mage, par suite de l'exécution de ces travaux ; lors
même que lesdites usines auraient une existence an-
rieure à 1S66. »
Cet arrêt, intervenu dans une situation nette et pré-
cise, paraît fixer d'une manière définitive la jurispru-
dence en pareil cas.

12 avril 1860 (Sr Sellier).


N° S. — Curage des bras d'une rivière navigable, à la traversée
d'une ville. — Frais répartis par le conseil de préfecture,
sans aucune participation du gouvernement. — Rejet de celle
répartition par le Conseil d'État.

Un décret en date du 21 juillet 1859, rendu sous la


forme d'un règlement d'administration publique,
avait, conformément à d'anciens usages, mis à la charge
PARTS CONTRIBUTIVES. 225
des riverains, des usiniers, et de la ville, à l'exclusion
de toute participation de l'État, les frais de curage et
d'entretien des divers bras navigables de la Somme,
dans l'intérieur de la ville d'Amiens.
Le sieur Sellier, propriétaire d'une usine située sur
le bras, dit de l'Hôtel-Dieu, avait été taxé, par ar-
rêté préfectoral, et en vertu de ce décret, au paiement
d'une somme de 660 fr. 13, pour sa part contributive
dans ces travaux.
La réclamation qu'il avait formée à l'effet d'être
déchargé de cette contribution, qu'il croyait indûment
appliquée, fut rejetée par un arrêté du Conseil de pré-
fecture de la Somme, en date du 24 janver 1859.
C'est alors que ce propriétaire se pourvut devant le
Conseil d'État contre ledit arrêté ; prétendant que tous
les bras de la Somme dans la traversée de la ville
d'Amiens étant navigables, ou dans tous les cas do-
maniaux, comme bras dérivés d'une rivière naviga-
ble, l'État ne pouvait se trouver affranchi de supporter,
au moins pour une part, les charges d'entretien et de
curage ; que dans l'espèce la contribution à lui impo-
sée était excessive, puis qu'elle représenter ait plus du
tiers de la valeur locative de son usine; que d'ailleurs
le bras de l'Hôtel-Dieu sur lequel elle se trouve n'a-
vait été l'objet d'aucun curage ; qu'en conséquence il y
avait lieu de le décharger de ladite contribution.
M. le ministre des travaux publics demandait le
maintien de l'arrêté attaqué en faisant remarquer : que
le décret précité, rendu en exécution de la loi de 1807,
mettait les dépenses d'entretien et de curage des bras
226 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
dérivés de la Somme, dans l'intérieur de la ville d'A-
miens, à la charge des intéressés dans les proportions
suivantes : 1/3 par les propriétaires d'usines; 2/3 par
les riverains et la ville.
Mais le Conseil d'État se rattachant aux termes
mêmes de l'art. 34 de ladite loi, dans lequel il dit, : que,
dans ce cas, des règlements d'administration publique
fixeront la part contributive du gouvernement et des
particuliers, n'a pas admis qu'en l'absence de circon-
stances exceptionnelles dûment constatées, l'État pût se
trouver complètement affranchi ; en laissant à la charge
exclusive des particuliers la totalité des dépenses dont
il s'agit.
En conséquence, par son arrêt du 12 avril précité,
il a annulé l'arrêté du conseil de préfecture (et par
conséquent le décret du 21 juillet 1865 dont cet arrêté
avait fait application).
CHAPITRE II
CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART CONCERNANT EXCLU-
SIVEMENT, SOIT LA NAVIGATION, SOIT LES USINES.

JURISPRUDENCE DU CONSEIL D ETAT.

Une conséquence immédiate du principe posé dans


les articles 33 et 34 de la loi du 16 septembre 1807,
est que les ouvrages servant exclusivement à la naviga-
tion, sont entretenus aux frais de l'État, et que ceux qui
n'intéressent que la marche des usines, ou qui ont
été mis à la charge de ces établissements, par d'anciens
règlements encore en vigueur, sontentretenusaux frais
de leurs propriétaires. C'est ce.que confirment les
arrêts cités dans le présent chapitre.

8 avril 1809 (Sr Grugnelu).


N. 0 1. — Déversoirsétablis d'office par l'Administration pour
mettre fin aux entreprises nuisibles de deux usiniers. — Dé-
penses mises à la charge de ces derniers.

Dès cette époque ancienne, le Conseil d'État du pre-


mier empire rejetait le recours formé contre un arrêté
du conseil de préfecture du département des Deux-
Sèvres, mettant à la charge de deux propriétaires
d'usines le payement d'une somme de 4,960 fr. 76,
à laquelle s'élevait la construction de deux déversoirs
que l'administration avait dû faire.établir, d'office, pour
228 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
mettre un terme aux entreprises respectives et aux con-
testations continuelles des meuniers qui, par de pré-
tendus curages, mais effectivement par des creuse-
ments du lit de la rivière, attiraient, au préjudice l'un
de l'autre, la totalité des eaux dans le canal de leur
moulin. — Le tribunal de Niort, devant qui la contes-
tation avait été portée, s'était, sur le déclinatoire du
•préfet, reconnu incompétent, et le conseil de préfec-
ture, après avoir statué sur la contravention résultant
des curages, faits sans autorisation par les intéressés,
dans le lit d'une rivière navigable, rendit exécutoire,
contre eux, le devis des travaux des deux déversoirs
prescrits par M. le directeur général des ponts et chaus-
sées. — Le Conseil d'État, pour rejeter la requête, s'est
borné à considérer que les travaux ordonnés par l'ad-
ministration des ponts et chaussées ne l'avaient été
qu'à la suite des dégradations commises par les meu-
niers, et que les frais de construction devaient être
supportés, comme l'avait décidé l'arrêt attaqué, dans
l'intérêt réciproque des deux usines.

.26 août 1824 (Sr Debosque).


N° 2. — Inondations attribuées aux barrages des moulins situés
sur.la rivière d'Aude, territoire de Limoux, — Curage mis à
la charge de ces usines.
La ville de Limoux, traversée par la rivière d'Aude,
est exposée à souffrir beaucoup des inondations de cette
rivière, qui, dans ces derniers temps, se sont trouvées
très-aggravées par l'existence, dans son lit, de divers
obstacles consistant: 1° dans les piles d'un vieux pont
PARTS CONTRIBUTIVES. 229
presque entièrement obstrué et masquant en partie le
débouché du nouveau ; 2° dans le moulin avec barrage,
dit de la porte Saint-Jean, existant dans l'intérieur de
la ville; 3° dans un moulin inférieur, également avec
barrage, situé à 500 mètres en aval de la ville et appar-
tenant au sieur Debosque. Ce dernier moulin ayant ja-
dis appartenu à une communauté de religieuses, avait
été longtemps abandonné ; mais, comme il fut vendu
nationalement en 1806, le sieur Debosque, qui s'en
rendit adjudicataire, sollicita et obtint, par décret du
20 juillet 1808, l'autorisation de réédifier l'usine et le
barrage. — Cette entreprise fit naître des oppositions
et des réclamations sans nombre, attendu qu'après le
rétablissement du barrage dans la rivière d'Aude, les
inondations de cette rivière prirent un caractère ATrai-
ment effrayant ; et que, notamment, celle du 6 octo-
bre 1820 submergea les deux tiers de la ville, qui
éprouva de grandes pertes. — De nouvelles enquêtes
et de nouvelles visites des lieux ayant été ordonnées,
il fut reconnu que ces désastres étaient en grande par-
tie occasionnés par l'insuffisance des voies d'écoule-
ment pratiquées dans le barrage reconstruit par le
sieur Debosque ; barrage qui, arrêtant les sables et
graviers, contribuait ainsi à l'exhaussement rapide du
lit de la rivière, et par conséquent à l'accroissement
des inondations. — Après diverses décisions du direc-
teur général et du conseil des ponts et chaussées sur
cette affaire, il intervint, le 30 avril 1822, une décision
du ministre de l'intérieur prescrivant, entre autres
conditions :
230 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

ce
Que les graviers encombrant le cours de l'Aude,
entre les barrages appartenant aux sieurs de Caudeval
et Debosque, seraient enlevés, savoir : la portion qui
existait avant l'établissement du barrage du sieur De-
bosque, à la charge de la ville ; et la portion nouvelle
déposée par les eaux, aux frais du sieur Debosque ; —
Que le sieur de Caudeval ferait également enlever im-
médiatement les pieux et graviers existant dans l'em-
placement du vannage par lui construit, sans auto-
risation, en 1819, à l'aval du moulin de la porte
Saint-Jean. » — Le sieur Debosque s'est pourvu contre
cette décision et a prétendu :
ce
Que la reconstruction de son barrage n'avait nulle-
ment contribué à l'inondation du 6 octobre 1820; —
Que les véritables causes de cette inondation étaient
dans l'encombrement du lit de la rivière, provenant
du défrichement des montagnes et coteaux entourant
la ville, dont les terres et cailloux étaient entraînés par
les pluies ; dans les décombres, immondices, débris de
poteries et autres matières jetées dans la rivière, dans
l'intérieur de la ville; •— Que cet encombrement du
lit de la rivière, joint aux obstacles qui s'y trouvaient,
et notamment le vieux pont et le moulin de la porte
Saint-Jean, avaient seuls contribué au dernier débor-
dement; — Que son barrage, situé à plus de 500 mè-
tres en aval de la ville, n'avait pu mettre obstacle à
l'écoulement des eaux; qu'en supposant qu'il y eût
contribué, ce n'aurait pu être que d'une manière se-
condaire, et que, dès lors, on devait commencer par
détruire les principaux obstacles avant de passer à ceux
PARTS CONTRIBUTIVES. 231
qui ne venaient qu'en seconde ligne ; — Que le curage
de la rivière devait être à la charge de la ville, attendu
que depuis la construction de son barrage le gravier
n'avait pu s'accumuler d'une manière aussi extraor-
dinaire, par l'effet du remous ; — Que le curage exige-
rait une dépense énorme, qui dépassait la valeur de
l'usine et qui excédait ses moyens pécuniaires ; — Qu'il
était impossible à l'expert le plus habile de distinguer
les graviers déposés depuis l'autorisation de son bar-
rage, de ceux qui l'étaient antérieurement. »
En conséquence, le sieur Debosque demandait une
nouvelle vérification des lieux. Mais ses prétentions ont
été rejetées par l'arrêt suivant, rendu sur le rapport
de M. Maillard.
Sur la partie de l'arrêté qui ordonne au sieur Debosque
d'enlever à ses frais les graviers amoncelés entre le bar-
rage appartenant au sieur de Caudeval et celui du
sieur Debosque; — Considérant que cette disposition
n'impose au réclamant, que la charge de faire enlever
la portion des graviers dont l'amoncellement sera re-
connu avoir eu pour cause l'établissement du barrage
du sieur Debosque, et, qu'en principe, c'est à lui dont
les travaux ont produit un obstacle, à le faire dispa-
raître; que, d'ap?'ès le nouvel avis du conseil des ponts
et chaussées en date du 4 février 1823, approuvé par
notre ministre de l'intérieur, l'application de ce principe
sera faite dans l'espèce, avec équité, puisqu'il sera pro-
cédé à une enquête qui constatera, quelle est la portion
de graviers dont l'amoncellement 2^rovient du barrage
du sieur Debosque, et dont Venlèvement sera à sa charge.
232 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

ce
ART. 1. —Les requêtes du sieur Debosque sont
rejetées. »

6 juin 1830 (Srs de Tauriac et Roques).


N° 3.—Moulinde Villemur sur le Tarn. — Ouvrages uniquement
destinés à l'usage de la navigation, et ne devant pas être à la
charge des usines (1). — Décision ministérielle annulée.

Dans le barrage des moulins de Villemur, situés sur


le Tarn, département de Tarn-et-Garonne, et ayant
une existence très-ancienne, il existe une écluse de
navigation. — Une ordonnance royale du 8 octobre
1815, fixant le règlement de cette usine, met à la
charge du propriétaire ce l'entretien de la chaussée et
autres ouvrages d'art, dans la forme et les dimensions
qu'ils ont actuellement. » — Des plaintes ayant été
élevées en 1823, parles mariniers, sur les difficultés
qui résultaient pour la navigation, dans cette partie de
la rivière, de la forme du barrage, aux abords de l'é-
cluse des moulins de Villemur, le préfet intervint et
le ministre de l'intérieur rendit, le 27 août 1825, une
décision ainsi conçue.
ce
II est ordonné aux propriétaires des moulins de
Villemur, tant dans leur intérêt particulier que dans
celui de la navigation, de rétablir promptement, en
ligne droite, la portion de digue oblique en charpente,
qui réunit leurs usines; de combler l'affouillement qui
existe au pied du bajoyer de droite de l'écluse attenant
à cette digue, et de consolider les fondations de ce ba-

(I) V. p. 237, l'arrêt du b juillet 1851.


PARTS CONTRIBUTIVES. 233
joyer, au moyen d'une risberme remplie en maçon-
nerie de béton, et défendue par une file de pieux
jointifs. »
Cette décision a été attaquée devant le Conseil d'État
par les sieurs de Tauriac et Roques, propriétaires de
ces moulins, qui ont soutenu :
ce
1° Que la digue ou chaussée actuelle de cette
usine n'avait jamais existé entièrement en ligne droite,
et que, dans le principe, sa construction n'ayant pu
être achevée en maçonnerie, il en avait été exécuté
une partie en charpente, telle qu'elle se trouvait en ce
moment ; — 2° Que l'ordonnance royale du 8 octobre
1815, qui a maintenu leur vendeur, dans la jouissance
desdits moulins et de leurs dépendances, ne leur im-
posait d'autre obligation que d'entretenir la chaussée
et les ouvrages accessoires, dans la forme et les di-
mensions qu'ils avaient à cette époque. »
Le ministre de l'intérieur fit observer ce que., des der-
nières vérifications faites sur les lieux par les ingé-
nieurs, il résultait : que le barrage en maçonnerie
n'avait jamais été terminé entièrement; qu'il n'en avait
jamais existé d'autre que le barrage actuel en char-
pente, ayant la forme d'un chevron brisé; que, dès
lors, comme l'ordonnance de 1815 n'oblige les pro-
priétaires des moulins de Villemur, qu'à entretenir
la chaussée de ces moulins et autres ouvrages en dé-
pendant, dans la forme et les dimensions qu'ils avaient
à cette époque, on ne pouvait les forcer à rétablir un
état de choses qui n'avait jamais existé. »
C'est d'après cela qu'est intervenu l'arrêt suivant,
234 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

sur le rapport de M. Legrand, maître des requêtes:


En ce qui touche le changement d'état de la chaussée,
— Considérant qu'aux termes de Vordonnance royale du
8 octobre 1815, les propriétaires des moulins de Ville-
mur ne sont tenus que d'entretenir la chaussée et autres
ouvrages dépendants de ces moulins, dans les formes et
dimensions qu'ils avaient à l'époque de ladite ordon-
nance, et qu'ils ont encore aujourd'hui.
En ce qui touche la consolidation de l'un des bajoyers
de l'écluse, — Considérant que l'obligation impo-
sée aux requérants d'entretenir la chaussée et autres
ouvrages ne peut s'étendre à l'écluse à sas, uniquement
destinée au service de la navigation et dont la répara-
tion ou le perfectionnement doit être une charge pu-
blique.
ce
AHT. lCr.
— La décision de notre ministre de l'in-
térieur, en date du 27 août 1825, est annulée. »

21 décembre 1837 (S' Petit-Clerc et Jacquot).


N°4. —Moulin de Dampierre sur leDoubs. — Ancien règlement.
— Déversoir entièrement à la charge des usines.

Un arrêt du Conseil d'État du roi, du 5 novembre


1737, met à la charge des propriétaires d'usines si-
tuées sur le Doubs (dans sa partie navigable), les di-
gues, barrages ou déversoirs établis sur cette rivière.
Les sieurs Petit-Clerc et Jacquot, propriétaires du
moulin de Dampierre, département du Doubs, ayant
été invités par le préfet, dans le mois de mai 1834, à
rétablir à sa hauteur primitive, le déversoir de cette
PARTS CONTRIBUTIVES. 23i>

usine, auquel ils avaient fait des changements, s'y re-


fusèrent et soutinrent : — ec Que l'arrêt précité, du 5
novembre 1737, ne leur était point applicable, attendu
que le moulin de Dampierre avait été autorisé, anté-
rieurement audit arrêté, par les souverains de la prin-
cipauté de Montbelliard, qui dépendait du grand-du-
ché de Wurtemberg;—Que d'ailleurs le procès-verbal
de réception dressé en 1742 détaillait les travaux or-
donnés par l'arrêt de 1737, de sorte qu'à ces travaux
seuls se bornait la charge d'entretien; — Que désor-
mais on devait suivre la marche prescrite par la loi
du 16 septembre 1807, pour régler la répartition pro-
portionnelle des frais d'entretien, entre eux et le gou-
vernement. »
Le ministre a fait sur cette réclamation les observa-
tions suivantes :
« L'arrêt de 1737 est la confirmation de celui de
1724, qui place sous la juridiction des intendants de
Franche-Comté et d'Alsace, les terres de la principauté
de Montbelliard; et d'ailleurs les réclamants se sont
soumis aux lois du royaume, en demandant et obtenant
le maintien de leur usine, qui est l'objet d'une ordon-
nance royale du 10 novembre 1819.—D'une autre
part, le procès-verbal de réception de 1743, n'a con-
staté l'exécution que de travaux complémentaires ; et
ce fait est dès lors une conséquence et non une inter-
prétation de l'arrêt de 1737; il ne pourrait donc res-
treindre la portée de la servitude imposée aux usines
par ledit arrêt. — Enfin, la loi du 16 septembre 1807
n'est point applicable ici, puisque lesdits frais d'entre-
236 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
tien avaient été l'objet d'un règlement spécial, et que
dans ce règlement, se trouvait, au nombre des condi-
tions d'existence des usines du Doubs, l'obligation
^entretenir perpétuellement, et en bon et suffisant état,
les ouvrages construits sur cette rivière. »
Telle est la doctrine qui a été admise par le Conseil
d'État.
Vu, etc. ; — Vu les lois des 20 août 1790 et 6 octo-
bre 1791; l'arrêté du 19 ventôse an VI; la loi du 14
iloréal au XI (1), et les articles 33, 34, 38 de la loi du
16 septembre 1807;
Considérant que les dispositions de la loi du 16 sep-
tembre 1807, invoquée par les requérants, ne sont pas
applicables aux usines, auxquelles des conditions spé-
ciales ont été imposées par leur titre de concession, ou
par des règlements particuliers ;
Considérant que les conditions de l'existence du mou-
lin de Dampierre ont été déterminées par un arrêt du
conseil du 5 novembre 1737, qui a imposé aux proprié-
taires de toutes les usines situées sur le Doubs, depuis
et y compris le lieu de Dampierre, jusqu'à la ville de
Dôle, l'obligation de maintenir constamment au même
niveau, la crête des digues anciennement établies sur
cette rivière, et que ledit arrêt n'a pas cessé d'être ap-
plicable au moulin de Dampierre ; — Que l'arrêté du
préfet du Doubs, du 9 mai 1834, s'est borné à prescrire
la stricte exécution de l'arrêt du conseil du 5 novembre
(1)Pourquoi la loi du 14 floréal an XI, relative seulement au
curage des rivières non navigables 2 — et dès lors inapplicable
dans l'espèce.
PARTS CONTRIBUTIVES. 237
iTà!,etque dès lors c'est avec raison, que notre minis-
tre de l'intérieur, en approuvant ledit arrêté, a décidé
que les dépenses d'entretien de la digue du moulin de-
meureraient, comme par le passé, à la charge exclusive
des meuniers de Dampierre;
ce
ABT. 1".
— La requête des sieurs Petit-Clerc et
Jacquot est rejetée. »
On voit donc que dès qu'il existe des règlements
spéciaux, sur l'objet dont il s'agit, ils doivent toujours
être appliqués.

8juillet 18B1 (Srs Gérardet Cons.).


N° o. — Curage des bras d'une rivière navigable à la traversée
d'une ville. — Frais répartis par un arrêté municipal, basé
sur l'ancien usage entre les riverains et les usiniers, sans par-
ticipation des gouvernements. — Répartition rejetée par le
Conseit d'Etat.

Ainsi qu'on vient de le voir, au chapitre précédent, la


Somme, à la traversée de la ville d'Amiens, se partage
en plusieurs bras ou canaux, qui sont eux-mêmes na-
vigables. Il paraît que, depuis une époque très-an-
cienne, les riverains de ces divers bras de rivière
étaient appelés à concourir aux frais d'entretien et de
curage. — En 1845, le maire prit un arrêté prescri-
vant cette dernière opération et répartissant, en même
temps, la dépense entre les riverains et les usiniers. —
Les sieurs Gérard et consorts réclamèrent contre les
taxes qui leur étaient imposées; mais leur demande
fut rejetée par arrêté du Conseil de préfecture de la
Somme en date du 7 septembre 1846.
238 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
C'est alors que ces particuliers se pourvurent contre
l'arrêté susdit. Ils se plaignirent : de n'avoir pas été mis
en demeure d'effectuer eux-mêmes les travaux dont
le payement était mis à leur charge ; de ce qu'il n'a-
vait pas été procédé à la nomination d'un syndicat ;
enfin de ce que le conseil municipal n'avait pas été
consulté. Ils soutenaient, en outre, que l'ancien usage
invoqué, contre eux, n'avait ici aucune valeur; at-
tendu que, d'après la loi du 14 floréal an XI, ces an-
ciens usages n'ont d'autorité qu'en ce qui concerne le
curage des cours d'eau non navigables.
M. le ministre des travaux publics, tout en convenant
que les bras ou canaux des Poulies et des Minimes,
dépendance d'une rivière navigable, étaient du do-
maine public, a fait néanmoins remarquer que le cu-
rasre desdites rivières n'était effectué exclusivement
aux frais de l'Etat que quand cette opération devenait
indispensable, dans l'intérêt de la navigation. Tandis
qu'au contraire lorsque, comme dans le cas actuel, le
curage est rendu nécessaire par des motifs de salu-
brité, lorsque les habitants des maisons voisines des
divers bras de la rivière y déchargent les eaux ména-
gères et toute sorte d'immondices, il semble évident
que les frais du curage doivent retomber à la charge
des riverains qui occasionnent les envasements. —En
conséquence il concluait au maintien de l'arrêté.
Mais le Conseil d'État n'a pas cru pouvoir admettre
cette doctrine. — Après avoir visé les lois du 14 flo-
réal an XI, 16 septembre 1807, et l'art. 30 de celle du
21 avril 1832, il a rendu son arrêt en ces termes.
PARTS CONTRIBUTIVES. 239

ce
Considérant qu'en disposant qu'il serait procédé
au curage des canaux et rivières, de la manière pres-
crite par les anciens règlements, ou d'après les usages
locaux, la loi du 14 floréal, an XI, n'a statué qu'en ce
qui concerne les canaux et rivières non navigables ;
que l'entretien des canaux et rivières navigables et de
leurs dépendances, lorsque l'administration juge qu'il
ya lieu d'y pourvoir, constitue une charge de l'État;
et que si les villes, communes ou particuliers peuvent,
dans certains cas, être appelés à y concourir, c'est par
un règlement d'administrationpublique, conformément
au tit. VII de la loi du 16 septembre 1807 que le prin-
cipe et les proportions de cette contribution doivent
être établis ;
Considérant que les bras des Poulies et des Minimes
sont des bras de la Somme; qu'ils sont d'ailleurs eux-
mêmes navigables ; que dès lors il n'y avait pas lieu,
dans l'espèce, à l'application de la loi du 14 floréal,
an XI; et qu'il n'est ni justifié, ni même argué d'aucun
règlement d'administration publique, qui ait imposé
aux propriétaires voisins de ces canaux l'obligation de
contribuer aux frais de leur entretien;— D'où il suit
que les sieurs Gérard et co?isorts étaient fondés à se re-
fuser au payement des taxes mises à leur charge
(arrêté annulé).
En l'absence du règlement d'administration publi-
que, exigé par la loi, en présence surtout d'une répar-
tition faite par l'autorité municipale, le Conseil d'État
ne pouvait se dispenser d'admettre le recours ; ce qui
a mis. au moins pour cette fois, les frais à la charge de
240 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

l'État seul. Mais il est plus probable que, une fois ce



règlement intervenu, les choses rentreront dans l'état
normal, prévu par l'art. 34 de la loi de 1807.

14 janvier 1869 (Sr Leblanc).


N° 6. — Demande en remboursement des dépenses d'entre-
tien d'un déversoir profitant exclusivement à un moulin sur
la-Cure. — Annulation de l'arrêté du conseil de préfecture,
qui s'était déclaré incompétent. — Rejet du pourvoi formé
par le propriétaire du moulin.

Par application de l'article 34 de la loi du 16 sep-


tembre 1807, un décret impérial du 23 février 1861 a
opéré, entre l'État et le- propriétaire du moulin de
Régny-sur-Cure, département de l'Yonne, la réparti-
tion des frais d'entretien d'un barrage-déversoir, con-
sidéré comme servant à la fois audit moulin et au
service de la navigation. — En exécution de ce décret,
le préfet prit un arrêté, mettant l'usinier en mesure
d'exécuter les réparations qui étaient à sa charge.
Mais le sieur Leblanc s'est adressé au conseil depré-
fecture, en demandant le remboursement par l'État
des dépenses qu'il avait été obligé de faire pour cet
objet. — Par arrêté du 23 avril 1867, le conseil s'est
déclaré incompétent; par le motif que la demande de
ce particulier constituait un recours, pour excès de
pouvoirs, contre le décret du 23 février 1861 et l'arrêté
préfectoral du 11 août 1863.
C'est alorsque ce particulier a déféré au Conseil d'État
l'arrêté susdit pour en demander l'annulation ; attendu
que s'agissant d'une demande en remboursement, de
PARTS CONTRIBUTIVES. 241 '
la part de l'État, d'une taxe assimilée aux contributions
publiques, le conseil de préfecture était compétent
pour en connaître, aux termes de la loi du 28 pluviôse
an VIII.
Il ajoutait que le moulin ayant été vendu nationale-
ment, à ses auteurs, il ne pouvait être obligé de con-
tribuer aux dépenses d'entretien des ouvrages établis
sur la Cure ; que cette rivière faisant partie du domaine
public l'État devait seul être chargé de l'entretien de
ces ouvrages; enfin, qu'à son défaut, cet entretien de-
vait incomber à la Compagnie du flottage de la Cure ;
par application de l'ordonnance de 1672 et d'une or-
donnance plus récente, du 16 avril 1831 ; — Qu'ainsi
c'était à tort que le décret du 23 février 1861 avait fait,
entre l'État et le requérant, la répartition des dépenses
d'entretien du barrage de.Régny. —En conséquence il
concluait à ce que l'Etat fùtcondamnéà lui rembourser
ces dépenses.
Monsieur le ministre des travaux publics, dans ses
observations, s'est borné à faire remarquer : que le
conseil de préfecture, appelé à appliquer le décret
1

précité, n'avait pas qualité pour examiner les motifs


invoqués par le requérant, pour soutenir que les dé-
penses dont il s'agit ne lui incombaient pas.
Le Conseil d'État, après avoir visé les décisions pré-
citées, ainsi que les lois des 28 pluviôse an VIII et
16 septembre 1807 ;
« Considérant que le décret du 23 février 1861 qui
par application de l'art. 34 de la loi du 16 septembre
1807 a réparti, entre l'État et le propriétaire du moulin
16
242 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
de Régny, les dépenses d'entretien du barrage-déversoir
établi sur la Cure, en amont dudit moulin, et l'arrêté
par lequel le préfet de l'Yonne, en exécution de l'ar-
ticle 2 de ce décret, a mis en demeure le sieur Leblanc
d'avoir à exécuter à ce déversoir, les réparations recon-
nues nécessaires, étaient des actes, faits par l'adminis-
tration, en vertu des pouvoirs de police, qui lui appar-
tiennent, sur les rivières navigables ou flottables; —
Qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 28 pluviôse
an VIII, le conseil de préfecture, compétent, soit .

pour statuer sur les difficultés qui s'élèvent, en matière


de grande voirie, soit pour interpréter les actes de
vente nationale ; qu'ainsi, en ;refusant de statuer sur la
demande du sieur Leblanc le conseil de préfecture du
département de l'Yonne a méconnu ses pouvoirs.
ce
Au fond, considérant, d'une part, qu'aucune clause
de l'acte de vente nationale du 30 août 1791 ne dispense
l'acquéreur du moulin de Rigny de l'obligation d'en-
tretenir les ouvrages établis sur l'a Cure, etexclusive-
ment utiles à ce moulin ; -—Que, d'autre parti il est
établi par l'instruction quele déversoir dont il s'agit
profite exclusivement audit moulin, et est sans intérêt
pour le flottage : »
AKÎ. 1er. L'arrêté; pris par le conseil de pré-
— >

fecture de l'Yonne, en date du 23 avril 1867, est an-


nulé.
ART. 2. —La requête du sieur Leblanc est rejetée.
On peut voir au chapitre xxv, ci-dessus, que onze ans
auparavant,: de sieur Delaune, fermier de ce même
moulin: de Régny-sur-Cure, département de l'Yonne,
PARTS CONTRIBUTIVES. 2i3
avait formé une demande en indemnités, pour cause de
chômage, à la suite des travaux de réparation d'une
digue, intéressant à la fois ladite usine et la navigation.
— Mais sur le recours du ministre des travaux publics
l'arrêté qui avait d'abord accueilli cette demande fut
annulé, par un arrêt en date du 14janvier 1858.
Enfin on peut voir au chapitre xv que par un autre
arrêt du 6 janvier 1853, le Conseil d'État avait, au con-
traire, rejeté le recours de l'administration des travaux
publics, contre un arrêté du Conseil de préfecture de
l'Yonne, accordant une minime indemnité au sieur
Leblanc Duveau, pour quelques jours de chômage,
occasionnés à son moulin, par suite d'une opération de
nivellement de la rivière;-entreprise exclusivement
dans l'intérêt du flottage:
Ces trois arrêts, intervenus successivement dans un
intervalle de seize années, et concernant une même
usine, loin d'être en opposition l'un avec l'autre, pré-
sentent donc, au contraire, une appréciation rigou-
reusement exacte des dispositions de la loi sur. cette
matière.
CHAPITRE III
MODE DE RÈGLEMENT ET DE RÉPARTITION DES DEPENSES. —
MODE D'EXÉCUTION DES TRAVAUX.

SECTION I
FIXATION DES PARTS CONTRIBUTIVES DE L'ÉTAT ET DES PROPRIÉTAIRES
D'USINES.

11 résulte clairement des dispositions des articles 33


et 34 de la loi, du 16 septembre 1897, cités en tête du
chapitre i, que les formes prescrites par les autres ar-
ticles de la loi doivent, autant que possible, être appli-
quées à l'exécution des travaux soit d'établissement,
soit d'entretien des digues, barrages, pertuis, écluses,
et autres ouvrages d'art, intéressant à la fois la naviga-
tion et les usines.
Une de ces dispositions de la loi de 1807 faisant l'objet
spécial du' titre X était relative à l'organisation des
Commissions spéciales, qui devaient intervenir, quand
il s'agissait d'un dessèchement de marais ou d'autres
ouvrages énoncé dans ladite loi. Elles étaient com-
posées de sept membres, qui ne pouvaient délibé-
rer valablement que s'ils étaient au moins au nombre
de cinq. Les commissaires, choisis parmi les personnes
présumées avoir le plus de connaissances relatives aux
-questions à traiter, étaient nommés par le Souverain.
PARTS CONTRIBUTIVES. 245
Les formes delà réunionna fixation des époquesdes séan-
ces, la présidence, le secrétariat, et enfin tout ce qui était
relatif à cette organisation,étaient déterminés, dans cha-
que cas, par un règlement d'administration publique.
Jusqu'à ces derniers temps lesdites commissions ont
fonctionné, non-seulement pour les opérations de des-
sèchement, qui étaient l'objet principal de leur institu-
tion, mais également pour la fixation des parts contri-
butives.
Lors de l'étude de la loi du 21 juin 1865, sur les
associations syndicales, les inconvénients de cette juri-
diction exceptionnelle ayant été bien reconnus, elle a
été supprimée.
C'est ce qui résulte de l'art. 26 de ladite loi, ainsi
conçu: ce Les lois du 16 septembre 1807 et 14 floréal
an XI continueront à recevoir leur exécution, à défaut
d'association, lorsqu'il s'agira des travaux spécifiés aux
n°s 1, 2, 3 de l'art. 1er. » — Toutefois il sera statué, à
l'avenir, par le conseil de préfecture, sur les contesta-
tions qui, d'après la loi du 16 septembre 1807, de-
vaient être jugées par une commission spéciale.
Mais il est bien entendu que cette mesure, dont l'u-
tilité était d'ailleurs justifiée, ne comporte aucune ré-
troactivité, c'est-à-dire que les décisions, basées sur le
régime antérieur à 1865, conservent toute leur valeur.
Pour le règlement des parts contributives. Les com-
missions spéciales, instituées par la loi de 1807, de-
vaient s'entourer de tous les enseignements nécessaires,
pour donner leurs avis en connaissance de cause. —
Une expertise contradictoire était toujours ordonnée ;
246 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

et c'était, presque exclusivement, sur le procès-verbal


de cette expertise que portaient les délibérations des-
dites commissions.
Mais, conformément à ce qui a lieu pour les conseils
de préfecture, elles n'étaient pas liées par le rapport des
experls.
Quant à la question de savoir si les ouvrages d'art qui
font l'objet des travaux sont effectivement nécessaires
à la navigation et aux usines, c'est presque toujours
une question de fait; mais, en cas de contestations à cet
égard, ce serait au préfet qu'il appartiendrait de statuer
sur le rapport des ingénieurs.

§ I. —Pas de recours contre les répartitions faites con-


formément à la loi.

En prescrivant le mode qui vient d'être indiqué, la


loi de. 1807 a eu surtout en vue de fixer des termes
au delà desquels les réclamations ne pourraient plus
être admises; car dans cette matière, plus encore que
dans toute autre, il importait d'éviter des délais super-
flus ; puisqu'un simple retard, dans les travaux dont il
s'agit, peut entraîner la ruine d'ouvrages considéra-
bles, et même celle des usines, dont l'existence était
liée à celle de ces mêmes ouvrages.
11 résulte delà, que les avis ou décisions des commis-

sions, instituées pour procéder aux répartitions dont


il s'agit, n'étaient pas susceptibles de recours, quand
lesdites commissions avaient régulièrement procédé en
observant les formesqui viennent d'être relatées* Ainsi,
PARTS CONTRIBUTIVES. 247
quoique les avis qu'elles élaient appelées à donner
n'aient que le caractère d'actes préparatoires du règle-
ment définitif à intervenir, ces avis avaient force de dé-
cision, contre tous les particuliers qui, avant, des ré-
clamations à faire, avaient négligé de les présenter en
temps utile. C'est pourquoi le Conseil d'État a toujours
repoussé, dans les cas semblables, par une fin de non-
recevoir, les réclamations tardives des particuliers,
ayant pour but de remettre en question les disposi-
tions arrêtées par les commissions spéciales.
Les arrêts suivants fourniront les éclaircissements
nécessaires à cet égard.

16 janvier 1828 (Sr Bertin et cons.).


N° 1. — Travaux le long de la Loire et de l'Allier. — Pas de re-
cours contre la répartition faite régulièrement, par une com-
mission spéciale.
Une ordonnance royale du28 août 1822, rendue dans
la forme d'un règlement d'administration publique, a
institué une commission pour opérer, conformément
aux dispositions de la loi du 16 septembre 1807, la ré-
partition entre les propriétaires intéressés, d'une partie
des dépenses nécessaires à l'exécution de travaux de dé-
fense, à exécuter le long de l'Allier et de la Loire, la
majeure partie desdites dépenses, devant d'ailleurs être
supportée par l'État, dans des proportions déjà ré-
glées. — La commission instituée par l'ordonnance de
1822 avait donc à s'occuper de répartir la somme
mise à la ebarge des riverains, dans la proportion de
leur intérêt aux travaux ; et c'est ce qu'elle fit en effet,
248 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
après s'être procuré tous les renseignements capables
d'éclairer sa décision. — Les propriétaires intéressés
réclamèrent devant le Conseil d'État, sous prétexte que
la commission n'ayant pas observé les formalités pres-
crites par la loi, il y avait lieu d'annuler, sa décision et
de faire, par de nouveaux commissaires, une réparti-
tion plus équitable. .<
Le ministre de l'intérieur a fait observer, d'après l'a-
vis du directeur général des ponts et chaussées :
« Que les réclamants ne faisaient valoir, à l'appui de
leur pourvoi, aucun moyen précis et déterminé ; qu'il
ne s'agissait pas de savoir de quelle manière la com-
mission avait cru devoir s'éclairer pour opérer la ré-
partition dont elle était chargée, mais de savoir si elle
avait bien ou mal jugé; — Que, pour attaquer sa ré-
partition, les réclamants auraient dû s'appliquer spé-
cialement à en démontrer les erreurs ou les inexacti-
tudes ; tandis qu'ils se sont contentés de se renfermer
dans des généralités, qui ne prouvent rien de ce qu'il
fallait, prouver ;, qu'en conséquence cette réclamation
était inadmissible. »
Cette doctrine a été admise par le Conseil d'État, qui
a rendu l'arrêt suivant, sur le rapport de M; Tarbé de
Vauxclairs, maître des requêtes : -.>.
.
Considérant que l'art. Ier de l'ordonnance royale du
28 août 1822 fixe la répartition générale des dépenses,
entre le gouvernement et les riverains, proportionnel-
lement à leurs intérêts rv jectifs ; que. sur une dépense
totale de 64,322 fr. 66, le gouvernement a été taxé
à 48,328 fr. 29, et les riverains à 18,994 fr. 37; —
PARTS CONTRIBUTIVES. 249
Qu'en faisant la répartition de cette dernière somme
entre les riverains, la commission institéue par l'ordon-
nance du 28 août 1822 s'est conformée aux dispositions
de ladite ordonnance et à la loi du 16 septembre 1807 :
«ART. 1er. — La requête des sieurs Bertin et con-
sorts est rejetée. »

30 décembre 1827 (Sr Marcotté).


N° 2. — Moulins de Nogent-sur-Seine. — Môme principe.

Les moulins de Nogent-sur-Seine, ci-devant dépen-


dances du domaine de la couronne, passèrent, en 1777,
d'abord à titre de domaines engagés, plus tard à titre
de propriété, dans les mains de deux particuliers, avec
leurs accessoires, tels que canal, digues, pertuis, dé-
versoirs, etc. ; à la charge par ces particuliers d'entre-
tenir lesdits moulins, canal, digues et pertuis, en bon
état de réparation.
Le déversoir de ces usines contribuant à faciliter la
navigation de cette partie de la Seine, les propriétaires
desdits moulins s'adressèrent en 1827 à l'administra-
tion des ponts et chaussées pour obtenir que ce dé-
versoir fût réparé aux frais de l'État. — L'adminis-
tration répondit : que l'entretien du déversoir était une
charge naturelle des usines ; puisque, sans le déversoir,
le jeu de ces usines serait anéanti; que dès lors les pro-
priétaires devaient l'entretenir conjointement avec
l'État, dans une proportion relative à leurs intérêts. —
En conséquence, une commission d'enquête fut nom-
mée, pour procéder à l'estimation de la dépense; les
250 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
propriétaires des moulins y furent représentés, et le
résultat de cette enquête fut que les propriétaires con-
sentiraient à contribuer pour un quart, dans les répara-
tions et l'entretien du déversoir, en renonçant d'ail-
leurs à toute indemnité de chômage, pendant la durée
de ces réparations. — Le,sieur Marcotte, devenu acqué-
reur des moulins de Nogent-sur-Seine, a cru voir dans
la convention constatée par cette enquête, une erreur
provenant de ce que les représentants de ses vendeurs
avaient ignoré l'étendue de leurs droits, résultant
d'anciens titres, d'après-lesquels l'entretien du déver-
soir ne devait pas être à la charge des moulins. C'est
d'après ce motif qu'il s'est adressé au ministre de l'in-
térieur, pour qu'il fût procédé à une nouvelle enquête,
soit par l'ancienne commission, soit par une nouvelle.
Mais le ministre a rejeté cette demande, en se fondant
sur ce que l'acte fait avec les propriétaires était une
transaction, et sur ce que ce particulier demeurait pas-
sible des engagements de ses vendeurs, sauf son re-
cours contre eux.
Le sieur Marcotte s'est pourvu contre cette décision,
en soutenant : — « Que ses vendeurs n'avaient pris
aucun engagement; que le procès-verbal d'enquête
n'avait pas le caractère d'une transaction, mais qu'il
n'était qu'un simple acte d'instruction, qui devait ser-
vir de base à un règlement ; que d'ailleurs les proprié-
taires avaient agi dans l'ignorance de leurs droits, en
sorte qu'ils pouvaient révoquer leur consentement,
avec d'autant plus de raison, que l'État n'était pas lui-
même engagé; que dans tous les cas, le ministre avait
PARTS CONTRIBUTIVES. •
2S1
empiété sur la compétence des tribunaux, en décidant,
desapropre autorité,que;leprocès-verbald'enquête ren-
fermait une transaction, qui liait le tiers acquéreur. »
Mais le Conseil d'Etat'a rejeté son recours ; en se
basant, principalement: sur ce que le procès-verbal
d'enquêtes des 29 décembre 1827, et 15 janvier 1828,
n'était qu'une mesure préparatoire, devant servir de
base à un règlement d'administration publique, con-
formément aux dispositions dû 2\§ de l'art. 34 de la loi
du 26 septembre 1807; — ajoutant que la décision mi-
nistérielle attaquée n'avait fait que maintenir cette
mesure; — et que dès lors elle ne faisait pas obstacle
à ce que le sieur Marcotte s'adresse audit ministre,
pour obtenir ce règlement.
Enfin un arrêt du H juin 1833 (S* Pilremann) éta-
blit également, que lorsque les particuliers intéressés
n'ont élevé aucune réclamation contre les opérations
des experts, avant les décisions de la commission, qui
les a homologuées, ladite décision est définitive à leur
égard ; et qu'ainsi ces particuliers ne sont plus receva-
bles à réclamer.

SECTION II
QUESTION RELATIVE A LA PROPRIÉTÉ DES OUVRAGES D'AIIT ÉTABLIS EN
LIT DE RIVIÈRE.— MODE D'EXÉCUTION DES TRAVAUX. COMPÉTENCE.

§ I. — Propriété des ouvrages d'art.


Il résulte des détails donnés dans ce chapitre, qu'il y
a lieu de distinguer^ de la manière suivante, les ouvra-
232 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

ges d'art qui peuvent être établis, dans le lit, ou le


long, des rivières navigables: — 1° ceux qui servent
exclusivement à l'usage de la navigation, et sont à ce
titre entièrement entretenus par l'État; — 2° ceux qui
profitant, conjointement, à la navigation et aux usines,
sont entretenus par l'Etat et les propriétaires desdites
usines, dans la proportion de leurs intérêts respectifs ;
— 3° enfin ceux de ces ouvrages qui, destinés uni-
quement au roulement des usines, sont entièrement à
la charge de ces dernières.
Quelques auteurs ont crû pouvoir conclure du mode
d'entretien établi par la loi de 1807, que ces ouvrages
sont possédés, en commun, par l'État et les usiniers.
Cette opinion se trouve exprimée dans le recueil de
MM. Macarel et Deloche, au sujet de l'arrêt du 25 no-
vembre 1841 [S1 Borel), à la suite duquel on lit : « Le
Conseil d'Etat a tranché la question, en s'arrêtant à l'u-
tilité commune du déversoir, d'où l'on pourrait induire
qu'il a voulu déclarer, implicitement, que la propriété
en appartenait à la fois à l'État et au sieur Borel. •» ....
Cette opinion, que rien, d'ailleurs, n'annonce être
celle du Conseil d'Etat, ne paraît pas exacte. En statuant,
dans l'espèce citée, conformément aux dispositions des
articles 33 et 34 de la loi du 16 septembre 1807, le
Conseil n'avait pas à se prononcer sur ce point. 11 est
permis de penser, au contraire, que les barrages, dé-
versoirs, pertuis et autres ouvrages d'art dont il s'agit,
du moment qu'ils sont indispensables au service de la na-
vigation, doivent être considérés exclusivement comme
propriétés publiques, attendu que d'ailleurs ils existent
PARTS CONTRIBUTIVES. 2S3
généralement dans le lit même des rivières navigables,
c'est-à-dire là où l'on ne doit admettre quoi que ce
soit, à titre de propriété privée. La part contributive
que les usiniers peuvent être dans le cas de fournir, en
cas de réparation ou reconstruction de ces ouvrages,
ne change rien à ce principe ; seulement il faut ad-
mettre que leur concours, dans cette circonstance, a
lieu simplement, à titre de taxe ou de subvention,
qu'il était juste de mettre à leur charge, dans la pro-
portion de leurs intérêts ; mais d'où il ne peut résulter
aucun droit de propriété privée.
Sous l'ancien régime, où la totalité des frais d'entre-
tien et de réparation des barrages, pertuis, etc., était
généralement à la charge'des moulins et usines, établis
sur les rivières publiques, ce même principe était en-
tendu ainsi ; et il se trouve proclamé dans les lois et ar-
rêts concernant les rivières navigables. Ainsi, on lit dans
l'arrêt du conseil du 24 juin 1777 :
Art. 11. « Sa Majesté déclare les chaussées, pertuis,
digues, pieux, balises et autres ouvrages publics, qui
sont, ou seront par la suite, construits pour la sûreté
et facilité de la navigation, faire partie des ouvrages
royaux, et les prend en conséquence sous sa protection
et sauvegarde royale. »
L'article 22, titre 111, de l'arrêt du 17 juillet 1782,
relatif à la navigation de la Garonne, et l'article 5,
titre IV, de l'arrêt du 23 juillet 1783, relatif à la navi-
gation de la Loire, reproduisent textuellement la même
déclaration.
Quant à la troisième classe des ouvrages d'art, com-
254 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

prenant ceux qui servent seulement au roulement des


usines, ils ne peuvent, s'ils sont en lit de rivière, être
une propriété proprement dite., pour personne; car ils
font partie du système hydraulique des usines, et sont
alors essentiellement compris dans les ouvrages qui ne
doivent être admis qu'à titre précaire et de simple tolé-
rance, sur les rivières du domaine public. Ils diffèrent
en cela dés usines proprement dites, dont le sol, les
bâtiments, le matériel, sont des propriétés ordinaires.
C'est exclusivement avec cette restriction qu'en ce qui
concerne les rivières navigables on peut se servir de
l'expression propriétaires d'usines.

§ II. -—
Mode d'exécution des travaux.

Les considérations développées dans le paragraphe


précédent, démontrent.: que quelle que soit la propor-
tion existante, entre lapart contributive des usines et
celle de la navigation, dans la réparation des ouvrages
d'art d'intérêt commun, c'est toujours exclusivement
par l'État que les travaux doivent être exécutés.
Le cas arrivant, qu'après le versement des sommes
mises à la charge, des particuliers, les travaux exécutés,
ou en exécution, se trouvent compromis, ou détruits
par vice de construction, il serait juste que l'État, qui
aurait la responsabilité de ces travaux, comme les ayant
fait exécuter! seul,, prît à sa charge la totalité des nou-
veaux frais.de reconstruction, et accordât, selon le cas,
des indemnités aux intérêts privés qui se trouveraient
lésés par cette circonstance. — Les contestations sur cet
PARTS CONTRIBUTIVES. 2S5
objet appartiennent d'ailleurs à la juridiction admi-
nistrative.
Ces diverses considérations trouvent leur application
dans l'arrêt suivant :

28 juin.1837 (Moulin de Gardés).


Moulin sur le Tarn. — Rupture d'un barrage. — Iademnité. —
Compétence administrative. —Conflit approuvé.

L'administration ayant entrepris, en 1829, de pro-


longer la navigation du Tarn jusqu'au pont d'Al'by, la
compagnie des moulins de cette ville offrit de contri-
buer, pour une somme de 30,000 francs, au rétablis-
sement d'un ancien barrage, situé entre les moulins de
la Mothe et de Gardés ; d'abandonner à l'État tous les
matériaux provenant de l'ancienne chaussée de ces
moulins ; de se charger de l'entretien du nouveau
barrage, à partir de deux ans après son achèvement, et
sous la condition que les grosses réparations ne pèse-
raient jamais, pour plus de moitié, sur les actionnaires
des moulins. — Ces conditions étaient fort équitables et
entièrement dans l'esprit de la loi du 16 septembre 1807.
Le préfet du Tarn, par arrêté du 20 juin 1829, déclara
les accepter ; mais le barrage qui, quelque temps après,
fut construit par l'État, en exécution de cette conven-
tion, donna lieu, dès son achèvement, à des craintes
sur sa solidité ; et, en effet, il fut en partie renversé par
les eaux, le 28 novembre 1834.
D'après cela, une instance judiciaire s'engagea, d'a-
bord entre les propriétaires des moulins de Gardés et
2S6 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
la société des moulins d'Alby, puis entre cette dernière
et le préfet du Tarn, qu'elle fit assigner comme repré-
sentant l'État, pour se voir condamné à lui payer telle
indemnité que de droit, tant pour la destruction du
barrage, que pour le chômage occasionné aux moulins
situés sur le Tarn. — Par arrêté du 20 mai 1835, le
préfet déclara se refuser à suivre, au nom de l'État, la
sociétédes moulins devant l'autorité judiciaire, et fonda
son refus sur les motifs suivants :
« Que pour déterminer les droits que la société pré-
tendait exercer contre l'État, il y avait lieu d'interpré-
ter l'arrêté du29 juin 1839, qui était un acte adminis-
tratif, relatif à des travaux d'utilité publique; et que
cette interprétation ne'pouvait appartenir qu'à l'auto-
rité administrative; que dès lors, la société des moulins
ne pouvait, sans aller contre la loi, assigner l'État de-
vant l'autoritéjudiciaire, pour y débattre : le mérite de
l'arrêté précité, les conditions et les délais des répara-
tions à faire. » —La société des moulinspersista à vou-
loir appeler l'État en garantie, devant le tribunal civil
d'Alby, qui malgré l'exception d'incompétence oppo-
sée d'office par le procureur du roi, se déclara com-
pétent, par jugement du 26 août 1835. Ce tribunal pro-
nonça d'abord sur la demande en garantie formée au
nom des propriétaires du moulin de Gardés contre la
société des moulins, et fixa les indemnités du chômage
à payer par ces derniers; puis joignant ensuite les deux
demandes, le tribunal sursit à statuer, jusqu'à ce que
les difficultés existant entre l'administration etles pro-
priétaires de moulins, relativement aux accords pas-
PARTS CONTRIBUTIVES. 237
ses entre eux, relativement aux constructions et répa-
rations à faire au barrage, fussent définitivement
réglées.
Le 9 octobre 1833,, le-préfet du Tarn forma opposi-
tion à ce jugement, comme ayant été rendu par défaut.
— Le 10 du même mois, il proposa le déclinatoire;
mais le 4 janvier 1837, le tribunal rendit un jugement
par lequel, recevant l'opposition en la forme, il la re-
jeta au fond, par les motifs suivants :
«Qu'avant d'assigner l'Etat en garantie, les proprié-
taires des moulins de Lamothe et de Gardés, avaient
présenté un mémoire faisant suffisamment connaître
leur demande, rejetée par arrêté préfectoral ; qu'ils
s'étaient par là conformés à la loi du 5 novembre 1790,
et que, dès lors, l'opposition actuelle du préfet était mal
fondée; — Que, dans son jugement du 26 août 1835, le
tribunal s'était conformé aux règles relatives à sa com-
pétence et à celle de l'autorité administrative ; que, par
conséquent, il n'y avait pas lieu, au fond, de faire droit
à l'opposition de l'État ; et qu'il convenait de maintenir
le jugement dont il s'agit. »
Le 17 janvier 1837, le préfet prit un arrêté de conflit
ainsi motivé :
« Le tribunal, en main tenant sa compétence relative-,
mentàl'action récursoire, a commisuneerreur ; attendu
que lorsque les difficultés relatives aux accords passés
entre l'administration et les propriétaires auront été
réglées définitivementpar l'administration, il ne pourra
rien rester à juger; à moins que le tribunal n'entende
juger les règlements faits administrativement, ce qui
-• 17
258 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
serait contraire à l'art. 13 du titre II de la loi du 24 août
1790. — Bans le cas où le tribunal n'aurait entendu ré-
server que le droit de faire l'application des résultats
d'une interprétation administrative, il violeraitl'excep-
tion au principe général, faite pour les travaux de na-
vigation par l'art. 27.de la loi du 16 septembre 1807,
lequel dispose que : « Toutes réparations ou domma-
ges seront poursuivis par voie administrative, comme
pour les objets de grande voirie » et que la jurispru-
dence du Conseil d?Etat est conforme; — Que le tribu-
nal ne pouvait, même par suite d'une action récur-
soire, prononcer des dommages et réparations, dont
les travaux d'une digue ou barrage sont l'objet, attendu
que l'administration est seule' compétente pour accor-
der, s'il y a lieu, ces dommages-intérêts. »
Devant le Conseil d'État, la Société des moulins
d'Alby a prétendu :
« Que l'arrêté du 20 juin 1829 constituait entre la
compagnie et l'État un véritable contrat synallagma-
tique; et que, ne s'agissant pas d'un acte fait dans les
formes administratives, on aurait pu soutenir, en s'ap-
puyant sur la jurisprudence du Conseil d'État, que
l'autorité judiciaire était compétente pour en apprécier
le sens et la portée; mais que le tribunal d'Alby avait
laissé cette détermination à l'autorité administrative ;
qu'en effet ledit tribunal rie s'était réservé de statuer
que sur les dommages qui pourraient être dus par
l'État, en conséquence des obligations reconnues par
l'administration elle-même ; or, qu'il y avait là une
question de droit commun, essentiellement du ressort
PARTS CONTRIBUTIVES. 2
de l'autorité judiciaire; — Qu'en ce qui concerne
l'art. 27 de la loi du 16 septembre 1807, il n'était
applicable qu'au cas où des dommages avaient été
causés à des riverains, par l'exécution de travaux pu-
blics, et non point au cas particulier où il s'agit pour
l'État d'exécuter une obligation par lui prise, dans un
contrat formel et privé. »
L'arrêté de conflit a été confirmé par le Conseil
d'État, dans les termes suivants :
Vu, etc. ; — Vu les lois des 24 août 1790 et 16 sep-
tembre 1807;
Considérant que lé recours, dirigé contre l'État, par
les propriétaires du moulin de Gardés, a pour objet
d'obtenir des indemnités, en raison de la confection vi-
cieuse de travaux effectués par Vadministration, et du
préjudice qui en serait résulté pour la propriété ;
Qu'aux termes des lois des 24 août 1790 et 16 sep-
tembre 1807, Un'appartient qu'à l'autorité administra-
tive de connaître de cette demande ;
Que la lettre du 23 mars 1829, par laquelle les pro-
priétaires des moulins avaient offert de concourir à la
déjiense des travaux, à effectuer à la digue de Gardés,
et l'arrêté du préfet du 20 juin suivant, qui a accepté
leurs offres, n'ont point changé le caractère des travaux
qui devaient être faits par Vadministration dans un
intérêt public, ni modifier les règles de la compétence
en cette matière;
«ART.1". — L'arrêté de conflit sus-visé est maintenu.»
« ART. 2. — L'assignation du 33 mai 1835 et les ju-
gements du tribunal civil d'Alby, des 26 août 1835 et
260 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.
4 janvier 1837, sont considérés comme non avenus,
dans celles de leurs dispositions qui ont pour objet
de saisir l'autorité judiciaire de la connaissance du
recours dirigé contre l'État, par les propriétaires du
moulin de Gardés. »
Dans le cas où il serait établi que la rupture d'un
barrage, construit dans les mêmes circonstances que
celui de Gardés, n'aurait eu lieu que par le cas de
force majeure, sans qu'il y ait eu vice de construction,
l'Etat se trouverait par là déchargé de sa responsabi-
lité envers les particuliers qui auraient concouru à la
construction de ce barrage ; à moins toutefois qu'une
réserve contraire n'eût été insérée dans les conven-
tions faites à cet égard.
Aux termes des lois du 22 décembre 1789, 20 août
1790, 15 ventôse an VI et 29 floréal an X, la police et
l'administration des rivières navigables sont confiées
à l'administration publique. C'est à elle, dès lors, qu'il
appartient d'apprécier l'opportunité des travaux né-
cessaires à l'entretien et au curage de ces rivières.
Toute action judiciaire tendant à obtenir de l'État

des dommages-intérêts, pour préjudice causé, par dé-
faut de curage d'une rivière du domaine public, ren-
tre, comme les dommages causés par suite des tra-
vaux ordonnés par l'administration et exécutés sous sa
surveillance, dans la catégorie des actions dont les lois
des 11 septembre 1790, 28 pluviôse an VIII et 16 sep-
tembre 1807, réservent la connaissance aux tribunaux
administratifs. —C'est ce qu'a décidé un arrêt du Con-
seil d'État du 25 mars 1835 (Sr Bary).
PARTS CONTRIBUTIVES. 261

SECTION III
' RÉSUMÉ DU CHAPITRE. •

Les conséquences les plus importantes, résultant des


considérations développées dans le présent chapitre,
sont les suivantes :
Les ouvrages d'art existant sur les rivières naviga-
bles se divisent en trois classes, savoir : 1° ceux qui ne
servent qu'à la navigation ; 2° ceux qui profitent à la
navigation et aux usines ; 3° ceux qui ne sont destinés
qu'à l'usage de ces dernières. — En thèse générale,
les dépenses occasionnées par les ouvrages susdits
sont supportées par ceux à qui ils profitent, et dans
la proportion de leurs intérêts respectifs. — Les dé-
penses pour curages à effectuer dans les rivières navi-
gables, à proximité des usines, sont assimilées à celles
dont il vient d'être parlé, et la répartition en doit être
faite suivant les mêmes bases. — Lorsqu'il existe d'an-
ciens règlements, ils doivent, autant que possible, être
observés.
L'intervention des Commissions spéciales est rem-
placée désormais par celle des Conseils de préfecture.
Leurs attributions étaient d'ailleurs considérées
comme purement administratives. — Les particuliers
qui avaient été entendus, ou mis en demeure de fournir
leurs observations, n'étaient plus recevables à récla-
mer par la voie contentieuse, contre les avis ou les dé-
cisions prises par lesdites commissions.
De ce que les particuliers sont appelés à concourir
262 CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

aux dépenses occasionnées par l'entretien des digues,


barrages, déversoirs, etc., servant à la fois à la naviga-
tion et aux usines, il n'en résulte pour eux aucun droit
de propriété sur ces ouvrages, qui doivent être consi-
dérés comme étant entièrement dans le domaine pu-
blic ainsi que la rivière sur laquelle ils se trouvent.
,
Les ouvrages qui sont dans cette classe doivent être
exécutés par l'État seul ; sauf les recours à exercer
par les particuliers, ayant contribué aux dépenses, en
cas de dommages provenant de vices de construction.
Enfin, aucune action judiciaire tendant àTobtéri-
tion de dommages-intérêts ne peut être intentée en
cette matière.
LIVRE V

CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS


D'USINES PAR SUITE DE L'EXÉCUTION DE TRA-
YAOX PUBLICS. — INDEMNITÉS.

CHAPITRE I
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ.

JURISPRUDENCE DU CONSEIL D ETAT.

Observation préliminaire. — Si les cinq chapitres,


formant la matière du liv. V, ont reçu un développe-
ment assez notable, c'est que les matières dont ils trai-
tent, outre leurs applications fréquentes, présentent
souvent des situations indécises, dont l'élude réclame
des appréciations extrêmement délicates. Afin de ne
pas fractionner inutilement nos propres observations,
nous avons observé, particulièrement ici, la méthode
déjà suivie dans leschapitres précédents, et qui consiste
à donner d'abord un extrait analytique des princi-
paux arrêts ; en renvoyant à la fin du chapitre l'en-
semble de ces observations, présentées en forme de
résumé.
264 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.

23 mars 1826 (Sr Gauthier).


N° 1. — Suppression d'uD moulin à huile situé sur l'Ourcq. —
Clause résolutoire. — Rejet du recours en indemnité.

Le sieur Gauthier avait fait construire, en l'an III,


sur un bras de l'Ourcq, département de Seine-et-
Marne, un moulin à huile, avec l'autorisation du gou-
vernement.
La permission portait : « Qu'il ne serait dû au sieur
Gauthier aucune indemnité, dans le cas où les travaux
à faire, pour l'utilité de la navigation, exigeraient la
suppression de ce moulin. »
Lors de la construction du canal de l'Ourcq, cette
suppression devint indispensable. —Le sieur Gauthier
se pourvut alors, devant l'administration et devant les
tribunaux, pour réclamer une indemnité qu'il préten-
dait être fondée sur son droit de propriété ; et sur ce
que la clause qui semblait l'interdire, devait être répu-
tée illégale et non écrite, etc.
Le conseil de préfecture s'étant déclaré compétent et
ayant rejeté la demande d'une indemnité quelconque,
le recours du sieur Gauthier donna lieu àl'arfet précité,
qui rejette la demande de ce propriétaire^ en la basant.
«1° Sur ce que la rivière d'Ourcq était navigable
en dépendance du domaine public, à l'époque delà
concession;
" « 2° Sur ce que ladite concession n'a eu lieu qu'a-
vec la clause de suppression de l'usine, sans indem-
nité; dans le cas où elle serait réclamée, par suite de
travaux intéressant la navigation. » - • •
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 2€S

13 juillet 1828 (SrMassé).


:

N° 2. —Moulinsur la Scarpe. — Rejet d'une demande en in-


demnité, motivée sur le refus d'autorisation, pour recon-
struire une usine, supprimée en exécution de l'arrêté du
19 ventôse an VI.

Parmi les moulins et usines qui ont été supprimés


comme nuisibles, en vertu des dispositions de l'ar-
rêté du 19 ventôse an VI, se trouvait, le moulin de la
Mothe, situé sur la Scarpe, commune de Saint-
Amand; lequel provenait de l'abbaye de cette ville et
avait été vendu nationalement en l'an IV.
En 1814 le sieur Massé, ayant acquis de l'adjudica-
taire primitif l'emplacement de ce moulin, se pourvut
devant l'administration, pour en obtenir le rétablisse-
ment. Cette demande ayant été instruite, les mêmes
motifs qui avaient commandé la suppression de l'usine
s'opposèrent à ce qu'on pût accueillir 1e projet de son
rétablissement. En conséquence, sur le rapport des
ingénieurs, et l'avis de M. le directeur général des
ponts et chaussées, une décision ministérielle du 29
juillet 1826, refusa l'autorisation demandée par le
sieur Massé.
Ce particulier attaqua ladite décision devant le Con-
seil. d'Etat, et prétendit que l'arrêté du 19 ventôse n'a-
vait pu l'exproprier sans indemnité; qu'en consé-,
quence il demandait, soit l'autorisation de reconstruire
l'usine supprimée et l'annulation de la décision mi-
nistérielle, soit une indemnité basée sur l'expropria-
tion qu'avait supportée son vendeur.
266 CHOMAGES.— DEPRECIATIONS. — SUPPRESSIONS.
Ce pourvoi a été rejeté, sur le rapport de M. Tarbé
de Vauxclairs.
Les motifs de l'arrêt sont conçus en ces termes :
Vu l'arrêté du 19 ventôse an VI (9 mars 1798) ;
« Considérant que la rivière de Scarpe est naviga-
ble à Saint-Amand;
« Considérant que l'arrêté pris le 19 germinal an VI
(8 avril 1798), par l'administration centrale du dépar-
tement du Nord, pour la suppression des moulins éta-
blis sur la Scarpe à Saint-Amand, a été rendu en exé-
cution de l'arrêté du 19 ventôse an VI (9 mars 1798) ;
qu'il ne contient aucune disposition relative à l'indem-
nité, laquelle, dans tous les cas, constituerait une
eréance d'une origine antérieure à l'an V1I1;
« Considérant que cet arrêté a été immédiatement
exécuté ; et qu'en effet le sieur Massé, après avoir ac-
quis remplacement du moulin de la Mothe, au lieu
d'attaquer l'arrêté de l'an VI, s'est borné à demander,
en 1814, l'autorisation de rétablir ledit moulin ;
« Considérant, en ce qui concerne la décision dû mi-
nistre de l'intérieur, que le refus d'autorisationn'est pas
susceptible de nous être déféré par la voie contentieusè. »
L'arrêté du gouvernement du 19 ventôse an VI
ayant fait la distinction des usines qui pouvaient être
conservées, comme fondées en titre, ou comme rie
nuisant pas à la navigation, et de celles qui devaient -

être supprimées, comme nuisibles ou comme non au-


torisées, il est clair que le moulin de la Mothe se trou-
vait dans cette dernière catégorie. Il ne pouvait donc
nullement donner matière à une demande en indem-
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 267
nité. De plus, quant à cette dernière demande, il y
avait dans l'espèce péremption d'instance et acquiesce-
ment par exécution.
Tout recours, dans les cas semblables, doit donc être
formellement rejeté.

8 juin 1831 (S'' Beaugrand).


N° 3.—Rejet d'une demande en indemnité, motivée sur le refus
d'autorisation, pour reconstruire un moulin à nef incendié,
sur la Garonne.
Voici l'exposé de cette affaire, d'après celui qui est
donné dans le tome I des arrêts du Conseil d'Etat, re-
cueillis par M. Delocbe :
Le sieur Beaugrand était propriétaire d'un moulin à
nef situé sur la Garonne, commune de Port-Sainte-
Marie, département de Lot-et-Garonne. Ce moulin
éehoua le 22 décembre 1805, et le sieur Beaugrand le
rétablit en vertu d'une autorisation, qui lui fut accordée
par le préfet le 5 mai 1807.
Le même moulin ayant été détruit par un incendie
en 1829, le sieur Beaugrand s'adressa de nouveau au
préfet pour être autorisé aie reconstruire une seconde
fois ; mais le préfet prit, le 18 juillet, un arrêté par le-
quel il refusa l'autorisation, en se fondant sur une dé-
cison du directeur général des ponts et chaussées en
date du 20 septembre 1828, qui avait arrêté en prin-
cipe la suppression des moulins à nef existant sur la
Garonne (1). Néanmoins, il déclara en même temps,
(i ) Cette décision n'était elle-même qu'une conséquence des dis-
positions prescrites par l'arrêt réglementaire du 17 juillet 1782.
268 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
qu'il y avait lieu de procéder à l'évaluation de l'indem-
nité due au sieur Beaugrand ; attendu qu'il possédait
son moulin depuis longtemps, et à titre onéreux.
Le rapport sur le règlement de l'indemnité, ayant
été transmis à l'administration supérieure, le directeur
général des ponts et chaussées fit observer :
«Que, d'après un arrêt de règlement de 1782, aucun
moulin à nef ne pouvait exister sur la Garonne qu'en
vertu d'un titre régulier; que l'acte de vente produit
par le sieur Beaugrand ne suffisait pas pour valider
l'existence de son usine ; que cet acte constituait bien
une transaction entre des tiers, mais que le sieur Beau-
grand n'avait pu acheter ce que son vendeur n'avait
pas le:droit de lui transmettre; qu'enfin, un titre va-
lable, tel. que l'entendait l'arrêt de 1782, ne pouvait
être qu'une permission, émanée de l'autorité compé-
tente (1); qu'en conséquence, on devait demander au
sieur Beaugrand, de justifier préalablement du droit
qu'il pouvait avoir de conserver son usine. »
Le sieur Beaugrand, dont la prétention était appuyée
d'un avis favorable du préfet, présentait seulement un
acte notarié, constatant que sa famille possédait le mou-
lin depuis cinquante ans, c'est-à-dire antérieurement
à l'année 1782, et que par conséquent on devait appli-
quer en sa faveur ce principe de droit commun, d'après
lequel la prescription vaut titre.
(1) L'art. 2 du titre III de cet arrêt porte: «Qu'il ne sera
accordé aucune permission en établissement d'usines, sur là
Garonne, que par des arrêts du Conseil, rendus sur l'avis" de
l'intendant et commissaire départi; après telles enquêtes que de
droit. »
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 269
Une décision du ministre des travaux publics, en date
du 30 juin 1839, rejeta la prétention du réclamant, à
une indemnité quelconque.
« Attendu que l'arrêt de 1782 ordonnait l'enlèvement
et la destruction de tous les moulins et usines dont
l'existence ne reposait pas sur un titre valable ; qu'il ne
suffisait pas dès lors de prouver l'ancienneté de l'éta-
blissement, mais qu'il fallait en démontrer la légiti-
mité ; que d'ailleurs le domaine public étant impres-
criptible et inaliénable, la possession immémoriale ne
pouvait équivaloir à un titre. »
Cette décision fut attaquée devant le Conseil d'Etat
par le sieur Beaugrand qui prétendait :
« Que, d'après le principe consacré par l'art. 545 du
Code civil et par l'art. 10 de la Charte, nul ne peut être
contraint de céder sa propriété, que pour cause d'utilité
publique et moyennant une juste et préalable indem-
nité; — Qu'à la vérité il ne pourrait représenter le titre
primitif en vertu duquel avait été construit le moulin,
mais qu'un acte authentique faisait remonter cette
existence au delà de l'année 1782 ; — Que l'arrêt de
1782 et celui du 19 ventôse an VI, arguaient eux-
mêmes en faveur de la légalité de son établissement ;
car ces deux lois ayant ordonné la destruction des mou-
lins et usines non fondés en titre, si le sien eût été con-
struit sans autorisation, il n'eût pu échapper à la
mesure, prescrite itérativement, et exécutée avec per-
sévérance par l'administration ; — Que l'arrêté du
5 mai 1807, pour lequel le préfet de Lot-et-Garonne
avait autorisé le rétablissement de son usine, constituait
270 CHOMAGES. DÉPRÉCIATIONS.
— SUPPRESSIONS.

pour lui-un titre régulier, et que ce titre ne le soumet-
tait pas à la condition de voir démolir son établissement
sans indemnité, dans le cas où le gouvernement juge-
rait à propos de le supprimer pour le bien de la navi-
gation ; —Qu'en conséquence l'indemnité réclamée ne
pouvait dans aucun cas lui être refusée. »
Le directeur général des ponts et chaussées a ré-
pondu : • v .
.•
.
. .

