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Cas clinique

Surdosage en héparine : fake news


Céline Row*, Anamaria Callegarin, Emanuel de Maistre, Marc Maynadié
Service d’hématologie biologique, CHU de Dijon-Bourgogne, plateforme de biologie hospitalo-universitaire, 2 rue Angélique-Ducoudray
21070 Dijon, France.
*Auteur correspondant : celine.row@chu-dijon.fr (C. Row).

RÉSUMÉ
Les patients sous anticoagulants oraux directs (AOD) sont de plus en plus nombreux. Le challenge de ces traitements ne
se limite pas à leur gestion, mais réside également dans l’interprétation des tests biologiques, plus particulièrement les tests
d’hémostase. En effet, lors de l’arrêt d’un AOD, il faut tenir compte de l’action résiduelle des molécules pouvant interférer
avec les tests. L’apixaban est un anti-Xa direct qui interfère dans le dosage de l’héparinémie en le surestimant, comme le
rivaroxaban, et ce, jusqu’à deux jours après l’arrêt (voire plus si insuffisance rénale). Ce « surdosage » en héparine ne doit
pas être pris en compte pour adapter les doses d’héparine. Cette interférence ne doit pas être méconnue des biologistes,
qui se doivent d’en avertir les cliniciens.

ABSTRACT - Heparin overdosage: ‘’fake news’’


Patients using direct oral anticoagulants (DOACs) are a growing number. These anticoagulant treatments especially
during hospitalization can be challenging not only in their management but also in assessing biological tests results,
particularly hemostasis tests.When stopping DOACs, tests interpretation is all the more complex since the molecule
has residual activity that could interfere with coagulation tests. Apixaban is a direct factor Xa inhibitor that interferes
in heparin dosage, as well as rivaroxaban, and continues to do so two days after therapy is interrupted (or more if
kidney failure).This heparin “overdosage” must not be considered for heparin dose adaptation. Medical biologists have
to be aware of this interference in order to warn physicians.

MOTS CLÉS
Observation
◗ activité anti-Xa Un homme de 88 ans est adressé au service d’accueil des urgences pour détresse respi-
◗ anticoagulants oraux ratoire. Le bilan d’hémostase à l’entrée montre : fibrinogène 6,2 g/L,TP 66 %,TCA patient
directs 35s pour un témoin à 32s (TCA ratio 1,10), facteur II 88 %, facteur V 92 % et facteur VII
◗ héparinémie 92 %. Le laboratoire ne dispose d’aucune autre information. Il existe une discordance
◗ renseignements entre le TP abaissé et les facteurs du complexe prothrombinique normaux. Le laboratoire
cliniques libère les résultats après avoir contacté le service, pas de prise d’anticoagulant annoncée.
◗ surdosage Le patient est ensuite hospitalisé dans un service de médecine pour embolie pulmonaire
(EP) qui renseigne comme traitement une héparine non fractionnée (HNF). Le dosage
KEYWORDS de l’héparinémie est > 1,1 UI anti-Xa/mL et le service est prévenu par le technicien de
◗ anti-Xa assay laboratoire. La posologie est alors diminuée (figure 1). Les deux jours suivants, l’hépa-
◗ clinical information rinémie reste supérieure à 1,1 UI anti-Xa/mL malgré la diminution des doses d’HNF.
◗ direct oral Devant la persistance de ce « surdosage » en héparine, le biologiste appelle le ser-
anticoagulants vice pour plus de renseignements et pour rechercher une interférence dans le dosage.
◗ heparin dosage L’histoire de la maladie est alors précisée.
◗ overdosage En effet, le patient est porteur d’un stimulateur cardiaque pour bloc atrio-ventriculaire
complet sur une fibrillation atriale (FA) permanente initialement traitée par AVK au long
cours. Il y a deux mois, le patient a chuté et a présenté un hématome du psoas, les AVK
© 2019 – Elsevier Masson SAS
Tous droits réservés. ont été remplacés par apixaban (ELIQUIS®) 5 mg deux fois par jour pour limiter le risque
hémorragique. L’hospitalisation s’était compliquée d’une EP.

