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Dossier RÉVOLUTION DIGITALE

Juridique
Les FinTech
et la réglementation
bancaire et financière

Contrairement à une idée reçue, la réglementation


prudentielle financière ne constitue pas la cause principale
de l’émergence des FinTech. En revanche, le poids des normes
de conformité et l’apparition de nouveaux statuts ont favorisé
la naissance de ces start-up.*
HUBERT
DE VAUPLANE
Avocat associé
Kramer Levin
Naftalis & Frankel
LLP
Q uels rapports entretiennent
les entreprises de FinTech avec
la réglementation bancaire ?
Comment des entreprises, souvent
les affaiblir et du même coup à faci-
liter l’arrivée de nouveaux entrants ?
Ce qui revient à s’interroger sur les
rapports entre innovation et régula-
financiers, en réponse à la dérégle-
mentation et à l’augmentation du
coût du risque. Au cours des der-
nières décennies, l’innovation, enten-
jeunes et sans beaucoup (voire pas tion, sujet complexe s’il en est. Les due comme la créativité financière,
du tout !) de moyens, peuvent se rapports qu’entretiennent l’innova- a constitué une caractéristique du
lancer dans des activités parmi les tion et la régulation sont complexes, secteur bancaire et financier, sou-
plus régulées sur la planète (après multiformes et souvent ambigus. Si lignant sa capacité d’adaptation
l’énergie nucléaire et sans doute la une certaine régulation peut freiner (Gowland, 1991). En effet, l’inno-
pharmacie) et tailler des croupières l’innovation, une autre forme de vation peut permettre aux banques
(certes encore modestes aujourd’hui) celle-ci peut constituer un véritable d’augmenter leurs profits en rédui-
aux banques et demain aux assu- stimulus pour celle-ci 1. sant les coûts de transaction, de
rances ? Qu’est-ce qui conduit ces Mais pourquoi les FinTech sont-ils recherche et de marketing, de faire
centaines d’entreprises à se ruer plus innovants que les acteurs tradi- face à la concurrence, de réduire les
littéralement sur les activités ban- tionnels ? Tout dépend de la période risques liés à l’intermédiation finan-
caires et financières ? à laquelle on se place pour répondre cière – ou plutôt de les transférer à
La réponse à ces questions est com- à cette question et du type d’innova- d’autres – ou encore de contourner
plexe et ne peut tenir en quelques tion à laquelle on se réfère. la réglementation. Jusqu’à la crise
phrases. L’objectif de cet article est financière, cette innovation finan-
d’analyser dans quelle mesure la régu- Moins d’innovation cière a été favorisée par le proces-
lation du secteur financier contribue, sur les produits sus de déréglementation intervenu
parmi de nombreux autres facteurs, Jusqu’à aujourd’hui, l’innovation à la fin des années 1980. En effet,
à ce développement des FinTech. Cette dans le secteur financier portait chaque banque cherchait à inno-
régulation constitue-t-elle un vecteur essentiellement sur les produits ver dans ses techniques financières
décisif, et jusqu’à quel point, de ce afin de demeurer un acteur financier
*Cet article s’insère mouvement ? Autrement dit, l’hyper incontournable (d’où l’apparition de
dans le cadre régulation d’une activité – en l’espèce techniques comme la titrisation, les
d’un rapport 1. J. Pelkmans and A.Renda, « Does EU regulation
de PME Finance sur de la finance - ne conduit-elle pas, hinder or stimulate innovation ? », CEPS Special dérivés, les LBO… qui n’existaient pas
les FinTech (à publier). après avoir « protégé » ses acteurs, à Report, n° 96, nov. 2014. il y a une trentaine d’années). Cette

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innovation portait pour l’essentiel instantanéité) des opérations, convi- nouveau. Les FinTech se nourriraient
sur les produits financiers. Dans vialité dans les relations, personnali- ainsi de la réglementation… appli-
ce cadre, l’innovation a été tout à la sation des process. C’est pourquoi on cable aux autres (les établissements
fois une réponse à l’ouverture à la ne saurait réduire le phénomène Fin- bancaires) et non à elles, leur mode
concurrence du secteur et à l’appari- Tech à la « digitalisation » des activités de fonctionnement étant de mieux
tion de nouvelles contraintes pruden- financières. C’est le business model s’en écarter. Car leur raison d’être,
tielles faisant peser sur les banques lui-même qui est en train de changer, en quelque sorte, consiste justement
un coût du risque supplémentaire. passant de ce que l’on a coutume de à proposer aux clients de services
Cette double origine – s’adapter à présenter comme une organisation hyperrégulés une approche totale-
l’ouverture du marché par une cer- verticale (autour des produits) à une ment innovante, loin des organi-
taine déréglementation, et dans le organisation horizontale (autour des sations traditionnelles des acteurs
même temps réduire les exigences clients). L’utilisation du digital et traditionnels.
