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Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

Le Lion et le Miel
Robert Triomphe

Abstract
The Lion and the Honey.
The symbolic relationship between the Royal Eater (the lion) and the Royal food (honey), occur ing in the Sumerian sacred
marriage, proceeds, as well as that between the sun and water, from an important natural, erotic and religious pattern. It
exemplifies the covenant between gods and men, King and Earth, which is annually renewed in order to secure and to hallow
the course of life and time. Egypt (the lioness Tefnut and the Royal bee, honey and the rising of the Nile) and the Bible
(Samson's riddle) provide similar symbolism.

Résumé
La relation symbolique entre le « Roi des mangeurs » (le lion) et la nourriture des Rois (le miel), attestée par le mariage sacré
sumérien, illustre, comme celle du soleil et de l'eau, la symbiose des modèles naturels et des modèles religieux. Elle traduit
l'Alliance des dieux et des hommes, des Rois et de la terre, renouvelée chaque année pour sacraliser le déroulement de la vie
et le cours du temps. L'Egypte (la lionne Tefnut et l'abeille royale, le miel et la crue du Nil) et la Bible (énigme de Samson) ont
connu le même symbolisme.

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Triomphe Robert. Le Lion et le Miel. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 62e année n°2, Avril-juin 1982. pp. 113-
140;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1982.4641

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1982_num_62_2_4641

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REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

LE LION ET LE MIEL

RÉSUMÉ.

La relation symbolique entre le « Roi des mangeurs » (le lion) et la


nourriture des Rois (le miel), attestée par le mariage sacré sumérien,
illustre, comme celle du soleil et de l'eau, la symbiose des modèles natu¬
rels et des modèles religieux. Elle traduit /'Alliance des dieux et des
hommes, des Rois et de la terre, renouvelée chaque année pour sacra¬
liser le déroulement de la vie et le cours du temps. L'Egypte (la lionne
Tefnut et l'abeille royale, le miel et la crue du Nil) et la Bible (énigme
de Samson) ont connu le même symbolisme.

Les gueules des lions sont des ruches d'abeilles.


Victor Hugo, La Fin de Satan 1.

« Tu seras comme le Nil qui déborde... Ta salive est du


miel, ta liqueur dans ta bouche est comme le miel
vierge » (à la lionne Tefnut). Papyrus de Leyde 2.

Parmi les abeilles des gemmes « gnostiques », toutes bruissantes de


mythes, l'une, sortie de la gueule d'un lion, a piqué notre curiosité 3.
Ce couple animalier nous a paru d'abord inégal. Etait-ce une variante
léonine de la « bougonie » 4 ? Une énigme calquée sur celle de Samson ?
Ou tout simplement une de ces antithèses exemplaires dont les fables
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sont pleines, et où la société retrouve, au miroir de la nature, l'harm


menacée de ses pôles ? Le chêne et le roseau, la petite pluie et le g
vent, le prince et la bergère ; Hector embrasse Astyanax, comm
Président la petite fille qui lui tend des fleurs... Les fauves viennent b
à la source, après les exploits du désert. Et les lions, comme les
s'aiment en miniatures, quoiqu'ils risquent à ce jeu de trouver leur
ge inversée
Alors... l'abeille
: on ? connaît leurs aventures avec le rat, et le mouche

Nous chercherons le secret de ses liaisons occasionnelles avec le


dans le dédale des monuments et des textes antiques, en confron
les interprétations et en jouant (comme tout le monde) avec les postu
de la « forme », de Γ « origine » et du « sens ». Notre risque d'er
sera multiplié par la variété des époques, des langues, des civilisati
des religions et par les illusions de la « transparence » symbolique, m
il sera aussi diminué, nous l'espérons, par une chance de découve
dûe à l'excellence de notre couple. Car il ne s'agit pas seulement d
mélissographe ou léontologue, et d'aligner des abeilles et des lions is
d'avance, capturés par une recherche elle-même prisonnière de son ce
arbitraire et de sa définition nominale. Sur la lancée de notre do
référence, au milieu des pistes croisées, nous devrons nous fixer
carrefours non des séries d'individus, mais les principes d'une rela
symbolique antérieure et supérieure à chacun de ses termes. Et malh
reusement (ou heureusement ?) pour nous, c'est d'un grand carre
qu'il s'agit, et d'une relation aussi banale que cruciale : celle de la f
(lion) et de la douceur (miel), de l'Homme et de la Femme, du S
et de l'Eau, du Roi et de la Terre. C'est une relation dynamique
conjugue la crainte avec l'espoir et l'attente d'une félicité divine.

Notre premier lion provient d'un sommet religieux de Sumer, s


du sommet des ziggurats lui-même. Un hymne balbale de Nippur c
bre la hiérogamie annuelle du roi-prêtre Shu-Sin, identifié au lion,
la prêtresse d'Inanna, déesse de l'amour et de la fécondité 6 : la ch
bre nuptiale est « remplie de miel » ; les caresses de la fiancée sont «
savoureuses que le miel ». On tend évidemment à penser que le
est ici un symbole érotique, de signe féminin, plus ou moins opp
à Ja force mâle et redoutable du lion. Cependant le même texte
aussi du miel une propriété du lion : « Lion cher à mon cœur, gr
est ta beauté, douce comme le miel ». Le miel est donc commun
deux conjoints, signe du mariage lui-même.
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 11

Mais ce contexte, qui fait appel à la beauté, avec sa poésie, révè


un stade avancé d' « évolution », et le miel, sinon le lion, y est à pein
moins métaphorique que dans notre moderne « lune de miel ». Cher
chons, à l'intérieur du mariage sacré lui-même, le chemin des significa
tions plus anciennes. Dans la grande diversité des rites et des myth
qui l'ont caractérisé selon les temps et les lieux pendant plus de deu
millénaires, nous pouvons dégager quelques structures permanentes, mal
gré le danger des postulats simplificateurs. Nos premiers témoignag
sur le couple voué au mariage sont peut-être, dans les monuments figu
rés, ces lions au palmier, dressés face à l'arbre sacré, qui ne semblen
pas avoir une relation hostile avec leur partenaire végétal. Ce dernie
certes s'associe de préférence à des animaux moins sauvages : le taurea
les capridés, et le fauve a pour le bétail une inimitié notoire, de réali
quotidienne : on le voit souvent occupé à le dévorer. Mais pour le vé
gétal, et même pour l'homme ? Le héros, dont l'un des exploits consis
à affronter le lion et le vaincre, ne baisse-t-il pas parfois son épée, pou
tendre vers la gueule ouverte du lion quelque chose, comme pour l'a
paiser ?7 Qu'en était-il au juste de la chasse au lion, — rituelle, héroï
que, royale, dans un enclos réservé, qui semble avoir été liée au ma
riage : illustre-t-elle le thème mystique du Tueur-Tué, source de v
divine ? 8 Et puis il y a ces lions terribles, qui ornent les portes d
temples : de simples gardiens musclés, comme il se doit ? La porte d
rive de la gueule, et en répète le double sens : selon qu'elle s'ouvre o
se ferme. Refermée, la gueule promet la mort, certes, ou la protectio
Mais ouverte, elle accueille, elle « initie », elle « divinise », elle laiss
échapper la bave, la salive humide et fécondante, variante buccale d
la semence léonine. N'est-il pas dès lors naturel d'apporter dans la gueu
ouverte du lion les offrandes qui la feront « saliver »? 9 Un hymne su
mérien compare le temple tout entier à un lion, curieusement coup
avec l'eau dans un contexte de lamentation rituelle 10. Le rôle des zigg
rats n'est-il pas de mettre en communication le monde du soleil et cel
de l'eau, le ciel et le monde inférieur — en même temps que les hom
mes et les dieux ?

Erwin
dieu
qu'au
graphie
1958,
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R.
Cf.
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VII,
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38-40,
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Oxford,
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9 Sur la valeur éminente de la bave de lion, cf. le chant balbale à Ninigiz


da : cette bave (associée au lait du sein maternel) est le signe masculin d'un
naissance
lion-roi (taureau
héroïque
— , etc.)
ou divine.
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Celui
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de l'hymne
avalée avec
«bouche
le lait
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est lui-mêm
(ka-la
116 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

Comme le temple, comme le Roi, le lion est un modèle simult


de terreur et de douceur, de vie détruite et de vie restaurée. Certa
hymnes développent avec des accents plus ou moins apocalyptiques
thème de la destruction du temple, symbole de la destruction du mon
au milieu des lamentations. Après quoi le temple et le monde sont
taurés dans la jubilation 11 . Dans la tradition babylonienne, le miel s
ble parfois associé à ce double destin : utilisé dans les rites de con
cration de constructions nouvelles, il est aussi le signe de la ruine p
chaine pour les devins consultés sur son apparition prodigieuse 12 .

Le mariage sacré suméro-babylonien comportait justement un r


de la création du monde, partie intégrante des rites de sa recréat
annuelle. Au paradis de Dilmun, où tout a commencé à partir d'un c
ple divin (Enki et Ninhursag), il y a notamment huit plantes, pa
lesquelles une « plante à miel ». Comme les autres, elle est issue de
semence incestueuse d'Enki — recueillie par Ninhursag 13 — , après q
le dieu la mange... Ce trajet de la semence incestueuse à la bouche
le détour végétal est un grand modèle. L'inceste y désigne le commen
ment absolu (comme la masturbation pour l'Egyptien Atum) : car
dieu, quoiqu'il ait ici besoin d'une épouse initiale, doit procréer «
lui-même » ; après quoi ce créateur consomme ce qu'il a créé : com
le sexe est schéma d'origine, la bouche est schéma de finalité. La « pl
te à miel », comme les autres végétaux — s'inscrit dans ce systèm
elle est sur le chemin qui mène du sexe à la bouche-

