Vous êtes sur la page 1sur 126

Première année de Licence en Droit

Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 1 : La troisième République

Table des matières


Partie 1. Les textes constitutionnels de la 3 ème République 1
Document 1 Loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs 1
Document 2 Loi du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat 2
Document 3 Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics 2
Document 4 Loi du 14 août 1884, portant révision partielle des lois constitutionnelles 3
Partie 2. Le fonctionnement de la 3ème République 3
Document 1 Jean CASIMIR-PERIER, Notes sur la Constitution de 1875, Dalloz, Coll.
Bibliothèque Dalloz, Paris, 2015, extrait (pp. 47-68) 4

Notions à maîtriser :

Régime parlementaire. Régime d’assemblée. Responsabilité politique. Instabilité gouvernementale. Légicentrisme.


Parlementarisme rationnalisé.
Partie 1. Les textes constitutionnels de la 3ème République
Répondez aux questions suivantes en citant les articles des lois constitutionnelles pertinents :
- La « constitution » de la Troisième République peut-elle être qualifiée de souple ou rigide ?
- Comment qualifier le bicamérisme sous la Troisième République ?
- Quels sont les indices constitutionnels de la faiblesse du Président de la République ?
- Pourquoi le rôle du Sénat dans la procédure de dissolution est important ?
- Est-ce que les lois constitutionnelles rationnalisent le parlementarisme ?
- Pourquoi l’article 3 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 précise que les chambres se réunissent : « de plein
droit » ?
- De quels pouvoirs du Président de la République dispose sur les chambres ?
- Quels peuvent être les effets politiques de l’article 10 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 ?
- Distinguez les articles relatifs à la responsabilité politique et ceux relatifs à la responsabilité pénale.
- Quelle est la signification politique de la loi du 14 août 1884.

Faites un schéma de la procédure législative

Document 1 Loi du 25 février 1875 relative à l'organisation des pouvoirs


Article 1. - Le pouvoir législatif s'exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat. - La Chambre des
Députés est nommée par le suffrage universel, dans les conditions déterminées par la loi électorale. - La composition,
le mode de nomination et les attributions du Sénat seront réglés par une loi spéciale.
Article 2. - Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et par la Chambre
des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible.
Article 3. - Le président de la République a l'initiative des lois, concurremment avec les membres des deux chambres.
Il promulgue les lois lorsqu'elles ont été votées par les deux chambres ; il en surveille et en assure l'exécution. - Il a le
droit de faire grâce ; les amnisties ne peuvent être accordées que par une loi. - Il dispose de la force armée. - Il nomme
à tous les emplois civils et militaires. - Il préside aux solennités nationales ; les envoyés et les ambassadeurs des
puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. - Chacun des actes du président de la République doit être
contresigné par un ministre.
Article 4. - Au fur et à mesure des vacances qui se produiront à partir de la promulgation de la présente loi, le président
de la République nomme, en Conseil des ministres, les conseillers d'État en service ordinaire. - Les conseillers d'État
ainsi nommés ne pourront être révoqués que par décret rendu en Conseil des ministres. - Les conseillers d'État
nommés en vertu de la loi du 24 mai 1872 ne pourront, jusqu'à l'expiration de leurs pouvoirs, être révoqués que
dans la forme déterminée par cette loi. - Après la séparation de l'Assemblée nationale, la révocation ne pourra être
prononcée que par une résolution du Sénat.
Article 5. - Le Président de la République peut, sur l'avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant
l'expiration légale de son mandat. - En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour de nouvelles élections dans
le délai de trois mois.
Article 6. - Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du
Gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels. - Le Président de la République n'est responsable que
dans le cas de haute trahison.
Article 7. - En cas de vacance par décès ou pour toute autre cause, les deux chambres procèdent immédiatement à
l'élection d'un nouveau Président. - Dans l'intervalle, le Conseil des ministres est investi du pouvoir exécutif.
Article 8. - Les chambres auront le droit, par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix,
soit spontanément, soit sur la demande du Président de la République, de déclarer qu'il y a lieu de réviser les lois
constitutionnelles. - Après que chacune des deux chambres aura pris cette résolution, elles se réuniront en Assemblée
nationale pour procéder à la révision. - Les délibérations portant révision des lois constitutionnelles, en tout ou en
partie, devront être prises à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale. - Toutefois, pendant
la durée des pouvoirs conférés par la loi du 20 novembre 1873 à M. le maréchal de Mac-Mahon, cette révision ne
peut avoir lieu que sur proposition du Président de la République.

Document 2 Loi du 24 février 1875 relative à l'organisation du Sénat


Article 6. - Les sénateurs des départements et des colonies sont élus pour neuf années et renouvelables par tiers, tous
les trois ans. - Au début de la première session, les départements seront divisés en trois séries, contenant chacune un
égal nombre de sénateurs. Il sera procédé, par la voie du tirage au sort, à la désignation des séries qui devront être
renouvelées à l'expiration de la première et de la deuxième période triennale.
Article 7. - Les sénateurs élus par l'Assemblée sont inamovibles. - En cas de vacance par décès, démission ou autre
cause, il sera, dans les deux mois, pourvu au remplacement par le Sénat lui-même.

1
Article 8. - Le Sénat a, concurremment avec la Chambre des députés, l'initiative et la confection des lois. - Toutefois,
les lois de finances doivent être, en premier lieu, déposées à la Chambre des députés et votées par elle.
Article 9. - Le Sénat peut être constitué en Cour de justice pour juger, soit le Président de la République, soit les
ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l'État.
Article 10. - Il sera procédé à l'élection du Sénat un mois avant l'époque fixée par l'Assemblée nationale pour sa
séparation. - Le Sénat entrera en fonctions et se constituera le jour même où l'Assemblée nationale se séparera.
Article 11. - La présente loi ne pourra être promulguée qu'après le vote définitif de la loi sur les pouvoirs publics.

Document 3 Loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 sur les rapports des


pouvoirs publics
Article 1. - Le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardi de janvier, à moins d'une
convocation antérieure faite par le Président de la République. - Les deux chambres doivent être réunies en session
cinq mois au moins chaque année. La session de l'une commence et finit en même temps que celle de l'autre. - Le
dimanche qui suivra la rentrée, des prières publiques seront adressées à Dieu dans les églises et dans les temples pour
appeler son secours sur les travaux des assemblées.
Article 2. - Le Président de la République prononce la clôture de la session. Il a le droit de convoquer
extraordinairement les chambres. Il devra les convoquer si la demande en est faite, dans l'intervalle des sessions, par
la majorité absolue des membres composant chaque chambre. - Le Président peut ajourner les chambres. Toutefois,
l'ajournement ne peut excéder le terme d'un mois ni avoir lieu plus de deux fois dans la même session.
Article 3. - Un mois avant le terme légal des pouvoirs du Président de la République, les chambres devront être
réunies en Assemblée nationale pour procéder à l'élection du nouveau Président. - A défaut de convocation, cette
réunion aurait lieu de plein droit le quinzième jour avant l'expiration de ces pouvoirs. - En cas de décès ou de
démission du Président de la République, les deux chambres se réunissent immédiatement et de plein droit. - Dans
le cas où, par application de l'article 5 de la loi du 25 février 1875, la Chambre des députés se trouverait dissoute au
moment où la présidence de la République deviendrait vacante, les collèges électoraux seraient convoqués, et le
Sénat se réunirait de plein droit.
Article 4. - Toute assemblée de l'une des deux chambres qui serait tenue hors du temps de la session commune est
illicite et nulle de plein droit, sauf le cas prévu par l'article précédent et celui où le Sénat est réuni comme Cour de
justice ; et, dans ce dernier cas, il ne peut exercer que des fonctions judiciaires.
Article 5. - Les séances du Sénat et celles de la Chambre des députés sont publiques. - Néanmoins, chaque chambre
peut se former en comité secret, sur la demande d'un certain nombre de ses membres, fixé par le règlement. - Elle
décide ensuite, à la majorité absolue, si la séance doit être reprise en public sur le même sujet.
Article 6. - Le Président de la République communique avec les chambres par des messages qui sont lus à la tribune
par un ministre. - Les ministres ont leur entrée dans les deux chambres et doivent être entendus quand ils le
demandent. Ils peuvent se faire assister par des commissaires désignés, pour la discussion d'un projet de loi
déterminé, par décret du Président de la République.
Article 7. - Le Président de la République promulgue les lois dans le mois qui suit la transmission au Gouvernement
de la loi définitivement adoptée. Il doit promulguer dans les trois jours les lois dont la promulgation, par un vote
exprès de l'une et l'autre chambres, aura été déclarée urgente. - Dans le délai fixé par la promulgation, le Président
de la République peut, par un message motivé, demander aux deux chambres une nouvelle délibération qui ne peut
être refusée.
Article 8. - Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt
que l'intérêt et la sûreté de l'État le permettent. - Les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances
de l'État, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, ne sont définitifs
qu'après avoir été votés par les deux chambres. Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire ne peut
avoir lieu qu'en vertu d'une loi.
Article 9. - Le Président de la République ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des deux chambres.
Article 10. - Chacune des chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de l'élection ; elle peut,
seule, recevoir leur démission.

Article 11. - Le bureau de chacune des deux chambres est élu chaque année pour la durée de la session, et pour toute
session extraordinaire qui aurait lieu avant la session ordinaire de l'année suivante. - Lorsque les deux chambres se
réunissent en Assemblée nationale, leur bureau se compose du président, des vice-présidents et secrétaires du Sénat.
Article 12. - Le Président de la République ne peut être mis en accusation que par la Chambre des députés, et ne
peut être jugé que par le Sénat. - Les ministres peuvent être mis en accusation par la Chambre des députés pour
crimes commis dans l'exercice de leurs fonctions. En ce cas, ils sont jugés par le Sénat. - Le Sénat peut être constitué
en Cour de justice par un décret du Président de la République, rendu en Conseil des ministres, pour juger toute
personne prévenue d'attentat contre la sûreté de l'État. - Si l'instruction est commencée par la justice ordinaire, le
décret de convocation du Sénat peut être rendu jusqu'à l'arrêt de renvoi. - Une loi déterminera le mode de procéder
pour l'accusation, l'instruction et le jugement.

2
Article 13. - Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut être poursuivi ou recherché à l'occasion des
opinions ou votes émis par lui dans l'exercice de ses fonctions.
Article 14. - Aucun membre de l'une ou de l'autre chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou
arrêté en matière criminelle ou correctionnelle qu'avec l'autorisation de la chambre dont il fait partie, sauf le cas de
flagrant délit. - La détention ou la poursuite d'un membre de l'une ou de l'autre chambre est suspendue pendant la
session, et pour toute sa durée, si la chambre le requiert.

Document 4 Loi du 14 août 1884, portant révision partielle des lois


constitutionnelles
Article 2. - Le paragraphe 3 de l'article 8 de la même loi est complété ainsi qu'il suit : - " La forme républicaine du
gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision. - " Les membres des familles ayant régné sur la
France sont inéligibles à la présidence de la République. "

Partie 2. Le fonctionnement de la 3ème République


Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- En quelle année le texte semble-t-il avoir été écrit ?
- Faites une rapide biographie de l’auteur du texte ?
- Que signifie la phrase : « il est plus difficile encore de pratiquer les institutions libres que de les conquérir » ? En quoi
peut-on dire qu’elle tire les enseignements de la succession de régimes en France depuis 1789 ? Qu’est-ce que le texte
nous apprend sur la démocratie, son installation et sa pratique ?
- A quoi renvoie l’auteur lorsqu’il évoque : « l’expérience et le sens politique » du suffrage universel ?
- Quel(s) passage(s) souligne(nt) que les intérêt individuels sont supérieurs à l’intérêt général ?
- Qu’est-ce que la « théorie du bloc » ?
- Quels arguments démontrent la supériorité des chambres sur le gouvernement ?
- Qu’est-ce qu’une interpellation ?
- Quelles pratiques et quels actes sont employés par les chambres pour asseoir leur domination sur les Ministères ?
- Qu’est-ce que le boulangisme ?
- Pourquoi le droit de dissolution ne fait plus peur ?
- Quel passage décrit l’adoption des lois constitutionnelles ? Pourquoi peut-on parler de consensus mou ? Comment ces
lois ont été rédigées et avec quels objectifs, notamment les dispositions relatives au Président ?
- A quoi fait allusion l’auteur lorsqu’il évoque : « le gouvernement du Maréchal » ?
- En quoi Mac-Mahon n’a « pas compris son temps » et Grevy « pas compris son devoir » ?
- Qu’est-ce que : l’« Assemblée de Versailles » ?
- Quels sont les défauts de la procédure d’élection du Président ?

Document 1 Jean CASIMIR-PERIER, Notes sur la Constitution de 1875, Dalloz,


Coll. Bibliothèque Dalloz, Paris, 2015, extrait (pp. 47-68)
Absence d'esprit public

Il est plus difficile encore de pratiquer les institutions libres que de les conquérir. La France n'est pas seule à
l'éprouver. Si le despotisme – quelle qu'en soit la forme – n'exige pour se perpétuer que l'ignorance et la soumission
des sujets, la liberté ne vit que chez les nations qui la méritent. Sommes-nous bien sûrs de la mériter ? [J'entreprends
de le rechercher ; depuis plus de huit ans j'ai cru servir mon pays en gardant obstinément le silence] Depuis le jour
où la République parlementaire a été créée, l'organisation et la discipline des partis ont-elles fixé des doctrines et
rendu féconde la lutte des idées, l'esprit public s'est-il formé, les pouvoirs constitutionnels ont-ils – chacun à sa place
et à son heure – rempli leur fonction ? La Révolution de 1789 a accompli une œuvre sociale, elle n'a pu que proclamer
des principes politiques : pendant près d'un siècle, il ne s'est guère trouvé de régimes pour les faire comprendre ou
essayer de les appliquer : la tentative de 1848 est la plus sincère et la plus imprudente : il ne s'écoule pas quatre
années entre la chute de la monarchie et le retour à la dictature; presque au lendemain du jour où le suffrage universel
a fait un citoyen de tout homme majeur, l'Empire est rétabli; la proclamation solennelle du droit politique individuel
a masqué la confiscation des libertés publiques; pendant dix-huit ans la souveraineté nationale est faite de
l'abdication des citoyens. Le plébiscite de 1869 acclame encore l'Empire ; en 1870 une révolution le jette à terre.
Cette révolution n'est pas, hélas, à cette heure sombre de notre histoire, une revanche de la liberté ; elle n'est pas la
révolte de l'esprit public, elle n'est pas contre le despotisme la revendication du droit, elle est – et c'est la seule fierté
de ces jours maudits – le soulèvement du patriotisme indigné…
La France envahie est appelée à élire l'Assemblée nationale : elle choisit indistinctement des adversaires de l'Empire
: elle affirme ce qu'elle rejette, non ce qu'elle veut1. La République devient le gouvernement de fait.

3
Comment aurait-il dû se former ?

La masse électorale va vers la République; elle s'y attache, elle en réclame la proclamation légale mais à peine les
organes constitutionnels sont-ils créés que c'est contre la République et contre la démocratie que tente de gouverner
le pouvoir. Au milieu de ces contradictions, de ces incohérences et de ces soubresauts qui se succèdent depuis 1789,
comment l'esprit public aurait-il pu se former, comment le suffrage universel aurait-il pu acquérir l'expérience et le
sens politiques ? Il y a près de 30 ans que le Gouvernement est entre les mains des républicains : la France s'est
détachée des prétendants, elle a acclamé la République; elle a fini par lui donner sa foi. La folle épopée du Premier
Empire, les humiliations nationales que nous a infligées le second ne nous ont pas appris le patriotisme de sang-
froid, l'incohérence et les déceptions de notre politique extérieure ne nous ont pas appris la suite dans les desseins;
sept ou huit constitutions plus souvent faussées que pratiquées ne nous ont pas donné la notion et le respect de la
séparation des pouvoirs; des gouvernements qui menacés dans leur propre existence ont plus souvent fait appel aux
appétits qu'aux passions généreuses n'ont pas exigé la subordination des intérêts particuliers à l'intérêt national, une
presse asservie ou quelque peu déréglée, des groupements politiques qui ne méritent guère le nom de partis, qui se
déplacent et se confondent sans organisation rationnelle, sans principes directeurs, sans moyens d'action efficaces
ne nous ont enseignés ni le prix de l'effort ni la fidélité aux mêmes idées, ni la nécessité d'une discipline volontaire.
Sans prétendre effacer les empreintes de l'histoire qu'avons-nous tenté pour faire des républicains dans un vieux pays
monarchique ? Qu'avons-nous tenté pour apprendre au suffrage universel à se diriger lui-même ? Qu'avons-nous tenté
pour donner avec la liberté les mœurs de la liberté ?

Pas de partis constitués

À l'heure actuelle, nous poursuivons une expérience téméraire, c'est de pratiquer dans un pays qui l'ignore le régime
parlementaire sans partis constitués. Il n'y a pas plus de cohésion entre les éléments épars de l'opposition
antirépublicaine qu'il n'y en a entre les républicains. Il est impossible de déterminer les frontières des groupes par
les divergences des principes ; même les fractions les plus ardentes et les plus éloignées de l'application de leurs
doctrines n'ont pas un programme qui fasse un faisceau d'hommes luttant pour le triomphe d'un même idéal ; entre
les éléments de la majorité, il est plus difficile encore d'apercevoir les lignes de démarcation et d'expliquer les
dissidences. La communauté des principes crée seule des liens durables ; la passion et les intérêts ne provoquent que
des groupements de circonstance. Aujourd'hui, ce ne sont plus des idées permanentes qui rapprochent, ce sont des
querelles passagères qui divisent : Les hommes publics ne s'attachent pas à éclairer, à diriger l'opinion et, convaincus
de son inexpérience, ils oublient des divisions profondes ou brisent des liens solides selon les exigences de leur
situation électorale. L'exemple est suivi par les candidats aux portefeuilles qui n'hésitent guère à s'associer sans
s'entendre. On a jugé prudent de masquer ces errements derrière des mots à effets et d'un expédient on a presque
fait une doctrine. Nous avons commencé par la concentration; mais elle a si bien servi l'intérêt des éléments les
moins propres à exercer le gouvernement, elle a ouvert tant d'espérances aux ambitions individuelles, à tous ceux
qui à côté, en dehors de leur groupe – j'allais dire en dehors de leur conscience – jouent leur jeu personnel, que dès
qu'elle a vieilli, ceux qui veillaient sur elle l'ont rajeunie en lui donnant un nom nouveau et la théorie du bloc a fait
son entrée dans le monde. Cette théorie n'a pas seulement discrédité le pouvoir, elle a substitué l'amalgame des
intérêts électoraux à la constitution logique des partis et l'intrigue individuelle à l'action collective.
[La concentration n'a pas seulement discrédité le pouvoir en le rendant stérile, elle a consacré l'émiettement des
partis et substitué l'intrigue individuelle à l'action collective.]
Nul n'a intérêt à être poussé par ses amis politiques, chacun ayant des chances d'être recueilli par ses adversaires. Il
est dès lors assez naturel que l'élévation d'un homme ne soit plus ni une satisfaction ni une espérance pour tous ceux
qui ont avec lui servi la même cause et le ministre promu, au lieu de fortifier le Gouvernement par le concours de
volontés résolues à le suivre, l'affaiblit par les jalousies qu'il éveille et les ambitions qu'il irrite.
Pour demeurer unis, il suffit de ne pas s'expliquer : à la nécessité de paraître s'entendre on sacrifie la discussion
féconde et la défense désintéressée des idées : du reniement de tous les principes on a fait un principe.
À défaut de partis constitués, à défaut d'organisations qui puissent éclairer et guider l'opinion, le pouvoir a-t-il
cherché à développer l'esprit public ? L'éloquence ministérielle s'est promenée par toute la France; mais les discours
ont été moins des enseignements que des apologies. La démocratie a plus entendu parler de ses droits que de ses

4
devoirs et les programmes ont si souvent varié – parfois dans la même bouche – que les électeurs n'ont guère appris
qu'à douter et qu'à sourire.
En vérité le suffrage universel a des excuses si, ignorant à peu près tout de la politique, il s'attache plus aux personnes
qu'aux idées, si la notion du gouvernement parlementaire lui échappe, et s'il se montre incapable de s'élever au-
dessus des questions de clocher.
Les enseignements lui ont manqué et les exemples lui manquent. C'est le rôle et le devoir d'un Gouvernement de
grouper les volontés éparses, de concentrer les efforts individuels, de faire un faisceau des richesses morales; c'est à
lui de discerner les intérêts locaux et l'intérêt général; c'est à lui de parler et d'agir au nom de la France.
[C'est là ce qui s'appelle gouverner et veiller sur notre patrimoine national]
Mais où et quand s'exerce cette intervention vigilante, cette action féconde ? Où le pays peut-il la saisir ? Quel chemin
trace-t-on qu'il puisse suivre ? Qui lui relève la tête, qui console son orgueil blessé, qui entretient le feu sacré de son
patriotisme ?

Ce que le pays voit : le député et le sous-préfet

Ce pays, dont l'éducation politique est à faire, fixe son jugement d'après ce qui se passe quotidiennement sous ses
yeux : dans chaque arrondissement1 il y a un sous-préfet et un député. Il suffit de regarder et d'entendre pour
constater la docilité de l'un et l'arrogance de l'autre : le pays conclut que le fonctionnaire est le subalterne et que l'élu
est son chef. Ce n'est pas un secret que le sous-préfet a beaucoup plus de contact avec son député qu'avec son ministre,
qu'il reçoit fréquemment la visite du premier, qu'il ne réussit guère à être reçu par le second. On voit que le député
garde sa place plus longtemps que le ministre et l'on juge avisé le fonctionnaire qui, ménageant plus ce qui dure que
ce qui passe, renonce à être le serviteur de la politique ministérielle pour devenir courtier électoral du favori des
électeurs. On sait que le député éprouve et surveille les agents de tout ordre, tandis que les ministres les ignorent et
les considèrent comme une monnaie de transaction. Si on ne doute pas que le fonctionnaire ne soit encore un
moyen de gouvernement c'est parce que le pouvoir récompense celui qui n'a pas de titres pour complaire au député
qui le recommande, et révoque celui qui en a pour complaire au député qui le dénonce.
À côté – pardon : au-dessus du sous-préfet –, voici le député : il ne se contente pas d'être l'élu de ses concitoyens, il
veut être le maître de son arrondissement ; il donne des ordres, il entend être obéi. Quand il siège au Palais-Bourbon,
il disparaît au milieu des législateurs; quand il est dans son fief il le remplit tout entier ; c'est là qu'il se révèle grand
politique ; pour réussir, il suffit d'oser : le député modèle connaît l'impuissance des serviteurs de l'État que l'État lui
livre; il leur fait voir, selon son intérêt, ce que vaut sa colère ou son crédit; et voilà comment, aux yeux de la foule,
ce n'est pas la Chambre des députés, mais le député lui-même qui apparaît comme un pouvoir de l'État.
On n'a pas supprimé le despotisme en France, on l'a décentralisé.
Le pays ne peut ni découvrir ni même juger les effets, et il éprouve à l'heure présente un sentiment de lassitude et de
découragement. Il voit par les audaces et la violence d'une certaine presse – d'extrême droite comme d'extrême gauche
– par les défaillances et les complaisances des agents de l'autorité, que le Gouvernement tolère à peu près tout et il
en conclut que le pouvoir est sans force pour réprimer; il voit par la petite tyrannie qu'exercent les meneurs politiques
que le député dispose des places, atteint ses adversaires et case des amis, et il en conclut que la Chambre des députés
est maîtresse absolue de toutes choses; il voit par la richesse des programmes électoraux et la pauvreté de l'œuvre
législative1 que le régime parlementaire fait beaucoup de bruit mais ne donne guère que des déceptions [et il conclut
que si les députés se font bien importants, les élections sont sans grande importance.]
La politique apparaît comme un passe-temps dont se divertissent les uns, comme un métier dont vivent les autres.
C'est un danger dans un pays libre que l'opinion se désintéresse de la chose publique; c'est un danger même si elle
voit faux et se trompe dans ses jugements, et son erreur serait-elle certaine qu'il faudrait encore compter avec l'erreur.
Qui prétendra gouverner contre le sentiment national ? L'électeur voit en présence le député et le sous-préfet;
regardons la Chambre et le ministère.

La chambre et le ministère

La Chambre des députés au lieu de consacrer cinq ou six mois de session aux travaux législatifs et à l'examen du
budget, siège pendant neuf mois pour donner la moitié de son temps aux manifestations stériles, aux questions et
aux interpellations. Depuis des années la Chambre méconnaissant l'autorité du Sénat, le dénonce au suffrage
universel si en 15 jours il n'a pas contrôlé les recettes et les dépenses de l'État, et les budgets dont la période
d'exécution doit commencer le 1er janvier sont votés en Mars, en Avril ou en Mai ! La Chambre discute à la légère
les grands intérêts du pays, elle s'échauffe pour les incidents de personnes, pour les rivalités d'ambitions, pour les
compétitions de portefeuille. Au lieu de défendre contre les ministres les intérêts des contribuables, elle impose aux
ministres des dépenses pour les fonctionnaires ; des syndicats électoraux qui se décernent le nom de groupes,
rivalisant de complaisances réciproques, mettent au pillage la fortune publique et puisent dans le trésor national
pour satisfaire des appétits locaux. La Chambre a promis des économies, elle accumule les déficits, elle majore les
impôts et condamne la France à emprunter. C'est mal comprendre son rôle; il est plus grave encore d'en sortir : elle
ne se contente pas de contrôler et de juger la politique du Cabinet, les actes quotidiens de l'administration; au mépris
des droits du Sénat, elle vote des ordres du jour et des résolutions qui sont des invitations impératives; elle substitue

5
son action à l'action gouvernementale, elle évoque une affaire judiciaire en constituant une commission d'enquête
qu'elle prétend, par l'effet de sa seule volonté, munir des pleins pouvoirs; elle transforme la commission du budget
en un petit comité de salut public mettant aux trousses de chaque ministre le député qui convoite sa succession,
interrogeant les subalternes et [encourageant les délations] rompant tous les liens de la discipline. Ce n'est pas aux
ministres responsables qu'elle s'adresse pour savoir ce qui se passe dans son [sic] ministère; elle veut exercer
directement, sans partage et sans intermédiaire, son autorité sur les services publics; qu'il s'agisse de la Marine, de la
Guerre, des Travaux Publics, de l'Instruction publique ou des Affaires étrangères, elle pénètre partout, épie tout,
censure et ordonne par la grande voix des commissions permanentes ou des commissions d'enquête; les ministres
qui plient, elle en fait ses commis; chaque séance qui leur impose une capitulation est la consécration de sa puissance;
les ministres qui résistent, elle les renverse, la chute d'un cabinet est pour elle quelque chose comme une apothéose
et, la crise ouverte, les candidats aux portefeuilles, sans attendre que le président de la République ait exercé son
choix, annoncent que du haut de la tribune où a retenti leur éloquence victorieuse, ils ont aperçu la terre promise !
En face de cette toute-puissance, voici le ministère. Que représente-t-il aux yeux de la Chambre ? Le Gouvernement
? Oh ! Non. En l'absence de partis constitués, il représente la majorité de circonstance [qui a renversé le Cabinet
précédent]. C'est à la Chambre qu'il est né; c'est elle qui quotidiennement décidera de sa vie ou de sa mort.
Sa mission est de gouverner, mais il serait imprudent de prononcer ce mot-là à la tribune et le ministère ne gouverne
pas, car il n'en a ni le temps ni les moyens.
Les ministres doivent se tenir le matin à la disposition de chaque député et dans l'après-midi à la disposition des
députés réunis. Au risque de commettre une inconvenance, ils assistent parfois aux séances du Sénat ; il leur faut se
rendre à l’appel des commissions, présider les cérémonies publiques pour y distribuer des croix et des palmes
académiques; répondre aux questions et aux interpellations; depuis l'aube jusqu'à minuit le membre du
Gouvernement est dans l'impossibilité de remplir sa fonction.
Au reste la fonction ministérielle est une place désemparée que ne protègent plus ni les ouvrages renversés qui
l'entourent, ni les poitrines qui avaient mission de la défendre. À Paris la Chambre annihile le Gouvernement et
dans les départements les fonctionnaires sont annihilés par les députés.
Le ministère n'a qu'un pouvoir d'emprunt et qu'une existence précaire. Ceux qui rougissent de compter les crises
ministérielles ont pour habitude de les escompter; les caprices et les exigences sont tels au Palais Bourbon que les
Cabinets lestement renversés ont moins compromis l'autorité que ceux qui ont fait le nécessaire pour durer.
S'agit-il des intérêts de la défense nationale, de la situation et de l'avenir des officiers, un ministre ne se contente pas
de dire que « l'avancement des officiers, comme tous les actes de l'exécutif, relève forcément du Parlement », il
recherche la formule de l'abdication et il trouve celle-ci : « à la commission irresponsable mon prédécesseur et moi
avons substitué le ministre responsable. Cela veut dire que l'avancement des officiers est en réalité dans les mains du
Parlement. » Il va de soi qu'une belle majorité approuve ces déclarations.
Comment le ministre qui écoute son ambition résistera-t-il à ceux qui tiennent dans leur main la fortune politique ?
Il sait bien que s'il écoute sa conscience et s'il s'avise de défendre une conviction ou la dignité [l'autorité] du
Gouvernement, une majorité d'enfants gâtés se mettra en colère et le jettera à terre.

Où le ministère trouvera-t-il un point d'appui ?

C'est ainsi que triomphe la complicité des ambitions et des défaillances contre les usurpations de la Chambre, c'est
en vain que le ministère cherche un point d'appui. Pourquoi ne le trouve-t-il pas au Luxembourg ? Le Sénat semble
avoir épuisé son énergie dans la lutte vaillante qu'il a soutenue contre le Boulangisme; depuis il a laissé prescrire ses
droits; les députés le regardent comme leur maison de retraite, et ce bon renom le protège.
Puisqu'il est établi qu'il ne renverse plus les Cabinets, il ne peut rien pour les sauver.
Est-ce vers l'Élysée que se tournera le ministère ?
Le président de la République a reçu des prérogatives et des droits qu'énumèrent de temps à autre les journaux et
les revues, mais les messages n'ont été, depuis l'élection de Grévy, que des lettres de démission, le droit de dissolution
ne fait plus peur qu'à ceux qui en sont armés, et il paraît qu'il n'y a jamais eu lieu d'inviter la Chambre à délibérer
une fois de plus sur aucun des innombrables imbroglios législatifs qu'on lui doit. Il semblerait à en juger par l'inertie
du pouvoir exécutif, que nous sommes dans l'âge d'or et que grâce à l'omnipotence de la Chambre, à la discrétion
du Sénat, les affaires publiques soient si sagement conduites que le chef de l'État n'a qu'à regarder immobile et muet.

Le mal est depuis longtemps signalé

[Nous voici bien près de l'absorption de tous les pouvoirs par la Chambre des députés] Le mal n'est pas nouveau ;
les républicains les plus clairvoyants l'ont signalé depuis longtemps. Écoutez Waldeck-Rousseau qui s'écrie en 1897 :
« Ce qui domine encore les manifestations de l'opinion, c'est un besoin d'activité tranquille et la volonté d'obtenir
du fonctionnement législatif moins de paroles et plus d'action, moins de bruit et plus de besogne. D'interminables
sessions où l'on trouve le temps de tout faire sauf l'indispensable, des crises successives, sans raison d'être et sans
conclusion pratique, des surprises, des embuscades. C'est là ce dont elle ne veut plus ». Écoutez ce que disait en 1902
M. Ribot : « Ce n'est pas seulement l'armée que menacent de corrompre les influences parlementaires. Le poison de
la politique produit des ravages inquiétants dans la magistrature, dans toutes les grandes administrations ». Lisez ce

6
qu'écrivait M. Poincaré en 1898 : « Peu à peu la confusion la plus foi religieuse. C'est de cette Assemblée qu'il fallait
faire sortir une Constitution. La tentative avortée de restauration monarchique avait excité les impatiences des
républicains ; mais, sur les confins de la droite, si les plus avisés parmi les moins déçus dissimulaient leur déconvenue,
on devinait qu'ils renonçaient à trouver dans les reliques de la monarchie rien qui pût ni servir leur ambition ni
satisfaire leurs espérances.
Des hommes qui tous ne pensaient pas de même sentaient croître les exigences de l'opinion et comprenaient la
nécessité de sortir enfin du provisoire ; il fallait aboutir, grouper une majorité dans une assemblée divisée,
ombrageuse, irrésolue. Des députés, dont le passé n'était pas un programme, dont le nom n'était pas un drapeau,
firent, sagement pour les circonstances, un assemblage de dispositions où des républicains pouvaient reconnaître
quel-ques-uns de leurs principes, où des monarchistes pouvaient trouver des garanties et même des réserves pour
l'avenir. Cependant il ne fallait pas trop s'appesantir sur le dosage des compensations ; le silence cachait peut-être
des réticences ; il fut aussi chez beaucoup un sacrifice fait à la nécessité et à l'accomplissement d'un devoir.
En ne s'expliquant guère, on parvint à s'entendre. Aux républicains de principe, on offrait la consécration de la
forme du gouvernement; aux nouveaux venus à la République, la garantie de deux Chambres; à ceux qui avaient
quelque défiance du suffrage universel et qui voulaient fortifier le pouvoir exécutif, le droit de dissolution; à ceux
qui redoutaient l'excès de sa force et qui croyaient se rapprocher ainsi des fictions monarchiques, l'irresponsabilité
du chef de l'État; à ceux qui voulaient bien admettre la République pour un jour, sans engager le lendemain, la
révision; aux catholiques plus fidèles à Dieu qu'au roi, les prières publiques; à ceux qui avaient plus de craintes que
de principes, le séjour à Versailles.
[Quelqu'hétérogène qu'elle fût, l'œuvre accomplie était plus et mieux qu'un tour d'adresse parlementaire. Les
compromis auxquels il avait fallu…].

D'où vient la défiance contre le pouvoir

L'Assemblée de Versailles ne comptait guère que des adversaires du Second Empire, des hommes qui pendant vingt
ans avaient été condamnés à l'inaction et relégués dans l'opposition; ils avaient souffert des excès du pouvoir, des
vexations infligées par une administration despotique, ils avaient dénoncé tous les périls d'un Gouvernement sans
contrôle et les sinistres événements de 1870 avaient fortifié leurs convictions en justifiant leurs craintes et leurs
attaques. Quand Thiers fut proclamé à Bordeaux chef du pouvoir exécutif dans les circonstances que traversait la
France, celui qui la représentait aux yeux de l'étranger ne pouvait être investi d'une autorité trop forte, mais habitude
d'esprit chez les uns, défiance à l'égard de Thiers chez les autres, beaucoup des membres de l'Assemblée
commencèrent à redouter l'influence et l'action du pouvoir exécutif. C'est alors que des hommes dont l'histoire
cruelle n'a pas oublié les noms, inventèrent l'extraordinaire procédure qui écartait Thiers de la tribune et lui
marchandait le droit de convaincre. Ce fut une des plus belles victoires de la droite.

Depuis 1875 quels événements ont discrédité le pouvoir et fortifié les chambres

Dans les gauches, les souvenirs de 1850 hantaient certaines têtes et mettaient en garde contre la présidence de la
République : la faiblesse du pouvoir exécutif semblait la garantie de la liberté.
Depuis le jour où la Constitution a été votée les événements ont à la fois discrédité le pouvoir et encouragé les
empiétements de la Chambre des députés.
Le Gouvernement du Maréchal pendant la période du 16 mai au 13 décembre 1877 a ravivé toutes les défiances
contre le pouvoir exécutif ; aux yeux des républicains il est redevenu l'ennemi. En quelques mois, ceux qui
prétendaient faire marcher la France ont brisé les droits dont ils se sont follement servis. [Telle est la doctrine que
nous devons aux textes : nous la devons aussi à l'usage que le pouvoir exécutif a fait de ses droits pendant la période
du 16 mai au 13 décembre 1877].
Le Maréchal a signé, le Duc de Broglie a contresigné trop de messages : un message est devenu une déclaration de
guerre. La dissolution a été demandée et obtenue non seulement contre la Chambre mais [contre le suffrage
universel] contre la démocratie ; contre la République : une demande de dissolution apparaîtrait comme un défi jeté
au suffrage universel. Les inspirateurs du 16 mai ont arraché leur démission à des ministres républicains : la Chambre
n'admettait plus qu'un désaccord entre le président de la République et le Cabinet enlevât leurs portefeuilles aux
ministres qu'elle soutient.
[Le Maréchal de Mac-Mahon n'a pas plus qu'aucun de ses successeurs prouvé que la Constitution ait attribué au
président de la République un pouvoir quelconque. Il était un instrument]
Une politique de casse-cou a compromis la Présidence : on exige désormais que l'irresponsabilité soit le silence et la
soumission : le Gouvernement n'a plus le droit de se révéler que par les ministres et tout acte qui ferait du chef de
l'État autre chose que le cosignataire des lois et des décrets serait dénoncé comme un attentat.
Les événements, hélas, ont encouragé et servi tous les empiétements de la Chambre. La Chambre était en 1876 dans
un pays qui voulait la République, le seul espoir des républicains; à l'Élysée comme au Luxembourg, la France se
sentait méconnue; le 16 mai 1877, qui n'était que l'exercice absurde d'un droit, lui apparut comme un coup d'État
et la réélection des 363 comme la condamnation du Pouvoir exécutif et du Sénat; la Chambre victorieuse, soutenue,

7
poussée par l'opinion, fait capituler le président de la République; ce n'était pas encore assez, elle lui dicte sa
démission. Neuf ans plus tard, Grévy, plus brutalement encore, reçoit l'injonction de signer la sienne.
Il ne s'agit pas ici de juger ni Mac-Mahon qui n'a pas compris son temps, ni Grévy qui n'a pas compris son devoir; ce
qu'il faut retenir, c'est l'énormité de ce fait : en dix ans, la Chambre des députés a chassé les deux premiers chefs
irresponsables du pouvoir exécutif.
Le Sénat siège encore au Luxembourg; la Chambre le tolère à condition qu'il soit modeste. On l'a ébranlé en
discutant sa composition et son origine. C'est le Sénat que la révision voulue par la Chambre a atteint quand elle lui
a enlevé le droit de nommer des sénateurs à vie;
[c'est l'autorité du Sénat qui a été discutée, le jour où après avoir dénoncé et condamné l'improportionnalité des
collèges électoraux qui nomment les sénateurs, on a atténué l'inégalité sans la supprimer].
Le Sénat est sorti tout meurtri de la lutte engagée par Mac-Mahon au 16 mai 1877; la dissolution a consacré ceux
qu'elle croyait réduire. Devant le Sénat vaincu se sont dressés les représentants du suffrage universel, triomphants et
irrités; ce droit de dissolution, qui peut être, qui est ailleurs, un instrument de liberté et de paix, a été aux yeux du
pays une arme contre sa volonté; c'est une arme désormais brisée dans la main des pouvoirs que la Chambre brave
impunément.
[Le texte qui consacre le droit de dissolution n'est plus qu'un épouvantail; les pouvoirs qui en sont investis n'oseraient
pas s'en servir et la Chambre révèle et fortifie sa puissance en les bravant impunément.]
[Tels sont les faits : les hommes et des circonstances fortuites les ont produits. Le 16 Mai a été une tentative téméraire
et néfaste, Grévy a toléré des scandales qu'il devait réprimer1; le pouvoir exécutif ne s'est servi de sa force que pour
violenter l'opinion publique ou défendre des intérêts privés. Le Sénat après s'être associé à une politique imprudente,
n'a d'ordinaire montré que de la prudence; il semble avoir épuisé son énergie dans la lutte qu'il a vaillamment
soutenue contre le boulangisme et depuis il n'a guère trouvé qu'une seule occasion d'affirmer ses droits].

Que vaut la Constitution elle-même

Mais le mal vient aussi des institutions. La France a eu cette mauvaise fortune que le seul Président qui, sous le
régime de la Constitution, ait affirmé son autorité, est le premier en date qui n'était pas l'élu des Chambres auxquelles
il adressait ses messages et que libre vis-à-vis des députés qu'il dépossédait de leurs sièges, il a exercé ses droits contre
le sentiment national. Cette lamentable aventure a laissé une empreinte profonde. Il y a deux périodes dans l'histoire
de la IIIe République : l'une qui dure quatre mois est contre la Chambre des députés la coalition des ministres et du
Président, l'autre qui dure depuis 30 ans est la revanche de la Chambre contre [le pouvoir exécutif] le Gouvernement.
Il serait temps de rétablir l'harmonie entre les pouvoirs publics.
Nous avons vu dans quelles circonstances la Constitution a été faite et comment les événements et les hommes ont
depuis contribué à la fausser. Que vaut-elle en elle-même ?

Mode d'élection du président

Dans un projet de loi, présenté le 19 mai 1873 par Thiers et Dufaure sur l'organisation des pouvoirs publics, on
lisait ces lignes : « Le président de la République ne peut être le délégué d'une seule Assemblée; ni même de deux
Assemblées réunies. Il descendrait ainsi au rang d'une autorité subordonnée ».
C'est ce que beaucoup souhaitaient; c'est ce qui fut fait.
L'Assemblée de Versailles était très jalouse de sa toute-puissance; elle ne négligeait aucune occasion d'affirmer qu'elle
était une assemblée souveraine; son testament fut en faveur des deux Chambres qu'elle instituait ; elle leur délégua
le droit de choisir le dépositaire du pouvoir exécutif.
Il serait injuste de l'accuser de plagiat ; aucune République dans aucun temps n'a eu recours à un pareil système.
Toute nouveauté n'est pas à condamner; que vaut l'innovation ? Elle accroît démesurément la prépondérance de la
Chambre des députés qui, dans le congrès, dispose de près des deux tiers des suffrages et dont le candidat, même s'il
y compte plus d'une centaine d'opposants, peut se passer de toutes les voix sénatoriales ; elle encourage toutes les
ambitions parlementaires et les pratiques qui concilient la faveur, non pas celle qui se conquiert au grand jour et à
la face du pays, mais celle qui s'obtient dans la pénombre et de gens solidaires et discrets. L'avenir peut justifier ces
craintes et la composition de plus en plus médiocre des assemblées les autorisent.
Quelle autorité peut avoir aux yeux du pays un président que le pays ignore ? Car si pendant deux ou trois jours le
monde parlementaire se démène fiévreusement, ce ne sont que des démarches individuelles ou des menées de
groupes; tout se passe dans la coulisse et hors des regards profanes.
La France qui n'a pas le temps de pénétrer les mystères parlementaires attend et se tait. Oui, la transmission du
pouvoir présidentiel se fait avec calme, mais ce calme-là n'est pas le sang-froid d'une nation habituée à la pratique de
la liberté, c'est le silence de la soumission, c'est l'inertie de l'indifférence. Des considérations de personnes, des raisons
de circonstances déterminent un choix; l'état d'esprit d'un groupe parlementaire a plus d'influence sur le Congrès
que le sentiment de toute la France. Au risque de provoquer pendant sept ou huit jours une certaine effervescence
de l'opinion, une discussion passionnée des principes et des hommes qui les représentent, il vaudrait mieux pour
l'apprentissage de la démocratie que l'élection du Chef de l'État fût autre chose qu'une surprise faite à la France par
le pouvoir législatif; il vaudrait mieux pour l'autorité du Gouvernement et des Chambres que l'exécutif ne fût pas

8
une émanation des Assemblées qui le contrôlent et que le principe essentiel de la séparation des pouvoirs ne fût pas
vicié à la source même des pouvoirs.

Rééligible et irresponsable

Cet enfant des Chambres, on l'a comblé en le proclamant rééligible et irresponsable. Ces deux termes que n'associent
ni la logique ni la science morale, la Constitution les a réunis pour les offrir au chef de l'État. Rééligible ! Ce sera la
récompense de la soumission. Irresponsable ! Ce sera la garantie de l'impuissance.
Il n'est pas sans intérêt de rechercher comment fut adopté le principe de l'irresponsabilité. Ce n'est pas que l'œuvre
de l'Assemblée nationale s'éclaire par les exposés de doctrines et les débats qui ont précédé la rédaction ou le vote
des textes. Les républicains savaient avec quelles timidités, avec quelles défaillances il leur fallait compter et il serait
injuste de reprocher leur approbation muette à ceux qui l'ont donnée. La Constitution qui nous régit est sortie de
la conspiration du silence; [Sieyès s'y serait voilé la face] c'est en vain qu'on chercherait, à l'appui des textes que le
scrutin a consacrés, une idée directrice, une vue d'ensemble, des considérations politiques ou sociales. Il y avait des
bulletins blancs et des bulletins bleus; les élus de la France les déposaient dans une urne; ceux qu'effrayait cette
révélation de leurs convictions se réfugiaient dans l'abstention. Le sort a des ironies amères et ceux-là ne furent ni
les moins utiles ni les moins responsables le jour où le principe républicain triompha à une voix de majorité.
Ce qu'il est permis de démêler dans les documents parlementaires et dans les débats des années 1874 et 1875 c'est
l'effort de toute la droite pour ne régler que les pouvoirs du Maréchal, l'effort de toute la gauche pour créer des
institutions.
Deux incidents, tout à fait étrangers à la question de l'irresponsabilité du Président, permettent de constater cette
confusion permanente entre un projet réglant pour sept ans les pouvoirs d'un homme et un projet donnant une
Constitution à la France. Quelle sera la durée des pouvoirs présidentiels ? Le général Changarnier veut assurer dix
années au Maréchal de Mac-Mahon. Celui-ci intervient par un message contenant ces lignes : « Je comprends la
pensée de ceux qui pour favoriser l'essor des grandes affaires ont proposé de fixer la prorogation à dix ans; mais après
y avoir bien réfléchi, j'ai cru que le délai de sept ans répondrait suffisamment aux exigences de l'intérêt général et
serait plus en rapport avec les forces que je puis consacrer à mon pays. »
Et voilà par quels arguments les Présidents de la République Française sont élus pour sept ans !
Le Président pourra-t-il se mettre à la tête des armées ?
Une rédaction proposée portait que « le président de la République dispose de la force armée, sans pouvoir la
commander en personne ». Le Général de Chabaud La Tour, ministre de l'Intérieur, déclare que si le Maréchal de
Mac-Mahon ne pouvait tirer son épée pour défendre son pays, il n'hésiterait pas vingt-quatre heures à déposer son
titre de président de la République, et à la troisième lecture les mots « sans pouvoir la commander en personne » ont
silencieusement disparu du texte définitif. La droite qui ne voulait que du septennat et qui ne songeait qu'au
Maréchal n'eut pas même la pensée de regarder au-delà, la gauche jugea qu'il n'y avait pas intérêt à trop parler, devant
les hésitants, de la perpétuité des institutions, et donc voilà comment un Maréchal de France fut menacé de ne
pouvoir commander une troupe et comment l'avocat Grévy et tous ses successeurs pouvaient et peuvent se mettre à
la tête des armées !
C'est le même imbroglio, [inconscient chez les uns, conscient chez les autres], qui a fait du président de la République
un élu irresponsable. Qu'on en juge. Je cite textuellement le rapport de M. de Ventavon sur les projets de lois relatifs
à l'organisation des pouvoirs publics :
Extraits du rapport de M. de Ventavon sur les projets de lois relatifs à l'organisation des pouvoirs publics (Journal
Officiel, 3 août 1874, page 5503 – annexe 2549)
Page 5504, 10e alinéa : « De même que l'irrévocabilité de la loi du 20 novembre s'oppose au rétablissement immédiat
de la monarchie, parce que le pouvoir exécutif est, par essence, une prérogative royale, de même la continuité des
fonctions du Maréchal pendant une longue suite d'années, la nécessité d'attribuer à son pouvoir, pour en assurer la
durée, l'irresponsabilité et le droit de dissolution paraissent peu compatibles avec le régime républicain tel qu'il est
défini par l'histoire et par la constitution de divers États. »
Même page, 3e colonne, 1er alinéa « La loi du 31 août 1871 déclara dans son article 1er que M. Thiers, prenant le
titre de président de la République, continuerait d'exercer “sous l'autorité” de l'Assemblée nationale, tant qu'elle
n'aurait pas terminé son travail, les fonctions qui lui avaient été déléguées par décret du 17 février 1871; l'article 3
de la même loi est ainsi conçu : “Le président de la République est responsable devant l'Assemblée”. Le Maréchal de
Mac-Mahon élu le 24 mai 1873 en remplacement de M. Thiers, adressait deux jours après, dans un message, les
paroles suivantes à l'Assemblée :
“Le magistrat chargé du Pouvoir exécutif n'est que le délégué de l'Assemblée en qui réside la seule autorité véritable,
et qui est l'expression vivante de la loi”.
Telles sont les conditions actuelles du pouvoir exécutif; le président de la République n'est qu'un simple mandataire
ou délégué. Or, suivant les règles de la logique et du droit commun, le mandataire ne peut avoir d'autre volonté que
celle du mandant ; s'il manifeste une volonté contraire, le mandat expire de plein droit. Le Président est, en outre,
responsable devant l'Assemblée soit comme chef du Pouvoir exécutif, soit comme président du Conseil des ministres;

9
l'Assemblée aurait, par conséquent, le droit d'émettre sur lui un vote de blâme, ce qui, d'après les traditions
parlementaires, l'obligerait à se retirer.
L'exécution loyale de la loi de prorogation exige que le maréchal soit placé dans d'autres conditions; l'article 2 du
projet de la commission fait peser exclusivement la responsabilité sur la tête des ministres. »
Quand vint en discussion l'article relatif à l'irresponsabilité présidentielle, la rédaction en était la suivante : « Le
Maréchal de Mac-Mahon, président de la République, n'est responsable qu'en cas de haute trahison. » La suppression
des mots « Le Maréchal de Mahon » [sic] fut proposée au nom de la Commission par M. Paris, mais cette suppression
alarma quelques membres à l'extrême droite qui firent remarquer que la loi du 20 novembre avait attribué au
Président actuel sa glorieuse qualification. M. Laboulaye intervint alors pour expliquer que l'article avait été rédigé à
une époque où la commission ne s'occupait que des pouvoirs du Maréchal, mais que cette disposition devant être
générale pour le Président actuel et pour les Présidents futurs, les mots « Le Maréchal de Mac-Mahon » devaient
nécessairement disparaître.
Et voilà comment le Maréchal ne pouvant être proclamé responsable sans qu'on risquât d'abréger son septennat, ses
successeurs n'ont pu être responsables ; voilà comment l'irresponsabilité présidentielle a été pour la 1re fois dans
l'histoire de tous les pays, consacrée par une Constitution républicaine.
« La responsabilité du ministre et l'inviolabilité du Chef de l'État sont des conditions monarchiques et nullement
républicaines. L'idée de ménager, au nom même de la loi, celui qui commande plus que celui qui obéit, cette idée
extraordinaire n'a pu venir que dans un pays où l'on a su faire du trône héréditaire et de son éclat perpétuel un
moyen d'ordre et de liberté; mais dans un pays où la suprématie est temporaire et de création, où elle ne tient rien
d'elle-même, il n'y a point de raison pour sortir des règles communes et pour transférer la responsabilité du chef sur
la personne du subalterne ».
Ainsi raisonnait et concluait Necker; on ne peut dire comment ont raisonné les auteurs de la Constitution; ils ont
conclu en sens contraire. Grévy ne l'avait pas prévu quand en octobre 1848 il avait déposé l'amendement célèbre qui
repoussait l'élection populaire mais consacrait la responsabilité du citoyen délégué par l'Assemblé Nationale pour
exercer le pouvoir exécutif.
Le roi Louis-Philippe était un prince éclairé et il devait être animé d'un ardent désir de consolider le Gouvernement
dont il était le fondateur; il ne put se plier au rôle exigé, il avait sa politique qu'il croyait la meilleure, il voulut la
faire prévaloir, il succomba.
En pouvait-il être autrement ? Peut-on raisonnablement attendre qu'un chef de Gouvernement abandonne
inconsciemment une politique qu'il croit bonne, pour en suivre une toute contraire ?
Quelle idée se fait-on du caractère, de la dignité, de la conscience de l'homme que l'on place à la tête de l'État ?
[(J. Grévy, Le Gouvernement nécessaire 1873 p. 41)]
Dès 1870, au Corps Législatif Gambetta avait fait entendre ces fortes et redoutables paroles : « Je dis que le premier
magistrat doit être responsable. Vous me direz : comment organiser cette responsabilité ? Je réponds : je l'ignore,
mais si vous ne l'organisez pas, il y a quelqu'un qui, à des moments terribles, se charge, sans organisation préalable
de l'appliquer. Ce quelqu'un c'est la Révolution ».
Challemel Lacour ne l'avait pas entrevue non plus cette proclamation de l'irresponsabilité du 1er magistrat de la
République quand, dans la séance du 16 mars 1874, le Duc de Broglie président du Conseil ayant invoqué la
responsabilité du Chef de l'État, le grand orateur républicain s'écriait : « Ce pouvoir est donc responsable, il est
électif, il est temporaire. Qu'est à [sic] dire, Messieurs, sinon qu'il est républicain ».
Thiers et Dufaure ont énergiquement affirmé le même principe, quand ils ont écrit, dans ce même projet
d'organisation des pouvoirs publics, dont j'ai déjà parlé : « L'on ne conteste plus que le pouvoir exécutif tout entier,
ce grand ressort du Gouvernement, doive être commis à un magistrat unique, dont l'origine soit élective, la mission
temporaire, la responsabilité réelle ».
À quelle pensée, à quelle préoccupation devons-nous cette extraordinaire conception d'un chef élu, rééligible et
irresponsable ?
C'est à de Broglie que nous devons la Constitution.
Peut-être encore aux souvenirs de 1850, peut-être au désir de contenter les partisans de la monarchie
constitutionnelle [et de se rapprocher du régime de 1830], peut-être à l'animosité d'une fraction de l'assemblée contre
Thiers et au dépit d'avoir dû céder parfois devant la menace de sa démission; serait-ce qu'on n'a voulu donner au
Président qu'un pouvoir nominal et n'en faire que le grand maître des cérémonies de la République ? On aurait
pleinement réussi.

10
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 2 : La quatrième République

Table des matières

Partie 1. Les textes constitutionnels de la 4 ème République 1


Document 1 Constitution du 27 octobre 1946 (extraits) 1
Document 2 Loi constitutionnelle du 7 décembre 1954 (extraits) 3
Partie 2. Doctrine 4
Document 1 J.-F.. BUJADOUX DE, « Des rationalisations du parlementarisme en France »,
Droits, 2020/1 n° 71, pp. 173-198 (extraits) 4
Document 2 G. LE BEGUEC, « La crise du pouvoir républicain », J.P. THOMAS, B. LACHAISE &
G. LE BEGUEC, Mai 1958. Le retour du général de Gaulle, Presses Universitaire de Rennes, 2010
pp. 21-30 (extraits) 7

Notions à maîtriser :

Régime parlementaire. Régime d’assemblée. Responsabilité politique. Instabilité gouvernementale. Légicentrisme.


Parlementarisme rationnalisé.
Partie 1. Les textes constitutionnels de la 4ème République
Répondez aux questions suivantes en citant les articles des lois constitutionnelles pertinents :
- Le bicamérisme est-il égalitaire ou inégalitaire ? Expliquez pourquoi. La loi constitutionnelle de 1954 change-t-elle votre
réponse ?
- Quels sont les articles qui permettent le contrôle du Parlement sur le Gouvernement ? Quelles sont les procédures qui
permettent d’engager la responsabilité du Gouvernement ?
- Quel est le rôle du Président de la République ? Est-il libre d’exercer les pouvoirs que la Constitution lui octroie ?
- Quelle est la procédure de nomination du Président du Conseil ? Que change la loi constitutionnel de 1954 ?

Document 1 Constitution du 27 octobre 1946 (extraits)


Préambule
(…)

Des institutions de la République


Titre 1 : De la souveraineté
(…)

Titre 2 : Du parlement
Article 5. - Le Parlement se compose de l'Assemblée nationale et du Conseil de la République.
Article 6. - La durée des pouvoirs de chaque assemblée, son mode d'élection, les conditions d'éligibilité, le régime
des inéligibilités et incompatibilités sont déterminés par la loi.
Toutefois, les deux Chambres sont élues sur une base territoriale, l'Assemblée nationale au suffrage universel direct,
le Conseil de la République par les collectivités communales et départementales, au suffrage universel indirect. Le
Conseil de la République est renouvelable par moitié.
Néanmoins, l'Assemblée nationale peut élire elle-même à la représentation proportionnelle des conseillers dont le
nombre ne doit pas excéder le sixième du nombre total des membres du Conseil de la République.
Le nombre des membres du Conseil de la République ne peut être inférieur à deux cent cinquante ni supérieur à
trois cent vingt.
(…)
Article 8. - Chacune des deux Chambres est juge de l'éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection ;
elle peut seule recevoir leur démission.
Article 9. - L'Assemblée nationale se réunit de plein droit en session annuelle le second mardi de janvier.
La durée totale des interruptions de la session ne peut excéder quatre mois. Sont considérés comme interruptions
de séances les ajournements de session supérieurs à dix jours.
Le Conseil de la République siège en même temps que l'Assemblée nationale.
(…)
Article 12. - Quand l'Assemblée nationale ne siège pas, son bureau, contrôlant l'action du Cabinet, peut convoquer
le Parlement ; il doit le faire à la demande du tiers des députés ou à celle du président du Conseil des ministres.
Article 13. - L'Assemblée nationale vote seule la loi. Elle ne peut déléguer ce droit.
Article 14. - Le président du Conseil des ministres et les membres du Parlement ont l'initiative des lois.
Les projets de loi et les propositions de loi formulés par les membres de l'Assemblée nationale sont déposés sur le
bureau de celle-ci.
Les propositions de loi formulées par les membres du Conseil de la République sont déposées sur le bureau de celui-
ci et transmises sans débat au bureau de l'Assemblée nationale. Elles ne sont pas recevables lorsqu'elles auraient pour
conséquence une diminution de recettes ou une création de dépenses.
Article 15. - L'Assemblée nationale étudie les projets et propositions de loi dont elle est saisie, dans des commissions
dont elle fixe le nombre, la composition et la compétence.
Article 16. - L'Assemblée nationale est saisie du projet de budget.
Cette loi ne pourra comprendre que les dispositions strictement financières.
Une loi organique réglera le mode de présentation du budget.
Article 17. - Les députés à l'Assemblée nationale possèdent l'initiative des dépenses.
Toutefois, aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des dépenses nouvelles ne pourra
être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplémentaires.

(…)
Article 20. - Le Conseil de la République examine, pour avis, les projets et propositions de loi votés en première
lecture par l'Assemblée nationale.

1
Il donne son avis au plus tard dans les deux mois qui suivent la transmission par l'Assemblée nationale. Quand il
s'agit de la loi du budget, ce délai est abrégé, le cas échéant, de façon à ne pas excéder le temps utilisé par l'Assemblée
nationale pour son examen et son vote. Quand l'Assemblée nationale décide l'adoption d'une procédure d'urgence,
le Conseil de la République donne son avis dans le même délai que celui prévu pour les débats de l'Assemblée
nationale par le règlement de celle-ci. Les délais prévus au présent article sont suspendus pendant les interruptions
de session. Ils peuvent être prolongés par décision de l'Assemblée nationale.
Si l'avis du Conseil de la République est conforme ou s'il n'a pas été donné dans les délais prévus à l'alinéa précédent,
la loi est promulguée dans le texte voté par l'Assemblée nationale.
Si l'avis n'est pas conforme, l'Assemblée nationale examine le projet ou la proposition de loi en seconde lecture. Elle
statue définitivement et souverainement sur les seuls amendements proposés par le Conseil de la République, en les
acceptant ou en les rejetant en tout ou en partie. En cas de rejet total ou partiel de ces amendements, le vote en
seconde lecture de la loi a lieu au scrutin public, à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale,
lorsque le vote sur l'ensemble a été émis par le Conseil de la République dans les mêmes conditions.
(…)

Titre III : Du Conseil économique


(…)
Titre IV : Des traités diplomatiques
(…)
Titre V : Du Président de la République
Article 29. - Le président de la République est élu par le Parlement.
Il est élu pour sept ans. Il n'est rééligible qu'une fois.
Article 30. - Le président de la République nomme en Conseil des ministres les conseillers d'État, le grand chancelier
de la Légion d'honneur, les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires, les membres du Conseil supérieur et du
Comité de la défense nationale, les recteurs des universités, les préfets, les directeurs des administrations centrales,
les officiers généraux, les représentants du Gouvernement dans les territoires d'outre-mer.
Article 31. - Le président de la République est tenu informé des négociations internationales. Il signe et ratifie les
traités.
Le président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des puissances
étrangères ; les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui.
Article 32. - Le président de la République préside le Conseil des ministres. Il fait établir et conserve les procès-
verbaux des séances.
(…)
Article 36. - Le président de la République promulgue les lois dans les dix jours qui suivent la transmission au
Gouvernement de la loi définitivement adoptée. Ce délai est réduit à cinq jours en cas d'urgence déclarée par
l'Assemblée nationale.
Dans le délai fixé pour la promulgation, le président de la République peut, par un message motivé, demander aux
deux Chambres une nouvelle délibération, qui ne peut être refusée.
A défaut de promulgation par le président de la République dans les délais fixés par la présente Constitution, il y
sera pourvu par le président de l'Assemblée nationale.
Article 37. - Le président de la République communique avec le Parlement par des messages adressés à l'Assemblée
nationale.
Article 38. - Chacun des actes du président de la République doit être contresigné par le président du Conseil des
ministres et par un ministre.
(…)
Article 42. - Le président de la République n'est responsable que dans le cas de haute trahison.
Il peut être mis en accusation par l'Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour de justice dans les
conditions prévues à l'article 57 ci-dessous.
Article 43. - La charge de président de la République est incompatible avec toute autre fonction publique.
Article 44. - Les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la Présidence de la République.

Titre VI - Du Conseil des ministres


Article 45. - Au début de chaque législature, le président de la République, après les consultations d'usage, désigne
le président du Conseil.
Celui-ci soumet à l'Assemblée nationale le programme et la politique du Cabinet qu'il se propose de constituer.
Le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu'après que le président du Conseil ait été investi
de la confiance de l'Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure
empêchant la réunion de l'Assemblée nationale.
Il en est de même au cours de la législature, en cas de vacance par décès, démission ou toute autre cause, sauf en ce
qui est dit à l'article 52 ci-dessous.
Aucune crise ministérielle intervenant dans le délai de quinze jours de la nomination des ministres ne compte pour
l'application de l'article 51.

2
Article 46. - Le président du Conseil et les ministres choisis par lui sont nommés par décret du président de la
République.
Article 47. - Le président du Conseil des ministres assure l'exécution des lois.
Il nomme à tous les emplois civils et militaires, sauf ceux prévus par les articles 30, 46 et 84.
Le président du Conseil assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la défense nationale.
Les actes du président du Conseil des ministres prévus au présent article sont contresignés par les ministres intéressés.
Article 48. - Les ministres sont collectivement responsables devant l'Assemblée nationale de la politique générale du
Cabinet et individuellement de leurs actes personnels.
Ils ne sont pas responsables devant le Conseil de la République.
Article 49. - La question de confiance ne peut être posée qu'après délibération du Conseil des ministres ; elle ne peut
l'être que par le président du Conseil.
Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir qu'un jour franc après qu'elle a été posée devant l'Assemblée.
Il a lieu au scrutin public.
La confiance ne peut être refusée au Cabinet qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.
Ce refus entraîne la démission collective du Cabinet.
Article 50. - Le vote par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne la démission collective du Cabinet.
Ce vote ne peut intervenir qu'un jour franc après le dépôt de la motion. Il a lieu au scrutin public.
La motion de censure ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.
Article 51. - Si, au cours d'une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent dans les
conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l'Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des
ministres, après avis du président de l'Assemblée. La dissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par
décret du président de la République.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont applicables qu'à l'expiration des dix-huit premiers mois de la législature.
Article 52. - En cas de dissolution, le Cabinet, à l'exception du président du Conseil et du ministre de l'intérieur,
reste en fonction pour expédier les affaires courantes.
Le président de la République désigne le président de l'Assemblée nationale comme président du Conseil. Celui-ci
désigne le nouveau ministre de l'intérieur en accord avec le bureau de l'Assemblée nationale. Il désigne comme
ministres d'Etat des membres des groupes non représentés au Gouvernement.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins, trente jours au plus après la dissolution.
L'Assemblée nationale se réunit de plein droit le troisième jeudi qui suit son élection.
Article 53. - Les ministres ont accès aux deux Chambres et à leurs commissions. Ils doivent être entendus quand ils
le demandent.
Ils peuvent se faire assister dans les discussions devant les Chambres par des commissaires désignés par décret.
(…)

Document 2 Loi constitutionnelle du 7 décembre 1954 (extraits)


Article 5.
Les deuxième et troisième alinéas de l'article 14 de la Consitution sont abrogés et remplacés par les dispositions
suivantes :
« Les projets de loi sont déposés sur le bureau de l'Assemblée nationale ou sur le bureau du Conseil de la République.
Toutefois, les projets de loi tendant à autoriser la ratification des traités prévus à l'article 27, les projets de loi
budgétaires ou de finances et les projets comportant diminution de recettes ou création de dépenses doivent être
déposées au bureau de l'Assemblée nationale.
Les propositions de loi formulées par les membres du Parlement sont déposées sur le bureau de la Chambre dont ils
font partie, et transmises après adoption à l'autre Chambre. Les propositions de loi formulées par les membres du
Conseil de la République ne sont pas recevables lorsqu'elles auraient pour conséquence une diminution de recettes
ou une création de dépenses. »

Article 6. - L'article 20 de la Constitution est abrogé et remplacé par les dispositions suivantes :
« Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement par les deux Chambres du Parlement en vue de
parvenir à l'adoption d'un texte identique.
A moins que le projet ou la proposition n'ait été examiné par lui en première lecture, le Conseil de la République se
prononce au plus tard dans les deux mois qui suivent la transmission du texte adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale.
En ce qui concerne les textes budgétaires et la loi de finances, le délai imparti au Conseil de la République ne doit
pas excéder le temps précédemment utilisé par l'Assemblée nationale pour leur examen et leur vote. En cas de
procédure d'urgence déclarée par l'Assemblée nationale, le délai est le double de celui prévu pour les débats de
l'Assemblée nationale par le règlement de celle-ci.
Si le Conseil de la République ne s'est pas prononcé dans les délais prévus au précédents alinéas, la loi est en état
d'être promulguée dans le texte voté par l'Assemblée nationale.

3
Si l'accord n'est pas intervenu, l'examen se poursuit devant chacune des deux Chambres. Après deux lectures par le
Conseil de la République, chaque Chambre dispose, à cet effet, du délai utilisé par l'autre Chambre lors de la lecture
précédente, sans que ce délai puisse être inférieur à sept jours ou à un jour pour les textes visés au troisième alinéa.
A défaut d'accord dans un délai de cent jours à compter de la transmission du texte au Conseil de la République
pour deuxième lecture, ramené à un mois pour les textes budgétaires et la loi de finances et à quinze jours en cas de
procédure applicable aux affaires urgentes, l'Assemblée nationale peut statuer définitivement en reprenant le dernier
texte voté par elle ou en le modifiant par l'adoption d'un ou plusieurs amendements proposés à ce texte par le Conseil
de la République.
Si l'Assemblée nationale dépasse ou prolonge les délais d'examen dont elle dispose, le délai prévu pour l'accord des
deux Chambres est augmenté d'autant.
Les délais au présent article sont suspendus pendant les interruptions de session. Ils peuvent être prolongés par
décision de l'Assemblée nationale. »
Article 8. - Les deuxième et troisième alinéas de l'article 45 de la Constitution sont abrogés et remplacés par les
dispositions suivantes :
« Celui-ci choisit les membres de son Cabinet et en fait connaître la liste à l'Assemblée nationale devant laquelle il
se présente afin d'obtenir sa confiance sur le programme et la politique qu'il compte poursuivre, sauf en cas de force
majeure empêchant la réunion de l'Assemblée nationale.
Le vote a lieu au scrutin secret et à la majorité simple.
Il en est de même au cours de la législature, en cas de vacance de la présidence du Conseil, sauf ce qui est dit à
l'article 52. »
Article 9. - Les deuxième et troisième alinéas de l'article 49 de la Constitution sont abrogés et remplacés par les
dispositions suivantes : «
Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir que vingt-quatre heures après qu'elle a été posée devant
l'Assemblée. Il a lieu au scrutin public.
La confiance est refusée au Cabinet à la majorité absolue des députés à l'Assemblée. »

Partie 2. Doctrine
Document 1 J.-F.. BUJADOUX DE, « Des rationalisations du parlementarisme en
France », Droits, 2020/1 n° 71, pp. 173-198 (extraits)
Répondez aux questions suivantes en vous appuyant sur le texte :
- Donnez une définition synthétique de « parlementarisme rationalisé ».
- A partir des exemples donnés dans le texte, retrouver les articles de la Constitution de 1946 qui témoignent de la
rationalisation du parlementarisme.
- Pourquoi la « rationalisation camérale » a échoué ?
- En quoi le Président de la République a été un facteur de stabilité du régime ?

« Conçu[e] comme une tentative de créer, par des procédures contraignantes, les conditions de l’efficacité et de la
stabilité gouvernementales telles que l’histoire les a fait naître en Grande-Bretagne », reposant sur « la croyance en la
vertu des dispositions formelles en vue d’assurer le bon fonctionnement des institutions politiques » 1, la
rationalisation du parlementarisme2, concept dégagé par Boris Mirkine-Guetzévitch en 1928, s’est imposé comme
un des principaux concepts de la théorie contemporaine du régime parlementaire.
Pour le définir, la doctrine se réfère traditionnellement, à la fois, à la méthode utilisée et à la finalité donnée à la
démarche de rationalisation mise en œuvre. Au point de vue de la méthode utilisée, la rationalisation du parle-
mentarisme correspond à la traduction « par des règles juridiques écrites et des mécanismes formels, [d]es modes de
fonctionnement du système parlementaire, [pour] les aménager dans une perspective rationnelle3 ». Elle renvoie à
une entreprise de codification des relations entre l’exécutif et les assemblées, à la « réglementation juridique des
rapports politiques4 », à une « manière de jeu de société5 ». Pour autant, en elle-même, cette codification est « une
formule essentiellement neutre6 ». Pour en apprécier les pleins effets, il convient d’identifier la « démarche finalisée7»
au service de laquelle est mise la codification retenue. Ainsi, depuis un siècle, selon les époques et les régimes en
cause, la rationalisation du parlementarisme a pu « viser aussi bien à consolider la position constitutionnelle des
assemblées qu’à tempérer leur moyen d’action sur le gouvernement8 », à consacrer « la suprématie du Parlement9 »
qu’à donner « la priorité au renforcement de l’exécutif10 ».
(…)
il est possible d’établir une classification des différentes formes de rationalisations imaginées, puis mises en œuvre
dans le parlementarisme français depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Cette classification repose sur une
approche à la fois organique et finaliste, afin de distinguer :

4
– Une forme de rationalisation du parlementarisme dans laquelle l’application des dispositifs imaginés est très
largement placée entre les mains des organes du pouvoir délibérant et qui a pour finalité d’assurer la suprématie des
assemblées. On pourrait la qualifier de rationalisation camérale du parlementarisme.
– Une forme de rationalisation du parlementarisme dans laquelle l’application des dispositifs en cause est placée
entre les mains du gouvernement et a pour finalité d’assurer l’équilibre des pouvoirs. On pourrait la qualifier de
rationalisation gouvernementale du parlementarisme.
– Une forme de rationalisation du parlementarisme, qui constitue, pour partie, une spécificité française, en ce qu’elle
entend confier à un organe extérieur au gouvernement et aux assemblées le soin de réguler les conflits, de tenir la
balance égale, entre eux. Cet objectif fait écho à la crainte, récurrente depuis la Révolution française, d’une
suprématie trop affirmée des assemblées dans les institutions. On pourrait la qualifier de rationalisation arbitrale du
parlementarisme.
(…)
Les rationalisations camérale et arbitrale de la IVe République
Élaborée principalement par les socialistes, la Constitution du 27 octobre 1946 était largement empreinte d’une
rationalisation camérale du parlementa- risme. Néanmoins, une part résiduelle était laissée à une rationalisation arbi-
trale pouvant être exercée par le président de la République.

Des limites et des effets positifs de la rationalisation camérale de 1946.


Du point de vue de la rationalisation camérale du parlementarisme, le texte de 1946 déclinait, en effet, les principaux
agencements du corpus élaboré depuis les années 1880 : élection du chef du gouvernement par les députés eux-
mêmes, codification de la mise en jeu de la question de confiance, exigence d’un vote solennel entouré de formalités
particulières pour renverser le gouvernement, dissolution conditionnée à la survenance de plusieurs crises
ministérielles, rationalisation des travaux des assemblées sous l’égide des organes parlementaires.
Malgré les espoirs de ses principaux promoteurs et de quelques résultats positifs obtenus, la rationalisation camérale
de 1946 n’est pas véritablement parvenue à structurer efficacement le fonctionnement du régime de la IVe
République et à remédier à l’instabilité ministérielle inhérente au parlementarisme français depuis ses origines.
C’était le résultat, d’abord, des failles propres au dispositif conçu en 1946 lui-même : la seule investiture personnelle
du chef du gouvernement à la majorité absolue des députés11 ; les rigidités des mécanismes relatifs à la responsabilité
gouvernementale qui ne prévoyaient pas de coupler « le maintien ou la chute du gouvernement avec l’acceptation
du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité », permettant ainsi « à l’Assemblée de priver le gouvernement des
moyens de gouverner sans prendre pour autant la responsabilité de sa chute »12 ; la mise en œuvre du droit de
dissolution laissée en pratique à la discrétion des députés eux-mêmes grâce au recours à la technique des votes
calibrés. La rationalisation camérale de 1946 a, ainsi, échoué à façonner durablement en majorité de gouvernement,
une majorité issue du scrutin d’investiture du président du Conseil et directement soumise aux aléas de la
délibération parlementaire, « fait[e] et défait[e] par la combinaison des décisions individuelles des députés13 ».
Toutefois, plusieurs mécanismes de l’ingénierie constitutionnelle de 1946 contribuèrent efficacement à renforcer les
prérogatives gouvernementales. Ainsi, en instituant un lien direct entre l’Assemblée et le président du Conseil,
l’investiture personnelle de ce dernier lui conférait le droit de « modifier à tout moment la composition du
gouvernement14 », notamment en cas de crise interne à l’équipe ministériel, sans être contraint de présenter la
démission du gouvernement pour en former un nouveau15. Les présidents du Conseil de la IVe République surent,
également, faire bon usage de la codification de la question de confiance pour exercer un véritable leading
gouvernemental sur les travaux parlementaires 16. Enfin, en matière d’irrecevabilités financières, les dispositions de
l’article 17 de la Constitution de 1946 6 furent progressivement complétées par la « loi des maxima » le 31 décembre
1948, le décret du 19 juin 1956 déterminant la présentation du budget de l’État et la loi du 13 décembre 1957
tendant au rétablissement de l’équilibre économique et financier, pour mettre en place un dispositif préfigurant le
fameux article 40 de la Constitution de 1958.
Au-delà de la défectuosité de certains des mécanismes imaginés en 1946, la tentative de rationalisation du
parlementarisme de la IVe République a surtout été entravée par l’effet d’autres facteurs aussi structurants pour le
bon fonctionnement d’un régime politique. Le système des partis de la IVe République, héritier de facteurs
historiques, idéologiques, politiques et sociologiques qui avaient empêché depuis les origines de la République
parlementaire la structuration du jeu politique autour de deux grands partis, ne fut rien moins que stable et pérenne.
La loi électorale et le scrutin proportionnel ont égale- ment joué un rôle majeur dans mauvais fonctionnement du
régime parlementaire de la IVe République.

Des apports inattendus de la rationalisation arbitrale de 1946.


Dans le cadre des pouvoirs résiduels laissés au président de la République par les constituants, la rationalisation
arbitrale était inscrite dans le texte de 1946 dans plusieurs dispositions et attributions du chef de l’État : les modalités
de l’intervention du président de la République dans la désignation du président du Conseil ; la possibilité de
demander une nouvelle délibération d’un texte de loi ; la co-saisine avec le Sénat du Comité constitutionnel en
charge d’examiner si les lois votées par l’Assemblée nationale, dont il était saisi, supposaient, avant leur
promulgation, une révision de la Constitution.