70 REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES • N° 515 • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2019


Cas clinique
Hémostase

Figure 1. Évolution du bilan biologique.

: © Service d’hématologie biologique du CHU de Dijon-Bourgogne.


Lors de l’hospitalisation actuelle devant une suspicion L’apixaban est un AOD avec une action anti-Xa directe. Sa
de récidive d’EP, l’anticoagulation a été changée pour demi-vie est de 12 heures, il faut donc minimum 5 demi-
HNF en curatif avec une cible d’héparinémie entre vies, c’est-à-dire 2,5 jours, pour éliminer le médicament,
0,3 et 0,7 UI anti-Xa/mL. Les dosages d’héparinémie voire plus longtemps en cas d’insuffisance rénale [3]. Ce
étaient donc faussés par la présence résiduelle d’apixa- patient est un bon exemple puisque nous observons une
ban pendant au moins trois jours. présence résiduelle d’apixaban à plus de 3 jours d’arrêt du
traitement (créatinine plasmatique à 125 μmol/L).
Discussion Si une mesure d’héparinémie est faite sous apixaban,
le dosage est contaminé par l’activité anti-Xa de
La discordance entre le TP abaissé non expliqué et l’AOD qui s’ajoute à celle de l’HNF, avec des valeurs
les taux de cofacteurs normaux fait suspecter la pré- très élevées d’héparinémie du fait de la grande
sence d’un anticoagulant oral direct
(AOD) [1]. En effet, la mesure des Figure 2. Dosage chromogénique de l’héparinémie
facteurs de la coagulation nécessite par l’activité anti-Xa.
une dilution préliminaire du plasma,
contrairement à la mesure du TP. La
dilution atténue donc l’effet de l’AOD
et les taux des cofacteurs sont aug-
mentés par rapport au TP.
: © Service d’hématologie biologique du CHU de Dijon-Bourgogne.

La mesure de l’héparinémie est basée


sur l’activité anti-Xa de la molécule
d’héparine (figure 2). Le dosage est
fondé sur l’inhibition in vitro d’un fac-
teur Xa (apporté par le réactif) par le
complexe antithrombine-HNF présent
dans le plasma du patient. Le facteur
Xa résiduel est révélé par méthode
colorimétrique par un substrat chro-
mogène spécifique du facteur Xa. La
mesure de facteur Xa résiduel est
donc inversement proportionnelle aux
taux d’héparinémie [2].

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Cas clinique

Dans notre exemple, devant l’héparinémie élevée


Figure 3. Interférence d’un AOD anti-Xa la posologie de l’héparine a été diminuée à tort
dans le dosage de l’héparinémie chromogénique. (TCAr subnormal à 1,22), alors que le patient
nécessitait une anticoagulation efficace pour la
récidive d’EP. Cette réduction des doses à tort
pourrait entraîner une diminution de l’efficacité
et aboutir à l’échec du traitement.
Les AOD sont de plus en plus utilisés dans la fibril-
: © Service d’hématologie biologique du CHU de Dijon-Bourgogne.

lation auriculaire et la maladie thromboembolique


veineuse [6]. L’apixaban semble être l’AOD le plus
prescrit actuellement compte tenu de ses résultats
cliniques [7]. Cette interférence de l’apixaban sur
le dosage de l’héparinémie doit donc être connue
des cliniciens et des biologistes, ce d’autant plus
que c’est l’AOD qui interfère le moins sur les tests
de coagulation de première ligne.