Le miel paradisiaque, aliment de tout ce qui est premier, des di


et des rois, fera fortune jusqu'à « basse » époque et figurera dans
mythes de l'âge d'or. Contentons-nous ici de relever la connotation vé
tale du miel. Elle paraît universelle, au témoignage des langues e
mêmes, qui est celui du goût : tout ce qui est sucre est « fruité ». Le n
du miel et celui du sirop de dattes est identique dans le doma
sémitique 14 ; et c'est pourquoi le lion au palmier dont nous avons p
est si proche de notre sujet. La symbolique de la vigne et de son f
n'est pas moins voisine, et en arabe le non sémitique du miel se retro
dans celui du raisiné (dibs ). Le miel indo-européen relève soit d'un th
à labiale (lat. mel ; grec, hittite, etc.) soit d'un thème à dentale (v
medu...) qui fournit aussi bien le nom de l'hydromel (ail. Met) que c
du vin (gr. hom. μέθυ) et de boissons faites avec des baies (avest.). C
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 1

filière sémantique, liée à la fermentation naturelle commune au mi


et aux sucs végétaux, peut transférer le miel dans le cercle — et l
rites religieux — de l'ivresse (cf. gr. μ,εθύω). L'appartenance du miel a
monde des plantes et des fruits tend à le séparer, ou à le rendre complé
mentaire, du monde animal. Quand l'apiculture se superposera à
cueillette du miel sauvage, l'abeille, mieux connue, imposera une sym
bolique de la fleur, de la rosée, du « nectar », plus raffinée, mais de mêm
nature. Alors la reproduction céleste, « virginale », de l'abeille sera oppo
sée à la reproduction sexuelle des animaux (ainsi dans les Géorgique
tandis que la bougonie affirmera la réunion (apocalyptique et sacrificiel
des divergences. La convergence s'affirme dans le parallèle du miel av
le lait : dans les « fleuves de lait et de miel », le modèle liquide de l'abon
dance animale s'associe à son double végétal, comme d'ailleurs dans l
offrandes : très souvent le miel se joint dans les rites à l'huile, au vi
aux fruits, à la bière, comme au lait, à la crème, à la graisse, de sor
qu'il semble difficile de dégager, à date ancienne du moins, une foncti
religieuse spécifique du miel 15.

Mais il ne suffit pas de rattacher le miel aux autres noms ou substan


ces voisines, il faut d'abord (si les non-linguistes nous passent cette e
pression) situer son verbe, c'est-à-dire, la dynamique du vivant : cet
bouche obsédante et double : masculine, quand tout en sort (salive/semen
ce), féminine quand tout y rentre (aliment/semence). Entre les deux
miel est une réalité en mouvement ; même quand il est associé au la
pour définir la Terre promise 15bis, il est d'abord le miel de la promess
associé à une attente — comme la manne qui le préfigure, à la marc
du peuple élu. En tant qu'offrande, sa situation sur une courbe de croi
sance temporelle est encore plus évidente, car avant d'être un hommag
l'offrande est une demande, elle prend place entre un avant et un aprè
dont l'articulation spirituelle répète celle de toutes les limites, celle d
lèvres et des portes sacrées. Et la même courbe se projette sur l'espa
céleste et l'espace social : il y a un moment où les cieux s'ouvrent ou
ferment, pour la prospérité ou le malheur des hommes. Alors les conno
tations végétales et humides du miel pourront se mêler à la gueule an
male du lion pour manifester la loi même de la vie universelle : l'alte
nance saisonnière (ou occasionnelle) du temps atmosphérique et annue
qui peut se projeter sur le temps des royaumes et des dynasties. On pas
du Soleil-lion à l'Eau, bienfaisante comme le miel 16, sans qu'il y a

vlci.
rivière
arrivée
tologique,
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pp.
de
(Il miel
le s'agit
miel»...).

71sqq.
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118 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

opposition de pôles, mais plutôt conjonction, transition. Ce sont le


mes prés desséchés, où le bétail périt de famine et d'épidémies, q
transformeront en verts pâturages. Les mêmes roseaux sur la ri
fanent quand vient l'étiage, et accueillent l'inondation qui les rev
Le nœud de l'alternance est visible dans la moisson, que le dieu d
destructeur brûle pour faire naître la graine, semence que fécond
sein humide de la terre. Le soleil châtie, comme le roi, parce qu
juste, et les hommes pleurent pour que vienne la jubilation. Les
parties du temps se rejoignent au creux du désir et de l'attente, et
présentes au cœur des rites.
Est-ce un hasard si le nom akkadien de la « femme qui se lam
est aussi un nom de l'abeille, et est apparenté non seulement à une r
qui désigne toute espèce de plaintes, mais aussi à un nom du m
Même si l'on suppose que cette racine (lallaru/lallartu -) a été conta
par le nom sumérien du miel (lai), il faut admettre que la contamin
avait besoin d'un terrain favorable. La lamentation ressemble au
donnement des abeilles, sans doute ; mais surtout, comme le bourd
ment annonce la quête du miel, elle annonce, elle fait venir le m
bienfait qu'elle implore 17 .
C'est justement cette liaison de l'abeille avec la lamentation
quête qui est au cœur du mythe hittite de Telepinou 18. La petite m
gère ailée est envoyée par la Mère des dieux à la recherche de Télép
fils du dieu de l'Orage, qui est parti furieux, provoquant par son ab
une sécheresse et une famine épouvantable, source de désolation.
beille s'épuise dans une quête difficile ; mais quand elle a trouvé le
elle pratique sur lui un rite de réveil, où sa piqûre et une onction d
jouent un rôle. La cire, en tant que « contenant », peut être consi
comme un appel au « contenu », donc au miel. Et justement, ce
figurera ensuite parmi les offrandes d'un rituel, plus efficace en
d 'apaisement du dieu, de fonction parfaitement définie : la douceu
miel oblige le dieu à devenir doux à son tour. Alors Telepinou r
chez ceux qui l'appellent et ramène avec lui l'abondance. Il n'y a p
lion dans ce mythe, mais seulement un dieu en colère : oserons

du
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R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 119

rappeler qu'en sumérien une même syllabe (ug) semble désigner la « co¬
lère » et le « lion » ?

Cette dialectique entre le paradis du désir et l'enfer (le feu, l'aiguil¬


lon) de la frustration nous ramène au mariage sacré, où le lion et le
miel ne peuvent être séparés des héros et des dieux qui occupent l'avant
scène. La hiérogamie fait appel à trois grands acteurs (ou à leurs substi¬
tuts) : le Roi (prêtre, dieu), le Héros (principalement Dumuzi/Tammuz)
et la Déesse (Inanna/Ishtar) ou sa prêtresse. Tous trois, ils passent d'un
pôle à l'autre de l'alternance, et les rites formalisent au « assurent » leur
métamorphose, garantie d'ailleurs au plan du mythe. La métamorphose
héroïque est essentiellement dramatique, les deux autres plutôt symbo¬
liques. Dumuzi — roi mythique, ancêtre divin, modèle des héros d'épopée
et des chasseurs de lions — est le fils, le frère, l'amant d'Inanna. Il meurt,
principalement au fort de l'été, au moment où le soleil brûle la terre
aride : aussi a-t-il donné son nom (Tammuz) au mois correspondant des
calendriers babylonien et juif. Il gît « sur l'autre rive », couché sur
l'herbe desséchée 19. Sa mort suscite les lamentations de tout le peuple.
Inanna/Ishtar descend aux enfers pour le délivrer. Elle peut obtenir sa
« résurrection » temporaire (pour six mois, comme celle de Coré) ou, après
avoir risqué de rester prisonnière, revenir des enfers elle-même (« le troi¬
sième jour »), au prix de la mort du héros devenu victime de substitution.
Le retour à la vie est triomphal, marqué par la hiérogamie, et les festins
dans la jubilation du peuple. Il est lié systématiquement au retour de
l'eau, à la rivière qui déborde, à l'inondation fécondante. C'est la « bou¬
che de Tammuz » qui « fait la destinée ». Ishtar en est la « remplisseuse » ;
et quand la bouche est inondée de la boisson rituelle, son ouverture
« répand la joie » 20.

Le personnage d'Inanna/Ishtar est complexe. Elle a une face céleste,


plus ou moins maternelle et idéale, une face érotique (souvent), une
face infernale, guerrière, terrible (notamment à Babylone). Elle a pu
être d'abord une déesse de la végétation, liée au roseau et à Yarbre.
Le lion a été aussi son emblème, et elle l'a tenu en bride 21 . Son identi¬
fication (postérieure) avec la planète Vénus suggère un type de relation
à double face avec le soleil et la lune (qu'il faut faire transiter l'un vers
l'autre, lever et coucher). La relation avec le lion semble tout aussi
double ; car Inanna peut être l'ennemie du fauve, et le tirer par la
queue lorsqu'il vient planter ses griffes dans la chair du héros bien-ai
mé 21 . Mais elle est volontiers appelée « lionne » (voire « lion ») elle
120 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

même 22 . Ses fureurs sont faites pour être calmées, comme sa v


(qui semble se réduire à une formalité rituelle) pour être violée. L
bration de la hiérogamie par sa prêtresse couronne un progra
large échelle de prostitutions sacrées. Les textes parlent volontiers
multiples amants, de ses trahisons en série, de la fin tragique d
qui l'aiment. Dans l'épopée de Gilgamesh, qui les énumère avec
Dumuzi n'est que son premier amour. L'un de ses élus sera le lion,
lui creuse « sept et sept fosses », un autre le cheval (emblème g
royal ?), un autre le jardinier de l'enclos 23. On interprète parfoi
trahisons comme une expression imagée de l'insuffisance momentan
rites destinés à provoquer le Retour, et qui se succèdent vainem
jusqu'au dernier exclusivement : comme si la bien-aimée ne con
pas à reparaître pour la joie de son malheureux amant, s'était
ici ou là avec un autre. D'autres y voient une interprétation, en
de « déflorations successives », de l'inondation des jardins, et com
les boues rouges charriées par les fleuves en crue de l'Iraq avec
d'un « crime sexuel » 25. Il y a tout un thème — et il a dû y avo
un rituel — de la recherche de l'amante, ou de l'amant, dans le
quoique la pénétration et la quête amoureuse dans un enclos puis
réduire à une imagerie érotique 26. Les péripéties de cette quête se
répéter les motifs structuraux de « l'alternance », de l'espérance/déc
de la frustration/désir, de l'absence/présence. De même les offrand
tipliées en vue d'arracher le Retour, comme les lamentations, p

réduite
Dumuzi,
la
prêtress
Roi-dieu
ou
Dans
les
étude
échappe.
àd*Enki
Inanna
adorateur
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complexe
l'immoralité
notamment
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(noté
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(outre
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contexte
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retour
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presque.
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23
24
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systématique.
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pp.
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13-14
la
Dans
côté
cit.,
du
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mythology,
Inanna
d'entrer
Les
jardin
lion
incantation
personnages.
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8-10)
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non
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R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 121