« Que l'arrêté préfectoral du 5 mai 1807 n'avait pas


été approuvé parle ministre de l'intérieur ; que, quand
même il l'eût été, il ne formerait pas titre dans le cas
actuel, puisque tout acte de ce genre n'est qu'une sim-
ple permission de police, qui ne peut être accordée que
sauf les droits publics, dont l'exercice est imprescripti-
ble ; qu'ainsi, en droit, le sieur Beaugrand ne saurait
prétendre à aucune indemnité ;
« Mais, qu'en examinant la question, sous le point
vue de l'équité, et attendu que le sieur Beaugrand
avait fait, sur la foi de la permission obtenue en 1807,
les avances nécessaires pour créer un établissement,
qu'on reconnaissait alors ne porter aucun préjudice
à la navigation, si le moulin détruit par un cas de force
majeure pouvait être aujourd'hui rétabli sans nuire au
service public, il serait bien rigoureux de l'interdire;
— Que, dans l'hypothèse où l'innocuité d'une sembla-
ble autorisation serait en effet reconnue par l'adminis-
tration, elle devrait être subordonnée à la clause expli-
cite, conforme aux principes et aux règlements sur la
matière, d'enlever le moulin, à la première réquisition
de l'autorité administrative; et sans que cette suppres-
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 271
sion puisse créer aucun droit quelconque à une in-
demnité. »
Le sieur Beaugrand a répliqué :
« Qu'alors même qu'il serait vrai de dire que l'arrêté
du 5 mai 1807 aurait dû être approuvé par le ministre,
l'omission de cette formalité ne pouvait lui être impu-
tée; — Que c'était sur la foi de cet acte et sans aucune
espèce d'avertissement et d'empêchement de la part de
l'administration, qu'il avait employé presque toute sa
fortune à reconstruire son moulin ; — Qu'il y aurait in-
justice à le punir de la faute d'autrui ; — Qu'au surplus
il était facile de s'expliquer pourquoi le préfet n'avait
pas mis à l'autorisation qu'il accordait la condition que
l'usine pourrait être supprimée sans indemnité, puis-
qu'il ne créait pas un droit nouveau et ne faisait que
reconnaître un droit préexistant ; — Qu'enfin, soit que
l'on considère l'ancien état de l'usine, soit qu'on s'atta-
che à celui que lui attribuait l'arrêté de 1807, il était
impossible de ne pas reconnaître ses droits à cette usine ;
Que dès lors, si, par des motifs d'intérêt général, l'ad-
ministration croyait devoir s'opposer à son rétablisse-
ment, elle ne pouvait le faire que moyennant une juste
indemnité. »
Mais le conseil d'Etat a maintenu en ces termes la
décision attaquée :
Vu l'arrêt du gouvernement du 19 ventôse an VI,
qui rappelle toutes les lois antérieures sur la matière;
Considérant qu'il s'agit, dans l'espèce, d'un moulin
situé sur une rivière navigable, qui n'est pas susceptible
de propriété privée ;
— Que la suppression de la forcé
272 CHOMAGES...— DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
motrice empruntée à cette rivière ne pourrait donne
lieu à une indemnité qu'autant que le réclamant exhi-
berait un titre ancien, dont il ne justifie pas ;
« ART. I". — La requête du sieur Beaugrand est
rejetée. »
Ce qui paraît avoir'motivé principalement la décision
ci-dessus, laquelle pourrait paraître très-sévère, com-
parée surtout avec celles qui vont être citées plus loin,
pour des cas analogues, c'est l'existence d'un arrêt de
règlement de 1782, dont il a été: fait .mention plus
haut et qui interdisait, en principe, tout nouvel établis-
sement d'usines sur la Garonne ; à moins qu'il n'y ait
eu observation de toutes les formalités prescrites par les
lois et règlements, sur la matière.

19 août 1834 (Sr Delorme).


N° 4. — Dépréciation d'un moulin sur la Marne, par la contruc-
tion du canal de Saint-Maur.—Refus d'indemnité;nonobstant
une vente nationale.

Le sieur Delorme possédait sur la rivière de Marne,


dans la commune de Créteil, un moulin auquel porta
préjudice l'ouverture du canal de Saint-Maur; ce par-
ticulier s'étant pourvu en indemnité, le conseil de pré-
fecture du département de la Seine rejeta cette demande,
par arrêtés des 3 et 4 mai 1832, en se fondant sur ce
que le moulin du sieur Delorme était établi sur un
bras d'une rivière navigable, qui, d'après les dispo-
sitions de la loi du 1er décembre 1790 et de l'article
358 du Code civil, dépend du domaine public ; qu'en.
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 273
conséquence, l'administration avait le droit de disposer
de cette rivière dans l'intérêt public
Le sieur Delorme attaqua cette décision en se fon-
dant : 1° sur l'incompétence du Conseil de préfecture,
qui aurait décidé une question de propriété, dont les
tribunaux seuls étaient appelés à connaître; 2° sur ce
qu'au fond ses droits à l'indemnité résultaient évidem-
ment de l'existence ancienne de son moulin, et sur la
vente nationale, qui lui en avait été faite par l'État,
le 7 septembre 1793.
Le ministre des travaux publics, par lettre du 30 jan-
vier 1833, fit remarquer : ce qu'il ne s'agissait point ici
d'une question de propriété; mais que le conseil de
préfecture était appelé, en vertu de la loi du 28 pluviôse
an V11I, à régler conformément à celle du 16 septem-
bre 1807, les indemnités, qui pouvaient être dues, pour
les modifications apportées aux moulins et usines par
l'ouverture du canal; — Que d'après l'article 48 de
cette dernière loi, il avait dû examiner d'abord si l'éta-
blissement du moulin du sieur Delorme était fondé en
titre ; et si ce titre ne soumettait pas le propriétaire, à
voir modifier son moulin sans indemnité, si l'utilité pu-
blique le requérait;— Que le sieur Delorme ne pro-
duisait pas d'autre titre que. le procès-verbal d'adjudi-
cation, en date du 7 septembre 1793, d'après lequel
les bâtiments et dépendances dudit moulin avaient été
vendus nationalement, sans aucune garantie des servi-
tudes ; et par conséquent sous la réserve des servitudes
passives, dontla propriété pouvaitêtre grevée; —Qu'en
conséquence le conseil de préfecture avait fait une juste
18
274 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
application du principe d'après lequel la possession,
même immémoriale, d'un moulin sur une rivière na-
vigable ne peut équivaloir à un titre régulier; — Que
telle est la jurisprudence consacrée par un grand nom-
bre d'ordonnances royales, et notamment par celle du
8 juin 1831, rejetant la requête du sieur Beaugrand; —
Quelles dommages qu'a pu éprouver le sieur Delorme
étaient d'ailleurs au moment de se trouver largement
compensés par la construction d'un barrage que font
construire les propriétaires des deux autres moulins,
situés à Créteilsur le même bras de rivière, et à la dé-
pense duquel l'Etat contribue pour une somme de dix
mille francs.
C'est sur cet état de la question, qu'est intervenu
l'arrêt suivant :
Vu le décret du 18 août 1810, la loi du 28 pluviôse
an VIII, l'arrête du 19 ventôse an VI et l'ordonnance
de 1669;
Considérant qu'aux termes de l'acte d'adjudication
du 7 septembre 1793, l'État a vendu un moulin situé à
Créteil, sur un bras de la rivière de Marne, dit du cha-
pitre de Saint-Maur; ledit moulin, tel qu'il se compor-
tait, sans aucune garantie de mesures ni de servitudes
actives et passives: et que, dans l'espèce, il ne résulte
pas des termes de ladite vente, que l'État ait vendu une
chute d'eau déterminée; — que dès lors, aux termes de la
législation sur les cours d'eau navigables, l'Etat a pu
user du droit de faire l'emploi d'une partie des eaux
de la Marne, utiles dans l'intérêt de la navigation;
d'où il suit que c'est avec raison que le conseil de pré-
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 27S
fecture a refusé d'accorder au sieur Delorme l'indem-
nité par lui réclamée;
(Rejet).

H mai 1838 (Sr Berteau).


N° 5. — Chômage occasionné par des travaux de canalisation.
— Rejet de la demande en indemnité ; nonobstant une vente
nationale.

Les travaux de'canalisation de la Sambre, dans le dé-


partement du Nord entraînèrent, en 1835, le chômage
d'un moulin, vendu nationalement le 2 avril 1791 et
appartenant au sieur Berteau, propriétaire et meunier
demeurant à Maubeuge. Ce particulier avait adressé au
Conseil de préfecture, une demande en indemnité, con-
tre les concessionnaires des travaux ; et tendant à ce que
ladite indemnité fût fixée à la somme de 75 francs, pour
chaque jour de chômage de son usine, eu égard à la
valeur de l'usine, aux détériorations qu'elle éprouvait
faute de roulement, aux pertes éprouvées sur les appro-
visionnements, les employés, les chevaux, la perte de
clientèle, etc. ; et à ce que, dans tous les cas, ladite in-
demnité fût réglée à dire d'experts.
Le conseil de préfecture du département du Nord
ayant rejeté cette demande, par arrêté du 13 juillet 1835,
le sieur Berteau attaqua cet arrêté devant le Conseil
d'État.
Par un avis en date du 16 septembre 1836, le minis-
tre des travaux publics conclut le rejet de ce pourvoi.
En outre, les concessionnaires de la canalisation de
la Sambre adressèrent, dans le mois de mars 1837,
276 CHOMAGES. DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.

un mémoire dans lequel ils concluaient au rejet dé la
requête du sieur Berteau ; et subsidiairement, pour le
cas où le Conseil d'État reconnaîtrait qu'une indemnité
de chômage est due, ils demandaient que la cause fût
renvoyée devant le Conseil de préfecture, seul compé-
tent pour fixer le taux de cette indemnité. Lesdits con-
cessionnaires demandaient enfin que, dans tous les cas,
il fût déclaré qu'il serait fait compensation de l'in-
demnité réclamée pour chômage, par le sieur Berteau,
avec la plus-value que son usine éprouverait par suite
des travaux de canalisation de la Sambre (1).
Le Conseil, se fondant sur les lois et règlements en
vigueur, et sur le principe invariable que les usines ne
sont jamais qu'à titre de tolérance, sur les rivières du
domaine public, rejeta en ces termes la demande du
sieur. Berteau :
Vu l'acte de vente nationale consentie au sieur Ber-
teau père, le 2 avril 1791 ; —- Vu le règlement fait par
l'intendant de la province de Hainaut, le 21 juin 1786 ;
— Vu la déclaration du roi du mois d'avril 1683, l'ar-
rêt du Conseil du mois de juillet de la même année,
l'ordonnance de 1669,l'arrêt du Conseil du 24 juin 1777,
laloidu6 octobre 1791, l'arrêté du directoiredu 19 ven-
tôse, an VI, et les articles 538 et 551 du Code civil ;
Considérant qu'aux termes des lois ci-dessus visées,
(l)Cette dernière considération était entièrement dans l'esprit'
delà loi du 16 septembre 1807 ; et il serait à désirer qu'on la
prit plus souvent en considération, dans les règlements des in-
demnités accordées, par suite des dommages occasionnés dans
l'exécution des travaux publics; car ces indemnités sont géné-
ralement fixées sur des bases trop élevées.
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 277
l'administration a le droit de prescrire sur les cours
d'eau, navigables et flottables, toutes les mesures qu'elle
juge utiles dans L'intérêt du service de la navigation ;
et que, par l'acte du 2 avril 1791, il n'a été fait, en fa-
veur de l'usine vendue au sieur Berteau, aucune déro-
gation aux règles générales établies par la législation
en cette matière ;
ART. 1er.
— La requête du sieur Berteau est rejetée.
CHAPITRE II
SUITE DU MÊME SUJET.

SECTION I

JUMSPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT.

14 juin 1839 (5rE Paris et Martin).


N°l. —Suppression d'un moulin à nef, postérieur à 1566, sur
la Dordogne. — Refus d'indemnité.
Les sieurs Paris frères et Martin étaient propriétai-
res d'un moulin à nef situé sur la Dordogne, au lieu
dit le Barail. L'établissement d'un chemin de halage,
nécessité par les besoins de la navigation, exigea la
suppression de ce moulin, ayant pour titre un arrêt
du conseil du roi en date du 31 août 1728.
Le conseil de préfecture, considérant que ce titre
était régulier, avait cru devoir régler le montant de
l'indemnité, à laquelle ces particuliers avaient droit
pour la suppression de leur moulin. Néanmoins, l'ad-
ministration supérieure, sur l'avis du conseil général
des ponts et chaussées, crut devoir demander la pro-
duction de nouveaux titres, et les propriétaires du
moulin du Barail ne purent exhiber que des actes de
vente qui ne remontaient pas au delà de l'an V.
D'après cela, l'administration s'est pourvue au Con-
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 279
seil d'État, contre l'arrêté du conseil de préfecture de
la Dordogne, qui avait admis, dans ce cas, le droit à
une indemnité.
Le ministre des travaux publics a développé, à l'oc-
casion de ce pourvoi, les motifs.suivants; savoir ; «Que
le domaine étant inaliénable de sa nature, aucun éta-
blissement ne saurait être fait sur une rivière naviga-
ble, qu'à titre précaire et de tolérance ; — Qu'à la
vérité il y avait exception à cette règle en vertu de la
déclaration du roi du mois d'avril 1683, mais seule-
ment en faveur des propriétaires qui pouvaient rap-
porter des titres de propriété authentiques, antérieurs
au 1er avril 1566, mais que rien ne justifiait un droit
au bénéfice de cette disposition, en faveur du moulin
du Barail ; — Qu'au contraire, l'arrêt du 31 août 1728,
constituant le titre le plus ancien qu'invoquaient les
sieurs Paris et Martin, tend à prouver que le moulin
du Barail, se trouve entièrement soumis à la règle
générale, puisque ses propriétaires étaient tenus « de
placer ce moulin dans les endroits le plus convenables
à la navigation et aux flottages, comme aussi d'entre-
tenir les digues du Pas-du-Roi ; le tout à leurs frais et
dépens, sans que, pour ces nouveaux établissements,
démolitions ou entretiens, ils pussent prétendre à au-
cun dédommagement ; » — Que si, d'une part, on s'ex-
plique qu'une indemnité puisse être due, en cas de sup-
pression d'usines, lorsque pour condition d'autorisa-
tion il a été versé un prix, un capital, dans la caisse de
l'État, d'une autre part, rien ne saurait justifier l'allo-
cation.de cette indemnité lorsque l'autorisation a été
280 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
accordée, soit à titre gratuit, soit à la condition d'une
simple redevance annuelle, à terme, comme la permis-
sion ; et qui cesse du jour même de la révocation delà
tolérance ; — Qu'en admettant une doctrine contraire,
ce serait traiter les détenteurs à titre précaire, des biens
inaliénables du domaine public, avec plus de faveur
que la loi du 14 ventôse an VII n'a traité les engagis-
tes des biens aliénables de l'État ; — Qu'en consé-
quence il n'était dû aucune indemnité quelconque, pour
la suppression du moulin du Barail. »
Cette doctrine a été admise par le Conseil d'État dans
l'arrêt ci-après :
Vu l'édit de février 1566;—Vu l'ordonnance de
1669, la déclaration d'avril 1683, l'arrêt du conseil du
31 mars 1728, l'arrêté du Directoire du 19 ventôse
an VI et la loi du 16 septembre 1807 ;
Considérant que la Dordogne est navigable et flotta-
ble, au point dont il s'agit; que les sieurs Paris et frères
et Martin ne justifient d'aucun titre de propriété au-
thentique, antérieur au 1er avril 1566 ; que dès lors ces
propriétaires ne sont en droit de réclamer aucune
indemnité pour la suppression de leur usine;
AKT. 1er.
— « L'arrêté du conseil de préfecture du
département de la Dordogne en date du 7 novembre
1837 est annulé. »
CAS GENERAL DE NON-INDEMNITÉ. 281

19 mars 1840 (Sr Conquéret).


N° 2. — Moulin à nef, postérieur à 1566, reconnu nuisible à la
navigation. — Suppression ordonnée d'office, par décision
ministérielle. — Pas de droit à indemnité.

Un arrêté du préfet de la Gironde du 28 octo-


bre 1836, confirmé par une décision ministérielle du
12 juin suivant, ordonna la suppression d'un moulin
à nef, situé sur la Garonne au lieu dit rislet, com-
mune delà Réole et appartenant au sieur Conquéret.
Cette décision était fondée sur ce que ledit moulin
rendait la navigation dangereuse; et sur ce qu'en
1829, le père du sieur Conquéret n'avait obtenu l'au-
torisation de réparer le même moulin qu'en s'enga-
geant à le démolir, quand l'administration le requé-
rerait.
Nonobstant la situation, ce particulier s'est pourvu
au contentieux contre la décision ministérielle pré-
citée.
Mais son pourvoi a été rejeté, par l'arrêt relaté ci-
dessus; dans lequel le Conseil d'État, après avoir visé
les lois sur la matière, s'est basé principalement sur
les motifs ci-après :
« En ce qui touche la destruction du moulin de
l'islet ; — Considérant qu'il s'agit, dans l'espèce, d'un
moulin situé sur une rivière navigable ; et qu'aux
termes des lois sus-visées il est du droit et du devoir
de l'administration de prescrire toutes les mesures de
police qu'elle juge propre à asssurer le libre cours
des eaux, et le service de la navigation ; et par consé-
282 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
quent d'ordonner la suppression de toute usine, nuisi-
ble sous ce rapport :
« En ce qui touche la question d'indemnité ;— Con-
sidérant que le sieur Conquéret ne justifie d'aucun titre
de propriété authentique, antérieur au 1er avril 1566;
que dès lors ce'propriétaire n'était en droit de réclamer
aucune indemnité, pour la suppression de son usine.
(Rejet.)
Un autre arrêt de la même date, en mars 1840
(Z)° Eue), rejette le recours, formé dans des conditions

presque identiques avec celles de l'espèce précédente.


— Il s'agissait d'un moulin situé sur la Marne, et dont
la suppression avait été ordonnée sans indemnité ;
par le seul fait que, dépourvu d'existence légale, il
était reconnu nuisible à la navigation.

27 mars 184t. — 27 décembre 1847 (Sr Aubertot et coiis.).


N° 3. — Prises d'eau ayant restreint le mode d'alimentalion
d'une ancienne usine. — Acte de vente nationale portant af-
fectation d'une force motrice déterminée. —Arrêt interlocu-
toire. — Constatation du maintien d'une force supérieure à
celle qui avait été concédée. —Arrêt définitif portant rejet de
la demande d'indemnité.
Les prises d'eau effectuées de 1833 à 1835 dans les
rivières navigables d'Yèvre et d'Auron, département
du Cher, pour l'alimentation du canal de Berry, ont
apporté un certain trouble dans le mode d'alimenta-
tion des forges de Vierzon. Les propriétaires de ces
usines ayant formé à ce sujet une demande en in-
demnité, elle fut rejetée par un arrêté du Conseil
de préfecture du Cher, du 1er février 1838.
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 2S3
Les sieurs Aubertot et cons. se pourvurent alors au
Conseil d'État, demandant l'annulation de l'arrêté sus-
dit; parle motif que les usines dont il s'agit avaient
donné lieu, 1° à un procès-verbal d'estimation, du
22 vendémiaire an V; 2° à une adjudication nationale,
du 4 frimaire de la même année ; et que dès lors elles
devaient être considérées comme ayant une existence
légale.
Des pièces produites dans ce pourvoi il est résulté :
qu'à la date susdite la forge de Vierzon située sur la
rivièred'Yèvre avait été vendue au sieur C... de T...,
avec la jouissance des eaux nécessaires, pour une fabri-
cation déterminée, d'un million de livres de fer. —
Il s'agissait donc de savoir si les prises d'eau sus-men-
tionnées avaient porté atteinte à l'ancien état de cho-
ses, ainsi constaté, — et c'est pourquoi le Conseil d'État
jugeant utile qu'il soit d'abord procédé à une exper-
tise, a rendu le 22 mars i842 un arrêt interlocutoire,
fixant d'une manière très-précise, la mission des ex-
perts.
Ils étaient chargés de rechercher et constater :
1° l'état des lieux et la puissance de la force motrice
de la rivière, à l'époque de l'adjudication nationale;
2" l'état actuel des lieux, la force actuelle de la chute,
et le rapport entre elle et la force primitive; — en te-
nant compte des améliorations que les progrès de l'in-
dustrie ont permis d'apporter dans la fabrication du
fer.
3° De rechercher, année par année, depuis la date
desprises d'eau, effectuées par l'administration, s'il y a
284 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
eu diminution de force motrice; et dans le cas de l'af-
firmative, quelles sont les causestemporairesoù perma-
nentes, fixes ou variables, de cette diminution ; — indi-
quer, en un mot, le rapport entre la force motrice
conservée et celle indiquée dans le procès-verbal
d'estimation.
L'expertise ordonnée constata : que la forge de
Vierzon, après l'ouverture de la prise d'eau, jouissait
encore de toute la force motrice à laquelle elle avait
droit de prétendre, en vertu de l'acte de vente natio-
nale.
En conséquence le Conseil d'État, après avoir visé
seulement la loi du 16 octobre 1807, a rejeté définiti-
vement la demande du sieur Aubertot et consorts,
par son arrêt du 27 décembre 1847, en se basant sur
les.motifs suivants :
« Considérant que par la vente nationale, en date du
4 frimaire an Y, il a été vendu au sieur C..., la forge
de Vierzon, et l'usage des eaux nécessaires à son ex-
ploitation, jusqu'à concurrence d'une fabrication d'un
million de livres de fer ; — qu'il résulte de l'instruc-
tion et des expériences auxquelles il a été procédé, en
vertu.de notre ordonnance du 22 mars 1841 que la
force motrice nécessaire pour cette fabrication calculée
d'après le mode suivi, en l'an V, dans cette usine ne peut
être regardée comme supérieure à soixante chevaux ;
« Qu'il est établi, par lesdites expériences, que la
force motrice dont l'usine de Vierzon a joui, depuis
l'ouverture du canal du Berry, égale au moins 138 che-
vaux, pendant la plus grande partie de l'année, et
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 285
n'est jamais tombée, même dans les conditions les
plus défavorables, au-dessous de soixante chevaux :
« Que dès lors les sieurs Aubertot et consorts laissés
en jouissance d'une force supérieure à celle qui leur a été
vendue, ne sont pas fondés à réclamer une indemnité eh
raison des prises d'eau nécessitées pour l'alimentation
du canal du Berry. »

13 février 1856 (Ve Poullet).


N° 4. —Moulin et pêcherie sur la Vire, établis postérieurement
à 1566. — Dépréciation causée par des travaux de canalisa-
lion. — Rejet de la demande en indemnité ; nonobstant une
venle nationale.
La canalisation de la Vire et la jonction de cette ri-
vière à la Taute, ont eu lieu par une C,e concession-
naire, en vertu de la loi du 30 avril 1833.
La construction d'une écluse, en amont du moulin,
dit des Claies, situé près de Vire, et d'un barrage en
aval, portèrent préjudice à cette usine, qui avait été
l'objet d'une, vente nationale, en date du 7 messidor
an IV. Ladite vente comprenait aussi la pêcherie atte-
nant à ce moulin.
La dame Poullet, propriétaire de l'usine susdite
forma devant le Conseil de préfecture de la Manche
une demande en indemnité, s'élevant à 91,000 fr.
Avant faire droit, ce conseil, par arrêté du 19 juillet
1841, ordonna qu'il soit procédé à une expertise.
Dans leur pourvoi contre cet arrêté, les conces-
-
sionnaires du canal de Vire et.Taute, ont soutenu,
en ce qui touche l'indemnité réclamée pour dimi-
286 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
nution en force motrice; que d'après la jurisprudence
constante du Conseil d'État il ne pouvait être alloué,
en la réclamante, d'indemnité pour cet objet, qu'au-
tant qu'elle justifierait, ce qu'elle ne faisait pas, d'un
titre de propriété, faisant remonter l'existence de son
usine à une époque antérieure au premier avril 1566.
La veuve Poullet a combattu ces prétentions et à
soutenu : 1° en ce qui concerne le moulin : que lors-
que l'État rendait navigable une rivière qui ne l'était
pas, il devait indemniser les propriétaires d'usines,
auxquels les travaux occasionnaient une réduction de
force motrice ; qu'en l'an IV la Vire n'était pas navi-
gable en ce point, et ne l'est devenue que par suite
des travaux autorisés en 1833;— 2° en ce qui con-
cerne la pêcherie, la réclamante a invoqué une déci-
sion du Conseil de préfecture du département de la Man-
che, du 30 novembre an XII, passée en force dechoseju-
gée, par laquelle il a été reconnu que le sieur Go hier
son auteur avait la propriété de ladite pêcherie, ainsi
que la faculté de s'en servir librement, à charge de
se conformer aux lois et règlements sur la matière.
M. le Ministre des travaux publics a soutenu de son
côté : que d'après des titres anciens la Vire était na-
vigable jusqu'à Saint-Lô ; c'est-à-dire bien en amont
de Vire, dès l'année 1551 ; que l'État, en vendant, en
l'an IV, le moulin et la pêcherie dont il s'agit, n'avait
pu aliéner son droit, d'apporter au régime de cette ri-
vière les modifications nécessaires au perfectionne-
ment de la navigation; que dès lors la demande en
indemnité devait être rejetée.
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 287"
C'est dans ce sens qu'a statué le Conseil d'État, dans
son arrêt du 13 février 1846, qui a annulé l'arrêté du
Conseil de préfecture ordonnant une expertise. 11 est
motivé ainsi qu'il suit :
« Considérant qu'aux termes des lois ci-dessus vi-
sées, l'administration a le droit de prescrire, sur les
rivières navigables, toutes les mesures qu'elle juge
utiles au service de la navigation ; et. qu'il n'est dû d'in-
demnité aux propriétaires d'usines, situées sur lesdites
rivières, auxquelles ces mesures seraient préjudicia-
bles qu'autant que l'origine de ces usines remonterait
à une époque antérieure à 1566 ; ou que, par suite
de vente nationale, il y aurait eu affectation spéciale
auxdites usines d'une force motrice déterminée; —
Considérant que la rivière de Vire est navigable et
flottable, depuis plusieurs siècles, au point dont il
s'agit ; que le seul titre produit par la veuve Poullet
est un acte de vente nationale du 7 messidor an IV ;
et qu'aucune affectation spéciale de force motrice
n'a été faite par ledit acte de vente; que dès lors, le
préjudice que ladite dame allègue avoir éprouvé, dans
l'exploitation de cette usine, par suite des travaux de
canalisation, exécutés dans le lit de la Vire, ne pouvait
donner lieu, en sa faveur, à l'allocation d'une indem-
nité. »
288 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.

14 janvier 1848 (Sc Belauné).


N° 5. — Chômage temporaire, occasionné par la reconstruc-
tion aux frais de l'État, d'une digue, intéressant à la fois la
navigation et l'existence d'un moulin sur la Cure, antérieur à
1566. — Rejet de la demande d'indemnité, présentée parle
fermier de cette usine.
Un arrêté du Conseil de préfecture du département
de l'Yonne, en date du 15 février 1857, a condamné
l'État à payer au sieur Delaune, fermier du moulin
de Régny-sur-Gùre, rivière flottable une indemnité,
à. fixer contradictoirement, à raison du chômage oc-
casionné audit moulin, par la reconstruction d'une
digue existant sur cette rivière. Cet arrêté était basé :
sur ce que les propriétaires des usines établies anté-
rieurement à 1566, et dont l'acte de vente nationale
contient affectation d'une force motrice déterminée,
doivent être indemnisés des dommages causés auxdites
usines, par des travaux du fait de l'administration;
alors même que les travaux faits dans l'intérêt de la
navigation seraient, en même temps, -profitables aux-
dites usines.
Cette doctrine a été combattue par le ministre des
travaux publics, qui, en déférant au Conseil d'État
l'arrêté précité, a soutenu : qu'en droit le principe
de l'indemnité était incontestable ; en faveur des usines
ayant une existence légale, lorsque des dommages
avaient lieu, par suite de travaux exécutés dans un
intérêt qui leur est étranger. Mais qu'il n'en était pas
ainsi dans le cas actuel; puisque les réparations de la
digue sur la Cure, bien qu'entreprises particulière-
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 289
ment, dans l'intérêt du flottage n'en avaient pas moins
profité, en même temps, à l'usine du réclamant; et
que si la digue eût été rompue, ce qui devenait immi-
nent, le moulin eût été complètement privé de la
chute qui le met en mouvement. — On ne compren-
drait pas, dès lors, que l'État fût obligé de payer à Y\i-
sinier une indemnité de chômage, alors qu'un service
très-réel lui a été rendu.
« Le droit de l'État eût même été de réclamer le
concours de l'usinier, dans la dépense. L'art. 34 de
la loi du 16 septembre 1807 lui en attribuait la fa-
culté. Le service rendu au réclamant l'emporte donc
sensiblement sur le dommage qu'il a souffert ; et ce
dommage eût été bien plus grave, si la digue eût été
rompue. »
Ces observations étant parfaitement équitables, le
Conseil d'Etat les a prises pour base des considérants
de son arrêt précité, portant annulation de l'arrêté du
conseil de préfecture de l'Yonne, en date du 15 février
1857 ; et rejet du recours, du sieur Delaune fermier
de l'usine dont il s'agit.

9 février 1865 (Sr Prestré).


K° 6. — Travaux faits dans l'intérêt de la navigation, ayant
amené, en même temps : 1° un très-notable accroissement de
la force motrice d'un moulin ; 2° la rupture d'une chaussée,
en partie a la charge de l'usinier. — Plus-value supérieure
au dommage. — Rejet de la demande d'indemnité.
En 1862 l'Administration des travaux publics a
fait supprimer, pour améliorer la navigation de l'Orne,
19
290 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
aux abords de la ville de Caen, le barrage d'un ancien
moulin dit de Montaigu. L'abaissement du plan d'eau
de la rivière, occasionné par cette suppression, a amené
un très-notable accroissement de chute au moulin
dit de Saint-André, appartenant au sieur Prestre et
situé immédiatement en amont de celui de Montai-
gu. — Mais la même cause a occasionné la rupture
d'une partie de l'ancienne chaussée dite de l'Hiron-
delle, dont le sieur Prestre était tenu de supporter l'en-
tretien dans certaines proportions. — La demande en
indemnité qu'il avait formée, tant pour cette dernière
cause que pour le fait du chômage de son moulin, pen-
dant la durée des travaux, avait été rejetée par le con-
seil de préfecture, par arrêté du 9 septembre 1863.
Ce particulier s'étant pourvu au Conseil d'État, cou-
tre ledit arrêté, il invoqua d'anciennes transactions,
en vertu desquelles les religieux dé Fontenay se se-
raient engagés envers ses auteurs à entretenir et répa-
rer ladite chaussée ; ajoutant que l'État avait succédé
à leurs obligations.
Mais M. le Ministre des travaux publics a établi,
au contraire : que les auteurs du requérant s'étaient
engagés à entretenir et réparer la chaussée de l'Hi-
rondelle, sans réclamer aucune indemnité pour les
dommages qui seraient du fait de l'administration ; que
l'État n'avait fait qu'user de son droit, en supprimant le
barrage de Montaigu ; et que cette suppression, solli-
citée d'ailleurs par le sieur Prestre, avait procuré à son
moulin de Saint-André un avantage bien supérieur à
la réparation de la chaussée.
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 291
En effet il est résulté du procès-verbal d'expertise,
en date du 6décembre 1862 et 28 janvier 1863, que
les réparations de la brèche de la chaussée de l'Hiron-
delle étaient estimées à 4,700 fr. ; tandis que l'aug-
mentation de force motrice procurée au moulin de
Saint-André donne à cette usine une plus-value dé-
passant 32,000 fr.
La demande en indemnité n'était donc pas fondée,
puisque l'État aurait pu même prétendre à une plus-
value.
Aussi le Conseil d'Etat l'a-t-il rejetée par son arrêt
précité, en se basant principalement sur ce motif :
« Qu'il résulte de l'instruction que, la suppression du
barrage de Montaigu effectuée par l'administration
en 1862, n'a pas causé au sieur Prestre icn dommage
qui fût de nature à lui ouvrir un droit à indemnité ;
— et que d'ailleurs lesdits travaux, en accroissant la
force motrice du moulin de Saint-André, avaient aug-
menté, notablement, la valeur de cette usine. »

SECTION II,
RliSUMÉ DES CHAPITRES XIII ET XIV.

Par les espèces citées dans ces deux chapitres on


voit que les cas généraux de suppression, sans in-
demnité, dans les circonstances prévues par les lois et.
règlements, ont été appliqués, sans hésitation par le
Conseil d'Etat.
Ce juge suprême en matière de contentieux admj-
292 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
nistratif semblait d'abord n'admettre comme preuve
de l'existence légale d'une usine établie sur les eaux
du domaine public, qu'un seul cas : celui d'une ori-
gine antérieure au mois d'avril 1566 (Arrêts cités sous
les n°s 2, 3, 6 et 7). — Et cette doctrine ressort en-
core plus explicitement des arrêts rapportés sous les
n" 4, o, 9; — par lesquels la demande d'indemnités
est rejetée, nonobstant une vente nationale.
L'examen d'autres espèces citées dans le chapitre
suivant pourrait faire croire que le Conseil d'État est
ensuite revenu sur cette manière de voir. — Nous
indiquerons les motifs d'après lesquels nous pensons
qu'il n'en est pas ainsi ; et qui peuvent expliquer l'ap-
parente anomalie présentée par lesdits arrêts.
Ceux qui sont cités sous les numéros 10 et 11 mon-
trent qu'il est du devoir des agents administratifs et
des conseils de préfecture de signaler les circonstances
qui, une fois le principe de l'indemnité reconnu, peu-
vent en atténuer le chiffre. — Comme cela se rap-
porte, plus particulièrement, au mode de règlement
des indemnités, c'est au chapitre iv ci-après qu'il
est traité de cet objet.
Mais la plus remarquable des décisions qui se trou-
vent citées dans les deux chapitres susdits est celle qui
adonné lieu aux deux arrêts des 29 mars 1841 et
27 décembre 1847, l'un interlocutoire, l'autre défini-
tif, concernant les forges de Vierzon, département du
Cher.
A la suite de prises d'eau, pour l'alimentation d'un
canal, une réduction notable, et non contestée de la
CAS GÉNÉRAL DE NON-INDEMNITÉ. 293
force motrice avait modifié la situation de cette an-
cienne usine, vendue nationalement en l'an V. Mais
cette vente avait été précédée d'un procès-verbal d'es-
timation détaillée, établissant : que la force motrice
concédée était celle reconnue nécessaire à cette épo-
que, pour la fabrication annuelle d'un million de
livres (ou 500 tonnes) de fer.
Dès lors le Conseil d'État a agi avec sagesse en tra-
çant d'abord, de la manière la plus précise, dans son
arrêt interlocutoire, la marche à suivre par les ex-
perts, pour arriver à la comparaison des situations,
ancienne et nouvelle; puis en décidant, dans son arrêt
définitif : que les possesseurs des forges de Vierzon,
restés, depuis l'ouverture du canal de Berri, en jouis-
sance d'une force supérieure à celle qui leur avait été
vendue, étaient sans droit à réclamer une indemnité. "
Ces premières réflexions se trouvent complétées par
celles qui sont présentées, en forme de résumé, à la
suite des chapitres m, iv et v, ci-après.
CHAPITRE III

CAS DANS LESQUELS UNE INDEMNITÉ A ÉTÉ ACCORDÉE.

SECTION I

SUITE DE LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT.

26 décembre 1840 (S1 Cru et consorts).


N° 1. — Suppression d'un moulin à nef sur la Dordogne. —
Existence légale : indemnité allouée. — Recours de l'usi-
nier, pour évaluation insuffisante. — Maintien de la première
décision.

Un arrêté du conseil de préfecture de la Dordogne,


du 20 mai 1835, a ordonné la suppression du moulin
à nef, dit de Privet, établi sur la rivière de ce nom ;
en subordonnant tout règlement d'indemnité à la
production des titres devant justifier, pour ledit mou-
lin, une existence antérieure à 1566. — Le 12 sep-
tembre de la même année un second arrêté reconnaît
la validité des titres produits et décide, en principe,
qu'il y a lieu à indemnité. — Enfin le 23 novembre
1836 un troisième arrêté réduit à la somme de
12,000 francs l'indemnité, que les experts propo-
saient de porter à 22,500 francs.
Par décision du 23 février 1837 M. le ministre
INDEMNITÉS ALLOUÉES. 295
des travaux publics a déclaré adhérer aux dispositions
de cet arrêté.
Le 15 juillet 1837 les sieurs Cru et consorts, pro-
priétaires dû moulin de Privet, se sont pourvus contre
l'arrêté du 23 novembre et contre la décision minis-
térielle, pour incompétence et mal jugé.
M. le Ministre a pris alors des conclusions, par les-
quelles il retirait son adhésion audit arrêté, dont il
demandait l'annulation.
Le Conseil d'État, après avoir visé toutes les pièces
de la procédure, a maintenu le chiffre de 12,000 francs,
fixé par l'arrêt du 23 novembre, en déclarant le rni-
nistre non recevable à contester le principe même de
l'indemnité, auquel il avait acquiescé par la décision
du 23 février 1837.

6 janvier 1853 {Sr Leblanc-Daveau).

N° 2. — Chômage temporaire, occasionné par des travaux de


navigation, à un moulin d'origine antérieure à 1566, vendu
nalionalement, en 1791. — Indemnité allouée.

Par arrêté en date du 18 août 1849 le préfet de


l'Yonne ordonna le chômage des usines situées sur la
Cure et l'Yonne, dans le but de permettre des travaux
de règlement du lit de ces deux rivières. — Le sieur
Leblanc-Daveau, propriétaire sur la Cure d'un mou-
lin antérieur à 1566 et de plus vendu nationalement
le 30 août 1791, se pourvut devant le conseil de pré-
fecture, à l'effet d'obtenir une indemnité pour les cinq
jours de chômage qu'il avait supportés; et par arrêté
296 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
du 29 décembre 1851, cette indemnité fut fixée à
200 francs.
M. le Ministre des travaux publics se pourvut con-
tre cet arrêté. Il soutenait : que l'administration avait
toujours le droit de prescrire, sur les rivières naviga-
bles, ou flottables, toutes les mesures à prendre, dans
l'intérêt de la navigation, sans être tenue à aucune in-
demnité à raison des chômages temporaires qui se-
,
raient la conséquence de ces mesures.
Mais le Conseil d'État n'a pas admis cette doctrine
et a rejeté le pourvoi, en se basant sur les motifs sui-
vants :
« Considérant que le chômage imposé, par l'arrêté
sus-visé, aux propriétaires des usines situées sur la
Cure, avait pour but de permettre des travaux à faire
dans l'intérêt de la navigation ; — Que le moulin ap-
partenant au sieur Leblanc-Daveau, dont l'existence
ancienne est constatée par un bail de l'année 1555, a
été vendu à ses auteurs suivant acte d'adjudication
nationale, en date du 30 août 1781 ; — Que dans ces
circonstances c'est avec raison que le conseil de pré-
fecture de l'Yonne a décidé qu'il était dû au sieur
Leblanc-Daveau, propriétaire dudit moulin, une in-
demnité, à raison du préjudice, résultant pour lui du
chômage ordonné par le préfet. »
( Rejet du pourvoi du Ministre des travaux pu-
blics.)
INDEMNITÉS ALLOUÉES. 297

27 août 1857 (de Nicolaï).


N° 3. — Suppression d'un moulin à nef, sur la Garonne. —
Existence légale non contestée. — Droit à indemnité. —
Offres insuffisantes. — Décision favorable à l'usinier.

Par suite de la suppression d'un moulin à nef ap-


partenant à madame de Nicolaï, sur la Garonne (dé-
partement de Tarn-et-Garonne) et dont l'existence
légale n'était point contestée, le conseil de préfecture
de ce département, après la suppression de cette usine,
en 1845, pour cause d'utilité publique, n'avait alloué
qu'une indemnité de 4,000 fr.
Dans le recours formé, pour insuffisance de cette
indemnité, dont M. le ministre des travaux publics
demandait le maintien, le Conseil d'État considérant :
qu'il résultait des expertises, et autres éléments de
l'instruction, que la dame de Nicolaï avait droit à une
indemnité de 12,080 fr. ; saris qu'il y ait lieu de tenir
compte de la valeur des matériaux, dont elle n'avait
pu tirer parti ; que les intérêts de ladite somme étaient
dus, du jour où ladite dame, par suite de la suppres-
sion de l'usine, avait été privée des revenus ; — que le
refus fait par l'administration jusqu'en 1854, d'allouer
une indemnité suffisante, avait rendu nécessaires les
deux expertises, a décidé :
1° Que l'indemnité due dans l'espèce resterait fixée
à ladite somme de 12,080 ;
2° Que l'État supporterait seul les frais des deux ex-
pertises.
298 CHOMAGES. DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.

NG4. — Une décision semblable prise par le Conseil d'État,
dans un autre arrêt, de même date que le précédent —
27 août 1857 (S 1 Aurenque) — est intervenue à l'occasion de
l'indemnité réclamée par suite de la suppression d'un
deuxième moulin à nef, sur la Garonne.
Le chiffre alloué par le conseil de préfecture ayant
paru insuffisant, l'indemnité due au sieur Aurenque a
été fixée par le Conseil d'Etat à la somme de 15,100;
avec intérêts, du jour de la suppression.
De plus, comme dans l'espèce précédente, l'Etat a
été condamné à supporter les frais des deux expertises.

H décembre 1858 (Sr Leclanché).


N° 5. — Suppression d'une usine antérieure à 1566, et vendue
nationalement en 1791. —Changements intérieurs n'ayant
pas modifié le régime hydraulique. — Discussion portant
seulement sur le chiffre de l'indemnité.
Le sieur Leclanché possédait, sur la Seine, à Pont-
de-1'Arche (Eure), un ancien moulin dont l'existence
remontait au delà du mois d'avril 1566. Des travaux
publics, exécutés en lit de rivière, ayant amené sa sup-
pression, le principe d'une indemnité à accorder n'a
pas été mis en question ; mais il y a eu lieu de dis-
cuter le chiffre de cette indemnité.
Une paire de meules avait été ajoutée au mécanisme
intérieur de l'usine, postérieurement à 1566 ; et le
conseil de préfecture de l'Eure, considérant que cette
addition n'avait pas modifié le régime hydraulique
ou extérieur, avait, par arrêté du 25 septembre 1855,
accordé à l'usinier une indemnité de 20,000 fr. et con-
damné l'Etat à la totalité des frais d'expertise.
INDEMNITÉS'ALLOUÉES, 299,
. . .

Dans le recours formé contre cet arrêté par le Mi-


nistre des travaux publics, on faisait valoir que si, sur
les cours d'eau non navigables, et ainsi que le Conseil
d'Etat l'a lui-même reconnu, dans son arrêt du
29 novembre 1851 (sieur Rouyer), les changements *

intérieurs, ne rnodifiant rien au système hydraulique,:-


n'étaient point interdits aux usiniers, il n'en pouvait
être ainsi sur une rivière navigable, où lés moindres
changements apportés au régime ancien pouvaient in-:
Huer sur la navigabilité: — En conséquence, M. le mi-
nistre concluait à ce que l'indemnité à allouer au sieur
Leclanché fût réduite à 15,927 fr.;> chiffre admis dans
l'avis de l'ingénieur en chef, tiers-expert; chacune des
parties devant rester chargée des frais de' son expert.
Les offres primitives de l'administration n'étaient
que de 12,000 fr: l'expert de l'administration éva-
luait l'indemnité due au chiffre de 22,000 fr. ; et le
tiers-expert à celui de 15,927 fr.
C'est cette dernière somme qui a été admise par
le Conseil d'État; lequel, par son arrêt ci-dessus cité, a
déclaré, en outre, que la totalité des frais d'expertise
restait à la charge de l'E tat.

16 décembre 1858 (S1 Viard).


N° 6. — Moulin sur la Moselle, vendu' riationalement en
l'an IV. — Suppression presque complète de la force motrice,
par des travaux dans l'intérêt de la navigation. — Droit à in-
demnité, reconnu eh principe.

Le sieur Viard possédait un moulin situé à Pont-à-


Mousson, sur une dérivation de la Moselle. Cette pos-
300 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
session résultait d'un acte de vente nationale, en date
du 11 messidor, an IV, en vertu duquel l'Etat a vendu
à ses auteurs le moulin et son canal.
En 1841, l'administration a fait couper, dans l'in-
térêt de la navigation, une digue établie dans le lit de
la rivière, et servant à opérer la dérivation des eaux,
dans l'intérêt du mouliu dont il s'agit. Cette opération
ayant amené la suppression presque complète de la
force motrice, le sieur Viard s'adressa au conseil de
préfecture de la Meurthe à l'effet d'obtenir, soit le ré- '
tablissement de son usine, dans l'état où elle lui avait
été vendue, en l'an IV, soit une indemnité équivalente
au dommage par lui éprouvé.
Le conseil de préfecture se fondant sur ce que l'acte
de vente précité avait transmis, aux auteurs du sieur
Viard, le moulin et son canal, sans affectation spéciale
d'aucune force motrice déterminée, rejeta sa de-
mande.
C'est alors que le sieur Viard a demandé, devant le
Conseil d'Etat, l'annulation de cet arrêté.
M. le Ministre des travaux publics avait cru devoir
combattre la demande en indemnité, par le motif
qu'une concession de prise d'eau, sur une rivière na-
vigable, bien qu'elle fût sanctionnée par une vente na-
tionale, ne pouvait être accordée qu'à la condition im-
plicite de ne pas nuire à la navigation ; que la digue
en question étant reconnue nuisible, l'administration
n'avait fait que son devoir en en ordonnant sa sup-
pression ; et que, dans ce cas, l'usinier ne pouvait pré-
tendre à une indemnité.
INDEMNITES ALLOUÉES. 301
Mais le Conseil d'État n'a pas partagé cet avis et a
rendu l'arrêt ci-après :
Considérant qu'aux termes de l'acte de vente na-
tionale du 11 ?7îessidor an IV, l'État, en vendant aux
auteurs du sieur Viard le moulin, avec le canal qui
l'alimente, leur a par cela même concédé la force mo-
trice qui y était utilisée, au moment de la vente ;
Que dès lors, dans le cas où la coupure pratiquée
dans la digue aurait pour effet de supprimer, en tota-
lité ou en partie, cette force motrice, l'État lui devait
une indemnité; et qu'ainsi c'est à tort que le conseil de
préfecture de la Meurthe a décidé qu'il n'y avait lieu
de la lui accorder; »
AHT. 1er. — L'ai'rêté du conseil de préfecture de la
Meurthe du 5 février 1868 est annulé.
ART. 2.— Le sieur Viard est renvoyé devant le même
conseil, pour y être statué, ce qu'il appartiendra, sur
la demande d'indemnité ; après qu'il aura été procédé
à une expertise, conformément à l'art. 56 de la loi
du 16 septembre 1807.

27 juillet 1859 (Sr Ducos-Bertrand).


1S 07. — Chômage d'un moulin, postérieur à 1566; mais vendu
nationalement en l'an III. — Recours de l'usinier contre un
arrêlé du conseil de préfecture, refusant toute indemnité. —
Décision en sa faveur.

La construction d'un pont, sur la Garonne, com-


mune de Valentine, département de la Haute-Garonne,
a occasionné le chômage temporaire d'un moulin situé
sur ladite rivière.
302 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
Le sieur Ducos-Bertrand, propriétaire de cette usine,
s'est adressé au conseil de préfecture à l'effet d'obte-
nir l'indemnité à laquelle il pensait avoir droit ; et
qu'il évaluait au chiffre de 631 fr.
Mais, par arrêté du 7 septembre 1848, ce tribunal a
rejeté sa demande; par le motif que le moulin en
question n'avait pas d'existence légale. — Pourvoi.
Le Conseil d'État, après avoir visé : 1° les obser-
vations du ministre des travaux publics, tendant au
maintien de l'arrêté attaqué; le procès-verbal d'adju-
dication, du 7 prairial, an III ; l'édit de février 1566,
l'ordonnance de 1669 et la loi du 16 septembre 1867;
« Considérant que le chômage donnant lieu à la
demande en indemnité a été occasionné par des tra-
vaux ordonnés par l'administration ; — Que, de plus,
le moulin du sieur Ducos ayant été vendu nationa-
lement, son existence devait être considérée comme
légale ;
'<
Que par suite, c'est à tort que le conseil de pré-
fecture a décidé qu'il n'était dû au requérant aucune
indemnité;
ART. 1er.
— « L'arrêté du conseil de préfecture de la
la Haute-Garonne du 7 septembre 1858 est annulé.
2.— « Le sieur Ducos Bertrand est renvoyé de-
ART.
vant le même conseil, pour qu'il soit statué sur le
fond de sa demande en indemnité. »
INDEMNITÉS ALLOUÉES. 303

7 mars 1861 (Hérit. Ser).


N° 8. — Usine antérieure à 1566, et vendue nationalement. —
Annulation d'un arrêté du conseil de préfecture qui avait
repoussé, en principe, l'allocation de toute indemnité.

La construction du barrage de Montbrun sur le Lot


(département du Lot) a amené la suppression de la
force motrice d'un moulin, appartenant aux héritiers
Ser.
Par arrêté du 13 septembre 1859, le conseil de
préfecture avait rejeté la demande de ces particuliers
tendant à l'obtention d'une indemnité, par le motif
que l'usine dont il s'agit n'avait pas d'existence légale.
Ce tribunal était d'avis : qu'en admettant même
l'existence antérieure à 1566, par cela seul que le
moulin avait fait l'objet d'une vente nationale, après
l'abolition de la féodalité, la vente de la force motrice
empruntée à une rivière navigable n'avait pu avoir
lieu que d'une manière précaire.
Dans leur pourvoi au Conseil d'Etat contre ledit
arrêté, les exposants ont fait valoir : que l'existence lé-
gale de leur usine était établie par divers documents
authentiques, notamment par des titres remontant à
l'année 1540, mais surtout par la vente nationale du
moulin, faite à leurs auteurs en 1792, et sans aucune
réserve. — Ils demandaient en conséquence à être
renvoyés devant le conseil de préfecture pour qu'il
soit procédé contradictoirement au règlement de
l'indemnité qui leur était due; avec intérêts, du jour
de la demande. — Ces conclusions étaient d'ailleurs
304 CHOMAGES. -^- DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
acceptées par l'administration des travaux publics.
C'est dans ce sens qu'a statué le Conseil d'Etat, dans
son arrêt précité.

27 mars 1862 (Sr ZagorawsM).


N° 9. — Question de propriété des bief et sous-bief d'une
usine vendue nationalement, en l'an IV. — Interprétation en
faveur de l'usinier.
Dans une contestation survenue, entre l'administra-
tion des travaux publics et le propriétaire d'un moulin
situé sur l'Yonne, département de ce nom, à l'occa-
sion des travaux exécutés sur ladite rivière, le conseil
de préfecture de l'Yonne, par arrêté du 6 août 1860,
décida : que le bief et le sous-bief du moulin Bri-
chou, appartenant au sieur Zagorowski, avaient été
compris dans la vente nationale faite à son auteur le
21 prairial an IV.
M. le Ministre des travaux public s'est pourvu contre
cet arrêté, en faisant rémarquer que lé bief et le
sous-bief de l'usine Brichou formaient une décharge
indispensable à la navigation de l'Yonne; et comme
tels, constituaient un véritable bras de cette rivière,
sur lequel il ne peut exister aucun droit de propriété
privée.
Mais le Conseil d'Etat n'a pas adopté cette doctrine.
Après avoir visé : les observations du ministre des
Finances; les procès verbaux d'estimation et d'adju-
dication du moulin Brichou, en date du 18 et 21 prai-
rial an IV; et la loi du 28 pluviôse, an VIII, il a rejeté
le recours de l'administration en se fondant sur ces
INDEMNITÉS ALLOUÉES. 305 '

motifs : « qu'aux termes du procès-verbal d'adjudica-


tion ci-dessus visé, l'Etat avait vendu le moulin Bri-
chon et ses dépendances ; et que, parmi celles-ci, le
procès-verbal d'adjudication, qui a précédé la vente,
désigne expressément le bief et le sous-bief dudit
moulin; que c'était dès lors avec raison que le Conseil
de préfecture avait déclaré qu'ils faisaient partie de la
vente nationale du 21 prairial, an IV. »

27 juillet 1862 (Sr Vital).


N° 10. — Usine postérieure à 1566, vendue nationalement. —
' Chômages occasionnés par la construction d'un pont. —
Droit à indemnité contesté par le conseil de préfecture. —
Décision en faveur de l'usinier.

Les.travaux d'établissement du chemin de fer de


l'Est comprenaient la construction d'un pont à établir
sur la Lanterne, territoire de Favernay (Haute-Saône) ;
et cela occasionna le chômage d'un moulin situé dans
ladite commune.
Le propriétaire s'étant adressé au conseil de préfec-
ture pour obtenir une indemnité, celui-ci a décidé
le 29 octobre 1860 : que le sieur Vital n'y avait pas
droit; attendu qu'il ne justifiait pas que l'existence de
son usine fût antérieure à 1566 ; qu'à la vérité ce
moulin avait été vendu nationalement, le 21 fé-
vrier 1791 ; mais sans garantie d'une force motrice
déterminée; que d'ailleurs l'arrêté préfectoral du 17
août 1833, réglementaire dudit moulin, avait imposé
au permissionnaire l'obligation de ne prétendre au-
cune indemnité dans, le cas où l'administration, dans
20
306 CHOMAGES. —? DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
l'intérêt de la navigation, du commerce ou de l'indus-
trie, jugerait convenable de retirer, en tout ou en
partie, les avantages résultant de la permission.
Le sieur Vital s'est pourvu devant le Conseil d'Etat,
contre cet arrêté, qui a été annulé d'après les motifs
suivants :
E?i ce qui touche le droit à indemnité; — « Considé-
rant que l'Etat, en vendant ce moulin le 21 février 1791,
aux auteurs du sieur Vital leur a, par cela même, con-
cédé la force motrice qui y était utilisée ; que si, dans
le règlement qui en a été fait en 1833, il a été stipulé
que. le permissionnaire ne pourrait prétendre aucune
indemnité dans le cas ou dans l'intérêt de la naviga-
tion du commerce, ou de l'industrie, l'administration
jugerait convenable de lui retirer tout ou partie des
avantages résultant de la permission, cette disposition
ne faisait pas obstacle à l'exercice des droits qui lui
appartenaient antérieurement; — que dès lors c'est à
tort que le conseil de préfecture avait refusé d'allouer
une indemnité :
En ce qui touche la quotité de l'indemnité. — « Con-
sidérant qu'en fixant cette indemnité au chiffré de
3,400-francs, il sera fait une juste appréciation de l'im-
portance des chômages causés au moulin du sieur Vital,
par les travaux de construction du pont du chemin de
fer de l'Est, sur la rivière la Lanterne.
En conséquence l'arrêté précité du conseil de pré-
fecture de la Haute-Saône a été annulé."— La compa-
gnie des chemins de fer de l'Est a été condamnée à
payer au sieur Vital une indemnité de 3,400 francs ;
INDEMNITÉS ALLOUÉES, 307
• •

avec intérêts à partir du 15 mars 1861, date de la de-


mande qu'il en a faite; et en outre aux dépens, ainsi
qu'aux frais d'expertisé. :

12 juillet 1868 [S' Launoy).


N° H. —Chômage d'une usiné ancienne, occasionné par des
travaux faits dans l'intérêt dé la navigation. — Réduction de
l'indemnité motivée sur les réparations effectuées par l'usi-
nier, pendant la durée du chômage. •

Dés travaux.exécutés, en 1861, au pertuis navigable


de la Marne,, à Vitry le ^Français, ont occasionné un
chômage, d'environ sept jours, à l'usine dite les Grands-
Moulins, appartenant au sieur Launoy. Ce particulier
.s'est adressé au conseil de préfecture pour réclamer, à
..titre d'indemnité, une somme de 1,309 fr. 20, à raison
d'un chômage de sept jours trois heures. — Mais ce
conseil par son arrêté du 26 janvier 1864 n'a alloué
qu'une somme de 247 fr. 50; en se fondant sur ce
que de propriétaire de l'usine ou,ses auteurs auraient
usurpé une forcé motrice, double environ de celle qui
.avaitété comprise dâns'la,vente nationale du 6 ventôse
au VI ; et sur ce qu'il y aurait lieu de retrancher,
dans le calcul de l'iridemnité, le temps mis à profil,
.par l'usinier, pendant le chômage, pour faire,des ré-
parations utiles à son usine.
Le sieur.Launoy a demandé au Conseil d'État l'an-
nulation de cet arrêté ; en soutenant, qu!en vertu de
titres anciens, antérieurs à 1566, il avait droit à la to-
talité de l'eau de la rivière, sans fixation d'un niveau
déterminé^; que la chute dont il jouissait était la même
308 CHOMAGES.— DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
que celle qui était utilisée au moment de la vente na-
tionale; c'est-à-dire, avec une hauteur de 2m,l0 ; et
que l'indemnité à lui allouée devait être calculée d'a-
près cette chute, ou à raison de 183 fr. 70 par jour de
chômage, avec intérêts du jour de la demande.
M. le Ministre des travaux publics a soutenu que le
requérant tenait tous ses droits uniquement de l'acte
de vente nationale du 6 ventôse an VI ; lequel ne se
réfère nullement aux anciens titres et mentionne seu-
lement un moulin à quatre tournants ; — qu'il résulte
de divers documents que la chute d'eau, au moment
de la vente, n'avait qu'une hauteur variant de 0m,97
à lm,30.
Le Conseil d'État, après avoir visé l'acte de vente pré-
cité, les rapports des ingénieurs et les lois sur la hia-
tière, a statué en ces termes :
Considérant que, par acte du 6 ventôse an VI, l'État
a vendu aux auteurs du sieur Launoy un moulin à
quatre tournants sis sur la Marne à Vitry ; et leur a par
cela même concédéla force motrice qui y était utilisée au
moment delà vente; — Qu il résulte de l'instruction
qu'à cette époque ladite usitie était, et n'a pas cessé de-
puis, d'être en possession d'une chute de 2*>, 10 ; que dans
ces circonstances c'est à tort que le conseil de préfecture
a réduit l'indemnité due au requérant, pour le chômage
de son usine; en se fondant sur ce qu'une partie de cette
chiite aurait été. usurpée ;
Mais considérant que le sieur Launoy a profité de la
mise à sec du bief de ses moulins pour y exécuter diverses
réparations; et que, pendant la durée de ses propres tra-
INDEMNITÉS. ALLOUÉES. 309

vaux, il n'a éprouvé aucun préjudice qu'il puisse impu-


ter à l'administration ;
Considérant qu'en tenant compte, à ce propriétaire
d'un chômage effectif de quatre jours et trois heures en
fixant l'indemnité qui lui est due, pour ce chômage, à
raison de {20 francs par jour ; soit au total, à 515 francs,
il sera fait une juste appréciation du dommage qui lui
est causé.
ART. 1er.'— L'indemnité due au sieur Launoypour.le
chômage de son usine, occasionné par les travaux
exécutés en 1861 au pertuis navigable de la Marne à
Vitry est fixée à la somme de 545 francs. — ART. 2. Les
intérêts de ladite somme courront du jour où ce
particulier justifiera avoir fait. la demande desdits
intérêts. — ART. 3. L'arrêté du conseil de préfecture
de la Marne ci-dessus visé est réformé en ce qu'il a de
contraire au présent décret. — ART. 4. Le surplus des
conclusions du sieur Launoy est rejeté. — ART. 5. Les
dépens seront supportés par l'État.

2 juin 1869 (Moulins de Moissac).


N° 12. — Usine sur le Tarn, antérieure à 1566 et vendue natio-
nalement en l'an II. — Chômages occasionnés, en 1867, par
des travaux faits dans l'intérêt de la navigation. — Droit à in-
demnité, reconnu en principe.
Des travaux, à exécuter dans l'intérêt de la naviga-
.
tion du Tarn, ont exigé le chômage, temporaire des
moulins situés sur cette rivière, à Moissac. Les ac-
tionnaires et fermiers desdits moulins ayant présenté
au conseil de préfecture du département de Tarn-
310 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
et-Garonne une demande en indemnité, ce tribunal,
par arrêté du 9 mars 1868, ordonna qu'il fût pro-
cédé à une expertise contradictoire; à l'effet d'évaluer
l'indemnité qui pourrait être due aux réclamants,
par suite du préjudice résultant du chômage de leurs
usines.
M. le ministre des travaux publies a prétendu que
l'Administration avait toujours le droit de prescrire,
sur les rivières navigables et flottables, toutes les me-
sures nécessitées par l'intérêt de la navigation ; sans
être tenue au payement d'aucune indemnité, à raison
des chômages qui seraient la conséquence de ces
mesures ; que ce droit de l'Administration constituait;
une servitude, qui avait toujours pesé sur les moulins
de Moissac, et qu'elle aVait dû être maintenue lors de
la vente nationale du Grand-Moulin, le 29 fructidor
an II. — En conséquence, il a demandé, dans son re-
cours, l'annulation de l'arrêté précité du conseil de
préfecture.
• ..,
Dans leur mémoire en défense, les actionnaires de
la Société des moulins de Moissac ont soutenu, au
contraire : que ces moulins étant établis antérieure-
ment à 1566, et ayant ainsi une existence légale,
l'Administration ne pouvait les mettre en chômage
sans indemnité.
Le Conseil d'État, après avoir visé : 1° l'acte de
vente nationale des 15 et 29 fructidor an II; 2° l'arrêté
du préfet du .18 juin 1867, prescrivant, du 15 au 20
septembre, le chômage des usines situées sur le Tarn,
en amont de Montauban, pour l'exécution de divers
INDEMNITÉS ALLOUÉES. ' 311

travaux à exécuter sur cette rivière ; 3° l'édit du mois


de février 1566; 4° l'art. 48 de la loi du 16 septembre
1807:
« Considérant que le recours du ministère des tra-
vaux publics, contre l'arrêt par lequel le conseil de
préfecture a ordonné une expertise à l'effet d'apprécier
le montant de l'indemnité qui pourrait être due aux
actionnaires et fermiers des moulins de Moissac, pour
le chômage de ces moulins, prescrit par l'Administra-
tion pendant l'exécution de certains travaux, est fondé
sur ce qu'aucune indemnité ne saurait être réclamée,
sur les cours d'eau navigables ou flottables, pour le
chômage de ces établiseements, résultant de travaux
faits dans l'intérêt de la navigation ;
« Considérant que si les usiniers sont tenus de sup-
porter, sans indemnité, les chômages résultant de tra-
vaux ayant à la fois pour objet l'intérêt de la navigation
et pour but de conserver la force motrice de leurs usines,
ils sont fondés à réclamer une indemnité pour les chô-
mages occasionnés par les travaux faits dans l'intérêt
exclusif de la navigation;
« Que les experts nommés en exécution de l'arrêté
ci-dessus visé devront déterminer : 1° si les travaux à
l'occasion desquels le préfet de Tarn-et-Garonne a
prescrit le chômage des moulins de Moissac, dont
l'existence légale est reconnue, intéressent exclusive-
ment la navigation ; — 2° s'il n'aurait pas été procédé
simultanément à des travaux destinés à conserver la
force motrice de ces moulins et à des travaux faits
dans l'intérêt de la navigation; enfin, si l'exécution de
312 CHOMAGES CAUSÉS PAR LA NAVIGATION.

ces derniers travaux n'aurait pas occasionné une pro-


longation du chômage ou du ralentissement de la
marche desdits moulins ;
« Qu'il suit de là que le ministre des travaux pu-
blics n'est pas fondé à demander l'annulation de l'ar-
rêté attaqué ; sauf à lui à faire valoir, lors de l'exper-
tise, tels moyens de droit, à l'effet d'établir que les
travaux exécutés ne rentraient pas dans la catégorie de
ceux pour lesquels une indemnité est due, conformé-
ment aux distinctions qui précèdent.
ART. 1er.
— « Le recours du ministre des travaux
publics est rejeté. » — (Dépens à la charge de l'État.)

SECTION II

CHOMAGES CAUSÉS PAR LA NAVIGATION OU LE FLOTTAGE. —


INDEMNITÉ SPÉCIALE A LA CHARGE DES PARTICULIERS.

Léqislation. — Il reste à dire quelques mots du


chômage occasionné aux moulins et usines, parle pas-
sage des bateaux, trains, ou bois flottés ; lequel donne
lieu à une indemnité fixe, mise à la charge des pro-
priétaires de bateaux, mariniers, ou autres. Ce genre
de chômage, quoique ne rentrant que d'une manière
très-accessoire, dans l'objet important de ce chapitre,
ne pouvait cependant y être passé sous silence.
Voici les dispositions législatives qui le régissent :
Ordonnance de 1669 :
ART. 45. — Béglons et fixons le chômage de chaque
moulin qui se trouvera, établi sur les rivières naviga-
INDEMNITÉ SPÉCIALE. 313
bles et flottables, avec droits, titres et concessions,
à quarante sols, pour le temps de vingt-quatre heures;
qui seront payés aux propriétaires des moulins, ou
leurs fermiers et meuniers, par ceux qui causeront le
chômage pour leur navigation et flottage, faisant
:

très-expresses défenses à toutes personnes d'en exiger


davantage, ni de retarder en aucune manière la na-
vigation et le flottage; à peine de mille livres d'a-
mende, outre les dommages et intérêts, frais et dé-
pens, qui seront réglés par nos officiers des maîtrises;
sans qu'il puisse y être apporté aucune modération.
L'ordonnance de 1672, applicable indistinctement
aux rivières navigables et aux simples ruisseaux, flot-
tables à bûches perdues, mais seulement dans le bassin
de la Seine, reproduit la même disposition avec quel-
ques développements, et porte, chap. XYH, art. 13 :
« Quand aucuns moulins, construits par titres au-
thentiques, sur les rivières et ruisseaux flottables, tour-
nants et travaillants actuellement, chômeront au sujet
du passage des bois flottés, sera payé pour le chômage
d'un moulin pendant 24 heures, de quelque nombre de
roues que le corps du moulin soit composé, la somme
de QUARANTE SOLS ; si ce n'est que les marchands ne soient
en possession; de payer moindre somme auxdits proprié-
taires des moulins, ou leurs meuniers; auxquels cas
sera payé suivant l'ancien usage. Défense auxdits meu-
niers, à peine de fouet, de se faire payer aucune autre
somme, si ce n'était pour leur travail particulier, et
dont ils seront convenus de gré à gré avec les mar-
chands et facteurs. »
314 CHOMAGES CAUSÉS PAR LA NAVIGATION.
L'arrêt du Conseil d'État du roi, en date du 24 juin
1777, porte:
ART.9.—«Défendexpressément, S. M.,aux proprié-
taires ou meuniers, d'exiger ou recevoir des mariniers
ou marchands qui auront causé le chômage des mou-
lins, autres et plus forts droits que ceux fixés par les
ordonnances, et de retarder en aucune façon la navi-
gation et le flottage. »
Un arrêt de la Gour de cassation en date du 27 juil-
let 1808 établissait également : que l'indemnité fixée à
(juarante sols par vingt-quatre heures, par les ordon-
nances sus-relatées, devait être maintenue à ce chiffre.
Enfin la loi du 28 juillet 1824 porte :
ART. 1er. — « Les droits réglés par l'art. 13, chap. xvn,
de l'ordonnance du mois de décembre 1672, sont porr
tfiS A QUATRE FRANCS, AU LIEU DE QUARANTESOUS, pOUr chô-
mage d'un moulin, pendant vingt-quatre heures,
quel que soit lie nombre des tournants. »
Développements.^ En principe, pourquoi une in-
demnité, puisqu'il s'agit ici de chômages occasionnés
par la navigation, c'est-à-dire par l'usage propre; et
fondamental des rivières navigables ?.--r- La raison en
est donnée idans une considération déjà développée
au. commencement ce volu me, savoir : Que les; ri-
vières du domaine public ne sont pas consacréesà la navi-
gation, d'une manière tellement exclusive, qu'elles ne
puissent encore servir au roulement de quelques usi-
nes ; car ces dernières ont aussi un caractère d'utilité
générale. Ainsi, dans la saison d'été, quand les eaux
ne suffisent plus à une navigation suivie, elles peu-
INDEMNITÉ SPÉCIALE. 315
vent encore être utilisées pour le roulement des mou-
lins et usines. Or, supposons qu'un propriétaire, mar-
chand de bois, ou entrepreneur, faute d'avoir lancé
des trains sur une rivière, en temps opportun et quand
il pouvait le faire, sans préjudice pour personne, n'ef-
fectue cette opération qu'à l'époque des basses eaux,
en occasionnant alors forcément le chômage des mou-
lins qu'il rencontrera sur son passage ; ne sera-t-i] pas
juste que ce particulier soit tenu à un certain dédom-
magement, envers les propriétaires de ces moulins,
dont il aura interrompu la marche, en quelque sorte,
dans son intérêt privé? — C'est là, sans doute, le véri-
table point de vue sous lequel la question a été envisa-
gée dans l'ordonnance de 1669, qui a fixé à un taux
très-bas cette indemnité, que les usiniers n'étaient pas
en position de réclamer comme un droit, mais néan-
moins qu'il était juste de leur accorder.
Seconde observation: —Mille livres.d'amende (1)
pour le fait d'avoir prétendu une indemnité plus forte
que celle qui est fixée par la loi! -—Sans contredit, il
y a là une pénalité exorbitante, et dont, au premier
abord, on a peine à se rendre raison; mais on n'a plus
lieu de s'en étonner, si l'on se rapporte à l'époque de
l'ordonnance de 1669, où les rivières navigables de
France étaient encombrées d'usines, qui y intercep-
taient presque entièrement la navigation; tant par
le fait matériel de leurs barrages que par les exactions
et taxes illégales que les possesseurs desdites usines
(1) Enayant égard au taux de l'argent, ce serait aujourd'hui
plus de 1,600 francs.
316' CHOMAGES. CAUSÉS PAR LA NAVIGATION.

exerçaient sur les mariniers ou flotteurs. 11 s?agissait


donc surtout alors de donner à ces derniers une pro-
tection efficace contre les vexations qu'ils éprouvaient.
— L'expression : « Sans qu'il puisse y être apporté
aucune modération » doit être considérée comme ne
s'appliquant, et ne s'applique effectivement, qu'aux
dommages-intérêts, frais et dépens dont parle l'art. 45
de l'ordonnance de 1669. Une telle restriction, appli-
quée à l'amende de mille livres, pour le fait dont il
s'agit, rendrait aujourd'hui cette amende inapplicable.
Les autres conséquences qu'il, est utile de faire res-
sortir du texte de loi examiné, sont les suivantes ; sa-
voir :
3° Qu'il est indispensable, pour avoir droit à l'in-
demnité, toute minime qu'elle est, que les moulins ou
usines soient fondés en titres, ou aient une existence
légale.
4° L'ordonnance de 1672 reproduit sur le point dont
il s'agit les dispositions de l'ordonnance de 1669, et
ajoute que l'indemnité demeurera fixée à quarante sols
pour un moulin, quel que soit le nombre de ses tour-
nants. Cette distinction n'est pas dans l'article 45 de
l'ordonnance de 1669, mais elle est dans son essence;
car il ne faut pas perdre de vue qu'en principe, l'in-
demnité n'est pas due; et que si, par exception, elle a
été réservée dans ce cas, c'était surtout pour empêcher
que les mariniers ou flotteurs, ne fussent dans le cas
de réclamer, arbitrairement, au préjudice des usines,
des chômages qui n'eussent pas été indispensables
pour le service de la navigation.
INDEMNITÉ SPÉCIALE. 317
5° Enfin, c'est d'après les mêmes considérations,
qu'on doit résoudre affirmativement la question de sa-
voir si cette indemnité exceptionnelle s'applique égale-
ment à toute autre usine qu'un moulin, qui se trouve-
rait exposée au genre de chômage dont il vient d'être
parlé.
La loi du 28 juillet 1824, en portant à quatre francs,
au lieu de quarante sols, le montant de l'indemnité
dont il s'agit, n'a en quelque sorte rien innové; car
la valeur actuelle de quatre francs approche extrême-
ment, de celle qu'avaient quarante sols, un siècle et
demi avant ladite loi.
Une décision du directeur général des ponts et
chaussées du 5 octobre 1824 fait remarquer, avec
raison, que cette loi, ainsi que les ordonnances de 1669
etde 1672, ne s'appliquentqu'aux chômages occasionnée
directement par la navigation et le flottage, propre-
ment dits ; et nullement à ceux qui peuvent être ré-
clamés par l'exécution des travaux publics.