5
À différentes reprises durant son septennat, le président Vincent Auriol devait utiliser ces prérogatives pour mettre
en place une véritable rationalisation du parlementarisme. En particulier, il refusa plusieurs fois la démission de
gouvernements qui n’avaient pas été renversés selon les modalités constitutionnelles, prolongeant ainsi de plusieurs
mois l’existence des ministères Queuille en juillet 1949 et Pleven en novembre 1950. Pour rationaliser les rapports
entre les deux assemblées, Vincent Auriol utilisa, également, à plusieurs reprises son droit de demander une nouvelle
délibération de la loi adoptée par l’Assemblée nationale : ainsi en juin 1948 sur une loi portant garantie de l’État
pour la Caisse des marchés et en juillet 1949 sur un texte relatif aux conditions de la levée de l’immunité
parlementaire. Le président Auriol employa aussi, une fois, en ce sens son droit de saisine du Comité constitutionnel
en juin 1948.
La doctrine contemporaine ne manqua d’ailleurs pas de relever ce renforcement de la fonction présidentielle dans
le jeu du régime parlementaire. Pour Maurice Duverger, en 1950, la notion d’arbitre a enfin trouvé un sens concret
grâce à l’action du président Auriol : « bien plus, il anime la lettre du texte par une certaine philosophie de la fonction
présidentielle qui veut attribuer leur plein sens à ces mots d’arbitre, de modérateur, de régulateur qu’on employait
avant lui pour définir le rôle du chef de l’État sans trop y croire17 ». En 1953, « Roland Drago, commentant dans un
article à la RDP le rôle du président de la République, voit dans ce dernier le seul facteur d’équilibre de la
Constitution de 1946, au point d’identifier dans la pratique de cette dernière l’émergence d’un nouveau type de
parlementarisme dualiste18 ». Pour Roland Drago, «l’article 3219 a été, malgré son apparence anodine, un des moyens
grâce auquel le régime a trouvé son équilibre. En effet, on ne pourra nier que le président de la République ait été,
depuis 1946, le principal, sinon le seul facteur de cet équilibre. Mais en même temps, le régime s’est détaché très vite
de la forme conventionnelle dont on trouvait de nombreuses traces dans la Constitution de 1946, de même que du
parlementarisme moniste qui caractérisait, depuis 1879, les institutions de la IIIe République. Contre toute attente,
et aussi paradoxale que soit l’évolution, le régime s’est orienté vers une forme de parlementarisme dualiste, différente
certes de celle de 1830, mais de même nature et se caractérisant, comme le montre en particulier l’usage de l’article
32, par l’attribution d’un rôle effectif au chef de l’État 20 ».
En outre, malgré les déficiences de l’ingénierie constitutionnelle de 1946, c’est encore, en définitive, vers les
ressources des techniques rationalisatrices que se tour- nèrent les ultimes révisionnistes de la IVe République à travers
le projet Gaillard pré- senté et discuté à l’Assemblée nationale au début de 1958. Ainsi, les dispositions relatives aux
irrecevabilités financières, aux modalités de l’adoption ou du rejet de la question de confiance et de la motion de
censure, ainsi qu’à la dissolution de l’Assemblée, contenues dans ce projet de révision, inspireront très largement les
dispositions du Titre V de la Constitution du 4 octobre 1958.

Notes de bas de page


1. Ph. Lauvaux, Le parlementarisme, 2e éd., Puf, coll. « Que sais-je », 1997, p. 81.
2. C’est le terme initialement utilisé par Boris Mirkine-Guetzévitch en 1928 : voir Les Constitutions de l’Europe nouvelle, Delagrave, p. 21. Le terme
de parlementarisme rationalisé apparaît sous sa plume en 1930 dans « Les nouvelles tendances du droit constitutionnel, Le renforcement de
l’exécutif et le régime parlementaire », RDP, 1930, p. 520. Les deux termes sont équivalents dans le sens que leur donne leur auteur.
3. Ph. Lauvaux, Le parlementarisme, op. cit., p. 80.
4. P. Avril, « Le parlementarisme rationalisé », RDP, 1998, p. 1508.
5. J. Gicquel, « Parlementarisme rationalisé » in Dictionnaire constitutionnel, O. Duhamel et Y. Mény (dir.), Puf, 1992, p. 696.
6. A. Le Divellec, « Vers la fin du “parlementarisme négatif” à la française ? Une problématique introductive à l’étude de la réforme institutionnelle
de 2008-2009 », in Le Parlement français et le nouveau droit parlementaire, Jus Politicum, Revue de droit politique, Hors-série, Dalloz, 2012, p. 27.
7. J. Gicquel, « Parlementarisme rationalisé » in Dictionnaire constitutionnel, op. cit., p. 696.
8. A. Le Divellec, « Vers la fin du “parlementarisme négatif” à la française ? ... », art. cité, p. 27.
9. P. Ardant et B. Mathieu, Droit constitutionnel et institutions politiques, 30e éd., LGDJ, 2018, p. 238.
10. Ibid., p. 238.
11. «Comment un homme politique aurait-il pu se présenter tout seul devant une Assemblée, composée au surplus de nombreux groupes, en se
bornant à exposer un programme abs- trait et en cachant le nom des hommes à qui il ferait appel pour l’appliquer ? », G. Vedel, « Les institutions
de la Quatrième République » in La Quatrième République : bilan, trente ans après la promulgation de la Constitution du 27 octobre 1946, LGDJ, 1978,
p. 19.
12. Ibid., p. 20.
13. E. Duhamel, Histoire politique de la IVe République, op. cit., p 54.
14. P. Williams, La vie politique sous la IVe République, Armand Colin, 1971, p. 378. 4. Paul Ramadier en usa en mai 1947 au moment de l’éviction
des ministres commu-
nistes, Georges Bidault en février 1950 face à une défection des ministres socialistes ou Pierre Mendès France à plusieurs reprises en 1954 dans
le cadre de la crise de la CED.
15. Ainsi,JérômeSolal-Céligny,chefdecabinetduSecrétariatGénéralduGouvernement, relevait-il, en 1956, que l’usage de la question de confiance
donnait au président du Conseil une véritable « faculté d’initiative » dans les délibérations de l’Assemblée : « La grande supério- rité de ce procédé
sur les autres moyens d’action du Gouvernement dans la procédure parle- mentaire, c’est qu’en posant la question de confiance, le Président du
Conseil a la possibilité de choisir en toute liberté le moment et l’objet du vote qu’il veut faire émettre par l’Assemblée, au lieu de laisser l’ordre
et l’objet des votes résulter du hasard, ou de la position prise par la Commission, ou encore des manœuvres de tel ou tel groupe d’opposition ».
Le gouvernement prit l’habitude de recourir à la question de confiance pour remédier « aux inconvénients de la procédure ordinaire » qui auraient
ralenti l’examen de la disposition en cause : J. Solal-Céligny, « Étude de la pratique de la question de confiance au cours des deux premières
législatures de la IVe République », RDP, 1956, p. 303, p. 313, p. 312.
16. « Les députés possèdent l’initiative des dépenses. Toutefois, aucune proposition tendant à augmenter les dépenses prévues ou à créer des
dépenses nouvelles ne pourra être présentée lors de la discussion du budget, des crédits prévisionnels et supplé- mentaires ».
17. M. Duverger, Les constitutions de la France, coll. « Que-sais-je ? », Puf, 1950, p. 118-119. B. Fargeaud, La doctrine constitutionnelle de la IVe
République. Naissance d’une nouvelle génération de constitutionnalistes, Dalloz, 2020, p. 179.
18. Ibid.
19. Article 32 : « Le président de la République préside le Conseil des ministres. Il fait établir et conserve les procès-verbaux des séances ».

6
20. R. Drago, « L’article 32 de la Constitution du 27 octobre 1946 », RDP, 1953, p. 169, cité par B. Fargeau, La doctrine constitutionnelle de la IVe
République, op. cit., p. 239.

Document 2 G. LE BEGUEC, « La crise du pouvoir républicain », J.P. THOMAS,


B. LACHAISE & G. LE BEGUEC, Mai 1958. Le retour du général de Gaulles, Presses
Universitaire de Rennes, 2010 pp. 21-30 (extraits)
Répondez aux questions suivantes en vous appuyant sur le texte :
- Qu’est-ce que la « culture de gouvernement » ? En quoi les démissions, évoquées par l’auteur, nuisent à cette
culture ?
- Qu’est-ce que le « poujadisme » ?
- En quoi la différence entre majorité et opposition est indispensable au régime parlementaire ? Quels sont les
effets de sa disparition ?
- Faites un schéma de l’ensemble des partis évoqués (de la gauche à la droite), en identifiant les partis de
rassemblement et précisez lesquels constituent la « Troisième force ».

7. Les élites dirigeantes de la IVe République arrivée au terme de sa course ont probablement eu une conscience assez
claire de la gravité d’une crise multiforme, une conscience plus nette en tout cas qu’on ne le croit communément.
À notre avis, le problème n’est donc pas tant un problème de perception et de diagnostic qu’une question de
difficulté (faut-il dire d’incapacité ?) à tirer les leçons concrètes de l’usure manifeste du système, et en particulier à
procéder à une adaptation des comportements quotidiens à la hauteur des enjeux. On a même plutôt l’impression
que la dégradation de la situation générale a eu dans ce domaine un effet « boule de neige », entendons par là qu’elle
a provoqué un dérèglement des dits comportements. L’un des symptômes les plus voyants du phénomène a été la
poussée de « démissionnite » qui a progressivement sapé les bases de ce qui restait de culture de gouvernement. Cette
maladie – ou si l’on préfère cette manie dégénérant peu à peu en maladie chronique – était certes une maladie quasi
congénitale du régime né en 1946. Mais les choses ont revêtu un aspect beaucoup plus inquiétant à compter du
milieu de l’année 1954 et du trouble provoqué au sein du monde politique par l’affaire de la Communauté
européenne de défense3. La démission fracassante de Pierre Mendès France de ses fonctions de ministre d’État en
1956, soit quelques mois seulement après la mise en place d’un gouvernement bâti autour de l’axe constitué par le
leader socialiste et le leader radical peut à bon droit être considéré ici comme l’épisode revêtant la plus grande portée
symbolique, avant bien sûr les démissions qui ont signé, de facto, l’arrêt de mort du cabinet dirigé par Pierre Pflimlin.
On aurait tort d’oublier toutefois la cascade de démissions qui ont perturbé, en 1955, la vie du second cabinet dirigé
par Edgar Faure : celle des ministres républicains sociaux (ex-RPF) à propos, en théorie tout au moins, des affaires
marocaines et celle de la majorité des ministres radicaux, dont Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de l’Intérieur,
pour cause de désaccord avec la décision prise par le président du Conseil de dissoudre l’Assemblée nationale élue
en 1951. Dans une perspective de science politique pure, il vaudrait la peine d’affiner l’analyse et d’esquisser une
espèce de typologie de ces ruptures : démissions effectives (celles, par exemple, au temps du gouvernement Guy
Mollet de 1956-1957 du général Catroux, de Pierre Mendès France et d’Alain Savary, même si ces trois départs
obéissent à des logiques différentes), démissions brandies comme des menaces, démissions reprises après un délai de
réflexion, etc. Dans le cadre d’analyse et de réflexion qui a été choisi ici, deux points apparaissent particulièrement
importants :
• une habitude a été ainsi créée peu à peu, et les effets s’en feront sentir au cours des semaines dramatiques
de la seconde moitié du mois de mai 1958, y compris au moment de la décision de jeter l’éponge, prise par
Pierre Pflimlin lui-même au terme du parcours4 ;
• force est de constater que, tout en prenant acte du caractère de sincérité, d’honorabilité et de légitimité
morale et/ou politique de plusieurs de ces actes de rupture, il est non moins légitime de considérer que
cette « démissionnite » a pu donner le sentiment d’une fuite devant les responsabilités 5.
8. Parallèlement, une partie du monde politique a pris l’habitude de se défausser de ses responsabilités en s’en
prenant à l’un des siens, tel ou tel, particulièrement exposé. Il y aurait ainsi beaucoup à dire sur la façon dont les
socialistes ont laissé Robert Lacoste, ministre-résident en Algérie, assurer le gros de la charge d’une politique de
répression qu’ils ne voulaient ni franchement approuver ni condamner purement et simplement. Mais l’exemple le
plus caractéristique est celui de la campagne déclenchée au sein du groupe socialiste pour réclamer la démission du
ministre de l’Intérieur, Maurice Bourgès-Maunoury, au lendemain de la manifestation des policiers du 13 mars 1958
à Paris. Avec le recul de l’histoire, on voit bien en effet :
• que cette campagne a contribué à ébranler le gouvernement déjà très affaibli de Félix Gaillard, alors
qu’aucune solution de rechange crédible ne se profilait à l’horizon ;
• que les attaques lancées contre Maurice Bourgès-Maunoury visaient de fait l’un des responsables
gouvernementaux qui avait le mieux pris la mesure du malaise régnant au sein de ce secteur des forces de
l’ordre ;
• que, paradoxalement, le même Maurice Bourgès-Maunoury avait été depuis plus de deux ans, en qualité de
ministre de la défense nationale et en qualité de président du Conseil, l’un des plus sûrs alliés du parti
socialiste SFIO et qu’il avait toujours manifesté sa solidarité avec Robert Lacoste 6.

7
Aux sources de la paralysie progressive d’un système

9. En reprenant librement la métaphore des sept piliers d’un processus qui a débouché sur la paralysie effective du
système, on retiendra sept principaux facteurs de blocage et/ou de perturbation. Il est nécessaire de préciser – même
si la chose va largement de soi – que les éléments d’explication ainsi isolés par une opération de l’esprit constituent
un ensemble et que, à bien des égards, la différence réside tout autant dans l’angle de vue choisi que dans la réalité
même des phénomènes observés.

Le discrédit frappant le « système » et la classe politique


10. L’ombre de l’antiparlementarisme obsédant des années trente et des manifestations des 5 et 6 février 1934 a
plané sur la France politique des dernières années de la IV e République. Le déferlement de la vague poujadiste et la
violence des attaques lancées sur le thème « Sortez les sortants ! » lors de la campagne électorale improvisée de la fin
de l’année 1955 a ainsi fortement contribué à accréditer l’idée d’une répétition de l’histoire. L’idée semble avoir été
en particulier répandue dans les milieux de la presse et au sein de la classe politique elle-même.
11. En réalité, le discrédit, au demeurant bien réel, frappant cette classe politique était très différent du rejet global,
à forte connotation idéologique, des années de la seconde avant-guerre. L’antiparlementarisme, dans sa version
classique tout au moins, n’a pas vraiment retrouvé les relais dont il avait naguère disposé au sein des élites sociales,
des milieux intellectuels et de la grande presse populaire. Surtout, et en dehors de quelques secteurs très minoritaires
de l’opinion, la conjonction, caractéristique des années trente, entre la critique des parlementaires et de leurs
comportements, d’une part, et le procès de la démocratie considérée en elle-même, d’autre part, ne s’est pas produite,
sinon de manière superficielle. De ce point de vue, il serait d’ailleurs tout à fait utile de réfléchir sur la signification
du recours au terme globalisant de « système » pour désigner la cible privilégiée.
12À titre de conclusion, on dira que la qualification précise de ces phénomènes d’opinion ne revêt sans doute pas
une importance majeure dans le cadre des interrogations qui sont ici les nôtres. Si ces interrogations visent d’abord
à mieux comprendre les réactions ou les absences de réaction des hommes du système lors des événements de mai
1958, le point qui compte au premier chef est que ces hommes avaient fortement intégré l’idée d’une dégradation
dramatique de leur propre image et que ce constat pessimiste les a placés en position de vulnérabilité lorsque le
« choc » plus ou moins attendu s’est effectivement produit.

Le grippage de la mécanique institutionnelle


13Les troubles de toute sorte affectant le fonctionnement même des institutions politiques constituent sans doute
l’aspect le mieux connu de l’usure du système, et c’est celui qui a retenu le plus souvent l’attention, celle des acteurs,
celle des témoins et celle des analystes, des juristes tout particulièrement. Il est donc hors de question de traiter ici,
même de façon succincte, d’un sujet sur lequel il existe une littérature remarquable en quantité comme en qualité,
On se contentera donc de rappeler que les deux grandes crises ministérielles de l’automne 1957 (après la chute du
gouvernement Maurice Bourgès-Maunoury) et du début du printemps 1958 (après la chute du gouvernement dirigé
par Félix Gaillard) ont donné l’impression d’une accélération brutale du processus de dégradation des dites
institutions, un peu comme si un point de non-retour était en train d’être franchi.

La dénaturation du régime parlementaire


14. De ce strict point de vue du fonctionnement des institutions, la troisième législature avait semblé débuter sous
des bons auspices, puisque le gouvernement constitué par Guy Mollet au lendemain des élections du 2 janvier 1956
avait bénéficié d’une durée de vie assez exceptionnelle. Mais cette période a été aussi celle de l’effacement de toute
frontière lisible entre la majorité et l’opposition, autrement dit d’une dénaturation du régime parlementaire et, par
voie de conséquence, d’une perte progressive du sens des responsabilités. De janvier 1956 à septembre 1957, les
gouvernements Guy Mollet et Maurice Bourgès-Maunoury ont dû prendre appui sur une majorité à géométrie
variable dont le noyau dur était constitué par le parti socialiste SFIO et le parti radical valoisien. À compter de la
démission de Pierre Mendès France de ses fonctions de ministre d’État le 23 mai 1956, une bonne dizaine d’élus
valoisiens, solidaires des prises de position du premier vice-président du parti, glissent toutefois rapidement vers une
attitude d’opposition, tandis que le MRP continue de soutenir de ses votes une équipe gouvernementale au sein de
laquelle il n’est pas partie prenante. En apparence, la longue crise ministérielle de l’automne 1957 débouche sur une
certaine clarification : le gouvernement laborieusement formé par Félix Gaillard s’adosse en effet à une majorité
élargie, plus conforme à la simple arithmétique parlementaire, allant des socialistes aux indépendants-paysans
d’Antoine Pinay, en passant par les différents groupes et sous-groupes de la nébuleuse radicale, le MRP et les
républicains-sociaux (ex-RPF). Mais cette majorité est une majorité en trompe-l’œil, les radicaux mendésistes, l’aile
la plus dure des indépendants-paysans (les fameux « quarante » épinglés dans la presse) et la plupart des républicains
sociaux étant plutôt dehors que dedans.

La crise des partis de gouvernement


15. Cet état de confusion est lié en partie à la crise des formations de gouvernement qui avaient constitué le pivot
des différentes majorités depuis la redistribution des cartes de l’année 1947 : la petite UDSR, déchirée par l’hostilité
grandissante régnant entre le « clan » Pleven et la majorité passablement composite réunie autour de François

8
Mitterrand, le vieux parti radical-socialiste, qui avait été depuis une dizaine d’années la formation de gouvernement
par excellence, et le MRP. Dans le cas de la famille radicale, la seconde moitié de l’année 1956 a donné le signal
d’un véritable processus de décomposition – processus encore inachevé au printemps 1958, Pierre Mendès France
et ses proches n’ayant pas brisé à cette date les liens qui les attachaient à la Place de Valois – et on peut dire que,
quand s’ouvre la crise finale de la IVe République, le radicalisme est « en miettes »7. Le MRP, qui avait été assez peu
affecté par les troubles consécutifs à l’affaire de la Communauté européenne de défense, est parvenu à maintenir
l’essentiel de sa cohésion sur la question algérienne, ce qui constitue une différence de taille avec le parti radical.
Mais il n’est pas difficile de repérer les indices d’un malaise grandissant dans les deux ailes extrêmes du mouvement :
l’aile la plus marquée à gauche avec les interrogations critiques de Robert Buron et la petite fronde des jeunes équipes
du cercle Rénovation démocratique8 ; l’aile la plus engagée dans la défense de l’Algérie française et la plus soucieuse,
tout au moins, d’affirmer sa solidarité avec les positions prises par Georges Bidault. Dans les deux cas – celui de
Georges Bidault de façon plus tranchée que celui de Robert Buron – une sorte de dissidence intellectuelle et morale
prélude à la rupture politique proprement dite.
16. Dans la perspective qui a été adoptée ici, le point important est que l’affaiblissement des partis à vocation
gouvernementale a rendu beaucoup plus difficile la constitution de majorités dotées d’un minimum de stabilité.
Dans le cas de la famille radicale, la IVe République finissante a été le théâtre d’une métamorphose surprenante : le
parti qui avait été le partipivot de la quasi-totalité des majorités parlementaires depuis l’année 1948 a apporté une
contribution non négligeable au processus de déstabilisation du système, ses querelles internes rejaillissant peu à peu
sur le fonctionnement même des institutions. L’une des causes du blocage survenu au printemps 1958 à la suite de
la chute du cabinet Félix Gaillard réside ainsi dans le veto opposé par les radicaux autoproclamés « orthodoxes » au
retour rue Saint-Dominique de l’ancien ministre de la Défense nationale André Morice, chef de file du mouvement
de dissidence de l’automne 1956.

L’impossible mutation du système des partis


17. Par bien des traits et à plusieurs niveaux de la vie publique, les dernières années de la IV e République ont été
marquées par un retour – encore bien timide, il est vrai –, sinon à un schéma de type bipolaire, du moins à une
réactivation du vieux clivage droite-gauche. Tout en prenant acte de l’existence d’une large marge d’erreur, la césure
décisive à cet égard doit être datée de l’année 1955.
18. Mais il est clair qu’une telle évolution demeurait à l’état de virtualité et qu’elle ne pouvait pas trouver son point
d’aboutissement dans des délais rapprochés. Trop d’obstacles barraient en effet la route à une authentique
recomposition du paysage politique. En dehors du poids formidable des habitudes, en particulier des habitudes
prises dans le cadre des alliances nouées à l’échelon des municipalités depuis la belle époque de la Troisième force,
deux de ces obstacles étaient provisoirement insurmontables : le problème, encore insoluble, posé par la
réintégration du parti communiste dans le système, le désir des responsables des formations de gouvernement, à
droite comme à gauche, de maintenir entre elles un minimum de solidarité sur les questions de politique extérieure
(notamment sur la question-clef de la construction européenne) et de ne pas durcir à l’excès les oppositions sur
l’Affaire algérienne.
19. À défaut donc de produire des effets réellement positifs, cette mutation contrariée ne pouvait donc qu’apporter
sa contribution à la déstabilisation du système, en poussant notamment à l’intransigeance, voire au choix de la
politique du pire, les éléments les plus déterminés des deux camps. Parallèlement, et ce dernier aspect revêt une
importance capitale à nos yeux, elle rendait en grande partie caduques les règles du jeu mises en place de façon plus
ou moins explicites lors de l’émergence de la « Troisième Force » en 1947-1948, règles du jeu qui, comme on sait,
faisaient de la défense du régime un impératif majeur. Une page, de ce point de vue, était bel et bien en train d’être
tournée.
Notes de bas de page :
3 D’une façon générale, les remous provoqués par l’affaire de la CED ont eu des effets réellement dévastateurs, en particulier sur le parti radical,
clef de voute de toutes les majorités parlementaires depuis 1947-1948. Notre conviction profonde est que l’hostilité de René Mayer à Pierre
Mendès France – qui a porté le coup de grâce au gouvernement dirigé par Pierre Mendès France en février 1955 – trouve davantage sa source
dans le rejet de la CED que dans les dissentiments sur la question du traitement de l’Affaire algérienne. Voir aussi la note 7.
4 Décision rendue inévitable par le retrait des ministres modérés dans l’après-midi du 27 mai, en dépit des réticences d’Antoine Pinay (qui n’était
pas, rappelons-le, membre du gouvernement).
5 Un autre signe révélateur de cette réticence à assumer des responsabilités difficiles est fourni par le départ, quelques jours après les événements
du 13 mai, de Maurice Faure du ministère de l’Intérieur pour un vague ministère des Institutions européennes. Voir le commentaire peu amène
de son successeur, le socialiste Jules Moch, dans Une si longue vie, livre de souvenirs publié chez Robert Laffont en 1976, Lire notamment la
page 518.
6 On se reportera à ce sujet au gros ouvrage, un brin hagiographique, consacré par Paul Marcus à Maurice Bourgès-Maunoury, un républicain
indivisible, Éditions Atlantica, 1997, en particulier les p. 371-393.
7 Notre connaissance de cette crise fatale a été entièrement renouvelée par la thèse de doctorat de Frédéric Fogacci. Cf., Frédéric Fogacci, Le
malheur des temps : la mouvance politique radicale de la Libération à la fin des années 60, 2 volumes, 1201 p., thèse dirigée par Jean-Pierre
Chaline et soutenue à l’Université de Paris IV-Sorbonne le 15/11/2008.
8 La question de l’exclusion des principaux animateurs de Rénovation démocratique était d’ailleurs à l’ordre du jour en 1958. C’est la crise du
printemps 1958 qui a fait passer cette question au second plan, de même qu’elle a sans doute retardé le départ de Robert Buron.
9 Sur cette affaire, qui a empoisonné les relations ultérieures entre Edgar Faure et PMF, on se reportera au tome 1 des Mémoires d’Edgar Faure,
en particulier aux p. 670-676 et au tome II de l’étude très documentée consacrée par Alain Rustenholz et Sandrine Treiner à La Saga des Servan-
Schreiber (p. 181-182). On remarquera que cette polémique n’a aucun rapport avec les controverses liées à la décolonisation.
10 Cf., Michel Poniatowski, Mémoires, Paris, Plon, 1997, p. 290.

9
11 « J’espère que M. Pflimlin présente une démission immédiate et sans réserves de son gouvernement, il n’est que temps, les minutes comptent…
» aurait dit le général Ganeval, « très agité » à Michel Poniatowski le mardi 27 mai. Cf., Michel Poniatowski, op. cit., p. 349.
12 Celles-ci ont, du reste, contribué à l’issue de la crise : l’évidente impossibilité de constituer un nouveau gouvernement au sein du « système »,
après la démission de Pierre Pflimlin dans la nuit du 28 mai, conforte le doute qu’on peut émettre sur le besoin qu’aurait eu de Gaulle de faire
monter la pression des militaires pour imposer sa solution.

10
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 3 : Le Président de la République

Table des matières


Partie 1. L’élection du Président de la République........................................................................... 1
Document 1 Loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au
suffrage universel ......................................................................................................................................... 1
Document 2 Décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016 Loi organique de modernisation des
règles applicables à l’élection présidentielle ............................................................................................. 3
Document 3 France Info, « Présidentielle 1995 : comment le Conseil constitutionnel a validé
les comptes de campagne irréguliers de Chirac et Balladur », 20 octobre 2020 ................................... 5
Partie 2. Le rôle du Président de la République ............................................................................... 6
Document 1 CH. DE GAULLE, Discours du 20 septembre 1962 ........................................................ 6
Document 2 A. LAQUIEZE, « L’impopularité d’un Président de la République remet-elle en
cause sa légitimité », Cités, 2015/1 n° 61 ..................................................................................................... 8
Partie 3. Le renouvellement de la fonction présidentielle ................................................................ 9
Document 1 GROUPE DE TRAVAIL SUR L’AVENIR DES INSTITUTIONS, Refaire la démocratie,
La documentation française, Paris, 2015, 963 p. (extrait) ..................................................................... 9

Notions à maîtriser :

Chef de l’État, Président de la République, Suffrage universel direct, campagne électorale, pouvoirs propres,
contreseing, arbitre, présidentialisme.
Partie 1. L’élection du Président de la République

Document 1 Loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la


République au suffrage universel
Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- Dressez un typologie des personnes pouvant parrainer les candidats. Trouvez, pour chaque catégorie, le nom
d’une personne pouvant parrainer un candidat.
- Dressez la liste des fonctions attribuées au Conseil constitutionnel par cette loi ?
- Que recouvre, concrètement, la notion de : « éditeurs de services de communication audiovisuelle » ? Quelles
sont leurs obligations, pourquoi varient-elles dans le temps, qui en est le gardien ?
- Qui finances la campagne des candidats ? Quelles sont les limites imposées par la loi ? Qui juge de leur
régularité ?

Article 3 :
I. – Au plus tard le quatrième vendredi précédant le premier tour de scrutin ouvert pour l'élection du Président de
la République, le Gouvernement assure la publication de la liste des candidats. Lorsqu'il est fait application du
cinquième alinéa de l'article 7 de la Constitution, cette publication a lieu quinze jours au moins avant le premier
tour de scrutin.
La liste des candidats est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont
adressées par au moins cinq cents citoyens membres du Parlement, des conseils régionaux, de l'Assemblée de Corse,
des conseils départementaux, du conseil de la métropole de Lyon, de l'Assemblée de Guyane, de l'Assemblée de
Martinique, des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Conseil
de Paris, de l'assemblée de la Polynésie française, des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée
territoriale des îles Wallis-et-Futuna, maires, maires délégués des communes déléguées et des communes associées,
maires des arrondissements de Paris, de Lyon et de Marseille, conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger ou
présidents des conseils consulaires. Les présidents des organes délibérants des métropoles, des communautés
urbaines, des communautés d'agglomération, les présidents des communautés de communes, le président du conseil
exécutif de Corse, le président du conseil exécutif de Martinique, le président de la Polynésie française, le président
du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les ressortissants français membres du Parlement européen élus en
France peuvent également, dans les mêmes conditions, présenter un candidat à l'élection présidentielle. Les
présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour
de scrutin à dix-huit heures. Lorsqu'il est fait application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 7 de la
Constitution, elles doivent parvenir au plus tard le troisième mardi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit
heures. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d'au
moins trente départements ou collectivités d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux puissent être les élus
d'un même département ou d'une même collectivité d'outre-mer.
Pour l'application des dispositions de l'alinéa précédent, les députés et les sénateurs représentant les Français établis
hors de France, les conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger et les présidents des conseils consulaires sont
réputés être les élus d'un même département. Pour l'application des mêmes dispositions, les députés et les sénateurs
élus en Nouvelle-Calédonie et les membres des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie sont réputés être
élus d'un même département d'outre-mer ou d'une même collectivité d'outre-mer. Pour l'application des mêmes
dispositions, les ressortissants français membres du Parlement européen élus en France sont réputés être les élus d'un
même département. Aux mêmes fins, les présidents des organes délibérants des métropoles, des communautés
urbaines, des communautés d'agglomération ou des communautés de communes sont réputés être les élus du
département auquel appartient la commune dont ils sont délégués. Aux mêmes fins, les conseillers régionaux sont
réputés être les élus des départements correspondant aux sections départementales mentionnées par l'article L. 338-
1 du code électoral ; toutefois, les conseillers régionaux du Grand Est qui ont été élus sur la section départementale
d'une liste de candidats correspondant à la Collectivité européenne d'Alsace sont réputés être les élus des
départements entre lesquels ils sont répartis en application de l'article L. 280-1 du même code. Aux mêmes fins, les
conseillers à l'Assemblée de Corse sont réputés être les élus des départements entre lesquels ils sont répartis en
application des dispositions des articles L. 293-1 et L. 293-2 du même code. Aux mêmes fins, les conseillers d'Alsace
sont réputés être les élus du département où est situé leur canton d'élection. Aux mêmes fins, les conseillers régionaux
élus sur la section départementale d'une liste de candidats correspondant à la métropole de Lyon et les conseillers
métropolitains de Lyon sont réputés être les élus du département du Rhône.
Les présentations des candidats sont rédigées sur des formulaires, revêtues de la signature de leur auteur et adressées
au Conseil constitutionnel par leur auteur par voie postale, dans une enveloppe prévue à cet effet. Les formulaires
et les enveloppes sont imprimés par les soins de l'administration conformément aux modèles arrêtés par le Conseil
constitutionnel.
(…)

1
Le Conseil constitutionnel doit s'assurer du consentement des personnes présentées qui, à peine de nullité de leur
candidature, doivent lui remettre, sous pli scellé, une déclaration d'intérêts et d'activités et une déclaration de leur
situation patrimoniale conformes aux dispositions de l'article L. O. 135-1 du code électoral et l'engagement, en cas
d'élection, de déposer six mois au plus tôt et cinq mois au plus tard avant l'expiration du mandat ou, en cas de
démission, dans un délai d'un mois après celle-ci, une nouvelle déclaration de situation patrimoniale conforme à ces
dispositions qui sera publiée au Journal officiel de la République française dans les huit jours de son dépôt. La
déclaration d'intérêts et d'activités ne comporte pas les informations mentionnées au 10° du III du même article LO
135-1.
(…)
Au fur et à mesure de la réception des présentations, le Conseil constitutionnel rend publics, au moins deux fois par
semaine, le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement présenté des candidats à l’élection présidentielle. Une
fois envoyée, une présentation ne peut être retirée. Une fois déposée en application des cinquième à septième alinéas
du présent I, une présentation ne peut être retirée. Huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, le Conseil
constitutionnel rend publics le nom et la qualité des citoyens qui ont valablement proposé les candidats.

I bis. – A compter de la publication de la liste des candidats et jusqu'à la veille du début de la campagne, les éditeurs
de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle de l'Autorité de régulation de la
communication audiovisuelle et numérique, le principe d'équité en ce qui concerne la reproduction et les
commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne.
Dans l'exercice de cette mission de contrôle, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et
numérique tient compte :
1° De la représentativité des candidats, appréciée, en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus récentes
élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des
indications de sondages d'opinion ;
2° De la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral.
A compter du début de la campagne et jusqu'au tour de scrutin où l'élection est acquise, les éditeurs de services de
communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle de l'Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique, le principe d'égalité en ce qui concerne la reproduction et les commentaires des
déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne.
Le respect des principes mentionnés aux premier et cinquième alinéas du présent I bis est assuré dans des conditions
de programmation comparables, précisées par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et
numérique dans une recommandation relative à l'élection présidentielle.
A compter de la publication de la liste des candidats et jusqu'au tour de scrutin où l'élection est acquise, l'Autorité
de régulation de la communication audiovisuelle et numérique publie, au moins une fois par semaine, dans un
format ouvert et aisément réutilisable, le relevé des temps consacrés à la reproduction et au commentaire des
déclarations et écrits des candidats et à la présentation de leur personne.
(…)

II. (…) Pour l'application des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 52-4 du code électoral, le mandataire
recueille, pendant l'année précédant le premier jour du mois de l'élection et jusqu'à la date du dépôt du compte de
campagne du candidat, les fonds destinés au financement de la campagne et règle les dépenses engagées en vue de
l'élection.
Le plafond des dépenses électorales prévu par l'article L. 52-11 du code électoral est fixé à 13,7 millions d'euros pour
un candidat à l'élection du Président de la République. Il est porté à 18,3 millions d'euros pour chacun des candidats
présents au second tour.
Les personnes physiques ne peuvent, dans le cadre de l'application des dispositions des articles L. 52-7-1 et L. 52-8
du code électoral, accorder des prêts et avances remboursables aux candidats.
L'obligation de dépôt du compte de campagne ainsi que la présentation de ce compte par un membre de l'ordre des
experts-comptables s'imposent à tous les candidats. Les frais d'expertise comptable liés à l'application de l'article L.
52-12 du code électoral sont inscrits dans le compte de campagne.
La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques approuve, rejette ou réforme,
après procédure contradictoire, les comptes de campagne et arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu
au V du présent article. Elle se prononce dans les six mois du dépôt des comptes.
Dans tous les cas où un dépassement du plafond des dépenses électorales est constaté, la commission fixe une somme,
égale au montant du dépassement, que le candidat est tenu de verser au Trésor public. Cette somme est recouvrée
comme les créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine.
Par dérogation au IV de l'article L. 52-12 du code électoral, les comptes de campagne des candidats sont publiés par
la commission au Journal officiel ainsi que dans un format ouvert et aisément réutilisable, dans le mois suivant
l'expiration du délai prévu à l'avant-dernier alinéa du V du présent article. Chaque compte comporte en annexe une
présentation détaillée des dépenses exposées par chacun des partis et groupements politiques qui ont été créés en
vue d'apporter un soutien au candidat ou qui lui apportent leur soutien, ainsi que des avantages directs ou indirects,
prestations de services et dons en nature fournis par ces partis et groupements. L'intégralité de cette annexe est

2
publiée avec le compte, dans les conditions prévues à la première phrase du présent alinéa. Les partis et groupements
politiques mentionnés au présent alinéa communiquent à la Commission nationale des comptes de campagne et
des financements politiques, à sa demande, les pièces comptables et les justificatifs nécessaires pour apprécier
l'exactitude de cette annexe.
Pour l'application de l'avant-dernier alinéa des articles L. 52-5 et L. 52-6 du code électoral, le délai pour la dissolution
de plein droit de l'association de financement électoral et pour la cessation des fonctions du mandataire financier
est fixé à un mois à compter de la publication prévue au dernier alinéa du V du présent article.
Le solde positif éventuel des comptes des associations électorales et mandataires financiers des candidats est dévolu
à la Fondation de France.
Le montant de l'avance prévue au premier alinéa du paragraphe V du présent article doit figurer dans les recettes
retracées dans le compte de campagne.

III. – Le Conseil constitutionnel veille à la régularité des opérations et examine les réclamations dans les mêmes
conditions que celles fixées pour les opérations de référendum par les articles 46, 48, 49, 50 de l'ordonnance n° 58-
1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel arrête et proclame les résultats de l'élection qui sont publiés au Journal officiel de la
République française dans les vingt-quatre heures de la proclamation. La déclaration de situation patrimoniale du
candidat proclamé élu est jointe à cette publication.
Les décisions de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques mentionnées au
II du présent article peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le
candidat concerné, dans le mois suivant leur notification. Pour l'examen des comptes comme des réclamations visées
au premier alinéa du présent paragraphe, le président du Conseil constitutionnel désigne des rapporteurs, choisis
parmi les membres du Conseil et les rapporteurs adjoints mentionnés au second alinéa de l'article 36 de l'ordonnance
n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Les agents de l'administration
des impôts sont déliés du secret professionnel à l'égard des membres du Conseil constitutionnel et de ses rapporteurs
adjoints à l'occasion des enquêtes qu'ils effectuent pour contrôler les comptes de campagne des candidats à l'élection
du Président de la République.

Document 2 Décision n° 2016-729 DC du 21 avril 2016 Loi organique de


modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle
Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que la « campagne officielle » ?
- Qu’est-ce que le « principe d’équité » ? Comment son respect est-il apprécié ?
- Qu’est-ce que le principe d’égalité ?

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 6 avril 2016, par le Premier ministre, sous le numéro 2016-729 DC, conformément
aux articles 46, alinéa 5, et 61, alinéa 1er, de la Constitution, de la loi organique de modernisation des règles applicables à
l'élection présidentielle.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel ;
Vu la loi organique n° 76-97 du 31 janvier 1976 relative aux listes électorales consulaires et au vote des Français établis hors
de France pour l'élection du Président de la République ;
Vu le code électoral ;
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
Vu la loi de modernisation de diverses règles applicables aux élections, adoptée par le Parlement le 5 avril 2016, ensemble la
décision du Conseil constitutionnel n° 2016-730 DC du 21 avril 2016 ;
Vu les observations du Conseil constitutionnel sur l'élection présidentielle des 22 avril et 6 mai 2012 publiées au Journal
officiel du 23 juin 2012 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant que la loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel a été prise sur le fondement de l'article 6
de la Constitution et dans le respect des règles de procédure prévues par les trois premiers alinéas de son article 46 ;
2. Considérant que les articles 1er à 3 modifient les dispositions relatives aux conditions dans lesquelles doivent être présentés
les candidats à l'élection du Président de la République ; que l'article 4 instaure des règles relatives à l'accès aux médias
audiovisuels des candidats ; que les articles 6 et 7 modifient la législation relative aux comptes de campagne des candidats ;
que les articles 5 et 8 à 10 modifient des règles électorales applicables à l'élection du Président de la République ;

- SUR LA CAMPAGNE AUDIOVISUELLE POUR L'ÉLECTION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE :

3
8. Considérant que l'article 4 insère, dans l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, un nouveau paragraphe I bis fixant les
règles applicables au traitement audiovisuel de la campagne pour l'élection du Président de la République, lequel comprend,
d'une part, la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et, d'autre part, la présentation de leur
personne ;
9. Considérant que les premier à quatrième alinéas de ce paragraphe I bis déterminent les règles applicables pendant la période
allant de la publication de la liste des candidats jusqu'à la veille du début de la campagne « officielle », comme l'avait
recommandé le Conseil constitutionnel dans ses observations ; que le premier alinéa prévoit que les éditeurs de services de
communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du conseil supérieur de l'audiovisuel, le principe d'équité en ce qui
concerne la reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la présentation de leur personne ; que
les deuxième à quatrième alinéas confient au conseil supérieur de l'audiovisuel le soin de veiller au respect de ce principe par
les éditeurs de services de communication audiovisuelle en fonction, d'une part, du critère de « la représentativité des candidats
» et, d'autre part, du critère de « la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral » ; que le troisième alinéa
précise que le critère de la représentativité des candidats s'apprécie « en particulier, en fonction des résultats obtenus aux plus
récentes élections par les candidats ou par les partis et groupements politiques qui les soutiennent et en fonction des
indications de sondages d'opinion » ; que le cinquième alinéa de ce paragraphe I bis détermine les règles applicables pendant
la période allant du début de la campagne « officielle » jusqu'au tour de scrutin où l'élection est acquise ; qu'il prévoit que les
éditeurs de services de communication audiovisuelle respectent, sous le contrôle du conseil supérieur de l'audiovisuel, le
principe d'égalité ; que le sixième alinéa de ce paragraphe I bis prévoit que le respect des principes d'équité et d'égalité est
assuré « dans des conditions de programmation comparables » ; que le conseil supérieur de l'audiovisuel est chargé, en précisant
ces conditions, de veiller au respect de ces principes ; que le dernier alinéa de ce paragraphe I bis prévoit que, pendant la
période allant de la publication de la liste des candidats jusqu'au tour de scrutin où l'élection est acquise, le conseil supérieur
de l'audiovisuel publie, au moins une fois par semaine, le relevé des temps consacrés, d'une part, à la reproduction et au
commentaire des déclarations et écrits des candidats et, d'autre part, à la présentation de leur personne ;
10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du troisième alinéa de l'article 4 de la Constitution : « La loi garantit les
expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de
la Nation » ; que le principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions est un fondement de la démocratie ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler,
écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi » ;
12. Considérant qu'il appartient au législateur organique, compétent en vertu de l'article 6 de la Constitution pour fixer les
règles concernant l'élection du Président de la République, de concilier l'exercice de la liberté de communication avec le
principe de pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
13. Considérant qu'en prévoyant l'application du principe d'équité au traitement audiovisuel des candidats à l'élection du
Président de la République pendant la période allant de la publication de la liste des candidats jusqu'à la veille du début de la
campagne « officielle », le législateur organique a, d'une part, entendu favoriser, dans l'intérêt des citoyens, la clarté du débat
électoral ; qu'il a entendu, d'autre part et dans le même but, accorder aux éditeurs de services de communication audiovisuelle
une liberté accrue dans le traitement de l'information en période électorale, qui ne saurait remettre en cause les principes fixés
par le législateur et dont l'application relève du conseil supérieur de l'audiovisuel ; que, si ces éditeurs conservent un rôle
déterminant de diffusion de l'information à destination des citoyens en période électorale, leur diversité a été renforcée ; qu'il
existe en outre d'autres modes de diffusion qui contribuent à l' information des citoyens en période électorale sans relever de
réglementations identiques ; que, compte tenu de ces évolutions, en adoptant les dispositions de l'article 4 de la loi organique,
le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles de
pluralisme des courants d'idées et d'opinions et de liberté de communication ;
14. Considérant, en deuxième lieu, que, d'une part, les dispositions de l'article 4 de la loi organique prévoient une égalité de
traitement audiovisuel des candidats à l'élection du Président de la République à compter du début de la campagne « officielle
» ; que, d'autre part, en prévoyant l'application d'un principe d'équité pendant la période allant de la publication de la liste
des candidats jusqu'à la veille du début de la campagne « officielle », ces dispositions permettent que soient traités
différemment des candidats qui sont à ce titre dans la même situation ; que cette différence de traitement, justifiée par le
motif d'intérêt général de clarté du débat électoral, est en rapport direct avec l'objet de la loi, qui est de prendre en compte
l'importance relative des candidats dans le débat public ; qu'il résulte de ce qui précède que l'article 4 ne méconnaît pas le
principe d'égalité devant le suffrage qui découle de l'article 3 de la Constitution et de l'article 6 de la Déclaration de 1789 ;
15. Considérant, en troisième lieu, qu'en vertu du premier alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée : « Le
conseil supérieur de l'audiovisuel assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les
programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale » ; que
les critères de « la représentativité des candidats » et de « la contribution de chaque candidat à l'animation du débat électoral
» introduits au paragraphe I bis de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 sont de nature à permettre d'assurer un traitement
équitable des candidats à l'élection du Président de la République ; qu'il appartient au conseil supérieur de l'audiovisuel de
veiller à l'application de ces critères et, en outre, de préciser les « conditions de programmation comparables » destinées à
assurer le respect des principes d'équité, puis d'égalité à compter de la publication de la liste des candidats ; que les mesures
arrêtées par le conseil supérieur de l'audiovisuel, qui ne sauraient ajouter d'autres critères ou conditions à ceux relevant de la
loi organique, sont soumises à l'avis préalable du Conseil constitutionnel et, le cas échéant, au contrôle du juge de l'excès de
pouvoir ; qu'ainsi, le législateur organique n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence ;

4
16. Considérant que les dispositions de l'article 4 ne sont pas contraires à la Constitution ;

DÉCIDE:
Article 1er.- Sous la réserve énoncée au considérant 6, la loi organique de modernisation des règles applicables à l'élection
présidentielle est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Document 3 France Info, « Présidentielle 1995 : comment le Conseil


constitutionnel a validé les comptes de campagne irréguliers de Chirac et
Balladur », 20 octobre 2020
Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que le « plafond des dépenses » ? Comment Édouard Balladur et Jacques Chirac ont caché qu’ils ont dépassé
ledit plafond ?
- Qui a décidé de ne pas rejeter les comptes de Jacques Chirac ? Sur quels arguments cette décision a été prise ? Comment
cela a été faisable ?
- Qu’est-ce que cet article révèle sur le Conseil constitutionnel ?

Les archives du Conseil constitutionnel qui viennent de s’ouvrir racontent, 25 ans après, comment l’institution a manœuvré pour
valider les comptes de campagne de Jacques Chirac et d’Édouard Balladur en 1995. Les deux candidats avaient pourtant
largement dépassé le plafond des dépenses autorisées et commis de nombreuses irrégularités.

Après l'élection présidentielle de 1995, le Conseil constitutionnel a validé les comptes de campagne de Jacques Chirac et
Édouard Balladur en dépit des nombreuses irrégularités qu’ils comportaient. En droit, les deux comptes auraient dû être
rejetés avec des conséquences financières et politiques incommensurables pour les deux hommes. C’est ce qui ressort des
archives de l'institution, qui viennent d’être rendues publiques 25 ans après leur rédaction, et que la Cellule investigation de
Radio France a pu consulter.
Tout au long des trois mois qu’a duré l’examen de leurs comptes, les "Sages" ont minoré, dissimulé, effacé les infractions
commises par les deux candidats, malgré les constats clairs et circonstanciés des rapporteurs chargés de l’examen des comptes.
Ces éléments étaient déjà partiellement connus. En 2010, une fraction de ces archives avaient été saisies par la justice dans le
cadre de l’instruction sur le volet financier de l’affaire Karachi. Un an plus tard, un conseiller constitutionnel de l’époque,
Jacques Robert, rompt en partie son serment de secret en donnant quelques détails sur ce qui s’était dit dans le huis-clos de
la rue de Montpensier.
Mais à ce jour, la preuve qu’un président de la République a pu être élu en France malgré des infractions majeures dans le
financement de sa campagne n’était toujours pas établie. Pas plus qu’il n’était certain que les garants de la Constitution avaient
bafoué le droit. Ces faits sont désormais irréfutables.

Le plafond des dépenses de campagne largement dépassé par Jacques Chirac et Édouard Balladur
Les candidats à la présidentielle de 1995 ont déposé leur compte de campagne début juillet au Conseil constitutionnel, comme
le prévoyait la loi en vigueur à l’époque (aujourd’hui, c’est la commission des comptes de campagne qui remplit ce rôle). Une
équipe de rapporteurs - de jeunes conseillers d’État ou de la Cour des comptes - a été constituée pour les examiner. Après trois
semaines de travail, ils présentent aux "Sages" leurs premières conclusions, les 28 et 29 juillet. Laurent Touvet, le rapporteur
principal du compte d’Édouard Balladur donne le ton : "Il nous est vite apparu que le souci de l’association de financement
de M. Balladur a été de maintenir les dépenses du candidat sous le plafond de 90 millions (...). D’ailleurs, les factures sont
d’autant plus rares que les manifestations sont proches du scrutin", explique-t-il.
Parmi les bizarreries repérées par les rapporteurs, le candidat Balladur n’a déclaré que trois permanences de campagne, alors
qu’ils en ont identifié 86 sur tout le territoire. Ils ont également recensé des dizaines de meetings pour lesquels on ne leur a
fourni aucune facture. Édouard Balladur a clôturé son compte à 83 millions de francs, ce qui est assez proche du plafond de
dépenses du premier tour, fixé à 90 millions. Après avoir écouté le rapporteur, le conseiller Jacques Robert conclut : "Donc si
vous en ajoutez, on dépasse le plafond."
Le lendemain, c’est au tour du rapporteur principal du compte de Jacques Chirac de faire part de ses interrogations. Le
président élu a arrêté son compte à 116,6 millions de francs, tout près du plafond de 120 millions autorisés au second tour.
Or, là aussi, il semble que de nombreuses factures manquent à l’appel. "Il sera demandé au représentant du candidat des
explications sur certaines anomalies", précise le rapporteur François Loloum.
À leur retour de vacances, en septembre, les conseillers constitutionnels retrouvent sur leur bureau les nouvelles conclusions
des rapporteurs qui, eux, ont travaillé tout l’été. Cette fois-ci, le doute n’est plus permis. Édouard Balladur et Jacques Chirac
ont bien "explosé" le plafond des dépenses de campagne et omis d’intégrer de nombreux éléments dans leur comptabilité.
Pour quel montant ? D’après les rapports annexés dans les archives du Conseil constitutionnel, on découvre que, selon les
rapporteurs, Édouard Balladur a dépassé le plafond de six millions de francs et Jacques Chirac de cinq millions. Ces
estimations sont une fourchette basse, comme l’admettent d’ailleurs les Sages dans leurs débats. De nombreuses dépenses
n’ont pas été retenues, faute de documents et de réponses des candidats.

5
Des versements en liquide suspects chez les deux candidats de la droite
Les hauts fonctionnaires ont également découvert d’importants dépôts en espèces suspects sur les comptes des deux candidats.
Chez Jacques Chirac, 31 personnes se sont présentées à la banque Rivaud le même jour, le 6 mai, veille du deuxième tour,
pour déposer un total de 3,5 millions de francs en liquide. Pour Édouard Balladur, 10,25 millions de francs ont été versés en
une fois au Crédit du Nord, trois jours après le premier tour. Interrogée, la banque précise : "en quatre sacs de billets de 500
francs".
Interrogés sur ces importantes recettes en liquide, les deux candidats ont livré la même explication : elles sont le fruit de
collectes dans les meetings et de vente de t-shirts et gadgets divers. L’explication n’a manifestement pas convaincu les Sages.
"Chacun sait très bien d’où venait cet argent", lance ainsi le conseiller Maurice Faure, évoquant probablement les fonds secrets
du gouvernement dans lesquels les partis politiques ont largement puisé à l’époque. Concernant Édouard Balladur, il est
possible que ces fonds soient provenus de rétrocommissions sur des marchés de ventes d’armes. Certains conseillers s’en
agacent. "Ce qui me gêne dans le compte de M. Balladur, c’est l’attitude du candidat face aux questions qu’on lui pose, déplore
l’ancien professeur de droit Jacques Robert. Soit il nous répond qu’il n’y a pas de dépense, (...) soit que les dépenses figurent
au compte et qu’on l’a mal lu, soit encore que les dépenses ont été réalisées en sa qualité de Premier ministre, soit enfin
qu’elles ont été effectuées sans son accord". Et Roland Dumas de surenchérir : "Et si on demande des preuves, on nous dit
que les documents ont été détruits !"

Le rejet des comptes de Jacques Chirac n’a jamais été envisagé


La lecture des près de 300 pages de compte-rendus et d’annexes des 13 séances qui se sont déroulées entre le 27 juillet et le
11 octobre 1995 ne laisse pas de doute. Aucun conseiller ne semble avoir envisagé le rejet du compte de Jacques Chirac. Le 7
septembre, après une longue discussion sur les dépenses n’apparaissant pas dans les comptes, Étienne Dailly lâche : "Je ne me
sens pas en mesure de rejeter un compte de campagne." Deux semaines plus tard, il se fait encore plus précis.
Le 3 octobre, c’est Noëlle Lenoir (qui sera par la suite ministre sous la deuxième présidence de Jacques Chirac) qui affirme :
"On ne va pas rejeter un compte avec les conséquences politiques que l’on sait."
Quelles conséquences d’ailleurs ? Le rejet du compte entraîne le refus du remboursement par l’État des dépenses de campagne.
En revanche, la loi ne prévoit pas explicitement l’invalidation de la présidentielle, contrairement à toutes les autres élections.
Même sanctionné, Jacques Chirac aurait pu - en théorie - rester à l’Élysée. Mais la crise politique majeure était plus que
probable.
Les conseillers constitutionnels n’en ont pas voulu. Tout au long de la journée du 4 octobre 1995, réunis en l’absence des
rapporteurs, ils vont donc "raboter" les comptes du candidat Chirac jusqu’à les faire passer sous le plafond. Quand ils y
parviennent, Maurice Faure lance un cri, retranscrit tel quel sur le compte-rendu de séance : "Il est sauvé !" Dans les faits, pour
réussir leur "sauvetage", les Sages vont devoir ensuite faire plier les rapporteurs pour qu’ils rédigent des conclusions conformes
à leurs aspirations. Pour cela, les fonctionnaires devront accepter de fermer les yeux sur de nombreuses dépenses.
À contrecœur, ils vont accepter une interprétation très laxiste de la loi qui leur a été imposée par les Sages : toutes les dépenses
non expressément autorisées par le candidat ne doivent pas figurer au compte. Ils ont ainsi dû tirer un trait sur des millions
de francs de frais d’autocars qui servaient à transporter les militants dans les meetings au prétexte qu’ils auraient été affrêtés
par les sections locales du RPR, et non par l’association de campagne du candidat. De la même façon, les meetings de soutien
d’Alain Juppé ou Philippe Séguin ont été considérés comme des initiatives personnelles qui n’auraient pas recueilli
l’assentiment de Jacques Chirac... Les rapporteurs ont néanmoins tenté de résister aux membres du Conseil. L'un d’eux, Rémi
Frentz, semble perdre patience le 3 octobre et lance aux neuf Sages : "Qu'est-ce qui empêche le Conseil de se borner à constater
que certaines dépenses ont été engagées, certains avantages en nature accordés, pour constater le dépassement du plafond et
rejeter le compte ?" Les rapporteurs ont dû revoir leur copie à plusieurs reprises avant de présenter des projets de décision
conformes aux volontés des Sages.

Partie 2. Le rôle du Président de la République


Document 1 CH. DE GAULLE, Discours du 20 septembre 1962
Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- Quelle(s) proposition(s) fait De Gaulle ? Comment il les justifie ?
- Que vise De Gaulle quand il évoque : « le régime des partis » ?
- Pourquoi De Gaulle n’a pas jugé nécessaire de prévoir ces modalités d’élection pour lui-même ?
- De quoi les nouvelles modalités d’élection protègent le Président ?
- Quelle est la plus-value des nouvelles modalités d’élection ?

« Depuis que le peuple français m'a appelé à reprendre officiellement place à sa tête, je me sentais obligé de lui poser un jour
une question qui se rapporte à ma succession. Celle du mode d'élection du chef de l'État. Des raisons que chacun connaît
m'ont récemment donné à penser qu'il pouvait être temps de le faire. Qui donc aurait oublié quand, pourquoi, comment fut

6
établie notre Constitution ? Qui ne se souvient de l'échéance mortelle devant laquelle, en Mai 1958, se trouvaient le pays et
la République ?
En raison de l'infirmité organique du régime d'alors, dans l'impuissance des pouvoirs apparaissaient tout à coup l'imminence
des coups d'État, l'anarchie généralisée, la menace de la guerre civile, l'ombre de l'intervention étrangère. Comme tout se tient,
c'est au même moment que s'ouvrait devant nous le gouffre de l'effondrement monétaire, financier, économique. Enfin ce
qu'il y avait d'absurde et de ruineux dans le conflit algérien après la guerre d'Indochine et à l'annonce de graves déchirements
dans tout l'ensemble de l'Afrique Noire, imposait la nécessité de changer en coopération de pays indépendants les rapports
de la France et de ses colonies.
Tandis que le régime tâtonnant et trébuchant des partis se trouvait hors d'état de trancher ce qui devait l'être et de maîtriser
les secousses qu'une pareille transformation allait forcément susciter. C'est alors qu'assumant de nouveau le destin de la patrie,
j'ai, avec mon gouvernement, proposé au pays l'actuelle Constitution. Celle-ci, qui fut adoptée par quatre-vingt pourcents des
votants, a maintenant quatre ans d'existence. On peut donc dire qu'elle a fait ses preuves. La continuité dans l'action de l'État,
la stabilité, l'efficacité, l'équilibre des pouvoirs ont remplacé, comme par enchantement, la confusion organique et les crises
perpétuelles qui paralysaient l'ancien système quelle que put être la valeur des hommes.
Par là même, portent maintenant leurs fruits le grand effort et le grand essor du peuple français.
La situation de la France au-dedans et au dehors a marqué des progrès éclatants reconnus par le monde entier. Sans que les
libertés publiques en aient été aliénées. Mais aussi a été notamment réglé le grave et pénible problème de la décolonisation.
Certes, l'œuvre que nous avons encore à accomplir reste immense car pour un peuple, continuer de vivre ça veut dire continuer
d'avancer.
Personne ne croit sérieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions à nos solides institutions.
Et personne au fond ne doute que notre pays serait très vite jeté à l'abîme si par malheur nous le livrions de nouveau au jeu
péril et dérisoire d'autrefois. Or, la clé de voûte de notre régime, c'est l'institution nouvelle d'un Président de la République
désigné par la raison et par le sentiment des Français pour être le chef de l’État et le guide de la France.
Bien loin que le Président doit comme naguère rester confiné dans un rôle de conseil et de représentation, la Constitution
lui assigne à présent la charge du destin de la France et de celui de la République. Suivant la Constitution, le Président est en
effet garant, vous entendez bien, garant, de l'indépendance et de l'intégrité du pays ainsi que les traités qui l'engagent. Bref, il
répond de la France. D'autre part, il lui appartient d'assurer la continuité de l'État et le fonctionnement des pouvoirs.
Bref, il répond de la République. Pour porter ses responsabilités suprêmes, il faut au Président des moyens qui soient adéquats.
La Constitution les lui donne. C'est lui qui désigne les ministres et d'abord choisit le premier. C'est lui qui préside leur conseil.
C'est lui qui, sur leurs rapports, prend par décret ou par ordonnance, toutes les décisions importantes de l'État. C'est lui qui
nomme les fonctionnaires, les officiers, les magistrats, dans les domaines essentiels de la politique extérieure et de la sécurité
nationale, il est tenu à un rôle direct.
Puisqu'en vertu de la Constitution, il négocie et conclut les traités puisqu'il est le chef de l'armée, puisqu'il préside à la défense.
Par-dessus tout, s'il arrive que la patrie et la République soient immédiatement en danger, le Président se trouve investi en
personne de tous les devoirs et de tous les droits que comporte le salut public. Il va de soi que l'ensemble de ces attributions
permanentes ou éventuelles amène le Président à inspirer, à orienter, à animer l'action nationale.
Il arrive qu'il ait à la conduire, comme par exemple je l'ai fait dans toute l'affaire algérienne. Certes, le Premier Ministre et ses
collègues, sur la base ainsi tracée, ont à déterminer à mesure la politique et à diriger l'administration. Certes, le Parlement
délibère et vote les lois, contrôle le gouvernement et a le droit de le renverser. Ce qui d'ailleurs marque le caractère
parlementaire du régime. Mais pour maintenir en tous les cas l'action et l'équilibre des pouvoirs et pour mettre en oeuvre, s'il
le faut, la souveraineté du peuple, le Président dispose en permanence de la possibilité de recourir au pays.
Soit par la voie du référendum, soit par celle des élections, soit par l'une et l'autre à la fois. En somme, comme vous le voyez,
un des caractères essentiels de la Constitution de la Cinquième République c'est qu'elle donne une tête à l'État. Autant
moderne où tout est si vital, si rude, si précipité, la plupart des grands pays du monde : États-Unis, Russie, Grande-Bretagne,
Allemagne, etc... en font autant, chacun à sa manière. Nous la faisons à la nôtre, qui est d'une part démocratique et d'autre
part conforme aux leçons et aux traditions de notre longue histoire.
Mais, pour que le Président puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la
nation. Permettez-moi de dire qu'en reprenant la tête de l'État en 1958, je pensais que pour moi-même et à cet égard, les
événements de l'histoire avaient déjà fait le nécessaire.
En raison de tout ce que nous avons ensemble voulu et réalisé à travers tant de peine, de larmes et de sang, mais aussi avec
tant d'espérance, d'enthousiasme et de réussite ; il y a entre vous, Françaises, Français et moi-même, un lien exceptionnel qui
m'investit et qui m'oblige.
Je n'ai donc pas attaché alors une importance particulière aux modalités qui allaient entourer ma désignation, puisque celles-
ci étaient d'avance prononcées par la force des choses. D'autre part, tenant compte de susceptibilités politiques dont certaines
étaient respectables, j'ai préféré à ce moment-là qu'il n'y eut pas à mon sujet une sorte de plébiscite formel. Bref, j'ai consenti
à ce que le texte initial de la Constitution soumît l'élection du Président à un collège relativement restreint d'environ quatre-
vingt mille élus.
Mais si ce mode de scrutin non plus qu'aucun autre ne pouvait fixer les responsabilités à l'égard de la France, ni exprimer à
lui seul la confiance que veulent bien me faire les Français ; il n'en serait pas de même pour ceux qui, n'y ayant pas reçu les
événements à la même marque nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j'occupe.
Cela pour qu'il soit entièrement en mesure et complètement obligé de porter la charge suprême et qu'ainsi notre République
ait une bonne chance de rester cohérente, populaire et efficace en dépit des démons de nos divisions.

7
Cela, dis-je, il faut qu'il en reçoive mission de l'ensemble des citoyens, sans qu'il y ait à changer les droits respectifs, ni les
rapports réciproques des pouvoirs exécutifs, législatifs, judiciaires, tels que les fixe la Constitution. Mais pour maintenir et
pour affermir dans l'avenir nos institutions face à toutes les entreprises factieuses, de quelque côté qu'elles viennent. Et aussi
aux manœuvres de ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, voudraient nous ramener au funeste système d'en temps. Je crois
devoir faire au pays la proposition que voici.
Quand sera terminé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l'interrompait avant le terme, le Président de la
République sera dorénavant élu au suffrage universel. Par quelle voie, sur ce sujet qui touche tous les Français, par quelle voie
convient-il que le pays exprime sa décision ? Je réponds. Par la plus démocratique, par la voie du référendum. C'est aussi la
plus justifiée.
Car le peuple français, qui détient la souveraineté nationale, la détient aussi évidemment dans le domaine constituant.
D'ailleurs, c'est du suffrage de tous les citoyens que procède l'actuelle Constitution où demeurant, celle-ci spécifique, le peuple
exerce sa souveraineté soit par ses représentants, soit par le référendum.
Il prévoit aussi, de la façon la plus simple et la plus claire, que le Président de la République peut proposer au pays, par voie
de référendum, tout projet de loi. Je souligne, tout projet de loi concernant l'organisation des pouvoirs publics. Ce qui englobe,
bien évidemment, le mode d'élection du Président.
Le projet que je me dispose à soumettre au peuple français le sera donc dans le respect de la Constitution, que sur ma
proposition il s'est à lui-même donné.
Françaises, Français, en cette périlleuse époque et en ce monde difficile, il s'agit de faire en sorte, dans la mesure où nous le
pouvons, que la France vive, qu'elle progresse et qu'elle assure son avenir. En vous proposant avant peu dans le domaine de
nos institutions nationales de parfaire un point dont demain tout peut dépendre, je crois en toute conscience bien servir notre
pays.
Mais, comme toujours, je ne peux et ne veux rien accomplir qu'avec votre concours, comme toujours. Je vais donc bientôt
vous le demander.
Alors, comme toujours, c'est vous qui en déciderez. Vive la République ! Vive la France ! »

Document 2 A. LAQUIEZE, « L’impopularité d’un Président de la République


remet-elle en cause sa légitimité », Cités, 2015/1 n° 61
Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- Quelle est la différence entre « démocratie » et « opinion » ?
- Quelle est la différence entre « légitimité » et « légalité » ?
- Quels sont les causes et symptômes de la « crise de légitimité » évoquée par l’auteur ?

« Lors de sa conférence de presse du 18 septembre 2014, le Président François Hollande a eu l’occasion de répondre aux
questions d’un journaliste lui demandant ce qu’il entendait par un exercice de vérification démocratique au milieu d’un
mandat2, puis au-dessous de quel seuil d’impopularité – il bénéficiait à l’époque de 13 % d’opinions favorables – un tel
exercice de vérification démocratique serait inévitable. Le Président Hollande répondit tout d’abord que cet exercice avait
bien eu lieu, puisque le nouveau gouvernement, mené par Manuel Valls (le gouvernement Valls II), avait obtenu la veille une
majorité sur la question de confiance qu’il avait demandée à l’Assemblée Nationale. Si tel n’avait pas été le cas, ajoutait-il, il
aurait alors décidé une dissolution de l’Assemblée, a n que le peuple soit appelé à renouveler la représentation nationale.
Répondant à la deuxième question, le Président livra une analyse, dont l’intérêt mérite qu’elle soit reproduite dans sa quasi-
intégralité. « Vous me parlez de sondages. Ils ne me sont pas indifférents [...] », déclara-t-il, avant de préciser : « il n’est écrit
dans la Constitution nulle part que ce serait un sondage qui ferait que le pouvoir pourrait être exercé ou pas. Nous serions,
dans ce cas de figure qui n’est pas prévu heureusement par la Constitution, non plus dans la démocratie mais dans l’opinion.
Donc ce qui fait ma légitimité, c’est le mandat que j’ai reçu du peuple – cinq ans – et la majorité qui soutient le gouverne-
ment et qui permet ainsi d’assurer la stabilité. Les institutions sont faites pour ça, non pas pour protéger une personne mais
pour permettre de prendre des décisions, pour protéger donc la République. Et aujourd’hui, quand je prends des décisions,
je ne regarde pas le sondage, je regarde l’intérêt de la France et aussi long- temps que j’aurai cette responsabilité venant du
peuple français, celle qui m’a été confiée en mai 2012, je m’attacherai simplement à servir le pays ».
Ces précisions apportées par le Président Hollande témoignent déjà d’une lecture classique de la Constitution de la Ve
République. Obéissant à une logique parlementaire, un gouvernement nouvellement constitué pose la question de confiance
à l’Assemblée en vertu de l’article 49 alinéa 1er de la Constitution de 1958. Quant au Chef de l’État, il tient son autorité non
seulement de son élection au su rage universel direct mais aussi d’une majorité parlementaire qui soutient un gouvernement
défendant la même politique que
lui. Le bien-fondé de son pouvoir résulte donc d’une double légitimité électorale qui prend sa source dans la Constitution.
Les sondages n’étant pas prévus dans la loi fondamentale, ils ne sont ni de nature à infléchir l’exercice du pouvoir par le
Président, ni a fortiori en mesure de contraindre ce dernier à abandonner sa fonction avant la n de son quinquennat. Le règne
des sondages serait ainsi celui de l’opinion et non de la démocratie, celle-ci n’étant conçue qu’en tant qu’elle est représentative
et instituée.
Le point de vue de François Hollande est surtout intéressant par l’interprétation qu’il propose de la notion de légitimité qu’il
assimile à la légalité. Les gouvernants ont accédé au pouvoir, conformément aux prescriptions de la Constitution et ils peuvent
dès lors l’exercer de manière légitime, du moins tant qu’ils ne remettent pas en cause l’ordre constitutionnel. De plus, rien

8
dans la Constitution n’oblige le Chef de l’État à écourter son quinquennat. Cette présentation de la légitimité du pouvoir
assimilée à la légalité, c’est-à-dire à la régularité juridique, est représentative d’un discours dominant sur les fondements de
l’autorité politique qui met en avant la cohérence logique, caractéristique de la rationalité des modernes. Il y a un siècle, Max
Weber notait déjà que « la forme de légitimité actuellement la plus courante consiste dans la croyance en la légalité, c’est-à-
dire la sou- mission à des statuts formellement corrects et établis selon la procédure d’usage 3. » La légitimité rationnelle dont
parlait Weber implique que l’autorité des gouvernants et des actes qu’ils prennent s’impose en raison de cette croyance en la
léga- lité. C’est d’ailleurs parce que les gouvernants respectent la légalité que leurs actes peuvent être considérés comme
légitimes4.
Pour autant, le discours de légitimation de l’action publique tenu par les gouvernants actuels, au nom de cette légitimité
rationnelle- légale, fondement de nos démocraties libérales, trouve ses limites. Jürgen Habermas avait pu parler, dès les années
1970, d’une « crise de rationalité » et d’une « crise de légitimation » qui mine le pouvoir : l’État est en effet dans l’incapacité
de mettre en place des mécanismes de régulation, susceptibles de sur- monter la crise économique ; cette incapacité entraîne
du même coup une crise de confiance de la population à l’égard du gouvernement, voire du système politique, les procédures
démocratiques de la légitimité rationnelle n’étant pas suffisantes pour assurer la légitimité du pouvoir. La crise de la légitimité
légale semble déboucher, au mieux sur l’abstention politique du citoyen qui se replie sur ses intérêts privés, au pire sur la
contestation violente qui va s’exprimer dans la rue pour s’opposer à une loi ou à un grand projet d’aménagement5.
Au-delà de ces oppositions ponctuelles, on voit pourtant se dessiner une légitimité alternative qui se présente comme une
réponse empirique et désordonnée au désenchantement démocratique6. On en veut pour preuve la sollicitation quotidienne
des individus, sommés par les instituts de sondages, les médias ou les sites internet, de donner leurs avis, lorsqu’ils ne livrent
pas spontanément leurs points de vue sur les blogs ou les réseaux sociaux. On peut également songer au rôle toujours croissant
des médias d’information continue qui instituent une forme de contrôle permanent sur l’activité politique. Apparaissent en
outre de nouveaux modes de délibération démocratiques, tels que les conférences de citoyens, les comités de quartier, les
consultations nationales baptisées « états généraux » qui font émerger « une démocratie de l’entre-deux, une démocratie
intermédiaire qui se situe entre la classique « démocratie représentative » et la mythique « démocratie directe. » 7 Concurrençant
la légitimité institutionnelle revendiquée par les gouvernants, une légitimité inédite se met en place, au nom d’une nouvelle
exigence démocratique, mettant en avant la proximité, la participation et le rôle de l’opinion. On a pu par exemple évoquer
la naissance d’une « démocratie d’opinion », à la fois médiatique, directe et permanente, qui rendrait illusoire et inefficace la
démocratie représentative8.
Dans un régime démocratique comme celui de la Ve République, il est possible d’identifier trois formes de légitimité,
permettant d’assurer une influence du peuple, quelle que soit par ailleurs sa configuration, sur l’exercice du pouvoir d’État. »

2. Dans un livre publié en 2006 avec Edwy Plenel intitulé Devoir de vérité, François Hollande avait proposé que le Président de la République se soumette à
un exercice de vérication démocratique à mi-parcours du quinquennat.
3. Max Weber, Économie et Société 1. Les catégories de la société, trad. de l’allemand, Paris, Plon Pocket, 1995, p. 73.
4. Sur les rapprochements entre légitimité et légalité, voir Simone Goyard-Fabre, « Légitimité », in Denis Alland et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de la
culture juridique, Paris, Lamy-Puf, coll. « Quadrige », 2003, p. 929 sq.
5. Voir Jürgen Habermas, Raison et Légitimité. Problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé, trad. de l’allemand, Paris, Payot, 1978.
6. Voir l’ouvrage collectif dirigé par Pascal Perrineau, Le Désenchantement démocratique, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, 2003.
7. Guy Groux, « Crise de la médiation et mouvements sociaux : vers une démocratie de l’entre-deux ? », in Pascal Perrineau (dir.), op. cit., p. 240. Voir aussi,
parmi une bibliographie abondante, Dominique Bourg et Daniel Boy, Conférences de citoyens, mode d’emploi, Paris, éditions Charles Léopold Mayer, Descartes
et cie, 2005.
8. Sur ce point, voir Jacques Julliard, La Reine du monde. Essai sur la démocratie d’opinion, Paris, Flammarion, coll. « Champs actuel », 2009.

Partie 3. Le renouvellement de la fonction présidentielle


Document 1 GROUPE DE TRAVAIL SUR L’AVENIR DES INSTITUTIONS, Refaire la
démocratie, La documentation française, Paris, 2015, 963 p. (extrait)
Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :
- Sur quels fondements, le groupe de travail maintient l’élection au suffrage universel direct ?
- Comment faut-il réformer les pouvoirs du Président de la République ?
- Pourquoi le retour au septennat est envisagé ? Quel serait ses effets ?
- Pourquoi le groupe envisage l’inversion du calendrier électoral ?

II. PROPOSITIONS : VERS UN NOUVEAU RÔLE ET UNE NOUVELLE DURÉE DE MANDAT POUR
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Proposition n° 6 : Redéfinir le rôle du Président de la République


1. Maintenir l’élection au suffrage universel direct
L’élection au suffrage universel direct du Président de la République, sur laquelle se fonde la légitimité immense
dont il jouit, a été identifiée par le groupe de travail comme l’une des causes de sa toute-puissance. Ce n’est cependant
pas la seule, comme l’a expliqué M. Bastien François lors de son audition : « À supposer qu’une telle réforme soit
faisable – il me paraît difficile de transformer le Président de la République en reine d’Angleterre –, elle repose sur

9
l’idée selon laquelle c’est parce que le Président de la République est élu au suffrage universel qu’il gouverne. Or, si
quatorze des vingt-huit pays de l’Union européenne ont un Président de la République élu au suffrage universel,
souvent avec des pouvoirs comparables au nôtre, aucun des homologues européens du Président français ne joue un
rôle comparable au sien. Aucun n’accapare comme lui le pouvoir gouvernant. La spécificité française n’est donc pas
l’élection du président de la République au suffrage universel direct, mais le fait que, doté de moyens d’action très
large, il soit en position de détenir une part importante du pouvoir gouvernant, ce qui procède moins d’une
architecture institutionnelle ou d’un système électoral que d’une histoire politique singulière ».
Il paraît donc inenvisageable de priver les citoyens français de ce qui constitue un moment démocratique majeur –
bien qu’imparfait. Évoquant la question des temps politique et médiatique, Mme Géraldine Muhlmann affirmait :
«Je pense que la raison politique est riche d’émotions et qu’il serait très dangereux qu’elle s’en dépouille trop. Car
l’émotion est l’un de ses matériaux majeurs, qu’elle doit évidemment travailler, mais dont elle ne saurait se séparer ».
L’élection du Président de la République au suffrage universel direct constitue – le très fort taux de participation des
citoyens en témoigne – un moment d’émotion politique partagée important pour le sentiment d’appartenance à la
communauté nationale.
Les membres du groupe de travail ont estimé que réorienter la fonction du Président de la République vers les
missions que lui confère l’article 5 de la Constitution n’impliquait pas non plus de lui retirer les pouvoirs qu’il tire
de la pratique institutionnelle et de la légitimité conférée par le suffrage universel.
Ainsi, dans sa majorité, le groupe de travail n’a pas retenu de proposition remettant en cause les pouvoirs essentiels
du Président de la République. Le Président de la République doit continuer à présider le Conseil des ministres,
comme le prévoit l’article 9 de la Constitution, et demeurer seul détenteur du droit de dissolution prévu par son
article 12. Il ne doit pas être tenu de désigner à la tête du Gouvernement le chef du parti devenu majoritaire à l’issue
des élections législatives, comme certains ont pu le préconiser. Enfin, la pratique développée en marge de l’article 8
et qui rend le Premier ministre, en dehors des périodes de cohabitation, responsable devant le Président de la
République ne doit pas nécessairement être remise en cause, selon la majorité des membres du groupe.
En conservant le principe de séparation souple des pouvoirs qui a assuré la longévité de la Ve République
et la forme originale de son régime parlementaire, des évolutions restent cependant possibles. Entre le régime
parlementaire traditionnel à l’anglaise et présidentiel, la majorité des membres du groupe de travail a estimé qu’une
troisième voie devait être empruntée pour réorienter le rôle du Président de la République.

2. Moderniser le rôle d’arbitre


Les membres du groupe de travail se sont accordés pour redéfinir le rôle du chef de l’État en accentuant et en
modernisant son rôle d’arbitre. Il s’agit de réorienter le Président de la République vers les enjeux du long-terme et
d’en faire, avant tout, le garant des valeurs de la Nation. Selon la majorité des membres du groupe de travail, il ne
convient pas de remettre en cause la pratique du « domaine réservé » que le Président détient en matière de politique
étrangère et de défense nationale.
Assumant le rôle d’arbitre que la Constitution lui destine, le Président de la République, « placé au-dessus des partis
», pourrait, dès lors, jouer un rôle de garant de l’intérêt général et des générations futures. « Il faut profiter de la
légitimité et de l’audience que confère l’élection au suffrage universel pour inventer un nouveau rôle au Président
de la République : un rôle fort, intéressant, prestigieux, de gardien des droits fondamentaux et de garant des intérêts
des générations futures », proposait ainsi M. Bastien François lors de son audition du vendredi 13 mars 2015, tout
en suggérant de réduire les pouvoirs du Président de la République pour qu’il puisse remplir ce rôle d’arbitre.
Le groupe de travail estime pour sa part que c’est en influant sur le temps politique, et la durée du mandat du
Président de la République, que cette réorientation sera possible.