au lion encore plus directement qu'Inanna avec son miel. Les échanges
entre la royauté animale du lion et celle des hommes ou des dieux sont
si banaux qu'ils se passent de commentaires. Peu importe même que le
lion royal puisse être remplacé par le taureau, autre dépositaire, plus
pastoral, d'une force invincible : tout symbole est toujours à un certain
niveau accidentel, et par conséquent instable, dans sa forme comme dans
son sens. C'est seulement au niveau des rapports que les constantes se
manifestent. A cet égard le roi-lion a un rapport aussi naturel avec les
victoires du soleil qu'Inanna avec celles de l'eau. Et c'est pourquoi tous
deux ont besoin de s'épouser, pour éviter une polarisation redoutable du
monde, et s'assurer une participation globale aux énergies vitales. Il
semble que dans le mariage sacré le roi se soit lui aussi dépouillé de ses
vêtements et privilèges pour les recouvrer dans la phase finale des rites.
Comme s'il était à la fois le lion tué et le lion vainqueur, semblable à
Dumuzi mort et ressuscité. Le primitivisme a son explication totémique
de cette métamorphose. Aux temps préhistoriques, le Roi était censé
communier avec les forces de vie qui « régissent » le renouvellement
« régulier » de la nature ; aussi, devenu vieux ou faible, il aurait été tué
rituellement, par crainte d'une communication de son impuissance à la
nature elle-même. De là (quand le « progrès des temps » aura remplacé
par des sacrifices de substitution l'immolation directe et mis sur le passé
le voile bienfaisant des symboles) les restaurations rituelles, d'abord
espacées (telle l'année jubilaire pharaonique), puis annuelles, conformé¬
ment aux rythmes de la nature et à la nécessité répétée d'une réponse
adaptée aux menaces incessantes contre la vie (sécheresse, disette, épidé¬
mies, guerres, assassinats royaux, etc.) Ainsi le lion-roi n'était plus chassé
ou tué qu'en figure, par mythe interposé tandis qu'au royaume des mé¬
taphores, du relief décoratif, de l'épopée, le lion vainqueur se taillait sa
glorieuse part. En se régénérant chaque année — avec la caste sacerdo¬
tale qu'il épousait par prêtresse interposée — , il restait le maître tout
puissant de l'eau, de l'abondance et du « miel ». La semence versée dans
le sein de son épouse garantissait aux villes dépendantes du temple, à la
nature et au peuple entier, la gestation du bonheur. Mais parallèlement
un phénomène capital se dessinait dans le ciel.

Les animaux-dieux ont connu avant les hommes la promotion astrale,


source d'efficacité oraculaire, de stabilité pour les calendriers, de « spiri¬
tualité » pour les humains. Est-ce dès la fin du troisième ou au cours
du deuxième millénaire ? Pour se prémunir peut-être contre les α trahi¬
sons » d'Ishtar, les Babyloniens fixaient sur l'Etoile du Berger, plutôt que
sur le lion, l'aspect érotique de la déesse guerrière. Le lion d'Inanna/Tam
muz, le Maître du feu solaire, le juste et royal meurtrier de juillet promis
122 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

hymnes correspondants, doivent modeler leur rythme sur le batteme


cœurs. L'une des cérémonies alternantes les moins contestables et le
significatives était le dépouillement progressif des « parures » divin
fonction des étapes catabatiques ; il avait pour pendant leur resti
successive
noce. lors du retour triomphal d'Ishtar et du héros, prêts po

Lors des offrandes alimentaires qui ponctuent l'aventure, on tro


l'occasion, à côté des boissons enivrantes qui devront inonder la bouc
Tammuz, les gâteaux de miel ( nig-lal) qui seront présentés aux lèvr
la déesse. Car les lèvres de Celle dont « la bouche est la vie » ont la
ceur du miel, comme sa voix 27 . Ce miel prend dont tout son sens d
perspective du Retour d'Inanna parmi les vivants. La bouche ret
par lui sa valeur humide et fécondante que la gueule refermée d
avait occultée, et le symbole de la délivrance succède à celui de la
vité infernale. L'histoire des « lèvres de miel » qui feront fortune
Sumer jusqu'au Cantique des cantiques et dans toute l'Antiquité
romaine est passée d'abord par ici, avec ces « lèvres pour le miel »
« miel pour les lèvres », situés au terme d'un geste de conjurat
d'offrande, d'attente érotique, accompagnés de paroles rituelles p
miel, qui deviendront un jour « paroles de miel » et miel « pro
que » 28 : les échanges entre le sens de destination et le sens d'ap
nance font partie des grammaires classiques. Les rives des fleuv
crue, qui « débordent de miel » 29 , sont d'ailleurs des lèvres elles
qui conserveront sous forme de métaphore, une des sources de l'im
primitive : exundat per labia fluminis aqua30. Le latin portera plu
de nous, dans sa vieille formule rituelle favete Unguis, favete vocib
souvenir erratique du rayon de miel (favus ) mis sur la langue, en
de bon augure et d'assurance prise sur la parole pour le succès du
Reste le troisième grand acteur du mariage, le Roi, qui nous c

le
mais
contexte
avons
héros,
parenté
les
favus
Et
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dieu
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10.
ici
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toute
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224
les
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n
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 12

« écrevisse » et à se tourner vers la mort de l'hiver où l'attendent le


résurrections souterraines. Mais la graine qu'il prépare en mûrissant le
moissons est toujours virginale, avant d'être déposée dans le sein d'un
épouse, terre promise aux fécondations sacrées ; elle continue de s'uni
au Lion, obstinément tourné, dans la séquence zodiacale, vers la cons
tellation de la Vierge... Une Vierge qui par des cheminements moin
obliques qu'il n'y paraît de prime abord va conserver, au-delà même d
paganisme, les symboles de l'abeille et du miel...

Quittons la Mésopotamie — notre lente initiatrice — pour l'Egypt


et les bords du Nil, où les souvenirs du Tigre et de l'Euphrate ne seron
pas inutiles. Là, les lions (avec les sphinx leurs frères), et surtout le
lionnes, abondent ; le miel aussi — et pourtant ils ne semblent guèr
présents que séparément. Nous croyons cependant à leur conjonction, o
du moins à leur convergence, sur la base d'un rapport très simple entr
le feu (soleil, roi) et l'eau de l'abondance.

Horapollon a décrit le lion solaire, avec sa face ronde, sa crinièr


rayonnante, ses yeux de feu, et cette étrange paupière, ouverte pour dor
mir, fermée pour veiller — miniature mythique qui semble répéter l
rapport symbolique de « l'œil » solaire avec la « paupière » de la nuit 32
Les papyri magiques, donnent au soleil l'apparence du fauve à la 5e ou
la 6e heure. A date ancienne on ne peut séparer ce lion, même métaphori¬
que, de l'animalité globale qu'il incarne. Avant la naissance de Rê, la Va¬
che céleste (liée elle-même à l'eau primordiale) prophétise : « Les homme
naîtront des larmes de son œil, et les dieux de la salive de ses lèvres » 33
La génération quotidienne de l'astre redit l'animalité de la Genèse pri
mitive. La cime de la montagne orientale, où le dieu se lève tous le
matins, cache une lionne redoutable 34. Serait-ce une sœur de cette autr
lionne, qui allaite le Roi 35 ? Les broderies mythiques se superposent e
varient à l'infini. L'horizon du matin rejoint celui du soir : le soleil es
un œil, mais il y a la lune, et le lion a deux yeux. Le double lion, gar¬
dien des deux horizons, aide à la régénération du soleil après son passag
chez les morts 36. Il semble venu du premier matin du monde, quand
Atum (Harachté-Rê...) de lui-même a émergé du chaos sur la collin
primordiale, à « Héliopolis », près de Memphis, créant avec sa semenc
ou sa salive le premier couple divin : les lions-jumeaux Schu et Tefnut
qui engendreront la suite des dieux. Mâle et femelle, identifiés l'un à l'air

du
rera,
de
Pour
dans
1924,
(ce sa
même
lion
33
31
335
326pp.
le
pour
l'Egypte
pupille.
Lexikon
Hieroglyphica,
S.
Cf.
cf.
lien
en71-72.
auteur,
Sauneron,
la
Hermann
miniature),
ib.
d'Hathor
pharaonique,
mythologie
der
l'art.
Aegyptologie,
Esna
Grapow,
avec
1,Biene
fondées
21de
(Puhl,
l'abeille
; incf.
du
l'œil,
Die
Traité
sur
1,Lexikon
de
art.
bildlichen
62,
la
et
les
l'inst.
11,
de
rétraction
Löwe.
levariations
miel,
82.
biologie
derd'arch.
Trad.
Ausdrücke
Aegyptologie.
cf.diurne
de
J.
symboliques
G.
or.Leclant,
l'abeille,
Boas,
du
des
et Caire),
la
N.Y.,
Aegyptischen,
dilatation
L'abeille
op.
de1950.
V.
cit.,
l'œil
p.On
et
p.261,
nocturn
du
le
Leipzig
compa¬
55 mie
cha
;§ e9
124 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

l'autre à l'humidité, ils vont devenir les fils de Rê et les yeux du


voire les deux couronnes royales. Tefnut, nature humide et fémini
conserver dans sa fonction d'œil solaire l'ambivalence de la conjon
feu/eau déjà présente à sa naissance. C'est elle qui va d'abord
retenir 37 .

