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Chapitre 3

TD = 0
Boris Kolev
16 mars 2004

Résumé
Ce chapitre est une introduction à l’équation universelle de la mécanique T D = 0 for-
mulée par Souriau est à partir de laquelle on peut dériver la plupart des équations connues
de la mécanique. L’objectif de ce chapitre est de présenter quelques calculs qui montrent
comment déduire certaines équations célèbres à partir de T D = 0.

1 Introduction
Soit M une variété de classe C∞ muni d’une connexion affine ∇ symétrique. Comme nous
l’avons déjà signaler, une connexion affine induit une loi de dérivation sur tous les champs de
tenseurs et en particulier sur les 1-formes. Dans une carte locale quelconque, (xi ), la dérivée
covariante d’une 1-forme Z ∈ Ω1 (M) s’écrit :

(∇X Z) (Y ) = LX (Z(Y )) − Z(∇X Y ).

La symétrie de la connexion est équivalente à l’équation

dZ(X,Y ) = (∇X Z) (Y ) − (∇Y Z) (X), (1)

pour tout X,Y ∈ X (M) et Z ∈ Ω1 (M). Nous poserons

DZ(X,Y ) = (∇X Z) (Y ) + (∇Y Z) (X). (2)

DZ est donc un 2-tenseur covariant symétrique dont la connaissance pour tout Z ∈ Ω1 (M) décrit
complètement la connexion affine symétrique ∇.
Un tenseur distribution T désigne ici une forme linéaire sur les sections à support compact
d’un fibré vectoriel. Dans ce chapitre, nous nous intéressons exclusivement au fibré des tenseurs
deux fois covariants symétriques. On ne cherchera pas dans un premier temps à préciser une
quelconque topologie sur cet espace de sections ; nous ne ferons pas appel à une éventuelle
continuité de T . Le support de T qu’on note Σ est défini de la façon suivante. Soit U un ouvert
de M. On dit que T s’annule sur U si T G = 0 pour tout champ de tenseurs G dont le support
appartient à U. Notons Ω le plus grand ouvert vérifiant cette propriété (i.e. l’union des tous

1
les ouverts qui la vérifient). Alors on peut montrer, en utilisant des partitions de l’unité que T
s’annule également sur Ω. Nous poserons Σ = Supp(T ) = M \ Ω.
Ce chapitre est une introduction à l’équation universelle de la mécanique T D = 0 formu-
lée par Souriau est à partir de laquelle on peut dériver la plupart des équations connues de la
mécanique. Il reprend essentiellement l’article original de Souriau [2]. L’objectif ici est de pré-
senter quelques calculs qui montrent comment déduire certaines équations célèbres à partir de
T D = 0. Dans un chapitre ultérieur, on s’attachera à préciser le sens de cette équation et à relier
la distribution T à la relativité générale.