Proposition n° 7 : Réinventer le septennat


1. Vers un mandat de sept ans non renouvelable
« L’introduction du quinquennat, en particulier, était présentée comme le moyen d’éviter la cohabitation ; le
septennat était de plus perçu comme anti- démocratique, le Président ne donnant pas suffisamment la parole au
peuple depuis l’abandon de la pratique gaullienne du référendum par les successeurs du Général. Mais le
quinquennat a eu pour effet de renforcer le présidentialisme majoritaire ; la réforme s’est, de plus, accompagnée de
l’inversion du calendrier électoral, ce qui a eu pour conséquence de faire des élections législatives une simple
confirmation de l’élection présidentielle – elles ont perdu leur autonomie. Désormais, la majorité présidentielle et
la majorité parlementaire se confondent », expliquait Mme Marie-Claire Ponthoreau lors de son audition le 13 mars
2015.
Le groupe de travail a été ainsi amené à reconsidérer le bilan de l’instauration du quinquennat. Il semble en avoir
résulté une accélération du temps politique et une omniprésence de la figure du Président de la République qui ont
contribué à l’aggravation des déséquilibres institutionnels. En réduisant la durée du mandat présidentiel de sept à
cinq ans et en faisant précéder les élections législatives de l’élection présidentielle, le constituant et le législateur ont
accentué le fait majoritaire et, partant, les pouvoirs du Président. « Nous nous accordons tous sur le fait que le passage
au quinquennat a été une erreur » concluait M. Arnaud Richard. Le retour à l’équilibre de 1875, pensé alors comme
une solution provisoire, mais qui avait été confirmé par les constituants de 1946, puis de 1958, semble aujourd’hui
préférable afin de placer le temps présidentiel « au-dessus » du temps parlementaire.

10
Sept années de mandat représentent néanmoins une durée certaine. Le groupe de travail s’est prononcé en faveur
du caractère non renouvelable de ce mandat. M. Alain Tourret appuyait en ces termes cette mesure lors de la réunion
du 13 mars 2015 : « François Luchaire, constitutionnaliste éminent, défendait l’idée d’un septennat non
renouvelable, qui a l’avantage de déconnecter le Président de la République de la gestion quotidienne des affaires
publiques, en lui permettant d’être à la fois un président respecté et un président qui gouverne, sans que ses choix
soient dictés par la perspective de renouveler son mandat. La durée est essentielle, surtout si l’on ne fait rien au cours
des deux premières années, pour se lancer ensuite dans une course à l’échalote. ». Cette restriction pourrait permettre
l’émergence de personnalités au profil différent des actuels candidats à la présidence. Échappant aux jeux des partis
et au rôle d’éternel candidat à la réélection, le Président y gagnerait une autorité morale en conformité avec le rôle
d’arbitre que lui destinait le Général de Gaulle.
2. Pour une inversion du calendrier électoral, en cas de maintien du quinquennat
Une autre réforme consisterait à « réinverser » le calendrier électoral pour que les élections législatives précèdent
l’élection présidentielle. Les chefs des formations politiques mèneraient alors campagne pour obtenir une majorité
et devenir Premier ministre. Le Président de la République, bien que légitimé par le suffrage universel, ne pourrait
plus s’opposer « frontalement » à un Premier ministre fort de sa légitimité parlementaire. Il est possible d’imaginer
que ce dernier, dans les faits et conformément au texte de la Constitution, ne soit plus responsable que devant sa
majorité.
En cas de maintien du quinquennat, le groupe de travail souhaite donc que le calendrier électoral soit réinversé pour
que les élections législatives aient lieu avant l’élection présidentielle.

11
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 4 : Le Pouvoir délibérant

Table des matières


Partie 1. Fonctionnement du Parlement : l’exemple de l’Assemblée nationale 1
Document 1 ASSEMBLEE NATIONALE, Règlement intérieur (extraits) 1
Partie 2. La revalorisation du Parlement 8
Document 1 A. VIDAL-NAQUET, « Le renouveau de l’opposition », Pouvoirs, 2013, n° 3, pp. 133-
147 8
Document 2 G. CARCASSONNE, « Conclusions », Jus Politicum, 2011, n° 6, Le Parlement français et le
nouveau droit parlementaire après la réforme de 2008 11
Partie 3. Le contrôle sur le Parlement 13
Document 1 G. BERGOUGNOUS, « Le Conseil constitutionnel et le législateur », Les Nouveaux
Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 1, pp. 5-21 13

Notions à maîtriser :

Assemblée, Représentation, Démocratie représentative, Démocratie délibérative, Règlement intérieur, Loi,


Commission parlementaire, Amendement, Procédure législative, Majorité, Opposition, Parlementarisme rationalisé,
Fait majoritaire, Concordance des majorités
Partie 1. Fonctionnement du Parlement : l’exemple de l’Assemblée
nationale
Document 1 ASSEMBLEE NATIONALE, Règlement intérieur (extraits)
Effectuez les exercices suivants :
- Faites un schéma de toutes les structures de fonctionnement de l’Assemblée nationale, de leur composition, de leur
rôle, de leur rapport entre eux ?
- Trouvez le nom du Président, des Vice-Présidents, des Questeurs ainsi que leur affiliation politique. Trouvez les noms
de tous les membres de la Conférence des Présidents.
- Faites un schéma de la procédure législative à l’Assemblée en précisant les articles du Règlement encadrant chaque
étape de la procédure. En vous appuyant sur la Constitution de 1958, faites un schéma de la procédure législative dans
sa globalité.
- Illustrez ce schéma au moyen de l’exemple d’une loi récemment adoptée et indiquant la date de chaque étape.
- Quelles sont les limites au droit d’amendement ? Faites une typologie des intervenants à la procédure selon l’étendue
de leur droit d’amendement.

TITRE Ier : ORGANISATION ET FONCTIONNEMENT DE L’ASSEMBLÉE

Chapitre III : Bureau de l’Assemblée : composition, mode d’élection


Article 8
1 Le Bureau de l’Assemblée nationale se compose de :
2 – 1 président,
3 – 6 vice-présidents,
4 – 3 questeurs,
5 – 12 secrétaires.
6 Les présidents des groupes peuvent participer, sans droit de vote, aux réunions du Bureau. Ils ne peuvent être
suppléés.
Article 9
1 Au cours de la première séance de la législature et aussitôt après les communications prévues aux articles 2
et 3, le doyen d’âge invite l’Assemblée nationale à procéder à l’élection de son Président.
2 Le Président de l’Assemblée nationale est élu au scrutin secret à la tribune. Si la majorité absolue des suffrages
exprimés n’a pas été acquise aux deux premiers tours de scrutin, au troisième tour la majorité relative suffit et, en
cas d’égalité de suffrages, le plus âgé est élu.
3 Des scrutateurs, tirés au sort, dépouillent le scrutin dont le doyen d’âge proclame le résultat.
4 Le doyen d’âge invite le Président à prendre place immédiatement au fauteuil.
Article 10
1 Les autres membres du Bureau sont élus, au début de chaque législature, au cours de la séance qui suit
l’élection du Président et renouvelés chaque année suivante, à l’exception de celle précédant le renouvellement de
l’Assemblée, à la séance d’ouverture de la session ordinaire. Le Président est assisté des six plus jeunes membres de
l’Assemblée, qui remplissent les fonctions de secrétaires .
2 L’élection des vice-présidents, des questeurs et des secrétaires a lieu en s’efforçant de reproduire au sein du
Bureau la configuration politique de l’Assemblée et de respecter la parité entre les femmes et les hommes.
3 Le Président de l’Assemblée réunit les présidents des groupes en vue d’établir la répartition entre les groupes
de l’ensemble des fonctions du Bureau et la liste de leurs candidats à ces fonctions.

Chapitre IV : Présidence et Bureau de l’Assemblée : pouvoirs


Article 13
1 Le Président de l’Assemblée convoque et préside les réunions de l’Assemblée en séance publique ainsi que les
réunions du Bureau et de la Conférence des présidents.
2 Il est chargé de veiller à la sûreté intérieure et extérieure de l’Assemblée. À cet effet, il fixe l’importance des
forces militaires qu’il juge nécessaires ; elles sont placées sous ses ordres.
3 Les communications de l’Assemblée nationale sont faites par le Président.
Article 14
1 Le Bureau a tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée et pour organiser et diriger tous les
services dans les conditions déterminées par le présent Règlement.
2 Le Bureau détermine les conditions dans lesquelles des personnalités peuvent être admises à s’adresser à
l’Assemblée dans le cadre de ses séances.
3 L’Assemblée jouit de l’autonomie financière en application de l’article 7 de l’ordonnance n° 58-1100 du
17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Article 15

1
1 Les questeurs, sous la haute direction du Bureau, sont chargés des services financiers et administratifs. Aucune
dépense nouvelle ne peut être engagée sans leur avis préalable.
2 Des appartements officiels sont mis à la disposition du Président et des questeurs au Palais-Bourbon.

Chapitre V : Groupes
Article 19
1 Les députés peuvent se grouper par affinités politiques ; aucun groupe ne peut comprendre moins de quinze
membres, non compris les députés apparentés dans les conditions prévues à l’alinéa 7 ci‑dessous.
2 Les groupes se constituent en remettant à la Présidence une déclaration politique signée de leurs membres,
accompagnée de la liste de ces membres et des députés apparentés et du nom du président du groupe. La déclaration
peut mentionner l’appartenance du groupe à l’opposition. Ces documents sont publiés au Journal officiel.
3 La déclaration d’appartenance d’un groupe à l’opposition peut également être faite ou, au contraire, retirée, à
tout moment. Cette déclaration est publiée au Journal officiel ; son retrait y est annoncé.
4 Sont considérés comme groupes minoritaires ceux qui ne se sont pas déclarés d’opposition, à l’exception de
celui d’entre eux qui compte l’effectif le plus élevé.
5 Les droits spécifiques reconnus par le présent Règlement aux groupes d’opposition ainsi qu’aux groupes
minoritaires sont attribués sur le fondement de la situation des groupes au début de la législature, puis chaque année
au début de la session ordinaire.
6 Un député ne peut faire partie que d’un seul groupe.
7 Les députés qui n’appartiennent à aucun groupe peuvent s’apparenter à un groupe de leur choix, avec
l’agrément du bureau de ce groupe. Ils comptent pour le calcul des sièges accordés aux groupes dans les commissions
par les articles 33 et 37.

Chapitre XI : Conférence des présidents. – Ordre du jour de l’Assemblée. – Organisation des débats
Article 47
1 La Conférence des présidents se compose, outre le Président, des vice‑présidents de l’Assemblée, des présidents
des commissions permanentes, des rapporteurs généraux de la Commission des affaires sociales et de la Commission
des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, du président de la Commission des affaires
européennes et des présidents des groupes.
2 La conférence est convoquée chaque semaine, s’il y a lieu, par le Président au jour et à l’heure fixés par lui.
Elle est également convoquée par le Président à la demande d’un président de groupe pour qu’elle puisse exercer, le
cas échéant, les prérogatives qui lui sont reconnues par les articles 39, alinéa 4, et 45, alinéa 2, de la Constitution.
3 Dans les votes émis au sein de la conférence sur les propositions qui lui sont soumises par ses membres, il est
attribué aux présidents des groupes un nombre de voix égal au nombre des membres de leur groupe après défalcation
des voix des autres membres de la conférence.
4 Les présidents des commissions spéciales et le président de la commission instituée à l’article 80 peuvent être
convoqués à la Conférence des présidents sur leur demande.
5 Le Gouvernement est avisé par le Président du jour et de l’heure de la conférence. Il peut y déléguer un
représentant.
Article 48
1 Sous réserve des dispositions de l’article 29, alinéa 1 et de l’article 48, alinéas 2 et 3, de la Constitution,
l’Assemblée fixe son ordre du jour sur proposition de la Conférence des présidents.
2 Avant l’ouverture de la session ou après la formation du Gouvernement, celui-ci informe la Conférence des
présidents, à titre indicatif, des semaines qu’il prévoit de réserver, au cours de la session, pour l’examen des textes et
pour les débats dont il demandera l’inscription à l’ordre du jour.
3 À l’ouverture de la session, puis, au plus tard, le 1er mars suivant, ou après la formation du Gouvernement,
celui-ci informe la Conférence des présidents des affaires dont il prévoit de demander l’inscription à l’ordre du jour
de l’Assemblée et de la période envisagée pour leur discussion.
4 Les demandes d’inscription prioritaire à l’ordre du jour de l’Assemblée sont adressées, au plus tard la veille de
la réunion de la Conférence des présidents, par le Premier ministre au Président de l’Assemblée qui en informe les
membres de la conférence.
5 Sous réserve des dispositions de l’article 136, alinéa 3, les présidents des groupes et les présidents des
commissions adressent leurs propositions d’inscription à l’ordre du jour au Président de l’Assemblée au plus tard
quatre jours avant la réunion de la Conférence des présidents.
6 Sur le fondement de ces demandes ou propositions, la Conférence des présidents établit, à l’occasion de sa
réunion hebdomadaire, dans le respect des priorités définies par l’article 48 de la Constitution, un ordre du jour
pour la semaine en cours et les trois suivantes.
7 La conférence fixe également la ou les séances consacrées aux questions des députés et aux réponses du
Gouvernement ainsi que, le cas échéant, les séances consacrées à des questions orales sans débat dans les conditions
prévues aux articles 133 et 134.
8 Chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient de droit l’inscription à l’ordre du
jour de la semaine prévue à l’article 48, alinéa 4, de la Constitution d’un débat sans vote ou d’une séance de

2
questions portant prioritairement sur les conclusions du rapport d’une commission d’enquête ou d’une mission
d’information créée en application des chapitres IV ou V de la première partie du titre III du présent Règlement,
sur les conclusions d’un rapport d’information ou d’évaluation prévu aux articles 145-7, 145-8 ou 146, alinéa 3, ou
sur celles d’un rapport d’évaluation ou de suivi établi en application de l’article 146-3. Dans le cadre de cette semaine,
une séance est réservée par priorité aux questions européennes. Lors de cette séance, les réunions du Conseil
européen, ordinaires ou extraordinaires, au sens du 3 de l’article 15 du traité sur l’Union européenne, peuvent
faire l’objet d’un débat préalable devant l’Assemblée nationale, selon des modalités fixées par la Conférence des
présidents. Les sujets d’évaluation ou de contrôle sont adressés au Président de l’Assemblée au plus tard sept jours
avant la réunion de la Conférence des présidents qui précède la semaine au cours de laquelle ils seront discutés.
9 La conférence arrête, une fois par mois, l’ordre du jour de la journée de séance prévue par l’article 48, alinéa 5,
de la Constitution. Les groupes d’opposition et les groupes minoritaires font connaître les affaires qu’ils veulent voir
inscrire à l’ordre du jour de cette journée au plus tard lors de la Conférence des présidents qui suit la précédente
journée réservée sur le fondement de l’article 48, alinéa 5, de la Constitution. Les séances sont réparties, au début
de chaque session ordinaire, entre les groupes d’opposition et les groupes minoritaires, en proportion de leur
importance numérique. Chacun de ces groupes dispose de trois séances au moins par session ordinaire, lesquelles
peuvent, à la demande du groupe concerné, être réparties sur plusieurs jours du même mois.
10 L’ordre du jour ainsi établi est immédiatement affiché et notifié au Gouvernement, aux présidents des groupes
et aux présidents des commissions. Au cours de la séance suivant la réunion de la conférence, le Président soumet
les propositions de celle-ci, autres que celles résultant des inscriptions prioritaires du Gouvernement, à l’Assemblée.
Aucun amendement n’est recevable. L’Assemblée ne se prononce que sur leur ensemble. Seuls peuvent intervenir le
Gouvernement et, pour une explication de vote de deux minutes au plus, les présidents des commissions ou leur
délégué ayant assisté à la conférence, ainsi qu’un orateur par groupe.
11 Si, à titre exceptionnel, le Gouvernement, en vertu des pouvoirs qu’il tient de l’article 48 de la Constitution,
demande une modification de l’ordre du jour, le Président en donne immédiatement connaissance à l’Assemblée.
La Conférence des présidents peut être réunie.
Article 49
1 L’organisation de la discussion des textes soumis à l’Assemblée peut être décidée par la Conférence des
présidents.
2 La Conférence des présidents organise la discussion générale des textes inscrits à l’ordre du jour. Elle attribue
à chaque groupe un temps de parole de cinq ou de dix minutes en fonction des textes. Lorsque ce temps est de
dix minutes, les groupes peuvent désigner deux orateurs. Un député n’appartenant à aucun groupe intervient pour
une durée de cinq minutes. À titre exceptionnel, pour un texte déterminé, la conférence peut retenir une durée et
un nombre d’orateurs dérogatoires.
3 Lors de la discussion générale des textes inscrits à l’ordre du jour de la journée de séance prévue par l’article 48,
alinéa 5, de la Constitution, l’orateur du groupe d’opposition ou minoritaire qui en est à l’initiative dispose d’une
durée de dix minutes.
4 Les inscriptions des orateurs dans la discussion générale sont faites par les présidents des groupes ([124]).
5 Au vu de ces indications, le Président de l’Assemblée détermine l’ordre des interventions.
6 La conférence peut également fixer la durée maximale de l’examen de l’ensemble d’un texte. Dans ce cas, est
applicable la procédure prévue aux alinéas suivants.
7 Un temps minimum est attribué à chaque groupe, ce temps étant supérieur pour les groupes d’opposition. Le
temps supplémentaire est attribué à 60 % aux groupes d’opposition et réparti entre eux en proportion de leur
importance numérique. Le reste du temps supplémentaire est réparti entre les autres groupes en proportion de leur
importance numérique. La conférence fixe également le temps de parole réservé aux députés non inscrits, lesquels
doivent disposer d’un temps global au moins proportionnel à leur nombre.
8 La présentation des motions et les interventions sur les articles et les amendements ne sont pas soumises aux
limitations de durée fixées par les articles 91, 95, 100, 108 et 122.
9 Toutes les interventions des députés, à l’exception de celles du président et du rapporteur de la commission
saisie au fond sont décomptées du temps réparti en application de l’alinéa 6. Est également décompté le temps
consacré à des interventions fondées sur l’article 58, alinéa 1, dès lors que le Président considère qu’elles n’ont
manifestement aucun rapport avec le Règlement. Est également décompté le temps consacré aux suspensions de
séance demandées par le président d’un groupe ou son délégué sur le fondement de l’article 58, alinéa 5, sans que
le temps décompté puisse excéder la durée demandée. Les présidents des groupes disposent d’un temps personnel
non décompté du temps réparti en application de l’alinéa 7. Ce temps est d’une heure par président de groupe. Un
président de groupe peut transférer la moitié de ce temps personnel à un membre de ce groupe, désigné pour la
durée de la lecture d’un texte.
10 Selon des modalités définies par la Conférence des présidents, un président de groupe peut obtenir, de droit,
que le temps programmé soit égal à une durée minimale fixée par la Conférence des présidents.
11 Une fois au cours des douze mois suivant le début de la session ordinaire, un président de groupe peut obtenir,
de droit, un allongement exceptionnel de cette durée dans une limite maximale fixée par la Conférence des
présidents.

3
12 Une fois au cours des douze mois suivant le début de la session ordinaire, un président de groupe peut obtenir,
de droit, un allongement exceptionnel du temps attribué à son groupe dans une limite maximale fixée par la
Conférence des présidents.
13 Les allongements exceptionnels prévus aux alinéas 11 et 12 ne peuvent pas s’appliquer à un même texte.
14 Si un président de groupe s’y oppose, la conférence ne peut fixer la durée maximale de l’examen de l’ensemble
d’un texte lorsque la discussion en première lecture intervient moins de six semaines après son dépôt ou moins de
quatre semaines après sa transmission.
15 Si la Conférence des présidents constate que la durée maximale fixée pour l’examen d’un texte est insuffisante,
elle peut décider de l’augmenter.
Chaque député peut prendre la parole, à l’issue du vote du dernier article du texte en discussion, pour une
explication de vote personnelle de deux minutes. Le temps consacré à ces explications de vote n’est pas décompté
du temps global réparti entre les groupes, par dérogation à la règle énoncée à l’alinéa 9.

Chapitre XII : Tenue des séances plénières


Article 50
1 L’Assemblée se réunit chaque semaine en séance publique le matin, l’après-midi et la soirée du mardi,
l’après-midi et la soirée du mercredi ainsi que le matin, l’après-midi et la soirée du jeudi.
2 Sur proposition de la Conférence des présidents, l’Assemblée peut décider de tenir d’autres séances dans les
limites prévues par l’article 28, alinéa 2, de la Constitution. Dans les mêmes limites, la tenue de ces séances est de
droit à la demande du Gouvernement formulée en Conférence des présidents, pour l’examen des textes et des
demandes visés à l’article 48, alinéa 3, de la Constitution.
3 La matinée du mercredi est réservée aux travaux des commissions. Sous réserve des dispositions de l’article 48,
alinéas 2 et 3, de la Constitution, au cours de cette matinée, aucune séance ne peut être tenue en application de
l’alinéa précédent.
4 L’Assemblée se réunit le matin de 9 heures à 13 heures, l’après-midi de 15 heures à 20 heures et en soirée
de 21 heures 30 à minuit.
5 L’Assemblée peut toutefois décider de prolonger ses séances soit sur proposition de la Conférence des
présidents pour un ordre du jour déterminé, soit sur proposition de la commission saisie au fond, d’un président de
groupe ou du Gouvernement pour continuer le débat en cours ; dans ce dernier cas, elle est consultée sans débat
par le Président. La prolongation de la séance du soir au-delà de l’horaire mentionné à l’alinéa 4 n’est admise que
pour achever une discussion en cours.
6 L’Assemblée peut à tout moment décider des semaines au cours desquelles elle ne tient pas séance,
conformément à l’article 28, alinéa 2, de la Constitution.

Chapitre XIII : Modes de votation


Article 61
1 L’Assemblée est toujours en nombre pour délibérer et pour régler son ordre du jour.
2 Les votes émis par l’Assemblée sont valables quel que soit le nombre des présents si, avant le début de l’épreuve,
le Président n’a pas été appelé, sur demande personnelle du président d’un groupe, à vérifier le quorum en constatant
la présence, dans l’enceinte du Palais, de la majorité absolue du nombre des députés calculée sur le nombre de sièges
effectivement pourvus.
3 La demande personnelle du président d’un groupe n’est recevable que si la majorité des députés qui constituent
ce groupe est effectivement présente dans l’hémicycle.
4 Lorsqu’un vote ne peut avoir lieu faute de quorum, la séance est suspendue après l’annonce par le Président
du report du scrutin qui ne peut avoir lieu moins de quinze minutes après ; le vote est alors valable, quel que soit le
nombre des présents.
Article 62
1 Le vote des députés est personnel.
2 Toutefois, leur droit de vote dans les scrutins publics peut être délégué par eux dans les conditions fixées par
l’ordonnance n° 58‑1066 du 7 novembre 1958 précitée.
Article 63
1 Les votes s’expriment, soit à main levée, soit par assis et levé, soit au scrutin public ordinaire, soit au scrutin
public à la tribune.
2 Toutefois, lorsque l’Assemblée doit procéder, par scrutin, à des nominations personnelles, le scrutin est secret.
Article 64
1 L’Assemblée vote normalement à main levée en toutes matières, sauf pour les nominations personnelles.

TITRE II : PROCÉDURE LÉGISLATIVE

PREMIÈRE PARTIE : PROCÉDURE LÉGISLATIVE ORDINAIRE

Chapitre Ier : Dépôt des projets et propositions

4
Article 81
1 Les projets de loi, les propositions de loi transmises par le Sénat et les propositions de loi présentées par les
députés sont enregistrés à la Présidence .
2 Le dépôt des propositions de loi présentées par les députés est subordonné à leur recevabilité, laquelle est
préalablement appréciée dans les conditions prévues par le chapitre III de la présente partie .
3 Le dépôt fait l’objet d’une annonce au Journal officiel.
Article 82
1 Hormis les cas prévus expressément par les textes constitutionnels ou organiques, les propositions de
résolution ne sont recevables que si elles formulent des mesures et décisions d’ordre intérieur qui, ayant trait au
fonctionnement et à la discipline de l’Assemblée, relèvent de sa compétence exclusive.
2 Ces propositions de résolution sont déposées, examinées et discutées suivant la procédure applicable en
première lecture aux propositions de loi, à l’exception des dispositions faisant application à ces dernières des
articles 34, 40 et 41 de la Constitution.
3 Lorsque la commission saisie d’une proposition de résolution conclut au rejet de la proposition ou ne présente
pas de conclusions, le Président, immédiatement après la clôture de la discussion générale, appelle l’Assemblée à se
prononcer. Dans le premier cas, l’Assemblée vote sur les conclusions de rejet. Si ces conclusions ne sont pas adoptées,
la discussion s’engage sur les articles de la proposition de résolution ou, en cas de pluralité, de la première proposition
de résolution déposée. Dans le second cas, l’Assemblée statue sur le passage à la discussion des articles du texte initial
de la proposition de résolution ou, en cas de pluralité, de la première proposition de résolution déposée. Si
l’Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles, le Président déclare que la proposition de résolution
n’est pas adoptée.
Article 83
1 Tout texte déposé est imprimé, distribué et renvoyé à l’examen de la commission permanente compétente de
l’Assemblée, sauf constitution d’une commission spéciale.
2 Les documents qui rendent compte de l’étude d’impact réalisée sur un projet de loi soumis en premier lieu à
l’Assemblée sont imprimés et distribués en même temps que ce projet. Ils sont mis à disposition par voie
électronique, afin de recueillir toutes les observations qui peuvent être formulées.
Article 84
1 Les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu’à leur adoption définitive
par le Parlement.
2 L’auteur ou le premier signataire d’une proposition peut la retirer à tout moment avant son adoption en
première lecture. Si le retrait a lieu en cours de discussion en séance publique et si un autre député la reprend, la
discussion continue.
3 Les propositions repoussées par l’Assemblée ne peuvent être reproduites avant un délai d’un an.
Article 85
1 Le Président de l’Assemblée saisit la commission permanente compétente, ou la commission spéciale désignée
à cet effet, de tout projet ou proposition déposé sur le bureau de l’Assemblée.
2 Dans le cas où une commission permanente se déclare incompétente ou en cas de conflit de compétence entre
deux ou plusieurs de ces commissions, le Président, après un débat où sont seuls entendus le Gouvernement ou
l’auteur de la proposition et les présidents des commissions intéressées, propose par priorité à l’Assemblée la création
d’une commission spéciale. Si cette proposition est rejetée, le Président soumet à l’Assemblée la question de
compétence.

Chapitre II : Travaux législatifs des commissions


Article 86
1 La désignation des rapporteurs ainsi que le dépôt, l’impression et la mise à disposition de leurs rapports et des
textes adoptés par les commissions doivent intervenir dans un délai tel que l’Assemblée nationale soit en mesure de
procéder à la discussion des projets et propositions conformément à la Constitution.
2 Lorsque le délai entre le dépôt d’un projet ou d’une proposition de loi et son examen en séance est au moins
égal à six semaines, le rapporteur de la commission saisie au fond met à disposition des commissaires, au cours de la
semaine qui précède l’examen du projet ou de la proposition en commission, un document qui fait état de
l’avancement de ses travaux.
3 Les rapports concluent à l’adoption, au rejet ou à la modification du texte dont la commission avait été
initialement saisie. Ils comportent un tableau comparatif qui fait état de ces éventuelles modifications. En annexe
des rapports doivent être insérés les amendements soumis à la commission.
4 Le texte d’ensemble adopté par la commission est publié séparément du rapport. Sauf lorsque la procédure
accélérée prévue par l’article 45, alinéa 2, de la Constitution a été engagée ou lorsque le projet est relatif aux états de
crise, en première lecture, le délai qui sépare la mise à disposition par voie électronique du texte adopté par la
commission et le début de son examen en séance ne peut être inférieur à dix jours. En cas d’engagement de la
procédure accélérée ainsi que lors de la deuxième lecture et des lectures ultérieures, le texte est mis à disposition par
voie électronique dans les meilleurs délais.

5
5 Tout député peut présenter un amendement en commission, qu’il soit ou non membre de celle-ci. Les
amendements autres que ceux du Gouvernement, du président et du rapporteur de la commission et, le cas échéant,
des commissions saisies pour avis doivent être transmis par leurs auteurs au secrétariat de la commission au plus tard
le troisième jour ouvrable précédant la date de début de l’examen du texte à 17 heures, sauf décision contraire du
président de la commission. La recevabilité des amendements des députés est appréciée dans les conditions prévues
par le chapitre III de la présente partie.
6 Peuvent participer aux débats de la commission, outre les membres de celle-ci, l’auteur, selon les cas, d’une
proposition ou d’un amendement ainsi que, le cas échéant, les rapporteurs des commissions saisies pour avis. La
participation du Gouvernement est de droit.
7 Les rapports faits, en première lecture, sur un projet ou une proposition de loi comportent en annexe, le cas
échéant, l’avis des commissions saisies pour avis et, à leur demande, une contribution écrite de chacun des groupes
d’opposition et minoritaires ainsi que, le cas échéant, une contribution écrite du député désigné en application de
l’article 145-7, alinéa 2. Cette dernière contribution porte, s’il y a lieu, sur l’étude d’impact jointe au projet de loi.
8 Les rapports faits sur un projet ou une proposition de loi portant sur les domaines couverts par l’activité de
l’Union européenne comportent en annexe des éléments d’information sur le droit européen applicable ou en cours
d’élaboration. Le cas échéant, sont également rappelées les positions prises par l’Assemblée par voie de résolution
européenne.
9 Les rapports faits sur un projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée comportent en annexe un document
présentant les observations qui ont été recueillies sur les documents qui rendent compte de l’étude d’impact joints
au projet de loi.
10 Les rapports faits sur un projet ou une proposition de loi comportent en annexe une liste des textes susceptibles
d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de ce projet ou de cette proposition.
11 La discussion des textes soumis à la commission peut être organisée par son bureau.
12 Les motions mentionnées aux articles 91 et 122 ne sont pas examinées en commission.
Article 87
1 Toute commission permanente qui décide de se saisir pour avis de tout ou partie d’un projet ou d’une
proposition renvoyé à une autre commission permanente en informe le Président de l’Assemblée. Cette décision est
publiée au Journal officiel.
2 Une commission permanente peut également solliciter l’avis d’une autre commission permanente sur une
partie d’un projet ou d’une proposition de loi qui lui a été renvoyé. Elle en informe le Président de l’Assemblée.
Cette décision est publiée au Journal officiel.
3 Lorsqu’un projet ou une proposition a été l’objet d’un renvoi pour avis, la commission saisie désigne un
rapporteur. Celui-ci participe avec voix consultative aux travaux de la commission saisie au fond. Il peut y présenter
oralement l’avis de sa commission. Réciproquement, le rapporteur de la commission saisie au fond a le droit de
participer, avec voix consultative, aux travaux de la commission saisie pour avis.
4 Les commissions saisies pour avis se réunissent dans des délais permettant à leurs rapporteurs de défendre les
amendements qu’elles ont adoptés devant la commission saisie au fond lors de la réunion prévue par l’article 86.
Article 88
1 Postérieurement à la réunion tenue en application de l’article 86, la commissionsaisie au fond d’un projet ou
d’une proposition de loi peut tenir, jusqu’au début de la séance à laquelle la discussion du texte est inscrite, une ou
plusieurs réunions pour examiner les amendements déposés dans l’intervalle. En tout état de cause, elle en tient une
après l’expiration du délai prévu à l’article 99 si de nouveaux amendements ont été déposés. L’article 86, alinéa 6,
est applicable.
2 La commission délibère au fond sur les amendements déposés avant l’expiration du délai prévu à l’article 99
et les repousse ou les accepte sans les incorporer à ses propositions, ni présenter de rapport supplémentaire.

Chapitre IV : Discussion des projets et propositions en première lecture


Article 90
Sous réserve des dispositions prévues à la deuxième partie du présent titre pour les projets visés à l’article 42, alinéa 2,
de la Constitution, la discussion des projets et propositions de loi porte sur le texte adopté par la commission
compétente. Toutefois, à défaut de texte adopté par la commission, la discussion porte sur le texte dont l’Assemblée
a été saisie.
Article 91
1 La discussion en séance, en première lecture, d’un projet ou d’une proposition de loi ne peut intervenir avant
l’expiration d’un délai de six semaines à compter de son dépôt ou de quatre semaines à compter de sa transmission.
Ces délais ne s’appliquent pas aux projets relatifs aux états de crise ou si la procédure accélérée a été engagée .
2 La discussion des projets et propositions s’engage par l’audition éventuelle du Gouvernement, par la
présentation du rapport de la commission saisie au fond et, s’il y a lieu, par l’audition du rapporteur de la ou des
commissions saisies pour avis dans les conditions prévues à l’article 87, alinéa 2, et par celle du député désigné en
application de l’article 145-7, alinéa 2.
3 L’intervention du rapporteur ne peut excéder une durée de dix minutes, sauf décision contraire de la
Conférence des présidents.

6
4 Un membre du Conseil économique, social et environnemental peut également être entendu dans les
conditions fixées à l’article 97.
5 Il ne peut ensuite être mis en discussion et aux voix qu’une seule motion de rejet préalable, dont l’objet est de
faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire
décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. L’adoption de la motion de rejet préalable entraîne le rejet du texte à l’encontre
duquel elle a été soulevée. Dans la discussion, peuvent seuls intervenir l’un des signataires pour une durée qui ne
peut excéder quinze minutes sauf décision contraire de la Conférence des présidents, le Gouvernement et le
président ou le rapporteur de la commission saisie au fond. Avant le vote, la parole est accordée, pour deux minutes,
à un orateur de chaque groupe.
6 Si la motion est rejetée ou s’il n’en est pas présenté, le passage à la discussion des articles du projet ou de la
proposition ou du texte de la commission est de droit.
7 La parole est ensuite donnée aux orateurs qui se sont fait inscrire dans la discussion générale. L’auteur ou le
premier signataire d’une proposition a priorité.
Article 93
1 L’irrecevabilité tirée de l’article 41, alinéa 1, de la Constitution peut être opposée à tout moment par le
Gouvernement ou par le Président de l’Assemblée à l’encontre d’une proposition ou d’un amendement ou des
modifications apportées par amendement au texte dont la commission avait été initialement saisie.
2 Le président de la commission saisie au fond adresse au Président de l’Assemblée une liste des propositions
ou des amendements dont il estime qu’ils ne relèvent pas du domaine de la loi ou qu’ils sont contraires à une
délégation accordée en vertu de l’article 38 de la Constitution.
3 Lorsque l’irrecevabilité est opposée par le Gouvernement, le Président de l’Assemblée peut, le cas échéant
après consultation du président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration
générale de la République ou d’un membre du bureau désigné à cet effet, admettre l’irrecevabilité. Si l’irrecevabilité
est opposée par le Gouvernement alors que la discussion est en cours, l’examen de l’amendement, de l’article ou du
texte peut être suspendu ou réservé jusqu’à ce que le Président de l’Assemblée ait, dans les mêmes conditions, statué.
4 Lorsque l’irrecevabilité est opposée par le Président de l’Assemblée, le cas échéant après consultation du
président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la
République ou d’un membre du bureau désigné à cet effet, il consulte le Gouvernement. L’examen de
l’amendement, de l’article ou du texte peut être suspendu ou réservé jusqu’à ce que le Gouvernement se soit
prononcé.
5 En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l’Assemblée, la discussion est suspendue et le
Président de l’Assemblée saisit le Conseil constitutionnel.
Article 95
1 La discussion des articles porte successivement sur chacun d’eux.
2 Les interventions des commissions et des députés sur les articles du texte en discussion ne peuvent excéder
deux minutes, dans la limite d’un orateur par groupe et d’un député n’appartenant à aucun groupe, sous réserve des
dispositions de l’article 54, alinéa 4. Les orateurs des groupes sont désignés par leur président ou son délégué.
3 Sur chaque article, les amendements sont mis successivement en discussion et aux voix dans les conditions
fixées par l’article 100. Chaque article est ensuite mis aux voix séparément.
(…)
6 Après le vote sur le dernier article ou sur le dernier article additionnel proposé par voie d’amendement, il est
procédé au vote sur l’ensemble du projet ou de la proposition, sauf si la Conférence des présidents a décidé que le
vote aurait lieu par scrutin, à une autre date, dans les conditions prévues à l’article 65-1.
Article 98
1 Le Gouvernement, les commissions saisies au fond et les députés ont le droit de présenter des amendements
aux textes déposés sur le bureau de l’Assemblée ainsi qu’aux textes adoptés par les commissions.
2 Les commissions saisies pour avis peuvent présenter des amendements aux textes déposés sur le Bureau de
l’Assemblée lors de leur examen par les commissions saisies au fond en application de l’article 86.
3 Il n’est d’amendements que ceux formulés par écrit, signés par l’un au moins des auteurs et déposés sur le
bureau de l’Assemblée ou présentés en commission.
4 Les amendements doivent être sommairement motivés ; ils sont communiqués par la Présidence à la
commission saisie au fond, imprimés et distribués ; toutefois, le défaut d’impression et de distribution d’un
amendement ne peut faire obstacle à sa discussion en séance publique.
5 Les amendements ne peuvent porter que sur un seul article. Les contre-projets sont présentés sous forme
d’amendements, article par article, au texte en discussion. Les sous-amendements ne peuvent contredire le sens de
l’amendement ; ils ne peuvent être amendés. La recevabilité des amendements, contre-projets et sous-amendements,
au sens du présent alinéa, est appréciée par le Président de l’Assemblée .
6 Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41 de la Constitution, tout amendement est recevable en
première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. En commission, la
recevabilité est appréciée lors du dépôt de l’amendement par le président de la commission saisie au fond. En
séance publique, la recevabilité est appréciée lors du dépôt par le Président, après consultation éventuelle du
président de la commission saisie au fond.

7
Article 99
1 Sauf décision contraire de la Conférence des présidents, les amendements des députés doivent être présentés
au plus tard le troisième jour ouvrable précédant la date de début de la discussion du texte à 17 heures.
2 Après l’expiration du délai de dépôt prévu à l’alinéa précédent, sont seuls recevables les amendements déposés
par le Gouvernement ou la commission saisie au fond. Lorsque le Gouvernement ou la commission saisie au fond
fait usage de cette faculté, ce délai n’est plus opposable aux amendements des députés portant sur l’article qu’il est
proposé d’amender ou venant en concurrence avec l’amendement déposé lorsque celui-ci porte article additionnel.
3 Le délai prévu au présent article n’est pas applicable aux sous-amendements.
Article 100
1 Les amendements sont mis en discussion après la discussion du texte auquel ils se rapportent et aux voix avant
le vote sur ce texte et, d’une manière générale, avant la question principale.
2 Le Président ne met en discussion que les amendements déposés sur le bureau de l’Assemblée.
3 L’Assemblée ne délibère pas sur les amendements qui ne sont pas soutenus en séance. Elle ne délibère pas
non plus, lorsque le Gouvernement en fait la demande en application de l’article 44, alinéa 2, de la Constitution,
sur les amendements qui n’ont pas été soumis à la commission ; cette demande est présentée au moment où
l’amendement est appelé en séance.
4 Lorsqu’ils viennent en concurrence, les amendements sont mis en discussion dans l’ordre ci-après :
amendements de suppression et ensuite les autres amendements en commençant par ceux qui s’écartent le plus du
texte proposé et dans l’ordre où ils s’y opposent, s’y intercalent ou s’y ajoutent.
5 Les amendements présentés par le Gouvernement ou par la commission saisie au fond ont priorité de
discussion sur les amendements des députés ayant un objet identique. Lorsque plusieurs membres d’un même
groupe présentent des amendements identiques, la parole est donnée à un seul orateur de ce groupe désigné par son
président ou son délégué. Il est procédé à un seul vote sur l’ensemble des amendements identiques.
6 Lorsque plusieurs amendements, exclusifs l’un de l’autre, sont en concurrence, le Président peut les soumettre
à une discussion commune dans laquelle les auteurs obtiennent successivement la parole avant la mise aux voix,
également successive, de leurs amendements.
7 Sous réserve des dispositions de l’alinéa 5, sont entendus, sur chaque amendement, outre l’un des auteurs, le
Gouvernement, le président, le rapporteur de la commission saisie au fond ou le rapporteur de la commission saisie
pour avis dans les conditions prévues à l’article 87, alinéa 2, et deux orateurs, dont un au moins d’opinion
contraire. Sous réserve des dispositions de l’article 54, alinéa 4, les interventions sur les amendements, autres que
celles du Gouvernement, ne peuvent excéder deux minutes.

Partie 2. La revalorisation du Parlement


Document 1 A. VIDAL-NAQUET, « Le renouveau de l’opposition », Pouvoirs,
2013, n° 3, pp. 133-147
Effectuez les exercices suivants :
- En cherchant dans l’actualité, donnez des exemples récents d’opposition stérile et de discipline parlementaire.
- Pourquoi l’auteure qualifie la majorité parlementaire de « quasi-transparente » ?
- Quels sont les apports de la réforme de 2008 pour le Parlement ?
- Quel peut-être l’effet de chaque solution présentée par l’auteure afin d’émanciper le Parlement ?
- Quels sont les droits spécifiques des groupes minoritaires ? En quoi cela peut permettre d’émanciper le Parlement ?

Les conditions d’un véritable renouvellement de l’opposition


Il semble ici nécessaire d’inverser la perspective généralement retenue : le renouveau de l’opposition ne doit pas être
considéré comme la condition de la revalorisation du Parlement mais comme sa conséquence. Cette inversion de
logique invite à revenir sur les raisons de l’affaiblissement parlementaire : le poids du fait majoritaire, longtemps
couplé au carcan du parlementarisme rationalisé. Il s’agit là d’un constat ancien et relativement unanime, mais qui
a des implications fortes sur le renouveau de l’opposition. En effet, et dans la mesure où l’opposition n’est définie
qu’en double de la majorité, c’est du renouveau de la majorité que dépendra celui de l’opposition. Au-delà, et en
conséquence, c’est du renouveau du Parlement que dépendra la force de l’opposition.

L’émancipation de la majorité
Le renouveau de l’opposition suppose l’émancipation de la majorité. Au-delà du poncif sur l’état de servitude dans
lequel la majorité se laisse, bon gré mal gré, enfermer, se trouve un réel enjeu pour l’opposition. En effet, tout se
passe comme si « l’inféodation » de la majorité au gouvernement ne pouvait susciter, de la part de la minorité, qu’un
comportement systématique, radical et souvent stérile d’opposition. On pourrait presque soutenir qu’au sein de
l’enceinte parlementaire l’opposition se bat moins contre la majorité parlementaire, quasi transparente, que contre
le gouvernement et, au-delà, contre un Président à bien des égards inaccessible et intouchable. D’où cette opposition
exacerbée et quasi systématique qui pourrait, semble-t-il, s’atténuer si la majorité parlementaire venait à s’émanciper.

8
La persistance du fait majoritaire
Prenant acte de la force du fait majoritaire, la révision constitutionnelle de 2008 a, pour partie, cherché à assouplir
le carcan dans lequel est enserrée la majorité et, en particulier, à gommer les aspects les plus excessifs du
parlementarisme rationalisé. C’est ainsi qu’a été limité le recours à l’article 49-3, directement dirigé contre une
majorité rétive ; c’est ainsi que la discussion parlementaire porte désormais sur le texte issu de la commission
concernée, rendant plus difficile, pour le gouvernement, le rétablissement du texte initial et facilitant, en
conséquence, les amendements parlementaires, notamment ceux issus de la majorité. On ajoutera que la majorité
n’a pas hésité, elle-même, à exhiber quelques velléités d’indépendance, souhaitant « réveiller le Parlement » et mettre
fin à l’ère des «députés godillots»: le Parlement deviendrait même un «hyper- Parlement », susceptible de jouer le rôle
d’un véritable contre-pouvoir comme le soutenait l’ancien président du groupe UMP à l’Assemblée Jean-François
Copé.
Et pourtant, les habitudes demeurent tenaces et la discipline de la majorité fermement établie à l’Assemblée7. Il en
va ainsi des séances de questions au gouvernement durant lesquelles les questions des députés de la majorité ne
servent qu’à flatter les ministres concernés, des éventuels amendements des députés aussitôt retirés à la demande du
gouvernement, des propositions de loi largement commandées par l’exécutif, de la prudence des présidents des
chambres dans la mise en œuvre des nouvelles prérogatives dont ils disposent. En dehors de l’enceinte parlementaire,
prompts et brutaux sont les rappels à l’ordre des parlementaires qui ont osé critiquer la ligne présidentielle8. La
situation de la majorité est, en revanche, plus confortable au Sénat, comme il en va traditionnellement dans les
secondes chambres. Ainsi le pluralisme sénatorial, gage de dialogue et de modération, est-il souvent vanté. Mais cela
n’a pas empêché quelques épisodes troublants, par exemple lorsque la majorité sénatoriale a déposé et fait voter une
question préalable sur le projet de loi de finances pour 2013 en nouvelle lecture, privant ainsi la seconde chambre
d’un débat budgétaire.

Comment, dès lors, tenter de libérer la majorité ?


Des solutions plus ou moins radicales existent et sont défendues depuis longtemps : une nouvelle inversion du
calendrier électoral, les élections législatives précédant alors les présidentielles ; l’introduction d’une dose de
proportionnelle aux législatives afin d’atténuer ou de tempérer
la force du fait majoritaire ; la limitation temporelle
des mandats afin d’accroître l’indépendance des parlementaires. Mais sans doute peut-on aussi espérer de la place
désormais accordée aux groupes minoritaires, 143 également visés par l’article 51-1.
L’identification de ces groupes à l’Assemblée nationale repose sur un système déductif lui-même fondé sur une
double négation : sont qualifiés de groupes minoritaires ceux qui ne se sont pas déclarés d’opposition, à l’exception
de celui d’entre eux qui compte l’effectif le plus élevé. Le règlement du Sénat se contente, pour sa part, d’une formule
plus générale et plus souple, selon laquelle tout groupe peut se déclarer minoritaire. Leur création a été facilitée par
l’abaissement du seuil requis pour constituer un groupe parlementaire, aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat, et elle
est encouragée par les droits spécifiques dont ils peuvent désormais bénéficier sur le fondement de l’article 51-1. à
l’origine assez contestés en raison de leur possible appartenance à la majorité, ces groupes minoritaires peuvent
précisément assouplir la brutalité du fait majoritaire et permettre, en conséquence, un positionnement moins radical
des groupes d’opposition.
Les potentialités ouvertes par ces groupes minoritaires sont illustrées par la configuration actuelle, puisqu’il existe
désormais trois groupes minoritaires au sein de la majorité, avec des clivages idéologiques souvent assez nets. Il en
résulte une situation assez inédite où la majorité est dispersée dans quatre groupes à l’Assemblée comme au Sénat,
les groupes minoritaires disposant d’un certain nombre de ressources et donc de moyens de pression sur le groupe
majoritaire. Certes, pour l’heure, ces groupes restent très subordonnés à la logique majoritaire. Mais, ainsi
institutionnalisés, ils disposent dorénavant d’un certain nombre de prérogatives, d’une plus grande visibilité et d’une
position de bascule véritablement stratégique 9. En conséquence, la position du gouvernement devient plus délicate,
obligé qu’il est de ne pas froisser, de composer avec ces groupes minoritaires qui peuvent négocier leur soutien tantôt
à la majorité, tantôt à l’opposition. C’est réduire d’autant l’assurance, l’autoritarisme même, de la majorité et faciliter,
à terme, le positionnement de l’opposition. Encore faut-il que puisse s’instaurer une véritable culture du Parlement.

La culture du Parlement
Une évidence mérite d’être rappelée : le statut de l’opposition mais aussi sa vitalité sont étroitement dépendants du
rôle et de la place du Parlement, surtout lorsque, comme en France, elle y est cantonnée. Il pouvait donc sembler
curieux de croire que la revalorisation du Parlement serait entraînée par le renouveau de l’opposition. C’est bien la
logique inverse qui prédomine : la confiance, le respect du Parlement, pour reprendre une expression en vogue, sont
une condition de la revitalisation de l’opposition.

La méconnaissance des droits du Parlement


Sur ce point, et malgré les apports de la révision constitutionnelle de 2008, les exemples ne manquent pas d’un
mépris ou d’une négation du Parlement ou, et le glissement sémantique n’est pas anodin, des « droits du Parlement ».
Ainsi le recours à la procédure accélérée est-il largement dénoncé, de même que la pratique des ordonnances
régulièrement condamnée. Parmi « le florilège de violations caractérisées des droits les plus fondamentaux du
Parlement 10 » figurent l’oubli de séances des questions d’actualité, comme lors de la session extraordinaire ouverte

9
le 3 juillet 2012, l’inscription à l’ordre du jour de textes non officiellement transmis au Parlement, par exemple pour
la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement, la pratique des amendements
gouvernementaux furtifs, la pression aux fins d’enregistrer un texte ayant fait l’objet d’un accord entre les partenaires
sociaux, ainsi la loi du 1er mars 2013 créant le contrat de génération, ou encore la demande d’une seconde
délibération par le gouvernement, notamment lors de l’adoption du projet de loi de finances pour 2011. On pourrait
objecter que ce mépris du Parlement n’a rien de nouveau et que les violations ainsi déplorées sont, en réalité,
monnaie courante. Mais le changement vient précisément de ce que ces atteintes sont dénoncées non seulement par
l’opposition mais aussi, et surtout, par la majorité. Il y a là une prise de conscience de ce que le Parlement a un rôle
à jouer et qu’il entend, en conséquence, l’assumer. Les prétentions de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008,
centrées sur la revalorisation du Parlement, n’y sont pas étrangères.
Cette prise de conscience s’accompagne de la volonté d’attraire le juge
dans les conflits susceptibles de s’élever en la
matière. En effet, le Conseil constitutionnel est de plus en plus systématiquement saisi de la question
de savoir si
les droits du Parlement ont été ou non méconnus à travers
la question du respect de la procédure parlementaire.
Ainsi les requérants n’hésitent-ils plus à dénoncer le recours à la procédure accélérée11, le recours à la réserve de vote
et au vote bloqué12, l’oubli de la séance de 145 questions au gouvernement13, mais encore l’utilisation du temps
législatif programmé14, les décisions du président de l’assemblée concernée dans la gestion des débats en séance
publique15, l’information insuffisante de la conférence des présidents16... Il ne serait pas aberrant que soit, un jour,
expressément portée devant le Conseil constitutionnel la question de savoir si les droits de l’opposition ont été, ou
non, méconnus au cours du débat parlementaire.

Quel contrôle du respect des droits du Parlement ?


L’ampleur du contrôle susceptible d’être exercé par le Conseil constitutionnel est limitée par la jurisprudence
constante selon laquelle les règlements des assemblées n’ont pas valeur constitutionnelle et que leur éventuelle
méconnaissance « ne saurait avoir pour effet, à elle seule, de rendre la procédure législative contraire à la
Constitution ». Cela étant, la constitutionnalisation croissante de la procédure parlementaire, portée notamment
par la révision constitutionnelle de 2008, offre au contrôle de constitutionnalité de nouveaux points d’ancrage, par
exemple s’agissant des prérogatives nouvellement dévolues à la conférence des présidents ou encore de la
détermination de l’ordre du jour. Surtout, l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire, fondée sur les
articles 6 de la Déclaration de 1789 et 3 de la Constitution, est devenue une norme de référence très malléable, qui
permet de censurer une éventuelle méconnaissance des règlements de l’Assemblée et du Sénat17. Derrière cette
exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire se trouvent non seulement les droits des parlementaires
mais aussi les droits des groupes, voire ceux de l’opposition18.
Cela étant, le Conseil constitutionnel semble demeurer, pour l’instant, très prudent, veillant à ne pas s’immiscer
dans le jeu politique et tentant, surtout, de responsabiliser les différents acteurs. Ainsi, lors de l’examen de la loi
relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, le Conseil a rejeté le grief tiré du
recours abusif à l’article 45 C au motif « qu’aucune disposition constitutionnelle n’impose au gouvernement de
justifier l’engagement de la procédure accélérée », non sans avoir souligné la possibilité pour les conférences des
présidents de s’y opposer conjointement19. C’est rappeler que le Parlement dispose, s’il le souhaite, de la faculté
d’empêcher le recours à cette procédure. De même, lors de l’examen de la loi relative à l’immigration, le Conseil a
rejeté le grief tiré de l’insuffisance du temps législatif programmé après avoir relevé qu’il appartient à la conférence
des présidents de décider de l’octroi d’un temps de parole supplémentaire20. C’est, là encore, une manière d’indiquer
que le contrôle de constitutionnalité ne doit pas pallier les faiblesses du jeu politique. Le Parlement, majorité et
opposition rassemblées, dispose de la possibilité de faire respecter ses prérogatives. Il est bien l’acteur de son
renouveau et, en conséquence, de celui de la majorité et de l’opposition.

Notes de bas de page :


7. à ce sujet, cf. notamment Julie Benetti, « Les rapports entre gouvernement, groupes de la majorité et groupes d’opposition », art. cit.
8. Réagissant aux propos assez offensifs de Pascal Cherki, le premier secrétaire du Parti socialiste n’a pas manqué de rappeler que « ce qui est
attendu aujourd’hui d’un député qui doit son élection au ps et qui a été élu dans la foulée de François Hollande, c’est d’être mobilisé derrière le
président de la République », Le Monde, 26 mars 2013.
9. Sur ce point, cf. par exemple Samuel Le Goff, « De l’art de gérer les séances d’initiative parlementaire », blog « Les cuisines de l’assemblée »,
LExpress. fr, 22 mars 2013.
10. Cf. Jean-Louis Borloo et Francis Vercamer, « Le respect du Parlement : le changement, c’est pour quand ? », Le Figaro, 16 janvier 2013.
11. CC,2012-649DC,15mars2012,Loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives, JO, 23 mars 2012, p.
5253, cons. 8 et 9.
12. CC,2010-603DC,11février2010,Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, JO, 17
février 2010, p. 2914, cons. 8 et 9.
13. Justi ant d’ailleurs la mise en garde prononcée par le Conseil constitutionnel dans la décision 2012-655 DC du 24 octobre 2012, Loi relative
à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, JO, 27 octobre
2012, p. 16704, cons. 3 : « Considérant qu’un projet ou une proposition de loi qui serait adopté au cours d’une semaine dont l’ordre du jour
avait été établi en mécon- naissance du dernier alinéa de l’article 48 C serait adopté selon une procédure contraire à la Constitution [...] ».
14. CC, 2011-631 DC, 9 juin 2011, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, JO, 17 juin 2011, p. 10306, cons. 5 à 7.
15. CC,2010-617DC,9novembre2010,Loi portant réforme des retraites,Rec.,p.310.Les requérants ont contesté la suppression des explications de
vote personnelle lors de l’examen de la loi portant réforme des retraites, alors même que n’était pas pratiquée, selon eux, une stratégie
d’obstruction.

10
16. CC, 2012-655 DC, 24 octobre 2012, Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations
de production de logement social, JO, 27 octobre 2012, p. 16704.
17. Cefutlecasdansladécision2011-631DCprécitée,leConseilconstitutionnelexaminant si la durée du temps législatif programmé n’était pas «
manifestement disproportionnée au regard des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (cons. 6).
18. Intégrant le rôle de l’opposition dans les exigences de clarté et de sincérité du débat démocratique. Cf. CC, 2009-581 DC, 25 juin 2009, cons.
28-29 : le règlement de l’Assemblée avait prévu la clôture automatique de la discussion d’un article dès lors que quatre orateurs seraient intervenus
; le Conseil juge que cette clôture « pourrait avoir pour effet d’interdire aux membres d’un groupe d’opposition d’intervenir dans la discussion »
et « méconnaît, par suite, les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire ».
19. CC,2012-649DC,décisionprécitée,cons.3.Celaavaitdéjàétésoulignédansladécision 2009-582 DC du 25 juin 2009, cons. 15.
20. CC, 2011-631 DC, décision précitée, cons. 7.

Document 2 G. CARCASSONNE, « Conclusions », Jus Politicum, 2011, n° 6, Le


Parlement français et le nouveau droit parlementaire après la réforme de 2008
Effectuez les exercices suivants :
- Donnez un exemple récent de mépris de la majorité par l’opposition.
- Qu’est-ce qu’une « étude d’impact » ? Quel peut-être son rôle dans la revalorisation du Parlement ?
- Qu’est-ce qui a poussé les parlementaires à « retrouver le chemin des commissions » ?
- Qu’est-ce que le « temps législatif programmé » ? Quels sont ses mérites ?
- Quelles sont les tâches de contrôle exercées par le Parlement ? Sont-elles assez valorisées ?

« Oui, petit à petit, les parlementaires, sans même en avoir toujours conscience, vont peut-être évoluer vers
une nouvelle culture du Parlement. Chacun sait que celle qui fut longtemps la leur, en gros depuis les années 70,
pourra être abandonnée, à mes yeux, sans le moindre regret, sans la moindre nostalgie. Cette culture
d’asservissement, de servitude de la part des parlementaires, de caporalisme, d’autoritarisme de la part du
Gouvernement, gagnerait à disparaître, ou plus exactement, nous gagnerions tous à ce qu’elle disparaisse.
Il n’en demeure pas moins que, bien sûr, elle fut si ancrée que demeurent des phénomènes bien naturels d’hystérésis.
Oui, les mauvaises habitudes ont la vie dure (…). Mais en même temps, il y a d’ores et déjà, des acquis qui sont, me
semble-t-il, sensibles.
Que les mauvaises habitudes aient la vie dure, peut se constater très facilement. (…) Franchement, qu’y a-t-il de plus
indécent, de plus honteux à proprement parler, que ces séances d’ordre du jour à la disposition de l’opposition
auxquelles la majorité ne participe pas ? Ce décalage, cette possibilité de réserver les votes d’une part, ce mépris
affiché par la majorité à l’égard, non pas de l’opposition, mais de l’institution parlementaire elle-même, sont
purement et simplement insupportables.

De manière plus détaillée, et toujours au titre des mauvaises habitudes, je dois dire que j’ai été stupéfait de
découvrir qu’un rapporteur pouvait, en séance, retirer un amendement de la Commission. Quelle drôle de
conception que celle-ci, conception patrimoniale dans laquelle c’est le rapporteur qui serait propriétaire des travaux
de la commission ? Quand la Commission a voté, qu’un amendement a été adopté par celle-ci, il devient
l’amendement de la Commission. Il n’est pas l’amendement du rapporteur, il n’est pas l’amendement du Président,
quels qu’en aient pu être les auteurs initiaux.
Et donc cette commodité qui, sur un simple clin d’œil appuyé du Gouvernement, peut permettre à un rapporteur
ou à un Président de retirer un amendement qui pourtant avait été adopté par la Commission, est, elle aussi, à
mettre sur le compte, me semble-t-il, de ces très mauvaises manières, heureusement déjà vieilles, et dont j’espère
qu’elles dépériront rapidement.
Reste néanmoins qu’il y a d’ores et déjà des acquis sensibles. On glose sur les études d’impact, et parfois on les raille.
C’est vrai qu’elles sont de qualité très inégale. C’est vrai qu’il en est qui sont parfaitement affligeantes. C’est vrai que
les parlementaires en font un usage… mesuré. Néanmoins, elles occupent une place qui ne va cesser de croître et qui
est déjà très importante. Car il ne faut pas oublier, surtout dans le monde dans lequel nous vivons, que, aujourd’hui,
les parlementaires ne sont plus seuls concernés par l’élaboration de la loi. S’il y a des gens qui, eux, ont parfaitement
et tout de suite compris l’intérêt des études d’impact, ce sont bien tous les partenaires extérieurs, lobbies, associations,
groupes de pression en tout genre. Et il n’y a dans ma bouche aucune péjoration lorsque j’évoque les uns et les
autres. Eux se sont saisis des études d’impact, et en renvoient le contenu tant au Gouvernement qu’au Parlement
dans l’influence qu’ils tentent d’exercer sur le déroulement du processus.
On a déjà dit ce qu’il y avait à dire sur le renforcement du rôle des commissions, qui, lui aussi, est un acquis déjà
substantiel. Le fait que les parlementaires aient retrouvé tout simplement le chemin des commissions, que beaucoup
d’entre eux avaient oublié, est en soi un élément plutôt bénéfique. Alors certes il se paie de quelques dérèglements
– aujourd’hui on bavarde en commission ; il y a parfois, dit-on, du brouhaha en commission qui n’existait pas
naguère –, il reste qu’au moins y a-t-il des parlementaires, ce qui après tout n’est pas forcément mauvais.
Enfin, comment n’être pas frappé par certaines des statistiques qu’a rappelées Damien Chamussy ? Elles sont
spectaculaires. Mais ce qu’il y a de plus spectaculaire dans les statistiques qu’il a données et qui pour moi est le plus
intéressant, c’est le hiatus qu’il a lui-même observé entre les statistiques de 2009-2010 et les statistiques 2010-2011.
On ne peut pas en faire la somme. Il faut bien les distinguer comme il l’a fait, parce que l’on mesure alors que la
deuxième année est déjà sensiblement meilleure que la première.

11
Quand même, le triplement du temps, du délai entre le dépôt et l’inscription à l’ordre du jour, ça n’est pas tout à
fait rien. Passer d’une moyenne de 53 jours à une moyenne de 150 jours, 150 jours cela fait à peu près 5 mois, et 5
mois ça commence à devenir raisonnable. Les commissions ont eu le temps de travailler, les parlementaires ont eu
le temps de réfléchir, de consulter, de méditer. Dans le meilleur des cas, ils auraient même eu le temps de se concerter
avec le Gouvernement, mais là, il ne faut pas trop rêver.
Ces statistiques sont quand même très éclairantes, et surtout j’y insiste, leur décalage d’une année sur l’autre. Je
voudrais être sûr, mais en tout cas j’espère que les mêmes statistiques, dans un an, dans deux ans, confirmeront la
tendance, sauf qu’évidemment la session parlementaire qui s’ouvrira en octobre 2011 pour se terminer en juin 2012
sera peut-être un cas particulier difficile à extrapoler.
Donc, oui, il y a une acculturation progressive. Petit à petit, des choses changent. Pas aussi vite que nous le
souhaiterions tous, pas aussi bien que nous pouvions l’espérer, pas aussi profondément que l’on pourrait le parier,
n’empêche que ça bouge. Il y a eu tant de mauvaises habitudes encroûtées pendant si longtemps qu’il faut bien
admettre qu’un minimum de temps soit nécessaire pour secouer toute cette gangue, pour faire tomber quelques
plaques, quelques scléroses et qu’enfin le Parlement aille vers où, tous, nous souhaitons le voir se diriger.

Mais d’ores et déjà, ce qui est acquis trace, me semble-t-il, ou permet de tracer un certain nombre de
perspectives nouvelles.
J’irai très vite, pour ne pas abuser du temps, là encore, mais on peut très bien améliorer encore la fonction
législative, et si vous me permettez l’expression, doper utilement la fonction de contrôle.
Sur la fonction législative, d’abord j’ai un espoir qui est que peut-être un jour adoptera-t-on un système du type de la
commission de la chambre tout entière dans lequel le premier débat parlementaire serait un débat en séance publique
sur l’étude d’impact. Non pas sur le projet de loi, mais sur l’étude d’impact. Ce qui, me semble-t-il, ne serait pas du
tout déraisonnable et permettrait, au contraire, de véritablement s’interroger sur l’opportunité de légiférer et le sens
dans lequel on doit le faire.
Ensuite, je vais avancer l’idée, apparemment seulement, paradoxale selon laquelle peut-être verra-t-on se développer
le temps limite programmé, à la demande de l’opposition elle-même. En effet, des règles parfaitement superflues,
selon moi, et en tout cas extrêmement discutables, ont été ajoutées dans le règlement avec ces limitations à 2 minutes,
à 5 minutes selon les cas, lorsque le temps n’est pas programmé, qui introduisent des contraintes pesantes, qui certes
peuvent être allégées par un bon Président de séance, mais qui introduisent néanmoins des contraintes pesantes
dont majorité et opposition sont également les victimes. Au contraire, le temps législatif programmé présente au
moins cette vertu, et elle est grande, de permettre à chacun de se définir sa propre stratégie – mettre l’accent sur la
discussion générale ou au contraire sur les amendements, choisir les amendements auxquels on veut consacrer du
temps – et c’est là une souplesse qui gagnerait, me semble-t-il à être plus largement exploitée.
De la même manière, j’espère que viendra le moment où Assemblée nationale et Sénat prendront véritablement
conscience chacune de l’existence de l’autre. Car enfin, la constance avec laquelle chaque chambre, dans son coin,
inscrit à son ordre du jour des propositions de loi, les adopte dans l’enthousiasme, sans se soucier le moins du monde
de savoir si, une fois transmises dans l’autre chambre, elles pourront être inscrites à l’ordre du jour, a quelque chose
d’un peu infantile. Et l’infantilisme venant de la part de deux institutions aussi anciennes a quelque chose
d’inquiétant. Espérons qu’elles finiront par en sortir et que peut-être, une coordination entre les parlementaires, je
dirais presque une commission mixte permanente et non plus seulement paritaire, permettrait d’essayer de faire du
travail utile plutôt que du travail réduit à un simple affichage.
Quant à la fonction de contrôle, et je terminerai par là, j’ai été, comme vous tous certainement, très sensible
à la subtilité du paradoxe que Pierre Avril a mis en lumière. Oui, c’est vrai, aujourd’hui le contrôle s’exerce davantage
dans la législation. Et ce que l’on continue d’appeler le contrôle devrait davantage être le moment de la coopération.
Le problème, c’est que les parlementaires ne l’ont pas encore tous compris. L’autre problème, c’est que le Conseil
constitutionnel n’y a rien compris. Comme assez souvent d’ailleurs en matière de fonctionnement interne des
institutions parlementaires, c’est un sujet sur lequel, à mon avis, un peu de formation permanente ne messiérait pas.
Peut-être est-ce dû à la composition du Conseil, je l’ignore, mais toujours est-il que dès qu’il s’agit de logique profonde
du fonctionnement de l’institution parlementaire, il y a comme une faille du côté du Pavillon Montpensier.
Il n’en demeure pas moins, en tout état de cause, que, aussi longtemps que les assemblées n’auront pas réfléchi,
comme je l’ai déjà dit souvent, non plus avec des juristes puisque tout le travail juridique possible a été fait, mais
désormais avec des spécialistes de la communication pour rechercher les moyens de valoriser, pour les parlementaires
eux-mêmes, les tâches de contrôle, celles si ne se trouveront qu’insuffisamment exercées. Et cela a été dit (…). Il faut
valoriser, dans l’intérêt des parlementaires eux-mêmes, les tâches de contrôle, afin que ceux-là aient envie de se saisir
de celles-ci.
Enfin, ce serait d’autant plus utile que maintenant le Conseil constitutionnel, du fait de la QPC, intervient
positivement dans la législation en obligeant le Parlement à faire son travail. Curieusement d’ailleurs, vous aurez
sans doute noté que le Parlement ne parait pas du tout lui en vouloir. Au contraire, il en serait même plutôt satisfait,
ne serait-ce que parce que cela permet de surmonter tel ou tel blocage, telle ou telle réticence en provenance du
Gouvernement.

Alors je terminerai en disant, justement à propos du Gouvernement, un mot, un dernier.

12
Tout bien considéré, en 2011, faut-il conserver l’incompatibilité entre les fonctions gouvernementales et les fonctions
parlementaires ? Elle a joué un rôle éminent en 1958 et dans les lustres qui ont suivi. Aujourd’hui, je crois qu’elle
est devenue contreproductive. Je ne suis pas encore totalement persuadé, je ne demande qu’à l’être, mais je pense
plutôt qu’il faudrait y mettre fin.
Et j’y verrais plusieurs avantages. D’abord, par les temps qui courent, l’opinion pourrait être sensible à l’économie
budgétaire que cela permettrait, laquelle du coup pourrait être mise à profit pour doubler certaines fonctions
ministérielles, chaque ministre ayant un secrétaire d’État, de sorte que ce secrétaire d’État, comme cela se fait dans
un certains nombre de démocraties étrangères, puisse effectivement consacrer tout le temps nécessaire au travail
législatif, accessoirement aussi au travail européen. Ce qui aujourd’hui n’est pas fait. Finalement, cette
incompatibilité qui fut fondatrice sous la Ve République me parait être à bout de souffle et devenue
contreproductive. Ce n’est pas la première des marques initiales de la Ve République à connaître ce sort là, mais je
ne pouvais pas ne pas la mentionner pour terminer. »

Partie 3. Le contrôle sur le Parlement


Document 1 G. BERGOUGNOUS, « Le Conseil constitutionnel et le législateur »,
Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 1, pp. 5-21
Répondez aux questions suivantes en vous appuyant sur le texte :
- Quels sont les limites au droit d’amendement posées par le Conseil constitutionnel ?
- Comment s’est concrétisée l’action du Conseil en faveur de la qualité de la loi ?
- Quelles sont les obligations du législateur dans la rédaction de la loi ?
- Qu’est-ce que l’incompétence négative ?

A - Le Conseil protège le législateur contre lui-même


Tout en respectant la vie intime des assemblées dans leurs chambres respectives, le Conseil veille à la paix des
ménages et partant, au « bon déroulement du débat démocratique » 9. Il ne sanctionne les violations des règlements
qu’autant qu’elles constituent des violations de la Constitution elle-même, mais vérifie que les parlementaires,
comme le Gouvernement font un usage qui ne soit pas manifestement excessif de leurs droits 10. Et lorsqu’une
procédure est utilisée par la majorité, de manière quelque peu abusive voire détournée, pour couper court au débat,
le Conseil prend en compte les circonstances dans lesquelles elle est intervenue, par exemple le fait qu’elle constitue
une réponse à une obstruction caractérisée de l’opposition. 11 Le Conseil sait au demeurant se montrer pragmatique
et inventif, afin sans doute de faciliter le travail du législateur et l’adoption des lois, même si le résultat peut susciter
de légitimes critiques. Il n’a ainsi pas hésité à « absou(dre) de façon surprenante une violation pourtant patente des
règles constitutionnelles de procédure parlementaire, à savoir l’exigence du vote personnel »12 en voulant peut-être «
donner à un texte prohibitif devenu obsolète une portée restreinte »13. Il n’est toutefois pas certain qu’en protégeant
ainsi le législateur de la censure, le Conseil ait contribué à assurer la clarté et la sincérité du travail législatif. Par la
même décision14, dans le souci de protéger le législateur des excès auxquels sa propre jurisprudence consacrant le
caractère illimité du droit d’amende- ment pouvait conduire, il a en revanche inventé des « limites inhérentes » à ce
droit de nature qualitative – sur l’ampleur et la portée – qui s’attirèrent les foudres de la doctrine comme des
assemblées15 et se sont révélées un remède pire que le mal. Heureusement, opérant un de ses rares revirements de
jurisprudence, le Conseil a substitué des limites objectives aux limitations subjectives en constitutionnalisant
progressive- ment à partir de 1998 « l’entonnoir », c’est-à-dire le rétrécissement progressif du débat aux seules
dispositions restant en discussion. En se fondant sur l’économie de l’article 45 de la Constitution et notamment son
premier alinéa, le Conseil a jugé que « les adjonctions ou modifications qui peuvent être apportées après la première
lecture par les membres du Parlement et par le Gouvernement doivent être en relation directe avec une disposition
restant en discussion ». Cette jurisprudence, apparemment restrictive, est en réalité protectrice du Parlement.
Auparavant en effet, l’exercice quasi- ment illimité du droit d’amendement était du même ordre que la liberté du
loup dans la bergerie, permettant l’insertion tardive de dispositions sans que les parlementaires eux-mêmes aient pu
en prendre réellement connaissance. La nouvelle jurisprudence a depuis lors trouvé son plein épanouissement dans
le cadre plus vaste de l’action en- gagée par le Conseil en faveur de la qualité de la législation et qui s’est traduite par
la référence, dans l’énoncé des normes constitutionnelles applicables, à l’article 6 de la Déclaration de 1789 et par
la constitutionnalisation des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire 16. Le Conseil se montre
particulièrement attentif au respect des droits de l’ensemble des parlementaires de manière à ce que les travaux
législatifs puissent se dérouler dans une sérénité propre à garantir ces exigences. Ainsi, une limitation du temps de
parole17 ou la fixation d’une durée maximale pour l’examen de l’ensemble d’un texte18 doivent-elles les respecter
pour être conformes à la Constitution, tandis qu’une mesure de clôture automatique19 les méconnaît, car elle
pourrait avoir pour effet d’interdire aux membres d’un groupe d’opposition d’inter- venir dans la discussion d’un
article.
C’est en se fondant sur les mêmes principes, ancrés dans la Déclaration de 1789, que le Conseil impose au législateur
de respecter le domaine que la Constitution lui assigne. Certes, « la révolution n’a pas eu lieu »20 car « la Constitution

13
n’a pas entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi »
même si le Conseil a voulu stigmatiser en 2005 les dérives constatées 21 comme il l’a également fait s’agissant des lois
organiques22. Mais c’est surtout sur le plan qualitatif que le Conseil s’est employé à faire assurer ce respect par le
législateur23. Ainsi pourchasse-t-il les dispositions inintelligibles ou à portée incertaine, « afin de prémunir les sujets
de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire » 24, celles qui sont
dénuées de portée normative, car « la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une
portée normative » 25, celles qui sont d’une complexité excessive, au motif que « l’égalité devant la loi énoncée par
l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16
ne seraient pas effectives si les citoyens ne disposaient pas d’une connaissance suffisante des règles qui leur sont
applicables et si ces règles présentaient une complexité inutile »26, ou encore celles renvoyant à une loi ultérieure
pour apporter les précisions manquantes dans la loi déférée, car ce serait pour le législateur méconnaître sa
compétence27. Le législateur ne saurait en effet se défausser sur d’autres de la noble mission qu’il a de remplir, en
reportant « sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a
été confiée par la Constitution qu’à la loi »28. C’est à lui de fixer le champ d’application et la portée de cette dernière.
Au même moment pourtant, le président du Conseil constitutionnel, regrettant que l’article 37 se vide de son
contenu, se demandait si le Conseil n’y avait pas contribué « en décelant trop prestement une «incompétence
négative» dans le seul fait qu’un encadrement législatif soit «taisant» sur tel ou tel point »29. Mais ce n’est en rien
contradictoire, car l’incompétence négative a trouvé de nouveaux espaces avec le principe de clarté de la loi, « qui
découle de l’article 34 de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi, qui découle
des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 » 30 ; et l’abandon du principe de clarté31, loin d’affaiblir cette
approche qualitative, la conforte au contraire, puisque lui est substituée la sanction de la méconnaissance de l’article
34 lui-même.

Notes de bas de page :


9- Cons. const., déc. n° 95-370 DC du 30 décembre 1995, cons. 10.
10- Ibid., cons. 11.
11- Ibid., cons. 12 et Cons. const., déc. n° 93-329 DC du 13 janvier 1994, cons. 22
12- Georges Vedel, «Excès de pouvoir administratif et excès de pouvoir législatif (II)», Cahiers du Conseil Constitutionnel, n° 2, 1997, p. 84.
13- Ibid.
14- Cons. const., déc. n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, cons. 8.
15- Exceptionnellement, les présidents des deux assemblées exprimèrent des critiques publiques (v.
Le Monde du 29 janvier 1987) et la doctrine ne fut pas en reste. Voir, par exemple, Pierre Avril et Jean Gicquel, Pouvoirs, n° 41, p. 201 et n°
42, p. 169) ou Guy Carcassonne, Ibid., n° 41, p. 163.
16- V. Cons. const., déc. n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004 ; n° 2005-512 DC du 21 avril 2005 ; n° 2005- 532 DC du 19 janvier 2006 ; n°
2006-533 DC du 16 mars 2006, n° 2007-553 DC du 3 mars 2007 ; n° 2008- 564 DC du 19 juin 2008 ; n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 ; n°
2009-581 DC du 25 juin 2009 ; n° 2010-603 DC du 11 février 2010 ; n° 2010-605 DC du 12 mai 2010 ; n° 2010-607 DC du 10 juin 2010 ; n°
2010-617 DC du 9 novembre 2010 ; n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 ; n° 2011-624 DC du 12 mai 2011 ; n° 2011- 631 DC du 9 juin
2011 ; n° 2012-649 DC du 15 mars 2012.
17- Cons. const., déc. n° 2009-581 DC du 25 juin 2009, cons. 20. 

18- Ibid., cons. 25. 

19- Ibid., cons. 29. 

20- Selon l’expression de Jean Rivero, Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Paris, PUF, 1978, p. 263. 

21- Cons. const., déc. n° 2005-512 DC du 21 avril 2005, cons. 23, par laquelle le Conseil a déclassé de 

lui-même des dispositions étrangères au domaine de la loi dans le cadre du contrôle de l’article 61C. 22- Traditionnellement, le Conseil se
bornait à déclasser des dispositions de nature ordinaire figurant dans une loi organique ; la présence excessive de telles dispositions dans la loi
organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale l’a conduit à considérer que « l’introduction dans un texte de loi organique de
dispositions n’ayant pas cette nature pourrait en fausser la portée ». Cons. const., déc. n° 2005-519 DC du 29 juillet 2005, cons. 42.
23- On se reportera avec intérêt à la contribution de Damien Chamussy, « Procédure parlementaire et qualité de la législation : la contribution
du Conseil constitutionnel à la sécurité juridique », in Conseil d’État, Rapport public 2006, p. 349.
24- Cons. const., déc. n° 2001-455 DC du
12 janvier 2002, cons. 9.
25- Cons. const., déc. n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, cons. 12.
26- Cons. const., déc. n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, cons. 5.
27- Cons. const., déc. n° 2004-499 DC du 29 juillet 2004, cons. 12.
28- Cons. const., déc. n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004, cons. 13.
29- Vœux du président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, au Président de la République,
3 janvier 2005.
30- Cons. const., déc. n° 2001-455 DC du 12 janvier 2001, cons. 9.
31- Cons. const., déc. n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, cons. 9.