de fonds propres nouvelles impo- des médias sociaux vient parache- Mais cette vision est sans doute
sées par l’apparition des normes ver ce changement de modèle. Le trop simpliste, même si, dans cer-
prudentielles – a favorisé l’inno- recours au digital ne conduit pas à tains cas, elle est pertinente.
vation financière. Ce qui explique la standardisation et la « massifica- Ma conviction est que pour le
le changement dans les profils de tion » de l’offre, mais au contraire à domaine bancaire et financier, la
recrutement des banquiers (de plus la personnalisation de l’offre. C’est réglementation n’est pas un fac-
en plus d’ingénieurs) et, partant, le la différence majeure entre les Fin-
basculement des banques tradition- Tech utilisant les API 3, des acteurs
nelles vers les activités de marchés, traditionnels de la finance dont les
le tout en évitant de recourir à l’aug- programmes informatiques ont été
mentation des fonds propres afin de écrits sur des logiciels anciens. La régulation n’explique pas tout
garder un RoE attractif pour leurs
actionnaires. Avec la réglementation Le rôle de la régulation et n’est pas le seul facteur permettant
postcrise (imposant des contraintes financière de comprendre le succès des entreprises
prudentielles encore plus élevées, Avant de tenter de répondre, il
voire prohibitives pour certaines convient de préciser de quel type innovantes.
activités), cette innovation relative de régulation l’on parle. On peut,
aux produits a quasiment disparu très schématiquement, considérer
compte tenu de son coût en capital. trois types de régulation dans les
L’heure n’est plus à la complexité, activités financières : la régulation
mais à la simplification 2. L’inno- prudentielle, la régulation des acti- teur déterminant de l’apparition et
vation financière n’est plus au goût vités et enfin la régulation des rela- du développement des FinTech. La
du jour et les « structurations » des tions avec les clients. régulation n’explique pas tout et
opérations se standardisent. Au premier abord, on aurait ten- n’est pas le seul facteur permettant
dance à répondre positivement : toute de comprendre le succès des entre-
L’utilisation du digital régulation sectorielle conduirait à prises innovantes. Dans la finance,
au cœur de l’innovation l’apparition de nouveaux acteurs au les causes de ce succès sont mul-
actuelle nom de la libre concurrence. Plus un tiples : rigidité des organisations tra-
Désormais, l’innovation est princi- secteur est régulé, et donc englué ditionnelles, poids des hiérarchies,
palement portée par l’utilisation du dans les lourdeurs de la régulation, pesanteur des habitudes, culture
digital dans la relation client grâce plus ces entreprises « disruptives » de l’absence de risque et son corol-
à l’apparition des FinTech. L’utilisa- trouvèrent leur place. L’exemple laire l’absence de prise décision
tion du digital dans la relation client des taxis et Uber en serait une belle individuelle, contraintes sociales…
permet de créer (ou recréer) du lien illustration. De la même manière, Tout cela conduit à ce que les entre-
et donc du service de proximité, du on pourrait considérer que les Fin- prises traditionnelles ne peuvent pas
conseil adapté à chaque situation ; Tech « adorent » la régulation ban- s’adapter aussi facilement que les
elle permet l’adaptation permanente caire. Bâle III et toutes les lois venant entreprises innovantes… à l’innova-
à l’environnement technologique encadrer, limiter, restreindre voire tion. Et ce n’est bien sûr pas qu’une
bien sûr, mais aussi sociologique et interdire certaines activités, ou celles question de taille ni d’ancienneté des
managérial. Autrement dit, c’est un imposant des contrôles, des mesures, organisations. Il s’agit d’abord du
changement complet du paradigme des reportings seraient du pain bénit mode managérial mis en place par
bancaire que mettent en place les pour ces entreprises d’un genre les dirigeants, plus souvent enclins
FinTech : simplicité et rapidité (voire à diriger de façon verticale, « sans
faire de vagues » internes, plutôt
que de se trouver confronter à des
3. Une API (application programming interface) a pour
2. Financial regulation, complexity and innovation, objet de faciliter le travail d’un programmeur en mouvements sociaux et des remises
discours de Mr Jaime Caruana, General Manager of lui fournissant les outils de base nécessaires à tout en cause d’organisations établies.
