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1096 Rev Neurol (Paris) 2007 ; 163 : 11, 1096-1099

Brève communication

Carbamazépine et clarithromycine : une interaction


médicamenteuse cliniquement significative
P. Gélisse1, 2, D. Hillaire-Buys3, E. Halaili1, M.-J. Jean-Pastor4, H. Vespignan5,
P. Coubes1, 2, A. Crespel1, 2
1
Unité médico-chirurgicale de l’épilepsie, hôpital Gui-de-Chauliac, Montpellier.
2
Unité de recherche sur les mouvements de l’enfant, département de neurobiologie, Institut de génomique fonctionnelle, CNRS UMR5203 —
INSERM U661 — UM1, Montpellier.
3
Service de pharmacologie médicale, hôpital Lapeyronie.
4
Centre régional de pharmacovigilance, hôpital Salvator, Marseille.
5
Service de neurologie, Hôpital central, CHU de Nancy, Nancy.
Reçu le : 27/12/2006 ; Reçu en révision le : 23/04/2007 ; Accepté le : 27/04/2007.

RÉSUMÉ
Introduction. La carbamazépine est soumise à de nombreuses interactions médicamenteuses dont la troléandromycine et l’érythromycine
qui inhibent son métabolisme. La clarithromycine est un macrolide de 3e génération dérivée de l’érytromycine. Elle est indiquée dans les
infections des voies respiratoires, dans les infections à mycobactéries atypiques et dans l’éradication d’ Helicobacter jejuni. Méthodes. Afin
de rapporter une interaction entre la carbamazépine et la clarithromycine, nous présentons une étude comprenant 3 patients régulièrement
suivis au niveau du service d’Épileptologie de Montpellier ainsi que 7 cas issus de la pharmacovigilance française. Résultats. Chez ces
patients traités au long cours par carbamazépine, seule ou en association à d’autres molécules, l’ajout de la clarithromycine a été respon-
sable d’un surdosage transitoire (ataxie, vertiges, diplopie, nausées, vomissements, somnolence). Un bilan sanguin a été effectué chez 8
patients révélant une concentration plasmatique en carbamazépine allant de 13,3 à 28,5 mg/l. Conclusion. La carbamazépine est méta-
bolisée en grande partie par les enzymes du cytochrome P450 dont l’isoenzyme CYP3A4. Comme la clarithromycine est aussi métabolisée
par l’isoenzyme CYP3A4, elle a la propriété d’inhiber le métabolisme de la carbamazépine. La clarithromycine doit être ainsi évitée chez
les patients traités par carbamazépine.
Mots-clés : Carbamazépine • Clarithromycine • Interaction médicamenteuse

SUMMARY
Carbamazepine and Clarithromycin: a clinically relevant drug interaction.
P. Gélisse, D. Hillaire-Buys, E. Halaili, M.-J. Jean-Pastor, H. Vespignan, Ph. Coubes, A. Crespel, Rev Neurol (Paris) 2007; 163: 11, 1096-1099
Background. Carbamazepine is associated with clinically relevant drug interactions especially with macrolide antibiotics such as trolean-
domycin and erythromycin. These drugs inhibit the metabolism of carbamazepine. Clarithromycin, a macrolide antibiotic similar to erythro-
mycin, is widely used to treat respiratory tract infections and is used for the treatment of atypical mycobacterial infections and Helicobacter
pylori-associated peptic ulcer disease. Methods. To report an interaction between carbamazepine and clarithromycin, we present a study
that includes three regular attenders at the epilepsy department of Montpellier and seven cases reported by the French national drug safety
center. Results. In patients receiving carbamazepine alone or in combination with other drugs, administration of clarithromycin led to a
transitory overdosage (ataxia, dizziness, diplopia, nausea, vomiting, drowsiness). Blood level was available in 8 patients with a concentra-
tion of carbamazepine ranging from 13.3 to 28.5 mg/l. Conclusion. Carbamazepine is extensively metabolized by cytochrome P450
enzymes, especially CYP34A. As clarithromycin is also metabolized by CYP3A4, this drug has the propensity to inhibit the metabolism of
carbamazepine. Clarithromycin should be thus avoided in patients taking carbamazepine.
Keywords: Carbamazepine • Clarithromycin • Drug interaction