14
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 5 : Les élections de 2022

Table des matières


Document 1 V. FERE, « L’élection présidentielle et la polarisation majoritaire aux extrêmes »,
Commentaire, 2022/3 n° 179, pp. 541-548 ....................................................................................... 1
Document 2 J. CAMBY & J.-E. SCHEOTTL, « Les incidences du cycle électoral de 2022 sur
l'équilibre des institutions : crise de la représentation ou représentation de la crise ? », Revue de
Droit Public, Septembre 2022, pp. 1315 (extrait)............................................................................... 4
Document 3 J. LAMOTHE & M. DARAME, « A l’Assemblée nationale, récit de trois mois de 49.3
sous haute tension », LeMonde, 18 décembre 2022 ........................................................................... 8
Document 1 V. FERE, « L’élection présidentielle et la polarisation majoritaire
aux extrêmes », Commentaire, 2022/3 n° 179, pp. 541-548

Répondez aux questions suivantes en citant les passages pertinents du texte :


- En quoi, pour l’auteur, la victoire d’Emmanuel Macron est « inquiétante » ?
- Pourquoi l’auteur estime que Emmanuel Macron est « minoritaire » ?
- Quelle est la différence entre le clivage idéologique et le clivage sociologique ? Comment elle se traduit électoralement ?
- Qu’est-ce que le « vote protestataire » ?
- Qu’est-ce que la « polarisation aux extrêmes » ?
- Qu’est-ce que le « vote utile » et le « front républicain » ?
- Quelle différence feriez-vous entre une « force électorale » et une « force politique » ?
- Pourquoi le pouvoir a une « faible base idéologique et sociologique » et en quoi cela le fragilise ?

L’étrange victoire
La victoire d’Emmanuel Macron est remarquable à bien des égards(1) : les commentateurs ont eu tôt fait de souligner qu’il
était depuis de Gaulle le premier Président réélu hors cohabitation, avec un score enviable au premier tour (27,85 % des voix
le 10 avril, soit pratiquement cinq points d’avance sur Marine Le Pen arrivée en deuxième position) et confortable au second
(58,55 % des suffrages exprimés). La période, marquée par de graves crises de différentes natures – sociale avec les Gilets
jaunes, sanitaire avec l’épidémie de Covid, internationale avec le déclenchement de la guerre en Ukraine –, aurait pu conduire
au rejet massif d’un Président jeune et inexpérimenté, mais il n’en a rien été. Sa réélection large et attendue signifie, au
contraire, la reconnaissance par les Français de la capacité du chef de l’État à affronter les difficultés. Sans doute même la
gravité du contexte et les diverses menaces ont-elles induit un réflexe légitimiste chez les électeurs : l’heure était mal choisie
pour changer de capitaine.
Le succès d’Emmanuel Macron est également remarquable dans la mesure où il marque l’aboutissement de sa stratégie large-
ment amorcée en 2017 : constituer une vaste force centrale, attirant les électeurs modérés de gauche et de droite et faisant
travailler ensemble des personnalités venues aussi bien du PS que de LR. La gauche de gouvernement dont est issu Macron a
ainsi été sa première victime et ne s’est pas relevée depuis, au contraire : en 2022 Anne Hidalgo a fait un score bien inférieur
à celui de Benoît Hamon en 2017. Ses 1,7 % signifient la mort du Parti socialiste refondé par François Mitterrand à Épinay
en 1971. En une décennie, le PS, qui avait tous les pouvoirs en 2012, Sénat compris, a sombré corps et biens. Les écologistes,
contrairement à leurs espérances, n’ont guère profité de la faillite socialiste et c’est un euphémisme : Yannick Jadot (EÉLV)
n’obtient que 4,63 % des suffrages exprimés. Macron a d’ailleurs continué à recruter à gauche et les esprits moqueurs ont
remarqué avec amusement l’empressement d’Élisabeth Guigou, de Marisol Touraine et de Manuel Valls à se montrer sur le
Champ de Mars où se célébrait la victoire le 24 avril... sans en être récompensés toutefois deux mois plus tard !
Plus inattendu, en tout cas moins anticipé, à commencer par les principaux intéressés et leur candidate elle-même :
l’effacement de LR. Investie par le parti, annoncée un temps comme une rivale sérieuse pour Emmanuel Macron, au terme
d’une campagne ratée Valérie Pécresse subit une défaite historique avec 4,8 % des suffrages exprimés. Les Républicains font
moins bien encore en 2022 que le PS en 2017 et on voit mal comment ils pourraient ne pas connaître le même sort et
disparaître à leur tour.
Remarquable victoire du Président sortant donc, fruit d’une stratégie inaugurée en 2017 qui trouve son point d’aboutissement
en 2022. Son point d’aboutissement et peut-être aussi sa limite, comme si elle avait trop bien réussi. Car cette victoire est aussi
inquiétante qu’étrange au sens de Marc Bloch qui voyait notamment dans la défaite de juin 1940 la conséquence d’un face-à-
face stérile entre les élites dirigeantes et le peuple mais également le résultat de l’attitude des principaux partis de gouverne-
ment, pris dans d’inextricables contradictions.
Ainsi le Parti socialiste est mort en 2017 de n’avoir pas assumé sa culture de gouvernement : il a été abandonné par ses
électeurs réformistes qui se sont tournés vers Macron tandis que les radicaux accordaient leurs suffrages à Jean-Luc Mélenchon.
Depuis lors, il n’a retrouvé ni les uns ni les autres : cinq ans après, le Président sortant a conservé une grande partie de ses
soutiens de centre gauche dès le premier tour et Mélenchon a amélioré son score par rapport à 2017. En 2022, LR n’a pas pu
sortir de l’étau représenté, d’un côté, par LREM au centre, et, de l’autre, par Éric Zemmour et Marine Le Pen à l’extrême
droite. D’autant qu’une erreur stratégique majeure a été commise. La candidature Zemmour a en effet été vue comme une
aubaine par Les Républicains dans la mesure où, affaiblissant d’abord Marine Le Pen dans les sondages, elle abaissait le «ticket
d’entrée» au second tour. La droite s’est donc acharnée à séduire l’électorat Zemmour, en jouant la surenchère sur le terrain
de l’immigration – lors de son meeting raté du 13 février 2022, Valérie Pécresse disait ainsi refuser le « grand remplacement »,
formule empruntée à Renaud Camus et à l’arsenal idéologique de la droite la plus extrême. L’échec a été complet : certes
Zemmour n’a pas obtenu le score longtemps annoncé mais Marine Le Pen est arrivée en deuxième position, essentiellement
sur la question sociale oubliée par LR tandis que l’électorat de centre droit a abandonné dès le premier tour la candidature
Pécresse, ne se reconnaissant pas dans ses outrances identitaires.
Fort de 28,5 % des suffrages exprimés, Emmanuel Macron est donc largement en tête le 10 avril, devant Marine Le Pen (23,15
%) et Jean-Luc Mélenchon (21,95 %) : la quadrangulaire de 2017 – LREM, FN, LR, LFI – a cédé la place à une triangulaire :
entre les deux scrutins LR a disparu. Et la gauche de gouvernement ne s’est pas relevée. Conséquence, au soir du premier
tour, Macron n’a guère de réserves de voix susceptibles de se reporter sur son nom. Certes Anne Hidalgo et Yannick Jadot
appellent à voter pour lui mais leurs scores sont très faibles et, si Valérie Pécresse se prononce personnellement pour
Emmanuel Macron, son parti, comme Mélenchon, invite en revanche à ne donner aucun suffrage à l’extrême droite sans pour

1
autant prendre explicitement position en faveur du Président sortant. Si donc la victoire de Macron est nette au soir du 24
avril (58,5 % des suffrages exprimés), elle est néanmoins beaucoup moins large que celle de 2017 (66,10 %, avec une abstention
de 28,01 %, plus élevée encore que les 25,44 % de 2017). Si l’on ajoute les votes blancs et nuls, plus de 60 % des inscrits
n’ont pas voté pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, un chiffre de quatre points supérieur à celui de 2017.
Largement majoritaire dans le «peuple principe », le Président réélu est nettement minoritaire dans le « peuple société(2) ».
Plus significative encore est la comparaison entre le second tour de 2022 et celui de la présidentielle de 2002 où, pour la
première fois depuis 1962, un candidat modéré, Jacques Chirac, Président sortant lui aussi, affrontait le représentant du Front
national, Jean-Marie Le Pen. Le moins qu’on puisse dire est que les résultats étaient alors inverses de ceux de 2022. En
pourcentage des suffrages exprimés (82,21 %) comme en pourcentage des inscrits (62 %) Chirac l’emportait très largement
sur Le Pen qui, de surcroît, le 22 avril, avec 17,71 % des voix, n’améliorait guère son score du premier tour (16,86 %). En
2002, donc, une forte minorité d’électeurs se polarisait à l’extrême droite et une forte majorité, de droite et de gauche, se
reportait sur le candidat gaulliste. Le front républicain fonctionnait. En 2022, au contraire, une importante proportion des
électeurs vote Mélenchon et Le Pen au premier tour et, au second, la candidate du RN améliore son score de pratiquement
vingt points ! Des électeurs de gauche lui ont donné leur voix ou se sont abstenus de lui faire obstacle. Le front républicain
s’est lézardé, rendu en apparence de plus en plus aléatoire par la persistance d’un tour à l’autre de la polarisation aux extrêmes.
Comment l’expliquer ? Certes par la montée du vote protestataire, reflet d’un conflit socio- logique entre la France des élites
et celle du peuple, les deux ayant abandonné les partis de gouvernement PS et LR en proie à d’inetricables contradictions et
la première l’ayant emporté sur la seconde dans une étrange victoire au sens de Marc Bloch. Mais ne peut-on pas y voir aussi,
paradoxalement, la conséquence de la montée du vote utile ?

Vote utile et vote protestataire


Si l’hypothèse de la primauté du clivage sociologique sur le clivage idéologique est accréditée par l’importance du vote protesta-
taire, la montée du vote utile, plus idéologique que sociologique, s’y ajoute pour renforcer la polarisation aux extrêmes et
fragiliser davantage non seulement le front républicain, qui n’est la priorité ni de l’un ni de l’autre, mais encore le Président
pourtant réélu par une majorité du « peuple principe ».
En 1970, Albert Hirschman, dans son ouvrage le plus célèbre, Exit, Voice and Loyalty : Responses to Decline in Firms, Organizations
and States, mettait en évidence les trois comportements possibles des citoyens face à l’offre politique. Avec la réaction
silencieuse (exit), l’électeur, en optant pour l’abstention, le vote blanc ou nul, refuse de choisir et signifie son insatisfaction
sinon sa contestation du système. En protestant (voice), il donne sa voix aux partis qui refusent les règles d’un jeu – politique,
économique, social – qu’il veut renverser. Enfin, en votant pour les forces qui les acceptent (loyalty) tout en envisageant de les
amender, il conforte les institutions en place et les partis qui inscrivent leur action dans ce cadre.
Si l’on applique la grille de lecture de Hirschman à l’élection de 2022, et si l’on s’en tient à leurs principaux représentants, au
premier tour «voice» – Mélenchon, Le Pen – devance largement «loyalty» – Macron – qui distance faiblement «exit». Il y a
clairement une polarisation aux extrêmes : Mélenchon arrive très nettement en tête à gauche, loin devant le candidat
écologiste, sans parler de la candidate socialiste, tandis qu’à droite Marine Le Pen devance largement son rival identitaire,
reléguant la candidate LR sous la barre des 5 %. À droite comme à gauche le vote protestataire est donc nettement majoritaire.
Et, au second tour, la franche victoire de « loyalty » en pourcentage des suffrages exprimés se transforme en défaite si l’on
additionne « exit » et « voice » : 38,5 % des inscrits contre 61,5 %. Il ne s’agit naturellement pas de confondre « exit » et « voice
» mais on peut remarquer que, dans un contexte de polarisation aux extrêmes, les électeurs qui votent blanc, nul ou
s’abstiennent ne jugent pas utile de «faire barrage » à l’extrême droite. Leur comportement relève donc de la « protestation
silencieuse ». Et il est bien connu que qui ne dit mot consent. Si donc, en 2002, au second tour, une écrasante majorité de
citoyens se mobilisait contre une hypothétique victoire du FN, en 2022, beau- coup ont souhaité cette victoire ou n’ont rien
fait pour l’empêcher. Ce qui signifie que la polarisation aux extrêmes n’a pas été enrayée entre le 10 et le 24 avril. D’ailleurs,
les chiffres parlent d’eux-mêmes : si Macron gagne trente points en pourcentage des inscrits entre les deux tours, Marine Le
Pen, elle, en obtient vingt supplémentaires – son père ne gagnait même pas un point en 2002! Le front républicain est ainsi
loin d’avoir fonctionné : si, le 10 avril, 42 % des électeurs de Mélenchon ont voté Macron, le 24, 17 % se sont prononcés en
faveur de Le Pen, 41 % se sont abstenus, ont choisi un bulletin blanc ou nul. L’extrême gauche protestataire n’a donc pas fait
barrage à l’extrême droite du même nom et même une partie des électeurs du candidat LFI a choisi d’apporter son suffrage à
Marine Le Pen, malgré la consigne de Mélenchon. Si elle l’a fait malgré les divergences idéologiques, c’est que le facteur
sociologique a été prédominant. On peut ainsi considérer avec Pascal Perrineau que le report des voix de gauche sur Le Pen
est un vote de classe.
Tout se passe donc bien comme si, entre 2002 et 2022, au front républicain représentant l’en- semble des forces politiques
alliées contre le Front national avait succédé l’affrontement de deux blocs : pour faire vite, les Français satis- faits contre ceux
qui s’estiment victimes des transformations de la société et de l’économie et qui considèrent que les élites au pouvoir les ont
abandonnés. Par rapport à 2002, l’opposi-ion est ainsi aujourd’hui moins idéologique et davantage sociologique. Dans le fond,
l’ana- lyse proposée par Jérôme Sainte-Marie dans Bloc contre bloc(3) a été en partie confirmée.
Le vote Macron est très largement celui de la « bourgeoisie réunifiée », composée, dit le politologue s’inspirant de Gramsci, de
« l’élite réelle », de « l’élite aspirationnelle » et de « l’élite par procuration» (les retraités). En face, un « bloc populaire » composé
des perdants de la mondialisation qui, aux dires de Sainte-Marie, se tourne de plus en plus exclusivement vers le RN en raison
des prises de position de Mélenchon sur l’immigration.
Notons néanmoins que cette analyse fonctionne mieux pour le second tour que pour le premier. Le 10 avril, il y avait en effet
non pas deux mais trois blocs : LREM, RN et LFI. Certes il y a bien une différence sociale entre l’électorat Mélenchon, qui

2
comprend nombre de salariés du secteur public, de représentants des professions intellectuelles et artistiques ainsi qu’une
forte proportion de la population issue de l’immigration (69 % des Français de confession musulmane ont voté pour le
candidat d’extrême gauche), et celui du RN qui compte davantage d’ouvriers et d’employés du privé et une très faible part de
Français d’origine immigrée. Mais l’explication de cette tripartition est davantage idéologique que sociologique dans la mesure
où Marine Le Pen prend elle aussi la défense du service public, sans pour autant susciter l’adhésion de ceux qui n’oublient
pas, par exemple, que la « préférence nationale» occupe une place centrale dans son programme malgré ses tentatives en partie
réussies de dédiabolisation. Le clivage idéologique n’a donc pas disparu : si la question sociale peut contribuer à des
rapprochements entre les électorats LFI et RN, la question nationale demeure bien un obstacle infranchissable entre les deux
et, pour l’instant, une assurance pour le candidat des centres de gagner l’élection présidentielle. Il n’en demeure pas moins
que le président de la République a contre lui la majorité du «peuple société», ce qui ne peut que fragiliser son pouvoir dont
la base sociologique est singulièrement étroite, tandis que les élections législatives ne lui ont pas donné une base politique
solide.
Toutefois cette tripartition et donc cette polarisation aux extrêmes s’expliquent non seulement par l’importance du vote
protestataire, élément commun aux électeurs de Mélenchon et Le Pen, mais aussi par le rôle du vote utile. De nombreux
électeurs de gauche ont ainsi finalement choisi le candidat de La France insoumise dans la mesure où il était le seul à même
d’arriver au second tour. Marine Le Pen a elle aussi bénéficié de ce phénomène de la part des électeurs d’extrême droite qui
ont abandonné Éric Zemmour en cours de route, au moment où, discrédité par certaines de ses déclarations, il n’avait plus
guère de chances de disputer la finale. Cela dit, le vote utile ne joue pas que pour renforcer le vote protestataire : dans une
moindre mesure, il a égale- ment servi Macron. Nombre d’électeurs LR ont ainsi délaissé d’emblée leur candidate, ce qui
explique son score très faible et celui, plus élevé que prévu par les sondages, du Président sortant au premier tour. Et, au
second, 42 % des électeurs de Mélenchon ont jugé «utile» de voter Macron sans pour autant approuver ses choix économiques
et sociaux. Une partie des électeurs du second tour de Macron lui sont en réalité hostiles et, le danger RN écarté, regagnent
l’opposition. Difficile de dire que leur suffrage renforce le Président réélu; les élections législatives l’ont bien montré.
Vote utile et vote protestataire se conjuguent donc pour renforcer la polarisation aux extrêmes, lézarder le front républicain
et finalement affaiblir le Président reconduit dans ses fonctions. Le scrutin majeur de la vie politique française ne joue donc
plus le rôle qui devrait être le sien : donner la «force de gouverner» (Roussellier) au chef de l’État et à sa majorité. Sans doute
même participe-t-il à une préoccupante fragilisation institutionnelle.

« Force de gouverner » et fragilité institutionnelle


(…) Si le quinquennat, joint au réflexe de vote utile pour éviter un nouveau 21 avril, a paru replacer l’élection présidentielle
au cœur du jeu politique dans la mesure où, en 2002, en 2007 et en 2012, la majorité parlementaire, néogaulliste ou socialiste,
s’est alignée sur celle du Président nouvellement élu, la crise de la représentation politique n’a pas été résolue pour autant. À
preuve, la défaite du Président sortant – dans le cas de Nicolas Sarkozy – ou son incapacité à se représenter – dans celui de
François Hollande –, la présence devenue habituelle de Marine Le Pen au second tour, la montée de l’abstention et
l’inexorable déclin des partis de gouvernement dont LREM, en 2017 et en 2022, a récupéré les électeurs fidèles à l’entropie
centriste (4), sinon qu’aux élections législatives de 2022, contrairement à celles de 2017, le bloc central n’a plus la majorité à
lui tout seul.
La crise de la représentation politique, dans un système bipolaire et majoritaire, est aussi et peut-être surtout celle des
principaux partis qui l’ont incarné : ni celui de gauche ni celui de droite n’ont clairement assumé leur culture de
gouvernement, gestionnaire pour le premier, européenne pour le second. Ils ont continué à mimer une guerre idéologique
qui n’existait plus et leurs politiques identiques une fois au pouvoir ont suscité le rejet d’une partie de leurs électeurs qui s’est
tournée vers les extrêmes. Le glissement a logiquement d’abord été fatal en 2017 à la gauche modérée dont Macron était issu,
mais, en 2022, la droite, faute d’avoir clarifié sa ligne politique, a connu elle aussi le même sort : la marginalisation. Ils ont
ainsi abandonné des pans entiers d’une société fracturée à des partis, LFI et le RN, qui constituent certes des forces électorales
mais ne sont pas des forces politiques, pour reprendre la distinction de Nicolas Roussellier. Autrement dit, ils sont capables
de faire un très bon score à la présidentielle mais ne peuvent pas – c’est le cas de LFI – ou ne veulent pas – c’est le cas du RN
– détenir une majorité parlementaire et gouverner, en dépit de leur entrée massive à la chambre des députés. Ils ne souhaitent
naturellement pas davantage faire alliance : la France n’est pas l’Italie! Le «peuple société» attend donc en vain une cohabitation
impossible. Chez lui, «voice» l’emporte certes sur «loyalty» mais sans proposer de solution de rechange, sinon acceptable du
moins cohérente, au choix du « peuple principe ». La crise de la représentation politique n’est pas résolue. Après avoir protesté,
«le peuple rentre chez lui» (Jules Michelet)... ou descend dans la rue pour contester la politique menée par le pouvoir.
Il y a donc bien une fragilisation institutionnelle qui menace la « force de gouverner ».
Car, si ce qu’il reste du front républicain malgré l’importance du vote protestataire renforcé par le vote utile a permis à Macron
d’être réélu, il l’a été dans un contexte bien éloigné de celui induit par la « mutation majoritaire », jadis conséquence de
l’élection du président de la République au suffrage universel : une majorité claire face à une opposition qui accepte le jeu de
l’alternance. « Loyalty » devançait alors largement « voice » et « exit ». La polarisation aux extrêmes, au contraire, rend
aujourd’hui impossible l’alternance et ne laisse plus qu’une faible base idéologique et sociologique au pouvoir : rien, en tout
cas, qui lui donne la «force de gouverner », d’autant que les élections législatives l’ont privé d’une majorité absolue à la chambre
et ont été analysées comme un désaveu du Président nouvellement et largement réélu.
En outre, Macron doit en partie sa victoire à un électorat Mélenchon, qui a rêvé d’une improbable revanche dans les urnes
aux législatives et espère un possible «cinquième tour» dans la rue, et à un électorat LR, davantage inquiet d’une victoire des
extrêmes que convaincu par le programme du Président sortant. Sa non-campagne ne lui a d’ailleurs pas permis de fixer un

3
cap. Pire, avant le premier tour, le candidat Macron a promis l’âge de la retraite à 65 ans pour attirer les électeurs de LR et,
après le second, il a paru donner quelques gages à ceux de Mélenchon, en mettant l’écologie en avant ou en déclarant le port
du voile compatible avec le féminisme. Mais il y a fort à parier que le Président ne pourra pas satisfaire les uns et les autres.
L’« en même temps » peut finir par être une faiblesse.
(…)
Au reste, le difficile choix d’un Premier ministre a traduit certes la volonté du «maître des horloges» de signifier qu’il contrôle
le calendrier mais aussi, sans doute, l’embarras d’un chef de l’État qui ne savait pas quelle orientation donner à son second
mandat. À la non-campagne de la présidentielle a en effet succédé la non-campagne des législatives, sans chef pour la mener,
sans cap fixé. Quel sens avait, d’ailleurs, un scrutin qui devait accoucher d’une majorité parlementaire soutenant un Premier
ministre dont «le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation » (article 20) en fonction des grandes
orientations du programme présidentiel... qui restait à définir ? Car Élisabeth Borne vient du centre gauche mais elle va
gouverner un pays majoritairement à droite dont le Président réélu a une dette envers une partie de l’électorat de gauche et
ne dispose pas d’une majorité absolue à la chambre! La clarification attendra sans doute le lendemain des législatives... Le
mécontentement des Français ayant voté Mélenchon et Le Pen, lui, est une certitude.
Le nouveau discours de la méthode présidentiel, « l’invention collective d’une méthode refondée pour cinq années de mieux»,
risque donc de s’imposer à lui, sans doute contre son gré. L’échec présidentiel aux législatives fait que le Parlement va retrouver
un rôle actif : la NUPES et le RN, avec davantage de députés qu’en 2017, pourront mieux s’y faire entendre. Surtout la
majorité présidentielle va devoir trouver ses soutiens, tantôt sur sa gauche, tantôt sur sa droite, en fonction des projets de loi
si elle ne veut pas être condamnée à l’immobilisme. Avec quelle efficacité pour son gouvernement ? On peut s’interroger. Avec
quelle réaction de la société ? On peut s’en inquiéter.
En tout cas, pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, le mode de scrutin majoritaire ne permet pas au
Président largement réélu de disposer d’une majorité de gouvernement à la chambre.
(…)
Il y a donc, de fait, une fragilisation institutionnelle induite par la polarisation aux extrêmes, elle-même produit de l’élection
du président de la République au suffrage universel. Fragilisation encore renforcée, paradoxalement, par la personnalisation
du pouvoir présidentiel, produit du quinquennat et de son mode de désignation. Ce dernier aboutit ainsi finalement à une
inversion complète par rapport à l’esprit des institutions qui voulait un Président rassemblant les Français autour d’un projet
commun et s’appuyant sur un gouvernement ayant «la force de gouverner ». Aujourd’hui, seule la fragmentation de la société
dont la polarisation aux extrêmes est le reflet permet au pouvoir de disposer d’une majorité dans le «peuple principe ». Mais
peut-on gouverner longtemps sans, voire contre le « peuple société » ?
Certes, les optimistes diront que la majorité parlementaire est à construire, le Président «assurera[n]t par son arbitrage le
fonctionne- ment régulier des pouvoirs publics » (article 5). Une manière de revenir à la lettre et à l’esprit des institutions ?
Un optimisme qui peut laisser sceptique – quelle nouvelle majorité bâtir? avec qui? –, surtout si l’on ne répond pas à la seule
question qui importe : comment réparer les fractures françaises? Après cinq ans de plus, la même question qu’en 2022 risque
de se poser en 2027 : quelle autre alternative aux populismes qu’un pouvoir macroniste qui, tombé à terre, serait à « ramasser
» (Jules Ferry) ?

(1) Par commodité, les noms des partis et alliances politiques cités au cours de cet article seront parfois abrégés comme suit : Europe Écologie Les Verts :
EÉLV ; Front national : FN ; La France insoumise : LFI ; La République en marche : LREM ; Les Républicains : LR ; Parti communiste : PCF ; Parti socialiste
: PS ; Rassemblement national : RN ; Rassemblement pour la République : RPR.
(2) Expressions toutes deux empruntées à P. Rosanvallon, in Le Peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France, Gallimard, «
Bibliothèque des histoires », 1998.
(4) V. Feré, «Les conséquences des élections présidentielles», Commentaire, n° 157, printemps 2017.
(5) Fr. Furet, J. Julliard et P. Rosanvallon, La République du centre. La fin de l’exception française, Calmann-Lévy, «Liberté de l’esprit», 1989.

Document 2 J. CAMBY & J.-E. SCHEOTTL, « Les incidences du cycle électoral de


2022 sur l'équilibre des institutions : crise de la représentation ou représentation
de la crise ? », Revue de Droit Public, Septembre 2022, pp. 1315 (extrait)
Répondez aux questions suivantes en vous appuyant sur le texte :
- Pourquoi le retour au régime parlementaire n’est pas possible ?
- En quoi les résultats de l’élection législative sont le prolongement de ceux de l’élection présidentielle ?
- En quoi les révisions constitutionnelles ont limité les pouvoirs du Gouvernement sur le Parlement ?
- Quels étaient les « partis dominants » et en quoi ils assuraient le fonctionnement du régime ?
- Quels sont les principaux courants présents à l’Assemblée, en quoi certains ne peuvent pas être qualifiés de
« partis » ?
- Quels sont les techniques auxquelles le Président et le Gouvernement peuvent recourir pour palier leur
absence de majorité absolue ?

Emmanuel Macron, réélu président de la République mais confronté, de manière inédite sous la Ve République, à
une absence de majorité à l’Assemblée nationale après cette réélection, aurait, selon le quotidien « Libération »,

4
commenté ainsi la situation le 21 juin : « on se lance dans le bizarre ». On ne sait si la référence à Michel Audiard et
à la célèbre scène de la cuisine des Tontons flingueurs est ou non volontaire, mais elle traduit bien le fait que la
situation immédiatement créée par les résultats de l’élection présidentielle et de celle de l’Assemblée nationale est
inattendue, imprévisible et incontournable1. On aura reconnu certains des traits définissant la force majeure.
Cependant, si la Ve République comporte toutes les caractéristiques apparentes d’un régime parlementaire (droit de
dissolution, responsabilité politique du gouvernement, collégialité du gouvernement, dont la composition est liée
aux résultats électoraux) et si l’appui d’une configuration majoritaire semble indispensable au Chef de l’État, le
concept de force majeure n’est pas transposable à la situation présente. Il n’est compatible ni avec sa mission
première, ni avec la place acquise par le Président dans le processus décisionnel.
Sa mission ? Le chef de l’État « assure par son arbitrage le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » répond
l’article 5 de la Constitution. Le chef de l’État doit assurer cet arbitrage même avec une configuration majoritaire
largement contrariée à la suite des résultats de l’élection des députés.
Le débat doit donc conduire systématiquement à trouver des majorités ponctuelles en suscitant l’adhésion, ou
l’abstention, de parlementaires n’appartenant pas à la majorité. Lesquels ? Il s’agira principalement, compte tenu des
effectifs et des proximités idéologiques, des députés du groupe Les Républicains. Accessoirement, au gré des sujets,
il pourra s’agir du groupe socialiste ou encore du groupe « libertés indépendants outre-mer et territoires ». C’est a
fortiori le cas au Sénat. Immédiatement visible en commission ou dans les hémicycles, l’incidence de cette
composition « bizarre » sera surtout perceptible dans les Commissions mixtes paritaires (CMP) où les parlementaires
des groupes d’opposition sont a priori majoritaires ou au moins paritairement représentés 2. On est loin, en tout cas
de la situation de 2017 où les urnes avaient initialement envoyé au palais Bourbon un groupe de la REM de 311
députés.
Pour autant, le retour d’un régime parlementaire, où la composition du gouvernement se déduit de la configuration
majoritaire, n’est pas avéré. Le Président nomme et, sous la Ve République, choisit son Premier ministre – en
l’occurrence le confirme – sans que, comme dans les régimes parlementaires classiques, ce choix lui soit
impérativement dicté par les urnes. La Première ministre n’est pas le leader naturel du parti gouvernemental. Elle
doit seulement conduire une action non incompatible avec la sensibilité de la majorité présidentielle. Au lendemain
des élections de juin, Mme Borne demeure en place et la composition du gouvernement n’est que faiblement
infléchie.
La notion de force majeure est également définie par le fait qu’elle est indépendante de la volonté de celui qui s’en
prévaut. Or, la responsabilité d’Emmanuel Macron dans ces deux campagnes électorales est indéniable. Il a choisi
une stratégie d’entrée en campagne tardive, puis une campagne au contenu minimaliste. Les préoccupations nées de
la crise ukrainienne sont certes prégnantes, mais c’est la première fois que la situation internationale oblitère à ce
point le débat électoral, ou plutôt conduit à son atonie. Le Président a également choisi, comme il l’avait
précédemment fait lors du projet de révision de la Constitution en 2018 en promouvant le Conseil économique,
social et environnemental, d’annoncer, au moment de l’élection des députés, la mise en place d’un organe chargé
d’initier des réformes. Ce Conseil national de la refondation est inévitablement perçu comme rival du Parlement 3.
Point de force majeure puisque le Président reste l’acteur principal du jeu politique et donne le « la » de la campagne.
Peut-on en dire autant des forces politiques qui le soutiennent ? Même si on peut discuter de la diversité des causes
expliquant le choix des électeurs, le soutien parlementaire du Président semble faiblir pour des raisons qui ne
tiennent qu’à lui. On relèvera à cet égard l’échec de certains des leaders de la majorité LREM sortante, occupant des
places institutionnelles éminentes. Par ailleurs, les succès électoraux du Rassemblement national et de la coalition
que représente la NUPES, mais aussi la résistance des Républicains, ne peuvent s’expliquer seulement par des
facteurs locaux ou humains.
La géographie électorale est profondément bouleversée : il y a de moins en moins de circonscriptions « captives »
d’une tradition de vote. La participation continue de chuter. La défiance envers la classe politique dans son ensemble
n’a été nullement apaisée par les lois censées rétablir l’adhésion des citoyens au moyen de prohibitions et de contrôles
accrus (fin du cumul des mandats, interdiction des emplois familiaux, transparence, incompatibilités…) 4. Les
résultats électoraux, qu’il s’agisse de l’abstention ou de la montée des partis anti-système, traduisent au mieux un
scepticisme, au pire un rejet de la démocratie représentative par des électeurs qui ne se reconnaissent pas (ou plus)
dans l’offre politique.
Plutôt qu’une « force majeure » qui contraindrait le Chef de l’État dans une direction donnée, plutôt que des
conventions de la Constitution au respect desquelles les acteurs se sentiraient tenus 5, nous nous trouvons bien dans
une situation « bizarre » qui conduit l’ensemble des acteurs institutionnels à se repositionner dans un climat de totale
incertitude, presque d’apesanteur. C’est donc à cette situation « bizarre » que doit s’appliquer l’arbitrage présidentiel.
(…)

II. — UNE MAJORITÉ FRAGILISÉE, DES OPPOSITIONS DÉSUNIES : LA REVANCHE DU


PARLEMENTARISME ?
La faiblesse de la participation aux élections législatives suivant l’élection présidentielle a contribué pendant une
vingtaine d’années à renforcer la stature du Président par rapport à celle des parlementaires. Les élections de 2022
inversent cette tendance.

5
73,7 % de participants au premier tour de l’élection présidentielle, 72 % au second, soit 2,5 % d’abstention de plus
qu’en 2017. Le pourcentage de votants en juin est de 47,5 % au premier tour, 46,2 % au second. Ces données
traduisent encore, mais partiellement, la désaffection du corps électoral pour des élections législatives
immédiatement consécutives au scrutin présidentiel. Une grande partie des électeurs considère toujours, compte
tenu de la succession dans le temps qui s’impose depuis la loi organique du 15 mai 2001, que l’essentiel se joue lors
de l’élection présidentielle. Pour autant, la « feuille de route » est-elle toujours fixée par le programme présidentiel en
2022 ?
Nombre de candidats se donnant vocation à devenir majorité parlementaire se contentent toujours en juin 2022 de
s’identifier au Président élu et à son programme. Mais si les taux d’abstention traduisent toujours cette vision du
« tout est joué », les résultats exprimés démontrent que les électeurs dévient de la logique comportementale qui a
prévalu jusqu’ici. Les hésitations, les réticences, les refus de choix perceptibles lors de l’élection présidentielle,
notamment à travers l’abstention31, mais aussi le nombre de votes blancs et nuls au second tour 32, se cristallisent
sous forme de vote contre la majorité sortante, dans les urnes, ou plutôt contre la majorité sortante et contre le
Président sortant, tout réélu qu’il soit. Comment ne pas avoir en effet le sentiment, en juin 2022, d’être devant un
« troisième tour » de l’élection présidentielle ?
Ce vote de défiance à l’égard du Président, que manifestent les résultats de juin, n’en est pas moins un vote
hétéroclite, donnant naissance à des oppositions antinomiques. Un nombre élevé de groupes dans chaque assemblée
semble désormais un élément définitif du paysage parlementaire 33. Si le nombre de groupes atteignait déjà des records
sous la précédente législature34, la cause était alors interne aux assemblées. Ce nombre s’explique désormais par le
vote des électeurs.
On ne répétera jamais assez que les institutions de la Ve République ont été pensées pour permettre au
gouvernement de conduire la politique de la nation, même en l’absence de majorité disciplinée. Elles étaient donc
aussi conçues pour une situation telle que celle de la présente législature. Tout a été prévu, en 1958, pour permettre,
à travers le parlementarisme rationalisé, de limiter l’impact des retournements d’alliance et pour conjurer les risques
d’ingouvernabilité et d’instabilité ministérielle. Tout a été fait pour permettre à l’exécutif de surmonter les réticences
parlementaires. Il s’agissait de contenir les pouvoirs du Parlement tout à la fois à leur source (désormais
constitutionnelle et contrôlée par le Conseil constitutionnel), dans leur champ (par les articles 40 – irrecevabilité des
amendements dépensiers ou réducteurs de recettes – et 41 – protection du domaine réglementaire – de la
Constitution) et dans le temps (par des sessions limitées à six mois, sauf session extraordinaire). Il s’agissait aussi
d’organiser les procédures pour assurer la suprématie gouvernementale : ordre du jour prioritaire et dans l’ordre
qu’il décide, débat engagé sur le projet du gouvernement et non sur le rapport de la commission, absence de délai
minimal entre le dépôt et la discussion, demande de nouvelle délibération, maîtrise de la navette permettant de
réunir la CMP après une seule lecture en cas d’urgence, limitation à une séance par semaine des questions dans
l’Hémicycle. Il s’agissait enfin de donner au gouvernement les moyens de forcer sa propre majorité : vote bloqué et
article 49 alinéa 3.
La panoplie du parlementarisme rationalisé était complète. Pour son malheur, elle fut jugée trop contraignante, dans
le contexte de majorités fortes et fortement disciplinées. L’histoire de la Ve République, en passe de devenir le plus
long des régimes républicains depuis 1789, aura paradoxalement montré que le parlementarisme rationalisé se voit
partiellement mis au rancart après avoir fait la preuve de son efficacité. Et au moment où, faute de majorité forte et
fortement disciplinée, il pourrait si utilement resservir…
Les barrages posés en 1958 dans la cadre du parlementarisme rationalisé ont été en effet pour beaucoup démantelés,
parce que regardés comme inutilement stricts dès lors que la configuration majoritaire et la discipline de vote
paraissaient pérennes. En 1995, la session devient continue. En 2008 est abandonné l’usage sans limite temporelle
de l’article 49 alinéa 335, tandis que l’ordre du jour est désormais davantage partagé, que des délais incompressibles
sont imposés, sauf procédure accélérée, entre dépôt et examen du texte, que cet examen s’engage en séance sur le
texte issu des travaux de la commission, que le gouvernement perd le monopole du respect du partage loi règlement,
etc.36
Il est vrai, à s’en tenir aux textes, que l’autonomie parlementaire n’a pas retrouvé la place qu’elle occupait avant
1958 : les règles procédurales restent sensiblement contraintes par la Constitution et la loi et par la « tyrannie de la
hiérarchie des normes »37. Il est vrai que le Conseil constitutionnel, initialement scrupuleux, se montre de moins en
moins strict quant au respect des procédures, au profit d’une analyse globale du respect de la sincérité du débat :
même des manquements aux conditions de vote ne retiennent pas son attention 38.
C’est dans ce contexte d’abaissement des défenses immunitaires du gouvernement, jugées inutiles dans une
configuration majoritaire assurée, que s’ouvre la présente législature.

III. — REVANCHE DE LA REPRÉSENTATION OU BOULEVERSEMENT DU PAYSAGE POLITIQUE ?


(…)
Les scrutins de 2017 et de 2022 rompent à cet égard avec la logique qui avait triomphé depuis 1958. La majorité
était jusqu’alors issue d’une claire configuration partisane : domination gaullienne en 1965 et 1969 ; victoire du
centre avec un groupe majoritaire distinct en 1974 ; victoire d’un « programme commun de gouvernement » en
1981, etc. En 1995, les cartes sont certes brouillées par la disparition du débat classique droite gauche au second
tour, mais il reviendra avec force en 1997 comme en 2012.

6
On change de monde en 2017 et 2022. En 2017, l’effondrement du système des deux partis dominants, assumant
depuis 1965 le fonctionnement du régime et rendant crédible l’alternance fait place à un choix entre le
gouvernement et des forces obsidionales, cantonnées à la contestation et au blocage. « Le gouvernement groupe
autour de lui tous ceux qui ne sont pas des irréconciliables… ce qui n’a pas beaucoup plus de profondeur que l’amitié
des jours heureux » relevait André Siegfried en observant la IIIe République52. Ceci se retrouve jusque dans les
intitulés : l’appellation « En marche » suggère par contraste l’immobilisme des adversaires. Cette stratégie, efficace
pour porter atteinte aux anciens partis de gouvernement, conduit à radicaliser les discours des opposants.
Nouvelle remise en cause en 2022 : la composition de l’Assemblée implique de devoir… composer. En permettant
aux anciens partis de gouvernement de reconstituer des groupes dont la position charnière démultiplie les scores
réalisés à l’élection présidentielle, ce qui est surtout numériquement vrai pour les Républicains, les électeurs rejettent
la logique du tout ou rien.
Il est courant et facile de gloser sur le déclin des partis. Mais comment ne pas voir leur revanche dans la montée du
Rassemblement national ? Il faut à cet égard distinguer la Nupes, qui est un accord électoral, et le RN qui, au moins
en apparence, s’est doté de tous les éléments visibles d’une adhésion aux institutions. Dans sa thèse 53, Olivier
Duhamel avait montré comment la gauche, pour devenir une force d’alternance crédible, s’était ralliée aux
institutions. Un tel ralliement conditionne-t-il l’accès aux affaires aujourd’hui, alors que les institutions présentent
des signes d’essoufflement évidents ? Il reste que la progression du RN à l’élection présidentielle, qui peut toujours
s’inverser, mais aussi son implantation locale et géographique durable 54, en font une opposition intégrée aux
institutions, au même titre que les Républicains ou que le parti socialiste, mais avec désormais une représentation
parlementaire substantielle.
Renaissance, qui succède à la République en Marche, en revanche, ne coche toujours pas, en 2022 toutes les cases
d’un parti politique au sens classique du terme. Elle ne s’y rattache ni par les conditions de son arrivée au pouvoir,
ni par son implantation locale, ni même par une idéologie structurée, car le discours de ses membres emprunte par
trop au « en même temps ». Peut-être faut-il voir dans cette hétérogénéité tout à la fois une des clés du succès de 2017
et un facteur explicatif de la déconvenue de 2022.
« Bizarre », la situation est également et surtout précaire. L’action du gouvernement d’Elisabeth Borne est
nécessairement entravée par la difficulté de trouver des majorités pour le vote des textes. Le recours à des initiatives
qui ne seraient ni gouvernementales, ni parlementaires, au profit de « grands débats » ou de « consultations
citoyennes », affaiblit les institutions électives. Contourner le Parlement, tentation évidente, trouve cependant vite
ses limites constitutionnelles.
L’envahissement de la loi, qui régit tous les secteurs de la vie sociale, limite les possibilités d’intervenir par voie
réglementaire, voie que ne manquera pas de tenter d’explorer le gouvernement, appelé à la « sobriété » législative 55.
Mais comment tarir les sources de l’inflation législative ? Il existe indéniablement un cercle vicieux de la croissance
arborescente des normes : plus une législation est détaillée, plus sa modification doit l’être aussi, surtout si, au lieu
d’abroger ou de remplacer, la loi nouvelle apporte des dérogations et des raffinements à la loi existante, ce qui est
souvent le cas 56. L’omniprésence législative impose la loi comme véhicule de toute réforme. Contrairement à ce que
la Constitution avait permis d’envisager, le domaine réglementaire n’est pas de droit commun, mais résiduel. On ne
peut donc pas, même sur des sujets ciblés, se passer du Parlement.
Le déclassement prévu par l’article 37 alinéa 2 connaît des limites certaines, tandis que le recours aux ordonnances 57,
si commode (même s’il n’exonère désormais plus d’un contrôle de constitutionnalité 58), nécessiterait le vote de lois
d’habilitation, ce qui est loin d’être acquis.
La tentation de l’immobilisme législatif peut être forte, mais la pression des évènements, les crises, sanitaire,
environnementale, énergétique, comme le tempérament réformiste du Chef de l’État, vont en sens contraire. Le
contexte actuel, fortement anxiogène, suscite une demande de sécurité qui devrait normalement pousser à resserrer
les rangs autour de projets répondant à l’urgence. Ces conditions rendent improbable une crise politique aiguë
immédiate quand tout le monde aspire à la tranquillité perdue…
Il faudra donc qu’un choix soit opéré entre la logique qui a abouti à concentrer entre les mains du chef de l’État les
pouvoirs de décision, sans contrepartie en termes de responsabilité politique et sans que le gouvernement, la majorité
parlementaire ou un parti politique ne limitent cette concentration, et un retour à une lecture parlementaire des
institutions, dans laquelle les assemblées sont le lieu où prend forme la volonté générale. En l’absence d’un tel choix,
la réponse au bizarre sera trouvée dans un bricolage, fait de résignation sur fond de vociférations.
Au moment de souffler les bougies du plus long de nos régimes républicains, le fonctionnement de la Ve République
serait-il en passe de devenir celui d’une IVe… en pire ?

Notes de bas de page :


(1) Code civil, art. 1218 : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait
être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche
l'exécution de son obligation par le débiteur ».
(2) La CMP réunie sur la loi n° 20223-1158 du 16 août 2022, portant mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat, a abouti à un accord préfigurant
un vote confortable de 395 pour et 112 contre à l’Assemblée, 245 pour et 27 contre au Sénat. Elle était composée, pour l’Assemblée, d’une
Présidente et de deux rapporteurs Renaissance, ainsi que de quatre autres membres des groupes LR, RN, NUPES MODEM, et, pour l e Sénat,
d’un Président et de deux rapporteurs LR, ainsi que de deux sénateurs socialistes, d’un membre de l’Union centriste et d’un membre du groupe
RDPE. Le déséquilibre s’accroît encore si l’on considère les suppléants, où sept groupes différents sont représentés au Sénat , tandis que quatre
de sept députés sont membres de groupes NUPES et où Horizon, les Républicains et le RN se partagent les trois autres sièges. On peut à cet égard
juger inappropriée à la situation actuelle la révision du règlement de l’Assemblée nationale qui a conduit à prévoir une représentation de tous les

7
groupes en CMP par sa rédaction issue du texte adopté le 4 juin 2019. Aux termes de celle-ci, la composition de la CMP « s’efforce de reproduire
la configuration politique de celle-ci et assure, sous réserve que le groupe qui dispose du plus grand nombre de sièges de titulaires conserve au
moins un siège de suppléant, que chaque groupe dispose d’au moins un siège de titulaire ou de suppléant ». Examinant cette modification du
règlement de l’Assemblée, le Conseil constitutionnel, par sa décision n° 2019-785 DC du 4 juillet 2019, a posé les réserves suivantes : « La mise
en œuvre des dispositions introduites au troisième alinéa de l’article 111 ne saurait, sans méconnaître les dispositions de l’article 45 de la
Constitution, avoir pour effet de priver le groupe majoritaire, au sens du quatrième alinéa de l’article 19 du règlement, du droit de revendiquer
un nombre de titulaires dans la commission mixte paritaire représentatif de l’effectif de ce groupe au sein de l’Assemblée na tionale. ». Dans la
configuration politique actuelle, cette réserve présente un indéniable effet utile.
(3) Créant une « confusion de légitimité » (A. Genevard, La Croix, 30 août 2022). La mise en place de cet organisme, le 6 septembre, suscite des
réserves même sur les bancs de la majorité.
(4) « Le décompte des lois de transparence, de vertu et de pénalisation de la vie politique est étourdissant, si l’on y regarde de près, surtout rapporté
à l’efficacité de ces textes sur le terrain où ils ont absolument tous prétendu avoir la même : restaurer la confiance du peuple envers ceux qui
conduisent son destin » (D. de Béchillon, « Du grave et du bénin », Commentaire n° 179, 2002, p. 559).
(5) V. P. Avril, Les conventions de la Constitution, PUF, 1997, qui rappelle les critères de définition donnés en 1959 par Jennings : quels sont
les précédents ? Les acteurs s’estiment-ils liés par une règle ? Y a-t-il des raisons à la règle ? (pp. 111 et 185). Le « test de Jennings » s’applique
malaisément à la situation actuelle : il y a très peu de règles que les acteurs jugent contraignantes.
(31) On notera que les taux d’abstention ne progressent jamais entre les deux tours d’une élection présidentielle, sauf en 1969, où Jacques Duclos,
avec des formules célèbres « blanc bonnet, bonnet blanc » ou « on ne choisit pas entre la peste te le choléra « incite à l’abstention. Au contraire,
la mobilisation est toujours accrue par le choix auquel conduit le second tour, comme en 1995.
(32) 8,6 % des 35 millions de votants choisissent de voter blanc ou nul au second tour, ce chiffre était de 11,5 % en 2017, pour un nombre
similaire de votants : 35,4 millions. Mais le taux d’abstention supplémentaire, passé de 25,4 à 28 % soit 1,5 million d’électeurs montre que le
refus de choix entre les deux protagonistes est sensiblement le même. Les votes blancs et nul représentent 5,8 % en 2012, 4,2 % en 2007, 4,3 %
en 2002.
(33) Ph. Williams, op. cit. p. 357 rappelle qu’à la fin de la IVe République, le nombre de députés nécessaires pour constituer un groupe avait été
relevé. La Ve République a enregistré un mouvement inverse.
(34) A. Fourmont, « Les places ou la place », LPA 23 mai 2019, p. 10.
(35) Prémonitoire, Jean Gicquel écrit : « on ne sait jamais de quoi l’avenir est fait estime la sagesse populaire… est-ce bien lucide, est-ce bien
raisonnable de flatter la prérogative parlementaire en restreignant l’exercice d’une disposition qui a fait ses preuves ? » in Camby, Gicquel, Fraisseix
La révision de 2008, LGDJ, 2009, p. 291. De son côté, Michel Ameller rappelle (ibid. 278) que l’un des objets de l’article 49, al. 3 est de « réunir
autour du gouvernement une majorité indécise ou indisciplinée… », l’autre « de lutter contre la plus grande tare de la démocratie parlementaire :
l’obstruction », que n’a pas fait disparaître le temps législatif programmé.
(36) Prémonitoire, envisageant le cas d’un leadership atteint en cas de majorité relative, Pascal Jan écrit sur cette révision : « le constituant, emporté
par son aveuglement et ses calculs politiques de court terme, a négligé le ressort profondément incertain de la vie politique, sous-estimé le possible
éclatement ou effritement d’une majorité au palais Bourbon qui pourrait affecter alors durablement l’autorité présidentielle. Cette situation
relève du possible, pas de l’impossible », in Les Constitutions de la France, Tome, III p. 126, LGDJ, 2017.
(37) V. P. Avril, « Un nouveau droit parlementaire », cette Revue 2010, p. 121.
(38) Cons. const., 8 septembre 2017, n° 2017-752 DC. La saisine indique : « Lors de la première séance du mardi 25 juillet 2017, l'adoption de
l'article 1 bis A, devenu l'article 2 du texte définitif, n'a pas été acquise, la Présidente de séance a appelé à trois reprises les votes favorables à
l'article pour s'assurer d'obtenir une majorité. Il n'a pas alors, dans cette totale confusion, été procédé au vote « contre ». La présidente de séance,
alors que les députés de son groupe n'avaient majoritairement pas pris part au vote, est ainsi revenue, de sa propre initiative, sur un vote. Le
compte rendu, comme la vidéo de la séance, montrent donc que cet article a en réalité été rejeté. Votre décision n° 86-225 DC du 23 janvier
1987 prévoit, à propos d'un scrutin public, la nullité de la procédure d'adoption « que s'il est établi, d'une part, qu'un ou des députés ont été
portés comme ayant émis un vote contraire à leur opinion et, d'autre part, que, sans la prise en compte de ce ou ces votes, la majorité requise
n'aurait pu être atteinte ». Ces conditions cumulatives sont ici réunies ». Sans contester cet exposé, le Conseil juge, s’en tenant au troisième vote,
qu’« à l'issue de la discussion de l'article, celui-ci a été mis aux voix et adopté par un vote à main levée. Si ce vote a ensuite été contesté par plusieurs
députés, au motif notamment que la présidente de séance aurait appelé à plusieurs reprises les votes en faveur de cet article, il ne ressort pas des
travaux parlementaires que la clarté et la sincérité des débats en aient été altérées. Les articles 27 et 45 de la Constitution n'ont pas davantage été
méconnus. L'article 2 a donc été adopté selon une procédure conforme à la Constitution ».
(52) Tableau politique de l’ouest de la France, 1913, rééd. Université de Bruxelles, 2020, p. 505.
(53) O. Duhamel, La Gauche et la Ve République, PUF, 1993.
(54) On notera comme significatif le fait que pour la première fois, l’implantation élective du RN atteint l’Atlantique.
(55) Dans son discours devant le Conseil d’État, la Première ministre indique : « Je préfère les textes clairs et ramassés. J ’ai récemment lancé un
appel à la sobriété. Je crois qu’il doit aussi s’appliquer à nos textes. Je sais que je peux compter sur vous pour être des alliés précieux dans cette
mission. Il nous faut identifier les cas dans lesquels le recours à un texte ne s’impose pas, et écrire nos lois, ordonnances et décrets plus simplement,
plus sobrement et en redescendant autant qu’il est juridiquement possible dans la hiérarchie des normes. C’est un impératif d ’efficacité, je le
disais. C’est un impératif de clarté. C’est aussi, aujourd’hui, un impératif démocratique, car la nouvelle composition de l’Assemblée nationale
renforce encore le besoin de concentrer les débats parlementaires sur le cœur de la matière législative ». Si elles prennent ici un tour particulier,
compte tenu de l’obstacle parlementaire, ces intentions de respect du domaine de la loi et du règlement et de maîtrise des flux normatifs sont
fréquemment formulées en début de législature, et rarement suivies d’effet tant sont fortes les habitudes d’intempérance législative. V. les
circulaires successives des Premiers ministres du 25 mai 1988 : « S’agissant des projets de loi… ne faire figurer au programme de travail que des
textes dont le contenu est intégralement législatif », du 19 mai 1995, 6 mai 1997 ou du 26 juillet 2017 (JO du 28 juillet 2017), cette dernière
portant plutôt sur la maîtrise des flux réglementaires. V. Camby, Le club des juristes, 4 août 2017.
(56) J. E. Schoettl, « Sobriété législative : les hypocrites vœux pieux de ceux qui nous gouvernent », Atlantico, 9 septembre 2022.
(57) Y. Gaudemet, « La loi administrative », cette Revue 2006 p. 65 ; B. Genevois, « L’application de l’article 38 de la Constitution ; un régime
juridique cohérent et nullement baroque », RFDA, juillet 2018, 755 ; Le Pourhiet, Les ordonnances, LGDJ, 2011.
(58) Cons. const., 28 juin 2020 n° 2020-843 QPC et 30 juillet 2020 n° 2020 n° 2020-851 QPC V. cette Revue : D. Rousseau, P.-Y. Gadhoun et
J. Bonnet, Chronique, n° 1-2021, p. 314 ; A. Levade, JCP G 29 juin 2020, n° 26, p. 1185 et le commentaire critique de 12 signataires, dont cette
dernière et les auteurs : « Réflexion sur une chauve-souris juridique », Semaine juridique 2020, 1267(46).

Document 3 J. LAMOTHE & M. DARAME, « A l’Assemblée nationale, récit de trois


mois de 49.3 sous haute tension », LeMonde, 18 décembre 2022
Répondez aux questions suivantes en vous appuyant sur le texte :
- Quel est le lien entre l’article 49.3 et la motion de censure ?
- Qu’est-ce qu’une « niche parlementaire » ? Pourquoi le comportement du Gouvernement est problématique ?

8
- Quels sont les signes de la persistance de « l’esprit majoritaire » pour le gouvernement et les députés Renaissance ?

Alors que les macronistes avaient promis de tout faire pour aboutir à des compromis avec l’opposition
afin de pallier leur majorité relative, l’examen des textes budgétaires a finalement eu lieu dans un contexte
d’affrontement entre la majorité et les oppositions, sur fond d’accusations de passage en force et d’obstruction
parlementaire.

« Quiconque vous donnerait une explication claire, nette et précise de la situation prend ses désirs pour la réalité.
Personne ne sait où ça va. » Depuis son bureau, rue de Vaugirard, Claude Malhuret, président du groupe Les
Indépendants, République et Territoires au Sénat, ne cache pas sa perplexité au moment d’évoquer les mois qui
viennent de s’écouler au Parlement. Que dire même de ce qui se joue au Palais-Bourbon aujourd’hui ? Du choc à
l’euphorie, jusqu’aux tensions de plus en plus exacerbées dans l’Hémicycle, liées à des élections législatives qui ont
fait vaciller toutes les certitudes, voici venu le temps des premières désillusions dans cette Assemblée nationale sous
majorité relative.
Samedi 17 décembre, une dernière motion de censure de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale
doit être examinée avant la suspension, pour trois semaines, des travaux parlementaires. C’est la onzième tentative
de la gauche pour renverser le gouvernement depuis le début de la législature. Bien qu’elle n’ait aucune chance
d’aboutir, il s’agit, pour ses signataires, de riposter à chaque recours de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, dont
la dixième utilisation a été faite, jeudi, par la première ministre, Elisabeth Borne, pour faire adopter sans vote le
budget 2023 de l’Etat.
Ces soixante-dix jours dévolus à l’examen des textes budgétaires ont donné lieu à un grand écart de
l’exécutif : de la concertation symbolisée par les « dialogues de Bercy », en septembre, aux « passages en force »
dénoncés par les oppositions, privés de débats dans l’Hémicycle. La faute d’un 49.3 dont la Constitution autorise
un usage illimité sur les projets de loi de finance et de financement de la « Sécu ». « On est passé des dialogues de
Bercy au monologue de Matignon », ironise le président « insoumis » de la commission des finances, Eric Coquerel.
« Le budget est une parenthèse », aime à répéter la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, face aux
frustrations exprimées par les députés de tout bord.

Des bancs désertés


La stratégie du camp présidentiel trouve sa légitimité par le refus des oppositions de voter le budget, signe
traditionnel de l’appartenance à une majorité. Pourtant, deux budgets rectificatifs – un cet été, l’autre à l’automne
– ont été adoptés avec le soutien ou l’abstention des oppositions. « On sait faire quand les oppositions nous disent
qu’elles voteront nos textes. Mais si on nous dit a priori “on ne votera pas”, alors on ne sait plus faire », lance le
rapporteur général du budget à l’Assemblée, Jean-René Cazeneuve (Renaissance, Gers). A rebours d’une session
extraordinaire qui aura vu ressurgir, au cours de l’été, des débats idéologiques dans un Hémicycle souvent bondé,
cet empilement de 49.3 et son lot de motions de censure a peu à peu anesthésié les discussions, poussant les députés
de chaque camp à déserter les bancs.
Lors de l’examen budgétaire, le choix des amendements retenus par le gouvernement a constitué, aux yeux
des oppositions, une preuve supplémentaire de la persistance de l’esprit majoritaire chez les macronistes. La plupart
des mesures significatives qui ont été adoptées dans l’Hémicycle contre l’accord du gouvernement ou du groupe
présidentiel Renaissance ont été écartées. A commencer par l’amendement du MoDem sur la taxation des super-
dividendes, qui avait été adopté à 229 voix. « Contrairement aux promesses de nouvelle méthode, il n’y en a pas. Ils
n’acceptent pas que l’Assemblée légifère et que l’exécutif mette en œuvre », pourfend la présidente du groupe
écologiste, Cyrielle Chatelain.
Cette « nouvelle méthode » affichée par l’exécutif – qui se caractérise, notamment, par des textes plus courts
et des négociations menées en amont –, se complique dès lors que la coalition présidentielle rappelle la victoire
d’Emmanuel Macron, quand les oppositions notent, elles, la perte de la majorité absolue par les partisans du chef
de l’Etat. « Il n’a échappé à personne que la majorité, même si elle n’a plus la majorité absolue, reste majoritaire et que le projet
du président de la République est majoritaire dans le pays », martèle tout de même le député Renaissance du Val-de-Marne,
Mathieu Lefèvre.

Braun-Pivet critiquée par les siens


Un discours au cœur du projet de réforme des retraites du gouvernement – pour reculer l’âge de départ de
62 à 65 ans – qui va animer le prochain semestre parlementaire et qui cristallise déjà l’opposition des syndicats, de
la gauche, de la droite et de l’extrême droite et même d’une partie de la majorité. « On n’a fait que 28 % au premier
tour de la présidentielle. Ça veut aussi dire qu’il y a quand même deux tiers des Français qui ne sont pas d’accord avec nous, il
faut aussi qu’on l’entende », plaide la députée MoDem de la Nièvre, Perrine Goulet.
De quoi faire dire aussi à la vice-présidente socialiste de l’Assemblée nationale, Valérie Rabault, le
25 novembre, un soir de motion de censure, que « cette situation nous amènera peut-être à conclure que, sous la
Ve République, l’Assemblée nationale ne peut fonctionner qu’avec une majorité absolue, et que faute d’une telle majorité, il faut
donner de nouvelles règles au Parlement ».
A commencer par celles qui régissent les niches parlementaires. Pour les oppositions, le déroulé des deux
journées réservées aux textes de La France insoumise (LFI), le 24 novembre, puis à ceux du groupe Les Républicains

9
(LR), le 1er décembre, a aggravé la défiance à l’égard de l’exécutif. En cherchant, à coups d’amendements et de prises
de parole répétés, à empêcher l’examen d’un texte « insoumis » sur la réintégration des soignants non-vaccinés au
Covid-19 ou de celui porté par LR sur des juridictions spécialisées aux violences intrafamiliales, qu’il jugeait contraire
à son projet, le gouvernement s’est prêté « pour la première fois dans la Ve République à un travail
d’obstruction » parlementaire, avait alors dénoncé le chef de file du groupe LR, Olivier Marleix. « Tout est dysfonctionnel
dans ce Parlement. On a le cerveau de la IVe République et le corps de la Ve, en ayant du mal à articuler les deux », résume son
homologue socialiste Boris Vallaud.
Ces manœuvres gouvernementales ont eu des répercussions jusque dans les rangs macronistes. Yaël Braun-
Pivet a appelé Mme Borne, le 25 novembre, pour exiger du gouvernement qu’une telle obstruction ne se reproduise
plus. Chaque président de groupe a eu, lui aussi, le droit à un appel de la présidente de l’Assemblée nationale pour
désamorcer la situation. Avant de demander à chacun, dans La Voix du Nord, de « ne pas utiliser des techniques
procédurales d’obstruction pour éviter finalement le débat sur le fond ». Une sortie vivement critiquée au sein du
groupe Renaissance, où les procès en traîtrise et déloyauté se multiplient contre Mme Braun-Pivet, jugée trop
accommodante avec les oppositions.
Le ministre des relations avec le Parlement, Franck Riester, renvoie plutôt la responsabilité de cette situation
chaotique à la présence de 89 députés du Rassemblement national (RN) et aux 74 « insoumis », qui occupent un
tiers des bancs de l’Assemblée nationale et qui ont été placés en dehors de « l’arc républicain » dès le début de la
législature par les macronistes. « Il n’y a pas de culture parlementaire avec les extrêmes. Ils cherchent surtout à cliver
la société », dénonce M. Riester. Ce dernier préfère mettre en avant l’adoption de tous les textes déposés depuis juin
par le gouvernement : les projets de loi sur l’assurance-chômage, le pouvoir d’achat ou encore la loi d’orientation et
de programmation du ministère de l’intérieur.
Des victoires obtenues grâce aux voix prépondérantes des députés LR qui ont amené Emmanuel Macron à
formuler le vœu, le 26 octobre sur France 2, de nouer des « alliances » avec le groupe de droite. Mais alors qu’Eric
Ciotti a été élu, le 11 décembre, à la tête du parti sur une ligne très droitière, le groupe LR à l’Assemblée va-t-il
continuer à se montrer conciliant avec le gouvernement sur les prochains textes ? « Macron fait du Macron. Il dit
qu’il veut travailler avec LR mais pendant cinq ans, ses troupes nous ont méprisés. Et maintenant ils voudraient
qu’on les accompagne sur leurs réformes casse-gueule ? Non », rétorque le député LR du Territoire de Belfort, Ian
Boucard, en évoquant son opposition à la réforme des retraites, alors que la droite est très divisée sur la question.

« Des ombres au tableau »


Dans cette Assemblée à géométrie variable, les députés Renaissance, MoDem et Horizons cherchent encore
leur place. Au prix de divisions internes, de plus en plus visibles dans leurs prises de position. Les élus de François
Bayrou et d’Edouard Philippe reprochant à ceux du chef de l’Etat leurs velléités hégémoniques, malgré la perte de
la majorité absolue. « Depuis les législatives, voire la réélection d’Emmanuel Macron, il n’y a plus de ligne directrice.
Avant, leur position était un peu plus claire et les députés macronistes faisaient bloc. Mais aujourd’hui, ils ne savent
plus quoi défendre », observe le vice-président du RN, Sébastien Chenu.
Les relations entre le gouvernement et cette majorité tripartite n’ont jamais retrouvé l’aisance du premier
quinquennat alors que les élus de la coalition présidentielle déplorent régulièrement un manque de coordination et
de visibilité dans l’action de l’exécutif. Le dépôt en catimini d’un amendement dans le budget par le gouvernement,
samedi 10 décembre, instaurant une participation financière des salariés lorsqu’ils utilisent leur compte personnel
de formation (CPF), sans discussion à l’Assemblée, est le dernier épisode de cette incompréhension. Pour nombre
de députés, ce dysfonctionnement révèle surtout le manque de considération d’Emmanuel Macron pour la vie
parlementaire. « Les ministres et la majorité subissent le président, pour qui le Parlement entrave et n’est pas le lieu
où doit se passer le débat », estime la porte-parole du groupe socialiste, Christine Pirès-Beaune.
Après six mois de confrontations, ponctués par de rares moments de concorde, l’inquiétude gagne quant à
l’image renvoyée par l’Assemblée nationale dans l’opinion. Entre petites phrases, invectives et affaires de violences
conjugales impliquant des députés, le Palais-Bourbon a tangué au gré des controverses. « Des ombres au tableau »,
qui ont touché certaines formations, aboutissant notamment à l’exclusion temporaire de l’élu du RN Grégoire de
Fournas pour ses propos racistes ou la radiation de son groupe pour quatre mois du député LFI du Nord Adrien
Quatennens, après sa condamnation à quatre mois de prison avec sursis pour violences contre son épouse.
L’Hémicycle, qui est devenu l’épicentre d’une situation politique éruptive, s’apprête à accueillir dans les
prochaines semaines des réformes capitales pour le camp macroniste. Du projet de loi sur le nucléaire à celui sur
l’immigration en passant par la réforme des retraites, l’Assemblée pourrait être le réceptacle d’une conflictualité de
plus en plus exacerbée entre des camps qui peinent à se comprendre

10
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 6 : Le contrôle de constitutionnalité

Table des matières


Partie 1. Le bloc de constitutionnalité 1
Document 1 J.-S. BODA, « Retour sur l’élaboration du préambule de la Constitution de 1958 »,
Revue française de droit constitutionnel, 2016, n° 2, pp. 283-308 1
Document 2 Conseil constitutionnel, 16 juillet 1971, Loi complétant les dispositions des articles
5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association 4
Partie 2. Le contrôle de constitutionnalité 5
Document 1 Ordonnance organique du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel 5
Document 2 Conseil constitutionnel, décision du 30 juillet 2010, 2010-14/22CPQ, Garde à vue 8
Partie 3. Le rôle du juge constitutionnel 11
Document 1 D. ROUSSEAU, « La démocratie continue – Espace public et juge constitutionnel »,
Le débat, 1997, n° 4, pp. 73-98 11

Notions à maîtriser :

Contrôle de constitutionnalité, Hiérarchie des normes, Contrôle a priori / a posteriori, Contrôle par voie d’action /
par voie d’exception , Procédure incidente, Droits fondamentaux, État de droit.
Partie 1. Le bloc de constitutionnalité
Document 1 J.-S. BODA, « Retour sur l’élaboration du préambule de la
Constitution de 1958 », Revue française de droit constitutionnel, 2016, n° 2,
pp. 283-308
Répondez aux questions suivantes en citant les partages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que le « Comité consultatif constitutionnel » ?
- Que signifie l’idée d’une « exploitation politique » du Préambule par l’opposition ?
- Que signifie l’expression « dispositions positives et virtuelles » ? En quoi cela fait peser le risque du gouvernement des
juges ?
- Pourquoi les rédacteurs de la Constitution n’ont pas souhaité donner une valeur constitutionnelle au Préambule ?
- Pourquoi exiger le respect du Préambule par l’administration ne pose pas de problème alors que soumettre le législateur
au Préambule en est un ?

II – LE REFUS D’UNE VALEUR JURIDIQUE CONSTITUTIONNELLE AU PRÉAMBULE


Si le contenu du Préambule a peu fait débat devant le Comité consultatif constitutionnel, la question de sa valeur
juridique s’est en revanche posée à deux reprises. Une première fois, dans l’après-midi du 5 août 1958, alors qu’était
en discussion un amendement visant à étendre la saisine du Conseil constitutionnel à un tiers des membres de l’une
ou l’autre Assemblée66. Une seconde fois, dans l’après-midi du 7 août 1958, à l’occasion d’une discussion portant
sur un amendement au futur article 34 de la Constitution prévoyant le respect du Préambule par le législateur 67. Au
cours de ces deux séances, un vif échange d’arguments a eu pour objet l’opportunité d’accorder un statut
constitutionnel aux textes visés par le Préambule. De ce point de vue, contrairement à l’opinion communément
admise, il est difficilement soutenable que la discussion de ce dernier n’ait « pas été à l’origine de conflits 68 ».
La lecture de ces débats laisse apparaître que le lien entre la valeur juridique du Préambule et le pouvoir du Conseil
constitutionnel était clairement établi par certains participants qui avaient parfaitement saisi que le Conseil
disposerait d’une marge de manœuvre considérable pour interpréter le Préambule. Plus particulièrement, le débat a
mobilisé d’une part, les adversaires d’une limitation du législateur par un juge (A) et d’autre part, les adversaires de
ce qui fut présenté comme une régression (B).

A – LE REFUS DU « GOUVERNEMENT DES JUGES »


La question de la valeur juridique du Préambule étant soulevée devant le Comité consultatif constitutionnel, le rôle
et la place du Conseil constitutionnel au sein des institutions créées par le projet de Constitution furent mis en
question, certains participants faisant immédiatement référence au risque du gouvernement des juges 69.

1 – Le premier refus d’une valeur constitutionnelle


Cette question fut d’abord soulevée au cours du débat portant sur l’extension de la saisine du Conseil à l’opposition.
Cette proposition suscita la défense d’un certain nombre de participants et la réserve du garde des Sceaux, craignant
une politisation de « l’opération de contrôle de la Constitution 70 ». Prenant la parole au cours du débat, P.-H. Teitgen
jugea que l’extension proposée aurait pour conséquence la saisine du Conseil par l’opposition « après tous les débats
passionnés » car « c’est le rôle de l’opposition », cette saisine pouvant toujours être étayée par des arguments de droit
puisés dans le texte de la Constitution. Le propos est illustré par l’exemple de la loi Barrangé du 28 septembre 1951
portant sur l’enseignement privé qui avait entraîné un clivage important dans la classe politique 71. Selon lui, « la loi
Barangé sera saisie par l’opposition laïque, sous prétexte que les mots “République laïque”, qui figurent dans la
constitution sont violés. La loi anti-Barangé sera aussi portée devant le (Conseil) constitutionnel car les libertés
garanties par le préambule sont violées ». Cette intervention portait pour la première fois sur la valeur juridique du
Préambule en faisant le lien avec le rôle et le fonctionnement du Conseil constitutionnel. En mettant l’accent sur
l’exploitation politique que l’opposition pourrait faire de la possibilité de contester la conformité de toute loi aux
textes visés dans le Préambule, il s’agissait de mettre en garde sur le rôle que le Conseil constitutionnel pourrait jouer
au sein des institutions. Ces éléments seraient de nature à mener vers ce que P.-H. Teitgen qualifiait de
« gouvernement des retraités »72 qui pourrait ainsi « gouverner contre tout le monde » 73. C’est donc bien la question
de la valeur juridique du Préambule qui permet d’introduire le thème du gouvernement des juges dans le débat.
La discussion s’étant poursuivie sans qu’aucun intervenant ne soit revenu sur le Préambule 74, P.-H. Teitgen est de
nouveau intervenu pour « préciser le débat ». Il estimait en effet que la discussion sur l’extension de la saisine du
Conseil à l’opposition n’avait d’intérêt « que si le contrôle de la constitutionnalité permet de vérifier la conformité
de la loi au Préambule de la Constitution ». Il réaffirmait ainsi le lien entre la valeur juridique du Préambule et
l’extension de la saisine à l’opposition, jugeant qu’il n’y aurait aucun inconvénient à cette extension en cas
d’exclusion du contrôle de conformité de la loi au Préambule. Selon lui, le Préambule contenait des « dispositions
positives et virtuelles » et le contrôle de conformité à ces dispositions amènerait au gouvernement des juges dès lors
que les membres du Conseil devraient « appréci[er] d’une manière suggestive et particulière ce que signifie ce
préambule et ce que sont les diverses dispositions auxquelles il renvoie pour une discussion de principe » 75. Il illustrait

1
sa crainte par une comparaison entre la situation faite aux règlements devant le Conseil d’État et celle qui pourrait
être faite à la loi devant le Conseil constitutionnel. Selon lui, en effet, le Conseil d’État usait du contrôle de
constitutionnalité des règlements avec « prudence » et dès lors, il s’« attristerai[t] beaucoup de voir des lois, votées par
le Parlement, soumises à un contrôle de constitutionnalité beaucoup plus rigoureux » 76. Exprimant clairement sa
pleine conscience de l’impossibilité pour les participants de savoir ce que ferait le Conseil constitutionnel77, il
émettait un doute sur la façon dont celui-ci, une fois saisi, interpréterait la Constitution, en particulier son
Préambule. On comprend alors qu’il s’agissait de s’assurer que le Conseil constitutionnel n’aurait pas la possibilité
d’interpréter les textes auxquels renvoie le Préambule, jugés trop généraux, et qu’il soit cantonné à assurer le respect
du seul texte de la Constitution, à l’image du Comité constitutionnel sous la IVe République. En soulevant ces
questionnements, la volonté de P.-H. Teitgen était d’obtenir une clarification du Gouvernement sur le statut du
Préambule, mais aucun des autres intervenants ne se plaçant sur ce terrain, celle-ci ne viendra que deux jours plus
tard au cours d’un nouveau débat.

2 – Le second refus d’une valeur constitutionnelle


Le débat du 7 août 1958 portait sur l’amendement visant à introduire dans le futur article 34 une disposition selon
laquelle « dans le respect des principes généraux et libertés individuelles définis par le préambule, sont réglées... 78 ».
Cette proposition suscita la réaction du commissaire du Gouvernement R. Janot, qui estimait qu’une telle
disposition pourrait amener certains à juger qu’il y a une obligation « de respecter les principes généraux, les droits
et intérêts individuels définis par le Préambule » car l’amendement proposé donnerait « valeur constitutionnelle à
toutes les dispositions de la Déclaration des droits de l’homme » 79. C’est à cette occasion que la question lui étant
posée par R. Dejean de savoir si, dans l’avant-projet du Gouvernement, le Préambule avait « autorité juridique
constitutionnelle », il avait répondu que « non, certainement » 80. Il confirmera quelques années plus tard que cette
réponse ne devait rien à l’improvisation et avait fait l’objet de discussions préalables avec le président du Conseil,
son directeur de cabinet et le garde des Sceaux81. En affirmant que conférer une valeur constitutionnelle à ces textes
« au moment où on crée un Conseil constitutionnel, c’est aller au-devant de difficultés considérables, et c’est
s’orienter dans une très large mesure vers (le) gouvernement des juges 82 », il soulignait que l’enjeu de la valeur
juridique du Préambule reposait tout entier dans le rôle que l’on souhaitait voir jouer au Conseil constitutionnel.
R. Dejean se ralliait à cette vision des choses en qualifiant le contrôle qui devait être exercé par ce dernier de «
risque83 » si une valeur juridique constitutionnelle était conférée au Préambule. Constatant en effet que le rôle du
Conseil constitutionnel, tel qu’envisagé dans le texte du gouvernement, devait l’amener à sta-uer relativement
rarement, il développa une analyse similaire à celle de P.-H. Teitgen en affirmant que si le Préambule avait valeur
constitutionnelle, cela aurait pour conséquence qu’« aucune loi ne sera votée par le Parlement sans que les
mécontents de ce vote trouvent un principe auquel ils accrocheront l’idée de contravention 84 ».
Afin d’insister sur ce point, le commissaire du gouvernement R. Janot n’a pas hésité à utiliser un exemple très concret
en faisant état « de très grands doutes sur la constitutionnalité de certaines lois, et en particulier sur la loi de l’État
d’urgence85 ». Évoquer l’inconstitutionnalité de la loi sur l’état d’urgence votée en 1955 si l’amendement présenté
était adopté illustrait très efficacement les changements impliqués par l’existence d’une véritable juridiction
constitutionnelle. Cette loi ayant été votée pour faire face à des événements toujours en cours et à l’origine directe
du processus constituant de 1958, il s’agissait d’un moyen adéquat pour inciter les membres du Comité à rejeter
l’existence d’une telle contrainte pour le législateur. Il achevait son propos en notant que l’amendement conduirait
à « l’impossibilité de certaines législations » dont selon lui l’État avait « besoin » et affirmait à nouveau qu’avec un tel
amendement, le Comité s’engagerait « sur la voie du gouvernement des juges 86 ». C’est ainsi en évoquant
l’accroissement du contrôle du juge et la réduction de la marge de manœuvre du législateur qui s’ensuivrait qu’était
justifié le refus de conférer une valeur juridique constitutionnelle au Préambule. En tout état de cause, l’agitation
du spectre du gouvernement des juges était très efficace dès lors qu’elle conduisait à mettre en avant les conséquences
du statut normatif du Préambule sur l’équilibre institutionnel. En dramatisant cette question, on visait à contraindre
les autres membres à se positionner non pas sur le contenu ou la valeur juridique du Préambule, mais sur le pouvoir
qui devait être confié au Conseil constitutionnel.
Néanmoins, les défenseurs de la signification normative du Préambule vont utiliser une autre approche, s’attachant
à mettre en valeur la nécessité de ne pas revenir sur certains acquis.