2 La chute des corps


Vers 1590, Galilée établi les premières lois de la chute des corps. Elles expriment l’exis-
tence, en chaque point de l’Univers, d’un « vecteur accélération »g que subit tout corps tombant
dans cette région de l’espace. Trois paramètres donc pour caractériser la pesanteur. Mais les
expérience de Foucault (pendule, gyroscope) nous indiquent que la pesanteur est plus riche que
ça. Elles suggèrent l’idée que la gravitation galiléenne puisse être décrit par une connexion af-
fine symétrique sur l’Univers. Pourquoi symétrique ? Parce qu’il est possible de l’annuler en
tout point de l’Univers : il suffit d’être en chute libre pour ne plus peser (voir chapitre 1). Avec
ce point de vue, la gravitation galiléenne est représentée par un objet souple D, une connexion
affine symétrique sur l’Univers M. Le groupe souple (groupe des difféomorphismes C∞ de M)
agit sur l’Univers et son contenu, mais cette action est globale et inobservable. C’est ce que
suggérait Einstein en parlant du « principe général de relativité ».
Mais pour décrire complètement la chute d’un corps, la connaissance de D ne suffit pas. Il
faut un autre objet pour décrire ce corps, ce qui pèse. On l’écrit T et on l’appelle l’inertie. Dans
le cas d’un « point matériel »en chute libre, T décrit à la fois la ligne d’Univers du corps qui
tombe et sa masse : c’est un tenseur-distribution, et la loi de Galilée s’exprime alors par une
simple équation, invariante par le groupe souple
T D = 0, (3)
reliant l’inertie T à la gravitation D. Cette dernière expression n’étant que la forme condensée
de l’équation plus explicite
T (DZ) = 0, ∀Z ∈ Ω1c (M), (4)
Ω1c (M) désignant l’espace des 1-formes à support compact.
Pour rendre compte de l’expérience de Galilée, nous choisissons les coordonnées usuelles
x1 = x, x2 = y, x3 = z, x4 = t avec la convention que les lettres latines i, j désignent un indice
quelconque 1, 2, 3 alors qu’une lettre grecque α, β désigne un indice quelconque 1, 2, 3, 4. Dans
ce système de coordonnées, l’opérateur D défini par l’équation (2) s’écrit
ρ
DZµν = ∂µ Zν + ∂ν Zµ + Dµν Zρ
ρ ρ j
où Dµν = −2Γµν . On définit la gravité galiléenne en posant D44 = 2g j , les autres composantes
étant nulles.
Le point matériel est représenté par une forme linéaire sur les champs de tenseurs deux fois
covariants symétriques à support compact (un tenseur-distribution)
T : Γc (T ∗ M T ∗ M) → R,

2
dont le support Σ est sous-variété connexe C∞ de dimension 1 (non compacte et sans bord) et
qui s’écrit après le choix d’une paramétrisation quelconque x(s) de cette courbe
ˆ b
TG = T µν Gµν ds , (5)
a

où T µν sont les composantes d’un champ de tenseurs C∞ , 2 fois contravariant symétrique le long
de la courbe Σ.
Lemme 2.1. Si T D = 0, alors il existe une fonction ϕ de classe C∞ sur Σ telle que
ˆ b
TG = ϕ ẋµ ẋν Gµν ds
a

Démonstration. L’équation T D = 0 nous donne


ˆ b
T µν 2∂µ Zν + Dµν Zρ ds = 0,
ρ 
a

pour tout Z ∈ Ω1c (M). Soit u, une fonction quelconque de classe C∞ nulle sur la courbe Σ. En
prenant comme fonction test uZ, on obtient
ˆ b
T µν (∂µ u)Zν ds = 0,
a

pour toute fonction u ∈ C∞ (M) nulle sur la courbe Σ et tout Z ∈ Ω1c (M). Mais ceci entraîne

T µν ∂µ u = 0, ν = 1, 2, 3, 4 ,

pour toute fonction u ∈ C∞ (M) nulle sur la courbe Σ. Remarquons que lorsque u parcours l’en-
semble des fonctions C∞ nulle sur Σ, le covecteur de composantes ∂µ u(x(s)) décrit l’ensemble
des formes linéaires nulles sur ẋ(s). On applique alors le résultat de l’exercice d’algèbre linéaire
qui suit, au tenseur T et au vecteur ẋ, en chaque point de la courbe Σ. On en déduit l’existence
d’une fonction ϕ(s) telle que
T µν (s) = ϕ(s)x˙µ x˙ν .

Exercice 1. Soit E un espace vectoriel de dimension fini, T ∈ E E et v ∈ E. On note (v)0 le


N

sous-espace des formes linéaires nulle sur v. Montrer que si

T (α, β) = 0, ∀α ∈ (v)0 , ∀β ∈ E ∗ ,

alors, il existe u ∈ E tel que T = v ⊗ u. Montrer que si de plus T est symétrique alors T = λv ⊗ v
où λ ∈ R. ♠
En écrivant à nouveau l’équation T DZ = 0, pour un covecteur test Z nul aux extrémités a
et b de la paramétrisation, on obtient, après une intégration par partie, un système de quatre
équations
d ρ
ϕ x˙ρ + ϕ Dµν x˙µ x˙ν = 0, ρ = 1, 2, 3, 4.