Devenue souffle de feu sur le front du soleil, c'est une lionne fu


et sauvage. Le dualisme géographique égyptien la fait vivre dans l
serts brûlants du Sud. Mais Rê qui a besoin de sa protection envo
messagers pour la rappeler. Revenue en Egypte, il la fixera à son
où, sous forme d 'uraeus, elle brûlera ses adversaires. Ce retour es
fête pour les hommes (la fête jn.tw.s. : « elle est ramenée », célébr
mois de Tybi), comportant un rituel d'apaisement dans les diffé
villes où la déesse s'arrête en descendant le Nil 38. Mais il est diffi
cause du caractère tardif des témoignages, et des interférences
Tefnet, Sachmet, Bastet, Uto et Hathor, de préciser les rites.
voyons qu'à Philae Tefnut cesse d'être lionne pour devenir aimable
me Bastet ou Hathor. Le papyrus de Leyde 39, qui fait alterner e
la chatte et la lionne, évoque un rituel alimentaire d'apaisement.
surtout il développe longuement, pour convaincre la déesse de q
son désert et de descendre en Egypte, le thème nostalgique de la
originelle et du fumier créateur. L'idée est appuyée par une sér
mythes ou de fables : sur la naissance des hommes, de Rê, du scarab
La boue, nous suggère le texte, est une patrie qu'il ne faut pas mé
malgré son odeur. Et l'une des preuves de son éminente d
c'est... l'abeille : celle-ci naît spontanément sur les cadavres (allus
la bougonie), sa ruche est faite d'une cage de roseaux enduite de
Suit un passage très obscur, où l'on reconnaît pêle-mêle : un par
entre l'abeille et la chatte (donc la lionne apaisée) — comme en
boue et la pierre 41 ; un rapport insistant autant qu'incertain en
boue, le miel et les hiéroglyphes — avec mention : du roseau utili
les apiculteurs à l'instar de la déesse « Neith » 42 ; du signe du miel
certain rituel de purification et de restauration des temples. Après

gen
semble
Sprache,
contesté
déesse.
art.
Revue
Joseph
und
mot
Mais
Besänftigung
passage
(Les43
î'7
9
ίο
as
42
der
:Atum,
signifiant
Gebete,
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cf.égyptologique,
Cf.
et
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Le
Papyrus
obscur
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L'image
cf.
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Spiegelberg
könig,
par
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1,Aséneth,
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parallèle
lien
Rê,
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R.Zürich/München,
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434.
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etc.
philosophiques
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Daumas.
Mythen
9,Akad.
déesse
Der
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citons
de
Reallexikon
1900,
que
structural
»déjà
«1968,
Auszug
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Nut
(bj.
Tefnut
d.im
lepp.
rapporte
tenant
de
1975,
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dans
pp.
».
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à?65-66.
13sqq),
avec
l'Hymne
avec
p.
chatte
retraduit
de
der
Cf.
Thèbes,
le1911
Nathor-Tefnut
le
Nut
504).
mots
roseau
Erman
aesyrt.
l'humidité,
la
papyrus,
Orient,
; puis
Éthiopienne
et
et
signification
au
traduit
ayant
par
dans
l'abeille,
àReligions
et
Nil
par
la
B.H.
Stuttgart,
Grapow,
celle
de
pu
main
avancé
le
et
W.
aus
Stricker
Chéti
Lexikon
et
infléchir
analysé
cf.
du
Spiegelberg,
d'ensemble.
geschichte,
Nubien
du
serait-elle
Wörterbuch
J.lion
par
1965,
(cf.
petit
Leclant.
in
der
par
,K.
Aegypt.
la
et
M.
in
t. chacal
nature
Sethe,
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E.
art.
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1Philo
Abha
op.
der
Aeg
F.e
laHdT
ar
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 12

il est question dans deux phrases consécutives de la chatte comme œ


solaire et du « roi d'Egypte » comme abeille 44...
Mais ce n'est pas tout. Nous retrouvons le miel et la boue sur l
traces du lion, du soleil et du roi, par une autre voie : celle que le papy
rus de Leyde suggérait déjà dans sa conclusion (citée en tête de not
article) en invitant la déesse à ramener la joie chez les Egyptiens : α
tu tournes vers eux ton visage, tu seras comme le Nil qui déborde... T
salive est du miel, ta liqueur dans ta bouche est comme le miel qu
coule du rayon. Plus aimable est ta jolie bouche que le champ qui pouss
terre verdoyante, enceinte de toutes plantes » 45. Cette bouche de chatt
lionne qui salive du miel et évoque la fécondation des champs, fa
penser aux têtes de lions des fontaines sacrées (et même laïques et mo
dernes) qui laissent échapper l'eau par leur gueule, et à ces lions-gar
gouilles, attestés dans les temples égyptiens dès l'Ancien Empire 46. L'au
teur des Hieroglyphica leur rattachait le nom de la crue du Nil 47, dan
lequel figurent selon lui soit un lion, soit trois grandes cruches à ea
suggérant par leur forme même un cœur et une langue (le bec ?). Le
cruches sont la terre, à l'intérieur de laquelle bat le « cœur » du Nil. E
il y a cette langue, toujours « humide », que les Egyptiens appellent « leu
mère ». C'est justement dans le rapport de cette « langue maternelle
avec les lèvres et la bouche du fleuve que le lion et le miel vont mani
fester leurs affinités.
L'interprétation hiéroglyphique donnée par Horapollon est erroné
dans son application 48, mais elle demeure juste dans son principe : il
a un lien entre le lion et la crue du Nil. Sans doute celui-ci est-il plus o
moins direct, et, après C. de Witt, Danièle Bonneau a cru pouvoir
contester 49. N'est-ce pas Sôthis (le Sirius des Grecs et des Romain
l'Etoile du Chien) qui déclenche l'inondation, et règle par là le calen
drier ? Pourtant la date initiale de la crue (19 juillet), sa conjonctio
relative avec le solstice d'été et le sommet de l'activité solaire — comm
avec la nouvelle année — doivent nous faire réfléchir. Et d'abord
Sôthis joue ce rôle éminent, (qui lui crée des liens avec Isis comme Orio
en a avec Osiris) ne le doit-elle pas avant tout à la coïncidence 50 de so
lever héliaque avec le soleil de la « canicule », ou comme dira le zodia
que, avec l'entrée du soleil dans le Lion ? un Soleil-Lion dont il est bo
peut-être qu'une étoile prenne le relais — comme il est bon que la chat
succède à la lionne, et que la planète Vénus se superpose à Ininn-la-b

ment
eion
termarck
dans
(mielso
1935,448
47
49
4■-des
651l'Egypte
«vierge»).
p.
rw.Nous
i,
D.
Cf.
ib.
cf.
il
134)
équinoxes
(21.
doit
Survivances
Bonneau,
Nous
D.
la: ne
ancienne,
trad,
Bonneau,
«la
s'agir
On
pouvons
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salive
et
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op.
duaux
païennes
Spiegelberg,
Leyde,
La
cit.,
hiéroglyphe
(ou
entrer
variations
crue
pp.
«le
«miel
1951,
la
dans
dans
303-305
ducrachat»)
désignation
op.
Nil,
itrw,
qui
pp.
du
les
lacit.
; divinité
coule
problèmes
calendrier.
396-399.
civilisation

C. du
learabe
de du
Prophète»
lion
Witt,
égypt...,
rayon»
de
du
nemahométane,
Le
décalage
miel
sert
rôle
Paris,
d'après
(en
qu'à
signalée
et
temps
1964,
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transcrire
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Payot,
sens
àpar
de
p.
Honigsei
la 304.
du
E.
Jeûne
préc
Pari
W
l'él
lio
126 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

Le lion ne subsisterait donc ici que secondairement, par exemple dan


patronage de la crue par Schu, et dans cette légende du lion qui am
la crue de Khonsou à Karnak 51. Mais la responsabilité directe du s
dans la crue se maintient d'autant mieux que la direction Sud-Nord
cours du Nil correspond au mouvement apparent du soleil de l'h
vers l'été. « Le Nil est issu du soleil qui n'est autre que le dieu Rê
La vache Hathor, qui porte le soleil entre ses cornes, « désire l'eau q
mène le soleil » 53. Fin juillet, lorsque l'eau de la crue, chargée de sa
alluviaux, prend une teinte rouge, c'est Rê qui répand sur la terre d
bière rouge, pour apaiser la lionne furieuse Sachmet, avide de sang
envoyée pour détruire le genre humain 54. Les boissons rituelles apais
tes caractérisent aussi les fêtes de Hathor 55 ; et Horapollon cite une c
tume de faire passer le vin au travers des lions en accomplissement
vœu fait lorsqu'il y a surabondance d'eau 56. Nous ne pouvons cepend
rien induire de ces rites et de ces boissons ; et le rôle précis du miel
présente dans les rituels n'ont pas encore été élucidés 57 . Mais sur le p
des symboles un certain nombre de convergences apparaissent.
Tandis que le lion solaire et le roi se recoupent ou se recouvrent,
bonne part du sens de la crue, sous la présidence rassurante de Sôt
échappe au rapport Roi/Soleil/Eau pour entrer dans le rapport Eau/Te
où le rôle du Mâle est assuré par le Nil et ses équivalents mythiq
En effet Sothis demeure liée à Isis, qui provoque la crue par ses lar
(variante féminine des larmes créatrices de Rê, avec transfert prob
à l'œil de l'imagerie sexuelle) 58. Ces larmes sont dûes à la mort d'Os
et annoncent la résurrection prochaine de ce dernier, au terme de
quête et des épreuves développées par les mythes. Au miroir de ce cou
divin, l'inondation se lit comme le mariage sacré de l'eau et de la te
Si le sol desséché est le cadavre du dieu (tué par son frère Seth-Typh
puissance malfaisante cachée dans les terres brûlées par le soleil),
montée de l'eau, la résurrection et le renouveau de la végétation su
terre fertilisée ne font qu'un. Si au contraire la terre est le corps d'
c'est que la déesse, en deuil comme la terre avant la crue, est deve
féconde au contact de l'eau vivifiante. A l'horizon de ces structures
voit d'ailleurs se profiler le lion, soit sous la forme d'Horus léont
phale, soit en projection funéraire : car le mort, devenu un Osiris, ado
le symbole de l'inondation pour sa renaissance posthume, et procl
à la fois : « je suis l'inondation » et « je suis Rê, je suis le lion

évoqué
fille,
Leipzig.
dieux
Palanque
si7cf.
52
53
54
55
556
58
59 etHans
Ch.
Jb.,
pour
Sur
d.
f.
Texte
Cf.
voir
K.
1912,
aux
etDaumas,
Bonneau,
Sethe,
J.
p.
Palanque,
la
D.
les
Sumer,
rois)
Bonnet,
ch.
lacunaire,
Leclant,
16.
manière
Bonneau.
références
14-15.
Lepouvait,
Zur
art.
op.
ne
rôle
op.
Le
altaegypt.
art.
dont
Besänftigung.
partiellement
cit.,
nous
Nil
cit.
capital,
antiques
cité,
lors
Hathor,
p.
àart.
retiendra
l'époque
289.
deSage
pp.
et
Löwe.
certaines
aux
si
58-60.
mère
reconstruit,
vom
suggestif,
larmes
pharaonique,
pasdu
Sonnenauge
Leici
fêtes,
Soleil,
miel
d'Isis
; cf.
de
mais
faire
D.
(destiné
l'inondation
est
dans
Paris,
, Bonneau,
cf.
das
l'objet
devenue
les
ci-dessous.
in
1903,
originellement
ouvrages
der
d'un
op.
funéraire,
p.Fremde
peucit.,
19.
interd
à cité
pe
p.
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 1