B – LE REFUS D’UNE RÉGRESSION


Soucieux de voir les textes référencés dans le Préambule disposer d’une signification normative et produire de réels
effets juridiques, certains intervenants ont invoqué le risque que le texte de la Constitution opère une régression au
regard de la Constitution précédente, en particulier au regard de l'article 81 de cette Constitution ou de certains
alinéas du Préambule de 1946 (1) expliquant certains atermoiements du Gouvernement au sujet de la valeur
juridique exacte qui devait être celle du Préambule (2).

1 – Le risque de régression
Afin de défendre son amendement, M. Van Graefschepe se référait à l’article 81 de la Constitution de 1946, qui
disposait que « tous les nationaux français et les ressortissants de l’Union française ont la qualité de citoyen de
l’Union française qui leur assure la jouissance des droits et libertés garantis par le préambule de la présente
Constitution ». Il déclarait en effet « crain[dre] une régression sur la Constitution de 1946 » en se référant à cet

2
article, car selon lui, il « faisait obligation du respect du préambule dans le texte constitutionnel » 87. P. Coste-Floret
défendait également l’amendement proposé en estimant que l’article 81 « donnait une valeur juridique au principe
des droits définis par le préambule 88 », et qu’un article équivalent devrait être intégré au texte en discussion. Plus
loin, il explicitait son propos en faisant référence à l’alinéa 15 du Préambule de 1946 selon lequel « sous réserve de
réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ».
Cette référence à une disposition précise, dotée d’une forte portée symbolique car liée à la reconnaissance du droit
inter- national, lui permettait de souligner que le refus de toute signification normative au Préambule constituerait
une « régression manifeste89 ».
De même, citant l’alinéa 16 selon lequel « la France forme avec les peuples d'outre-mer une Union fondée sur l'égalité
des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion », L.S. Senghor déclarait ne pas comprendre « que
des discriminations de race et de religion puissent être constitutionnelles » 90, laissant entendre que l’absence de
valeur juridique constitutionnelle à un tel principe pourrait permettre au législateur de s’affranchir de dispositions
pourtant fondamentales à ses yeux. Pour sa part, se référant à la jurisprudence du Conseil d’État 91, M. Waline
estimait qu’« il y aurait bien régression92 » si aucune signification normative n’était conférée aux deux textes auxquels
renvoie le Préambule. Il soulignait également que si le Préambule n’avait pas valeur juridique constitutionnelle, il
pourrait paradoxalement « être modifié dans la forme d’une loi ordinaire », ce qu’il qualifie de « contradiction » 93.
La notion de régression appliquée à un texte peut paraître particulièrement inadaptée. Une telle lecture du texte
conduit en effet irrémédiablement à lui conférer des propriétés qu’il n’a pas au stade de la discussion et à envisager
sa formulation comme porteurs d’effets de droit. L’exemple de l’alinéa 16 du Préambule de 1946 et de la réaction
de L.S. Senghor est, de ce point de vue, topique.

2 – Les hésitations sur la valeur du Préambule


La position de R. Janot sur la valeur juridique du Préambule a évolué au cours du débat afin de gagner l’approbation
de ceux des membres qui refusaient de voir les textes en cause dépourvus de toute signification normative. Pour les
convaincre que refuser l’amendement proposé n’avait pas pour conséquence de priver le Préambule de toute
normativité, il s’appuyait sur la jurisprudence du Conseil d’État pour affirmer que « le préambule, de toute façon,
n’est pas dépourvu de valeur juridique 94 ». En effet, dans la jurisprudence du Conseil d’État, le Préambule de 1946
et de la Déclaration de 1789 « ont valeur législative, dans la mesure où ils contiennent les principes généraux des
droits reconnus comme tels par la jurisprudence 95 ». Il précisait à nouveau plus loin dans la discussion que « le
préambule a une valeur juridique, mais n’a pas une valeur constitutionnelle », il « a une certaine valeur législative, il
lie le Gouvernement, il ne lie pas le Parlement » 96.
La logique de l’argumentation était donc claire, il s’agissait de persuader les membres du Comité consultatif qu’en
refusant l’amendement proposé, on évitait de soumettre le législateur aux textes visés dans le Préambule sans pour
autant modifier l’état du droit positif qui y soumettait l’administration. Autrement dit, la normativité du Préambule
était préservée, mais à un niveau infraconstitutionnel. En effet, invoquer cette supposée valeur législative, qui serait
celle des principes généraux du droit97, permettait à la fois de refuser qu’une valeur juridique constitutionnelle soit
reconnue aux énoncés contenus dans le Préambule et d’assurer les membres du Comité que refuser l’amendement
proposé ne remettait pas en cause la soumission de l’administration à ces normes. Il s’agissait essentiellement
d’écarter toute idée de régression des conséquences supposées du refus de l’amendement en cause. Une autre
solution fut néanmoins proposée. »

Notes de bas de page :


66. Amendement présenté par Messieurs Valentin et Triboulet.

67. Amendement présenté par M. Van Graefschepe.

68. B. Genevois, « Le Préambule et les droits fondamentaux », op. cit., p. 483. L’auteur affirme également quelques lignes plus loin qu’« il est
significatif que, devant le Comité consultatif constitutionnel, le préambule n’ait pas suscité de difficultés ».
69. Rappelons que l’expression fut introduite en France par E. Lambert dans son ouvrage Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation
sociale aux États-Unis, Paris, Giard, 1921, où il qualifie ainsi la Cour suprême des États-Unis. L’expression est depuis classiquement utilisée
lorsqu’il s’agit de contester le pouvoir judicaire. Sur le concept de gouvernement des juges, voir notamment M. Troper, « Le bon usage des
spectres. Du gouvernement des juges au gouvernement par les juges », La théorie du droit, le droit, l’État, op. cit., p. 231.
70. Documents pour servir à l'histoire..., op. cit., Vol. II, 1988, p. 175 (col. gauche).

71. Le vote de cette loi avait entraîné la fin de la Troisième force sous la IVe République.
72. Il nomme ainsi les membres du Conseil constitutionnel dès le début de son intervention.
73. Ibid., p. 176.

74. Bien que le thème du gouvernement des juges soit exploité notamment par P. Coste-Floret.

75. Ibid., p. 179.

76. Ibid., p. 180 (col. gauche).
77. Ibid.
78. Ibid., p. 254 (col. droite).

79. Ibid., p. 254 (col. droite).

80. Ibid.

81. L. Favoreu, (dir.), Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, Paris, Economica, 1982, p. 212.

82. Documents pour servir à l'histoire..., op. cit., Vol. II, 1988, p. 256 (col. droite).

83. Ibid., p. 257 (col. gauche).

84. Ibid. Sur cette notion de contravention voir récemment L. Fontaine, « La violation de la Constitution : autopsie d’un crime qui n’a jamais
été commis », RDP, 2014, p. 1617.

3
85. Ibid., (col. droite).
86. Ibid.
87. Documents pour servir à l'histoire..., op. cit., Vol. II, 1988, p. 255 (col. gauche).
88. Ibid.

89. Ibid., p. 255 (col. droite).

90. Ibid., p. 256 (col. droite).
91. Il se référait, sans le nommer, à l’arrêt Condamine (CE, 7 juin 1957, Condamine, RDP, 1958, p. 99), dans lequel le juge administratif venait
d’examiner un moyen tiré de la violation de trois articles de la Déclaration de 1789.
92. Documents pour servir à l'histoire..., op. cit., vol. II, 1988, p. 256 (col. gauche).
93. Ibid., p. 257. On retrouve ici en partie le fondement du raisonnement bien connu du juge Marshall dans la décision Marbury v. Madison, à
savoir l’argument selon lequel la rigi- dité constitutionnelle impose que la loi ordinaire ne puisse venir contredire le texte de la constitution (Sur
l’analyse de ce raisonnement, voir M. Troper, « Marshall, Kelsen, Barak et le sophisme constitutionnaliste », Le droit et la nécessité, op. cit., p.
139).

Document 2 Conseil constitutionnel, 16 juillet 1971, Loi complétant les


dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat
d'association
Effectuez les exercices suivants :
- Repérez les étapes du raisonnement qui :
o Donnent valeur constitutionnelle au Préambule ;
o Donnent valeur constitutionnelle aux Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ;
o Donnent valeur de principe fondamental reconnu par les lois de la République à la liberté d’association.
- En quoi le texte de loi est contraire à la Constitution ?

Le Conseil constitutionnel,

Saisi le 1er juillet 1971 par le Président du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution,
du texte de la loi, délibérée par l'Assemblée nationale et le Sénat et adoptée par l'Assemblée nationale, complétant
les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;
Vu la Constitution et notamment son préambule ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre
II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, modifiée ;
Vu la loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et milices privées ;

1. Considérant que la loi déférée à l'examen du Conseil constitutionnel a été soumise au vote des deux assemblées,
dans le respect d'une des procédures prévues par la Constitution, au cours de la session du Parlement ouverte le 2
avril 1971 ;
2. Considérant qu'au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et solennellement
réaffirmés par le préambule de la Constitution il y a lieu de ranger le principe de la liberté d'association ; que ce
principe est à la base des dispositions générales de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; qu'en
vertu de ce principe les associations se constituent librement et peuvent être rendues publiques sous la seule réserve
du dépôt d'une déclaration préalable ; qu'ainsi, à l'exception des mesures susceptibles d'être prises à l'égard de
catégories particulières d'associations, la constitution d'associations, alors même qu'elles paraîtraient entachées de
nullité ou auraient un objet illicite, ne peut être soumise pour sa validité à l'intervention préalable de l'autorité
administrative ou même de l'autorité judiciaire ;
3. Considérant que, si rien n'est changé en ce qui concerne la constitution même des associations non déclarées, les
dispositions de l'article 3 de la loi dont le texte est, avant sa promulgation, soumis au Conseil constitutionnel pour
examen de sa conformité à la Constitution, ont pour objet d'instituer une procédure d'après laquelle l'acquisition
de la capacité juridique des associations déclarées pourra être subordonnée à un contrôle préalable par l'autorité
judiciaire de leur conformité à la loi ;
4. Considérant, dès lors, qu'il y a lieu de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de
la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel complétant l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901, ainsi, par
voie de conséquence, que la disposition de la dernière phrase de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi soumise au Conseil
constitutionnel leur faisant référence ;
5. Considérant qu'il ne résulte ni du texte dont il s'agit, tel qu'il a été rédigé et adopté, ni des débats auxquels la
discussion du projet de loi a donné lieu devant le Parlement, que les dispositions précitées soient inséparables de
l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil ;
6. Considérant, enfin, que les autres dispositions de ce texte ne sont contraires à aucune disposition de la
Constitution ;

Décide :
Article premier :

4
Sont déclarées non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 de la loi soumise à l'examen du Conseil
constitutionnel complétant les dispositions de l'article 7 de la loi du 1er juillet 1901 ainsi que les dispositions de
l'article 1er de la loi soumise au Conseil leur faisant référence.
Article 2 :
Les autres dispositions dudit texte de loi sont déclarées conformes à la Constitution.
Article 3 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Partie 2. Le contrôle de constitutionnalité


Document 1 Ordonnance organique du 7 novembre 1958 portant loi organique
sur le Conseil constitutionnel
Effectuez les exercices suivants :
- Faites un schéma de chaque procédure avec l’ensemble des intervenants, indiquant leur rôle respectif et les délais, en
faisant référence aux articles de la Constitution de 1958 et de l’Ordonnance organique.

Chapitre II : Des déclarations de conformité à la Constitution

Article 17
Les lois organiques adoptées par le Parlement sont transmises au Conseil constitutionnel par le premier ministre. La
lettre de transmission indique, le cas échéant, qu'il y a urgence.
Les règlements et les modifications aux règlements adoptés par l'une ou l'autre assemblée sont transmis au Conseil
constitutionnel par le président de l'assemblée.
Article 18
Lorsqu'une loi est déférée au Conseil constitutionnel à l'initiative de parlementaires, le Conseil est saisi par une ou
plusieurs lettres comportant au total les signatures d'au moins soixante députés ou soixante sénateurs.
Le Conseil constitutionnel, saisi conformément aux articles 54 ou 61 (alinéa 2) de la Constitution, avise
immédiatement le Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du
Sénat. Ces derniers en informent les membres des assemblées.
Article 19
L'appréciation de la conformité à la Constitution est faite sur le rapport d'un membre du Conseil dans les délais
fixés par le troisième alinéa de l'article 61 de la Constitution.
Article 20
La déclaration du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est publiée au Journal officiel.
Article 21
La publication d'une déclaration du Conseil constitutionnel constatant qu'une disposition n'est pas contraire à la
Constitution met fin à la suspension du délai de promulgation.
Article 22
Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi dont il est saisi contient une disposition contraire à la
Constitution et inséparable de l'ensemble de cette loi, celle-ci ne peut être promulguée.
Article 23
Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que la loi dont il est saisi contient une disposition contraire à la
Constitution sans constater en même temps qu'elle est inséparable de l'ensemble de cette loi, le Président de la
République peut soit promulguer la loi à l'exception de cette disposition, soit demander aux chambres une nouvelle
lecture.
Dans le cas où le Conseil constitutionnel déclare que le règlement parlementaire qui lui a été transmis contient une
disposition contraire à la Constitution, cette disposition ne peut être mise en application par l'assemblée qui l'a
votée.

Chapitre II bis : De la question prioritaire de constitutionnalité

Section 1 : Dispositions applicables devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation
Article 23-1
Devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition
législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans
un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être
relevé d'office.
Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance,
l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.
Si le moyen est soulevé au cours de l'instruction pénale, la juridiction d'instruction du second degré en est saisie.

5
Le moyen ne peut être soulevé devant la cour d'assises. En cas d'appel d'un arrêt rendu par la cour d'assises en premier
ressort, il peut être soulevé dans un écrit accompagnant la déclaration d'appel. Cet écrit est immédiatement transmis
à la Cour de cassation.
Article 23-2
La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de
constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions
suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil
constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition
législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements
internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au
Conseil d'État ou à la Cour de cassation.
La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'État ou à la Cour de cassation dans les huit jours de
son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de
transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie
du litige.
Article 23-3
Lorsque la question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision du Conseil d'État
ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel. Le cours de l'instruction n'est pas suspendu
et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.
Toutefois, il n'est sursis à statuer ni lorsqu'une personne est privée de liberté à raison de l'instance ni lorsque
l'instance a pour objet de mettre fin à une mesure privative de liberté.
La juridiction peut également statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité
si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence. Si la juridiction de première
instance statue sans attendre et s'il est formé appel de sa décision, la juridiction d'appel sursoit à statuer. Elle peut
toutefois ne pas surseoir si elle est elle-même tenue de se prononcer dans un délai déterminé ou en urgence.
En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement
excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points
qui doivent être immédiatement tranchés.
Si un pourvoi en cassation a été introduit alors que les juges du fond se sont prononcés sans attendre la décision du
Conseil d'État ou de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, celle du Conseil constitutionnel, il est sursis à toute
décision sur le pourvoi tant qu'il n'a pas été statué sur la question prioritaire de constitutionnalité. Il en va autrement
quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi prévoit que la Cour de cassation statue dans
un délai déterminé.

Section 2 : Dispositions applicables devant le Conseil d'État et la Cour de cassation


Article 23-4
Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la transmission prévue à l'article 23-2 ou au dernier alinéa
de 'article 23-1, le Conseil d'État ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de
constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et
2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.
Article 23-5
Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution
peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État
ou la Cour de cassation. Le moyen est présenté, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Il ne
peut être relevé d'office.
En tout état de cause, le Conseil d'État ou la Cour de cassation doit, lorsqu'il est saisi de moyens contestant la
conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part,
aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur le renvoi de la question de
constitutionnalité au Conseil constitutionnel.
Le Conseil d'État ou la Cour de cassation dispose d'un délai de trois mois à compter de la présentation du moyen
pour rendre sa décision. Le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors
que les conditions prévues aux 1° et 2° de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un
caractère sérieux.
Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi, le Conseil d'État ou la Cour de cassation sursoit à statuer jusqu'à ce
qu'il se soit prononcé. Il en va autrement quand l'intéressé est privé de liberté à raison de l'instance et que la loi
prévoit que la Cour de cassation statue dans un délai déterminé. Si le Conseil d'État ou la Cour de cassation est tenu
de se prononcer en urgence, il peut n'être pas sursis à statuer.
Article 23-7

6
La décision motivée du Conseil d'État ou de la Cour de cassation de saisir le Conseil constitutionnel lui est transmise
avec les mémoires ou les conclusions des parties. Le Conseil constitutionnel reçoit une copie de la décision motivée
par laquelle le Conseil d'État ou la Cour de cassation décide de ne pas le saisir d'une question prioritaire de
constitutionnalité. Si le Conseil d'État ou la Cour de cassation ne s'est pas prononcé dans les délais prévus aux
articles 23-4 et 23-5, la question est transmise au Conseil constitutionnel.
La décision du Conseil d'État ou de la Cour de cassation est communiquée à la juridiction qui a transmis la question
prioritaire de constitutionnalité et notifiée aux parties dans les huit jours de son prononcé.

Section 3 : Dispositions applicables devant le Conseil constitutionnel


Article 23-8
Le Conseil constitutionnel, saisi en application des dispositions du présent chapitre, avise immédiatement le
Président de la République, le Premier ministre et les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat. Ceux-ci
peuvent adresser au Conseil constitutionnel leurs observations sur la question prioritaire de constitutionnalité qui
lui est soumise.
Lorsqu'une disposition d'une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie fait l'objet de la question prioritaire de
constitutionnalité, le Conseil constitutionnel avise également le président du gouvernement de la Nouvelle-
Calédonie, le président du congrès et les présidents des assemblées de province.
Article 23-9
Lorsque le Conseil constitutionnel a été saisi de la question prioritaire de constitutionnalité, l'extinction, pour
quelque cause que ce soit, de l'instance à l'occasion de laquelle la question a été posée est sans conséquence sur
l'examen de la question.
Article 23-10
Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Les parties sont mises à même
de présenter contradictoirement leurs observations. L'audience est publique, sauf dans les cas exceptionnels définis
par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel.
Article 23-11
La décision du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est notifiée aux parties et communiquée soit au Conseil
d'État, soit à la Cour de cassation ainsi que, le cas échéant, à la juridiction devant laquelle la question prioritaire de
constitutionnalité a été soulevée.
Le Conseil constitutionnel communique également sa décision au Président de la République, au Premier ministre
et aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que, dans le cas prévu au dernier alinéa de l'article 23-8,
aux autorités qui y sont mentionnées.
La décision du Conseil constitutionnel est publiée au Journal officiel et, le cas échéant, au Journal officiel de la
Nouvelle-Calédonie.
Article 23-12
Lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, la contribution de l'État
à la rétribution des auxiliaires de justice qui prêtent leur concours au titre de l'aide juridictionnelle est majorée selon
des modalités fixées par voie réglementaire.

Document 2 Conseil constitutionnel, décision du 30 juillet 2010, 2010-14/22CPQ,


Garde à vue
Répondez aux questions suivantes :
- Expliquez pourquoi le Conseil juge irrecevable l’examen de certaines dispositions, et recevable l’examen
d’autres dispositions ? Quel est l’apport de la décision sur ce point ?
- Quelles sont les libertés en jeu dans cette décision ? Comment le Conseil concilie ces différentes libertés ?
- Quel est l’effet dans le temps de cette décision ? Comment le Conseil le justifie ?

8. Considérant que les requérants font valoir, en premier lieu, que les conditions matérielles dans lesquelles la garde
à vue se déroule méconnaîtraient la dignité de la personne ;
9. Considérant qu'ils soutiennent, en deuxième lieu, que le pouvoir donné à l'officier de police judiciaire de placer
une personne en garde à vue méconnaîtrait le principe selon lequel l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté
individuelle ; que le procureur de la République ne serait pas une autorité judiciaire indépendante ; qu'il ne serait
informé qu'après la décision de placement en garde à vue ; qu'il a le pouvoir de la prolonger et que cette décision
peut être prise sans présentation de la personne gardée à vue ;
10. Considérant qu'ils estiment, en troisième lieu, que le pouvoir donné à l'officier de police judiciaire de placer en
garde à vue toute personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle
a commis ou tenté de commettre une infraction constitue un pouvoir arbitraire qui méconnaît le principe résultant
de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui prohibe toute rigueur qui ne serait
pas nécessaire pour s'assurer d'une personne mise en cause ;
11. Considérant que les requérants font valoir, en quatrième lieu, que la personne gardée à vue n'a droit qu'à un
entretien initial de trente minutes avec un avocat et non à l'assistance de ce dernier ; que l'avocat n'a pas accès aux

7
pièces de la procédure et n'assiste pas aux interrogatoires ; que la personne gardée à vue ne reçoit pas notification de
son droit de garder le silence ; que, dès lors, le régime de la garde à vue méconnaîtrait les droits de la défense, les
exigences d'une procédure juste et équitable, la présomption d'innocence et l'égalité devant la loi et la justice ; qu'en
outre, le fait que, dans les enquêtes visant certaines infractions, le droit de s'entretenir avec un avocat soit reporté à
la quarante-huitième ou à la soixante-douzième heure de garde à vue méconnaîtrait les mêmes exigences ;

- SUR LES ARTICLES 63-4, ALINÉA 7, ET 706-73 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :


12. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées du troisième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7
novembre 1958 susvisée et du troisième alinéa de son article 23-5 que le Conseil constitutionnel ne peut être saisi
d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à une disposition qui a déjà été déclarée conforme à la
Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances ;
13. Considérant que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la
Constitution, de la loi du 9 mars 2004 susvisée ; que les requérants contestaient notamment la conformité à la
Constitution des dispositions de ses articles 1er et 14 ; que, dans les considérants 2 et suivants de sa décision du 2
mars 2004 susvisée, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné l'article 1er qui « insère dans le livre IV du
code de procédure pénale un titre XXV intitulé : » De la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance
organisées " » et comportait l'article 706-73 du code de procédure pénale ; qu'en particulier, dans les considérants 21
et suivants de cette même décision, il a examiné les dispositions relatives à la garde à vue en matière de criminalité
et de délinquance organisées et, parmi celles-ci, le paragraphe I de l'article 14 dont résulte le septième alinéa de
l'article 63-4 du code de procédure pénale ; que l'article 2 du dispositif de cette décision a déclaré les articles 1er et
14 conformes à la Constitution ; que, par suite, le septième alinéa de l'article 63-4 et l'article 706-73 du code de
procédure pénale ont déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du
Conseil constitutionnel ; qu'en l'absence de changement des circonstances, depuis la décision du 2 mars 2004
susvisée, en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, il n'y a pas lieu, pour le Conseil
constitutionnel, de procéder à un nouvel examen de ces dispositions ;

- SUR LES ARTICLES 62, 63, 63-1, 63-4, ALINÉAS 1er À 6, ET 77 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE :
14. Considérant que, dans sa décision susvisée du 11 août 1993, le Conseil constitutionnel n'a pas spécialement
examiné les articles 63, 63 1, 63-4 et 77 du code de procédure pénale ; que, toutefois, il a déclaré conformes à la
Constitution les modifications apportées à ces articles par les dispositions alors soumises à son examen ; que ces
dispositions étaient relatives aux conditions de placement d'une personne en garde à vue et à la prolongation de
cette mesure, au contrôle de celle-ci par le procureur de la République et au droit de la personne gardée à vue d'avoir
un entretien de trente minutes avec un avocat ; que, postérieurement à la loi susvisée du 24 août 1993, ces articles
du code de procédure pénale ont été modifiés à plusieurs reprises ; que les dispositions contestées assurent, en
comparaison de celles qui ont été examinées par le Conseil dans sa décision du 11 août 1993, un encadrement
renforcé du recours à la garde à vue et une meilleure protection des droits des personnes qui en font l'objet ;
15. Considérant toutefois que, depuis 1993, certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des
changements dans les conditions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde
à vue et modifié l'équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale ;
16. Considérant qu'ainsi la proportion des procédures soumises à l'instruction préparatoire n'a cessé de diminuer et
représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l'action publique en matière correctionnelle ;
que, postérieurement à la loi du 24 août 1993, la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales
a été généralisée ; que cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l'action publique est prise
sur le rapport de l'officier de police judiciaire avant qu'il soit mis fin à la garde à vue ; que, si ces nouvelles modalités
de mise en œuvre de l'action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément
à l'objectif de bonne administration de la justice, il n'en résulte pas moins que, même dans des procédures portant
sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des
seuls éléments de preuve rassemblés avant l'expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu'elle a pu faire
pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la
procédure en vue du jugement de la personne mise en cause ;
17. Considérant, en outre, que, dans sa rédaction résultant des lois du 28 juillet 1978 et 18 novembre 1985 susvisées,
l'article 16 du code de procédure pénale fixait une liste restreinte de personnes ayant la qualité d'officier de police
judiciaire, seules habilitées à décider du placement d'une personne en garde à vue ; que cet article a été modifié par
l'article 2 de la loi du 1er févier 1994, l'article 53 de la loi du 8 février 1995, l'article 20 de la loi du 22 juillet 1996,
la loi du 18 novembre 1998, l'article 8 de la loi du 18 mars 2003 et l'article 16 de la loi du 23 janvier 2006 susvisées
; que ces modifications ont conduit à une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier
de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale ; que,
entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire
est passé de 25 000 à 53 000 ;
18. Considérant que ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des
infractions mineures ; qu'elles ont renforcé l'importance de la phase d'enquête policière dans la constitution des

8
éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée ; que plus de 790 000 mesures de garde à
vue ont été décidées en 2009 ; que ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de
la constitutionnalité des dispositions contestées ;
(…)
. En ce qui concerne les autres griefs :
21. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de la Déclaration de 1789 : « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni
détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient,
exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de
la loi doit obéir à l'instant : il se rend coupable par la résistance » ; qu'aux termes de son article 9 : « Tout homme
étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur
qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » ; que son article
16 dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs
déterminée, n'a point de Constitution » ;
22. Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant la procédure pénale ;
qu'aux termes de son article 66 : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la
liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi » ;
23. Considérant que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution l'obligation de fixer lui-même le champ
d'application de la loi pénale ; que, s'agissant de la procédure pénale, cette exigence s'impose notamment pour éviter
une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d'infractions ;
24. Considérant, en outre, qu'il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des
atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et
de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au
nombre de celles-ci figurent le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789,
et la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ;
25. Considérant qu'en elles-mêmes, les évolutions rappelées ci-dessus ne méconnaissent aucune exigence
constitutionnelle ; que la garde à vue demeure une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police
judiciaire ; que, toutefois, ces évolutions doivent être accompagnées des garanties appropriées encadrant le recours
à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense ;
26. Considérant que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet ; que l'intervention
d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures ; qu'avant
la fin de cette période, le déroulement de la garde à vue est placé sous le contrôle du procureur de la République qui
peut décider, le cas échéant, de sa prolongation de vingt-quatre heures ; qu'il résulte des articles 63 et 77 du code de
procédure pénale que le procureur de la République est informé dès le début de la garde à vue ; qu'il peut ordonner
à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté ; qu'il lui appartient
d'apprécier si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont
nécessaires à l'enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est suspectée d'avoir commis ; que, par
suite, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 66 de la Constitution doit être écarté ;
27. Considérant cependant, d'une part, qu'en vertu des articles 63 et 77 du code de procédure pénale, toute personne
suspectée d'avoir commis une infraction peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire pendant
une durée de vingt-quatre heures quelle que soit la gravité des faits qui motivent une telle mesure ; que toute garde
à vue peut faire l'objet d'une prolongation de vingt-quatre heures sans que cette faculté soit réservée à des infractions
présentant une certaine gravité ;
28. Considérant, d'autre part, que les dispositions combinées des articles 62 et 63 du même code autorisent
l'interrogatoire d'une personne gardée à vue ; que son article 63-4 ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors
qu'elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l'assistance effective d'un avocat ; qu'une telle restriction aux
droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de
la justifier pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu'au demeurant, la
personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ;
29. Considérant que, dans ces conditions, les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure
pénale n'instituent pas les garanties appropriées à l'utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des
évolutions précédemment rappelées ; qu'ainsi, la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre
public et la recherche des auteurs d'infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties
ne peut plus être regardée comme équilibrée ; que, par suite, ces dispositions méconnaissent les articles 9 et 16 de la
Déclaration de 1789 et doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

- SUR LES EFFETS DE LA DÉCLARATION D'INCONSTITUTIONNALITÉ :


30. Considérant, d'une part, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation de
même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient pas d'indiquer les modifications des règles de procédure
pénale qui doivent être choisies pour qu'il soit remédié à l'inconstitutionnalité constatée ; que, d'autre part, si, en
principe, une déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de
constitutionnalité, l'abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des
atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et entraînerait des conséquences manifestement

9
excessives ; qu'il y a lieu, dès lors, de reporter au 1er juillet 2011 la date de cette abrogation afin de permettre au
législateur de remédier à cette inconstitutionnalité ; que les mesures prises avant cette date en application des
dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette
inconstitutionnalité,

DÉCIDE :
Article 1er.- Les articles 62, 63, 63-1 et 77 du code de procédure pénale et les alinéas 1er à 6 de son article 63-4 sont
contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet le 1er juillet 2011 dans les conditions
fixées au considérant 30.
Article 3.- Il n'y a pas lieu, pour le Conseil constitutionnel, de statuer sur l'article 706-73 du code de procédure pénale
et le septième alinéa de son article 63-4.
Article 4.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les
conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Partie 3. Le rôle du juge constitutionnel


Document 1 D. ROUSSEAU, « La démocratie continue – Espace public et juge
constitutionnel », Le débat, 1997, n° 4, pp. 73-98
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Comment l’auteur définit la démocratie continue ?
- Pourquoi le juge est au centre de la démocratie continue ?
- Quel est l’apport de la démocratie continue par rapport à la démocratie représentative ?
- Qu’est-ce que l’auteur appelle la « constitution sociale » ?
- En quoi le juge constitutionnel participe de l’autonomie de l’espace public ? Comment il favorise la distinction entre
« gouvernants » et « gouvernés » ?
- Qu’est-ce qui légitime l’intervention du Conseil constitutionnel ?
- Comment s’opère la production, par le Conseil constitutionnel, du sens des termes de la Constitution ?

Démocratie continue et juge constitutionnel

Que la démocratie continue prenne sens par la capacité de l’espace public à produire, par le débat, les exigences
normatives des citoyens et à les imposer, par la mobilisation de ses acteurs, au pouvoir politique ne revient pas à
laisser ce dernier continuer à fonctionner selon sa logique propre, qui est celle de l’autonomisation et de
l’enfermement représentatif. Il est, en effet, tout aussi nécessaire que le principe de discussion, qui est la marque
distinctive de l’espace public, trouve un prolongement dans le système de pouvoir pour que les décisions qu’il est
dans sa fonction de prendre soient construites en intégrant l’idée de leur finitude, c’est-à-dire l’idée que leur contenu
est faillible et reste donc, en permanence, ouvert et discutable. Le fétichisme juridique, qui transforme en objets
sacrés les décisions des institutions du système politique, ne peut trouver place dans un modèle de démocratie qui
cherche à écarter toute transcendance, même celle des produits de la délibération publique.
Il serait, évidemment, exagéré de soutenir que, dans son organisation actuelle, le système de pouvoir ne fait pas droit
à des procédures de discussion puisque le régime représentatif moderne s’est construit explicitement comme régime
de délibération publique. Le droit de vote, les campagnes électorales, les partis politiques sont, pour une part, des
outils qui organisent les flux réciproques de communication et d’échange entre l’espace public et le pouvoir politique
; et le travail d’audition des commissions parlementaires, les réunions de concertation et de négociation des ministres
avec telle ou telle organisation professionnelle, la pratique des amendements en séance publique des assemblées,
sont la marque, au sein même du système du pouvoir, de la discussion comme principe de prise de décision. Mais
ce qui manque dans le modèle représentatif, c’est une procédure permettant de discuter les décisions du système
politique au regard des exigences normatives engendrées par l’espace public. Défaut au demeurant logique avec le
postulat du régime représentatif, parfaitement exposé par Sieyès dans son discours du 7 septembre 1789, et selon
lequel les citoyens n’expriment pas, par leur vote, d’exigences normatives, mais désignent seulement des
représentants qui, eux, sont chargés de construire, par la délibération, la volonté de la nation.
Dès lors que le modèle de la démocratie continue soutient, au contraire, que l’espace public des citoyens est porteur
d’une volonté normative manifestée notamment dans la constitution sociale, il importe que le système de pouvoir
soit réorganisé pour ouvrir une procédure de discussion permanente du respect de cette volonté par ses décisions.
Et cette procédure appelle nécessairement l’émergence, jusque-là refoulée – en France au moins – du juge comme
figure centrale du système politique parce qu’il est celui qui, par sa fonction de contrôle, articule espace public et
pouvoir politique en posant aux décisions du second la question de leur conformité à la constitution sociale du
premier ; le juge, en d’autres termes, est celui qui porte en continu dans le champ institutionnel les interrogations
de l’espace public. Deux exemples, et d’abord celui, injustement méconnu, du juge financier. Chargées d’examiner

10
la régularité de l’utilisation des fonds publics par les collectivités locales, les chambres régionales des comptes
rédigent, après une procédure contradictoire, une « lettre d’observations définitive » qui comprend ses constatations
et les réponses de l’élu concerné ; cette lettre est adressée à l’assemblée délibérante de la collectivité et communicable,
à cet instant, au public. Par ce contrôle a posteriori, le juge financier ne redéfinit pas la décision – compétence de
l’élu –, mais l’interroge du point de vue des exigences normatives de l’espace public telles que les formulent l’article
14 de la Déclaration de 1789, selon lequel tous les citoyens ont le droit de suivre l’emploi de leurs impôts, et l’article
15 disposant que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». En installant
ainsi au cœur du système de décision locale la discussion de ces exigences, les chambres régionales des comptes
favorisent l’exercice continu et éclairé du contrôle des citoyens sur leurs élus ; elles sont, comme l’a écrit le premier
président de la Cour des comptes Pierre Joxe, des « auxiliaires de la démocratie 19 ». L’autre exemple, plus connu, est
celui du juge constitutionnel. Mutatis mutandis, sa mission répond à la même logique : questionner la loi votée par
les élus du peuple à partir des principes sur lesquels les citoyens se sont mis d’accord pour vivre ensemble, car du
respect de ces principes constitutionnels dépend la reconnaissance de la loi comme expression de la volonté générale.
Ce réaménagement du système de pouvoir au profit d’un juge qui soumet constamment les décisions des élus à une
procédure de discussion de leur légitimité démocratique par référence à la constitution sociale n’est pas sans
provoquer des réactions de l’« ancien » modèle représentatif. Ainsi, par une étrange coïncidence, des parlementaires
ont, récemment, déposé deux propositions de loi dont l’objet est de réduire l’une le pouvoir du juge constitutionnel
en transformant sa mission en un simple droit de veto suspensif 20, l’autre le pouvoir du juge financier en limitant
son champ d’investigation et surtout en interdisant que soient rendues publiques les irrégularités de gestion
constatées par les chambres régionales des comptes 21. Que ces initiatives viennent des élus est significatif du rêve
secret de tout représentant : pouvoir délibérer sans contrôle public. La démocratie continue fait le rêve inverse :
soumettre la délibération des représentants au regard permanent du public. Et, dans l’espace institutionnel du
pouvoir, ce regard est porté par la figure du juge.
Cette « révolution des pouvoirs », pour reprendre le titre du livre de Marcel Gauchet 22, heurte, bien sûr, le sens
commun – et sa mise en forme savante – habitué à penser l’idéal démocratique sur le mode d’une relation entre
deux pouvoirs seulement, le législatif et l’exécutif. Au point que beaucoup voient dans cette révolution une horreur
politique, une régression démocratique et, pour lâcher enfin la formule qui tue, l’instauration d’un gouvernement
des juges. Cette représentation diabolique s’explique sans doute, pour partie, par la longue absence d’une réflexion,
en France notamment, sur la fonction de juger. Il faut donc, sans tomber dans l’erreur inverse qui consisterait à
diviniser le juge, entreprendre ce travail23 pour tenter de comprendre à quelle nécessité démocratique répond,
aujourd’hui, la montée en puissance du tiers pou- voir et, en particulier, du juge constitutionnel.

Le juge constitutionnel garantit d’abord l’autonomie de l’espace public en construisant, par sa jurisprudence, un ensemble
de droits – la constitution sociale – qui différencie symboliquement l’espace des citoyens de l’espace des représentants
agencé par la constitution politique. Cette dissociation gouvernés-gouvernants, cette autonomie de l’espace public
répond à une nécessité démocratique pensée par les révolutionnaires de 1789 mais repoussée à cette époque pour
des raisons conjoncturelles. Depuis 1789, en effet, il est admis que l’idéal démocratique exige l’implication toujours
plus grande du peuple dans le pouvoir – par l’extension du suffrage universel, par exemple – et se réalise pleinement
par la fusion du peuple dans le corps politique de la représentation nationale. Si les « démocraties populaires » ont,
avec le parti unique, conduit à l’extrême cette logique de la fusion, les « démocraties bourgeoises » y ont également,
avec plus de modération, adhéré. Carré de Malberg, notamment, a parfaitement décrit le « fonctionnement »
démocratique de ces régimes parlementaires qui reposent sur l’identification des gouvernés aux gouvernants, sur la
confusion entre le peuple et ses représentants, entre la volonté générale et la volonté parlementaire, faisant ainsi du
Parlement l’égal du souverain ou, plutôt, comme l’écrit le maître de Strasbourg, l’érigeant effectivement en
souverain24. Or, pour démocratique qu’il se donne, ce type de fonctionnement politique n’est, en réalité, que la
reproduction transposée du principe monarchique selon lequel le corps de la nation et le corps du roi ne font qu’un 25
; les hommes de 1789 avaient cru les diviser quand ils n’ont fait que reconstituer l’unité en donnant seulement à la
nation un nouveau corps, celui des représentants. Moins, d’ailleurs, par doctrine que par nécessité politique : s’ils
avaient posé la dissociation du corps de la nation de celui des représentants, ils auraient fragilisé la légitimité déjà
incertaine de leur revendication de pouvoir ; à l’unité du corps du roi, ils devaient, politiquement, opposer l’unité
du corps de la nation. C’est cette incorporation des citoyens dans le corps des représentants que rompt le juge
constitutionnel en constituant les droits des premiers en corps séparé des droits des seconds, assurant ainsi
l’autonomie de l’espace politique.
Le juge constitutionnel rend, ensuite, visible que les représentants ne sont pas les souverains, mais seulement les
délégués de la puissance souveraine ; chaque décision, en effet, met en représentation la même scène, celle où les
gouvernants ayant parié et décidé au nom du peuple sont, d’un coup, ramenés à leur situation de simples délégués
et confrontés, pour y être finalement soumis, à la source de leur délégation. Et cette scène produit, à l’instant, la
figuration du peuple comme souverain puisque c’est au regard de ses droits que, dans chaque décision, sont jugées
les actions normatives de ses représentants. La figure du souverain est ainsi mise en position de contrôle. Avant
l’existence et le développement d’une jurisprudence constitutionnelle, l’activité législative des représentants est
directement imputée à la volonté du peuple sans que celui-ci puisse protester puisque, par définition
constitutionnelle, il n’existe pas de manière séparée et indépendante, puisqu’il ne peut avoir de volonté hors celle
exprimée par les représentants. Avec le contrôle de constitutionnalité, les représentants sont toujours habilités à

11
exprimer la souveraineté du peuple, mais la fusion des deux volontés n’est plus possible : leur expression de la
souveraineté du peuple est mise en suspens ; par la charte des droits et libertés que construit la jurisprudence et qui
figure la représentation autonome de la souveraineté du peuple, celle-ci est mise en position d’intervenir et de rétablir
la soumission de l’activité représentative à sa volonté. Les citoyens ne sont donc plus maintenus à la périphérie de la
sphère du pouvoir, réduits à manifester leur souveraineté dans leur for intérieur ou par un acte, le vote, donnant à
ses représentants seuls l’accès au pouvoir ; ils figurent désormais dans l’organisation même du pouvoir par le jeu
d’une institution, le juge constitutionnel, qui expose leur souveraineté auprès des organes parlementaire et exécutif.
Sans doute, cette mise en souveraineté du peuple sur ses représentants se réalise- t-elle par la médiation d’une
institution, le juge constitutionnel. Mais n’est-ce pas pécher par idéalisme de penser que le peuple puisse être
transparent à lui-même, puisse se saisir directement comme souverain ? De même que « pour avoir une idée de la
totalité de notre aspect physique nous devons recourir à notre image réfléchie dans un miroir 26 », il est indispensable,
pour que le peuple « se voie » comme souverain, qu’un miroir lui réfléchisse son image de peuple souverain. Le
miroir, c’est la charte jurisprudentielle des droits et libertés que le juge présente au peuple pour qu’il se représente
sa souveraineté et aux délégués pour qu’ils se représentent leur subordination au souverain. Le juge constitutionnel
est, ainsi, l’institution qui réfléchit la structure dialogique de la représentation politique ; il est, pour parler en termes
kantiens, la condition de possibilité de la perception – et de la réception de cette perception – de la représentation
du peuple comme souverain et des représentants comme délégués subordonnés. Autrement dit, il rend visible ce
que le modèle représentatif voudrait faire oublier en mettant en représentation la représentation, selon la formule
de Marcel Gauchet27.
Le juge constitutionnel est, encore, une condition de la normativité de la parole du souverain. Question difficile car
elle renvoie, immanquablement, à la position de pouvoir que peut ainsi acquérir l’institution, en l’espèce, le juge,
qui interprète le texte où repose cette parole. Sauf, en effet, à considérer que ses dispositions possèdent en elles-
mêmes une et une seule signification, ou sont en elles-mêmes normatives – ce qui, d’une certaine manière, conduirait
à penser inutile le juge constitutionnel –, la constitution est, matériellement, un écrit fait de mots et, par conséquent,
un texte indéterminé et indéterminant puisque les mots, c’est devenu une banalité de le dire, possèdent toujours
plusieurs sens. Dès lors, en en choisissant un et en l’imposant aux autres pouvoirs, le juge disposerait souverainement
de la parole du souverain et s’érigerait ainsi en pouvoir suprême soumettant tous les autres à son autorité.
Si tel était le cas, il serait difficile de prétendre que la juridiction constitutionnelle et sa jurisprudence correspondent
à une « nécessité démocratique ». La chose jurisprudentielle se présente, cependant, différemment. Sans doute, le
point de départ du raisonnement ne soulève pas d’objections majeures : le juge constitutionnel interprète la
constitution, non par comportement hérétique ou dominateur, mais par fonction, tout juge devant nécessairement
donner un sens au texte dont il fait usage dans l’exercice de son con- trôle. Sur cette base commune, les désaccords
et la discussion peuvent s’ouvrir. D’abord, sans ce travail d’interprétation, la constitution reste dépourvue de
normativité, ou, dit autrement, la volonté du souverain qu’elle représente n’a aucune prise sur les représentants. La
parole du souverain ne s’affirme comme obligation, commandement ou contrainte pour ses délégués que par « l’agir
juridictionnel » qui, en lui attribuant un sens, la fait devenir parole agissante, parole produisant un effet d’ordre.
Sans cette médiation herméneutique, la parole du souverain se perd dans une joyeuse cacophonie. Mais, avec cette
médiation, ne se perd-elle pas dans la salle des délibérations du Palais ? Les droits que le Conseil constitutionnel, en
France, « découvre » dans la Constitution – liberté du mariage, respect de la dignité humaine, égalité en droit des
Français et des étrangers, liberté d’association... – et les significations qu’il leur alloue – inter- diction de toute
intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire pour la création d’une
association, par exemple – se présentent, en effet, comme des produits de décisions du juge constitutionnel plus que
du peuple souverain. Il faut cependant sortir de cette alternative où, soit le souverain est considéré capable de
produire, directement et sans médiation, une volonté normative, soit le Conseil est censé créer, discrétionnairement
et sans contraintes, les droits constitutionnels. La parole du souverain ne prend consistance et n’acquiert une
efficacité que dans une relation complexe entre cette parole telle qu’elle est transcrite en mots dans la Constitution
et tous ceux qui ont à en faire usage ; c’est dans cette relation, et non dans le geste unilatéral, volontaire et solitaire
d’une des parties à cette relation, que se construit le sens des énoncés constitutionnels, que la parole du souverain
devient agissante. Et, dans ce jeu complexe de production de sens, la juridiction constitutionnelle n’est qu’un des
acteurs, celui qui oblige les autres à argumenter leur lecture de tel ou tel énoncé, à étayer la prétention à la validité
de leur interprétation, qui soumet à la critique la pertinence des arguments – par une procédure contradictoire, il
est vrai, encore insuffisante – et qui sanctionne par sa décision la signification de l’énoncé constitutionnel à laquelle,
au moment où elle intervient, l’échange a permis d’aboutir. Le droit de la personne gardée à vue à s’entretenir avec
un avocat, la liberté du mariage, le droit à une vie familiale normale, le principe de dignité humaine ou encore le
droit de manifester se donnent à voir comme des créations du Conseil. Mais, en amont, un formidable travail
herméneutique mené au sein des assemblées parlementaires, des juridictions judiciaires et administratives, des
juridictions européennes, des comités et académies savantes, de la doc- trine, des associations politiques, syndicales
ou « sociétales », de la presse aussi, a préparé ces créations constitutionnelles. Qui ne sont donc pas, puisqu’il faut y
revenir, l’expression d’une volonté de puissance du troisième pouvoir délivrant seul la vérité de la Constitution en
absorbant et soumettant tous les autres à ses oracles. Le juge est seulement un élément de la chaîne argumentative
qui intervient, à un moment donné, pour sanctionner par sa décision le sens d’un énoncé constitutionnel, sans pour
autant arrêter par sa sanction cette chaîne, elle continue de vivre, car le sens produit ouvre, dans les assemblées, dans

12
les juridictions, dans la doctrine, dans l’espace public, de nouveaux débats, de nouvelles réflexions qui peuvent
produire, quelque temps plus tard, une nouvelle interprétation. D’une certaine manière, le juge constitutionnel n’est
que l’institutionnalisation de l’indétermination du droit.
Le juge constitutionnel maintient, enfin, la constitution sociale au temps présent. Sans lui, les principes fondateurs
du vivre-ensemble restent figés au moment de leur énonciation – 1789, 1946 – et finissent par être délaissés comme
principes de réflexion des lois. Avec lui, qui continue de les porter, ils restent présents dans le débat sur la légitimité
des décisions du système de pouvoir. Ce qui ne signifie pas un juge constitutionnel soumettant le temps présent au
contrôle de l’ancien temps, pour la simple raison que les principes fondateurs ne sont pas des « choses »
définitivement solidifiées au moment historique de leur énonciation. Ils sont plus investis de désirs ou de promesses
que d’objectivité : l’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté individuelle, la fraternité sont, parmi d’autres,
les traits souhaités, voulus, espérés, rêvés, d’une société démocratique que l’exclusion, les inégalités, les injustices,
l’arbitraire, la domination démentent quotidiennement28. En ce sens, comme l’écrit Jürgen Habermas, « en tant que
projet d’une société juste, une constitution articule l’horizon d’attente d’un avenir chaque fois anticipé au temps
présent ; elle est un projet inachevé29 » Dès lors, la seule exigence normative que ces principes énoncent est de réaliser
en temps présent les promesses qu’ils annoncent. Ce que fait le juge constitutionnel : en considérant que la
possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle, il réalise
au temps présent la « promesse » du droit de chacun aux conditions nécessaires à son développe- ment énoncé en
194630 ; en affirmant que c’est en fonction de l’évolution subie par le droit de propriété depuis 1789 que doit
s’entendre la réaffirmation par le préambule de 1958 de la valeur constitutionnelle de ce droit, il se réfère au droit
de propriété d’aujourd’hui et non d’hier, c’est-à-dire un droit qui, ayant intégré de multiples atteintes et amputations,
inclut nécessairement le droit constitutionnel de limitations législatives pour des raisons d’intérêt général 31. En
d’autres termes, par son interprétation permanente des principes fondateurs, exigée par leur caractère même de
promesses, le juge constitutionnel les maintient vivants, c’est-à-dire, ouverts, jamais fétichisés, toujours à redéfinir et,
par conséquent, toujours inachevés. Son travail épouse ainsi la logique du principe de discussion, caractéristique
majeure du modèle de la démocratie continue, qui est de laisser se poursuivre indéfiniment, au-delà des décisions
arrêtées à un moment donné, l’échange sur la légitimité des règles de la vie commune. Il intègre à la fois la nécessité
de décider de ces règles et la nécessité de laisser continuer la discussion car ces règles sont à jamais indécidables.
Projet inachevé, la constitution sociale continue toujours.
Au total, et évidemment à titre provisoire puisqu’il faut bien accepter de soumettre ces propos au principe de
discussion, le modèle de la démocratie continue tente d’articuler deux instances oubliées du modèle représentatif :
l’espace public et le juge et, en particulier, le juge constitutionnel. L’espace public parce qu’il est le lieu social où se
forment, par le débat, les exigences normatives des citoyens que le système de pouvoir doit « prendre au sérieux » ;
le juge constitutionnel parce qu’il est l’institution qui porte ces exigences au sein même du système de pouvoir en
soumettant ses décisions à leur contrôle. Distincte de la démocratie directe qui abolit toute distinction entre
représentants et représentés, distincte aussi de la démocratie représentative dont le travail consiste à soustraire
toujours les organes représentatifs au regard du public, la démocratie continue définit un au-delà de la
représentation, non parce qu’elle la supprimerait – le droit de vote reste, cela va de soi, un de ses principes constitutifs
–, mais parce qu’elle transforme les mécanismes décisionnels en élargissant l’espace de la participation populaire et
en inventant des formes particulières qui permettent à l’opinion d’exercer un travail politique : le contrôle continu
et effectif, en dehors des moments électoraux, de l’action des gouvernants.

Notes de bas de page :


19. Pierre Joxe, dans Le Monde du 16-17 octobre 1994.

20. Journal officiel, Doc. Assemblée nationale, n° 2981, 19 novembre 1996.
21. Journal officiel, Doc. Sénat, n° 229.

22. M. Gauchet, La Révolution des pouvoirs, op. cit.

23. Dans la suite, par exemple, des travaux de Jacques Lenoble (Dire la norme. La pensée juridique moderne et La Crise du juge, Paris, L. G. D. J. -
BruyIant, 1990) ou de Jacques Poulain (La Neutralisation du jugement, Paris, L’Harmattan, 1993).
24. Raymond Carré de Malberg, La Loi, expression de la volonté générale, Paris, Économica, 1984.
25. Le 3 mars 1766, Louis XV prononce au Parlement un discours dans lequel il déclare : « Les droits et les intérêts de la Na tion, dont on ose
faire un corps séparé du monarque, sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains. Je ne souffrirai pas que s’introduise
dans la monarchie un corps imaginaire qui ne pourrait qu’en troubler l’harmonie » (cité par Jean-Yves Guiomar, L’Idéologie nationale, Paris, Champ
libre, 1974, p. 39).
26. Jean-Louis Baudry, Clémence et l’hypothèse de la beauté, Paris, Éd. du Seuil, 1996, p. 266.
27. M. Gauchet, La Révolution des pouvoirs, op. cit., p. 49
28. Sur ce sujet, voir Dominique Rousseau, « Questions de constitution », Revue administrative, 1994, n° 277, 278 et 280.
29. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, op. cit, pp. 411-412.
30. Conseil constitutionnel, 94-359 D.C., 19 janvier 1995, R. p. 176.
31. Conseil constitutionnel, 89-256 D.C., 25 juillet 1989, R. p. 53.

13
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel
Cours du Pr. S. Adalid

Séance 7 : Les caractéristiques


constitutionnelles de la France

Table des matières


Partie 1. Les textes et la jurisprudence constitutionnelles 0
Document 1 Constitution du 4 octobre 1958 (extraits) 1
Document 2 Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 1
Document 3 Décision n° 91-190 DC du 9 mai 1991 (extrait) 2
Document 4 Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1993 (extrait) 3
Document 5 Décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976 (extrait) 4
Partie 2. Rapports 5
Document 1 TH. THUOT, La grand nation – Pour une société inclusive, Rapport au Premier
sur la refondation des politiques d’intégration, 1 er février 2013 (extrait, pp. 62-66) 5
Partie 3. Doctrine 6
Document 1 F. BENOIT-ROHMER, « Les langues officielles de la France », Revue française de
droit constitutionnel, 2001/1 n° 45 (extrait) 6
Document 2 O. BEAUD, « A la recherche de la légitimité de la 5ème République », Droits,
2006/2 n° 44 (extrait) 8

Notions à maîtriser :

Constitution sociale, Légitimité, Laïcité, Peuple, Langue officielle.


Partie 1. Les textes et la jurisprudence constitutionnels
Document 1 Constitution du 4 octobre 1958 (extraits)
Article 1. - La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la
loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son
organisation est décentralisée.
La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux
responsabilités professionnelles et sociales.

Titre Premier – De la souveraineté


Article 2. - La langue de la République est le français.
L’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge.
L'hymne national est « La Marseillaise ».
La devise de la République est « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Article 3. - La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du
référendum.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal
et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes,
jouissant de leurs droits civils et politiques.

Document 2 Décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013


Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Rappelez la genèse de la loi du 18 germinal an X ?
- Quel sont les fondements historiques et juridiques du régime propre à l’Alsace et la Lorraine ?
- Sur quels fondements s’appuie le Conseil constitutionnel pour considérer le régime de l’Alsace et de la
Lorraine comme compatible avec la Constitution ?
- Pourquoi le fait que cette décision ait été rendu dans le cadre d’une QPC change la nature juridique de la
laïcité ?

1. Considérant qu'aux termes de l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal
an X relative à l'organisation des cultes : « Il sera pourvu au traitement des pasteurs des églises consistoriales ; bien
entendu qu'on imputera sur ce traitement les biens que ces églises possèdent, et le produit des oblations établies par
l'usage ou par des règlements » ;
2. Considérant que, selon l'association requérante, en prévoyant qu'il sera pourvu au traitement des pasteurs des
églises consistoriales, ces dispositions méconnaissent le principe constitutionnel de laïcité ; qu'elle fait valoir que la
règle de non-subventionnement des cultes et le principe de non-reconnaissance des cultes, qui résultent du principe
de laïcité, font interdiction aux pouvoirs publics de financer l'exercice du culte et d'accorder un statut ou un soutien
public à des cultes déterminés ;
3. Considérant que la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes a promulgué et rendu exécutoires
comme lois de la République, d'une part, « La convention passée à Paris le 26 messidor an IX, entre le Pape et le
Gouvernement français, et dont les ratifications ont été échangées à Paris le 23 fructidor an IX » et, d'autre part, les
articles organiques de ladite convention et les articles organiques des cultes protestants ; qu'aux termes de l'article 3
de la loi du 17 octobre 1919 relative au régime transitoire de l'Alsace et de la Lorraine, adoptée à la suite du
rétablissement de la souveraineté de la France sur ces territoires : « Les territoires d'Alsace et de Lorraine continuent,
jusqu'à ce qu'il ait été procédé à l'introduction des lois françaises, à être régis par les dispositions législatives et
réglementaires qui y sont actuellement en vigueur » ; que le 13° de l'article 7 de la loi du 1er juin 1924 mettant en
vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle a
expressément maintenu en vigueur dans ces départements à titre provisoire l'ensemble de la législation locale sur les
cultes et les congrégations religieuses ; qu'enfin, selon l'article 3 de l'ordonnance du 15 septembre 1944 relative au
rétablissement de la légalité républicaine dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle : « La
législation en vigueur. . . à la date du 16 juin 1940 est restée seule applicable et est provisoirement maintenue en
vigueur » ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que n'ont pas été rendues applicables aux départements du Bas-Rhin,
du Haut-Rhin et de la Moselle les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 susvisée et, notamment, celles de la
première phrase de son article 2 qui dispose : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun
culte », ainsi que celles de son article 44 en vertu desquelles : « Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions

1
relatives à l'organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l'État, ainsi que toutes dispositions
contraires à la présente loi et notamment la loi du 18 germinal an X » ; qu'ainsi, dans ces départements, les
dispositions contestées, relatives au traitement des pasteurs des églises consistoriales, sont demeurées en vigueur ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul
ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre
public établi par la loi » ; qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la
Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; que
le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il en résulte la neutralité
de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose
notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion
et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ;
6. Considérant, toutefois, qu'il ressort tant des travaux préparatoires du projet de la Constitution du 27 octobre
1946 relatifs à son article 1er que de ceux du projet de la Constitution du 4 octobre 1958 qui a repris la même
disposition, qu'en proclamant que la France est une « République. . . laïque », la Constitution n'a pas pour autant
entendu remettre en cause les dispositions législatives ou règlementaires particulières applicables dans plusieurs
parties du territoire de la République lors de l'entrée en vigueur de la Constitution et relatives à l'organisation de
certains cultes et, notamment, à la rémunération de ministres du culte ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de ce que l'article VII des articles organiques des
cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes serait contraire au principe de
laïcité doit être écarté ;
8. Considérant que les dispositions contestées ne sont contraires à aucun autre droit ou liberté que la Constitution
garantit ; que, par suite, elles doivent être déclarées conformes à la Constitution,

DÉCIDE:
Article 1er.- L'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à
l'organisation des cultes est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les
conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Document 3 Décision n° 91-190 DC du 9 mai 1991 (extrait)


Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Sur quels articles de la Constitution se fonde la saisine du Conseil ?
- Sur quels textes et principes se fonde la décision du Conseil ?
- Quelle est la décision adoptée par le Conseil ? Quelle en est la portée ?

7. Considérant que les auteurs de la première saisine comme ceux de la troisième saisine demandent au Conseil
constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 1er de la loi en ce qu'elles
comportent la reconnaissance du "peuple corse" ; que, selon les auteurs de la première saisine, l'inconstitutionnalité
de l'article 1er entraîne, par voie de conséquence, celle de l'intégralité du texte de la loi dans la mesure où l'article
1er fonde la spécificité du statut de la collectivité territoriale de Corse ; que les première et troisième saisines
critiquent les dispositions de la loi qui dotent la collectivité territoriale de Corse d'une "organisation particulière"
ainsi que le texte de l'article 85 relatif à la refonte de la liste électorale de chaque commune de Corse ;
8. Considérant que les auteurs de la première saisine font valoir, en outre, que sont contraires à la Constitution les
modalités retenues par les articles 10 à 14 de la loi en vue d'assurer la représentation au Sénat de la collectivité
territoriale de Corse ; qu'il en va de même des dispositions qui définissent les attributions de cette collectivité car
elles ont pour effet de priver les deux départements de Corse de compétences substantielles ;
9. Considérant que les auteurs de la troisième saisine contestent également les dispositions de l'article 7 en tant
qu'elles édictent une incompatibilité spécifique aux élus de Corse ainsi que celles de l'article 53 en ce qu'elles
prévoient l'insertion de l'enseignement de la langue et de la culture corses dans le temps scolaire des établissements
situés dans la collectivité territoriale de Corse ;
En ce qui concerne l'article 1er :
10. Considérant que l'article 1er de la loi est ainsi rédigé : "La République française garantit à la communauté
historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la
préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits
liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la
République et du présent statut." ;
11. Considérant que cet article est critiqué en ce qu'il consacre juridiquement l'existence au sein du peuple français
d'une composante "le peuple corse" ; qu'il est soutenu par les auteurs de la première saisine que cette reconnaissance
n'est conforme ni au préambule de la Constitution de 1958 qui postule l'unicité du "peuple français", ni à son article
2 qui consacre l'indivisibilité de la République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la

2
souveraineté nationale ; qu'au demeurant, l'article 53 de la Constitution se réfère aux "populations intéressées" d'un
territoire et non pas au concept de peuple ; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine font valoir qu'il résulte
des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du préambule de la Constitution de 1946,
de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la Constitution de 1958 comme de ses articles 2, 3 et
91, que l'expression "le peuple", lorsqu'elle s'applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie
unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ;
12. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 "le peuple français
proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels
qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de
1946" ; que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des
représentants "du peuple français" ; que le préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la
Constitution de 1958, énonce que "le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de
race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés" ; que la Constitution de 1958 distingue le
peuple français des peuples d'outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ; que la référence faite
au "peuple français" figure d'ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ; qu'ainsi le
concept juridique de "peuple français" a valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que la France est, ainsi que le proclame l'article 2 de la Constitution de 1958, une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur
origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du "peuple corse, composante du peuple français" est contraire
à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction
d'origine, de race ou de religion ;
14. Considérant en conséquence que l'article 1er de la loi n'est pas conforme à la Constitution ; que toutefois il ne
ressort pas du texte de cet article, tel qu'il a été rédigé et adopté, que ses dispositions soient inséparables de l'ensemble
du texte de la loi soumise au Conseil constitutionnel ;

Document 4 Décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1993 (extrait)


Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que la loi contestée interdit ?
- Sur quels droits fondamentaux se fonde la saisine ?
- Quels droits et libertés doivent être conciliés en l’espèce ? Comment le Conseil constitutionnel tranche ?

3. Considérant que les auteurs de la saisine font grief aux articles 2, 3, 12 et 14 de la loi d'imposer, non seulement
l'emploi de la langue française, mais aussi l'usage de termes ou expressions officiels approuvés par des arrêtés
ministériels pris sur proposition de commissions de terminologie auprès des administrations de l'État ; qu'ainsi ils
mettent en cause les dispositions prohibant : "le recours à tout terme étranger ou à toute expression étrangère...
lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les
dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française" ; que, selon eux, ces dispositions, en
tant qu'elles s'appliquent à des particuliers ou à des organismes et services de radiodiffusion sonore ou télévisuelle
portent atteinte à la liberté de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen ; que s'agissant d'interdictions touchant aux relations commerciales, elles portent également atteinte à la
liberté d'entreprendre et à la liberté, selon eux de valeur constitutionnelle, du commerce et de l'industrie ; qu'ils
soutiennent au surplus qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire la définition des termes qu'il sera permis ou
défendu aux personnes de droit privé concernées d'utiliser, même lorsque celles-ci n'assurent pas un service public,
le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ; qu'il en va de même s'agissant
de l'obligation faite aux organismes et services de radiodiffusion sonore ou télévisuelle d'utiliser cette terminologie
officielle, sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; qu'ils allèguent des violations du principe d'égalité
entre entreprises "francophones" et celles qui ne le sont pas et, dans leur mémoire en réplique, entre secteurs d'activité
selon qu'ils sont ou non concernés par des arrêtés de terminologie, et en outre entre la presse et l'édition d'une part
et la communication audiovisuelle d'autre part ;
4. Considérant que l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen proclame : "La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc
parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi" ;
5. Considérant que s'il incombe au législateur, compétent, aux termes de l'article 34 de la Constitution, pour fixer
"les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des
libertés publiques", d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de
parler, d'écrire et d'imprimer, il ne saurait le faire, s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus précieuse que
son existence est une des garanties essentielles du respect des autres droits et libertés, qu'en vue d'en rendre l'exercice
plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ;
6. Considérant qu'au nombre de ces règles, figure celle posée par l'article 2 de la Constitution qui dispose : "La
langue de la République est le français" ; qu'il incombe ainsi au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre
ces dispositions d'ordre constitutionnel et la liberté de communication et d'expression proclamée par l'article 11 de

3
la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que cette liberté implique le droit pour chacun de choisir les
termes jugés par lui les mieux appropriés à l'expression de sa pensée ; que la langue française évolue, comme toute
langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu'il s'agisse d'expressions issues
de langues régionales, de vocables dits populaires, ou de mots étrangers ;
7. Considérant qu'il était loisible au législateur d'imposer dans les cas et conditions qu'il a prévus l'usage de la langue
française, ce qui n'exclut pas l'utilisation de traductions ;
8. Considérant que s'agissant du contenu de la langue, il lui était également loisible de prescrire, ainsi qu'il l'a fait,
aux personnes morales de droit public comme aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service
public l'usage obligatoire d'une terminologie officielle ;
9. Considérant que toutefois, eu égard à la liberté fondamentale de pensée et d'expression proclamée par l'article 11
de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il ne pouvait imposer, sous peine de sanctions, pareille
obligation aux organismes et services de radiodiffusion sonore et télévisuelle qu'ils soient publics ou privés ;
10. Considérant par ailleurs que le législateur ne pouvait de même sans méconnaître l'article 11 précité de la
Déclaration de 1789 imposer à des personnes privées, hors l'exercice d'une mission de service public, l'obligation
d'user, sous peine de sanctions, de certains mots ou expressions définis par voie réglementaire sous forme d'une
terminologie officielle ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que sont contraires à la Constitution le deuxième alinéa de l'article
2 relatif à des pratiques commerciales et la seconde phrase du premier alinéa de l'article 3 concernant la voie
publique, les lieux ouverts au public et les transports en commun en tant qu'ils s'appliquent à des personnes autres
que les personnes morales de droit public et les personnes privées dans l'accomplissement d'un service public ;

Document 5 Décision n° 76-71 DC du 30 décembre 1976 (extrait)


Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Quel est l’apport de l’acte contesté ?
- A quoi cet acte pourrait porter atteinte ? Pourquoi le Conseil estime qu’il n’y porte pas atteinte ?

1. Considérant que la décision du conseil des communautés européennes du 20 septembre 1976 et l'acte qui y est
annexé ont pour seul objet de stipuler que les représentants à l'Assemblée des peuples des États réunis dans la
Communauté sont élus au suffrage universel direct et de fixer certaines conditions de cette élection ;
2. Considérant que si le préambule de la Constitution de 1946, confirmé par celui de la Constitution de 1958,
dispose que, sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation
et à la défense de la paix, aucune disposition de nature constitutionnelle n'autorise des transferts de tout ou partie
de la souveraineté nationale à quelque organisation internationale que ce soit ;
3. Considérant que l'acte soumis à l'examen du Conseil constitutionnel ne contient aucune disposition ayant pour
objet de modifier les compétences et pouvoirs limitativement attribués dans le texte des traités aux communautés
européennes et, en particulier, à leur Assemblée par les États membres ou de modifier la nature de cette Assemblée
qui demeure composée de représentants de chacun des peuples de ces États ;
4. Considérant que l'élection au suffrage universel direct des représentants des peuples des États membres à
l'Assemblée des communautés européennes n'a pour effet de créer ni une souveraineté ni des institutions dont la
nature serait incompatible avec le respect de la souveraineté nationale, non plus que de porter atteinte aux pouvoirs
et attributions des institutions de la République et, notamment, du Parlement ; que toutes transformations ou
dérogations ne pourraient résulter que d'une nouvelle modification des traités, susceptible de donner lieu à
l'application tant des articles figurant au titre VI que de l'article 61 de la Constitution ;
5. Considérant que l'engagement international du 20 septembre 1976 ne contient aucune stipulation fixant, pour
l'élection des représentants français à l'assemblée des communautés européennes, des modalités de nature à mettre
en cause l'indivisibilité de la République, dont le principe est réaffirmé à l'article 2 de la Constitution ; que les termes
de "procédure électorale uniforme" dont il est fait mention à l'article 7 de l'acte soumis au Conseil constitutionnel
ne sauraient être interprétés comme pouvant permettre qu'il soit porté atteinte à ce principe ; que, de façon générale,
les textes d'application de cet acte devront respecter les principes énoncés ci-dessus ainsi que tous autres principes de
valeur constitutionnelle ;
6. Considérant que la souveraineté qui est définie à l'article 3 de la Constitution de la République française, tant
dans son fondement que dans son exercice, ne peut être que nationale et que seuls peuvent être regardés comme
participant à l'exercice de cette souveraineté les représentants du peuple français élus dans le cadre des institutions
de la République ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'acte du 20 septembre 1976 est relatif à l'élection des membres
d'une assemblée qui n'appartient pas à l'ordre institutionnel de la République française et qui ne participe pas à
l'exercice de la souveraineté nationale ; que, par suite, la conformité à la Constitution de l'engagement international
soumis au Conseil constitutionnel n'a pas à être appréciée au regard des articles 23 et 34 de la Constitution, qui sont
relatifs à l'aménagement des compétences et des procédures concernant les institutions participant à l'exercice de la
souveraineté française.

4
Partie 2. Rapport
Document 1 TH. THUOT, La grand nation – Pour une société inclusive, Rapport
au Premier sur la refondation des politiques d’intégration, 1er février 2013
(extrait, pp. 62-66)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Quelle est la définition de la laïcité dans la loi de 1905 ?
- Sur quoi se fonde l’auteur pour appeler à une « modestie collective » ?
- Quels sont les fondements juridiques de la formule de l’auteur selon laquelle : « pour ne pas souffrir dans vos
croyances, ne prétendez pas structurer l’espace public avec elles » ? Quelle est la portée politique et sociale de cette
affirmation ?
- Pourquoi la question du financement des lieux de culte est fondamentale ?
- Pourquoi l’évolution du « paysage mental » est déterminante ?

« La “question musulmane”, pure invention de ceux qui la posent, ne cesse d’enfler et de soucier, de polluer le débat
public, et de troubler jusqu’au délire les meilleurs esprits. À l’islamisme – revendication publique de comportements
sociaux présentés comme des exigences divines et faisant irruption dans le champ public et politique – répond un
laïcisme de combat, furibond et moralisateur, qui mêle dans un étrange ballet les zélotes des racines chrétiennes de
la France, qu’on n’attendait pas au chevet du petit père Combes, et républicanistes tout aussi intégristes, qui
semblent n’avoir de la liberté qu’une idée terrifiée, où, hélas, souvent terrifiante.
(…)
Soyons paisibles et demeurons sans crainte. Un grand pays comme le nôtre a pour principale
défense son
intelligence. Que des millions parmi les siens aient une vie spirituelle, impliquant
ou pas une divinité d’ailleurs, qui
pourrait ne pas s’en réjouir ? Que la ferveur, la croyance,
l’élan, l’ascèse et la discipline, soient partagés au profit
d’idéaux, quelle meilleure preuve trouver de valeurs communes ?
Mais c’est ici, on le sait bien, que le bât blesse. Récusons d’emblée que l’âne républicain porte un bât musulman –
tenons nous en aux faits. L’État ne reconnaît aucun culte. Il s’interdit de ce fait de discerner le bon grain (comme
les églises concordataires en étaient) de l’ivraie (comme la difficulté à qualifier ou pas de sectes des religions ou de
religions certaines sectes, le montre). Il n’a donc pas le droit d’opposer une religion (ou une tradition religieuse) “du
pays”, qui serait on ne sait quel judéo-christianisme de synthèse, à une religion “allogène”, que serait, bien sûr, l’islam
(et qui était il y a un peu plus de soixante-dix ans le judaïsme...). Si on pense le contraire, qu’on le dise, mais on n’a
pas entendu (même parmi ses récupérateurs éhontés qui en font une machine de guerre anti islamistes) que les
zélateurs de la loi de 1905 en demandassent l’abrogation.
La seule limite que nous posons donc aux religions est l’ordre public. La notion est vague, et, pour tout dire, politique
dans ses extrêmes et ses frontières. Elle est surtout, rappelons-nous-en, variable, immensément, avec le temps : au
pourfendeur effarouché du statut qu’il pense diminué de la femme en islam, rappelons que les églises dont certains
d’entre eux se réclament parfois, avaient il y a cinquante ans tout au plus et même un peu moins, une idée de la
femme assez peu égalitaire ; et on ne se souvient pas les avoir entendu nous parler du péril catholique ou de la
menace protestante ; aux féministes de la vingt-cinquième heure invoquant notre conception, sacrée, de la place de
la femme, rappelons quand même qu’elle est assez récente – le droit de vote date de 1946, celui de faire des chèques
des années soixante ; et celui de jouer un rôle dirigeant dans l’économie et la société leur est, qu’on sache, encore
souvent refusé. Ceci, non pour reconnaître la légitimité de la minoration de la femme – mais pour nous inviter à un
peu de modestie et de mesure dans la façon de donner des leçons.
(…)
D’abord, nous pouvons regarder ensemble la réalité plutôt que les fantasmes. Qu’on sache, aucun mouvement de
fond n’est venu exiger que les femmes de confession musulmane puissent déambuler en Burqa. C’est le
gouvernement qui a décidé de cibler les quelques femmes ainsi vêtues pour les dévêtir de la toute-puissance de la loi,
inventant ce slogan, qui laisse encore perplexe, selon lequel la République se vit à visage découvert (à supposer qu’un
mode politique d’organisation “se vive”, le rapport avec le visage des citoyens, a fortiori de ceux qui ne sont pas des
citoyens, échappe au sens). Pour l’essentiel, la revendication fondamentale des religions, islam compris, est qu’on
leur fiche la paix – ce qui est à peu près ce que veulent d’ailleurs ceux qui ne les pratiquent pas à leur encontre. Il
est possible que telle ou telle confession ait des vœux supplémentaires, entendons-les, plutôt que de leur prêter des
intentions.
Il ne sera pas inutile ensuite de rappeler quelques principes structurants le débat public et la prise de parole. Notre
principe fondamental est la liberté, pour chacun, et pour tous. Cette liberté que chacun revendique expose chacun
à en subir toutes les conséquences, avec la simple borne que posait la déclaration des droits de l’homme de 1789
(dont il convient d’ailleurs de rappeler aux cultes de tous ordres, sauf évidemment aux panthéistes qui en seraient
vexés, qu’elle a été proclamée “sous les auspices de l’être suprême”...) : ne pas nuire à autrui. Les religions sont
fondées à ce qu’on les protège du mépris, et de la vindicte, mais pas à nous parler de blasphème, ou d’atteinte au
sacré. Ce qui nuit est dans l’ordre civil, pour ne pas souffrir dans vos croyances, ne prétendez pas structurer l’espace

5
public avec elles. Si vous descendez cependant dans l’arène, acceptez alors qu’on y prenne des coups (symboliques).
Vous pouvez demander qu’on respecte le culte qui passe – pas celui qui prétend commander, y compris à ceux qui
n’y adhèrent pas. Ce que l’État vous offrira alors, c’est la protection de la liberté, en rien celle des exigences
particulières de telle religion qui voudrait affirmer la sienne en y conformant – en y asservissant – celle des autres.
On dit cela non à l’islam, mais à toutes les églises, qui en ont toutes également besoin.
Le droit doit donc être la limite : dans la réinterprétation de la liberté au regard des cultes qui, en 1905, n’était pas
en position d’expliciter la conception qu’ils en avaient.
Nous pouvons d’emblée concéder à l’islam, comme d’ailleurs au protestantisme des églises venues du monde anglo-
saxon ou des Caraïbes, dont on ne doit pas sous-estimer l’importance, la légitimité de leurs vœux de pouvoir
notamment prier dans des lieux dignes ; de pouvoir revendiquer l’égalité des droits, là où l’État admet ce qu’on
appelait les secours de la religion, dans les aumôneries de prison, militaire, à l’hôpital, au lycée. Toute mesure
vexatoire ou discriminatoire est ici haïssable, et injustifiable – et elle suffit à jeter dans l’extrémisme nombre de
nouveaux convertis, ou de croyants en revenant à la pratique, que de mauvais esprit s’emploient à chauffer à blanc
à partir de faits hélas fondés. L’État doit donc notamment être clair sur sa volonté de permettre à qui le demande de
construire des lieux de culte, en laissant les financements, transitant par la fondation créée à cet effet, émanant de
fidèles ou de pays étrangers qui ne pourront ainsi s’approprier aucune mosquée (la fondation permettant
d’anonymiser les financements alloués), s’y employer, sans la moindre entrave résultant notamment du
détournement, hélas trop fréquents, de la législation de l’urbanisme, et même, en incitant à ce que la programmation
urbaine prenne en compte les pratiques religieuses, et lui laisse l’espace requis. La vie associative liée au culte est
évidemment tout aussi respectable et doit de même être protégée – éducation, activités périscolaires, loisirs,
socialisation, échanges, références cultuelles sont évidemment libres.
Ne brandissons “l’inacceptable” que lorsqu’il se présente à nous, c’est-à-dire non à notre libre arbitre – libre à nous
de prier ou pas et de le faire entre hommes ou en mélangeant les sexes – mais en voulant imposer au service public
des prestations différentes, ou à l’espace public, des règles qui ne seraient pas partagées. Nous pouvons accepter la
présence des religions dans l’espace public, non qu’elles revendiquent sa structuration. Celle-ci n’appartient qu’au
législateur, qui définit le cadre dans lequel les pratiques sociales sont libres. Par exemple : lorsque la nourriture est
par force fournie par l’État, comme dans les prisons, il faut bien sûr respecter les interdits alimentaires quels qu’ils
soient ; lorsqu’elle relève d’une faculté, dans les cantines, rien en revanche ne le justifie – la liberté de croire au
regard de ce que l’on mange ne crée pas à l’État le devoir de la fournir. Notons d’ailleurs que c’est exactement ce
que comprend l’islam, contrairement à ce que ses détracteurs soutiennent. Les associations peuvent, de même,
distinguer, hommes et femmes dans leur adhésion, l’État n’est pas tenu alors de nécessairement discriminer ses
serviteurs pour complaire à qui voudrait, par exemple, que le soignant soit de même sexe que le patient.
À ce qui peut paraître rude dans ces réaffirmations, qu’on ne fait ici qu’illustrer de quelques exemples, on opposera
un visage public plus serein : un propos assuré, qui ne craint pas la religion, considère avec mansuétude les besoins
destinés à son culte, et un discours invitant la nation entière à accepter une évolution de son paysage mental. Il y
aura, à l’avenir, peut- être, des mosquées – il serait bon, du reste, que les architectes pensent la mosquée française,
qui créerait son empreinte de notre paysage en lui donnant une nouvelle beauté, ne singeant pas les réalisations des
siècles passés sous d’autres climats, mais confirmant que les croyances passant les frontières, elles ne sont pas tenues
d’y porter les habits d’ailleurs et peuvent présenter des lignes différentes et neuves. Nous avons déjà changé de mœurs
alimentaires, et que le vêtement évolue nous rendra peut-être un peu moins gris, compassés, et encravatés. Quand
même, reprenons-nous ! La France a-t-elle jamais dépendu de ce qu’un bout de tissu – boubou, coiffe bretonne,
chèche ou béret – soit porté d’une façon ou d’une autre ? Il ne nous faut pas grand-chose pour pacifier notre horizon
mental commun. »

Partie 3. Doctrine
Document 1 F. BENOIT-ROHMER, « Les langues officielles de la France », Revue
française de droit constitutionnel, 2001/1 n° 45 (extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Quelle est la définition de la laïcité dans la loi de 1905 ?
- Quelles motifs politiques ont conduit à l’intégration de la langue française dans la Constitution ?
- Quels sont les effets juridiques de cette mention de la langue française dans la Constitution ?