the Bank for International Settlements, préparé pour travail à l’aide d’un langage donné. Elle constitue
le Promontory Annual Lecture, Londres, 4 juin 2014 : une interface servant de fondement à un travail de
http://www.bis.org/speeches/sp140604.htm. programmation plus poussé.

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L’effet Bâle III Quel monopole bancaire ? veulent aller plus loin dans l’exer-
Quels sont les effets de la réglemen- Quant au second type de régula- cice de leurs activités, il existe des
tation sur l’apparition des FinTech ? tion – celle relative à l’exercice de ces statuts « légers » ou moins lourds
S’agissant du premier type de régula- activités, autrement dit le « mono- que celui des établissements à voca-
tion – la régulation prudentielle –, on pole bancaire » ou assimilé pour les tion universelle : le statut de « PSI
sait que celle-ci vise à s’assurer de la assurances et activités de gestion – allégé », d’« établissement de paie-
bonne adéquation des risques portés elle apparaît de prime abord comme ment allégés » et, dans une certaine
par les établissements financiers avec une barrière à l’entrée. Ne peuvent mesure, de société de financement
leurs fonds propres. Il s’agit bien sûr de exercer les activités bancaires (ou (comparativement au statut d’éta-
la série Bâle I, II, III. L’évolution de cette assimilées) que les établissements blissement de crédit). Loin d’avoir
régulation tend sans aucun doute vers agrées comme tel ; idem pour l’assu- été une barrière, les divers « mono-
plus de complexité, plus d’exigences rance, la gestion et les paiements. poles » (c’est-à-dire l’obligation
de fonds propres, plus de supervision. La finance étant une activité régle- d’obtention d’un agrément spéci-
Ce qui bien sûr conduit les acteurs à mentée, l’exercice de celle-ci passe fique pour l’exercice d’une activité)
se doter d’équipes expertes dans le nécessairement par l’octroi d’une ont même été des opportunités, dans
calcul de ces risques et leur contrôle. Il « licence » par le régulateur compé- la mesure où ils ont permis à ces nou-
suffit de regarder l’évolution des pro- tent (ACPR ou AMF). La vie semble veaux entrants de concentrer leurs
fils des employés dans les banques au claire : noir ou blanc, in ou out. Ici, efforts sur la relation client, et non
cours des dix dernières années pour la question à se poser n’est pas de sur la production et la distribution
constater l’augmentation, en valeur savoir si cette barrière de l’agrément de produits, et toute l’infrastructure
absolue comme en valeur relative, a freiné la capacité d’adaptation des que nécessite ensuite le back-office
des fonctions risques, comptables et acteurs, mais si elle constitue un de ces activités.