SECTION III
RÉSUMÉ DU CHAPITRE.

Les espèces citées dans les chapitres i et n qui


précèdent, montrent que, plusieurs fois, le Conseil
d'État a refusé d'admettre l'existence légale, et par
conséquent le droit à indemnité, pour des établisse-
ments non fondés en titre, et d'origine postérieure au
mois d'avril 1566; encore bien qu'ils aient fait, plus
318 CHOMAGES. DÉPRÉCIATIONS.
— — SUPPRESSIONS.
tard, l'objet d'une vente nationale. — Cette interpré-
tation était rigoureusement conforme aux dispositions
de l'édit du mois d'avril 1668, portant : que les pos-
sesseurs desdits établissements seraient évincés et ver-
raient leurs usines réunies au domaine public.
Cette dernière disposition était purement commina-
toire ; car il résulte des termes d'une ordonnance
subséquente, rendue sous le même règne (ministère
Louvois) à la date du mois de mai 1693 : que les pro-
priétaires ayant rapporté des preuves de possession,
antérieure à l'année 1566, seraient maintenus dans la
jouissance de leurs établissements, moyennant le paye-
ment d'une année de revenu ; ce qui était à peu de
chose prèsla confirmation des dispositions primitives.
— Mais en ajoutant : « que les établissements, dé-
pourvus de titres; et ayant une existence postérieure à
l'année 1566, seraient, également maintenus; à la con-
dition de payer deux années de revenus. »
Ainsi il n'y a eu, à l'époque susdite, pourles usines
de cette dernière catégorie ni éviction ni suppression ;
puisqu'au contraire, elles ont été dûment maintenues,
moyennant le payement d'une charge fiscale.
En fait il n'existe donc aucune démarcation précise
entre les établissements antérieurs ou postérieurs au
mois d'avril 1566.
Dès lors, en matière d'indemnités, pour suppres-
sion ou détérioration d'usines, sur les rivières navi-
gables, par suite de l'exécution de travaux publics, les
règles à suivre ne peuvent résulter que de la situation
particulière à tel ou tel établissement.
INDEMNITÉS ALLOUÉES. 3.19
.

Il serait donc obsolument sans intérêt de relever


l'apparente anomalie qui semblerait résulter du rap-
prochement de divers arrêts, intervenus sur cette ma-
tière ; dont les uns: ont refusé l'indemnité, « nonob-
stant une vente nationale; » tandis que d'autres ont
considéré une telle vente comme « équivalant à l'exis-
tence légale. »
On ne saurait prétendre rencontrer dans la j urispru-
dence, sur cet objet, une fixité immuable; quand la
loi elle-même comporte, comme on vient de le voir,
la plus complète incertitude, sur le point dont il s'agit.
Les décisions intervenues n'ont donc pu se baser
que sur les circonstances spéciales, propres à caracté-
tériser telle ou telle espèce ; en tenant compte de tous
les documents particuliers, susceptibles de suppléer
à l'insuffisance de la loi.
En principe, il est hors de doute qu'en ce qui touche
la classe d'établissement dont il s'agit, une vente naiio-
nale n'est pas une preuve d'existence légale, puisqu'elle
n'a été, en définitive, qu'un changement de mains des-
dits établissements.
Ces ventes, qui, vis-à-vis des anciens propriétaires,
avaient eu d'abord, de la part d'un gouvernement ré-
volutionnaire, le caractère rigoureux d'une confiscar
tion, ont été régularisées, quelques années plus tard,
parle seul fait de l'indemnité allouée à ceux-ci, aux
frais de l'État. Tout se réduit donc, comme il vient
d'être dit, en une vente ordinaire.
Il convient d'ajouter encore : que les ventes natio-
nales, effectuées la plupart du temps, avec le seul con-
320 CHOMAGES. —DÉPRÉCIATIONS. —SUPPRESSIONS.
-

cours des agents des domaines, ou autres administra-


tions financières, et en l'absence de celui des agents de
la navigation, avaient pour but principal de leur faire
rendre le plus d'argent possible, au profit du trésor,
alors considérablement obéré; mais sans se préoccu-
per nullement des règles relatives à la conservation
du domaine public.
Il est donc hors de doute que lesdites ventes ne pou-
vaient réagir, en quoi que ce soit, sur les lois, alors
en vigueur, fixant le régime administratif desdits
établissements.
Mais de ce que des décisions du Conseil d'État, après
un examen approfondi des circonstances, caractéristi-
ques de telle ou telle espèce, ont statué dans un sens
différent, sur ce point aussi épineux que délicat, on ne
saurait s'en prévaloir, pour prétendre que lesdites dé-
cisions se contredisent.
CHAPITRE IV

INDEMNITÉS. — MODE DE RÈGLEMENT.

SECTION I

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

Les espèces déjà citées dans les chapitres précédents,


dont nous allons rappeler les principales, montrent
que quand le droit à indemnité a été reconnu, il y a à
tenir compte, pour sa fixation définitive, de divers
éléments, dont chacun peut avoir une influence nota-
ble pour en modifier le chiffre. A cet égard on doit
signaler, principalement, les points suivants :
1° Compensation à établir entre les dépenses à la
charge de l'État, pour dommages causés aux usines,
et celles qui incombent aux usiniers ; d'après les arti-
cles 30 et 34 de la loi de 1807 ;
2° Fixation de l'indemnité principale, dans un rap-
port déterminé avec la suppression des revenus et de
l'établissement supprimé ;
3° Allocation des intérêts, soit à partir de la de-
mande, soit à dater des travaux qui ont modifié le ré-
gime des eaux ou les conditions d'existence de l'éta-
blissement.
4° Distinctions à faire sur les cas où il devra être tenu
21
322 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS.
— SUPPRESSIONS.
compte de la force motrice qui se trouvait utilisée, 1

soit au moment desdits travaux, soit seulement à l'épo- j

que de la vente nationale.


5° Frais d'expertise, et frais proprement dits à mettre j

à la charge soit de l'État, soit du propriétaire récla-r |


mant; ou à répartir entre eux dans des proportions ,|
déterminées.
Enfin il s'agit d'apprécier aussi toutes les circon-
stances, titres ou documents particuliers pouvant
éclairer la question.
Les sections suivantes du présent chapitre ont pour
objet l'étude et l'application de ces divers éléments des
indemnités, à la charge de l'État, en matière de dété-
rioration ou de suppression d'usines, sur les rivières
navigables, par suite de l'exécution de travaux publics, j

SECTION II j

i
COMPENSATIONS A ETABLIR.
'*
' ' ' I
Elles peuvent atténuer,
t absorber, ou même dépasser j
le montant normal des indemnités. j
On a déjà vu, par plusieurs des arrêts cités dans les
trois chapitres précédents, des applications de ce prin-
cipe, d'ailleurs de toute équité, des articles 30 et 34 de
la loi du 16 sept. 1807 ; indépendamment de ce qu'il
résulte formellement du texte de ladite loi.
Nous allons les rappeler sommairement.
Le premier de ces arrêts, cité (sous le n° 10 du
chap. xrv) est en date du 14 janvier 1848 (S* Delaune).
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 323

— Il s'agissait, d'une indemnité réclamée par suite du


chômage d'un moulin, sur la Cure, occasionné par
la reconstruction, aux frais de l'Etat, d'une digue,
intéressant, à la fois, la navigation et l'existence de ce
moulin. Le conseil de préfecture de l'Yonne avait
admis, en principe, le droit à cette indemnité, qui
devait être fixée par experts. — Mais l'administration
des travaux publics a soutenu devant le Conseil d'État:
que si le principe de l'indemnité était incontestable,
quand les dommages avaient lieu à l'occasion de tra-
vaux faits dans un intérêt autre que celui des usines, il
n'en était plus ainsi dans le cas actuel ; puisque les
réparations de la digue, sur la Cure, bien qu'entre-
prises principalement dans l'intérêt du flottage, n'en
avaient pas moins profité à l'usine du réclamant.
(Voir, p. 288 et .287, les autres considérations sur
le même objet.)
Par conséquent, dans l'espèce, l'indemnité réclamée
s'est trouvée compensée, et au delà, par la part contri-
butive, qui pouvait être réclamée de l'usinier, en
vertu de l'art 34 de la loi de 1807.
Le second des arrêts précédents, sur le même objet,
est celui du 9 février 1865 (Sr Prestre) cité ci-dessus
p. 289 et relatif à des travaux exécutés en 1862 sur la
rivière d'Orne, Calvados, dans l'intérêt de la naviga-
tion de cette rivière; et ayant procuré,en même temps,
une notable augmentation de la force motrice du mou-
lin dit de Saint-André.—Mais ces mêmes travaux ayant
occasionné, en outre : 1° un certain chômage de ce
moulin et la rupture d'une digue, dont l'entretien
324 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
était en partie à la charge de l'usinier, celui-ci s'était
adressé, pour obtenir une indemnité, au conseil de
préfecture, qui rejeta la demande.
Devant le Conseil d'État M. le ministre des travaux
publics a fait remarquer : que la suppression du bar-
rage inférieur dit de Montaigu avait procuré au mou-
lin du réclamant une plus-value égale à près de sept
fois le montant des frais de réparation de la digue;
qu'en conséquence la demande d'indemnité n'était pas
fondée, puisque l'État aurait pu même prétendre à une
plus-value, conformément à l'art. 30 de la loi du
16 sept. 1807.
C'est d'après ces motifs qu'a été rejeté le recours de
l'usinier.
Le troisième arrêt est celui du 12 juillet 1868 {S'Lau-
noy) rapporté sous le n° 12 du chap. xv, et se rappor-
tant à une demande d'indemnité, pour chômage,
supporté par l'usine dite des Grands-Moulins de Vitry-
sur-Marne, à l'occasion de travaux exécutés dans le
seul intérêt de la navigation.
Le Conseil d'État, tout en reconnaissant que l'État,
en vendant le 6 ventôse an IV, aux auteurs du sieur
Launoy un moulin à quatre tournants, leur avait
par cela même concédé la force motrice qui y était
utilisée, au moment de la vente, a considéré que ce
particulier, ayant profité de la mise à sec du bief de
son usine pour y exécuter diverses réparations, l'in-
demnité à lui Raccorder devait être réduite en consé-
quence.
Mais le même principe se trouve appliqué, d'une
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 32b
manière encore plus explicite dans les deux espèces
citées, ci-après :

31 janvier 184S (S* Audouard).


JN° 1. — Chômageset prétendue dépréciation, causés, à une
usine, par suite des travaux de canalisation de la Bayse. —
Compensation admise. — Rejet du recours de l'usinier.

Les héritiers Audouard, propriétaires d'un moulin


sur la Bayse, arrondissement de Condom, ayant de-
mandé une indemnité, à raison du préjudice que leur
avaient causé les travaux de canalisation de cette rivière,
il fut ordonné une expertise à la suite de laquelle les
deux experts nommés, l'un par l'administration, l'au-
tre par le propriétaire du moulin, fixèrent à 9,000 fr.
le chiffre de cette indemnité.
MM. les ingénieurs, consultés à leur tour, pensèrent
que les travaux de canalisation, loin d'avoir nui à l'u-
sine, lui avaient profité ; puisque la chute en était aug-
mentée, qu'il y avait lieu seulement d'allouer aux
propriétaires une indemnité de 845 fr. tant pour
chômage durant l'exécution des travaux que pour les
changements à apporter dans les roues de l'usine, pour
les mettre en rapport avec la nouvelle hauteur des
eaux, — 22 avril 1841, arrêté du conseil de préfec-
ture du Gers adoptant le chiffre proposé par MM. les
ingénieurs. — Pourvoi (1).
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois du 28 plu-

(1) Voir F. LEBON, t. XV, p. 49.


326 CHOMAGES.— DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
viôse an VIII et 16 septembre 1807, a motivé en ces
termes le rejet du recours des héritiers Audouard :
Sur le moyen tiré de ce qu'en n'allouant pas- l'in-
demnité arbitrée par les experts, l'arrêté attaqué aurait
violé la loi du 16 septembre 1807 : — considérant que
les expertises faites pour la fixation des indemnités dues
par l'État, en cas de chômages, dépréciation ou sup-
pression d'usines, ne constituent que de simples actes
d'instruction, et qu'aucune dispositio?i de la loi du
16 septembre 1807 n'assujettit les conseils de préfecture
à se conformer à l'avis des experts ;
Au fond, considérant qu'il résulte de l'instruction que
l'usine des héritiers Audouard n'a éprouvé aucune di-
minution de chute, par suite de la canalisation de la
Bayse ; qu'en allouant auxdits héritiers une indemnité
de 845 fr. le Conseil de préfecture a fait une juste
appréciation des droits des requéran ts :
ART. 1er.
— La requête des héritiers Audouard est
rejetée.

13 août 1861 (Sr de Brouard).


N° 2. — Chômages et prétendue dépréciation causés à une
usine par suite des travaux faits dans l'intérêt de la naviga-
tion. — Compensations admises. — Indemnités réduites.

Par suite de la construction de deux barrages exé-


cutés pour l'amélioration de la navigation de l'isle,
département de la Gironde, un ancien moulin, dit de
Logerie, appartenant au sieur de Brouard, éprouva
dans sa marche de grandes perturbations, et selon ce
propriétaire une réduction définitive de chute ou de
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 327
force motrice. S'étant adressé au conseil de préfecture
de la Gironde pour faire régler les diverses indemni-
tés auxquelles il prétendait avoir droit, le conseil, tout
en reconnaissant l'existence légale de l'usine, rendit
le 19 novembre 1859 un arrêté refusant d'admettre
qu'il y eût dépréciation permanente ; et accordant seu-
lement une indemnité de 15,500 fr. pour relever les
roues du moulin, qui se trouvaient noyées, par suite
de la construction du barrage établi en aval.
Ce particulier s'étant pourvu contre ledit arrêté fit
exposer, devant le Conseil d'Etat :
« Que par suite de l'existence du barrage de Saint-
Seurin, établi, dès 1824, à 2,400 mètres en aval du
moulin de Logerie, le niveau d'eau du bief d'aval
s'était trouvé relevé de 0m,73 ; ce qui réduisait à
lm,72 la chute de cette ancienne usine, qui avait tou-
jours été de 2m,45 ; en lui enlevant ainsi une partie de
sa force motrice ; — que ce relèvement du plan d'eau
avait eu pour conséquence de réduire notablement le
revenu de l'usine, en diminuant de plus de moitié la
vitesse de rotation des meules, et en augmentant la
durée des chômages ; dommages qui ont duré pendant
trente-quatre ans (du 1er janvier 1824 au 1er janvier
1858). —Que l'expert des requérants avait évalué à
21,043 fr. la dépense nécessaire pour relever les roues
à leur hauteur normale.
En conséquence le sieur de Brouard demandait :
1° pour diminution de force motrice et perte de re-
venus pendant une période de trente-quatre ans, une
somme de 76,212 fr. ; — 2° pour la dépense qu'il au-
328 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
rait à supporter à l'effet de relever les roues 21,043 fr.,
ensemble 97,255 fr.
M. le ministre des travaux publics a combattu ces
prétentions en demandant : 1° de rejeter le pourvoi
du sieur de Brouard; 2° de réduire de 15,500 à 11,900
la somme allouée par le conseil de préfecture pour le
relèvement des roues.
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois sur la
matière et les procès-verbaux d'expertise, a statué en
ces termes :
« En ce qui touche l'indemnité réclamée par le sieur
de Brouard à raison de la diminution permanente de la
force motrice de son usine. — Considérant qu'il n'est
pas justifiée qu'avant 1566 le moulin de Logerie lût
en possession d'une chute supérieure à lm,72, qui est
celle subsistante après la construction des deux bar-
rages; que, dès lors, c'est avec raison que le conseil de
préfecture a rejeté sur ce point la demande d'indem-
nité :
« En ce qui touche lindemnité réclamée pour la
perte d'une partie des revenus de l'usine pendant les
trente-quatre années écoulées de 1824 à 1858. —Consi-
dérant que les travaux exécutés par l'administration, en
1824, pour la reconstruction du barrage de Saint-Seu-
rinont eu pour effet de relever le plan d'eau du bief
d'aval et par suite de noyer les roues du moulin de
Logerie et qu'il résulte de l'instruction que ce dom-
mage peut être évalué à 600 fr. par an. — Mais que
par suite de la reconstruction, en maçonnerie du bar-
rage d'amont, à laquelle il a été procédé par l'adminis-
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 329
tration en 1838, le propriétaire dudit moulin a été exo-
néré des frais d'entretien de l'ancien barrage, ne pou-
vant être évalués à moins de 600 fr. par an ; et que cet
avantage dont a joui le requérant, à partir de ladite
année 1838, doit se compenser avec l'indemnité an-
nuelle de 600 fr. motivée par le dommage éprouvé ;
que dès lors ladite indemnité ne doit être allouée
que jusqu'au 1er janvier 1838.
« En ce qui touche l'indemnité de 15,500 fr. allouée
par le conseil de préfecture, à raison des dépenses pour
modifications à apporter au mécanisme de l'usine. —
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la somme
de 11,900 fr. est suffisante pour indemniser le sieur
de Brouard des dépenses qu'il aura à faire pour re-
lever les roues de son moulin et des pertes résultant
du chômage occasionné pour ces travaux.
ART. 1er.
— L'indemnité allouée par le conseil de-
préfecture de la Gironde au sieur de Brouard, à raison
des dépenses, qu'il aura à faire pour relever les roues
du moulin de Logerie, est réduite de 15,500 fr. à 11,
900 fr.
ART. 2. — L'État payera, en outre, au proprié-
taire pour les dommages que son usine a soufferts
pendant la période écoulée du 1er janvier 1824 au
1er janvier 1838 une indemnité de 600 fr. par an ;
soit pour ces 14 années la somme de 8,400 fr.
ART. 3.
— L'arrêté du conseil de préfecture du
19 novembre 1859 est réformé en ce qu'il a de con-
traire aux présentes dispositions.
Enfin on pourrait encore consulter utilement, sur !e
DÉPRÉCIATIONS.
330 CHOMAGES. — — SUPPRESSIONS.
même objet, les termes de l'arrêt interlocutoire rendu
le 2 juin 1869, à l'occasion d'une demande en indem-
nité, pour le chômage supporté par les moulins de
Moissac (1). Le Conseil d'Etat, tout en reconnaissant
que les usiniers ne sont pas tenus de supporter, sans in-
demnité, les chômages résultant de travaux faits exclu-
sivement dans l'intérêt de la navigation, a précisé la
mission des experts, de manière à appeler spécialement
leur attention sur la recherche des circonstances
qui. dans le règlement de l'indemnité, pourraient
amener des compensations analogues à celles qui vien-
nent d'être signalées.
Au surplus, leur application, reposant toujours sur
une question de fait, n'est pas de nature à soulever de
sérieuses contestations; ainsi que cela se présente sou-
vent, pour d'autres causes, dans cette même matière
des indemnités.

SECTION III

DISTINCTION A ÉTABLIR, SUR LA CONSISTANCE, ANCIENNE ET NOUVELLE,


DE L'USINE, AU POINT DE VUE DE LA FORCE MOTRICE QUI SE TROUVE
SUPPRIMÉE OU RÉDUITE, PAR SUITE DE TRAVAUX PUBLICS.

Le sujet traité dans la présente section touche au


contraire à l'un des points les plus souvent indécis, de
la matière des indemnités. C'est d'ailleurs ce que l'on
pourra voir par l'étude des arrêts cités plus loin.

(I) Voir ci-dessus, p. 311.


MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 331

31 août 1863 (S' Grégoire).


N° 1. —Dépréciation causée à une usine, par suite de prises
d'eau, effectuées pour l'alimentation d'un canal de naviga-
tion. — Nouveaux tournants ajoutés, sans autorisation. — In-
demnité basée sur la force motrice constatées l'époque delà
vente nationale.

Les prises d'eau effectuées dans la Meurthe, dépar-


tement de ce nom, pour l'alimentation du canal de
la Marne au Rhin, ont amené une réduction notable de
la force motrice de l'usine, dite des Grands-Moulins de
Nancy, lesquels sont situés sur une dérivation de cette
rivière. Le conseil de préfecture, saisi d'une demande
d'indemnité contre l'État, à raison de ce préjudice,
rendit, le 17 janvier 1862, un arrêté par lequel il a dé-
claré que la force motrice pouvant donner droit à une
indemnité était limitée à celle qui se trouvait utilisée,
à la date du 9 messidor an IV, époque à laquelle les-
dits moulins avaient été vendus nationalement; que dès
lors les experts n'avaient à tenir compte pour le règle-
ment de l'indemnité, que des sept tournants, existant
à ladite époque; à moins qu'il ne soit justifié de mo-
difications dûment autorisées.
Les sieurs Grégoire frères, propriétaires de ces usi-
nes se sont pourvus au Conseil d'État, prétendant: que
l'acte de vente nationale de l'an IV comprenait, nom-
mément, le canal de dérivation alimentaire des Grands-
Moulins. Qu'ainsi, les auteurs des requérants avaient
acquis le droit d'utiliser la force motrice disponible,
provenant de tout le volume d'eau débité par ledit
canal; — que, dès lors, l'indemnité par eux réclamée
332 CHOMAGES. DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.

devait être basée sur la totalité de la force motrice uti-
lisée au moment où ont été pratiquées les prises d'eau,
M. le ministre des travaux publics a demandé le
rejet du pourvoi; par le motif que lorsqu'une vente
nationale a aliéné une usine, même avec son canal,
la force motrice concédée, par le fait de cette aliénation,
ne peut être que celle qui pouvait être utilisée au
moment de la vente ; — que les sieurs Grégoire ayant,
depuis cette époque, ajouté, sans autorisation, quatre
nouveaux tournants à leurs moulins, c'était avec raison
que le conseil de préfecture avait décidé s'en tenir à
l'état de lieux constaté par l'acte de vente.
Le Conseil d'État se basant sur les dispositions de
l'édit de février 1566, sur l'ordonnance d'août 1669,
ainsi que sur les lois des 28 pluv. an VIII et 16 septembre
1807 a adopté cette doctrine, et rejeté en conséquence
les conclusions des demandeurs.

N° 2. — Un autre arrêt du juillet 1868 (ST Launoy) déjà cité


12
plus haut, p. 307, a également admis, en principe, que quand
un moulin a été vendu nationalement, l'État a, par cela
même, garanti à l'acquéreur et à ses ayants droit la force
motrice qui y[élait concédée au moment de la vente.

août 1869 (S'Colle).


18
K° 3. — Môme question. — Demande d'indemnité basée sur la
consistance de l'usine au moment de la vente nationale. —
Décision conforme.

Unedemandeen indemnité contre l'État a été formée,


en 1867,par le sieur Colle, propriétaire d'un moulin situé
sur la Sarre. Elle était motivée sur la dépréciation causée
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 333
à cette usine, à la suite des prises d'eau effectuées, dans
ladite rivière pour l'alimentation du canal de la
Marne au Rhin. — Un arrêté du Conseil de préfecture
de la Meurthe, du 20 décembre de ladite année, a re-
connu l'existence légale du moulin et prescrit une ex-
pertise, à l'effet d'évaluer l'indemnité qui pourrait être
due. Mais en ajoutant : que la force motrice qui ser-
virait de base au règlement de ladite indemnité ne
pourrait dépasser celle qui est nécessaire pour-faire
mouvoir un tournant de farine et un d'huilerie, tels
qu'ils étaient mentionnés dans le procès-verbal desti-
nation de cette usine, en date du 25 frimaire an V, qui
a précédé la vente du 25 nivôse suivant.
Le sieur Colle a demandé l'annulation de cet arrêté,
par le motif qu'un bail emphytéotique consenti à ses
auteurs en 1738, imposait à ceux-ci l'obligation de
construire deux nouveaux tournants et que cette charge
constituait pour lui un droit, qu'avait respecté l'acte
de vente nationale. Qu'ainsi les nouveaux tournants

ajoutés en vertu dudit bail avaient une existence lé-
gale, aussi bien que ceux déjà existants, à l'époque de
ladite vente; et que dès lors l'indemnité à lui allouer
devait porter sur la force nécessaire à quatre tournants.
Après les observations et répliques de l'administra-
tion des travaux publics, il a été finalement reconnu,
sur la production d'une expédition authentique de
l'acte de vente précité, que suivant la consistance de
l'usine, au moment de la vente nationale de l'an V, le
sieur Colle avait droit à quatre tournants, dont trois à
farine, et un d'huilerie. Une fois cette rectification effec-
334 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
tuée il n'y avait plus rien en litige. C'est donc confor-
mément aux conclusions des deux parties qu'a été
rendu l'arrêt cité plus haut, par lequel le Conseil d'État
a décidé : ,
« Que l'État, en vendant, en l'an V, aux auteurs du
sieur Colle le moulin dit de Remling, tel qu'il se com-
portait, leur a concédé la force motrice nécessaire pour
faire mouvoir les tournants de l'usine, tels qu'ils exis-
taient à cette époque ; que dès lors ce particulier est
fondé à demander qu'il lui soit tenu compte, dans le
règlement de l'indemnité qui lui est due, de la force
motrice nécessaire pour faire mouvoir trois tournants
à farine et un d'huilerie.
Il y a lieu de remarquer que, dans le cas actuel, le
maintien de la forcé motrice, au moment de la vente
nationale, était ce que demandait l'usinier.

8 mai 1869 (Sr Pierron).


N° 4. — Réduction de la force motrice d'une usine située sur
la Sarre, vendue nationalement, en l'an II. — Indemnité ba-
sée sur la totalité de la force qui se trouvait utilisée, lors du
changement survenu dans le régime des eaux.

Le sieur André Pierron, propriétaire du moulin dit


de la Forge, situé sur la Sarre, département de la Meur-
the, a saisi l'administration en 1868, d'une demande
en indemnité, à raison de la dépréciation subie, par
ledit moulin, à la suite des prises d'eau, pratiquées
dans cette rivière, pour l'administration du canal de
la Marne au Rhin.
Par arrêté du 5 juin même année, le Conseil de pré-
,
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 333
lecture, tout en reconnaissant l'existence légale de cette
usine, a ordonné une expertise à l'effet d'évaluer l'in-
demnité qui pourrait être due. Mais il avait décidé,
en même temps : que, dans cette évaluation, les experts
ne pourraient tenir compte que de la force motrice
nécessaire pour la mise enjeu d'une paire de meules
à farine.
Le sieur Pierron a demandé par la voie contentieuse,
l'annulation de cet arrêté, prétendant que l'indemnité
par lui réclamée devait être .basée sur trois tournants;
attendu que l'État, en vendant, en l'an II, le moulin à
ses auteurs, leur aurait, par cela même, concédé, non
pas seulement la force motrice, utilisée au moment de
la vente, mais toute celle qui pouvait être produite à
l'aide des ouvrages régulateurs dudit moulin, tels qu'ils
existaient à cette époque. — Il ajoutait qu'aucun chan-
gement n'avait été apporté à ces ouvrages depuis l'an II,
jusqu'au 14 mai 1862, époque à laquelle le régime hy-
draulique de l'usine s'est trouvé modifié, en vertu d'un
décret rendu à cette date. Qu'ainsi il devait lui être
tenu compte, dans l'évaluation de l'indemnité, par lui
réclamée, de toute la force motrice qui se trouvait uti-
lisée, en 1861, époque des prises d'eau qui ont motivé
la réclamation.
M. le ministre des travaux publics a combattu cette
prétention et conclu au rejet du pourvoi; attendu
qu'en vendant un moulin, alimenté par les eaux d'une
rivière navigable, l'État n'aurait concédé à l'acquéreur
que la force motrice utilisée, au moment de la vente ;
Que l'acte du 11 fructidor, an II, ne contient aucune
336 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
détermination à cet égard ; mais que le moulin du re-
quérant n'étant muni, à cette époque, que d'un seul
tournant, celui-ci n'était pas fondé à se plaindrede voir
l'acte de vente inteprété dans ce sens.
Le Conseil d'État, après avoir visé :
1° Le décret du 14 mai 1862, par lequel le sieur
Pierron a été autorisé à ajouter à son moulin, dit de
la Forge, un 4e tournant, destiné à faire mouvoir une
usine à plâtre, et une huilerie; — 2° un second décret
du 14 mai 1862, par lequel le même propriétaire a été
autorisé à substituer deux turbines à trois roues hy-
drauliques et à transformer son usine à plâtre et son
huilerie en un moulina farine; — 3° l'ordonnance
d'août 1669 et l'édit d'avril 1683 ; l'article 2 de la loi
du 1er décembre 1790 ; l'art. 4, § 1er, lit. Ier de la loi du
28 septembre-6 octobre 1791 ; et l'arrêté du directoire
exécutif du 19 ventôse an VI : — 4° enfin les lois des 28
pluviôse, an VIII, et 16 septembre 1807, a rendu son
arrêt dans les termes suivants :
« Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'État
ayant vendu, en l'an II, le moulin dit de la Forge aux
auteurs du sieur Pierron, ce moulin a une existence
légale; que, dès lors, ce propriétaire a le droit de ré-
clamer une indemnité, à raison des chômages occa-
sionnés à ce moulin, par suite des prises d'eau, faites
dans la Sarre, pour les besoins de la navigation.
« Considérant que le ministre des travaux publics ne
conteste pas que depuis le moment où le moulin a été
vendu, en l'an II, jusqu'au 14 mai 1862, date du dé-
cret qui a modifié le régime hydraulique de ce moulin,
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 337

aucun changement n'avait été apporté aux ouvrages


régulateurs dudit moulin ;— qu'il se borne à soutenir:
d'une part, qu'en l'an II l'État a concédé aux auteurs
du sieur Pierron, non pas toute la force motrice qui
pouvait être produite à l'aide des ouvrages régulateurs
du moulin, mais seulement la partie de cette force qui
se trouvait alors utilisée ; — d'autre part, qu'en l'ab-
sence de toute indication précise sur la force motrice,
réellement utilisée, en l'an II, il y a lieu de ne tenir
compte que de celle qui est nécessaire pour faire mou-
voir un seul tournant.
« Considérant que l'État en vendant le moulin dont il
s'agit, tel qu'il se comportait avec ses ouvrages régu-
lateurs, a par cela même concédé aux auteurs du
sieur Pierron toute la force motrice qui pouvait être
produite, à l'aide desdits ouvrages, tels qu'ils exis-
taient au moment de la vente; — Que, dès lors, le
sieur Pierron est fondé à soutenir que, pour le calcul
de l'indemnité par lui réclamée, il doit être tenu
compte de toute la partie de la force motrice qui était
utilisée, au moment où se sont produits les change-
ments dont il se plaint; et à demander, en consé-
quence, que les experts tiennent compte, dans leur
évaluation, de toute la force motrice qu'il utilisait
pour la marche de trois tournants ;
ART. 1er.
— Les experts chargés, en vertu de l'ar-
rêté ci-dessus visé du conseil de préfecture, de procé-
der à l'évaluation de l'indemnité réclamée parle sieur
Pierron, tiendront compte, pour faire cette évaluation,
de toute la force motrice que ledit sieur Pierron utili-
22
338 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
sait, en 1861, pour faire mouvoir les trois tournants
de son moulin.
ART. 2.
— L'arrêté du Conseil de préfecture du dé-
partement de la Meurthe, du 5 juin 1868, est réformé
en ce qu'il a de contraire à la disposition qui précède.
ART. 3. L'État est condamné aux dépens.

Pour expliquer la différence que cette décision
présente avec celle qui est citée sous le n° 3, il y a
lieu de faire remarquer que ces deux espèces, quoique
offrant, au premier abord une grande analogie, au
point de vue de la vente nationale, sont, en réalité,
très-dissemblables. — Dans le premier cas, les sieurs
Grégoire avaient ajouté à leur usine, sans autorisation,
quatre nouveaux tournants, et prétendaient les porter
en compte dans le calcul de l'indemnité demandée. —
Tandis que, dans le second cas, le sieur Pierron avait
eu soin de faire régulariser par deux décrets, en date
du 14 mai 1862, les modifications successivement ap-
portées à son moulin.
Ces décrets comportaient, il est vrai, la. clause de
suppression éventuelle, sans indemnité ; mais le Con-
seil d'État, qui a qualité pour accorder modération ou
remise de pénalités de toute sorte, a sans doute pensé
qu'il pouvait, dans le cas actuel, ne pas appliquer la-
dite clause; puisque, ni le régime des eaux, ni les ou-
vrages régulateurs de l'usine n'avaient subi de chan-
gement, pouvant porter préjudice à la navigation.
MODE DE REGLEMENT DES INDEMNITÉS.. 339

13 avril!870 (S" Thébault).


N° S. — Même rivière. — Situation analogue aux précédentes.
— Distinction
soulevée entre deux tournants et trois paires
de meules. — Interprétation en faveur de l'usinier.

L'ouverture du canal des Houillères occasionna, à


partir de 1861, d'abord des chômages, puis une dé-
préciation définitive à un moulin, situé sur la Sarre.
Par arrêté du 30 avril 1869, le conseil de préfec-
ture du département de la Meurthe avait décidé : Que
les experts appelés à donner leur avis sur l'indemnité à
accorder, ne pourraient tenir compte que de la force
motrice nécessaire pour faire mouvoir deux paires de
meules à farine ; parce que telle était la consistance
ancienne de l'usine, constatée par un acte de vente
nationale, du 25 niv. an V. — Le sieur Thébault,
propriétaire du moulin, s'est pourvu contre ledit ar-
rêté, par le motif : Que, si l'acte de vente précité
n'attribue à son usine que deux tournants, ceux-ci
faisaient mouvoir, dès l'époque susdite, comme ils le
font encore, trois paires de meules à farine ; qu'en consé-
quence, il devait lui être tenu compte de cette consis-
tance réelle de l'usine, dans le règlement de l'in-
demnité.
M. le ministre des travaux publics s'est borné à dé-
clarer qu'il n'avait pas d'objection à faire sur les trois
paires de meules;, en tant qu'elles n'exigeraient pas
Remploi d'une force motrice supérieure à celle pro-
duite par les deux tournants, qui existaient à l'époque
de la vente nationale.
340 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.
C'est dans ce sens qu'a prononcé le Conseil d'État.
Mais on voit par les termes de l'arrêté, que quand bien
même il n'eût existé, en l'an V, que deux paires de
meules et que la troisième paire eût été établie posté-
rieurement, mais par le seul emploi des deux an-
ciennes roues hydrauliques, il était juste qu'il en fût
tenu compte.
Considérant que si l'acte de vente nationale n'attri-
bue au moulin de Mattmùhl que deux tournants, il
n'est pas contesté qu'actuellement ils font mouvoir
trois paires de meules,, à farine; — Qu'il n'est rien
allégué par l'administration de nature à établir ; que
la troisième paire de meules, en admettant quelle soit
postérieure à la vente nationale, ait pour résultat de
nécessiter une augmentation de la force motrice utilisée
au moment de ladite vente ; — Que, dans ces circons-
tances, le sieur Thébault est fondé à demander qu'il
lui soit tenu compte, dans le règlement de l'indemnité
à laquelle il a droit, de toute la force motrice qu'il
utilisait, à l'époque du détournement des eaux, pour
faire mouvoir deux tournants et trois paires de meules.
Ici, l'existence légale de l'usine n'était point contes-
tée. La décision ci-dessus est donc aussi légale qu'é-
quitable. Elle est une nouvelle confirmation d'un
principe dont l'application a déjà été signalée, en
matière de permissions; savoir : que, même sur les
rivières navigables, les ouvrages extérieurs, tels que
vannes, récepteurs, etc., sont seuls soumis au contrôle
administratif; de telle sorte que les usiniers restent
toujours libres de suivre les progrès de l'industrie, en
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 341
obtenant un plus grand effet utile des forces motrices
à eux concédées.

SECTION IV

CHIFFRE ADMIS PAR LE CONSEIL D'ÉTAT COMME BASE DES INDEMNITÉS,


POUR SUPPRESSIONS D'USINES, CALCULÉES PROPORTIONNELLEMENT
LEUR REVENU NET.

Les arrêts cités dans les trois premières sections du


présent chapitre ont fourni d'utiles renseignements
sur les éléments principaux dont se compose le dé-
dommagement à accorder à l'usinier dépossédé, en
totalité ou en partie, d'une force motrice ; des com-
pensations à établir, etc. Mais, en ce qui touche l'in-
demnité proprement dite, il faut toujours qu'elle soit
fixée, dans un certain rapport, avec le revenu de l'éta-
blissement.
La base de quinze fois le revenu net, sanctionnée
par les deux arrêts ci-après semble très-convenable ;
en ce sens que, dans les estimations pour ventes, par-
tages, ou licitations d'usines, on considère que, d'après
les frais d'entretien, chômages et risques divers, aux-
quels elles sont exposées, on doit calculer leur revenu
locatif au-dessus de 5 0/0. (deniers 20), qui est le taux
ordinaire pour les maisons d'habitation. — Le denier
15 correspondant à un revenu de 6,67 0/0 est donc
bien en rapport avec cette situation ; et rien ne s'op-
pose, dès lors, à ce qu'il soit généralement accepté.
342 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS. — SUPPRESSIONS.

2 avril! 8S7 (ST Souvêtre).


N° i. — Suppression d'un moulin sur la Sarthe. — Indemnité
basée sur 15 fuis le revenu, y compris le mécanisme; ainsi
que les bâtiments, écuries et hangars, considérés comme dé-
pendance de l'usine.

Le conseil de préfecture de Maine-et-Loire, par


un arrêté du 7 avril 1856, avait taxé à 36,000 francs
l'indemnité due au sieur Souvêtre, pour le moulin dit
du Porage, dont la suppression totale a été nécessitée
par l'exécution des travaux d'amélioration de la
Sarthe.
Ce particulier s'est pourvu devant le Conseil d'État
pour évaluation insuffisante de ladite indemnité; de-
mandant qu'elle fût portée auchiffre de50,500 francs,
proposé, d'un commun accord, par les experts.
M. le ministre des iravaux publics concluait au
maintien de l'arrêté attaqué. :- •'
En ce qui touché les basés de l'indemnité, les experts
avaient adopté les suivantes : le revenu net de l'usine
étant de 3,200 francs, ils avaient considéré, contraire-
ment à l'avis du directeur des domaines, proposant le
denier 20, qu'il y avait lieu d'évaluer le revenu au
denier 15; ce qui donnait un capital de 48,000 francs.
On estimait^ en outré, la dépréciation des bâtiments
restant; à la somme de 6,000 francs. Total. 54,000 fr..
Mais il y avait lieu de déduire la valeur
des matériaux et machinés demeurant la
propriété des réclamants et estimés. 3,500
. . .
Restait donc à payer 50,500
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 343
Dans son arrêt précité, du 2 avril 1857, le Conseil
d'Etat, tout en admettant ce mode d'évaluation, comme
le plus convenable en matière de suppression d'usines,
a seulementfait remarquer que la somme de 48,000 fr.,
calculée sur 15 fois le revenu net du moulin, compre-
nait, non-seulement, la chute et le mécanisme, mais
aussi les bâtiments, écuries et hangars appartenant au
sieur Souvêtre, formant les dépendances de l'usine, et
servant à son exploitation, — que dès lors l'indemnité
distincte de 6,000 francs, proposée par les experts,
pour dépréciation de ces bâtiments, existant sur la
rive gauche de la Sarthe, ferait double emploi avec l'un
des éléments dont se compose l'indemnité première
de 48,000 francs.
C'est d'après cette considération, parfaitement mo-
tivée, que le Conseil d'État, tout en adoptant les bases
exposées ci-dessus, s'est borné à déduire les 6,000 francs
ci-dessus du chiffre de l'indemnité, qui s'est trouvée
dès lors réglée à 44,500 francs.
Les intérêts de cette somme devant courir d'ailleurs
du jour de la cessation de la marche de l'usine.

27 août-1857 (S'Perrault).
N° 2. — Suppression d'un moulin à huile, sur la Mayenne. —
Indemnité .basée sur 15 fois le revenu. — Déduction faite de
la valeur conservée par le mécanisme en fonte, et la mai-
son d'habitation.

Par un arrêté, du 20 juin 1856, le conseil de pré-


fecture du département de la Mayenne avait fixé à
10,809 fr. 79, l'indemnité due au sieur François
344 CHOMAGES. — DÉPRÉCIATIONS.
.— SUPPRESSIONS.
Perrault, à raison de la suppression, pour cause d'uti-
lité publique, de la force motrice d'un moulin, dit du
Verger, qu'il possédait, sur la rive gauche de la
Mayenne, à Château-Gonthier. Il considérait comme

insuffisante ladite indemnité ; demandant qu'elle fût
portée à 24,000 francs ; ou subsidiairement, une ex-
pertise nouvelle.
Dans l'expertise, à laquelle il a été procédé, du
29 octobre au 4 novembre 1855, l'expert du réclamant
invoquait : un bail authentique, passé le 14 juillet
1850, moyennant un loyer annuel de 1,400 fr.; plus
la valeur du mécanisme neuf, et celle de l'habitation
dépendante de l'usine. — C'est d'après ces considéra-
tions qu'il estimaitl'indemnité au chiffre de 24,000 fr.,
L'expert de l'administration, à l'avis duquel s'est
référé l'ingénieur en chef, tiers expert, refusant de
tenir compte des modifications intérieures apportées à
l'usine, sans autorisation, ne taxait ladite indemnité
qu au chiffre de 10,809 fr. 79.
Le sieur Perrault s'étant pourvu contre cet arrêté,
M. le ministre des travaux, publics, dans ses obser-
vations, en demandait le maintien.
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois sur la
matière, a rédigé, en ces termes, les considérants de
son arrêt, dont la date est citée plus haut :
« Considérant que si l'usine du sieur Perrault, em-
ployée jusqu'alors à la mouture du grain, a été, à la
suite du bail du 14 juillet 1850, transformée eh un
moulin à huile; et que si un mécanisme en fonte a
remplacé l'ancien mécanisme en bois, ces changements
MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. 345
ont exclusivement porté sur les aménagements inté-
rieurs de l'usine, et ont laissé subsister, dans leur état
ancien, le coursier et la roue motrice ; — qu'ils ont pu,
dès lors, être effectués sans autorisation administrative,
— qu'il n'est pas établi que ces changements, et le bail
authentique précité aient été faits en vue d'obtenir, en
cas de suppression de l'usine, pour cause d'utilité pu-
blique, une indemnité plus élevée;
« Considérant que le prix de 1,400 francs stipulé par
le bail du 14 juillet 1850, comme loyer de la force
motrice et du bâtiment (mécanisme non compris) doit,
par suite du prélèvement de l'impôt foncier montant
à 33 fr. 20 et des frais d'entretien du bâtiment et du
barrage, laissés par le bail, à la charge du proprié-
taire, être ramené à une valeur locative nette de
1,300 francs; qui, sur le pied de 15 fois le revenu,
assigne à la force motrice et au bâtiment, mécanisme
non compris, une valeur capitale de 19,500 francs; —
que le mécanisme en fonte étant évalué à une somme
de 6,000 francs, la valeur totale de l'usine dans son
état actuel s'élève à 25,500 francs.
« Que pour le calcul de l'indemnité due au sieur Per-
rault, il y a lieu de déduire de cette somme la valeur
que conserveront, après la suppression de la force mo-
trice, le bâtiment et le mécanisme démonté ; bâtiment
et mécanisme qui ne cesseront pas d'appartenir au par-
ticulier; — qu'il résulte de l'instruction que cette va-
leur doit être estimée pour le bâtiment à2,000 francs;
pour le mécanisme démonté à 3,000 francs ; qu'ainsi
l'indemnité due à raison de la suppression de l'usine
346 CHOMAGES. DÉPRÉCIATIONS. —• SUPPRESSIONS.

Perrault doit être fixée à la somme de 20,500 francs.
« Qu'il n'est pas d'ailleurs justifié que cette suppres-
sion doive causer un préjudice direct et matériel à la
maison d'habitation que le sieur Perrault possède à
côté du moulin et qui est complètement distincte; —
qu'ainsi il n'y a lieu de tenir compte à ce particulier
d'aucune somme, à raison de la dépréciation que su-
birait, selon lui, cette maison d'habitation. »
Le premier des deux arrêts cités plus haut est relatif
à une espèce dans laquelle la maison et autres bâti-
ments étaient considérés comme dépendance de l'éta-
blissement hydraulique. Dans le second, au contraire,
on a considéré que le mécanisme en fonte en était dis-
tinct, ainsi que la maison d'habitation.
Mais ni dans l'un ni dans l'autre cas, le Conseil
d'État n'a été disposé à croire qu'il y avait lieu de re-
courir à deux juridictions différentes pour apprécier
l'indemnité afférente d'une part à la suppression totale
ou partielle de la chute, de l'autre aux bâtiments et
au mécanisme.
Les détails donnés dans le chapitre suivant vont
justifier l'utilité de cette dernière observation.
CHAPITRE Y
SUITE DU RÈGLEMENT DES INDEMNITES. — QUESTIONS DE
COMPÉTENCE.

Les arrêts du Conseil d'État, cités jusqu'ici, n'ont


jamais élevé de doute sur la compétence exclusive des
tribunaux administratifs pour statuer sur la matière
des indemnités. Mais à diverses époques elle a été sé-
rieusement mise en question.
C'est pourquoi nous avons consacré à cet objet la
majeure partie du présent chapitre et du suivant. Tout
en complétant quelques-unes des observations, déjà
produites dans Jes précédents chapitres.

SECTION I

COMPÉTENCE. ÉTUDE DE LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT ET


DE LA COUR DE CASSATION.

)6 mars 1836 (Da Gobillon).


N° i. — Dommage causé à un moulin situé sur la Seine, à Me-
lun. — Indemnité stipulée dans l'acte de vente. — Compé-
tence administrative. — Conflit approuvé.

La dame Gobillon, demeurant à Melun, était pro-


priétaire du moulin dit de Saint-Sauveur, situé au-
348 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.

dessous du Pont-aux-Moulins de cette ville, sur la ri-


vière de Seine. Ce moulin, qui appartenait au prieuré
de Saint-Sauveur, a été vendu au profit de l'État en
décembre 1798.
La nécessité de remplacer le pont qui menaçait
ruine, et dont les nombreuses piles protégeaient les
moulins inférieurs, contre le choc des glaces et des
bateaux, a motivé de la part de la dame Gobillon une
demande tendant à obtenir l'autorisation de construire
en avant de son moulin des ouvrages défensifs.
Une enquête a eu lieu, par suite de laquelle les in-
génieurs, d'accord avec l'inspecteur de la navigation,
ont pensé qu'on pouvait accueillir cette demande, per-
mettre en conséquence à la dame Gobillon d'établir
dans le canal de son moulin une ou plusieurs estaca-
des eu charpente ; à la charge d'en restreindre l'éten-
due à 5 mètres à partir du coursier. Mais cette dame a
répondu aux propositions qui lui ont été faites à ce sujet,
qu'elle entendait effectuer les travaux dans les limites
fixées par elle-même; qu'elle entendait aussi que ces
travaux fussent exécutés aux frais de l'État.
Ces prétentions se fondaient sur la clause de l'acte de
vente du moulin, produit par la dame Gobillon, comme
garantie de ses droits, et ainsi conçu :
« Dans le cas de destruction de tout ou partie du-
dit moulin, pour le plus grand avantage, soit de la voie
publique par terre, soit de la navigation, soit pour
toute autre considération, reconnue et jugée nécessaire
par l'autorité des corps administratifs, il sera accordé
à l'adjudicataire une indemnité proportionnée au
QUESTIONS DE COMPÉTENCE. 349
dommage qu'il sera susceptible de supporter, et ce, à
dire d'experts, etc. »
Le préfet, après avoir consulté le directeur des do-
maines, a rejeté la demande de la dame Gobillon ;
attendu que rien dans cette clause n'obligeait l'État à
garantir le moulin de Saint-Sauveur contre les avaries
qu'il pourrait éprouver; que rien ne l'obligeait d'ail •
leurs à conserver le pont; que ce pont tombait de lui-
même; qu'en le supprimant l'État n'a fait qu'user de
son droit de propriétaire; et que sa destruction arri-
vant tout à coup et par force majeure, le moulin pou-
vait être entraîné dans cette destruction, sans que per-
sonne eût lieu de se plaindre ou de réclamer.
La dame Gobillon, trompée ainsi dans son attente,
s'est adressée aux tribunaux, à l'effet d'en obtenir ce
que l'administration lui refusait, c'est-à-dire l'autori-
sation d'effectuer, non plus à la charge de l'État, mais
à ses frais, des ouvrages de défense, jusqu'à la distance
de 30 mètres de son moulin; elle demandait subsidiai-
rement que l'acte de vente de 1790 fût résolu et qu'on
lui restituât le prix d'acquisition. Elle demandait en-
fin diverses, sommes, à titre, soit de plus-value, soit
d'indemnité, de dommages-intérêts, etc.
Le préfet opposa à l'assignation qui lui avait été
donnée à ce sujet l'exception d'incompétence; mais le
tribunal, sans s'arrêter aux motifs et considérations ex-
posés dans son mémoire, rejeta le déclinatoire. Ce ju-
gement ayant été déféré au Conseil d'État par voie de
conflit, le préfet invoqua dans cette circonstance,
comme il l'avait fait déjà devant le tribunal, l'autorité,
350 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.

les règles et les principes qui résultent, en faveur


de l'administration dans cette affaire, de l'ordonnance
de 1669, de l'arrêté du gouvernement du 19 ventôse an
VI, de la loi du 29 floréal an X, et de l'art. 538 du
Code civil. Le préfet, considérant donc qu'il s'agit ici
d'une rivière navigable, et par conséquent d'une partie
du domaine public; que c'est dès lors à l'administra-
tion seule, qu'il appartient d'examiner si les travaux
peuArent avoir lieu, sur un point quelconque de cette
rivière, sans gêner ou contrarier le mouvement de la
navigation ; et, dans le cas de l'affirmative, dérégler et
de déterminer l'étendue de ces travaux, en a conclu
que le tribunal, en retenant la cause, se constituait
juge d'une question essentiellement du ressort de l'ad-
ministration.
Le Conseil d'État, en accueillant ces motifs, a écarté
.
ainsi l'intervention des tribunaux.
«Vu l'ordonnance du 1669, l'arrêté du gouverne-
ment du 19 ventôse an VI, la loi du 29 floréal an X,
l'art. 538 du Code civil; —Vu la loi du 28 pluviôse
an VIII; — Vu les ordonnances réglementaires des
lerjuin 1828 et 12 mars 1831;
« Considérant que l'administration est seule compé-
tente pour statuer, soit qu'il s'agisse de déterminer ï'é-
tendue des obligations de l'État, par suite d'un acte
d'adjudication des biens nationaux', et de décider si,
dans le cas d'inexécution desdites obligations, il y a
lieu de résoudre ledit contrat; Soit qu'il s'agisse de sa-
voir si un particulier peut être autorisé à faire des tra-
vaux et à construire des ouvrages, dans le lit d'une
QUESTIONS DE COMPÉTENCE. 351
rivière navigable ; soit enfin qu'il s'agisse de décider si,
par suite de mesures prises par l'administration, telles
que la suppression d'un pont, des indemnités peuvent
être dues par l'Etat à un particulier pour dommages
qui seraient causés à ce dernier;
« Que la compétence de Vadministration est fondée,
dans le premier cas, sur la loi du 28 pluviôse an VIII
et les autres lois relatives à la vente des biens nationaux;
Dans le second cas, sur les lois relatives à la police et
à la conservation des rivières navigables;
Dans le troisième cas, sur les lois des 28 pluviôse an
VIII, 16 septembre 1807, et sur celles relatives à la li-
quidation de la dette publique;
« Considérant que sous tous ces divers rapports le
conflit est fondé ;
ART. lor. — « L'arrêté de conflit ci-dessus visé, du 31
décembre 1835, est confirmé.»
ART. 2. — « Seront considérées comme non avenues
les conclusions signifiées au nom de la dame veuve Go-
billon, le 8 décembre 1835, et le jugement du tribunal
depremière instance deMelun, du 22 du même mois. »

27 mars 1839 (M d'Albadès.)


N° 2. — Moulin d'Albadès, sur le Lot. — Diminution de force
motrice, par des travaux de navigation. — Compétence admi-
nistrative. — conflit confirmé.
11 existe à Montauban, sur le Tarn, plusieurs mou-
lins exploités au profit d'une compagnie d'actionnaires.
En 1838, des travaux de navigation exécutés sur cette
rivière, et notamment la destruction d'un ancien bar-
352 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.

rage, eurent pour effet d'apporter une diminution


notable, dans la force motrice d'un de.ces moulins,
désigné sous le nom de moulin d'Albardès.
Les propriétaires intéressés s'adressèrent alors au
tribunal de Montauban, signalant le préjudice qu'ils
éprouvaient, « comme une expropriation »,et se préva-
lant en faveur de cette opinion, d'un arrêt du Conseil,
du 3 novembre 1767, qui reconnaissait l'existence de
leur usine, et les obligeait à concourir aux dépenses
des ouvrages d'art établis sur le Lot. En conséquence,
ils firent assigner le préfet représentant l'État, pour se
voir condamner à leur payer : 1°. à titre d'indemnité
pour ladite diminution de force motrice, la somme de
100,000 fr.; 2° une somme de 15,083 fr. 72, qui est
celle pour laquelle les propriétaires du moulin d'Al-
bardès avaient contribué, en 1811, à la construction du
barrage supprimé ; 3° enfin, pour être condamné aux
dépens.
Par un mémoire en date du 27 novembre 1838, le
préfet de Tarn-et-Garonne contesta la compétence au
tribunal et proposa le déclinatoire.
Le 21 janvier 1839, le tribunal de Montauban, après
les conclusions du procureur du roi, rejeta le déclina-
toire et se déclara saisi de l'affaire.
Alors le préfet prit, le 28 janvier, pour revendiquer
l'instance, un arrêté de conflit qui fut approuvé en ces
termes :
« Considérant que, soit l'arrêt du Conseil d'Etat du 3
novembre 1767, dont se prévalent les propriétaires du
moulin d'Albardès, pour soutenir que les travaux faits
QUESTIONS DE COMPÉTENCE. 353
dans la rivière de Tarn, constitue à leur égard une ex-
propriation, soit les titres antérieurs qui auraient auto-
risé l'établissement de ce moulin, sont des actes admi-
nistratifs, dont la portée et les effets, ne peuvent être
appréciés que par l'autorité administrative ;
ART. 1er. — « L'arrêté du conflit du préfet du dé-
partement de Tarn-et-Garonne, du 28 janvier 1839, est
confirmé. »
ART. 2. — « L'assignation du 27 septembre 1838,
les actes qui l'ont suivie, et spécialement le jugement
du tribunal de Montauban du 21 janvier 1839, seront
considérés comme non avenus. »
L'examen des deux espèces rapportées ci-dessus suf-
fit pour démontrer que, dans aucun cas, la compétence
des tribunaux ne pourrait être admise, pour apprécier
la question de savoir : s'il y a, ou s'il n'y a pas lieu à
indemnité ; puisque celle-ci ne peut résulter que des
termes de la permission, ou d'un acte de vente natio-
nale, qui sont l'un et l'autre des actes administratifs,
dont il faut nécessairement faire l'interprétation, pour
arriver à reconnaître le droit à une indemnité. — Quant
au règlement de cette dernière, il appartient aux con-
seils de préfecture, en vertu de l'art. 4 de la loi du
28 pluviôse an VIII, attendu que la loi sur les expro-
priations proprement dites n'est jamais applicable
ici.

23
354 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.

27 août 1857 (S* Robo).


N°3. — Usine alimentée, parles eaux d'un canal. — Réduction
de force motrice dans l'intérêt de la navigation. — Indemnité
due. — Compétence exclusive des tribunaux administra-
tifs. — Conflit approuvé.

Plusieurs usines alimentées par les canaux de Nantes


à Brest et du Blavet àNapoléonville(Morbihan) avaient
été vendues nationalement, leur existence légale était
d'ailleurs reconnue par l'administration. Dans ces der-
niers temps, la circulation sur ces canaux étant devenue
plus active, on reconnut que lesdites usines, en abais-
sant d'une manière illimitée le plan d'eau, dans les
biefs, causaient un véritable obstacle à la navigation.
A la date du 28 juillet 1855 le préfet sur le rapport
des ingénieurs prit un arrêté, interdisant aux proprié-
taires desdites usines de faire aucune manoeuvre d'eau
ayant pour résultat d'abaisser le niveau, de la retenue,
au-dessous de la crête du déversoir; et déterminant
pour chaque bief le niveau nécessaire à la naviga-
tion.
Le sieur Robo, propriétaire d'une .de ces usines,
dont la marche, se trouvant ainsi eh partie paralysée,
avait fait assigner devant le tribunal de Napolëonville,
le préfet représentant l'État, pour voir dire: que le
requérant étant propriétaire de l'usine dite le Moulin-
Vieux, ainsi que du canal et de la force motrice ali-
mentaires de ce moulin ; que la suppression partielle,
mais permanente, de la force motrice, résultant de l'ar-
rêté ci-dessus constituant à son préjudice une véritable
QUESTIONS DE COMPÉTENCE. 355
expropriation, il y avait lieu à l'application de la loi du
3 mai 1841.
A la date du 16 avril 1857 ie préfet présenta un dé-
clinatoire; mais par jugement du 24 juin suivant le
tribunal en rejeta les conclusions, en se déclarant com-
pétent. Alors cette administration prit en date du Ie
juillet, même année, un arrêté de conflit.
C'est dans cet état que l'affaire fut déférée au Conseil
d'État.
Le commissaire du gouvernement (M. de Forcade)
fit remarquer: que dans l'espèce actuelle la propriété
du moulin étant formellement reconnue par l'admi-
nistration, il n'y avait de question que sur le règle-
ment de l'indemnité à allouer pour une réduction de
force motrice; que dès lors dans ces limites et d'après
la jurisprudence actuelle du Conseil d'État la compé-
tence administrative semblait incontestable.
C'est cette doctrine qui a été adoptée par l'arrêt pré-
cité, dans lequel le Conseil, sans faire ressortir d'au-
cune manière qu'il s'agissait dans l'espèce d'une eau
domaniale, a employé dans ses considérants les motifs
déjà adoptés pour des cas analogues, alors qu'il s'agis-
sait d'usines situées sur des cours d'eau non naviga-
bles ; mais qui s'appliquent, à fortiori, quand il s'agit
des eaux de service public.
Considérant que l'action intentée par le sieur Robo,
contre l'État, devant le tribunal de Napoléonville a pour
but:— 1 ° de le faire reconnaître propriétaire du Moulin-
Vieux de cette localité, du canal d'amenéequi l'alimente,
et de la force motrice telle quelle existait, avant l'ar-
356 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.

rêlé du préfet du 28 juillet 1855; — 2° de soutenir


que l'exécution dudit arrêté ayant eu pour résultat de
réduire, d'une manière permanente, la force motrice du-
dit moulin, cette réduction constitue, à leur égard, une
expropriation, en raison de laquelle il leur est dû une in-
demnité, dont le règlement doit être fait, dans les termes
établis par la loi du 3 mai 1841.
Considérant que, dans son mémoire en déclinatoire, et
dans son arrêté de conflit le préfet a déclaré que l'admi-
nistration ne contestait pas au requérant la propriété
du moulin dont il s'agit ; puisque les décisions adminis-
tratives ayant acquis Vautorité de la chose jugée ou re-
connu que l'établissement de cette usine était légal ; —
Que le préfet a seulement revendiquépour l'autorité ad-
ministrative la faculté d'apprécier quels droits peuvent
résulter de cette reconnaissance au profit du demandeur,
et de régler l'indemnité qui peut lui être due;
Considérant qu'aux termes de l'art. 48 de la loi du 16
septembre 1807 lorsque, pour l'ouverture d'une nouvelle
navigation et autres travaux publics, il est nécessaire de
supprimer des usines, de les déplacer, modifier, ou de ré-
duire l'élévation de leurs eaux, il y a lieu, préalable-
ment à l'allocation de toute indemnité, d'examiner d'a-
bord si l'établissement des moulins, usines, est légal; et
si le titre d'établissement ne soumet pas les propriétaires
à voir démolir leurs établissements, sans indemnité, si
l'utilité publique le requiert (1); — Que d'après l'art. 57

(1)11 estbien reconnu aujourd'hui que celte clause ne s'ap-


plique exclusivement qu'aux établissements autorisés sur les
rivières ou canaux navigables.
QUESTIONS DE COMPÉTENCE. 357
de la même loi, c'est le conseil de préfecture qui est
chargé de procéder à cet examen et au cas où il est re-
connu que l'établissement est légal de régler l'indem-
nité.
Considérant que les dispositions de la loi du 16 sep-
tembre 1807 n'ont été ni rapportées ni modifiées par les
lois, intervenuespostérieurement, pour régler la matière
de l'expropriation, pour cause d'utilité publique ; —
Que ces lois, notamment celle du 3 mai 1841, aujourd'hui
en vigueur, ne sont applicables qu'aux cas où, par suite
de l'exécution de travaux publics, il est nécessaire d'ex-
proprier en tout ou en partie des terrains, bâtiments ou
édifices; —Que si les autorités charg ées de prononcer sur
les demandes d'indemnité, pour l'expropriation de ces
immeubles, sont aussi appelées à faire le règlement des
indemnités; pouvant être dues, pour privation de droits
immobiliers existant sur lesdits terrains, bâtiments ou
édifices, ce n'est qu'accessoirement et comme une consé-
v

quence nécessaire de l'acquisition du domaine plein et


absolu, tel que F exige l'utilité publique.
Considérant que les droits que le propriétaire d'une
usine peut avoir acquis à la jouissance de la force mo-
trice ne sauraient le constituer propriétaire de la pente
des eaux; qui ?i'estpas susceptible d'expropriation pri-
vée; et le faire assimiler au propriétaire d'un immeu-
ble, dans le sens de la loi du 3 mai 1841 ; — qu'il suit
de là que c'est avec raison que le préfet du Morbihan a
revendiqué pour l'autoritéadministrative* aux termes de
la loi du 16 septembre 1807, la connaissance de la de-
mande formée contre l'État, etc.
358 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.
ART. 1" — « Est confirmé l'arrêté de conflit pris le
1er juillet 1857. »

1ermars 1859 (Sr Bataille).


N° 4. — Compétence exclusive de la juridiction administrative
pour apprécier l'existence légale d'une usine sur une rivière
navigable. — Et pour décider s'il y a lieu à indemnité.

En 1858, la construction d'un barrage sur le Lot,


département de ce nom, porta préjudice à un moulin
appartenant au sieur Bataille dans la commune d'Ab-
bas. — En prévision d'une demande en indemnité, le
préfet avait pris, à la date du 30 juin et 5 août 1858,
deux arrêtés par lesquels il ordonnait une expertise —
Le sieur Bataille déféra au conseil de préfecture ces
deux arrêtés, pour incompétence et excès de pouvoir ;
en même temps qu'il s'adressait directement au con-
seil de préfecture, pour faire statuer : tant sur la léga-
lité de son établissement que sur la fixation de l'in-
demnité à laquelle il avait droit.
Par arrêté du 20 novembre de la même année ce tri-
bunal se déclara incompétent par le motif que le mi-
nistre aurait déjà statué, par décision du 27 novembre
1857, sur la question d'existence légale.
Mais, sur le recours de l'usinier, le Conseil d'État,
dans son arrêté précité, a statué en ces termes.
« Considérant, conformément à l'avis du ministre,
que les arrêtés préfectoraux n'étaient ici que des actes
d'instruction, ne pouvant entraver l'action des conseils
de préfecture; que dès lors ils ne pouvaient constituer
un excès de pouvoirs ; — Considérant, quant à la com-
QUESTIONS DE COMPÉTENCE. 359
pétence, qu'aux termes de l'arrêté du 19 ventôse an VI
et de la loi du 16 septembre 1807, il n'appartient
qu'aux conseils de préfecture de prononcer sur l'exis-
tence légale des usines établies sur les cours d'eau na-
vigables et flottables; — Que dès lors, c'est à tort que
le conseil de préfecture du Lot s'est déclaré incom-
pétent, pour apprécier les titres invoqués par le sieur
Bataille ; »
ART. 1". — L'arrêté du conseil de préfecture du
Lot, en date du 20 novembre 1858, est annulé dans celle
de ses dispositions par laquelle il s'était déclaré incom-
pétent pour prononcer sur l'existence légale du mou-
lin d'Albas.
ART. 2. — Le sieur Bataille est renvoyé devant le
même Conseil, pour qu'après vérification il soit statué
ce qu'il appartiendra sur sa demande en indemnité.
Deux autres arrêts du Conseil d'État, en date du 17
mai 1837 [S'Majouvel) et 19 août, même année (S'Ba-
din), avaient également établi :
« Que toute question d'indemnité, pour la suppres-
sion ou dommages, occasionnés par des travaux pu-
blics ou des établissements sur les rivières navigables,
était subordonnée à la question de savoir si l'existence
de ces établissements est légale ; — et que les tribu-
naux administratifs ont seuls le pouvoir d'apprécier les
titres et le genre de possession, dont peuvent exciper
les particuliers; — Que, dans tous les cas, les titres de
cette nature ne peuvent être que des titres administra-
tifs, dont la portée et les effets ne sont appréciables que
devant les conseils de préfecture.
360 RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS.