L'eau du Nil rivalise avec ce lion, capable de tous les engendrements 6


Elle est la semence que le Nil verse dans le sexe de son épouse, q
l'avale 61. La génération des animaux, le gestation des femmes, tout com
me la poussée végétale, sont son œuvre 6a. Mais il y a des variante
L'humidité animale du fleuve peut être conçue comme une « sueur
de la terre 63 ou comme une « salive ». C'est cette salive qui permet a
dieu créateur Ptah de faire son métier de charpentier parce qu'elle nou
rit la croissance des arbres 64. Et bien entendu la salive implique d
lèvres, une bouche... Nous ne reviendrons pas sur cette dernière imag
qu'on trouve au bord des eaux dans tous les coins du monde antiqu
Mais n'est-ce pas elle qui, par les associations symboliques qu'elle éveil
soutient le miel et l'abeille égyptienne ?
Philostrate a évoqué, dans la Vie d'Apollonius de Tyane, la traditio
inscrite peut-être dans un Hymne au Nil 65 , selon laquelle l'eau d
fleuve en crue aurait été « mêlée de miel ». Cette « légende » est repri
dans une série de documents postérieurs, notamment chez Eusèbe qui
fait remonter à l'antiquité la plus reculée. Elle semble confirmée par
comparaison de l'eau du Nil avec le « nectar » versé aux dieux par Gan
mède, sinon par le vieux nom latin de Melo donné au fleuve 66. A qu
bon recourir à l'explication matérielle d'un goût de miel dû à la présen
de certains « sels minéraux » dans l'eau 67, puisque « miel, nectar »
comme la salive de la lionne Tefnut déjà citée — sont la figure sup
rieure de la liqueur divine et féconde sortie des « lèvres » du fleuve
puisque toutes les rivières du Proche-Orient sémitique ont elles aus
débordé du « miel » de l'abondance ? Le fait que le miel n'ait été attr
bué à la crue qu'à certaines époques plus ou moins mythiques pourra
d'ailleurs facilement être mis en relations avec les vicissitudes de la sym
bolique du miel, recouverte avec le temps (comme il est constant en m
tière de symbolique, et particulièrement en Egypte) par d'autres « all
vions ». Mais il y a plus encore à conjecturer dans cette même directio
Nous savons que le Roi est non seulement coresponsable de la cru
mais qu'il est lui-même « grand dieu Nil », « Nil en crue », « foule
Nils journellement débordants » 68. Il est difficile de croire que cet

pp. 59-61).
60
6i
62
63
64
65 Hymne
Sur
H.
Cf.
Thème
vi, Grapow,
D.
la Bonneau,
11. fonction
développé
au
H est
Nil
op.question
de
cit.,
funéraire
op.
àCheti,
p.cit.118
l'époque
d'attribuer
op.
de(Lippen).
cette
grecque
cit., p.eau,
à 503.
l'Egypte
(cf.
cf. F.D. Jacoby,
Bonneau,
une sagesse
Frg.op.gr.
qui
cit.,
hist.,
appartie
p. 278.
II

par priorité à l'Inde, c'est-à-dire d'accorder τι μείζον Αιγυπτίους, ή εί πάλ


128 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

fonction — ou cette figure — royale ne s'est pas à l'occasion fon


superposée avec deux autres aspects fondamentaux du roi : l'asp
nin et l'aspect solaire. Or dans le cadre de cette trinité fonction
fameux hiéroglyphe de l'abeille, qui représente la royauté de
Egypte 69 est susceptible d'une explication simple en même tem
d'une large résonance. L'abeille en effet n'y serait pas là pour ell
comme on a tendu à le croire ; mais comme ailleurs (comme par
ple dans les hiéroglyphes sumériens, voire crétois) elle serait to
plement le signe du miel. En effet le miel, en raison de son c
informe, ne peut être figuré par lui-même ; il faut qu'il soit sugg
une forme venue d'ailleurs, ou mieux encore par sa productrice,
sa véritable marque d'origine. Cette figuration étiologique par
dénote d'ailleurs un sens global de la gestation dans le temps
poussée organique bien enracinée dans la pensée archaïque, et
beille « isolée » des modernes — et même déjà celle des natu
anciens, lecteurs d'Aristote ou des Géorgiques — a tendu à occu
des références symboliques artificielles ou savantes (adoptées par
pollon et Ammien Marcellin) à l'organisation de la ruche autour
roi 70. Ces références nous paraissent surajoutées, d'autant qu'à d
ancienne, le miel était principalement celui des abeilles sauvages
réceptives à la symbolique raffinée des apiculteurs. La symbol
miel remonte à l'époque de la cueillette, elle est plus haute que
l'abeille qui lui a servi de figure ; et elle a dû être liée au roi d
sur la base de la crue du Nil, modèle vécu de la divine « abon
des morts et des résurrections divines.

Mais elle ne perd pas pour autant le contact avec le lion solai
légende fait naître les abeilles des « larmes de Rê » 73 sur la t
comme la crue naît des larmes d'Isis. L'abeille succède ici au miel
par l'œil solaire, au témoignage d'une invocation à Amon-Rê, seig
Karnak relevé par E. Lefébure, qui mêle un mythe de rassem
des membres divins aux rites et aux offrandes d'une fête 74. A l
gréco-romaine, l'explication du miel par la rosée solaire fera éch

pp.
à
ont
tre
qui
ci-dessous.
le
un
ancien
en
symbolique
élevé».
aussi
demment
leur
miel
germanique
hiéroglyphe
69
70
51-52.
greffée
châtie
7i
72
74
souvent
73 leroi
et
Cf.
Voir
avant
Hieroglyphica,
Cf.
Citons,
ib.,
Cf.
titre
sa
est
plus
(Roi)
Erman
J.
sur
du
Ε.
pp.
été
l'analyse
parenté
suivi
Leclant,
l'abeille,
d*
Lebébure,
miel
complexe,
àoccidental
/Soleil
le
6-7
ptolémaïque
cités
«titre
et
apiculteur
dualisme
d'un
et
et
Grapow,
solaire.
I,
depuis
art.
précise
16
qui
ce
depassage
62.
L'abeille
avec
qui
(Amon-Ré
l'aiguillon,
curiosité,
cit.,
(d'où
mûrit
La
ancien
signifiant
C'est
Champollion.
Wörterbuch
d'Amon
expliquerait
de
l'abeille
p.référence
Honig).
(un
et
53.
en
cette
cette
la
feu
sera
appelle
peu
On
reprise
Egypte,
». juxtaposition
sans
«représentation
La
trône
a(brûlure,
couleur
lacunaire)
plais
d'Horapollon
der
le
dit
Cette
couleur
l'eau
le
par
Sphinx,
nom
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tard
lion,
ou
Ammien
qui
symbolique
même
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d'où
de
identifié
qui
dorée
«désigne
Sprache,
du
11,
alit
Melissa,
àpar
piqûre/eau,
fait
que
lion
abouti
».
l'obéissance
1908,
Marcellin.
terre)
du
Un
J.au
les
allusion
«un
et
Π,
dualiste
d'après
miel
Leclant,
pp.
au
autre
Nil).
Grecs
de
; prêtre
63 etc.
16-17
nom
l'abe
(mn-
soul
Ces
mie
àdes
On
si
on
m
pcl
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 12

croyances Peut-on remonter plus haut ? Les premiers documents égyp


tiens sur le miel sont placés sous un grand signe solaire et royal, dans c
temple de Né-ouser-Re (Nj-wsr-R* ; 5e dynastie) où le culte de Rê, l
jubilé du Roi, le renouvellement de l'année et la recréation du mond
cumulaient leurs valeurs symboliques, un peu comme dans le mariag
sacré sumérien 76. Est-ce un hasard ? Enfin, puisque le miel ne peu
manquer d'évoquer les lèvres et la bouche qui le sécrètent, et affirme pa
là son lien permanent avec l'autorité, la parole et la vérité 77 , le sign
du miel n'avait-il pas toutes les raisons de désigner la fonction royale
Encore un détail, en soi banal : c'est la « bouche », septuple, du Nil qu
constitue le delta, la Basse-Egypte. Nous n'avons pas trouvé de descrip
tion antique suggérant que cette bouche inondée, avec ses canaux et se
milliers d'îles, puisse ressembler à un rayon de miel. Mais ne suffit-
pas du miel merveilleux de la crue, qui inonde cette bouche divine pou
justifier l'attribution spécifique de l'abeille à la royauté de Basse-Egypte
alors qu'il paraît difficile d'expliquer cette spécificité — en oubliant l
Roi — par la qualité du miel du delta 78.
Restent les références traditionnelles au « château de l'abeille » e
au « fourré de l'abeille » (akh-bjt , en transcription grecque Chemmis)
Saïs : c'est en ce dernier lieu qu'Isis se réfugie après le meurtre d'Osiri
pour élever son fils Horus à l'abri des atteintes de Seth 79. C'est dan
le château de l'abeille qu'Osiris reçoit de Neith flèche et arc pour triom
pher de ses ennemis (mais on n'est pas sûr que l'abeille ne soit pas l
tout simplement pour désigner la Basse-Egypte). Que représente donc l
lien de la déesse saïte Neith avec l'abeille 80 ? Nous serions tenté d'
chercher une symbolique de l'aiguillon, caractéristique de cette vierg
guerrière. Certains même, spéculant sur les influences libyennes à l'es
du delta, concluent que l'abeille royale égyptienne était à l'origine un
guêpe libyenne 81... Mais Neith est aussi une mère, déesse de l'eau pri
mordiale. On peut se demander si le « fourré de l'abeille » n'évoquerai
pas un fourré de roseaux. L'imagerie du roseau — on l'a vue en Méso
potamie — est une structure ambivalente de la rive : roseau sec et rosea