Même si l’on proclame toujours le primat du politique dans la conception de la nation française, la langue a néanmoins
toujours constitué un facteur essentiel de la préservation de l’unité nationale. La langue revêt donc une dimension symbolique
et nombreux sont les États qui, comme la France, se sont identifiés à une langue nationale.

1 – Jacobinisme et langue française


L’État français n’est qu’une création factice des philosophes 6. Sous l’Ancien Régime, la France ne présentait, contrairement à
la légende, ni frontières naturelles, ni langue commune, ni spécificité religieuse. La France était constituée, suite aux guerres

6
de conquête et aux stratégies matrimoniales des familles régnantes, d’un assemblage de peuples distincts, aux coutumes et aux
dialectes particuliers même si les langues romanes dominaient, aux mœurs variées et aux tendances religieuses souvent
conflictuelles qui durent accepter la loi catholique imposée par le bras séculier de l’État. Les rois ont donc très vite compris
qu’il leur fallait, pour asseoir leur autorité, renforcer la cohésion du Royaume. Cette volonté s’est traduite sur le plan politique
par un effort de centralisation administrative mais aussi sur le plan linguistique par la nécessité d’imposer le français comme
langue nationale7. Ainsi, la fameuse ordonnance « sur le fait de justice » prise par François Ier en avril 1539 dite de Villers
Cotterêts introduisit dans le droit français l’obligation de prononcer et d’enregistrer les actes de justice en « langage maternel
français »8. Si celle-ci était à vrai dire dirigée contre l’usage du latin 9, elle a eu pour résultat, par répercussion indirecte,
d’engendrer un déclin des langues régionales. Sauf en deux de ses termes implicitement affectés par la législation postérieure,
l’ordonnance n’a d’ailleurs jamais été abrogée10. Dans le même temps, le français s’imposait dans toute l’Europe dans la
mesure où, depuis le traité de Rastadt (1714), cette langue est devenue une grande langue de la diplomatie internationale.
L’œuvre centralisatrice débutée sous l’Ancien Régime allait trouver son apogée sous la Révolution et la Troisième République.
Les Jacobins s’assignèrent aussi pour objectif politique de faire de la France un véritable État-nation, ou pour reprendre
l’expression de Dominique Schnapper une « communauté de citoyens » 11, fondée sur la coïncidence entre nationalité et
citoyenneté. Ils ont dû assurer l’assimilation de populations hétérogènes de par leur langue, leur culture et leur religion en
une communauté nationale, cela nonobstant leurs particularismes culturels et linguistiques. Comme ils n’ont pu faire de la
langue française un facteur d’appartenance à la nation car trop peu de citoyens parlaient le français à cette époque, ils l’ont
utilisée pour consolider la communauté politique à peine naissante. A partir de 1794, certains révolutionnaires décidèrent
que l’unité de la nation passait par un langage commun. Dès lors, l’utilisation du français sera considérée comme un signe de
loyauté à l’égard de la République. On connaît les rapports de l’abbé Grégoire et de Barrère soumis au Comité de salut public
sur la nécessité et les moyens d’anéantir les langues régionales et d’universaliser l’utilisation du français. Le réquisitoire auquel
s’est livré l’abbé Grégoire12 contre les patois au nom d’une République une et indivisible, au motif que la langue française
devait constituer le ciment de l’unité nationale, est resté célèbre. A cette époque en effet, les langues régionales représentaient
la tradition et donc la réaction, alors que le français était considéré comme la langue de la raison et donc comme celle de tous
ceux qui défendaient les valeurs de la Révolution. Barrère a pu ainsi écrire dans son rapport au Comité de salut public que
« le fédéralisme et la superstition parlent le bas-breton, l’émigration et la haine de la république parlent allemand, la contre-
révolution parle italien et le fanatisme le basque ». Il fallait donc, pour bâtir la France révolutionnaire et asseoir l’autorité de
la nouvelle élite sociale, diffuser la connaissance et l’usage du français,
Sur le plan de l’organisation administrative, la centralisation est accentuée, ce qui permet aux révolutionnaires d’atténuer
encore les diversités socioculturelles existantes et de conforter l’homogénéité de la République à peine naissante. Comme le
soulignait Danton « la France doit être un tout indivisible, elle doit avoir son unité de représentation, les citoyens de Marseille
veulent donner la main aux citoyens de Dunkerque »13. Du coup, les minorités culturelles sont les laissées-pour- compte de la
philosophie jacobine qui est fondée, au nom de l’unité et l’indivisibilité de la nation, sur la négation de toutes spécificités
territoriale, culturelle et linguistique.
Enfin les révolutionnaires veulent fonder une société plus juste, sans privilèges sociaux, bref une société sans discrimination.
Le principe d’égalité que l’on retrouve décliné sous ses formes les plus diverses dans tous les articles de la Déclaration des
droits de l’homme de 1789, sert d’assise à la société révolutionnaire et contribuera au renforcement de la cohésion nationale
française. Mais l’égalité si prisée par les révolutionnaires implique un refus des discriminations, refus d’autant plus manifeste
qu’il s’agit pour les révolutionnaires de s’opposer aux pratiques de l’Ancien Régime qui favorisaient les particularismes
corporatifs, mais aussi sociaux et régionaux. L’égalité s’oppose donc à ce que l’on puisse traiter différemment les hommes en
raison de leur origine, de leur appartenance sociale ou religieuse, ce qui a eu pour conséquence d’inter- dire la reconnaissance
institutionnelle de minorités au sein de la société française.
Les efforts politiques ont depuis lors conduit à mettre en œuvre les préceptes révolutionnaires pour construire l’État nation
français. Et, sans doute parce que l’assurance de la solidité d’un sentiment national fondé sur le politique n’était pas si grande,
l’emploi de la langue française sur l’ensemble du territoire a été imposé aux citoyens français afin de renforcer la cohésion
nationale. Dans cet esprit, les instituteurs de la Troisième République vont se charger de la tâche de diffuser l’enseignement
et l’usage du français. Ils ont largement concouru à développer l’esprit patriotique chez les enfants des paysans des provinces
de France en les obligeant à parler le français et en leur interdisant l’usage de la langue de leurs parents. Un décret du 6 janvier
1891 (article 14) impose d’ailleurs l’usage exclusif du français à l’école qui devient de plus obligatoire et gratuite. L’armée, elle
aussi, a largement contribué à la réalisation d’une nation plus homogène. L’établissement de la conscription en 1872, ajouté
à la promulgation d’une loi sur la nationalité en 1889 qui imposait la citoyenneté française aux enfants étrangers nés sur le
territoire français pour pouvoir les recruter, ont permis à l’armée de brasser des populations de toute origine ethnique, de
toutes les régions et de toutes les classes sociales. L’armée a aussi entretenu et développé le sentiment de communauté
nationale en permettant la scolarisation en français des recrues tout en assurant la diffusion du sentiment patriotique 14. Les
tranchées de la guerre de 1914-1918 constituèrent les derniers creusets de l’assimilation.
La Constitution du 4 octobre 1958 reste imprégnée de ces principes égalitaires et unificateurs développés sous la Révolution
et les républiques qui s’ensuivirent.

2 – Le nouvel article 2 de la Constitution de 1958


Dès l’article premier, la Constitution rappelle le caractère indivisible de la République française. Dans l’article 2, elle affirme
le principe d’égalité des citoyens devant la loi et l’interdiction qui en découle d’opérer des discriminations fondées sur
l’origine, la race ou la religion.

7
Mieux encore, à la suite d’un amendement parlementaire introduit lors de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, la
Constitution comprend un nouvel alinéa qui dispose que « la langue de la Réplique est le français ». Par suite de la révision
ultérieure de la Constitution en date du 4 août 1995, cet alinéa ouvre désormais l’article 2 de la Constitution 15. Cette révision
constitutionnelle, opérée en même temps que celle per- mettant la ratification du traité de Maastricht, apparaît sans aucun
doute comme une sorte de compensation pour les « souverainistes » hostiles aux progrès de l’intégration européenne. Le
gouvernement avait en effet insisté sur le fait que l’amendement constitutionnel n’était pas dirigé contre les langues régionales,
mais qu’il était temps de réaffirmer, au moment où les compétences de l’Union européenne s’accroissaient, l’importance de
la langue française dans l’ensemble européen et de protéger celle-ci contre l’emprise de plus en plus importante de la langue
anglaise. Il s’agissait aussi de rappeler l’attachement de la France à la francophonie.
La révision constitutionnelle avait à l’époque déjà à juste titre suscité l’inquiétude des minorités linguistiques françaises, ce
d’autant plus que l’introduction d’un amendement qui aurait réservé le sort des langues régionales avait été finalement écartée
par l’une et l’autre assemblée16. Mais les locuteurs de langues régionales ne se doutaient pas encore que l’article 2 de la
Constitution allait constituer un obstacle véritable à la reconnaissance des langues régionales. C’est en effet sur le fondement
de cette disposition constitutionnelle que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont estimé que la France ne pouvait
ratifier la Charte des langues régionales ou minoritaires conclue sous les auspices du Conseil de l’Europe.
La loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française 17 prise en application de l’article 2 de la Constitution confirme
que la langue française, « élément fondamental de la personnalité et du patrimoine de la France », constitue la langue du
pouvoir18. Elle la reconnaît, sauf exceptions spécifiques, comme la langue de l’enseignement, du travail, des échanges et des
services publics. Certes, la loi précise qu’elle s’applique sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux
langues régionales de France et qu’elle ne s’oppose pas à leur usage (article 21), mais elle ne détermine pas le statut promis
pour celles-ci.
La question se pose effectivement de savoir si la langue française, langue de la République, peut « cohabiter » avec des langues
régionales pour lesquelles un véritable statut est revendiqué par les militants nationalistes régionaux suite à la montée des
régionalismes. »

6. Voir B. Anderson, L’imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996.
7. Voir R. Grau, Le statut juridique des droits linguistiques en France, in Les minorités en Europe (sous la direction de H. Giordan), éd. Kimé, 1992, p. 93 et
s.
8. C’est ici l’article III de l’ordonnance qui est pertinent. Il prévoit que « et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots
latins contenus dans lesdits arrests, nous voulons doresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres
subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments et autres quelconques actes et exploits de jus- tice, ou
qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ».
9. Sur cette interprétation, voir l’ouvrage de M. Chaurant, L’Histoire de la langue française, PUF, 1962.
10. Voir D. Latournerie, Conclusions sous CE, Sénat, 22 novembre 1985, Quillevère, Rec., p. 333 et s.
11. D. Schnapper, La communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Gallimard, NRF essais, 1994.
12. Sous le régime de la Terreur, l’abbé Grégoire persuadait la Convention, alors présidée par Robespierre, le 4 juin 1794, de la « nécessité d’anéantir les
patois et d’universaliser la langue française » (Rapport à la Convention du 4 juin 1994 sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’établir
l’uniformité dans la langue française). A cette époque, la moitié des citoyens ne parlaient ni ne comprenaient le français, et en dehors des villes et des
départements centraux, la population était monolingue dans les langues régionales et ce sont les rares francophones qui étaient bilingues. Voir N. Rouland,
art. préc., p. 517 et s.
13. Cité par M. Korinman, M. Ronai, Les idéologies du territoire, in François Châtelet, Histoire des idéologies : savoir et pouvoir du XVIIIe au XXe siècle, Paris,
Hachette, 1978, p. 235.
14. Voir D. Schnapper, La France de l’intégration, Sociologie de la nation en 1990, Paris, Gallimard, 1991.
15. Voir R. Debbasch, La reconnaissance constitutionnelle de la langue française, cette Revue, 1992, p. 468.
16. Voir R. Debbasch, art. préc., cette Revue, 1992, p. 457.

17. JORF, 5 août 1994, p. 11392.

18. Déjà une circulaire du 12 avril 1994 du Premier ministre aux membres du gouvernement relative à l’emploi de la langue française par les agents publics
explique la conception que se fait le législateur de la langue française. D’après la circulaire, celle-ci est « un élément constitutif de l’identité, de l’histoire et
de la culture nationale (...), un élément important de la souveraineté nationale et un facteur de cohésion sociale ».

Document 2 O. BEAUD, « A la recherche de la légitimité de la 5ème République »,


Droits, 2006/2 n° 44 (extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- A quoi l’auteur renvoie quand il parle de « légitimité étatique » ?
- Pourquoi le texte estime que les rédacteurs de la Constitution avaient une conception « institutionnelle » de
celle-ci ?
- Qu’est-ce que l’auteur entend par « légitimité nationale » ?
- Quelle était la conception de la « nation » des fondateurs de la 5ème République ? Cette conception est-elle
toujours d’actualité ?

II. LA LÉGITIMITÉ INITIALE DE LA Ve : ÉTATIQUE ET NATIONALE


C’est parce que la Ve s’est fondée en revendiquant une légitimité, qu’elle déniait à la IVe République, qu’il faut l’étudier afin
de prendre conscience de la volonté de rupture qu’elle signifiait. Volonté enregistrée par Léo Hamon lorsqu’il notait en
témoin contemporain de l’avènement du nouveau régime : « Nous avons vécu une révolution, plus exactement nous y sommes
entrés ; parce que rien n’a été “cassé”, d’autres raisonnent comme si le saut n’avait pas été fait, ou s’il pouvait à présent être

8
refait à reculons ; ils se trompent, et il ne faut pas que la continuité des apparences nous dissimule la discontinuité des
choses. »1 Il en découle que la Ve ne vise pas à moderniser la IVe, mais qu’elle se veut autre, c’est-à-dire non seulement
différente, mais même supérieure aux Républiques qui l’ont précédée. Elle s’inscrit dans un projet de rupture avec le
parlementarisme classique2.
Ainsi s’agit-il ici de prendre au sérieux cette prétention à la légitimité des fondateurs de la Ve, prétention « réussie » dans la mesure où
elle a rencontré l’assentiment des citoyens. La prendre au sérieux suppose de remonter à la « philosophie politique profonde »3
de ses fondateurs, et en particulier du général de Gaulle, car celle-ci détermine, en dernière instance, l’agencement
institutionnel de la Ve République4. Cela sup- pose aussi d’examiner la nature du régime et l’articulation opérée entre la
conception du pouvoir et l’aménagement technique des institutions politiques. Selon la thèse ici proposée, la légitimité initiale
de la Ve serait principalement étatique et nationale.
La composante étatique de la légitimité de la Ve. — Lors du colloque sur De Gaulle en son siècle, Nicholas Wahl, politiste américain
et fin connaisseur de l’histoire politique de notre pays, résumait ainsi l’essentiel de la pensée politique du général : « Les
problèmes constitutionnels se réduisaient essentiellement à savoir comment restaurer l’autorité de l’État pour que l’État puisse
défendre les intérêts de la France dans un moment dangereux. L’important était de créer des institutions qui pouvaient
remettre la France à son rang. » 5 Cette remarque synthétise le constat de la double légitimité – étatique et nationale – sur
laquelle les fondateurs ont voulu bâtir les institutions de la Ve.
Peut-on cependant parler d’une « légitimité étatique » ? C’est possible dès lors qu’on admet que la légitimité concerne tant
l’origine que l’exercice du pouvoir. Cette expression de « légitimité étatique » signifie que le pouvoir tire sa justification du
fait qu’il répond aux exigences d’un État moderne, que ce pouvoir est apte à gouverner, à décider pour le compte des citoyens.
Le pouvoir réintroduit de l’autorité et met fin à l’anarchie potentielle censée caractériser la IVe. Telle est cette idée « étatiste »
qui légitime la Constitution aux yeux des fondateurs et que l’on trouve finalement exprimée dans cette apologie de la «
République »6.
Que cette idée soit en porte-à-faux avec la définition courante de la Constitution – qu’elle soit normative, ou
constitutionnaliste – n’est pas une raison pour en nier l’existence. Les constituants de 1958 ont entendu refaire une
Constitution pour « refaire » un pouvoir et une République. Une telle ambition s’appuie sur un diagnostic critique à l’égard
du parlementarisme français dont la tendance serait anarchisante au sens où un tel régime, le « parlementarisme absolu »,
serait incapable de gouverner. Cette conception sous-jacente d’une Constitution faite pour « remettre de l’ordre » dans l’État
peut sembler étrange au regard des canons de la discipline constitutionnelle : n’enseigne-t-on pas que la Constitution a pour
objet principal de limiter le pouvoir ? Pourtant, même si cela est paradoxal et même si c’est rarement relevé par les
commentateurs, la Constitution de 1958 s’éclaire mieux à la lumière de l’idée de constituer un pouvoir et un gouvernement
que par l’idéal constitutionnaliste. C’est ce que Michel Debré, bien placé pour en parler, a rappelé rétrospectivement dans un
texte important : « S’il est vrai – écrit-il – que la séparation des institutions, et notamment l’existence d’un Parlement avec
liberté de parole pour chacun, doublée d’une indépendance de la justice et de la liberté de la presse, garantissent les libertés
essentielles et le respect de la personne humaine, il est indispensable que la décision, c’est-à-dire le gouvernement, soit établie
dans des conditions qui assurent la marche des affaires et la destinée de la nation. » 7 Cela confirme l’idée que la conception
de la Constitution, chez les fondateurs, n’était pas normative, comme l’a fort bien expliqué Jean-Marie Denquin, mais plutôt
institutionnelle. Ce qu’ils voulaient en « donnant » une nouvelle Constitution à la France, c’était « simplement – si l’on peut
dire ! – dans le but de donner à la France des institutions, et (...) par là des institutions efficaces lui permettant de sortir des
épreuves auxquelles elle était confrontée » 8. Ou pour le dire d’un mot : les fondateurs de la Ve ont conçu l’État comme « une
puissance armée pour l’action »9.
Une telle conception implique évidemment une certaine conception de l’État, qui n’est pas seulement l’État puissance, mais
aussi l’État acteur, qui pilote ou dirige l’économie et l’État qui redistribue. Cet État sera celui qui aura une politique
industrielle, une politique internationale, une politique de la recherche, etc. C’est un État d’un genre un peu particulier dans
les démocraties occidentales de l’époque et qui a fait à dire à Jacques Lesourne que la France aurait été pendant quinze ans
une Union soviétique qui réussissait. On a pu encore plus justement observer à propos des idées propres aux fondateurs de
la Ve République que selon eux : « Comme pour Richelieu, l’État pouvait avoir sa Raison et ses raisons. Il n’avait pas pour
unique devoir de s’anéantir devant le marché, les droits subjectifs des individus et la mondialisation. » 10. De ce point de vue,
l’évolution ultérieure vers une polyarchie et une juridicisation de la Constitution 11 va directement à l’encontre de cette
légitimité initiale. De nos jours, on sait que cette idée d’un État entrepreneur n’est plus à la mode, mais pour les fondateurs
de la Ve République, leur parti pris « étatiste » allait de soi. Ces choses sont trop connues pour qu’on s’y arrête plus
longuement. En revanche, l’idée que la nation serait un élément de cette légitimité est moins fréquemment mise en avant et
mérite au moins une explication.
Une légitimité nationale cachée ou l’envers du décor démocratique. — Cette apologie du gouvernement signifie essentiellement que
l’État doit être l’instrument permettant de gouverner la nation et de lui redonner la place qui lui revient. Dans cette
perspective, l’idée même de nation constitue l’un des facteurs de légitimité de cette Constitution de 1958, bien qu’elle soit
souvent occultée dans la présentation que l’on fait du régime. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant si l’on sait que l’idée de
légitimité nationale est un peu le parent pauvre des théories de la légitimité. En effet, l’immense majorité des théoriciens de
la démocratie perçoit celle-ci comme une forme de gouvernement dont le cadre territorial est nécessairement l’État-nation.
Pour que la démocratie soit pacifique et donc pensable, ils supposent tous – de Guglielmo Ferrero à Giovanni Sartori – que
chaque communauté politique doit se fonder sur un certain consensus social qui ne peut être atteint que dans le cadre de la
nation.

9
De leur côté, le général de Gaulle et Michel Debré considèrent qu’il va de soi que le cadre territorial et humain dans lequel
doivent s’exercer l’État et la démocratie ne saurait être que la nation, et par nation, ils entendent évidemment une nation
particulière, la nation française. Celle-ci est un être historique qui a pour caractéristique de transcender les générations et les
époques : elle est intemporelle, et par là même éternelle. C’est d’ailleurs pour enrayer son déclin que de Gaulle a entrepris
l’effort prométhéen de lui donner des institutions destinées à durer longtemps. Il le dit sans fard dans son discours de la place
de la République du 4 septembre, où il demande aux Français et aux Françaises de voter OUI au projet de la Constitution «
au nom de la France »12, et il le répète dans son allocution radiodiffusée et télévisée prononcée deux jours avant le référendum
sur le projet de Constitution13. Ainsi, l’appel à la nation fonctionne comme un « titre à gouverner », bref comme un principe
de la légitimité. Et ce principe de légitimité nationale n’est pas tout à fait identique au principe de légitimité démocratique.
Dans cette perspective disons « patriotique » 14, on peut interpréter la Constitution de 1958 comme étant une revanche non
seulement contre celle de 1946, mais aussi contre la défaite de 1940. La grande leçon que le général de Gaulle tire de l’histoire
de la IIIe République est la responsabilité du régime dans la défaite de 1940 – entendons par là que c’est un régime qui n’a
pas été capable de réformer son armée au moment où le danger de la guerre s’approchait de manière inexorable. Une telle
prétention à la légitimité nationale n’est pas sans conséquences institutionnelles.
La première de ces conséquences concerne l’attitude de la Ve par rapport au passé vichyste, question devenue progressivement
brûlante avec ce surgissement du « passé qui ne passe pas ». Pourquoi le fondateur de la Ve ne voulut-il jamais reconnaître les
fautes de l’État français pour les crimes commis par le gouvernement de Vichy ? Parce que ce dernier fut qualifié de
« gouvernement de fait » et que la République (légitime) était représentée par le gouvernement de la France libre à Londres.
Or, cette argumentation, qui repose sur l’identification de l’État à la République, est non seulement contestable (la forme
juridique est irréductible à la forme de gouvernement), mais surtout difficile à maintenir à l’égard des personnes victimes des
agissements criminels de Vichy. Ceux-ci l’ont été par un État, c’est-à-dire des gouvernants ou des fonctionnaires censés
représenter l’autorité d’un État dont ils utilisèrent toutes les ressources juridiques, matérielles et symboliques. De ce point de
vue, la divergence de position entre, d’un côté, de Gaulle et ses successeurs, et, d’un autre côté, l’actuel président de la
République mérite d’être notée puisque à la différence de celui-là, celui-ci a expressément reconnu, dans son allocution du 16
juillet 1995 commémorant la rafle du Vel d’Hiv, qu’il fallait maintenant « reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par
l’État ». Ainsi, il a reconnu la responsabilité de la France, tout en déclarant immédiate- ment que toute la France n’était pas à
Vichy et que sa partie noble se trouvait dans la Résistance et à Londres. Il y a donc bien une continuité de l’État qui impose
aux Républiques postérieures de devoir assumer juridiquement les dettes et symboliquement les fautes.
Ce nationalisme, qui éclaire ce déni du passé national peu glorieux, explique aussi la teneur de certaines dispositions de la
Constitution de 1958 relatives aux rapports entre droit interne et droit international. Aujourd’hui, on considère
traditionnellement que son texte ouvre la possibilité d’une suprématie du droit international, et maintenant du droit
européen, par rapport au droit interne (droit national, si l’on veut). Mais si l’on examine le texte initial de la Constitution, il
contient des dispositions qui étaient interprétées à l’époque dans le sens d’un nationalisme sourcilleux. Ainsi est le cas non
seulement de la clause de réciprocité prévue à l’article 55 qui porte sur les relations entre le traité et la loi, mais aussi de l’alinéa
de l’article 54 qui permet au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution certaines clauses d’un traité
international. Cette suprématie de la Constitution indique tout un programme politique, et manifeste bien l’idée d’une nation
souveraine qui ne veut pas se voir dicter ses normes et sa poli- tique internationale par un tiers.
Enfin, la dernière preuve de la force de cette légitimité nationale résulte, a contrario en quelque sorte, de sa confrontation avec
la construction européenne qui repose sur une base différente. L’élection de l’Assemblée européenne au suffrage universel
sera l’un de ces moments où se révélera le mieux cette véritable « guerre de légitimités »15. Les fondateurs de la Ve se rangent
dans le camp qui fait de la nation la condition d’existence de la légitimité démocratique et de l’État de sorte que la perspective
de la création d’une entité européenne de nature fédérale – ou quasi fédérale – est perçue comme illégitime car contraire au
principe de légitimité nationale.
On perçoit d’emblée le problème que pose de nos jours une telle description de cette légitimité : l’État a changé, ou plus
exactement les conditions socio-économiques permettant à cet État propulseur d’agir ont en partie disparu, et la progressive
intégration européenne a fait perdre, en partie seulement, de son évidence à la légitimité nationale. En d’autres termes, ce
type de légitimité stato-nationale semble datée historiquement et ne paraît plus porteur d’une dynamique tournée vers l’avenir.
Pourtant, et c’est là le problème, c’est en fonction de cette légitimité que les institutions ont été bâties.

1. L. Hamon, De Gaulle dans la République, Paris, Plon, 1958, p. 4.


2. Ce que notait Stéphane Rials à l’occasion des trente ans du régime : « La Constitution de 1958 prend (...) plus sûrement place dans la longue durée d’un
révisionnisme constitutionnel proprement politique, au demeurant fort complexe dans sa contestation hétérogène du parlementarisme à la française, qu’au
terme d’une élaboration théoricienne du droit constitutionnel » (« Une doctrine constitutionnelle française ? », Pouvoirs, no 49, 1989 (Vo les 30 ans), p. 82).
3. V. Wright, The Government and Politics in France, London, Hutchinson, 1978, p. 17.
4. On suppose ici connues par le lecteur les sources complexes de l’écriture de la Constitution (Charles de Gaulle, puis Michel Debré et enfin les
parlementaires de la IVe). Le texte de 1958 est issu d’un compromis entre ces trois tendances, mais celui-ci ne dure pas, et la pratique gaullienne du
Principat donne au régime son orientation décisive. Voir infra sur la cohabitation.
5. De Gaulle en son siècle, t. 2 (La République), Paris, Plon, 1992, p. 226.
6. Le point n’avait pas échappé à Georges Burdeau qui, dans l’édition du manuel commentant, presque sur le vif, la nouvelle Constitution de 1958, résume
le choix gaullien par la formule : le « Pouvoir de la République ». Or ce dernier mot aux contours ici larges « englobe dans un même vocable et l’État dans sa
permanence par-delà les vicissitudes des luttes politiques et les principes selon lesquels, à l’intérieur de cet État, la collectivité nationale entend vivre :
souveraineté nationale, liberté, justice (Disc. du 4 septembre) » ; v. Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, LGDJ, 8e éd., 1959, p. 386.

10
7. M. Debré, « Démocratie et institutions », préface à N. Wahl (dir.), Naissance de la Ve République (réédition du numéro spécial de la RFSP de 1959 sur la Ve
République), 1990, p. XIII.
8. J.-M. Denquin, La monarchie aléatoire, p. 44.
9. La formule est de G. Burdeau dans son article : « La conception du pouvoir selon la Constitution française du 4 octobre 1958 », Revue française de sciences
politiques, 1959, reproduit in N. Wahl, Naissance de la Ve République (rééd. 1990), p. 88-89.
10. J.-M. Denquin, La monarchie aléatoire, p. 45.
11. V. sur ce point, C. Bidégaray, Cl. Emeri, La constitution en France de 1789 à nos jours, Paris, A. Colin, 1997.
12. Ch. de Gaulle, Discours et messages, Paris, Plon, t. II (1958-1962), p. 45.
13. Discours du 26 septembre 1958, Discours et messages, p. 406.
14. En 1990, Michel Debré rappelle ce point capital : « Dois-je ajouter que la Constitution de 1958 demeure fidèle à l’exigence fondamentale qui veut que
seule la nation soit à la fois le centre de la tolérance et de la solidarité, les deux qualités qui permettent la liberté et l’égalité des chances en même temps que le
patriotisme sans lequel il n’est pas de gou- vernement possible. Mais cela est une autre histoire qui dépasse le cadre des institutions » (préface précitée, p. XIII-XIV).
15. G. Vedel, « Les racines de la querelle constitutionnelle sur l’élection du Parlement européen », Pouvoirs, no 2, 1977, p. 26 et 29.

11
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 8 : La crise de la démocratie en France 1 :


La crise de la représentation

Table des matières

Partie 1. Une crise de système électoral 1


Document 1 T. BRANTHOME, « Pour comprendre le populisme, il faut s’interroger sur ce qu’il
reste de "la souveraineté du peuple" », Le Monde, 12 octobre 2018 1
Document 2 J. CAGE, « Notre démocratie ne représente plus que les riches », Revue Projet,
2020/5, n° 378, pp. 31-33 2
Partie 2. Une crise de la démocratie représentative 3
Document 1 M.-A. COHENDET, « Une crise de la représentation politique ? », Cités, 2004/2,
n° 154, pp. 41-61 (extraits). 3
Document 2 M. WINOCK, « Une VIème République ? », Le débat, 2016, n° 4, pp. 38-43 8
Notions à maîtriser :

Démocratie représentative, Représentation, Démocratie directe, Démocratie semi-directe, Parti politique, Classe
politique, Peuple
Partie 1. Une crise de système électoral
Document 1 T. BRANTHOME, « Pour comprendre le populisme, il faut
s’interroger sur ce qu’il reste de "la souveraineté du peuple" », Le Monde, 12
octobre 2018
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Quels sont les rapports entre le populisme et le peuple ?
- Pourquoi le peuple a été exclu de la démocratie ?
- Quels sont les symptômes du besoin de réintégrer le peuple à la démocratie ?

Un spectre hante l’Europe : le spectre du populisme. La chose préoccupe autant que le mot effraie. Pour la plupart
des commentateurs et pour l’immense majorité du public, le populisme renvoie aux expériences autoritaires du
XXe siècle et charrie derrière lui le pire du politique. Aussi voit-on se multiplier les condamnations et les appels à
combattre le « retour du populisme ».
En ligne de mire, le plus souvent, le président américain Donald Trump, le ministre de l’intérieur italien Matteo
Salvini, le premier ministre hongrois Viktor Orban. D’aucuns y ajoutent le chef de file de La France insoumise Jean-
Luc Mélenchon, le parti espagnol Podemos et le chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn. Mais d’autres situent
également Emmanuel Macron dans cette mouvance. Le populisme dans l’espace médiatique est une équivoque. Il
flotte sans que l’on parvienne jamais à saisir totalement son objet.
C’est en partant de ce constat que le philosophe Ernesto Laclau a révolutionné l’étude analytique du phénomène.
Depuis 2005, la parution de son ouvrage La Raison populiste (Seuil, 2008), enrichi des travaux de sa coauteure, la
philosophe belge Chantal Mouffe, irrigue la pensée de la gauche radicale. Pour Laclau, le populisme est bel et bien
une notion ambiguë et mal définie. Mais c’est ce caractère flottant qui donne à voir à Laclau toute sa signification :
le populisme est moins un concept analytique qu’un outil stratégique, il sert à disqualifier celui qui conteste l’ordre
(économique et politique) « tel qu’il est ».
Vecteur d’un puissant effet neutralisant, le populisme est une étiquette qu’on appose sur tout discours contestataire
afin de le discréditer. Pour Laclau, cette « manœuvre » dit quelque chose du monde actuel et de son rejet du politique
comme émanation du peuple. Cette constatation nous donne à penser que si la contestation morale des politiques
de Trump, Salvini et Orban est nécessaire, elle n’est pas suffisante tant qu’elle ne s’accompagne pas d’une prise de
conscience de ce qui se joue : l’effacement du peuple dans le processus démocratique contemporain.
Le constitutionnaliste Maurice Duverger nommait ce phénomène « la démocratie sans le peuple ». L’amorce de ce
moment remonte au lendemain du coup d’État contre Robespierre et la fin du « gouvernement révolutionnaire » qui
ouvre sur la « réaction thermidorienne ». Commence alors une politique qui cherche à établir une « République du
centre », débarrassée des demandes populaires.
Le peuple est ainsi invité à « rentrer chez lui » afin de laisser faire ceux qui se sont autoproclamés les « honnêtes gens ».
Inspirée des écrits de grands philosophes politiques (Montesquieu, Sieyès) désireux d’accorder au peuple une « place »
dans le processus politique sans pour autant lui remettre l’ensemble des rênes gouvernementales, cette volonté de
canaliser le « dèmos » va déboucher sur un régime qui, « du peuple, par le peuple et pour le peuple », lui substitue « pour le
peuple » par ses représentants.
Désir populaire de « décider » à nouveau
L’enjeu de ce rappel historique est de mettre en lumière le questionnement qui anime les sociétés européennes et
qu’expriment aussi bien les mouvements des « indignés », Nuit debout ou le Brexit, que la récente contestation
transpartisane de l’Union européenne. Derrière ces demandes hétérogènes surgit le même désir populaire de
« décider » à nouveau, de ne plus être écarté des grandes orientations politiques, de revenir à la promesse
étymologique de la démocratie : que le peuple ait le pouvoir.
Ici réside le nœud gordien de la situation actuelle que le simple recours à l’étiquette disqualifiante du « populisme »
ne peut trancher. Car la mise à distance des demandes populaires sur ce fondement rend la vie politique hexagonale
infidèle à sa genèse : la Révolution française, qui s’est faite tout entière au nom du peuple. On ne peut en effet penser
la Révolution ou la République sans saisir le rôle moteur que fut celui du peuple dans l’avènement de l’une et de
l’autre.
C’est en se réclamant du peuple que Mirabeau fit mettre un genou à terre à la monarchie le 23 juin 1789 avec sa
harangue fameuse, « Nous sommes ici par la volonté du peuple ». C’est encore pour lui et par lui que les députés de
l’Assemblée constituante rédigèrent la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen deux mois plus tard. La
Constitution de la Ve République, elle-même, ne se fait-elle pas l’écho de cette tradition en rappelant que la
souveraineté nationale « appartient » au peuple (article 3) ?
Crise de défiance
Rappeler la place centrale du peuple dans la construction de la France contemporaine est probablement le seul
moyen de comprendre les enjeux réels que soulèvent les débats autour du populisme. L’opinion publique avait

1
jusqu’à présent intégré le discours antidémocratique (Hippolyte Taine, Gustave Le Bon) selon lequel le peuple serait
un amas informe d’individus soumis à des passions éruptives, et incapable, en conséquence, de gouverner.
Mais ce « dénigrement des masses », partagé par le peuple lui-même et qui servait le projet de la « démocratie sans le
peuple », semble toucher à sa fin. Il y a lieu désormais de s’interroger sur le sens effectif et actuel de la « souveraineté
du peuple » et de son « rôle fondateur de la démocratie ». Cette souveraineté du peuple a-t-elle encore une quelconque
réalité dans un contexte où l’économie globalisée prédomine ?
Se questionner sur le clair-obscur de cette souveraineté ne permet-il pas de mettre en lumière la crise de défiance qui
frappe les régimes occidentaux et dont le fond de la critique ne porte désormais plus seulement sur l’efficacité des
politiques mais sur leur légitimité même ?
En d’autres termes, si l’on assiste à un retour du populisme, n’est-ce pas tout simplement parce que, semblable au
ressac de l’océan, le peuple exclu de facto d’une politique qui lui reconnaît pourtant de jure la souveraineté, vient
demander des comptes à ses gouvernants au sujet de ce hiatus ? C’est à répondre à ce hiatus et à le résoudre que
devront s’atteler les politiques d’aujourd’hui et de demain. Là est la véritable mise en demeure du politique par le
populisme.

Document 2 J. CAGE, « Notre démocratie ne représente plus que les riches »,


Revue Projet, 2020/5, n° 378, pp. 31-33
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- En quoi le financement des partis politique influe sur leur représentativité ?
- En quoi le système de financement français favorise certains partis et le représentation de certaines classes
sociales ?
- Que pensez-vous de la proposition faites par l’auteure ?

En quoi le problème de la représentativité est-il lié au financement de notre démocratie ?


Julia Cagé – Deux exemples peuvent nous éclairer. Tout d’abord, celui du Parti travailliste au Royaume-Uni. Créé
par des syndicats, il a été principalement financé par eux durant plusieurs décennies. Pendant toute la seconde moitié
du XXe siècle, en moyenne 40 % à 50 % des élus du parti étaient issus des catégories populaires. Au tournant des
années 1990, Margaret Thatcher a fait passer des réformes pour faire en sorte qu’il soit plus difficile pour les syndicats
de financer le Parti travailliste, puis Tony Blair a mis en œuvre une politique favorisant les dons privés. Par quoi cela
s’est-il traduit ? D’une part, par une augmentation des dons provenant d’individus riches et d’entreprises et, d’autre
part, par un effondrement des représentants
issus des classes populaires. Tant que le parti était financé par les syndicats, on voyait ces représentants qui
progressaient au sein du parti. À partir du moment où les sources de financement ont évolué, les origines des
membres ont suivi.
Le cas de la France est tout aussi intéressant. Grâce aux limitations des dépenses et des dons, ainsi qu’au
remboursement des frais de campagne, nous avons l’impression d’avoir mis en place un système démocratique au-
quel tout le monde pourrait participer. Mais regardons ce qui se passe pour une élection municipale dans une ville
moyenne. Si vous souhaitez être candidat·e et surtout être en mesure de faire campagne, il vous faudra avancer – car
le remboursement n’est pas une avance – entre 15 000 € et 20 000 € environ, avec le risque de ne pas être remboursé
si vous obtenez moins de 5 % des voix au pre mier tour. Si vous faites partie des catégories les plus favorisées, vous
pouvez avoir mis cet argent de côté et donc être prêt à prendre ce risque. D’autant que votre banquier vous prêtera
facilement cette somme. Si vous êtes remboursé, il ne s’agit que d’une utilisation ponctuelle de votre épargne. Mais
si vous êtes dans une situation précaire ou simplement n’avez qu’un petit salaire, il y a peu de chances que vous ayez
la somme nécessaire et aucune que votre banquier vous accorde un prêt. Et, même dans ce cas, accepteriez-vous de
prendre ce risque ? La sélection ne se fait pas seulement au niveau des élus mais dès la campagne, où les candidats
ne sont pas à l’image des citoyens, et ce d’autant plus que la ville est de taille importante, du fait même des modalités
de financement de la vie politique. Et on retrouve cela à n’importe quel échelon électoral.
En France, il est interdit pour un parti politique de recevoir de l’argent provenant d’entreprises, les dons annuels
aux partis et lors de campagnes électorales sont limités, les dépenses pour une campagne sont plafonnées... Ce
n’est pas le cas dans de nombreux pays occidentaux. Mais ces mesures semblent loin d’être suffisantes...
J. Cagé – Certes, le financement de la vie démocratique est mieux régulé en France qu’aux États-Unis, et c’est une
bonne nouvelle ! Mais on peut toujours trouver pire ail- leurs ! Les recherches montrent que, même avec des dons
limités à 7500€ par an, il y a une énorme inégalité politique. En analysant toutes les contributions aux partis
politiques et aux campagnes électorales en France en fonction de la distribution des revenus, j’ai montré que ce sont
de facto majoritairement les plus riches qui donnent et, quand ils donnent, ils donnent beaucoup plus que les plus
modestes (voir Encadré). Nous vivons en France dans l’illusion d’une démocratie régulée alors qu’elle donne trop de
poids à ceux qui ont plus de ressources. Dès lors, les élus sont beaucoup moins représentatifs, et cela explique autant
la montée de l’abstention que celle des votes en faveur de l’extrême droite.
Quel système de financement proposer pour pallier ce déficit de représentation ?
J. Cagé – La démocratie a un coût : c’est une bonne chose que les candidats fassent campagne et aillent parler aux
électeurs. Les dépenses n’ont pas besoin d’être aussi illimitées qu’aux États-Unis, où elles se comptent en milliards,

2
mais il est important d’avoir des moyens pour défendre ses idées et faire fonctionner un parti politique. Le point
fondamental de mon dernier livre – et c’est un point commun avec le précédent (Sauver les médias, Seuil/La
république des idées, 2015) – est de se demander qui paie pour ce coût. La démocratie ne doit pas être asservie à
l’argent privé. Et si l’on veut éviter cela, il faut la financer par de l’argent public.
La question est alors celle de la répartition de cet argent public. En France, elle s’effectue aujourd’hui de trois
manières : d’abord, le remboursement des dépenses de campagne ; ensuite, les réductions fiscales associées aux dons.
Leur somme est quasiment équivalente au financement public direct des partis. Or c’est une véritable injustice ! On
donne autant d’argent pour financer les préférences politiques d’un tout petit nombre que pour financer l’ensemble
des partis (voir Encadré). Et, troisièmement, il y a le financement direct des partis politiques. Système problématique
car il dépend des résultats obtenus aux dernières élections législatives. Tout parti qui émergerait entre deux élections
législatives n’aura le droit à aucun financement public direct. Mais la vie politique est-elle figée par intervalles de
cinq ans ?
Le système est donc complètement inadapté. L’enjeu est de rendre le financement égalitaire – pas de réduction
fiscale, le même financement public pour chaque citoyen – et dynamique, en annualisant le financement direct des
partis. Si, demain, un nouveau mouvement politique se crée et que des citoyens ont envie de lui apporter leur
soutien, il pourra ainsi bénéficier d’argent public, sans attendre les prochaines élections législatives aux- quelles il se
présenterait sans argent public. À partir de ces deux contraintes essentielles, j’ai imaginé un système de financement
public des mouvements politiques : les « bons pour l’égalité démocratique » (BED). Chaque année, 7 € d’argent
public seraient donnés à tous les citoyens que ceux-ci pourraient allouer au mouvement politique de leur choix. Avec
cette somme, on ne dépense pas beaucoup plus que ce qui est utilisé aujourd’hui pour le financement de la vie
démocratique, mais celui-ci serait beaucoup plus juste !
Ces « bons pour l’égalité démocratique » suffiraient-ils pour avoir une Assemblée nationale représentative de la
population française ?
J. Cagé – Aujourd’hui, la crise de la représentation est tellement aiguë qu’il est nécessaire d’aller plus loin. C’est
pourquoi je propose la création d’une « Assemblée mixte » où tous les candidats – dans mon livre, je propose un
tiers, mais je me suis « radicalisée » depuis ! – à l’Assemblée nationale seraient issus de listes socialement paritaires.
D’eux- mêmes, les partis ne donneront pas plus de place aux classes populaires dans leurs rangs si on n’impose rien.
Ce fut le cas pour la pari- té entre les femmes et les hommes. Malheureusement, on doit tordre le bras des partis
pour que leurs pratiques changent.
Un tel changement suppose une prise de conscience citoyenne. Le contexte actuel pousse plutôt au « tous pourris »
et donc à une demande de moins d’argent public pour des politiques qui ne nous représentent pas. Le problème est
que, si on met moins d’argent public, les politiques seront d’autant plus dé- pendants de l’argent privé. Assainir le
financement demande d’assumer que ce le soit par de l’argent public, réparti de manière équitable. Le changement
ne viendra pas de la bienveillance et de la bonne volonté de tel ou tel politique, mais d’une véritable demande des
citoyens.

Encadré :
• En France, les plus riches sont proportionnellement beaucoup plus nombreux à contribuer au financement des partis politiques que
les classes moyennes et populaires.
• Les 10 % des Français aux revenus les plus faibles donnent en moyenne 10 centimes par an aux partis politiques. Les 0,01 % des
Français aux revenus les plus élevés donnent 370 euros.
• Les donateurs parmi les 0,01 % des Français aux revenus les plus élevés touchent en moyenne 3 900 euros d’argent public par an,
contre 73 euros pour les 40 % les plus modestes. Soit 53 fois plus !

Partie 2. Une crise de la démocratie représentative


Document 1 M.-A. COHENDET, « Une crise de la représentation politique ? »,
Cités, 2004/2, n° 154, pp. 41-61 (extraits).
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que la « représentation » ? Quels en sont le ressorts juridiques et politiques ?
- Quels sont les symptômes de la crise de la représentation ?
- Quels sont les causes et les effets :
o Du manque de représentativité des élus ;
o Du mépris pour la politique ?
- Qu’est-ce que la professionnalisation de la vie politique ?
- En quoi la démocratie semi-directe peut être une solution à la crise de la représentation ?
- Quels sont les effets possibles du mode d’élection proposé par l’auteure ?

Dégoût du politique, rejet des politiques, peur de l’Europe, corruption, abstention, votes extrémistes... la démocratie
représentative semble être en crise. En France comme dans la plupart des pays, la démocratie est essentiellement représentative,
même si certains mécanismes de démocratie directe, comme le référendum, permettent de classer notre régime parmi les

3
démocraties semi-directes. Par le mécanisme de la représentation politique, les actes accomplis par les représentants politiques
du peuple lui sont attribués comme s’il les avait adoptés lui-même. En obéissant aux règles adoptées par nos représentants,
nous sommes supposés n’obéir qu’à nous-mêmes. Or le problème est justement que les Français ne semblent plus se sentir
véritablement représentés par les hommes politiques. Leur dédain semble si profond qu’ils ne font bien souvent même plus
l’effort d’aller voter, même quand l’éventail politique dans lequel ils peuvent choisir a été considérablement élargi1. Fort
logiquement, le rejet du politique et l’abstentionnisme profitent largement aux partis extrémistes, et en particulier à ceux qui,
tout en se réclamant d’elle, remettent en cause la démocratie.
Ces problèmes ne sont pas vraiment spécifiques à la France. Bien d’autres pays sont affectés par la corruption, l’abstention, la
montée des extrêmes, en Europe occidentale surtout, mais aussi dans d’autres régions du monde, et cela quel que soit leur
régime politique2. Ils ne sont pas non plus entièrement nouveaux. Cependant, ils sont liés au développement de phénomènes
tels que la crise économique, la mondialisation, le retour du religieux et une crise d’identité 3. Les aspects constitutionnels de
cette crise s’expliquent aussi partiellement par l’évolution de l’organisation et de la pratique des institutions politiques. Mais,
surtout, la nouveauté de cette crise semble résider dans le fait que les citoyens aient, plus que jamais, pris conscience de la
complexité et des limites de la démocratie représentative.
Sommes-nous véritablement en présence d’une « crise » ? Sans doute si l’on entend par là une période difficile, une « situation
tendue, de l’issue de laquelle dépend le retour à un état normal » 4. Cependant, loin des hypothèses pessimistes, on peut
considérer que, s’il y a crise, ce n’est pas une crise affectant l’existence de la démocratie elle-même, mais plutôt une crise
d’adolescence de la démocratie représentative. Avec tout ce que cela comporte d’inquiétant, par la démesure où elle peut
conduire, et de rassurant, puisque c’est un progrès décisif vers l’âge adulte. Car, derrière ces problèmes traduisant un
désenchantement douloureux, on perçoit clairement une crise d’identité, une prise de conscience et une révolte face à la
complexité et aux limites de la démocratie représentative. Or ces phénomènes reflètent essentiellement une plus grande
maturité des citoyens qui, pour la plupart, souhaiteraient non pas une remise en cause de la démocratie, mais une démocratie
plus réelle. Derrière les deux catégories de reproches majeurs généralement formulés contre institutions percent les aspects
essentiels de cette crise. L’incapacité des politiques à changer notre vie tient surtout à une crise de croissance de la démocratie
(I) et la meilleure compréhension des faiblesses de notre démocratie représentative reflète surtout une crise de conscience des
citoyens (II).
(…)

II. – CRISE DE CONSCIENCE, LE LÉVIATHAN DÉVOILÉ


L’élévation du niveau d’instruction de la population renforce (...) la possibilité de critiquer l’action des représentants.
Beaucoup de phénomènes interprétés comme étant symptomatiques d’une “crise de la représentation” sont des conséquences
de cette évolution. »5 Cette crise s’explique donc largement par une prise de conscience des citoyens, qui, notamment à la
lumière de certaines affaires, perçoivent mieux que jamais le caractère relativement fictif de la démocratie représentative et la
nécessité de contrôler les gouvernants. Aussi, la compréhension de ces problèmes (A) comme la recherche de solutions pour
y remédier (B) reflètent une plus grande maturité des citoyens.

A) La fiction de la représentation dénoncée


Synthèse de la liberté et de l’égalité, la démocratie repose sur le principe de l’autonomie des individus. Être libre, c’est n’obéir
qu’aux règles que l’on a soi-même définies. La fiction de la représentation est une exception majeure à ce principe. La doctrine
a depuis longtemps souligné les inconvénients de cette fiction6. Pour Emmanuel Dockès, le mot même de « représentation »
« est à la source de l’un des principaux mythes du droit et de l’une de ses falsifications les plus grossières » 7. « Le Parlement
représente le peuple. Obéir aux lois, dès lors, c’est obéir à nos représentants, c’est encore obéir un peu à nous-mêmes. Le
concept de représentation sauve (...) les apparences. La duperie n’est en pourtant pas moins évidente. » 8 Le concept de
représentation sert surtout à légitimer et à cacher le pouvoir. Le mécanisme juridique de la représentation, par lequel une
personne, le représentant, peut engager le représenté et ainsi créer des obligations à sa charge sans que son consentement soit
requis, est utilisé dans d’autres branches du droit, principalement pour les mineurs et les incapables. Mais, en démocratie, la
théorie de la représentation ne peut guère être justifiée par l’incompétence du peuple. Sa seule justification réside désormais
dans la division du travail9. Cependant, elle risque toujours de conduire à une confiscation du pouvoir des gouvernés, et il est
donc nécessaire que les élus soient réellement contrôlés.
Qu’en est-il sous la Ve République ? « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par
la voie du référendum ». La formulation choisie dans l’article 3 de la Constitution est ambiguë en ce qu’elle se réfère à deux
conceptions de la souveraineté radicalement opposées. D’un côté, la théorie de la souveraineté nationale, développée par
Siéyès, dont il résulte que les élus représentent la nation tout entière et non pas le peuple et qu’ils peuvent donc ne pas être
élus au suffrage universel direct, exercer un mandat long et non impératif, et n’être guère contrôlés par leurs électeurs. De
l’autre, la théorie de la souveraineté populaire, prônée par Rousseau et selon laquelle la démocratie devrait être directe10, mais,
puisque toutes les décisions ne peuvent être directement prises par le peuple, l’élection de représentants du peuple est un pis-
aller acceptable seulement si les élus sont considérés comme les commis du peuple : ils émanent nécessairement du suffrage
universel direct, leur mandat doit être court, il peut être impératif, et ils doivent être étroitement contrôlés par les électeurs
En pratique, exception faite du référendum, c’est plutôt la thèse de la souveraineté nationale qui s’impose aujourd’hui en
France. Cela se traduit à la fois par un manque de représentativité des élus et par un contrôle très insuffisant sur leur activité.
Il existe tout d’abord un fossé entre les représentants des représentés. Pour Daniel Gaxie, on observe clairement une division
du travail politique entre « spécialistes » et « profanes ». « Toutes les enquêtes d’opinion confirment cette situation d’extériorité

4
de ceux qui sont pourtant, officiellement, des citoyens dotés d’une parcelle de souveraineté. Seule une minorité d’hommes et
de femmes – autour de 15 % des personnes de plus de 15 ans – se déclare “beaucoup” intéressée par la politique (...) et la
probabilité d’accorder de l’intérêt aux questions politiques s’accroît régulièrement avec le niveau d’instruction et la position
sociale. La moitié environ de la population est par contre à peu près totalement indifférente aux questions socialement définies
comme “politiques”, et les autres, autour de 35 % de la population, se situent à des niveaux intermédiaires d’implication. » 11
Ainsi, le champ politique se trouve constitué en « milieu séparé » et est porté à se replier sur lui-même. C’est la « compétence
proprement politique qui fonde la supériorité des représentants à l’égard de leurs “mandats”. (...) La division du travail crée
la spécificité qui fonde l’autorité » 12. Cela conduit à des situations assez paradoxales. Les citoyens votent pour des hommes
politiques très différents d’eux, à raison de leurs compétences spécifiques, mais en même temps ils se sentent éloignés de cette
classe politique qui n’est pas à leur image. La professionnalisation de la politique accroît la distance entre représentants et
représentés, surtout pour les plus démunis, qui s’identifient difficilement à l’élite politique et qui s’en remettent d’autant plus
aux élus qu’ils ne se sentent pas en mesure de les contrôler 13. Cela se traduit en outre par une vision parfois très différente
des choses entre représentants et représentés. Par exemple, les députés sont beaucoup moins intéressés par la protection de
l’environnement et conscients de la gravité de la situation dans ce domaine que ne le sont les citoyens 14.
Durant ces dernières années, le mépris pour la politique a surtout été déterminé par les déceptions du fait de l’impression
d’absence de grands changements à la suite des alternances et par les « affaires ». De fait, notamment depuis la chute du mur
de l’Est, le clivage gauche-droite a semblé s’estomper, au moins jusqu’à une période récente 15. Depuis le milieu des années
1980 en France, les partis ne présentent plus de programme très précis et clairement marqué à gauche ou à droite, mais plutôt
de grandes orientations visant à recueillir les voix du centre, ce qui accentue ce sentiment. Surtout, la première cause de
l’abstention réside dans le fait que les électeurs n’ont « pas confiance dans les hommes politiques en général ». Tel est en effet
la première cause invoquée par les abstentionnistes (42 % en moyenne, 50 % chez les ouvriers et employés et 69 % chez les
électeurs de J.-M. Le Pen en 200216). Cependant cette opinion est différente pour l’ensemble de la population, car 68 % des
Français désapprouvent les critiques du FN contre la classe politique. Les relations des Français avec leurs représentants sont
riches de paradoxes, et notamment sur ce point. Ils critiquent la corruption des hommes politiques, et pourtant il leur arrive
de réélire des candidats dont la corruption a été établie. Et, surtout, c’est au moment même où la corruption est enfin
sanctionnée en justice – du moins dans un certain nombre de cas – qu’ils manifestent la plus grande défiance pour les élus.
De fait, la corruption des politiques n’est pas un phénomène nouveau17, pas plus que sa dénonciation, et c’est plutôt la
sanction d’une partie de ces affaires qui a montré l’ampleur du problème et suscité des réactions de rejet. S’il est difficile de
mesurer précisément l’évolution de la corruption sous la Ve République, puisque jusqu’à ces dernières années beaucoup
d’affaires ont été étouffées, il paraît au moins évident que le général de Gaulle ne serait pas resté inactif si son entourage avait
été impliqué dans des affaires de ce type et on le voit mal cherchant à se soustraire à la justice. Il est assez logique que les
Français soient dépités lorsque le chef de l’État peut en même temps faire de la « tolérance zéro » le credo de sa politique et
être pratiquement intouchable aussi longtemps qu’il siège à l’Élysée. Ni la décision d’un Conseil constitutionnel alors composé
de cinq anciens ministres sur neuf membres, ni celle de la Cour de cassation, ni non plus la position de la Commission
présidée par Pierre Avril, dont tous les membres ont été choisis par le Président lui-même, n’ont pu faire disparaître l’image
d’irresponsabilité qui affecte désormais gravement la fonction présiden-tielle18. Plus, même, ces décisions ont pu conforter un
sentiment d’isolement d’une classe intouchable. Elles restent marquées par une interprétation curieuse et difficilement
acceptable des principes d’égalité des citoyens devant la loi et de séparation des pouvoirs 19. De surcroît, tandis que
responsabilité pénale de la plupart des membres des exécutifs a été accrue ces dernières années, le président de la République
fait exception20.

B) La quête d’une démocratie renouvelée


Le mythe de l’unité du peuple et les phénomènes les plus choquants de cette crise ne doivent pas déformer notre vision de la
réalité. Il n’y a pas une mais des contestations de nos institutions. Ainsi, en fonction des idées, souvent assez liées à l’origine
socioprofessionnelle, au niveau culturel ou à l’âge, les causes et les manifestations de cette crise sont très diverses. Ainsi,
l’abstention est particulièrement forte chez les personnes défavorisées. Au premier tour des élections législatives de 2002, le
taux d’abstention est de 35,5 %, mais il s’élève à 44 % chez les ouvriers, atteint 59 % chez les chômeurs 21. Par ailleurs, ce taux
est deux fois plus élevé chez les jeunes que chez les plus de 50 ans 22.
La contestation de notre démocratie représentative et la recherche de voies nouvelles pour l’expression politique se font
aujourd’hui principalement dans trois directions : la remise en cause de la démocratie, la recherche de moyens pour l’améliorer
et la micro-politique.
La première voie est celle de l’extrême droite, dont les idées ont convaincu près d’un Français sur quatre. L’adhésion à ces
idées est surtout importante chez les personnes dépourvues de diplômes et chez les ouvriers, commerçants, artisans et chefs
d’entreprise23. Le discours tenu par ces partis et les actes de leurs sympathisants rappellent parfois l’atmosphère des années
1930 : dénonciation des politiques « tous pourris », montée de l’antiparlementarisme, mépris pour le « droit-de-l’hommisme »,
sexisme, racisme, antisémitisme, actions violentes contre certaines personnes à raison de leur couleur de peau ou de l’origine
de leur nom... La contestation de la démocratie représentative au nom d’une soi-disant démocratie plus réelle vise ici, en fait,
à la négation de la démocratie. L’idéologie d’extrême droite conteste la séparation des pouvoirs et les droits de l’homme pour
leur préférer la toute-puissance de l’État, et remet en cause la vision traditionnelle de la représentation conçue comme un
mandat, un rapport de deux volontés autonomes, pour mieux justifier la souveraineté du Président, figure moderne du prince
absolu, censé incarner l’unité du peuple dans l’État 24. Ces idées restent cependant minoritaires, puisque 70 % des Français
considèrent que le FN représente un danger pour la démocratie25.

5
La deuxième voie est, au contraire, celle d’une amélioration de la démocratie 26.
Les propositions faites en ce sens visent d’abord à accroître la participation du peuple au pouvoir normatif. Faut-il aller jusqu’à
remettre en cause la démocratie représentative pour la remplacer par une démocratie directe ? On pourrait en effet, à
relativement court terme, prévoir des débats et des votes par Internet. Cependant la complexité de certaines questions suppose
que l’on y consacre beaucoup de temps, ce qui n’est guère envisageable pour la plupart des citoyens. La démocratie devra donc
rester semi-directe. On peut espérer que la réforme récente sur le référendum local permettra de revivifier cet instrument de
démocratie. Néanmoins, il serait nécessaire que l’on aménage la procédure du référendum afin qu’il ne puisse pas porter
atteinte aux droits de l’homme et que l’on puisse ainsi y recourir beaucoup plus fréquemment, notamment sur initiative
populaire, sans crainte de voir resurgir le césarisme. On évoque souvent le problème du taux d’abstention assez élevé lors de
ce type de consultation, mais il doit être relativisé et l’instauration d’un quorum pourrait éviter les risques que cela comporte27.
Pour lutter contre l’abstentionnisme, qui est important dans la plupart des démocraties contemporaines et qui affecte aussi
bien les élections que les référendums, diverses idées ont été émises. Les réponses les plus satisfaisantes résident évidemment
dans un traitement des causes de l’abstention, en particulier l’écart entre les hommes politiques et les citoyens. Cependant,
on voit aujourd’hui resurgir une idée qui nous faisait sourire, celle du vote obligatoire, pratiqué notamment en Belgique, mais
qui mérite peut-être, cependant, réflexion.
L’amélioration de la démocratie participative passe aussi par le développement de diverses procédures de consultation des
électeurs et des administrés, notamment par des débats, depuis les assemblées de quartier jusqu’au niveau national ou
européen28. Là aussi, quelques progrès ont été faits, par l’instauration de vastes débats sur la charte de l’environnement ou sur
l’école, et, même s’ils peuvent faire l’objet de critiques vigoureuses 29, ils ont au moins l’avantage de rappeler que l’avis des
citoyens est essentiel sur les grandes questions de société et que la démocratie n’est pas la dictature de la majorité mais qu’elle
exige de véritables discussions contradictoires.
L’approfondissement de la démocratie passe aussi par l’exigence d’une meilleure représentativité des élus. D’une manière
générale, certains ont préconisé la généralisation du scrutin à la représentation proportionnelle pour favoriser la multiplication
des partis politiques. Les citoyens pourraient alors élire des candidats plus proches de leurs préoccupations. Mais cela ne
pourrait se concevoir que si l’on modifie nos règles constitutionnelles sur plusieurs points, en particulier d’une part pour
garantir la stabilité gouvernementale et d’autre part éviter que des partis antidémocra-tiques puissent se retrouver arbitres du
jeu politique30. Il est aussi possible de concevoir un aménagement du mode de scrutin qui permettrait aux citoyens de se
prononcer pour un parti et, à l’intérieur de ce parti, plutôt pour telle ou telle tendance 31. D’une manière plus précise, le
manque de représentativité du Sénat a été maintes fois souligné. Comment les Français pourraient-ils se sentir
convenablement représentés dans un pays où la deuxième chambre du Parlement, qui a notamment le pouvoir de bloquer les
révisions de la Constitution, a constamment été dominée par une majorité de droite car son mode de désignation accorde un
poids beaucoup plus important aux voix des électeurs de la France profonde qu’à ceux des villes, au mépris du principe
d’égalité de suffrage et sous le prétexte qu’il représente les collectivités locales 32 ?

Ces propositions visent ensuite à développer le contrôle des citoyens sur les élus. « Le peuple anglais pense être libre, il se
trompe fort ; il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement : sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. » 33
Ces propos de Rousseau n’ont, hélas, pas assez vieilli. Comme il l’avait très justement recommandé, le premier moyen de
renforcer le contrôle des citoyens sur leurs représentants est de prévoir des mandats courts. À notre époque, où tout change
beaucoup plus vite qu’il y a deux siècles, il serait envisageable de réduire tous les mandats à une durée de trois ou quatre ans34.
Il a aussi été suggéré d’instaurer des procédures de recall permettant aux citoyens de révoquer les élus en cours de mandat 35.
D’une manière plus générale, certains ont souhaité que soient développés et améliorés les mécanismes de contrôle des
gouvernants entre eux, ce qui peut en particulier passer par une revalorisation du rôle du Parlement. Il serait ainsi logique
que notre Premier ministre dispose du droit de dissolution pour faire contrepoids à sa responsabilité devant l’Assemblée, alors
que c’est aujourd’hui le président de la République qui dispose seul de ce droit, tandis qu’il est pourtant irrévocable, sauf
haute trahison. En outre, on a montré la nécessité d’envisager la question de la responsabilité non seulement politique mais
aussi pénale du Président pour qu’elle ne soit pas aussi limitée qu’actuellement. Pour certains, le rééquilibrage de nos
institutions passe par la suppression de l’élection du Président au suffrage universel direct 36, voire par l’élection du Premier
ministre directement par les citoyens 37. Il a par ailleurs été suggéré de revoir l’article 16 de la Constitution qui peut lui
permettre d’exercer les pleins pouvoirs et d’étendre les compétences du Conseil constitutionnel pour qu’il puisse contrôler
certains de ses actes. En outre, l’indépendance de certains organes chargés de contrôler les gouvernants pourrait être mieux
garantie, en particulier par leur mode de désignation, notamment pour le Conseil constitutionnel et le médiateur.
L’objet de ces propositions est aussi de rapprocher les représentants des représentés. Une évolution en ce sens serait nettement
favorisée par une interdiction de tout cumul de mandats, maintes fois proposée. Elle aurait notamment pour avantage
d’augmenter considérablement le nombre de citoyens participant réellement à la vie politique et permettrait ainsi une
diversification sociologique des représentants, notamment en favorisant l’accès des femmes à la vie politique.
Enfin, les citoyens ne peuvent se sentir représentés que s’ils peuvent comprendre le fonctionnement des institutions et le rôle
de leurs représentants. Or cela suppose d’une part une clarification de l’organisation des institutions, et sur ce point le projet
de « Constitution » de l’Union européenne est encore loin d’être pleinement satisfaisant, et d’autre part un véritable
apprentissage de la démocratie à partir de l’école primaire. Il passe non seulement par une connaissance sérieuse de nos
institutions mais aussi par la pratique du débat, du vote et des responsabilités au sein même de l’école. Enfin, si l’audimat
avait moins d’influence sur le choix des programmes télévisés, on pourrait espérer qu’une plus large part soit accordée à des

6
émissions d’information politique de qualité. Toutes les enquêtes le montrent, l’abstention et le rejet du politique sont souvent
liés au niveau socioculturel.
La troisième voie est celle de la micro-politique. De plus en plus, des citoyens qui se sentent complètement démunis, désarmés
dans un monde sur lequel ils ont difficilement prise, vont chercher et trouver dans des actions concrètes et ponctuelles un
moyen d’exister politiquement, de faire quelque chose pour faire progresser la société. C’est surtout autour de la protection
de l’environnement que ce mode d’action politique a commencé à se développer. Ainsi, des mouvements qui ont eu lieu au
Larzac, des interventions de Greenpeace contre le nucléaire, des occupations de locaux pour le droit au logement, ou contre
des fermetures d’usines, des actions de José Bové contre les OGM ou de la mobilisation d’Attac pour la taxe Tobin. Ce
phénomène se développe dans de nombreux pays, particulièrement au Japon pour la protection de l’environnement et des
consommateurs38, aux États-Unis, ou en Afrique pour des projets de développement. Est-ce une régression, un retour aux
Jacqueries, à des luttes relevant exclusivement d’une révolte ponctuelle et dénuées de toute structuration politique ?
Certainement pas, ou pas seulement. Il s’agit de moyens très efficaces pour renouer le lien politique. Loin d’être une simple
remise en cause des institutions, ils constituent souvent des moyens d’agir en dehors des cadres existants, mais pour rétablir
un dialogue avec eux, pour les contraindre à s’engager concrètement sur des problèmes précis. En outre, ces mouvements
conduisent à créer, fédérer ou conforter les associations qui se forment autour de ces projets et elles sont souvent un premier
pas vers une meilleure connaissance du monde politique. Elles réunissent des individus « électrons libres », des associations,
parfois des sociétés privées, des collectivités locales, voire des représentants de l’ONU39. Ce type d’action politique ne remplace
pas la démocratie représentative, pas plus qu’il ne la remet en cause, il est plutôt un aiguillon pour stimuler l’action des
représentants du peuple.
Ainsi, cette crise est liée à l’évolution de nos institutions et à la pratique du pouvoir politique. Elle montre que les citoyens
ont notamment pris conscience du caractère factice de la représentation politique et elle semble révéler qu’une évolution de
nos institutions et de leur pratique serait nécessaire. Si des mesures ne sont pas prises pour améliorer notre démocratie, en
particulier par la participation des citoyens aux décisions politiques et par un contrôle plus étendu sur les élus, il est possible
que cette crise continue à s’aggraver. En l’état actuel des choses, on peut espérer qu’il s’agit simplement d’une sorte de « crise
d’adolescence » de la démocratie représentative, qui aboutira bientôt à la maturité et au renforcement de la démocratie.

1. Ainsi, à l’occasion des élections législatives des 9 et 16 juin 2002, où le taux d’abstention a atteint 35,59 % au 1er tour et 39,68 % au second tour, alors
que les électeurs avaient le choix entre 22 familles politiques au 1er tour et 13 au second. Ces chiffres très élevés s’expliquent cependant en partie par le
contexte spécifique de cette élection : rejet de la cohabitation et présence de l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle le 5 mai 2002.
2. L’abstentionnisme est important depuis longtemps aux États-Unis (régime présidentiel) et en Suisse (régime directorial), tout comme dans les régimes
parlementaires (pays de l’Union européenne notamment). En revanche, le mode de scrutin semble avoir plus d’incidence sur la présence de partis extrêmistes
: dans la mesure où le scrutin majoritaire à un seul tour contraint au bipartisme, on ne voit pas émerger de manière significative de partis extrêmistes dans
les pays – assez rares – qui ont ce type de scrutin, ainsi en Grande-Bretagne et aux États-Unis.
3. Ces problèmes ne sont évidemment pas spécifiquement constitutionnels. Mais certains d’entre eux s’expliquent au moins partiellement par l’évolution
des institutions ou de la pratique institutionnelle, et ils ont tous une incidence sur la perception des institutions politiques. Il faut donc bien avoir à l’esprit
les interactions constantes entre ces éléments extrajuridiques et les règles de droit constitutionnel pour étudier les problèmes constitutionnels posés par cette
crise.
4. Dictionnaire Larousse.
5. D. Gaxie, La démocratie représentative, Montchrestien, « Clefs/Politique », 2e éd., 1996, p. 152.
6. Pour Rousseau, la loi doit être l’expression de la volonté générale, laquelle ne se représente pas (cf. infra). Pour Tocqueville, cette fiction et l’absence de
contrôle des élus peuvent légitimer un despotisme nouveau, celui de la majorité : « (...) nous avons fait en Europe d’étranges découvertes. La république,
suivant quelques-uns d’entre nous, ce n’est pas le règne de la majorité, comme on l’a cru jusqu’ici, c’est le règne de ceux qui se portent fort pour la majorité.
Ce n’est pas le peuple qui dirige dans ces sortes de gouvernements, mais ceux qui savent le plus grand bien du peuple : distinction heureuse, qui permet
d’agir au nom des nations sans les consulter, et de réclamer leur reconnaissance en les foulant aux pieds. (...) On a découvert de nos jours qu’il y avait dans
le monde des tyrannies légitimes et de saintes injustices, pourvu qu’on les exerçât au nom du peuple » (dans De la démocratie en Amérique, vol. I, IIe partie,
chap. IX, Éd. Garnier-Flammarion, 1981, p. 518 (1re éd., 1835)).
7. E. Dockès, « Le mythe de la représentation juridique », dans E. Dockès et G. Lhuillier (dir.), Le corps et ses représentations, Éd. Litec, 2001, p. 164.
8. Ibid., p. 185.
9. Cf. H. Kelsen, La démocratie, sa nature, sa valeur, présenté par M. Troper, Economica, 1988, spéc. p. 39 s., la 1re éd. en Autriche date de 1920, mais la 2e,
qui est très différente, a été préparée dans les années 1930.
10. « La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la
volonté générale ne se représente point ; elle est la même ou elle est autre ; il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être
ses représentants ; ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle
; ce n’est point une loi » (Rousseau, Contrat social, liv. III, chap. XV). C’est dans ses Considérations sur le gouvernement de Pologne qu’il admettra la nécessité
d’élus, mais qui devront être étroitement contrôlés par le peuple. Duguit souligne que, « malgré l’argumentation logique de J.-J. Rousseau, le gouvernement
représentatif s’est (...) institué dans tous les pays civilisés et l’on admet à la fois l’existence de la souveraineté et la possibilité de sa représentation », dans Leçons
de droit public général faites en 1926, réimpr. Éd. La Mémoire du droit, 2000, p. 218
11. D. Gaxie, La démocratie représentative, Montchrestien, « Clefs, politique », 2e éd., 1996, p. 20. Au 1er tour des élections législatives de 2002, près des trois
quarts des abstentionnistes (71 %) disent que ce scrutin les intéresse peu (41 %) ou pas du tout (30 %), alors que, parmi ceux qui ont voté, 69 % se déclarent
intéressés par ces élections (27 % le sont peu et 4 % pas du tout) ; cf. Le Monde, 15 juin 2002.
12. Ibid., p. 149.
13. Ibid., p. 152.
14. Cf. Pôle intégré de recherche et d’enseignement PROSES, « Les parlementaires et l’environnement », Les Cahiers Science, environnement, société, no 7
; julie.cohen@proses.sciences-po.fr.
15. Notamment aussi sous l’influence du discours de l’extrême droite qui cherche ainsi à se présenter comme étant la seule véritable alternance possible.
16. Cf. Le Monde, 15 juin 2002.
17. Ce problème s’est posé durant toute notre histoire ; il existait déjà notamment dans la Grèce antique, et à l’époque de la Révolution, par exemple en
1795 où Lacharrière notait que, « parmi les directeurs, il y en eut d’intelligents et il y en eut d’honnêtes, mais ce n’étaient pas les mêmes », et dessine un
Barras « trafiquant de tout, tout le temps et avec tout le monde ».

7
18. Pendant des années, il était évident pour la quasi-totalité de la doctrine que la responsabilité du Président pour les actes commis en dehors de l’exercice
de ses fonctions pouvait être engagée devant les tribunaux de droit commun, notamment devant les juridictions pénales. Au regard de cette interprétation,
il est clair que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, la Cour de cassation par son arrêt du 10 octobre 2001, et la Commission
Pierre Avril dans son rapport au Président du 12 décembre 2002, ont adopté, chacun suivant d’ailleurs une démarche différente, une vision du problème
qui conduit à élargir considérablement le caractère « intouchable » du Président durant son mandat, et une révision constitutionnelle a été engagée pour
consacrer cet élargissement dans la version proposée par la Commission Avril. Cf. not. Le statut pénal du président de la République. Rapport au président de la
République, La Documentation française, 2003.
19. Entendu ici comme faisant obstacle à ce que le pouvoir juridictionnel limite les abus de ceux qui détiennent le pouvoir exécutif ; cf. not. M.-A. Cohendet,
Droit constitutionnel, 2002, préc. p. 321.
20. Cf. Vincent L’Hôte, La responsabilité pénale des membres des exécutifs, thèse, droit public, Nancy, 2001.
21. Cf. Le Monde, 15 juin 2002.
22. Au 1er tour des élections législatives de 2002, le taux d’abstention est de 51 % chez les 25-34 ans (contre 46 % chez les 18-24 ans), alors qu’il est toujours
inférieur à 25 % chez les plus de 50 ans (23 % dans la tranche des 50-64 ans et 24 % pour les 65 ans et plus), Le Monde, 15 juin 2002.
23. Cf. l’enquête annuelle de l’Institut TNS-Sofres pour Le Monde et RTL, publiée dans Le Monde du 10 décembre 2003.
24. Cf. la revue Droits, numéro « La représentation », PUF, 1987, not. O. Beaud à propos de C. Schmitt, p. 11 et s.
25. Cf. Le Monde, 10 décembre 2003.
26. Cf. not. les propositions faites par A. Montebourg, spéc. dans le cadre de la Convention pour une VI e République, et le numéro spécial de la Revue du
droit public, « La VIe République ? », LGDJ, 2002 ; O. Duhamel, not. dans Cités, « La France et ses démons », 2002.
27. Ainsi, en Suisse, le taux d’abstention se situe le plus souvent entre 40 et 60 %, cependant il varie considérablement en fonction de l’importance de la
question posée. En France, lors du référendum constitutionnel sur le quinquennat, le taux d’abstention s’est élevé à 69 %, cependant le débat était très
confus et le résultat semblait acquis d’avance (il a été adopté à 73 % des voix).
28. Sur l’émergence d’une citoyenneté administrative, cf. G. Dumont, La citoyenneté administrative, thèse, droit public, Paris II, 2002.
29. La multiplication des débats récemment, dans des cadres très divers comme au sein des entreprises, dans l’école ou sur la scène publique, peut être une
simple stratégie visant à donner l’illusion d’un pouvoir de décision à ceux qui participent à ces discussions, alors même que le contenu de la décision est
arrêté très librement par ceux qui les ont organisés. Il s’agit donc d’un processus de légitimation du pouvoir qui peut, dans certains cas, frôler l’escroquerie
intellectuelle.
30. Il conviendrait, sur ces points, de s’inspirer de l’exemple allemand en ce qui concerne le mécanisme de la défiance constructive et le contrôle du caractère
démocratique des partis par la Cour constitutionnelle.
31. Il serait nécessaire de trouver un aménagement de ce principe qui permette d’éviter les inconvénients qui ont justifié son abandon au Japon – à savoir,
un factionnalisme exacerbé.
32. Ainsi, Jean Granger souligne que, « immuablement depuis 1959, celui-ci est dominé par une majorité RPR-UDF-centriste, atteignant 72,6 % en 1989 et
toujours supérieure de 10 à 20 points de pourcentage aux résultats qu’elle obtient dans les consultations générales au suffrage universel direct », et il démontre
bien le caractère inégalitaire de cette représentation, non seulement entre les citoyens mais encore entre les collectivités locales, dans « Sénat », dans O.
Duhamel et Y. Mény (dir.), Dictionnaire constitutionnel, PUF, 1992, p. 968. La réforme adoptée par la loi organique et la loi du 30 juillet 2003 ne modifiera
pas cette situation de manière substantielle, et l’on peut noter que, si le Conseil constitutionnel a eu l’audace de dénoncer le maintien de certaines disparités
géographiques, il n’a pas eu le courage de les sanctionner (décision no 2003-475 DC du 24 juillet 2003, 4e à 8e considérants).
33. Rousseau, Contrat social, liv. III, chap. XV.
34. Rappelons qu’à l’époque révolutionnaire les mandats duraient un à deux ans, aux États-Unis aujourd’hui la Chambre des représentants est élue pour
deux ans, et en Suède les députés sont élus pour trois ans (il s’agit cependant d’un des régimes de l’UE dans lesquels la stabilité gouvernementale est la plus
grande, alors même que c’est le plus parlementariste de tous).
35. Ce type de procédure existe notamment dans certains États des États-Unis au Japon et en Roumanie. En Autriche, il permet au peuple de trancher un
éventuel désaccord entre le Président et la majorité parlementaire : si le peuple se prononce pour les parlementaires, le Président doit démissionner et dans
le cas inverse l’Assemblée est dissoute. Il n’a jamais été utilisé et cependant il est efficace car il s’agit d’une arme dissuasive.
36. Ainsi pour les auteurs de la Convention pour la VIe République.
37. En ce sens, J.-M. Donegani et M. Sadoun, Le Monde, 6 mai 2002.
38. Des actions de ce type ont commencé à se développer au Japon pour faire reconnaître et indemniser les victimes de pollutions comme à Minamata, et
elles peuvent être aujourd’hui d’une très grande efficacité, par exemple pour s’opposer à la construction d’un aéroport. On n otera aussi l’efficacité du
mouvement des ménagères.
39. Ainsi certaines actions de l’ONU en matière d’environnement ; cf. M. Sancy, « Accès aux services essentiels, développement du rable et droits de
l’homme », communication au Colloque Environnement et renouveau des droits de l’homme, Université du Littoral, 20-21 novembre 2003, dont les actes sont à
paraître

Document 2 M. WINOCK, « Une VIème République ? », Le débat, 2016, n° 4,


pp. 38-43
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que la « classe politique » ? Quelles en sont les caractéristiques ? Quels problèmes cela pose ?
- Quels seraient les effets bénéfiques de l’introduction du scrutin proportionnel proposé par l’auteur ?
- Quels sont les causes de déséquilibre des pouvoirs sur la 5 ème République ?
- Citez les articles de la Constitution qu’il faudrait « respecter à la lettre » pour rééquilibrer les pouvoirs ?
- En quoi le référendum serait une solution à la crise de la représentation ?