Ces citations qui pourraient être complétées par cel-


les de plusieurs autres arrêts, ayant statué dans le même
sens, nous paraissent devoir constituer, quanta la com-
pétence, la situation normale de la jurisprudence sur
la matière. — Elles montrent, dans tous les cas, l'ap-
plication précise et littérale deslois, toujours en vigueur,
dont le texte n'offre aucune incertitude, etquedèslors
on ne peut se dispenser d'observer; d'autant plus
qu'avec l'acception susdite l'exécution des mesures
prescrites ne rencontre aucune difficulté.
Cependant, on peut voir, dans le chapitre suivant,
que la jurisprudence du Conseil d'État a varié sur ce
point. Et c'est sous toutes réserves que nous avons pré-
senté, sur ce grave point, quelques observations.
CHAPITRE VI
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE.

SECTION I

HISTORIQUE DE LA QUESTION. EXAMEN DES DÉCISIONS INTERVENUES.

La première des lois qui intervinrent, successive-


ment, en matière d'expropriation, pour cause d'utilité
publique, fut celle du 8 mars 1810. Elle posait en
principe : 1° que cette expropriation s'opérera désor-
mais « par l'autorité de la justice; » 2° que les tribu-
naux ne pourront la prononcer qu'autant que l'utilité
en aura été constatée, dans les formes établies par
ladite loi.
Son article 27, et dernier, portait «abolition des dis-
positions de la loi du 16 septembre 1807, ou de toutes
autres lois, qui se trouveraient contraires à celles de
la présente loi. »
Dans cet état de choses le Conseil d'État a pu penser
que la loi du 28 pluviôse, elle-même, se trouvait corn-
prise dans cette abrogation ; et que, dès lors, les con-
seils de préfecture devaient se considérer comme in-
compétents pour statuer sur les difficultés en matière
de grande voirie ; et sur la fixation des indemnités,
pour dommages causés par des travaux publics;
362 ~ INDEMNITÉS.

toutes les fois, du moins, que ces dommages étant


permanents pouvaient être assimilés à une expropria-
tion.
En présence des guerres européennes qui signa-
lèrent les dernières années du premier empire, il ne
s'exécuta que peu ou point de travaux publics. Ils
furent également assez restreints sous le gouverne-
ment de la restauration; la question resta donc en sus-
pens. Mais elle se présenta dans les premières années
du gouvernement de juillet, et c'est alors qu'on trouve
deux ou trois arrêts du Conseil d'État, constatant un
changement dans la jurisprudence.
— On peut citer notamment les deux suivants :
quant à présent nous n'en connaissons pas d'autres, de
cette époque.

10 juillet 1833 (Sr Truffaut).

N° 1.— Des travaux exécutés au pont de Pontoise,


en 1816 et 1817, occasionnèrent d'abord un chômage
temporaire, puis une diminution permanente de
force motrice, à deux moulins situés sur la rivière
d'Oise, appartenant l'un au sieur Truffaut, l'autre aux
hospices de cette ville. La demande en indemnité
avait d'abord été portée, comme elle le devait, devant
le conseil de préfecture. — Mais les parties n'étant
d'accord ni sur la régularité de l'expertise, ni sur le
montant des indemnités à allouer, il y eut recours au
Conseil d'État, qui se dessaisit de l'affaire, par ce
motif «. que la question de savoir si les titres produits
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 363
avaient pu légalement comprendre l'aliénation d'une
portion de la force motrice de la rivière d'Oise appar-
tenait aux tribunaux! »

18 avril 1835 (S* Dielch).

N° 2. —Les travaux exécutés de 1832 à 1834 dans


le but de rendre la rivière d'Ill navigable jusqu'à
Strasbourg, pour les bateaux à vapeur, ont eu pour
conséquence de réduire notablement la force motrice
d'une usine appartenant au sieur Dietch, fabricant de
draps à Robertsau. Cette usine avait été concédée à ses
auteurs, à titre onéreux, par la ville de Strasbourg,
avant sa réunion à la France.
Ce particulier s'étant adressé aux tribunaux pour
obtenir l'indemnité à laquelle il croyait avoir droit, le
préfet du Bas-Rhin, après avoir proposé un déclina-
toire, éleva le conflit d'attributions, pour revendiquer
l'affaire.
Mais son arrêté a été annulé par le Conseil d'État,
qui, dans son arrêt précité, s'est basé sur les motifs
ci-après :
« Considérant que les travaux dont se
plaint le
sieur Dietch sont postérieurs à la loi du 8 mars 1810,
et qu'ainsi les tribunaux civils sont compétents pour
apprécier la demande ; »
ART. 1". — L'arrêté de conflit du 12 février 1835
est annulé.
On pourrait citer peut-être un ou deux arrêts de
lajnême époque ayant statué également dans ce sens.
364 INDEMNITÉS.

Mais, par suite des formalités de procédure, qui


rendent presque impraticables en pareil cas, les pres-
criptions multiples d'une loi d'expropriation, la doc-
trine admise dans les deux arrêts précités ne se con-
firma pas; on s'aperçut bientôt qu'elle serait d'une
application à peu près impossible; outre son incompa-
tibilité absolue avec les conditions indispensables à
l'exécution des grands travaux publics.
Pendant dix-sept ans, de 1835 à 1852 les décisions
sur cet objet reprirent leur état normal; ainsi qu'on
peut s'en assurer, par les espèces, citées dans les
chap. I, II, III, IV et V, dans lesquels se trouvent
plus de vingt arrêts, tous concordants, quoique ayant
eu à statuer sur des situations diverses ; et d'où il
résulte que, soit pour admettre, soit pour rejeter des
demandes en indemnité, basées sur des suppressions,
totales ou partielles, de forces motrices, sur les rivières
navigables, la juridiction conten.tieuse administrative
s'était toujours considérée comme seule compétente
pour statuer sur tout ce qui se rattachait à la question
d'indemnité dans son ensemble ; notamment dansle cas,
presque général, où la suppression de la chute (entraî-
nant celle des revenus de l'usine) constitue l'objet
principal du litige.
Pendant les onze années qui vont de 1852 à 1863,
le Conseil d'État, tout en maintenant invariablement
cette manière de voir, en ce qui touche les forces mo-
trices, et après avoir montré d'abord une certaine hé-
sitation, s'est, dans certains cas, prononcé explicite-
ment pour le renvoi à l'autorité judiciaire, du règle-
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 365

ment des indemnités se rattachant à la question du


bâtiment et du matériel, s'ils viennent à se trouver
entièrement supprimés.
C'est ce qui résulte des arrêts cités ci-après :

28 mai 1852 (7e Ramiére).


N 3. — Travaux exécutés sur le Rbône dans l'intérêt de la
navigation.— Suppression d'un moulin postérieur à 1506.—
Distinction établie, sur la compétence, entre la suppression
de la chute et l'occupation des terrains et bâtiments.

Des travaux exécutés, en 1844, sur le coursdu Rhône,


à l'effet d'améliorer la navigation du fleuve, entraî-
nèrent la destruction d'un moulin, établi en 1760, en
vertu d'une autorisation accordée à cette époque.
L'administration des travaux publics, considérant les
titres- produits comme insuffisants pour établir l'exis-
tence légale de cette usine, se contenta d'offrir, par la
voie gracieuse, pour la valeur des bâtiments dont elle
pourrait tirer parti, une somme de 5,000 fr., qui ne
fut pas acceptée.
Le conseil de préfecture du Gard, saisi de la récla-
mation, décida que l'usine avait été légalement auto-
risée, mais se déclara incompétent pour statuer sur
l'indemnité qui pourrait être due : soit pour la sup-
pression du moulin, soit pour l'expropriation des ter-
rains, concédés en 1760.
M. le ministre des travaux publics se pourvut contre
cet arrêté ; en se fondant : sur ce que d'une part, le con-
seil de préfecture avait reconnu, à tort, l'existence
légale de l'usine ; et sur ce que, d'autre part, il s'était
366 INDEMNITÉS.
déclaré incompétent, pour décider si une indemnité
était due; attendu que par suite de l'édit de 1566 et
de la déclaration de 1683, il n'est dû d'indemnités,
pour chômages ou suppressions d'usines, que dans
deux cas: 1° lorsque l'usine existait avant 1566;
2° lorsqu'elle a été vendue nationalement, avec affec-
tation d'une force motrice déterminée. Or ni l'une ni
l'autre de ces deux circonstances ne se rencontraient
dans l'espèce.— Quant à la compétence sur la fixation
de l'indemnité, dans le cas où elle serait due, M. le
ministre pensait également qu'il n'appartenait qu'au
conseil de préfecture de l'apprécier; qu'en effet la
force motrice d'un moulin, et dans le cas actuel les
eaux du Rhône, ne pouvant par leur nature consti-
tuer une propriété privée, la suppression de cette
force motrice ne pouvait être considérée comme une
expropriation ; qu'elle avait donc alors le caractère
exclusif d'un dommage dontla connaissance appartient
au conseil de préfecture, en vertu des lois du 28 plu-
viôse, an VIII, et 16 septembre 1807.
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois sur la
matière et l'art. 538 du Code civil, a rendu son arrêt
en ces termes :
« Considérant que la pente des cours d'eau n'é-
tant pas susceptible, etc. (comme ci-dessus), que dès
lors, si le conseil de préfecture était incompétent pour
statuer sur l'indemnité prétendue par la veuve Ra-
mière à raison de i'occupation définitive, par l'admi-
nistration des bâtiments et terrains lui appartenant,
ledit conseil de préfecture devait maintenir sa com-
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 367
pétence sur la portion de la demaude en indemnité
s'appliquant à la force motrice.
«
Considérant qu'aux termes des lois ci-dessus vi-
sées, l'administration a le droit de prescrire, sur les
rivières navigables et flottables, toutes les mesures
qu'elle juge utiles dans l'intérêt du service de la navi-
gation, et qu'il n'est dû d'indemnité aux proprié-
taires d'usines auxquels ces mesures seraient préjudi-
ciables qu'autant que l'origine de ces usines remon-
terait à une époque antérieure à 1566 ; ou que, par
suite de vente nationale, il y aurait eu affectation spé-
ciale auxdites usines d'une force motrice déterminée ;
Qu'il résulte de l'instruction que le moulin de la
veuve Ramière ne se trouvait dans aucune des deux
conditions ci-dessus énoncées ;
ART. 1er.
— « L'arrêté du conseil de préfecture du
Gard, du 27 septembre 1850, est annulé, en tant que
leditconseil s'est déclaré incompétent, pour statuer sur
la partie de la demande relative à l'indemnité récla-
mée, à raison de la suppression de la force motrice..
ART. 2.
— La réclamation de la dame Ramière est
rejetée en ce qui touche l'indemnité prétendue pour ce
dernier objet.
Ainsi que cela a été dit plus haut, le Conseil d'Etat
dans l'espèce ci-dessus, ne s'est prononcé que d'une ma-
nière iriiplicite,sur l'intervention des deux juridictions.
Mais on va voir, par les décrets cités ci-après, qu'en
présence de situations exceptionnelles, il s'est trouvé
amené à l'admettre très-explicitement.
368 INDEMNITÉS.

C. DE CASSATION, 2t mars 1835 (SrE Dumont et cons.).


ÎN 0 4.
— Moulins situés sur
l'ancien pont de Vernon. — Suppres-
sion de ces usines par suite de la démolition dudit pont. —
Question de compétence.

Des travaux exécutés par l'État, eu 1848 et 1849,


dans le lit de la Seine, en amont du pont de Vernon,
en modifiant le cours des eaux, ont eu pour résultat
de diminuer la force motrice de plusieurs moulins d'o-
rigine très-ancienne, qui se trouvaient établis sur les
arches mêmes dudit pont.
Les sieurs Dumont et consorts propriétaires d'un de
ces moulins firent assigner, devant le tribunal civil
d'Evreux, le préfet de l'Eure représentant l'État, pour
obtenir le règlement de l'indemnité à laquelle ils pou-
vaient avoir droit.
Le Tribunal d'Evreux avait admis l'incompétence
de l'autorité judiciaire', et motivé son jugement ainsi
qu'il suit :
« Attendu qu'aux termes des lois des 28 pluviôse
an VIII (17 février 1800) et 16 septembre 1807, toutes
demandes d'indemnité fondées sur des dommages, ré-
sultant de l'exécution de travaux publics, sont de la
compétence des conseils de préfecture, sans distinction
entre les dommages temporaires et les dommages per-
manents; — que ces lois n'ont été ni abrogées ni mo-
difiées par celles des 7 juillet 1833 et 3 mai 1841 ;
qui ne s'occupent, que du cas où il y a une véritable
expropriation de biens dont l'État s'empare pour l'exé-
cution de travaux publics ;
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 369

« Attendu que les art. 3, 4 et 5 de l'arrêté du 19 ven-


tôse an VI (9 mars 1798) et l'art. 48 de la loi du 16
septembre 1806, obligent les demandeurs à produire
leurs titres devant l'autorité administrative, à laquelle
il appartientde reconnaître si l'établissement a uneexis-
tence légale, c'est-à-dire antérieure à l'édit de 1566;
— que la compétence attribuée à l'administration en
cette matière, par des lois spéciales, n'est pas exclusive
de la jurisprudence des tribunaux ordinaires, dans les
cas où l'application des titres soulève des questions de
propriété et de droit commun ; ainsi que le Conseil
d'État l'a reconnu dans plusieurs arrêts ;
« Attendu qu'aucune question de cette nature n'est
engagée, au moins quant à présent, entre l'État et les
demandeurs ; que 'si ces derniers ont élevé la pré-
tention d'être déclarés propriétaires de la force motrice
de leur usine, M. le préfet de l'Eure s'est borné à leur
répondre : qu'ils devaient avant tout justifier des titres
pouvantélablirleurdroitàindemnité; cequ'illes a mis
en demeure de faire, par sou arrêté du 7 janvier 1850.»
Arrêt confirmatif de la cour de Rouen, qui, après
avoir visé les lois sur la matière, a. motivé sa décision
en ces termes :
«Attendu que la prétention des usiniers du pont de
Vernon s'élève à l'occasion de travaux publics exécutés
dans l'intérêt de la navigation ; — que les rivières na-
vigables n'ont jamais fait partie du domaine de l'État,
mais ont toujours été une partie intégrante du domaine
public; — qu'à ce titre, elles sont exclusives d'un droit
de propriété, privé et absolu ;
— d'où il suit que la
24
370 INDEMNITÉS.
suppression d'usines qui y auraient été établies, par
concession, ne saurait jamais; avoir lecaractère d'une
expropriation;
« Que si toutefois, par suite de cette suppression il
pouvait y avoir lieu à une indemnité, en faveur des
usiniers, celle-ci ne pourrait résulter que de TinterpréV
tation d'un acte administratif, dont l'appréciation ap-
partient à l'administration seule. »
Les sieurs Dumont et consorts se pourvurent contre
cet arrêt, pour violation de l'art. 47 et fausse applica-
tion de l'art. 48 de la loi de 1807 ; attendu que la cour
de Rouen ne pouvait se déclarer incompétente, pour
connaître d'une question de propriété, née au sujet de
Inexécution de travaux publics.
Mais, dans son arrêt précité, la cour de cassation a
adopté la doctrine contraire ; — cet arrêt est motivé
dans les termes suivants : -J. ... .
LA COUR. ^- Vu l'ordonnance de 1566 sur les grands
domaines, celle de 1669 sur les eaux et forêts, art. 41,
lit. XXVII, etla loi du 16 septembre 1807; ; i>

;' «Attendu qu'avant l'édit de 1566, les. biens et droits


dépendant du domaine de la couronne n'étaient pas
frappés d'inaliénabilité, et que l'art. 17 de cet édit
porte formellement qu'il ne dispose que pour l'avenir;
— que l'art. 41 de l'ordonnance, de 1669 en déclarant
que la propriété des fleuves et rivières ;navigab,les fai-
sait partie du domaine de la couronne, maintient, ex-
plicitement, les droits de pêche, moulins, et autres
usages, que les particuliers peuvent y avoir, par titres
ou possessions valables ; :
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 371

« Attendu que les lois postérieures n'ont rien changé,


ni pu changer aux droits conférés, irrévocablement,
en conformité des lois en vigueur, à l'époque où les
concessions ont été faites ; et que d'ailleurs ces conces-
sions ont été confirmées par les édits d'avril 1683 et
1693 ; — attendu que si, d'une part, ces concessions
n'étaient pas révocables, à la simple volonté du do-
maine, d'autre part, l'irrévocabilité de ce droit n'a pu
porter atteinte, dans aucun temps, à ceux de haute po-
lice qui appartiennent à l'Etat, à titre de souveraineté,
et qui se réfèrent aux travaux à faire ou à prescrire,
dans l'intérêt de la navigation ;
« Attendu qu'il s'agissait au procès, de savoir si ces
dispositions étaient applicables aux droits prétendus
par les demandeurs; — que d'après l'art. 48 de la loi
du 16 septembre 1807, les propriétaires des moulins
et usines dont, la suppression, le déplacement, ou la
modification sont rendus nécessaires, par lesdits tra-
vaux, ont droit d'être indemnisés par l'État, quand
c'est lui qui entreprend les travaux; — que l'art. 47
de ladite loi attribue formellement aux tribunaux or-
dinaires les questions de propriété, qui peuvent être
soulevées au sujet de l'exécution de travaux d'utilité
publique ; — que cette disposition législative quoique
écrite au sujet des commissions spéciales instituées en
matière de dessèchements, s'applique à tous les tra-
vaux d'intérêt publicexécutés par l'Etat, et n'est que
la reproduction des principes fondamentaux de notre
droit public;
« Attendu, en fait, que dans l'espèce les demandeurs
372 INDEMNITÉS.

en cassation avaient assigné l'Etat, dans la personne


du préfet de l'Eure, le 16 octobre 1850, devant le tri-
bunal civil d'Evreux, pour les voir déclarer proprié-
taires des forces motrices et des moulins dont s'agit;
— que l'introduction de cette demande devant l'auto-
rité judiciaire était conforme aux prescriptions de l'art.
47 de la loi du 16 septembre 1807 ; — qu'elle consis-
tait dans la revendication de la propriété des forces
motrices et des moulins; et que cette propriété a été
formellement contestée, par le préfet de l'Eure, aunom
de l'État, dans des conclusions signifiées au procès.
« Attendu que, sur des conclusions ultérieures pri-
ses dans le cours de l'instance, par les demandeurs en
cassation, le préfet n'a répondu qu'en persistant dans
l'exception d'incompétence par lui proposée, — que
dès lors le procès actuel soulève la question de pro-
priété et rentre dans le cas prévu par l'art. 47 précité,
attributif de la compétence à l'autorité judiciaire; —
Attendu que le § 2 de l'art. 48, en prescrivant l'exa-
men de la question de savoir si l'établissement de l'u-
sine est légal, et s'il est soumis à telle ou telle condi-
tion, n'a pu entendre nier la compétence attribuée par
l'article précédent à l'autorité judiciaire ; mais qu'il
a Afoulu seulement poser des règles de décision, obli-
gatoires, selon les cas, pour les tribunaux, comme
pour l'administration. — D'où il suit que la cour impé-
riale de Rouen, par l'arrêt attaqué, en se déclarant in-
compétente pour statuer sur la cause qui lui était sou-
mise, a violé l'art. 47 et faussement appliqué l'art. 48
de la loi du 16 septembre 1807;
— casse, etc.
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 373

13 mai 18S8 (Srs Dumont et Consorts).


N° o. — Suite des décisions relatives à la suppression des mou-
lins situés sur le vieux pont de Vernoh.

Dans son arrêt du 21 mai 1855, cité ci-dessus, sous


le n° 4, la Cour de cassation avait renvoyé l'affaire
devant la Cour d'appel de Caen pour être statué sur
l'opposition, dirigée contre le jugement du tribunal
d'Évreux, du 24 mars 1852.
Les sieurs Dumont et consorts, persistant dans leur
première démarche, firent assigner l'Etat devant la
Cour de Caen, pour voir infirmer le jugement de pre-
mière instance, en maintenant les conclusions par eux
prises devant les premiers juges. — Alors, confor-
mément aux dispositions de l'ordonnance du 1er juin
1828, le préfet du Calvados déclina de nouveau la
compétence de la Cour; par le motif : que l'apprécia-
tion des titres à produire par les appelants, pour jus-
tifier l'existence légale de leur usine, appartenait à
l'autorité administrative, et que le règlement, s'il y
avait lieu, des indemnités pouvant être dues, pour ré-
duction ou suppression de la force motrice de cette
usine, était également de la compétence de l'autorité
administrative.
Par arrêt du 28 janvier 1858, la Cour d'appel de
Caen, infirmant le jugement du tribunal d'Evreux,
rejeta le dëclinatoire du préfet, et renvoya les parties
devant le tribunal de Caen. — (Conflit.)
C'est dans cet état de choses que l'affaire est venue
devant le Conseil d'Etat, qui a statué en ces termes :
.
374 INDEMNITÉS.

« Vu l'arrêté du 19 ventôse an VI, la loi du 28 plu-


viôse an VIII, et celle du 16 septembre 1807 ; — Sur
la régularité du conflit élevé par le préfet de Calvados,
considérant, etc.
« Au fond, considérant que : 1° les conclusions
prises devant la Cour impériale de Caen par les sieurs
Dumont et consorts, avaient pour objet de les faire
déclarer propriétaires des moulin et force motrice,
dont ils prétendent avoir été dépossédés par les tra-
vaux exécutés, au nom de l'État, dans le lit de la Seine ;
2° de faire ordonner qu'il serait procédé au règlement
des indemnités qui leur étaient dues, dans les formes
prescrites par la loi du 3 mai 1841 ; — Qu'il a été ré-
pondu, au nom de l'État : 1° que l'indemnité récla-
mée éiait subordonnée à la l'égalité de rétablissement
des usines, et que la justification devait en être faite
devant l'administration ; 2° que dans le cas où cette
existence légale serait justifiée, l'appréciation de l'in-
demnité, qui pourrait être due aux demandeurs, ap-
partiendrait au Conseil de préfecture ;
Considérant qu'il y a lieu d'apprécier le conflit élevé
par le préfet du Calvados, tant en ce qui concerne
l'existence légale des usines, qu'en ce qui touche l'in-
demnité pouvant être due aux sieurs Dumont et
consorts ;
« Sur la première question : Considérant quaux
termes de Fart. 48 de la loi du 16 septembre 1807,
lorsque, pour Vexécution de travaux publics, il y a
lieu de supprimer des moulins ou d'autres usines, de
les déplacer, modifier, ou réduire la hauteur de leurs
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 375

eaux, il doit être examiné d'abord si rétablissement de


ces usi?7es est légal, et si le titre d'établissement ne sou-
met pas les propriétaires à voir supprimer leurs éta-
blissements sans indemnité, si l'utilité publique le requé-
rait;— Que d'après l'arrêté du 19 ventôse an VI, et
celte même loi de 1807, c'est devant l'autorité admi-
nistrative que les propriétaires d'usines doivent faire la
justification de leurs titres.
« Sur la question d'indemnité : Considérant que les
sieurs Dumont et co?isorts ri!allèguent pas qu'ils aient
été dépossédés d'aucune partie des terrains et bâtiments
qui leur appartiennent ; qu'ils ne se plaignent que de
la suppression de la force motrice de leurs moulins;
a Considérant que la pente des cours d'eau ri'étant
pas susceptible de propriété privée, la suppression
totale, ou partielle, par suite de travaux publics de la
force motrice, résultant de l'emploi de cette pente, ne
constitue qu'an dommage^ dont la connaissance est at-
tribuée aux conseils de préfecture par les lois des 28
pluviôse om VIII, et 16 septembre 1807.
ABT. 1"".
— « L'arrêté de conflit ci-dessus visé est
confirmé.
ART. 2.
— « Sont considérés comme non avenus:
l'exploit introductif d'instance du 16 octobre 1850,
l'acte d'appel du 17 octobre 1856, et l'arrêt de la
Cour de Caen du 28 janvier 1858. »
Voir à la section III du présent chapitre les ré-
flexions à faire sur les termes de cet arrêt.
376 INDEMNITES.

27 août 1857 (Sr Marchand).


N° 6. — Suppression d'une usine antérieure à 1366, construite
sur un barrage établi dans le lit de la Mayenne. — Distinction
admise sur la compétence entre la suppresion de la chute
et celles des bâtiments ainsi que du matériel. — Renvoi de-
vant l'autorité judiciaire, pour application de la loi du 3
mail 845.
Depuis une époque très-ancienne, il existait sur le
barrage de la Mayenne, à Château-Gonthier, trois
moulins, dont l'existence légale n'était pas contestée ;
et qui, de plus, avaient été compris plus tard dans une
adjudication nationale.
La suppression de ce barrage ayant été ordonnée,
en. 1856, dans l'intérêt de la navigation, entraîna,
comme conséquence, la suppression, non-seulement
de la force motrice, mais celle des bâtiments et du
matériel.
Le sieur Marchand, propriétaire d'un de ces mou-
lins, ayant formé une demande en indemnité, le
conseil de préfecture de la Mayenne avait fixé le
chiffre total de celle qui le concernait à 8,203 fr. ; en
supposant qu'il abandonnerait à l'Etat le matériel de
l'usine.
Mais ce particulier, tout en admettant la compé-
tence du conseil de préfecture, pour statuer sur l'indem-
nité relative à la suppression de la force motrice, la
contestait pour statuer sur ce qu'il considérait comme
une expropriation réelle, résultant de la suppression
effective du bâtiment et du mécanisme, immeuble par
destination. — En conséquence, le sieur Marchand se
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 377
pourvut de ce chef devant le Conseil d'Etat, deman-
dant que l'appréciation de cette partie de l'indemnité
fût réservée à l'autorité judiciaire.
Le commissaire du gouvernement (M. de Forcade)
a présenté, sur la question de compétence, une inté-
ressante dissertation, que nous reproduisons ici, en
abrégé, d'après le texte cité dans le recueil d'arrêts de
M. Lebon, tome XXVII, p. 696.
« Trois systèmes peuvent être soutenus : — Le pre-
mier consisterait à admettre la compétence administra-
tive sur le tout; c'est-à-dire pour la fixation de l'in-
demnité due, tant pour la force motrice que pour les
bâtiments supprimés; — le second consisterait, au
contraire, à renvoyer le tout devant le jury ; en consi-
dérant que la suppression des bâtiments constitue un
cas d'expropriation, et que l'appréciation de l'indem-
nité due pour la force motrice n'est qu'un accessoire
de cette expropriation ; — enfin, le troisième système
consisterait à diviser la question d'indemnité, en rete-
nant pour l'autorité administrative la connaissance de
l'indemnité due pour suppression de la force motrice,
et en renvoyant devant le jury la connaissance de l'in-
demnité due pour suppression du bâtiment.
« Le premier système ne peut être adopté. Il y a, en
effet, dans l'espèce un véritable cas d'expropriation. Il
ne s'agit pas d'un simple dommage aux bâtiments, il
y a destruction du bâtiment lui-même. — Cependant
le ministre fait observer que les bâtiments dont il s'agit
sont établis sur un barrage, dans le lit même de la
rivière, c'est-à-dire sur un sol non susceptible de pro-
378 INDEMNITÉS. :.
priété privée. — Ce raisonnement perd de sa valeur
si l'on songe que le sieur Marchand est propriétaire
de l'usine, en vertu d'une vente nationale du 27 prai-
rial an II. —Ainsi, il y a eu une certaine aliénation
du domaine public, autorisée par la loi, et constitution
d'un véritable droit de propriété. — Jl faut donc écar-
ter le premier système, et admettre qu'il y a expropria-
tion, au moins partielle.
« Mais faut-il aller jusqu'à renvoyer le tout devant
le jury d'expropriation?— La question paraît sérieuse.
En effet, dans l'espèce il n'est pas douteux que le jury
doive être saisi au moins d'une partie du règlement de
l'indemnité. Il y a expropriation de tout l'établisse-
ment immobilier qui constitue l'usine.- Or, en général,
lorsque le jury est saisi, il ne se prononce pas seule-
ment sur l'indemnité principale, il prononce aussi sur
les indemnités accessoires, sur celles qui peuvent être
dues aux locataires ou fermiers, qui cependant n'ont
aucuns droits immobiliers. •—Pourquoi le jury, qui
fixe l'indemnité due pour l'expropriation du bâtiment
de l'usine, ne prononcerait-il pas en mêmetemps sûr
l'indemnité due pour la suppression de la force mo-
trice ?
« Dans un arrêt récent, du 28 mai 1852 (V° Ramière),
le Conseil d'État a rejeté ce système, en posant en
principe : que la pente des cours d'eau n'est pas sus-
ceptible de propriété privée, que dès lors la suppres-
sion d'une force motrice ne constitue qu'un dommage.
— Nous reconnaissons ces deux points-, mais il ne faut
pas en conclure que l'autorité administrative soit né-
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 379
cessairement compétente. Car si le dommage n'est
que l'accessoire d'une expropriation, le jury doit sta-
tuer sur le tout. La question est donc de savoir si
cette situation se iirésente dans le cas actuel.
« En thèse générale, nous reconnaissons que la sup-
pression d'une force motrice ne constitue qu'un dom-
mage, que la distinction entre le dommage et l'expro-
priation est fondée, lorsqu'on laisse à l'usinier son
bâtiment, son mécanisme. Mais lorsque vous suppri-
mez tout, bâtiment, mécanisme et force motrice, la
destination devient puérile, puisqu'il ne reste rien de
rétablissement.
«La question d'indemnité nous paraît ici indivi-
sible de la nature. Comment soumettre à deux juri-
dictions différentes cette question, dont les éléments
sont si étroitement liés ensemble? En effet, tous ces
éléments conitribuent à former le revenu net, qui est
la véritable base de l'indemnité. »
Ainsi, M. le commissaire du gouvernement se pro-
nonçait d'une manière très-explicite pour que, dans
l'espèce, et, par conséquent, dans toutes les situations
semblables qui pourraient se présenter, ce fût le jury
d'expropriation qui eût à intervenir seul, à l'exclusion
des conseils de préfecture.
Cette doctrine soulève de très-graves objections.
Le Conseil d'État ne pouvait certainement pas l'ac-
cepter: mais ayant à tenir compte, autant que possible,
de la situation particulière qui se présentait ici, il s'est
rattaché au système mixte, indiqué par M. de Forcade ;
c'est-a-dire qu'il à admis le concours de deux juridic-
380 INDEMNITÉS.
tions distinctes pour statuer : l'une sur ce qui con-
cerne la suppression de la force motrice, l'autre en ce
ce qui louche les bâtiments et le matériel.
Après avoir rappelé les divers actes de la procédure,
et visé les lois des 28 pluviôse an VIII, 16 septembre
1807, et 3 mai 1841, il a motivé, ainsi qu'il suit, les
considérants de son arrêt précité, du 27 août 1857 :
« En ce qui touche les indemnités allouées par le
conseil de préfecture, à raison de la destruction des
bâtiments de l'usine du sieur Marchand, et du dépla-
cement du matériel de cette usine : — Considérant
que la suppression du barrage de Château-Gonthier
entraîne nécessairement la dépossession définitive et
la destruction totale des bâtiments de l'usine; •—
qu'en conséquence, aux termes de la loi du 3 mai
1841, ce n'est qu'au jury institué par ladite loi qu'il
appartient de fixer les indemnités dues à ce parties
lier, à raison de la prise de possession desdits bâti-
ments et du matériel qui y est attaché, comme im-
meuble par destination ;
« En ce qui touche l'indemnité due pour la sup-
pression de la force motrice, considérant, etc.
Art. 1er. — « L'indemnité due au sieur Marchand
pour la suppression de la force motrice du moulin
qu'il possédait sur la Mayenne est fixée, etc.
Art. 2. — « Les intérêts de cette indemnité, etc.
Art. 3. — « Le sieur Marchand est renvoyé à se
pourvoir pour faire régler, conformément à la loi du
3 mai 1841, l'indemnité qui pourrait lui être due,
à raison de la prise de possession, par l'Etat, des
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 381

bâtiments de son usine et du matériel qui en dé-


pend. »
(Arrêté réformé en ce qu'il a de contraire, etc.)

27 août 1857 [Sr Bodinier. — Sr Journeil).


N°s 5 et 6. —Suite des décisions relatives à la suppression des
usines établies sur l'ancien barage de Châleau-Gonlhier.

A la même date du 27 août 1857, les deux, autres


usines qui se trouvaient également situées sur le bar-
rage de la Mayenne, à Château-Gonthier, et apparte-
naient, l'un au sieur Bodinier, et l'autre au sieur Jour-
neil, ont donné lieu, au point de vue de la compétence,
à des décisions identiques à celle qui précède; c'est-à-
dire réservant seulement au conseil de préfecture l'ap-
préciation de l'indemnité due pour la suppression de
la force motrice, et renvoyant au jury d'expropriation
celle de l'indemnité relative à la suppression des bâti-
ments et du matériel.

9 avril 1863 (Sr Deshayes).


N° 7°. — Suite des décisions relatives aux moulins supprimés
avec l'ancien pont de Vernon.
Par un arrêté, en date du 30 mars 1862, le conseil
de préfecture de l'Eure a renvoyé le sieur Deshayes,
alors propriétaire des moulins du pont de Vernon, de-
vant le jury d'expropriation, pour le règlement de l'in-
demnité due à ce particulier, par suite de la suppres-
sion des bâtiments et agrès de son usine, lors de la
reconstruction dudit pont.
382 INDEMNITÉS.
M. le ministre des travaux publics s'est pourvu
contre cet arrêt, par le motif : que les bâtiments et
agrès du moulin Deshayes ne pouvaient constituer une
véritable propriété, puisque le sol sur lequel ils re-
posent est du domaine public, et que leur existence,
quoique légale, ne peut être assimilée qu'à une simple
servitude ; dont la suppression, de même que celle
d'une chute d'eau, ne peut donner ouverture qu'à une
demande d'indemnité, à discuter devant là juridiction
administrative. — En conséquence, il demandait que
celle dont il s'agit fût réglée par le conseil de préfec-
ture.
A l'appui de son opinion, M. le ministre soutenait
encore : que la possession des bâtiments du moulin
Deshayes ne pouvait résulter que d'une concession ; et
qu'alors, bien que trânsmissible et aliénable, cette
possession ne pouvait être assimilée à une propriété
ordinaire ; — qu'en ce qui touche les usines établies
sur les rivières navigables, l'article 4 de l'ordonnance
de 1669 a défini les droits qui s'y rattachent, en éta-
blissant nettement la distinction à établir entre ces
droits et celui de la propriété du lit des rivières navi-
gables, et il ajoutait :
« Si l'on a reconnu, d'une manière générale, que
la pente des.rivières n'est pas susceptible de former
une propriété privée, dans l'acception ordinaire du
mot, et si, pour ce motif, le règlement des indemnités
qui s'y rapportent appartient aux tribunaux adminis-
tratifs, la même juridiction doitj à plus forte raison,
connaître de la même question quand il s'agit de bâti-
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 383
ments établis en lit de rivière, sur le domaine public.
« Dans l'arrêt du 27 août 1857 (affaire Marchand),
il s'agissait d'usines établies sur des barrages ou îlots
susceptibles d'une propriété privée, qui résultait d'ail-
leurs de ventes nationales faites sans réserves; — en
sorte que quand même l'emplacement sur lequel repo-
saient ces usines eût fait précédemment partie du do-
maine public, il en avait été distrait par la loi qui en
avait prescrit la vente. — Or, telle n'est pas la situa-
tion du moulin Deshayes. »
Ces observations étaient parfaitement justes; niais
on a invoqué, pour le sieur Deshayes, l'existence d'un
acte authentique remontant à l'année 1478 ; acte déjà
cite dans l'un des précédents arrêts, et d'où résul-
tait la preuve : qu'à cette date un sieur Michel Cha-
rité, l'un de ses auteurs, était déjà propriétaire du
moulin en question, ainsi que « de la troisième arche
du pont de Vernon », sur lequel il était établi.
Le Conseil d'État a donc cru voir, dans ce titre,
la preuve authentique de l'existence légale de ce
moulin, avant 1566. — Dès lors, il devait admettre le
principe de l'indemnité, tant pour la suppression de
la chute que pour celle du bâtiment.
C'est pourquoi, après avoir visé les lois des 28 plu-
viôse an VIII, 16 septembre 1807, et 3 mai 1841,
plus le décret du 15 mai 1858, confirmant l'arrêté de
conflit du préfet du Calvados, il a, sur le rapport de
M. Pascalis, et les conclusions de M. Ch. Robert, re-
jeté le recours du ministre, par les motifs suivants :
« Considérant que la destruction de l'ancien pont de
384 INDEMNITÉS.

Vernon a eu pour conséquence de supprimer complète-


ment les bâtiments du moulin du sieur Deshayes ; —
considérant que ces bâtiments ont été établis, avant
1566, sur une arche du pont de Vernon, en vertu des
droits qui avaient été concédés par l'autorité souveraine
aux auteurs du sieur Deshayes; — que dès lors, ce par-
ticulier était propriétaire desdits bâtiments à titre privé,
et qu'il n'a pu en être dépossédé qu'aux conditions et
d'après les formes prescrites par la loi du 3 mai 1841,
sur l'expropriation pour cause d'utilité publique.
(Recours rejeté.)

9 avril 1863 (Sr Duvivier).


N° 8. — Suite des décisions relatives aux moulins supprimé
avec l'ancien pont de Vernon.

Par un autre arrêt, de même date que le précédent,


le Conseil d'État a également rejeté le recours de l'ad-
ministration des. travaux publics, contre un arrêté du
conseil de préfecture de l'Eure, qui avait renvoyé le
sieur Duvivier à se pourvoir, conformément à la loi du
3 mai 1841, pour Je règlement de l'indemnité .qui
lui serait due, à raison de la suppression des bâtiments
et agrès de son usirie, par suite de la reconstruction
des bâtiments du pont de Vernon.
Les experts nommés par le conseil de préfecture
avaient évalué les indemnités auxquelles avait droit le
sieur Duvivier, non-seulement pour la privation de sa
force motrice, mais encore pour la suppression des
bâtiments de son moulin. Mais l'arrêté attaqué n'avait
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 385
.

retenu pour le Conseil de préfecture que le règlement


des indemnités, dues à raison de la suppression de la
force motrice et de la dépréciation qui en résultait
pour les bâtiments et le matériel de l'usine ; — se bor-
nant à déclarer : que pour le cas de dépossession défi-
nitive desdits bâtiments et matériel, le réclamant de-
vrait faire procéder au règlement de l'indemnité sui-
vant les formes prescrites par la loi du 3 mai 1841.
Ainsi que nous l'avons déjà dit plus haut, cette
doctrine, qui serait éminemment critiquable, si elle
n'eût été motivée par des situations exceptionnelles,
ne paraît pas devoir se maintenir.
C'est ce que l'on pouvait inférer déjà des termes de
l'arrêt ci-après, intervenu deux ans plus tard que le
précédent, et dans lequel on doit remarquer qu'il
s'agissait d'une maison d'origine très-ancienne, établie
sur un pont, et dont le propriétaire excipait d'ancien-
nes concessions, analogues à celles qui formaient le
titre des moulins construits sur le pont de Vernon et
le barrage de Château-Gonthier.

10 février 1865 (Sr Guèrard).


N° 9. — Indemnité réclamée par suite de la suppression d'une
construction privée, qui se trouvait établie sur un ancien
pont sur l'Orne, supprimé en 1860, dans l'intérêt de la na-
vigation. — Compétence non contestée des tribunaux admi-
nistratifs.
Une maison bâtie très-anciennement sur le pont
Saint-Pierre, construit sur la rivière d'Orne à Caen,
s'est trouvée supprimée lors de la démolition de ce
pont, laquelle était nécessitée pour les travaux d'ap-
25
386 INDEMNITÉS.

profondissement du canal de Caen à la mer, déclarés


d'utilité publique par un décret du 8 février 1860.
Un arrêté du Conseil de préfecture, en date du 26
juillet 1861, avait rejeté la demande d'indemnité du
sieur Guérard-Deslauriers, pour la suppression du
pont qui supportait ladite maison, par ce motif qu'elle
n'avait pas d'existence légale.
Dans son pourvoi au Conseil d'État, contre ledit ar-
rêté, ce particulier a fourni la preuve qu'en 1568 ladite
maison avait été fieffée à un sieur Requier ; et que dès
1531, la ville payait elle-même au roi pour la même
maison, une redevance de 4 livres ; qu'ainsi, elle exis-
tait avant 1566, en vertu d'une concession royale; que
d'ailleurs le droit des auteurs du requérant avait étére-
connupar un arrêt du conseildu roi, du22 février 1757.
M. le ministre des travaux publics et la ville de
Caen ont produit des observations tendant au rejet du
pourvoi; par le motif que ce dernier arrêt n'impliquait
pas la reconnaissance d'un droit de propriété.
Mais le Conseil d'État, dans son arrêt du 10 févier
1865, se basant sur les actes anciens ci-dessus cités, a
déclaré que ladite maison avait une origine antérieure
à l'édit de 1566; et que dès lors sa suppression ne
pouvait avoir lieu sans indemnité.
Il a décidé- en même temps qu'il n'y avait lieu de
reconnaître l'existence légale que de la partie de la
maison reconstruite en vertu de l'arrêt de 1757, sur
l'emplacement de la maison fieffée en 1667, et non à
l'ensemble des autres constructions établies sur les piles
du même pont.
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 387

SECTION II
RÉSUMÉ DES CHAPITRES XVII ET XVJII.

Les nombreux arrêts, cités dans les six chapitres qui


précèdent, traitant, avec tous ses détails, la question
des indemnités, montrent que le Conseil d'État s'est
toujours strictement maintenu dans l'observation des
lois qui, en présence d'une nécessité incontestable,
ont institué sur cet objet une juridiction spéciale.
Ainsi qu'on vient de le voir, quelques déviations
momentanées ont pu faire croire qu'il fallait s'atten-
dre à un changement dans les bases mêmes de cette
jurisprudence. Mais elles n'ont été que passagères et
au bout de quelque temps les choses ont repris leur
situation régulière.
Ces décisions anormales ont tenu à deux causes dis-
tinctes : 1° d'abord aux termes de la loi du 8 mars
1810 qui semblaient avoir abrogé les dispositions mê-
mes sur lesquelles est basée la juridiction du conten-
tieux administratif; 2° en dernier lieu à des situations
tout à fait exceptionnelles, dans lesquelles la suppres-
sion totale des bâtiments d'une usine, bien qu'ils fus-
sent établis en lit de rivière, étant présentée, à tort,
comme l'objet principal du débat, servait de base à
des réclamations tendant à attirer tout le litige, et
même l'indemnité de la force motrice, devant une
autorité incompétente. — Mais on soutenait qu'il y
avait là une véritable expropriation.
Dans la première des affaires relatives à la suppres-
388 INDEMNITÉS.

sion des moulins situés sur l'ancien pont de Vernon,


la question des bâtiments était restée très-secondaire.
En effet, par l'arrêt de la Cour de cassation du 21 mai
1855 (S1 Dumont et consorts), dont nous avons cité
le texte, on voit que ce que l'on contestait aux tri-
bunaux contentieux-administratifs, c'était le principe
même de leur juridiction. Et pour cela on se bornait à
invoquer, dans la loi de 1807, l'art. 47, attribuant aux
tribunaux ordinaires les questions de propriété, sou-
levées au sujet de l'exécution des travaux publics ; y
compris ceux qui sont faits dans l'intérêt de la navi-
gation.
Les conséquences de cette doctrine, qui n'avait été
admise ni en première instance ni en appel, eussent
été spécialement les suivantes :
« J_,es tribunaux civils sont compétents pour statuer
sur la question de savoir si les propriétaires d'usines
ont droit à la force motrice des eaux navigables, dont
le cours a été modifié par des travaux du gouver-
nement.
« Peu importe d'ailleurs qu'il y ait lieu d'examiner
la légalité de l'établissement de ces usines. — Un tel
examen soulève la question même de propriété de la
force motrice des eaux ; sauf à l'autorité judiciaire à se
soumettre aux règles de décision qui, en pareille ma-
tière, sont obligatoires pour les tribunaux comme pour
l'administration (1). »

(1) Extrait littéral du sommaire de l'arrêt précité; tel qu'il


se trouve dans le recueil périodique de M. Dalloz. — Tome LV,
— I, 3i0.
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 389
L'arrêt du Conseil d'État du 15 mai 1858, intervenu,
après conflit, pour rétablir l'ordre des attributions,
qui eussent été totalement interverties, était donc
d'une très-grande importance; attendu que la doctrine
contraire qu'il s'agissait de réformer, s'appliquait à la
généralité des cas de suppression ou de réduction des
forces motrices.
Il reste à dire quelques mots sur ce qui touche les
diverses espèces dans lesquelles la suppression totale
du bâtiment d'une usine était présentée comme un cas
incontestable d'expropriation. Ici le Conseil d'État,
pour couper court à des discussions qui pouvaient de-
venir interminables, et cela surtout au grand préju-
dice des usiniers; pour montrer tout son désir de con-
ciliation et de déférence envers l'autorité judiciaire;
s'est déterminé à adhérer, au moins temporairement,
à une doctrine excessivement critiquable; consistant à
admettre l'intervention de deux juridictions distinctes,
pour statuer sur un seul et même dommage.
La doctrine tendant à faire admettre une compé-
tence mixte, en matière d'indemnités d'usines, pour
les cas où il y aurait à la fois suppression totale de la
force motrice et des bâtiments, serait, comme il vient
d'être dit, aussi regrettable que peu motivée. A tous
les points de vue, ses conséquences seraient mauvai-
ses. C'est pourquoi il nous semble indispensable de
produire, avec quelques développements, les princi-
pales objections auxquelles elle donne lieu.
Dans un premier arrêt du 28 mai 1852 (S' Ra-
mière), cité précédemment, le Conseil d'État avait été
390 INDEMNITÉS. :
-
amené, par une situation particulière, à admettre im-
plicitement ce partage des juridictions. Mais la même
doctrine, alors nettement formulée, n'a pris naissance
qu'à l'occasion de la première affaire relative à la
suppresion du barrage de Château-Gonlhier, sur la
Mayenne, qui entraînait celle de trois moulins d'ori-
gine ancienne, avec leurs bâtiments.
Nous avons donné l'extrait littéral des observations
présentées à ce sujet devant le Conseil d'État par M. le
commissaire du gouvernement; dans la discussion qui
a précédé l'arrêt du 27 août? 1857, intervenu sur le
recours du sieur Marchand. — Si le Conseil d'État
s'est rattaché, comme pis-aller, à ce système défec-
tueux, c'est qu'il ne pouvait, dans aucun cas, se ratta-
cher à celui qu'on lui présentait comme préférable,
au moins par sa netteté, et qui eût consisté à renvoyer
«.
le tout » devant le jury d'expropriation.
Après avoir dit que. trois systèmes différents pou-
vaient être admis, M. le commissaire du gouverne-
ment a exposé : que le premier, que soutenait (avec
raison) M. le ministre, et consistant à laisser l'ensemble
de la question à apprécier par le Conseil de préfecture,
lui paraissait inadmissible ; parce que, dans l'espèce,
il y avait, non pas un simple dommage, mais sup-
pression ou destruction complète.du bâtiment; ce qui
constituait un véritable cas d'expropriation.
En vain M. le ministre des travaux publics faisait
observer que les bâtiments dont il s'agit étaient éta-
blis sur un barrage, en lit de rivière, c'est-à-dire sur
un sol non susceptible de propriété privée. — M. le
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 391
commissaire du gouvernement persistait à penser'
que, par suite d'une vente nationale, du 27 prairial
an II, le sieur Marchand devait être considéré comme
« propriétaire de son usine » ; qu'il y avait eu en sa
faveur une certaine aliénation du domaine public ; que
dès lors on devait reconnaître, en pareil cas, la néces-
sité d'une expropriation, au moins pour partie.
Puis il ajoutait : « Pourquoi le jury, qui doit fixer
l'indemnité pour le bâtiment de l'usine, ne prononce-
rait-il pas en même temps sur l'indemnité due pour le
dommage causé par la suppression de la force mo-
trice?— Saisi de la question principale d'expropria-
tion, le jury attirerait tout à lui. Le jury ne manque
pas de lumière pour apprécier les questions d'indem-
nité qui se résolvent, en général, d'une manière sim-
ple, par la capitalisation du revenu. — La question
d'indemnité nous paraît ici indivisible de sa nature;
une usine est un tout. — Comment soumettre à deux
juridictions différentes, etc. »
On voit donc qu'il s'agissait de déterminer le Conseil
d'État à abandonner sa propre compétence, même sur
l'objet principal du litige, en renvoyant « le tout » à
l'appréciation du jury.
C'est cette doctrine que nous ne pouvons nous dis-
penser de combattre. Et la tâche nous est rendue fa-
cile par l'argument fondamental de la dissertation qu'il
s'agissait de réfuter. Il est ainsi conçu : — « La ques-
tion n'est pas de savoir si la suppression de la force
motrice constitue un dommage, mais si ce dommage
n'estpasunaccessoire, un corrélatif de l'expropriation.
392 - INDEMNITÉS.
Sur ce terrain nous allons nous trouver tout à fait
d'accord avec l'auteur de l'argument. D'une part, il
est de toute évidence que le seul moyen d'éviter Je
grave inconvénient de deux juridictions, intervenant
sur une seule et même question d'indemnité, est d'ad-
mettre ce principe simple et logique : que l'autorité
reconnue compétente pour statuer sur l'objet prin-
cipal, devra également l'être pour les objets accessoi-
res. — En second lieu, il s'agit de savoir, dans le cas
actuel, quel est le principal et quel est l'accessoire?
La question, ainsi simplifiée, se trouve résolue à l'a-
vance; car il est de notoriété publique, qu'à moins de
circonstances tout à fait exceptionnelles la valeur loca-
tive de la force motrice d'une usine hydraulique est
toujours de beaucoup supérieure à celle de la cage du
bâtiment renfermant le mécanisme intérieur.
En outre, ce n'est que dans des cas très-rares que
l'on peut être amené à considérer comme distinctes ces
deux parties d'un même tout. Alors même qu'il y au-
rait, en plus, un logement, des écuries, hangars, ou-
autres dépendances, ces bâtiments, étant un accessoire
indispensable, ne peuvent conséquemment donner
lieu à une indemnité séparée.
C'est ce qu'a décidé le Conseil d'État, dans son ar-
rêt du 2 avril 1857 [S' Souvêtre) cité plus haut p. 342.
Aussi a-t-il réformé la disposition du Conseil de pré-
fecture, qui avait alloué une certaine somme « pour
dépréciation des bâtiments restants » ; en considérant
que ladite somme ferait double emploi avec l'un,des
éléments dont se compose l'indemnité totale.
VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. 393
Quant aux valeurs corrélatives de la force motrice,
ou des bâtiments, dans une usine hydraulique, il est
connu de toute personne, versée dans la pratique de
ces sortes de questions qu'elles sont dans une grande
disproportion; et, au plus bas, dans le rapport de
quatre à un.
Plusieurs des espèces contentieuses précédemment
citées fourniraient au besoin la preuve que cette éva-
luation est, pour le plus grand nombre de cas, très-
au-dessous de la vérité. Ainsi dans l'affaire Perrault,
rapportée p. 345 et suiv. (suppression d'usine), daus
une indemnité totale de 19,500 fr. mécanisme compris,
la valeur conservée par le bâtiment ne figurait que
pour 2,000 fr.
On pourrait citer bien d'autres exemples, à l'appui
de ce fait, des plus certains : que, sauf de rares excep-
tions, dans les usines dont il s'agit, le capital représenté
par la force motrice est toujours de beaucoup supé-
rieur à la valeur des bâtiments.
11 résulte de là, que les Conseils de préfecture, seuls
compétents pour statuer sur l'indemnité afférente à la
suppression de la force motrice (objet principal) le sont
également pour apprécier celle qui peut être due pour
dépréciation des bâtiments (objet accessoire) ; quand
bien même, eu cas de suppression, cette dépréciation
atteindrait la valeur totale desdits bâtiments.
Cette doctrine se déduit, comme on vient de le
.

voir, de la nature même des choses; et le système op-


posé ne pourrait, dans aucun cas, prévaloir; attendu
qu'il n'est pas pratique; ou pour mieux dire qu'il se
394 INDEMNITÉS.
trouverait impraticable; en présence de la procédure
longue et compliquée qu'exige l'intervention du jury,
en matière d'expropriation, pour cause d'utilité pu-
blique.
Dans les travaux en rivière, tels que prises d'eau,
dérivations, curages, approfondissements, redresse-
ments, etc., qui doivent dans le plus grand nombre de
cas être exécutés ^urgence, ainsi qu'il est de règle,
en matière de travaux publics, il serait, presque tou-
jours, impossible de connaître à l'avance, non-seule-
ment l'étendue, mais même la nature du dommage
qui sera causé, par suite desdits travaux, à un éta-
blissement hydraulique.
Ces dommages se trouvent donc dans une classe à
part; en ce sens qu'en ce qui les concerne, les forma-
lités préalables à l'expropriation ne peuvent pas être
accomplies. — Par conséquent l'intervention d'un tri-
bunal spécial est absolument nécessaire. Car s'il s'agis-
sait dé reprendre, après coup, l'accomplissement des
nombreuses formalités, prescrites en cette matière par
la loi du 3- mai 1841, ce serait rendre presque impos-
sible l'exécution des grands travaux publics.
Les limites du présent ouvrage ne permettaient pas
de fournir ici de plus longs développements sur cet
objet. Mais nous serions toujours prêts à le faire ail-
leurs, si l'utilité en était reconnue.
LIVRE VI
DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.
— POLICE REPRES-
SIVE DE L'ADMINISTRATION ET DES CONSEILS
DE PRÉFECTURES. — PÉNALITÉS.

CHAPITRE I
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS.

SECTION I
LÉGISLATION.

Dispositions générales.
Ordonnance des eaux et forêts du mois d'août 1669.

TITRE XXVII.
ART. 40. — Fouilles et excavations. — « Ne seront
« tirés terres, sables et autres matériaux, à six toises
«(llm, 70) près des rivières navigables, à peine de
« cent livres d'amende. »
ART. 42. — Constructions en lit de rivière. — « Nul,
soit propriétaire o'u engagiste, ne pourra faire moulins,
bàtardeaux, écluses, gords, pertuis, murs, plants d'ar-
bres, amas de pierres, fascines, ni autres édifices ou
396 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

empêchements nuisibles au cours de l'eau, dans les


fleuves et rivières navigables et flottables ; ni même y
jeter aucune ordure, immondices, ou les amasser sur
les quais et rivages, à peine d'amende arbitraire (1).
«Enjoignons à toute personne de les ôter, dans les
trois mois du jour de la publication des présentes; et
si aucuns se trouvent subsister après ce temps, voulons
qu'ils soient incessamment ôtés et levés, à la diligence
de nos procureurs des maîtrises; aux frais et dépens de
ceux qui les auront faits ou causés, sous peine de cinq
cents livres d'amende, tant contre les particuliers que
contre le juge et notre procureur, qui auront négligé
de le faire; et de répondre, en leurs privés noms, des
dommages et intérêts. »

TITRE XXV1H.

7. — Constructions le long des rivières. —


« ART.
« Les propriétaires des héritages aboutissant aux ri-
« vières navigables, laisseront, le long des bords, vingt-

Ci) Cette amende estfixée à 1000 livres par l'art. 1er de l'arrêt
du conseil du 24 juin 1777, rapporté ci-après ; et cette dernière
amende était la seule qui fût applicable aux contraventions
prévues par l'art. 42 de l'ordonnance.de 1669.—{Voir'plus loin.)
L'article 42 n'est que la reproduction de l'art. 2 de l'ordon-
nance de François 1er, du mois de mars ISIS, ainsi conçu:
« 11 est défendu à toute personne de construire sur les riviè-
res navigables aucune usine, moulin, ou autre empeschement
nuisible et préjudiciable au fil et cours desdites rivières, sous
peine d'amende arbitraire, et de rendre et restituer toutes les
pertes, dépens, dommages et intérêts, qui pour raison desdits
empeschements pourraient ensuivre; et aussi sous peine de
payer tous les frais et dépens, qu'il conviendra faire, pour iceux
empeschements ôter, ou faire démolir et abattre. »
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 397
_

« quatre pieds au moins (7m,80), de place en largeur,


« pour le chemin royal et de trait de chevaux, sans
« qu'ils puissent planter arbre, ni tenir clôture ou haie,
« plus près que trente pieds (9m,75), du côté que les
« bateaux se tirent; etdixpieds (3m,25)de l'autre bord,
« à peine de cinq cents livres d'amende, confiscation
« des arbres, et d'être les' contrevenants contraints à
« réparer et remettre les chemins en état à leurs
« frais. »
Cet article est applicable : à toutes constructions d'u-
sines et autres bâtiments, faites sans autorisation le
long des rivières navigables, aux mêmes constructions
établies en saillie sur l'alignement fixé par l'adminis-
tration, ou enfin aux simples réparations de bâtiments
et clôtures, sujets à reculement, d'après les règle-
ments adoptés. Mais l'art. 2 de l'arrêt de 1777, re-
laté ci-après, s'applique d'une manière plus précise,
aux constructions proprement dites, qui peuvent être
faites en contravention, le long des rivières navigables.

Arrêt du Conseil d'État du roi, du 24 juin 1777.

« ART. 1er. — Constructions en lit de rivière. — Les


« ordonnances rendues sur le fait de la navigation,
« notamment celle des eaux et forêts de 1669, et du
« bureau de la ville de Paris, de 1672, et tous autres
« règlements sur cette partie, seront exécutés selon
« leur forme et teneur. S. M. fait en conséquence dé-
« fense à toutes personnes, de quelque qualité et con-
« dition qu'elles puissent être, de faire aucuns mou-
398 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

« lins, pertuis, vannes, écluses, arches, bouchis, gords


« ou pêcheries,
ni autres constructions ou autres em-
« pêchements quelconques, sur ou au long des rivières
« et canaux navigables, à peine de mille livres
'<
d'amende (1) et de démolition desdits ouvrages.
« Et, où il se
trouverait aucuns desdits ouvrages, or-
donne S. M. aux propriétaires de les enlever et de les
détruire dans le délai de deux mois, du jour de la si-
gnification du présent arrêt, qui leur sera faite à cet
effet ; sauf auxdits propriétaires qui auraient fait les-
dits établissements, eu vertu de titres ou concessions
valables et légitimes, prévus par l'ordonnancede 1669,
à remettre dans lesdits deux mois, pour tous délais, es
mains du sieur contrôleur général des finances, les
titres et renseignementsrelatifs à leurjouissance, pour,
sur le vu d'iceux et le rapport qui en sera fait à S.M.,
être par elle statué ce qu'il appartiendra, et pourvu
à leur indemnité s'il échoit. »
« ART. 2.— Constructions le long des rivières. —En-
ce
joint S. M. à tous propriétaires riverains de livrer
« vingt-quatre pieds de largeur pour le halage des ba-
« teaux et trait des chevaux, le long des bords des
« fleuves et rivières navigables, ainsi que sur les îles
« où il en serait besoin, sans pouvoir planter arbres
« ni haie, tirer fossé ni clôture, plus près desdits bords
« que trente pieds ; et où il se trouverait aucuns bâti-
« ments, arbres, etc., dans ladite largeur prescrite pour

(i) Avant la loi du 23 mars 1842, cette amende était la seule


applicable, par les Conseils de préfecture, aux contraventions
prévues par l'art. 42 précité.
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 399

« les chemins de balage, d'un ou d'autre bord, or-


« donne S. M. que lesdits bâtiments, arbres, haies ou
« clôtures, seront abattus, démolis et enlevés dans le
«. délai d'un
mois, à compter de la publication du pré-
ce
sent arrêt; à peine par lesdits riverains de demeurer
« garants et responsables des événements et retards
ce
et de cinq cents livres d'amende, et d'être contraints
ce
à leurs dépens auxdites démolitions. »
ce
ART. 3. — Obstacles à la navigation. — Ordonne

ce
pareillement S. M. à tous riverains, mariniers ou
te
autres, de faire enlever les pierres, terres, bois,
« pieux, débris de bateaux et autres empêchements
<e
étant de leur fait, ou à leur charge, dans le lit des-
ee
dites rivières ou sur leurs bords, à peine de cinq
« cents livres d'amende, confiscation desdits maté-
ce
riaux et débris, et d'être en outre contraints au
c<
payement des ouvriers qui seront employés auxdits
« enlèvements et nettoiements.
ce
ART. 4. —Encombrement du lit, saignées et prises
ce
d'eau. —Défend S. M., sous les mêmes peines, à
« tous riverains ou autres, de jeter dans le lit desdites
ce
rivières et canaux, ni sur leurs bords, aucuns im-
ec
mondices, etc., ni d'en affaiblir et changer le cours
ce par aucunes
tranchées ou autrement. »
Ajoutez à ces dispositions, celles de l'arrêté du 19
ventôse an VI, et les autres lois visées dans cet arrêté.
Il est à remarquer que les lois précitées s'appli-
quent à tous les obstacles quelconques, susceptibles
de gêner la navigation, et comprennent même les ou-
vrages qui n'y seraient pas explicitement désignés ;
400 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

car elles renferment, l'une et l'autre, cette indication


générale : Ni autres constructions ou empêchements
quelconques, nuisibles au cours de l'eau. Il résulte de
là, que les dispositions prohibitives de ces lois s'ap-
pliquent non-seulement aux constructions d'usines
nouvelles, que l'on pourrait entreprendre indûment
sur les cours d'eau du domaine public, mais encore
aux changements et innovations apportés aux usines
anciennes, du moment que ces changements sont sus-
ceptibles d'influer d'une manière quelconque, sur le
régime ou le mode de transmission des eaux.
Or, sur une rivière navigable, les moindres modifi-
cations de cette nature peuvent avoir une grande im-
portance ; et Userait souvent difficile aux particuliers,
de prévoir les effets ultérieurs de changements, eu ap-
parence insignifiants, qu'ils croiraient pouvoir appor-
ter à leurs établissements, sans prendre l'attache de
l'administration. — Voir à ce sujet les observations
qui terminent le chapitre VIII.

Loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800).

ce
ART. 3.
— Le Conseil de préfecture prononcera
ce sur... ; sur les difficultés qui pourront s'élever en
ce matière de grande voirie.

Loi du 29 floréal an X (19 mai 1802).

ce
ART. 1er.
— Les contraventions en matière de
ce
grande voirie, telles qu'anticipations, dépôts, et
ce toutes espèces de détériorations, commises sur les
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 401

ce
grandes routes, les canaux, fleuves et rivières navi-
ce
gables, leurs chemins de halage, francs-bords, fos-
cc
ses et ouvrages d'art, seront constatées, réprimées
« et poursuivies par voie administrative.
c<
ART. 2.
— Les contraventions seront constatées
ce concurremment par les
maires ou adjoints, les ingé-
« nieurs des ponts et chaussées, leurs conducteurs,
ce
les agents de la navigation, les commissaires de po-
« lice, et par la gendarmerie. A cet effet, ceux des
« fonctionnaires publics ci-dessus désignés, qui n'ont
« pas prêté serment en justice, le prêteront devant le
ce
préfet.
ce
ART. 3.
— Les procès-verbaux sur les contraven-
« tions seront adressés au sous-préfet, qui ordonnera
ce par
provision, et sauf le recours au préfet, ce que de
ce
droit, pour faire cesser les dommages.
ce
ART. 4.
— Il sera statué définitivement au Con-
ce
seil de préfecture ; les arrêtés seront exécutés sans
« visa ni recours; et les individus condamnés seront
ce
contraints par l'envoi de garnisaires et saisie de
ce
meubles, en vertu desdits arrêtés qui seront exécu-
ce
toires et emporteront hypothèque. »

Loi du 23 mars 1842.


La pénalité déterminée par l'arrêt du conseil de
1777, substituée à l'art. 20 de l'ordonnance de 1669,
qui prescrivait une amende arbitraire, était encore
exorbitante ; et comme aucune latitude n'était laissée
auxjuges administratifs, chargés de l'application dudit
26
402 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

arrêt, il en résultait qu'étant, dans le plus grand nombre


des cas, disposés à reculer devant la rigueur excessive
de cette pénalité, ils ne l'appliquaient pas, si ce n'est
dans des cas excessivement rares ; ce qui occasionnait
un double préjudice, tant sous le rapport du service
de la navigation que sous celui des intérêts du Trésor.
C'est pour obvier à cet inconvénient qu'a été pro-
mulguée la loi précitée, qui permet de proportionnel-
les amendes à la gravité du délit. Voici le texte de
cette loi :
ce
ART. leT.
— A dater de la promulgation de la pré-
ce sente
loi, les amendes fixes établies par les règle-
ce ments
de grande voirie, antérieurs à la loi des
ce
19-22 juillet 1791, pourront être modérées, eu égard
ce au
degré d'importance, ou aux circonstances atté-
ee nuantes
des délits, jusqu'au vingtième desdites
c<
amendes, sans toutefois que ce minimum puisse
<c
descendre au-dessous de 16 fr.
ce
A dater de la même époque, les amendes dont le
ce taux,
d'après ces règlements, était laissé à l'arbi-
ec
traire du juge pourront varier entre un minimum
ce
de 16 fr. et un maximum de 300 fr.
ce
ART. 2. — Les piqueurs des ponts et chaussées et
« les cantonniers-ehefs, commissionnés et assermentés
ce
à cet effet, constateront tous les délits de grande
ce
voirie, concurremment avec les fonctionnaires et
ce agents dénommés dans les lois et décrets antérieurs
c< sur la matière.
ce
La présente loi, etc. »
Depuis la promulgation de ladite loi, les conlraven-
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 403
tions sont suivies d'une répression efficace. Les conseils
de préfecture, auxquels sont transmis les procès-ver-
baux, appliquent journellement des amendes, renfer-
mées dans les limites ci-dessus prescrites. L'inconvé-
nient qui avait lieu auparavant a donc complètement
disparu.
Outre les dispositions générales qui précèdent, il
existe des dispositions particulières, applicables aux
principaux fleuves et rivières navigables. Or, ces an-
ciens règlements sur la police des rivières, émanés du
Conseil d'État, des intendants des provinces, des tréso-
riers de France, etc., en un mot, de toute autorité
exerçant, sous l'ancien régime, le pouvoir réglemen-
taire, sont maintenus en vigueur, à moins qu'il n'y ait
été formellement dérogé. — Voir les lois des 22 juil-
let 1791, 24 septembre 1792, et l'art. 184 du Code
pénal.

SECTION II

SUITE DU MÊME SUJET.

Dispositions spéciales.

Outre les dispositions générales qui précèdent, il en


existe de particulières, applicables aux principaux
fleuves et rivières navigables, sans compter les mesures
de police concernant la plupart des canaux de naviga-
tion.
Ces anciens règlements sont maintenus en vigueur,
à moins qu'il n'y ait été formellement dérogé. C'est ce
404 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

qu'établissent les lois des 22 juillet 1791, 24 sep-


tembre 1792 et l'art. 484 du Code pénal, dont les dis-
positions sont confirmées par des décisions souve-
raines ; notamment par un arrêt de la Cour de cassa-
tion du 3 oct. 1823, ainsi que par plusieurs arrêts du
Conseil d'État.

Ordonnance de décembre 1672 relative à la Seine et à ses


affluents.

ART. 4. —Obstacles à la navigation. — « Ne seront


mis aux rivières de Seine, Marne, Oise, Yonne, Loing
et autres affluents, aucuns empêchements au passage
des bateaux et trains de bois, montants et avalants ; et
si aucuns se trouvent, seront incessamment ôtés et dé-
molis, et les contrevenants tenus de tous dépens, dom-
mages et intérêts envers les marchands et voituriers. »
ART. 5. — Perluis. Enjoint à ceux qui, par con-
— ce

cessions bien et dûment obtenues, auront droit d'avoir


construit arches, gords, moulins et pertuis sur les ri-
vières, de donner auxdits gords, arches, pertuis et
passages, vingt-quatre pieds au moins de largeur ; en-
joint aussi aux meuniers et gardes des pertuis, de les
tenir ouverts en tout temps; et la barre d'iceux tour-
née en sorte que le passage soit libre aux voituriers
(bateliers), montant et avalant leurs bateaux et trains,
lorsqu'il y aura deux pieds d'eau en rivière ; et, quand
les eaux seront plus basses, de faire l'ouverture de
leurs pertuis, toutes et quantes fois qu'ils en seront
requis ; laquelle ouverture ils feront, lorsque les ba-
teaux et trains seront proches de leursdits pertuis, qui
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 40S

ne pourront être refermés, ni les aiguilles remises, que


lesdits bateaux et trains ne soient passés; et seront
lesdits meuniers tenus de laisser couler l'eau en telle
quantité, que la voiture desdits bateaux et trains puisse
être facilement faite, d'un pertuis à un autre. Défenses
auxdits meuniers, gardes desdits pertuis, et à leurs
garçons de prendre aucuns deniers ou marchandises
desdits marchands ou voituriers, pour l'ouverture et
fermeture desdits pertuis, à peine du fouet et de res-
titution du quadruple de ce qui aura été exigé. »
ART. 6. — Réparation des pertuis. — ce Lorsqu'il
conviendra de faire quelques ouvrages aux pertuis,
vannes, gords, écluses et moulins sur les rivières de
Seine et autres, navigables et flottables, et y affluentes,
qui pourraient empêcher la navigation et conduite des
marchandises nécessaires à la provision de Paris, se-
ront les propriétaires d'iceux tenus d'en faire aux pa-
roisses voisines la publication, un mois ..auparavant
que de commencer lesdits ouvrages et rétablissements;
sera aussi déclaré le temps auquel lesdits ouvrages se-
ront rendus parfaits et la navigation rétablie; à quoi
les propriétaires seront tenus de satisfaire ponctuelle-
ment, à peine de demeurer responsables des domma-
ges, intérêts et retards, des marchands et voitu-
riers. »

Arrêt du Conseil d'État du roi, du 17 juillet 1782 relatif à la


police et à la liberté de la navigation de la Garonne.
ART. 8. — Obstacles à la navigation. — ee Enjoint
S. M. à tous riverains, meuniers, pêcheurs, fermiers,
406 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

mariniers et autres, de faire enlever et transporter


dans les lieux où les grandes eaux ne puissent les at-
teindre, et dans le délai de trois mois, à dater de la
publication du présent arrêt, les terres, bois, pieux,
débris de bateaux et autres empêchements étant de
leur fait ou à leur charge, dans le lit de la Garonne
ou sur les bords, à peine de trois cents livres d'amende,
confiscation desdits matériaux et débris, et d'être en
outre contraints au payement des ouvriers qui seront
employés par le conservateur général ou le syndic,
auxdits enlèvements et nettoiements. »
ART. 11.
— Enlèvement des bancs de sable à la charge
des usines. — ce Les propriétaires des digues et mou-
lins etc., construits sur la Garonne, seront tenus de
,
veiller et empêcher à ce qu'il ne se forme, dans la dis-
tance de cinquante toises au-dessus et au-dessous de
leurs établissements, aucun banc de sable ou gravier
dans le courant de ladite rivière, qui puisse nuire à la
liberté du passage des bateaux, à peine de tous dé-
pens, dommages et intérêts. »

Arrêt du Conseil d'État du roi, du 23 juillet 1783, relative à la


navigation de la Loire.