La carbamazépine (CBZ) a un index thérapeutique étroit. dysarthrie. La CBZ est soumise à de nombreuses interac-
Les taux thérapeutiques sont compris entre 4 et 12 mg/l tions médicamenteuses pouvant donner lieu à un surdosage
avec à partir de 12 mg/l des signes de surdosage : sensation transitoire en particulier lorsqu’elle est associée à la tro-
ébrieuse, vertiges, ataxie, diplopie, nausées, vomissements, léandomycine ou à l’érythromycine (Mesdjian et al., 1980).

Correspondance : P. GÉLISSE. Explorations neurologiques et épileptologie, hôpital Gui-de-Chauliac, 80, avenue Fliche, 34080 Montpellier.
E-mail : p-gelisse@chu-montpellier.fr

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La clarithromycine est un macrolide de dernière génération en route de ce traitement, le sujet présenta des troubles de l’équi-
dérivée de l’érythromycine, indiquée dans les infections libre, une diplopie et une dysarthrie. Le bilan sanguin confirma le
des voies respiratoires, dans les infections à mycobactéries surdosage en CBZ avec un taux à 14 mg/l, le phénobarbital était
atypiques et dans l’éradication d’Helicobacter pylori en à 12,8 mg/l. La clarithromycine fut arrêtée et remplacée par une
association à l’amoxicilline et à un inhibiteur de la pompe association amoxicilline-acide clavulanique et les symptômes
régressèrent en quelques jours.
à protons. Nous rapportons une série de 10 cas pour les-
Cas n° 03/317. — Il s’agit d’un patient de 23 ans présentant une
quels la prescription concomitante de ce médicament à des épilepsie frontale gauche ayant débutée dans son enfance traitée
patients traités par CBZ au long cours donna lieu à un sur- par une association CBZ (600 mg matin et soir), acide valproïque
dosage transitoire. (1 000 mg matin et soir) et clobazam (10 mg matin et soir). À la
suite d’une infection bronchique, il est traité par clarithromycine
(500 mg matin et soir) et 48 heures plus tard, il présenta un syn-
MÉTHODES drome ataxique avec marche ébrieuse associé à une diplopie. Les
symptômes régressèrent à l’arrêt de la clarithromycine.
Cette étude présente trois patients régulièrement suivis au
niveau du centre d’épileptologie de Montpellier (unité
médico-chirurgicale) et sept cas issus de la pharmacovigi- DISCUSSION
lance française.
La CBZ est presque complètement métabolisée et élimi-
née par l’organisme (Spina, 2002). Seulement 2 p. 100 de
RÉSULTATS la dose orale est éliminée de manière inchangée dans les
urines. Il existe trois voies majeures de biotransformation
Les 10 sujets ont présenté des signes cliniques de surdo- (Fig. 1) : une voie d’hydroxylation réalisée par l’isoenzyme
sage apparaissant 48 heures à 8 jours après la mise en route CYP1A2 du cytochrome P450, une glucuroconjugaison
d’un traitement par clarithromycine. Un bilan sanguin a été directe de la CBZ avec élimination urinaire et la voie de
effectué chez 8 d’entre eux confirmant l’augmentation de l’époxyde-diol. Cette dernière est la voie majoritaire. Elle
la concentration plasmatique de CBZ avec des taux allant est réalisée par l’isoenzyme CYP2C8 mais surtout par
de 13,3 à 28,5 mg/l. L’attitude thérapeutique a été variable l’isoenzyme CYP3A4. La première étape de transformation
selon les sujets avec soit une diminution de la dose quoti- de la CBZ par ces isoenzymes aboutit à la formation de
dienne de CBZ (pat 1, 5, 9), soit un arrêt de la clarithromy- l’époxide-10,11-carbamazépine (ECBZ) qui est un métabo-
cine (pat. 2, 3, 7), soit un arrêt de la CBZ (pat. 4, 10), soit lique pharmacologiquement actif avec des effets anti-
un arrêt de la clarithromycine et de la CBZ (pat. 6, 8). Les convulsivants mais aussi responsable d’effets secondaires
symptômes cliniques disparurent en quelques jours avec (diplopie, ataxie…). Ce composé est ensuite transformé en
une normalisation des taux de CBZ chez les patients 5 à 9. diol inactif par l’époxide hydrolase puis est éliminé sous
Les trois patients suivis au niveau du centre d’épileptologie forme libre ou sous forme glucuroconjuguée.
de Montpellier sont présentés en détail ci-dessous (pat 1-3). L’activité du CYP3A4 peut être modulée par des molé-
Les sept cas issus de la pharmacovigilance française sont cules inductrices ou inhibitrices enzymatiques. Parmi les
présentés dans le Tableau I (pat. 4 à 10). médicaments antiépileptiques, la phénytoïne, la CBZ elle-