−2 (6)
ds

3
La gravitation galiléenne impose alors
d  ˙4 
ϕ x = 0,
ds
autrement dit, ϕ ẋ4 = m = Cste . Il faut donc envisager deux cas.
- Si m 6= 0, il est possible de choisir comme paramétrage de notre courbe s = t et dans ce
cas on a ϕ(t) = m. La courbe Σ ainsi paramétrée est alors une géodésique de la connexion. Σ re-
présente la ligne d’univers d’un « point matériel »de masse m. En explicitant les trois premières
équations du système (6), on retrouve les équations familières
d2x j
= g j.
dt 2
- Si m = 0, et en supposant que ϕ n’est pas identiquement nulle (sinon il n’y a rien à décrire),
alors dt/ds = 0. Autrement dit t = Cste . La gravitation galiléenne nous donne dans ce cas
ϕ(s) ẋ j = a j = Cste ,
qui est l’équation d’une droite. Ce cas correspond à la description des rayons lumineux selon
Descartes (vitesse de la lumière infinie).
Remarque 2.2. Plus généralement, l’équation
d  ρ
ϕẋρ = ϕDµν ẋµ ẋν
ds
permet d’écrire la chute des corps selon Galilée avec des coordonnées quelconques, dans un
système de coordonnées « tournantes »comme les coordonnées terrestres par exemple.
Remarque 2.3. L’expérience de Galilée est plus subtile qu’elle en a l’air. Sur la Lune, en l’ab-
sence d’atmosphère, l’expérience serait simple mais à cause de l’atmosphère terrestre, Galilée
a du recourir a quelques artifices pour vérifier son postulat. En effet, un corps animé d’une vi-
tesse ~v, subit, dans l’atmosphère terrestre une force de frottement proportionnelle au carré de
sa vitesse (∼ cv2 ) et de direction opposée. Par conséquent, un corps de masse m, p lâché dans
l’atmosphère terrestre sans vitesse initiale atteint assez rapidement la vitesse limite mg/c (le
montrer). C’est pourquoi si deux cyclistes dévalent une pente en bicyclette à partir du même
instant, sans vitesse initiale et sans pédaler, c’est le plus lourd des deux qui gagne la course,
ce qui semble contradictoire avec l’expérience de Galilée si l’on ne prend pas en compte la
résistance de l’air.
Remarque 2.4. On peut reprendre le même calcul dans le cas où M = R3 et ∇ est la connexion
canonique de R3 . On a montré que la condition T D = 0 conduisait à l’existence d’une fonction
τ(s) telle que
dxi dx j
Tij = τ .
ds ds
L’équation T D = 0 traduit dans ce cas la loi d’équilibre d’un fil libre. La tension de ce fil est
alors décrite par le vecteur
dxi
Pi = τ ,
ds
qui est constant sur la courbe, à moins que τ ne soit nul.

4
3 Mécanique des milieux continus
Dans la théorie classique des milieux continus, la matière étendue (dans l’espace-temps)
est décrite par un objet géométrique T , le tenseur Énergie-impulsion, caractérisé par des com-
posantes T µν supposées symétriques : T µν = T νµ . L’équation du mouvement s’exprime par les
quatre équations
(div T )µ = ∂ν T µν = 0 (7)
Quatre équations pour dix inconnues : ce système est sous-déterminé, il doit être complété
par des lois de comportement caractéristiques du milieu étudié.
Dans le cas présent, on définira donc T à partir de la densité tensorielle T µν
˘
TG = T µν Gµν dx1 dx2 dx3 dx4 (8)

Exercice 2. Montrer que, dans ce cas, l’équation T D = 0 est équivalente à div T = 0.