TITRE II.
ART. 8.
— Obstacles à la navigation. — ce
Enjoint
S. M. à tous riverains, meuniers, forgerons et autres,
de faire enlever et transporter dans les lieux où les
grandes, eaux ne puissent les atteindre, et dans le délai
de trois mois, à dater de la publication du présent ar-
rêt, les pieux, débris de bateaux, terres, pierres, bois
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 407.
et autres empêchements étant de leur fait ou à leur
charge, qui se trouveront dans le lit de la Loire et
autres rivières y affluentes, à peine de cent livres d'a-
mende, confiscation desdits matériaux et débris, et
d'être en outre contraints au payement des ouvriers
qui seront employés par les ingénieurs, entrepreneurs
et commis, auxdits enlèvements et nettoiements. »

TITRE III.

ART. 6. — Rarrages. — ce
Défend, S. M., à tous pro-
priétaires, meuniers, maîtres de forge, leurs serviteurs
et tous autres, de barrer en tout ou en partie la ri-
vière de Loire et les rivières affluentes, avec pieux,
piquets, pierres, fascines ou autrement, sous peine d'ê-
tre lesdits obstacles détruits et enlevés à la diligence
des ingénieurs, commis des turcies et levées, et bali-
seurs desdites rivières, et de cinq cents livres d'amende,
contre lesdits contrevenants, lesquels demeureront en
outre responsables des avaries qui pourraient arriver
aux bateaux et marchandises,, par l'effet des susdits
empêchements. »
Un arrêt du Conseil d'État du roi, du mois de sep-
tembre 17H, prescrit des mesures de police, applica-
bles à la navigation et aux usines, dans la généralité
de Bordeaux.
Un arrêt du conseil, du 5 novembre 1737 renferme
également diverses mesures, concernant la navigation
et la police des usines, existant sur le Doubs.
Une ordonnance de l'intendant du Hainaut, en date
408 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.
du mois de décembre 1785,dont le texte est rapporté
au chapitre 111, section V, limite les dimensions des
vannes motrices des usines établies sur l'Escaut, et dé-
fend aux propriétaires de ces usines, d'y faire aucunes
réparations ou reconstructions, sans autorisation préa-
lable.
Une autre ordonnance du même intendant, en date
du 21 juin 1786, contient des dispositions réglemen-
taires, concernant les moulins et usines situés sur le
cours de la Sambre.
Les propriétaires riverains du Rhône, ainsi que les
possesseurs d'usines sur ce fleuve, sont soumis à des
règlements particuliers, et même à des travaux per-
sonnels en cas de péril, lors des grandes crues (Décret
du 15 mai 1813).
Enfin, plusieurs autres fleuves et rivières naviga-
bles de France sont aussi l'objet de semblables dis-
positions. Ces règlements, particuliers ou spéciaux,
doivent, à moins d'abrogation positive, être invoqués
pour la répression des contraventions, sur toutes les
rivières ou portions de rivières, auxquelles ils sont ap-
plicables ; et les clauses pénales qu'ils renferment,
doivent être appliquées aux délits et contraventions
qui y sont prévus, de préférence aux clauses des or-
donnances et arrêts, qui statuent d'une manière gé-
nérale sur les mêmes délits et contraventions.
Il se présente assez souvent des cas dans lesquels il
y a lieu d'appliquer ces dispositions spéciales à l'ex-
clusion des dispositions concernant toutes les rivières ;
ainsi, l'on verra dans l'arrêt de Pujol, cité sous le n° 1,
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 409
du chapitre II, une application de l'arrêt du 17 juil-
let 1782 relatif aux usines et à la navigation sur la
Garonne. — L'on a vu, au n° 6 du chapitre IX qui
précède, que le sieur Malthon a été condamné par ar-
rêt du 2 janvier 1838, conformément aux dispositions
de l'ordonnance de l'intendant de Hainaut en date
du 24 décembre 1785. — Dans une autre circons-
tance, le Conseil de préfecture du département de la
Loire-Inférieure avait condamné le sieur Peccot, pro-
priétaire à Nantes, à la démolition d'une construction
par lui faite sur sa propriété, le long de la Loire, et à
une amende de 500 fr. par application de l'art. 7, ti-
tre XXVIII de l'ordonnance de 1669. Mais ce particu-
lier s'étant pourvu contre cet arrêté, le Conseil d'État,
par arrêt du 8 février 1838, l'annula dans la disposition
qui fixait à 500 fr. l'amende prononcée contre le sieur
Peccot, et la réduisit à 300 fr., par le motif que la
police de la navigation de la Loire et de ses affluents,
a été réglée par un arrêt spécial du conseil du roi, en
date du 3 juillet 1783, et qu'aux termes des articles
20 et 23 dudit arrêt, le sieur Peccot n'était passible
que de cette dernière amende.
Enfin, trois arrêts du 25 janvier 1838, relatifs à des
dépôts ou encombrements faits dans le lit de la même
rivière, établissent également que dans ce cas particu-
lier, il y a lieu d'appliquer l'art. 9 de l'arrêt précité du
23 juillet 1783, punissant cette contravention d'une
amende de 100 fr., et non les dispositions générales
de l'ordonnance de 1669 ou de l'arrêt de 1777.
410 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

SECTION III
DÉVELOPPEMENTS. JURISPRUDENCE.

Observations générales.
Un fait à l'appui duquel il serait inutile de donner
des développements, c'est qu'il appartient aux Conseils
de préfecture de prononcer la répression des délits et
contraventions commis, sur les rivières navigablesj à
l'occasion, soit des usines, soit des constructions hy-
drauliques qui en dépendent, et qui peuvent avoir une
influence nuisible, sur la sûreté ou la facilité de la na-
vigation. En effet, ce principe, qui résulterait de l'es-
prit des lois anciennes, s'il n'était pas formellement
«crit dans celle du 28 pluviôse an VIII, est hors de
toute discussion; et les arrêts rapportés dans cette sec-
tion, en offrent tous l'application constante. Les lois
dont le texte est rapporté dans la section précédente, et
les détails donnés, notamment dans le chapitre IX,
sur les changements et innovations apportés aux usi-
nes, démontrent, d'une manière claire, que toute cons-
truction nouvelle, ou que tout changement quelconque
fait à une construction ancienne, sans autorisation
préalable, peut constituer un délit punissable.
Une observation fort importante déjà faite en trai-
tant, livre I, chapitre IV, de la compétence des Conseils
de préfecture, c'est que lesdites lois ne prononcent
que des amendes fixes, dont le souverain pouvait seul
accorder la modération, de sorte que les Conseils de
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 411
préfecture commettent un excès de pouvoir manifeste,
en prononçant eux-mêmes cette modération. Aussi
pourra-t-on remarquer que ces arrêts ont été annulés
sur ce point (1).
Une autre observation générale qui doit être faite
ici, c'est que les préfets et sous-préfets chargés de
veiller, soit au libre exercice de la navigation, soit au
bon régime des eaux courantes, ont toujours le droit
d'ordonner par provision, et comme mesure d'urgence,
la destruction de toutes Constructions faites, sans auto-
risation, dans le lit des rivières navigables, et cela in-
dépendamment des condamnations à prononcer ensuite
par les conseils de préfecture. Cette faculté, que les
préfets exercent en vertu des lois organiques de 1790
et 1791, n'est pas une juridiction proprement dite;
aussi ce n'est point dans ce cas une condamnation
qu'ils prononcent, mais une mesure qu'ils prennent
dans l'intérêt public, auquel ils sont chargés de veiller.
Les arrêts du Conseil d'État ne voient dans ce mode

de répression qu'un acte purement administratif, non
susceptible de recours par voie contentieuse. C'est
dans l'exercice de cette attribution que consistent les
mesures de police répressive, dont il est traité dans les
chapitres suivants.

(1) Nous pensons qu'il y a dans le recueil de Sirey, tome XX,


2e partie, pag. 238, une erreur, à l'occasion d'un arrêt du 8
septembre 1619 (Sr Bourgeois), relatif à des usines construites sur
un canal dépendant de la rivière d'Eure ; car on lit ce qui suit :
« L'art. 42, lit. XXVII, de l'ordonnance de 1669, est toujours
en vigueur.— Le contrevenant peut être condamné à démolir,
mais non à une amende.»
412 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Quelques autres obsersrations, d'un intérêt géné-


ral, nous paraissent devoir être faites sur les disposi-
tions des lois et règlements cités dans le présent cha-
pitre.
De tout temps, ce fut en France un principe de
droit public, que les délits et contraventions commis
sur les rivières navigables, fussent poursuivis et ré-
primés par voie administrative. — D'après les lois mo-
dernes, les Conseils de préfecture sont seuls investis
de ce pouvoir. — Toutes les fois qu'il existe des règle-
ments particuliers et locaux, applicables spécialement
à tel ou tel fleuve, à telle ou telle rivière, les disposi-
tions qu'ils prescrivent et la pénalité qu'ils compor-
tent, doivent toujours être appliqués de préférence
aux dispositions générales.
Les amendes prescrites, soit par les lois et arrêts
sur la matière, soit par les règlements locaux ayant
force de loi, sont des amendes fixes, que les Conseils
de préfecture ne peuvent modérer sans excès de pou-
voir. Mais il appartient toujours au chef de l'État,
soit par lui-même, soit par délégation, d'accorder re-
mise ou modération desdites amendes; toutes les fois
que la peine encourue est hors de proportion avec la
contravention.
Lorsque des ouvrages en lit de rivière ont été cons-
truits sans autorisation, soit pour la défense des pro-
priétés, soit pour le service des usines, et qu'ils sont
susceptibles d'être en partie conservés comme utiles
aux particuliers et ne nuisant pas à la navigation,
les Conseils de préfecture peuvent ne prononcer pro-
LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. 413
visoirement que la suppression des parties desdits
ouvrages déclarées nuisibles, sauf aux contreve-
nants à se pourvoir immédiatement devant l'autorité
compétente, pour obtenir l'autorisation de conser-
ver les parties non offensives de ces mêmes ou-
vrages.
Une contravention passagère ou momentanée, com-
mise sur une rivière navigable, se prescrit, suivant
l'art. 638 du Code pénal, par un délai de trois ans ;
mais toutdélit et contravention, constituant une infrac-
tion permanente aux dispositions prohibitives de la
loi, ne se périme pas, et doit toujours être poursuivie
dans l'intérêt public de la navigation. — II n'y a pas
de délai obligatoire pour la rédaction des procès-
verbaux en cette matière, et leur affirmation est éga-
lement valable plus de trois jours, à dater de cette ré-
daction.
L'attribution conférée aux Conseils de préfecture,
pour la répression des contraventions qui se commet-
tent sur les rivières navigables, est exclusivement re-
lative à celles qui concernent l'ordre public, et spéciale-
ment l'intérêt de la navigation. — Sont réservées aux
tribunaux ordinaires, toutes les questions débattues
entre particuliers, et devant se résoudre en dommages-
intérêts, par l'appréciation de titres privés et l'applica-
tion des règles du droit commun. — Il est très-im-
portant de distinguer, toutes les fois qu'il y a lieu
dans une même affaire, l'action privée et l'action
publique; qui doivent toujours s'exercer indépendam-
ment l'une de l'autre, et être portées devant des juges
414 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

différents. — La dernière, étant la plus importante,


doit toujours avoir son cours, du moment qu'une
contravention est constatée, et quelles que soient les
circonstances qui puissent faire préjuger le fond dé
l'affaire. *
CHAPITRE XX
DÉLITS ET CONTRAVENTIONS CONCERNANT SPÉCIALEMENT
LES USINES.

Il y a lieu de rappeler d'abord les six espèces suivan-


tes, déjà citées dans le chap. IX qui traite des change-
ments et innovations apportés au système hydraulique
d'un établissement précédemment autorisé.
1° 9 novembre 1838 (Z)r de Carie Mancy), change-
ment de place d'un moulin à nef, sur la Garonne.
2° 22 janvier 1824 (S1 Clérissau), transformation
d'une usine pendante en usine fixe.
3°.17 août 1825 (S1 Pinel), addition de vannes mo-
trices, avec augmentation dans la dépense de l'eau.
4° 9 août 1836 [Mis du Chateaunarbonnais), prise
d'eau ; nouvelle extension abusive des anciens titres et
concessions.
5° 31 décembre 1828 (Sr Campau), transformation
d'un moulin à huile en moulin à blé en vice du ti-
tre primitif.
6°"2 janvier 1838 (S1 Mallhon), reconstruction d'une
roue hydraulique en contravention à un ancien règle-
ment local.
Les innovations susdites n'étant pas dans la classe de
celles qui peuvent être permises, leurs auteurs ont été
416 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

condamnés à rétablir les lieux dans leur état primitif.


Les arrêts cités dans le présent chapitre ont statué
sur des cas qui avaient généralement le caractère de
contravention de grande voirie, en appliquant les pé-
nalités qui corespondent.

19mai 1833 (Sr de Pujol).


N° \. — Construction, non autorisée, d'un moulin à nef sur la
Garonne. — Condamnation, modération d'amende. — Arrêté
modifié.
Les S" de Pujol frères, propriétaires demeurant à
Castelferrus, Tarn-et-Garonne, avaient établi sans au-
torisation, en 1838, un moulin à nef sur la Garonne.
— Cette construction constituait une contravention de
grande voirie qui, sur le procès-verbal dressé par les
agents des ponts et chaussées, donna lieu à un ar-
rêté de Conseil de préfecture, en date du 19 novembre
1830, condamnant les sieurs de Pujol à l'enlèvement
de cette usine et à une amende de 90 fr. — Ces parti-
culiers s'étant pourvus contre cet arrêté, le Conseil
d'État rejeta leur requête par l'arrêt suivant :
Vu l'ordonnance de 1669, l'arrêt du conseil du
17 juillet 1782 et la loi du 29 floréal an X;
Considérant que c'est sans autorisation, que les
, «
sieurs Pujol ont construit et mis à flot dans le lit de la
Garonne, le moulin à nef dont il s'agit, que dès lors le
Conseil de préfecture de Tarn-et-Garonne a fait une
juste application des règlements ci-dessus visés en pres-
crivant l'enlèvement dudit moulin, sans préjudice tou-
tefois des demandes en autorisation à former par les
CAS RELATIFS AUX USINES. 417
requérants, ou des droits à faire valoir par eux, s'ils
,
s'y croient fondés, devant et ainsi qu'il appartiendra ;
Considérant qu'en réduisant à 90 fr. en faveur des
contrevenants, l'amende de 500 livres prononcée par
l'arrêt du 17 juillet 1782, le Conseil de préfecture a
commis un excès de pouvoirs, mais qu'à raison des cir-
tances de l'affaire, il y a lieu par nous d'adopter cette
réduction ;
ART. 1er.
— Le pourvoi des sieurs de Pujol est
<c

rejeté.
ART. 2. — L'arrêté du Conseil de préfecture du dé-
ce

partement de Tarn-et-Garonne, du 19 novembre 1830,


est annulé dans la disposition qui a réduit l'amende
encourue à la somme de 90 fr.
ART. 3
— ce
Néanmoins ladite amende est et de-
meure réduite à ladite somme. »

N° 2. — Un autre arrêt entièrement semblable au


précédent a été rendu, sous la même date, 19 mai 1835,
pour la reconstruction sans autorisation d'un moulin
à nef sur la Garonne, par les sieurs Miramont et
consorts.
A cela près qu'il s'agissait d'une contravention com-
mise sur la Garonne, régie à cet effet par un règle-
ment particulier, ce cas est celui de toutes les cons-
tructions d'usines ou autres ouvrages faits sans
,
autorisation dans le lit des rivières; la destruction par
arrêté du conseil de préfecture est inévitable. — Quant
à l'amende de mille livres, prononcée par l'art. 1er de
l'arrêt de 1777, amende que l'on assimile aujourd'hui
27
418 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

.àmille francs, quoique le chiffre en soit très-élevé, il


peut se présenter des circonstances, dans lesquelles il
ne sera pas jugé convenable d'y apporter de modéra-
tion, encore bien que cela se pratique dans le plus
grand nombre de cas.

6 avril 1836 (Sr de Gh-averon).


Addition de tournants à une usine, sans autorisation. —
N» 3. —
Condamnation. — Modération d'amende. — Arrêté modifié.

La dame de Graveron possédait sur un canal dérivé


de la rivière d'Eure, commune d'Heudreville, dépar-
tement de l'Eure, un moulin à blé auquel elle fit ajou-
ter sans autorisation, un deuxième tournant et un fou-
lon. Ce délit ayant donné lieu à un procès-verbal des
agents des points et chaussées, un arrêté du conseil-de
préfecture du département de l'Eure, du 1er octo-
bre 1831, la condamna à détruire les travaux faits sans
autorisation et à une amende de 250 fr. — Ladite
dame se pourvut contre cet arrêté, et lé Conseil d'État,
sur le rapport de M. Boulay (de la Meurthe), repoussa
sa demande par l'arrêt suivant.
« Considérant que les travaux exécutés par la dame
de Graveron ont été entrepris sans autorisation préa-
lable ; qu'aux termes de l'art. 42 du tit. XXVII de l'or-
donnance de 1669, sus-visée, la dame de Graveron était
passible d'une amende de 300 fr. à raison de cette
contravention, et qu'il 71 appartenait pas au conseil de
préfecture de la réduire à 250 fr. ; — Considérant tou-
tefois qu'il y a lieu, à raison des circonstances de
CAS RELATIFS AUX USINES. 419
l'affaire, à modérer en notre Conseil d'État, ladite
amende;
ART. 2.
— ce L'arrêté du conseil de préfecture du dé-
partement de l'Eure est annulé, en celle de ses dispo-
sitions par laquelle de Graveron est condamné à une
amende de 250 fr.
ART. 3.
— ce
L'amende encourue par la dame de
Graveron est modérée à la somme de 25 fr. »
Il n'est pas d'usage d'invoquer, comme on l'a fait dans
cet arrêt, le 2e § de l'art. 42, tit. XXVII de l'ordon-
nança de 1669, qui prescrit une amende de 500 livres;
attendu que cette amende n'était applicable qu'aux
établissements existant avant le mois d'août 1669. Tan-
dis que pour toutes les constructions nouvelles, ce qui
était le cas de l'espèce précitée, l'on ne peut invoquer
que le § 1er du même article; et à son défaut, en ce qui
concerne l'amende, l'art. 1er de l'arrêt du mois de
juin 1777, qui fixe cette amende à 1,000 fr. — Sauf
les cas de réductibilité, désormais admise, depuis la
loi du 23 mars 1842.
Dans l'espèce, le Conseil d'État n'avait à prononcer
que sur le principe, en ce qui concerne la compétence
et la modération de l'amende, et non sur les fonds de
de la contravention, attendu que la dame Graveron,
pour prévenir autant que possible, l'effet de la con-
damnation qu'elle avait encourue, s'était adressée à
l'administration, à l'effet d'obtenir la ratification des
travaux exécutés prématurément. Une ordonnance
royale du 16 novembre 1834 est venue en effet légiti-
mer ces constructions; mais le Conseil d'État, saisi du
420 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

pourvoi de la requérante n'en a pas moins statué sur


cette contravention en consacrant le principe qu'il
convenait de maintenir.

4 avril! 837 (S* LutilleuT).


N°4. — Barrage construit, sans autorisation, sur un bras de la
Deule. —Double délit.— Compétence. —Modération d'a-
mende. — Arrêté modifié.

Le sieur Dutilleul-Parent, propriétaire et meunier,


demeurant à Don, département du Nord, avait fait
établir, sans autorisation en 1834, en aval des roues
de son usine, un barrage, en lattis et charpente, sur
le canal qui alimente cette usine.
Ledit canal étant une dérivation de la Deule, rivière
navigable, il fait, comme cette rivière elle-même, par-
tie du domaine public. — Le Conseil de préfecture
du Nord par arrêté du 8 août 1834, condamna ce par-
ticulier à démolir le barrage ; et en outre à une amende
de 50 fr. ; attendu que l'établissement dudit barrage,
était aussi en contravention à la loi du 29 avril 1829,
sur la pêche fluviale. — Le sieur Dutilleul-Parent se
pourvut contre cet arrêté, se prétendant propriétaire
du canal d'amenée, servant au roulement de son usine,
et par conséquent en droit d'y établir un barrage ; de-
mandant en outre, qu'il fût sursis audit arrêté, et
qu'en ce qui concernait le délit de pêche, il fût ren-
voyé devant ses juges naturels.
M. le ministre des travaux publics, s'étant borné,
comme il le devait, à examiner l'affaire sous le rap-
CAS RELATIFS AUX USINES. 421
port des règlements de grande voirie, a demandé le
maintien de l'arrêt attaqué.
L'arrêt suivant a été rendu dans cette affaire sur le
rapport de M. Chasseloup-Laubat, maître des requêtes :
Vu l'ordonnance de 1669 sur les eaux et forêts ; l'ar-
rêt du Conseil du 24 juin 1777; la loi du 29 floréal
anX, et celle du 15 avril 1829;
ce
Sur la compétence. — Considérant que les faits
mentionnés au procès-verbal du 26 mai 1834, con-
stituaient le sieur Dutilleul-Parent en prévention :
1° d'une contravention de grande voirie, à raison de la
construction d'un barrage en lattis, établi sans auto-
risation sur un canal dérivé d'une rivière navigable;
2° d'un délit de pèche, résultant du peu d'ouverture
des mailles dudit lattis ; — Considérant qu'aux termes
de l'art. 48 de la loi du 15 avril 1829, les tribunaux
correctionnels étaient seuls compétents pour statuer
sur ce dernier délit ; mais que la loi du 29 floréal an X
attribuait au Conseil de préfecture, la connaissance de
la contravention de grande voirie imputée au sieur
Dutilleul-Parent.
ce
En ce qui touche l'arrêté attaqué. — Considérant
que le canal d'amenée qui. met en mouvement les
roues du moulin du sieur Dutilleul-Parent, est une
dérivation du canal navigable delà Haute-Deule, qu'il
est soumis dès lors aux mêmes règles que les rivières
navigables et flottables, relativement à la police des
eaux;— qu'en construisant sans autorisation le bar-
rage en lattis dont il s'agit, le sieur Dutilleul a contre-
venu aux dispositions de l'ordonnance de 1669, et de
422 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

l'arrêt du Conseil, du 24 juin 1777; que, quels que


soient les motifs sur lesquels le conseil de préfecture a
basé son arrêté, ledit conseil s'est borné en définitive à
ordonner la destruction du barrage, et à condamner
le contrevenant à l'amende; et n'a fait en cela, qu'une
juste application des ordonnances et arrêts précités;
— Considérant toutefois qu'il n'appartient qu'à nous,
en notre Conseil d'État, de réduire les amendes fixes,
encourues par les contrevenants ; que dès lors le con-
seil de préfecture, n'a pu sans excès de pouvoirs, ré-
duire à 50 fr. l'amende fixe de 1,000 fr., prononcée
par l'arrêt du Conseil, du 24 juin 1777, mais qu'à rai-
son des circonstances de l'affaire, il y a lieu par nous
de réduire ladite amende ;
ART. 1".
— ce Le pourvoi du sieur Dutilleul-Parent
est rejeté.
ART. 2.
— ce
L'arrêté ci-dèssus visé du conseil de
préfecture du département du Nord, en date du 8
août 1834, est annulé pour excès de pouvoirs, dans la
disposition qui réduit à 50 fr. l'amende fixe de 1,000 fr-,
encourue par le sieur Dutilleul.
ART. 3.
— «Néanmoins ladite amende est et de-
meure par nous réduite à la somme de 100 fr. »

N° 7.
— Un arrêt de la Cour de cassation, en date
du 5 juillet 1828, consacre également ce même prin-
cipe, qu'un barrage construit sans autorisation dans
une rivière navigable, constitue un double:délit, dont
la répression appartient : 1° au conseil de préfecture,
comme matière de grande voirie; 2° aux tribunaux
CAS RELATIFS AUX USINES. 423
correctionnels, comme délit de pêche, prévu par les
lois sur la matière. Et cela indépendamment de la po-
lice répressive, à exercer par les préfets et sous-préfets,
conformément à ce qui a été dit au commencement de
cette section.
On peut rapprocher de l'arrêt n° 4 les autres espè-
ces déjà citées, maintenant les condamnations pronon-
cées par les conseils de préfecture pour construction
non autorisée, sur des bras non navigables, dérivés
des rivières publiques; — notamment les arrêts Hache,
Jourdain, Demolon, Deschamps et Pétot.

48 avril 1845 (S1 Wiard).


N° S.
— Travaux ordonnés au proprétaired'une usine située sur
un canal, dans le but de faire disparaître des obstacles à la
navigation. — Mesure de police, non susceptible de recours,
par la voie contentieuse.
Un arrêté du préfet du Nord, du 17 août 1841, ap-
prouvé par le ministre des travaux publics le 3 juillet
1842 a prescrit au sieur Wiard : 1° de reconstruire
l'ancienne décharge du moulin d'Aire, situé sur le ca-
nal de ce nom ; ainsi que le pont qui existait ancienne-
ment, à proximité; 2° d'enlever un batardeau, indû-
ment établi, par lui, en tête du bras de décharge.
Ce particulier s'étant pourvu contre la décision et
l'arrêté précités, le Conseil d'État, après avoir visé les
lois des 12-20 août 1790 ; 28 septembre, 6 octobre
1791 ; et l'arrêté du 19 ventôse, an VI, a rejeté la re-
quête en se basant : sur ce qu'aux termes des lois sus-
visées l'administration avait le droit et le devoir de près-
424 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

crire les mesures propres à assurer le libre écoulement 1

des eaux et le service de la navigation; — que, dès lors, \

en approuvant l'arrêté du préfet du Nord, qui enjoint j

au sieur Wiard d'exécuter certains travaux, le ministre


des travaux publics avait fait, dans les limites de ses
pouvoirs, un acte administratif qui n'était pas de na- j

tureâ être attaqué par la voie contentieuse.

iOsept. 184S (S1 Viard).


N° 6. — Barrage d'usine ancienne devenu nuisible par une cir- s
constance fortuite. — Suppression d'office, par arrêté préfec-
toral. — Pas de recours contentieux contre un tel arrêté. —
Sursis à statuer sur la demande en indemnité.
j
Sur la rive gauche de la Moselle, à Pont-à-Mousson, %

département de la Meurthe, existe un moulin vendu


nationalement au sieur Chauvert, le .12 messidor
an IV; puis acquis en 1834 par le sieur Viard. Depuis
un temps immémorial, un barrage construit en lit de
rivière servait à l'introduction de l'eau dans le canal
d'amenée. — Mais vers 1840, une alluvion considé-
rable s'étant formée sur la rive droite, et ayant rétréci
notablement le lit de la rivière, il ne restait plus l'es-
pace suffisant pour le passage des bateaux. Comme
cet état de choses n'était pas de nature à être modifié,
M. le préfet de la Meurthe prit, le 23 mars 1841, un
premier arrêté, parlequel il enjoignit au sieur Viard
de faire disparaître, dans un délai de vingt jours, son
barrage devenu un obstacle à la navigation ; faute de
quoi il y serait procédé d'office et à ses frais.
Ce propriétaire prétendit que ledit barrage ayant
CAS RELATIFS AUX USINES. 428

une existence légale, ne pouvait être détruit sans in-


demnité préalable. Mais un second arrêté, du 21 avril
1841, rejeta cette demande et maintint les dispositions
du premier.
Le 2 mai de la même année, le sieur Viard avait
pris l'engagement de démolir le barrage dans le délai
prescrit ; mais n'ayant pas exécuté cette promesse, il
y fut procédé d'office par les soins de l'administration.
— Un procès-verbal de contravention avait d'ailleurs
été dressé contre lui, dès le 16 avril 1841 ; et le con-
seil de préfecture, appelé à statuer, avait, par arrêté
de 3 mai 1842, condamné ce propriétaire à une amende
de 25 fr.,etau payement d'une somme de 1,164 fr. 63 c.
dépensée pour l'ouverture d'un chenal de navigation
à travers le barrage susdit.
Le sieur Viard s'est pourvu contre les deux arrêtés
préfectoraux, et contre celui du conseil de préfecture
pour excès de pouvoir et mal jugé au fond; en sou-
tenant que l'administration avait porté atteinte'à un
droit de propriété garanti, pour lui, par une vente na-
tionale, et que l'on ne pouvait, dans ce cas, lui refuser
l'indemnité réclamée ; — que le conseil de préfecture
ne devait pas le condamner à une amende pour n'a-
voir pas détruit le barrage en question, dont l'exis-
tence ne provenait pas de son fait et remontait à une
époque très-ancienne.
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois sur la
matière, a considéré, quant aux arrêtés préfectoraux,
ce que
l'administration ayant le droit et le devoir de
prescrire sur les rivières navigables toutes les mesures
426 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

nécessaires pour assurer le libre cours des eaux et le


service de la navigation, le préfet de la Meurthe n'a-
vait pas excédé ses pouvoirs ; — mais que sa décision
ne faisait pas obstacle à ce que ce propriétaire fît
valoir, devant l'autorité compétente, ses droits à une
indemnité. »
En ce qui touche l'arrêté du conseil de préfecture,
le Conseil a considéré que l'art. 22, titre XXVIl de
l'ordonnance de 1669 ne rend passibles d'amende que
ceux qui, par leurs propres faits, apportent des obsta-
cles au cours des eaux dans les rivières navigables ;
que le procès-verbal du 16 avril 1841 ne constatait pas
que le sieur Viard ait constitué personnellement un
empêchement de cette espèce; et que le fait de ne
s'être pas conformé à l'arrêté du préfet ne constituait,
pas une contravetion de grande voirie.
En conséquence, l'arrêté du conseil de préfecture
de la Moselle, du 3 mai 1842, a été annulé dans celle
de ses dispositions qui condamnait le sieur Viard à
l'amende ; mais maintenu dans celle qui condamnait
ce particulier au remboursement des frais de la démo-
lition du barrage.
Voir ci-dessus, au chapitre XV, traitant des dom-
mages et suppressions d'usines, l'arrêt du 16 décem-
bre 1858, par lequel le Conseil d'État a décidé que le
sieur Viard avait droit à une indemnité, à régler par le
conseil de préfecture.
CAS RELATIFS AUX USINES. 427

23 décembre 184S (5r Vivent).


N° 7. —Mise en chômage d'une nouvelle usine, par suite
d'inexécution de travaux prévus dans l'ordonnance d'autori-
sation. — Droit et devoir de l'autorité administrative pour
intervenir, en pareil cas (1).

Une ordonnance du 6 juillet 1831, rendue après


l'accomplissement des formalités ordinaires d'instruc-
tion, a réglé le régime des eaux du moulin de la
Porte-Muret sur la Garonne, à Toulouse, et apparte-
nant au sieur Vivent. Comme la direction donnée aux
eaux par le barrage de cette usine pouvait devenir
offensive, non-seulement pour les propriétés rive-
raines, mais encore pour la route royale n° 20, on
jugea nécessaire d'imposer au permissionnaire l'obli-
gation de construire un mur de garde, le long de la
rive gauche du bief de son moulin. Seulement, pour
concilier ses intérêts avec ceux des riverains, il fut sti-
pulé dans l'ordonnance que cet ouvrage ne serait pro-
longé au delà du point où il existait déjà, qu'autant
que l'application de cette mesure serait demandée par
les intéressés.
Cependant les riverains ayant réclamé le bénéfice de
cette disposition, le sieur Vivent ne tint aucun compte
des invitations ni même des injonctions, que l'admi-
nistration se vit dans le cas de lui notifier, pour l'o-
bliger à remplir, à cet égard, les dispositions de son
titre. Dans ces circonstances, le préfet de la Haute-
(1) L'exposé de l'affaire est donné, comme ci-dessus, dans
le recueil des arrêts du Conseil d'État, de M. F. Lebon.
428 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Garonne prit, à la date du 16 juin 1843, un arrêté qui


fut approuvé par M. le ministre des travaux publics,
et qui ordonnait la mise en chômage du moulin du
sieur Vivent, jusqu'à ce qu'il se fût conformé aux pres-
criptions de l'ordonnance précitée.—Ce particulier
s'est pourvu contre l'arrêté préfectoral et la décision
approbative.
M. le ministre des travaux publics a fait remarquer
que la décision par lui prise, dans la limite de ses pou-
voirs, ne pouvait être attaquée par la voie contentieuse.
— Et le Conseil d'Etat, adoptant cette décision, a, par
son arrêt précité, rejeté le pourvoi du sieur Vivent.
Cette jurisprucence constante se trouve encore con-
firmée par un autre arrêt du 27 mai 1846 (S1 Robert et
autres), à l'occasion du recours formé par ces parti-
culiers contre une ordonnance royale, du 25 mai 1843,
portant règlement des eaux de la rivière du Loing, à
Moret (Seine-et-Marne), et prescrivant l'établissement
d'un pertuis pour le passage des bateaux. — Le Con-
seil d'État, après avoir visé les lois du 12-20 août 1790,
6 octobre 1791, et l'arrêté du 19 ventôse an VI, a rejeté
ce recours, en se basant sur les mêmes considérants
que ci-dessus.

ib avril 18b9 (Sr de Bouquelon).


N°8. — Barrage et roue hydraulique établis en 1810, sur l'I-
ton, et devenus nuisibles ultérieurement. — Droit et devoirde
l'administration d'intervenir pour faire cesser tout dommage
public.

Le sieur de Bouquelon possédait à Évreux, sur un


CAS RELATIFS AUX USINES. 429
canal dépendant de la rivière flottable d'iton, un bar-
rage et une roue hydraulique, autorisés par des arrê-
tés préfectoraux, remontant aux années 1810 et 1811.
Postérieurement, il fut reconnu que le barrage don-
nait lieu à des inondations. — Sur la plainte de plu-
sieurs riverains, le préfet de l'Eure prit, en date du 3
février 1855, un arrêté enjoignant à ce particulier de
se conformer à la décision ministérielle du 3 février
précédent, prescrivant la suppression du barrage et
de la roue hydraulique.
Le sieur de Bouquelon étant mort, ses héritiers se
pourvurent contre ledit arrêté, prétendant qu'il n'a-
vait pas été pris en vue de l'intérêt général, mais dans
un intérêt privé.
M. le ministre des travaux publics présenta des ob-
servations tendant au rejet du recours, comme non
recevable; la décision et l'arrêt attaqués n'étant pas
susceptibles d'être déférés à la juridiction conten-
tieuse.
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois des 12-20
août 1790, 28 septembre, 6 octobre 1791, l'arrêté du
19 ventôse an VI, et le décret du 25 mars 1852, a mo-
tivé son arrêt ainsi qu'il suit :
ce
Considérant qu'il résulte des lois et arrêtés ci-
dessus visés, que l'administration a le droit et le de-
voir de prescrire, sur les cours d'eau navigables et
flottables, toutes les mesures qu'elle juge propres à
assurer le libre écoulement des eaux et le service du
flottage, ainsi qu'à empêcher les inondations; — que
l'administration a été saisie de diverses réclamations
430 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

formées par plusieurs propriétaires, usiniers et rive-


rains, se plaignant d'inondations attribuées au barrage
dont il s'agit ;
ce
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la
suppression du barrage et de la roue à godets du sieur
de Bouquelon a été prescrite par la décision attaquée
comme mesure de police, en vue de l'intérêt général et
dans le but notamment de prévenir les inondations ;
— que l'autorisation donnée parle préfet en 1809 et
1811, en supposant qu'elle fut régulière, ne faisait
pas obstacle à ce que cette suppression fût ordonnée ;
— que, dès lors, en prenant cette mesure, notre mi-
nistre des travaux publics et le préfet de l'Eure n'ont
pas excédé les limites de leurs pouvoirs; et que leurs
actes ne sont pas de nature à être attaqués par la voie
contentieuse.
(Recours rejeté.)

9 décembre 18S8 (Sr Raffray et cons).


N° 9. — Réduction de hauteur de la retenue de trois usines an-
ciennes qui causaient des inondations. — Mesure de police
appartenant à l'administration. — Pas de droit à indemnité.
Des arrêtés du préfet de Maine-et-Loire, en date du
25 juin 1855, en réglant les retenues d'eau de trois
usines situées sur la basse Mayenne, ont prescrit un
abaissement notable de leurs retenues, dans le but
d'éviter des inondations.
Les propriétaires desdites usines s'étaient adressé
au Conseil de préfecture, dans le but d'obtenir la ré-
formation de ces décisions et une indemnité, à laquelle
CAS RELATIFS AUX USINES. 431
ils prétendaient avoir droit. Mais, par arrêté du 21
mars 1857, le conseil de préfecture s'était déclaré in-
compétent.
C'est alors que les sieurs Raffray et consorts se pour-
vurent devant le Conseil d'État contre cet arrêté pour
incompétence ; et se prévalant de ce que leurs usines,
antérieures à 1566, avaient subi ainsi une notable ré-
duction de chute. Ils concluaient à ce que l'Etat fût
condamné à leur payer à titre d'indemnité les som-
mes auxquelles ils évaluaient le dommage éprouvé par
chacune des trois usines, et montant ensemble à
90,000 fr.
M. le ministre des travaux publics a conclu au rejet
du pourvoi; par le motif que le préfet de Maine-et-
Loire, en interdisant aux sieurs Raffray et consorts,
par les arrêtés préciités, de maintenir leurs barrages à
un niveau trop élevé n'avait fait qu'user du droit qui
appartient à l'administration de prendre, dans un but
d'utilité générale, toutes les mesures propres à empê-
cher les inondations ; qu'en conséquence ce fait ne
résultant pas des travaux d'améliorations de la Ma-
yenne ne pouvait donner lieu à aucune indemnité.
Sur le rapport de M. de Lavenay, le Conseil d'État,
après avoir visé les lois des 12-20 août 1790 ; 28 sep-
tembre, 6 octobre 1791 ; et le décret du 25 mars 1852,
a approuvé dans les termes suivants la doctrine sou-
tenue par l'administration.
« Considérant qu'il résulte de l'instruction que les
barrages des moulins du sieur Raffray, de la dame
de S. et du sieur II. avaient été surélevés; afin qu'à
432 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

l'époque des crues de la Loire la marche de ces mou-


lins ne fût pas entravée par la hauteur des eaux d'a-
val; — que cette surélévation n'avait été tolérée qu'à
Taison du régime ancien de la basse Mayenne ; quand
le passage quotidien des bateaux, par les pertuis ma-
riniers, avait pour effet de vider fréquemment les
biefs ;
ce
Mais que ces pertuis ayant été remplacés par des
écluses, empêchant toute déperdition d'eau, l'exhaus-
sement des barrages est devenu une cause fréquente
d'inondations, au préjudice des riverains; — et que
dans ces circonstances,l'administration,en prescrivant
aux requérants d'abaisser leurs barrages, a pris, dans
la limite de ses pouvoirs, une mesure de police, qui
n'est pas de nature à leur ouvrir un droit à indem-
nité ;
ART. 1". — ce La requête des sieurs Raffray et con-
sorts est rejetée. »

24 août 1860 (Srs de la Vigne et ~cons.).

N° 10.— Abaissement, parles usiniers du plan d'un canal, au-


dessous du repère de la navigation. — Contravention aux
termes de l'arrêt du 24 juin 1777.

Sur la commune de Saint-Laurent, arrondissement


de Pontivy (Morbihan) sont établis sept moulins ali-
mentés par la rivière d'Oust, et remontant à une épo-
que très-ancienne.
Lors de la création du canal de Nantes à Brest ter-
miné, pour cette section de 1832 à 1834, le lit du ca-
CAS RELATIFS AUX USINES. 433
nal se confondant avec celui de la rivière, celle-ci est
devenue domaniale, à partir de cette époque.
Les usines susdites ayant dès lors leurs biefs sur le
canal même et pouvant, par le seul fait d'une marche,
prolongée, en abaisser les eaux d'une manière illimi-
tée, le préfet du Morbihan prit à la date du 28 juillet
1855, et dans l'intérêt de la navigation, un arrêté inter-
disant aux usiniers d'abaisser les eaux des biefs au-
dessous de la crête-des déversoirs.
Les propriétaires de ces usines n'ayant pas prévu
cette disposition, et pensant que la marche n'en serait
ni modifiée ni gênée, avaient laissé s'exécuter les tra-
vaux relatifs à la navigabilité de i'Oust, sans élever
aucune réclamation ; et cela nonobstant l'existence an-
cienne desdites usines. Étant convaincus que l'on au-
rait dû leur appliquer les dispositions de l'art. 48 de la
loi du 16 septemdre 1807 portant : qu'avant de faire
cesser le travail de leurs moulins on devait préalable-
ment leur payer le dommage qu'ils devaientenressentir,
ils eurent le tort de ne pas tenir compte des prescrip-
tions de l'arrêté susdit. —Mais comme les abaisse-
ments d'eau, opérés simultanément dans les biefs,
avaient pour résultat d'entraver presque totalement le
service de la navigation, des procès-verbauxfurent dres-
sés contre les usiniers dans le mois de février 1859 ; et
ayant été déférés à l'autorité compétente, le conseil de
préfecture, par arrêté du 8 mars de ladite année, les
condamna chacun à une amende de 50 fr. ; pour con-
travention aux dispositions de l'arrêté préfectoral du
28 juillet 1855 et à celle de l'art. 9 de l'arrêt du con-
28
434 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

seil du 24 juin 1777, qui défend aux propriétaires ou


meuniers ce de retarder, en aucune manière, la nnar-
che de la navigation ou du flottage (1). »
Les propriétaires des sept usines se pourvurent alors
devant le Conseil d'État, contre l'arrêté du conseùl de
préfecture; prétendant, comme il est dit plus haut:: que
leurs moulins alimentés par la rivière d'Oust étant an-
térieurs à la navigabilité de cette rivière, et par consé-
quent à son classement comme cours d'eau domanial,
on ne pouvait, aux termes de la loi précitée ni gêner ni
entraver leur marche, sans une juste et préalable
indemnité. '
Si maintenant on remarque que le classement de la
rivière d'Oust, sur cette partie de son cours avait eu
lieu, sans.réclamation des usiniers ; que dès lors l'ad*
ministration ne pouvait se substituer à eux pour prévoir
les entraves que ce nouvel état de choses pouvait leur
occasionner dans l'avenir, on reconnaîtra que, tout au
moins dans la forme, leur réclamation contre l'arrêté
de 1855 n'était pas fondée.
Aussi le Conseil d'État, par son arrêt précité, n'hésita
pas à la rejeter; en se fondant : 1° sur ce que le pré-
ce'

fet du Morbihan, en prescrivant par ledit arrêté des


mesures conservatrices, dans l'intérêt de la naviga-
tion, n'avait pas excédé ses pouvoirs ; 2° sur ce que,
ce

en présence d'une contravention de grande voirie, dû-


ment constatée, le conseil de préfecture avait fait une
juste application des lois et règlements sur la matière. »
(1) Voir 28 décembre 1850 (S1 Guyot). — 22 août 1844
v(Sr Cartier). -
CAS RELATIFS AUX USINES. 435

6 décembre 1860 (Sts Sowdeaux et cons,).


N°H. — Usines autorisées, en 1832, sur un bras de la Marne.
— Clause de suppresion éventuelle,'insérée dans l'acte de
concession. — Mesures de police exigeant l'exécution de la-
dite clause. — Réserve du droit à indemnité, s'il y a lieu.

Par arrêté du 2 novembre 1832 le préfet de la Seine


a autorisé plusieurs particuliers à établir des usines à
Créteil, sur un bras secondaire de la Marne, connu
sous le nom de Bras du Chapitre. — Les conditions
principales de cette autorisation confirmée par une
soumission des impétrants, approuvée d'ailleurs par
le ministre des travaux publics, stipulaient : 1° qu'ils
établiraient à leurs frais, entête du bras susdit, et sauf
une subvention à fournir par l'État, un barrage des-
tiné à régler définitivement la chute desdites usines ;
2° que les permissionnaires et leurs successeurs res-
teraient chargés à perpétuité de l'entretien dudit bar-
rage et de la manoeuvre des pertuis; 3* que cette
manoeuvre aurait lieu, conformément aux usages de
la navigation de la Marne, ainsi qu'aux règlements,
faits ou à faire, pour la police de cette rivière. —Un
arrêté du 26 mars 1833 a en outre réglementé cette
manoeuvre.
Par suite des besoins de la navigation, le préfet a pris
à la date du 20 septembre 1850, un nouvel arrêté par
lequel il modifie les conditions relatives à l'ouverture
et à la fermeture dudit pertuis.
Les usiniers ont cru voir dans cette dernière mesure
un acte contraire aux droits résultant des conventions
436 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

antérieures, lis l'ont, en conséquence, déféré au Con-


seil d'État, en en demandant l'annulation, pour excès
de pouvoirs; et comme constituant à leur égard un
nouveau règlement d'eau, de nature à modifier l'exis-
tence de leurs usines; lequel règlement ne pouvait
être pris que sous la forme d'un décret, précédé des
requêtes d'usage.
M. le ministre des travaux publics, a conclu au rejet
de ce pourvoi; parle motif que l'arrêté attaqué n'aurait
prescrit que des mesures de police, prises dans l'intérêt
de la navigation ; ce qui rentrait complètement dans
les attributions préfectorales; sans que les arrêtés in-
tervenus en cette matière soient assujettis à une en-
quête préalable.
Le Conseil d'État a adopté cette manière de voir et
rejeté la requêté des usiniers ; — mais en ajoutant :
ce que
dans le cas où les mesurés prescrites par l'arrêté
attaqué porteraient atteinte aux conventions interve-
nues entre eux et l'État, pour l'établissement et l'en-
tretien du barrage, l'arrêté attaqué ne faisait pas obs-
tacle à ce. qu'ils fassent valoir, s'ils s'y croyaient
fondés, devant l'autorité compétente, les droits qu'ils
pourraient avoir à une indemnité, en réparation des
dommages que la mesure en question leur aurait
causés. »
CHAPITRE III
DÉLITS ET CONTRAVENTIONS COMPRENANT DES ENTREPRISES
DIVERSES.

SUITE DE LA JURISPRUDENCE DD CONSEIL D ETAT.

4 juillet 1827 [S* Monnot).

N° 1. — Constructions sans autorisation dans le lit de la Saône.


— Modération
d'amende. — Démolition restreinte aux ou-
vrages nuisibles. — Question de compétence.
Un arrêté dû conseil de préfecture du département
de la Haute-Saône, en date du 5 juillet 1821, a con-
damné le sieur Monnot, propriétaire à Scey-sur-Saône,
à 500 francs d'amende et à la démolition d'ouvrages
par lui faits, sans autorisation, dans le lit delà rivière,
et susceptibles de gêner la navigation. — Ce particu-
lier sollicita d'abord un sursis, qui lui fut accordé par
ordonnance royale du 14 novembre 1821. La cause
ayant été ensuite débattue au fond, devant le Conseil
d'État, entre le délinquant et l'administration des
ponts et chaussées, M. le directeur général fut d'avis
qu'il y avait lieu de modérer l'amende, et d'ordon-
ner seulement la démolition des ouvrages nuisibles
à la navigation.

Sur le rapport de M. Tarbé de
Vauxclairs, cet avis servit de base à l'arrêt suivant :
ce
Considérant qu'il résulte des pièces et de Tins-
438 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

truction de l'affaire, que le sieur Monnot a fait, sans


autorisation, dans le lit de la Saône, diverses entre-
prises que le conseil de préfecture a justement répri-
mées; — Considérant néanmoins qu'il résulte des
observations du directeur général des ponts et chaus-
sées, qu'il y a lieu de modérer l'amende, en ce qu'elle
est hors de proportion avec le délit, et de désigner
spécialement les ouvrages à détruire par le sieur Mon-
not, comme préjudiciables à la navigation ;
ART. 1er.
— ce La requête du sieur Monnot est rejetée.
ART. 2.
— L'amende à laquelle il est condamné,
ce

est modérée à 100 francs. — Les ouvrages à détruire


consisteront seulement, etc. »

N°2. —Un autre arrêt du 16 janvier 1828 statue


dans le même sens, sur la requête des administrateurs
des hospices de Troyes, relativement à des épis et ou-
vrages défensifs, construits sans autorisation dans la
Seine, pour la conservation des propriétés appartenant
à ces hospices. Il restreint aux ouvrages réellement
offensifs, pour la rive opposée, les démolitions qui
avaient été prononcées, d'une manière générale, par
le Conseil de préfecture.
Question de compétence. — Il résulte des considéra-
tions, déjà présentées sur la compétence, que les con-
seils de préfecture ne peuvent, sans excès de pouvoir,
modérer d'eux-mêmes les amendes fixes, encourues
aux termes de la loi, pour constructions faites sans
autorisation dans le lit ou sur le bord des rivières na-
vigables. — En est-il de même, en ce qui concerne la
ENTREPRISES DIVERSES. 439
restriction à apporter, si cela est possible, dans les
démolitions? En d'autres termes, les conseils de pré-
fecture peuvent-ils, sans excès de pouvoir, restreindre
ces démolitions à la partie effectivement nuisible des
ouvrages faits en contravention? — En principe ri-
goureux, ils ne le pourraient pas; puisque l'art. 42,
tit. 27, de l'ordonnance de 1669, et l'art. 1" de l'arrêt
de 1777, applicables à cet objet, prescrivent la des-
truction des ouvrages ce non autorisés », sans faire la
distinction dont il s'agit. Cependant comme il entre
dans les vues de l'administration, de rendre toujours
les mesures d'ordre et de police, le moins préjudicia-
bles qu'il se peut pour les intérêts privés ; et que
parmi les ouvrages construits dans les rivières navi-
gables, pour la conservation des propriétés riveraines,
ou des usines, il s'en trouve souvent qu'il est peut-être
utile de conserver, bien qu'établis sans permission, on
peut admettre qu'il n'y aurait pas excès de pouvoir,
de la part d'un conseil de préfecture, dûment éclairé
par les rapports des ingénieurs, à entrer dans cette
voie.
Mais avec l'obligation, pour les particuliers, de se
pourvoir immédiatement devant l'autorité compétente,
pour obtenir, dans les formes légales, l'autorisation de
conserver la partie non offensive, et sauf telles con-
damnations que de droit à prononcer ultérieurement,
si l'autorisation n'était pas accordée.
440 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

20 juillet 1836 (Sr Raousset).


„N°2. — Construction d'épis dans le Rhône, sans autorisation.
— Destruction prononcée. —
Modération d'amende. — Arrêté
modifié.

Le comte de Raousset-Boulbon, propriétaire dans le


département des Bouches-du-Rhône, avait fait établir
sans autorisation deux épis sur un bras de ce fleuve,
celte contravention ayant été constatée en février 1834,
donna lieu à un arrêté du conseil de préfecture, eu
date du 31 mai de la même année, qui ordonna la des-
truction immédiate de ces épis et condamna en outre
le contrevenant à une amende de 500 fr. — Le sieur
de Raousset se pourvut contre cet arrêté et demanda
d'abord l'annulation, puis subsidiairement un sursis
à son exécution. — Le marquis d'Aramon, proprié-
taire domicilié dans le département du Gard, réclama
au contraire la répression de celte contravention qui
lui était préjudiciable, et conclut au rejet de lare-
quête du sieur de Raousset.
Après la production de divers mémoires, des visites
de lieux, et plusieurs rapports des ingénieurs, le Con-
seil d'État rendit dans cette affaire, sur le rapport de
M. Boulay (de la Meurthe), maître des requêtes, un
arrêt ainsi conçu :
Vu, etc.; — Vu la loi du 20 août 1790, chap. vi,
et celles des 19 et 22 juillet 1791 ; — l'arrêté du gou-
vernement du 19 ventôse an VI; —et la loi du 29 flo-
rial an X ;
ce
En ce qui concerne la démolition des deux épis : —
ENTREPRISES DIVERSES. "' 441
Considérant que le procès-verbal dressé le 10 février
1834 constate que lesdits épis ont été établis en
saillie sur un bras du Rhône, sans autorisation, et
qu'ainsi c'est avec raison que le conseil de préfecture,
par des considérations d'intérêt public, en a ordonné
la démolition ; — Considérant d'ailleurs que le conseil
de préfecture s'est abstenu de prononcer sur la ques-
tion des dommages que lesdits épis auraient pu cau-
ser aux propriétaires de la rive opposée ;
ce
En ce qui concerne l'amende : — Considérant que
l'art. 29 de la loi du 22 juillet 1791 a maintenu les an-
ciens règlements relatifs à la grande voirie ; — Consi-
dérant que l'amende arbitraire prononcée par le pre-
mier paragraphe de l'art. 42, titre 27 de l'ordonnance
du mois d'août 1669, pour les travaux faits sans auto-
risation, sur et au long des rivières et canaux naviga-
bles, a été fixée à la somme de 1,000 fr. par l'art. l«r de
l'arrêt du conseil du 24 juillet 1779, qui maintient les
mêmes prohibitions; — Considérant néanmoins qu'il
résulte des circonstances de l'affaire qu'il y a lieu
par nous, de modérer cette amende ;
ART. 1er. L'arrêté du conseil de préfecture du
— ce

département des Bouches-du-Rhône, du 31 mai 1834,


est annulé dans la disposition qui condamne le sieur
de Raousset-Boulbon à une amende de 500 fr. — L'a-
mende de 1,000 fr. encourue par ce particulier est
réduite à la somme de 100 fr. »
Telles sont les dispositions applicables à tous les ou-
vrages et constructions en lit de rivières, pouvant nuire
à la navigation, ou aux propriétés riveraines et com-
442 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

pris dans les prohibitions de l'art. 42, titre XXVII de


l'ordonnance de 1669 et de l'art 1er de l'édit du 24 juin
1777.

—Voici une espèce semblable à la précédente :


N« 2.

— Les sieurs Bertrand et compagnie, marchands de


bois à Saint-Dié (Vosges), avaient établi sur le bord de
la Meurthe, divers ouvrages ayant pour but de défen-
dre leurs propriétés contre les dégradations causées
par les eaux. Ces ouvrages anticipaient sur le lit de la
rivière et étaient offensifs pour la rive opposée ; ce qui
donna lieu à des plaintes, et à un procès-verbal sur
lequel intervint un arrêté du conseil de préfecture,
qui condamna les contrevenants à la démolition desdits
ouvrages. — Les sieurs Bertrand et consorts jugèrent
convenable de se pourvoir contre cette condamnation;
mais leur requête fut rejetée, par arrêt du 15 sep-
tembre 1831. — Le conseil de préfecture des Vosges
avait indûment modéré, de lui-même, à 25 fr., l'a-
mende de 1,000 fr., encourue par cette contravention.

24 avril 1837 (Sr Bonjour).


N° 3. — Construction non conforme au titre d'autorisation. —
Modération d'amende. — Arrêté modifié.

Par arrêté du 28 mai 1833 et 14janvier 1834, le con-


seil de préfecture du Puy-de-Dôme condamna le sieur
Bonjour à la démolition d'ouvrages par lui faits sur
les bords de l'Allier, et à une amende de 100 fr. —
Lesdits ouvrages étaient nuisibles à la navigation et
aux riverains.
ENTREPRISES DIVERSES. 443
Le sieur Bonjour s'étant pourvu contre ces arrêtés,
sa requête fut rejetée, sur le rapport de M. de Chasse-
loup-Laubat, par l'arrêt suivant :
ce
Vu l'ordonnance des eaux et forêts du mois
d'août 1669 ; l'arrêté du gouvernement, du 19 ventôse
an VI ; et la loi du 14 floréal an X ;
ce
Au fond : — Considérant qu'il résulte de l'instruc-
tion que le sieur Bonjour ne s'est pas conformé aux
dispositions de l'arrêté du préfet, en date du 16 mai
1837, qui l'autorisait à construire des ouvrages défen-
sifs le long de sa propriété, et que dès lors c'est avec
raison, que le conseil de préfecture a ordonné la des-
truction des ouvrages non autorisés et condamné le
sieur Bonjour à l'amende ;
ce
Sur l'amende : — Considérant qu'il n'appartient
qu'à nous, en notre Conseil d'État, de modérer les
amendes, portées parles lois et règlements sur la voi-
rie, et qu'ainsi l'arrêté attaqué doit être annulé, dans
la disposition qui réduit à 100 fr. l'amende de 500 liv.
prononcée par l'ordonnance des eaux et forêts de 1669 ;
— Considérant néanmoins qu'il y a lieu, vu les cir-
constances de la cause, de modérer ladite amende.
ART. 1er.
— ce
La requête du sieur Bonjour est rejetée.
ART. 2. L'arrêté du conseil de préfecture du
— ce

Puy-de-Dôme, en date du 14 janvier 1834, est annulé


dans celle de ses dispositions qui a modéré à 100 fr.
l'amende encourue par le sieur Bonjour.
ART. 3. Le sieur Bonjour est condamné à 200 fr.
— «
d'amende. »
444 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

,1er novembre 1838 (Sr Clisson).


N° 4. —Prescription en matière de grande voirie. — Délits et
contraventions. — Distinctions à faire. — Arrêté annulé.

Le sieur Clisson, ayant réparé sans autorisation, le


mur d'une maison, située le long d'un cours d'eau navi-
gable, un procès-verbal avait été dressé contre lui, pour
avoir contrevenu àl'art. 7, titreXXVIH, de l'ordonnance
des eaux et forêts du mois d'août 1869 ; mais le conseil
de préfecture de la Loire-Inférieure avait seulement
condamné ce particulier à la démolition des répara-
tions faites sans autorisation, pensant que l'amende
encourue se trouvait prescrite par le laps d'une année,
aux termes de l'art. 640 du Code d'instruction crimi-
nelle.
Le ministre des travaux publics s'étant pourvu con-
tre cette décision, a fait observer : ce Que l'art. 640
précité, s'appliquait aux contraventions de petite voirie,
passibles d'une amende de 1 à 15 fr., tandis que, dans
l'espèce, il s'agissait d'une contravention de grande
voirie, punissable d'une amende fixe de 500 fr., ce
qui,aux termes des articles 1 et 466 du Code pénal,cons-
titue un délit, et non une contravention proprement
dite ; de sorte que, si la prescription pouvait jamais
être invoquée, elle ne serait acquise, suivant l'art. 638
du même code, qu'après un délai de trois ans. — Mais
que cette distinction n'était pas même applicable à
l'espèce, puisqu'il ne peut être invoqué aucune pres-
cription, contre une contravention de cette nature, qui
constitue une infraction permanente, devant toujours
ENTREPRISES DIVERSES. 445
être réprimée et poursuivie, dans l'intérêt de la navi-
gation. »
Ces principes ont été confirmés dans l'arrêt sui-
vant ;
Vu l'art. 7, titre XXVTII de l'ordonnance de 1669, la
loi du 29 floréal an X, le décret du 22 janvier 1808,
et l'art. 640 du Code d'instruction criminelle;
ce
Considérant qu'aux termes de l'art. 7, titre XXVIII,
de l'ordonnance de 1669, les constructions effectuées
sur les chemins de halage, constituent, tant que lesdiles
constructions subsistent, des contraventions perma-
nentes, dont la répression, quel que soit le laps de
temps écoulé, peut et doit être poursuivie, dans l'inté-
rêt toujours subsistant de la navigation; qu'ainsi au-
cune prescription de l'amende de 500 fr. encourue par
le sieur Clisson n'a pu être acquise à ce propriétaire;
mais qu'à raison, etc. ;
ART. 1er.
— ce L'arrêté ci-dessus visé du conseil de
préfecture du département de la Loire-Inférieure, en
date du 9 janvier 1838, est annulé dans la disposition
qui déclare prescrite l'amende encourue par le sieur
Clisson. »
Cette doctrine est d'autant plus importante à main-
tenir, que l'opinion contraire aurait pour consé-
quence, de faire admettre qu'on peut prescrire contre
le domaine public. On a d'ailleurs fait ci-dessus,
comme il convenait, la distinction fondamentale, entre
une contravention permanente, toujours susceptible
de répression et dès lors imprescriptible, et une con-
travention momentanée et passagère, comme en fait
446 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

de pêche et de roulage; car celles-ci, même en ma-


tière de grande voirie, sont susceptibles de se prescrire
par un délai de trois ans.

22 août 1839 (Sr Eaton).


N° S. — Délais de rédaction et d'affirmation des procès-ver-
baux. — Construction en lit de rivière. —Arrêté annulé.
Le sieur liarton, propriétaire à Frémonville, dépar-
tement de la Meurthe, avait établi sans autorisation un
barrage et un épi en maçonnerie, dans la rivière de
Vezouze, qui est du domaine public. Ce particulier
s'étant refusé à démolir ces ouvrages, sur l'invitation
qui lui en avait été faite, le conducteur des ponts et
chaussées de l'arrondissement, qui avait constaté ce
délit le 4 juin 1838, en dressa procès-verbal le 22 du
même mois. — Le conseil de préfecture du départe-
ment de la Meurthe, se fondant sur l'art. 7, titre I, de
la loi du 6 octobre 1791, qui exige que la rédaction des
procès-verbaux ait lieu dans les vingt-quatre heures de
la reconnaissance de la contravention, déclara que le
procès-verbal qui lui était déféré, ouvert le 4 juin, et
clos le 22, était irrégulier et ne pouvait motiver une
condamnation. — Le ministre a déféré cet arrêté au
Conseil d'État, pour fausse application à un délit de
grande voirie, des principes posés dans ta loi du 6 octo-
bre 1791, concernant les biens et usages ruraux, at-
tendu qu'aucune loi ni règlement, ne prescirvait la
rédaction des procès-verbaux, en matière de grande
voirie, dans les vingt-quatre heures qui. suivent la re-
connaissance de la contravention.
ENTREPRISES DIVERSES. 447
Le Conseil d'État a adopté cette doctrine et a rendu
l'arrêt qui suit :
Vu l'arrêté du Directoire du 19 ventôse an VI ; vu la
loi du 29 floréal an X, le titre 6 du décret du 16 dé-
cembre 1811, et la loi du 10 avril 1812 :
ce
Considérant qu'aucune disposition de loi ni d'or-
donnance, n'ayant prescrit de dresser les procès-ver-
baux des agents auxquels il appartient de constater
les contraventions en matière de police de la naviga-
tion, dans les vingt-quatre heures de la reconnaissance
de la contravention, il ne peut résulter, pour ces actes,
un motif de nullité de ce qu'ils n'ont pas été dressés
dans ce délai ;
ART. 1er.— ce L'arrêté du conseil de préfecture du
département de la Meurthe, en date du 13 novembre
1838, est annulé.
ART. 2. — «Le sieur Haton est renvoyé devant le
conseil de préfecture du département de la Meurthe,
pour être, par ledit conseil, statué ce qu'il appartien-
dra, sur les contraventions signalées au procès-verbal
sus-visé, du 22 juin 1838.»
Un autre arrêt du Conseil d'État avait décidé, vers
la même époque, que Y affirmation des procès-verbaux
de grande voirie est valable dans les trois jours de leur
rédaction, soit devant le juge de paix du canton où
réside l'agent qui verbalise, soit devant le maire de
la commune sur laquelle la contravention a été con-
statée. — Mais, d'après des arrêts plus récents, ce dé-
lai n'est pas obligatoire.
448 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

24 janvier 1846 {S* Alibert).


N° 6. — Plantation de saules et piquets, faites sans autorisation
sur une berge de la Garonne. — Condamnation.
L'affaire se trouve exposée en ces termes, dans le
recueil d'arrêts de M. F. Lebon, t. XVI, p. 52.
ce
Le sieur Alibert, propriétaire d'une pièce de terre,
sur la rive gauche de la Garonne (Haute-Garonne), fit
faire en 1843, sans y être autorisé, et sur une longueur
d'environ 50 mètres, des plantations de saules et de
piquets, à la partie supérieure de la berge dépendant
de sa propriété, dans le but de défendre celle-ci contre
les corrosions. Un procès-verbal fut dressé contre lui,
par suite de cette entreprise ; et le conseil de préfecture
appelé à statuer sur cette contravention rendit, le
14 juin 1843, un arrêté basé sur les dispositions de
l'art. 42, titre XXVII de l'Ordonnance d'août 1669,
et de l'art. 4 de l'arrêt du 24 juin 1777, qui ordonnait
la destruction des travaux et condamnait le contreve-
nant à une amende de 500 fr.
ce
Le sieur Alibert s'est pourvu contre cet arrêté et
a soutenu : qu'en faisant ces plantations, il n'avait fait
qu'user du droit qui appartient aux propriétaires ri-
verains de se défendre contre l'action des eaux-; que,
dans l'espèce, lesdites plantations n'étaient pas en lit
de rivière, mais seulement sur la berge ; que par suite
elles n'avaient pu nuire au cours de l'eau, ni compro-
mettre la sûreté de la navigation. — Qu'à la vérité elles
se trouvaient en avant de la ligne de rectification du
cours du fleuve, projetée par l'administration ; mais
ENTREPRISES DIVERSES. 449
que si celle-ci se proposait de rectifier le cours de la
Garonne, elle devait le faire, en procédant àl'acquisition
régulière, pour cause d'utilité publique, des portions
de terrains exigées par ladite rectification ; et non en
interdisant aux riverains de se défendre contre l'action
des eaux, en leur faisant subir ainsi, sans indemnité,
une expropriation indirecte et tacite. »
ce
M. le ministre des travaux publics, consulté sur
le mérite du pourvoi, a répondu : Que le droit de pro-
priété des riverains, sur les cours d'eau navigables
n'était pas absolu ; qu'il subissait, dans l'intérêt public,
certainesrestrictions, prévues parles lois et règlements
sur la matière ; que ces règlements impliquaient
pour les riverains, la nécessité de n'exécuter aucun
travail, soit sur le lit, soit sur les bords d'une rivière
navigable sans autorisation préalable ; — Que, dans
l'espèce, non-seulement celte autorisation n'avait pas
été obtenue, mais qu'elle avait été refusée; et attendu
que les plantations du sieur Alibert apportaient un
empêchement nuisible au cours des eaux, que, par
conséquent, c'était avec raison que le conseil de pré-
fecture avait condamné ce particulier à détruire ces
plantations et à l'amende. Que, du reste, il ne s'agis-
sait pas ici d'expropriation, puisqu'eh fixant l'aligne-
ment à suivre pour les travaux de défense projetés
par les riverains, l'administration procède en exé-
cution des lois et règlements et que les dommages
pouvant résulter de .l'exercice de ce droit, ne sau-
raient donner lieu à une demande en indemnité. »
C'est en vertu de ces mêmes motifs que le con-
29
480 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

seil d'État a rejeté la requête du sieur Alibert.


Dans quelques cas analogues, le Conseil a modéré
l'amende de 500 fr. ; qui peut paraître très-élevée.
Si cette mesure n'a pas été appliquée dans l'espèce,
c'est sans doute eu égard à ce que la contravention se
trouvait, ici, aggravée par le refus persistant du sieur
Alibert d'exécuter le travail dont il s'agit.

18 mai 1840 (Sr Gendarme).


N° 7. — Construction de digues et barrages dans un bras non
navigable d'une rivière dépendant du domaine public. —
Condamnation.