contrôle. Dès lors, jusqu’à quel point frein, voire une limite, à l’apparition
des nouveaux acteurs. Là encore, la Les effets néfastes
première impression est trompeuse. de la régulation
On pourrait estimer que, dès lors des relations
que le monde est noir ou blanc, pour avec les clients
Il existe de plus en plus proposer des services financiers, les Reste à examiner le dernier cas,
de statuts « au rabais » ou, FinTech doivent nécessairement opter celui de la régulation des relations
pour un statut bancaire (ou assurance avec les clients, que l’on peut sim-
pour être positif, peu contraignants. ou de sociétés de gestion). Tel n’est plifier en l’appelant la régulation de
pas le cas, et ce à double titre. Tout compliance ou de conformité. Depuis
d’abord, parce qu’il existe de plus en plusieurs années, cette forme de
plus de statuts « au rabais » ou, pour régulation ne cesse de se complexi-
être positif, peu contraignants. C’est fier et de s’alourdir. Véritable Lévia-
le poids de cette réglementation, sur- le cas du statut de CIF (conseiller en than des temps modernes, elle est
tout après Bâle III, affecte la capacité investissement financier), de celui de plus en plus intrusive dans la vie
d’innovation et d’adaptation de ces d’IOBSP (intermédiaire en opération privée, obligeant les intermédiaires
acteurs ? S’agissant de l’innovation de banque et service de paiement) ou financiers à aller chercher et vérifier
en matière de techniques financières, encore de celui, plus récent, de CIP la réalité de l’identité, la provenance
on a vu que celle-ci n’était plus (ou (conseiller en investissement par- des fonds, à mesurer l’étendue des
beaucoup moins) à l’ordre du jour. ticipatif ) et IFP (intermédiaire en connaissances de leurs clients en
Quant à l’adaptation « au monde qui financement participatif ) en matière matière financière afin de s’assurer
bouge », une première approche pour- de crowdfunding, sans oublier toute que les produits correspondent à leur
rait laisser croire que les banques sont la gamme des courtiers et man- profil de risques. Ce mouvement de
« asphyxiées » par ces normes pruden- dataires en matière d’assurance. compliance a une double origine : en
tielles, qui les limiteraient dans leurs Ces statuts se caractérisent par un matière de sécurité des transactions,
activités tout en jugulant leur capacité point commun : d’une manière ou les événements du 11 septembre 2011
de s’adapter à ce « monde qui bouge », d’une autre, le cœur de leur activité marquent un changement drastique
du fait du « carcan » qu’imposeraient consiste dans le conseil apporté à dans la relation client : celui-ci est
ces normes. Ce discours – qui n’est la clientèle. L’exécution des opéra- vu potentiellement comme un ter-
pas étayé par des études – ne convainc tions est le plus souvent laissée aux roriste, un « blanchisseur » ou un
pas. Ou pour être plus précis, les effets acteurs traditionnels. C’est bien là fraudeur. L’ère est au soupçon. Au
négatifs de Bâle III sur les activités des la souplesse recherchée par ces nou- point que les intermédiaires sont
banques ne sont pas (encore) visibles. veaux acteurs : éviter les contraintes obligés à déclarer à un organisme
Même s’il est probable qu’ils le seront de la régulation des activités, pour de lutte contre la criminalité finan-
dans un avenir de plus en plus proche. se concentrer sur le conseil, en tant cière les soupçons qu’ils ont sur leurs
Ainsi en est-il de la distribution du cré- que valeur ajoutée aux clients. C’est clients. Mais à ce premier niveau de
dit qui, tout au moins pour les banques d’autant plus « facile » que les acteurs contrôle, il faut ajouter la réglemen-
françaises, n’a pas (ou peu) souffert de traditionnels ont justement délaissé tation de protection du consomma-
l’application de ces nouvelles normes. cette relation client. Et pour ceux qui teur (ou ici de l’investisseur) qui

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n’a de cesse, depuis la directive de maté » des produits en fonction de loi ou la réglementation, et encore
1993 sur les services financiers, de leurs clients, classés, catégorifiés, moins de ne pas respecter celle-ci,
prendre le client pour un « abruti » ou « scorés » selon des méthodolo- mais de se placer en dehors de ces