3.1 Matière libre


Commençons par nous placer dans un espace libre de toute gravitation. Autrement dit, on
fait l’hypothèse que M = R4 et que ∇ est la connexion canonique de R4 .
Les T µν qui peuvent se découper en
 jk
T j4

T
T 4k T 44

dont l’interprétation classique s’obtient en introduisant 10 nouvelles variables ρ, V j , σ jk qui


mettent le tableau des T µν sous la forme :
 jk
σ + ρV jV k ρV j


ρV k ρ
Alors l’équation T D = 0 devient :
 ∂ρ
∂ j ρV j + = 0,
∂t
(9)
∂V k
 
jk j k
∂ j σ + ρ V ∂ jV + = 0, k = 1, 2, 3.
∂t
On reconnaît les équations d’Euler des milieux continus où ρ désigne la masse spécifique,
V k la vitesse du milieu et σ jk son tenseur des contraintes.
La première équation, dite équation de continuité s’interprète comme conservation de la
masse.
Les trois dernières équations s’interprètent comme la loi fondamentale de la dynamique
newtonienne – parce que
∂V k
Ak = +V j ∂ jV k
∂t
est l’accélération du milieu et
F k = −∂ j σ jk

5
est la force spécifique à laquelle est soumis le milieu du fait de sa contrainte.
Bien entendu ces équations doivent être complétées par les diverses lois de comportement
que proposent la mécanique des fluides, la théorie de l’élasticité et de la plasticité, la géophy-
sique, la chimie, etc.
Un cas particulier célèbre est celui des fluides parfaits incompressibles, où ρ = Cste et σ jk =
p δ jk est la pression.
On peut aussi étudier les répartitions de matière sur des sous-variétés de l’espace-temps dont
la dimension vaudra d = 1, 2, 3 :
– d = 3 : membranes en mouvement ;
– d = 2 : cordes vibrantes ;
– d = 1 : le cas déjà envisagé du mouvement des particules.
Remarque 3.1. En écrivant T D = 0 dans R3 muni de la connexion canonique, et en considérant
différent cas particulier de distribution T , distribution possédant une densité, distribution portée
par une surface, par une courbe, on retrouve les lois d’équilibre de la statique.

Exercice 3. On se place dans le cas où M = R3 et ∇ est la connexion canonique de R3 . On


considère une distribution T portée par une surface et donnée par
¨
TG = T jk G jk ds1 ds2

après le choix de coordonnées s1 , s2 sur cette surface. Montrer que la condition T D = 0 conduit
à l’existence de fonctions ταβ de s1 , s2 (α, β = 1, 2, ταβ = τβα ) telles que

∂x j ∂xk
T jk = ταβ
∂sα ∂sβ
et que ces variables vérifient les trois équations suivantes :


 j
αβ ∂x
τ =0
∂sα ∂sβ

3.2 Lois de conservation


Considérons une distribution de matière T dans R4 , occupant à chaque instant t, une région
compacte de l’espace.
Soit Z une solution de l’équation DZ = 0 et u, une fonction du temps, nulle pour t < t0 ,
égale à 1 pour t > t1 . Le tenseur D[uZ] est à support compact sur le support de T . On peut donc
calculer T D[uZ] :
˘
T D[uZ] = T µν ∂µ uZν dx1 dx2 dx3 dx4
ˆ t1 Σ
= u̇ J(t, Z) dt,
t0

6
où ˚
J(t, Z) = T 4ν Zν dx1 dx2 dx3 ,
Σt
et Σt désigne l’intersection de Σ avec l’hyperplan x4 = t.
Si v est une fonction du temps nulle pour t < t0 et t > t1 alors vZ est à support compact sur
le support de T ; par conséquent
T D[vZ] = 0
et donc ˆ t1 ˆ t1
u̇ J(t, Z) dt = − ˙ Z) dt = 0
u J(t,
t0 t0

ce qui entraîne que J(t, Z) est indépendant de t. Ainsi la grandeur

T D[uZ] = J(t, Z)

est une « grandeur conservée ».