Le
l'anglais
la
relation
un
ment
scribe).
E.
Löwe)
tre
cf. récolte
Lefébure,
lien
».
A.
type
Par
so
82
15
76
77
78
si
79suivi
Cf.
Caquot,
etdu
cf.
On
Cf.
ailleurs,
/b.
possible
àdu
aussi
ledu
miel
la
(«in
J.
M.
H.
et
trouvera
nom
miel.
pp.
fois
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miel
Leclant,
Pauly-Wissowa.
Grapow,
Philonenko,
op.
«avec
puisque
genitivischer
entre
2tout
Savignac,
germanique
sqq.
ithyphallique
cit.,
(J.des
lace
le
art.
Leclant,
art.
Pour
pp.43-44.
op.
rosée
p.le
qui
dieu
arguments
La
101.
cit.,
op.
clergé
cit.,
cit.,
le
survit
sort
Verbindung»)
oriental
Realenc..
rosée
de
cit.,
art.
p.
sens
pp.
et
pp.
la
du
de
54,
léontocéphale,
pp.
dans
solaire
cit.,
99,
puissance
51-52.
en
de
sa
dieu
n.
duart.
63-69.
103,
bouche
faveur
«p.
leguêpe
22.
miel).
Min
dans
nom
56),
Neith.
en
116-118.
séminale
semble
égypt.
de
»est
l'ancienne
on
du
cf.
du
la
trempé
notera
mildiou
«Bouche
Hans
deborah/
des
guêpe
avoir
(qui
mots
Egypte,
Bonnet,
la
dans
été
( dans
semble
mil-dew
débuta
convenance
de»
«roi»
en
leN.
l'art,
rapport
est
op.
avoir
miel
; sémitique
Clio,
ou
venu
normale
cit.,
»cité
conn
«maî
d'un
(d'u
195
ave
ar
pa
d
130 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

qui verdit, sécheresse et crue suivie de croissance 82, sur une plage d
dation où le « refuge » d'Isis prendrait tout son sens. Justeme
roseau est lié à l'abeille par de vieux rites, et le papyrus de
l'atteste, en évoquant à ce propos le rôle initiateur de Neith. Il
d'un rite de fécondité, qui doit remonter à l'époque préhistorique
tiné à faire se poser les essaims d'abeilles sauvages en sifflant dan
flûte de roseau. Il a un parallèle biblique fameux 83 et peut être ét
multiples références gréco-romaines. La symbolique solaire et pu
de l'aiguillon (cette « flèche » de Neith-abeille ?) s'y adoucit po
joindre les bénédictions de l'eau et du miel. La mentalité mag
prend possession par anticipation du bienfait divin de l'abondance
l'eau est le signe étymologique (ab-undare ) et le miel produit par l'
la quintessence 84. Le roseau fonctionne là comme « canal », lieu
du passage, et le son qui en est tiré comme rite d'apaisement et de
tiation, parallèle sonore du bourdonnement par lequel l'abeille pro
sa quête du miel. En se fixant sur le sol, l'abeille, appelée à trav
roseau, promet la fin des tourments de la sécheresse (piqûres d'in
épidémies ajoutées aux brûlures du soleil) et des quêtes sans espoi
annonce la construction « sur place » du miel, et le rendez-vous pr
d'une récolte bénie. Nous sommes donc toujours ramenés à la
hypothèse de base, même si le lien avec le roi est ici secondaire 8

Mais alors... (et surtout s'il n'est pas trop hardi de rapproch
roseau du « jonc » de la couronne de Haute-Egypte) l'union du
et de l'abeille » ne serait-elle pas celle de deux rendez-
vous suc

pratique,
Emmanuel
qu'il
des
ensemble
et
citent
ou
mentar),
rité
le
«frugale»,
àtrouvait,
second
fécond)
doute
rable
n.
Signalons,
ruches
de
sition.
(une
l'eau-mère
Raboty,
boue
la
de
5.
miel
faire
de
«canal»
l'Ancien
Nils
84
85
83
du
fois
vierge)
sache
àou
Rappelons
miel
les
essentiel
l'essaim
La
égyptiennes
du
celui
Cf.
Neith
texte,
Léningrad,
qui
en
égyptiens
résonner
Neukirchen,
etc.
de
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une
parallèles
symbolique
(Cf.
en
—se
repos
ànotre
rejeter
la
Isaïe,
Empire,
(de
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question
permet
fécondée,
du
Le
les
quel
nourriront
et
connotation
arelation
on
brûlure
le
nomade
que
lat.
enfin
roseau,
rite
été
ceLui-ci
ravins
mythe
VII,
(apaisement,
chap,
aune
et
(Nouvel
le
moment
1936,
(cf.
gréco-romains
gr.
et
pensé
cette
la
1972,
de
honorée
les
mal.
désignaient
qu'il
18
de
flûte
solaire
semblable
J.
avec
celles
formation
cf.
canna
grec
(qui
abrupts
cité,
la
t.
se
tous
abeilles
et
Leclant,
l'abeille
p.
symbolique
mythique.
Empire)
àle
«II,
flûte
ynourrira
de
ib.,
Ce
cette
304
caractérise
d'après
des
(deuxième
,temple
dont
aet
les
de
fixation
p.
mot
roseau
l'avènement
une
jour-là
14-15,
et
àest
à248).
du
rescapés
interpolations
bonne
les
art.
yl'abondance
du
deuxième
l'armature
l'hostilité
A.
les
Isis.
—sémit.)
manifestement
l'épopée
transite
mythologie
de
pays
plus
;soit
Caquot,
miel
cit.,
22.
peuvent
de
creux
Yahveh
partie).
cf.
Né-ouser-Re,
lait
Pour
aussi
heure
du
Il
d'Assur
l'essaim
pp.
connus
une
Hans
àet
et
messianique
arménienne,
s'agit
des
hypothèse,
de
du
pays)
la
un
est
σρ.
le
annonce
52-53)
ou
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comme
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fois
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rochers...
on
signe
moustique
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rite
cit.,
verticale
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pour
miel
du
la
de
dans
».
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s'est
de
à—
Les
p.
égyptien
pénurie
la
rite
J.
de
«rite
côté
les
mère
l'abondance.
jusqu'à
qu'ils
plus
48.
que
un
premier
celles
Veirge
(avant,
par
Leclant,
demandé
(Ce
commentateurs
d'Israël)
»roseaux
du
qui
moustiques
Etant
de
du
de
«(la
les
Jesaja
N.
liée
mythique
jour-là,
creux
soleil
viennent
de
d'une
passage,
peut-être
consiste
leur
ce
roseau,
qui
piquûre
Marr,
»deux
après?)
donné
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art.
de
(ou
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si
»(à
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une
Ilnou
ou
de
l'ai
le
Izb
cit
pa
ty
d
«(p
ed
sàd
q l
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 131

de 1'«ab-ondance », tous deux, comme il se doit, solaires, royaux et di¬


vins 86 ? *♦*

Nous venons de croiser les chemins de la Bible, et voici le moment


de les suivre pour en mieux comprendre le décor « mythologique ». Le
lion et le miel y sont associés dans la première aventure de Samson 87,
donnée comme réelle, mais de caractère manifestement symbolique, et
en même temps énigmatique, au point que les commentateurs se perdent
en conjectures opposées. Rappelons sommairement les données du pro¬
blème. A une époque où les Philistins dominent sur Israël, Samson, nazir
de Dieu depuis le sein de sa mère et « agité » par l'esprit de Yahveh, se
rend à Timna, où habite une Philistine qui « lui plaît ». Quand il arrive
aux vignes de Timna, un jeune lion vient à sa rencontre en rugissant.
Quoique sans arme, il le tue en le déchirant comme (le lion fait d') un che¬
vreau 88. Plus tard, revenu pour épouser sa belle, Samson fait un détour
pour voir le cadavre du lion, et il y découvre un essaim d'abeilles, et du
miel qu'il goûte et fait goûter à ses parents. Durant la fête des noces,
l'événement est transformé par Samson en énigme, proposée à la sagacité
des invités philistins : « De celui qui mange est sorti ce qui est mangé, et
du fort est sorti le doux ». L'énigme est assortie d'un enjeu : la récom¬
pense promise pour sa solution aux questionnés ira au questionneur en
cas d'échec. Les Philistins trouveront la bonne réponse par ruse, en fai¬
sant jouer les charmes de l'épouse, qui livre aux fils de son peuple la clef
donnée par son mari. « Qu'y a-t-il de plus doux que le miel ? Et quoi de
plus fort que le lion » ? Samson furieux dénonce la trahison de sa femme,
transforme en vengeance le cadeau promis pour la solution, et se retire
dans la maison de son père.

Il faut tenter d'abord une explication symbolique « de l'intérieur ».


Samson est un personnage d'épopée, populaire, mais ambigu : un nazir
tenté par la débauche. L'ange de Yahveh a mis sa mère en garde, avant
même la naissance miraculeuse de l'enfant destiné à sauver Israël des
mains des Philistins : comme sa mère, il ne devra boire ni vin ni boisson
fermentée, et rien manger d'impur 89. Le vin en effet conduit à enfreindre
la loi de chasteté. En négligeant ce précepte central du nazir, Samson
imite son peuple et doit subir le châtiment de son péché : si les Philistins
en effet sont alors les maîtres d'Israël, c'est parce que les Israélites font
« ce qui déplaît à Yahveh 90. La superposition du péché individuel au
132 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