OBSERVATIONS
Cas n° 02/312. — Il s’agit d’une enfant de 3 ans présentant une
épilepsie focale symptomatique d’une dysplasie corticale occipi-
tale gauche traitée au long cours par CBZ à raison de 100 mg
matin et soir. Lors d’une sinusite aiguë, elle est traitée par cla-
rithromycine à la dose de 150 mg matin et soir. Trois jours plus
tard, elle est hospitalisée en raison d’une ataxie associée à des
vomissements. Le dosage plasmatique de la CBZ révéla un taux à
14,9 mg/l confirmant le surdosage. Après une diminution de la
posologie quotidienne de CBZ (80 mg matin et soir), les symptômes
régressèrent. Cinq jours plus tard, le traitement par clarithromy-
cine se termina et la posologie antérieure de la CBZ fut rétablie.
Cas n° 03/224. — Il s’agit d’un homme de 66 ans présentant
une épilepsie frontale cryptogénique évoluant depuis l’âge de
2 ans traitée par une association CBZ (400 mg matin et soir) et
phénobarbital (100 mg/j) avec une concentration plasmatique de
7 mg/l pour la CBZ et de 10,4 mg/l pour le phénobarbital. Lors
d’un épisode de sinusite maxillaire, le patient est traité par cla- Fig. 1. – Métabolisme de la carbamazépine.
rithromycine (500 mg matin et soir). Une semaine après la mise Metabolism of carbamazepine.

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Tableau I. – Observations issues de la pharmacovigilance française.


Tableau I. – Case reports from the French national drug safety center.

Délai
Durée Autres Symptômes
entre symptômes Concentration Attitude thérapeutique adoptée
Pat. du traitement médicaments après institution
et introduction en CBZ (mg/l) Évolution
par carbamazépine associés de la clarithromycine
clarithromycine
4 Non renseignée Non renseigné allopurinol Confusion mentale, 13,3 Arrêt CBZ. Évolution favorable
lanzoprazole hyponatrémie
amoxicilline
acébutolol
5 Plusieurs années 4 jours oméprazole Somnolence Augmentée Diminution de la dose de CBZ
(non renseignée) [CBZ] : normalisation
6 Plusieurs années 4 jours lanzoprazole Ataxie, diplopie 18,1 Arrêt CBZ et clarithromycine
vigabatrin [CBZ] : normale à 8 jours
amoxicilline
7 3 ans 8 jours clonozapam Ataxie, vertiges 27,4 Arrêt clarithromycine
venlafaxine [CBZ] : 17,4 mg/l puis 11,4 mg/l
8 Plusieurs années 4 jours lanzoprazole Somnolence 20 Arrêt CBZ et clarithromycine
amoxicilline [CBZ] : normalisation
9 Plusieurs années 5 jours aucun Ataxie, convulsions 17 Diminution de la dose de CBZ
[CBZ] : normalisation
10 Plusieurs années 8 jours métronidazole Dysarthrie, 28,5 Arrêt CBZ
oméprazole hyponatrémie, Régression de la
topiramate nystagmus, parésie symptomatologie
oculomotrice
CBZ : carbamazépine ; [CBZ] : concentration plasmatique en carbamazépine.