Exercice 4. Montrer que dans Rn les solutions de l’équation DZ = 0 sont toutes de la forme :

Zλ = Aλ + Bλµ xµ

les Aλ et Bλµ étant des constantes arbitraires (Bλµ = −Bµλ ). ♠

La fonction J(t, Z) dépend linéairement des coefficients Aλ , Bλµ ; on peut donc l’écrire

Aλ Pλ + 21 Bλµ Sλµ (10)

les dix grandeurs Pλ , Sλµ (= −Sµλ ) étant les composantes d’un objet conservé, le moment.
Le libre choix des dates permet de calculer ce moment à une date arbitraire. Sur l’exemple
des équations d’Euler d’un milieu continu quelconque, le calcul des grandeurs (10) fournit le
résultat suivant : ˚
4
P = ρ dx1 dx2 dx3 ,
˚Σt
Pj = ρV j dx1 dx2 dx3 ,
˚Σt h i (11)
4k k k 1 2 3
S = ρ x −V t dx dx dx ,
˚ hΣt
i
jk
S = ρ V j xk −V k x j dx1 dx2 dx3 ,
Σt
où la valeur des intégrales est indépendante de la date t choisie.
Ainsi l’interprétation du moment est claire : P4 est la masse, P j l’impulsion, S jk le moment
angulaire, S4k le passage 1 .
Une absence tout à fait remarquable dans cette liste : on n’y rencontre pas l’énergie. Pour-
quoi donc ?
1 Grandeur conservée qui caractérise le mouvement du centre de masse X : mX k = S4k + Pk t

7
Essentiellement parce que la présente description de la mécanique concerne aussi bien les
phénomènes dissipatifs que les autres. Le bilan d’énergie ne pourrait donc y figurer qu’en termes
thermodynamiques, et devrait s’accompagner d’autres grandeurs, telles que l’entropie, la cha-
leur, la température, etc. L’énergie est donc reléguée ici au rang des variables concernant les
lois de comportement 2 . Par contre, les grandeurs figurant dans le moment ci-dessus restent
pertinentes dans ce genre de phénomènes.

F IG . 1 – Torseur des efforts.

La procédure présentée ici pour construire le « moment »s’applique à d’autres situations,


notamment la statique ; on doit noter que ces procédures utilisent essentiellement les propriétés
topologiques du vide extérieur au support de la distribution T . Soit α une 1-forme telle que
Supp(α) ∩ Σ soit compact ; on peut calculer T (α Z) où Z désigne une solution de DZ = 0. On
remarque alors que si β est une autre forme du même type telle que α − β = d f où f est une
fonction telle que Supp( f ) ∩ Σ soit compact, alors

T [(α − β) Z] = T D( f Z) = 0.

Ainsi l’application Z 7→ T (α Z) induit une forme linéaire sur l’espace des solutions de DZ = 0
qui ne dépend que d’une classe de cohomologie de α à préciser. C’est cette application que nous
avons baptisée ici le « moment ».
Sur la Figure 1, on a représenté un problème de statique. L’intégrale de T i j Z j sur l’intersec-
tion de Σ avec un disque bordé par une des courbes est indépendant de la classe d’homologie
de cette courbe dans le complémentaire de Σ (comparer avec la 2-homologie évoquée impli-
citement dans le cas de la dynamique). Cette intégrale représente la résultante des efforts qui
s’exercent sur la section orientée (par le sens de la courbe) découpée par un disque bordée par
cette courbe. Cette résultante est un objet à 6 composantes (10 dans le cas de la dynamique). Il
s’agit d’un torseur de R3 où champ équiprojectif (qui est une notion affine). L’identification de
ce torseur à un moment du groupe d’Euclide n’apparaît a priori que comme une coïncidence.
2 Bien sûr, la relativité propose une autre définition de l’énergie, par la formule E = mc2 . Mais au niveau actuel,

cette définition est transparente : on peut la considérer comme une définition facultative de la variable E.