péché national prend avec Samson la forme classique de la relation


tique : la femme étrangère incarne les tentations personnelle et colle
la séduction/trahison. La tribu de Dan, dont Samson fait partie, es
tement la plus exposée territorialement à subir l'influence philistin
perdre, en position frontalière, le sens national. Le choix que fait Sa
de succomber aux charmes d'une fille d'incirconcis et de l'épous
malgré le rappel à l'ordre de ses parents — est un modèle d'«hy
tion » 91 impure, une véritable prostitution.
Comment s'étonner dès lors qu'en arrivant aux vignes du pays h
par l'enjôleuse, Samson soit attaqué par un lion rugissant ? La vig
un symbole féminin, à la fois érotique et mystique, bien connu 9
donne à la « pénétration dans les vignes » un double sens : car ou
il s'agit du mâle qui vient chercher le vin capiteux du sexe, ou
il s'agit de la vigne de Yahveh, symbole d'Israël, attaquée et dévoré
des fauves ou des prédateurs qui incarnent les ennemis du peupl
Ainsi la vigne appelle l'image du lion à un double titre, comme sy
du mâle vainqueur, roi promis aux hiérogamies fécondes et divin
comme symbole de l'ennemi profanateur qu'il faut tuer, parce qu
venu pour tuer. Samson est justement le héros qui tue le tueur, e
exploit — comme l'exploit parallèle de David 93 , le qualifie d'a
à lutter victorieusement contre les Philistins. Et pourtant... Le lion
l'attaque au moment même où il fait le faux pas décisif de la tra
n'est-il pas un « gardien de la vigne », un défenseur qui livre une de
bataille aux limites de l'Ordre, un vengeur du naziréat trahi ? Autr
dit, en le tuant, Samson, en fait, tue son gardien mystique ; il s
donc lui-même, à moins que, étant donné l'ambivalence du symb
l'interprétation déjà donnée 94, son ennemi et son gardien ne f
qu'un, comme la menace ne fait qu'un avec le salut, et la mort av
vie, tuer le lion signifie pratiquer, par lion interposé, un rite d
immolation régénérateur, préfigurant ce qui arrivera dans le temp
Dagon, au terme de l'aventure.
Mais voici que le lion est mort, comme l'esprit du nazir, et que
son est déjà livré en figure au mariage du péché. En se rendant aux
profanatrices, Samson va voir une dernière fois l'image de son ex
le lion est un cadavre décomposé, mais qui atteste le miracle de
et de la renaissance collective : un essaim d'abeilles y a fait son n
produit du miel. Le sens général du symbole est clair : la défai
nazir-lion se transformera en source de bénédictions ; l'impureté de
son va préparer du miel pour Israël, et annoncer un renversemen
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 133

rôles de maître et de sujet : la fin de la domination philistine... Cependant


Samson qui goûtera de ce miel et en fera goûter aux siens ne peut en
avouer l'origine : le cadavre est impur. Et le héros en ajoutant l'impureté
du contact avec la mort à celle du contact avec la femme étrangère
rompt doublement son vœu de nazir. Mais Yahveh tirera la régénération
de la corruption :

God does all things together. He puts to death and brings to life at
the same time... Dust is changed to man, and man is changed back to
dust, as it says « And turneth the shadow of death to the morning »...
Living flesh dies, but the dead flesh comes to life again 95.

La felix culpa de Samson prouve la toute-puissance de Dieu dont


les voies sont insondables. Mais si la manifestation divine au travers des
ambiguïtés humaines est énigmatique, quel meilleur moyen de la faire
comprendre que de la transformer en α énigme » ? L'épisode du lion au
miel sera donc présenté comme un jeu de ο devinette », pour la distraction
des invités philistins pendant les sept jours de la noce. Les noms du
lion et du miel seront dissimulés, remplacés par des périphrases tout en
restant associés en un couple mystérieux de contraires (mangeur/mangé,
fort/doux). Ce déguisement renvoie lui-même à une symbolique populai¬
re. Et d'abord à celle de la bouche qui mange, lieu naturel du renverse¬
ment des valeurs, de la transformation actif/passif 96. Cette mutation buc¬
cale est une constante de l'imagerie sous-jacente à la métamorphose reli¬
gieuse, et on la retrouve, justement liée au lion, dans YEvangile de Tho¬
mas 97 . Nous avions déjà aperçu ce lion à Sumer, où il est peut-être une
des sources de l'ambivalence amour/trahison dans le complexe d'Inanna /
Ishtar. Dans le cas présent, Samson peut s'en servir pour donner à ses
invités — ainsi que certains commentateurs l'ont fait remarquer — l'idée,
particulièrement comique au cours d'un banquet, que le « mangé » sorti du
« mangeur » désigne... l'acte de vomir... Quant au « doux » sorti du « fort »
ce peut être une allusion à l'omniprésente symbolique astronomique =
la puissance du soleil, sortie de la constellation du lion, manifeste en
effet, comme on l'a dit, sa « douceur » en faisant mûrir les fruits 98. Mais
au niveau humain, cette même mutation de la force suggère depuis tou¬
jours le « repos du guerrier » et le paradis érotique. La clef du miel

faction
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lion
VII,
populaire
cadavres.
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le
à
134 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

n'ouvre pas d'autre porte que celle-là, dans la poésie la plus an


comme la plus moderne. Aussi quand les Philistins la détiennen
question (« quoi de plus doux que le miel » ?) a déjà trouvé pou
une première réponse implicite : l'amour. Les « lèvres » de l'ama
sont-elles pas dites justement « plus douces que le miel » 99 ? La
tion évoquée par Samson peut-elle donc être autre chose que la
mutation du héros : lion dompté par l'amour ? Ainsi dans la sym
du sens comme dans la récompense matérielle qui constitue l'enj
Philistins semblent avoir quelque chose à gagner, et Samson q
chose à perdre. D'autant que pour les Juifs, la symbolique du mie
entrer dans une perspective perverse et annoncer la mutation néfa
est en train de se produire : car « les lèvres de l'étrangère distil
miel... mais l'issue en est amère comme l'absinthe, aiguisée comm
épée à deux tranchants » 10°.

Nous sommes donc, avec le lion et le miel, en pleine ambiv


symbolique. Mais le propre de Yahveh n'est pas de choisir en
symboliques vulgaires et les symboliques mystiques évoquées plus
il est justement de se servir des unes et des autres pour manife
sienne propre, et se définir lui-même. A travers les mutations tr
mantes de la relation buccale et de la relation sexuelle, il appren
hommes la métamorphose divinisante de sa Parole et de son Al
Le vieux modèle des hiérogamies mésopotamiennes et du lien m
entre le Roi et son peuple débouche sur le miel d'une Terre P
idéale,
me 101. et sur un « lion spirituel » qui n'est autre que Yahveh l

En accordant ainsi au « miel » mystique la « part du lion »


avons quelque peu oublié l'abeille, entremetteuse indispensable d
creux mystico-sexuel de nos métamorphoses. Nous allons mainte
revenir, par le détour de l'interprétation « égéenne ». Cette interpr
donnée à l'aventure de Samson est fondée avant tout sur le ca
« étranger » de la tribu de Dan. à laquelle le héros appartient. E
dans les bénédictions prononcées par Moïse à la veille de sa m
les tribus d'Israël, l'image de Dan est fort pâle : elle se réduit
symbole du lion (« jeune », donc récent ?), qui s'applique à Jud

aimée
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àMessie),
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R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 135

la Genèse 102. La prédiction de Jacob sur le rôle de Dan dans la lutte


contre les ennemis d'Israël est évidemment faite a posteriori ; elle fait de
plus appel, comme la généalogie de Dan (fils de Jacob et de Bilha), à
l'étymologie populaire qui en rattachant le nom à hébr. din = « rendre
la justice », justifiait le rôle de Dan dans la fonction de Juge. Or, nous
dit-on 103, cette étymologie ne peut être exacte qu'à condition de l'associer
au nom d'une ancienne divinité Dan, dieu de la justice. Justement dans
le domaine primitif de la tribu de Dan (le pays entre Saraa et Esthaol),
on vénérait le dieu soleil qui rend justice, ce dont témoignent les noms
de Samson, de Bethsamès et d'un certain nombre de cités. C'est ce même
dieu solaire, Shamash, qui a dicté son code à Hammourabi, et nous avons
déjà eu l'occasion d'évoquer ses connotations climatiques, léonines et
royales. D'autres critiques arrivent au culte du soleil — et en même
temps de l'abeille — par une voie différente, extérieure au monde sémi¬
tique. Les Philistins sont venus en « Palestine » (pays qui leur doit son
nom) depuis la Crète (Caphtor), et peut-être ont-ils amené des Crétois
avec eux. Leur venue fait partie des bouleversements causés au Proche
Orient par les invasions des « Peuples de la mer », dont l'Exode — et
même la guerre de Troie — sont la conséquence 104. Gaza, théâtre d'un
exploit de Samson, n'a-t-elle pas, selon Etienne de Byzance, porté le nom
de Minoa, parce que Minos et ses frères y avaient fondé une colonie ?,
n'y avait-il pas là un temple de « Jupiter cretensis » ? 105. Et pourquoi
ne pas rattacher le nom même de Dan au nom grec Danaoi, comme au
nom de DnelDanuna des documents égyptiens qui racontent la bataille
de Ramsès III contre les Peuples de la Mer 106 ? S'ajoutant aux liens de
Kadmos avec la Phénicie, une série de parallélismes viennent à l'appui
de ces convergences. Le mythe grec qui fait de Danaos un fils de Belos
(Baal ?) et un frère d'Aegyptos, inventeur de l'art de la navigation, invite
à rapprocher le passage du cantique de Deborah sur la relation entre
Dan et les vaisseaux. Les Danites auraient été des marins qui adoraient
le soleil, et Samson ajoute à son nom solaire des exploits qui rappellent
ceux des héros solaires grecs Héraklès et Persée. Un roi des Danunites,
Azitawadda, selon l'inscription bilingue phénicienne-hittite trouvée à
Karatépé, est un adorateur du dieu solaire Wandash, et un descendant de
MPSH, qu'on identifie au héros grec Mopsos, fils d'Apollon et zélateur
de son culte. Ce Mopsos, en sa qualité de devin illustre, peut être consi¬
déré comme un spécialiste des « devinettes », comparable à Samson 107.
136 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

Mais de tous les parallélismes, le plus séduisant est celui qui se


sur la signification religieuse des abeilles.

L'abeille ferait l'objet, dans l'Ancien Testament, où elle désign


vent les ennemis d'Israël 108, d'un demi-tabou (Vermeidungstenden
plutôt à sa place dans les cultes païens qu'à l'application du
formel d'impureté défini par le Lévitique 109. A côté du « Seigneu
Mouches » (Baal-zbub ), il a dû exister, dit-on, chez les Philistin
divinité-abeille, parente de la déesse crétoise qui est entrée dans les
mythiques sur l'enfance de Zeus dans l'antre de Dicté 110, et au
cette Balaat de Sidon appelée Mylitta en « égéen-grec » : elle devait
ses sanctuaires à Ekrôn et ailleurs. On déduit de là toute une inter
tion du rôle de Deborah (dont le nom veut dire « abeille ») da
Juges. Ce serait originellement une sorte de Melitta sacrale caract
par son lien avec le palmier ou l'arbre de vie 11 1. Le peuple qui l'a
aurait réussi à s'associer au chef de groupe hébreu Barak. Mais les b
hébreux auraient travaillé par la suite à épurer cette hybridation de
toire. En conservant dans le Cantique de Deborah certains détails
hymne primitif (d'où la divinité-abeille aurait été éliminée pour n
sister que comme nom de personne) en l'assortissant d'un comme
en prose présentant la bataille contre le chef de l'armée d'Yabin c
une affaire israélite, Israël aurait transformé un souvenir humilia
Iliade du salut 112... L'énigme de Samson emprunterait sa forme s
lique à la même religiosité païenne. La relation du lion solaire av
mouches, l'abeille et le miel, se retrouve comme nous le verrons
suite, dans l'Apollon grec archaïque (notamment à Théra, Cyrè
Céos), dieu de l'essaimage colonial et père d'Aristée. La devinet
Samson elle-même évoquerait des formes primitives de ce qui s
mantique apollinienne, le héros mettant le « présage » qu'il vient de
dans la forme et le style oraculaire familier aux philistins. L'em
camouflé fait par Israël à l'imagerie « égéenne » serait donc typique
pour la tribu de Dan et pour Samson que pour toute la période des
où Yahveh dans sa colère a livré son peuple à la « prostitution »
que et religieuse des nations étrangères 113.