un « ignare ». Il en résulte toute une gies finalement assez proches d’un contraintes ou à tout le moins, comme
batterie de tests, de questionnaires, établissement à un autre. L’objectif dans les arts martiaux, faire de cette
d’interrogations auquel le client était (et bien souvent reste encore) contrainte un atout en l’utilisant de
doit se soumettre avant de pouvoir de vendre les produits (« maison ») manière réfléchie. De manière tout à
effectuer une transaction. En addi- à la clientèle et non pas de voir en fait concrète, il s’agit pour ces entre-
tionnant le soupçon et l’ignorance, quoi ces produits seraient adaptés à prises innovantes d’exercer leurs
le client a le désagréable sentiment ses besoins. L’informatisation de la activités avec le moins de contraintes
qu’il n’est pas aimé, que tout est fait relation client a conduit à « industria- possible (y compris les contraintes
pour le rebuter. La conséquence ? liser » celle-ci. Et la réglementation réglementaires) en évitant de choi-
Dramatique : les chargés de clientèle compliance n’a fait qu’accélérer et sir un statut d’entreprise régulée (le
se transforment en indics et maîtres alourdir cette tendance. statut d’établissement de crédit est
d’école, plus occupés à remplir les Le banquier d’il y a une trentaine à cet égard le plus repoussant pour
questionnaires qu’à prodiguer des d’années n’a plus rien à voir avec toute entreprise innovante dans le
conseils, que l’on ose à peine qua- celui d’aujourd’hui. « Notable de secteur financier !). Quand ce n’est
lifier de pertinents. Mais le pire province », le banquier était une pas possible, elles choisissent le sta-
est encore à venir : l’exigence de personne connue, respectée, par- tut le moins contraignant possible.
« zéro défaut » en matière de com- fois admirée, souvent respectée. On Mieux encore, elles passent des par-
pliance conduit à une culture où la connaissait « son » banquier (c’est- tenariats avec des acteurs déjà établis
forme devient plus importante que à-dire le chef d’agence), comme mais figurant en position d’outsider
la substance ; ce qui compte, c’est celui-ci connaissait « ses » clients. pour « utiliser » leurs différentes
de « cocher les cases » dans les for- Aujourd’hui, les personnes changent licences bancaires et financières.
mulaires, sans se demander à quoi de poste en agence tous les 5 ans envi-
tous ces documents peuvent servir ron (afin, justement, d’éviter une trop L’exemple des activités
et s’ils sont pertinents pour la per- grande proximité avec les clients…), de financement
sonne en face du guichet. Il s’agit et leur mission est de « placer » des L’une des activités les plus ouvertes
d’une culture de « massification » produits maison (même si tel n’est à l’innovation est sans conteste le
de la clientèle, laquelle doit rentrer plus le cas aujourd’hui, longtemps financement, tant pour les particu-
dans des catégories (professionnels ces banquiers ont été financièrement liers que pour les entreprises. Bien
ou profanes…) et se conformer à des intéressés à ce qu’ils réussissaient à sûr, depuis quelques années la plu-
standards. Au détriment de la per- placer comme produits aux clients). part des pays voient l’émergence
sonnalisation. La réglementation Le banquier n’est plus un notable, sur leur territoire des activités de
de compliance a ainsi transformé la il n’est ni craint ni respecté. On a crowdfunding, ou de P2P lending (ce
relation client. transformé un « curé de l’épargne » qui n’est pas la même chose) qui
(une personne auprès de qui on n’a
Quelles conséquences pas de secret sur ses finances) en
ont eu ces diverses un simple vendeur de magasin. La Les chargés de clientèle
réglementations ? confiance s’en est allée. La crise pas-
Il manque une chose essentielle sant par là, ce sentiment n’a fait que se transforment en indics et maîtres
aujourd’hui aux acteurs tradition- se renforcer. d’école, plus occupés à remplir
nels de la finance pour s’adapter « au Comment les FinTech peuvent-elles
monde qui change » : la proximité (mieux ?) réussir là où les masto- les questionnaires qu’à prodiguer
avec la clientèle, l’adaptation de ces dontes de ces activités ont mis des des conseils, que l’on ose à peine qualifier
établissements aux attentes de leurs années et dépensées des centaines
clients (et non l’inverse). Ces acteurs de millions d’euros à construire des de pertinents.