8
3.3 Matière dans un champ de gravitation
Nous avons déjà envisager l’action de la pesanteur sur une particule. pour la prendre en
compte, il suffit de remplacer la connexion plate de R4 utilisée plus haut par une connexion
affine symétrique ∇ qui décrit le champ de pesanteur à la surface de la terre.
Dans le cas envisagé ici, les seuls Γνλµ non nuls sont les Γν44 , égaux aux composantes g j de
l’accélération de la pesanteur, supposées indépendantes de la position. Mais rien n’empêche de
donner une description plus précise de la pesanteur réelle, par exemple en ajoutant des termes
j j j
Γ4k = Γk4 = −Ωk , spécifiques de la rotation de la Terre. La loi T D = 0, avec cette nouvelle
valeur de D, inclut automatiquement la pesanteur dans tous les modèles de la mécanique.
Voici par exemple ce que deviennent les équations d’Euler (9) :

∂V k
   
jk j k k k j
∂ j Θ + ρ V ∂ jV + = ρ g + 2Ω jV
∂t (12)
j
 ∂ρ
∂ j ρV + =0
∂t
On obtient de même les équations du mouvement du pendule de Foucault, ou de tout autre
mécanisme soumis à l’action de la pesanteur. Et en particulier les équations de la statique pe-
sante.
Exercice 5. Soit M une variété affine munie d’une connexion affine symétrique. On appelle
divergence d’un champ de vecteurs X et on la note div X, la trace de ∇ X. Cette définition
s’étend sans difficultés à un champ de tenseur T , p-fois contravariant symétrique.
1. Soit ω une forme volume sur M telle que ∇ ω = 0. Montrer que d (iX ω) = (div X) ω.
2. Montrer que si T est un 2-tenseur contravariant symétrique, Z un covecteur et T Z désigne
la contraction de ces deux tenseurs alors div T Z = (div T )Z + (1/2)T DZ.

4 Collisions et assemblages
La situation que nous avons étudié dans la section 1 peut être étendue à la « chute »de
plusieurs points matériels. Si T1 et T2 représentent l’inertie de deux points matériels libres alors
T = T1 + T2 vérifie également l’équation T D = 0. T suffit à décrire à la fois les deux chutes
et les deux masses. Mais il peut également arriver que deux particules se rencontrent et donne
naissance au phénomène de collision. Pour décrire cette rencontre, nous prenons un tenseur T
dont le support est constitué de quatre courbes régulières se rencontrant au point p0 à l’instant
t0 . Nous écrivons donc après le choix d’un paramétrage de chacune de ces courbes
4 ˆ bk
µν
TG = ∑ Tk Gµν ds .
k=1 ak

En travaillant avec des covecteurs tests nuls sauf sur une seule des quatre courbes, on montre,
comme dans la section précédente, que
µν µ
Tk (s) = ϕk (s) ẋk ẋkν , k = 1, 2, 3, 4,

9
et que de plus on a
d
ϕk ẋk4 = 0,

k = 1, 2, 3, 4,
ds
c’est à dire ϕk ẋk4 = mk = Cste . Comme on cherche à décrire la rencontre de points matériels,
on supposera que les constantes mk sont toutes non nulles. On peut donc, pour chacune des
courbes, prendre x4 = t comme paramètre et on écrit
4 ˆ tk
µ
TG = ∑ εk mk ẋk ẋkν Gµν dt, (εk = ±1) .
k=1 t0

En écrivant à nouveau l’équation T DZ = 0 avec maintenant des covecteurs tests dont le


support est contenu dans un tout petit voisinage de l’événement (p0 ,t0 ), on obtient
4 ˆ tk  
ρ dZρ ρ µ ν
T DZ = ∑ εk mk ẋk + εk mk Dµν ẋk ẋk Zρ dt,
k=1 t0 ds

ce qui nous donne après une intégration par partie et étant donné que Z est arbitraire
4
ρ
∑ εk mk ẋk (t0) = 0, ρ = 1, 2, 3, 4.
k=1