Le problème de la représentation
Les enquêtes d’opinion ont révélé un écart croissant entre le personnel politique, « ceux qui nous gouvernent », et
ce qu’il est convenu d’appeler le « peuple souverain ». Tout se passe comme si une classe politique s’était constituée
à part, reproductible dans ses caractères généraux : anciens élèves des grandes écoles, à commencer par l’ENA ;
anciens assistants parlementaires ; professions libérales, fonctionnaires… Absence à peu près complète de
parlementaires issus des classes populaires (ouvriers et employés) qui constituent la majorité de la population active.
Absence ou autant vaut de représentants des minorités issues de l’immigration. Faible présence des femmes, malgré
la loi de parité.
Par ailleurs, la représentation politique est déformée par la quasi-exclusion du Front national, devenu le deuxième
et peut-être le premier parti de France, du Parlement. Est-il encore possible, au nom de la « défense républicaine »,

8
d’interdire la représentation de ce parti, qui, du reste, tire de cette interdiction un argument politique, la fermeture
d’un système réservé aux « élites » ?
Ces anomalies amènent à se poser la question du mode de scrutin.
Personnellement, j’ai longtemps défendu le scrutin uninominal. Initié à la politique sous la IVe République,
caractérisée par l’instabilité ministérielle, j’ai cru discerner dans le scrutin uninominal à deux tours un instrument
de stabilité, propre à favoriser un dualisme régulateur de la vie politique. Je n’en suis plus du tout certain. Il est
notable que, sous la IIIe République, qui était revenue au scrutin que l’on appelait « scrutin d’arrondissement », cher
à Alain, ce scrutin n’a nullement empêché l’instabilité. Rétabli pour les élections de 1928, il n’a pu faire obstacle à
la succession de vingt-huit cabinets ministériels de 1928 à 1940. La fragilité politique de la III e République avait
certainement d’autres causes.
Sans doute serait-il erroné, comme le réclament certains, d’établir un scrutin proportionnel intégral, au risque de
l’ingouvernabilité. En revanche, instaurer une dose appréciable de proportionnelle, à l’exemple du modèle allemand,
adapté aux conditions françaises, créerait une ouverture dans la représentation.
À cette mesure, il conviendrait d’ajouter, afin d’assurer un renouvellement du personnel politique, la limitation des
mandats dans la durée. Trois mandats successifs devraient être un maximum. Et, afin d’encourager les candidatures
hors les frontières du cadre professionnel réservé d’aujourd’hui, créer un statut de l’élu, en sorte que le risque
encouru par les membres des professions et des corporations n’offrant aucune assurance sur la réinsertion des élus
en échec de réélection soit aboli.
Ces diverses mesures devraient élargir le spectre de la représentation. Il n’est nullement souhaité que celle-ci soit
l’exacte décalque de la diversité sociale et politique, suivant la logique des quotas, du reste impossible à appliquer.
Mais réduire la distance entre la société civile et la société politique telle qu’on l’observe aujourd’hui s’impose comme
une nécessité.

L’équilibre des pouvoirs


Depuis le vote de la première Constitution, en 1791, la France n’a jamais connu l’équilibre des pouvoirs. Les régimes
qui se sont succédé ont tantôt donné la prédominance à l’exécutif, tantôt au législatif, sans parler d’un pseudo-
pouvoir judiciaire jamais indépendant.
Notre pays a été gouverné par le haut sous les régimes monarchiques et bonapartistes ou bien, sous les républiques,
par des régimes d’Assemblées exerçant un pouvoir, non seulement de contrôle, mais d’empêchement sur l’exécutif.
Par réaction contre le Second Empire, la tradition républicaine inaugurée par le président de la République Jules
Grévy, après les derniers assauts des monarchistes, a concentré le pouvoir politique dans le Parlement, par ailleurs
structurellement divisé. Comme le notait Léon Blum, l’absence de grands partis organisés et disciplinés a
durablement affaibli le régime parlementaire. De là s’est ensuivie une fragilité congénitale des Républiques françaises
jusqu’en 1958.
La guerre d’Algérie, après tant d’autres épreuves, a éclairé d’une lumière crue l’incapacité de la IV e République de
faire face à l’événement et, lorsque sa remise en cause eut lieu de manière dramatique avec la crise du 13 Mai, son
incapacité même de se défendre. La formule selon laquelle la République gouvernait mal, mais se défendait bien,
avait été une réalité au cours de la crise boulangiste ou après le 6 février 1934, mais elle est devenue lettre morte au
lendemain de l’insurrection d’Alger.
C’est ainsi que la Ve République, à l’inverse de la tradition républicaine, a retourné le déséquilibre des pouvoirs en
faveur de l’exécutif, incarné par le président de la République, élu à partir de 1965 au suffrage universel. La
Constitution de 1958 avait maintenu l’existence d’un chef de gouvernement appelé Premier ministre qui, selon les
articles 20 et 21 de la Constitution, avait la charge de déterminer et de conduire la politique du pays, disposait de
l’administration et était responsable devant l’Assemblée nationale. Ce n’était qu’un faux-semblant, car le vrai
gouvernement, comme l’a admis explicitement le général de Gaulle, était dirigé par le Président – un Président
irresponsable tout au long du septennat puis du quinquennat, tout en faisant du Premier ministre un exécutant,
disposant de lui à sa guise. D’où le constat qui s’est imposé que la France était désormais sous l’autorité d’une
« monarchie élective ». Or, ce qui était tolérable, et peut-être nécessaire, au temps du drame algérien et des
nombreuses secousses qu’il engendrait apparaît aujourd’hui comme un abus au regard des principes démocratiques.
De surcroît, alors que de Gaulle lui-même avait su ressourcer sa légitimité par l’usage du référendum, assimilé à une
question de confiance posée aux électeurs (et que l’on dénonça comme un plébiscite), ses successeurs, sans rien
changer fondamentalement à la « surpuissance » présidentielle, n’ont même pas usé de cet instrument pour corriger
leur irresponsabilité constitutionnelle. Tout procède du pouvoir présidentiel et toute la vie politique française est
organisée autour de la conquête de l’Élysée.
Le rééquilibrage des pouvoirs est devenu un impératif d’autant plus évident que les derniers Présidents n’ont guère
été capables d’inspirer la confiance des citoyens. Leur inefficacité s’est révélée proportionnelle à leur puissance
théorique. On peut regretter que l’alternance de 1981 et l’arrivée de la gauche au pouvoir n’aient pas conduit le
président François Mitterrand, le censeur du « coup d’État permanent », à respecter les articles de la Constitution
qui limitaient le pouvoir présidentiel et donnaient au Premier ministre, responsable, lui, devant le Parlement, une
autonomie plus conforme aux principes démocratiques. Au fond, il suffirait de respecter la lettre de la Constitution
présente pour assurer le rééquilibrage souhaité, qui affecterait au Président des responsabilités définies, tout en étant
toujours élu au suffrage universel, comme c’est le cas de nombreuses républiques européennes sans hyperpuissance

9
présidentielle. Un septennat non renouvelable le dispenserait de toute préoccupation de réélection et lui permettrait
de s’arracher aux actions à courte vue.
L’équilibre des pouvoirs concerne aussi la Justice. Un véritable pouvoir judiciaire, indépendant, qui n’a jamais existé
en France (la Constitution parle d’une « autorité judiciaire »), est à créer. La réforme du Conseil supérieur de la
magistrature de 2008 a été un premier pas, mais insuffisant. De son côté, le parquet est trop proche du pouvoir
exécutif – comme l’a estimé, du reste, la Cour européenne en 2010.

La participation
La participation des citoyens à l’élaboration des grandes décisions est un vœu général. Les régimes républicains ont
été jusqu’ici des « démocraties gouvernées », selon l’expression de Georges Burdeau. Les élections avaient pour but
de déléguer la souveraineté populaire pour le temps d’une législature à des représentants pourvus d’un blanc-seing.
Ici encore, il importe de réduire l’écart entre gouvernés et gouvernants, de se rapprocher des idéaux de la « démocratie
gouvernante ». Paul Ricœur en a défini le principe : « Par rapport au pouvoir, je dirai que la démocratie est le régime
dans lequel la participation à la décision est assurée à un nombre toujours plus grand de citoyens. C’est donc un
régime dans lequel diminue l’écart entre le sujet et le souverain. »
Un certain nombre de procédures sont à envisager, parmi lesquelles doit être reconsidéré l’usage du référendum. La
réforme constitutionnelle de 2008 a posé le principe du référendum d’initiative populaire, mais en lui fixant des
conditions qui le rendent impraticable. S’agit-il, du reste, d’un référendum d’initiative populaire puisque son
utilisation est soumise à l’approbation d’un cinquième des parlementaires ? De plus, cette « initiative » doit
rassembler plus de quatre millions de signatures, ce qui est à peu près irréalisable. Enfin, à supposer l’entreprise
possible, elle ne donne droit qu’à ce que le Parlement débatte de la pertinence de la question posée. Ces entraves
ont eu pour effet, depuis cette réforme de 2008, l’absence de mise en œuvre de toute proposition d’initiative
populaire. Il serait donc souhaitable de rendre effective celle-ci par une révision des conditions relatives à sa
faisabilité. Il va de soi que toutes les précautions doivent être prises pour que chaque proposition d’initiative
populaire soit conforme à la Constitution : c’est le rôle du Conseil constitutionnel d’y veiller.
L’usage du référendum en France, de manière générale, a mauvaise réputation car il reste marqué par la tradition
bonapartiste et plébiscitaire. Mais l’exemple de la Confédération helvétique nous montre la voie d’une utilisation
démocratique de cette procédure, qui implique les responsabilités de l’électeur en dehors des échéances électorales
ordinaires. De plus, le référendum peut être pratiqué dans des cadres géographiques et administratifs plus restreints
que le cadre national. Le référendum d’initiative municipale, départementale ou régionale pourrait donner droit à
une résolution des conflits plus ou moins violents. La consultation des électeurs du département de la Loire-
Atlantique sur le bien-fondé de la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes indique une direction à
suivre. Cette consultation a donné lieu à des contestations qui sont parfois fondées, en particulier sur la base
électorale, en l’occurrence trop limitée, dans la mesure où un transfert d’aéroport ne concerne pas uniquement les
habitants d’un seul département. Peut-on admettre, néanmoins, qu’il s’agit d’un rodage et que cette procédure, en
améliorant les conditions de sa mise en forme, est à retenir ? Pareil scrutin devrait être précédé d’un véritable débat
public et médiatique au cours duquel les parties opposées auraient toute possibilité de soutenir leurs thèses, avant
que les électeurs, désormais informés, puissent être en mesure de peser le pour et le contre.
D’autres moyens de participation sont envisageables, que l’existence de la « toile » rend désormais possibles : les
pétitions, les jurys citoyens et autres instances de contrôle… Ils ne sont pas sans danger, mais la question est ouverte.
La libre discussion sera toujours préférable aux manifestations de rue répétitives, aux violences, au décri d’un
personnel politique et d’un gouvernement qui légifèrent « loin du peuple ».
L’une des causes de la crise de confiance vient de notre système partisan et syndical. Le parti et le syndicat sont, en
démocratie, les instances intermédiaires organiques qui, aujourd’hui, ne jouent plus leur rôle. Les partis sont devenus
des machines électorales, et non plus des instances de débat. Les militants se raréfient et les adhérents sont en priorité
des candidats ou de futurs candidats à des postes. Ils contribuent à la pire professionalisation de la politique et ne
sont plus des organes de réflexion et d’action militante. Les syndicats, eux, sont trop nombreux, sans effectifs, divisés
et n’exercent que rarement leur rôle de « partenaires sociaux », dont la raison d’être est la négociation ; et la pratique,
celle du compromis. Des raisons historiques expliquent ces divisions et ces faiblesses, mais on ne peut s’y résigner. Il
va de soi que la nécessité du dialogue social n’incombe pas uniquement aux seuls syndicats. L’État centralisé,
énarchisé, postgaullien a toujours du mal à élaborer sa politique sociale par la concertation. De là résulte un face-à-
face émaillé de crises répétitives, d’incompréhensions durables et d’accusations réciproques qui donnent raison aux
pourfendeurs de la « société bloquée ».
Nous ne changerons pas cet état de fait du jour au lendemain : nous ne sommes ni des Suédois ni des Allemands.
Notre histoire est conflictuelle en permanence, nos conflits idéologiques se reproduisent en se renouvelant, nous
n’avons pas la bosse du compromis. Toutefois, s’il est un préalable, à mon sens, à tout essai de réalisation
consensuelle, c’est bien par l’abattement du mur qui sépare aujourd’hui citoyens et élites politiques. Le débat doit
s’ouvrir sur les moyens d’y parvenir.

10
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 9 : La crise de la démocratie en France 2 :


La séparation des pouvoirs malmenée

Table des matières


Partie 1. Une nouvelle séparation des pouvoirs ? Politique, bureaucratie et expertise .................................................... 0
Document 1 J. CHEVALLIER, « La place de l’administration dans la production des normes », Droit et société,
2011, n° 3, pp. 623-636 (extrait) ............................................................................................................................................................ 1
Document 3 A. VIALA, « Le macronisme ou le spectre de l’épistocratie », Le Monde, 18 octobre 2017 ..................... 4
Document 4 COLLECTIF, « Macronisme : "La haute administration, le véritable parti présidentiel"», Le Monde,
21 février 2018 6
Partie 2. Limites et renouveau du contrôle parlementaire ............................................................................................... 7
Document 1 CONSEIL D’ÉTAT, Étude annuelle 2020 - Faire de l’évaluation des politiques publiques un véritable
outil de débat démocratique et de décision, La Documentation Française, Paris, 2020, extraits. .......................................... 7
Document 2 M. JORDA & J.-M. SUEUR (Au nom de la commission des lois du Sénat), Rapport d’enquête sur
« l’Affaire Benala », 20 février 2019 (extrait).................................................................................................................................. 11

Notions à maîtriser :

Démocratie, Politique, Technocratie, Bureaucratie, Administration, Exécutif, Évaluation, Contrôle, Contrôle


parlementaire, Séparation des pouvoirs
Partie 1. Une nouvelle séparation des pouvoirs : Politique,
bureaucratie et expertise
Document 1 J. CHEVALLIER, « La place de l’administration dans la production
des normes », Droit et société, 2011, n° 3, pp. 623-636 (extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Quelle est la différence entre la rationalité politique et la rationalité démocratique ?
- A quoi ou qui l’administration est censée être subordonnée ? Pourquoi ? Comment cette subordination se
manifeste ?
- Quels sont les facteurs et les manifestations de l’émancipation de l’administration ?
- Quelle est la définition, quelles sont les sources et quels sont les effets de la « fonction de représentation »
de l’administration ?
- Quels sont les moyens d’influence de l’administration sur les choix politiques ?
- Expliquez la notion de « représentations forgées par les services » et leur rôle.
- Avec qui l’administration interagit ?
- Comment le personnel politique pèse sur le processus décisionnel ?

L’administration entretient un rapport singulier au droit : elle n’est pas en effet seulement assujettie au droit, qui
pèse sur elle comme contrainte, mais intervient encore de manière active dans la production normative. Cette
intervention passe par deux voies essentielles : d’une part, l’édiction des textes destinés à assurer la mise en œuvre
des normes de niveau supérieur (lois et décrets) ; d’autre part, la participation à l’élaboration de ces normes elles-
mêmes. Dans les deux cas cependant, son rôle est conçu comme strictement subordonné. Dans le premier, il s’agit
de faire application des normes arrêtées par les détenteurs du pouvoir politique (parlementaires, gouvernants) qui,
seuls, disposent de la légitimité nécessaire pour imposer certaines obligations de comportement : l’administration
est tenue, conformément à la logique de l’État de droit, à une stricte obligation de conformité à ces normes, sous le
contrôle du juge ; celles qu’elle produit ne sont jamais que des normes secondaires, dérivées. Dans le second cas, les
services administratifs sont censés se borner à apporter aux décideurs politiques les éléments d’information dont ils
ont besoin et à assurer la mise en forme des orientations qu’ils ont décidées. Si l’administration intervient dans la
production normative, c’est donc, à première vue, en qualité de simple exécutante, dépourvue de toute emprise sur
son contenu : son rôle serait, en amont d’éclairer les choix du pouvoir politique, en lui fournissant les données
techniques et les informations nécessaires, en aval d’appliquer les décisions prises, en les adaptant aux circonstances
concrètes et aux cas particuliers.
Cette vision est bien évidemment schématique. L’administration dispose tout d’abord bel et bien, sous couvert de
l’application des lois, d’un authentique pouvoir normatif. Celui-ci résulte explicitement de la marge d’appréciation
discrétionnaire que les textes lui reconnaissent. L’extension des responsabilités de l’État a entraîné la modification
du rapport de l’administration à la loi : les lois sont devenues de plus en plus des textes-cadres, fixant certains objectifs
à atteindre, en confiant à l’administration le soin de les préciser en termes de programmes d’action et en lui laissant
toute latitude en ce qui concerne les conditions de leur réalisation1 ; c’est l’administration qui est chargée, à partir
des principes fixés par le législateur, de donner un contenu concret au dispositif.
« Le centre de production du droit » s’est ainsi progressivement déplacé vers l’administration2, qui est devenue la
source essentielle des règles encadrant le jeu social. Plus généralement, l’application des lois et règlements ne saurait
être considérée comme une fonction mécanique et passive : comme l’a souligné Kelsen3, tout organe qui en est
chargé dispose, dans la mesure où il est tenu d’établir le sens des normes qu’il a pour mission d’appliquer, d’un
pouvoir d’interprétation ; et l’activité d’interprétation ne se situe pas seulement dans l’ordre de la connaissance, elle
fait place aussi à la volonté 4. Ce pouvoir se traduit par l’existence d’une « doctrine administrative »5, constituée par
les multiples circulaires6 par lesquelles les services formulent leur interprétation des textes : même si elle n’a qu’une
valeur juridique limitée, l’auteur ne disposant pas d’un pouvoir d’interprétation authentique, la circulaire a bien une
portée normative de fait, dans la mesure où elle influe sur « la lecture du texte » et donc sur ses conditions concrètes
de mise en œuvre7.

Il faut cependant aller plus loin dans la mesure où, par-delà ces circulaires précisant le sens qu’il convient de donner
au texte, les fonctionnaires en charge de l’application disposent eux aussi d’une marge d’appréciation concrète :
l’histoire du droit des étrangers en France a ainsi montré que les fonctionnaires ont pu imposer une interprétation
du droit parfois très éloignée des règles auxquelles ils étaient censés se référer ; cette « magistrature bureaucratique »
aurait été exercée tout autant par les hauts fonctionnaires, à travers l’élaboration de circulaires, que par les agents
intermédiaires utilisant la marge d’appréciation dont ils disposaient, « soit pour se conformer aux exigences de leur
hiérarchie, soit pour imposer leur propre interprétation du règlement » 8. Le droit fait ainsi l’objet d’« usages
stratégiques » de la part des agents de terrain qui n’hésitent pas à utiliser la marge de liberté dont ils disposent pour
faire prévaloir leur propre interprétation des textes 9.

1
Par ailleurs, la participation de l’administration centrale aux processus d’élaboration des lois et règlements lui assure
une emprise de fait sur cette production : les ressources bureaucratiques dont elle dispose ne lui donnent pas
seulement, en effet, la responsabilité de la mise en forme de ces normes de niveau supérieur (I) ; elles lui permettent
aussi de peser sur leur contenu (II).
(…)

II. L’emprise bureaucratique sur la production des normes


Le travail de mise en forme juridique ne saurait être considéré comme un simple travail technique, consistant à
traduire, en suivant la logique et dans le langage du droit, les choix arrêtés par le pouvoir politique. La fonction des
services administratifs ne se réduit pas à un simple habillage juridique : ils disposent bel et bien d’une influence sur
le contenu même des normes. Il ne s’agit pas seulement pour eux de fournir aux décideurs politiques les éléments
d’information dont ils ont besoin, afin d’éclairer leurs choix, et de se borner à rédiger un projet, sur la base des
orientations fixées par les élus : ils exercent une fonction de cadrage, qui conditionne les arbitrages ultérieurs ; mais
cette fonction s’exerce à travers des rapports permanents d’interaction avec les acteurs politiques et sociaux.

II.1. La fonction de cadrage


Avant même d’en assurer la mise en forme juridique, les services administratifs contribuent à la formulation des
problèmes qui seront soumis aux autorités politiques ainsi qu’à la présentation des solutions possibles pour les
résoudre.

1. Concernant la formulation des problèmes, la mise sur agenda suppose non seulement un travail de
problématisation, rendant possible leur traitement, mais aussi un effort de mobilisation, indispensable pour forcer
l’attention des autorités politiques : sur ces deux plans, l’administration joue un rôle essentiel, à la fois en concourant
à l’identification des problèmes et en participant activement au débat concernant l’opportunité de leur inscription
sur l’agenda politique.
Dans cette contribution à la formulation des problèmes, les services administratifs défendent certains intérêts qui
leur sont propres : l’administration est en effet une organisation structurée, formée d’individus et de groupes qui
cherchent à orienter l’action publique dans un sens qui leur soit favorable (sauvegarde des positions acquises,
extension de la sphère d’influence…)33 ; mais ils se font aussi les représentants et les défenseurs de certains intérêts
sociaux34, en devenant par là même de véritables « entrepreneurs politiques ». C’est ainsi qu’en France, le
développement des revendications liées à l’environnement ou à la consommation a été, en partie au moins, le sous-
produit de l’action administrative – soit que l’administration ait soutenu une demande sociale qui était jusqu’alors
marginale (environnement), soit qu’elle soit intervenue directement pour structurer un mouvement qui était faible
et hétérogène (consommation)35. Cette fonction représentative est plus ou moins assumée selon les cas : alors que
les services de l’administration centrale à compétence sectorielle sont amenés à nouer des relations étroites avec le
milieu dont ils ont la charge et portés à relayer son point de vue 36, les autres, et notamment les services
« horizontaux », tels les services juridiques, entretiennent des rapports plus distanciés avec le milieu social, en
adoptant une posture arbitrale ; le fait que le travail de mise en forme juridique soit confié aux services opérationnels,
plutôt qu’à ces derniers, n’est dès lors pas sans incidence, puisqu’il donne aux intérêts sociaux la possibilité de peser
très en amont sur la production des normes, en influant, par administration interposée, sur la perception des
problèmes.

2. Ce travail de problématisation est prolongé par une influence plus directe exercée sur le contenu des normes, à
travers la formulation de solutions. Les fonctionnaires d’administration centrale ne sont pas en effet de simples
exécutants passifs, dépourvus de volonté propre : ils disposent d’un ensemble de ressources qui leur permettent de
peser sur les choix ; la connaissance des enjeux, la capacité d’expertise, le contrôle des sources d’information les
conduisent à assumer des responsabilités non seulement opérationnelles, mais encore d’ordre conceptuel 37. En
charge d’un secteur de l’action publique, les services opérationnels se forgent, au contact des problèmes qu’ils ont à
gérer, une vision des difficultés à résoudre, des mesures à prendre, des réformes à apporter : ils en viennent à
construire au fil du temps une « doctrine d’action », qu’ils s’efforcent de faire endosser par le ministre dont ils
dépendent ; la rédaction des avant-projets de textes qui leur incombe, pour répondre à la commande politique, ne
peut manquer d’être influencée par les cadres d’analyse et les logiques d’action auxquels ils se réfèrent.
On a ainsi pu montrer38 que l’administration centrale du ministère de la Justice constituait un acteur central du
système de décision en matière pénale : elle ne se borne pas à tenir un rôle décisif dans la mise en forme des textes,
mais influe sur les choix qui seront effectués « en sélectionnant les hypothèses qui présideront à la formulation des
solutions » ; et, au sein de cette administration centrale, la « direction des Affaires criminelles » dispose d’une
influence toute particulière, dans la mesure où il lui revient de piloter l’ensemble des processus d’élaboration. Sylvain
Laurens 39 a mis pour sa part en évidence le rôle que la haute fonction publique avait joué, à compter de la fin des
années 1960, dans la « re-problématisation » de la question de l’immigration et dans la mise en avant de l’exigence
de « maîtrise des flux » : la création en 1966 de la « direction de la Population et des Migrations » (DPM) va conduire
à l’émergence d’une « avant-garde administrative », partageant une nouvelle « culture institutionnelle » ; elle se traduit
par la production d’un « dis-cours-maison » prônant la « nécessaire organisation de l’immigration ». Cette grille de

2
lecture, partagée par la « direction de la Réglementation » du ministère de l’Intérieur, va progressivement s’imposer
au cours des années 1970, la suspension officielle de l’immigration en 1974 apparaissant ainsi comme le fruit d’un
« travail de persuasion mené par une série de hauts fonctionnaires auprès du pouvoir politique ».
On pourrait multiplier les exemples qui témoignent du poids des représentations forgées par les services
administratifs dans le processus de production des normes juridiques : la mise en forme des textes n’est pas une
simple opération technique, dépourvue de toute incidence sur leur contenu ; c’est aussi le moyen d’officialiser ces
représentations, en les faisant bénéficier de la force normative attachée aux énoncés juridiques.
Néanmoins, il convient de ne pas surestimer pour autant cette emprise administrative.

II.2. Les rapports d’interaction


La portée du travail de cadrage opéré par les services administratifs doit être exactement mesurée : l’élaboration des
lois et décrets est un processus complexe, qui fait intervenir plusieurs catégories d’acteurs avec lesquels les services
administratifs entretiennent des rapports d’interaction.

1. L’influence exercée par les services administratifs sur le contenu des normes ne saurait être envisagée sans que soit
prise en compte la présence des acteurs sociaux, avec lesquels s’établissent des relations d’échange. Le processus de
mise en forme administrative ne se déroule pas en vase clos : il implique des contacts avec les différents intérêts
sociaux, dans le cadre de procédures formelles de consultation, de procédés plus informels de concertation et de
négociation, ou encore de formules dites de « débat public » 40 ouvrant plus largement le cercle des participants.
L’administration est ainsi confrontée, tout au long du travail de mise au point des textes, à des partenaires,
coopératifs ou revendicatifs, dont la pression conduira à infléchir les intentions initiales41.
Au-delà de ces contacts, les services administratifs nouent des rapports plus étroits d’interdépendance avec les acteurs
sociaux : non seulement ils assument, on l’a vu, une fonction représentative, en prenant en charge la défense de leur
milieu d’intervention, mais encore ils sont conduits à passer des alliances transversales avec certains groupes, d’ores
et déjà présents dans les circuits décisionnels. Les logiques sociale et bureaucratique ne sont pas distinctes mais
entrecroisées : groupes sociaux et services administratifs peuvent avoir les mêmes intérêts à défendre et tendre à
conjuguer leurs efforts ; ces clivages transcendent la ligne de démarcation entre administration et société et traversent
chaque catégorie d’acteurs. L’analyse des politiques publiques a ainsi mis l’accent sur les mécanismes d’interrelations
entre les administrations et les groupes d’intérêt, qui pèsent sur le déroulement des processus décisionnels : «
coalitions » (Paul A. Sabatier), entendues comme regroupant des acteurs d’origines diverses, mais partageant les
mêmes « croyances » ou « convictions », normatives et causales, qui agissent de concert pour faire prévaloir leurs vues
; « communautés épistémiques » (Peter M. Haas), qui se présentent comme des « réseaux de professionnels » disposant
d’une compétence reconnue dans un domaine de la vie sociale42 ; « réseaux d’action publique » (David Marsh et
Roderick Rhodes) qui, réunissant un ensemble d’acteurs collectifs organisés, publics et privés, se caractérisent par
les rapports d’interdépendance unissant les intéressés, la fréquence et l’intensité de leurs interactions, leur isolement
au moins partiel vis-à-vis de l’extérieur. La mise en forme des textes est indissociable de ces rapports
d’interdépendance dans lesquels sont pris les services administratifs.

2. Ces rapports d’interaction existent bien entendu aussi avec les autorités politiques. Il convient de ne pas substituer
à l’idée d’emprise exclusive des décideurs politiques sur la production du droit, qui surestime le poids du
volontarisme politique, la représentation inverse de la toute puissance des bureaux imposant leurs vues aux
politiques, qui surestime cette fois le pouvoir bureaucratique. La présence des services administratifs dans les
processus de production du droit ne signifie nullement qu’ils disposent de la maîtrise de cette production : ils sont
placés en effet par rapport au politique en situation de dépendance institutionnelle, qui constitue la limite
structurelle de leur influence ; même s’ils contribuent à l’identification des problèmes et à la formulation de
solutions, c’est au politique qu’il revient en fin de compte de trancher43.
Il convient donc de ne pas sous-estimer non seulement l’importance des arbitrages politiques, mais encore le poids
des considérations politiques tout au long des processus décisionnels : le travail de rédaction des avant-projets est
d’ailleurs parfois pris en charge par le cabinet du ministre, quand l’enjeu politique est important, et les désaccords
entre directions sont arbitrés par lui ; quant aux réunions interministérielles, elles se déroulent sous l’égide du cabinet
du Premier ministre, le « bleu » de Matignon arrêtant le contenu du projet définitif. Tout se passe alors comme si le
politique reprenait la main après le travail de préparation effectué par les services.
Constante à tous les stades de l’élaboration des textes, l’interaction entre administration et politique se caractérise
par des configurations multiples, variant en fonction d’une série de paramètres : de même que la technicité des
problèmes donne davantage d’importance à l’expertise administrative, la longévité dans l’exercice des responsabilités
administratives permet aux intéressés de peser plus fortement sur le contenu des choix ; et, à l’inverse, la connaissance
des problèmes et l’occupation durable d’un poste ministériel permettent au ministre d’asseoir son autorité sur les
services. Plus généralement, cependant, rationalité bureaucratique et rationalité politique interfèrent en réalité
constamment dans la préparation des textes, sans qu’il soit possible de les opposer : non seulement les échanges sont
constants entre cabinets et directions, mais encore la forte présence des hauts fonctionnaires dans les premiers et
l’engagement politique fréquent à la tête des secondes relativisent l’idée d’un conflit de rationalités ; et les mêmes
rapports d’imbrication se retrouvent au niveau des arbitrages interministériels. Dans tous les cas cependant, la

3
« doctrine d’action » forgée par les services ne saurait résister au déplacement des équilibres politiques : l’accès au
pouvoir d’équipes nouvelles ouvre la voie à des « fenêtres d’opportunité », permettant l’engagement de politiques en
rupture avec le passé et que les résistances administratives éventuelles ne suffisent pas à bloquer : les cabinets
ministériels seront là pour relayer ce volontarisme politique vis-à-vis de services soucieux de continuité.
___
Les services administratifs occupent donc une place centrale dans le processus de production des normes juridiques :
leur rôle ne se réduit pas à un simple travail technique de rédaction ; la mise en forme des textes leur donne bel et
bien la possibilité d’influer sur leur contenu, dans une mesure cependant variable et difficile à évaluer compte tenu
du contexte d’interaction dans lequel se déroule le processus.
Cette présence comporte un triple enjeu : un enjeu bureaucratique, compte tenu des luttes qui opposent, au sein de
l’administration centrale, les services pour le contrôle de la ressource juridique ; un enjeu sociopolitique, compte
tenu du rapport de forces complexe et évolutif qui s’établit entre acteurs administratifs, sociaux et politiques pour la
définition des normes ; un enjeu juridique enfin, compte tenu de l’exigence de qualité qui commande la production
du droit.
__
1. Charles-Albert MORAND, Le droit néo-moderne des politiques publiques, Paris : LGDJ, coll. « Droit et Société », 26, 1999.
2. André J. HOECKEMA, « La production des normes juridiques par les administrations », Droit et Société, 27, 1994.
3. Hans KELSEN, Théorie pure du droit [1934], Paris : Dalloz, 1962, p. 453.
4. Michel vAN DE KERCHOVE et François OST, « Jeu de l’interprétation en droit », Archives de philosophie du droit, 27, 1982, p. 165.
5. Jacques CHEVALLIER, « Les interprètes du droit », in CURAPP, La doctrine juridique, Paris : PUF, 1993, p. 262-263.
6. D’où des efforts permanents de « rationalisation », dont la circulaire du 25 février 2011 constitue la dernière illustration.
7. Geneviève KOUBI, Les circulaires administratives, Paris : Economica, coll. « Corpus Essais », 2003, p. 373.
8. Alexis SPIRE, Étrangers à la carte ? L’administration de l’immigration en France (1945-1975), Paris : Grasset, 2005, p. 359.
9. Isabelle SAYN « Jeux de rôle dans l’élaboration et la mise en œuvre du droit : l’exemple des Caisses d’allocations familiales », in CURAPP, Le
droit en procès, Paris : PUF, 2005, p. 111-126.
31. Sur le poids des « enjeux administratifs » dans la construction de l’action publique, voir Jacques CHEVALLIER, Science administrative, Paris :
PUF, 4e éd., 2007, p. 477-480.
34. Dès les années 1970, Lucien Nizard et Pierre Grémion avaient mis en évidence la dimension « représentative » des administrations, qui
tendent à devenir progressivement le porte-parole et le défenseur des intérêts dont elles ont la charge.
35. Calliope Spanou a ainsi montré que la constitution du problème de l’environnement en enjeu politique résultera des initiatives prises par
des hauts fonctionnaires militants, pour le faire sortir de la marginalité (Calliope SPANOU, Fonctionnaires et militants. L’administration et les
nouveaux mouvements sociaux, Paris : L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 1991).
36. Ce milieu est cependant hétérogène et les intérêts en présence peuvent être contradictoires : montrant que le « milieu d’intervention » (les
intérêts réglementés) et le « milieu de soutien » (les bénéficiaires de l’ac-tion publique) ne coïncident pas toujours, Calliope Spanou est conduite
à distinguer deux cas de figure : celui dans lequel l’administration se montre sensible aux intérêts dont elle a la surveillance (« administration
captive ») ; celui dans lequel elle se montre au contraire sensible aux intérêts dont elle a la défense (« administration mil itante »), ibid., p. 255 et
suiv.
37. Comme le souligne Philippe Bezès, « Les hauts fonctionnaires participent à l’élaboration des politiques publiques pour produire les
raisonnements ou “les récits de politiques”, spécifier des options ou choisir des solutions » (Philippe BEZÈS, « Administration », in Laurie
BOUSSAGUET, Sophie JACQUOT et Pauline RAVINET (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris : Presses de Sciences Po, 3e éd., 2010).
38. Stéphane ENGUÉLÉGUÉLÉ, Les politiques pénales 1958-1995, op. cit., p. 300.
39. Sylvain LAURENS, Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, Paris : Belin, 2009.
40. Jacques CHEVALLIER, « Le débat public en question », in Pour un droit commun de l’environnement. Mélanges en l’honneur de Michel Prieur, Paris
: Dalloz, 2007, p. 489 et suiv. ; Martine REVEL, Cécile BLATRIX, LOÏC BLONDIAUX et al. (dir.), Le débat public : une expérience française de
démocratie participative, Paris : La Découverte, coll. « Recherches », 2007.
41. Le cas du « plan de prévention des risques technologiques » déjà évoqué en constitue une bonne illustration. Formé de fonctionnaires,
utilisateurs et experts, le comité de pilotage mis en place pour le préparer sera conduit à un processus d’expérimentation qui entraînera un sensible
ajustement du texte initial : les rédacteurs sont ainsi passés « par des séries d’épreuves, de reformulations, de stabilisations provisoires, d’échecs et
de succès relatifs qui confèrent à leur travail un caractère finalement très imprévisible » (Emmanuel MARTINAIS, « L’écriture des règlements par
les fonctionnaires du ministère de l’Écologie. La fabrique administrative du plan de prévention des risques technologiques », op cit., p. 223).
42. Stéphane Enguéléguélé a ainsi montré que les décisions de politique pénale dépendent des « modèles de réaction pénale » élaborés par les
acteurs du champ pénal, structurés en communautés épistémiques différenciées et opposées (la « mouvance néo-classique » et la « défense sociale
nouvelle ») (Stéphane ENGUÉLÉGUÉLÉ, Les politiques pénales 1958-1995, op. cit.).
43. Sylvain Laurens montre ainsi qu’après avoir contribué à la re-politisation de la question de l’immigration, les hauts fonctionnaires de la DPM
se trouveront enrôlés dans un processus de décision qui leur échappe, les enjeux politiques prenant le dessus, et conduits à osciller entre
accommodation et opposition

Document 2 A. VIALA, « Le macronisme ou le spectre de l’épistocratie », Le


Monde, 18 octobre 2017
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Comment l’auteur définit l’épistocratie ?
- Quelle est l’origine de ce mouvement ?
- Quelles sont les manifestation de l’épistocratie ?
- Quels sont les effets et les dangers de l’épistocratie ?

Emmanuel Macron a dû se résoudre, dimanche 15 octobre, à se soumettre à l’exercice démocratique de l’interview


télévisée pour tenter de redresser l’image condescendante que son vocabulaire et sa posture jupitérienne, faite de
parole rare et distante, ont pu générer dans l’opinion.

4
Il a dû, chemin faisant, déroger à un principe qu’il s’était fixé en estimant, à l’occasion du défilé du 14-Juillet, que
la « pensée complexe » dont il est porteur, ni de gauche ni de droite, ne saurait se prêter au jeu médiatique habituel.
Cette esquive, qu’il ne pourra donc pas toujours pratiquer – comme en atteste sa récente confrontation avec trois
journalistes –, est révélatrice d’un trait caractéristique du macronisme dont on a encore peu parlé et qui est de nature
à susciter d’inquiétantes interrogations sur l’évolution contemporaine de nos sociétés démocratiques.
Ni de droite ni de gauche, le libéralisme qu’incarne Emmanuel Macron est le nom d’une forme de gouvernement
qui se présente comme un défi à la démocratie : dans la doctrine politique anglo-saxonne, on l’appelle « épistocratie ».
Le terme « épistocratie » est un néologisme très peu usité. Il désigne un mode de gouvernement au sein duquel le
pouvoir serait confié aux savants. L’idée n’est pourtant pas totalement neuve. Platon en rêvait en écrivant La
République et en estimant souhaitable de confier le pouvoir aux philosophes.
Cette idée a connu une forme d’illustration dans la Chine confucéenne à travers le système du mandarinat. Et, d’une
certaine manière, on en trouve un peu l’esprit dans la position hégémonique qu’occupent, au cœur des démocraties
occidentales et au service du « Prince », les hauts fonctionnaires issus des grandes écoles.

Mouvement mondial
La composition du deuxième gouvernement d’Edouard Philippe, consécutive à la large victoire de La République
en marche (LRM) aux élections législatives, respire cette culture épistocratique en raison de la forte présence de
personnalités au profil technicien, à l’instar de Nicole Belloubet (justice) ou Jean-Michel Blanquer (éducation
nationale), issus d’un univers qui relève davantage de l’expertise que de la politique.
Le comte de Saint-Simon, au début du XIXe siècle, érigea l’épistocratie en idéal de gouvernement avec le secret espoir
de confier le pouvoir aux plus compétents, parmi lesquels il faisait figurer les scientifiques et les industriels. La
sociologie de la nouvelle Assemblée nationale, composée d’un nombre significatif de cadres du secteur privé,
réhabilite d’ailleurs cet idéal saint-simonien.
Le gouvernement épistocratique fait également son chemin partout dans le monde, depuis qu’à la faveur de la
globalisation du droit, de l’épuisement des grands récits idéologiques et de la technicisation des problématiques
auxquelles est confrontée la société, le pouvoir s’appuie de plus en plus, avant de prendre ses décisions, sur l’éclairage
scientifique des experts.
La montée du populisme dans certaines démocraties européennes et les récentes surprises électorales comme le
Brexit ou l’accession du climato-sceptique Donald Trump à la Maison Blanche ont conduit certains auteurs,
notamment anglo-saxons (l’économiste Bryan Caplan, le philosophe Jason Brennan), à s’interroger, à l’heure de la
post-vérité, sur les failles du vote populaire. Leur mise en garde consiste à mettre en cause la fonction épistémique
de la démocratie et à se demander si le peuple est suffisamment éclairé pour pouvoir décider rationnellement.

Moment post-politique
Alors ministre de l’économie, Emmanuel Macron affirmait que « l’autre politique », celle qui ne s’inscrit pas dans le
paradigme ordo-libéral qu’impose la Commission de Bruxelles aux pays membres de l’Union européenne, était une
« illusion ».
Voici que « l’autre politique » se voit implicitement assigner le statut pragmatique d’erreur scientifique, au détour
d’une phrase symptomatique d’une culture qui nie l’essence du politique au sens que lui prêta le philosophe et
sociologue Julien Freund, pour qui, à l’inverse de la sphère privée dominée par la nécessité, la sphère publique est
normalement le lieu de l’échange, de la liberté voire de l’irrationalité (Julien Freund, L’Essence du politique, 1965).
La conversion des majorités gouvernementales au social-libéralisme et la relégation de l’opposition dans les marges
du populisme, de droite comme de gauche, sur fond d’épuisement de l’alternance entre la droite et la gauche de
gouvernement (que Jean-Claude Michéa qualifia d’« alternance unique ») signeraient-elles l’avènement subreptice
d’une épistocratie qui afficherait, sous la bannière de la Raison, la prétention de prendre les bonnes décisions ?
De là à abolir le suffrage universel, à instaurer un suffrage capacitaire ou à confier un vote plural aux diplômés ou
aux habitants des grandes métropoles – comme d’aucuns l’ont suggéré au lendemain du Brexit avec un sens de la
provocation qui n’était pas dénué de sincérité –, il n’y a qu’un pas, qu’accompliraient volontiers les esprits
nostalgiques du despotisme éclairé, quand bien même le suffrage démocratique, fort heureusement, reste un tabou
que nul n’oserait bafouer.
Quoi qu’il en soit, la victoire de LRM aux élections de juin sur les décombres d’un système bipartisan à bout de
souffle est particulièrement révélatrice de ce moment post-politique par lequel le conflit entre le pouvoir et
l’opposition est en train de changer de nature.
Comme l’a écrit la philosophe Chantal Mouffe dans ses travaux récents sur le libéralisme (L’Illusion du consensus,
Albin Michel, 2016), cette compétition avait jusqu’à présent pris la forme, entre la droite et la gauche, d’un conflit
agonistique entre valeurs démocratiques qui se disputaient, de manière égale et alternative, le marché des idées :
mues par des valeurs qui ne sont ni vraies ni fausses, les deux camps s’opposaient de façon irréconciliable, tout en
se considérant respectivement comme légitimes.

Impasse populiste
Désormais, à la faveur de cette quête social-libérale du consensus qu’incarne en France le macronisme, le conflit
entre la droite et la gauche s’efface au profit d’un conflit antagonistique. Celui-ci n’oppose plus deux visions de la

5
société aux prétentions relatives mais installe, au centre de l’offre politique, une rationalité libérale (de droite comme
de gauche), qui se pare d’une prétendue objectivité scientifique dans le but non avoué d’imposer l’évidence d’une
seule vision du monde face à laquelle les oppositions, désormais morcelées, se trouvent reléguées dans le camp de
ceux qui ont tort – et n’ont dès lors d’autre perspective, pour exister, que de se radicaliser.
Tout se passe comme si le pouvoir était capable d’adopter les « bonnes décisions », cautionnées par la Raison. Cette
illusion cognitiviste – aux termes de laquelle le politique serait en mesure de connaître la réponse juste – est le moteur
de l’idéal épistocratique, qui s’évertue à soustraire le gouvernant, réputé connaître et non vouloir, à l’épreuve de la
discussion.
Le représentant, en France, de ce nouveau pouvoir se plaît d’ailleurs à définir ses opposants comme constitutifs de
« l’ancien monde ». Fort habile, l’étiquette permet au chef de l’État d’éluder la controverse démocratique, en faisant
pénétrer dans les esprits l’idée selon laquelle le programme qu’il porte ne peut avoir d’alternative, dans la mesure où
il exprimerait, pour utiliser le vocabulaire de Michel Foucault, un épistémè, qui est une parole désignée par son temps
comme l’expression de la vérité.
Le discours macronien consistant à substituer au clivage gauche-droite la frontière entre l’ancien et le nouveau monde
relègue dans le temps une opposition qui n’occupe désormais plus l’espace. Celle-ci n’est plus à droite ni à gauche.
Elle est d’hier, et le nouveau pouvoir fait tout pour se présenter, à l’image du progrès scientifique, comme tourné
vers le futur.
La montée en puissance de l’économisme, le développement des logiques comptables et des structures
technocratiques en amont de la fabrication des lois entourent cet épistémè, au point de délégitimer le suffrage
démocratique, peu à peu considéré comme inutile, et de provoquer dans les urnes, par voie de conséquence,
l’abstention ou la tentation populiste, dont Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon offrent deux versions
concurrentes.
Telle est l’impasse dans laquelle le spectre épistocratique est susceptible de conduire le peuple. Seule la revitalisation
du clivage entre une droite et une gauche de gouvernement, proposant deux alternatives irréductibles l’une à l’autre,
pourrait déjouer ce scénario que la « révolution » issue des urnes du printemps est en train d’écrire au péril de la
démocratie, dont le ressort intime n’est pas le consensus, faussement auréolé de la caution des experts, mais
l’alternance franche et politique.

Document 3 COLLECTIF DE HAUTS FONCTIONNAIRES, « Macronisme : "La haute


administration, le véritable parti présidentiel"», Le Monde, 21 février 2018
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Pourquoi les partis politiques et la classe politique ont perdu de l’importance depuis le début du
quinquennat d’Emmanuel Macron ?
- Quels sont les symptômes, les causes et les effets de la « confusion entre administration et politique » ?
- Que signifie le pragmatisme en politique ? Pourquoi cela ne constitue pas une idéologie ? Quels en sont les
dangers ?

La désignation récente des nouveaux porte-parole du parti présidentiel a conduit à braquer de nouveau les
projecteurs médiatiques sur LRM. Ce parti occupe pourtant une place plus que marginale dans le jeu politique
actuel. Comme tous les partis soutenant une majorité au pouvoir, il peine à trouver sa place vis-à-vis du
gouvernement. Mais plus que ses prédécesseurs UMP et PS, il est en outre dépossédé des deux fonctions
traditionnellement dévolues à un parti politique : la sélection du personnel politique et l’élaboration du programme
et des propositions.
Ces rôles sont en effet aujourd’hui principalement assurés directement par la haute administration de l’État,
constituant ainsi une des caractéristiques majeures du macronisme : une confusion profonde, à la fois idéologique
et sociologique, entre une partie de cette haute administration et ses idées d’une part, et le gouvernement et la
politique qu’il mène d’autre part.
Dès la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, la porosité entre cette « haute » administration et l’équipe de
campagne a été très nette. Ce sont essentiellement ceux que le sociologue Pierre Bourdieu appelait, dans un entretien
au Monde en 1992, « la main droite de l’État », soit les « énarques du ministère des finances, des banques publiques ou privées
et des cabinets ministériels » qui ont élaboré les propositions du candidat à la présidence de la République. Exemple
marquant, mais loin d’être unique, le responsable du programme et des idées de l’équipe de campagne de M.
Macron, nommé en janvier 2017, n’était autre que Jean Pisani-Ferry, précédemment commissaire général à la
stratégie et à la prospective auprès du premier ministre.

Convergence des centres


Dès la constitution du premier gouvernement de la nouvelle mandature, ce rôle de fournisseur du personnel
politique de l’administration est apparu de manière flagrante, et ce jusqu’au niveau ministériel. Parmi les quatorze
ministres ou secrétaires d’État qui pourraient être considérés comme venant de la « société civile », la plupart d’entre
eux avaient auparavant exercé de très hautes responsabilités administratives, le plus souvent de direction
d’administration centrale. Il ne s’agit plus de débattre de l’opportunité ou non pour les ministres de choisir

6
directement les directeurs et directrices de leurs administrations centrales (système des dépouilles, ou spoils system à
la française) : il s’agit de constater que, avec une ampleur inédite dans l’histoire de la République, on choisit les
ministres parmi les directeurs et directrices de l’administration.
Le second rôle traditionnel des partis politiques, l’élaboration du programme et des idées, est aujourd’hui aussi
assuré de manière exacerbée par l’administration, parachevant cette mutation vers une administration-parti. La
diminution de la taille des cabinets ministériels a accéléré ce mouvement : supposés orienter l’action de
l’administration dans le sens souhaité par les ministres, leur réduction à portion congrue ne leur permet de jouer ce
rôle qu’à la marge. Les propositions politiques émanent dès lors directement des fonctionnaires et agents publics.
Ce rôle inédit de l’administration a trouvé son paroxysme dans le recours aux ordonnances pour la libéralisation du
marché du travail : élément-clé du programme présidentiel de M. Macron, les modalités de cette réforme et leur
négociation ont été confiées en intégralité aux fonctionnaires. Il n’a été demandé qu’une chose aux députés de la
majorité parlementaire : l’entériner.
Ayant pour objectif d’assurer la continuité de l’État, l’administration a toujours disposé d’un pouvoir propre, par-
delà les changements politiques. Cette autonomie se combine en outre avec une ligne idéologique spécifique à
chaque administration et remarquablement figée, en lien avec son champ de compétence : la direction du budget
vise ainsi la réduction des dépenses publiques avant tout et les directions de la police et de la gendarmerie nationales
se concentrent, elles, sur le maintien de l’ordre public, tandis que celles chargées de la santé ou de la nature
maintiennent respectivement un œil plus attentif sur les questions de prévention sanitaire et de biodiversité.

Paravent du « pragmatisme »
La nouveauté réside dans une communion totale entre l’idéologie du gouvernement actuel et celle des
administrations dominantes dans le jeu interministériel – en premier lieu les ministères de l’économie et de
l’intérieur. Le reaganisme des « premiers de cordée » (ou « économie du ruissellement ») censés tirer la croissance est
par exemple porté depuis des années par les principales administrations de Bercy. De même, Beauvau n’a jamais fait
mystère de ses velléités sécuritaires et répressives. La politique du gouvernement se dissimule enfin derrière le même
paravent du « pragmatisme » que la haute administration française, dont le « bon sens » autoproclamé se pense
capable de distinguer les « bonnes » politiques publiques – la baisse de cotisations sociales – des « mauvaises » – les
emplois aidés – à l’aune d’une « efficacité » en permanence invoquée mais très rarement évaluée.
Cette confusion s’appuie sur des éléments anciens, ancrés dans la culture administrative française. Les hauts
fonctionnaires de gauche et de droite ont toujours peuplé les cabinets ministériels et alimenté en propositions leurs
partis politiques respectifs. Mais c’est justement l’absence de ce rôle d’interface précédemment exercé par les partis,
de filtre entre la haute administration et la politique, qui constitue la particularité du macronisme. Cause ou
conséquence de l’apathie du parti présidentiel, peu importe finalement : tout se passe aujourd’hui comme si les
administrations dominantes, empêchées de mettre en place ces « réformes nécessaires » pendant trop longtemps,
disposaient finalement des coudées franches pour « enfin » réformer le pays sans avoir à composer avec des exigences
partisanes.
Un risque se détache particulièrement de cette confusion entre administration et politique : le remplacement de la
démocratie – littéralement, le « pouvoir du peuple » – par la technocratie, au sens premier du terme : le pouvoir des
techniciens. Tendant à accréditer l’idée d’une seule politique « réaliste », commune à la droite et à la gauche, cette
dérive contribue à déplacer progressivement le clivage gauche/droite vers un clivage entre réalisme et populisme,
dont l’extrême droite tire pleinement son épingle du jeu. Elle conduit, de plus, à délocaliser ce qu’il reste du débat
sur la politique gouvernementale au sein de la haute administration, entre fonctionnaires, et non plus à l’Assemblée
nationale et au Sénat, entre représentants du suffrage universel. Elle fait apparaître, en creux, une urgence éthique
et démocratique : la repolitisation du débat public.

Partie 2. Limites et renouveau du contrôle parlementaire


Document 1 CONSEIL D’ÉTAT, Étude annuelle 2020 - Faire de l’évaluation des
politiques publiques un véritable outil de débat démocratique et de décision , La
Documentation Française, Paris, 2020, extraits.
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Faites la liste chronologique des différentes structures d’évaluations créées en France en précisant : leur rôle,
la branche du pouvoir à laquelle elles se rattachent, leurs pouvoirs et leur efficacité ? Précisez aussi à quel
modèle (1.2.1.1.) ces structures se rattachent.
- Quel a été l’impact de la constitutionnalisation du rôle d’évaluation du Parlement ?
- Le Parlement dispose-t-il des moyens de remplir sa mission de contrôle ? S’en donne-t-il les moyens ?

1.1.1.4 La prise en compte de l’évaluation et de l’expérimentation par le Parlement dans les années 2000

7
Loin de se désintéresser de l’évaluation des politiques publiques dans les années 1990, le Parlement a créé plusieurs
offices consacrés à cette mission, qui n’ont cependant pas survécu à la décennie suivante, avant de chercher à inscrire
l’évaluation de la performance dans l’examen des lois de finances et d’étendre les possibilités d’expérimentation.
L’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques (OPEPP), commun aux deux assemblées, est ainsi créé
en 1996, au moment où, comme le souligne Alain Lambert dans l’avis sur le projet de loi de création44,« La nécessité
de revaloriser le rôle du Parlement est unanimement reconnue [... et] touche les deux grandes fonctions parlementaires : la législation
et le contrôle de l’exécutif ». Du point de vue du Parlement, cet office vise donc à mieux contrôler l’exécutif. Il est perçu
comme un « élément de réponse à la défiance des citoyens vis-à-vis du politique : il est vrai que l’appareil français d’évaluation,
trop morcelé, trop parcellaire, ne permet pas de donner un bilan des politiques menées grâce aux ressources publiques – sauf, hélas,
scandale particulier –. Un office mis à la disposition du Parlement pourrait permettre de lutter contre ce travers, et de contribuer
à réhabiliter l’action de l’État » (p. 17). Il a produit quatre rapports, consacrés notamment à la politique maritime et
littorale (1998), aux aides publiques au cinéma (1998) et aux aides publiques aux entreprises en matière d’emploi
(1999). Ayant cessé de fonctionner dès 1999, il a été supprimé en 2000. Les motifs avancés pour justifier sa
suppression tiennent à la lourdeur de ses modalités de fonctionnement, à son instabilité et à son manque d’identité
du fait de l’alternance entre les deux chambres pour la présidence, et au double emploi de l’Office avec les
commissions permanentes. De fait, le rôle d’évaluation qui lui était confié était assuré à titre principal, depuis 1999,
par la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) créée au sein de la commission des finances de l’Assemblée
nationale.
Créé par la loi n° 96-516 du 14 juin 1996 et né d’une initiative parlementaire, l’Office parlementaire pour
l’évaluation de la législation visait également à illustrer une volonté de rénovation du travail du Parlement. Chargé,
sans préjudice des compétences des commissions permanentes, de rassembler des informations et de procéder à des
études pour évaluer l’adéquation de la législation aux situations régies par celle-ci, l’office avait été également investi
d’une mission de simplification de la législation. Il a produit trois rapports, dont un réalisant la première évaluation
parlementaire des autorités administratives indépendantes, qui s’est appuyé sur deux études commandées à des
experts45. L’office, qui n’a « pas fait la preuve d’une utilité suffisante pour justifier (son) maintien »46 a été supprimé
en 2009 (loi n° 2009-689 du 15 juin 2009).
Sur le modèle des autres offices parlementaires, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a créé un
Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé (OPEPS). Cet office a été supprimé par la loi n° 2009-689
du 15 juin 2009, sa mission ayant été confiée aux MECSS (missions d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale),
créées dans les deux assemblées.
Issue d’une initiative parlementaire et inspirée par les principes du Nouveau management public, la loi organique
relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 met en place des programmes annuels de performance et des
indicateurs, visant à substituer une logique d’objectifs et de résultats à la seule logique de moyens, et renforce les
prérogatives de contrôle et d’évaluation du Parlement (articles 57 et 59) (cf. infra 1.3.1.2).

1.1.1.5 L’inscription de l’évaluation et des études d’impact dans la Constitution et dans la loi organique
En 2007 est créé un éphémère secrétariat d’État à la prospective et à l’évaluation. Mais le Gouvernement lance
surtout un large audit des activités et missions des ministères, la Révision générale des politiques publiques (RGPP),
confié à des équipes mixtes de fonctionnaires et de consultants, sous la supervision de l’inspection générale des
finances. Reprenant le modèle des revues de dépenses conduites notamment au Canada et en Suède, la RGPP a été
portée au plus haut niveau politique, mais a souffert d’un déficit d’implication des agents et usagers du service public.
Selon le bilan dressé par les inspections générales des finances, des affaires sociales et de l’administration, son
ambition a été compromise par la méthode retenue et par la focalisation de l’exercice sur la recherche d’économies
rapides47.
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 inscrit dans notre Constitution les études d’impact (article 39) et
confie expressément au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques (article 24), avec l’assistance de la
Cour des comptes (article 47-2). Le projet de loi constitutionnelle initial confiait au Parlement la mission de contrôler
l’action du Gouvernement et prévoyait que la Cour des comptes « contribue à l’évaluation des politiques publiques ».
Le « comité Balladur » avait envisagé « la création, auprès du président de chaque assemblée, d’une instance, qui pourrait être
dénommée "Comité d’audit parlementaire", dotée de moyens spécifiques, comportant des parlementaires issus de l’ensemble des
commissions permanentes, et notamment de leurs présidents, définissant un programme coordonné de contrôle et d’évaluation,
assurant la liaison avec la Cour des comptes et les autres organismes d’évaluation et chargée d’organiser les débats sur les suites à
donner, (...) dans l’ordre du jour, aux fonctions de contrôle »48. Au cours de l’examen du projet de révision, l’Assemblée
nationale et le Sénat ont souhaité mentionner explicitement dans la Constitution la mission générale d’assistance
de la Cour des comptes au Parlement et au Gouvernement dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques,
pour faire ainsi apparaître l’équidistance de la Cour vis-à-vis du Parlement et du Gouvernement49. En outre, si le
texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale prévoyait que le Parlement est chargé de « concourir à
l’évaluation des politiques publiques », le Sénat a souhaité préciser que le Parlement « évalue les politiques publiques », afin
de marquer qu’il n’est pas « un simple organisme d’évaluation parmi d’autres de même importance », sans que cette rédaction
n’empêche « dans les faits le Gouvernement (...) ou la Cour des comptes, (...) de concourir à une telle évaluation » mais afin de
consacrer « clairement le rôle essentiel en la matière du Parlement, doté de la légitimité démocratique »50. Si le Sénat avait par
ailleurs souhaité, en première lecture, prévoir que le Parlement « mesure les effets » de la loi, afin de conforter la
démarche engagée depuis plusieurs années par le rapport annuel du Sénat sur l’application des lois et par les rapports

8
sur la mise en application des lois effectués par les rapporteurs des projets de loi à l’Assemblée nationale 51, cette
mention n’a finalement pas été retenue, au bénéfice du terme plus général d’évaluation, qui comporte une
dimension qualitative.
À la suite de cette révision constitutionnelle, les députés ont mis en place un organe transversal présidé par le
président de l’Assemblée nationale, le Comité d’évaluation et de contrôle (CEC), afin d’approfondir la mission
d’évaluation, à laquelle pouvaient contribuer les commissions d’enquête et les missions d’information 52. Dans le
même mouvement, la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et
environnemental inscrit l’évaluation à l’article 3 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 relative à cette
assemblée (« Il contribue à l’évaluation des politiques publiques à caractère économique, social ou environnemental »).
En 2012, l’exécutif reprend l’initiative d’un vaste programme d’évaluation, dans le cadre de la modernisation de
l’action publique (MAP) qui, sans délaisser la préoccupation de réduction des dépenses publiques qui avait marqué
la RGPP, mise sur l’implication des administrations et sur une approche partenariale faisant participer les principaux
acteurs aux comités de pilotage.
Le développement des politiques décentralisées a en outre rendu nécessaire la création d’une instance de dialogue
entre le Gouvernement et les représentants des collectivités territoriales, afin de mesurer et contenir les charges
supplémentaires imputées sur les budgets locaux et de faciliter l’application des réformes sur l’ensemble du territoire.
Le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), créé par loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013, est ainsi chargé
d’évaluer les normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics (article L. 12121 du
code général des collectivités territoriales). Il assure la représentativité des régions, départements, communes et
établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI), ainsi que des assemblées
parlementaires. Dans son rapport public 2018, le CNEN souligne la faible qualité des fiches et études d’impact que
lui transmettent les ministères. Il évoque la nécessité de développer les évaluations ex post des normes ayant des
impacts significatifs pour les collectivités territoriales, afin de connaître le coût réel supporté par celles-ci.
L’évaluation des politiques publiques occupe une place grandissante dans notre organisation institutionnelle depuis
la fin des années 1990. Elle se technicise progressivement, mais inégalement selon les acteurs, en recourant à des
méthodes scientifiques « importées » afin de mesurer les effets causaux.

1.1.2.Une prédominance de l’exécutif et des administrations


1.1.2.1. La place prépondérante de l’exécutif et des administrations dans l’évaluation en France
De façon schématique, l’évaluation répond à deux principaux modèles institutionnels. Le premier est celui d’une
évaluation au service des décideurs et, en premier lieu, des autorités politiques. Dans ce modèle, l’évaluation est
principalement réalisée par l’administration et des experts gouvernementaux, dans des délais courts et n’est pas
systématiquement publiée.
Dans le second modèle, l’évaluation constitue un paramètre du débat public et du processus démocratique. Elle ne
s’adresse pas prioritairement à l’exécutif, mais aux citoyens et au Parlement. Elle peut se dérouler sur le temps long
et fait l’objet d’une publication. Les États-Unis correspondent en partie au moins à ce modèle, les principaux organes
d’évaluation étant rattachés au Congrès. Dans ce pays, mais aussi au Royaume-Uni, le monde universitaire est
fortement impliqué dans l’évaluation (par exemple au sein de l’Institute for Fiscal Studies, du National Institute of
Economic and Social Research et du Center for Economic Performance anglais). Les Pays-Bas se rangent également plutôt
dans ce modèle, avec le Centraal Planbureau.
Comme de nombreux autres pays, la France emprunte aux deux modèles, avec d’une part un rôle prépondérant de
l’exécutif, de ses services et des corps d’inspection et de contrôle par rapport aux autres acteurs (Parlement,
laboratoires universitaires, cabinets de consultants, think tanks, etc.), d’autre part, une place encore émergente du
Parlement sur la scène évaluative.
Selon la Société française de l’évaluation (SFE), qui depuis 2012 publie un baromètre de l’évaluation fondé sur les
travaux d’évaluation considérés comme tels par les commanditaires ou prestataires, 2 600 évaluations auraient été
produites entre 2007 et 2017, soit en moyenne 236 évaluations par an. Ces évaluations proviennent, pour 45% de
l’État (ministères, administrations centrales, établissements publics...) et pour 41% des collectivités territoriales ; 7
sur 10 sont réalisées par des cabinets privés. Les évaluations ex ante représentent 12% des évaluations identifiées, les
évaluations in itinere 43% et les évaluations ex post 46%.
Ainsi, France Stratégie, organisme d’expertise et d’analyse prospective sur les grands sujets sociaux et économiques,
placé auprès du Premier ministre, s’affirme comme un acteur important de l’évaluation, par la qualité et l’audience
de ses travaux. Créé par un décret du 22 avril 2013, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, appelé
France Stratégie, a pris la suite du Commissariat général du Plan (1946-2006) et du Centre d’analyse stratégique
(2006-2013). Il publie des rapports et des notes d’analyse, formule des recommandations au pouvoir exécutif,
organise des débats, pilote des exercices de concertation et contribue à l’évaluation ex post des politiques publiques,
qui représente 20% du total de ses activités.
Il faut en outre tenir compte des conceptions différentes de l’évaluation que retiennent les acteurs institutionnels.
Le Parlement, le CESE, la Cour des comptes, les corps d’inspection et de contrôle, les collectivités territoriales et les
cabinets de conseil suivent une conception plus large de l’évaluation que le monde académique, combinant l’analyse
de données et des méthodes qualitatives qui s’apparentent au contrôle et au suivi des politiques. Les travaux des
corps d’inspection peuvent suivre le processus et les méthodes de la recherche évaluative (analyse de données

9
quantitatives, implication des parties prenantes de la politique évaluée, enquête auprès de groupes d’usagers...), mais
sont le plus souvent réalisés en temps restreint (6 à 8 mois). Certains corps d’inspection reconnaissent que leurs
évaluations s’appuient beaucoup sur la connaissance administrative de leurs membres et se rapprochent davantage
de l’audit et du contrôle que de l’évaluation proprement dite. Ils distinguent parfois les évaluations proprement dites
et les études à visée évaluative, qui suivent un protocole moins rigoureux.

1.1.2.2. Un intérêt croissant du Parlement pour l’évaluation


Il ressort des travaux préparatoires de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 que le Parlement s’est montré
très attaché à l’attribution de la mission d’évaluation, qu’il partage avec d’autres acteurs et pour l’exercice de laquelle
il peut bénéficier de l’assistance de la Cour des comptes. Si l’approche parlementaire de l’évaluation reste fortement
liée à sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement, elle emprunte aux méthodes d’évaluation quantitative
ou qualitative (microsimulation, expérimentation aléatoire, analyses contrefactuelles, évaluation qualitative par des
enquêtes, des focus group...), lorsqu’il fait appel à des équipes pluridisciplinaires d’évaluateurs. Les missions
d’information, commissions d’enquête, la délégation au renseignement, les délégations aux outre-mer ou la
délégation du Sénat aux collectivités territoriales procèdent essentiellement à des auditions, à la consultation de
parties prenantes (individus ou groupes concernés par la politique évaluée ou par l’évaluation elle-même), à des
déplacements et à l’analyse de statistiques, ce qui leur permet d’apporter des éléments de diagnostic et de
connaissance indispensables. Ainsi, la commission des affaires sociales du Sénat a commandé à la Cour des comptes
en 2016, en application des dispositions de l’article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, une enquête
sur le rôle des centres hospitaliers universitaires dans la politique de soins. Cette enquête, jointe à un rapport
d’information publié en décembre 2018, a reposé sur des entretiens, accompagnés le plus souvent de questionnaires,
et sur des comparaisons internationales 53.
Le Parlement demeure en outre très dépendant de l’exécutif et de ses ressources statistiques pour disposer des
évaluations quantitatives, ex ante ou ex post, pertinentes. Pour permettre néanmoins aux députés de mesurer
facilement l’impact de leurs initiatives, l’Assemblée nationale a développé, en lien avec Etalab 54, un outil de
simulation (LexImpact) qui permet de simuler de façon rapide les conséquences d’un texte ou des amendements
(par exemple sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale). LexImpact, qui doit connaître de nouveaux
développements, permet actuellement de mesurer l’impact d’environ 80% des réformes socio-fiscales, sur des cas
types. Le Sénat entend pour sa part donner une dimension qualitative à son rapport annuel sur l’application des
lois, son président ayant demandé aux commissions de retenir chaque année deux mesures législatives
emblématiques et d’effectuer une évaluation qualitative de leur application.
Enfin, comme le fait apparaître la large étude comparative conduite par France Stratégie sur l’évaluation d’impact
dans cinq pays considérés comme les plus avancés en la matière (les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la Suède
et l’Allemagne), le Parlement français commande encore très peu d’évaluations aux universités et laboratoires de
recherche55.
Les deux assemblées font cependant preuve depuis quelques années d’un intérêt croissant pour le recours à
l’expertise académique, au moment où se confirme le développement d’une offre scientifique de grande qualité.
L’Assemblée nationale a ainsi fait appel à l’expertise de France Stratégie et à celle de laboratoires universitaires. Elle
a signé en juillet 2018 une convention avec quatre centres de recherche publics qui ont produit, dans la perspective
de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, six études fondées sur une modélisation économique et
budgétaire indépendante des propositions du Gouvernement 56. Ces études ont notamment porté sur l’impact et les
conséquences du remplacement du CICE par une baisse des cotisations sociales des employeurs (Institut des
politiques publiques, Paris School of Economics), l’impôt sur les sociétés : répartition géographique, sectorielle et
compétitive (Observatoire français des conjonctures économiques, Sciences Po), et l’impact socio-économique des
politiques d’exemption fiscales et sociales pour le développement des services à la personne (Laboratoire
interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), Sciences Po). Le CEC a par ailleurs commandé à
France Stratégie des études sur la médiation entre les usagers et l’administration 57 et sur l’impact de l’immigration
sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance.
Le Sénat a prévu depuis 2019 une enveloppe budgétaire annuelle d’un million d’euros pour financer des marchés
publics d’études permettant aux commissions de faire appel à des experts, pour examiner l’impact ex ante d’initiatives
législatives mais aussi pour évaluer ex post les politiques publiques. C’est dans ce cadre que la commission des
finances du Sénat s’est appuyée sur une étude de l’Institut des politiques publiques (IPP) pour effectuer une première
évaluation du prélèvement forfaitaire unique et de l’impôt sur la fortune immobilière 58 et que la commission du
développement durable du Sénat a commandé une étude visant à mesurer l’empreinte carbone du numérique en
France, pour étayer les travaux d’une mission d’information.
__
44. Avis n° 186 (1995-1996) de M. Alain Lambert, fait au nom de la commission des finances, déposé le 30 janvier 1996.
45 P. Gélard, Les autorités administratives indépendantes : évaluation d’un objet juridique non identifié, 2006.
46 http://www.assemblee-nationale.fr/13/rapports/r1602.asp
47 V. M. Marigeaud, N. Destais, M. Bondaz et autres, Bilan de la RGPP et conditions de réussite d’une nouvelle politique de réforme de l’Etat,
septembre 2012.
48 Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par M. Édouard
Balladur, dit « comité Balladur », Une Ve République plus démocratique, rapport au Président de la République, 29 octobre 2007, proposition
n° 43, p. 54.

10
49 V. le rapport n° 892 de J.-L. Warsmann sur le projet de loi constitutionnelle (n° 820) de modernisation des institutions de la Ve République,
p. 367.
50 V. le rapport n° 387 de J.-J. Hyest sur le projet de loi constitutionnelle (n° 820) de modernisation des institutions de la Ve République, p.
91.
51 En vertu de l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale.
52 Les règles régissant ce Comité sont prévues aux articles 98-1 et 146-2 à 146-7 du Règlement de l’Assemblée nationale.
55 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-dt-13-evaluation- france_19_decembre_2019.pdf.
56 V. le rapport d’information n° 2104 présenté par Eric Woerth sur le Printemps de l’évaluation, L’évaluation des politiques publiques 2019.
57 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapport-mediation- accomplie_02072019_finalweb.pdf.
58 Rapport d’information n° 42, 2019-2020, au nom de la commission des finances sur l’évaluation de la transformation de l’impôt sur la
fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU), MM. Vincent Eblé et Albéric
de Montgolfier.

Document 2 M. JORDA & J.-M. SUEUR (Au nom de la commission des lois du
Sénat), Rapport d’enquête sur « l’Affaire Benala », 20 février 2019 (extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que l’ « Affaire Benala » ?
- En quoi cette affaire met en cause la séparation des pouvoirs ?
- Qui est Alexis Kohlet ? Quel est son rôle ?
- Quels sont les arguments en faveur du contrôle de l’activité des collaborateurs du Président de la
République par les Chambres ? Quels sont les arguments contre un tel contrôle ?
- En quoi le notion de « gestion administrative de l’Elysée » est importante ? Comment elle limite le contrôle
des Chambres ?

C. QUEL CONTRÔLE PARLEMENTAIRE AU REGARD DU PRINCIPE DE LA SÉPARATION DES


POUVOIRS ?
Les travaux menés par votre commission, dotée de pouvoirs d’une commission d’enquête, ont suscité de vives
réactions à l’Élysée comme au sein du Gouvernement au motif qu’ils auraient porté atteinte au principe
constitutionnel de séparation des pouvoirs.
Au-delà des débats doctrinaux, ces réactions ont fait ressortir la nécessité de réaffirmer l’étendue du contrôle
parlementaire qui trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et sa traduction
dans la Constitution.

1.Des travaux dont le déroulement a donné lieu à une interprétation erronée du principe de la séparation des
pouvoirs
Dès le mois de juillet, votre commission, malgré les pouvoirs d’enquête dont elle avait été dotée, a été confrontée à
de réelles difficultés pour organiser ses travaux et obtenir les informations nécessaires à la poursuite de sa mission.
Bien qu’ils aient, comme ils en avaient l’obligation, déféré à la convocation qui leur avait été adressée, les
fonctionnaire civils et militaires de la présidence de la République entendus par votre commission ont tous rappelé
à l’occasion de leur audition, d’une part, que leur présence ne se justifiait que parce qu’elle avait été autorisée par le
Président de la République lui-même, d’autre part, que le principe de séparation des pouvoirs leur interdirait de
répondre à toute question portant sur l’organisation interne de la présidence de la République.
Au nom de l’indépendance de l’administration de la présidence de la République, plusieurs documents dont votre
commission avait demandé la communication lui ont par ailleurs été refusés dans un premier temps, parmi lesquels
les bulletins de paie d’Alexandre Benalla, le montant de sa rémunération, qui apparaissait pourtant dans les médias,
ainsi que les notes de service portant fiche de poste. Dans un courrier daté du 1er août 2018, le secrétaire général de
la présidence de la République, Alexis Kohler, justifiait ainsi ce refus :
« L’article 51-2 de notre Constitution relatif aux commissions d’enquête prévoit que des commissions d’enquête peuvent être créées
« pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24 ». Ce premier alinéa
de l’article 24 dispose que « le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ».
Ainsi notre Constitution prévoit que les commissions d’enquête permettent au Parlement d’exercer son contrôle sur l’action du
Gouvernement. Dans le même temps, le principe de la séparation des pouvoirs ne permet pas à l’une des deux assemblées d’exercer
ces pouvoirs à l’égard du Président de la République par ailleurs soumis au titre IX de la Constitution. Ainsi que l’a jugé le Conseil
constitutionnel, son autonomie financière, comme pour tout pouvoir public constitutionnel, garantit cette séparation des pouvoirs.
« Dès lors que les documents dont vous demandez la communication ne sont pas relatifs à « l’action du Gouvernement », rien
n’impose, en application de la Constitution, leur transmission à votre commission ».
Si votre commission a, à force de persévérance, obtenu en définitive la communication de la plupart des
documents demandés, cette position, qui n’a pas manqué de compliquer ses travaux, n’était, de l’avis de vos
rapporteurs, pas justifiée sur le plan constitutionnel.
Il convient, en premier lieu, de rappeler que le champ des investigations de la commission ne portait pas sur
l’organisation interne de la présidence de la République, mais bien sur le fonctionnement et les moyens de services
dépendant du Gouvernement.