Conclusion
Une discordance TP abaissé et facteurs normaux
doit faire suspecter une prise d’AOD. Cette
sensibilité de la mesure aux faibles concentrations interférence pour la mesure du TP est bien connue avec le
de xabans (figure 3) [4]. Même si l’AOD est arrêté, du rivaroxaban ; elle est observée plus souvent qu’annoncée
fait de sa demi-vie l’activité résiduelle interfère avec l’hé- avec l’apixaban.
parinémie et peut faire croire à un surdosage en héparine Même si l’AOD est arrêté, il faut prendre en compte
à tort comme chez notre patient (figure 1). Le dosage sa demi-vie pour interpréter les autres tests d’hémostase,
d’héparinémie est pris en défaut lors d’un relais AOD- notamment l’activité anti-Xa utilisée pour le dosage de
héparine [5]. l’héparinémie (minimum 48 heures).
L’héparinémie (mesurée par l’activité anti-Xa) est sur- De plus, le résultat de l’activité de l’AOD est rendu
estimée en présence d’AOD de type anti-Xa. L’inter- en ng/mL, et ce choix des unités en valeur pondérale
férence de l’AOD peut également être évoquée sur la pourrait être à l’origine de cette confusion.
discordance entre l’héparinémie et un TCA peu allongé Ce cas illustre l’importance de la mise à disposition
car le TCA est peu affecté par l’apixaban. En revanche, des renseignements cliniques pour le biologiste afin
le TCA semble mieux représenter l’effet de l’héparine d’optimiser la prise en charge des patients. Il met
dans ce contexte particulier de relais. Il faut néanmoins également en évidence la nécessité d’une relation
garder à l’esprit les difficultés d’une surveillance d’un renforcée entre les services et le laboratoire et l’intérêt
traitement héparinique par le TCA, test pouvant être primordial du dialogue entre clinicien et biologiste pour
perturbé dans de nombreuses situations, notamment progresser dans l’amélioration des soins. ❚❚
lors d’un syndrome inflammatoire (comme dans ce
cas avec fibrinogénémie > 5 g/L) ou syndrome des Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de liens
antiphospholipides. d’intérêts.

Références
[1] Gouin-Thibault I, Freyburger G, de Maistre E et al. Evaluation of dabigatran, [5](OOHU7)OLHGHU7)R[9HWDO'LUHFWRUDODQWLFRDJXODQWVDQGKHSDULQV
ULYDUR[DEDQDQGDSL[DEDQWDUJHWVSHFLÀFDVVD\VLQDPXOWLFHQWHU)UHQFKVWXG\ ODERUDWRU\YDOXHVDQGSLWIDOOVLQ´EULGJLQJWKHUDS\µ(XU-&DUGLR7KRUDF6XUJ
7KURPE5HV   
[2] 5RVHQEHUJ$)=XPEHUJ07D\ORU/HWDO7KHXVHRIDQWL;DDVVD\WRPRQLWRU [6] 7ULWVFKOHU7.UDDLMSRHO1/H*DO*HWDO9HQRXV7KURPERHPEROLVP$GYDQFHV
LQWUDYHQRXVXQIUDFWLRQDWHGKHSDULQWKHUDS\-3KDUP3UDFW   LQ'LDJQRVLVDQG7UHDWPHQW-$0$  
[3](OLTXLV DSL[DEDQ SDFNDJHLQVHUW3ULQFHWRQ1%ULVWRO0\HUV6TXLEE [7]'DZZDV*.%URZQ-'LHWULFK(HWDO(IIHFWLYHQHVVDQGVDIHW\RIDSL[DEDQ
&RPSDJQ\ YHUVXVULYDUR[DEDQIRUSUHYHQWLRQRIUHFXUUHQWYHQRXVWKURPERHPEROLVPDQG
[4])DXVW$&.DQ\HU':LWWNRZVN\$.0DQDJLQJWUDQVLWLRQVIURPRUDOIDFWRU DGYHUVHEOHHGLQJHYHQWVLQSDWLHQWVZLWKYHQRXVWKURPERHPEROLVPDUHWURVSHF-
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