ont perdu ce qui faisait leur force : offres de services à leurs clients ?
la personnalisation de la relation Bien sûr, elles disposent de points
client, le conseil apporté à chaque forts, comme : permettent aux emprunteurs de « se
client. Les banques et les assurances − une hiérarchie aplatie et souple ; passer de banques » pour se finan-
se sont transformées à partir des − une capacité de prise de risque ; cer. C’est sans conteste une évolu-
années 1970 – moment où l’infor- − un décomplexion face à l’obstacle ; tion majeure dans la distribution
matique bancaire a été construite − une remise en cause permanente du crédit. Le plus significatif n’est
– pour devenir des « usines de pro- des méthodes et des convictions. cependant pas dans l’apparition de
duction » de services bancaires et Plus une activité sera régulée, plus ces plates-formes (dont les volumes
financiers. En se concentrant sur les ces entreprises innoveront. Ce qui restent modestes) mais dans l’inno-
produits, ces établissements n’ont est exact mais insuffisant à com- vation apportée par celles-ci et plus
plus essayé ni été en mesure de vendre prendre le phénomène. Que l’on ne généralement par des acteurs d’un
un service adapté aux besoins par- s’y trompe pas. L’objectif des Fin- genre nouveau. Certes, il existait déjà
ticuliers d’un client mais ont « for- Tech n’est pas de « contourner » la des comparateurs de prêts, mais ces

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plates-formes ne faisaient que pro- souple par rapport à celui d’établis-


poser des prêts sans aucune valeur La réglementation sement de crédit. Au point que ces
ajoutée. Alors que les nouvelles de compliance a ainsi derniers estiment, non sans raison,
plates-formes savent intégrer les devoir faire face à une concurrence
caractéristiques des emprunteurs transformé la relation « déloyale » de la part de ces nou-
pour leur proposer des solutions client. veaux acteurs qui ne sont pas soumis
« sur mesure ». C’est là toute la valeur à leurs contraintes. Discours stérile et
ajoutée de ces nouveaux acteurs : inaudible pour la Commission euro-
sortir du modèle « production-dis- péenne qui répond : adaptez-vous !
tribution » d’un bien ou d’un service, Ce que certains grands acteurs ban-
pour rentrer dans l’ère nouvelle du caires ont compris, et commencer à
modèle « adaptation-distribution ». faire en logeant dans des filiales ad
comme partie intégrante du « mono- hoc répondant au statut souple de
Le cas des services pole bancaire ». Cette ouverture prestataire de services de paiement
de paiement concurrentielle ne s’est bien sûr pas leurs activités de paiement inno-
Les services de paiement sont une faite au détriment de la sécurité des vantes. Quant à la technologie et la
autre illustration de la manière dont opérations et des consommateurs. sécurité, le plus souvent les FinTech
les entreprises innovantes s’adaptent Ce qui explique, dans le même mou- s’adossent à des acteurs établis pour
à une régulation sévère et complexe, vement de dérégulation, la création réaliser leurs prestations.
aidées, il est vrai, par le législateur de nouveaux statuts régulés, en par- Les acteurs traditionnels ne sont pas
européen lui-même. Car ce n’est pas ticulier celui de prestataire de ser- condamnés pour autant à disparaître.
là le moindre des paradoxes, mais vices de paiement. La dérégulation Au contraire. Ils disposent d’atouts
l’« uberisation » des paiements a été passe ici par une régulation amoin- non négligeables face aux start-up :
pensé et organisé par la Commis- drie. Afin de faciliter l’entrée des une marque, des moyens finan-
sion européenne ! Afin de favoriser nouveaux acteurs du paiement dans ciers plus importants, des équipes
la concurrence dans un monde qui le petit monde de la monétique ban- bien formées, des relations clients
n’en connaissait pas. Et en ouvrant à caire, le législateur a créé un statut déjà établies. La clé pour une entre-
des nouveaux acteurs non bancaires relativement peu consommateur de prise, quelle que soit sa taille, c’est
des activités jusque-là considérées fonds propres et surtout relativement de s'adapter à son environnement. n

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