Le sieur Gendarme est propriétaire d'une île située


dans le lit de la rivière de Semoy, qui forme un des af-
fluents de la Meuse, un peu en aval de Charleville
(Ardennes) et qui figure dans le tableau des rivières
navigables, annexé à l'Ordonnance du 10 juillet 1835.
— Ce particulier ayant fait élever successivement des
digues ou barrages dans l'un des bras de ladite rivière,
un procès-verbal de contravention fut dressé contre
lui, le 16 mars 1843 ; et donna lieu à un arrêté du
Conseil de préfecture qui le condamna à démolir les-
dits travaux et à une amende de 50 fr.
Le sieur Gendarme s'est pourvu contre cet arrêté,
en soutenant : que, bien que déclarée navigable, la
rivière de Semoy était, en fait, à peine flottable sur
l'un de ses bras, mais que, quant à celui longeant sa
propriété, et où avaient eu lieu les barrages, la navi-
gation comme le flottage y étaient impossibles; que
d'ailleurs ces prétendues digues n'étaient que de sim-
ENTREPRISES DIVERSES. 4SI
pies dépôts de pierres, sans travail d'art, ne provenant
même pas de son fait; mais de celui des bateliers et
riverains qui avaient, peu à peu, amassé ces pierres
provenant du lit de la rivière.
M. le ministre des travaux publics a répondu : que
la rivière de Semoy était navigable, en fait comme en
droit ; que d'ailleurs la distinction soulevée par le re-
quérant importait peu ; puisque d'après la jurispru-
dence du Conseil d'État (arrêt du 11 février 1836) les
bras non navigables d'une rivière navigable étaient
considérés, également comme des dépendances du
domaine public; et soumis, à ce titre, aux règlements
de la grande voirie. Que, d'un autre côté, le sieur
Gendarme était bien l'auteur des digues ou barrages,
dont la démolition était ordonnée.
Le Conseil d'État, après avoir visé : l'art. 42, titre
XXVII de l'ordonnance de 1669; l'art. 1er de l'arrêt
de 1777 ; l'ordonnance du 10 juillet 1835, et la loi du
23 mars 1842, a rejeté le recours de ce particulier.

9 février 18S9 (5rs Langlade etcons.).


N° 8. — Construction d'ouvrages en saillie sur les rivières et
canaux navigables. — Compétence du conseil de préfecture ;
nonobstant allégation de titres anciens et même d'un droit de
propriété.
Un arrêté du Conseil de préfecture de la Seine, en
date du 1er avril 1859, statuant sur un procès-verbal de
contravention de grande voirie, a condamné les sieurs
Langlade et Helwig à supprimer des constructions fai-
sant saillie, sur les dépendances du canal del'Ourcq, et
à payer une amende de 10 fr.
452 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Ces particuliers ont déféré cet arrêté au Conseil


d'État, pour incompétence et excès de pouvoirs, en
soutenant : que les constructions signalées comme ne
datant que de 1855 remontaient à un temps immémo-
rial ; que par suite de la longue possession ils avaient
acquis le droit de les conserver; que dans tous les cas
ils avaient soulevé une question de propriété, dont la
solution appartenait aux tribunaux ordinaires.
11 s'agissait d'une usine, dont le mur extérieur dé-

passait de 0m.l0 seulement la limite séparative des


propriétés privés et du terrain de la ville.
Le ministre des travaux publics a conclu au maintien
de l'arrêté attaqué, par le motif que la construction dont
il s'agit, loin d'avoir une existence immémoriale, ne
remontait qu'à l'année 1855; qu'ainsi il ne s'agissait
d'apprécier qu'un simple empiétement sur les dépen-
dances du canal de navigation ; contravention prévue
par la loi du 29 floréal an X.
Cette doctrine a été entièrement admise par le Con-
seil d'État qui, par l'arrêt précité, a rejeté le recours.

4 août 1866 (5r Boutillié).


N° 9. — Plantation d'arbres et de pieux sur les dépendances
d'une rivière navigable. — Compétence du conseil de pré-
fecture: maintenue dans les mêmes circonstances que dans
l'espèce précédente.
En 1863 et 1864, le sièur Boutillier avait planté
dans un bras de la rivière A'Yonne, département de ce
nom, une ligne de saules occupant une longueur de
230 mètres et enfoncé des pieux sur un déversoir for-
ENTREPRISES DIVERSES. 433
mant chemin de contre-haiage le long du bras gauche
canalisé. — Des procès-verbaux furent dressés contre
cette entreprise. Mais par un arrêté du 21 septembre
1864 le conseil de préfecture crut- devoir surseoir à
statuer, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois;
pendant lequel le sieur Boutillier devait se pourvoir
devant qui de droit; pour faire juger la question de
propriété, par lui prétendue sur le bras non navigable.
M. le ministre des travaux publics se pourvut contre
cet arrêté, en faisant remarquer que l'exception de
propriété ne devait pas empêcher le conseil de pré-
fecture de statuer sur les contraventions, commises
sur les dépendances d'une rivière navigable et dans
les limites du terrain réservé, pour le marche-pied,
aux termes de l'ordonnance de 1669.
C'est dans ce sens qu'a statué le conseil d'État (dans
son arrêt précité).

23 novembre 1865 (Cae d'Hennemont).

N° 10. — Construction de perrés empiétant sur le lit d'une ri-


vière navigable. — Entreprise pouvant être ultérieurement
autorisée mais ayant néanmois caractère d'une contravention.
La commune d'Hennemont (Morbihan) a fait éta-
blir, sur une longueur de 46 mètres, un perré en pier-
res sèches, pour protéger le talus d'un chemin vicinal
contre l'effet des hautes marées. — Ce talus se trou-
vant situé sur la rive droite du canal du Blavet, un
procès-verbal de contravention de grande voirie fut
dressé contre l'administration municipale, et par ar-
rêté du 4 novembre 1864 le conseil de préfecture la
454 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

condamna à la démolition de l'ouvrage en question


et à 16 fr. d'amende.
Ladite commune se pourvut contre cet arrêté ; en
alléguant que le perré en question se trouvait situé à
50 mètres du lit normal du Blavet; que par consé-
quent il ne constituait ni empiétement sur le domaine
public, ni obstacle au libre écoulement des eaux.
M. le ministre des travaux publics, tout en recon-
naissant qu'à raison de l'innocuité des travaux, la
commune d'Hunnemont pourrait être autorisée à les
maintenir, si elle en faisait la demande régulière, a
conclu au maintien de l'arrêté ; par le motif que le
perré en question se trouvait établi sur le lit même du
Blavet. — Il a fait observer en outre, que, pour or-
donner la démolition d'ouvrages, indûment cons-
truits sur ou le long des cours d'eau navigables, il
n'est pas nécessaire qu'ils constituent un obstacle à
l'écoulement des eaux. — Mais que par le fait seul
de leur construction, non autorisée, ils constituaient
une contravention; et cela aux termes des lois et
arrêts d'août 1669; juin 1777; 19 ventôse an VI; 29
floréal an X ; et 23 mars 1842.
C'est dans ce sens qu'a statué le conseil d'État dans
son arrêt précité.
2 juin 1869 {S 1 Carré).
JN° M.
— Osiers plantés pour consolidation d'une berge garnie
d'un perré, le long d'une rivière navigable. — Deslruction
de ces osiers par des moutons. — Délit de giande voirie. —
Amende modérée.

Les ingénieurs chargés du service de la navigation


ENTREPRISES DIVERSES. 455
dans le départementde l'Yonne avaient fait planter, sur
le territoire de Charmoy, des osiers, dans le but indi-
qué ci-dessus. Le sieur Carré ayant laissé pâturer ses
moutons en cet endroit, les osiers ont été en partie dé-
truits.— Un procès-verbal constatant le fait fut déféré
au conseil de préfecture du département de l'Yonne.
Mais celui-ci, considérant que l'art. 14 de l'arrêt

du conseil du 24 juin 1777 n'était pas applicable dans
l'espèce ; et que la loi du 29 floréal an X, ainsi que
les anciens règlements, maintenus part l'art. 29, tit. I,
de la loi du 19-22 juillet 1791 ne punissent pas d'une
amende la contravention dont il s'agit, n'a condamné
le sieur Carré qu'a la réparation du dommage et aux
frais du procès-verbal.
M. le ministre des travaux publics s'est pouvu con-
tre cet arrêté; en se fondant sur ce que les planta-
tions d'osier, faites par l'administration sur le talus
inférieur de la rivière d'Yonne, étaient de véritables
ouvrages publics, contribuant à la défense desdits talus;
mais il reconnaissait que, d'après les circonstances de
l'affaire, il y avait lieu de modérer l'amende à 1 fr.
Le Conseil d'État, après avoir visé le procès-verbal
de contravention de grande voirie, dressé à la date du
15 mai 1868; l'arrêt du conseil du 24 juin 1777; de
la loi du 23 mars 1842 ;
ce
Considérant qu'il résulte du procès-verbal ci-des-
sus visé que le sieur Carré a laissé ses moutons brou- .
ter des osiers, plantés par l'administration, dans des
perrés à pierres sèches pour défendre le talus intérieur
de la berge de la rivière d'Yonne ; qu'il suit de là qu'il
456 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

a commis une dégradation à un ouvrage public cons-


truit pour la sûreté du halage et que d'après les dis-
positions combinées de l'art. 11 de l'arrêt du conseil
du 24 juin 1777 et de la loi du 3 mars 1842, il serait
passible d'une amende de 300 fr. à 16, fr. ; —Mais
considérant qu'il nous appartient de modérer l'amende
susdite, au-dessous du minimum ; et que, eu égard
aux circonstances de l'affaire et y a lieu de la fixer à
1 fr.
ART. 1er.
— Le sieur Carré est condamné à une
amende de 1 fr. — (arrêté réformé, en ce qu'il a de
contraire à la présente disposition).

29 juin 1869 (Sr Audouin).


N° 12. — Herbes coupées dans le lit d'un cours d'eau navigable;
nonobstant un arrêté préfectoral de délimitation. — Contra-
vention de grande voirie.
Sans s'être pourvu d'aucune permission adminis-
trative, le sieur Audouin avait autorisé son fermier à
couper des herbes, dans le lit du cours d'eau dit le
Vieux-Mignon (Charente-Inférieure). Un procès-verbal
de contravention de grande voirie ayant été dressé
contre lui, le conseil de préfecture, par arrêté du 29
mai 1868, a condamné le fermier à 10 fr. de domma-
ges-intérêts et aux frais du procès-verbal. — Le sieur,
Audouin s'est pourvu contre cet arrêté; prétendant
que le Vieux-Mignon n'est ni navigable ni flottable ;
qu'en conséquence il devait être considéré comme
étant la propriété des riverains ; que d'ailleurs les
herbes avaient été coupées, non dans le lit du cours
ENTREPRIESS DIVERSES. 457
d'eau, mais sur des atterrissements dont le requérant
est propriétaire, en vertu de l'art. 538 du Code civil;
que la délimitation effectuée, en vertu de l'arrêté pré-
fectoral du 14 avril 1866, n'a pu attribuer au cours
d'eau ces atterrissements; attendu qu'il aurait ainsi
tranché une question de propriété; que d'ailleurs
cette délimitation n'a pas été faite en présence des in-
téressés et ne leur a pas été notifiée.
M. le ministre des travaux publics a demandé le
maintien de l'arrêté attaqué ; par le motif que le Vieux-
Mignon était compris au nombre des rivières naviga-
bles par l'ordonnance du 10 juillet 1835; que les
herbes ont été coupées sur des terrains qui, d'après
l'arrêté préfectoral de délimitation du 14 juin 1866,
sont compris dans le lit de cette rivière; que d'ail-
leurs ces terrains sont couverts par les eaux de plein
bords.
Après avoir visé les lois sur la matière, y compris
l'art. 538 du Code civil, le conseil d'État :
ce
Considérant'qu'il résulte des pièces jointes au dos-
sier que le Vieux-Mignon est, depuis une époque an-
cienne, un cours d'eau navigable; compris comme tel,
dans le tableau joint à l'ordonnance royale du 10 juil-
let 1835 ; et qu'aucun acte postérieur n'en a prononcé
le déclassement; que si la navigation s'est trouvée mo-
mentanément interrompue, par suite de l'ouverture
du canal du Mignon et pour le dessèchement des ma-
rais du voisinage, cette circonstance n'a pu changer
le caractère du cours d'eau ;
ce
Que si d'après le rapport ci-dessus visé de l'ingé-
458 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

nieur des ponts et chaussées, il existe dans le Vieux-


Mignon un terrain constituant un îlot, il n'est pas allé-
gué par les requérants, et il ne résulte pas de l'ins-
truction que les herbes aient été coupées sur cet îlot;
— que d'ailleurs les sieurs Audouin et David ne con-
testent pas que le terrain sur lequel la coupe des her-
bes a eu lieu est couvert par les eaux de plein bords, et
fait dès lors partie du lit du Vieux-Mignon. »
(Rejet.)
29 juin 1869 (Sr Babin).
N° 13. — Même contraven Lion ; même cours d'eau. —Décision
analogue à la précédente.
En vertu d'un autre procès-verbal de contravention,
le conseil de préfecture de la Charente-Inférieure par
arrêté du 13 mars 1868, a condamné le sieur Babin
à des dommages-intérêts montant à 10 fr. 50, pour
avoir coupé, sans autorisation, des roseaux, dans le lit
du Vieux-Mignon.
Ce particulier s'étant pourvu au contentieux contre
ledit arrêté, le conseil d'État a rejeté la requête, par
un arrêt basé exactement sur les mêmes motifs que
celui qui vient d'être cité.
CHAPITRE IV
DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.—DISPOSITIONS PARTICULIÈRES
A LA VALLÉE DE LA LOIRE.

SECTION I

SITUATION ET DISPOSITIONS SPÉCIALES.

La fréquence et l'intensité des inondations de la


Loire ou de ses affluents ont été, de tout temps, l'objet
de la sollicitude et même des préoccupations du gou-
vernement. Dès l'année 1668 une administration spé-
ciale dite des lurcies et levées avait été instituée, dans
la région la plus menacée payées inondations, et dispo-
sait d'un corps d'ingénieurs exclusivement chargés de
cette attribution spéciale. Mais ensuite une série de
dispositions réglementaires sont intervenues pour ac-
croître et développer ce service. On peut citer spéciale-
ment les arrêts et déclarations des 24 avril 1703,
25 juin 1715, 10 février 1722, 10 mars 1739, 7 septem-
bre 1755, 11 février 1763 ; 29 août et 25 novembre 1764
et 17 décembre 1772. — Ces anciennes ordonnances
ont pour objet non-seulement la navigation de la Loire
et des rivières affluentes, mais aussi un système général
de travaux tendant à atténuer la violence et les dom-
mages des inondations.
460 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

La plus importante d'entre elles est sans contredit,


celle du 23 juillet 1783, dont nous avons cité, dans le
chapitre I, seulement deux articles, se bornant à in-
terdire tous obstacles à la navigation. — Mais l'en-
semble des dispositions de cet édit, qui n'a pas moins
de 74 articles, s'étend à tout un système de conserva-
tions et de mesures prohibitives, concernant soit le
cours même du fleuve, soit les digues et ouvrages
d'art qui en dépendent.
Les principaux affluents navigables de la Loire
dont les crues contribuent à aggraver celles de la Loire
sont 1° le Loiret et le Cher, ayant leur confluent en
amont de Tours; 2° la Vienne, le Thonet et la Dive qui
ont le leur aux environs de Saumur; 3° le Loir, la
Sarthe et la Mayenne, qui se jettent dans le fleuve-en
aval d'Angers.
C'est pourquoi le titre Ier de l'édit précrité divi-
sait le cours de la Loire, ainsi que ceux de l'Allier, du
Cher et de la Vienne, et autres affluents, en cinq cir-
conscriptions, ou départements ; en prescrivant qu'il se-
rait procédé, par les ingénieurs de turcies et levées, à
la visite générale desdites rivières, et ruisseaux af-
fluents; afin de dresser les cartes, plans, estimations et
devis des travaux à faire, tant dans l'intérêt de la naviga-
tion que pour la conservation des propriétés riveraines.
En vertu du titre 11, une juridiction spéciale for-
mée des intendants et commissaires départis des gé-
néralités de Moulins, Riorn, Bourges, Orléans et Tours,
était instituée, pour connaître à l'exclusion de tous au-
tres juges, des règlements généraux et particuliers
VALLEE DE LA LOIRE. 461
concernant les ouvrages de cette nature, la police et
la liberté de la navigation.
Sous les ordres de l'ingénieur de chaque circonscrip-
tion des commis assermentés étaient chargés de veiller
surtout ce qui se rattachait à la police des rivières sus-
désignées et de dresser, en cas de contravention, des
procès-verbaux qui, après avoir été visés par l'ingé-
nieur, étaient remis aux intendants et commissaires
départis, pour être statué ainsi que de droit.
On voit par cet exposé que l'Édit de 1783 n'est pas un
simple règlement local, restreint aux mesures de police
et de surveillance, qu'il était nécessaire de prendre dans
l'intérêt de la navigation. Il a une portée plus considé-
rable ; en ce que d'une parti! s'applique à un vaste ré-
seau de cours d'eau du domaine public, comprenant
la Loire et ses affluents; mais surtout parce qu'il com-
porte certaines mesures, restrictives du droit de proprié-
té, applicables aux parties submersibles de ces rivières.
Il nous a paru nécessaire d'en donner ici une analyse
restreinte ; en citant les articles plus spécialement ap-
plicables à la matière du précédent chapitre.
Le titre III, qui ne comprend pas moins de
31 articles, traite particulièrement des conditions à
prescrire en ce qui concerne les usines, ou autres éta-
blissements, pouvant être autorisés. — L'ART. 1er
porte : ce qu'il est fait défenses à toutes personnes de
quelque qualité et condition qu'elles soient, de faire,
sans permission, aucuns moulins, forges, fourneaux,
digues, bouchis, gords ou pêcheries, ni autres 'cons-
tructions, ou établissements quelconques, sur, ou aux
462 DÉLITS EN CONTRAVENTIONS.

bords de la Loire, et des rivières y affluentes; sous les


peines portées par les ordonnances et règlements. »
— Et I'ART. 3 ajoute : « qu'il ne sera accordé de per-
missions pour lesdits établissements que par des arrêts
du conseil, rendus sur l'avis de l'intendant, et du
commissaire départi ; après qu'il aura été constaté,
par les ingénieurs des turcies et levées, que les établis-
sements proposés ne peuvent nuire au plan général,
qui aura été arrêté, pour la navigation et le flottage,
ni aux dispositions du présent arrêt. I

' Ces premières dispositions sont encore complétées

par celles des ART. 4, 5, 6, et suivants du titre précité, \


lesquels sont ainsi conçus : ;

ce
Ceux desdits moulins, pertuis, vannes, écluses, etc., |

et autres établissements quelconques, qui seront ju-


gés nuisibles à la navigation, au flottage, ou aux
ouvrages des turcies et levées seront détruits, et les f
débris enlevés aux frais des propriétaires, dans le dé-
lai de trois mois, à dater de la notification de l'arrêt du \

conseil qui l'aura ainsi ordonné; sauf à être pourvu j

à l'indemnité desdits propriétaires, s'il y a lieu, au ;

vu des titres qu'ils auront produits (ART. 4). j-

ce
11 ne pourra être établi de moulins, de quelque !

espèce qu'ils soient, qu'à 500 toises, au-dessus ou au- j'

dessous des ponts sur la Loire, et rivières y affluentes f


(ART. 5).
Défend S. M. à tous propriétaires, meuniers,
<c

maîtres de forges, leurs serviteurs, et tous autres, de


barrer, en tout ou partie, la rivière de Loire, et riviè-
res affluentes, avec pieux, piquets, pierres, terres,
VALLÉE DE LA LOIRE. 463
sables, fascines, ou autrement ; sous peine d'être les-
dits obstacles détruits et enlevés, à la diligence des
ingénieurs, commis des turcies et baliseurs desdites
rivières ; et de 500 livres d'amende, contre lesdits
contrevenants; lesquels demeureront, en outre res-
ponsables des avaries qui pourraient survenir, par
l'effet desdits empêchements (ART. 6). »
« Fait S. M. très-expresses inhibitions et défenses à
tous bateliers, radeliers, meuniers et autres, de placer
des ancres, ou piquets, sur les levées, leurs talus ou
glacis ou de se servir des arbres, plantés sur les chan-
tiers (1), pour amarrer leurs bateaux ou radeaux, avec
des cordages ou chaînes ; le tout à peine de 50 livres
d'amende (ART. 7). »
Les moulins à nef, très-nuisibles, sur les rivières,
soumises à des crus extraordinaires, étaient l'objet
d'une réglementation spéciale, formant le texte des
articles 8, 9 et 10 de l'édit précité.
En ce qui touche l'objet du présent chapitre il y a
lieu de citer, surtout, les dispositions prohibitives con-
cernant les ouvrages, ou entreprises privées, faits non
sur les rivières elles-mêmes, mais seulement sur leurs
abords ou dépendances. Or le cas qui se présente le
plus fréquemment est celui de plantations, faites sans
autorisation, sur les espaces désignés sous le nom de
grèves, chantiers ou accolins ; qui se trouvent ainsi
grevés d'une servitude spéciale, pour cause d'utilité
publique.
(1) Chantiers ou Accolins. Voir la définition de cette expres-
sion au VOCABDLAIRE placé à la fin du tome If.
464 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Elles sont comprises dans les articles ci-après.


ART. 26. — ce Ordonne S. M. que toutes les îles,
ce
îlots, chantiers, grèves, plages, accolins et autres
ce
places, qui sont actuellement plantés, sur les bords
ce
et dans le lit de la rivière de Loire, et autres y af-
ce
fluentes, seront incessamment visités par les ingé-
cc
nieurs des turcies et levées ; à l'effet de dresser des
ce
procès-verbaux de celles de ces plantations, qui
ce
pourront être conservées, en toutou en partie; ainsi
ce que de celles qui seront reconnues nuisibles à la na-
cc
vigation, aux ouvrages des turcies et levées, ou aux
ce
territoires opposés ; pour être ensuite ordonné ce
ce
qu'il appartiendra.
ART. 11.
— Dans le cas où il deviendrait indis-
e<

«
pensable de détruire et arracher lesdites planta-
cc
tions, en tout ou en partie, les propriétaires seraient
ce
contraints à ce faire, dans un délai de deux mois, à
ce
peine de 300 livres d'amende ; et d'être en outre
<c
condamnés au payement des ouvriers, etc. »
ART. 12.— ce Les propriétaires qui auront fait les.
ce
dites plantations sans y avoir été dûment autorisés
« ne pourront réclamer aucune indemnité, — à l'é-
ec
gard de ceux qui justifieront de permissions du-
ce ment
obtenues, ils remettront leurs titres pour, sur
ce
les procès-verbaux des ingénieurs, être statué ce
c<
qu'il appartiendra. »
ART. 13.
— ce
Quant aux îles, îlots, chantiers,
« grèves et accolins et autres places qui ne se trouve-
ce
raient point plantés, au moment de la publication
ce
du présent, règlement, il ne pourra y être fait
VALLÉE DE LA LOIRE. 465

te aucune plantation qu'après y avoir été autorisé par


ce
les intendants et commissaires de partis, sur l'avis
« des ingénieurs des turcies et levées. — Et dans le cas
ce
où il en serait fait sans autorisation seront lesdites
ee
plantations arrachées, de l'ordre desdits intendants
ce et
commissaires sur le rapport desdits ingénieurs,
ce aux
frais des propriétaires ; lesquels seront en ou-
« tre condamnés à 200 livres d'amende. »
Les citations et observations qui précèdent suffisent
pour donner une idée : l°de la situation exception-
nelle de la vallée de la Loire ; 2° de l'importance des
dispositions multiples de l'édit de 1783, intervenu pour
assurer la répression des abus de toute nature qui
compromettent l'intérêt général, dans cette localité.
Antérieurement à cet arrêt, un autre ordonnance
rendue dans la même forme, en date du 19 mai 1716, a
eu spécialement pour but d'interdire à qui que ce soit
de couper ou entamer, sous aucun prétexte, les levées
delà Loire. —En effet, quelques années avant cette
date, notamment en février 1716, il était arrivé que
lors des débordements de ce fleuve, des riverains, dans
l'espoir de sauver leurs maisons, ou autres propriétés,
s'étaient permis de leur propre autorité, de couper,
les levées, afin de hâter l'époque de la rentrée des
eaux dans le lit principal.
Mais dès qu'une nouvelle crue survenait, il se for-
mait alors une brèche énorme, et alors les terres des
vallées voisines ne se trouvant plus protégées étaient
exposées à de véritables désastres, qui, plusieurs fois,
ont obligé les habitants à abandonner leurs hérita-
30
466 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

ges ; et cela sur des étendues extrêmement grandes.


C'est pour prévenir un si grave abus qu'a été rendu
l'arrêt précité prohibant, d'une manière absolue,
toute entreprise ou tentative de ce genre ; et cela à
peine de 3,000 livres d'amende, — Sauf, dans le cas
d'une urgente nécessité, à obtenir de l'intendant des
turcies et levées, officiers et ingénieurs, des ordres
par écrit de ce qu'il y aurait à faire.
Diverses autres mesures législatives ou réglemen-
taires sur le même objet ont été édictées à des époques
postérieures. Les plus récentes sont :
1° Une loi du 28 juillet 1858, dont l'article 6 inter-
dit aux riverains de la Loire, et rivières affluentes,
toutes entreprises pouvant gêner le libre écoulement
des eaux, dans les parties submersibles de cette vallée;
2° Un décret du 15 août, de la même année dont
l'article 14 porte : qu'un règlement d'administration
publique déterminera les limites définitives des par-
ties submersibles, mentionnés à l'article 6, précité.

SECTION II
JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT.

2 février 1825 (Sr de Chavagnac et cons.).

N° 1. — Plantations indûment faites sur les bords de la Loire,


et nuisibles à la navigation.—Contravention de grande voirie.
— Suppression et amende.
Un arrêté du conseil de préfecture du département
de la Loire du 25 novembre 1823 a condamné le Comte
VALLÉE DE LA LOIRE. 467
de Chavagnac et le sieur Gardet, propriétaires, demeu-
rant sur le territoire de Roanne, à la suppression des
plantations par eux faites, sans autorisation, dans le lit
de la Loire et en outre chacun en deux cents francs
d'amende.
Ces particuliers ont soutenu que lesdites plantations
ne gênaient nullement la navigation et n'empiétaient
pas, d'une manière nuisible, sur le lit du fleuve.
Ils ont produit, à l'appui de cette assertion, un certifi-
cat délivré par quinze mariniers du pays.
Le directeur général des ponts et chaussées a pro-
duit des observations et documents, tendant au rejet
du pourvoi.
En présence des dispositions impératives de la loi,
le Conseil d'État ne pouvait que maintenir l'arrêté at-
taqué. Et c'est ce qu'il a fait, par son arrêt précité,
dont les considérants sont motivés ainsi qu'il suit :
ce
Vu l'arrêté attaqué, qui condamne, etc. — Vu l'or-
donnance du mois d'août 1669 ; l'arrêt du Conseil
du 23 juillet 1783; le décret du 22 janvier 1808; et
les art. 544 et 556 du Code civil;
ce
Considérant que, bien qu'aux termes de l'art. 556
précité, l'alluvion profite au propriétaire riverain, toute
propriété, aux termes de l'art. 554, est le droit de jouir
et disposer des choses de la manière la plus absolue;
pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les
lois et règlements ;
ce
Que l'arrêt du 23 juillet 1783 n'a pas été abrogé.
ce
Considérant qu'il n'est pas contesté que des plan-
tations ont été faites, sans autorisation, sur le bord
468 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

de la Loire, par les sieurs de Chavagnac et Gardet ; —


Qu'il résulte de l'instruction que lesdites plantations
sont nuisibles à la navigation; qu'ainsi sous tous les
rapports, le Conseil de préfecture a fait une juste ap-
plication du règlement du 23 juillet 1783 ; »
ART. 1er. — ce La requête des sieurs de Chavagnac et
Gardet est rejelée. — ART. 2. L'arrêté du conseil de pré-
fecture du département de la Loire est confirmé.»
Dès celte époque ancienne, le Conseil d'État n'hési-
tait pas à appliquer les mesures prescrites dans l'inté-
rêt du pays. — Mais on verra par l'examen des arrêts
cités plus loin qu'il n'entrait dans cette voie qu'en
présence de constatations établissant, de la manière la
plus positive, l'existence d'une contravention.

7 juillet 1840 (Sr delà Tullaye).


N° 2.— Empierrementet plantations effectu es sur une des îles de la
Loire. —Travaux non conformes à l'autorisation. —Con-
damnation à l'amende et à la démolition desdits travaux.
Un arrêté du préfet de la Loire-Inférieure du
21 novembre 1828 a autorisé le sieur de la Tullaye à
regarnir de pierres les chantiers accolins de l'île de
Cheirré et à faire des plantations sur la rive sud, pour
la consolider ; mais à la condition que ces jetées en
pierre et ces plantations ne pourraient être disposées
en forme d'épis et devraient suivre exactement les mê-
mes directions que celles des rives actuelles.
Le permissionnaire ne s'étant pas conformé à ces
prescriptions, la contravention a été constatée par pro-
cès-verbal du 30 juin 1837 ; et un arrêté du conseil de
VALLÉE DE LA LOIRE. 469
préfecture du 10 mars 1839 l'a condamné à la des-
truction des travaux indûment établis, et à 200 francs,
d'amende.
Le sieur de la Tullaye s'étant pourvu contre cet
arrêté, le Conseil d'État a rejeté sa demande, par son
arrêt, conçu dans des termes suivants :
Vu l'arrêté du préfet, etc. — Vu l'art. 1er de l'arrêt
du Conseil du 24 juin 1777; lés art. 13, titre II et 1er,
tit. III, de l'arrêt de Conseil du 23 juillet 1783, por-
tant règlement de la navigation de la Loire.
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les
travaux et plantations signalés au procès-verbal ont été
effectués par le sieur de la Tullaye, en dehors des li-
mites qui lui avaient été fixées ; que dès lors leur exé-
cution constitue une contravention aux dispositions
législatives ci-dessus visées, lesquelles ordonnent la
destruction des travaux et plantations non autorisés,
£t prononcent contre les contrevenants des amendes de
1,000 francs et de 2,000 francs. — Considérant toute-
fois qu'il y a lieu à raison des circonstances de l'affaire
à modérer lesdites amendes ;
ART. 1er.
— ce La requête du sieur de la Tullaye est
rejetée.
ART. 2.
— « Les amendes encourues par ce proprié-
taire sont réduites chacune à 5 francs. »
H avril 1843 (Sr Eoudet).
N° 3. — Plantations faites sans autorisation sur un bras secon-
daire de la Loire. — Suppression ordonnée, en vertu de l'ar-
rêt du Conseil du mois de juillet 1783.
Le sieur Houdet, propriétaire d'une prairie bordant
470 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

un bras non navigable de la Loire (Loire-Inférieure)


s'étant opposé à la destruction de plantations consti-
tuant un empiétement sur le domaine public et un
obstacle à l'écoulement des eaux, il fut dressé contre
lui, en date du 18 août 1842, un procès-verbal en
vue duquel le conseil de préfecture, par arrêté du
24 septembre suivant, se basant sur l'art. 13, titre II
de l'arrêt du Conseil du 23 juillet 1783, spécial à la
Loire et à ses affluents, condamna ce particulier à la
destruction des plantations indûment faites, et à une
amende de 200 fr.
Celui-ci se pourvut au Conseil d'État contre ledit
arrêté : 1° pour incompétence, attendu qu'il se pré-
tendait propriétaire, en vertu des art. 556 et 557 du
Code civil des terrains sur lesquels avaient eu lieu les
plantations; 2° au fond, en ce que les plantations dont
il s'agit ayant cru naturellement et existant depuis
plus de 30 ans, elles ne pouvaient donner lieu à aucune
condamnation.
M. le ministre des travaux publics fit remarquer
que les plantations à supprimer existaient dans un vé-
ritable bras de rivière, ayant sa sortie et sa rentrée
dans le bras principal; empruntant comme la Loire
elle-même son chemin de halage aux prairies riverai-
nes et ayant, dans les parties non envahies, des profon-
deurs d'eau assez grandes pour la navigation locale.
11 a ajouté que le conseil de préfecture avait, avec

raison, rejeté l'exception de propriété, pour statuer im-


médiatement sur la question de voirie ; qu'en fait les
prétendues alluvions réclamées par le sieur lioudet
VALLÉE DE LA LOIRE. 471

ne sauraient lui être attribuées, puisqu'elles étaient le


résultat de plantations illicites et qu'elles se trou-
vaient en deçà de la limite du fleuve fixée par un arrêté
préfectoral. — (Recours rejeté.)

13 juin 1859 et 13 déc. 1860 (Sr Marchand).

N°s 4 et Enrochements et remblais effectués sur une des


5. —
îles de la Loire, à plus de 20 mètres du lit de la rivière. —
Entreprise n'ayant pas caractère de contravention de grande
voirie. — Arrêtés annulés.

L'art. 42 de l'ordonnance d'août 1669, les art. 41


de l'arrêt du Conseil du 23 juin 1777, ainsi que l'art. 1er,
titre III de celui du 23 juin 1783, défendent, etc.
Enfin l'art. 6 de la loi du 28 mai 1842, relative à la
navigation de la Loire interdit, dans les parties sub-
mersibles de cette rivière, l'établissement d'aucune
digue, sans qu'une déclaration en ait été préalable-
ment faite à l'administration.
En présence de ces dispositions, un procès-verbal de
contravention de grande voirie dressé le 1er septem-
bre 1858, constata : que le sieur Marchand avait,
sans autorisation, fait exécuter sur une longueur"de
82 mètres et une largeur de 2 mètres des enrochements
sur la rive droite de l'île Simon, située en aval du pont
de Tours.
Le conseil de préfecture d'Indre-et-Loire a con-
damné ce propriétaire à 50 fr. d'amende et à la démo-
lition des enrochements, à moins que dans un délai
de deux mois il n'obtienne du préfet l'autorisation de
les conserver.
472 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Le sieur Marchand s'est pourvu contre cet arrêté en


se prévalant : de ce que les enrochements dont il s'agit
étant séparés du lit de la Loire par un intervalle de
plus de 20 mètres, formé de grèves à lui concédées
par l'État, ne se trouvaient ni dans ni le long du fleuve ;
seul cas dans lequel, aux termes des règlements, il eût
été assujetti à une autorisation préalable.
Le ministre des travaux publics demandait le main-
tien de l'arrêté. — Mais le Conseil d'Etat a considéré :
qu'aux termes des lois et règlements les seuls travaux
passibles d'amende et de démolition étaient ceux qui
étaient faits, sans autorisation sur, ou au bord, des
rivières et canaux navigables ; que la loi du 28 mai 1858
se bornait à interdire, sur les parties submersibles de la
vallée de la Loire, l'établissement d'aucune digue, sans
déclaration préalable. — Qu'il résultait de l'instruction
que les enrochements exécutés par le sieur Marchand
outre la distance de plus de 20 mètres qui les séparait
du lit de la Loire, ne dépassaient pas le niveau du sol
de l'île; qu'en conséquence lesdits enrochements ne
pouvaient être considérés ni comme faits au bord de
la Loire, ni comme formant une digue. Il a décidé en
conséquence que ce particulier n'avait commis aucune
contravention ; l'a renvoyé des fins du procès-verbal
dressé contre lui ; et a annulé l'arrêté du conseil de
préfecture.
A la date du 13 décembre 1860, un deuxième arrêt
du Conseil d'État a statué encore dans le même sens.
Un second procès-verbal fut dressé le 6 décembre 1858
contre le même particulier, pour avoir fait exécuter
VALLÉE DE LA LOIRE. 473

sans autorisation des remblais dans la même île de la


Loire. Ces travaux consistaient dans l'établissement
d'une banquette de 130 mètres de longueur, formée de
sable et débris de carrière, sur 3 mètres de largeur et
0m,30 de hauteur moyenne ; et dans un rechargement
analogue, aux abords de la maison existant dans cette
île. Par arrêté du l?r décembre 1859 le conseil de pré-
fecture, par application des dispositions citées plus
haut, condamna le sieur Marchand à une amende de
500 fr. et à l'enlèvement des travaux par lui exécutés.
Par les mêmes motifs que ceux invoqués dans la
première condamnationle sieur Marchand s'est pourvu
contre cet arrêté, et le Conseil d'État l'a de nouveau
renvoyé des fins du procès-verbal dressé contre lui;
en se fondant : 1° sur ce que les travaux en question
étaient exécutés dans l'intérieur de l'île, et ne contre-
venaient pas dès lors aux dispositions des lois et règle-
ments précités ; 2° sur ce qu'aucun décret n'a encore fixé
les limites définitives de la partie submersible de la
vallée de la Loire ; et que dès lors les dispositions de
l'art. 6 de la loi du 28 mai 1858 ne pouvaient recevoir
leur application dans ladite vallée.

19 décembre 1867 (Sr Bonnigal).


N° 6. — Anticipation et mise en culture d'une levée de la
Loire. — Contravention prévue par les lois et règlements. —
Condamnation.

Par arrêté du 6 juillet 1866, le conseil de préfec-


ture d'Indre-et-Loire a condamné le sieur Bonnigal à
25 francs d'amende, et au rétablissement des lieux, dans
474 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.
leur état primitif, pour anticipation et mise en cul-
ture d'une partie de la levée, rive droite de la Loire, sur
le territoire d'Amboise. — Dans son recours contre
ledit arrêté, ce particulier a prétendu : que le terrain
mis en culture était sa propriété ; que cette mise en
culture était fort ancienne, que, dans tous les cas, les
droits de l'État seraient prescrits. Il ajoutait que
l'art. 15 de l'arrêt du Conseil du 23 juillet 1783 ne
saurait être invoqué, dans l'espèce ; par le motif que
la prohibition de planter que ' renferme ledit article
s'applique seulement aux terrains situés du côté de la
campagne.
M. le ministre des travaux publics, dans ses obser-
vations, a conclu au maintien de l'arrêt attaqué, en
contestant au requérant le titre de propriétaire; qu'il
s'attribuait arbitrairement ; vu que le terrain par lui
mis en culture, faisant partie intégrante de la levée
de la Loire, dépendait ainsi du domaine public.
Le Conseil d'État, après avoir visé l'ordonnance du
19 mai 1716 et l'art. 15, titre II, de l'arrêt du Conseil
du 23 juillet 1783, la loi des 19-22 juillet 1791,
art. 20 ; les lois du 29 floréal an X et 23 mars 1842, a
motivé son arrêt en ces termes :
ce
Considérant qu'aux termes des dispositions com-
binées de l'ordonnance du 19 mai 1716, et de l'art. 15,
titre II, de l'arrêt du Conseil du 23 juillet 1783, il est
défendu de couper, ou occasionner des brèches, dans
les levées de la Loire, d'y planter des arbres ou arbus-
tes et de labourer, à moins de dix toises du pied des glacis
desdites levées, à peine de 300 livres d'amende ; outre
.
VALLÉE DE LA LOIRE. 475
la démolition des ouvrages. — Qu'il est établi par
l'instruction et qu'il n'est pas contesté que le sieur
Bonnigal a mis en culture une partie de la levée (rive
droite) de la Loire ;
ce
Considérant que ce talus fait partie intégrante de
la levée et forme une dépendance du domaine public ;
que, dès lors, le requérant a contrevenu aux lois et
règlements, sur la grande voie ; et qu'ainsi c'est avec
raison que le conseil de préfecture, par application
des dispositions précitées l'a condamné à 25 francs d'a-
mende, au rétablissement des lieux dans leur état pri-
mitif, et aux frais du procès-verbal ;
(Recours rejeté.)
7 janvier 1869 (Sr Chavigny).
N° 7. — Plantations faites sans autorisation sur des grèves dites
chantiers de la Loire ; et dépendant des bords de la rivière.
— Contravention de grande voirie.
Un procès-verbal dressé le 2 avril 1867, a constaté
que le sieur Chavigny avait fait planter des arbres sur
un terrain lui appartenant, d'une superficie d'environ
12 hectares, formant chantier de la Loire, en ne les
espaçant que d'un mètre, en contravention à un arrêté
préfectoral du 16 février précédent, qui a fixé l'espa-
cement à 8 mètres. — Le conseil de préfecture du dé-
partement du Loiret, par son arrêté du 31 juillet
même année, a décidé que ce particulier avait contre-
venu à l'arrêt du Conseil du 23 juillet 1783 et l'a
condamné à 16 francs d'amende, ainsi qu'à l'arra-
chage des arbres.
Le sieur Chavigny s'est pourvu contre l'arrêté sus-
476 DELITS ET CONTRAVENTIONS.
dit, prétendant qu'il n'a fait qu'user de son droit,
comme propriétaire ; que son terrain n'étant pas cou-
vert par les hautes eaux navigables, ne fait pas partie
du lit de la rivière et n'est assujetti qu'à la servitude
de halage ; qu'en outre son terrain n'étant pas un
chantier servant à la construction ou réparation des
bateaux, l'arrêt précité ne lui était pas applicable. -
M. le ministre des travaux publics a réclamé au con-
traire le maintien dudit arrêt ; attendu que si le ter-
rain n'est pas couvert par les hautes eaux navigables,
il rentre dans la catégorie de ceux qui sont dési-
gnés sous le nom de cliantiers de la Loire, dans l'arrêt
du Conseil du 23 juillet 1783; qu'il est dès lors assu-
jetti à la servitude établie par l'art. 13, tit. II, dudit
arrêt, en ce qui concerne les plantations.
Il a d'abord rappelé que les inondations consécutives
de 1846,1856, 1866, n'avaient que trop démontré la
nécessité impérieuse d'appliquer les dispositions ré-
glementaires ; et de réprimer les entreprises qui,
comme celles dont il s'agit, ont pour conséquences d'ag-
graver la situation des terres riveraines de la Loire, —
Puis il a produit les observations suivantes :
ce
L'arrêt de 1783 n'est pas un de ces règlements de
l'autorité administrative dont il.est question au § 15
de l'art. 471 du Code pénal, — c'est un règlement
rendu dans un intérêt général ; puisqu'il a eu en vue
d'assurer l'écoulement des eaux de la Loire, et de
prévenir ainsi les dommages des inondations. Ce rè-

glement fait aux riverains de la Loire une situation
particulière et leur impose une servitude spéciale
VALLÉE DE LA LOIRE. 477
résultant de la nature des lieux. 11 a d'ailleurs carac-
tère d'un règlement de grande voirie ; et la répres-
sion des infractions aux dispositions qu'il renferme
rentre dans la compétence des conseils de préfecture.
« Le requérant confond d'ailleurs deux ordres d'idées
distinctes, lorsqu'il argue de ce que son terrain étant en
dehors du domaine public l'arrêt préfectoral, réglant
l'espacement des plantations, est entaché d'excès de
pouvoirs. — Le Val Martinet est sans contredit situé
en dehors de la laisse des eaux, coulant à pleins bords
sans déborder ; et par conséquent, il ne fait pas par-
tie du domaine public. Mais il est compris dans la
zone submersible, et rentre ainsi dans la catégorie
des terrains dits chantiers de la Loire. A ce titre il est
soumis aux servitudes auxquelles ces terrains sont as-
sujettis par l'arrêt du 23 juillet 1783. »
Le Conseil d'Etat, après avoir visé : l'arrêt du Con-
seil, précité, les lois des 28 pluv. an VIII, 29 floréal
an X, et 23 mars 1842;
ce
Considérant qu'aux termes des art. 10,11, 12, 13
et 14 de l'arrêt du Conseil du 23 juillet, 1783 il ne
peut être fait, sans autorisation, aucune plantation sur
les îles, îlots, chantiers, grèves, plages ou accolins
et autres places dépendant du lit et des bords de
la Loire; — que le terrain sur lequel le sieur Cha-
vigny a fait des plantations sur une largeur moyenne
de 140 mètres est susceptible d'être submergé par les
crues ordinaires du fleuve ; et que, dans ces circon-
stances, ledit terrain doit être considéré comme un
chantier-de la Loire ; — qu'il résulte du procès-ver-
47S ' DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

bal de contravention ci-dessus visé, et qu'il est re-


connu par le requérant : que les plantations n'ont
pas été effectuées conformément aux prescriptions de
l'autorisation accordée ; que dès lors c'est avec raison
que le Conseil de préfecture a condamné ce parti-
culier à l'amende et aux frais du procès-verbal;
ART. 1".
— « La requête du sieur Chavigny est
rejetée. »
CHAPITRE V
CONTRAVENTIONS COMMISES SUR LES CHEMINS DE HALAGE
DES RIVIÈRES ET CANAUX NAVIGABLES.

SECTION I

LÉGISLATION ET RÈGLEMENTS.

Les dispositions législatives et réglementaires sur


ces objets sont simples, et peu nombreuses. Elles con-
sistent dans les suivantes:

Ordonnance des eaux et forêts du mois d'août 1669.

ART. 7 (tit. XXVIII). Les propriétaires des hérita-


ce

ges aboutissant aux rivières navigables laisseront, le


long des bords, 24 pieds (7m,80) au moins de.place
en largeur, pour chemin royal, et trait des chevaux;
sans qu'ils puissent planter arbres, ni tenir clôture ou
haie, plus près de 30 pieds (9m,75) du côté que les ba-
teaux se tirent; et 10 pieds (3m,25) de l'autre bord; à
peine de 500 livres d'amende, confiscation des arbres;
et d'être les contrevenants contraints à réparer et re-
mettre les chemins en état, à leurs frais. »
480 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Ordonnance du 20 février 1672. — Concernant le bassin de la


Seine.

ART. 1.— Ne
ce sera loisible de tirer terres, sables ou
autres matériaux à six toises près du rivage des rivières
navigables ; à peine de 100 livres d'amende.
ART. 2. — ce Seront tous propriétaires d'héritages
aboutissant aux rivières navigables tenus de laisser, le
long des bords, 24 pieds pour le trait des chevaux, sans
pouvoir planter arbres, ni tirer clôtures ou baies, plus
près du bord que 30 pieds. Et en cas de contraven-
tion seront les fossés comblés, les arbres arrachés, et
les murs démolis, aux frais des contrevenants. »

Arrêt du conseil du 24 juin 1777. —Applicable à la Marne


et autres rivières navigables.
ART. 2. — ce Enjoint S. M. à tous propriétaires rive-
rains de livrer 24 pieds de largeur, pour le halage des
bateaux et traits de chevaux, le long des bords de ladite
rivière de Marne, et autres fleuves ou rivières naviga-
bles; ainsi que sur les îles, où il en serait besoin, sans
pouvoir planter arbres ni haie, tirer fossé ou clôture,
plus près desdits bords que 30 pieds (9m,75) ; et où il
se trouverait aucuns bâtiments, arbres, haies et clôtu-
res, seront abattus démolis et enlevés, et les fossés com-
blés par les propriétaires, dans le délai d'un mois, à
dater de la publication du présent arrêt; à peine par
lesdits riverains, de demeurer.garants et responsables
des événements et retards ; de 500 livres d'amende ; et
d'être contraints, à leurs dépens, aux dites démolitions.
CHEMINS DE HALAGE. 481
Autorise S. M. tous voituriers par eau et mariniers

fréquentant lesdites rivières, ledit délai expiré, d'a-
battre et enlever lesdits obstacles, sur la permission
des juges qui en doivent connaître ; auxquels lesdits
mariniers seront tenus de dénoncer les ouvrages nuisi-
bles à la navigation ; et pour les dédommager de leurs
peines et dépens, les objets qu'ils auront démolis ou
abattus leur appartiendront, pour en disposer comme
bon leur semblera. »
ART. 3. — ce Ordonne pareillement S. M. à tous rive-
rains, mariniers ou autres, de faire enlever les terres,
bois, pieux, débris de bateaux ou autres empêchements,
étant de leur fait ou à leur charge, dans le lit desdi-
tes rivières ou sur les bords ; à peine de 500 livres d'a-
mende, confiscation desdits matériaux et débris; et
d'être en outre contraints au paiement des ouvriers ;
lesquels culivements, après ce délai passé, pourront
être faits, en vertu du présent arrêt par tous voituriers
par eau et mariniers. »
ART. 4. — ce Défend S. M. sous les mêmes peines, à
tous riverains et autres, de jeter daits le lit desdites ri-
vières et canaux, ni sur leurs bords, aucuns immondi-
ces, pierres, graviers, bois, paille ou fumiers, ni rien
qui puisse en embarrasser et atterrir lelit; ni rien qui
puisse en affaiblir ou modifier le cours, par aucunes
tranchées, ou autrement ; ainsi que d'y planter aucuns
pieux, mettre rouir du chanvre ; comme aussi d'extraire
aucunes pierres, terres ou sables; ou autres matériaux,
plus près des bords que six toises (12m,00). »

3i
482 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

Arrêt du conseil du 23 juillet 1783. — Applicable spécialement


à la Loire et rivières affluentes.

ART. 20 (lit. III). — ce Enjoint S. M. à tous proprié-


taires riverains de la Loire et rivières affluentes, qui
sont ou seront rendues navigables ou flottables de four-
nir, en tout temps, l'emplacement pour le halage des
bateaux, et le passage des voitures, de 24 pieds (7m,80)
de largeur; à compter du bord supérieur des berges.

Seront lesdits chemins tracés, ainsi qu'il conviendra,
par les ingénieurs des turcies et levées ; et ce à travers
toutes sortes de terrains, indistinctement. »
ART. 21. — ce Veut S. M. que lesdits propriétaires
aient trois mois, à compterdujour de la publication du
présent arrêt pour ouvrir et rendre libres, à leurs frais
et dépens, lesdits chemins, sur la largeur ci-dessus
fixée, en déracinant et enlevantles arbres, bois, buissons,
haies et autres empêchements et en comblant les trous,
passé lequel temps S. M. autorise les ingénieurs et com-
mis des turcies et levées, les baliseurs et mariniers à
faire enlever tous les obstaclesqui se trouveront sur la-
dite largeur de 24 pieds. »
ART. 22.
— Les bois, pierres et autres matériaux
qui en proviendront seront vendus, au profit de S. M.
lorsque la dépense de main-d'oeuvre et transport en
auront été faits à ses frais; et au profit des mariniers,
lorsque ce sera par eux et à leurs frais que lesdits ou-
vrages auront été faits. —Défend S. M. à tous proprié-
•>
taires d'apporter aucun trouble ou empêchements quel-
conques à l'exécution desdits travaux; à peine de 500
CHEMINS DE HALAGE. 483
livres d'amende, et même d'être poursuivis êxtraordi-
nairement s'il échet. »
ART. 23.
— ce
Les chemins de halage, fixés à 24 pieds
par l'article précédent, seront réduits à 14 le long des
murs de clôture. Mais si par suite lesdits murs ou mai-
sons, des villes, bourgs et villages, sur les bords des-
dites rivières venaient à être démolis et reconstruits,
alors il sera donné 24 pieds au chemin de halage. —
Enjoint S. M. aux propriétaires, aux entrepreneurs et
ouvriers de se conformer lors des reconstructions, à ce
qui est prescrit dans le présent article; à peine de 300
livres d'amende outre la démolition des ouvrages, et de
prison, contre les ouvriers. »

Arrêté du gouvernement du 13 nivôse, an V (2 janvier 1779).

La Révolution de 1789 ayant eu lieu peu d'années


après la date de ce dernier édit, beaucoup de person-
nes étaient disposées à croire que les prescriptions ci-
dessus, étant émanées du régime déchu, pouvaient
être considérées comme non avenues.
Aussi le gouvernement ne tarda-t-il pas à être infor-
mé qu'elles étaient très-mal exécutées ; — Que, notam-
ment sur les rivières de Seine, Aube, Yonne, et autres,
plusieurs propriétaires riverains, au mépris des lois et
règlements de police, au lieu de laisser sur leurs
héritages le passage libre pour les chevaux em-
ployés à la remonte, des bateaux,, faisaient des planta-
tions, construisaient des murs, et ouvraient des fossés,
jusqu'au bord de la berge, de manière à intercepter
484 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

le chemin de halage. Cet état de chose, qui inter-


rompait fréquemment la marche des bateaux et don-
nait lieu à de graves accidents, était très-préjudiciable
à l'approvisionnement de Paris. C'est pourquoi le
Directoire exécutif voulant faire cesser ces abus jugea
convenable de rappeler aux propriétaires riverains les
obligations à eux imposées dans l'intérêt de la naviga-
tion. L'arrêté du 13 nivôse est aussi conçu :
ART. 1er. — ccLeslois et règlements de policesur ce fait
ce
delà navigation et chemins de halage seront exé-
cc
cutés selon leur forme et teneur,
ART. 2. — ce Sont tous propriétaires d'héritages
ce
aboutissant aux rivières navigables tenus de laisser
ce
le long des bords 24 pieds (7m,80) pour le trait des
« chevaux ; sans pouvoir planter arbres, tirer clôture
ce
ni ouvrir fossé plus près du bord que 30 pieds
«
(9m,75j.
— En cas de contravention seront les fossés
ce
comblés, les arbres arrachés et les murs démolis aux
ce
frais des contrevenants ; sans préjudice des répara-
ec
tions et dommages qu'ils pourront avoir occasionnés
« par leurs entreprises, »

Code civil.

ART. 649.— ce Les servitudes, établies par la loi, ont


ce pour
objet l'utilité publique ou communale, ou Tu-
ée
tililé des particuliers.
ART. 650.
— Celles établies pour l'utilité publique
ou communale ont pour objet le marche-pied, le long
des rivières navigables ou flottables, la construction ou
CHEMINS DE HALAGE. 483
réparation des chemins; et autres ouvrages publics ou
communaux. — Tout ce qui concerne cette espèce de
servitude est régi par des règlements particuliers.
ART. 556. — ce Les atterrissements et accroissements
ce
qui se forment successivement et imperceptiblement
ce aux
fonds riverains d'un fleuve ou d'une rivière na-
«
vigable s'appellent alluvions. — L'alluvion profite
« au propriétaire riverain soit qu'il s'agisse d'une
ri-
cc
vière navigable et flottable ou non, A la charge,
ce
dans le premier cas, de laisser le marche-pied, ou che-
ec
min de halage, conformément aux règlements.

Décret du 8 janvier 1808.

ART. 1er.— Les dispositions de l'art. 7, titre XXVIII,


ce

ce
de l'Ordonnance de 1669 sont applicables à toutes les
« rivières navigables de l'Empire; soit que la naviga-
cc
lion y fût établie à cette époque, soit que le gouverne-
ce
ment se soit déterminé depuis, ou se détermine au-
ee
jourd'hui et à l'avenir, à les rendre navigables.
ART. 2.
— ce En conséquence les propriétaires rive-
ce
rains, en quelque temps que la navigation ait été,
ce ou
soit établie, sont tenus de laisser le passage libre
ce pour
le chemin de halage.
ART. 3.
— ce 11 sera payé aux riverains des fleuves ou
ce
rivières, où la navigation n'existait pas, et où elle
«s'établira, une indemnité proportionnée au dom-
« mage qu'ils éprouveront. Cette indemnité sera éva-
«
née conformément aux dispositions de la loi du
1

e<
16 septembre 1807.
486 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.
ART. 4. — ce L'administration pourra, lorsque le
ce
service n'en souffrira pas, restreindre la largeur des
ce
chemins de halage; notamment quand il y aura,
ce
antérieurement,-des clôtures en haies vives, mu rail-
ce
les, travaux d'art, ou maisons à détruire. »

Considérations générales.

Les lois et règlements qui viennent d'être cités ont


posé en ce qui touche la servitude de halage un prin-
cipe simple et d'une nécessité incontestable. Mais dans
la pratique il se présente toujours des cas particuliers,
en présence desquels la loi a besoin d'être interprétée.
— Des décisions du Directeur général des ponts et
chaussées, remontant à une date très-ancienne, avaient
déjà donné ces interprétations sur les points princi-
paux; ensuite la jurisprudence du Conseil d'État a
achevé de lever tous les doutes sur les diverses ques-
tions se rattachant à cet objet.
D'après les termes de l'art, 7 de l'Ordonnance de 1669
les propriétaires des îles, n'y étant pas mentionnés,
auraient pu se prétendre affranchis de la servitude dont
il s'agit. Mais cette obligation leur est très-explicite-
ment imposée par l'art. 2 de l'arrêt du 24 juin 1777,
qui, bien qu'ayant été motivé surtout dans l'intérêt de
la navigation de-la Marne, est déclaré applicable aux
autres rivières navigables du royaume.
Du principe que l'obligation imposée aux riverains à
cet égard ne constitue qu'une servitude, il résulte que
enfermement aux art. 697 et 698 du Code civil, celui
CHEMINS DE HALAGE. 487
à qui elle profite a droit de faire à ses frais tous les
ouvrages nécessaires pour en user et la conserver.
Ainsi, notamment, quand les riverains d'une rivière
navigable se refusent à faire l'essartage des bois et
broussailles nuisibles au service du halage, et qui
croissent naturellement dans l'espace frappé de servi-
tude. Cette opération doit être faite aux frais de l'État.
- —
Il est bien reconnu également que ladite servi-
tude est réservée exclusivement pour le service de la
navigation ; il ne peut en conséquence donner à des tiers
étrangers à ce service aucuns droits, tels que de cons-
truire des aqueducs, puiser de l'eau, etc. — (Décisions
du Directeur général des 6 mars 1820 et 22 jan-
vier 1827.)
On ne peut assujettir les propriétaires à recevoir
sans indemnité, sur les chemins de halage les matières
provenant du curage des rivières navigables. Mais
comme ces matières sont généralement recherchées
pour l'agriculture, une autre décision du 26 sep-
tembre 1827 a recommandé aux ingénieurs d'adjuger
autant que possible les travaux de cette espèce; à,
charge par l'adjudicataire d'effectuer à ses frais
l'extraction, le dépôt et le transport desdites matières.
Le lit des rivières navigables étant sujet à varier, il
pouvait résulter de cette circonstance des incertitudes
relatives à la servitude dont il s'agit. Mais une autre
décision, en date du 4 février 1821, a établi que l'es-
pace réservé, de chaque côté des rivières navigables,
pour trait des chevaux et marchepied, doit être
compté à partir du point que les eaux atteignent, lors-
488 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

que la rivière est à pleins bords, ou prêts à déborder.


Quant à l'entretien du chemin de halage, les rive-
rains ne peuvent y être contraints; puisqu'ils ont
déjà une charge assez onéreuse dans l'obligation de
fournir gratuitement dans la largeur prescrite, le ter-
rain nécessaire à l'établissement de ce chemin ; quel-
ques changements que puisse d'ailleurs subir le cours
du fleuve. — Des décisions du Directeur général, en
datedes29 octobre 1811, 15 mai 1818, et 27 juillet 1823
ont admis que si la nécessité de reculer le chemin de
halage entraînait l'obligation de détruire des arbres
ou des bâtiments, l'administration des ponts et chaus-
sées devait par mesure d'équité en payer la valeur;
pourvu que les propriétaires puissent justifier que les
plantations et bâtiments étaient originairement à la
distance prescrite.
En présence de cette instabilité dans l'assiette des
chemins de halage, les riverains débiteurs de la servi-
tude ne pourraient réclamer une délimitation par
analogie avec ce qui a lieu sur les voies de terre, en
matière d'alignements. Une circulaire du ministre des
travaux publics du 27 mai 1861 a parfaitement établi
la grande différence existant entre ces deux situations ;
elle fait ressortir : « que les règlements spéciaux de la
voirie fluviale ne mentionnent nulle part l'obligation
de demander un alignement, pour les clôtures et plan-
tations; que dès lors cette formalité n'est pas obliga-
toire; que la servitude du halage et du contre-halage
étant due dans tout état des eaux, la zone du terrain
frappée de cette servitude recule, ou avance, selon
CHEMINS DE HALAGE. 489
qu'il se produit des corrosions ou des atterrissements.»
Il résulte de là que le propriétaire riverain est tou-
jours libre de se clore, ainsi qu'il l'entend; mais en
agissant à ses risques et périls; et pourvu que la lar-
geur voulue pour le chemin principal et le marche-
pied soit toujours maintenue sur son terrain. Si, à une
époque et pour une cause quelconques, cette largeur
n'existe plus, il y a contravention de grande voirie;
et la répression doit être poursuivie, devant l'autorité
compétente.
Les lois et règlements cités, en tête de cette section
supposent le chemin de halage praticable, dans l'état
naturel du terrain soumis à cette servitude. Or il ar-
rive fréquemment que pour assurer le service de la
navigation, il est nécessaire d'y effectuer des terrasse-
ments pierres, enrochements, ou autres ouvrages.
Deux décisions du directeur général en date du
1.8 mars 1823 et 16 mars 1826 avaient déjà reconnu

que, lorsque ce cas se présente, l'État doit acquérir


moyennant une juste indemnité la propriété du che-
min. Mais qu'il était juste, dans le règlement de
celle-ci, de tenir compte de la servitude dont le terrain
primitif se trouvait déjà grevé.
Si nous avons cru devoir faire suivre la citation
des lois et règlements qui précèdent de ce petit nom-
bre de considérations générales, c'était afin d'en bien
préciser le sens. Car on ne doit pas perdre de vue que
nous n'avons pas pour objet d'entrer ici dans l'examen
général des questions multiples, se rattachant aux
chemins de halage; mais seulement de donner une
490 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

étude sommaire et spéciale, relative à la répression


des délits et contraventions, qui s'y commettent le plus
fréquemment.
A ce point de vue, rien ne pourrait suppléer aux
citations et analyses des arrêts du Conseil d'État, avec
les réflexions qui s'en déduisent naturellement;
ainsi que cela a été fait dans les précédents chapitres.
— Tel est l'objet de la section suivante.

SECTION II

JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT.

Dès l'origine de son institution le Conseil d'État du


premier Empire, rendit, notamment de 1806 à 1815 des
arrêts au contentieux, interprétant dans leur véritable
acception les textes législatifs qui viennent d'être cités.
Un certain nombre d'autres arrêts, intervenus sur
la même matière, de 1815 à 1840 ont continué ces pre-
mières traditions. Nous citerons, de préférence, les
décisions postérieures à cette dernière date ; parce que
à mesure que les applications se multipliaient, la juris-
prudence, restée invariable, se trouvait ainsi fixée sur
ses bases définitives.

§ 1. Fouilles, dépôts, anticipations, etc.

26 août 1842 (Sr Cormier).


pour extraction de pierres et sables sur le cbe-
K° 1. — Fouilles
min de balage du Cber. — Contravention à l'édit du 24 juin
1777. — Modération d'amende.
En 1841 la veuve Cormier fut traduite devant le
CHEMINS DE HALAGE. 491
conseil de préfecture d'Indre-et-Loire, pour le fait
d'enlèvement de pierres et sable, sur le chemin de
halage du Cher. — Le conseil l'a renvoyée des fins du
procès-verbal, sans condamnation; par le motif qu'elle
aurait agi par ordre du maire, dans un intérêt com-
munal.
M. le Ministre des travaux publics s'étant pourvu
contre cet arrêté, le Conseil d'État, après avoir visé
l'arrêt du conseil, du 24 juin 1777, l'a annulé par les
motifs suivants :
ce
Considérant qu'aux termes des art. 3 et 4 de l'ar-
rêt du conseil du 24 juin 1777, il est interdit d'enle-
ver aucunes pierres, terres, ou sables, ou autres ma-
tériaux, plus près que six toises du bord de l'eau des
rivières ou canaux navigables, sous peine de 500 livres
d'amende; — Considérant qu'il résulte de l'instruction
que la veuve Cormier a enlevé des terres sur le che-
min de halage du Cher, aune distance de 11 mètres
du bord de l'eau ; — qu'ainsi c'est à tort que le conseil
de préfecture ne l'a pas condamnée à 500 fr. d'amende ;

Considérant, néanmoins, qu'il y a lieu, en raison des
circonstances de l'affaire de modérer l'amende ;
ART. 1er.— L'arrêté du conseil de préfecture d'In-
ce

dre-et-Loire, en date du 31 mai 1842 est annulé.


ART. 2. — ce La dame veuve Cormier est condamnée
à 16 fr. d'amende. »
492 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

10 juin 1S57 (S? Boulanger).


N° 2. — Pas d'assimilation à faire entre un chemin de balage
et les chemins publics. — Extraction de tourbe. — Renvoi
sans condammation.

Un arrêté du préfet de la Somme, du 27 juin 1823


portant règlement général pour les tourbières, dans
cette localité, et approuvé par ordonnance royale du
17 août suivant, interdit l'extraction de ce combustible
aune distance moindre de llm,69 des rivières et che-
mins publics.
Le sieur Boulanger ayant pratiqué une fouille pour
cet objet, à proximité du chemin de halage de la ri-
vière d'Avre, le conseil de préfecture, par arrêté du 30
août 1855, l'a condamné à 100 fr. d'amende, et à rem-
blayer l'excavation par lui pratiquée ; comme se trouvant
à une distance moindre dudit chemin de halage.
— Mais, sur le recours de ce particulier, le Conseil
d'État l'a renvoyé des fins du procès-verbal dressé
contre lui, et annulé l'arrêté précité; en se basant sur
ces motifs:
e<
Que l'extraction des tourbes faite par le sieur Bou-
langer n'avait pas eu lieu à une distance de la rivière
d'Avre moindre de llm,69 et qu'il n'est pas établi
qu'elles aient eu pour effet d'occasionner les dégrada-
tions au chemin de halage ; — que dès lors elles ne
constituaient pas une contravention de grande voirie,
et qu'ainsi le conseil de préfecture n'était pas compé-
tent pour en connaître.
(Arrêté annulé.)
CHEMINS DE HALAGE. 493

29 février 1863 (Sr Fourcade).


N° 3. — Dépôts autorisés, sur les bords de la Seine. — Contra-
vention aux clauses de la permission. — Condammalion. —
Modération de l'amende.

Le sieur Fourcade propriétaire d'une fabrique de


produits chimiques, située à Javel près Paris, a été auto-
risé le il oct. 1857 à déposer les résidus de sa fabrique
au pied de la rampe qui donne accès à sa propriété;
à la condition d'étendre ces dépôts en glacis sur 10 mè-
tres de largeur, et suivant une pente déterminée. —
Ces dispositions ayant été outrepassées, un procès-ver-
bal de contravention de grande voirie a été dressé
contre le sieur Fourcade et le conseil de préfecture,
par arrêté du 12 août 1861, l'a condamné à une amende
delOO fr., outre le paiement d'une somme de3,626fr.,
à titre de dommages, pour frais des réparations à faire
à la berge de la rivière.
Le sieur Fourcade s'est pourvu contre cet arrêté en
soutenant : que les dépôts par lui effectués n'avaient
causé aucun dommage appréciable, à la berge de la ri-
vière ; qu'ils en auraient, au contraire, facilité l'accès.
Il a demandé en conséquence à être déchargé de la
condamnation prononcée contre lui; et subsidiaire-
ment, une expertise, qui aurait pour but de constater
l'étendue du dommage à lui imputé.
M. le ministre des travaux publics concluait au rejet
du pourvoi, en se basant sur ce que, d'après le procès-
verbal précité, le gazon qui protège les berges de la
Seine avait été détruit, en plusieurs endroits, sur une
494 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.
longueur totale de 1,422 mètres et que pour rétablir
les lieux dans leur premier état il y avait à supporter
une dépense de 3,626 fr.
Le conseil d'État, après avoir visé l'arrêt du conseil
du 25 juin 1777 et la loi du 29 floréal an X, a reconnu
qu'en effet le sieur Fourcade avait effectué des dépôts
occupant une largeur de 20 mètres sur une hauteur
de 2 à 3 mètres; que dès lors la contravention était
évidente et que le Conseil de préfecture l'avait, avec
raison, condamné à l'amende.
Mais considérant qu'il n'était pas établi que les dé-
pôts en questions aient causé aux berges de la Seine
un dommage appréciable; le conseil par son arrêt, du
26 février 1863, a modéré l'amende à 25 fr. et annulé
là disposition de l'arrêté condamnant le sieur Fourcade
au paiement d'une somme de 3,626 fr.

4 août 1864 [Sr Frontault).


N° 4. — Dépôts de pierres effectués dans le lit de la Sarthe et
sur le chemin du halage. — Condamnation. — Modération de
l'amende.
Par un arrêté du 24 avril 1863 le conseil de pré-
fecture de la Sarthe avait condamné le sieur Frontault
à une amende de 100 fr. en vertu d'un procès-verbal
de contravention de grande voirie, dressé contre lui
le 12 juillet 1862, pour le fait d'un dépôt de pierres,
effectué par ce particulier tant dans le lit de la rivière
que sur une partie du chemin de halage. — Le sieur
Frontault s'est pourvu devant le Conseil d'État, en
demandant, d'abord l'annulation dudit arrêté qu'il re-
CHEMINS DE HALAGE. 493
présentait comme mal fondé, puis ensuite seulement
la modération de l'amende.
Par l'arrêt précité le conseil, après avoir visé les arrêts
du Conseil d'août 1669 et juin 1777, les lois du 28
pluviôse an VIII et 29 floréal an X, et celle du 23 mars
1842, a décidé : que le fait qui avait donné lieu au pro-
cès-verbal constituait une contravention aux disposi-
tions de l'art. 3 de l'arrêt du conseil, du 24 juin 1777;
que dès lors le conseil de préfecture l'avait dûment
condamné à enlever le dépôt de pierres, à une amende
et aux frais. — Mais qu'en vertu des circonstances
particulières de l'affaire il y avait lieu de réduire cette
amende à 5 francs.