même et à moindre degré l’oxcarbazépine augmente l’acti- venir les patients des signes de surdosage. La clarithromy-
vité du CYP3A4 (Patsalos, 2005). La réponse attendue est cine inhibe les isoenzymes CYP3A4 et, par là même, la
une baisse de la concentration plasmatique de la CBZ. Le dégradation de la CBZ. Le délai d’apparition des signes de
phénobarbital et le felbamate augmentent également l’acti- surdosage est variable allant dans notre étude de 48 heures à
vité du CYP3A4 mais ils inhibent aussi l’activité de l’époxide 8 jours. Cette variabilité dépend très certainement de la
hydrolase. Il en résulte une baisse de la concentration plas- concentration plasmatique basale en CBZ avec un délai plus
matique de la CBZ et une augmentation importante du court chez les sujets dont la concentration est déjà élevée.
composé ECBZ (Patsalos, 2005). L’éfavirenz et la névira- Les macrolides peuvent être classés en trois groupes
pine qui sont des agents antiviraux, augmentent le métabo- selon leur degré d’inhibition du CYP3A4. Le premier
lisme de la CBZ via une action sur le CYP3A4 (Patsalos, groupe comprend la troléandomycine, l’érythromycine, la
2005). Le dextropropoxypène, la cimétidine, la ticlopidine, clarithromycine et sont associées à une augmentation
la rispiridone, l’isoniazide, le vérapamil, des antifongiques significative de la concentration plasmatique en CBZ. Le
comme le fluconazole, l’itraconazole, le kétoconazole, des second groupe comprend la flurithromycine, la josamycine,
antiviraux comme la délavirdine, l’indinavir, le ritonavir la midécamycine, la miocamycine et la roxithromycine.
augmentent la concentration plasmatique en CBZ via un Ces antibiotiques sont moins inhibiteurs et sont habituelle-
effet inhibiteur enzymatique lié au CYP3A4 (Patsalos, ment associés à une légère augmentation de la concentra-
2005 ; Majkowski et Patsalos, 2005). tion en CBZ. Le troisième groupe n’active pas le CYP3A4
La clarithromycine est un antibiotique de la famille des et ainsi n’interagit pas avec la CBZ. Il comprend la spiramy-
macrolides, dérivé semi-synthétique de l’érythromycine dont cine, la rokitamycine, la dirithromycine et l’azithromycine.
la stabilité en milieu acide augmente l’activité et la biodispo- En conclusion, il faut éviter de prescrire de la clarithro-
nibilité par rapport à l’érythromycine. Albani et al. (1993) mycine chez des patients traités au long cours par CBZ. Il
ont été les premiers à rapporter une interaction avec un sur- faut choisir un autre antibiotique de la même famille qui a
dosage transitoire lors de la prise de clarithromycine chez un peu ou pas d’effet apparent sur le CYP3A4 ou un antibio-
patient traité au long cours par CBZ. O’Connor et Fris (1994) tique d’une autre famille.
puis ultérieurement Yasui et al. (1997) confirmèrent cette
interaction. O’Connor et Fris (1994) déconseillent l’utilisa-
tion de la clarithromycine chez les patients traités par CBZ RÉFÉRENCES
ou, s’il y a une véritable indication, préconisent de diminuer ALBANI F, RIVA R, BARUZZI A. (1993). Clarithromycin-carbamaze-
la posologie quotidienne de CBZ de 30 à 50 p. 100 et de pré- pine interaction: a case report. Epilepsia, 34: 161-162.

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MAJKOWSKI J, PATSALOS PN. (2005). Interaction between antiepilep- PATSALOS PN. (2005). Aniepileptic drug interaction. A clinical guide.
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P. GÉLISSE et coll.

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