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R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 13

Quoique beaucoup de ces conjectures paraissent fragiles, leur somme


convergente impressionne. Même en les repoussant, on doit à tout l
moins se demander si le lion et le miel de Samson, au lieu d'illustrer le
représentations d'un même milieu religieux, ne s'expliquent pas comme
le produit d'une superposition de symboles venus de deux mondes (l'un
égéen et l'autre sémitique) dans une zone-frontière 114 où le syncrétism
n'était pas moins naturel que les affrontements. L'énigme de Samson
serait une traduction de cette hybridation, susceptible aussi bien d'une
lecture philistine que d'une lecture juive... Cependant, comme la perméa¬
bilité des frontières est à double sens, il ne faut pas oublier qu'à côt
des Juifs « égéisés », il y a des Philistins « sémitisés », et le temple de
Dagon, où Samson meurt en héros, atteste justement un culte sémitique
Enfin l'histoire et la linguistique sémitiques autorisent d'autres hypo¬
thèses symbolistes, qui n'ont rien à voir avec la thèse de l'emprunt pré¬
hellénique.
Il y a d'abord, pour le lion, cette ville de Laïsh (dont le nom signifie
« lion »), à l'extrême Nord de la Palestine : attaquée par les Danites,
qui en tuent tous les habitants, elle sera rebâtie sous le nom de Dan 115
Belle occasion pour présenter après coup le Danite comme un tueur de
lion ! Mais l'explication la plus curieuse est l'explication linguistique de
l'énigme, imaginée par H. Bauer en 1912, et souvent reprise par la
suite 116. A côté du nom hébraïque du lion, 'ari, attesté par l'épisode de
Samson, l'hébreu aurait connu un nom du miel identique, que l'arabe
'ary permet de restituer. Un scribe distrait aurait substitué à ce vieux
nom du miel le nom plus récent de debash, rendant ainsi invisible la source
d'une devinette qui n'est en fait alimentée que par un jeu de mots. A la
suite de quoi on épilogue sur le rôle des jeux de mots dans l'Ancien Tes¬
tament, et en général en mythologie. Rien n'est plus satisfaisant pour
l'intellectuel que de transformer un problème de fond en problème de
forme, et de réduire un contenu sémantique à un accident phonétique.
Il y aurait beaucoup à dire sur ce rôle du langage comme créateur de
réalité 117... Nous voudrions suggérer pour notre part, au nom même de
la linguistique, une hypothèse dérivée de celle de Bauer, et pourtant radi¬
calement contraire, en expliquant le couple symbolique, et l'accident pho¬
nétique supposé, par une convergence sémantique venue de plus loin et
de plus haut
Parmi les mots sémitiques issus d'une racine double rw/lb désignant le
lion, hébr. 'ari a été rattaché, sur la base de mots ougaritique, arabes, et
d'un verbe biblique isolé (2 exemples) à un sens initial de « manger »,
138 REVUE D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE RELIGIEUSES

« dévorer ». Le lion serait donc étymologiquement « le dévoreur »


Or la racine qui aboutit à ce sens signifie aussi cueillir 119, et si on
retrouve dans arabe ' ary Çiry, ' ariy ), elle fournit des verbes qui désign
le travail de l'abeille productrice du miel (désigné par le nom corresp
dant « chez les anciens poètes ») 120 , et aussi le rassemblement des nua
qui amène la pluie. C'est à l'intérieur de ce vieux complexe sémanti
de consommation/production/proie/cueillette/miel, fruit, pluie qu'a pu
développer la liaison du lion et du miel, suggérée déjà par les séquen
naturelles « dévorer/cueillir/manger le rayon de miel » qu'on trouve d
le Psaume 80 et dans le Cantique des Cantiques 12 1. Quoi de plus dé
table qu'une proie ? Femme ou fruit, peuple ou victime, butin/offra
elle fait toujours « venir l'eau à la bouche » : et tout prédateur (mâle
lion, soleil ou Roi, prêtre ou dieu) marque sa délectation en salivant
miel... Nous voici donc ramenés, par la bouche et par la langue,
est une « mère », au cœur même des complexes symboliques et religi
évoqués depuis le début de cette étude.

***

Mais cette gueule qui savoure et dévore reste trop animale pour être p
faitement humaine. Le propre de l'homme est de savoir « lâcher la pro
pour l'ombre » sans doute, mais aussi pour chercher la lumière. A
voudrions-nous, en conclusion de cette première partie (et avant de pé
trer dans le monde plus familier où, de la Grèce archaïque jusqu'
syncrétismes tardifs, le lion et le miel continuent d'associer leur ima
faire une dernière suggestion sur Samson, tout en esquissant une synth

Entre le mariage de Samson et sa mort glorieuse et tragique il


évidemment une parenté structurale. Dalila est, comme la Timnite,
amante traîtresse ; elle ne songe à séduire que pour livrer aux fils de
peuple α le secret de la force » du héros : ses cheveux longs, c'est-à-
son vœu de nazir. Or la coupe fatale des cheveux, qui suit la découv
du mystère, n'est que la répétition impie d'un rite pieux : quand le n
arrivait au terme de son vœu, ses cheveux étaient coupés par les prê
et brûlés sur l'autel, dans le Temple ; et il en était de même quand,
suite d'une contamination, le nazir, après s'être purifié, coupait ses c
veux et pouvait consacrer à nouveau sa chevelure, à condition de f
R. TRIOMPHE, LE LION ET LE MIEL 139

un sacrifice expiatoire 122. Autrement dit, Dalila est l'instrument païen et


indigne d'une restauration rituelle. Yahveh continue à se servir des enne¬
mis d'Israël pour assurer ses bénédictions à son peuple, et il faut tuer
le lion meurtrier, et passer par l'abeille ennemie pour atteindre et goûter
le miel. Le paradoxe logique de l'impiété régénératrice a lui-même avec
la symbolique solaire comme avec le naziréat un lien essentiel, que l'éty
mologie des noms propres aime à souligner. Le soleil (Samson), qui est
journellement et annuellement « coupé » par la nuit (Dalila, mais l'étymo
logie du nom est incertaine) n'est-il pas un modèle de force qui disparaît
pour renaître ? La fixation religieuse faite sur la pousse des cheveux,
c'est-à-dire sur le modèle humanisé de la poussée végétale, se rattache au
schéma solaire de la croissance et décroissance de toute sève. Le naziréat
ne serait-il qu'une manière de moraliser et d'insérer dans la religion juive
une forme individualisée d'un vieux rite de purification/fécondité solaire ?
Il faut donc, comme à Sumer et à Babylone, que le lion, le héros et
l'astre du jour, avec les signes qui les incarnent ou qu'ils incarnent, pas¬
sent sous la « coupe » de la mort pour que revienne la vie. Il faut que
Samson, soleil de justice, à la fois traître et fidèle à sa vocation, soit
châtié et châtie, sacrifié et sacrificateur, vaincu au moment même de son
triomphe. Ainsi viennent la restauration d'Israël, et le miel divin du
bonheur.

A Sumer, le héros (Dumuzi) était à l'origine un roi mythique ; le roi


réel, au cours du mariage sacré, mourait et ressuscitait comme lui, assu¬
rant par là la fécondité et la prospérité de la nature et de la terre. Mais
la Judicature n'annonce-t-elle pas justement l'instauration prochaine de la
Royauté en Israël ? Aussi il est permis de supposer que les vieux thèmes
suméro-babyloniens du mariage sacré, toujours présents dans l'épopée et
la poésie populaire, continuent de hanter sous les Juges la conscience
nationale juive. Et c'est intentionnellement que ce souvenir — devenu
rêve obsédant en période de domination philistine — ayant pris naturelle¬
ment les formes symboliques du lion et du miel, est plaqué sur le mariage
profane et profanateur de Samson. Comme si Israël, en s'appropriant la
symbolique de la grande fête païenne qui renouvelle la face du monde,
avouait son impuissance à trouver par lui-même la dynamique divini¬
sante dont il rêve pour son mariage sacré particulier, son « alliance »
avec Yahveh. Mais le rêve appelle le réel et l'humiliation appelle une
revanche. Tandis que le mariage de Samson n'est qu'une préface, ou une
transition du « lion » vers le « miel » de la victoire militaire, politique et
mystique, le Cantique des Cantiques du Roi Salomon chantera cette vic¬
toire définitivement achevée. Or cette fois encore, il ne trouvera pas
d'autres images 123 que celle des vieilles hiérogamies païennes, transmises
140 REVUE d'histoire et de philosophie religieuses

par la symboliques des rites et de la poésie sacrée ou profane, avec


modèles sexuels, animaux, végétaux, solaires et royaux, où le miel
même, sinon le lion 124, ne sera pas oublié. Plus tard les interprétat
mystiques qui transformeront cette imagerie en signe de l'alliance e
Dieu et la nation (l'âme) sainte des élus, entre Jésus et son Eglise, e
Dieu et la Sagesse ou la Vierge Marie partiront de cette même base.
Yahveh, dont l'Esprit féconde l'univers et veut sauver toute Lettre d
mort, n'a pas peur des « contaminations » : ses vérités révélées bourd
nent comme des abeilles sur le cadavre des dieux païens, et son m
s'accumule dans la carcasse du lion d'Ishtar. Tous peuvent goûter cet
ment divin ; et pourquoi ne pas avouer son origine, au lieu de la t
comme Samson le nazir, ou de la réserver au initiés ?

Robert Triomphe.

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