17 janvier 1867 (Sr Orban et cons.).


i\'°5. — Chemin de halage de la Marne, labouré au droit de
trois héritages. — Contravention de grande voirie. — Modé-
ration d'amende.
Trois procès-verbaux, dressés en août et septembre
1865 par un des gardes de la navigation de la Marne,
département de ce nom, ont constaté que le sieur
Orban-Lemaire et deux autres propriétaires avaient
labouré le chemin de halage, sur une certaine lar-
geur, au droit de leurs héritages. — Mais le con-
seil de préfecture, par trois arrêtés du 16 janvier
1866, avait renvoyé ces particuliers sans condamnation.
M. le ministre des travaux publics se pourvut contre
ces arrêtés; en faisant remarquer : que, par le fait,
ces propriétaires avaient anticipé sur la largeur du
chemin, qui aux termes des lois et règlements doit
496 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

avoir au moins 7m,80, pour trait de chevaux. —


Qu'ainsi c'est à tort que le conseil de préfecture avait
considéré le fait reproché aux susnommés comme ne
constituant pas une contravention de grande voirie.
Mais qu'en raison des circonstances de l'affaire il y
avait lieu de modérer l'amende à 25 fr. ; minimum
autorisé par la loi du 23 mars 1842.
Le sieur Orban a produit un certificat du maire
duquel il résulterait : que par suite du niveau de la
rivière en temps de basses eaux, les chevaux employés
au halage se seraient frayé un passage plus bas, dans
des oseraies lui appartenant.
Le Conseil d'Etat, après avoir visé les procès-verbaux
précités et les lois sur la matière, a annulé les trois
arrêtés du conseil de préfecture; en réduisant à 16 fr.
l'amende encourue, par chacun des contrevenants.

§ 2. Constructions, clôtures, etc.


juillet 1842 (Sr Pommerai).
•IS

i\;° 0. — Construction d'un mur, anlicipant sur la largeur du


chemin du halage du Rhône. — Condamnation.

D'après le procès-verbal dressé le 30 septembre


1837 par un agent des ponts et chaussées du dépar-
tement du Rhône, il a été constaté : que sur la pro-
priété du sieur Pommerol, riveraine du fleuve, se
trouvait un mur, récemment construit par le sieur
Parrat, précédent propriétaire, et réduisant à 2m,S0, au
plus, la largeur du chemin de halage, pendant les
eaux ordinaires. Ce particulier prétendait, sans tou-
CHEMINS DE HALAGE. 497
tefois en fournir la preuve : que le sieur Parrat, son
beau-père, avait originairement construit ce mur, à
la distance voulue par les règlements ; mais que le
Rhône ayant corrodé sa rive avait ainsi réduit la lar-
geur du chemin de halage.
Par arrêté du 14 février 1840 le conseil de préfec-
ture des Bouches-du-Rhône a renvoyé le sieur Pom-
merol des fins de ce procès-verbal; par le motif qu'en
admettant que la contravention fût constante, elle re-
montait à une époque où ce particulier n'était pas
propriétaire de l'immeuble.
M. le Ministre des travaux publics s'est pourvu
contre cet arrêté en soutenant que le sieur Pommerol
se trouvait sans doute à l'abri d'une condamnation à
l'amende, mais non de la réparation civile. Et le Con-
seil d'État a statué en ces termes :
« Considérant qu'aux termes de l'art. 7, tit. XXY1II
de l'Ordonnance de 1669 les propriétaires d'héritages
aboutissant aux rivières navigables doivent laisser
libre, pour le chemin de halage, un espace de 24 pieds
le long du bord desdites rivières ; sans pouvoir, sous
la même peine, tenir clôture, ou haie, plus près que
30 pieds, du côté que les bateaux se tirent et 10 pieds,
de l'autre bord; — que, dès lors, les constructions
effectuées sur les chemins de halage constituent, tant
que lesdites constructions subsistent, des infractions
permanentes,, dont la répression, malgré le change-
ment de propriétaire, peut et doit être poursuivie,
dans l'intérêt toujours subsistant de la navigation ;
« Considérant qu'il résulte de l'instruction, qu'il
32
498 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS,

existe, sur la propriété du sieur Pommerol, un mur


construit par le sieur Parrat, précédent propriétaire,
et qui réduit à 2m,50 la largeur du chemin de halage
du Rhône ; — qu'ainsi c'est à tort que le conseil de
préfecture a renvoyé le sieur Pommerol des fins du
procès-verbal dressé contre lui, par le motif qu'à l'é-
poque où la contravention a été commise il n'était pas
propriétaire de l'immeuble, sur lequel elle a eu lieu ;
« ART. 1". —
L'arrêté du conseil de préfecture du
Rhône du 14 février 1860 est annulé.
« ART. 2. — Le sieur Pommerol sera tenu de sup-
primer dans le mois qui suivra la notification de la
présente ordonnance la partie du mur dont il s'agit,
située à moins de 9m.7S de la rive du Rhône; faute
de quoi il y sera pourvu administrativement, à ses
frais. »

13 décembre 1866 (Sr Bmn).


,N° 7.
— Hangars et palissades établis de manière à intercepter
le passage, le long d'une gare d'eau dépendant de la Saône.
— Contravention de grande voirie.
Un procès-verbal dressé, le 20 octobre 1864, par un
agent des ponts et chaussées, a constaté que le sieur
Brun, marchand de bois, dans la commune de Saint-
Laurent-les-Mâcon avait intercepté, par des hangars
et palissades, le chemin de halage de la Saône sur une
étendue de 34 mètres environ le long de la gare d'eau,
existant en cet endroit. — Par arrêté du 27 avril 1868,
le conseil de préfecture du département de l'Ain a
renvoyé le sieur Brun des fins dudit procès-verbal
CHEMINS DE HALAGE. 499
parle motif, qu'il n'était pas suffisamment établi que
cette gare fût une dépendance de la Saône.
M. le Ministre des travaux publics s'est pourvu
contre cet arrêté, dont il a demandé l'annulation ;
attendu que la gare d'eau dont il s'agit fait partie
intégrante du lit de la rivière ; et qu'elle sert à la na-
vigation puisque les bateaux s'y réfugient pendant
les glaces et y reçoivent des réparations; que dès lors
il y avait lieu de condamner le sieur Brun à une
amende et à l'enlèvement des constructions qu'il avait
indûment élevées. Il a ajouté : que l'utilité d'un libre
passage en cet endroit ressort du seul aspect des lieux;
enfin qu'elle est également établie par les nombreuses
réclamations produites depuis son interruption. —
Le sieur Brun a produit un mémoire en défense
où il cherchait à établir : que le halage propre-
ment dit s'exerçant sur la rive opposée, il ne pouvait
être tenu qu'à l'obligation de laisser la largeur de
3m,25, qui est celle du marchepied, ou contre-ha-
lage.
Le Conseil d'Etat après avoir visé : 1° le plan des
lieux, avant et après les constructions de la gare de
Saint-Laurent; 2° un acte de vente par l'Etat à ladite
commune, du terrain où sont situées les constructions
du sieur Brun, dans lequel il est stipulé : « qu'il ne
pourra être fait de construction permanente de nature
à gêner l'accès du port, sur aucun des points de la
surface concédée ; 3° l'ordonnance des eaux et forêts de
1669 ; l'arrêt du Conseil du 24 juin 1777 ; l'art. 29 de
la loi des 19-22 juillet 1791 ; la loi du 29 floréal an X,
300 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

et celle du 23 mars 1842, a rendu son arrêt en ces


termes :
« Considérant qu'il est établi, par le procès-verbal
ci-dessus visé, que le sieur Brun a établi le long de la
gare d'eau de Saint-Laurent, des hangars et palissades
qui interceptent le passage, au bord de cette gare, sur
une longueur de 34 mètres environ ; — que celte gare
est une dépendance de la rivière de Saône, qui est
navigable en cet endroit; que dès lors, d'après les dis-
positions de l'arrêt du Conseil du 24 juin 1777, le che-
min de halage doit être réservé sur ses bords; —Con-
sidérant d'ailleurs qu'en vendant à la commune de
Saint-Laurent le terrain sur lequel le sieur Brun a
élevé ses hangars et palissades, l'Etat a stipulé qu'au-
cune construction de nature à gêner le libre accès du
port ne pourrait y être établie ; — que dans ces cir-
constances c'est à tort que le conseil de préfecture n'a
pas condamné ce particulier à une amende et à l'en-
lèvement de celles de ses constructions qui intercep-
tent le halage ; — Considérant qu'en raison des cir-
constances de l'affaire il y a lieu de modérer l'amende;
ART. 1er.
— L'arrêté ci-dessus visé du conseil de
préfecture de l'Ain du 27 avril 1865 est annulé.
ART. 2.
— Le sieur Boun est condamné à une
amende de 28 francs et à la suppression, dans les
dix jours qui suivront la notification du présent décret,
de ceux de ses ouvrages qui interceptent le halage. »
CHEMINS DE HALAGE. 501

19 mars 1868 (Sr Coullon).


N° 8. — Clôture en treillages établie à moins de 9m,7S (30 pieds)
du bord d'un des bras navigables de la Marne. — Condam-
nation.

Par arrêté du 12 décembre 1866 le conseil de pré-


fecture de la Seine, statuant sur uii procès-verbal
dressé par un agent des ponts et chaussées, a con-
damné le sieur Coullon, constructeur de bateaux à
Joinville-le-Pont, à démolir une clôture qu'il avait
établie le long de la rive droite du bras secondaire de
la Marne, à moins de 9m,7S de la crête de la berge de
cette rivière, et à une amende de 80 fr. — Ce parti-
culier s'est pourvu contre ledit arrêté, dont il a de-
mandé l'annulation, en prétendant : que les riverains
du bras droit de la Marne ne seraient tenus qu'à la
servitude du marchepied; vu que la rivière ne pouvait
être considérée comme navigable en cet endroit ; et
qu'il ne s'agissait dès lors que de maintenir l'espace
libre pour le passage des mariniers. — M. le Ministre
des travaux publics a demandé le maintien de l'arrêté
attaqué.
Le Conseil d'État, après avoir visé les lois sur la
matière et l'ordonnance du 10 juillet 1835, a rejeté le
recours, en se basant sur les motifs suivants :
« Considérant qu'il résulte de
l'instruction que le bras
droit de la Marne, formé par l'île de Fanac, est navi-
gable, et que c'est sur la rive occupée par le sieur
Coullon que se fait de halage; — Que, dès lors, aux
termes de l'édit du mois d'août 1669, ce particulier
502 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

est tenu de laisser le long des bords un chemin de 24


pieds, sans pouvoir planter arbres, ni tenir clôture,
plus près que 30 pieds (9m,78), du côté que les bateaux
se tirent ; — Que l'arrêté du préfet de la Seine, du
7 avril 1834 n'a pas eu pour objet d'établir une nou-
velle navigation dans le bras droit dont il s'agit ; que
d'ailleurs, même dans ce cas, le sieur Coullon n'en
serait pas moins tenu de laisser ce passage, pour le
chemin, sauf l'indemnité prévue par l'art. 3 du décret
du 22 janvier 1808; et relativement à laquelle il n'a
formé aucune demande.
« Considérant que par son arrêté du 14 novem-
bre 1864, le Préfet de la Seine a déterminé l'aligne-
ment à suivre par le sieur Coullon, pour rétablisse-
ment d'une clôture, dont la distance lui a été indiquée
à 9m,75 de la crête de la berge de la rivière; tandis
qu'il est constaté par le procès-verbal ci-dessus visé
que ladite clôture en treillage, établie au droit de la
propriété du sieur Coullon, n'en est distante, vers l'a-
mont, que de 8m,80. —Que ce fait constitue une con-
travention aux lois et règlements ; et que, dès lors,
c'est avec raison que le conseil de préfecture a con-
damné le sieur Coullon à 50 fr. d'amende et à la démo-
lition de sa clôture. »
(Recours rejeté.)
Il a été dit au commencement de ce chapitre que
l'administration ne donnait pas d'alignements sur les
chemins de halage. Dans l'espèce ci-dessus la demande
en avait été faite par le sieur Coullon ; et si le préfet
y a obtempéré, c'est que, d'après la fixité des berges de
CHEMINS DE HALAGE. 303
la rivière, en cet endroit, il n'y avait aucune proba-
bilité que son cours pourrait s'y trouver modifié.

§ 3. — Plantations.

1S juin 1842 (Sr Dupuch).


X° 9. — Suppression de plantations faites sans autorisation sur
les bords d'une île de la Dordogne. —Règlement spécial. —
Rejet de la demande en indemnité.

Le sieur Dupuch possédait sur la rive droite de la Ga-


ronne (Haute-Garonne) un domainedontdépenduneîle.
Dans les hautes eaux la navigation peut s'effectuer dans
le petit bras, mais dans les basses eaux elle n'est pos-
sible que dans le plus grand. Des arbres dont l'île était
couverte s'opposaient à ce que les bateaux suivant ce
dernier bras pussent être halés de la rive droite. On
les halait alors de la rive gauche de l'île ; rive dont le
sieur Dupuch avait été obligé, en 1835, de couper les
arbres. Mais comme il résultait de là un retard pour
la navigation, l'administration reconnut qu'il y avait
lieu d'exiger la coupe de tous les arbres de l'île. —
Le sieur Dupuch, malgré ses réclamations et l'offre
qu'il fit d'exécuter certains travaux, ne put obtenir le
retrait de cette décision, qui fut exécutée d'office
en 1847.
Ce particulier forma alors, devant la juridiction
compétente, une demande en indemnité. Son droit
n'étant pas d'abord contesté, en principe, des experts
furent nommés, conformément à la loi, et évaluèrent
l'indemnité demandée à la somme de 1,800 fr. —Mais
304 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

par arrêté du 31 juillet 1838, le conseil de préfecture


n'accorda que 800 fr.
M. le Ministre des travaux publics s'est pourvu con-
tre cet arrêt, par le motif que l'île du sieur Dupuch
n'avait pu être plantée sans contrevenir aux dispo-
sitions de l'arrêt du conseil, du 31 août 1728, spécial
à la rivière de la Dordogne, dont l'art. 28 porte : « que
ceux qui auront mis des plants d'arbres ou-autres em-
pêchements, nuisibles au cours de l'eau, sans titres,
permission ou privilège, seront tenus de les ôter,
dans les trois mois du jour de la signification du pré-
sent arrêt, à peine de 800 livres d'amende, et de dom-
mages-intérêts. » — En conséquence M. le Ministre a
soutenu qu'aucune indemnité n'était due pour l'aba-
tage des plantations dont il s'agit.
Le Conseil d'Etat, adoptant cette doctrine, a annulé
l'arrêté du conseil de préfecture, en se basant : 1° sur
les termes de l'arrêt précité ; 2° sur ce que le sieur
Dupuch n'excipait d'aucune autorisation, en vertu de
laquelle auraient été plantés les arbres qui venaient
d'être abattus, pour la conservation du halage, sur
la rive droite de la Dordogne ; 3° sur ce que dès lors
aucune indemnité n'était due à ce propriétaire.
24 juillet 1843 (Sr Smetz et cons.).
N° 10. — Plantations anciennes faites le long d'un chemin de
halage de la Scarpe. — Distance devenue insuffisante, par suite
.
des corrosions de la rivière. — Condamnation prononcée,
aux termes des lois et règlements. — Prescription acquise
relativement à l'amende.
Des procès-verbaux avaient été dressés en décembre
CHEMINS DE HALAGE. 503
1842, contre quatorze propriétaires riverains de la
Scarpe, département du Nord, par "le motif qu'à la
suite des corrosions de cette rivière des plantations,
qui étaient primitivement à la distance voulue, ne s'y
trouvaient plus et anticipaient sur la largeur légale
du chemin de halage,, fixée par un arrêté du préfet,
en date du 6 prairial an XI, à 7m,00 à partir de l'a-
rête intérieure des digues de ladite rivière.
Le conseil de préfecture, dans son arrêté du 23 oc-
tobre 1843, avait renvoyé ces particuliers sans con-
damnation, en se basant sur ces motifs : que les plan-
tations dont il s'agit paraissaient être d'une époque
ancienne, les riverains en ayant eu, jusqu'à ce jour,
la jouissance paisible; qu'on devait en conclure qu'elles
avaient été faites à la distance voulue par les règle-
ments; que si, aujourd'hui, elles ne se trouvaient plus
à cette distance, on ne devait attribuer ce fait qu'à l'en-
vahissement des eaux, pouvant [d'ailleurs résulter des
travaux de canalisation, entrepris récemment, pour
la régularisation du lit de la rivière; mais que l'on ne
saurait, aux termes des articles 697, 698 et 702 du
Code civil, en rendre responsables les propriétaires
riverains ; puisque c'était à celui à qui est due la ser-
vitude, et non à celui qui la supporte, à veiller à la
conservation de cette même servitude.
Ce principe, qui aurait été vi-ai, au point de vue du
droit civil, ne pouvait prévaloir devant le Conseil d'E-
tat, d'après les règles applicables au domaine public.
— En effet l'arrêté susdit ayant été l'objet d'un pour-
voi de la part de M. le Ministre des travaux publics,
306 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

a été annulé par l'arrêt précité; lequel, après avoir


visé l'ordonnance de 1669, le décret du 22 janvier
1808, l'arrêté réglementaire du 6 prairial an XI, et la
loi du 29 floréal an X, a considéré : que les arbres et
haies, appartenant aux sieurs Smetz et consorts se
trouvant à moins de 7 mètres de l'arête intérieure du
bord de la rivière, le conseil de préfecture aurait dû
en ordonner l'enlèvement; — Mais que le fait d'avoir
planté lesdils arbres et haies étant de plus d'une année
antérieur à la constatation delà contravention, l'action
publique à l'égard de l'amende encourue se trouvait
prescrite.
En conséquence ledit arrêt s'est borné à prescrire,
dans son art. 2 : « que les contrevenants seraient
tenus, dans le mois qui suivra la notification, d'en-
lever les arbres et haies signalés aux procès-verbaux,
dans la limite de 7 mètres comprise à partir de l'arête
intérieure des rives de la Scarpe ; faute de quoi il y
serait pourvu à leurs frais. »
La décision ci-dessus confirme ce qui a été dit pré-
cédemment, à savoir : que le chemin de halage est dû,
soit que le riverain profite d'une alluvion, soit que son
terrain ait subi une corrosion.
En ce qui touche la délimitation de la largeur
légale du chemin de halage, un autre arrêt du 14 mars
1848 (sieur Holagray) avait déjà décidé : qu'elle doit
partir non du bas de la berge ou du point auquel
s'arrêtent les eaux basses ou moyennes, mais de l'a-
rête supérieure des talus, ou digues de la rivière.
En effet cette arête, qui fixe.la délimitation du
CHEMINS DE HALAGE. S07
fleuve, coulant à pleins bords, est la seule limite qu'il
convient d'adopter, pour qu'en tout temps, le che-
min de halage puisse conserver la largeur effeclive-
qui lui est attribuée par les lois et règlements.

§ 4. — Circulation avec chevaux et voitures, ou


bestiaux.

20 juillet 1839 (Sr Lombard).


N° H.
— Circulation d'un traîneau attelé d'un cheval, sur la
digue d'une rivière canalisée. — Contravention. — Modéra-
tion d'amende.

Un procès-verbal de grande voirie a été dressé en


septembre 1888 contre le sieur Lombard pour avoir
fait circuler sur l'une des digues de la Scarpe (dépar-
tement du Nord) un traîneau attelé d'un cheval. —
Le 17 décembre de la même année le conseil de pré-
fecture s'est déclaré incompétent; par le motif que le
fait incriminé n'ayant causé ni dommage à la digue,
ni obstacle à la navigation ou au halage, il n'en résul-
tait pas une contravention de grande voirie, mais une
simple infraction à un arrêté préfectoral du 28 avril
1886, portant règlement de police, pour la navigation
sur les canaux et rivières du département; infraction sur
laquelle il n'appartenait pas au conseil de préfecture
de statuer.
M. le Ministre des travaux publics s'est pourvu
contre cet arrêté.
Le Conseil d'Etat, après avoir visé, outre l'arrêté
précité, l'arrêt du conseil du 24 juin 1777, les art. 29
508 DELITS ET CONTRAVENTIONS.
et 82 de la loi des 19-22 juillet, 1791, puis les lois du
29 floréal an X et 23 mars 1842, a rendu son arrêt en
ces termes :
« Considérant, sur. la compétence, qu'aux termes de
l'art. 6, titre VI, de l'arrêté préfectoral du 28 avril
1886, il est interdit de circuler sur les digues de la
Scarpe, soit à cheval soit avec voiture; Que cette

défense a été faite, en exécution de l'arrêt du con-
seil du 24 juin 1777, à l'effet d'assurer la conservation
des digues et ouvrages d'art, ainsi que la liberté de
la navigation;
« Que, par suite, les infractions à cette défense
constituent des contraventions de grande voirie, sur
lesquelles il appartient aux conseils de préfecture de
statuer; aux termes de la loi du 29 floréal an X; —
Que, dès lors, le conseilde préfecture du Nord a mé-
connu ses pouvoirs, en se déclarant incompétent,
pour statuer sur ce procès-verbal;
« Au fond, considérant qu'il résulte de l'instruction
que le sieur Lombard a fait circuler, sur les digues de
la Scarpe, un traîneau attelé d'un cheval; —Que ce fait
prévu par l'arrêt du 24 juin 1777 constituait une con-
travention de grande voirie; et que, dès lors, le conseil
de préfecture devait en ordonner la répression ;
« Considérant que, d'après les dispositions combi-
nées dudit arrêt et de la loi du 23 mars 1842, le sieur
Lombard était passible d'une amende de 16 à 800 fr.,
mais qu'en raison des circonstances de l'affaire il y a
lieu de modérer l'amende encourue.
« ART. 1". — L'arrêté du conseil de préfecture du
CHEMINS DE HALAGE. 309
Nord, du 17 décembre 1888 est annulé. — AUT. 2.
Le sieur Lombard est condamné à une amende de
5 francs. »
Voir, dans le même sens, un arrêt du 2 février
4889 (Saint-Chanès), — espèce dans laquelle il s'agis-
sait d'une circulation de bestiaux.

19décembre 1867 (5r Perrault).


N° 12. — Circulation d'une voiture attelée d'un cheval, sur le
chemin de halage de la Seine. — Condamnation réduite à la
réparation du dommage.
Un procès-verbal du 20 décembre 1866 a constaté
que le sieur Perrault, meunier à Chatou, avait fait
circuler, sans autorisation, une voiture attelée d'un
cheval, sur le bras de dérivation de la Seine vers
Marly. —Par arrêté du 1er février 1867, le con-
seil de préfecture du département de Seine-et-Oise
a renvoyé ce particulier des fins du procès-verbal,
par le motif que celui-ci n'aurait pas été enregistré
dans les trois jours de sa date.
M. le Ministre des travaux publics s'est pourvu
contre ledit arrêté, en faisant remarquer d'abord
qu'aucune disposition législative ne prescrivait à peine
de nullité l'enregistrement, dans les trois jours de
leur date, des procès-verbaux de contravention de
grande voirie; et qu'il y avait lieu de condamner le
sieur Perrault à la réparation du dommage.
Le Conseil d'Etat, après avoir visé les lois sur la ma-
tière et l'art. 19 de la loi du 30 mai 1851 sur la police
du roulage, a rendu son arrêt en ces termes :
510 DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.

« Considérant que le fait reproché au sieur Perrault


constituait une contravention à la police de la naviga-
tion. — Qu'aucune disposition législative ne prescrit à
peine de nullité, etc. (comme ci-dessus). — Que dès
lors, notre ministre est fondé à soutenir que c'est à
tort que le conseil de préfecture a prononcé la nullité
du procès-verbal ci-dessus visé ; et à demander qu'il
soit statué sur la contravention constatée audit procès-
verbal.
« Considérant qu'en raison du fait qui lui est re-
proché, le sieur Perrault serait passible, en vertu des
dispositions précitées, d'une amende de 16 à 300 fr. et
à la réparation des dommages ; — Mais que notre Mi-
nistre des travaux publics se borne à réclamer la répa-
ration des dommages, évalués à 1 mètre cube de pierres ;
et que cette évaluation.n'est pas exagérée ;
ART. 1"
— L'arrêté du conseil de préfecture de
Seine-et-Oise du 1er février 1867 est annulé. —ART. 2. "

Le sieur Perrault est condamné à la réparation des


dommages évalués à 1 mètre cube de pierres, et aux
frais du procès-verba 1.»
CHAPITRE VI
DELITS ET CONTRAVENTIONS. — SUBORDONNÉS. LA DELIMI-
TATION PRÉALABLE DU LIT DE LA RIVIÈRE.

SECTION I
OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

Ce sujet semblerait, au premier abord, ne rentrer


que d'une manière indirecte dans l'objet du livre VI,
du présent ouvrage ; et cependant, il s'y rattache es-
sentiellement; attendu que pour tout ce qui touche
aux fouilles, dépôts, plantations, constructions, etc.,
faites sur les bords des cours d'eau du domaine pu-
blic, l'existence de la contravention se trouve mise en
question, du moment où il peut être élevé un doute
sur les limites réelles du lit de la rivière.
Or, sur ce point fondamental, il existe une règle pré-
cise et positive, qu'il ne s'agit que d'observer ; et dès
qu'on cessera de le faire, on tombera dans une incer-
titude, pouvant amener une série interminable de
contestations.
Cette règle a été indiquée plus haut, page 487, dans
le précédent chapitre, traitant des contraventions com-
mises sur les chemins de halage. Nous y avons rap-
pelé que, dès le 4 février 1821, une décision du
directeur général des ponts et chaussées posait en
512 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.

principe, qu'on devait adopter, comme règle de déli-


mitation, la hauteur des eaux, coulant à pleins bords,
« au moment où elles vont déborder. »
Cette règle n'est point arbitraire; elle résulte de la
nature même des choses, et a été adoptée de tout
temps. On la trouve écrite en ces termes dans la loi
romaine :

« Ripa ea putatur esse quse plenissimum flumen continet (1). »

Tous les auteurs anciens ont donc admis que les


limites d'une rivière navigable étaient déterminées
par les lignes que tracent, sur les terres riveraines, les
plus hautes eaux, sans débordement.
Nonobstant cette sage tradition, on a essayé de sou-
tenir, dans ces derniers temps, que cette limite pou-
vait paraître excessive ; et qu'il serait plus équitable
d'admettre, dans l'intérêt des béritagesriverains, la
hauteur moyenne du fleuve. — De 1842 à 1860, di-
divers arrêts de Cours d'appel tendraient à se rattacher à
cette doctrine. Mais comme elle substitue une défi-
nition vague à une définition précise, elle ne saurait
prévaloir. Aussi, n'a-t-ellé jamais été admise; ni par
le Conseil d'Etat, ni même par la Cour de cassation.
On doit donc considérer comme un point désormais
hors de discussion que la question, d'ailleurs si im-
portante, de la délimitation du lit des rivières navi-
gables ne peut se résoudre, pratiquement, dans les
diverses situations où elle se présente, que par la con-

(1) Dig., liv. III, § 1, De fluminibus.


MODE DE DÉLIMITATION. 313
_
statation d'un point de fait, c'est-à-dire, par celle des
superficies occupées par les eaux de pleins bords; avant
tout débordement, et avec conservation de la navi-
gabilité.
Mais s'il est incontestable que cette définition est sa-
tisfaisante par sa précision, il n'est pas moins vrai
qu'il se présente, dans la pratique, une foule de cas
dans lesquels elle soulève des difficultés réelles.
Si les berges d'une rivière navigable étaient régu-
lières et nettement définies, comme celles des canaux
artificiels, il n'y aurait pas matière à contestation.
Mais, dans bien des localités, il n'en est pas ainsi ; car
dans le profil en long des terres riveraines de presque
tous les cours d'eau navigables il existe des dépres-
sions, des ondulations, au droit desquelles les berges
proprement dites sont ou nulles, ou tout au moins in-
décises. Dès lors, il est presque inévitable qu'en fait de
délimitations du lit, il ne se présente pas à débattre
des questions d'intérêts privés.
Lesdites questions étant devenues, dans ces derniè-
res années, une matière à conflits, il devient indis-
pensable de se rattacher invariablement au principe
fondamental qui vient d'être posé ci-dessus et dont
l'observation suffit pour répondre à toutes les diffi-
cultés. — C'est pourquoi nous avons présenté dans le
supplément placé à la fin dû tome II, en forme de ré-
sumé sur la jurisprudence, quelques observations sur
cet objet.
314 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.

SECTION III

JURISPRUDENCE DU CONSEIL D'ÉTAT.

4 avril 1843 (Sr Ballias).

Ps°1. — Coupe et élagage de plantations faites par l'administra-


tion dans le lit de la Garonne, et dans l'intérêt de la naviga-
tion. — Contravention de la compétence du Conseil de pré-
fecture, nonobstant l'allégation d'un droit de propriété.
L'administration des travaux publics fit exécuter,
en 1842 et 1843, des travaux pour la rectification du
lit de la Garonne, aux abords du pont suspendu de
Marmande (Lot-et-Garonne). A la suite de ces travaux
un atlerrissement considérable se forma sur la rive
gauche du fleuve. L'administration, considérant qu'il
était la conséquence des travaux de rectification, en
revendiqua la propriété pour l'Etat. Mais cette préten-
tion, contestée par le sieur Ballias, propriétaire rive-
rain, ne fut pas admise par les tribunaux ; et le droit de
ce propriétaire fut consacré, en dernier ressort, par un
arrêt de la Cour royale d'Agen, du 11 novembre 1840.
D'après cela, ce particulier crut pouvoir couper, à
son profit, des plantations de saules, faites par l'admi-
nistration, sur un terrain qu'elle soutenait faire encore
paiiie du lit de la rivière. — Un procès-verbal fut
dressé, et, par arrêté du 27 juillet 1842, le Conseil de
préfecture condamna ce particulier à une amende
de 800 fr., par application des dispositions des arrêts
lu Conseil du 24 juin 1777 et 17 juillet 1782.
Afin de prévenir le retour de semblables contra-
MODE DE DÉLIMITATION. SIS
ventions, le préfet prit, le 6 avril 1843, un arrêté qui
fixa comme limite de la Garonne, aux abords du pont
de Marmande, la ligne décrite par les hautes eaux na-
vigables quand elles atteignaient la hauteur de 8m,00
au-dessus de l'étiage.
Le sieur Ballias s'est pourvu contre l'arrêté du
Conseil de préfecture : 1° pour excès de pouvoirs et
incompétence, en ce qu'il statuait, par le fait, sur une
question de propriété; 2° pour violation de la chose
jugée par les tribunaux compétents.
M. le Ministre des travaux publics a présenté sur
cette affaire les observations suivantes :
« L'administration ne conteste pas au sieur Ballias
la propriété des alluvions qui lui est attribuée par
l'arrêt de la Cour d'Agen. Mais cet arrêt, s'il pose en
principe le droit de propriété du requérant, n'en fixe
pas les limites. Et la Cour ne pouvait pas les déter-
miner ; car en statuant dans ces termes elle eût déli-
mité le lit du fleuve, et empiété sur la compétence ad-
ministrative. Il y a donc lieu de rejeter le pourvoi et de
maintenir l'arrêté du Conseil de préfecture; attendu
que le fait de l'élagage est un délit prévu par les rè-
glements sur la matière ; et que, dans les circonstances
où.il a été pratiqué, cet élagage constitue une des-
truction d'ouvrages d'utilité publique. En effet, les
plantations dont il s'agit font partie de l'ensemble des
travaux entrepris pour la rectification du cours de la
Garonne dans le but d'intercepter les courants et de
favoriser le dépôt des limons. Les élagages dont il s'a-
git, en faisant disparaître cet obstacle artificiel sont
316 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.
donc de nature à compromettre le résultat qu'on vou-
lait obtenir. »
Le Conseil d'État, dans son arrêt du 4 avril 1848
précité, a adopté cette manière de voir, et a rejeté la
requête du sieur Ballias ; en se fondant, « sur ce que la
limite du lit de la Garonne, aux abords du pont de
Marmande, ayant été régulièrement fixée, par l'arrêté
du préfet en date du 6 avril 1843, le fait d'avoir
coupé les plantations de saules faites par l'Etat, en
deçà de ladite limite, constituait une contravention de
grande voirie. »
On aurait pu remarquer, en outre : qu'un atterris-
sement, provoqué artificiellement, et surtout intention-
nellement, par un ouvrage d'art, dans l'intérêt de la
navigation, n'avait rien de commun avec l'alluvion
proprement dite, telle que la définit le Code civil ; la-
quelle doit être formée par le travail lent et successif
des eaux, restées à leur état naturel.
Ce principe fondamental, consacré par l'arrêt qui
précède,en matière de délimitation, se trouve confirmé
par plusieurs arrêts, intervenus de 1880 à 1860, par
divers arrêts du Conseil d'État. Les limites du présent
chapitre ne permettant pas de les citer in extenso,
nous nous bornons à en faire ressortir les dispositions
essentielles, à savoir :
« Que, d'après les termes des lois du 23 décembre
1789; 12-20 août 1790 ; et 19 ventôse an VI, la déli-
mitation du domaine public, et spécialement celles des
cours d'eau navigables, constitue une des attributions
essentielles de l'autorité administrative, et qu'à cette
MODE DE DÉLIMITATION. 517
décision préalable sont subordonnées toutes actions
intentées, devant l'autorité judiciaire, sur des ques-
tions de propriété.
« C'est-à-dire que lorsque, dans une instance en-
gagée, d'abord, devant les tribunaux ordinaires, au
sujet d'un terrain, que l'État soutient faire partie du
domaine public, et que des particuliers prétendent
être en droit de réclamer, comme leur propriété,
alors même que le déclinatoire proposé par le préfet
a été rejeté par le tribunal, l'arrêté de délimitation et
le jugement ne font pas obstacle à ce que le préfet,
dans la limite de ses attributions, procède aux mesures
nécessairespourconstater les limites du domainepublic.
« Qu'en conséquence le tribunal, devant lequel une
partie assigne l'Etat pour voir dire qu'elle est pro-
priétaire du terrain litigieux, doit renvoyer d'abord
l'affaire devant l'autorité administrative,, pour être
statué sur la consistance du fleuve, antérieurement à
l'arrêté de délimitation.
« Mais il est bien entendu que les parties, après
cette décision, ont toujours la faculté de revenir de-
vant le tribunal, pour l'appréciation des titres et
moyens de droit commun, qu'elles auraient à invoquer,
pour la justification de leurs prétentions sur la pro-
priété dudit terrain.
Ce même principe se trouve explicitement mis en
évidence, par les arrêts cités ci-après. — On y verra
la preuve que, dès que l'autorité administrative s'est
écartée de sa stricte observation, le Conseil d'État n'a
jamais hésité à annuler ses décisions.
318 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.

27 février 1862 (5r Uiquel).

1S°2. — Arbres coupés par un particulier sur un banc de gra-


viers couvert par les hautes eaux navigables de la Garonne,
et faisant, dès lors, partie du lit de la rivière. — Condam-
nation maintenue.

Le sieur Miquelafait couper des peupliers, sur un


banc de graviers de la Garonne (Haute-Garonne), quïl
considérait comme lui appartenant. — Mais il a été
constaté : que les hautes eaux navigables s'élevant au
droit du terrain dont il s'agit à 3m,60, au-dessus de
l'étiage, sans déborder sur les rives, tandis que le
banc de graviers susdit n'était dans la partie la plus
haute qu'à 2m,9S. Le Conseil de préfecture a alors con-
damné le délinquant à la réparation du dommage.
Ce particulier, s'étant pourvu au Conseil d'État, a
soutenu : qu'aucun acte administratif n'avait jus-
qu'alors fixé la délimitation du lit au droit de la pro-
priété ; que dès lors le Conseil de préfecture, en tran-
chant lui-même cette question,avaitexcédéses pouvoirs;
qu'en effet la jurisprudencedu Conseil d'Etat établissait,
notamment dans un arrêt du 26 juillet 1881 (S David),1"

que du moment où il y avait incertitude sur les li-


mites du lit d'une rivière navigable, le Conseil de pré-
fecture, avant de statuer sur une contravention pré-
sumée, devait faire d'abord décider, par l'autorité
compétente, la question de délimitation; et, qu'en
l'état, il ne pouvait condamner le délinquant à la ré-
paration du dommage.
Mais cette opinion n'a pu prévaloir, dans l'espèce;
MODE DE DÉLIMITATION. 319
puisqu'il était établi, à l'aide de plans et profils, four-
nis par les ingénieurs et non contestés, que d'après
son niveau le gravier litigieux faisait partie du lit de
la rivière; et dès lors était bien une dépendance du
domaine public; sans qu'il soit nécessaire de recourir
à un arrêté de délimitation.
N° 2 bis.
— 4 juin 1862 {S' Burgevin). — Dans cette
espèce la même jurisprudence a été consacrée non plus
à l'occasion d'arbres coupés, mais d'arbres plantés,
à l'embouchure d'un affluent de la Loire (Loiret), sur
un terrain qu'un propriétaire riverain prétendait lui
appartenir.
— Il a été constaté, sans contestation : que le ter-
rain en question était recouvert par les eaux navigables
de la Loire, qu'il était par conséquent domanial ; et
que, dès lors, le fait d'y avoir effectué une plantation
de peupliers constituait une contravention de grande
voirie, prévue par l'arrêt du Conseil du 23 juillet 1783 ;
ainsi que par les lois du 29 floréal an X et 23 mars 1842.
En conséquence le Conseil d'Etat a confirmé l'arrêt
du Conseil de préfecture du 30 mars 1860, qui con-
damnait le délinquant à une amende de 80 francs, et à
l'enlèvement des arbres.

8 mars 1866 (Sr Gallain).


N° 3. — Exhaussement, par l'Administration d'un chemin de
halage de la Seine, tracé sur la berge même du fleuve ; et sub-
mersible, en eaux moyennes. — Limite du fleuve fixées, par
arrêté préfectoral, à la hauteur des eaux navigables de pleins
bords. — Recours rejeté.
Bien qu'en thèse générale le chemin de halage soit
320 RIVIERES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.
dû, à titre de servitude spéciale, par les héritages
riverains, situés en dehors des limites du fleuve, cou-
lant à pleins bords, il se trouve souvent, sur de
grandes longueurs, et pour la plus grande convenance
des mariniers, établis sur la berge même; c'est-à-dire
sur le domaine public. — C'est ce qui a lieu, dans
plusieurs parties des cours de la basse Seine, dépar-
tement de la Seine-Inférieure ; notamment sur les
territoires de Saint-Étienne de Rouvray, Oissel, Tol-
leville et autres.
Dans cette situation le chemin de halage étant sub-
mergé par les eaux ordinaires du fleuve, qui ont lieu
dans les localités, d'une manière à peu près constante,
au printemps et à l'automne, se trouvait masqué et par
conséquent dangereux pour la navigation. Sur les
plaintes des intéressés, l'administration des ponts et
chaussées s'est déterminée, en 1864, à le faire rehaus-
ser d'une hauteur de 0m,60 ; ce qui le mettait un peu
au-dessus du niveau habituel desdites crues. Mais
d'après ce qui vient d'être dit, ce travail a eu lieu sinon
en totalité, du moins presque exclusivement, sur le
terrain domanial. Quelques mois après l'achèvement
de ce travail le préfet de la Seine-Inférieure a pris, à la
date du 6 février 1868, un arrêté de délimitation du
lit du fleuve, fixant les limites à la crête des talus du
chemin de halage exhaussé. — Cet arrêté a été ap-
prouvé par décision de M. le ministre des travaux
publics, le 17 mars 1865.
Quelques propriétaires des communes susdites ont
prétendu qu'antérieurement aux travaux d'exhaussé-
MODE DE DÉLIMITATION. 321
ment et de redressement dudit chemin, celui sur le-
quel repose le remblai faisait, en certains endroits,
partie de leur propriété ; et que par le fait ils s'en trou-
vaient ainsi dépossédés. En conséquence ils ont formé
au contentieuxun recours pour excèsde pouvoirs contre
l'arrêté et la décision précitée ; et en se prévalant en
outre de ce que l'arrêté de délimitation avait eu lieu
sans enquête préalable.
Dans ses observations, sur ce pourvoi, M. le mi-
nistre des travaux publics en a demandé le rejet, en se
bornant à faire remarquer: que l'arrêté attaqué s'é-
tait borné à constater les limites du lit de la Seine dans
son état actuel ; et que ledit arrêté ne faisait pas obs-
tacle à ce que les requérants fissent valoir, devant l'au-
torité compétente, les droits qu'ils pouvaient avoir à
obtenir des indemnités pour la dépossession dont ils se
plaignent, si elle était dûment, constatée.
Cette doctrine a été entièrement adoptée par le Con-
seil d'Etat qui, après avoir visé : la loi du 22 décem-
bre 1789 ; celle.des22 novembre et 1er décembre 1790,
a motivé sa décision en ces termes :
Considérant que, par son arrêté, en date du 6 fé-
vrier 18Q$,lepréfet du départementde la Seine-Inférieure
s'est borné à constater que les limites du lit de la Seine,
sur le territoire des communes susdites, étaient détermi-
nées par rarête supérieure des talus extérieurs du nou-
veau chemin de halage établi le long du fleuve ; — Que
si celte constatation na pas été précédée d'une enquête,
aucune disposition législative ne prescrit l'accomplis-
sement de cette formalité ; — Que les requérants n'allé-
322 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.

guent pas que cette arête soit à un niveau supérieur à


celui qu'atteignent les plus hautes eaux navigables du
fleuve ; que d'ailleurs les droits des tiers ont été expres-
sément réservés par l'arrêté attaqué;—Que de ce qui
précède,il résulte que F arrêté et la décision ministérielle
susvisés ne constituent pas un excès de pouvoirs; »
ART. 1er.
— La requête des sieurs Gallain et Consorts
est rejetée.

17 août 1866(.Rn>era?ïs du Rhône).


R° 4. — Coupes de bois sur les berges et talus du RhOne, cou-
verts parles hautes eaux navigables. — Terrain reconnu
domanial. — Contravention.
En d86S vingt riverains du Rhône, département
de ce nom, coupèrent, sans autorisation, des peupliers,
saules et oseraies sur des berges ou talus du fleuve. Ils
considéraientces terrains comme faisant partie de leur
propriété. Mais attendu qu'ils étaient couverts par les
hautes eaux navigables, d'après le principe adopté par
une jurisprudence constante, sur la délimitation du lit
des rivières domaniales, des procès-verbaux de contra-
vention de grande voirie furent dressés contre chacun
d'eux. LeConseil de préfecture par un. arrêté du 24 fé-
vrier 1865, considérant lesdits terrains comme ne fai-
sant pas partie du domaine public, renvoya les intimés
des fins de la plainte, sans amende ni dépens.
M. le Ministre des travauxpublics se pourvut contre
ledit arrêté, pour en poursuivre l'annulation, en sou-
tenant : « que les droits appartenant aux riverains desri-
vières navigables ne sauraient s'étendre jusqu'au flot,
MODE DE DÉLIMITATION. 823
avec toutes ses variations; qu'ils se limitent à l'arête
même des berges ; c'est-à-dire à la rive proprement
dite ; et que les parties de cette rive, alternativement
couvertes, par les hautes eaux, sa?is débordement, font
partie du lit du fleuve et sont dès lors domaniales. »
M. le Ministre disait, en outre : « que le Conseil de
préfecture était incompétent, pour connaître de la
question de propriété qui lui était soumise, et devait
surseoir à statuer, jusqu'à ce qu'un arrêté de délimita-
tion eût déterminé la limite séparative du domaine
public et de la propriété riveraine. »
On a soutenu, pour les riverains : que les terrains
sur lesquels les coupes de bois avaient eu lieu étaient,
de temps immémorial, considérés comme propriétés
privées;.qu'aucune disposition législative n'attribue
au domaine ni la propriété ni les produits des berges
ou rives des fleuves ; qu'au contraire, de même que les
terrains d'alluvion appartiennent aux propriétaires
riverains, les rives constituent aussi des propriétés pri-
vées ; étant seulement grevées de servitudes, dans un
intérêt public ; que, dès lors, en vertu du droit d'acces-
sion, résultant de l'art. 346 du Code civil, les récla-
mants avaient pu, comme ils l'ont fait, couper et éla-
guer les arbres plantés sur les terrains.
Le Conseil d'État, après avoir visé les plans des
lieux, les rapports d'ingénieurs, les lois des 29 floréal
an X, 19-22 juillet 1691 et l'art. 538 C. Nap., a con-
sidéré : — « Qu'il résultait de l'instruction, et que
d'ailleurs les S" ne contestaient pas, que les coupes
de bois avaient été faites en deçà de l'arête supérieure
324 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.
des talus des berges du Rhône; sur les parties qui sont
alternativement mises à nu, et couvertes par les eaux,
avant tout débordement ; — qu'ainsi elles ont eu lieu
dans le lit du fleuve; et qu'elles étaient de nature à y
occasionner des détériorations ; — que dès lors elles
constituent une contravention, aux termes delà loi du
29 floréal an X; et que c'est à tort que le Conseil de
préfecture a renvoyé les Srs des fins des procès-
verbaux dressés contre eux ; par le motif que les
coupes de bois auraient eu lieu sur leur propriété.
K° 3. — 22 novembre 1866 (Sr Lecourtois).— Décision analogue.
Un arrêté du préfet de la Seine, en date du 29 mars
1863 portant délimitation du lit de la Marne, aux
abords du pont de Charenton, a été attaqué au conten-
tieux, par le Sr Lecourtois, pour excès de pouvoirs, par
le motif que ledit arrêté aurait compris dans les li-
mites de la rivière deux parcelles de terrain qu'il
prétendait lui appartenir ; et dont l'occupation a été
nécessaire pour l'exécution des travaux d'une route
départementale.
travaux publics a fait observer
M. le Ministre des
que les parcelles dont il s'agit avaient toujours été
comprises dans le lit de la Marne, avant l'exécution
des travaux, récemment entrepris sur ce point ; que
d'ailleurs il résultait des plans et profils que lesdites
parcelles étaient à un niveau inférieur à celui des plus
hautes eaux, avant le débordement.
C'est dans ce sens qu'a statué le Conseil d'Etat par
son arrêt précité, rejetant le recours du Sr Lecourtois.
MODE DE DÉLIMITATIONS. 323

13 décembre 1866 (Sr Richet).


N° 6. — Contestation élevée, sur un arrêté préfectoral de déli-
mitation du lit de la Garonne, à l'occasion d'une alluvion
revendiquée par un particulier, dans le lit de cette rivière.
— Alluvion d'un niveau inférieur à celui des hautes eaux na-
vigables. — Recours rejeté.

Des arrêtés du préfet de la Gironde, en date des


11 août 1886 et 2 mai 1889, ont fixé les limites an-
ciennes du lit de la Garonne, sur le territoire de la
commune de Podensac, en décidant qu'elles s'éten-
daient jusqu'à l'arête extérieure du chemin de ha-
lage établi le long du fleuve. — Le sieur Richet,
propriétaire riverain, a prétendu : que cette délimita-
tion plaçait dans le domaine public des alluvions
contiguës à son terrain, dont il jouissait depuis long-
temps et dont il se trouverait ainsi dépossédé.
Une action judiciaire ayant été intentée par ce par-
ticulier, contre l'État, elle fut repoussée par un décret
du 14 décembre 1889, rendu sur conflit, et décidant
qu'il appartenait à l'autorité administrative de recon-
naître préalablement les limites actuelles et anciennes
du fleuve.
Rejet.
C'est alors que le sieur Richet s'est pourvu au Conseil
d'État contre la décision ministérielle du 6 mars 1863
qui avait approuvé les rapports d'ingénieurs et les ar-
rêtés préfectoraux précités.
M. le Ministre des travaux publics a soutenu : que
la reconnaissance des limites anciennes d'un fleuve
326 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.
était un acte administratif, ne pouvant faire l'objet
d'un recours par la voie contenlieuse, que d'ailleurs
les atterrissements revendiqués n'avaient jamais cessé
de faire partie du lit de la Garonne.
Tout se réduisait dès lors à une question de fait, re-
lative au niveau de ces atterrissements.
L'arrêt intervenu dans celte espèce confirme entière-
ment la jurisprudence précédemment établie. Il est
ainsi conçu : — « Considérant qu'antérieurement aux
arrêtés du 11 août 1886 et 2 mai 1889 qui ont déter-
miné les limites de la Garonne, au point litigieux, les
atterrissements dont la propriété est revendiquée par le
sieur Richet n'avaient pas atteint le niveau des plus
hautes eaux navigables du fleuve, coulant sans débor-
der ; — « Que dès lors ce particulier, n'est pas fondé
à attaquer, pour excès de pouvoirs, les actes par les-
quels notre Ministre des travaux publics et le Préfet
de la Gironde, en reconnaissant les limites anciennes
de la Garonne, ont constaté que les atterrissements dont
il s'agit étaient compris dans ces limites.
(Recours rejeté).

13 décenibr& 1866 (Sr Coicaud).


JN°7. — Délimitation d'un des bras de la Loire. — Contestation
sur le chiffre admis pour la hauteur des hautes eaux naviga-
bles, au droit du terrain litigieux. — Arrêté annulé.
Par un arrêté du 18 décembre 1863 le préfet de la
Seine-Inférieure avait déterminé les limites d'un bras
de la Loire, nommé canal de la Madeleine. Les
sieurs Coicaud frères, riverains dudit canal, ont atta-
MODE DE DÉLIMITATION. 327
que cet arrêté devant le Ministre des travaux publics,
qui a rejeté leur réclamation, par décision du 31 juil-
let 1863.— Ils ont alors déféré l'arrêté et la décision
approbative au Conseil d'État, pour excès de pouvoirs
en soutenant : que la délimitation opérée par ledit
arrêté, avait pour résultat de comprendre dans les
limites du lit de la Seine un terrain, dont eux et leurs
auteurs avaient toujours joui, comme étant leur pro-
priété ; et que d'ailleurs la limite du fleuve déterminée
à raison de 4m,3S au-dessus de l'étiage se trouvait à
un niveau supérieur à celui qu'atteignent les eaux de
ïa Loire, avant de déborder ; que dès lors ils faisaient
formellement réserve de leurs droits de propriété, sur
le terrain litigieux, antérieurement à l'arrêté de déli-
mitation.
M. le Ministre des travaux publics a combattu le
pourvoi, en soutenant que la limite adoptée était bien
celle que les eaux du fleuve peuvent atteindre, sans
déborder; que d'ailleurs l'arrêté attaqué réservait les
droits des tiers.
Le Conseil d'État, après avoir visé : les lois du 22 dé-
cembre 1789, § 3, art. 2; du 22 novembre et 1" dé-
cembre 1790 ; et celle des 7-14 octobre 1790 ; a sta-
tué en ces termes :
Considérant : qu'il résulte de l'instruction que la
délimitation déterminée par l'arrêté préfectoral du
15 décembre 1863, à 4m,3S au-dessus de l'étiage, au
point où le bras de la Loire dit canal de la Madeleine
touche à la propriété des requérants, est à un niveau
supérieur à celui que les plus hautes eaux navigables de
328 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.

ce bras peuvent atteindre, sans déborder ; — que dès


lors les requérants sont fondés à soutenir que le préfet
de la Loire-Inférieure et notre ministre des travaux pu-
blics n'ont pu, sans excéder leurs pouvoirs,. fixer les
limites du fleuve, au point litigieux, à la ligne désignée
par l'arrêté précité.
ART. 1er. —L'arrêté du préfet de la Loire-Inférieure
du 18 décembre 1863 et la décision de notre ministre
des travaux publics du 31 juillet 1868 sont annulés.

19 juillet 1870 (S1 Bertrand).


N° 8. — Navigation provisoirement conservée,dans un ancien lit
de laMarne,maisavec réduction de sa largeur, conformément
à. un premier arrêté préfectoral de délimitation pris en 1817.
— Excès des pouvoirs du Préfet résultant d'un deuxième ar-
rêté qui, après plus d'un demi-siècle, rétablissait les largeurs
primitives ; encore bien que la zone des terrains délaissés ait
cessé, depuis cette époque, de faire partie du domaine public.

A la suite des travaux exécutés par l'État, il y a en-


viron un siècle, le lit de la Marne s'est trouvé changé
aux abords de la commune de Saint-Martin, départe-
ment de la Marne. Mais, depuis lors,-les eaux de la
rivière ont continué de couler dans l'ancien lit ; dont
elles n'ont plus toutefois occupé qu'une portion, dont '
la largeur a été déterminée en 1817 par un arrêté
préfectoral.
A la date du 18 février 1869, le préfet de la Marne
prit un arrêté de délimitation, qui rétablissait les
limites du domaine public le long des berges de l'an-
cien lit de la Marne, à l'endroit ci-dessus indiqué. —
Comme cette nouvelle délimitation comprenait un ter-
MODE.DE DÉLIMITATION. 329
rain appartenant au sieur Bertrand-Lemaire en parti-
culier a attaqué devant le Conseil d'État, pour excès de
pouvoirs, l'arrêté susdit ; en se basant sur l'état de
choses résultant de l'exposé qui précède.
M. le Ministre des travaux publics a combattu les
prétentions des requérants en soutenant que les li-
mites du domaine public avaient toujours continué de
s'étendre jusqu'aux berges de l'ancien lit.
Mais cette doctrine, qui n'était point exacte, n'a pas
été partagée par le Conseil d'État. —Après avoir visé
le procès-verbal de l'enquête ouverte en 1868, au sujet
de la nouvelle délimitation ; le premier arrêté préfecto-
ral du 3 juin 1817 ; les plans produits tant par le re-
quérant que par l'administration ; enfin les lois des
22 décembre 1789 ; 12-20 août 1790 et celle des 6-14
octobre 1790 ; l'arrêté du 18 ventôse an VI et l'art.
838 du Code civil ;
Il a considéré, particulièrement :
« Qu'à la suite des travaux exécutés par l'Etat, de
1777 à 1780, la largeur restreinte, occupée par les eaux
dans l'ancien lit de la Marne, avait été fixée à 23 mè-
l
tres, par arrêté préfectoral du 8 février 1817 ; — et
que dès lors cet arrêté avait eu pour effet de faire sortir
des limites du fleuve les terrains de cet ancien lit
placés en dehors de cette largeur ; et dé les faire rentrer
parmi les propriétés de l'État, susceptible d'aliénation
et de prescription.
En conséquence le deuxième arrêté (du 18 février
1869) a été annulé.
330 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.^

7 mai 1871 (Sr Gabouin).


N° 9. — Contestation engagée entre l'État et un propriétaire
riverain du Vieux-Mignon, après la délimitation de cette
rivière, par arrêté préfectoral. —Conflit confirmé par l'arrêt
du Conseil d'État, maintenant .la compétence administrative
en cette matière.
Un arrêté du préfet de la Charente-Inférieure, du 14
avril 1866, ordonna qu'il soit procédé administrative-
ment à la délimitation de la rivière susdite.
Une instance s'engagea à ce sujet devant le tribunal
de La Rochelle entre le sieur Gabouin, tuteur du mi-
neur Ozanneau, et l'Etat. Le 3 novembre 1869, ce
particulier fit assigner le préfet de la Charente-Infé-
rieure ; attendu : que le mineur sus-nommé était pro-
priétaire de la parcelle de terrain sur laquelle les
agents des ponts et chaussées ont tracés à l'aide de
piquets, une ligne que les ingénieurs prétendent être
la limite des atterrissements du Mignon; mais que
cette prétention n'est nullement fondée ; puisqu'aux
termes de l'article 886 du Code Civil, cesattérissements
sont la prepriété des riverains ; — en conséquence le
demandeur concluait à être maintenu dans la propriété
de la pièce de terre en question, et à faire condamner
l'État à 800 francs de dommages-intértês.
Le 2 juin 1870 le préfet adressa au procureur impé-
rial, près le tribunal de La Rochelle, un déclinatoire,
dans lequel il soutenait : qu'il appartient exclusivement
à l'autorité administrative de constater quelles sont, ou
quelles étaient à un moment donné, les limites natu-
relles du lit d'une rivière navigable ; qu'en conséquence
MODE DE DÉLIMITATION. 331
le tribunal devait se déclarer incompétent, et renvoyer
les parties devant qui de droit.
Par jugement du 28 juillet, même année, le tribu-
nal civil de La Rochelle : Attendu que, dans les cir-
constances de l'affaire, un renvoi devant l'autorité
administrative serait sans objet, et qu'il y a lieu seu-
lement de rechercher, avec les documents de la cause,
si le terrain sur lequel l'État a fait exécuter des travaux
était compris dans les limites naturelles de la rivière ;
ou s'il était l'objet d'une propriété privée ; a rejeté le
déclinatoire ; — et, statuant sur le fond, a déclaré le
mineur Ozanneau propriétaire, dans la commune de
Tangou, d'un terrain de 48 ares situé sur la rive gauche
du Mignon, et condamné l'État en 200 francs à titre de
dommages-intérêts.
C'est alors que le préfet, en se conformant à toutes
les formalités prescrites en cette matière, éleva le con-
flit d'attributions. — Son arrêté a été confirmé par le
Conseil d'État, dans les termes suivants :
Vu les ordonnances des lorjuin 1828 et 12 mars 1831 ;
— le décret du 28 janvier 1832 ; — les lois du 22 oc-
tobre 1789, janvier 1790 ; 16-24 août 1790 ; et le
décret du 16 fructidor an III.
« Considérant que le tribunal civil était incompétent
pour connaître de la question ; qu'en effet c'est à Cadmi-
nistration seule, investie du droit de veiller à la conser-
vation des fleuves et rivières navigables, qu'il appartient
exclusivement, soit de déterminer les limites de ces cours
d'eau, soit de fixer, par voie d'interprétation, le sens des
actes administratifs de délimitation, déjà intervenus;
332 RIVIÈRES NAVIGABLES ET FLOTTABLES.
soit d'en assurer l'exécution ; — » Que le tribunal civil
de La Rochelle, dans sa décision portant rejet du décli-
natoire proposé par le préfet, antérieurement à l'arrêté
du conflit, objecte à la vérité : qu'après la délimitation
opérée, F autorité judiciaire conserverait le pouvoir de
rechercher les limites naturelles des cours d'eau ; et que
Vadministration est réputée n'en avoir déterminé que
les limites administratives ; en se basant sur les besoins
de la navigation, sous la réserve en faveur des tiers
du droit de demander des dommages-intérêts, pour le
cas où du rapprochement de ces deux sortes de limites, ré-
sulterait un empiétement sur la propriété privée ;
« Mais considérant que l'administration n'a d'au-
tre mission que celle de reconnaître et constater les li-
mites réelles des cours d'eau navigables, c'est-à-dire
celles résultant de l'état naturel de ces cours d'eau ; et
que si elle dépassait, au préjudice des propriétés privées,
et sans observer les formalités prescrites par la loi du
3 mai 1841, pour l'expropriation pour cause d'utilité
publique, les limites ainsi fixées par la nature, elle com-
mettrait un excès de pouvoirs, susceptible d'être reprimé,
par l'autorité compétente; — qu'il suit de là que le tri-
bunal civil de La Rochelle était lié par la délimitation
ordonnée, et effectuée dans l'espèce, et que cette délimi-
tation ne pouvait être remise en question devant l'auto-
ritéjudiciaire ;
Art. 1". — L'arrêté de conflit pris le 3 septembre
1870 par le préfet de la Charente-Inférieure est con-
firmé, en tant qu'il revendique, pour l'autorité admi-
nistrative, la connaissance de la question préjudicielle
MODE DE DÉLIMITATION. 333
de savoir quelles sont les limites naturelles de la ri-
vière du Vieux-Mignon au droit de la propriété du
mineur Ozanneau;
(Jugement considéré comme non avenu ; en ce qu'il
a de contraire aux dispositions du présent arrêt.)
Voir au supplément, placé à la suite du tome II, un
résumé et des conclusions, sur les controverses, se rat-
tachant à l'objet traité dans ce présenf chapitre.
NOTES
LOIS RELATIVES A L'ORGANISATION ACTUELLE : DES CONSEILS
DE PRÉFECTURE;.DU CONSEIL D'ÉTAT; ET DU TRIBUNAL
DES CONFLITS.

Loi relative aux Conseils de préfecture.

Du 21 juin 1865.

NAPOLÉON, par la grâce de Dieu et la volonté nationale,


EMPEREUR DES FRANÇAIS, à tous présents et à venir, SALUT.

AVONS SANCTIONNÉ ET SANCTIONNONS, PROMULGUÉ ET PROMUL-


GUONS ce qui suit :

LE CORPS LÉGISLATIF A ADOPTÉ LE PROJET DE LOI dont la te-


neur suit :

ART. Ier. Le Conseil de préfecture est composé de huit


membres y compris le président, dans le département de la
Seine ; de quatre membres dans les départements suivants :
Aisne, Bouches-du-Rhône, Calvados, Charente-Inférieure,
Côles-du-Nord, Dordogne, Eure, Finistère, Gard, Haute-
Garonne, Gironde, Hérault, Ille-et-Vilaine, Isère, Loire,
Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Manche, Meurthe, Mor-
bihan, Moselle, Nord, Orne, Pas-de-Calais, Puy-de-Dôme,
Bas-Rhin, Rhône, Saône-et-Loire, Seine-Inférieure, Seine-
et-Oise, Somme; et de trois membres dans les autres dépar-
tements.
2. Nul ne peut être nommé conseiller de préfecture s'il
n'est âgé de vingt-cinq ans accomplis, s'il n'est, en outre,
licencié ea droit, ou s'il n'a rempli, pendant dix ans au
moins, des fonctions rétribuées dans l'ordre administratif
ORGANISATION ACTUELLE. 53S

ou judiciaire; ou bien s'il n'a été, pendant le même espace


de temps, membre d'un conseil général, ou maire.
3. Les fonctions de conseiller de préfecture sont incompa-
tibles avec un autre emploi public et avec l'exercice d'une
profession.
4. Chaque année, un décret de l'Empereur désigne, pour
chaque département, celui de la Seine excepté, un conseiller
de préfecture qui devra présider le conseil en cas d'absence
ou d'empêchement du préfet.
5. Il y a, dans chaque préfecture, un secrétaire général
titulaire.
Il remplit les fonctions de commissaire du Gouverne-
ment. Il donne s(?s conclusions dans les affaires conten-
tieuses.
Les auditeurs au Conseil d'État, attachés à une préfec-
fecture, peuvent y être chargés des fonctions du ministère
public.
6. En cas d'insuffisance du nombre des membres néces-
saires pour délibéiver, il y est pourvu conformément à l'ar-
rêté du 19 fructidor an XI et au décret du 16 juin 1808.
7. Il y a, auprès de chaque conseil, un secrétaire gref-
fier, nommé par lej préfet et choisi parmi les employés de la
préfecture.
8. Les séances des conseils de préfecture statuant sur les
affaires contentieuses sont publiques.
9. Après ie rapport, qui est fait sur chaque affaire par
un des conseillers, les parties peuvent présenter leurs ob-
servations, soit en personne, soit par mandataire.
La décision motivée est prononcée en audience, après dé-
libéré, hors la présence des parties.
10. Les comptes des receveurs des communes et des éta-
blissements de bienfaisance ne sont pas jugés en séance pu-
blique.
12. Le recours au Conseil d'État, contre les arrêtés des
conseils de préfecture, relatifs aux contraventions dont la
répression leur est confiée par la loi, peut avoir lieu par
simple mémoire, déposé au secrétariat général de la pré-
fecture, ou à la sous-préfecture, et sans l'intervention d'un
avocat au Conseil d'État.
11 est délivré au déposant récépissé du mémoire, qui doit
être transmis immédiatement, par le préfet, au secrétariat
général du Conseil d'État.
13. Sont applicables aux Conseils de préfecture les dispo-
S36 TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS.
sitions de l'article 83 et des articles 88 et suivants du titre V
du Code de procédure civile, et celles de l'article 1036 du
même code.
14. Un règlement d'administration publique déterminera
provisoirement :
1° Les délais et les formes dans lesquels les arrêtês> con-
tradictoires ou non contradictoires, des conseils de préfecture
peuvent être attaqués;
2° Les règles de la procédure à suivre devant les Con-
seils de préfecture, notamment pour les enquêtes, les exper-
tises et les visites de lieux ;
3° Ce qui concerne les dépens.
Il sera statué par une loi, dans un délai de cinq ans;
Délibéré en séance publique, à Paris, le 23 mai 1865.

Loi portant réorganisation du Conseil d'État.


Du 2i mai 1872.

L'ASSEMBLÉE NATIONALE A ADOPTÉ,


LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE PROMULGUE LA LOI
dont la teneur suit :
TITRE I.
COMPOSITION DU CONSEIL D'ÉTAT.

ART. I". Le Conseil d'État se compose de vingt-deux


conseillers, d'État en service ordinaire, et de quinze, con-
seillers d'État en service extraordinaire.
Il y a auprès du Conseil d'État, 1° vingt-quatre maîtres
des requêtes-, et 2° trente auditeurs.
Un secrétaire général est placé à la tête des bureaux du
Conseil ; il a le rang et le titre de maître des requêtes.
Un secrétaire spécial est attaché au contentieux.
2. Les ministres ont rang et séance à l'assemblée générale
du Conseil d'État. Chacun d'eux a voix délibérative, en
matière non contentieuse, pour les affaires qui dépendent
de son ministère. — Le garde des sceaux a voix délibéra-
tive toutes les fois qu'il préside soit l'assemblée générale,
soit les sections.
ORGANISATION ACTUELLE. ,S37
3. Les conseillers d'État en service ordinaire sont élus par
l'Assemblée nationale, en séance publique, au scrutin de
liste et à la majorité absolue. Après deux épreuves, il est
procédé à un scrutin de ballottage entre les candidats qui ont
obtenu le plus de suffrages, en nombre double de ceux qui
restent encore à élire.
Avant de procéder à l'élection, l'Assemblée, nationale
charge une commission de quinze membres, nommée dans
les bureaux, de lui proposer une liste de candidatures.
Cette liste contient des noms, en nombre égal à celui des
conseillers à élire, plus une moitié en sus; elle est dressée
par ordre alphabétique.
L'élection ne peut avoir lieu que trois jours au moins
après la distribution et la publication de la liste. Le choix
de l'Assemblée peut porter sur des candidats qui ne sont pas
proposés par la commission.
Les membres du Conseil d'État ne pourront être choisis
parmi les membres de l'Assemblée nationale.
Les députés démissionnairesne pourront être élus que six
mois après leur démission.
En cas de vacance, par décès ou démission d'un conseil-
ler d'État, l'Assemblée nationale procède, dans le mois, à
l'élection d'un nouveau membre.
Les conseillers d'État en service ordinaire peuvent être
suspendus, pour un temps qui ne pourra pas excéder deux
mois, par décret du Président de la République, et, pendant
la durée de la suspension, le conseiller suspendu sera
remplacé par le plus ancien maître des requêtes de la sec-
tion.
L'Assemblée nationale est de plein droit saisie de l'affaire
par le décret qui a prononcé la suspension. A l'expiration
du délai, elle maintient ou révoque le conseiller d'Etat.
En cas de révocation, on procède au remplacement dans
le mois.
Les conseillers d'État sont renouvelés, par tiers, tous les
trois ans; les membres sortants sont désignés,par le sort et
indéfiniment rééligibles.
4. Le Conseil d'État est présidé par le garde des sceaux,
ministre de la justice, et, en son absence, par un vice-pré-
sident. Le vice-président est nommé par décret du Président
delà République,et choisi parmi les conseillers en service
ordinaire.
En l'absence du garde des sceaux et du vice-président,
538 TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS.

le .Conseil d'État est présidé par le plus ancien des prési-


dents de section, en suivant l'ordre du tableau.
5. Les conseillers d'État en service extraordinaire sont
nommés par le Président de la République; ils perdent leur
titre de conseiller d'État, de plein droit, dès qu'ils cessent
d'appartenir à l'administration active.
Les maîtres des requêtes, le secrétaire général et le se-
crétaire spécial du contentieux sont nommés par décret du
Président de la République ; ils ne peuvent être révoqués
que par un décret individuel.
Pour la nomination des maîtres des requêtes, du secré-
taire général ou du secrétaire du contentieux, le vice-prési-
dent et les présidents de section seront appelés à faire des
présentations.
Les décrets portant révocation ne seront rendus qu'après
avoir pris l'avis des présidents.
Les auditeurs sont divisés en deux classes, dont la pre-
mière se compose de dix et la deuxième de viDgt.
Les auditeurs de deuxième classe sont nommés au con-
cours, dans les formes et aux conditions qui seront déter-
minées dans un règlement que le Conseil d'État sera chargé
de faire. Ils ne restent en fonctions que pendant quatre ans
et ne reçoivent aucune indemnité.
Les auditeurs de première classe seront nommés au con-
cours, dans les formes déterminées par le règlement du
9 mai 1849. Ne seront admis à concourir que les auditeurs
de deuxièmeclasse.
Néanmoins, seront admis aux épreuves du premier con-
cours, qui aura lieu après la promulgation de la présente loi,
pour la première classe, tous les candidats âgés de vingt-
cinq à trente ans, qui remplissent les conditions prévues
par l'article S du règlement du 9 mai 1849.
Les anciens auditeurs au Conseil d'État et ceux qui ont
été attachés à la commission provisoire, instituée par le dé-
cret du 15 septembre 1870, seront dispensés des épreuves
préparatoires.
Les auditeurs de première classe reçoivent un traitement
égal à la moitié de celui des maîtres des requêtes; la durée
de leurs fonctions n'est pas limitée.
Le tiers au moins des places des maîtres des requêtes sera
réservé aux auditeurs de première classe.
Les auditeurs tant de seconde que de première classe ne
peuvent être révoqués que par des décrets individuels et
ORGANISATION ACTUELLE. B39
après avoir pris l'avis du vice-président du Conseil d'État
délibérant avec les présidents de section.
Les employés des bureaux sont nommés par le vice-pré-
sident du Conseil d'État, sur la proposition du secrétaire
général.
6. Nul ne peut être nommé conseiller d'État s'il n'est âgé
de trente ans accomplis, maître des requêtes, s'il if est âgé
de vingt-sept ans; auditeur de deuxième classe, s'il a moins
de vingt et un ans et plus de vingt-cinq ; auditeur de pre-
mière classe, s'il a moins de vingt-cinq ans etplus de trente.
7. Les fonctions de conseiller en service ordinaire et de
maître des requêtes sont incompatibles avec foute fonction
publique salariée.
Néanmoins, les officiers généraux ou supérieurs de l'ar-
mée de terre et de mer, les inspecteurs et ingénieurs des
ponts et chaussées, des mines et de la marine; les profes-
seurs de l'enseignement supérieur, peuvent être détachés
au Conseil d'État. Ils conservent, pendant la durée de leurs
fonctions, les droits attribués à leurs positions, sans pouvoir
toutefois cumuler leur traitement avec celui du Conseil
d'État.
Les fonctions de conseiller et de maître des requêtes sont
incompatibles avec celles d'administrateur de toute compa-
gnie privilégiée ou subventionnée.
Les conseillers d'État et les maîtres des requêtes, lors-
qu'ils quittent leurs fonctions, peuvent être nommés con-
seillers ou maîtres des requêtes honoraires.
Est supprimé le titre d'auditeur et de maître des requêtes
en service extraordinaire.
TITRE II.
FONCTIONS DU CONSEIL D'ÉTAT.