La première de ces quatre équations s’écrit


4
∑ εk mk = 0. (13)
k=1

Il n’est donc pas possible que les quatre constantes εk soient toutes de même signe. Plusieurs
scénarios sont alors possibles :
– Une particule arrive et se désintègre en trois particules,
– Trois particules fusionnent pour n’en donner qu’un seule,
– Deux particules entre en collision et deux en sortent.
Dans tous les cas, la relation précédente exprime la conservation de la masse totale du système.
Les trois autres équations
4
j
∑ εk mk ẋk (t0) = 0, j = 1, 2, 3, (14)
k=1
traduisent la conservation de la quantité de mouvement du système. Dans le cas particulier d’une
collision sans fusion ni désintégration ces relations correspondent aux lois des collisions qui ont
été découvertes au 17eme siècle par Galilée, Mariotte et Huygens.
Remarque 4.1. Le calcul précédent a également son analogue en statique (cas où M = R3 et ∇
est la connexion canonique de R3 ). L’équivalent de la relation (14) se traduit ici par le fait que
la somme des tensions un un point de jonction est nul.

10
5 Second gradient
En prenant une distribution T qui fait intervenir les dérivées secondes du covecteur test Z et
donc les dérivée premières de G, on peut décrire des propriétés plus fines de la matière. On se
limitera ici à l’étude d’une distribution supportée par une courbe.
Considérons donc un tenseur distribution T , supportée par une courbe Σ (non compacte sans
bord) mais donnée cette fois par une intégrale dite de « second gradient »
ˆ b
TG = T µν Gµν + Sµνρ ∂ρ Gµν ds,
a

où T µν = T νµ et Sµνρ = Sνµρ . On va commencer par établir le lemme


Lemme 5.1. Si T D = 0 alors il existe des fonctions Pν , Sνρ de s (avec Sνρ = −Sρν ) telles que
ˆ b
ẋµ Pν Gµν + Sνρ Gµν;ρ ds.

TG =
a


1 λ λ

Gµν;ρ = ∂ρ Gµν + Dρµ Gλν + Dρν Gµλ .
2
Démonstration. Soient u et v des fonctions C∞ nulles sur la courbe Σ et Z un covecteur à support
compact. En écrivant T D(uvZ) = 0, on obtient, après quelques calculs
ˆ b
(Sµνρ + Sρνµ ) ∂µ u ∂ρ v Zν ds = 0,
a

pour tout Z ∈ Ω1c (M). Ce qui nous donne

(Sµνρ + Sρνµ ) ∂µ u ∂ρ v = 0,

pour toutes les fonctions u, v nulles sur la courbe. Posons

K µνρ = Sµνρ + Sρνµ .

Une variante de l’exercice 1 montre alors qu’il existe des fonctions Aνρ telles que

K µνρ = ẋµ Aνρ + ẋρ Aνµ .

En effectuant la somme alternée des trois permutation circulaires de l’équation

K µνρ = Sµνρ + Sρνµ ,

on obtient
1 µνρ
Sµνρ = (K − K νρµ + K ρµν ) ,
2
et donc finalement
1 µ νρ
Sµνρ = {ẋ (A − Aρν ) + ẋν (Aµρ − Aρµ ) + ẋρ (Aµν + Aνµ )} .
2
11
Posons Sνρ = Aνρ − Aρν et Bµν = Aµν + Aνµ . Après une intégration par partie, on trouve que
pour tout tenseur symétrique G à support compact
ˆ b
1 d µν
TG = T µν Gµν − (B )Gµν + ẋµ Sνρ ∂ρ Gµν ds.
a 2 ds
Par conséquent, quitte à redéfinir les fonctions T µν , on peut supposer que T est de la forme
ˆ b
TG = T µν Gµν + ẋµ Sνρ ∂ρ Gµν ds.
a