11
Les missions de maintien de l’ordre ainsi que les missions de protection du chef de l’État, sur lesquelles votre
commission a concentré ses travaux, incombent en effet à des services qui relèvent tous du Gouvernement, et qui
entraient, dès lors, pleinement dans le champ de contrôle du Parlement. Les entités composant le dispositif de
sécurité de la présidence de la République, qu’il s’agisse du GSPR comme du commandement militaire, sont en effet
organiquement rattachées au ministère de l’intérieur et seulement mis à disposition de la présidence de la
République, autorité d’emploi.
Dès lors, en requérant des informations, y compris sur les missions réelles exercées par Alexandre Benalla, dans le
but de contrôler l’organisation et le fonctionnement du dispositif de sécurité de la présidence de la République,
votre commission a agi conformément aux dispositions de l’article 24 de la Constitution et n’a, à aucun moment,
méconnu le principe de la séparation des pouvoirs.
En second lieu, rien ne s’oppose juridiquement, contrairement aux propos tenus par les proches collaborateurs
du Président de la République, à ce qu’un collaborateur du chef de l’État soit entendu par une commission
parlementaire, qu’elle soit ou non dotée de pouvoirs d’enquête.
En effet, aux termes de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des
assemblées parlementaires, « toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la
convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la
commission ».
L’article 5 bis de la même ordonnance dispose qu’« une commission spéciale ou permanente peut convoquer toute personne
dont elle estime l’audition nécessaire, réserve faite, d’une part, des sujets de caractère secret et concernant la défense nationale, les
affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l’État, d’autre part, du respect du principe de la séparation de l’autorité
judiciaire et des autres pouvoirs ».
La responsabilité du chef de l’État n’étant susceptible d’être mise en cause par le Parlement que selon la procédure
prévue par l’article 68 de la Constitution et « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice
de son mandat », il est admis que le chef de l’État en exercice et les anciens présidents de la République ne puissent
être convoqués par une commission parlementaire.
Leurs collaborateurs et anciens collaborateurs peuvent en revanche être entendus dès lors que ces auditions
apparaissent nécessaires pour exercer le contrôle de services dépendant du Gouvernement et s’assurer du respect des
prérogatives constitutionnelles du Gouvernement.
Avant les travaux menés par votre commission, un certain nombre de collaborateurs de précédents présidents de la
République avaient d’ailleurs été entendus par des commissions parlementaires.
Au regard des débats et des difficultés soulevés lors de ses travaux, votre commission estime nécessaire de clarifier
l’étendue des pouvoirs de contrôle du Parlement sur l’Exécutif dans ses deux composantes.
Les services de la présidence de la République sont d’ores et déjà, et ce en dépit du principe d’irresponsabilité du
chef de l’État, soumis à des contrôles, ce qui est sain du point de vue de notre démocratie. La séparation des pouvoirs
ne doit pas interdire le contrôle, qui n’induit aucune confusion dans le partage des responsabilités publiques, bien
au contraire.
Depuis 2009, la Cour des comptes procède ainsi au contrôle annuel des comptes et de la gestion des services de la
présidence de la République, dans le cadre des dispositions des articles L. 111-21 et L. 111-32 du code des juridictions
financières. À ce titre, elle a accès à un grand nombre de documents, comme par exemple les effectifs, l’organigramme
et les rémunérations des personnels employés à la présidence de la République.
Le Parlement assure lui aussi un contrôle budgétaire des services de la présidence de la République. Ainsi, les
commissions des finances des deux assemblées de même que les commissions des lois, saisies pour avis, adressent
chaque année, dans le cadre de l’examen de la mission « Pouvoirs publics » de la loi de finances, un questionnaire écrit
et procèdent à des auditions concernant la gestion des services de la présidence de la République.
Il convient, au demeurant, de préciser que, selon les informations recueillies par votre commission auprès de la
Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), les documents administratifs produits par les services
de l’Élysée ne sont pas soumis à un régime juridique dérogatoire, mais bien susceptibles de constituer des documents
administratifs communicables à toute personne au titre du droit d’accès aux documents dont chaque citoyen peut
se prévaloir.
Sur le plan judiciaire également, l’irresponsabilité juridictionnelle ainsi que l’inviolabilité reconnue au chef de l’État
par l’article 67 de la Constitution ne s’étend pas à ses collaborateurs, sauf pour les actes effectués au nom et sur les
ordres du Président de la République. Dans un arrêt du 19 décembre 2012, la Cour de cassation a ainsi considéré
que « la protection [...] du chef de l’État ne peut pas s’étendre à l’ensemble des actes et faits commis par les services et personnels
de la présidence de la République »3.
L’irresponsabilité reconnue au chef de l’État ne bénéficie ainsi ni à ses collaborateurs, ni aux services de la présidence
de la République.
De la même manière, la consécration d’un contrôle parlementaire des services de la présidence de la République
n’impliquerait pas de remettre en cause les principes de la responsabilité du Président de la République tels qu’ils
découlent de l’article 68 de la Constitution. Les actes pris par le chef de l’État en vertu de ses pouvoirs
constitutionnels demeureraient en effet exclus de tout contrôle, sauf, bien entendu, à ce que soit mise en œuvre la
procédure de destitution devant la Haute Cour « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec
l’exercice de son mandat ».

12
En revanche, rien ne semble s’opposer à ce que les actes relevant de la gestion administrative de l’Élysée, qu’il s’agisse
de la gestion des personnels, de l’organisation des services ou encore de la passation de marchés publics, fassent
l’objet d’un contrôle par la représentation nationale, au même titre que tout autre service administratif. Eu égard à
la spécificité de l’administration élyséenne, des modalités particulières d’exercice de ce contrôle pourraient, bien
entendu, être mises en œuvre.
De l’avis de vos rapporteurs, les anomalies constatées, dans le cadre de l’« affaire Benalla », en matière de gestion des
emplois contractuels comme d’organisation des dispositifs de sécurité ne font d’ailleurs que confirmer l’intérêt d’une
telle reconnaissance.
En outre, sur le plan des principes, on se demanderait en vertu de quel raisonnement un contrôle de l’autorité
judiciaire, un contrôle de la Cour des comptes et un contrôle d’une autorité administrative indépendante seraient
admis tandis qu’un contrôle parlementaire devrait être exclu, alors même que la représentation nationale agit au
nom du peuple français pour permettre à la société, comme le prévoit l’article 15 de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen, de « demander compte à tout agent public de son administration». Les prérogatives des
commissions d’enquête parlementaires sont clairement énoncées aux articles24 et 51-2 de la Constitution : le
contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Il est patent que la protection et la
sécurité du chef de l’État et des hautes personnalités sont des politiques publiques.
__
1 « Par ses contrôles, la Cour des comptes vérifie sur pièces et sur place la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptes et
s’assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les services et organismes relevant de sa compétence. »

2 « La Cour des comptes contrôle les services de l’État et les autres personnes morales de droit public, sous réserve de la compétence attribuée
aux chambres régionales et territoriales des comptes et sous réserve des dispositions de l’article L. 131-3. »
3 Cour de cassation, chambre criminelle, 19 décembre 212, n° 12-81.043.

13
Première année de Licence en Droit
Travaux dirigés de Droit constitutionnel

Cours du Pr. S. Adalid

Séance 10 : La crise de la démocratie en France


3:
Les nouvelles formes de démocratie

Table des matières


Partie 1. L’expérimentation démocratique en France ............................................................... 1
Document 1 E. BUGE & C. MORIO, « Le Grand débat national, apports et limites pour la
participation citoyenne », Revue de Droit Public, 2019, n° 5, p. 1205 (extrait).................................... 1
Document 2 Dossier de présentation de la « Convention citoyenne pour le climat », (extrait) ... 6
Document 3 Les propositions de la « Convention citoyenne pour le climat », 29 janvier 2021 .. 9
Partie 2. Les remèdes possibles à la crise de la démocratie ....................................................... 10
Document 1 TERRA NOVA, Le référendum d’initiative citoyenne délibératif, 19 février 2019,
http://tnova.fr/notes/le-referendum-d-initiative-citoyenne-deliberatif, (extrait)............................ 10
Document 2 L. GIRARD, « Noter plutôt que voter », Le Monde, 16 août 2016 .......................... 12

Notions à maîtriser :

Démocratie participative, Démocratie délibérative, Tirage au sort, Participation, Représentation, Référendum


Partie 1. L’expérimentation démocratique en France
Document 1 E. BUGE & C. MORIO, « Le Grand débat national, apports et limites
pour la participation citoyenne », Revue de Droit Public, 2019, n° 5, p. 1205
(extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Dans quel contexte le « Grand débat » a été lancé ?
- Recensez les outils mis à disposition des citoyens dans le cadre du « Grand débat » ?
- Donnez un exemple récent d’actualité des quatre formes d’intervention recensées par le texte.
- A quelles formes d’intervention le « Grand débat » a fait appel ?
- Le « Grand débat » est-il une expérience pertinente pour répondre à la crise de la représentation ?

Annoncé le 14 décembre 2018 par le président de la République, en réaction au mouvement des Gilets jaunes, le
Grand débat national s’est officiellement déroulé du 15 janvier au 15 mars 2019. Les résultats de cette consultation
d’ampleur nationale ont été présentés publiquement le 9 avril 2019 et le président de la République a explicité les
suites qu’il entendait y donner au cours d’une conférence de presse, le 25 avril. Ce débat s’est décliné dans une
multitude de formes telles que des réunions auto-organisées, un questionnaire en ligne, des assemblées régionales de
citoyens tirés au sort ou la mise à disposition en mairie de cahiers permettant le recueil des demandes citoyennes. Il
a également donné lieu à des formes de mobilisation alternatives visant à contourner ce processus officiel, au travers
notamment de l’organisation, par des Gilets jaunes, d’une consultation parallèle.
Dans leur rapport conclusif, les garants du Grand débat décrivaient ce dernier comme « un moment démocratique
particulier, exceptionnel et innovant » 1. Pour sa part, à l’occasion de sa conférence de presse du 25 avril 2019, le
président de la République évoquait un « exercice inédit dans les démocraties contemporaines ». Le Grand débat a,
à l’inverse, été qualifié de « mascarade », tant par Christian Jacob que par Jean-Luc Mélenchon. Ces appréciations
divergentes s’expliquent en grande partie par le fait que le Grand débat a pris place dans un contexte politique
particulièrement critique, le mouvement des Gilets jaunes. Pour sortir de ces jugements de valeur et tenter de
comprendre quelles ont été l’originalité et les spécificités du Grand débat, il est nécessaire de replacer ce dernier
dans le cadre de la théorie et de la pratique des institutions de la participation citoyenne, notamment à la lumière
des expériences étrangères. En effet, il est maintenant bien établi que la démocratie représentative, sous la forme
exclusive que les démocraties contemporaines pouvaient lui attribuer en matière de décision politique, est en phase
de profonde évolution. Se sont ainsi développées des formes diverses de participation en dehors des périodes
électorales. Depuis les budgets participatifs jusqu’aux assemblées citoyennes, en passant par les conférences de
consensus, le débat public ou les consultations ouvertes en ligne, il existe un véritable foisonnement d’initiatives,
tant au niveau national que local. Elles sont parfois regroupées sous le nom de « démocratie participative » ou de «
démocratie délibérative ». Ces deux notions sont à la fois distinctes et polysémiques 2 et elles regroupent une grande
diversité de procédures. Plus large, l’expression « démocratie participative », sera ici retenue au sens que lui donne
Loïc Blondiaux, en tant qu’elle « [englobe] tout ce qui, dans la vie politique des démocraties contemporaines, ne
relève pas strictement de la logique du gouvernement représentatif » 3.
Le Grand débat s’inscrit incontestablement dans cette galaxie d’expériences nouvelles visant à associer, sous diverses
formes, les citoyens à la prise de décision publique. Il présente des analogies avec certaines expériences passées, et en
particulier avec les procédures de consultation du public. Mais il comporte également des spécificités fortes, tenant
notamment à la pluralité de ses modalités, à son ampleur ou à l’engagement des plus hauts responsables de l’État
dans son organisation et sa conduite. L’objet du présent article est de situer cet événement dans la diversification
contemporaine des rôles politiques du citoyen, ce qui nécessite de les identifier et de les caractériser en fonction de
critères objectifs. C’est uniquement à cette condition que l’on peut mesurer la spécificité du Grand débat et, le cas
échéant, sa nouveauté.
Le dispositif du Grand débat peut se lire dans une double perspective. À court terme, il a été surdéterminé par le
contexte politique, qui lui a imposé son calendrier, sa durée et en grande partie son format et son organisation. Ceci
n’a pas été sans effet sur son contenu même, qui est une hybridation de plusieurs formes distinctes d’inclusion des
citoyens dans la vie politique. En ce sens, le Grand débat constitue un objet original, que l’on peut qualifier d’« outil
consultatif de sortie de crise » (I). En revanche, les modalités de cette vaste consultation qu’a été le Grand débat ont
été plus classiques si on le replace dans l’évolution des formes d’association des citoyens à la prise de décision
publique. Dans cette perspective, le Grand débat constitue un jalon dans la consolidation de la participation
citoyenne (II).

I. — LE GRAND DÉBAT NATIONAL, OUTIL CONSULTATIF DE SORTIE DE CRISE


Le Grand débat a été original tant dans sa conception, qui s’est faite sous la pression des événements, que dans ses
modalités (A). En tant que dispositif participatif grand format, il a servi de révélateur à la pluralisation contemporaine
des formes démocratiques (B).

1
A. — La participation mise au service de la résolution d’une crise politique
Le Grand débat national peut être analysé sous le double prisme d’une réponse politique à une crise politique et
sociale de grande ampleur (1) et d’une forme inédite de consultation du public (2). Cette nature duale explique une
grande part des soubresauts qu’a connu son organisation et des règles juridiques qui lui ont été applicables.
1. Une réponse inédite à un contexte politique critique
(…)
2. Un dispositif de participation protéiforme
D’un point de vue matériel, le Grand débat recouvre une pluralité de procédures destinées à recueillir la parole
citoyenne, autre élément qui en fait la spécificité. Dans cette perspective, le choix a été fait de diversifier les outils et
les canaux de collecte, afin de multiplier les publics touchés. (…)
Le plus visible a consisté à mettre en ligne une plateforme permettant de répondre à un questionnaire portant sur
chacun des quatre thèmes soumis à consultation. À la demande du Collège des garants 23, un espace de contributions
ouvertes a ultérieurement été créé. Au total, un peu plus de 500 000 participants ont déposé près de deux millions
de contributions24. Des contributions spontanées ont également été reçues par mail et par courrier, pour un total de
27 000 contributions25. Elles ont été complétées par des dispositifs présentiels de collecte, notamment dans les gares.
Enfin, près de la moitié des mairies ont mis à disposition du public des cahiers permettant le recueil des observations
du public. Ils ont ensuite été centralisés et numérisés par la Bibliothèque nationale de France. Le Collège des garants
estime à environ 720 000 le nombre de personnes ayant ainsi contribué au débat en mairie 26.
En complément, des réunions locales pouvaient être organisées à l’initiative de toute personne intéressée,
l’information étant diffusée sur la plateforme numérique. Dénommées « réunions d’initiative locale », elles ont pris
de nombreuses formes, certaines étant organisées par des maires, des députés, des associations ou de simples citoyens.
Un modèle de compte-rendu de ces réunions a été élaboré et les comptes-rendus réalisés ont été mis en ligne sur le
site du Grand débat. Au total, plus de 10 000 réunions d’initiative locale ont eu lieu, avec un nombre moyen de
participants se situant entre 50 et 7027. Les garants évoquent à ce propos une « efflorescence d’initiatives publiques
et privées »28.
Le processus s’est conclu par deux séries de conférences. Les premières, dénommées « conférences nationales
thématiques », réunissaient différents acteurs de la société civile organisée, et notamment des entreprises, des
associations ou les partenaires sociaux29. Une conférence est intervenue pour chaque thématique, entre le 11 et le
13 mars 2019, donnant lieu à des comptes-rendus publics30. Ont par ailleurs été publiées à part 265 contributions
des « organisations », c’est-à-dire des corps intermédiaires (entreprises, fédérations professionnelles, associations, etc.),
depuis celle de l’Association des anciens élèves de l’ENA, jusqu’à celle du WWF, en passant par les contributions
du MEDEF et des Parcs naturels régionaux de France.
En outre, vingt-et-une conférences citoyennes régionales ont été organisées au milieu du mois de mars, réunissant,
dans chaque cas, entre vingt et cent vingt citoyens. Ces derniers ont été tirés au sort par génération aléatoire de
numéro de téléphone pour former, autant que faire se peut, un échantillon représentatif de la population française 31.
Des redressements ont été effectués selon cinq critères : le sexe, l’âge 32, la catégorie socioprofessionnelle, le
département et la population de la commune de résidence. Il ressort des premières analyses que, malgré la
méthodologie employée et les redressements réalisés, il existait, au sein de ces conférences, une surreprésentation
des profils masculins, urbains et dîplomés 33. 1 400 personnes environ ont participé à ces conférences, dont la durée
était d’une journée et demie. Elles étaient défrayées, mais n’étaient pas indemnisée s34. Après une rapide présentation
de la méthode, les participants, regroupés par tables de huit personnes, étaient encouragés à identifier une difficulté
à résoudre au sein du thème qui leur avait été assigné, puis à élaborer une proposition pour y répondre. Les synthèses
de ces conférences ont été mises en ligne.
Matériellement, outre la mission nationale précédemment évoquée, l’organisation du Grand débat a largement
reposé sur le secteur privé. Ainsi, l’animation des conférences citoyennes régionales a été confiée à deux cabinets de
conseil spécialisés dans la concertation et la participation du public 35. Le développement et la gestion de la plateforme
ont été l’œuvre de Cap Collectif, une civic tech 36 spécialisée dans la participation citoyenne en ligne. L’analyse des
contributions en ligne a été confiée à Opinion way, société spécialisée dans les études marketing et les études
d’opinion. Ces prestataires ont été contraints de produire une documentation retraçant la méthodologie employée
pour établir leurs restitutions37.
L’ampleur et la diversité du dispositif ainsi déployé étaient largement inédits au regard des expériences françaises
comme internationales38. Le nombre officiel de participants a été estimé à environ deux millions, chiffre maximal
dans la mesure où il fait l’hypothèse que les participants aux différentes modalités de consultation ont été des
personnes différentes. Le Grand débat a également suscité des rejets. En témoigne l’organisation du « Vrai débat »,
fondée sur une autre plateforme de consultation, qui a recueilli 119 000 contributions. Ces dernières ont été
analysées et synthétisées par plusieurs instituts de recherche 39.
Au-delà du détail de ces formes participatives, le Grand débat gagne à être replacé au sein des différents types
d’implication des citoyens dans la vie démocratique.

B. — Le Grand débat, révélateur de la pluralisation des formes démocratiques


Dans les régimes représentatifs contemporains, la vie démocratique ne se résume plus aux élections politiques. En
partant du droit positif et de la pratique institutionnelle, on peut distinguer quatre grandes modalités de
participation des citoyens à la vie de la cité. Chacune de ces formes emporte des caractéristiques propres et elles

2
bénéficient pour la plupart d’un régime juridique spécifique (1). À la lumière de cette typologie, la caractéristique
du Grand débat est double : il peut être analysé comme une consultation visant à capter les revendications du public
et à expérimenter, de manière subsidiaire, une logique délibérative (2).
1. Quatre grandes formes d’intervention du citoyen dans la vie démocratique
Ainsi que le souligne Denis Baranger, « on ne parviendra jamais à un vrai “grand débat” de toute la nation, incluant
tous les citoyens »40. En effet, dans les États contemporains, on ne peut pas envisager, pour des raisons matérielles,
de faire délibérer tout le monde sur toute décision publique 41, ce qui pourrait constituer l’idéal d’une délibération
démocratique égale et inclusive. Pour autant, les formes d’intervention des citoyens dans la vie publique se diffusent
et, par là même, se diversifient. D’un point de vue politico-juridique, il nous semble que l’on peut regrouper les
possibilités d’intervention du citoyen dans la vie politique en quatre mécanismes principaux, qui diffèrent par leur
logique politique, les effets juridiques qu’ils produisent et par les personnes susceptibles de les initier.
Le premier, qui a pendant un temps été vu comme le seul, est celui de la délégation, qui s’incarne dans la procédure
de l’élection politique42. Procédure cardinale des démocraties représentatives, c’est elle qui fonde aujourd’hui, dans
l’esprit public, la légitimité de la décision politique43. En tant que telle, elle ne saurait être assimilée à une décision,
mais constitue une simple désignation. Elle habilite en effet une ou plusieurs personnes à exercer des compétences
préalablement définies. Compte tenu de son importance, elle est encadrée par un droit très détaillé, dont la
formalisation date de la période révolutionnaire 44. Pour ce qui est de l’implication du citoyen dans la vie de la cité,
plusieurs caractéristiques principales peuvent être mentionnées. En premier lieu, la force de la délégation est, « dans
sa dimension électorale », son ouverture quasi universelle 45, la stricte égalité des électeurs 46 et la confiance dans son
organisation matérielle du fait de la fréquence des élections et de la transparence de leur déroulement. Par ailleurs,
comparativement aux autres formes d’association des citoyens, les élections bénéficient d’un fort taux de
participation, bien que ce dernier soit tendanciellement en déclin, ce qui confère une légitimité forte à cette
procédure. Enfin, l’élection s’est socialement chargée d’une dimension de consentement au programme de l’élu,
bien qu’aucune valeur juridique ne lui soit associée.
Deuxième forme de participation des citoyens à la vie publique, la décision. Elle connaît aujourd’hui également une
forme juridique préférentielle dans la procédure du référendum 47. Contrairement à l’élection, qui n’est qu’une
désignation à une fonction, le référendum emporte décision. En droit positif français, le référendum ne peut avoir
lieu que sur un projet d’acte juridique 48. Il consiste en l’adoption directe, par le corps électoral, de ce projet d’acte,
que ce soit au niveau national ou au niveau local49. De manière générale, la régulation juridique des référendums est
calquée sur celle des campagnes électorales. Toutefois, le déclenchement d’un référendum est, en droit positif,
l’apanage des pouvoirs publics, alors que les élections ont lieu sur une base périodique.
La revendication constitue une troisième modalité de participation du citoyen à la vie de la cité. Elle peut prendre
de multiples visages, depuis la manifestation de rue jusqu’au référendum d’initiative citoyenne, en passant par la
pétition et le plaidoyer. Dans son acception la plus courante, la revendication émane de la société civile et non d’une
institution. Le but de la revendication peut d’ailleurs être de s’opposer à telle ou telle décision prise par les
institutions politiques légitimes. La spécificité de ce type d’action, et son intérêt, est son caractère spontané et
décentralisé : toute personne est susceptible de s’en saisir, sans forme institutionnelle particulière. Contrairement
aux autres procédures, les citoyens n’ont pas à se plier à un calendrier préétabli, ou à attendre une initiative
extérieure. Des procédures particulières peuvent donner une traduction institutionnelle aux revendications
exprimées au sein de la société. Le mécanisme d’interpellation citoyenne, qui permet, sous condition de seuils
d’approbation, d’obtenir l’inscription d’une question à l’ordre du jour d’une assemblée délibérante en est un
exemple50. Il en est de même de l’initiative citoyenne, telle qu’elle existe par exemple en Suisse, qui permet de
déclencher, sous certaines conditions, la tenue d’un référendum. Au regard du droit comparé, ces capacités
d’initiative institutionnelle des citoyens sont particulièrement faibles en France, le référendum d’initiative partagée
ne pouvant, en l’état du droit, être initié que par les parlementaires 51. Sous toutes ses formes, le succès de la
revendication repose sur la capacité de mobilisation des initiateurs de la démarche : une manifestation, une pétition
et a fortiori une initiative citoyenne n’ont de poids que si elles rassemblent un nombre élevé de soutiens. Cette
capacité du citoyen à s’inviter dans le jeu politique en dehors des élections relève de ce que Pierre Rosanvallon a
appelé la « contre- démocratie », c’est-à-dire « la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la
légitimité électorale »52.
Une dernière forme d’intervention du citoyen dans la décision politique est celle de la consultation. Cette notion
recouvre l’ensemble des procédures qui permettent à une autorité publique de prendre des avis préalablement à sa
décision, sans que ces derniers aient une valeur contraignante. Dans une première forme, la consultation consiste à
recueillir l’avis des personnes qui le souhaitent, sur un projet d’acte juridique ou sur une thématique donnée. Les
personnes intéressées peuvent alors faire part de leurs idées et de leurs propositions, que la consultation soit fermée
(c’est-à-dire réservée à des catégories d’acteurs précisément identifiées, comme les parties prenantes d’une politique
publique ou les riverains d’un aménagement) ou qu’elle soit ouverte (toute personne pouvant alors y contribuer).
Certaines consultations sont plus formalisées. Prévues par un texte, elles se présentent sous la forme d’une question
posée aux citoyens, mais sans que la réponse qui lui est donnée soit contraignante 53. Dans une seconde forme, la
consultation repose sur la constitution d’un échantillon représentatif de la population concernée. C’est notamment
la figure du sondage d’opinion, qui se contente de recenser des opinions existantes. Pour aller au-delà, des
mécanismes de sondage délibératif, et plus largement de « mini-publics », ont été créés dans les années 1990. Ils

3
reposent sur le tirage au sort d’un échantillon représentatif plus ou moins large, qui reçoit une formation et qui
délibère sur la thématique concernée. Ce dispositif partage avec le sondage d’opinion de s’appuyer sur les techniques
d’échantillonnage, qui ne permettent pas à chacun de s’exprimer54. En revanche, contrairement au sondage, il ne se
contente pas de recenser les réponses spontanées à la question posée. Cette technique vise à simuler, pour reprendre
la formule de James Fishkin, « ce que le peuple penserait s’il était mis dans de bonnes conditions pour y réfléchir »55.
Quelle que soit la formule retenue, la consultation ne produit pas d’effets juridiques : les titulaires des fonctions
politiques demeurent libres in fine de la décision prise. Par ailleurs, l’engagement d’une démarche de consultation
relève le plus souvent de la décision souveraine des pouvoirs publics. Ainsi que le résume Loïc Blondiaux, les
consultations « ont pour origine une sollicitation du pouvoir, gardent un caractère strictement consultatif et visent
à produire des avis dont rien n’oblige le commanditaire à tenir compte » 56. D’un point de vue juridique, les
consultations ouvertes sont régies soit par des textes spécifiques, soit par l’article L. 131-1 du Code des relations
entre le public et l’administration et par la décision Occitanie du Conseil d’État qui en précise la portée 57.
Chacune de ces quatre formes d’intervention des citoyens dans la vie politique font l’objet d’un droit spécifique,
plus ou moins important en fonction de leur degré de formalisation et d’institutionnalisation. Leurs principales
caractéristiques sont synthétisées dans le tableau suivant.

2. Le Grand débat, une consultation visant à capter la dynamique revendicative et à expérimenter la logique délibérative
Comment analyser le Grand débat national sur le fondement de cette typologie des formes d’engagement du citoyen
dans la vie politique ? Deux qualifications doivent être écartées d’emblée : la désignation et la décision. C’est
justement pour ne pas avoir recours à ces deux mécanismes (en l’occurrence, des élections législatives ou un
référendum) dont le résultat est juridiquement contraignant que le Grand débat a été organisé. L’exécutif a ainsi
pioché dans le panel des formes de participation non contraignantes pour éviter le recours à ces deux instruments58.
De même, contrairement à certaines des interprétations qui ont pu être faites des résultats du Grand débat, et
notamment de la participation en ligne, en réponse au questionnaire, il ne saurait être assimilé à un sondage
d’opinion59. Le propre de cette technique de « mesure de l’opinion » est en effet de reposer sur la constitution d’un
échantillon représentatif de la population générale, prescription qui a d’ailleurs valeur légale en matière de sondages
électoraux60. Or, il n’en a rien été s’agissant du questionnaire en ligne ou des remontées individuelles, puisque la
participation était ouverte à tous. Ainsi, malgré les 720 000 idées transmises et les 1,9 million de questionnaires et
contributions reçues en ligne, la représentativité des résultats est beaucoup plus faible que celle d’un sondage, du
fait des biais de participation61. Vouloir en tirer des conclusions sur la société française ou sur l’opinion des Français
risquerait d’avoir les mêmes conséquences que la fameuse enquête qu’avait réalisée le Literary Digest auprès de
millions de ses lecteurs pour les élections présidentielles américaines de 193662.
En revanche, le Grand débat national peut être lu comme un dispositif de consultation à grande échelle. Il partage
les principales caractéristiques de ce type d’exercice. En effet, il consistait en un recueil de l’avis des citoyens
volontaires par les pouvoirs publics et ses résultats n’étaient aucunement contraignants pour ces derniers. Il s’agissait
d’une consultation ouverte, à laquelle chacun était libre de participer.
Ce qui fait l’originalité de cette consultation est d’avoir été destinée à capter des revendications qui s’étaient déjà
largement exprimées de manière spontanée, au cours du mouvement des Gilets jaunes. Ce mouvement a en effet
emprunté une grande partie des formes de la revendication, depuis la signature de pétitions jusqu’à l’organisation
régulière de manifestations. Le Grand débat national est donc un dispositif de participation hybride,
intrinsèquement consultatif dans ses formes, mais destiné à s’inscrire dans un contexte fortement revendicatif qui
lui préexistait, afin d’en constituer la réponse institutionnelle. Ce caractère hybride était assumé par les organisateurs

4
du Grand débat, qui ont favorisé, au travers des réunions d’initiative locale, l’auto-organisation de débats et
d’événements, forme caractéristique de la logique de revendication. Par ailleurs, l’accent a été mis sur le caractère
personnel des réponses attendues. La lettre du président de la République énonçait ainsi : « C’est votre expression
personnelle, correspondant à votre histoire, à vos opinions, à vos priorités, qui est ici attendue, sans distinction d’âge
ni de condition sociale. »63. Pour sa part, le Premier ministre insistait sur le fait que le débat devait permettre « à
chaque Français de faire part de son témoignage, d’exprimer ses attentes et ses propositions de solutions. » 64. Les
organisateurs ont donc insisté sur la dimension particularisante des contributions attendues, transformant le
dispositif de consultation déployé en capteur des revendications de la société et l’expression de « cahiers de doléances
», parfois employée pour désigner le recueil des observations en mairie, est à ce titre évocateur.
Autre originalité, le Grand débat a permis de recourir à des formes novatrices de consultation, fondées sur la
délibération. Cette dernière peut se définir comme une « communication mutuelle impliquant le fait de jauger et de
réfléchir aux préférences, aux valeurs et aux intérêts sur des sujets de préoccupation commune » 65. Il y a donc, comme
l’écrit Denis Baranger, « un pas de l’expression politique à la délibération » 66, soulignant ainsi que toute revendication
ou toute participation à une consultation ne vaut pas délibération. Un processus ne peut être dit délibératif que s’il
permet d’échanger des arguments et de se convaincre mutuellement. C’était justement le rôle des conférences
citoyennes régionales organisées au mois de mars que de favoriser un tel débat. Le couplage entre tirage au sort d’un
échantillon représentatif et logique délibérative assimilait ce procédé au dispositif des sondages délibératifs 67 et visait
à constituer des mini-publics. Le temps disponible pour la délibération (une journée et demie) empêche toutefois
d’y voir une expérience pleinement aboutie. À titre de comparaison, le G400 organisé par la CNDP en 2018 sur la
politique énergétique de la France a réuni 400 citoyens tirés au sort qui avaient été informés sur les enjeux en cause
préalablement à la délibération.
En revanche, on peut estimer que le Grand débat a été, dans son ensemble, peu délibératif, aucun dispositif
délibératif n’ayant été prévu à l’échelle nationale. Cette possibilité a été exclue sur la plateforme de consultation en
ligne, du fait de l’interdiction de commenter ou de répondre aux contributions déjà déposées 68. Ainsi, les
contributions recueillies forment une simple collection d’opinions individuelles, qui ne peuvent pas conduire à la
formation d’une opinion collective. De même, le Gouvernement n’a pas souhaité organiser l’assemblée citoyenne
délibérative nationale, qui devait clôturer le Grand débat dans la proposition de la CNDP en recueillant l’ensemble
de la matière et en hiérarchisant les propositions formulées par ailleurs69. On voit en effet le risque qu’il y aurait eu
à générer un processus délibératif au niveau national quant à la capacité ultérieure du Gouvernement de choisir à
son gré les propositions qu’il souhaitait retenir.
Ainsi, le Grand débat national peut être analysé comme une forme de consultation citoyenne dont la particularité a
été d’avoir pour ambition de capter les revendications du public et d’expérimenter une forme de délibération. Ainsi
resitué dans un paysage plus large, il devient envisageable de mesurer les apports du Grand débat au regard de la
théorie et de la pratique consultatives. Sur ce point, le Grand débat national ne fait, à lui seul, guère preuve
d’innovation. Néanmoins, par son ampleur, il a marqué une étape importante vers une plus grande
institutionnalisation de la participation citoyenne en France.

--
(1) Rapport du Collège des garants du Grand débat national, 9 avril 2019, p. 20 (ci-après « Collège, p. xx »).
(2) Sur la distinction entre démocratie participative et démocratie délibérative, v. Hayat S., « Démocratie participative et impératif délibératif :
enjeux d’une confrontation », in Bacqué M.-H. et Sintomer Y. (dir.),La démocratie participative. Enjeux et généalogie, 2011, Paris, La Découverte.
(3) Blondiaux L., Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, 2008, Paris, Seuil, p. 38.
(23) Communiqué de presse du 28 janvier 2019.
(24) Collège, p. 12.
(25) Ibid.
(26) Le nombre de mairies qui ont mis à disposition des cahiers est d’environ 16 000, tandis que 5 000 contributions ont été recueillies à l’occasion
des stands itinérants. Ibid.
(27) Le rapport du Collège des garants mentionne le nombre de 70 (p. 13). Les ministres organisateurs font référence à une cinquantaine lors de
leur audition au Sénat le 4 avril 2019.
(28) Collège, p. 11.
(29) La CNDP avait plutôt proposé l’organisation d’« ateliers du futur » visant à consulter les acteurs économiques à l’échelle régionale, afin de
créer des plans d’action territoriaux et des coopérations locales sur le moyen terme.
(30) Pour un exemple, voir le compte-rendu de la conférence nationale thématique « Démocratie et citoyenneté », 11 mars 2019.
(31) Un choix aléatoire sur les listes électorales a été écarté, à la demande des garants, afin de ne pas exclure les 4 à 5 millions de personnes non
ou mal inscrites sur les listes électorales, ainsi que les personnes qui ne sont pas de nationalité française. Sur la non ou la mal inscription sur les
listes électorales, v. Dormagen J.-Y. et Braconnier C., La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieux populaires,
2007, Paris, Folio.
(32) Une conférence était par ailleurs spécifiquement consacrée aux 18-25 ans.
(33) Fourniau J.-M., « Le “Grand débat national” : un exercice inédit, une audience modérée au profil socioéconomique opposé à celui des Gilets
jaunes », Synthèse de l’Observatoire des débats, organisme d’étude indépendant du Grand débat national, note de travail n° 1, 12 avril 2019, not.
p. 11-12.
(34) Arrêté du 22 février 2019 précité.
(35) Missions Publiques et Res publica.
(36) Les civic tech peuvent être définies comme « l’ensemble des outils numériques ayant pour ambition de transformer le fonctionnement de la
démocratie, d’améliorer son efficacité et son organisation grâce à un renouvellement des formes d’engagement des citoyens » : Mabi C., « Citoyen
hackeur – Enjeux politiques des civic tech », La Vie des Idées, 2 mai 2017, dernier accès le 27 mai 2019.
(37) Collège, p. 17. Les documents disponibles en ligne sont toutefois relativement succincts en la matière.
(38) Fourniau J.-M., art. cité, p. 4 : « L’exercice du “Grand débat national” n’en reste pas moins inédit par son ampleur, pour laquelle très peu de
points de comparaison existent en France, en Europe ou dans le monde. »

5
(39) https://www.le-vrai-debat.fr/ À compter de juin 2019, le processus s’est poursuivi par la réunion d’assemblées citoyennes délibératives
chargées de rédiger des propositions de loi transcrivant les recommandations ayant émergé sur la plateforme.
(40) Baranger D., « Le Grand débat national, la Constitution, le régime », JCP G n° 16, 22 avril 2019, act. 413.
(41) Robert Dahl notait qu’il faudrait plus de 200 jours de débat pour que chacun des habitants d’une ville de 10 000 habitants puisse parler 10
minutes, à raison de huit heures de délibération par jour (cité par L. Blondiaux, op. cit., p. 68).
(42) L’élection n’est pas la seule forme de délégation. Le tirage au sort parmi les citoyens peut également constituer une forme de délégation,
comme c’est le cas, par exemple, dans le jury d’assises.
(43) V. Daugeron B., La notion d’élection en droit constitutionnel, 2011, Paris, Dalloz, not. p. 923 et s.
(44) Sur la constitution progressive de ce droit, v. Tanchoux Ph., Les procédures électorales en France de la fin de l’Ancien Régime à la Première Guerre
mondiale, 2004, Paris, CTHS Histoire. S’agissant du droit positif, de nombreux manuels existent. V. par exemple Touvet L. et Doublet Y.-M.,
Droit des élections, 2e éd., 2014, Paris, Economica et Rambaud R.,Droit des élections et des référendums politiques, Paris, LGDJ, 2019.
(45) Les élargissements successifs du droit de vote et la coïncidence renforcée entre éligibilité et citoyenneté attestent de cette dynamique.
(46) Au travers du principe « un homme, une voix », mais aussi des règlementations contemporaines du financement électoral ou du découpa ge
électoral.
(47) D’autres formes ont pu exister, telles que la décision de l’assemblée des citoyens réunis dans l’Athènes du IVe siècle.
(48) Un projet ou une proposition de loi au niveau national, en application des articles 11, 88-5 et 89 de la Constitution, et un projet de
délibération ou d’acte, au niveau local, en application de l’article 72-1 de la Constitution.
(49) Au niveau local, le caractère décisionnel du référendum est toutefois conditionné à une participation d’au moins 50 % des électeurs et au
fait que la majorité d’entre eux se soit prononcée en faveur du projet. Sur la procédure référendaire, v. Hamon Fr., Le référendum. Étude comparative,
2e éd., 2012, LGDJ, coll. Systèmes. Pour une synthèse du droit applicable, v. Buge E., Droit de la vie politique, 2018, Paris, PUF, p. 353 et s.
(50) Sur le régime juridique de certaines des procédures existantes ; v. E. Buge,op. cit., p. 375 et s. Sur les limites aux interventions du peuple
dans les institutions de la Ve République, v. B. Pauvert, « Le peuple dans la pratique institutionnelle de la Ve République. Du pouvoir invoqué
au contre- pouvoir évincé », Politeia n° 26, décembre 2014, p. 493-512.
(51) Article 11 de la Constitution.
(52) Rosanvallon P., La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, 2006, Paris, Seuil, p. 16.
(53) Par exemple, les consultations organisées sur le fondement de l’article 72-4 de la Constitution ou des articles L. 1112-15 et s. du Code
général des collectivités territoriales.
(54) Lors de la préparation du Grand débat, la technique du tirage au sort d’échantillons représentatifs a ainsi été critiqué e par certains Gilets
jaunes au motif qu’elle n’autorisait qu’un « “petit” nombre de citoyens à voter sur des propositions alors que ce débat national est celui du “grand”
nombre » (CNDP, p. 9). V. plus largement sur ce sujet, CNDP, Une nouvelle ambition pour la démocratie environnementale, 18 juin 2019, p.
8.
(55) Fishkin J. S., “Random Assemblies for Lawmaking : Prospects and Limits”in Gastil J. et Wright E. O. (dir.), Legislature by lot. Transformative
Designs for Deliberative Governance, 2019, Londres-New York, Verso, p. 98.
(56) Blondiaux L., op. cit., p. 18. Pour quelques aperçus sur le droit positif applicable, v. Buge E., op. cit., p. 364 et s.
(57) CE, ass., 12 juillet 2017, nos 403928 et 403948, Association citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et autres : AJDA 2017, p. 1662, chron.
G. Odinet et S. Roussel ; JCP G 2017, p. 942 note C. Testard ; Procédures 2017, p. 253, comm. Chifflot ; DA 2017, n° 12, p. 49, comm. Éveillard
; LPA 12 déc. 2017, p. 13, note David ; JCP A 2017, n° 38-39, ccl. Daumas. Sur ce cadre juridique et son application au Grand débat, V. II A 2.
(58) En ce sens, on peut affirmer avec le président de la République que le Grand débat n’est « ni une élection, ni un référendum » : lettre aux
Français du 13 janvier 2019.
(59) Le rapport du Collège des garants émet la même mise en garde : « Le grand débat national n’est pas un sondage [...] Il convient de garder à
l’esprit que seule une minorité y a participé [...]. [Les contributeurs] ne constituent pas un échantillon représentatif de l a société française » (p.
18).
(60) Art. 1er de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion.
(61) Ainsi, pour les réunions d’initiative locale, les participants étaient majoritairement des hommes (55 %), plutôt âgés (60 ans en moyenne),
retraités (50 %) et pour 64 % d’entre eux diplômés de l’enseignement supérieur. M. Foucault, interview dans Libération, 14 mars 2019.
(62) Qui avait abouti à prédire la défaite de Roosevelt, alors que l’institut Gallup parvint à prévoir, grâce à un sondage représentatif de quelques
centaines de personnes, sa réélection. V. Sintomer Y., Le pouvoir au peuple. Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative, 2007, Paris, La
Découverte, p. 105.
(63) Lettre du président de la République du 13 janvier 2019.
(64) Courrier à la présidente de la CNDP du 14 décembre 2018.
(65) « Mutual communication that involves weighing and reflecting on preferences, values, and interests regarding matters of common concern »
: Bächtiger A., Dryzek J. S., Manesbridge J. et Warren M., “Deliberative Democracy : An Introduction”, in Bächtiger A., Dryzek J. S., Manesbridge
J. et Warren M., The Oxford Handbook of Deliberative Democracy, 2018, Oxford University Press, p. 2.
(66) D. Baranger, art. cité.
(67) Y. Sintomer, op. cit., p. 172 et s.
(68) Cette fonctionnalité est pourtant disponible sur la plateforme de Cap Collectif et avait donc été désactivée. Le Collège des garants a demandé
en vain la mise en œuvre de cette possibilité (communiqué de presse du 28 janvier 2019), qui avait également été préconisée par la CNDP (CNDP,
p. 19).
(69) CNDP, p. 48.

Document 2 Dossier de présentation de la « Convention citoyenne pour le


climat », (extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Pourquoi la « Convention citoyenne pour le climat » a été créée ?
- Comment ont été choisis les membres de la Convention ?
- Quels sont les objectifs, les pouvoirs et les méthodes de travail de la Convention ?

Une réponse aux attentes des Français


Cette Convention répond à la double attente des Français d’aller plus loin et plus vite dans la lutte contre le
dérèglement climatique et de donner davantage de place à la participation citoyenne dans la décision publique.
Le mouvement des Gilets jaunes, les marches pour le climat, le succès de la pétition de l’Affaire du Siècle sont autant
de témoignages de la nécessité de traiter ces deux crises dans un même temps où
lutte contre le changement climatique va de pair avec la justice sociale et à la justice climatique.

6
Le 25 avril 2019, le Président de la République a annoncé la création de cette Convention Citoyenne et s’engage à
ce que les propositions de la Convention soient soumises « sans filtre » soit au vote du Parlement, soit à référendum,
soit à application réglementaire directe.

Un exercice inédit et ambitieux


Alors qu’il existe un consensus croissant sur le constat d’une nécessaire intensification de l’action pour le climat, le
consensus sur les solutions et les moyens d’action reste à construire. C’est le défi de la Convention citoyenne.
Elle s’est installée les 4, 5 et 6 octobre 2019 et se réunira à six reprises au Palais d’Iéna, siège du CESE (Conseil
économique, social et environnemental).
Elle a pour mandat de définir une série de mesures en matière de lutte contre le changement climatique permettant
d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un
esprit de justice sociale. Elle peut traiter des questions relatives aux économies d’énergie, à la rénovation thermique
des logements, à l’agriculture, aux mobilités, à la fiscalité écologique et à tout autre verrou ou levier d’action qu’elle
juge pertinent
La Convention citoyenne remettra les conclusions de ses travaux fin janvier, sous la forme de mesures d’ordre
législatif ou règlementaire consignées dans un rapport public, remis au Président de la République
et au Gouvernement. Parmi ces mesures, elle désignera celles qui sont, à ses yeux, d’application réglementaire directe,
celles qui doivent être soumises au Parlement et, enfin, celles qui doivent être soumises à référendum, soit les trois
débouchés évoqués par le Président de la République lui-même.
Le Gouvernement répondra ensuite publiquement aux propositions et publiera un calendrier prévisionnel de mise
en œuvre de ces propositions. Les 150 membres pourront formuler collectivement une réaction à ces annonces lors
d’une dernière journée dont ils seront libres de fixer la date.

Des citoyens représentatifs


Les 150 membres de la Convention ont été tirés au sort après la génération de numéros de téléphone (85 % de
portables et 15 % de fixes).
Afin d’atteindre une « représentation descriptive » de la population française dans la composition de la Convention,
plus 300 000 numéros de téléphone ont été tirés au sort par Harris Interactive, sous le contrôle d’un huissier, le
jeudi 8 août 2019, puis Harris Interactive a contacté l’ensemble de ces numéros à partir du lundi 26 août.
La démarche a été bien accueillie par les personnes contactées : parmi les personnes décrochant leur téléphone et se
voyant présenter le principe de la Convention, 30% donnaient un accord oral, 35% se déclaraient intéressés par le
principe mais demandaient davantage de temps pour réfléchir/s’organiser, 35% refusaient pour différentes raisons,
principalement celle du temps important requis par cette opération.
Le Comité de Gouvernance a fixé 6 critères :
- Le sexe : conformément à la réalité de la société française.
- L’âge : 6 tranches d’âge, proportionnelles à la pyramide des âges.
- Le niveau de diplôme : 6 niveaux, afin de refléter le niveau de diplôme de la population française.
- Les situations socio-professionnelles : diversité des CSP (ouvriers, employés, cadres...) au sein de la
population française.
- Le type de territoires : en se basant sur les catégories Insee (grands pôles urbains, deuxième couronne,
communes rurales, quartiers prioritaires de la ville...).
- La zone géographique : la Convention illustre également la répartition de la population française par
régions et dans les territoires ultra-marins.
Les 150 citoyens bénéficient d’une indemnisation, sur le modèle des jurés d’assises soit 86,04 € par jour, (1 462 €
pour la totalité du processus), ainsi qu’une indemnité de perte de revenu professionnel pour les personnes qui
viendront sur leur temps de travail (10,03 € par heure). Les frais de transport, d’hébergement et de restauration sont
également pris en charge, et une indemnité de garde d’enfants a été mise en place (sur la base de 18 € /heure
(cotisations patronales incluses), afin de permettre aux parents notamment ceux monoparentaux, de participer aux
travaux).

Un exercice ouvert
Le comité de gouvernance de la Convention a souhaité faire de cette innovation démocratique un exemple
d’ouverture et de transparence.
Les séquences publiques et les auditions sont diffusées en direct ou en podcast sur le site de la Convention
Citoyenne. Le public peut assister à certaines séquences qui se déroulent dans l’hémicycle du CESE en s’inscrivant
sur le site de la Convention.
Afin d’associer l’ensemble de la population française aux travaux de la Convention, un espace de contribution en
ligne a été ouvert. Personnes physiques ou morales (entreprises, associations,
ONG, entités publiques, Think tanks, universités, mouvements politiques...) pourront soumettre leurs contributions
qui seront ensuite mises à disposition des 150 membres de la Convention
et publiées sur le site : contribuez. conventioncitoyennepourleclimat.fr

7
Une organisation rigoureuse et indépendante
Un Comité de Gouvernance
Pour organiser ses travaux, cette Convention peut compter sur le soutien d’un Comité de Gouvernance composé de
personnalités qualifiées dans le domaine de l’écologie, de la démocratie participative, du champ économique et social
ainsi que de citoyens tirés au sort. Ce comité est co-présidé par Thierry Pech et Laurence Tubiana avec comme
rapporteur général, Julien Blanchet.
Des Garants
Pour veiller au respect des règles d’indépendance et de déontologie du processus, la Convention peut compter sur
un collège de trois garants : Cyril Dion (nommé par le président du Conseil économique social et environnemental)
; Anne Frago (nommée par le Président de l’Assemblée Nationale) et Michèle Kadi (nommée par le Président du
Sénat).
Une équipe d’organisation
L’organisation opérationnelle de la Convention citoyenne a été confiée au Conseil économique social et
environnemental, troisième Assemblée de la République, et acteur légitime de par son caractère
constitutionnellement indépendant et ses expériences récentes de tirage au sort et de participation citoyenne.
Une méthode rigoureuse fondée sur l’audition d’experts, la délibération et l’intelligence collective
Pour nourrir leurs réflexions et dans le cadre d’auditions, les membres peuvent questionner différents experts
scientifiques, sociaux, économiques...
Pendant le temps du processus, la Convention arrête ses recommandations et prend ses décisions de manière
autonome.
Pendant toute la durée des travaux, les citoyens sont accompagnés par des professionnels de la participation, de la
délibération collective et de l’intelligence collective.
Un comité d’appui technique et légistique est mis à leur disposition pour les assister dans la transcription en termes
juridiques de leurs propositions.

8
Document 3 Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, 29
janvier 2021
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Quels sont les enseignements constitutionnels de la Convention citoyenne ?
- Qu’est-ce que cette expérience nous apprend sur la démocratie ?
- Quelles sont les attentes formulées par les membres de la Convention ?

Qui nous sommes ?


Citoyennes et citoyens libres, indépendants de tout parti ou influence, représentatifs de la société : nous sommes
150 femmes et hommes âgés de 16 à 80 ans, de toutes origines et professions.
Nous avons été sélectionnés par tirage au sort selon une génération aléatoire de numéros de téléphone, sans nous
être portés volontaires préalablement, pour être membres de la Convention Citoyenne pour le Climat afin que nous
formions une image de la société française capable de vous représenter. Nous ne sommes pas des experts, nous
sommes des citoyennes et citoyens comme les autres, représentatifs de la diversité de la société. Nous avons le pouvoir
de décider et de faire changer les choses, pouvoir que nous avons exercé avec une attention particulière pour les plus
fragiles et ce dans un esprit de justice sociale.
Notre expérience de la Convention Citoyenne
La Convention Citoyenne pour le Climat est la première expérience démocratique d’ampleur faisant appel au tirage
au sort – et donc reconnaissant la capacité de citoyennes et citoyens ni spécialistes, ni militants de s’exprimer sur un
sujet d’avenir majeur.
Nous avons vécu ensemble, pendant 9 mois, une expérience humaine inédite et intense, qui nous a amenés à prendre
conscience de l’impérieuse nécessité d’un changement profond de l’organisation de notre société et de nos façons
de vivre.
Pour répondre à la question qui nous été posée, « Comment réduire d’au moins 40 % par rapport à 1990 les
émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la justice sociale ? », nous avons échangé librement
dans la pluralité de nos opinions. Nous nous sommes nourris d’échanges avec des experts et des représentants
économiques, associatifs et publics, afin d’être en capacité de rédiger des mesures concrètes, en connaissance de
cause et en toute indépendance.
Nous avons appris à être plus attentifs et plus tolérants aux avis de chacun dans le respect de notre diversité. Se
mettre d’accord a parfois été compliqué du fait de nos différences d’opinions, de modes de vie, de culture, d’origine
sociale. Cette convention a donc été une leçon de vie démocratique et participative. Nous avons travaillé
intensément, avec conviction, envie et un sentiment d’urgence face au climat pour parvenir à des propositions
communes.
En dehors des sessions de travail qui nous ont réunis, beaucoup d’entre nous se sont fortement investis dans leur
territoire pour partager notre mission, notre prise de conscience et nos ambitions. Nous avons souhaité le faire car
c'est à nous de faire vivre et protéger l’endroit où nous vivons. Nous avons ainsi écouté nos amis, voisins, concitoyens,
d'associations, des élus et des institutions locales et nationales. Ces rencontres nous ont permis de recueillir toute
l’expérience et tous les ressentis de nos interlocuteurs, et ainsi confronter nos réflexions collectives à la réalité
quotidienne mais aussi aux enjeux économiques, géographiques, politiques et sociaux de chaque territoire.
La mixité qui nous caractérise ainsi que les échanges lors des sessions, et toutes les rencontres en dehors des sessions
nous ont permis d’être plus justes et pertinents dans notre travail.
Nos départements d’outre-mer n’ont pas été oubliés. Plusieurs citoyennes et citoyens ultramarins, présents au sein
de la Convention, ont eu à cœur de faire entendre leurs vécus et leurs attentes. Cette préoccupation de ne pas
raisonner uniquement en « métropolitains » est partagée par les 150 membres qui entendent le sentiment très fort
d’éloignement des décisions politiques prises à Paris et de faible reconnaissance de l’importance des territoires
ultramarins dans les choix publics. C’est pourquoi, les mesures proposées ont été revues pour éviter tout effet pervers
pour les territoires ultramarins. Nous considérons que les territoires ultramarins peuvent être des laboratoires
incroyables, en termes d’autonomie énergétique, de nouvelles pratiques agricoles ou dans le bâtiment.

Ce que nous souhaitons dire à la société française


Ce que nous avons vécu est une véritable prise de conscience de l’urgence climatique : la Terre peut vivre sans nous,
mais nous ne pouvons pas vivre sans elle. À titre d’exemple, les températures caniculaires supérieures à 50°C à
l’ombre, qui vont devenir plus fréquentes, seront mortelles dans certaines régions du monde où l’air saturé en
humidité interdit toute évaporation de la sueur. Ouvrons donc les yeux et bougeons-nous !
Nous ne sommes pas uniquement devant le choix d’une politique économique pour faire face à une crise
économique, sociale et environnementale, nous devons agir sans plus attendre pour stopper le réchauffement et le
dérèglement climatique qui menacent la survie de l’humanité. Si nous ne rattrapons pas le retard pris, beaucoup de
régions du globe deviendront inhabitables, du fait de la montée des eaux ou de climats trop arides. C’est une question
de vie ou de mort !
Nous ne sommes pas en compétition avec les élus ou les autres acteurs de la société française : nous devons tous
changer nos comportements en profondeur pour laisser à nos enfants et petits-enfants une planète viable. Il faut agir

9
plus vite et plus fort que ce qui a été fait jusque-là, même si des initiatives superbes ont déjà été mises en œuvre,
notamment par les collectivités territoriales et les associations. Les efforts ne pourront pas venir uniquement des
autres. Citoyens, pouvoirs publics, acteurs économiques, ONG, il est nécessaire que nous soyons tous solidaires face
à l’urgence climatique, en faisant de la justice sociale un des moteurs de la réflexion.
Nous attendons du gouvernement et des pouvoirs publics une prise en compte immédiate de nos propositions
permettant une accélération de la transition écologique, notamment dans la stratégie de sortie de crise, en faisant
du climat la priorité des politiques publiques, en évaluant les résultats et en sanctionnant les écarts. Le 21ème siècle
peut être le nouveau siècle des Lumières par une posture politique ambitieuse, vertueuse et démocratique ! Cela va
exiger de considérer l’enjeu écologique comme un enjeu économique (au sens classique et restrictif du PIB), et veiller
à ne laisser aucun citoyen de côté, notamment les plus pauvres.
Nous invitons les acteurs économiques à mener une action plus volontariste en faveur de la transition écologique,
en faisant de cette problématique une opportunité pour repenser en profondeur nos modes de production et de
consommation, et favoriser une meilleure distribution des richesses. L’urgence climatique nous impose des décisions
difficiles mais indispensables : soyons inventifs.
Nous demandons aux entreprises françaises qui ont des filiales à l’étranger d’être des acteurs de la transition
environnementale notamment dans les territoires où les effets du dérèglement climatique sont dramatiques.
Transition
Il apparaît inévitable de revoir nos modes de vie, nos manières de consommer, de produire et travailler, de nous
déplacer, de nous loger et de nous nourrir afin de réduire de 40 % les émissions de GES d’ici 2030. En 2019,
l’empreinte carbone moyenne d’un Français est de 11,2 tonnes d’équivalent CO2 alors qu’elle devrait être de 2
tonnes par an pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Partie 2. Les remèdes possibles à la crise de la démocratie


Document 1 TERRA NOVA, Le référendum d’initiative citoyenne délibératif, 19
février 2019, http://tnova.fr/notes/le-referendum-d-initiative-citoyenne-
deliberatif, (extrait)
Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Résumez l’ensemble des conditions posées par la proposition ? Pour chacune, quelles en sont les justifications
théoriques et juridiques ?
- Qu’apporte le mécanisme d’interpellation proposé ?
- Pourquoi les questions fiscales font débat ?

4. PROPOSITIONS POUR UN RIC DÉLIBÉRATIF

4.1. INITIATION DU PROCESSUS ET CONTRÔLE DE CONSTITUTIONALITÉ


Nous suggérons que la proposition donnant lieu à collecte de signatures soit préalablement déposée devant une
institution indépendante en charge du processus, cette institution pouvant être la Commission nationale du débat
public (CNDP). Une commission de cette institution examine alors sa recevabilité. Soit elle la juge recevable et la
transmet immédiatement au Conseil constitutionnel, qui vérifie qu’elle n’est ni contraire à la Constitution (contrôle
de constitutionnalité) ni incompatible avec les conventions internationales (contrôle de conventionalité) 26, soit elle
la juge irrecevable et la rejette en motivant sa décision. Dans ce dernier cas, le ou les auteurs de la pétition peuvent
faire appel de cette décision devant le Conseil constitutionnel.
Si, par l'une ou l'autre de ces voies, la proposition est validée et jugée conforme à la Constitution et aux conventions
internationales, la collecte des signatures peut s'engager.

4.2. MODE, NOMBRE ET CALENDRIER DES SOUSCRIPTIONS


Nous proposons que les signatures soient recueillies et traitées sur une plateforme digitale publique et sécurisée
placée sous la responsabilité de l'institution indépendante en charge du processus, par hypothèse la CNDP. Pour
éviter de pénaliser les publics éloignés des usages numériques, l'enregistrement des signatures pourra se faire de deux
façons : a) directement sur la plateforme via un ordinateur/smartphone personnel ; b) en mairie, avec l'aide d'un
agent public. Dans les deux cas, la procédure devra être conforme aux pratiques les plus avancées en matière de
sécurisation (double signature, échange de SMS, etc.).
Pour un « RIC de proposition », nous suggérons que le nombre minimum de signatures requis soit fixé à 2 % du
corps électoral (soit environ 900 000 personnes actuellement). Ce chiffre est un ordre de grandeur qui peut faire
l'objet de discussions. Michel Rocard proposait ainsi en 1995 qu'il se situe entre 800 000 et 1 million d'électeurs.
L'essentiel est de fixer un seuil assez élevé pour nécessiter un vrai effort de mobilisation et limiter le risque d'inflation
électorale (cf. supra 2.6.), et suffisamment bas pour pouvoir être franchi. Les signatures devraient être réunies en
moins de six mois. Là encore, de nombreuses alternatives sont possibles, mais il faut en tout état de cause fixer un

10
délai qui rende l'exercice possible sans pour autant le faire traîner inutilement en longueur. Naturellement, rien
n’empêche des groupes de citoyens de commencer à faire connaître leur intention de lancer une pétition référendaire
et donc d’entrer en campagne avant le dépôt officiel de celle-ci auprès de l'institution compétente.
Un second seuil de souscriptions devrait être introduit pour les RIC d'abrogation. Nous suggérons de le fixer à 4 %
du corps électoral, soit le double que pour les RIC de proposition. Cette procédure pourrait s'appliquer également
aux propositions portant sur des questions fiscales ou touchant au domaine des lois organiques.
Il faudrait également prévoir des règles en cas de compétition entre plusieurs initiatives citoyennes simultanées. On
pourrait ainsi décider que c'est la pétition qui a réuni le plus grand nombre de signatures qui est examinée en priorité.
Ou encore qu'afin de concentrer l'attention publique et l'effort d'information et de délibération, on écarte la
possibilité de campagnes sur plus de trois propositions en même temps.

4.3. DROIT D’INTERPELLATION


Toute proposition de RIC n'atteignant pas le seuil de signatures requis mais obtenant quand même un nombre
conséquent de soutiens (par exemple 1 % du corps électoral pour un RIC de proposition et 2 % du corps électoral
pour un RIC d’abrogation ou portant sur une proposition fiscale ou une loi organique) pourrait être inscrite d'office
à l'ordre du jour des assemblées. La proposition serait alors examinée en commission, c'est-à-dire possiblement
amendable, puis nécessairement soumise au vote du plenum de l’Assemblée nationale.

4.4. LA FONCTION DU RÉFÉRENDUM


Nous avons choisi de nous concentrer ici sur les RIC de proposition et d'abrogation. Ces derniers présentant une
complexité particulière (en proposant au peuple de défaire ce qui a été fait par ses élus, ils organisent, comme on l’a
vu, l'affrontement de deux sources de légitimité), ils devront être soumis à des conditions de validité plus exigeantes
que les RIC de proposition (cf. supra 4.2. et infra 4.8.).

4.5. VALIDITÉ DE LA QUESTION POSÉE


On pourra sortir du champ du RIC un certain nombre de questions, notamment la loi de finances et l'adoption ou
la ratification de traités internationaux. Les questions fiscales feront en outre l'objet de la même procédure que les
RIC d'abrogation (cf. supra 4.2. et infra 4.8.). De même que les propositions touchant au champ d'une loi organique.
Remarque sur les questions fiscales
Notre groupe de travail a eu d’importants débats sur le point de savoir si les questions fiscales devaient être
intégrées ou non dans le champ du RIC. Certains États étrangers les en ont exclues. On peut en effet redouter
que l’abrogation par voie référendaire de certains prélèvements fiscaux, par exemple, entraîne une désorganisation
des finances publiques et qu’elle s’accompagne rapidement d’un ajustement budgétaire sur les dépenses publiques
avec des choix dont la popularité et les conséquences en chaîne ne sont pas garanties...
En même temps, il a semblé philosophiquement difficile de soustraire l’impôt à l’arbitrage souverain du peuple.
C’est pourquoi nous avons proposé de soumettre les RIC portant sur des questions fiscales à une procédure
renforcée (la même que celle que nous proposons pour les RIC d’abrogation). De même, il nous semble important
dans ce cas de rendre publique une étude d’impact approfondie et de faire connaître aux électeurs les
conséquences potentielles de leur choix. C’est, dans notre esprit, l’une des missions de l’assemblée des citoyens
que nous proposons de réunir (cf. infra 4.7.).
La question posée par le RIC doit porter sur un sujet unique et respecter le principe d'unité de matière, de manière
à assurer la clarté et la loyauté du scrutin.
Pour que le processus gagne en cohérence, on exclura également les questions générales à caractère non normatif.
Pour qu'un RIC de proposition soit organisé, il faut alors qu'il se concentre sur une proposition ayant forme de loi.

4.6. LES PROTOCOLES DE VÉRIFICATION


Plusieurs protocoles de vérification doivent être mis en place au cours de la procédure.
– Vérification des signatures. L'institution indépendante en charge du processus (par hypothèse, la CNDP) pourrait
y procéder. La méthode par échantillon appliquée en Californie est une option possible.
– Contrôles de constitutionnalité et de conventionalité. Ceux-ci sont impératifs et auront déjà eu lieu au début de
la procédure (cf. supra 4.1.).

4.7. L'ASSEMBLÉE DES CITOYENS


Passé la collecte et la vérification des signatures requises, nous suggérons qu'une assemblée des citoyens soit
constituée. Elle aurait pour fonction de : a) réaliser une étude d'impact en cas de victoire du « oui » en auditionnant
les experts et en synthétisant les études existantes ; b) rédiger et adopter un rapport de quelques pages exposant les
conséquences pratiques de chacune de deux options, texte qui sera ensuite associé au matériel électoral des citoyens.
Nous suggérons que cette assemblée rassemble 100 citoyens tirés au sort sur les listes électorales. Si l'on veut que les
citoyens siégeant dans cette assemblée soient représentatifs de la population au sens descriptif du terme, il faudra
mixer tirage au sort et méthode des quotas. Les citoyens tirés au sort pourront refuser de siéger dans cette assemblée
et, dans ce cas, ils seront remplacés par d'autres. En tout état de cause, ceux qui accepteront seront indemnisés au
niveau de la rémunération ordinaire des députés prorata temporis.
Pour éviter de tenir les parlementaires à l'écart du processus et d'affaiblir ainsi un peu plus leur fonction, on pourra
exiger que cette assemblée accueille en outre un député par groupe parlementaire constitué à l'Assemblée nationale

11
et au Sénat (soit, aujourd'hui, une douzaine d'élus). Une telle hybridation ne serait pas inédite : en Irlande en 2012,
la convention constitutionnelle indépendante (cf. supra 3.1.3.) était ainsi composée de 66 citoyens tirés au sort et de
33 parlementaires désignés en proportion des groupes de la chambre basse. En tout état de cause, les représentants
élus issus de l'Assemblée nationale et du Sénat devront rester largement minoritaires. Dans le cas où on ne retiendrait
pas cette disposition et où on choisirait une assemblée purement citoyenne, on pourrait exiger qu'elle auditionne
chaque groupe parlementaire.
L'assemblée se réunira une semaine par mois pendant trois mois ; ce rythme de travail permettra aux citoyens à la
fois d'auditionner largement, de prendre le temps de la réflexion entre les sessions et de rédiger leur rapport. Elle
sera présidée et animée par un(e) président(e) nommé(e) par une autorité indépendante (par hypothèse, la CNDP),
qui ne prendra pas part au vote et sera choisi(e) pour son expérience en matière d'organisation des débats et du
travail coopératif.
L'assemblée instruira le dossier en auditionnant des experts et personnalités qualifiées et en faisant l'inventaire des
opinions et arguments pro et contra. Elle s'associera les services d'universitaires et autres experts pour réaliser une
étude d'impact (social, budgétaire, réglementaire, etc.) qui sera rendue publique. Le rapport rédigé par l’assemblée
devra en particulier comprendre une synthèse courte (quelques pages) qui sera fournie à titre de matériel de vote à
tous les inscrits.
Ses séances plénières et auditions seront publiques, les travaux en commission se tenant à huis clos. On veillera à ce
que les conditions matérielles, en particulier les conditions d’hébergement, permettent un travail serein des membres
de l’assemblée.
4.8. LES CONDITIONS DE VALIDATION DU RÉSULTAT
Nous proposons que, pour un RIC de proposition, la validation du résultat suppose une majorité absolue de « oui »
sur l'ensemble des suffrages exprimés et un quorum de participation supérieur à 50 % des inscrits. Dans ces
conditions, il ne serait plus possible qu'une réforme soit, comme en 2000 lors du référendum sur le quinquennat,
adoptée par une étroite minorité d'inscrits27. Pour un RIC d'abrogation ou portant sur une question fiscale, elle
supposerait que les « oui » représentent plus de 50 % des inscrits (ex : avec un taux de participation de 75 %, le « oui
» ne peut l'emporter que s'il dépasse 66 % des suffrages exprimés).
4.9. LA PORTÉE DU RÉSULTAT
Le résultat du RIC de proposition ou d'abrogation est d'application directe (…)
4.11. AFFAIBLISSEMENT DU PARLEMENT
Dans le cas particulier de la France, il faudrait veiller à ce que le RIC ne soit pas une nouvelle manière d'affaiblir le
Parlement. C'est pourquoi il serait opportun que la création d'une telle procédure référendaire soit couplée avec un
renforcement du pouvoir parlementaire par ailleurs. Afin de protéger la légitimité du parlement, il pourrait en outre
être envisagé d'interdire les RIC dans l'année précédant la fin de la mandature, soit un an avant l'élection législative
(afin d'éviter ainsi des formes de pré-campagne législative implicites). Pour les mêmes raisons, nous proposons qu’un
petit nombre de députés soient associés à l’assemblée des citoyens et à ses travaux (cf. supra 4.7.).

Document 2 L. GIRARD, « Noter plutôt que voter », Le Monde, 16 août 2016


Répondez aux questions suivantes en identifiant les passages pertinents du texte :
- Qu’est-ce que le « vote par notes » ?
- Quels sont les avantages du système proposé ?

Dans le secret de l’isoloir, l’heure n’est plus aux nuances : l’électeur français qui s’apprête à voter pour son président
doit choisir un nom et un seul. Laissant derrière lui une corbeille remplie des bulletins non retenus, il glisse dans
une enveloppe celui de « son » candidat. Avec plus ou moins de conviction.
« Les citoyens sont de moins en moins enclins à défendre à 100 % un candidat. Ils ont des sentiments mélangés », affirme Yves
Sintomer, professeur de science politique à l’université Paris-VIII. Et ce mode de scrutin peine de plus en plus à
légitimer les représentants élus, dans un contexte de forte défiance à l’égard des élites politiques. « Un certain nombre
d’électeurs ressentent un sentiment d’exaspération face au mode de scrutin en vigueur, mais il reste à trouver la bonne alternative »,
avance Antoinette Baujard, maître de conférences en sciences économiques à l’université Jean-Monnet de Saint-
Etienne. Avec une poignée de chercheurs, elle étudie un autre modèle : le vote par notes ou par approbation. Son
principe ? « L’électeur note chacun des candidats. Dans le cas du vote par approbation, il met 0 ou 1. Le vote par notes, lui,
peut inclure une évaluation négative, ou encore proposer un classement allant de 0 à 2 ou de 0 à 20 », détaille l’universitaire.
Plutôt que de se prononcer en faveur d’un candidat unique sans évaluer ses concurrents, il s’agit de classer chaque
candidat sur une échelle de valeur prédéfinie. Le gagnant est celui qui obtient le score le plus élevé.

De Sparte à Riga
Bien que n’ayant jamais été utilisé pour une présidentielle, ce mode de scrutin existe déjà ailleurs. En Lettonie, par
exemple, lors des élections parlementaires et européennes, l’électeur peut indiquer sa préférence pour plusieurs
candidats du parti qu’il a choisi en apposant un signe « + » en face de leurs noms, ou au contraire exprimer son
désaccord en en rayant certains.

12
« L’électeur apporte ainsi soit 2, soit 1, soit 0 point(s) à chaque candidat de sa liste. Les sièges sont attribués aux partis en
proportion des voix reçues à partir d’un seuil minimum et en choisissant à l’intérieur des listes les candidats préférés des électeurs
de ce parti », résume l’économiste Jean-François Laslier, directeur de recherche au CNRS.
En France, de petites communes autorisent les citoyens à ajouter ou biffer des noms sur les listes qui se présentent
aux municipales. Dans les Länder allemands, chaque électeur dispose de 100 points qu’il répartit comme il le
souhaite.
L’ancêtre de tels systèmes est né à Sparte, en Grèce antique : les membres de l’assemblée y acclamaient les candidats,
qui défilaient un par un devant le peuple lors des élections. Plutarque raconte que des juges installés à l’écart, de
manière à ne pas voir qui était acclamé, désignaient le gagnant en fonction du volume sonore qui l’accompagnait.
Pour s’assurer du respect de l’anonymat, l’ordre de passage était tiré au sort. Pour Charles Girard, maître de
conférences en philosophie à l’université Jean-Moulin-Lyon-III, ce vote par acclamation représente une forme
« précoce et approximative » de vote par approbation.
« Les électeurs pouvaient moduler l’intensité de leur soutien. Cette méthode du “cri” était sans doute moins équitable et moins
fiable qu’un vote – la puissance des voix varie et la mesure d’une clameur est imprécise. Mais elle permettait d’évaluer quel
candidat bénéficiait du soutien total le plus important », note-t-il.
On peut aussi rappeler qu’au Grand Conseil de Florence, du temps de Machiavel, la liste des personnes qui allaient
être tirées au sort pour occuper des charges publiques était composée en votant tour à tour pour chaque candidat.
Pour y figurer, il fallait obtenir la majorité absolue des voix, dans une logique d’examen des compétences plutôt que
de compétition électorale. Les chercheurs qui planchent aujourd’hui sur le sujet s’inspirent cependant moins de ces
expériences historiques que de la théorie du choix social, créée au début des années 1950 par le prix Nobel
d’économie Kenneth Arrow.

En quête de volontaires
Dans le sillage de ses travaux s’est en effet constitué un courant qui agrège des économistes, mais aussi des
mathématiciens, des informaticiens et des chercheurs en science politique. Ensemble, ils tentent de mettre en
évidence les propriétés normatives auxquelles doivent se plier les différents modes de scrutin.
« Aucun ne respecte toutes les bonnes qualités, reconnaît Antoinette Baujard, mais certains posent des problèmes spécifiques
qui peuvent être évités. Notre travail consiste à établir la liste des propriétés qui nous satisfont pour tenter de nous en approcher. »
C’est ainsi que depuis la fin des années 1970, grâce aux travaux pionniers de Steven Brams et Peter Fishburn, des
chercheurs s’intéressent au vote par approbation.
Longtemps, ce programme, à l’origine très formel, s’est tenu éloigné du débat public. En France, il faudra attendre
la présidentielle de 2002 pour que l’économiste Jean-François Laslier passe de la théorie à la pratique. « Les théoriciens
du choix social, comme leur nom l’indique, préfèrent rester dans leur bulle. Cette approche a ses limites », justifie-t-il.
Avec sa consœur Karine Van der Straeten, elle aussi directrice de recherche au CNRS, ils décident d’organiser des
expérimentations in situ autour du vote par approbation et par notes. Et se mettent en quête de villes ou de villages
susceptibles d’accueillir ce type d’expérience scientifique – plus compliquée à mettre en œuvre qu’un simple sondage.
« Certaines municipalités ont refusé car c’était trop nouveau. Elles avaient peur de créer du trouble », se souvient l’économiste.
Les chercheurs atterrissent finalement à Orsay, dans l’Essonne, et à Gyles-Nonains, une petite commune du Loiret.
En ce jour du 21 avril 2002, parmi les électeurs se rendant aux urnes pour élire leur président, certains acceptent de
se plier à l’exercice. Accueillis par des assesseurs volontaires, étudiants et chercheurs, dans de simili-bureaux de vote,
ils votent donc deux fois ce jour-là : d’abord pour de bon, puis de façon fictive.
Premier enseignement de cette expérience : Jean-Marie Le Pen n’aurait jamais accédé au second tour avec ce mode
de scrutin alternatif. Et en 2012, sa fille ne serait pas montée si haut. « Nos expérimentations lors de la dernière
présidentielle donnaient Marine Le Pen derrière tout le monde. Au lieu d’arriver en troisième position, elle était cinquième. Et
même huitième en cas de possibilité de mettre une note négative », précise Antoinette Baujard.
« Dans le système actuel, il suffit de récolter un plus grand nombre de voix que les autres pour gagner, même si ça ne représente
que 25 %. Du coup, on ne sait pas si le gagnant est apprécié par les citoyens qui ont choisi un autre candidat. Dans le cas du
vote par note ou par approbation, il sort au contraire avec un soutien de la plupart des électeurs car tout le monde a pu s’exprimer
sur lui », précise Jean-François Laslier. Résultat, un candidat cristallisant beaucoup d’opinions négatives est défavorisé
par rapport à quelqu’un de consensuel – un centriste notamment.

Sortir de certains dilemmes


Autre avantage de ce mode de scrutin : il pourrait redonner leurs chances aux petits partis, actuellement étouffés par
le phénomène du « vote utile ». Quand on ne peut donner sa voix qu’à un seul candidat, on a tendance à se
concentrer sur le plus susceptible de l’emporter. Au contraire, lorsqu’on permet aux électeurs de s’exprimer sur
chacun, Les Verts et le Parti pirate sont plutôt bien représentés.
Pour Antoinette Baujard, quand ils peuvent s’exprimer sur plusieurs noms, « cela ne coûte rien aux électeurs de voter
aussi pour des formations peu connues ». « Le mode de scrutin actuel étouffe l’innovation politique », abonde Andrew Maho,
animateur du site Internet Votedevaleur.org, pour qui le vote par notes vivifierait l’offre politique.
« C’est un aspect qu’on connaît peu, car on n’en a pas l’expérience », nuance toutefois Jean-François Laslier. Ce mode de
scrutin, ajoute-t-il, permet de sortir de certains dilemmes du type « j’aimerais bien voter pour lui, mais mon vote ne
va servir à rien », ou encore « je vote pour lui, juste pour signaler que je ne suis pas content ».

13
Mais à ses yeux, son atout principal est de renforcer le pouvoir des électeurs et d’améliorer la représentativité de
l’élu : « L’électeur peut s’exprimer de manière plus fine, il a donc l’impression que son avis est mieux pris en compte. »
Sur le fond, pourtant, le politiste Yves Sintomer est dubitatif. « Cette alternative reste de l’ordre du jeu de construction,
elle changerait les acteurs qui gagnent, mais le jeu et la symbolique resteraient globalement les mêmes. Pas sûr que cela suffise à
relégitimer notre système politique », souligne-t-il.
Mais la vraie limite, selon lui, tient aux modalités des recherches menées actuellement. « Beaucoup d’expériences
intéressantes qui se diffusent dans la société ne découlent pas, contrairement au vote par notes, de réflexions mathématiques et
économiques. Elles proviennent de groupes d’individus qui bricolent dans leur coin, si bien que leurs découvertes ont pour base des
résultats réels et non des modèles abstraits », constate-t-il. Et de regretter que « les modes de scrutin, en France, soient décidés
nationalement, ce qui constitue un frein considérable à l’invention ». A bon entendeur.

14

Vous aimerez peut-être aussi