8. Le Conseil d'État donne son avis: 1° sur les projets


d'initiative parlementaire que l'Assemblée nationale juge à
propos de lui ronvoyer ; 2° sur les projets de loi préparés
par le Gouvernement, et qu'un décret spécial ordonne de
soumettre au Conseil d'État; 3° sur les projets de décret et,
en général, sur toutes les questions qui lui sont soumises
parles ministres. Il est appelé nécessairement adonner
son avis sur les règlements d'administration publique et sur
les décrets en forme dérèglements d'administration publique. Il
540 TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS.

exerce,-en outre, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné,


toutes les attributions qui étaient conférées à l'ancien
Conseil d'État, par les lois ou règlements qui n'ont pas été
abrogés.
Des conseillers d'État peuvent être chargés par le Gouver-
nement de soutenir, devant l'Assemblée, les projets de lois
qui ont été renvoyés à l'examen du Conseil.
9. Le Conseil d'État statue souverainement sur les recours
en matière contentieuse administrative, et sur les demandes
d'annulation, pour excès de pouvoirs, formées contre les
actes des diverses autorités administratives.
TITRE III.
FORMES DE PROCÉDER.

10. Le Conseil d'État est divisé en quatre sections, dont


trois seront chargées d'examiner les affaires d'administration
pure, et une de juger les recours contentieux.
La section du contentieux sera composée de six conseil-
lers d'État et du vice-président du Conseil d'État ; les autres
sections se composent de quatre conseillers et d'un prési-
dent.
Les présidents de section sont nommés par décrets du
Président de la République et choisis parmi les conseillers
en service ordinaire. — Le ministre de la justice a le droit
de présider les sections,, hormis la section du contentieux.
— Les conseillers en service ordinaire sont répartis entre
les sections par décrets du Président de la République. Les
conseillers en service extraordinaire, les maîtres des requê-
tes et les auditeurs sont distribués entre les sections par
arrêtés du ministre de là justice, suivant les besoins du
service. Les conseillers en service extraordinaire ne peu-
vent pas être attachés à la section du contentieux.
Un règlement d'administration publique statuera sur
l'ordre intérieur des travaux du Conseil, sur la répartition
des affaires entre les sections, sur la nature des affaires qui
devront être portées à l'assemblée générale, sur le mode de
roulement des membres entre les sections, et sur les me-
sures d'exécution non prévues par la présente loi.
11. Les conseillers en service extraordinaire ont voix dé-
lihéralive, soit à l'assemblée générale, soit à la section,
dans les affaires qui dépendent du département ministériel
ORGANISATION ACTUELLE. ' S41
auquel ils appartiennent. Us n'oDt que voix consultative
dans les autres affaires.
Les maîtres des requêtes ont voix délibérative soit à l'as-
semblée générale, soit à la section, dans les affaires dont le
rapport leur a été confié, et voix consultative dans les au-
tres.
Les auditeurs ont voix délibérative à leur section et voix
consultative à l'assemblée générale, seulement dans les af-
faires dont ils sont les rapporteurs.
12. Le Conseil d'État, en assemblée générale, ne peut dé-
libérer si treize au moins de ses membres, ayant voix déli-
bérative, ne sont présents.
En cas de partage, la voix du président est prépondé-
rante. Les sections administratives ne peuvent délibérer
valablement que si trois conseillers en service ordinaire
sont présents. En cas de partage, la voix du président est
prépondérante.
13. Les décrets rendus après délibération de l'assemblée
générale mentionnent que le Conseil d'État a été entendu.
Les décrets rendus après délibération d'une ou de plu- .

sieurs sections mentionnent que ces sections ont été enten-


dues.
14. Le Gouvernement peut appeler à prendre part aux
séances de l'assemblée ou des sections, avec voix consulta-
tive, les personnes que leurs connaissances spéciales met-
traient en mesure d'éclairer la discussion.
15. La section du contentieux est chargée de diriger
l'instruction écrite et de préparer le rapport des affaires
contentieuses qui doivent être jugées par le Conseil d'État.
Elle ne peut délibérer que si trois au moins de ses membres,
ayant voix délibérative, sont présents.
En cas de partage, on appellera le plus ancien des maîtres
des requêtes présents à la séance. — Tous les rapports au
contentieux sont faits par écrit.
16. Trois maîtres des requêtes sont désignés par le Prési-
dent de la République pour remplir au contentieux les
fonctions de commissaire du Gouvernement. — Us assiste-,
ront aux délibérations de la section du contentieux. .
17. Le rapport est fait, au nom de la section du conten-
tieux, à l'assemblée publique du Conseil d'État statuant au
contentieux. Cette assemblée se compose: 1° des membres
de la section ; 2° de six conseillers en service ordinaire pris
dans les autres sections et désignés par le vice-président du
542 TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS.
Conseil, délibérant avec les présidents de section. — Les
conseillers adjoints à la section du contentieux ne peuvent
y être remplacés que par une décision prise dans la forme
qui est suivie pour leur désignation.
18. Après le rapport, les avocats des parties présentent
leurs observations orales. — Les questions posées par les
rapports sont communiquées, sans déplacement, aux avo-
cats, quatre jours au moins avant la séance. — Le commis-
saire du Gouvernement donne ses conclusions dans chaque
affaire.
19. Les affaires pour lesquelles il n'y a pas de constitu-
tion d'avocat ne sont portées à l'audience publique que si ce
renvoi a été demandé par l'un des conseillers d'État de la
section, ou par le commissaire du Gouvernement à qui elles
sont préalablement communiquées. Si le renvoi n'a pas été
demandé, ces affaires sont jugées par la section du conten-
tieux, sur le rapport de celui de ses membres que le prési-
dent en a chargé, et après les conclusions du commissaire
du Gouvernement.
20. Les membres du Conseil d'État ne peuvent participer
au jugement des recours dirigés contre les décisions qui
ont été préparées par les sections auxquelles ils appar-
tiennent, s'ils ont pris part à la délibération,
2 t. L'assemblée du Conseil d'État statuant au contentieux
ne peut délibérer qu'en nombre impair; elle ne décide va-
lablement que si neuf membres au moins ayant voix délibé-
rative sont présents.
Pour compléter l'assemblée, les conseillers d'État absents
ou empêchés peuvent être remplacés par d'autres conseil-
lers en service ordinaire,, suivant l'ordre du tableau.
22. Toutes les décisions prises par l'assemblée du Conseil
d'État délibérant au contentieux et par la section du conten-
tieux sont lues en séance publique, transcrites sur le procès-
verbal des délibérations et signées par le vice-président, le
rapporteur et le secrétaire du contentieux. Il y est fait
mention des membres ayant délibéré. Les expéditions qui
sont délivrées par le secrétaire portent la formule exécu-
toire.
23. Le procès-verbal des séances de la section et de l'as-
semblée du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, men-
tionne l'accomplissement des dispositions contenues dans
les articles 15, 17,18,19, 20, 21 et 22.
Dans le cas où ces dispositions n'ont pas été observées, la
ORGANISATION ACTUELLE. •
543
décision peut être l'objet d'un recours en révision, qui est
introduit dans les formes établies par l'article 33 du décret
du 22 juillet 1806 (1) et dans les délais fixés par le décret
du 2 novembre 1864 (2).
24. Le décret du 22 juillet 1806, les lois et règlements
relatifs à l'instruction et au jugement des affaires conlen-
tieuses continueront à être observés devant la section et
l'assemblée du Conseil d'État statuant au contentieux.
Sont applicables à l'assemblée les dispositions des arti-
cles 88 et suivants du Code de procédure civile, sur la police
des audiences.
Les recours formés contre les décisions des autorités ad-
ministratives continueront à n'être pas suspensifs.
Néanmoins, les conseils de préfecture pourront subor-
donner l'exécution de leurs décisions, en cas de recours, à
la charge de donner caution ou de justifier d'une solvabilité
suffisante.
Les formalités édictées par les articles 440 et 441 du Code
de procédure civile seront observées pour la présentation
de la caution.
TITRE IV.
DES CONFLITS ET DU TRIBUNAL DES CONFLITS. •

25. Les conflits d'attributions entre l'autorité administra-


tive et l'autorité judiciaire sont réglés par un tribunal spé-
cial composé : 1° du garde des sceaux, président ; 2° de
trois conseillers d'État en service ordinaire élus par les con-
seillers en service ordinaire ; 3° de trois conseillers à la
cour de cassation nommés par leurs collègues ; 4° de deux
membres et deux suppléants, qui seront élus par la majo-
rité des autres juges désignés aux paragraphes précédents.
Les membres du tribunal des conflits sont soumis à réé-
lection tous les trois ans, et indéfiniment rééligibles.
Us choisissent un vice-président au scrutin secret et à la
majorité absolue des voix.
Us ne pourront délibérer valablement qu'au nombre de
cinq membres présents, au moins.
26. Les ministres ont le droit de revendiquer devant le
tribunal des conflits les affaires portées à la section du con-
(1) IVe série, Bull. 107, n» 1793.
(2) xic série, Bull. I2i8, n- 12. 726.
544 ^ TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS.
tentieux et qui n'appartiendraient pas au contentieux admi-
nistratif.
Toutefois ils ne peuvent se pourvoir devant cette juridic-
tion qu'après que la section du contentieux a refusé de faire
droit à la demande en revendication, qui doit lui être préa-
lablement communiquée.
27. La loi du 4 février 1850 et le règlement du 28 octo-
bre 1849, sur le mode de procéder devant le tribunal des
conflits, sont remis en vigueur.
28. Les délais fixés pour le jugement des conflits seront
suspendus pendant le temps qui s'écoulera entre la promul-
gation de la présente loi et l'installation du tribunal des con-
flits.
DISPOSITIONS TRANSITOIRES.

29. Pour le premier concours des auditeurs de deuxième


classe, les candidats seront admis à concourir jusqu'à l'âge
de vingt-sept ans accomplis.
Les auditeurs 'de deuxième classe nommés au premier
concours seront admis à concourir pour la première classe
jusqu'à l'âge de trente-deux ans.
30. La commission provisoire instituée par le décret du 15
septembre 1870 continuera d'exercer ses fonctions jusqu'à
l'installation du nouveau Conseil d'État.
Délibéré en séance publique, à Versailles, les 19 février,
3 et 24 mai 1872.

Loi sur l'organisation du Tribv.nal des Conflits.


Du 4 février 1850.
L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE A ADOPTÉ D'URGENCE LA
LOI dont Ja teneur suit :
ART. 1er. Le tribunal des conflits est présidé par le mi-
nistre de la justice.
Ses décisions ne peuvent être rendues qu'au nombre de
ueuf juges, pris également, à l'exception du ministre, dans
les deux corps qui concourent à sa formation.
2. En cas d'empêchement du ministre, il est remplacé
dans la présidence du tribunal des conflits parle ministre
chargé du département de l'instruction publique.
ORGANISATION ACTUELLE. 545
3. Si un autre membre du tribunal est empêché, il est
remplacé, selon le corps auquel il appartient, soit par un
conseiller d'État, soit par un membre de la Cour de cassa-
tion.
A cet effet, chacun des deux corps élit dans son sein deux
suppléants.
Ces suppléants seront appelés à faire le service dans l'or-
dre de leur nomination.
La durée de leurs fonctions sera la même que celle des
membres titulaires, et ils seront nommés en même temps.
Il sera procédé à cette nomination par le Conseil d'État et
par la Cour de cassation, dans les huit jours qui suivront la
promulgation de la présente loi.
4. Les décisions du tribunal des conflits ne pourront être
rendues qu'après un rapport écrit, fait par l'un des mem- -
bres du tribunal, etsurles conclusions du ministère public.
5. Les fonctions de rapporteur seront alternativement
confiées à un conseiller d'Etat et à un membre de la Cour
de cassation, sans que cet ordre puisse être interverti.
6. Les fonctions du ministère public seront remplies par
deux commissaires du Gouvernement, choisis tous les ans
par le Président de la République; l'un parmi les maîtres
des requêtes au Conseil d'État, l'autre dans le parquet de la
Cour de cassation.
I! sera adjoint à chacun de ces commissaires un suppléant,
choisi de la même manière et pris dans les mêmes rangs,
pour le remplacer en cas d'empêchement.
Ces nominations devront être faites, chaque année, avant
l'époque fixée pour la reprise des travaux du tribunal.
7. Dans aucune affaire, les fonctions de rapporteur et
celles du ministère public ne pourront être remplies par
deux membres pris dans le même corps.
8. Le délai fixé par l'article 7 de l'ordonnancedu 12 mars
1831 est porté à trois mois, pour le jugement des conflits
actuellement pendants et de ceux qui pourront être élevés
dans les trois mois qui suivront l'installation du tribunal des
conflits.
9. Le règlement du 26 octobre 1849 est modifié en tout
ce qui ne serait pas conforme aux dispositions delà présente
loi.
Délibéré en séance publique, à Paris, le 4 février 1850.

35
X" 1.

TABLEAU, PAR DÉPARTEMENTS,

DES RIVIÈRES DU DOMAINE PUBLIC , ANNEXÉ A L'ORDONNANCE ROYALE

DU 10 JUILLET 1835.

RIVIÈRES GEXRE DE NAVIGATION.

DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
riimcs DE RIVIÈRES. cu trajus. par bateaux.
1

/ Aie Sur tout sou cours jus-


/ qu'à son embouchure
Î
dans le Rhône.
t Jîïciiue Sur tout son cours Depuis Dortan jusqu'à
1
son embouchure dans
\ l'Ain.
1 Furans A partir du pont d'Ander POÎDI de navigation par
1 jusqu'à son crabou- bateaux.
1 chure dans le Rhône.
] Reyssousse De Pont-de-Yaux à sou
J embouchure dans la
Allf' \ Rhône *

Saône.
j A partir du hameau du
J Parc j commune de
I Sovgieu.
I Saône Sur tout son cours dans
I le département.
F
Séran Du confluent de l'Ar- Point de navigation par
j vière à son embou- bateaux.
I chure dans le Rhône.
\ Lacs de JN'antua et de
\
Silans Dans toute leur étendue.
Aisne Sur tout son cours dans
le département.
Alsr,E*
iTCK™ < Idem.
Marne (1)
Oise A partir du pont de Bau- Depuis Chaimv jusqu'à
tor. la limite du départe-
ment de l'Oise-
f Allier
,
Sur tout son cours dans
'ALLIER. le département.
Cher.. Du moulin d'Enchaumc, Point de navigation par
au-dessous de 5Iontlu- bateaux,
çon, à la limite du dé-
partement du Cher.
Buech d'Aspres ou Grand- Sur tout son cours jus- Point de navigation par
ALFES^ Buech. qu'à son embouchure bateaux.
(BASSES-). dans la Durance.
Durance Surtout son cours jus- Idem.
qu'à la limite du dé-
partement des Bou-
ches-du -Rhône.

OBSERVATION.
(1) Sauf les droits résultant, pour un propriétaire particulier, d'un arrêt qui a acquis l'au-
lorité de la chose jugée. ;
TABLEAU N° 1. 347
_

RITIÈRES GENKE DE NAVIGATION.

DETAE1TEMF.ÎCTS. OU
FLOTTABLES XÀVJGABLES
PARTIES DE RIVIERES. ell lrains. par bateaUX.

f Buech d'Aspres ou Grand- Depuis la commune de Point de navigation par


! Buech. Saint-Julien jusqu'à la bateaux,
limite du département
des Basses-Alpes.
Petit-Buech De la Roche à son em- Idem.
bouchure dans le Grand-
Buech. j
Durance Depuis la commune de Idem.
Saint-Clément jusqu'à
la limite du départe-
ment des Basses-Alpes.
Ardèche A partir du pont d'Aube- De Saint-Martin-d'Ardë-
AF.DÈCHE. Qas. che à la limite du dé-
partement du Gard.
Rhône Sur tout son cou rs dans
le département,
/Aisne A partir de la commune De Chàteau-Porcien àla
( de Mouron, limite du département
1
de l'Aisne.
I Bar De Pont-Bar à son em-
] bouchure dans la
ARBEXXES. / Meuse.
1 Chïers .' Depuis LafTerté jusqu'au
1
confluent de la Meuse.
f Meuse Sur tout son cours dans
i :
le département.
\Semov Depuis son entrée sur le De la commune des
territoire de France. Hautes - Rivières au
confluent de la Meuse,
ARÎÉGE. Salât De Taurignan à la limite Point de navigation par
du département de la bateaux.
Haute-Garonne.
'Aube (1) A partir de Brieune-la- Depuis Arcis-sur-Aube
Vieille. jusqu'à la limite du
AUBE. \ département de la
Marne.
Seine Sur tout son cours dans
le département, à par-
tir du pont de Méry.
AUDE. Aude A partir du pont de Quil- Point de navigation par
Lan. bateaux.
AVEYRON. Lot Depuis Entraigues jus-
qu'à la limite du dé-
partement du Lot.
BOUCHES-DU- Durance Surtout son cours jus- Point de navigation par
RUÔXE. <3u'à *a limite du dé- bateaux.
parlement de Yaucluse.
OBSERVATION.
(i) l'exception des trois parties comprises entre l'embouchure des cours d'eau de la
A.
Gironde et le pont situé sur la route royale n° 77, et dites le canal de Cherlieu, le Biez
des moulins d'Arcy et la Fosse desdits moulins, dont l'entretien n'est point à la charge de
l'État.
48 RIVIERES DU DOMAINE PUBLIC.

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

DÉPARTEMENTS, OU
FLOTTABLES NA VIGABLliS
PARTIES DE RIVIÈRES. en trams. par bateaux.

I Rhône Sur tout son cours jus-


BOETCHES-DU- ] qu'à son embouchure
RUÔKE. (Suite.) J dans la mer.
' Petit Rhôuc Idem.
I

' Aure De Trévière à son em-


J bouchure dans laYire.
I Dives.: Du pont de Corbon. à son
1 embouchure dans la
riTVADti*
Manche.
OALAADO.. ".Qrnc
<
Du pont de Yaucelles à
j C.aen, jusqu'à son em-
[ bouchure dans la Man-
\ che.
\Toucques Depuis la commune de
Brcuil jusqu'à son em-
bouchure dans la Man-
che.
CHARENTE. Charente De Mortignac à la limite
du département de la
Charente-Inférieure.
!

/ Boutonne Du pont de Saint-Jean-


/ d'Angely à son em-
bouchure dans la Cha-
l
1
rente.
I Charente Sur tout sou cours jus-
\ qu'à son embouchure
CHARENTE- J dans l'Océan.
INFÉRIEURE. <^ Mignon Sur tout son cours jus-
j qu'à son embouchure
J dans laSèvre niortaise.
fSeudre Depuis la commune de
F Saujon jusqu'à son
I embouchure dans l'O-
\ céan.
\ Sèvre niortaise Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans l'Océan.
(Allier Sur tout son cours dans
"le déparlement.
Cher (1) Surtout son cours dans Depuis Yierzon jusqu'à
le département. la limite du départe-
ment de Loir-et-Cher.
Loire Sur tout son cours dans
,
le département.
CORRÈZE. Dordogne. A partir de Pont-d'Arche Point de navigation par
jusqu'à la limite du dé- bateaux,
parlement.
CÔTE-D'OR. Saône Sur tout sou cours dans
le département.
OBSERVATION.
(1) A l'exception delà dérivation qui alimente les moulins de Châteauneuf, depuis la digue j

d'Aigucs-Mortes jusqu'auxdits moulins, dont l'entretien est à la charge des propriétaires j

riverains. I
TABLEAU N° 1. 549

RIVIÈRES GENRE'DE NAVIGATION. -


DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIÈRES. entrains, par bateaux.-

CREDSE. Creuse Du confluent de la petite Point de navigation par


Creuse^ à Fresselines,- bateaux,
à la limite du départe-
ment de l'Indre.
Dordogne Sur tout son cours dans
'
le département.
DonooGNE. .-Isle Du vieux pont de Péri-
~\
gueux à la limite du
I département.
' Yézère Depuis Montignac jus-
qu'à son embouchure
dans la Dordogne.
Doubs A partir de Youjeaucourt
Douas, jusqu'à la limite du
département du Jura.
Lac de Saint-Point Sur toute son étendue.
,Bez partir de Mensacjus- Point de navigation par
A
/ qu'à son embouchure bateaux.
j dans la Drôme.
1 Pont - en - Royans à
Bourne , De Idem.
1 embouchure dans
1 son
! Drôme
ris ère. -
.
Du confluent du Bez à Idem.
DRÔME. / son embouchure dans
\ le Rhône.
j Isère -
Sur tout son cours jus-
i,-, qu'à son embouchure
: f dans le Rhône.
I Lionne De Saint-Jean-en-Rouans Peint de navigation par
;
| " à son embouchure dans bateaux.
\ la Bourne.-
*'•
Rhône •
Sur tout son cours dans
j , le département.
/Andelle •*•
De la commune de Pi-
j
l très à son embouchure
dans la Seine.
I Eure Depuis Saint - Georges
P
fcTOE'
1
.
jusqu'à son embou-
*
j Rille
1 -
chure dans la Seine.
Depuis Montfort jusqu'à
F
I son embouchure dans
\ Seine la Seine.
Sur tout son cours dans
le département.
EmiE-ET-Lom. Eure (1) •
!Ardècbe Sur tout son cours .jus-
, qu'à son embouchure
. .
dans le Rhône.
Depuis la commune de Point de navigation par
.
Cèze
Chuselaa jusqu'à son bateaux.
embouchure dans le
Rhône.
OBSERVATION.
(1) Voir le département de l'Eure.
SoO RIVIÈRES DU DOMAINE PUBLIC.

j ï
RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIERES. ^ traijiS> par bateaUX.

-.
^
I Gardon d'Aïais A partir de la chaussée Point de navigation par
de Rémoulins jusqu'à bateaux,
son embouchure dans
le Rhône.
Rhône Sur tout son cours dans
I le département.
iAriége Depuis Cintegabelle jus-
• .• .-
qu'à son emhouchure
dans là Garonne.
Garonne A partir de Saint-Béat,.. Du confluent du Salât à
la limite du départe-
Tara-lt-Ga-
ment de
ronne.
Salât -
Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Garonne.
Tarn Sur tout son cours dans
I le département.
iCïron Depuis Travette, au des- Point de navigation par
sus d'Uzeste, jusqu'à bateaux,
son embouchure dans
la Garonne.
Dordogne Sur tout son cours dans
le département.
Dronne Coutras jusqu'à
• Depuisembouchure
son dans
llsle.
Dropt Du moulin de la Barthe,
au-dessus de Morisès,
à son embouchuredans
la Garonne.
Garonne «
Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure,
dans la Gironde.
Gironde Surtout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans l'Océan. ~
Isle.. .,. •
Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Dordogne.
Leyre Dupont de Beliel à son point de navigation par

!' Hérault
Mosson
;
embouchure dans le bateaux,
bassin d'Arcachon.

, Du pont de Bessan à
mer.
Du Port au vin, com-
mune de Yilleneuve-
la

les - Maguelonnes , à
son embouchure dans
le Lez.
Orb Depuis Serignan jusqu'à
i
la mer.
ILLE-ET YILAIHE. Couesnon - Depuis le confluent de la
>
rivière de Loysance au
pont de l'Angle, jus-
qu'à la limite du dé-
partement de la Man-
che.
TABLEAU N° 1. ool

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.


DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIERES.
en tT^ns_ par bateaul.

!Meu... Depuis Mordelles. jus-


qu'à son embouchure
dans la Vilaine,
Oust
.^ Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Vilaine.
Vilaine De Cesson, près de Ren-
nes, à la limite du dé-
partement du Morbi-
han.
IKDRE. Creuse De la limite du déparle- Point de navigation par
ment de la Creuse à bateaux.
celle du département
d'Indre-et-Loire. •
/Brème ou Brenne A partir du pont de
/ Brème jusqu'au con-
j fluent de la Loire.
J Cher Surtout son cours jus-
...
1
qu'à son embouchure
i dans la Loire.
lYieux-Cuer Depuis Villandry jus- Point de navigation par
1 qu'au barrage de Ru- bateaux.
1
puanae.
iChoîselle...... ,. A partir du barrage exis-
INDRE-ET-LOIRE. /\ 3
tant à 60 mètres en
amont du pont de la
Motte jusqu'à la Loire.
Sur tout son cours Du pont de Lauverniè-
ijCreuse res a son embouchure
J dans -la Vienne.
ff Loîre Sur tout son cours dans
le département.
Masse A partir du barrage exis-
- tant près du quai de la
ville d'Amboise jus-
qu'à son embouchure
\ dans la Loire.
\ Vienne Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Loire.
iDrac Du punt de Claix à son Point de navigation par
embouchure dans 1*1- bateaux..
sère.
Isère Sur tout son cours dans
le département, depuis
son entrée en France
au-dessous de Mont-
meillan.
\ Rhône Sur tout son cours dans
| le département.
iAin Apartir du pont de Na- De la Chartreuse de Vau-
voy, cluse à la limite du dé-
partement de l'Ain.
Bienne Depuis Saint-Claude jus- Point de navigation par
qu'à la limite du dé- bateaux,
parlement de l'Ain. '
\ Doubs .7.'. Sur tout son cours dans
-
| le département.
52 RIVIERES DU DOMAINE PUBLIC.

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

DÉPARTEMENTS OU ~~
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIERES. eu trains# par bateaux,

JURA. (Suite.) Loue Depuis la commune de Point de navigation par


Cramans jusqu'à son bateaux.
embouchure dans le
Doubs.

j Adour A partir de la commune Depuis Saint-Sever jus-


| d'Aire. qu'à son embouchure
dans l'Océan.
I Douze Depuis Roquefort jusqu'à Point de navigation par
1 sa jonction avec la Mi- bateaux.
1 douze.
1
Luy A partir
du moulin d'Oro
LANDES.
/
S
jusqu'à son embou-
chure da]]S i'Ad0Ur.
1
Midouze. Depuis Mont-de-Marsau
J jusqu'à sou embou-
I chure dans l'Adour.
F
Gave d'Oléron Sur tout son cours jus- Point de navigation par
I qu'à son embouchure bateaux.
\ dans le Gave de Pau.
\ Gave de Pau.... Sur tout son cours Depuis Peyrehoradc jus-
qu'à son embouchure
dans l'Adour.
Cher Sur tout son cours dans
LOIR-ET-CHER. le département.
Loire Idem.
LOIRE. ! Loire Sur tout son cours De la Noirie au-dessus
j de Saint-Rambert à la
| limite du département
de Saône-et-Loire.
Allier Depuis Saint-Arcons jus- Point de navigation par
qu'à la limite du dé- bateaux.
LOIRE (HAUTE-). < parlement du Puy-de-
Dôme.
Loire Depuis Retournac jusqu'à Idem.
la limite du départe-
ment de la Loire.
/ Erdre Depuis Nort jusqu'à son
i , embouchure dans la
LOIRE- 1
Loire.
INFÉRIEURE. \ Loire Sur tout son cours jus-
I ,. . qu'à l'Océan.
.1 Sèvre nantaise A partir du pont de
Monnières jusqu'à son
embouchure dans la
Loire.
Loire Sur tout son cours dans
LOIIIET. le département.
Loiret De C40 mètres au-dessus
du pont de Saint-Mes-
min à son embouchure
dans la Loire.
LOT. Dordogne Surtout son cours Depuis Meyronnes jus-
qu'à la limite du dé-
partement de la Dor-
dosne.
TABLEAU N° 1. 5o3

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.


DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DU-RIVIÈRES. entrains, par bateaux.

LOT. {Suite.) Lot., Sur tout son cours dans


le département.
i'Bayse .."..... De la digue de Nazareth
à son embouchure dans
la Garonne.
Garonne Sur tout son cours dans
: le département.
Gers; A partir du pont de Ley-
rac jusqu'au confluent
de la Garonne.
\ Lot .
Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Garonne.
/Authion Depuis la chaussée de
!
Vivy jusqu'au con-
j fluent de la Loire.
( Dive (i) .". Depuis Pas-de-Jeu jus-
qu'au confluent du
Thouet.
Layon Du pont de Concourson
jusqu'au eonfluent de
la Loire.
Loir Surtout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Sarthe.
Loire Sur tout son cours dans
^e département.
"YTÀÎÏÏT: (/ Maine Sûr tout son cours jus-
ET LOIRE* '
»
" qu'à son embouchure
dan_s la Loire.
Mayenne ' -•
Sur tout son cours jus-
qu'au confluent de la
Maine.
Du moulin sous La-
Oudon ...... „
tour , en : amont du
pont de Segré, à son
emboncbure dans la
I Mayenne.
{
Sarthe *.
Sur tout son cours jus-
qufà son embouchure
j
^ dans la Maine.

Thouet Du moulin de Couché,
en amont .de Mon-
tveuil-Bellay, au con-
fluent de la Loire.
iCouesnon Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans les grèves du
Mont-Saint-Miche!.
Douve De Saint-Sauveur le-Vi-
comte au confluent de
la Taute.
Madelaine De la chaussée de Beauté
I à son embouchuredans
j la Taute.
OBSERVATION.
(1) Cette rivière canalisée a été concédée pour 90 ans, par ordonnance du 9 octobre 1825.
54 RIVJÈKES DU DOMAIM PUBLIC. -

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

DEPARTEMENTS. OU "~
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE B.I-YIERE5. ei ,rains, par bateaUÏ.

/Merdret - De la chaussée de la
/ Fièrc à son embou-
/ chure dans la Dou\e.
Sée De Tirpicd, au-dessous
d'AYraucheSj au Groin-
du-Sud.
Sclune Du pont de Ducey à son
embouchure dans la
baie du Mont-Saint-
Michel.
Sève Du pont de Beauté à sou
I embouchure dans la
(Suite.)
/giejme Dupont
MANCHE. de la Roque,
J
commune de Moncba-
j ton, à son embouchure
* J dans la Manche.
I Taute. Du moulin de Ménil, près
I Marchesieux, à l'an-
I cicn passage du Grand-
I "vey*
[ Terrette Du pont Boucher, com-
mune de Saint-Pierre-
,

idans
\ d'Artenay, à son em-
\ ' boucburèdans la Taute
\Vire .
%..... Du pont de Vire à Saint-
Lô, à son embouchure
dans la Manche.
/Aube Sur tout son cours jus-
f qu'à son embouchure
ia Seine.
Chée ... A partir d'Alliancelles Point de navigation par
jusqu'à son embou- bateaux,
chure dans la Saulx.
Marne (1) ,„ Sur tout son cours dans
le département.
Ornain Sur tout son cours jus- Point de navigation par
qu'au, confluent de la bateaux.
Saulx.
Saulx Depuis Estrepy jusqu'à Idem.
son embouchure dans
la Marne,
i
Seine Sur tout son cours dans
le département.
MARMB (HAUTE-). Marne A partir de 200 mètres
en aval du pont de
Saint - Dizier jusqu'à
la limite du départe-
ment de la Marne.
MATESSE. Mayenne A partir de la porte du
« moulin de Bellayer,
au-dessous du vieux
pont de Laval.

OBSERVATION.
(1) Sauf les droits résultant, pouir un propriétaire particulier, d'un arrêt qui a acquis l'au-
torité de la chose jugée.
TABLEAU N° i. 555

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.


DÉPARTEMENTS. ou
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIÈRES. en trains, par bateaux.

/Châtillon Depuis Cirey jusqu'à son Point de navigation par


i embouchure dans la bateaux.
Vezouze.
Mcurthe Depuis la limite du dé- Depuis Nancy jusqu'au
,. parlement des Vosges. confluent d'e la Mo-
selle.
Moselle... Surtout son cours dans Du pont de Frouard à
le département. * la limite du départe-
ment de la Moselle.
Sarre-Rouge Depuis A bresehwillerjus- Point de navigation par
qu'à son embouchure bateaux.
J dans la Sarre.
j Sarre-Blanche A partir de 2,900 mètres Point de navigation par
MECUTBE.
I au-dessus de la coin- bateaux,
d'Hermelange
mune
jusqu'à sa réunion avec
la Sarre-Rouge.
Sarre " Du point de réunion de Idem.
la Sarre-Rouge et de
la Sarre-Blanche à la
limite du département
du Bas-Rhin.
Val. Depuis la Scierie-de- Idem.
Marquis jusqu'à sa
réunion à la Vezouze.
Vezouze Sur tout son cours dans Idem.
i le département.
Meuse De Verdun à la limite du
département des Âx-
WEtJSE' dénués.'
Oraain Depuis Bar-le-Duc jus- point de navigation par
r qu'à la limite du dépar- bateaux,
tement de la Marne.
Aff De Gacilly à la rivière
/ •
d'Oust.
1 Arz A partir du deuxième
1 pont d'Arz.
Du pont de MaLestroit à
MORBIHAN. ;lOust la Umite du départe-
1
ment d'Ille-et-Vilaine.
I Scorf Depuis Pont-Scorf jus-
qu'à la mer.
\ Vilaine
1

iqu'à
Sur tout son cours jus-
I qu'à la mer.
\ Moselle Sur tout son cours dans
l ^ le départementjusqu'à
MOSELLE. ) sa sortie de France.
(Sarre(l) Idem.
!
AUier Sur tout son cours jus-
.
son. embouchure
dans la Loire.
Arron.... De la commune de Cer- Point de navigation par
cy - la - Tour à son bateaux,
.
embouchure dans la
Loire.
OBSERVATION.
(1) Sauf partage avec la Prusse dans la partie qui sépare les deux royaumes.
556 RIVIÈRES DU DOMAINE PUBLIC.

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIÈRES. entrains, par bateaux.
. . , —
-Loire Sur tout son cours dans
NIÈVRE. (Suite.) le département.
Yonne A partirdu Perthuis d'Ar- Point de navigation par
_

mes jasqu'à la limite bateaux,


du département de
l'Yonne.

/ Bourre. Depuis l'embouchure du


. / caual de Préaven jus-
/ qu'au confluent de la
I Lys.
i Deule (Basse-) (1) A partir de Lille jus-
1 .,.., qu'au confluent de la
I Lys.
1 Deule (Haute-) (1) Sur tout son cours dans

NORD.
iI
/

1
Escaut
\ Lawe
1 ,
.sa le département.
Depuis Cambrai jusqu'à
sortie de France.
Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Lys.
I Lys (2) Sur tout son cours jus-
I qu'à sa sortie de Fran-
f .
ce.
j Sambre (3) A partir de Landrecies
\ jusqu'à sa sortie dé
\ France.
' Scarpe ." Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
- :
dans l'Escaut.
.

/Aisne......; .,., Surtout son cours JUS-


QUE. ) qu'à son embouchnre
) dans l'Oise.
{ Oise Sur tout son cours dans
1 le département.
-

/Aa A partir de la vanne du


/ Haut*-Pont à Saint-
.. . I . .
Orner jusqu'à la mer.;
1 Canche De Montreuil à là mer.
" I Deule (Haute-) (4) Sur tout son cours dans
] le département.
PAS-DE-CALAIS.

/ Lawe De Béthunë à la limite
1 du département du
: I Nord.
I Lys D'Aire à la limite du dé-
, parlement dû Nord.
'-' y
>
\Scarpe.. D'Arras a la limite du
département du Nord.
PUY-DE-DÔME. Allier Sur tout son cours...... A partir du pont de
Brassac jusqu'à la li-
mite du département
de l'Allier.
OBSERVATION.
fi) Cette rivière canalisée a été concédée par ordonnance du 16 septembre 182o.
(Ti Concédée pour vingt-neuf ans, par ordonnance du 16 septembre 182$.
(3| Concédée pour cinquante-quatre ans et dix mois, par ordonnance du S février 1826.
(4) Même observation qu'au département du Tfôrd.
TABLEAU N° i. 557

^TWi„T,D GENRE DE NAVIGATION.


RIVIERES
DÉPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE BiviERES. en trains. par bateaux.

PUY-DE-DÔME. Dore. Dela commune de la Point de navigation par


(Suite.) Naud, au-dessous de bateaux.
Courpierre, au con-
fluent de l'Allier.

j Bidassoa
Depuis Bordaruppfct, ter-
ritoire de Biriatou,
jusqu'à l'Océan.
Midouze Du pont de Came à l'A-
dour. '
Gave-de-Pau. Du pont de Betaram, Point de navigation. par
commune de Lestelle, bateaux,
à la limite du départe-
ment des Landes.
Gave-d'Oléron Depuis le pont d'Oléron Idem.
jusqu'à la limite du dé-
partement des Landes.
Lacan Du pont de Bardos à son
PYRÉNÉES (BASSES-) / ,. embouchure dans l'A-
\ dour.
Ardanabia .De Pontorberry , com-
mune de Briscous, à
son embouchure dans
l'Adour.
NiVe A partir du confluent De la commune de Cam-
du torrent de Laurbi- ho à son embouchure
barre, à 2,500 mètres dans l'Adour.
au-dessous de Saint-
Jean-Pied-de-Port.
Nivelle Du pont d'Ascaïn à l'O-
: 1 * céan.
\Saison ou Gave-de-Mau- D'Osserain à son esabou- Point de navigation par
léon. chure dans .le Gave- bateaux.
d'Oléron.
PYRÉNÉES (HAUTES-) Neste... Depuis la commune de Idem.
Saint - Lary jusqu'au
confluent de la Ga-
^ ronne près de Montré-
jau, département de la
Haute-Garonne.
.

iU. Sur tout son cours jus-


// , qu'à son embouchure
l dans le Rhin.
1 Moder Depuis la commune de
] Stattmatten jusqu'au
_
RHIN .„ .
(BAS-). i confluent du Rhin.
1
Rhin Sur tout son cours jus-
I qu'à sa sortie de
I France.
VSarre Sur tout son cours jus- Point de navigation par
qu'à la limite du dé- bateaux,
parlement de la Mo-
selle.
/ iU A partir de Colmâr jus-
1
" qu'à la limite du dé-
Ram (HAUT-). J
-
parlement du Bas-
Rhin.
( Rhin
,... Sur tout son cours dans
| le département.
558 RIVIÈRES DU DOMAINE PUBLIC.

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

Iqu'à
DÉPARTEMENTS. OU
F LO T T A B LE S NAVIGABLES
PARTIES DE BUV1ERES. m trajns< pap _bateaus.

i' Rhône Sur tout son cours dans


le département.
Saône • •»
Sur tout son cours jus-
son embouchure
dans le Rhône.
/ Coney Du ponl de Selles à son Point de navigation par
l * embouchure dans la bateaux.
| Saône.
SAÔNE (HAUTE-). < Lanterne. Depuis Mtrsuay jusqu'à Idem.
j son embouchure dans
| la S acné.
V Saône A partir du pont de Jon- Depuis Oray jusqu'à la
1 velle. limite du département
de la Côte-dJOr,
i
IArroux Depuis Gueugnon jus-
qu'à son embouchure
dans la Loire.
Doubs . Ï
Sur tout son cours jus-
qu'à son embouchure
dans la Saône.
Loîre - .-
Sur tou t son cours dans
le département.
Saône........ Idem.
Seille .-.. A partir de Louhans jus-
/ qu'à Eon embouchure
dans la Saône.
/Loir A 'partir da Moulin-de- Du pont Gauthier, com-
1 la - Pointe au - dessous mune de Sainte-Cécile,
) rïe la commune de la à la limite du dépar-
«îiHTinï
D Chartre.
J tement de Maine-et-
[
, Loire.
'Sarthe »
A partir du Mans jusqu'à
la limite du départe-
ment de Maine - et -
Loire.

)
Marne •.-.... Sur tout son cours jus-
3U'^ S011 embouchurc
i

SEINE. j

" dans la Seine.


*
J.
' Seine , -. - Sur tout son cours dans.
j le département.
Î Lézarde Depuis le pont aux chair
nés de Harfleur jus-
qu'à la pointe du Hoc.
Seine Sur tout son cours dans
[
- le déparlement.
ÎGrand-Morin (i)..;....... A partir des écluses de Depuis Tigeaux jusqu'au
Dammartin. confluent de la Marne.
Marne Sur tout son cours dans
- -
le déparlement.
Seine (2) idem.
OBSERVATIONS.
(1) A l'exception du bras qui alimente le moulin d'Ébly.
(2) A l'exception du ruisseau dïït la Vieille-Seine, vis-à-vis Marolles, et de l'ancien lit de
la
Seiae, autour de l'île des Pauquets, commune de la Tombe.
TABLEAU KM. 559

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.

DÉPAKTEMESTS. • OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIÈRES. en trains. par bateaux.

SEINE-ET-MABKE. Yonne •••.•• •


Sur tout son cours ' jus-
(Sulte.) qu'à son embouchure
dans la Seine.
/Marne .•
Sur tout son cours dans
l le département.
! Sur tout son cours jus-
c rt Oise
bEiNE-ET-OiSE. {
qU>a son embouchure
I dans la Seine.
V Seine * •* , • • ••
Sur tout son cours dans
le département.
/Mignon *
Du moulin neuf sous
Mauzé à la limite du
SÈVILES (DEUX-). -. département delà Cha-
rente.
Sèvre niortaise A partir de Niort jusqu'à
la limite du départe-
ment de la Vendée.
/ Avre A partir du pont de Mo-
| «
reuil jusqu'à son em-
! bouchure
Somme.
dans la
Affluents.
Petit-Avre Sur tout son cours.
Luce Jusqu'à 1,000 mètres eu
remontant au - dessus
de son embouchure.
Somme De la Neuville-les-Bray à
SOMME. 7 son embouchure dans
\ la mer.
| Affluents.
jHalluou Querrieu Jusqu'au premier bar-
I rage en remontant.
F Albert^ Ancre ou Mirau- Idem.
f mont.
' Ancien lit de la Somme Sur tout son cours.
à Hangest.
Petite-Somme ou-rivière Idem.
de Barabant. ••
TARN. Tarn De la digue des Moulins
» d'Alby, en amont du
pont, à la limite du dé-
partement delà Haute-
Garonne.
Garonne .' Sur toul son cours dans
^Anix" Je département.
ET-GAROÎÎNE. j jarn Sur tout son cours jus-
, qu'à son embouchure
1
dans la Garonne.
Durance Surtout son cours jus- Point de navigation par
qu'à
dans leson embouchure bateaux.
>A0CLUSE- Rhône.
'
I Rhône Sur tout son cours dans
t le département.
560 RIVIÈRES DU DOMAINE." PUBLIC

ItfYIERES GENRE DE NAVIGATION.

DEPARTEMENTS. OU
,
'' FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES DE RIVIÈRES. ea trains, par bateaux.

j/
Àutise.......... Du port de Souille au
confluent de la Sèvre.
kLay De Beaulieu, près Ma-
I " reuil, à la mer.
vVENDEE.
. / J niortaise.........
Sèvre Sur tout son cours dans
Ie département.
i Vendée....... Depuis Fantenay jusqu'à,
I son embouchure dans
F la Sèvre niortaise.
!
A partir du lieu dit Pas-
\ Tîe au-Peton, commune de
Saint-Maixent, jusqu'à:
la mer.

VIENNE. Vienne Depuis le pont de Chîtré


jusqu'à la limite du
département d'Indre-
et Loire.

fFave A partir de 1,250 mètres Point de navigation par


/ au-dessous de la com- bateaux.
| mune de Lubine, jus-
qu'à son embouchure
dans la Meurthe.
Gouttc-de-la-Maix A partir de la scierie de Idem.
la Maix, jusqu'à son
embouchure dans la
Plaine.
Meurthe.. A partir du confluent de Idem.
la Fave jusqu'à la li- .

mite du département
de la Meurthe.
Moselle ] Du pont de la Vierge, au- Idem,
dessus d'Epinal, jus-
qu'à la. limite du dé-

„VOSGES. ;
^ plaine
the. ........;
partement de la Meur-
A partir de la scierie de Idem.
! Saint - Pierre àu-des-
,
1
sus de la commune de
Raon - lés - Eaux, jus-
qu'au confluent de. la
Meurthe.
Rabodeau.. A partir de la scierie Idem.
l'Abbé, commune de
Moussey, jusqu'à son
embouchure dans la
Meurthe.
Ravines.... Depuis la scierie Coichot, Idem.
.
au-dessus de Sainte-
Praye , commune : de
Moy-en-Moutiér,
.
jus-
qu'à son embouchure
i dnns la Meurthe.
ÎTainlrOué..... A partir de la scierie de
Rougïville commune
j
de Taintrux, jusqu'à
son embouchure dans
la Meurthe.
TABLEAU N° 1. 561
r—
! RIY1ÈRES
i : ^—~
GENRE DE NAVIGATION.
1

^DEPARTEMENTS. OU
FLOTTABLES NAVIGABLES
PARTIES. DE RIVIERES. cn trajns_ par bateaM,

,,
,

h
I

— "

••
/, Armançon
,r,:-^: -- .,:
Depuis Brinon
.
~
. jusqu'à Point de navigation
.
~~~ par
.1
l ",-.,X-; son embouchure dans bateaux..
YONNE
l'Yonne.
1
\.-.
.. .
*
*
,.j Cure... Du pont d'Arcy à son em- Idem.
. , f bouchure dans l'Yonne.
\Yonne Sur tout son cours. A partir d'Auxerre, jus-
qu'à la limite du dé-
partement de Scine-
:•....-.:-: et-Marne.

Vu pour être annexé à l'ordonnance du 10 juillet 1835.

Paris, le 10 juillet 1835-


,.
Le Ministre secrétaire d'État des finances,

Signé : HDMANN.
TABLEAU, PAR DÉPARTEMENTS,
DES RIVIÈRES DU DOMAINE PUBLIC DONT LE CLASSEMENT, LE DÉCLASSEMENT, OU L
SUPPRESSION, ONT EU LIEU DEPUIS L'ORDONNANCE DU 40 JUILLET 4835.

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.


DÉPARTEMENTS.
PARTIES DE RIVIERES FLOTTABLES SAYIGARLES
et canaux. en trains. par bateaux.

§ Ier. — Rivières classées.


Décret du 16 mars 1850.
GIRONDE. Leyrc....... Entre uu point situé à
1 jbOO mètres eu amont
de la route départe-
mentale n° 4 et l'em-
bouchure dans le bas
sïn d'Arcachon.
Décret du 31 mars 1850.
HÉRAULT. [Hérault I ÎDu port deBessan à h
I I 1
mer.
Décret du li avril 1853. j

LotttE. J Loire | I

Décret du 10 septembre 1861. !

CounèzE. Dordogne Entre le pont d'Arches ou


pont de la Nais et le
confluent de la Rhue
(27^,500).
Décret du 9 octobre 1861.
GIRONDE. Ciron 1 Entre l'usine de la Tra
vette et le confluent d>
I
Barlos.
Décret du M décembre 1861.
MANCHE. Vanloue j Entre la route départe
, mentale n° i 3 et le con
I flueul de la Tan . ;
.
Décret du 3 août 186-2.

Estey de Langoiran Entre la Garonne et i


// * , roule impériale n° 10
1
— de l'OEuille Idem.
\ — deLatresne
Idem.
' — du Giramort
Idem.
r,
WROM)L. <
i _ de Podeilsac En(re la Garonne et 1
source des Fontaine!
F
— de Courrejean Entre la Garonne el ]
I moulin de Chegaray.
V
— de Graveyron..,., Entre la Garonne et * ]
I " moulin Leblanc.
I TABLEAU N° 2. 563
.

II
I RIVIERES GENRE E NAVIGATION. I
blÉpARTEMEKTS. I
.
ï PARTIES BB RIVIERES - , TLOTTABLBS NAVIGABLES
\ et canaux. Ga trains. par bateaux.
fr—
. — i^—i
f -
. - -

\ ' Décret du 14 janvier 186.5..


_

^LPES-MARITIMES. Var...
1 Depuis le confluent de la Point de navigation par
| Yésubîe jusqu'à là mer, bateaux.
/
/Arc .:.......,...Du pont de la Madeleine,
dans la commune de
Idem.
~ "

K Sainte-Marie de Cuines,
- jusqu'à son embou-
chure dans l'Isère.
Arly. Depuis le hameau de Mol- Idem.
lières, dans la com-
mune d'Ugine^ jusqu'à
.
son embouchure dans
I l'is ère.
bAvoiE. / Lac du Bourget... Dans toute son étendue.
\ Isère Depuis le pont d'Aiguës- Point de navigation par
Blanche jusqu'à la li- bateaux,
mite du département
de l'Isère.
Leysse .' Depuis le Haut-Vairon
(commune du Bourget)
jusqu'à son embou-
chure dans le lac du
\ Bourget.
\Canal de Savières Sur toute son étendue.
' Décret du 19 novembre 1873.
// Lac d'Annecy Dans toute son étendue.
j
Arve. Depuis le confluent du Point de navigation par
Bonnant jusqu'à la bateaux.
j
I
i
frontière de la Suisse".
1 Lac Léman. Dans toute l'étendue des
I \''- - eaux françaises.
HAUTE-SAVOIE. < Rhône Depuis la frontière de la L'ordonnance du 10 juil-
, Suisse jusqu'au hameau let 1835 a déclaré le
ij du Parc. Rhône navigable à par-
I tir du hameau du Parc,
i dans la commune du
' Sorgier.
\ Thiou.. ••••. Navigable, par bateaux
depuis le le lac d'An-
necy jusqu'au barrage
de Sainte-Claire pour
le Thiou et le petit
pont des Boucheries
pour le.Yassé ou petit
Thiou. "

Décret du 27 mai 1865.


[ AIN. Chalaronne. ..". Depuis le creux de, la
| Moselle jusqu'à son
!
embouchure dans la
Saône.
Décret du 19 juin 1867.
LANDES. Leyre et son affluent la La Leyre, depuis son em-
Leyre de Sore. bouchure dans le bas-
sin d'Arcachon (Giron-
de) jusqu'au moulin de
Rotgé (Landes).
o64 .RIVIÈRES DU DOMAINE PUBLIC.

RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION,


ou —*^—». " m
DEPARTEMENTS.
PARTIES DE RIVIERES FLOTTABLES NAVIGABLES
et canaux. en trains. par bateaux.

LANDES (suite). Leyre et son affluent la La Leyre de Sore, de son


I Leyre de Sore. j embouchure au moulin
J de Belhade.

Décret du 2S avril IS69.


LANDES. I Vieux-Eoucant | I Depuis l'étang de Sons-
| | J
ton jusqu'à la mer.
Décret du 15 mai IS69.
GIRONDE. [ Moron : j Entre son embouchure,
.^ dans la Dordogne et le
I I pont de Horon. ;

g II.— Rivières déclassées-.


Ordonnance du 9 juin 1844. ;

INDKE-ET'.MRE. I Vieux-Cher Déclassant la partie flot-


I table de celte rivière ;
J désignée au tableau de I

I 183b. !

!
Décret du 30 avril 1849. '
MANCHE. I Madelaine I Partie appelée Canal-1
I I Neuf d'Anvers. >|

Décret du 1er septembre 1856.


MEUSE-ET-MARN S. j Cana! d'Aivignv j -J

Décret, du 22 novembre 1863.

-
SOMME. | Luce | I

Décret du 2 décembre 1S65.


Emit-. 1 Rille... I |En amont de Pont-Aude-
I
| |
mer.
Décret du 3 mai 1867.
ARDENNES. I Bar | |

Décret du 14 août 1867.


EURE. | Eure 1 ).i|Ën amont de Louviers.
,
Décret du 2 septembre 1868.
ARDÈCIIE. I Ardèche | |

Décret dû 24 octobre 1868.


CALVADOS. Aure, entre Trevière et]
Isigny (16 kilomètres!
environ). I
Î
TABLEAU N° 2. S6S
i -

F
RIVIÈRES GENRE DE NAVIGATION.
i
: DEPARTEÏtrENTS.
; PARTIES BE RIVIERES FLOTTABLES NAVIGABLES
:
et canaux. en trains. - par bateaux.
i
" - 1

§ III. Rivières qui ont cessé de faire partie du territoire,


depuis le traité de ï 871(1).

i Sarre-Rouge Parcours désigné au ta- Les parties navigables


bleau n° 1. conservées des rivières
Sarre-Blanche. de Meurthe, Moselle et
Cbâtillon, sont celles
Sarre. qui sont indiquées au
. tableau précite.
Châtillon.
Moselle Supprimées en totalité.

fc
Sarre.
JllI Idem.
«M. (Rhin Supprimé sur tout le par-
cours de la rive gau-
che (environ 72 kilo-
?: mètres).
Idem.
_Hait, ,„ , ' 111
, i.:;..:.
:
(.HAUT-J. |Rm-n
...............<....;.. Supprimé, sur tout le
parcours de la rive
gauche, dans la lon-
.
gueur du département
. :
, ..
* (environ 135 kiloroè-
!.-"- |
"

;
très).
TABLE DES MATIÈRES

/ ^ t - -DJJ^OAI
• E PREMIER

LIVRE PREMIER.
PRINCIPES GÉNÉRAUX

INTRODUCTION. — ANCIENNETÉ DES MOULINS A EAD. — PREMIERS RÈGLE-


MENTS. — Leur adoption en Europe remontant au ive siècle, p. 1.
— Extension successive de l'emploi des chutes d'eau à d'autres in-
dustries, p. 2. — Dispositions réglementaires, du iv° au vic siècle,
p. 3. — Capitulaires de Dagobert, p. 5. —Analyse de ce document,
p. 6. — Résumé, p. S.
CHAPITRE Ier. — DES ÉTABLISSEMENTS HYDRAULIQUES EN GÉNÉRAL. —
— Protection due par le gouvernement aux établissements industriels
utilisant les chutes d'eau. — Situation avantageuse de la France sous
ce rapport, p. 12. —Services que rendent les usines, p. 14. — Avan-
tages spéciaux, p. 17. — Nécessité d'une surveillance active de l'ad-
ministration sur tous les usages des eaux courantes, p. 20. — Diverses
causes de détérioration de leur régime, ibid. — Déboisement des mon-
tagnes, p. 23. — Autres entreprises nuisibles, p. 30. — Négligence
du curage, p. 32.
CHAP. II. — SITUATION SPÉCIALE DES ÉTABLISSEMENTS AUTORISÉS SUR LES
couns D'EAU DU DOMAINE PUBLIC. — Des usines, ou autres établisse-
ments analogues, considérés comme obstacles à la navigation, p. 35.
— Législation ancienne, p. 36. — Législation actuelle, p. 38. —
Ordonnances de Louis XIV, ibid. — Suite des considérations sur les
rivières navigables, p. 41. — Bras non navigables, placés sous le
.
même régime, p. 44. — Des usines situées sur les canaux, assimilés
au domaine public, p. 47.
TABLE DES MATIERES. S67

LIVRE II

VUES GÉNÉRALES SUR LA COMPÉTENCE.

CHAPITRE I. — ADMINISTRATION ACTIVE ; POUVOIR EXÉCUTIF. — Observa-


tions préalables, p. 55. — Autorité administrative, p. 56. — Action
administrative proprement dite, p. 59. — Pouvoir exécutif, p. 61. —
Préfets, sous-préfets, maires et autres fonctionnaires, p. G6.

CHAP. II. — AUTORITÉ JUDICIAIRE; SÉPARATION DES POUVOIRS, p. 78. —


Principes généraux, p. 81. — Décisions confirrnatives, p. 84. —Sé-
paration entre le pouvoir judiciaire et l'administration active, p. 89.
— Idem, entre les tribunaux
civils et le contentieux administratif,
p. 91. — Décisions confirrnatives, p. 94.

CHAP. III. — Du CONTENTIEUX ADMINISTRATIF. — Conseils deprèfecture,


p. 98. — Attributions spéciales, p. 99. —Réflexions sur leur compé-
tence, p. 108. — Conseil d'État, p. 111. — Ses réorganisations suc-
cessives de 1845 à 1872, p. 113. — Esprit de la loi actuelle, 117. —
Tribunal des- conflits, p. 121. — La réinstitution sur les bases déjà
adoptées en 1845 et 1850. — Règlement des 26-28 octobre 1849.
p. 123.

LIVRE III

PERMISSIONS; RÉPARATIONS; INNOVATIONS. j


CHAPITRE 1. -s- DES PERMISSIONS EN GÉNÉRAL. —Établissementsanciens
(antérieurs à 1668), p. 127. — Dispositions remontant au commence-
ment du xvie siècle, p. 129. — Obstacles insurmontables résultant <Jë
la féodalité, p. 130. — Régime des ordonnances de Louis XIV, p. 130.
Analyses et commentaires, p. 132. Établissements modernes
— —
(postérieurs à l'an VI), p. 136.—Législation actuelle, p. 137. —Arreté
du Directoire exécutif, du 15 ventôse an II, p. 138. — Esprit de cette
législation, p. 146. — Clauses résolutoires, p., 147. —Inapplicables
aux établissements anciens, d'ailleurs fondés en titre, p. 150. — Forme
des permissions, p. 152.

CHAP. II. — SUITE DU MÊME SUJET. — Considérations diverses, p< 154.


Des moulins à nef, ibid. — Prises d'eau dans les rivières navigables
368 TABLE DES MATIÈRES.
et flottables, p. 158. — Des permissions à titre onéreux, p. 159. —
Des redevances au profit du Trésor, p. 161.
— Historique del a ques-
tion, p. 163. — Résumé du chapitre, p. 169.

CHAP. III. RÉPARATIONS; RECONSTRUCTIONS. Jurisprudence du Con-


— —
seil d'Étal, p. 172. —Examen des divers cas ; réparations ordinaires;
idem, d'urgence, p. 176. — Entreprises n'ayant,pas caractère d'une
contravention, p. 179. — Reconstructions non contenues au titre
d'autorisation, p. 180. — Résumé du chapitre, p. 183.
CHAP. IV. — CHANGEMENTS et ADDITIONS. — Observationspréliminaires,
p. 185. — Changement de place d'une usine, p. 186. — Jurispru-
dence, p. 187. — Modifications diverses, susceptibles d'influer sur le
régime des eaux, p. 191. — Examen des différents cas, p. 193. —
Changement d'industrie, p. 198.

LIVRE IV

PARTS CONTRIBUTIVES DE L'ÉTAT ET DES USINIERS, DANS LES


DÉPENSES D'ENTRETIEN DES DIGUES ET OUVRAGES D'ART.

CHAPITRE 1er. — DÉPENSES CONCERNANT A LA FOIS LA NAVIGATION et LES


USINES. — Législation et développements, p. 207. — Lois du 30 floréal
an X et 16 septembre 1807, p. 207. — Réflexions et commentaires,
p. 208. — Jurisprudence du Conseil d'État, p. 210. — Examen des
divers cas usuels de l'application des articles 33 et 34 de la loi de 1807,
p. 210. —Répartitions irrégulières, p. 224.
CHAP. II. — CURAGES, DIGUES ET OUVRAGES D'ART, INTÉRESSANT EXCLUSIVE-
MENT SOIT LA NAVIGATION,SOIT LES USINES. — Jurisprudence du Conseil
d'État, p. 227.—Règle à suivre pour l'attribution des dépenses, ibid.
— Décisions confirrnatives, ibid. — Ouvrages ordonnés d'office à la
charge des usiniers, p. 227, 228, 234, 240. — Ouvrages faits dans le
seul intérêt de la navigation, p. 232, p. 239.
CHAP. III. — RÈGLEMENT ET RÉPARTITION DES DÉPENSES. — MODE D'EXÉ-
CUTION DES TRAVAUX. —. Principe servant de base à la fixation des parts
' contributives de l'État et des propriétaires d'usines, p. 244. — Sup-
pression des Commissions spéciales, remplacées par les Conseils de
préfecture, p. 245. — Pas de recours au contentieux contre les répar-
titions faites conformément à la loi, p. 246. — Décisions confirrna-
tives,, p. 248. — Mode d'exécution des travaux, p. 254. — Résumé du
chapitre, p. 261.
TABLE DES MATIÈRES. S69

LIVRE V

CHOMAGES, DÉPRÉCIATIONS, SUPPRESSIONS D'USINES, PAR


; SUITE DE L'EXÉCUTION DE TRAVAUX PUBLICS.. — INDEM-
NITÉS.

CHAPITRE Ier. — CAS ou IL N'Y A PAS LIEU A INDEMNITÉ. Jurisprudencedu



Conseil d'État, p. 263. — Refus d'indemnité, en présence de la clause
résolutoire, p. 264. — Idem, en cas d'autorisation non accordée,
p. 265, 267. — Idem, nonobstant une vente nationale, p. 272, 275.
— Distinctions à établir entre les établissements antérieurs ou posté-
rieurs à l'année 1566, p. 264, 270.
CHAP. II. Éta-
— SUITE DU MÊME SUJET. — Suite de la jurisprudence. —
blissements postérieurs à 1566, p. 278, 281. — Cas oùil y a eu affec-
tation d'une force motrice déterminée, p. 282. — Rejet de l'indemnité,
nonobstant une vente nationale, p. 285. —Cas où l'indemnité se trouve
compensée par des plus-values, ou autres circonstances examinées au
chap. îv, p. 288, 289. — Résumé des chap. i et n.
CHAP. III. — CAS DANS LESQUELS UNE INDEMNITÉ A ÉTÉ ACCORDÉE. —
Suite de l'examen de la jurisprudence sur cet objet, p. 294. —.Sup-
pressions, chômages pu dépréciations d'usines antérieures à 1566,
p. 294,295, 303 et 309, — Contestation sur le chiffre de l'indemnité,
p. 237, 2S8, 307. — Chômages occasionnés par la navigation et le
flottage; indemnité spéciale à la charge des particuliers, p. 312. —
Résumé du chapitre, p. 317.

CHAP. IV. — MODE DE RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. — Considérations


générales, p. 321. — Compensations à établir aux termes des art. 30,
33 et 34 de la loi de 1807, p. 322. — Distinction à faire .sur la con-
sistance ancienne et nouvelle del'usine, au point de vue de l'évaluation
de la force motrice, p. 330. — Espèces diverses dans lesquelles il y
a eu lieu de faire cette distinction, p. 331.— Chiffres admis par le
Conseil d'État, comme base des indemnités d'usines, calculées par la
capitalisation du revenu, p. 341. —Applications de ce principe,
p. 342, 343;
CHAP. V. — SUITE DU RÈGLEMENT DES INDEMNITÉS. — QUESTIONS DE
—Études
COMPÉTENCE. sur la jurisprudence, p. 347. — Compétence
exclusive des conseils de préfecture et du Conseil d'État, pour statuer
sur les demandes d'indemnité concernantdes dépréciations, par réduc-
tion de force motrice, occasionnées à des usines par des travaux faits
dans l'intérêt de la navigation, p; 347, 351, 354; 35S.
b~0 TABLE DES MATIÈRES.
CHAP. VI. VARIATIONS DANS LA JURISPRUDENCE. — État de la question,
examen des décisions intervenues. — Influence de laloi du8 mars 1810 ;
incertitudes qu'elle a fait naître, p. 361, 363. — Distinction [aite sur
la compétence entre la suppression de la chute et celle des bâtiments,
p. 365. —Arrêt de la Cour de cassation du 21 mai, revendiquant
pour l'autorité judiciaire et aux termes de l'art. 47 de la loi de 1807
l'appréciation des indemnités dues pour suppression des forces motri-
ces, p. 36S. — Conflit confirmé, p. 373. — Distinction admise excep-
tionnellement par le Conseil d'État, entre la suppression de la chute
et celle des bâtiments. — Intervention de deux juridictions différentes
pour statuer sur une seule et même indemnité, p. 370, 381, 384. —
Inapplicabilité de cette doctrine, p. 387.

LIVRE VI
DÉLITS ET CONTRAVENTIONS.
— POLICE RÉPRESSIVE DE L'AD-
MINISTRATION ET DES CONSEILS DE PRÉFECTURE. — PÉ-
NALITÉS.

CHAPITRE Ier. —LÉGISLATION ET DÉVELOPPEMENTS. — Dispositions géné-


rales, p. 395. — Ordonnance de 1669; arrêt du Conseil du 24 juin
1777, p. 397. — Lois du 28 pluv. anYlH et29 floréal an X, p. 400.
— Loi du 23 mars 1842, p. 401. — Disposilio/is spéciales. —Ordon-
nance de 1672 relative à la Seine, p. 404. — Arrêt du Conseil du
17 juillet 1782, relatif à la Garonne, p. 405. —Idem, du 23 juillet 1783,
relatif à la Loire, p. 406. — Développements et jurisprudence,
p. 410.
CHAP. H. — DÉLITS ET CONTRAVENTIONS CONCERNANT SPÉCIALEMENT LES
USINES.—Rappel des cas de contraventions déjà cités, p. 415. —
Examen successif des divers cas usuels, tels que : construction non
autorisée, p. 416, 420. — Changements et additions, p. 418. — Pas de
recours par la voie contentieuse contre les mesures de police prises
dans l'intérêt de la navigation, p. 423, 424,427, 428. — Ni de droit à
indemnité, p. 430. — Cas où ce droit a été réservé, p. 435.
CHAP. III.
— DÉLITS ET CONTRAVENTIONS COMPRENANT DES ENTREPRISES
DIVERSES. — Suite de la jurisprudence du Conseil d'Etat. — Ouvrages
construits sans autorisation, p. 436, 438, 440, 448, 450. —Idem, non
conformes à l'autorisation, p. 442. — Prescription en matière de
grande voirie, p. 444. — Délais de rédaction et d'affirmation des pro-
cès-verbaux, p. 446. —Compétence des Conseils de préfecture, nonob-
stant allégation d'un droit de propriété, p. 451,453. —Entreprises
susceptibles d'être ultérieurement autorisées, p. 453. —Contraven-
tions diverses, p. 454,456,458.
TABLE DES MATIÈRES. S71

CHAP. IV. — DÉLITS ET CONTRAVENTIONS


RÉSULTANT DE DISPOSITIONS
LÉSISLAT.VES ET RÉGLEMENTAIRES, SPÉCIALES A LA VALLÉE DE LA LOIRE.
Observations générâtes faisant ressortir la nécessité desdites disposi-
tions, p. 459. — Détails sommaires sur l'organisation qu'avait reçue le
service des ingénieurs des turcies et levées, p. 459. —Dispositions
complémentaires de l'arrêt du 23 juillet 1873, déjà cité, p. 460. —
Applicables à la Loire et à ses affluents navigables, p. 461. —
Idem, aux parties submersibles de ces rivières, ibid. — Moulins à nef,
p. 463. — Plantations, p. 464. — jurisprudence. — Décisions appli-
cables aux divers cas, p. 466, 468 et suivantes.
CHAP. V. — CONTRAVENTIONS COMMISES SUR LES CHEMINS DE HALAGE. —
Législation et règlements, p. 479. — Ordonnance de 1669, ibid. —
Idem du 20 février 1672. — Arrêté du Conseil du 24 juin 1777, p. 480.
Idem du 23 juillet 1783, p. 482. — Arrêté du gouvernement du
13 niv. an V, p. 483. — Code civil etdécret du 8 janvier 1808, p. 485.
— Considérations générales, p. 486. — Jurisprudence
du Conseil
d'État, p. 490; — Fouilles, dépôts, anticipations, ibid. — Construc-
tions et clôtures, p. 496. — Plantations, p. 503. —Circulation avec
chevaux et voitures, ou bestiaux, p. 507.
CHAP. VI. — CONTRAVENTION DONT L'EXISTENCE SUBORDONNÉEA LA DÉLIMITA-
TION PRÉALABLE DU LIT DU FLEUVE . — Difficultés que présente cette ma-
tière; principe à observer, p. 511,— Jurisprudence du Conseil d'État.
— Plantationsrcoupes de
bois et entreprises diverses sur les dépendan-
ces des rivières navigables, p. 514, 518, 522. — Exhaussement d'un
chemin de halage existant sur la berge même du fleuve, p. 519. —
Contestations sur la propriété d'îles, îlots et atterrissements, p. 525.
— Arrêtés préfectoraux
annulés pour excès de pouvoirs en cette ma-
tière, p. 526. — Confirmation de la compétence exclusive de l'ad-
ministration, pour fixer les limites du lit des rivières navigables,
p. 530. — Observation finale, p. 533.

NOTES

Lois du21 juin 1865, — 24mai 1872, — 4février 1850, — dormaivtTor-


ganisation actuelle : des Conseils de préfecture, du Ca«tf^ïpsïqjf>t
du Tribunal des conflits, p. 534. /^i'>X^!l^l'~/?ï\
des rivières du domaine public annexé à l'/ONrotfnance Joyàley- \
TABLEAU
du 10 juillet 1835, p. 548. ."2
; \ \ \\ \^<
TABLEAU RECTIFICATIF, p. 562. .
\ ~^- ': A
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CORBEIL. — HP. ETSTïK. l'ii CHÉIE FILS.

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