Écrivons à nouveau T D(uZ) = 0 où u est un fonction C∞ nulle sur le support de T . Il vient, tout
calcul fait
ˆ b 
µν µ λρ ν d νρ
T D(uZ) = 2T ∂µ u Zν + ẋ S Dµλ ∂ρ u Zν − (S ) ∂ρ u Zν ds,
a ds
ce qui nous donne
 
µν ρ λµ ν d νµ
2T + ẋ S Dρλ − (S ) ∂µ u = 0, ν = 1, 2, 3, 4,
ds
pour toute fonction u nulle sur la courbe. Le résultat de l’exercice 1 nous montre alors qu’il
existe des fonctions Pν de s telles que
1 1 d νµ
T µν + ẋρ Sλµ Dνρλ − (S } = ẋµ Pν ,
2 2 ds
soit
1 1 d νµ
T µν = ẋµ Pν − ẋρ Sλµ Dνρλ + (S } .
2 2 ds
Comme de plus
1 d νµ
(S } Gµν = 0,
2 ds
on a donc finalement
ˆ b 
µ ν 1 ρ λµ ν µ νρ
TG = ẋ P Gµν − ẋ S Dρλ Gµν + ẋ S ∂ρ Gµν ds
a 2
ˆ b
ẋµ Pν Gµν + ẋµ Sνρ Gµν;ρ ds

=
a

Quand M = R3 , le modèle précédent conduit à la description d’un fil de torsion.


Exercice 6. Montrer dans ce cas que les fonctions Pi , Si j vérifient les 6 équations suivantes

Pi = Cste
Si j + Pi x j − P j xi = Cste ♠

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La transposition quadri-dimensionnelle du modèle des fils de torsions conduit à une des-
cription classique, non quantique, des particules à spin. Cette notion a d’abord été introduite
pour l’électron, par Uhlenbeck et Goudsmit en 1925, afin d’expliquer certaines particularités
des spectres atomiques, notamment l’apparition de raies supplémentaires en présence de champ
magnétiques. Une particule chargée possède un moment magnétique colinéaire à son spin, ce
qui confère à ce dernier un rôle dynamique dans les phénomènes électromagnétiques, comme
l’effet Zeeman. Le spin est donc une propriété de la matière au même titre que la masse.
Cependant, l’analogie entre le spin et le moment cinétique propre utilisé en mécanique du
solide est trompeuse. C’est pourquoi on a considéré longtemps le spin comme un concept essen-
tiellement quantique. Ce n’est qu’en 1966 que Souriau et Bacry ont proposé, indépendamment,
des modèles classiques de particules à spin.

Conclusion
Nous avons dans ce chapitre introduit l’équation universelle T D = 0, formulée par Jean-
Marie Souriau, à travers quelques exemples. Cette équation est très générale, elle décrit aussi
bien l’équation du mouvement d’une particule dans un champ de gravitation que le mouvement
de la matière, étendue ou distribuée : c’est une équation universelle de la mécanique. Comme
nous l’avons remarqué cependant, elle ne suffit pas, bien sûr, pour décrire complètement un
problème pratique ; il faut lui adjoindre les lois de comportement de l’objet considéré.
L’intérêt fondamental de cette équation vise surtout à éclaircir les structures fondamentales
sous-jacente de la mécanique. Le sens profond de cette équation ne peut être précisé sans réfé-
rence à la relativité générale, qui sera l’objet du prochain chapitre. On y explicitera le lien entre
T et la métrique de l’univers et l’équation T D = 0 apparaîtra alors naturellement. Il faudra alors
justifier pourquoi elle est encore valable dans l’approximation newtonienne de la gravitation et
dans le modèle tridimensionnel de la statique.

Références
[1] Serge Lang, Fundamentals of differential geometry, Graduate Texts in Mathematics, vol.
191, Springer-Verlag, New York.
[2] Jean-Marie Souriau, Milieux continus de dimension 1, 2 ou 3 : Statique et dynamique, 41
(French).

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